THE RAKE’S PROGRESS · 2017. 6. 20. · THE RAKE’S PROGRESS STRAVINSKY 6 Dans la rue, on entend...
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THE RAKE’S PROGRESS
STRAVINSKY
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VENDREDI 18 NOVEMBRE A 20h30
DIMANCHE 20 NOVEMBRE A 14h30
DUREE DU SPECTACLE : 2H30 AVEC ENTRACTE
SPECTACLE CONSEILLE A PARTIR DU CYCLE 4, CLASSE
DE 3ème
Riche sans mérite, marié sans amour, vivant sans conscience, Tom Rakewell se laisse happer
par une spirale de vacuité de l’existence, poussé par le diabolique Nick Shadow. Il y a du Faust
dans cette histoire… Par candeur, par faiblesse ou par paresse, le anti-héros qu’est Rakewell
cède aux forces obscures et se vautre dans une débauche dont la forme la plus actuelle
pourrait être le dévoiement de l’économie financiarisée.
C’est cette transposition engagée du libertinage débridé muté en libéralisme échevelé qui a
inspiré au jeune et talentueux metteur en scène David Bobée une descente aux enfers
rythmée en sept tableaux de plus en plus abstraits. Des tableaux qui structuraient déjà la
trame choisie par Stravinsky ! C’est en découvrant, en 1947 à Chicago, une série de sept
gravures sur le débauché Rakewell (signées par William Hogarth au début du XVIIIèmesiècle)
que le compositeur décide d’en faire l’argument de son premier opéra en langue anglaise.
Créée à la Fenice en 1951 et à New York vingt ans plus tard, encore très peu présentée en
France, l’œuvre recèle une puissance poétique et politique qui, pour sa première mise en
scène d’opéra, ne pouvait laisser insensible David Bobée.
THE RAKE’S PROGRESS
STRAVINSKY
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SOMMAIRE
CHAMPS COMPOSITIONNELS ET STRUCTURELS DE L’OPERA PAGE 4
SYNOPSIS PAGE 4
IGOR STRAVINSKY (1882-1971) PAGE 7
FICHE IDENTITE DE L’ŒUVRE PAGE 9
L’ŒUVRE ET SA GENESE PAGE 10
L’ŒUVRE ET SA RECEPTION PAGE 12
L’ESTHETIQUE NEO-CLASSIQUE DE L’OPERA PAGE 13
LES PISTES D’EXPLOITATIONS PEDAGOGIQUES PAGE 14
DE LA SATIRE SOCIALE DANS L’ŒUVRE D’HOGARTH PAGE 13
LES REFERENCES MYTHOLOGIQUES PAGE 18
QUELQUES PISTES D’ECOUTES PAGE 21
POUR EN SAVOIR PLUS PAGE 27
THE RAKE’S PROGRESS A L’OPERA DE REIMS PAGE 28
LA PRODUCTION PAGE 28
NOTE D’INTENTION DU METTEUR EN SCENE PAGE 29
ZOOM SUR LA SCENOGRAPHIE PAGE 31
REGARDS SUR LE CHEF D’ORCHESTRE PAGE 35
LE CAHIER DE LECTURE PAGE 36
STRAVINSKY : PORTRAIT D’UN AMERICAIN, par Francis POULENC PAGE 36
THE RAKE’S PROGRESS
STRAVINSKY
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CHAMPS COMPOSITIONNELS ET
STRUCTURELS DE L’OPERA
SYNOPSIS
ACTE 1
SCENE 1
La maison de campagne de Trulove.
Anne Trulove et son fiancé Tom Rakewell chantent l’amour et le printemps. Trulove, le père
d’Anne, est inquiet : son futur gendre n’a pas de situation et refuse celle qu’il lui propose. Se
basant sur la doctrine de la prédestination,Tom s’en remet à la Fortune et rêve d’être riche. Paraît
alors un inconnu –Nick Shadow– qui annonce à Tom qu’il vient d’hériter d’un oncle et qu’il est
riche. Shadow se met au service de Tom, lui proposant de n’être payé qu’un an plus tard. Les
deux hommes partent pour Londres afin de régler au plus vite la succession.
Trulove est un peu inquiet, Anne n’est pas complètement heureuse... « La carrière d’un libertin
commence», annonce Nick au public.
SCENE 2
Le bordel de Mother Goose à Londres.
Prostituées et mauvais garçons chantent, boivent et festoient avec les filles. Nick et Tom sont là,
le premier fait passer au second son examen de passage dans une nouvelle vie : faire son devoir
envers soi-même, suivre la nature, la beauté, les plaisirs. Quant à l’amour Tom ne peut le définir
et veut quitter la place. Mais Nick fait retarder l’horloge d’une heure : « Voyez. Le temps est vôtre.
Les heures vous obéissent. Ne craignez point. Jouissez. Assez tôt vous pleurerez. » Tom reste et
chante l’amour trahi, l’amour blessé, l’amour saint ; mais il va finir la nuit avec Mother Goose qui
se l’est réservé.
SCENE 3
La maison de campagne de Trulove.
C’est déjà l’automne. Sans nouvelles de Tom, Anne s’inquiète et pressent qu’il a oublié ses
promesses et son amour. Malgré l’amour qu’elle porte à son père, elle décide de le quitter, d’aller
chercher Tom, si faible à ses yeux.
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ACTE II
SCENE 1
Dans le salon de la demeure londonienne de Tom
Tom médite tristement sur sa nouvelle vie, sur le vide qui l’habite, rassasié de toutes les
richesses et de tous les plaisirs : « Je voudrais être heureux », soupire-t-il. Son cœur est vide et
seule la pensée d’Anne…. Mail il n’ose penser à elle.
Nick surgit alors et lui conseille d’épouser Baba la turque, la femme à barbe, la nouvelle star de
la cité. En effet, grâce à ce mariage publicitaire, Tom deviendra célèbre, montrera sa liberté avec
éclat en ignorant son désir et son devoir.
SCENE 2
Une rue devant la résidence de Tom à Londres.
Anne est là, anxieuse, hésitant à frapper à la porte. Un cortège arrive, avec flambeaux et chaise à
porteur. En sort Tom. Troublé et gêné de trouver Anne, il lui enjoint de l’accuser, de le dénoncer,
de partir et de l’oublier. Mais il est touché par la constance de son ancienne fiancée. Baba la
Turque passe la tête entre les rideaux de la chaise à porteurs. Anne apprend alors la vérité et
s’en va rapidement. Sous les acclamations de la foule, Baba rejoint la maison, laissant voir aux
Londoniens ravis sa splendide barbe.
SCENE 3
Dans le salon de la demeure londonienne de Tom où règne le capharnaüm de Baba
Tom et sa femme prennent le petit déjeuner. Baba bavarde sans arrêt, détaillant ses collections,
racontant ses souvenirs de voyages... Tom est de mauvaise humeur, Tom se tait, Tom repousse
violemment la tendresse de sa femme. Du coup, Baba s’énerve et casse les objets qui lui
tombent sous la main. Tom interrompt les récriminations de sa femme au milieu d’une phrase, lui
couvrant le visage de sa perruque. Elle reste muette et immobile. Tom se réfugie dans le
sommeil. Pendant qu’il dort, Nick arrive dans la pièce avec une machine soi-disant destinée à
changer les pierres en pains, dont il montre au public le mécanisme trompeur.
Tom s’éveille et raconte qu’il vient de rêver, justement, d’une machine miraculeuse à transformer
les pierres en pains. Nick lui montre son invention. Tom, ravi, se voit déjà, grâce à sa machine,
comme le sauveur du monde. Nick lui propose de lui faire rencontrer des investisseurs et des
souscripteurs pour fabriquer la machine en série.
ACTE III
SCENE 1
Dans le grand salon de Tom et Baba, tout est couvert de poussière et de toiles d’araignées.
Baba est assise, immobile, la perruque retournée sur la tête. L’escroquerie de la machine à pains
a éclaté au grand jour ; c’est la ruine des petits actionnaires, le scandale pour Tom qui est en
fuite. Le commissaire-priseur Sellem est venu vendre les biens et il mène ses enchères avec
virtuosité : y passent les objets hétéroclites de la collection de Baba. Et finalement, c’est Baba
elle-même, encore couverte de sa perruque, qu’il met à prix et adjuge, dévoilant son visage
devant la foule ébahie. Impassible, elle achève la phrase interrompue par Tom à la scène 2 de
l’acte précédent !
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Dans la rue, on entend alors Nick et Tom, braillant et se moquant de Baba. Anne arrive, ayant
reconnu la voix de Tom. Baba la prend sous sa protection, lui affirme que Tom l’aime toujours et
l’encourage à le sauver. Puis, superbe, elle prend congé de la foule : « La prochaine fois, vous
paierez pour voir Baba ! ».
SCENE 2
Dans un cimetière, une nuit sans étoiles.
Un an et un jour ont passé depuis la rencontre de Tom Takewell et de Nick Shadow. C’est le
moment de régler les comptes : Nick réclame son salaire, l’âme de Tom. Mais il lui laisse une
chance : s’il parvient à identifier trois cartes choisies par Nick, Tom aura la vie sauve.
Malgré sa peur, Tom joue. Pensant à Anne, il choisit la dame de cœur : gagné. Voyant les piques
de la bêche du fossoyeur, il annonce le deux de pique : gagné encore.
Contre toute attente, invoquant l’amour, Tom choisit encore la dame de cœur et gagne la partie.
Nick vaincu, furieux, condamne toutefois Tom à devenir fou avant de s’enfoncer dans une tombe.
SCENE 3
A l’asile de Bedlam.
Tom se prenant pour Adonis, attend la visite de Vénus, entouré d’un triste chœur de fous. Et
Vénus vient voir Adonis : c’est Anne. Adonis (Tom) demande à sa déesse de pardonner son
inconstance et sa folie.
Anne le berce et chante pour lui, il s’endort. Trulove vient chercher sa fille, l’histoire est terminée,
seule la mort délivrera le héros.
Tom s’éveille, Anne est partie, il meurt. Le chœur chante une déploration.
EPILOGUE
Les cinq protagonistes viennent exposer leur morale de l’histoire.
Il n’est pas donné à tout débauché d’être sauvé par l’amour, dit Anne. Tous les hommes sont
fous, tout ce qu’ils disent et font est du théâtre dit Baba. Si vous vous prenez pour Virgile ou
César, dit Tim, craignez de vous retrouver libertin. Du matin au soir, dit Nick, je ne manque pas de
travail. Et tous ensemble : pour les mains oisives, pour les cœurs, pour les cerveaux vacants, le
Diable trouve toujours du travail.
THE RAKE’S PROGRESS
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IGOR STRAVINSKY (1882-1971)
ELEMENTS BIOGRAPHIQUES
Toute sa vie durant, Stravinsky a fait preuve d’une
étonnante faculté d’adaptation aux genres musicaux. Son
œuvre, tout en gardant son intégralité, reprend les styles et les
méthodes de composition les plus divers : la période russe, tout
à tour chatoyante et sauvage, puis l’écriture néoclassique qui le
pose en défenseur de la tradition ; enfin le détour par l’écriture
sérielle de Webern.
LA PERIODE RUSSE
Fils d’un célèbre chanteur, Igor Stravinsky suit avec succès des études juridiques tout en
travaillant la composition et le piano avec Rimski-Korsakov. Ses premières œuvres sont des
commandes de Diaghilev pour ses ballets russes. Le triomphe de L’Oiseau de feu (1910) apporte
au jeune compositeur une renommée qui ne le quittera plus. L’année suivante, son ballet
Petrouchka révèle le danseur Nijinski au public parisien. Le scandale le plus mémorable du
théâtre des Champs-Elysées éclate le 29 mai 1913 avec Le sacre du printemps : la chorégraphie
provocante, la modernité du langage rythmique, choquent la critique qui évoque le « massacre du
printemps » ! Mais Dukas, Ravel, Debussy apprécient la richesse de l’œuvre.
Installé en Suisse pendant la première guerre mondiale, Stravinsky travaille à la légende lyrique
Le Rossignol (1914) et se lie d’amitié avec le poète Ramuz : L’Histoire du soldat (1918) est le
fruit de leur collaboration.
La révolution d’octobre l’éloigne à jamais de son pays natal : ce déracinement est probablement
à l’origine de sa nouvelle orientation musicale.
LE MUSICIEN NEO-CLASSIQUE
De provocateur, Stravinsky devient un musicien néo-classique : Pulcinella (1919) – une
commande de Diaghilev avec un décor de Picasso – est une reconstitution stylisée de l’œuvre de
Pergolèse ; l’Octuor pour instruments à vents (1923), le Concerto pour piano et orchestre
d’harmonie sont des retours à Bach ; la Sonate pour piano (1924) évoque le style des
clavecinistes français du XVIIIème siècle, tandis que le souffle de Beethoven anime la Symphonie
en trois mouvements (1945). Œdipus Rex est d’un classicisme rigoureux et la Symphonie des
psaumes retrouve l’esprit de la Renaissance.
STRAVINSKY VERS 1830
THE RAKE’S PROGRESS
STRAVINSKY
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Durant la seconde guerre mondiale, Stravinsky se fixe à Hollywood et devient citoyen américain.
The Rake’s progress est
composé entre 1948 et 1951.
Le compositeur est alors déjà fixé aux
Etat-unis. Il s’agit d’une des dernières
œuvres d’inspiration néo-classique du
compositeur.
UN AUTRE LANGAGE TOURNE VERS LA SERIE
Stravinsky, qui découvre l’œuvre de Webern, utilise alors la technique sérielle dans Trois
chansons pour Shakespeare (1953), le Cantum sacrum (1956) et une œuvre d’inspiration
religieuse, Threni (1958). Il meurt en 1971 à New York, n’ayant jamais cessé de composer.
EN CLASSE
DEMANDER aux élèves de rédiger une courte biographie sur Stravinsky. Ce travail mettra
en avant le contexte historique et culturel de l’époque du compositeur et la place
particulière de The Rake’s Progress dans son œuvre. L’objectif est d’apprendre à
sélectionner des informations et à les rédiger, et enfin de situer un artiste dans son
époque.
CYCLE 4 LES LANGAGES POUR PENSER ET COMMUNIQUER
- L’élève est capable de « trouver, sélectionner et exploiter des informations »
LES METHODES ET LES OUTILS POUR APPRENDRE
- L’élève est capable « d’effectuer des recherches bibliographiques »
- L’élève est en capacité d’ « utiliser des moteurs de recherche, des dictionnaires et des
encyclopédies en ligne, des sites et des réseaux de ressources documentaires, des
manuels numériques, des systèmes d’information géographique »
LES REPRESENTATIONS DU MONDE ET DE L’ACTIVITE HUMAINE
- L’élève est en mesure d’ « associer une œuvre à une époque et une civilisation à partir
des éléments observés »
POUR EN SAVOIR PLUS SUR STRAVINSKY : http://www.fondation-igor-
stravinsky.org/web/
POUR SITUER AVEC PRECISION L’ŒUVRE DANS SON CONTEXTE HISTORIQUE ET
GEOGRAPHIQUE LIRE L’ARTICLE « STRAVINSKY : PORTRAIT D’UN AMERICAIN »,
PROPOSE P. 36 DANS LE CAHIER DE LECTURE.
STRAVINSKY DANS SON CABINET DE TRAVAIL A HOLLYWOOD
THE RAKE’S PROGRESS
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FICHE IDENTITE DE L’ŒUVRE
he Rake’s Progress (trad. : La Carrière d’un libertin), opéra en trois actes avec épilogue
d’Igor Stravinsky (1882-1971), est inspiré de gravures satiriques du peintre anglais William
Hogarth. Composé entre 1948 et 1951, sur un livret de Wystan Hugh Auden et Chester
Simon Kallman, il fut créé à Venise le 11 septembre 1951.
L’ARGUMENT EN BREF Tom Rakewell, jeune homme amoureux d’Anne Trulove qu’il s’apprête à épouser, apprend qu’il
vient d’hériter d’un oncle d’Amérique et qu’il doit pour cela quitter la campagne pour Londres.
Poussé par le diabolique Nick Shadow, Tom va dilapider sa fortune aux cartes et avec les filles. Il
échappe de justesse à la prison et achève sa vie dans un asile d’aliénés où sa fidèle fiancée lui
rend visite dans l’espoir d’atténuer ses souffrances.
L’action se déroule dans l’Angleterre du XVIIIème siècle.
A NOTER
Les noms des personnages ont une signification en anglais qui renvoient à leur
personnalité. Anne Trulove (amour vrai), par exemple, sera d’une fidélité
irréprochable ! Nick Shadow (ombre) a d’obscurs et sombres desseins....
EN CLASSE
TRADUIRE les noms des personnages de The Rake’s Progress.
COMMENTER la portée symbolique de ces noms.
ETUDIER le sens des patronymes connus en littérature comme Candide ou Pangloss dans
Candide de Voltaire ; Claude Gueux chez Hugo ou encore Chérubin chez Beaumarchais.
L’enseignant invitera les élèves à comprendre que ces symboles construisent des
typologies de personnages.
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RÔLES ET VOIX
Trulove basse Anne Trulove, sa fille soprano Tom Rakewell, ténor Nick Shadow, baryton Mother Goose, tenancière de maison close mezzo-soprano Baba la Turque, femme à barbe dans un cirque mezzo-soprano Sellem, commissaire-priseur ténor Le gardien de l’hospice d’aliénés basse Chœur de prostituées et de mauvais garçons,
domestiques, citadins, aliénés.
L’ORCHESTRE
2 flûtes dont 1 piccolo,
2 hautbois dont 1 cor anglais,
2 clarinettes,
2 bassons,
2 cors,
2 trompettes,
14 violons (dont 1 super solo et 1
solo),
4 altos,
4 violoncelles,
2 contrebasses,
1 clavecin,
Timbales.
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L’ŒUVRE ET SA GENESE
LES GRAVURE DE WILLIAM HIGARTH SOURCE D’INSPIRATION POUR UN OPERA
C’est en découvrant, en 1947 à l’Art Institute de Chicago, une série de huit gravures signées par
William Hogarth (1697-1764) que le compositeur décide de faire son premier opéra en langue
anglaise. Les gravures sont réalisées d’après la série de tableaux intitulée The Rake’s progress.
Si le compositeur prend ses distances avec cette source d’inspiration première, il en garde tout
de même la trame : un homme reçoit un héritage inattendu et dilapide son argent entre jeux de
hasard et prostituées. Il termine sa lente et inexorable déchéance dans un asile où sa fiancée
d’autrefois, toujours fidèle lui prodigue les dernières attentions.
Voir l’analyse de ces gravures p. 14 du dossier, chapitre « de la satire sociale
dans l’œuvre d’Hogarth ».
« Igor Stravinsky sort de l’exposition Hogarth de l’Art Institute de Chicago, sûr
d’avoir trouvé là un sujet pour l’opéra anglais qu’il songe à écrire depuis
quelques années, depuis qu’il s’est installé aux Etats-Unis au début de la guerre.
Un opéra anglais, c’est-à-dire, explique-t-il, « une musique qui ait son origine
dans la prosodie anglaise et élaborée à ma façon, comme je l’ai fait autrefois
pour les prosodies russes (Le Rossignol, Mavra), française (Perséphone) et latine
(Œdipus Rex, Symphonie de Psaumes). » PIERRE MICHOT, AVANT SCENE OPERA, P. 8.
WILLIAM HOGARTH
LE PEINTRE ET SON CARLIN
HUILE SUR TOILE,
1745 LONDRES, TATE BRITAIN,
© THE TATE GALLERY, LONDON
ZOOM SUR…
WILLIAM HOGARTH (1697-1764)
Graveur anglais autodidacte, aux origines
modestes, c’est la série de gravures
relatant les aventures de Tom Rakewell,
Rake’s Progress, qui le rendra célèbre. Son
style satirique lui permet de dénoncer
notamment la bourgeoisie anglaise et plus
généralement, la débauche, la corruption,
l’individualisme et l’insouciance. Dans le
Rake’s Progress, chaque gravure est une
mise en scène que revendique l’artiste :
≪ Ma peinture est ma scène et mes
personnages sont des acteurs qui y
donnent une pantomime silencieuse. ≫
William Hogarth sera nommé peintre de la
cour en 1757, sous les règnes de George II
et George III.
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LE CHOIX D’UN LIBRETTISTE D’EXCEPTION
Pour le livret, le compositeur, suivant les conseils de son voisin et ami d’Hollywood, Aldous
Huxley, décide de faire appel au poète anglais Wystan Hugh Auden (1907-1973). Stravinky s’est
toujours associé aux plus grands écrivains : pensons à Ramuz pour l’Histoire du soldat, Gide pour
Perséphone ou encore Cocteau pour Œdipus Rex. Hugh Auden habite à ce moment-là aux Etats-
Unis et il a déjà, du haut de ses quarante ans, une production littéraire importante. De plus, il a
l’expérience d’une collaboration avec le musicien Benjamin Britten avec qui il s’est associé pour
le film Night Mail, pour une œuvre pour voix et orchestre Our Hunting Fathers, ainsi que pour
l’opérette Paul Bunyan.
Avec l’aide de son ami Chester
Kallman, Auden rédige le livret
qui sera terminé début 1948.
Stravinsky compose la musique
en suivant méthodiquement le
déroulé de l’action acte par acte.
Il commence par le prélude de la
scène au cimetière et termine
par l’épilogue en forme de
quintette. Le tout est achevé le
11 septembre 1951. En 1959,
Stravinsky fait don du manuscrit
de la partition d’orchestre et de
diverses esquisses à l’Université
Southern California de Los
Angeles.
« J’ai choisi Wystan Auden comme librettiste pour mon opéra The Rake’s
progress en raison de son talent reconnu pour la versification ; je n’ai jamais été
capable de composer de la musique sur un texte en prose, même une prose
poétique. On m’a assuré qu’il était un grand poète – ce que j’ai moi-même
ressenti, mais je commençai à peine à parler anglais et ne pouvais pas
vraiment me pronocer. (…) Je pense qu’il a trouvé l’inspiration : en tout cas, il
m’a lui-même inspiré. En d’autres termes, et quant à notre collaboration, il a
écrit des « paroles pour la musique » (…) « Ses vers ont toujours été d’une
longueur idéale pour le chant, ses paroles ont toujours sonné juste et
soutiennent l’intensité musicale. (…) Dès que nous avons commencé à
travailler ensemble, je me suis rendu compte que nous partagions la même
conception non seulement de l’opéra, mais de la nature du Beau et du Bien.
C’est pourquoi notre opéra est, au plus haut point, une collaboration. »
EXTRAIT D’UN DOCUMENTAIRE TELEVISE DE LA BBC SUR W. AUDEN. HOLLYWOOD, 5
NOVEMBRE 1965. REPRODUIT D’APRÈS PAUL GRIFFITH : I. STRAVINSKY, THE RAKE’S
PROGRESS CAMBRIDGE UNIVERSITY PRESS 1982.
WYSTAN HUGH AUDEN
(1907-1973)
WYSTAN HUGH AUDEN
EN QUELQUES MOTS…
Wystan Hugh Auden est un
poète américain. Après avoir
vécu au Royaume-Uni, il
émigre aux Etats-unis en 1939
avant de devenir citoyen
américain en 1946. Chester
Kallman, qui co-signe le livret
de The Rake’s Progress avec
lui, fut son compagnon.
Auden a écrit d’autres livrets
pour l’opéra : Paul Bunyan de
Benjamin Britten et, en
collaboration avec Chester
Kallman, Love’s Labour’s Lost
pour Nicolas Nabokov et deux
autres pour Hans Werner.
THE RAKE’S PROGRESS
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L’ŒUVRE ET SA RECEPTION
he Rake’s Progress est créé à la Fenice de Venise, sous la direction du
compositeur, le 11 septembre 1951 avec Elisabeth Schwartzkopf dans le rôle
d’Anne Truelove.
D’après Robert Craft, l’œuvre reçut un accueil très favorable lors d’une première très mondaine :
« Lorsque les lumières se sont éteintes et que Stravinsky est entré dans la fosse, les
applaudissements qui le saluaient se décomposaient en trois niveaux : de tout le
théâtre des applaudissements rendaient hommage à l’homme de grande stature
(ce que lui eût appelé ses « lettres de créance ») ; des places chères, on
applaudissait pour saluer un important événement social ; des balcons on
applaudissait un maître au faîte de ses capacités, qui présentait son œuvre la plus
grande. Stravinsky dirigeait avec sa dignité habituelle, et avec une fermeté et une
intensité qu’aucun chef ne sait donner à son œuvre. Et c’était là l’aspect le plus
remarquable d’une exécution qui, compte tenu des circonstances – trois
semaines de préparation seulement – était loin d’être idéale... Dès la fin du
deuxième acte, il y avait dans l’air une excitation et un enthousiasme qui
correspondaient bien à la création d’un grand opéra. Les scènes du cimetière et
de Bedlam sont parmi les choses les plus émouvantes qu’il ait jamais écrites, et
elles n’ont pas manqué de toucher l’auditoire...
Stravinsky reçut une véritable ovation. Il était une heure du matin avant que le
théâtre ne fût vide ; et nous ne nous sommes couchés qu’à six. »
IN THE RAKE’S PROGRESS IN VENICE DE ROBERT CRAFT, PUBLIE DANS LE PROGRAMME DE LA
PRODUCTION DU BOSTON UNIVERSITY OPERA, 1953.
L’œuvre séduit par la suite les metteurs en scène et connaît une carrière scénique de grande
qualité avec notamment les productions d’Ingmar Bergmann à Stockholm en 1961 que le
compositeur a particulièrement appréciée, celle de John Cox et David Hockney à Glyndebourne en
1975, ou encore celle de Ken Russel à Florence en 1983.
Seulement quatre versions intégrales audio sont actuellement disponibles.
T
THE RAKE’S PROGRESS
STRAVINSKY
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L’ESTHETIQUE NEO-CLASSIQUE DE L’OPERA
crit entre 1948 et 1951, The Rake’s progress précède de très peu le Cantum
Sacrum de 1955 qui marque le début des recherches du compositeur dans le
système sériel. Cet opéra est de ce fait considéré comme la fin, et peut-être le
sommet de ce qu’on appelle sa période néo-classique qui a débuté avec Pucinella
en 1919.
The Rake’s progress est composé selon les canons du XVIIIème siècle et présente un découpage
comparable à ceux des opéras de cette époque, alternant récitatifs, arias, cavatines et
ensembles.
Mozart et sa trilogie issue de la collaboration avec Da Ponte : Les Noces de Figaro, Don Giovanni
et Così fan tutte a fortement influencé Stravinsky. Dès le début de son travail compositionnel, il
demande à son éditeur Ralph Hawkes de lui envoyer un exemplaire de ces trois œuvres ; de plus,
il assiste, avec son librettiste, pendant le séjour à Hollywood, à une représentation de Così fan
tutte.
« The Rake’s progress est vraiment un
opéra d’airs, de récitatifs, de chœurs et
d’ensembles. Sa structure musicale, la
conception de l’emploi de ces formes
jusqu’aux relations de tonalités sont dans
la lignée de la tradition classique. »
Texte écrit par le compositeur à
l’occasion de la première américaine de
l’œuvre. Cité dans Stravinsky d’Eric
Walter White, © Flammarion, 1983.
Pour en savoir plus sur l’héritage mozartien dans The Rake’s progress, lire : « un
opéra mozartien », article signé par Angelo Cantoni, in Avant Scène Opéra N°149,
pp.118-123.
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QUELQUES ŒUVRES NEO-CLASSIQUES
DE STRAVINSKY
1919 : Pulcinella
1923 : Octuor pour instruments à vents
1923 : Concerto pour piano et
orchestre d’harmonie
1924 : Sonate pour piano
1927 : Œdipus Rex
1945 : Symphonie en trois mouvements
THE RAKE’S PROGRESS
STRAVINSKY
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LES PISTES D’EXPLOITATIONS PEDAGOGIQUES
DE LA SATIRE SOCIALE
DANS L’ŒUVRE D’HOGARTH
a plus grande innovation d’Hogarth réside dans la création de grands cycles ou
« séries » par des images qui racontent, en quelques moments clés, l’histoire ou le
parcours d’un individu. Citons, parmi les plus célèbres, A Harlot’s Progress (« La
Carrière d’une prostituée », six tableaux, 1730-1732), An Election : Four Pictures (« Quatre
tableaux pour une élection » 1753-1754) et bien-sûr A Rake’s Progress (« La carrière du Roué »,
huit tableaux, 1735).
L’histoire du Roué, dont s’inspire Stravinsky, décrit les différentes étapes d’une déchéance lente
et progressive dans laquelle tous les travers de la société sont dénoncés :
L
1. L’HERITAGE
Tom Rakewell vient de recevoir un
héritage et délaisse sa fiancée la
jeune Sarah Young qui est pourtant
enceinte. Un tailleur à ses genoux
prend ses mesures pour lui
confectionner un habit de deuil.
2. LE LEVE DU ROUE
Tom Rakewell dilapide son héritage
avec une noblesse de grand
seigneur. On le voit bien entouré
avec maître à danser, musiciens,
jockey à la cravache portant un
trophée, dans un environnement
luxueux.
THE RAKE’S PROGRESS
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3. L’ORGIE
Un verre à la main, Tom est entouré
de prostituées. L’une d’elles lui
caresse sa poitrine pour mieux lui
dérober sa montre……
4. L’ARRESTATION POUR DETTES
Tom est au bord de la faillite. Il se
rend au palais St James (au fond)
pour solliciter une audience. Ses
créanciers viennent l’extraire de la
chaise à porteurs. Son ancienne
fiancée essaie d’empêcher l’action
en justice et offre ses économies.
5. LE MARIAGE
Tom se marie avec une femme
vieille et borgne mais riche, ce qui
devrait lui permettre de retrouver
son ancien train de vie.
THE RAKE’S PROGRESS
STRAVINSKY
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A NOTER L’enseignant trouvera des éléments d’analyse précis de ces gravures
sur le site :
http://www.wittert.ulg.ac.be/fr/flori/opera/hogarth/hogarth_roue.html
6. LA MAISON DE JEU
Le Roué agenouillé, et qui a perdu
jusqu’à sa perruque au jeu, brandit
le poing pour maudire le ciel.
7. LA PRISON
Le libertin se retrouve en prison
pour les dettes qu’il a accumulées.
A gauche sa vieille femme lui fait la
morale tandis que son ancienne
maîtresse, Sarah Young venue lui
apporter secours, s’évanouit en le
trouvant dans cette pénible
situation.
8. L’ASILE DE FOUS
Bedlam, l’Asile de fous, ultime
étape de la déchéance. Tom est au
premier plan, à demi-nu, soutenu
par sa fidèle fiancée. Un garçon lui
met les fers aux chevilles.
THE RAKE’S PROGRESS
STRAVINSKY
17
La déchéance, véritablement serpentine du héros, s’inscrit dans un double mouvement circulaire
et ondulatoire, de rebondissement en rebondissement :
Première déchéance : de l’héritage à l’arrestation pour dettes (gravures 1 à 4)
Deuxième déchéance : du mariage d’intérêt à l’Asile (gravures 5 à 8)
Malgré l’avertissement que pouvait constituer la première déchéance, Tom, héros naïf et crédule,
ne parvient pas à repérer les pièges de la société dans laquelle il évolue. Cette fois-ci l’alcool, le
jeu, le sexe font partie intégrante d’une vie dissolue que l’on pourrait qualifier de « vie de
débauche ».
Le titre, The Rake’s progress, souvent traduit par « La Carrière d’un libertin » est à prendre a
contrario, avec un certain humour. Il ne s’agit évidemment pas d’une « carrière » évoquant un
quelconque « progrès », si ce n’est, à rebours…..
« Sur le plan moral, son œuvre dénonce toutes les formes d’excès qui déchirent
le tissu social, non seulement en montrant les diverses manipulations
(alcoolisme, cruauté, individualisme, égoïsme, hédonisme), mais aussi en
désignant les vrais responsables, tous ces charlatans qui, en matière politique,
de religion, de spectacle, se piquent de mener le monde et ne font en fait
qu’amplifier les maux du corps social plutôt que les guérir. » FREDERIC OGEE, IN AVANT-SCENE OPERA, « HOGARTH OU LA VOIE ANGLAISE », P. 13.
EN CLASSE
EXPLIQUER en quoi cette série de huit gravures d’Hogarth peut-elle constituer une
critique virulente de la société anglaise du XVIIème siècle.
S’INTERROGER SUR la portée morale des gravures du peintre.
MONTRER pourquoi le titre de l’œuvre The Rake’s progress est à considérer avec humour.
ANALYSER la dimension satirique des gravures.
LETTRES : IMAGINER, CONCEVOIR, PRATIQUER L’ECRITURE D’INVENTION : rédiger, à partir
de ces gravures, un petit scénario qui pourrait servir de base à un livret d’opéra. Dans ce
travail, les élèves seront alors amenés à s’interroger sur les différentes sources
d’inspiration qui peuvent stimuler l’imagination d’un artiste : poésie, Histoire, faits divers,
peinture…. COMPETENCE TRAVAILLEE (CYCLE 4) : LECTURE ET COMPREHENSION DE L’ECRIT ET DE
L’IMAGE.
Connaissances et compétences associées :
- Lire des images, des documents composites (y compris numériques) et des textes non
littéraires.
- Lire et comprendre des images fixes ou mobiles variées empruntées à la peinture, aux
arts plastiques, à la photographie, à la publicité et au cinéma en fondant sa lecture sur
quelques outils d’analyse simples.
- Situer les œuvres dans leur contexte historique et culturel.
THE RAKE’S PROGRESS
STRAVINSKY
18
LES REFERENCES MYTHOLOGIQUES
Le livret s’inspire principalement de deux grands mythes : celui de Faust et celui de Don Juan.
LE « VRAI » FAUST Le personnage de Faust est en partie historique : il vécut environ entre 1480 et 1540. Il était
probablement charlatan de foire, astrologue. Il n’avait donc rien d’un savant humaniste comme
Paracelse (1493-1541) ou Cornélius Agrippa (1486-1535). On lui accorde des pouvoirs magiques
qu’il détiendrait d’un pacte avec le démon « Méphistophélès ». Il incarne alors la figure du savant
qui a vendu son âme au diable pour percer les secrets de la nature et jouir de des plaisirs
interdits.
DU PERSONNAGE HISTORIQUE AU PERSONNAGE LEGENDAIRE De ce personnage réel et dont beaucoup d’aspects nous sont inconnus, va naître la légende de
Faust. Bien avant Goethe, elle circulait sous diverses formes dans le nord de l’Europe. Une
première version de la légende avait été publiée en 1587 à Francfort dans un Folksbuch (livre
populaire). Faust vend son âme au démon Méphistophélès en échange du savoir, des biens et
des plaisirs terrestres. Le dramaturge Christopher Marlowe l’adapte pour le théâtre : Tragique
histoire de la vie et de la mort du Docteur Faustus en 1592. Par la suite, d’autres versions furent
colportées par le théâtre de marionnettes (Faustpuppenspiele), où la farce prend le pas sur le
drame.
LE FAUST DE GOETHE Goethe s’attaque à la légende et y travaillera de 1773 à 1832.
Une version primitive, Urfaust, paraît en 1773, où l’écrivain
exprime ses rêves et ses révoltes, son goût pour la magie et
l’alchimie. En 1808 est publiée la première partie de la
tragédie. Le pacte prend la forme d’un pari : Méphisto
parviendra-t-il à pervertir Faust ? Celui-ci incarne l’homme
romantique, pris entre le désir de s’adonner aux plaisirs
immédiats et son goût pour les plus hautes aspirations, tout
animé qu’il est d’un élan impétueux vers la connaissance,
impatient de toutes limites, épris d’infini mais en proie à la
finitude…. Goethe termine sa tragédie par la publication d’une
deuxième partie en 1832. Dans une longue quête symbolique
du savoir, Faust traverse de multiples aventures
extraordinaires et, à sa mort, son âme échappe et se libère de
la domination de Méphisto dont il avait perçu la vanité des
plaisirs.
L’œuvre de Goethe est la plus célèbre version de la légende et
elle a largement contribué à l’édification du mythe, qui sera
repris maintes fois, sous les formes les plus diverses, dans la
littérature, le théâtre et le cinéma.
"FAUST ET MEPHISTO DANS LA
CHAMBRE DE FAUST", GRAVURE
DE TONY JOHANNOT POUR
ILLUSTRER LE FAUST DE GOETHE
EN 1845-47
LE MYTHE DE FAUST : QUELQUES RAPPELS
THE RAKE’S PROGRESS
STRAVINSKY
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EN CLASSE
LETTRES : étudier les particularités le mythe de Faust tel qu’il se présente dans The
Rake’s Progress.
Dans l’opéra de Stravinsky, c’est surtout le personnage de Nick Shadow qui permet
d’établir le lien avec le mythe de Faust. Il rappelle, en effet, celui de
Méphistophélès. Il influence et suit Tom dans ses moindres actions et réclame son
dû, c’est-à-dire son âme, dans la seconde scène du troisième acte :
Nick
A year and a day have passed away
Since first to you I came.
All things you bid, I duly did
And now my wages claim.
Tom
Shadow, good Shadow, be patient ;
I am beggared as you know,
But promise when I am rich again
To pay you all I owe.
Nick
‘ Tis not your money but your soul,
Which I this night require.
Look in my eyes and recognise
Whom, Fool! You chose to hire.
Nick
Un an et un jour se sont écoulés
Depuis notre rencontre.
J’ai obéi à la lettre à tous vos ordres,
Et maintenant je veux mes gages.
Tom
Shadow, mon bon Shadow, un peu de patience ;
Tu le sais, je n’ai plus un sou,
Mais promets que, la prospérité revenue,
Je te donnerai ton dû.
Nick
Ce n’est pas votre argent mais votre âme
Que cette nuit j’exige. Regardez-moi
Dans les yeux et sachez reconnaître
Qui, pauvre imbécile, vous avez pris pour valet.
Tout au long de l’opéra, Nick incarnera le mal : il entraîne Tom dans la maison de Mother
Goose ; il propose le mariage avec Baba la Turque ; c’est encore lui qui vient présenter la
machine « à pains », dernier instrument de la chute de Tom.
ECOUTER la seconde scène du troisième acte au moment où Nick Shadow réclame
l’âme de Tom comme gages. Le professeur pourra montrer comment, dans ce duo,
Stravinsky caractérise chacun des personnages par une écriture musicale spécifique :
- l’angoisse de Tom se traduit par les tremblements de sa voix, notamment sur les paroles
« how dark and dreadful is this place» (« Que cet endroit est sombre et sinistre »).
- les sarcasmes de Nick Shadow sont perceptibles grâce au ton enjoué et populaire de
l’accompagnement.
ECOUTER, COMPARER, CONSTRUIRE UNE CULTURE MUSICALE : avec d’autres œuvres
musicales qui s’inspirent du même sujet : Faust, ouverture, Wagner (1840) ; La
Damnation de Faust, opéra de Berlioz (1845) ; Faust-Symphonie, Liszt (1857) ; Faust,
opéra de Gounod (1859) ; Faust du groupe Gorillaz (2001).
THE RAKE’S PROGRESS
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APPROFONDIR LE THEME LITTERAIRE DU PACTE AVEC LE DIABLE : en s’appuyant sur Le
Miracle de Théophile de Rutebeuf (XIIIe siècle, Saint Théophile est soumis aux tentations
diaboliques), ou sur La Peau de chagrin de Balzac, ou encore sur Le portrait de Dorian
Gray d’Oscar Wilde.
TRAVAIL INTERDISCIPLINAIRE MUSIQUE / ARTS PLASTIQUES / LETTRES pouvant faire
l’objet d’un EPI CULTURE ET CREATION ARTISTIQUE : « le mythe de Faust et ses
réécritures artistiques ». Comme de nombreux mythes, celui de Faust a donné lieu à une
production immense et variée, touchant toutes les époques et privilégiant tel ou tel
aspect d’un récit polymorphe. Le librettiste ainsi que le compositeur de The Rake’s
progress, nous présentent une vision tout à la fois originale et singulière du mythe
faustien. L’étude de ses réécritures artistiques permettra de dévoiler les différentes
facettes de ce mythe, notamment à travers le personnage de Nick Shadow, semblable à
celui de Méphistophélès. Plus largement, cet EPI pourra s’interroger sur les personnages
maléfiques – dont Méphistophélès est l’archétype – qui ont influencé la création
artistique.
Ce travail permettra « d’établir des liens entre les productions littéraires et artistiques
issues de cultures et d’époques diverses » (SOCLE V : LES REPRESENTATIONS DU MONDE ET
DE L’ACTIVITE HUMAINE).
Liste des œuvres inspirées du mythe de Faust à consulter sur le site :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_d%27%C5%93uvres_inspir%C3%A9es_par_le_mythe_
de_Faust
Si l’histoire de l’opéra prend appui sur certains aspects du mythe de Faust, elle s’inspire aussi de
celui de Don Juan.
Quelques points communs :
- Le personnage d’Anne Trulove est à rapprocher de celui de Dona Elvire. Toutes deux
partagent un amour éternel qui se veut salvateur pour le héros.
- Les jeunes filles sont éconduites par un fiancé instable et infidèle.
- Le thème central de l’œuvre est la vie d’un débauché.
Quelques différences :
- The Rake’s progress ne raconte pas la vie d’un grand séducteur. En effet, Tom apparaît
comme une marionnette inerte et passive. Ses seuls exploits de séducteurs se résument
à une initiation dans une maison close et à un mariage avec une femme à barbe….
- Tom Rakewell est un homme influençable, sous l’emprise de Nick Shadow, son mauvais
génie, tandis que Don Juan est le seul instrument de sa propre perte comme c’est le cas
pour Tom dans les gravures de Hogarth.
EN CLASSE
ETUDIER quelques aspects du mythe de Don Juan tel qu’il se présente dans The Rake’s
progress.
LE MYTHE DE DON JUAN ET THE RAKE’S PROGRESS
THE RAKE’S PROGRESS
STRAVINSKY
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QUELQUES PISTES D’ECOUTES
Les vidéos sur cet opéra sont actuellement en nombre très restreint sur le web. The Rake’s
progress peut être néanmoins visualisé dans son intégralité sur le site :
https://www.youtube.com/watch?v=DdJw86l22JA
L’orchestre de l’opéra de Lyon est dirigé par Kent Nagano et la mise en scène est signée Alfredo
Arias. On regrettera l’absence de sous-titres. La référence vidéo proposée (en rouge) pour chaque
écoute correspond au minutage de cet enregistrement consultable sur le web.
PRELUDE REF. VIDEO 1’18’’-1’46’’
e court prélude claironnant résonne à la manière d’une fanfare qui nous rappelle la
toccata introductive de l’Orfeo de Monteverdi. Seuls les cuivres (trompettes et cors) et les
percussions (timbales) sont présents. Le jeu d’opposition entre les dynamiques ainsi
qu’une rythmique ferme donnent à l’ensemble une grande vitalité.
EN CLASSE
ECOUTER, COMPARER, CONSTRUIRE UNE CULTURE MUSICALE
Proposer, en écoute complémentaire à ce prélude, la toccata tirée de l’Orfeo de
Monteverdi permettant aux élèves de :
- Situer et comparer des musiques de styles proches ou éloignés dans l’espace et /ou dans
le temps pour construire des repères techniques et culturels.
- Mettre en lien des caractéristiques musicales et des marqueurs esthétiques avec des
contextes historiques, sociologiques, techniques et culturels.
La comparaison abordera le langage musical à travers les notions de : timbre et
dynamique.
C
THE RAKE’S PROGRESS
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ACTE 1, SCENE 2 CHŒUR REF. VIDEO 21’32’’-24’1’’
ette scène fait écho à la troisième gravure d’Hogarth « L’orgie ». Tom se retrouve
dans la maison de Mère Goose à Londres où se trouvent filles de joie et leurs
clients, les « mauvais garçons ».
Cette seconde scène marque une rupture violente avec la première puisque l’on passe sans
transition d’un univers bucolique teinté d’effusions sentimentales, à un bordel. Et pourtant,
comme l’avait annoncé Nick Shadow, à la fin de la scène précédente et sur un ton très doctoral,
grâce à une mélodie chantée a cappella sous le roulement des timbales (21’24’’), c’est ici que
« La carrière d’un Roué commence »….
Stravinsky plante le décor par un court prélude orchestral d’une vitalité turbulente. Il s’agit d’une
sorte de marche binaire à pulsation très affirmée. L’écriture mélodique est volontiers bondissante
et le phrasé alterne subtilement legato / staccato. Chœur d’hommes puis chœur de femmes
chantent d’abord séparément avant d’unir leurs voix.
CHORUS
Roaring boys
With air commanding and weapon handy
We rove in a band through the streets at night,
Our only notion to make commotion
And find occasion to provoke a fight.
Whores
In triumph glorious with trophies curious
We return victorious from Love’s campaigns ;
No troops more practised in Cupid’s tactics
By feint and ambush the day to gain.
Roaring boys
For what is sweeter to human nature
Than to quarrel over nothing at all,
To hear the crashing of furniture smashing
Or heads being bashed in a tavern brawl?
Whores
With darting glances and bold advances
We open fire upon young and old ;
Surprised by rapture, their hearts are captured,
And into our laps they pour their gold.
Whores, roaring boys
A toast to our commanders then
From their Irregulars ;
A toast, ladies and gentlemen :
To Venus and to Mars!
CHŒUR
Mauvais garçons
Fanfarons, l’épée au côté,
Nous courons les rues en bande, la nuit,
Ne songeant qu’à faire de l’esclandre
Et à chercher la bagarre.
Filles de joie
Triomphantes, chargées de gloire et de trophées
curieux
Nous revenons victorieuses de campagnes de
l’Amour ;
Point de troupes plus rompues que nous à la
Tactique
De Cupidon, qui donne la victoire, par la ruse ou
l’embûche.
Mauvais garçons
Qu’y a-t-il de plus doux au cœur de l’homme
Que de se quereller sans raison aucune,
D’entendre le fracas des meubles brisés
Et des têtes cassées dans une rixe de cabaret ?
Filles de joie
Prodiguant œillades et les avances hardies
Nous ouvrons le feu sur jeunes et vieux ;
Surpris par l’extase leur cœur est fait prisonnier
Et ils déversent leur or dans notre giron.
Filles de joie, mauvais garçons
Levons notre verre, nous les troupes irrégulières,
À ceux qui nous commandent !
Mesdames et Messieurs,
À Vénus et à Mars !
C
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EN CLASSE
LETTRES : montrer la dimension symbolique des lieux dans The Rake’s progress.
Les élèves analyseront les différents jeux d’oppositions entre ville / campagne ;
corruption / innocence. On pourra replacer ces oppositions dans une perspective
historique et littéraire en proposant en lectures complémentaires des extraits d’œuvres
de Rousseau ou de Balzac.
EXPLIQUER quelle est la fonction du chœur à l’opéra.
PERCEVOIR les interventions séparées des deux chœurs (d’hommes puis de femmes)
avant qu’ils ne s’unissent pour porter un toast à Vénus et à Mars.
ACTE II, SCENE 3, AIR DE BABA
REF. VIDEO 1h13’45’’ A 1h18’00’’
SITUATION DE L’EXTRAIT DANS L’OPERA
Tom et Baba, sa femme, se trouvent dans le petit salon de leur maison londonienne au moment
du petit déjeuner. La pièce est encombrée de tout un bric-à-brac : oiseaux, animaux empaillés,
vitrines de minéraux, porcelaine, verrerie, etc., cadeaux offerts par des personnages haut titrés à
la jeune femme à barbe lors de ses déplacements en Europe. Les jacasseries futiles de Baba à
propos de tous ces cadeaux déplaisent à Tom, de mauvaise humeur et qui ne dit mot. La jeune
femme s’inquiète alors du silence de son mari qui la repousse avec violence. Baba fond d’abord
en larmes avant de faire une crise de rage. Baba parcourt la pièce à grands pas cassant tout sur
son passage……
Aria
Baba
Scorned! Abused! Neglected! Baited!
Wretched me! Why is this? Why is this? I can
see. I know, I know, I know who is your bliss,
your bliss, your love, your love, your love,
your life, while I, your loving wife…Lie not !
Am hated, am hated.
(At each of the following four words Baba
picks up some object and smashes it as
before.)
Young, demure, delightful, clever, is she not?
(Shoving her face into Tom’s)
Not as I. That is what I know you sigh. Then
sigh! Then cry!
For she your wife shall never, shall never,
never be. Oh no! no, never, ne...
Air
Baba
Méprisée ! Insultée ! Délaissée ! Trompée !
Pauvre de moi ! Et pourquoi ? Pourquoi ? Je
comprends. Je sais, je sais, je sais qui est
votre bonheur, votre amour, votre vie, Alors
que moi, votre épouse aimante… Ne mentez
pas ! Vous me détestez.
(Sur les quatre mots qui suivent, Baba saisit
des objets et les brise comme précédemment.)
Jeune, modeste, charmante, intelligente, n’est-
ce pas ?
(Avançant son visage face à celui de Tom)
Pas comme moi. C’est pour elle, je le sais, que
vous soupirez. Soupirez alors ! Pleurez alors !
Car elle ne sera jamais votre femme, jamais.
Oh non ! Non jamais, ja...
THE RAKE’S PROGRESS
STRAVINSKY
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Différents procédés musicaux contribuent à créer un climat de tension :
- Déchainement de l’orchestre sur un tempo très rapide
- Nuance fortissimo
- Accents
- Vocalises trépidantes sur certains mots comme « Wretched me » (« pauvre de moi »)
Exaspéré, Tom coiffe sa femme de sa perruque, l’arrêtant net au milieu de sa phrase. Elle
demeure immobile et silencieuse, telle une poupée de son.
EN CLASSE
ANALYSER, en « utilisant un vocabulaire précis », les moyens musicaux mis en œuvre par
le compositeur pour exprimer la colère de Baba.
ECHANGER, PARTAGER, ARGUMENTER ET DEBATTRE autour de question : « à la place du
compositeur quels moyens musicaux utiliseriez-vous pour évoquer la colère ? »
Domaine de la perception : l’élève apprend à « problématiser l’écoute d’une ou plusieurs
œuvres » / « respecter la sensibilité de chacun ».
(SOCLE I LES LANGAGES POUR PENSER ET COMMUNIQUER : L’ELEVE SAIT « PRENDRE PART AU
DEBAT SUSCITE PAR LE FAIT ARTISTIQUE » / « S’EXPRIMER A L’ORAL POUR PENSER,
COMMUNIQUER ET ECHANGER »).
ECOUTES COMPARATIVES avec d’autres scènes de colère dans l’opéra comme celle de
« Svegliatevi nel core », aria de Sesto extraite de Giulio Cesare (I, 4) d’Haendel.
Elle présente toutes les caractéristiques d’un aria da capo, reflétant le sentiment de
vengeance qui anime le héros. Jules César vient de débarquer en Egypte, et le roi
Ptolémée croit lui faire un cadeau en lui présentant la tête de Pompée devant son
épouse, Cornelie, et son fils, Sesto (Sextus). On comprend la colère de Sextus qui ne
pense alors qu’à venger son père Pompée (A) et qui entend intérieurement la voix
paternelle (B). Il désire donc « éveiller dans son cœur les fureurs d’une âme offensée » et
veut tirer « une dure vengeance », car « l’ombre de son père accourt » et lui dit : « mon fils,
tu dois être implacable ».
Pour faire ressentir la fureur de Sextus, Haendel utilise de nombreux sauts
d’intervalles, très virtuoses, sur les termes de « svegliatevi » (« éveillez-vous »)
ou « vendetta » (« vengeance ») « offesa » (« offensée »), vocalises trépidantes comme chez
Stravinsky qui évoquent les éclats de sa colère.
A ECOUTER DANS L’INTERPRETATION DE RENE JABOS SUR LE SITE :
https://www.youtube.com/watch?v=awqHoO8Y36s
THE RAKE’S PROGRESS
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ACTE III, SCENE 3, BERCEUSE D’ANNE
REF. VIDEO 2h12’32’’ à 2h15’43’’
SITUATION DE L’EXTRAIT DANS L’OPERA
Anne vient retrouver Tom à l’Asile. Il se prend pour Adonis et voit en Anne Vénus. Dans le récitatif
qui précède, il lui demande de chanter pour l’endormir. Anne/Vénus s’exécute et chante alors
une berceuse…..
Un chant céleste, d’une rare poésie se dégage. L’accompagnement musical d’une grande
transparence, se réduit à une flûte traversière dans le registre aigu et à un basson dans le grave,
tandis que la ligne vocale, par ses rythmes pointés et ses nombreux intervalles de quarte,
privilégiés dans les musiques populaires, nous donne à entendre le doux balancement qui sied
aux berceuses.
Chacun des trois couplets est entrecoupé par le chœur des aliénés qui s’interroge sur la
provenance de ce chant miraculeux : « O musique sacrée des sphères ! Où sont nos fureurs et
nos peurs ? ».
« Geste de dédramatisation, la berceuse tente de corriger par glissement
dans le sommeil les conséquences de cette erreur fondamentale qui est
la base de tout drame. Dans le cas du Rake’s Progress, le propos du
poète et de son musicien (dans cet ordre) n’est pas d’offrir à Tom une
chance de remonter la pente de sa vie, de vivre un amour réconcilié.
Notre temps moderne accepte plus facilement que celui d’Hogarth l’idée
d’irréversibilité. La berceuse d’Anne la paisible offre au malheureux une
porte de sortie, celle du sommeil pacifié.
Cette issue de secours, il l’appelle : « Chante, O mon aimée, chante pour
m’endormir ». La réponse d’Anne « Doucement va le petit bateau ; il flotte
sur la mer, fendant le cristal des vagues », suggère le départ vers un
horizon baudelairien d’ordre, de beauté et de calme. »
« UNE REFLEXION MORALE », JEAN-FRANÇOIS LABIE, IN AVANT SCENE
OPERA, P.116.
THE RAKE’S PROGRESS
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Anne
Gently, little boat,
Across the ocean float,
The crystal waves dividing.
The sun in the west is going to rest;
Glide, glide, glide
Toward the Islands of the Blest.
Madmen (off in the cells)
What voice is this?
What heavenly strains
Bring solace to tormented brains?
Anne
Orchards greenly grace
That undisturbed place,
The weary soul recalling
To slumber and dream,
While many a stream
Falls, falls, falls,
Descanting on a child-like theme.
Madmen (off in the cells)
O sacred music of the spheres!
Where are our rages and our fears?
Anne
Lion, lamb and deer,
Untouched by greed or fear
Anne
Doucement, petite barque,
Flottant sur l’océan,
Fends les vagues de cristal.
Le soleil se couche à l’ouest.
Glisse, glisse, glisse
Vers les Îles Fortunées.
Les Fous (dans leurs cellules)
Qui chante ?
Quels célestes accents
Consolent nos cerveaux torturés ?
Anne
Des vergers ornent de leur verdure
Ce lieu de quiétude,
Rappelant l’âme lassée
Au repos et au rêve,
Et maint ruisseau
Coule, coule, coule,
Sur un chant enfantin.
Les Fous (dans leurs cellules)
Ô musique sacrée des sphères !
Où sont nos fureurs et nos peurs ?
Anne
Le lion, l’agneau et le cerf,
Sans désir ni peur,
EN CLASSE
EXPLIQUER le vers chanté par le chœur des aliénés « Ô musique sacrée des sphères ». Le
professeur évoquera le philosophe Boèce (480-524) et la classification qu’il établit de la
musique en trois catégories : la musica mundana / la musica humana / la musica
instrumentalis.
PROJET MUSICAL D’INTERPRETATION : cette berceuse, d’inspiration populaire, peut
donner lieu à un projet musical d’interprétation. Il appartiendra à l’élève de cycle 4 de
« définir les caractéristiques expressives » qui siéent à une berceuse puis d’en « assumer
la mise en œuvre ».
MUSIQUE ET MISE EN SCENE : demander (par rapport à la mise en scène de d’Alfredo
Arias proposée comme référence vidéo) :
- comment les sentiments que portent encore Anne envers Tom sont-ils perceptibles ?
- à quoi voit–on que Tom appartient à un autre monde ?
ECOUTES COMPARATIVES :
- La berceuse tirée de l’Oiseau de feu de Stravinsky :
https://www.youtube.com/watch?v=ceIpM_bLSTA
- Les Quatre berceuses du chat de Stravinsky avec visualisation simultanée de la partition :
https://www.youtube.com/watch?v=VUlmeMEiHHw
THE RAKE’S PROGRESS
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POUR EN SAVOIR PLUS
BIBLIOGRAPHIE
Sur le compositeur BOUCOURECHLIEV, André, Stravinsky, Fayard, 1989.
GOUBAULT, Christian, Igor Stravinski, Paris, Champion, 1991.
MARNAT, Marcel, Stravinsky, Collection Solfèges, Seuil, 1995.
WHITE, Eric Walter, Stravinsky, le compositeur et son œuvre, traduit par Dennis Collins, Collection
Harmoniques, Flammarion, 1983.
Sur l’œuvre L’Avant-Scène Opéra, The Rake’s Progress, n° 145, 1992, 142 p. Livret original et sa traduction,
commentaire littéraire et musical, biographie de Stravinski, discographie, vidéographie.
Du compositeur STRAVINSKY, Igor, Chroniques de ma vie, Denoël-Gonthier, 1971.
WEBOGRAPHIE
http://www.dailymotion.com/video/xsdbxx_the-rake-s-progress_creation
Présentation de l’opéra par Christophe Ghristi et Olivier Py.
Hanté par l’opéra mozartien, Stravinsky affuble son libertin d’un diable qui orchestre cette fable
du désir et de l’échec. La mise en scène « music hall » d’Olivier Py présente un théâtre du monde
lucide et grimaçant.
http://www.deutschegrammophon.com/en/cat/4596482 Site sur lequel l’enseignant pourra écouter différents extraits de l’opéra.
https://new.vk.com/doc20700961_166616402?hash=13019b245bc08ded9e&dl=55d0b997a
e3cef2aef
Partition (russe) format PDF, réduction piano /chant.
https://www.youtube.com/watch?v=DdJw86l22JA
Visualiser l’opéra dans son intégralité sous la direction musicale de Kent Nagano et dans une
mise en scène signée Alfredo Arias.
http://www.wittert.ulg.ac.be/fr/flori/opera/hogarth/hogarth_roue.html
Quelques éléments d’analyse sur les gravures d’Hogarth.
http://www.fondation-igor-stravinsky.org/web/fr/biographie/sa-vie-son-uvre/la-periode-
americainen-1939-1971.html
Biographie du compositeur avec une riche iconographie.
CONFERENCE
Par Francis Albou, conférencier pour l’Opéra de Reims : le Jeudi 3 et vendredi 4 novembre de 18h
à 19h30, au CRR, 22 rue Gambetta à Reims.
Entrée libre
THE RAKE’S PROGRESS
STRAVINSKY
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THE RAKE’S PROGRESS
A L’OPERA DE REIMS
LA PRODUCTION
David Bobée, mise en scène et scénographie
Corinne Meyniel, assistante à la mise en scène
Marc Lainé, conseiller à la scénographie
Aurélie Lemaignen, assistante à la scénographie
Wojtek Doroszuk et José Gherrak, vidéo
Stéphane Babi Aubert, lumières
Stéphane Barucchi, costumes
Isabelle Tartière assistante, costumes
Brigitte Clair, chef de chant
Marion Labaye, maquillage
Benjamin Hulett , Tom Rakewell
Marie Arnet, Anne Trulove
Colin Judson, Sellem
Kathleen Wilkinson, Mother Goose
Kevin Short, Nick Shadow
Isabelle Druet, Baba la Turque
Stephan Loges, Father Trulove
BENJAMIN HULETT
TOM RAKEWELL
MARIE ARNET
ANNE TRULOVE KEVIN SHORT
NICK SHADOW ISABELLE DRUET
BABA LA TURQUE
THE RAKE’S PROGRESS
STRAVINSKY
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NOTE D’INTENTION DU
METTEUR EN SCENE
our la première fois, je mets en scène
un opéra. J’en expérimente les
usages, les codes, les conventions.
Mon travail a toujours été marqué par la
production de grandes images spectaculaires,
aussi l’opéra est-il pour moi un terrain de jeu
attirant. L’origine du Rake’s progress, inspiré
d’une série de gravures de Hogarth (1732-1733),
induit une construction par tableau et de fait,
correspond à ma manière d’appréhender le
plateau.
Mais l’homme de théâtre que je suis redoutait de
s’affronter à cette matière dramatique qu’est le
livret d’opéra, une action construite pour susciter
et accompagner la musique et non pour faire sens
en elle-même. Comment sortir des conventions et
retrouver une authentique nécessité pour le
passage à la scène ? Comment faire résonner cette fable morale dans notre temps ? Comment
poser avec ce conte picaresque un geste qui dise quelque chose de notre époque, au-delà des
seuls plaisirs spectaculaires et musicaux ?
The Rake’s progress m’a d’abord intéressé par son rapport avec le mythe de Faust : que
signifierait aujourd’hui signer un pacte avec le diable ? Il me plaît assez de montrer qu’une
certaine forme d’ascension sociale peut être assimilée à une descente aux enfers. Il me plaît
aussi de travailler sur ce personnage de Tom Rakewell, antihéros qui par candeur, par faiblesse
ou par paresse, est si peu acteur de son propre destin et se laisse manipuler par des forces
supérieures obscures, qui est agi bien plus qu’il n’agit pour finalement, non seulement accepter
le monde comme il ne va pas mais encore s’en rendre complice.
Ma porte d’entrée dans l’œuvre s’est ouverte lorsqu’à l’acte I Tom s’exclame « Je voudrais être
riche » après avoir expliqué qu’il ne veut pas travailler. Ce retranchement de la valeur travail des
processus d’enrichissement, cet abandon de l’entreprenariat au profit de la spéculation dit
quelque chose à notre temps. Et lorsque Nick Shadow proclame « ICI COMMENCE LA CARRIÈRE
D’UN LIBERTIN », je veux lire « ici commence la carrière d’un libéral ».
Ainsi, quand Tom quitte le jardin de Trulove comme on s’expulse du jardin d’Eden, il s’échappe
d’un monde déjà mort : celui du travail industrieux dans des circuits courts, qui maintiennent au
contact des matériaux et connectent à l’environnement, celui du cercle familial traditionaliste
comme refuge stable et première structure de la société, celui d’un rapport direct et évident à la
nature.
P
DAVID BOBEE, METTEUR EN SCENE ET DIRECTEUR
DU CDN DE NORMANDIE-ROUEN
THE RAKE’S PROGRESS
STRAVINSKY
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Nick Shadow entraînera Tom Rakewell dans un monde – faut-il dire moderne ? – où tout est
monnayable, où les corps se consomment, où le mariage est une stratégie d’ascension sociale. Il
lui apprend l’amour en l’emmenant au bordel, il luit fait épouser une starlette, il luit fait miroiter la
fortune en lui fournissant le mode d’emploi de l’escroquerie. Nick fait chuter Tom dans une
spirale de vacuité et de dévitalisation de son existence : il sera riche sans mérite, marié sans
amour et finalement, vivant sans conscience.
Alors le jeu stylistique de l’œuvre, qui reprend les codes du conte fantastique pour glisser d’un
réalisme pastoral au gothique, permet de voir l’évolution historique de l’organisation économique
pour ce qu’elle est : un marché de dupe, un enfer grotesque dont on souhaiterait qu’il ne soit
qu’au mauvais rêve et qu’ensemble nous nous réveillions.
J’ai fait le choix de transpositions transparentes et engagées : la machine à pain qui prétend
produire de la richesse à partir de rien et sans effort sera ici la dérive d’une financiarisation de
l’économie, qui s’est emballée au point qu’on l’oppose à une « économie réelle ». Les succès
forains de Baba la Turque seront ici la notoriété creuse et indue d’une people sans talent connu.
Celui que Hogarth et Stravinsky ont appelé « débauché » parce qu’il fréquente les maisons closes
sera ici un libertin parce que trader et amateur de hit-girls.
Ainsi ce Rake’s progress pour notre début de siècle souhaite dépasser la morale du conte qui
condamnait la concupiscence et la cupidité. Il ne s’agit pas de juger Tom parce qu’il veut être
riche mais d’observer que Nick lui propose un rapport intéressé à toute composante de la vie, en
supprime toute obligation, toute gratuité, toute spontanéité. Un rapport au monde que l’on
pourrait dire cynique mais aussi libéral, entendu comme marchandisation de tous biens.
Tom délaisse Trulove pour Shadow… il lâche la proie pour l’ombre. Old Nick, ainsi les Anglais
appelaient-ils autrefois le fois le diable… Le diable, c’est le cynisme ?
Montréal, Rouen, le 12 mars 2016
David Bobée, metteur en scène
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ZOOM SUR…
LA SCENOGRAPHIE
a scénographique pensée pour ce Rake’s progress se déploie en tableaux mouvants
à l’intérieur d’un cadre fixe de marbre noir.
Les images vidéo, filmées par l’artiste polonais Wojtek Doroszuk, et celles réalisées
par José Gherrak, quelques objets-symboles (arbre mort, inscription néon rouge,
bureaux, caveau …), les déplacements du chœur et les variations des lumières de Stéphane Babi
Aubert offriront à cet espace, fixe et monumental, des bouleversements rapides nous faisant
passer sans interruption d’un jardin à une maison close, d’une rue de Londres à une salle des
marchés, d’un appartement luxueux à un cimetière.
Ces tableaux aux esthétiques puissantes répondent à la structure de chaque acte du livret
construit en [a-b-a], eux même inspirés des tableaux d’Hogarth.
Ce cadre fixe de marbre noir et réfléchissant la lumière et les vidéos représente alternativement
la boîte noire d’une maison d’opéra, l’intérieur minimaliste d’un intérieur luxueux à Londres, le
marbre glacé et impersonnel d’une banque ou d’une salle des marchés, ou encore l’intérieur du
caveau de Tom Rackwell. Une alternance d’espaces narratifs, symboliques et cérébraux.
À la manière de Dante décrivant sa lente descente aux enfers en cercles concentriques, le
spectateur glisse d’un univers à l’autre, d’un espace lumineux et extérieur à des espaces de plus
en plus clos, de plus en plus sombres, de plus en plus abstraits. Ce n’est qu’à la fin, dans la
scène du cimetière que le spectateur comprendra pleinement la présence permanente de ce
marbre funéraire. Joué d’avance, le drame de Tom est prédestiné, sa finalité ne pouvant
échapper à la tombe, faisant de lui un héros tragique en proie à la fatalité.
L
LE JARDIN DES TRULOVE
AU COEUR D’UNE NATURE VIRTUELLE, UN ARBRE MORT, SYMBOLIQUE DES RACINES, DES VALEURS
TRADITIONNELLES ET FAMILIALES DISPARUES. L’ÉDEN PERDU OU LA PHILOSOPHIE DU TRAVAIL ET LE BON SENS
DE LA VIE DU PERE D’ANNA APPARTENANT A UNE EPOQUE DEJA REVOLUE.
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LA SCENE DU BORDEL DE MERE GOOSE.
ÉCLAIREE PAR UN NEON DE 7M50 AU NOM DE TRUELOVE. C’EST LE NOM D’ANNA, CE SERA ICI AUSSI LE NOM DE
L’ETABLISSEMENT. PREMIERE LEÇON DU SHADOW, VIDER LE SENS DES MOTS ET LUI APPRENDRE L’AMOUR
SANS SENTIMENTS.
APPARTEMENT DE TOM
GLACE, LUXUEUX, OFFRANT UNE VUE VIVANTE SUR LE PANORAMA LONDONIEN.
VIDEOS PAR WOJTEK DOROSZUK
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UNE RUE DE DE LONDRES
ON Y CROISERA ANNA A LA RECHERCHE DE TOM AU MILIEU DE PASSANTS AFFAIRES, ELLE Y RENCONTRERA BABA,
STARLETTE SUPERFICIELLE EPOUSEE PAR TOM.
LA MACHINE
UNE SALLE DES MARCHES DE LA CITY, MACHINE A SPECULER, A VENDRE LE REVE D’UN ENRICHISSEMENT FACILE
SERA HABITEE PAR LE CHOEUR FAÇON TRADERS. CETTE MACHINE S’EMBALLERA JUSQU’A LA RUINE, LA FAILLITE
ET LA FUITE DE TOM ET NICK.
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LE CAVEAU. SCENE DU CIMETIERE.
DEPOUILLEE DE TOUT ARTIFICE, LA SCENOGRAPHIE SE REVELE. NOUS ENTRONS A L’INTERIEUR MEME DE LA
TOMBE DE TOM.
ASILE PSYCHIATRIQUE
LES NEONS BLANCS MONTENT ET DESCENDENT. UNIVERS FLOTTANT. ESPACE MENTAL D’UN NICK PERDU A L’INTERIEUR DE SON PROPRE CRANE
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REGARDS SUR…
LE CHEF D’ORCHESTRE
hef d’orchestre français né en1979, Jean Deroyer intègre le Conservatoire National
Supérieur de Musique de Paris à l’Age de quinze ans où il obtient cinq premiers prix.
Depuis plusieurs années, il bâtit une relation privilégiée avec l’Ensemble
Intercontemporain, qu’il a dirigé de nombreuses
reprises. Depuis 2008, Jean Deroyer est directeur
musical de l’ensemble Court-circuit et chef principal
de l’Orchestre régional de Normandie depuis 2014.
Entre autres orchestres, Jean Deroyer a été invité à
diriger de très prestigieux orchestres : le NHK
Symphony Orchestra l’opéra de Tokyo, le Deutsche
Symphonie Orchester, l’Israel Chamber Orchestra, les
Orchestres Philharmoniques du Luxembourg, de
Monte-Carlo et de Liège, direction musicale
l’Orchestre de Paris, l’Orchestre National de Lille,
l’Orchestre Philharmonique de Radio-France,
l’Ensemble Intercontemporain, l’Orchestre National
de Lyon et le Klangforum Wien.
En 2010, il crée Les Boulingrin, opéra de Georges
Aperghis à la tête du Klangforum Wien à l’Opéra-
Comique, dans une mise en scène de Jérôme
Deschamps. Il dirige ensuite Pelléas et Mélisande à
l’Opéra de Rouen et l’Orchestre Philharmonique de
Radio-France dans Ariane et Barbe Bleue de Paul
Dukas. La saison dernière, il a créé l’opéra JJR de
Philippe Fenelon mis en scène par Robert Carsen au
Grand Théâtre de Genève. Il a récemment dirigé
l’opéra Cassandre, de Michael Jarrell, au festival
d’Avignon avec Fanny Ardant comme récitante.
C
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CAHIER DE LECTURE
STRAVINSKY : PORTRAIT D’UN AMERICAIN
Par Francis Poulenc
Peu de musiciens ont tiré de l’orchestre un plus beau bruit que Stravinsky. Entre ses
mains, tout devient musique. Je me souviens d’un jour lointain où, à la sortie d’une répétition de
Noces au théâtre Sarah-Bernhardt, nous prenions un bock, lui, Auric, Rieti, Marcelle Meyer et moi.
Tout en parlant, il heurtait avec le manche d’une cuillère nos verres vides. Croyez-moi, c’était du
Stravinsky. Ce Stravinsky de 1923, je l’ai retrouvé prodigieusement le même voici un mois.
Comme les êtres vraiment authentiques, Stravinsky promène avec lui son ambiance, ce qui fait
que dans son studio de Californie, je me croyais soit à Garches, à Biarritz, à Nice ou à Paris dans
les diverses résidences de Stravinsky de 1920 à 1938. Au mur les mêmes photos, les mêmes
dessins de Picasso, le même pochoir de Braque, sur les tables les mêmes objets qui donnent à
son bureau l’aspect d’un atelier d’artisan : ici une lime, là un petit étui, une armée de grattoirs, un
taille-crayon géant, des encres de toutes couleurs, des règles de toutes tailles, des plumes de
toutes grosseurs, des régiments de gommes, du papier collant, des punaises, une petite
bibliothèque à cigarettes – un sofa pour les repos au milieu du travail avec un mouchoir taie
d’oreiller posé sur un coussin. « Au bout d’une heure de travail intense, m’a souvent répété
Stravinsky, reposez-vous dix minutes, fermez les yeux et jugez-vous. »
Stravinsky a toujours composé sur un piano quasi-muet. Cet homme qui a écrit quelques-unes
des pages les plus tonitruantes de la musique prétend qu’on n’entend bien ce que l’on écrit que
lorsqu’on le joue pianissimo. Sur le pupitre de son piano, nous voyons une grande planchette de
bois et, en guise de papier à musique, une large feuille de papier... à dessin. Car Stravinsky règle
lui-même son papier suivant les besoins de la composition. Une montre est accrochée à l’angle
droit de la tablette. Comme je comprends cela, moi qui n’ai jamais pu écrire de musique sans voir
l’heure. C’est hélas ma seule commune mesure avec le génie de Stravinsky.
Chaque matin, ayant pris son petit déjeuner au soleil sur sa terrasse, Stravinsky se met
ponctuellement à sa table, j’allais dire à son établi. Ne me répétait-il pas jadis : « Mon cher
Poulenc, je ne nie pas l’inspiration, mais il faut la mettre tous les jours à heure fixe sur le pot,
comme on met les enfants. »
Dans sa ravissante maison californienne noyée dans les fleurs, auprès d’une compagne exquise,
entouré de ses enfants et de ses petits-enfants, Stravinsky, au comble de la gloire, continue à
défricher les routes les plus difficiles. Même s’il lui arrive, dans une œuvre comme le Scherzo à la
russe, de flirter avec le style de Petrouchka c’est toujours avec une technique nouvelle et un art
chaque jour plus exigeant.
[...]
Dès que j’entre dans le studio de Stravinsky, avec l’instinct que me donnent trente ans d’amitié,
je saurais dire exactement où il en est rien qu’à regarder les musiques qui l’entourent. Cette fois,
une pile impressionnante d’œuvres de Palestrina me fait immédiatement présager des
recherches d’ordre religieux. Les disques complets du Mariage de Figaro, de Così et de
L’Enlèvement me font augurer quelque œuvre scénique. Je ne m’étais pas trompé, Stravinsky
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vient d’achever une messe et compose actuellement un opéra bouffe en trois actes. Jadis, à
l’époque du Concerto de violon, les sonates de Bach ne le quittaient pas ; à l’époque de Mavra,
son piano était encombré des partitions de Gounod, Chabrier, Delibes. Alors me direz-vous,
Stravinsky s’amuse à pasticher. Erreur, il regarde tout simplement et il écoute, mais de quelle
oreille !
Picasso réagit de même devant un dessin d’Ingres ou telle bacchanale de Poussin. Après un
examen minutieux de ces modèles illustres, Stravinsky se concentre sur lui-même et nous donne
sa solution du problème, car toute œuvre offre une série de problème à résoudre.
Tandis que nous déjeunions en plein air de succulents homards grillés arrosés de merveilleux
vins français (Stravinsky ne peut s’en passer), il m’expliquait l’esthétique de son nouvel opéra.
Orchestre de Mozart, bois par deux, pas de trombone et un piano conducteur chargé
d’accompagner les récitatifs.
« Je veux pour la représentation de mon ouvrage un petit théâtre d’où l’on entend partout de près
: Monte-Carlo serait le rêve. »
En effet, ce serait l’idéal, et j’espère bien que ce théâtre qui a donné la première représentation
française de Parsifal ne laissera pas échapper celle de l’opéra de Stravinsky.
FRANCIS POULENC, A bâtons rompus, 1949
Ecrits radiophoniques précédés du Journal de
vacances, suivis des Feuilles américaines.
Publication : Actes Sud, 1999.
A retrouver en ligne sur le site :
https://books.google.fr/books?id=JmMZAQAAIAAJ
&q=Stravinsky&hl=fr&source=gbs_word_cloud_r&ca
d=4