Texte Rake s Progress

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IGOR STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS Livret de Wystan Hugh Auden & Chester Kallman Opéra en trois actes 1951 OPERA de LYON

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IGOR STRAV I N S KY

THE RAKE’S PROGRESS

Livret de Wystan Hugh Auden & Chester Kallman

Opéra en trois actes

1951

OPERA de LYON

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Illustration. William Hogarth

The Orgy, troisième gravure du Rake’s Progress, 1732-1733

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LIVRET

9 Fiche technique

13 L’argument

17 Les personnages

THE RAKE’S PROGRESS20 Acte I

58 Acte II

98 Acte III

CAHIER de LECTURES

W.H. Auden

164 Pose ta tête endormie...

Francis Poulenc

165 Stravinsky, portrait américain

Igor Stravinsky

168 La tradition classique

Eric W. White

170 Débuts de la carrière du Rake

Theodor W. Adorno

173 Le néo-classicisme de Stravinsky

Maurice Fleuret

176 Néo-classique ? Classique !

W.H. Auden

178 Beauté, minuit, vision s’effacent

CARNET de NOTES

Igor Stravinsky

180 Repères biographiques

196 & Notice bibliographique

The Rake’s Progress

197 Orientations discographiques

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Page 5: Texte Rake s Progress

LIVRET

En 1947, Stravinsky visite à Chicago une exposition consa-

crée à William Hogarth (1697-1764) et y voit les gravures

réalisées d’après la série de tableaux intitulée The Ra ke ’ s

Progress. Il y trouve la matière de l’opéra en langue anglaise

qu’il souhaitait écrire depuis son installation aux États-Unis

au début des années quarante. Sur la suggestion d’Aldous

H u x l e y, il confie l’écriture du livret au poète Wystan Hugh

Auden qui le réalisera en collaboration avec Chester

Kallman. Le texte est achevé en mars 1948.

PARTITION

La composition de la partition demande trois ans de travail à

Stravinsky qui commence par le prélude de la scène au cime-

tière et termine par l’épilogue en forme de quintette. Le com-

positeur date sa partition du 7 avril 1951.

En 1959, le compositeur fait don du manuscrit de la partition

d’orchestre et de diverses esquisses à l’Université Southern

California de Los Angeles.

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PERSONNAGES

TRULOVE Basse

ANNE, sa fille Soprano

TOM RAKEWELL Ténor

NICK SHADOW Baryton

MOTHER GOOSE Mezzo-soprano

BABA LA TURQUE Mezzo-soprano

SELLEM, commissaire-priseur Ténor

LE GARDIEN DE L’ASILE DE FOU Basse

PROSTITUÉS & MAUVAIS GARÇONS

Des SERVITEURS

Des CITOYENS

Des FOUS

L’action se passe en Angleterre au XVIIIesiècle.

ORCHESTRE

2 flûtes dont 1 piccolo

2 hautbois dont 1 cor anglais

2 clarinettes

2 bassons

2 cors

2 trompettes

Timbales

Clavecin

Cordes

DURÉE MOYENNE

2 heures 20 minutes

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Page 7: Texte Rake s Progress

CRÉATION

11 septembre 1951. Teatro La Fenice, Venise

Direction. Igor Stravinsky

(Le compositeur ne dirige que la première, il est relayé

pour les autres représentations par Ferdinand Leitner.)

Mise en scène. Carl Ebert

Décors.Nicola Benois

Avec Raffaele Ariè (Trulove), Elisabeth Schwarzkopf

(Anne), Robert Rounseville (Tom Rakewell), Otakar

Kraus (Nick Shadow), Nell Tangeman (Mother Goose),

Jennie Tourel (Baba la Turque), Hugues Cuenod (Sellem),

Emanuel Menkes (Le Gardien de l’asile de fous)

CRÉATION en FRANCE

1953. Théâtre municipal, Strasbourg

Direction. Ernest Bour

Mise en scène. Roger Lalande

Décors & costumes. C. Perrier

Avec A. Pactat (Trulove), M. Luccioni (Anne), G. Genin

(Tom Rakewell), Heinz Rehfuss (Nick Shadow),

M. Koukal (Mother Goose), S. Darbans (Baba la Turque),

J. Peyron (Sellem)

L’ŒUVRE à LYON

1971

Création à Lyon. Version en français d’André de Badet,

donnée sous le titre : Le Libertin

Direction. Serge Baudo

Mise en scène. Louis Erlo

Décors & costumes. Jacques Rapp

Avec Louis Hagen-William (Trulove), Anne-Marie Blanzat

(Anne), Nolan Van Way (Tom Rakewell), Frantz Petri

(Nick Shadow), Emmy Greger / Agnès Disney (Mother

Goose), Régina Sarfaty / Emmy Greger (Baba la Turque),

José Denisty (Sellem), Christos Grigoriou (Le Gardien

de l’asile de fous)

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1995

Direction. Kent Nagano

Mise en scène. Alfredo Arias

Décors. Roberto Platé

Costumes. Françoise Tournafond

Éclairages. Laurent Castaingt

Chorégraphie. Andy Degroat

Avec David Marsh (Trulove), Dawn Upshaw (Anne),

Jerry Hadley (Tom Rakewell), William Shimell

(Nick Shadow), Inga Jonsdottir (Mother Goose),

Anne Collins (Baba la Turque), Steven Cole (Sellem),

Frédéric Caton (Le Gardien de l’asile de fous)

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ACTE I

SCÈNE 1Printemps. Le jardin de la maison de Trulove, à la campagne.

Duo d’amour entre AN N E TR U L OV E et son fiancé TO M

RA K E W E L L. TR U L OV E, le père d’Anne, est inquiet : son

futur gendre n’a pas de situation et refuse celle qu’il lui

propose. Se basant sur la doctrine de la prédestination,

TOM s’en remet à la Fortune et rêve d’être riche.

Paraît alors un inconnu – NI C K SH A D O W – qui annonce à

TO M q u’il vient d’hériter d’un oncle et qu’il est riche.

SH A D O W se met au service de TO M, lui proposant de

n’être payé qu’un an plus tard. Les deux hommes partent

pour Londres afin de régler au plus vite la succession.

On se sépare. TR U L OV E est un peu inquiet, AN N E n’ e s t

pas complètement heureuse... « La carrière d’un libertin

c o m m e n c e », annonce NI C K au public.

SCÈNE 2Le bordel de Mother Goose à Londres.

PR O S T I T U É E S et MAU VA I S GA R Ç O N S chantent et boivent à

Vénus et à Mars. NICK et TOM sont là, le premier fait pas-

ser au second son examen de passage dans une nouvelle

vie : faire son devoir envers soi-même, suivre la nature, la

beauté, les plaisirs. Quant à l’amour, TO M ne peut le

définir et veut quitter la place. Mais NI C K fait retarder

l’horloge d’une heure : « Voyez. Le temps est vôtre. Les

heures vous obéissent. Ne craignez point. Jouissez. Assez

tôt vous pleurerez. » TO M reste et chante l’amour trahi,

l’amour blessé, l’amour saint ; mais il va finir la nuit avec

MOTHER GOOSE qui se l’est réservé.

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Page 10: Texte Rake s Progress

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SCÈNE 3Automne. Le jardin des Trulove, nuit de pleine lune.

Sans nouvelles de TOM, ANNE s’inquiète et pressent qu’il

a oublié ses promesses et son amour. Malgré l’amour

qu’elle porte à son père, elle décide de le quitter, d’aller

chercher TOM, si faible à ses yeux.

ACTE II

SCÈNE 1Dans le salon de sa maison londonienne, TO M médite tristement

sur sa nouvelle vie, sur le vide qui l’habite, sur le trop-

plein de la ville : « Je voudrais être heureux », soupire- t - i l .

NI C K s u rgit alors et lui conseille d’épouser BA B A L A

TU R Q U E, la femme à barbe, la nouvelle star de la cité ; par

ce mariage publicitaire, TO M deviendra célèbre, montrera

sa liberté avec éclat en ignorant son désir et son devoir.

SCÈNE 2Automne. Une rue au crépuscule devant la résidence

de Tom à Londres.

AN N E est là, anxieuse, hésitant à frapper à la porte. Un cor-

tège arrive, avec flambeaux et chaise à porteur. En sort

TO M. Troublé et gêné de trouver AN N E, il lui enjoint de l’ac-

c u s e r, de le dénoncer, de partir et de l’oublier. Mais il est

touché par la constance de son ancienne fiancée. BA B A L A

TU R Q U E passe la tête entre les rideaux de la chaise à por-

teurs, AN N E apprend alors la vérité et s’en va rapidement.

Sous les acclamations de la foule, BA B A rejoint la maison,

laissant voir aux Londoniens ravis sa splendide barbe.

SCÈNE 3Dans le même salon qu’à l’acte II, scène 1,mais encombré du

bric-à-brac des objets appartenant à BA B A. TO M et sa

femme prennent le petit déjeuner. BA B A bavarde sans

arrêt, détaillant ses collections, racontant ses souvenirs

de voyages... TO M est de mauvaise humeur, TO M se tait,

TOM repousse violemment la tendresse de sa femme. Du

coup, BA B A s’énerve, BA B A casse les objets qui lui tom-

bent sous la main. TOM interrompt les récriminations de

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Page 11: Texte Rake s Progress

sa femme au milieu d’une phrase, lui couvrant le visage

de sa perruque. Elle reste muette et immobile. TO M s e

réfugie dans le sommeil.

Pendant qu’il dort, NI C K arrive dans la pièce avec une

machine soi-disant destinée à changer les pierres en

pains, dont il montre au public le mécanisme trompeur.

TO M s’éveille et raconte qu’il vient de rêver, justement,

d’une machine miraculeuse à transformer les pierres en

pain. NI C K lui montre son invention. TO M, ravi, se voit

déjà, grâce à sa machine, comme le sauveur du monde ;

NICK lui propose de lui faire rencontrer des investisseurs

et des souscripteurs pour fabriquer la machine en série.

ACTE III

SCÈNE 1Printemps. Dans le grand salon de Tom et Baba, tout est cou-

vert de poussière et de toiles d’araignées. BABA est assise,

immobile, la perruque retournée sur la tête. L’escroquerie

de la machine à pain a éclaté au grand jour ; c’est la

ruine des petits actionnaires, le scandale pour Tom qui est

en fuite. Le commissaire-priseur SELLEM est venu vendre

les biens et il mène ses enchères avec virtuosité : y pas-

sent les objets hétéroclites de la collection de BA B A. Et

finalement, c’est BABA elle-même, encore couverte de sa

perruque, qu’il met à prix et adjuge, dévoilant son visage

devant la foule ébahie. Impassible, elle achève la phrase

interrompue par Tom à la scène 2 de l’acte précédent !

Dans la rue, on entend alors NICK et TOM, braillant et se

moquant de BABA. ANNE arrive ; elle a reconnu la voix de

TO M. BA B A la prend sous sa protection, lui affirme que

TO M l’aime toujours et l’encourage à le sauver. Puis,

superbe, elle prend congé de la foule : « La prochaine

fois, vous paierez pour voir Baba ! »

SCÈNE 2Printemps. Un cimetière. Tombeaux. Au centre, une tombe fraî-

chement creusée. Un an a passé depuis la rencontre de

TOM RAKEWELL et de NICK SHADOW. C’est le moment de

régler les comptes : NI C K réclame son salaire, l’âme de

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Tom. Mais il lui laisse une chance : s’il parvient à iden-

tifier trois cartes choisies par NICK, TOM aura la vie sauve.

Malgré sa peur, TO M joue. Pensant à AN N E, il choisit la

dame de cœur : gagné. Voyant les piques de la bêche du

f o s s o y e u r, il annonce le deux de pique : gagné encore.

Contre toute attente, invoquant l’amour, TO M c h o i s i t

encore la dame de cœur et gagne la partie. NICK vaincu,

furieux, condamne toutefois TO M à devenir fou avant de

s’enfoncer dans une tombe.

SCÈNE 3A l’asile de Bedlam, TO M se prenant pour Adonis, attend la

visite de Vénus, entouré d’un triste CH Œ U R D E FO U S. Et

Vénus vient voir Ad o n i s : c’est AN N E. Ad o n i s /TO M d e m a n d e

à sa déesse de pardonner son inconstance et sa folie.

AN N E le berce et chante pour lui, il s’endort. TR U L OV E

vient chercher sa fille, l’histoire est terminée, seule la

mort délivrera le héros.

TOM s’éveille, ANNE est partie, il meurt. Le CHŒUR chante

une déploration.

ÉPILOGUE

Devant le rideau, la salle étant éclairée, les cinq protago-

nistes – sans perruques et sans barbe – viennent exposer

leur morale de l’histoire, saluent le public et s’en vont.

Page 13: Texte Rake s Progress

Inspirés par les tableaux de Hogarth et les gravures qui en

furent tirées, les personnages du Ra ke’s Pr o g r e s s sont dessinés

avec des lignes claires et une belle rigueur classique. Ce qui

ne les empêche pas d’avoir de la chair, du sang, du cœur.

Les protagonistes portent bien leur nom : T R U L OV E,

(amour véritable) le père, est un personnage tout de probité

et de simplicité. Il n’apparaît pratiquement qu’au début et à

la fin de l’ouvrage, y incarnant des valeurs simples. Peu lui

importe d’avoir un gendre pauvre, pourvu qu’il soit honnête.

Et si l’annonce de la soudaine richesse de TOM lui fait plaisir,

elle éveille aussi en lui une inquiétude intuitive. TR U L OV E

demeure toujours aux côtés de sa fille : il ne lui aura fait

aucun reproche, l’accompagnant à l’asile et partageant sa

tristesse devant la folie. Il est là, avec sa bonté de père.

ANNE TRULOV E porte bien son nom, elle aussi. Elle est

une autre déclinaison de l’amour vrai. Personnage lumineux,

elle risque beaucoup pour retrouver son homme et pour le sau-

v e r, avec une admirable constance. Elle retrouve TO M, fou, et

n’ayant pu le sauver, le berce comme un enfant, avec une

immense poésie, comme un ultime présent d’amour. Et comme

elle ne peut plus rien pour lui en ce monde, elle le laisse serei-

nement, sans drame, avec la promesse de ne jamais l’oublier.

TOM RAKEWELL est un débauché, c’est bien un liber-

tin (rake = débauché, libertin, roué ; well = bien). Mais le

personnage a aussi quelque chose de naïf, de profondément

enfantin. Son parcours, sa carrière, le laissent insatisfait, sté-

rile, sec : « Mon cœur a froid, je ne peux pas pleurer. » Mais

souvent affleure à sa conscience comme un regret, celui d’un

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amour vrai, celui de ANNE. C’est ce qui le sauve de l’enfer :

la dame de cœur qu’il choisit par deux fois dans le jeu diabo-

lique de NICK, c’est ANNE ; mais il n’est sauvé par elle ni de

la folie, ni de la mort.

NICK SHADOW (shadow = ombre) est l’incarnation

classique du diable, la figure que l’on retrouve dans bien des

œuvres. On pense, bien sûr, aux différents Méphisto du réper-

t o i r e ; le jeu, par lequel NI C K propose à TO M de racheter sa vie,

est une figure courante dans les contes de tradition populaire ;

sa machine à transformer les pierres en pains rappelle un épi-

sode de l’évangile de Mathieu (chapitre 4) : « Le tentateur,

s’étant approché, lui dit : si tu es fils de Dieu, ordonne que ces

pierres deviennent des pains. » Personnage des ténèbres, de

l’ombre, il est également l’ombre de TO M, une sorte de double

qui ne le quitte pas, si loin, si proche. Ayant échouer à damner

TO M, NI C K brûle, gèle, s’enfonce dans la terre sans autre pou-

voir que celui de la malédiction : il rend fou celui qu’il a –

dans tous les sens du terme – perdu.

BABA LA TURQUE : monstre de foire ou de cirque,

elle peut rappeler que Stravinsky aimait le cirque – il com-

posa une Circus Po l ka pour Barnum. C’est un personnage

extraordinairement pittoresque : volubile, impératrice à la

barbe fleurie, elle trône comme le plus bel objet de son cabi-

net de curiosités. Victime de TO M en un sens, qui l’épouse

pour faire une opération publicitaire, elle fait preuve de

constance dans l’adversité – comme ANNE – et – avec ANNE –

de noblesse et d’une bonté quasi maternelle.

Autour des protagonistes, le Londres d’en haut et le

Londres d’en bas, les BO U R G E O I S, les MAU VA I S GA R Ç O N S, l e s

PR O S T I T U É E S ; MOTHER GOOSE, la patronne du bordel ;

SELLEM ( q u’on entend comme une contraction de s e l l

t h e m = vendez-les) le commissaire-priseur virtuose qui

essaye de vendre BA B A avant de s’incliner respectueuse-

ment devant elle ; des F O U S et leur GA R D I E N. . .

NI C K SH A D O W s’adresse au public à plusieurs reprises.

Mais à l’épilogue, devant le rideau et lumières de la salle

allumées, ce sont les cinq protagonistes – ANNE, BABA, TOM,

TRULOVE et NICK – qui sans perruque et sans barbe viennent

tirer la morale de cette fable qu’est le Rake’s Progress, média-

teurs entre public, personnages, acteurs et auteurs.

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IGOR STRAVINSKY

THE RAKE’S

P R O G R E S S

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HANS WERNER HENZE L’UPUPA...

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ACT I

Prelude

SCENE 1

The garden of Trulove’s house in the country.

Afternoon in spring. House – right. Garden gate – Centre

Back, Arbour – left downstage in which

Anne and Tom are seated.

Duet and trio

ANNE

The woods are green, and bird and beast at play

For all things keep this festival of May;

With fragrant odours and with notes of cheer

The pious earth observes the solemn year.

TOM

Now is the season when the Cyprian Queen

With genial charm translates our mortal scene,

When swains their nymphs in fervent arms enfold

And with a kiss restore the Age of Gold.

ANNE

How sweet, within the budding grove

To walk, to love.

How sweet, how sweet beside the pliant stream

(Enter Trulove from house and stands aside.)

To lie, to dream. How sweet, how sweet.

Page 17: Texte Rake s Progress

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PREMIÈRE PARTIE TABLEAU 1

ACTE I

Prélude

SCÈNE 1

Le jardin de la maison de Trulove, à la campagne.

Après-midi au printemps. Maison à droite. Porte du jardin

au centre, à l’arrière-plan. Au premier plan à gauche,

charmille où Tom et Anne sont assis.

Duo & trio

ANNE

Les bois verdoient, l’oiseau, la bête s’ébattent,

Car tout observe la fête de mai ;

Par des parfums et des sons d’allégresse

La pieuse terre célèbre l’auguste saison.

TOM

Voici le temps où Cypris la reine

Par une douce magie transforme les humains ;

Quand bergers et bergères ardemment s’étreignent

Et d’un baiser réveillent l’Âge d’or.

ANNE

Qu’il est doux dans le bosquet naissant

De flâner et d’aimer !

Qu’il est doux le long du ruisseau docile

(De la maison arrive Trulove qui se tient de côté.)

De s’étendre, de rêver ! Qu’il est doux, qu’il est doux.

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TOM

How sweet, beside the pliant stream

To lie, to dream.

How sweet, how sweet within the budding grove

To walk, to love. How sweet, how sweet

TRULOVE

O may a father’s

Prudent fears unfounded prove,

ANNE AND TOM

How sweet,

TRULOVE

And ready vows and loving

Looks be all they seem.

ANNE AND TOM

How sweet!

TRULOVE

In youth we fancy we are wise,

But time hath shown,

Alas, too often and too late,

We have not known

The hearts of others or our own.

ANNE

Love tells no lies

ANNE AND TOM

And in love’s eyes

We see our future state,

Ever happy, ever fair;

Sorrow, hate,

Disdain, despair,

Rule not there,

But love, but love alone

Reigns o’er his own,

Recitative

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

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Page 19: Texte Rake s Progress

TOM

Qu’il est doux le long du ruisseau docile

De s’étendre, de rêver !

Qu’il est doux, doux, dans le bosquet naissant

De flâner, d’aimer ! Qu’il est doux, qu’il est doux.

TRULOVE

Ah, que d’un père les prudentes craintes

Se montrent sans fondement,

ANNE & TOM

Qu’il est doux !

TRULOVE

Et que tendres vœux et regards ardents

Soient tout ce qu’ils semblent être.

ANNE & TOM

Qu’il est doux !

TRULOVE

Dans la jeunesse nous pensons tout savoir,

Mais le temps montre,

Hélas, trop souvent et trop tard,

Que nous ignorions

Le cœur d’autrui ou le nôtre.

ANNE

L’amour ne ment pas...

ANNE & TOM

Et dans les yeux de l’amour,

Nous voyons nos jours futurs

Toujours beaux, toujours riants ;

Chagrin, haine,

Dédain, regret,

N’y gouvernent pas ;

Mais l’amour, seul l’amour

Règne sur son domaine.

Récitatif

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ACTE I SCÈNE 1

Page 20: Texte Rake s Progress

TRULOVE (coming forward)

Anne, my dear,

ANNE

Yes, father.

TRULOVE

Your advice is needed in the kitchen.

(Anne curtsies and exits into house.)

Tom, I have news for you. I have spoken on your behalf to

a good friend in the City, and he offers you a position in

his counting house.

TOM

You are too generous, sir. You must not think me ungrate-

ful if I do not immediately accept what you propose, but I

have other prospects in view.

TRULOVE

Your reluctance to seek steady employment makes me

Uneasy.

TOM

Be

Assured your daughter shall not marry a poor man.

TRULOVE

So he be honest, she may take a poor husband if she

choose, but I am resolved she shall never marry a lazy one.

(Exits into the house.)

TOM

The old fool!

Recitative and aria

TOM

Here I stand, my constitution sound, my frame not ill

favoured, my wit ready, my heart light. I play the indus-

trious apprentice in a copy-book? I submit to the drudge’s

y o ke? I, slave through a lifetime to enrich others, and

then be thrown away like a gnawed bone? Not I! Have not

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

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Page 21: Texte Rake s Progress

TRULOVE (s’approchant)

Anne, mon enfant,

ANNE

Oui, père.

TRULOVE

On a besoin de ton conseil à la cuisine.

(Anne fait la révérence et rentre dans la maison.)

Tom, j’ai à vous entretenir. J’ai parlé de vous à un ami à

moi, de la Cité : il vous offre un poste dans sa comptabilité.

TOM

Vous êtes trop bon, monsieur. Ne me croyez pas ingrat si

je n’accepte pas aussitôt votre proposition mais j’ai

d’autres espérances.

TRULOVE

Votre aversion à vous fixer

M’inquiète.

TOM

Soyez

Sûr que votre fille n’épousera pas un homme pauvre.

TRULOVE

Qu’il soit honnête et il peut être pauvre si elle le désire,

mais elle n’épousera jamais un paresseux.

(II rentre dans la maison.)

TOM

Vieil imbécile !

Récitatif & aria

TOM

Me voici, saint de corps, point vilain, l’esprit vif, le cœur

léger. Moi, jouer à l’employé modèle grattant un registre ?

Moi, peiner sous le joug ? Moi, passer une vie entière

comme un esclave à enrichir autrui, puis être jeté comme

os rongé ? pas moi ! N’avons-nous pas reçu de graves

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ACTE I SCÈNE 1

Page 22: Texte Rake s Progress

grave doctors assured us that good works are of no avail

for Heaven predestines all? In my fashion I may profess

myself of their party, and herewith entrust myself to

Fortune.

Aria

Since it is not by merit

We rise or we fall,

But the favour of Fortune

That governs us all, that governs us all,

Why should I labour

For what in the end

She will give me for nothing

If she be my friend?

While if she be not, why,

The wealth I might gain

For a time by my toil would

At last be in vain, would at last be in vain.

Till I die, then of fever

Or by lightning am struck,

Let me live by my wits

And trust to my luck, and trust to my luck.

My life lies before me,

The world is so wide:

Come, wishes, be horses;

This beggar shall ride, this beggar shall ride.

Tom walks around.

TOM

I wish I had money.

Recitative

Nick appears immediately at the garden gate.

NICK

Tom Rakewell?

TOM (startled, turning around)

I...

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

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Page 23: Texte Rake s Progress

docteurs l’assurance que les bonnes œuvres ne servent de

rien, puisque le ciel nous prédestine tous ? A ma façon, je

professe ce qu’ils enseignent, et, séance tenante, me voue

à la Fortune.

Air

Puisque ce n’est pas le mérite

Qui nous fait monter ou descendre,

Mais le caprice de la Fortune

Qui nous gouverne tous, tous

Pourquoi peinerais-je

Pour quelque chose qu’en fin de compte

Elle m’accordera pour rien

Si elle m’a de l’amitié ?

Et si elle ne m’en a pas, alors,

Tout le bien qu’il m’arriverait

De m’acquérir par mon labeur me serait

Finalement vain, finalement vain.

Jusqu’à ce que la fièvre m’emporte

Ou que la foudre me frappe,

Que je vive donc de mon industrie,

Me fiant à ma chance, me fiant à ma chance.

La vie s’étend devant moi,

Le monde est si grand :

Venez, désirs, soyez les destriers

Qu’enfourchera ce gueux, qu’enfourchera ce gueux.

Tom marche de long en large.

TOM (parlé)

Je voudrais être riche.

Récitatif

Nick apparaît brusquement à la porte du jardin.

NICK

Tom Rakewell ?

TOM (saisi, se retournant)

Je...

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ACTE I SCÈNE 1

Page 24: Texte Rake s Progress

NICK

I seek Tom Rakewell with a message. Is this his house?

TOM

No, not his house, but you have found him straying in his

thoughts and footsteps. In short...

NICK

You are he?

TOM (laughing)

Yes, surely. Tom Rakewell at your service.

NICK

Well, well.

(Bows.) Nick Shadow, sir, and at your service. For, surely

as you bear your name, I bear you a bright future. Yo u

recall an uncle, sir?

TOM

An uncle? My parents never mentioned one.

NICK

They quarrelled, I believe, sir. Yet he...

Sir, have you friends?

TOM

More than a friend. The daughter of this house and ruler

of my heart.

NICK

A lover’s fancy and a lovely thought. Then call her, call

her. Indeed, let all who will, make their joy here of your

glad tidings.

Tom rushes into the house. Nick reaches over the garden

gate, unlatches it, enters the garden and walks forward.

Tom reenters from the house with Anne and Trulove.

NICK (bows)

Fair lady, gracious gentlemen, a servant begs your pardon

for your time, but there is much to tell. Tom Rakewell had

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

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Page 25: Texte Rake s Progress

NICK

J’ai un message pour Tom Ra kewell. Est-ce là sa demeure ?

TOM

Sa demeure, non, mais lui, vous l’avez trouvé, vaguant et

musant en ce lieu. Bref...

NICK

Est-ce vous ?

TOM (riant)

Certes oui. Tom Rakewell, à votre service.

NICK

Eh bien, eh bien.

(Il s’incline.) Et moi au vôtre, monsieur, Nick Shadow. Car

aussi sûr que vous portez votre nom, je vous apporte un

bel avenir. Vous souvenez-vous d’un oncle, monsieur ?

TOM

Un oncle ? Mes parents ne m’en ont jamais parlé.

NICK

Ils étaient en froid, je crois, monsieur. Pourtant, il...

Monsieur, avez-vous des amis ?

TOM

Mieux. La fille de cette maison, la reine de mon cœur.

NICK

Pensée charmante, pensée d’amant. Alors, allez vite l’ap-

peler. Que tous ceux qui le veulent s’associent au bonheur

qui vous arrive aujourd’hui.

Tom se précipite dans la maison. Nick se penche par-dessus

la barrière, soulève le loquet et entre dans le jardin.

Tom revient avec Anne et Trulove.

NICK (s’inclinant)

Belle dame, aimables seigneurs, pardonnez à un valet de

prendre votre temps, mais il a beaucoup à dire. To m

29

ACTE I SCÈNE 1

Page 26: Texte Rake s Progress

an uncle, one long parted from his native land. Him I ser-

ved many years. Served him in the many trades he served

in turn; and all to his profit. Yes, profit was perpetually

his. It was, indeed, his family, his friend, his hour of amu-

sement, his life. But all his brilliant progeny of gold could

not caress him when he lay dying. Sick for his home, sick

for a memory of pleasure or of love, his thoughts were but

of England. There, at least, he felt, his profit could be

pleasure to an eager youth; for such, by counting years

upon his fumbling fingers, he knew that you must be,

good sir. Well, he is dead. And I am here with this com-

mission: to tell Tom Rakewell that an unloved and forgot-

ten uncle loved and remembered. You are a rich man.

Quartet

TOM

I wished but once,

I knew

That surely my wish would come true,

That I

Had but to speak at last

And Fate would smile when Fortune cast

The die.

I knew, I knew!

(To Nick)

Yet you, who bring

The fateful end of questioning

Here by

A new and grateful master’s side

Be thanked, and as my Fortune and my guide,

Remain, confirm...

NICK

Be thanked, for masterless...

TOM

... Deny

NICK

... Should I

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

30

Page 27: Texte Rake s Progress

Ra kewell avait un oncle, depuis longtemps loin de sa

terre natale. Je le servis de longues années, dans les nom-

breux négoces qu’il tint tour à tour toujours avec profit.

Oui, le profit le poursuivit toujours. C’etait sa distraction,

sa vie, son ami, sa famille. Mais toute cette brillante pos-

térité dorée ne put l’embrasser à son heure dernière.

Languissant pour son pays, le souvenir d’une heure de

plaisir ou d’amour, il ne songeait qu’à l’Angleterre. Là, au

moins, sentait-il, sa fortune ferait le bonheur d’un fou-

gueux jeune homme ; car tel, comptant les ans sur ses

doigts tremblants, vous savait-il être, mon bon monsieur.

Eh bien, il est mort. Et me voici avec ce message : dire à

Tom Rakewell qu’un oncle, point aimé, oublié, l’aima et

ne l’oublia pas. Vous êtes riche.

Quatuor

TOM

Je ne fis qu’un vœu, une fois,

Mais je savais

Qu’il se réaliserait,

Que moi,

Je n’avais qu’à parler

Et le sort sourirait quand la Fortune

Jetterait le dé.

Je le savais, je le savais !

(A Nick)

Mais à toi, qui apportes

Le terme prévu de la quête

Auprès

D’un maître nouveau et reconnaissant,

Merci, et comme ma Fortune et mon mentor,

Reste avec moi. acceptes-tu...

NICK

Merci, car si sans maître...

TOM

... Refuses-tu

NICK

... Je devais rester...

31

ACTE I SCÈNE 1

Page 28: Texte Rake s Progress

Abide

Too long, I soon...

TOM

Be thanked, be thanked,

NICK

...Would die.

ANNE

Be thanked, O God, for him, and may a bride

Soon to his vows reply.

Be thanked.

TOM

... be thanked, be thanked, be thanked,

Be thanked,

NICK

Be thanked, be thanked, be thanked,

Be thanked,

TRULOVE

Be thanked, O God, and curb in him all pride,

That Anne may never sigh.

Be thanked.

Tom puts one arm around Anne and gestures outwards

with the other.

TOM

My Anne, behold, for doubt has fled our view,

The skies are clear and every path is true.

ANNE

The joyous fount I see that brings increase

To fields of promise and the groves of peace.

TOM

O clement love,

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

32

Page 29: Texte Rake s Progress

Rester

Trop longtemps, j’aurais tôt fait...

TOM

Merci, merci,

NICK

... De mourir.

ANNE

Merci, mon Dieu, et qu’une épouse

Puisse bientôt répondre à ses vœux.

Merci.

TOM

... Merci, merci, merci,

Merci.

NICK

Merci, merci, merci

Merci.

TRULOVE

Merci, mon Dieu, et refrène en lui toute gloire,

Que jamais Anne n’ait lieu d’en pleurer.

Merci.

Tom entoure Anne de son bras et de l’autre,

fait un grand geste montrant le paysage.

TOM

Ma chère Anne, vois, le doute a fui,

Les cieux sont clairs, tout sentier est le bon.

ANNE

Je vois la fontaine qui abreuve, rieuse,

Les champs fertiles et les bosquets paisibles.

TOM

Ô doux amour,

33

ACTE I SCÈNE 1

Page 30: Texte Rake s Progress

TOM AND ANNE

O clement love,

O clement love.

TRULOVE

My children, may God bless you

Even as a

Father.

NICK

Sir,

May Nick address you

A moment in your bliss?

Even in carefree May

A thriving fortune has its roots of care:

Attorneys crouched like gardeners to pay,

Bowers of paper only seals repair;

We must be off to London.

TOM

They can wait.

TRULOVE

No, Tom, your man is right,

Things must be done.

The sooner that you settle your estate,

The sooner you and Anne can be as

One.

ANNE

Father

Is right, dear

Tom.

NICK

A coach in wait

Is down the road.

TOM

Well then, if Fortune sow

A crop that wax and pen must cultivate,

Let’s fly to husbandry, and make it grow, and make it grow.

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

34

Page 31: Texte Rake s Progress

TOM & ANNE

Ô doux amour,

Ô doux amour.

TRULOVE

Mes enfants, que Dieu vous bénisse

Comme le fait un

Père.

NICK

Monsieur

Nick peut-il troubler votre félicité

Par un moment d’entretien ?

Même dans mai l’insouciant,

Une fortune prospère s’enracine dans le soin.

Des fondés de pouvoir tapis comme jardiniers à gages,

Des tonnelles de papier attendent votre cachet ;

Il faut gagner Londres.

TOM

Ils attendront.

TRULOVE

Non, Tom, ton valet a raison,

Il faut faire les choses.

Le plus tôt tu régleras ta succession,

Le plus vite vous serez unis, Anne

Et toi.

ANNE

Mon père

A raison, cher

Tom.

NICK

Un carrosse attend

Au bas du chemin.

TOM

Eh bien donc, si la fortune sème

Une moisson que cultivent cire et plume,

Courons au champ et faisons-la lever, faisons-la lever.

35

ACTE I SCÈNE 1

Page 32: Texte Rake s Progress

Recitative

NICK

I’ll call the coachman, sir.

TRULOVE

Should you not mind, I’ll tell you of his needs.

NICK

Sir, you are kind.

Trulove and Nick exeunt by garden gate.

Duettino

ANNE

Farewell, farewell, farewell for now, my heart, my heart

Is with you when you go,

However you may fare.

TOM

Wherever, when apart,

I may be, I shall know

That you are with me there.

ANNE

Farewell, farewell!

Trulove and Nick reenter by garden gate.

Recitative

NICK

All is ready, sir.

TOM

Tell me, good Shadow, since, born and bred in indigence I

am unacquainted with such matters, what wages you are

accustomed to receive.

NICK

Let us not speak of that, master, till you know better what

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

36

Page 33: Texte Rake s Progress

Récitatif

NICK

J’appelle le cocher, monsieur.

TRULOVE

Ne vous déplaise,

J’aimerais vous toucher un mot de ses besoins.

NICK

Vous êtes bon, monsieur.

Trulove et Nick sortent ensemble par la porte du jardin.

Duettino

ANNE

Adieu, adieu, adieu pour l’heure, mon cœur, mon cœur

Est avec vous, en partant,

Quoi qu’il vous arrive.

TOM

Une fois au loin, en quelque lieu

Que je me trouve, je saurais

Que vous y êtes avec moi.

ANNE

Adieu, adieu !

Trulove et Nick reviennent par la porte du jardin.

Récitatif

NICK

Tout est prêt, monsieur.

TOM

D i s-moi, mon ami, puisque né et grandi dans la pauvreté,

j’ignore ces questions, quels gages as-tu coutume de toucher ?

NICK

Ne parlons pas de cela, maître, jusqu’à ce que vous

37

ACTE I SCÈNE 1

Page 34: Texte Rake s Progress

my services are worth. A year and a day hence we will

settle our account, and then, I promise you, you shall pay

me no more and no less than what you yourself acknow-

ledge to be just.

TOM

A fair offer. ‘Tis agreed.

Arioso and terzettino

Dear Father Trulove, the very moment my affairs are settled,

I shall send for you and my dearest Anne.

And when she arrives, all London shall be at her feet,

For all London shall be mine, and what is mine must of

needs at least adore

What I must with all my being worship.

Tom and Trulove shake hands affectionately.

Anne brings her hand quickly to her eyes and turns

her head away. Tom steps forward.

TOM (aside)

Laughter and light, and all charms that endear,

All that dazzles or dins,

Wisdom and wit shall adorn the career

Of him who can play and who

Wins...

ANNE (aside)

Heart,

You are happy, yet why, why should a tear

Dim our joyous designs?

TOM

... Who can play and who wins,

Who can play and who wins...

TRULOVE (aside)

Fortune so swift and so easy, I fear,

May only encourage his sins,

May only encourage his sins,

Fortune so swift and so easy, I fear,

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

38

Page 35: Texte Rake s Progress

sachiez mieux ce que valent mes services. Dans un an et

un jour nous réglerons nos comptes, et alors je vous pro-

mets, vous me paierez ni plus ni moins que ce que vous-

même reconnaîtrez être juste.

TOM

La proposition est honnête. Elle est acceptée.

Arioso & terzettino

Cher père, dès que mes affaires seront réglées,

Je vous ferai mander, vous et ma chère Anne.

Et quand elle viendra, tout Londres sera à ses pieds,

Car tout Londres sera mien, et ce qui est mien doit forcé-

ment tout au moins adorer

Ce que moi de tout mon être je vénère.

Tom et Trulove se serrent affectueusement la main.

Anne porte vivement sa main à ses yeux et détourne la tête.

Tom fait un pas en avant.

TOM (à part)

Rire et lumière et tout ce qui plaît,

Tout ce qui éblouit, assourdit,

Sagesse et esprit orneront la carrière

De celui qui sait jouer et

Gagne...

ANNE (à part)

Mon cœur,

Tu es heureux. Pourquoi donc une larme

Vient-elle voiler nos heureux desseins ?

TOM

... Qui sait jouer et gagne,

Qui sait jouer et gagne...

TRULOVE (à part)

Fortune si prompte et si facile, je le crains,

Ne peut que flatter ses défauts,

Ne peut que flatter ses défauts,

Fortune si prompte et si facile, je le crains,

39

ACTE I SCÈNE 1

Page 36: Texte Rake s Progress

May only encourage his sins,

May only encourage his sins.

TOM

... Who can play and who wins

And who wins, who can play

And who wins, and who wins.

ANNE (aside)

Why, why, why should a tear

Dim our joyous design?

Why, why, why should a tear

Dim our joyous design?

TRULOVE

Be well, be well advised.

ANNE

Be always near.

Anne, Tom and Trulove move towards the garden gate.

Nick holds it open for them and they pass through.

ANNE AND TRULOVE

Farewell, farewell!

NICK (turning to audience)

The PROGRESS OF A RAKE begins.

SCENE 2

Mother Goose’s Brothel, London.

At a table, downstage right sit Tom, Nick and Mother Goose,

drinking. Backstage left a Cuckoo Clock.

Whores, Roaring Boys.

Chorus

ROARING BOYS

With air commanding and weapon handy

We rove in a band through the streets at night,

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

40

Page 37: Texte Rake s Progress

Ne peut que flatter ses défauts,

Ne peut que flatter ses défauts.

TOM

... Qui sait jouer et gagne,

Et gagne, qui sait jouer

Et gagne, et gagne.

ANNE (à part)

Pourquoi, pourquoi, pourquoi une larme,

Vient-elle voiler nos heureux desseins ?

Pourquoi, pourquoi, pourquoi une larme,

Vient-elle voiler nos heureux desseins ?

TRULOVE

Soyez bien conseillé.

ANNE

Soyez toujours près.

Anne, Tom et Trulove se dirigent vers la porte du jardin.

Nick l’ouvre pour les laisser passer.

ANNE & TRULOVE

Adieu, adieu !

NICK (au public)

La CARRIÈRE D’UN LIBERTIN commence !

SCÈNE 2

Le bordel de Mère Goose, Londres.

Tom est attablé à l’avant-scène à droite. Nick et Mère Goose,

en train de boire. Au fond de la scène, un coucou.

Prostituées, mauvais garçons.

Chœur

MAUVAIS GARÇONS

Le ton haut et l’arme prête,

Nous courons les rues en bande la nuit,

41

ACTE I SCÈNE 2

Page 38: Texte Rake s Progress

Our only notion to make commotion

And find occasion to provoke a fight, to provoke a fight.

WHORES

In triumph glorious with trophies curious

We return victorious from Love’s campaigns;

No troops more practised in Cupid’s tactics

By feint and ambush the day to gain.

ROARING BOYS

For what is sweeter to human nature

Than to quarrel over nothing at all,

To hear the crashing of furniture smashing

Or heads being bashed in a tavern brawl, in a tavern

brawl?

WHORES

With darting glances and bold advances

We open fire upon young and old;

Surprised by rapture, their hearts are captured,

And into our laps they pour their gold.

TUTTI

A toast to our commanders then

From their Irregulars;

A toast, ladies and gentlemen:

To VENUS and to MARS!

Recitative and Scene

NICK

Come, Tom, I would fain have our hostess, good Mother

Goose, learn how faithfully I have discharged my duties

as a godfather in preparing you for the delights to which

your newly-found state of manhood is about to call you. So

tell my Lady Bishop of the game

What I did vow and promise in thy name.

TOM

One aim in all things to pursue: my duty to myself to do.

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

42

Page 39: Texte Rake s Progress

N’ayant en tête qu’amener le trouble

Et provoquer une bagarre.

PROSTITUÉES

Des campagnes de l’amour, nous revenons victorieuses

Portant en triomphe nos trophées ; point

De troupes plus exercées dans les tactiques de Cupidon

A remporter l’avantage par la feinte et l’embûche.

MAUVAIS GARÇONS

Qu’est-il de plus doux à la nature humaine

Que de se quereller à propos de rien,

D’entendre le fracas des meubles défoncés

Et des têtes brisées dans une rixe de taverne ?

PROSTITUÉES

L’œil en coin et l’invite audacieuse,

Nous ouvrons le feu sur le jeune et le vieux ;

Surpris et ravis, leur cœur tombe captif,

Et leur or croule sur nos genoux.

TOUS

Nous, les troupes irrégulières,

Portons donc, mesdames et messieurs,

Un toast à nos commandants,

VÉNUS et MARS !

Récitatif & scène

NICK

Venez, Tom, je désire beaucoup que notre bonne hôtesse,

Mère Goose, apprenne avec quelle fidélité je vous ai servi

de parrain en vous préparant aux joies auxquelles vous

appelle désormais votre condition d’homme nouvellement

trouvée. Dites donc à la Folle du jeu ce que j’ai juré et

promis en ton nom.

TOM

Un seul but à poursuivre en tout : faire mon devoir envers

moi-même.

43

ACTE I SCÈNE 2

Page 40: Texte Rake s Progress

NICK (to Mother Goose)

Is he not apt?

MOTHER GOOSE

And handsome too.

NICK (to Tom)

What is thy duty to thyself?

TOM

To shut my ears to prude and preacher

And follow Nature as my teacher.

MOTHER GOOSE

What is the secret Nature knows?

TOM

What Beauty is and where it grows.

NICK

Canst thou define the Beautiful?

TOM

I can.

That source of pleasure to the eyes

Youth owns, wit snatches, money buys,

Envy affects to scorn, but lies:

One fatal flaw it has. It dies.

NICK

Exact, my scholar!

MOTHER GOOSE

What is Pleasure then?

TOM

The idol of all dreams, the same

Whatever shape it wear or name;

Whom flirts imagine as a hat,

Old maids believe to be a cat.

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

44

Page 41: Texte Rake s Progress

NICK (à Mère Goose)

N’est-il pas doué ?

MÈRE GOOSE

Et bien fait aussi.

NICK (à Tom)

Quel est ton devoir envers toi-même ?

TOM

Sourd à prude et à prêcheur,

Suivre Nature mon directeur.

MÈRE GOOSE

Quel est le secret que sait Nature ?

TOM

Qu’est-ce que Beauté et où elle croît.

NICK

Peux-tu définir le Beau ?

TOM

Je le peux.

Cette source de plaisir aux yeux

Que jeunesse a, industrie happe et argent paie,

Envie dit mépriser mais ment ;

Un seul fatal défaut : il meurt.

NICK

Bien répondu, mon savant maître !

MÈRE GOOSE

Qu’est-ce que Plaisir alors ?

TOM

L’idole de tous rêves, le même

Quelque soit nom ou forme qu’il porte,

Que jeunesses voient comme un bonnet

Et vieilles comme un minet.

45

ACTE I SCÈNE 2

Page 42: Texte Rake s Progress

MOTHER GOOSE

Bravo!

NICK

One final question. Love is...

TOM (aside)

Love, Love!

That precious word is like a fiery coal,

It burns my lips, strikes terror to my soul.

NICK

No answer? Will my scholar fail me?

TOM (violently)

No, no more.

NICK

Well, well.

MOTHER GOOSE

More wine, love?

TOM

Let me go.

NICK

Are you afraid?

As the Cuckoo Clock coos one, Tom rises.

TOM

Before it is too late.

NICK

Wait.

(Nick makes a sign and the clock turns backward

and coos twelve.)

See. Time is yours. The hours obey your pleasure.

Fear not. Enjoy. You may repent at leisure.

Tom sits down again and drinks wildly.

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

46

Page 43: Texte Rake s Progress

MÈRE GOOSE

Bravo !

NICK

Une dernière question. Amour est...

TOM (à part)

Amour, amour !

Mot précieux comme un charbon ardent

Qui me brûle les lèvres, terrifie mon âme.

NICK

Pas de réponse ? Mon savant me fait-il capot ?

TOM (violemment)

Non, c’est tout.

NICK

Eh bien, eh bien.

MÈRE GOOSE

Encore du vin, chéri ?

TOM

Je veux partir.

NICK

Avez-vous peur ?

Le coucou sonne un coup, Tom se lève.

TOM

Avant qu’il ne soit trop tard.

NICK

Attendez.

(Nick fait un signe : l’aiguille revient en arrière

et sonne douze coups.)

Voyez. Le temps est vôtre. Les heures vous obéissent.

Ne craignez point. Jouissez. Assez tôt vous pleurerez.

Tom se rassied et boit goulûment.

47

ACTE I SCÈNE 2

Page 44: Texte Rake s Progress

Chorus

Roaring Boys and Whores

Soon dawn will glitter outside the shutter

And small birds twitter.

But what of that?

So long as we’re able and wine’s on the table

Who cares what the troubling day is at?

While food has flavour and limbs are shapely,

And hearts beat bravely to fiddle or drum,

Our proper employment is reckless enjoyment,

For too soon the noiseless night will come.

NICK (rising to address the company)

Sisters of Venus...

Recitative

NICK

... Brothers of Mars, Fellow-worshippers in the Temple of

Delight, it is my privilege to present to you a stranger to

our rites who, following our custom, begs leave to sing you

a song in earnest of his desire to be initiated. As you see,

he is young; as you shall discover, he is rich. My master,

and, if he will pardon the liberty, my friend, Mister Tom

Rakewell.

Cavatine

Tom comes forward to sing.

TOM

Love, too frequently betrayed

For some plausible desire

Or the world’s enchanted fire,

Still thy traitor in his sleep

Renews the vow he did not keep,

Weeping, weeping,

He kneels before thy wounded shade.

Love, my sorrow and my shame,

Though thou daily be forgot,

Goddess, O forget me not.

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

48

Page 45: Texte Rake s Progress

Chœur

PROSTITUÉES & MAUVAIS GARÇONS

Bientôt l’aube luira à travers le volet

Et les oiseaux pépieront.

Mais qu’importe ?

Aussi longtemps que nous sommes dispos, le vin sur la table,

Qui se soucie de ce que l’inquiétant jour apporte ?

Tant qu’un mets a du goût, une jambe du galbe,

Qu’un cœur bat fièrement au violon ou au tambour,

Notre tâche à nous est de s’amuser sans frein,

Car trop vite vient la nuit silencieuse.

NICK (se levant pour s’adresser à la compagnie)

Sœurs de Vénus...

Récitatif

... Frères de Mars, adorateurs comme moi au temple des

délices, j’ai l’honneur de vous présenter un étranger à nos

rites qui, selon la coutume, vous prie de lui laisser chan-

ter une chanson, gage de son sérieux à être initié. Vo u s

voyez qu’il est jeune, vous découvrirez qu’il est riche.

Mon maître, et, s’il m’en pardonne la liberté, mon ami,

monsieur Tom Rakewell.

Cavatine

Tom s’avance pour chanter.

TOM

Amour, trop souvent trahi

Pour quelque plausible désir

Ou pour le feu enchanté du monde,

Celui qui t’a trahi en son sommeil

Te renouvelle le vœu qu’il ne tint pas,

En pleurs, en pleurs,

Il s’agenouille devant ton ombre blessée.

Amour, mon chagrin et ma honte,

Journellement oublié,

Divine tendresse, ne m’oublie pas

49

ACTE I SCÈNE 2

Page 46: Texte Rake s Progress

Lest I perish,

O be nigh, o be nigh

In my darkest hour that I,

Dying, dying,

May call upon thy sacred name.

Chorus

WHORES

How sad a song.

But sadness charms.

How handsomely he cries.

Come, drown your sorrows in these arms.

Forget it in these eyes.

Upon these lips.

MOTHER GOOSE (pushing them aside and taking Tom’s hand.)

Away! Tonight I exercise my elder right

And claim him for my prize.

The Chorus form a lane with the men one side

and the women on the other, as in a children’s game.

Mother Goose and Tom walk slowly between them

to a door backstage. Nick stands down watching.

WHORES AND ROARING BOYS

The sun is bright, the grass is green.

Lanterloo, lanterloo!

The King is courting his young Queen.

Lanterloo, lanterloo, lanterloo, my lady.

ROARING BOYS

They go a-walking. What do they see?

WHORES

An almanack in a walnut tree.

They go a-riding. Whom do they meet?

ROARING BOYS

Three scarecrows and a pair of feet.

What will she do when they sit at table?

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

50

Page 47: Texte Rake s Progress

De peur que je ne dépérisse,

Sois toujours près, toujours près

A mon heure la plus noire, que je puisse,

Quand je meurs, je meurs

Invoquer ton saint nom.

Chœur

PROSTITUÉES

Quelle triste chanson.

Mais la tristesse charme.

Comme il pleure bien !

Viens noyer tes chagrins dans nos bras,

Les oublier dans nos yeux,

Sur nos lèvres.

MÈRE GOOSE (les écartant et prenant la main de Tom)

Ecartez-vous ! Ce soir j’exerce mon droit doyen

Et le revendique pour moi.

Le chœur forme une haie, hommes d’un côté,

femmes de l’autre comme dans un jeu d’enfant.

Lentement. Mère Goose et Tom passent lentement entre eux,

se dirigeant vers une porte au fond. Nick regarde.

PROSTITUÉES & MAUVAIS GARÇONS

Le soleil brille, l’herbe verdoie.

Lanterlou, lanterlou !

Le roi courtise sa jeune reine.

Lanterlou, lanterlou, lanterlou madame.

MAUVAIS GARÇONS

Ils vont se promener. Qu’est-ce qu’ils voient ?

PROSTITUÉES

Un almanach dans un noyer.

Ils montent à cheval. Qu’est-ce qu’ils rencontrent ?

MAUVAIS GARÇONS

Trois épouvantails et deux pieds.

Qu’est-ce qu’elle fera quand ils seront à table ?

51

ACTE I SCÈNE 2

Page 48: Texte Rake s Progress

WHORES

Eat as much as she is able.

What will he do when they lie in bed?

Lanterloo, lanterloo!

ROARING BOYS

Draw his sword and chop off her head.

WHORES

Lanterloo...

ALL

Lanterloo, lanterloo, my lady.

NICK (raising his glass)

Sweet dreams, my master.

WHORES AND ROARING BOYS

Lanterloo, lanterloo.

NICK

Dreams may lie,

But dream.

For when you wake, you die.

SCENE 3

Same as Scene 1. Autumn night, full moon.

Anne enters from house in travelling clothes.

Recitative and aria

ANNE

No word from Tom.

Has love no voice, can love not keep

A Maytime vow in cities?

Fades it as the rose,

Cut for a rich display? Forgot! But no, to weep

Is not enough. He needs my help.

Love hears, Love knows,

Love answers him across the silent miles and goes.

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

52

Page 49: Texte Rake s Progress

PROSTITUÉES

Manger autant qu’elle le pourra.

Qu’est-ce qu’il fera quand ils seront au lit ?

Lanterlou, lanterlou !

MAUVAIS GARÇONS

Tirer son épée et lui couper la fleur.

PROSTITUÉES

Lanterlou...

TOUS

Lanterlou, lanterlou madame.

NICK (levant son verre)

Doux songes, mon maître.

PROSTITUÉES & MAUVAIS GARÇONS

Lanterlou, lanterlou.

NICK

Songes, mensonges,

Mais songes.

Car une fois éveillé, vous mourez.

SCÈNE 3

Même décor qu’à la scène 1. Nuit d’automne, pleine lune.

Anne sort de la maison en habits de voyage.

Récitatif & air

ANNE

Pas un mot de Tom.

L’amour est-il sans voix ? Ne peut-il garder

Un serment de mai dans les villes ?

Il se fane comme la rose

Coupée pour une belle gerbe ? Oubliée ! Mais non, pleurer

Ne suffit pas. Il a besoin de moi.

L’amour entend, l’amour sait,

L’amour lui répond à travers les lieues silencieuses, et part.

53

ACTE I SCÈNE 3

Page 50: Texte Rake s Progress

Aria

Quietly, night,

O find him and caress,

And may thou quiet find

His heart, although it be unkind,

Nor may its beat confess,

Although I weep, although I weep, although I weep

It knows, it knows of loneliness.

Guide me,

O moon, chastely when I depart,

And warmly be the same

He watches without grief or shame;

It cannot, cannot be thou art

A colder moon, a colder moon upon a colder heart.

TRULOVE (calling from the house)

Anne, Anne.

Recitative

ANNE

My father! Can I desert him and his devotion

For a love who has deserted me?

(Starts walking back to the house.

Then she stops suddenly.)

No, my Father has strength of purpose, while Tom is weak,

And needs the comfort of a helping hand.

(She kneels.)

O God, protect dear Tom, support my father,

And strengthen my resolve.

(She bows her head, then rises and comes forward

with great decision.)

CabalettaI go, I go to him.

Love cannot falter,

Cannot desert;

Though it be shunned.

Or be forgotten,

Though it be hurt,

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

54

Page 51: Texte Rake s Progress

Air

Doucement, nuit,

Trouve-le et le caresse,

Et puisses-tu trouver en paix

Son cœur, même oublieux,

Même si son battement a cessé de confesser –

J’en pleure, j’en pleure, j’en pleure –

Qu’il se sent, qu’il se sent seul.

Guide-moi,

Ô lune, chastement à l’heure où je pars,

Et garde la même douce chaleur

Que sans chagrin ni honte il accueille.

Il ne se peut pas que tu luises

Froide, froide sur un cœur froid.

TRULOVE (appelant de la maison.)

Anne, Anne !

Récitatif

ANNE

Mon père ! Puis-je l’abandonner, lui et sa tendresse,

Pour un amour qui m’a abandonnée ?

(Elle commence à revenir sur ses pas,

puis soudain s’arrête.)

Non, mon père a l’âme forte et Tom est faible,

Il a besoin du réconfort d’une main secourable.

(Elle s’agenouille.)

Ô Dieu, protégez Tom, soutenez mon père,

Fortifiez ma résolution.

(Elle incline la tête, puis se lève et s’avance

avec beaucoup de décision)

CabaletteJe vais à lui.

L’amour ne peut hésiter,

ne peut renoncer ;

Même dédaigné.

Même oublié,

Tout blessé qu’il soit,

55

ACTE I SCÈNE 3

Page 52: Texte Rake s Progress

If Love be love

It will not alter.

Though it be shunned,

Or be forgotten,

Though it be hurt,

If love be love

It will not alter,

If love be love, if love be love,

It will not alter, it will not alter, it will not alter.

O should

I see

My love in need

It shall not matter, it shall not matter

What he may be.

I go,

I go to him

Love cannot falter, cannot desert,

Cannot falter, cannot desert, cannot desert

Time cannot alter, cannot, cannot, cannot alter

A loving heart, an ever loving heart.

(She turns and starts toward the garden gate.)

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

56

Page 53: Texte Rake s Progress

Si l’amour est amour,

Il ne change pas.

Même dédaigné.

Même oublié,

Tout blessé qu’il soit,

Si l’amour est amour,

Il ne change pas,

Si l’amour est amour, si l’amour est amour,

Il ne change pas, il ne change pas.

Ô si

Je devais voir

Mon amour en peine,

Peu importe, peu importe

Comment il l’est.

Je vais,

Je vais à lui.

Le temps ne peut changer, ne peut changer

Ne peut changer, ne peut, ne peut changer

Un cœur aimant, un cœur à jamais aimant.

(Elle se tourne et se dirige vers la porte du jardin.)

57

ACTE I SCÈNE 3

Page 54: Texte Rake s Progress

ACT II

SCENE 1

The morning room of Tom’s house in a London square.

A bright morning sun pours in through the window,

also noises from the street. Tom is seated at the breakfast table.

At a particularly loud noise he rises, walks quickly

to the window and slams it shut.

Aria

TOM

Vary the song, O London, change!

Disband your notes and let them range,

And let them range, and let them range;

Let rumour scream, let folly purr,

Let tone desert the flatterer.

Let Harmony no more obey

The strident choristers of prey.

Yet all your music cannot fill

The gap that in my heart is still.

Recitative

O Nature green unnatural mother, how I have followed

where you led. Is it for this I left the country? No plough-

man is more a slave to sun, moon and season than a gent-

leman to the clock of fashion. City! City!

What Caesar could have imagined the curious viands I

have tasted? They choke me. And let Oporto and

58

Page 55: Texte Rake s Progress

ACTE II

SCÈNE 1

Petit salon dans la maison de Tom dans un square londonien.

Un clair soleil matinal inonde la pièce, ainsi que les bruits

venant de la rue. Tom est assis à la table du déjeuner.

A un bruit particulièrement fort, il se lève,

va vite à la fenêtre qu’il ferme.

Air

TOM

Change ta chanson, Londres, change !

Disperse tes notes et laisse-les aller,

Laisse-les aller, laisse-les aller ;

Que rumeur hurle, que folie ronronne,

Que la voix manque au flagorneur.

Que l’harmonie cesse d’obéir

Aux stridents chantres prédateurs.

Mais toute votre musique ne peut remplir

Le vide qui dans mon cœur demeure.

Récitatif

Ô Nature, verte mère dénaturée, comme j’ai suivi où tu

conduis ! Est-ce pour ceci que je quittai la campagne ?

Aucun laboureur n’est plus esclave du soleil, de la lune

et de la saison qu’un homme du monde de l’horloge de la

mode. Ville ! Ville ! Quel César eût pu songer aux

curieux mets que j’ai goûtés ? Ils m’étouffent. Et

59

Page 56: Texte Rake s Progress

Provence keep all their precious wines. I would as soon

be dry and wrinkled as a raisin as ever taste another.

Cards! Living pictures! And, dear God, the matrons with

their marriageable girls! Cover their charms a little, you

well-bred bawds, or your goods will catch their death of

the rheum long before they learn of the green sickness.

The others too, with their more candid charms. Pa h !

Who’s honest, chaste or kind? One, only one, and of her I

dare not think.

(He rises.)

Up, Nature, up, the hunt is on; thy pack is in full cry.

They smell the blood upon the bracing air. On, on, on,

through every street and mansion, for every candle in this

capital of light attends thy appetizing progress and burns

in honour at thy shrine.

Aria (reprise)

Always the quarry that I stalk

Fades or evades me, and I walk

An endless hall of chandeliers

In light that blinds, in light that sears

Reflected from a million smiles

All empty as the country miles

Of silly wood and senseless park;

And only in my heart the dark!

(He sits down.)

(Spoken)

I wish I were happy.

Enter Nick. He has a broadsheet in his hand.

Recitative

NICK

Master, are you alone?

TOM

And sick at heart. What is it?

NICK (handing Tom the broadsheet)

Do you know this lady?

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

60

Page 57: Texte Rake s Progress

qu’Oporto et la Provence gardent tous leurs vins précieux.

J’aimerais mieux être sec et ratatiné comme un raisin de

Corinthe que d’en goûter jamais un autre. Cartes !

Peintures vivantes ! Et, misère, les mères avec leurs filles

à marier ! Couvrez un peu leurs charmes, vous précieuses

entremetteuses, sinon vos marchandises attraperont la

mort de poitrine longtemps avant qu’elles ne tâtent de la

chlorose. Les autres aussi, avec leurs charmes plus

francs. Bah ! Qui est honnête, chaste ou bonne ? Une

seule, et je n’ose penser à elle.

(Il se lève.)

Debout, Nature, debout, la chasse est lancée ; ta meute

donne de la voix. Ils flairent le sang dans l’air vif. Taïaut,

taïaut, par toutes les rues et les demeures, car chaque

chandelle dans cette ville de lumière sert ta course allé-

chée et brûle en ton honneur à ton autel.

Air (reprise)

La proie que je traque toujours

S’éteint ou m’échappe, et je parcours

Une galerie sans fin de lustres,

Lumière qui aveugle, lumière qui brûle,

Réfléchie dans des myriades de sourires

Tous aussi vides que les milles de campagne

Aux bois sots et aux parcs stupides ;

Et dans mon cœur seulement le noir !

(Il s’assied.)

(Parlé)

Je voudrais être heureux.

Entre Nick. Il tient une feuille de gazette à la main.

Récitatif

NICK

Maître, êtes-vous seul ?

TOM

Et triste à en mourir. Qu’est-ce ?

NICK (lui tendant la gazette)

Connaissez-vous cette dame ?

61

ACTE II SCÈNE 1

Page 58: Texte Rake s Progress

TOM

Baba the Turk! I have not visited Saint Giles Fair as yet.

They say that brave warriors who never flinched at the

sound of musketry have swooned after a mere glimpse of

her. Is such a thing possible in Nature?

NICK

Two noted physicians have sworn that she is no imposter.

Would you go see her?

TOM

Nick, I know that manner of yours.

You have some scheme afoot. Come sir, out with it.

NICK

Consider her picture.

TOM

Would you see me turned to stone?

NICK

Do you desire her?

TOM

Like the gout or the falling sickness.

NICK

Are you obliged to her?

TOM

Heaven forbid.

NICK

Then marry her.

TOM

Have you taken leave of your senses?

NICK

I was never saner. Come, master, observe the host of man-

kind. How are they? Wretched. Why? Because they are

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

62

Page 59: Texte Rake s Progress

TOM

Baba la Turque ? Je ne suis pas encore allé à la Foire de

S a i n t -Gilles. Ils disent que d’intrépides guerriers qui

jamais ne bronchèrent au son des mousquets se sont pâmés

de l’avoir entrevue. Est-ce chose possible dans la Nature ?

NICK

Deux hommes de l’art réputés ont juré qu’elle ne fraude

pas. Consentiriez-vous à l’aller voir ?

TOM

Nick, je connais ta manière. Tu as quelque projet en l’air.

Allons, monsieur, expliquez-vous.

NICK

Voici son portrait.

TOM

Veux-tu me pétrifier ?

NICK

La désirez-vous ?

TOM

Comme la goutte ou le haut mal.

NICK

Lui êtes-vous obligé ?

TOM

Dieu m’en préserve.

NICK

Alors épousez-la.

TOM

As-tu perdu l’esprit ?

NICK

Jamais je ne fus plus sensé. Maître, considérez l’armée

des hommes. Comment sont-ils ? Misérables. Pourquoi ?

63

ACTE II SCÈNE 1

Page 60: Texte Rake s Progress

not free. Why? Because the giddy multitude are driven by

the unpredictable Must of their pleasures and the sober

few are bound by the inflexible Ought of their duty, bet-

ween which slaveries there is nothing to choose. Wo u l d

you be happy? Then learn to act freely. Would you act

freely? Then learn to ignore those twin tyrants of appetite

and conscience. Therefore I counsel you, Master – Ta ke

Baba the Turk to wife. Consider her picture once more,

and as you do so reflect upon my words.

Aria

In youth the panting slave pursues

The fair evasive dame;

Then, caught in colder fetters, woos

Wealth, Office or a name;

Till, old, dishonoured, sick, downcast

And failing in his wits,

In Virtue’s narrow cell at last

The withered bondsman sits.

That man, that man alone, that man alone his fate fulfils,

For he alone, for he alone is free

Who chooses what to will, and wills

His choice as destiny.

No eye his future can foretell,

No law his past explain

Whom neither Passion may compel,

Nor Reason can restrain.

(Spoken)

Well?

Tom looks up from the broadsheet. He and Nick look at

each other. Pause. Then suddenly Tom begins to laugh.

His laughter grows louder and louder. Nick joins in.

They shake hands. During the finale, Nick helps

Tom get dressed to go out.

Duet – Finale

TOM

My tale shall be told both by young and by old,

By young and by old, by young and by old.

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

64

Page 61: Texte Rake s Progress

Parce qu’ils ne sont pas libres. Pourquoi ? Parce que la

folle multitude est conduite par l’imprévisible « Il faut »

de ses plaisirs et que le sage petit nombre est tenu par

l ’ i n fl exible « On doit » de sa conscience : deux escla-

vages qui se valent. Voulez-vous être heureux ? Alors

apprenez à agir librement. Voulez-vous agir librement ?

Alors apprenez à ignorer ces deux tyrans jumeaux du

désir et du devoir. Donc, je vous conseille, maître, de

prendre pour femme Baba la Turque. Regardez une fois

encore son portrait, et, ce faisant, songez à mes paroles.

Air

Dans la jeunesse, l’esclave haletant poursuit

La belle sauvage ;

Puis, saisi dans des fers plus froids, courtise

Richesse, honneurs ou un nom ;

Jusqu’à ce que vieux, déshonoré, malade, abattu

Et ses facultés déclinant,

Dans l’étroite cellule de la vertu enfin,

Serf desséché, il est assis.

Cet homme seul accomplit son destin,

Car seul est libre, seul est libre

Qui élit ce qu’il veut, et veut

Ce qu’il élit en guise de destinée.

Nul œil ne peut prédire son avenir,

Nulle loi expliquer son passé,

Lui que la passion ne peut obliger

Ni la raison retenir.

(Parlé)

Eh bien ?

Tom lève les yeux de la feuille. Lui et Nick se regardent.

Un temps. Puis soudain Tom se met à rire. Il rit de plus

en plus fort. Nick se joint à lui. Ils se serrent la main.

Pendant le finale, Nick commence à aider Tom

à s’habiller pour sortir.

Duo – Finale

TOM

Mon histoire sera dite par jeunes et vieux,

Par jeunes et vieux par jeunes et vieux.

65

ACTE II SCÈNE 1

Page 62: Texte Rake s Progress

NICK

Come, master prepare

Your fate to dare.

TOM

A favourite narration

Throughout the nation

Remembered by all

In cottage and hall

With song and laughter

For ever after.

Nick

Perfumed, well-dressed

And looking your best,

A bachelor of fashion,

Eyes hinting passion,

Your carriage young

And upon your tongue

The gallant speeches

That Cupid teaches.

TOM

For tongues will not tire

Around the fire.

Or sitting at meat

NICK

With Shadow to guide

TOM

The tale to

Repeat...

NICK

Come,

Seek your

Bride...

TOM

Of the

Wooing and wedding...

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

66

Page 63: Texte Rake s Progress

NICK

Allons, maître, préparez-vous

A braver le sort.

TOM

Une histoire chérie

Par tout le pays,

Remémorée de tous

A la chaumière et au manoir

Avec rires et chansons

A tout jamais.

NICK

Bien vêtu, parfumé,

Tiré a quatre épingles,

Un élégant célibataire,

Yeux voilant leur flamme,

L’allure jeune,

Et sur les lèvres

Les mots galants

Qu’enseigne Cupidon.

TOM

Car les langues ne se lasseront pas

Autour de l’âtre

Ou de la table

NICK

Shadow comme guide

TOM

L’histoire à

Redire...

NICK

Venez

Quérir

Votre épouse...

TOM

De la

Cour et des noces...

67

ACTE II SCÈNE 1

Page 64: Texte Rake s Progress

NICK

Be up

TOM

Likewise the bedding

NICK

And doing

TOM

Of Baba the Turk

That masterwork

Whom Nature created

To be celebrated, to be celebrated.

For her features dire,

To Tom Rakewell Esquire.

NICK

Attend to your wooing,

On Baba the Turk

Your charms to work,

What deed could be as great

As with this gorgon to mate?

All the world shall admire

Tom Rakewell Esquire.

TOM

My heart, my heart beats faster.

Come, come Shadow.

NICK

Come, master, come, come master,

And do not falter, and do not falter.

TOM AND NICK

To Hymen’s Altar, to Hymen’s Altar.

Ye powers, inspire

Tom Rakewell Esquire.

(Exeunt.)

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

68

Page 65: Texte Rake s Progress

NICK

Debout...

TOM

De même la couche...

NICK

Marchez

TOM

De Baba la Turque,

Ce chef-d’œuvre

Créé par la Nature

Pour que l’on chante

Sa figure repoussante

Au sieur Tom Rakewell.

NICK

Allez courtiser,

Et sur Baba la Turque

Déployer vos charmes,

Quel exploit plus grand

Que de s’unir à cette Gorgone ?

Le monde entier admirera

Le sieur Tom Rakewell.

TOM

Mon cœur, mon cœur s’excite.

Viens, viens Shadow.

NICK

Venez, maître, venez, venez maître,

N’hésitez pas, n’hésitez pas.

TOM & NICK

A l’autel de l’Hymen, à l’autel de l’Hymen

Puissances, conduisez

Le sieur Tom Rakewell.

(Ils sortent.)

69

ACTE II SCÈNE 1

Page 66: Texte Rake s Progress

SCENE 2

Street in front of Tom’s house. London. Autumn. Dusk.

The entrance, stage centre, is led up to by a flight of

semi-circular steps. Servant’s entrance left. Tree right.

Enter Anne. She looks anxiously at the entrance for a moment,

walks slowly up the steps and hesitatingly lifts the knocker.

Then she glances to the left and, seeing a servant beginning

to come out of the servants’entrance, she hurries down to

the right and flattens herself against the wall under the tree,

her hand held against her breast, until he passes and exits

to the right. Then she steps forward.

Recitative and arioso

ANNE

How strange! Although the heart for love dare everything,

The hand draws back and finds no spring of courage.

London! Alone! seems all that it can say.

O heart, be stronger, that what this coward hand

Wishes beyond all bravery, the touch, the touch of his,

May bring its daring to a close, unneeded:

And love be all your bounty.

No step, no step in fear shall wander

Nor in weakness delay, nor in weakness delay.

Hear thou or not, merciful Heaven, ease thou or not my way;

A love that is sworn, sworn before Thee

Can plunder Hell, can plunder Hell of its prey,

Can plunder Hell of its prey.

No step, no step in fear shall wander nor in weakness delay.

As she turns again towards the entrance, a noise

from the right causes her to turn in that direction

and come forward, as a procession of servants carrying

wrapped, yet obviously strangely shaped packages,

starts crossing the stage from the right and exiting

into servants’entrance. While this is going on,

night begins to fall. As its close the stage is dark.

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

70

Page 67: Texte Rake s Progress

SCÈNE 2

Une rue en face de l’hôtel particulier de Tom à Londres.

Automne. Crépuscule. Au milieu de la scène,

un escalier en demi-cercle monte vers la porte d’entrée.

A gauche, entrée de service. A droite un arbre. Anne entre.

Elle regarde anxieusement la porte pendant un moment, gravit

lentement les marches et, hésitante, soulève le heurtoir.

Puis elle jette un coup d’œil à gauche et, voyant venir un

serviteur de l’entrée de service, redescend vite 1’escalier

à droite et s’aplatit sous l’arbre contre le mur, la main pressée

contre le cœur jusqu’à ce qu’il ait passé et disparu à droite.

Puis elle s’avance.

Récitatif & air

ANNE

Que c’est étrange ! Le cœur ose tout par amour,

Mais la main se retire et ne trouve aucun ressort de courage.

Seule à Londres ! C’est tout dire, semble-t-il.

Ô cœur, affermis-toi, que ce que cette lâche main désire

Au-delà de toute vaillance, le toucher de la sienne suffise

A lui faire mener ce qu’elle ose à bonne fin :

Et que l’amour seul soit ta récompense.

Pas un pas, pas un pas n’errera de crainte,

Ni ne traînera de faiblesse, ne traînera de faiblesse.

Aide-moi ou non, ciel miséricordieux,

Ouvre-moi ou non mon chemin ;

Un amour juré, juré devant Toi

Peut arracher à l’enfer, peut arracher à l’enfer sa proie.

Peut arracher à l’enfer sa proie.

Pas un pas, n’errera de crainte ni ne traînera de faiblesse.

Au moment où elle s’apprête à remonter vers l’entrée,

un bruit sur la droite la fait se tourner dans cette direction

et s’avancer, alors qu’un cortège de domestiques portant

des ballots aux formes bizarres traverse la scène et sort

par l’entrée de service. Pendant ce temps la nuit commence

à tomber. A la fin la scène est dans l’obscurité.

71

ACTE II SCÈNE 2

Page 68: Texte Rake s Progress

ANNE (watching as they go behind)

What can this mean?... A ball?... A journey?...

A dream?...

How evil in the purple dark they seem... Loot from dead

fingers... Living mockery....

1 tremble. I tremble with no reason...

As the procession is completed, a sedan chair is carried in

from the left, preceded by two servants carrying torches.

Anne turns suddenly towards it.

ANNE (surprised)

Lights!

(The chair is set down before the steps.

Tom steps from it into the light.)

’Tis he!

Anne hurries to him, and he takes a few steps forward

to meet her and holds her gently away from himself.

Duet

TOM (confused and agitated)

Anne! here!

ANNE (with self-control)

And, Tom, such splendour.

TOM

Leave pretences, Anne, ask me, accuse me –

ANNE

Tom, no –

TOM

Denounce me to the world, and go, and go;

ANNE

Tom, no –

TOM

Return, return to your home, forget in your senses

What, senseless, you pursue.

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

72

Page 69: Texte Rake s Progress

ANNE (les regardant passer)

Que signifie ? Un bal ? Un voyage ? Un songe ?

Comme dans l’obscurité violette ils semblent méchants...

Butin pris à des doigts morts... Vivante risée...

Je tremble, je tremble sans raison...

Après que le cortège est passé, on amène de la gauche

une chaise à porteurs, précédée de deux serviteurs portant

des torches. Anne se tourne vivement dans sa direction.

ANNE (surprise)

Des lumières !

(La chaise est déposée au bas des marches.

Tom en sort, en pleine lumière.)

C’est lui !

Anne court vers lui. Tom fait quelques pas à sa rencontre,

mais il la tient doucement à distance.

Duo

TOM (troublé et agité)

Anne ! Ici !

ANNE (avec sang-froid)

Et, Tom, quelle magnificence !

TOM

Parlez sans détours, Anne, interrogez-moi, accusez-moi...

ANNE

Tom, non –

TOM

Dénoncez-moi au monde, et partez, partez ;

ANNE

Tom, non –

TOM

Retournez, retournez chez vous, oubliez dans votre raison

Ce que sans raison vous poursuivez.

73

ACTE II SCÈNE 2

Page 70: Texte Rake s Progress

ANNE (quietly)

Do you return?

TOM (violently)

I!

ANNE

Then how shall I go?

TOM

You must!

(aside)

O wilful powers.

Pummel to dust

And drive into the void, one thought, one thought return!

ANNE (aside)

Assist me, Heaven, since love I must

To calm his raging heart, his eyes that burn.

TOM (turning to Anne and adressing

her with a more measured tone)

Listen, listen to me, for I know London well!

Here Virtue is a day coquette,

For what night hides, it can forget,

And Virtue is, till gallants talk and tell.

O Anne, that is the air we breathe; go home, go home,

’Tis wisdom here to be afraid.

ANNE

How should I fear, who have your aid

And all my love, and all my love for you beside,

Dear Tom?

TOM (bitterly)

My aid? my aid?

London has done all, all that it can

With me.

Unworthy am I, less

Than weak.

Go back, go back.

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

74

Page 71: Texte Rake s Progress

ANNE (calmement)

Reviendrez-vous ?

TOM (violemment)

Moi !

ANNE

Alors comment m’en retournerai-je ?

TOM

Il le faut !

(à part)

Ô puissances acharnées, ...

Réduisez en poussière,

Renvoyez au néant cette seule pensée : revenir !

ANNE (à part)

Aide-moi, ô ciel, il faut que mon amour

Calme son cœur furieux, ses yeux qui brûlent.

TOM (se tournant vers Anne et lui parlant d’un ton plus mesuré)

Écoutez, écoutez-moi, car je connais bien Londres !

Ici, la vertu est de jour une coquette,

Car ce que la nuit cache, elle peut l’oublier et

Vertu elle demeure jusqu’à ce qu’un galant parle.

Ô Anne, tel est l’air que nous respirons. Retournez,

Il est sage ici de craindre.

ANNE

Comment craindrai-je, moi qui ai votre soutien

Et de plus tout mon amour pour vous, cher Tom ?

TOM (amèrement)

Mon soutien ? Mon soutien ?

Londres a fait tout, tout qu’il a pu faire

De moi.

Je suis indigne, moins encore

Que faible.

Retournez, retournez.

75

ACTE II SCÈNE 2

Page 72: Texte Rake s Progress

ANNE (simply)

Let worthiness,

So you still love, reside, reside in

That!

TOM (touched, stepping towards her with emotion)

O Anne!

Baba the Turk suddenly puts her head out through

the curtains of the sedan-chair window.

She is very elaborately coiffed, and her face is,

below the eyes, heavily veiled in the Eastern fashion.

Recitative

BABA (interrupting with vexation)

My love, am I to remain in here for ever? You know that I

am not in the habit of stepping from my sedan unaided.

Nor shall I wait, unmoved, much longer. finish, if you

please, whatever business is detaining you with this person.

She withdraws her head.

ANNE (surprised)

Tom, what?

TOM

My wife, Anne.

ANNE

Your wife!

(With slight bitterness)

I see, then, it is I who was unworthy.

She turns away. Tom again steps towards her,

then checks himself.

Trio

ANNE (aside)

Could it then, could it then have been

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

76

Page 73: Texte Rake s Progress

ANNE (simplement)

Que ta dignité

En ton amour réside

En ton amour !

TOM (touché, s’avance vers elle avec émotion)

Ô Anne !

Soudain Baba la Turque passe la tête entre les rideaux

de la chaise à porteurs. Elle porte une coiffure

très compliquée, et sous les yeux un voile épais

à la manière orientale.

Récitatif

BABA (interrompant avec humeur)

Chéri, dois-je rester ici à jamais ? Tu sais que je n’ai pas

coutume de sortir sans aide de ma chaise. Je n’attendrai

pas beaucoup plus longtemps sans bouger. Achève, je te

prie, l’affaire, quelle qu’elle soit, qui te retient auprès de

cette personne.

Elle rentre la tête.

ANNE (surprise)

Tom, qu’est-ce ?

TOM

Ma femme, Anne.

ANNE

Votre femme !

(Avec une dédaigneuse amertume)

Je vois donc que c’est moi qui étais indigne.

Elle se détourne. Tom s’avance de nouveau vers elle,

puis se reprend.

Trio

ANNE (à part)

Aurait-on pu

77

ACTE II SCÈNE 2

Page 74: Texte Rake s Progress

Known

TOM (aside)

It is

Done, it is

Done.

ANNE

When

Spring was love, and

Love took all our ken,

That I and I alone

Upon that forsworn ground,

Should see, should see, should see love dead?

TOM

I turn away, yet should I turn again,

The arbour would be gone,

And on the frozen ground

The birds lie dead.

BABA (poking her head out of the curtains for each remark)

Why this delay? Away!

(She sees Anne)

... Oh! Who is it, pray,

He prefers to his Baba on their wedding-day?

TOM

O bury, o bury the heart there

Deeper than it sound,

Upon its only bridal bed;

ANNE

O promise the heart to winter, swear it bound

To nothing live, and you shall wed;

BABA

A family friend? An ancient flame?

TOM

And should

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

78

Page 75: Texte Rake s Progress

Savoir ...

TOM (à part)

C’est

Fait, c’est

Fait.

ANNE

... Quand

Le printemps était amour, et

Que l’amour s’emparait tout de nous,

Que moi, et moi seule,

Sur cette terre répudiée

Verrais, verrais, verrais l’amour mort ?

TOM

Je m’en détourne, mais si je retournais,

Il n’y aurait plus de charmille

Et sur le sol gelé

Gisent les oiseaux morts.

BABA (passant sa tête à travers les rideaux à chaque remarque)

Pourquoi ce retard ? Allons !...

(Voyant Anne)

... Oh ! Qui est-ce, s’il vous plaît,

Qu’il préfère à sa Baba, le jour de leurs noces ?

TOM

Ah là enterre, enterre le cœur

Plus bas que son battement,

Sur sa seule couche nuptiale ;

ANNE

Ah, glace le cœur d’hiver, jure de ne l’attacher

A rien de vivant, et tu convoleras ;

BABA

Une amie de famille ? Une ancienne passion ?

TOM

Et si

79

ACTE II SCÈNE 2

Page 76: Texte Rake s Progress

It, dreaming, dreaming love, ask: when

Shall I awaken once again...

ANNE

But should you, should you vow to love, o then

See that you shall not feel again...

BABA

I’m quite perplexed...

And more, I confess, than a little vexed.

ANNE

O never, never, never, never,

TOM

Say never, never, never, never,

ANNE AND TOM

O never, never, never, never.

ANNE

Lest you,

You alone your promise keep,

Walk the long aisle, and walking, and walking weep

TOM

We shall this

Wint’ry promise keep,

Obey thy exile, honour sleep

BABA

Enough is enough!

Baba is not used to be so abused; she is not amused.

Come here, my love, I hate waiting.

I’m suffocating. I’m suffocating.

Heavens above!

Will you permit me to sit in this conveyance for ever

For ever and ever?

ANNE AND TOM

For ever.

Anne exits hurriedly.

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

80

Page 77: Texte Rake s Progress

Rêvant encore d’amour, il devait demander quand

M’éveillerai-je à nouveau...

ANNE

Mais si tu devais jurer d’aimer, assure-toi alors

De ne plus jamais rien ressentir...

BABA

Je suis toute surprise...

Et plus, je le confesse, qu’un peu contrariée.

ANNE

Ah, jamais, jamais, jamais,

TOM

Dis jamais, jamais, jamais,

ANNE & TOM

Oh, jamais, jamais, jamais.

ANNE

De peur

Que toi seule, gardant ta foi,

Remontes la longue nef et, marchant, pleures

TOM

Nous échangerons

Ces vœux glacés d’hiver,

Obéirons à ton exil, respecterons le sommeil

BABA

Assez, c’est assez !

Baba n’est pas habituée à être si mal traitée ;

Tel n’est pas son plaisir.

Viens ici, chéri, j’ai horreur d’attendre.

J’étouffe. J’étouffe. Seigneur !

Vas-tu me garder assise dans cette chaise à jamais

A jamais et jamais ?

ANNE & TOM

A jamais.

Anne sort en hâte.

81

ACTE II SCÈNE 2

Page 78: Texte Rake s Progress

Finale

BABA (from the carriage)

I have not run away, dear heart.

Baba is still waiting patiently for her gallant.

TOM (squaring his shoulders, and helping her from the chair

with a gallant bow)

I am with you, dear wife.

BABA (patting him affectionately on the cheek)

Who was that girl, my life?

TOM (ironically)

Only a milk-maid, pet,

To whom I was in debt.

As Tom takes his wife’s hand and lifts it to begin

conducting her up the steps, the entrance doors are thrown

open, servants carry off the sedan chair, servants appear

from the entrance torches and line the sides

of the steps carrying torches.

VOICES (off)

Baba the Turk is here! Baba the Turk is here!

At this Baba, as she begins her ascent, draws herself up

with obvious pride and the town people pour on to the

stage. Baba and Tom have reached the top of the steps.

He exits the house.

TOWN PEOPLE

Baba the Turk, Baba the Turk, before you retire,

Show thyself once,

O grant us our desire.

Baba, with an eloquent gesture, sweeps around to face

the town people, removes her veil and reveals a full and

flowing black beard. Baba blows them a kiss and keeps

her arms outstretched with the practiced manner

of a great artiste.

TOWN PEOPLE (entranced)

Ah! Baba! Baba! Baba! Ah!

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

82

Page 79: Texte Rake s Progress

Finale

BABA (de la chaise)

Je suis toujours là, cher cœur.

Baba attend toujours, patiemment, son amant.

TOM (rejetant les épaules, l’aidant à sortir, d’un geste galant)

Me voici, chère épouse.

BABA (lui tapotant affectueusement la joue)

Qui est cette fille, trésor ?

TOM

Un laitière, mignonne,

Envers qui j’avais une dette.

Alors que Tom prend la main de sa femme et la conduit

vers les marches, la porte de l’entrée est ouverte à deux

battants, des serviteurs enlèvent la chaise à porteurs,

d’autres, torches en main font la haie

le long de l’escalier.

DES VOIX (en coulisse)

Baba la Turque est là ! Baba la Turque est là !

A ces mots, Baba se redresse avec une visible fierté

et commence à gravir l’escalier et les Londoniens

emplissent la scène. Baba et Tom atteignent le haut

des marches, Tom entre dans la maison.

LES LONDONIENS

Baba la Turque, Baba la Turque, avant de vous retirer,

Montre-toi encore une fois,

Accorde-nous notre désir.

Baba se retourne, d’un geste royal, fait face aux

Londoniens, enlève son voile, et montre une barbe noire,

abondante et ondulée. Baba leur envoie un baiser,

les bras ouverts, à la manière d’une grande artiste.

LES LONDONIENS (ravis)

Ah ! Baba ! Baba ! Baba ! Ah !

83

ACTE II SCÈNE 2

Page 80: Texte Rake s Progress

SCENE 3

The same room as Act II, Scene 1, except that now it is

cluttered up with every conceivable kind of object:

stuffed animals and birds, cases of minerals, china, glass, etc.

Tom and Baba are sitting at breakfast, the former sulking,

the latter breathlessly chattering.

Aria

BABA

As I was saying, both brothers wore moustaches,

But Sir John was taller; they gave me the musical glasses.

That was in Vienna, no, it must have been Milan

Because of the donkeys. Vienna was the Chinese fan

Or was it the bottle of water from the River Jordan?

I’m certain at least it was Vienna and Lord Gordon.

I get so confused about all my travels.

The snuff boxes came from Paris, and the fulminous gravels

From a cardinal who admired me vastly in Rome.

You’re not eating, my love.

Count Moldau gave me the gnome

And Prince Obolowsky the little statues

Of the Twelve Apostles,

Which I like best of all my treasures except my fossils.

Which reminds me I must tell Bridget

Never to touch the mummies.

I’ll dust them myself. She can do the waxwork dummies.

Of course, I like my birds, too, especially my Great Auk;

But the moths will get in them.

My love, what’s the matter, why don’t you talk?

What’s the matter?

TOM

Nothing.

BABA

Speak to me!

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

84

Page 81: Texte Rake s Progress

SCÈNE 3

Le même salon qu’à l’acte II, scène 1, sauf qu’il est

maintenant encombré d’objets de toutes sortes : oiseaux et

animaux empaillés, vitrines de minéraux, porcelaine, verrerie, etc.

Tom et Baba sont assis à la table du petit déjeuner, le premier

de mauvaise humeur, la seconde bavardant à perdre haleine.

Air

BABA

Comme je le disais, les deux frères portaient moustache,

Mais Sir John était plus grand ; ils me donnèrent l’harmonica.

C’était à Vienne, non, ce devait être à Milan

A cause des ânes. Vienne, c’était l’éventail chinois

Ou bien la bouteille d’eau du Jourdain ?

Je suis certaine au moins que c’était Vienne et Lord Gordon.

Je m’y perds tellement dans tous mes voyages.

Les tabatières venaient de Paris et les graviers fluviaux

D’un cardinal à Rome qui m’admirait beaucoup.

Tu ne manges pas chéri.

Le comte Moldau me donna le nain,

Et le prince Oblowsky les statuettes des douze apôtres,

Que j’aime le mieux dans tous mes trésors, à part mes fossiles.

Ça me rappelle que je dois dire à Brigitte

De ne pas toucher aux momies.

Je les époussetterai moi-même.

Elle peut faire les poupées en cire.

Bien sûr, j’aime aussi mes oiseaux,

Surtout mon Grand Pingouin ;

Mais les mites s’y mettront.

Chéri, qu’as-tu ? Pourquoi ne parles-tu pas ?

Qu’est-ce qui ne va pas ?

TOM

Rien.

BABA

Parle-moi !

85

ACTE II SCÈNE 3

Page 82: Texte Rake s Progress

TOM

Why?

Baba rises and puts her arm lovingly round Tom’s neck.

She sings unaccompanied.

Babas Song

BABA

Come, sweet, come.

Why so glum?

Smile at Baba who

Loving smiles at you.

Do not frown, Husband dear...

TOM (pushing her away violently away)

Sit down.

Baba bursts into tears and rage. During her aria

she strides about the stage. At each of the following

four words Baba picks up some object and smashes it.

Aria

BABA

Scorned! Abused! Neglected! Baited!

Wretched me!

Why is this? Why is this?

I can see. I know, I know, I know who is

Your bliss, your bliss, your love, your love, your love,

Your life,

While I, your loving wife,

Lie not! am hated, am hated.

(At each of the following four words Baba picks up

some object and smashes it as before.)

Young, demure, delightful, clever,

Is she not?

(Shoving her face into Tom’s)

Not as I.

That is what I know you sigh.

Then sigh! Then cry! For she

Your wife shall never, shall never, never be.

Oh no! no, never, ne...

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

86

Page 83: Texte Rake s Progress

TOM

Pourquoi ?

Baba se lève et entoure tendrement du bras le cou de Tom.

Elle chante a cappella.

Chanson de Baba

BABA

Allons, chéri, allons.

Pourquoi cette mine ?

Souris à ta Baba qui

Tendrement te sourit.

Ne fronce pas le sourcil, cher mari...

TOM (la repoussant violemment)

Assieds-toi.

Baba se met à pleurer de rage. Pendant son air,

elle arpente la pièce. Sur chacun des quatre mots

qui suivent, elle saisit des objets et les brise.

Air

BABA

Méprisée ! Abusée ! Délaissée ! Trompée !

Malheureuse que je suis !

Et pourquoi ? Pourquoi ?

Je sais voir. Je sais, je sais, je sais qui est

Ton bonheur, ton amour, ton amour, ton amour, ta vie,

Alors que moi, ton épouse aimante

Ne mens pas ! Tu me détestes.

(Sur les quatre mots qui suivent, Baba saisit des objets

et les brise comme précédemment.)

Jeune, modeste, charmante, intelligente,

N’est-ce pas ?

(Avançant son visage face à celui de Tom)

Pas comme moi.

C’est pour elle, je le sais, que tu soupires.

Soupire alors ! Pleure alors ! Car elle

Ne sera jamais ta femme, jamais.

Oh non ! Non jamais, ja...

87

ACTE II SCÈNE 3

Page 84: Texte Rake s Progress

Tom rises suddenly, seizes his wig and plumps it down over

her head, back to front, cutting her run off. Baba remains

silent and motionless in her place for the rest of the scene.

Tom walks moodily about with his hands in his pockets,

then flings himself down on a sofa backstage.

Recitative

TOM

My heart is cold, I cannot weep; one remedy is left me:

sleep.

Pantomime

He sleeps. A door opens and Nick peeps in. Seeing all

c l e a r, he withdraws his head and then enters, wheeling in

front of him some large object covered by a dust sheet.

When he has brought it to the front centre of stage he

removes dust sheet; discloses a fantastic baroque machine.

He looks about, picks a loaf of bread from the table, opens

a door in the front of the machine, puts in the loaf and

closes the door. Then he looks round again and picks off

the floor a piece of a broken vase. This he drops into a

hopper on the machine. He turns a wheel and the loaf of

bread falls out of a chute. He opens the door, takes out the

piece of china, replaces it by the loaf and repeats the per -

formance, so that the audience see that the mechanism is

the crudest kind of false bottom. The second time he ends

with the loaf in the machine and the piece of china in his

hand. Then he puts back the dust sheet and wheels the

machine backstage, near To m’s sofa and takes up a posi -

tion near To m’s head.

NICK (singing to himself)

Fa la la la la la fa la la la la la la fa la la la la la

La la la la la la la la la fa la la la la la la la

(Tom stirring in his sleep.)

La la la la la la.

Recitative – Arioso – Recitative

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

88

Page 85: Texte Rake s Progress

Tom se lève subitement, saisit sa perruque, coiffe Baba,

le devant derrière, l’arrêtant net.

Pendant tout le reste de la scène, Baba reste silencieuse

immobile, à la même place. Tom arpente tristement

la scène, les mains dans les poches, puis se jette

sur un sofa au fond.

Récitatif

TOM

Mon cœur a froid, je ne peux pas pleurer ; il me reste un

remède : dormir.

Pantomime

Il dort. Une porte s’ouvre et Nick passe la tête. Voyant la

voie libre, il retire sa tête puis entre, roulant devant lui un

objet de grande dimension couvert d’une housse poussié -

reuse. Quand il l’a apporté au milieu de la scène, il enlève

la housse, découvrant une machine fantastique et baroque.

Il regarde autour de lui, prend une miche de pain sur la

table, ouvre une porte dans la machine, y glisse la miche et

ferme la porte. Puis il regarde autour de lui et ramasse à

terre un morceau de vase brisé. Il le fait tomber dans une

hotte placée sur la machine. Il tourne une roue et la miche

tombe d’un conduit. Il ouvre la porte, sort le débris de por-

celaine, le remplace par la miche et répète son action, de

façon que le public voit le mécanisme qui est une sorte de

d o u b l e-fond de la plus grossière fabrication. La seconde

fois, il finit par avoir la miche dans la machine et le bout

de porcelaine dans la main. Puis il replace la housse et

roule la machine au fond, prêt du sofa de Tom, et se met à

son chevet.

NICK (chantant pour lui-même)

Fa la la la la la fa la la la la la la fa la la la la la

La la la la la la la la la fa la la la la la la la

(Tom s’agite dans son sommeil.)

La la la la la la.

Récitatif – Arioso – Récitatif

89

ACTE II SCÈNE 3

Page 86: Texte Rake s Progress

TOM (spoken voice)

O, I wish it were true.

NICK

Awake?

TOM (starting up)

Who’s there?

NICK

Your shadow, master.

TOM

You!

O Nick, I’ve had the strangest dream.

I thought –

How could I know what I was never taught,

Or fancy objects I have never seen?

I had devised a marvellous machine.

An engine that converted stones to bread

Whereby all peoples were for nothing fed.

I saw all want abolished by my skill

And earth become an Eden of goodwill.

NICK (with a conjuror’s gesture, whips the dust sheet

off the machine)

Did your machine look anything like this?

TOM

I must be still asleep. That is my dream.

NICK

How does it work?

TOM (very excited)

I need a stone.

NICK (handing him a piece of china)

Try this.

TOM

I place it here. I turn the wheel and then

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

90

Page 87: Texte Rake s Progress

TOM (parlé)

Ah, je voudrais que ce soit vrai.

NICK

Éveillé ?

TOM (se levant en sursaut)

Qui est là ?

NICK

Votre ombre, maître.

TOM

Toi !

Nick, j’ai fait le plus étrange des rêves.

Je pensais –

Comment puis-je connaître ce que je n’ai jamais appris,

Ou imaginer des objets que je n’ai jamais vus ?

J’avais inventé une machine merveilleuse.

Une machine qui changeait les pierres en pain,

Grâce à elle tous les peuples étaient nourris pour rien.

J’ai vu tout besoin aboli par mon art

Et la terre devenue un Eden de bonne volonté.

NICK (avec un geste de prestidigitateur,

enlève la housse de la machine)

Votre machine ressemblait-elle à quelque chose comme ceci ?

TOM

Je dois dormir encore. C’est mon rêve.

NICK

Comment marche-t-elle ?

TOM (très excité)

Il me faut une pierre.

NICK (lui tendant un morceau de porcelaine)

Essayez ceci.

TOM

Je le place ici. Je tourne la roue et alors

91

ACTE II SCÈNE 3

Page 88: Texte Rake s Progress

(The loaf falls out.)

The bread!

NICK

Be certain. Taste!

TOM (after tasting it, falls to his knees)

O miracle!

O may I not, forgiven all my past,

For one good deed deserve dear Anne at last?

Duet

TOM (beside his machine, «très exalté»

and oblivious to his surroundings)

Thanks to this excellent device

Man shall re-enter Paradise

From which he once was driven.

Secure from need, the cause of crime,

The world shall for the second time

Be similar to heaven.

NICK (downstage, in worldly-wise manner and taking

the audience into his confidence)

A word to all my friends, where’er you sit,

The men of sense in boxes or the pit.

My master is a fool as you can see,

But you may do good business with me.

TOM

When to his infinite relief

Toil, hunger, poverty and grief

Have vanished like a dream,

This engine Adam shall excite

To hallelujahs of delight

And ecstacy extreme.

NICK

The idle drone and the deserving poor

Will give good money for this toy, be sure.

For, so it please, there’s no fantastic lie

You cannot make men swallow if you try.

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

92

Page 89: Texte Rake s Progress

(La miche tombe.)

Du pain !

NICK

Assurez-vous-en. Goûtez !

TOM (après avoir goûté, tombe à genoux)

Ô miracle !

Ah, pourrais-je enfin, tout mon passé pardonné,

Par une bonne action mériter ma chère Anne ?

Duo

TOM (près de sa machine, très exalté, oubliant ce qui l’entoure)

Grâce à cet excellent engin,

L’homme rentrera au paradis

D’où il fut jadis chassé.

Sauvé du besoin qui crée le crime,

Pour la seconde fois le monde

Ressemblera au ciel.

NICK (au fond, sagement et en confidence au public)

Un mot à tous mes amis, où que vous soyez assis,

Gens avisés aux loges ou au parterre.

Mon maître est un fou comme vous le savez,

Mais vous pouvez avec moi faire de bonnes affaires.

TOM

Quand, à son infini soulagement,

Labeur, faim, pauvreté, chagrin

Auront disparu comme un songe

Cette machine suscitera en Adam

Des alléluias de joie

Et de ravissement extrême.

NICK

Le bourdon oisif et le pauvre méritant

Donneront, soyez-en sûr, bonne monnaie pour ce jouet.

Car, comme va le monde, il n’est point de si grosse ruse

Que vous ne puissiez, si vous le voulez,

Faire avaler à l’homme.

93

ACTE II SCÈNE 3

Page 90: Texte Rake s Progress

TOM

Omnipotent

When armed with this,

In secular abundant

Bliss

He shall ascend the Chain of Being to its top to win,

To win

The throne of Nature and begin

His everlasting reign,

His everlasting reign.

NICK

So you who know your proper interest,

Here is your golden chance.

Invest. Invest.

Come, take your chance immediately, my friends,

And praise the folly that pays dividends.

Recitative

NICK

Fo rgive me, master, for intruding upon your transports;

but your dream is still a long way from fulfillment.

Here is the machine, it is true. But it must be manufactu-

red in great quantities. It must be advertised, it must be

sold. We shall need money and advice. We shall need

partners, merchants of probity and reputation in the City.

TOM

Alas, good Shadow, your admonitions are only too just;

and they chill my spirit. For who am I, who am become a

byword of extravagance and folly, to approach such men?

Is this dream too, this noble vision, to prove as empty as

the rest? What shall 1 do?

NICK

Have no fear, master. Leave such matters to me. Indeed, I

have already spoken with several notable citizens

concerning your invention; and they are as eager to see it

as you to show.

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

94

Page 91: Texte Rake s Progress

TOM

Tout puissant

Une fois qu’il en est armé,

Nageant dans l’abondance du monde

Et le bonheur

Il grimpera la chaîne de l’Être jusqu’au sommet

Pour gagner

Pour gagner le trône de la nature et commencer

Son règne qui n’aura pas de fin,

Son règne qui n’aura pas de fin.

NICK

Donc, vous qui avez à cœur votre juste intérêt,

Voici votre chance en or.

Investissez, investissez.

Venez, ne tardez pas, amis, à saisir votre chance,

Et louez la folie qui paie des dividendes.

Récitatif

NICK

Pardonnez-moi, maître, d’interrompre vos transports ;

mais votre rêve est encore loin d’être réalisé. Voici la

machine, il est vrai. Mais elle doit être fabriquée en série.

Elle doit être annoncée, elle doit être vendue. Nous

aurons besoin d’argent et de conseil, d’associés, de négo-

ciants honnêtes et reconnus dans la City.

TOM

Hélas, mon ami, tes recommandations ne sont que trop

justes ; elles me refroidissent. Car qui suis-je, moi, image

de déraison et de gaspillage, pour solliciter de tels

hommes ? Ce rêve, cette noble vision, va-t-il se montrer

aussi vain que les autres ? Que dois-je faire ?

NICK

Soyez sans crainte, maître. Fiez-vous à moi. J’ai, en

effet, entretenu divers notables citoyens touchant votre

invention ; et ils sont aussi désireux de la voir que vous

de la montrer.

95

ACTE II SCÈNE 3

Page 92: Texte Rake s Progress

TOM

Ingenious Shadow! How could I live without you?

I cannot wait. Let’s visit them immediately.

Tom and Nick begin wheeling the machine out.

Just as they reach the door, Nick, who is pulling

in front, turns.

NICK

Should you not tell the good news to your wife?

TOM

My wife? I have no wife. I’ve buried her.

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

96

Page 93: Texte Rake s Progress

TOM

Ingénieux Shadow ! Que ferais-je sans toi ?

Je ne peux attendre. Allons les voir tout de suite.

Tom et Nick commencent à rouler la machine

vers la sortie. Nick se retourne.

NICK

Ne devriez-vous pas dire la bonne nouvelle à votre femme ?

TOM

Ma femme ? Je n’ai pas de femme. Je l’ai enterrée.

97

ACTE II SCÈNE 3

Page 94: Texte Rake s Progress

ACT III

SCENE 1

The same as Act II, Scene 3, except that everything is covered

with cobwebs and dust. Afternoon. Spring.

Baba is still seated motionless at the table,

the wig still covering her face.

CHORUS (from behind the curtain)

Ruin, Disaster, Shame.

When the curtain rises a group of the Crowd of Respectable

Citizens are examining the objects, two other groups enter

as the scene progresses.

RESPECTABLE CITIZENS

What curious phenomena are up today for sale.

What manner of remarkables.

What squalor,

What detail!

I am so glad I did not miss the auction.

So am I.

I can’t begin admiring.

O fantastic!

Let us buy!

VOICES (from off the stage)

Ruin, Disaster, Shame.

98

Page 95: Texte Rake s Progress

ACTE III

SCÈNE 1

Même décor qu’à l’acte II, scène 3, sauf que tout est couvert

de poussière et de toiles d’araignées. Après-midi. Printemps.

Baba est toujours assise à la table, immobile,

la perruque retournée sur la tête.

CHŒUR (derrière le rideau)

Ruine, désastre, honte.

Quand le rideau se lève, un groupe de citoyens respectables

examinent les objets, deux autres groupes entrent en scène

progressivement.

CITOYENS RESPECTABLES

Quels curieux objets on vend aujourd’hui.

Tout à fait remarquables.

Quelle saleté !

Quel travail !

Je suis si content de n’avoir pas manqué la vente.

Et moi donc !

Je n’ai pas assez d’yeux.

Oh, prodigieux !

Achetons !

VOIX (en coulisse)

Ruine, désastre, honte.

99

Page 96: Texte Rake s Progress

The crowd pauses in its examination, looks at each other,

then comes forward and addresses the audience with

hushed voices that barely conceal a tinge of complacency.

CROWD

Blasted! Blasted! so many hopes of gain:

Hundreds of sober merchants are insane;

Widows have sold their mourning-clothes to eat;

Herds of pale orphans forage in the street;

Many a Duchess divested of gems,

Has crossed the dread Styx by way of the Thames.

O stricken, take heart in placing the blame.

Rakewell, Rakewell. Ruin, Disaster, Shame.

They begin to disperse again into groups

examining the objects.

Enter Anne. She looks about quickly and then approaches

the crowd, group by group.

ANNE

Do you know where Tom Rakewell is?

CROWD

America. He fled.

Spontaneous combustion caught him hurrying.

He’s dead.

ANNE

Do you know what’s become of him?

CROWD

Tom Rakewell? How should we?

He’s Methodist.

He’s Papist.

He’s converting Jewry.

ANNE

Can no one tell me where he is?

CROWD

We’re certain he’s in debt;

They’re after him, they’re after him,

And they will catch him yet.

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

100

Page 97: Texte Rake s Progress

La foule s’arrête de passer les objets en revue, se regarde,

puis s’avance et s’adresse au public à voix confidentielles

qui cachent à peine une pointe de satisfaction.

LA FOULE

Anéantis ! Anéantis ! Tant d’espoirs de gain ;

Des centaines de graves négociants ont perdu la raison ;

Des veuves pour manger ont vendu leurs habits de deuil ;

Des troupeaux de pâles orphelins fourragent dans la rue ;

Mainte duchesse dépouillée de ses diamants

A passé le Styx, via la Tamise.

Ô vous, les frappés, reprenez courage, dénoncez le coupable.

Rakewell. Rakewell. Ruine, désastre, honte.

Ils se dispersent à nouveau par groupes,

pour examiner les objets.

Anne entre. Elle regarde vivement autour d’elle,

s’approche passant d’un groupe à l’autre.

ANNE

Savez-vous, où se trouve Tom Rakewell ?

LA FOULE

En Amérique. Il s’est enfui.

Combustion spontanée dans sa course.

Il est mort.

ANNE

Savez-vous, ce qu’il est advenu de lui ?

LA FOULE

Tom Rakewell ? Comment le saurions-nous ?

Il s’est fait méthodiste.

Il s’est fait papiste.

Il convertit les juifs.

ANNE

Personne ne peut-il me dire où il se trouve ?

LA FOULE

Nous savons pour sûr qu’il a des dettes ;

On est à ses trousses et on l’attrapera.

101

ACTE III SCÈNE 1

Page 98: Texte Rake s Progress

ANNE (aside)

I’ll seek him in the house myself.

(Exit.)

CROWD

I wonder at her quest.

She’s probably some silly girl he ruined like the rest.

They return to their examination unconcernedly.

Then the door is flung open and Sellem enters with a great

flurry followed by a few servants who begin clearing space

and setting up a dais.

SELLEM

Aha!

CROWD

He’s here! The Auctioneer.

SELLEM (to the servants)

No! over there.

(They begin nervously setting it up again in another spot.)

Be quick. Take care.

CROWD (to each other)

Your bids prepare.

Be quick. Take care.

Sellem mounts the dais and bows.

Recitative

SELLEM

Ladies, both fair and gracious: gentlemen: be all welcome

to this miracle of, this most widely heralded of, this I am

sure you follow me, ne plus ultra of auctions. Truly there

is a divine balance in Nature: a thousand lose that a thou-

sand may gain; and you who are the fortunate are not so

only in yourselves, but also in being Nature’s missio-

naries. You are her instruments for the restoration of that

order we all so worship, and it is granted to, ah! so few of

us to serve.

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

102

Page 99: Texte Rake s Progress

ANNE (à part)

Je vais moi-même le chercher dans la maison.

(Elle sort.)

LA FOULE

Je me demande pourquoi elle le cherche.

Sans doute quelque sotte fille qu’il ruina comme les autres.

Indifférents, ils se remettent à examiner les objets.

La porte s’ouvre brusquement, Sellem entre,

l’air important, suivi de quelques valets qui commencent

à nettoyer la place et à dresser une estrade.

SELLEM

Ah ah !

LA FOULE

Le voici ! Le commissaire-priseur.

SELLEM (aux valets)

Non ! Par ici.

(Nerveusement, ils recommencent à dresser l’estrade

dans un autre coin.)

Vite. Faites attention.

LA FOULE (les uns aux autres)

Préparons nos offres.

Vite. Faites attention.

Sellem monte sur l’estrade et s’incline.

Récitatif

SELLEM

Dames belles et gracieuses, messieurs, soyez tous les

bienvenus à cette merveille, ce tant annoncé, le – je suis

sûr que vous me suivez – nec plus ultra des ventes aux

enchères. Il y a vraiment une harmonie divine dans la

nature : mille perdent pour que mille gagnent ; et vous qui

êtes les fortunés l’êtes non seulement par vous- m ê m e s ,

mais parce que vous êtes missionnaires de la Nature. Vous

êtes ses instruments pour rétablir cet ordre que nous véné-

rons tous tant, et qu’il est permis à si peu, hélas, de servir.

103

ACTE III SCÈNE 1

Page 100: Texte Rake s Progress

(He bows again. Applause.)

Let us proceed at once. Lots one and two: which cover all

objects subsumed under the categories: animal, vegetable

and mineral.

Aria

(During the following, Sellem is continually on the move,

indulging in elaborate by-play, holding up objects;

servants are running on and off the dais with objects;

the Crowd is eager and attentive).

Who hears me, knows me; knows me

A man with value; look at this –

(Holding up the stuffed auk)

What is it? Wit

And Profit: no one, no one

Could fail to conquer, fail to charm,

Who had it by

To watch.

And who could not be

A nimble planner, having this, having this, having this

(Holding up a mounted fish)

Before him? Bid, bid

To get them, get them, get them, hurry!

(During the next bars, various individuals and groups

in the crowd begin are bidding excitedly.)

La! come bid.

Hmm! come buy.

Aha! the auk.

Witty, lovely, wealthy.

Poof! go high!

La! some more.

Hmm! come on.

Aha! the pike.

Bidding Scene

CROWD

Seven...

SELLEM

Seven...

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

104

Page 101: Texte Rake s Progress

(Il salue encore. Applaudissements.)

Opérons de suite. Lots un et deux : il comprend tous les

objets classés par catégories, animale, végétale et minérale.

Air

(Pendant ce qui suit, Sellem se démène dans un jeu

de scène compliqué, exhibant les objets ; des valets,

en courant, montent à l’estrade et en descendent, apportant

et emportant des objets. La foule est empressée et attentive.)

Qui m’entend, me connaît ; me connaît

Comme homme de bien ; regardez ceci –

(Élevant le pingouin empaillé)

Qu’est-ce ? De l’esprit

Et du profit : nul

Ne manquera de conquérir, de charmer,

L’ayant près de lui,

L’observant.

Et quel est celui qui

Manquerait d’agile prévoyance ayant ceci, ceci

(Élevant un poisson monté sur un support)

Devant les yeux ? Enchérissez

Pour les avoir, pour les avoir, faites, vite !

(Pendant les mesures suivantes, on commence

à enchérir fiévreusement.)

Là ! Faites vos offres.

Hum ! A combien ?

Ah ! ah ! le pingouin.

Spirituel, beau, riche.

Boum ! Montez !

Là ! Un petit effort.

Hum ! Décidez-vous.

Ah ! ah ! le brochet.

Scène d’enchères

LA FOULE

Sept...

SELLEM

Sept...

105

ACTE III SCÈNE 1

Page 102: Texte Rake s Progress

CROWD

Eleven...

SELLEM

Eleven...

CROWD

Fourteen...

SELLEM

Fourteen...

CROWD

Nineteen...

SELLEM

Nineteen...

CROWD

Twenty...

Twenty-three...

SELLEM

Twenty,

Twenty-three going at twenty-three going, going, gone!

CROWD

Hurrah!

Sellem’s Aria (continuing)

SELLEM (holding up a marble bust)

Behold it, Roman, moral,

The man who has it, has it

Forever, yes!

(Holding up a palm branch)

And holy, holy curing

The body, soul and spirit;

A gift of God’s, a gift of God’s!

(Holding up various objects)

And not to mention this or

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

106

Page 103: Texte Rake s Progress

LA FOULE

Onze...

SELLEM

Onze...

LA FOULE

Quatorze...

SELLEM

Quatorze...

LA FOULE

Dix-neuf...

SELLEM

Dix-neuf...

LA FOULE

Vingt...

Vingt-trois...

SELLEM

Vingt,

Vingt-trois, à vingt-trois une fois, deux fois, trois fois,

Adjugé !

LA FOULE

Hourra !

Air de Sellem (suite)

SELLEM (élevant un buste en marbre)

Regardez-le, Romain, intègre,

Celui qui l’a, l’a

Pour toujours, oui !

(Élevant une branche de palmier)

Et saint, saint, guérissant

Le corps, l’âme et l’esprit ;

Un don de Dieu, un don de Dieu !

(Élevant divers objets)

Et sans parler de ceci ou

107

ACTE III SCÈNE 1

Page 104: Texte Rake s Progress

The other, more and more and,

So help me, more!

Then bid,

O get them,

O get them, get them, get them, hurry!

La! come bid.

(The crowd bids as before.)

Hmm! come buy.

CROWD

Four...

SELLEM

Aha! the bust.

Feel them, life eternal:

Poof! go high!

La! some more.

Hmm! come on.

Aha! the palm.

Bidding Scene

CROWD

Fifteen...

SELLEM

Fifteen...

CROWD

And a half,

SELLEM

And a half

CROWD

Three quarters,

SELLEM

Three quarters,

CROWD

Sixteen...

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

108

Page 105: Texte Rake s Progress

De cela, de plus en plus et que

Le ciel m’assiste, et plus !

Alors, enchérissez

Oh, achetez-les,

Achetez-les, vite !

Là, venez enchérir.

(La foule enchérit comme précédemment.)

Hmmm ! Achetez.

LA FOULE

Quatre...

SELLEM

Ah ah ! Le buste.

Sentez-les, vie éternelle.

Boum ! Montez !

Là. Un petit effort.

Hum ! Décidez-vous.

Ah ah ! La palme.

Scène d’enchères

LA FOULE

Quinze...

SELLEM

Quinze...

LA FOULE

Et demi,

SELLEM

Et demi

LA FOULE

Trois quarts,

SELLEM

Trois quarts,

LA FOULE

Seize...

109

ACTE III SCÈNE 1

Page 106: Texte Rake s Progress

SELLEM

Sixteen...

CROWD

Seventeen...

SELLEM

Seventeen... going at seventeen, going, going, gone.

CROWD

Hurrah!

Recitative

SELLEM

Wonderful. Yes, yes. And now for the truly adventurous –

(Walking over slowly to the covered Baba and changing

his voice to a suggestive whisper)

Aria (continued)

An unknown object draws us, draws us near.

A cake? An organ?

Golden Apple Tree?

A block of copal? Mint of alchemy?

Oracle? Pillar? Octopus? Who’ll see?

Be brave! Perhaps an angel will appear.

(The crowd bids as before, but this time they get so excited

that they almost drown out Sellem, and they begin fighting

among themselves.)

La! come bid.

CROWD

Ten,

SELLEM

Hmm! come buy.

CROWD

Twenty five

Twenty five

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

110

Page 107: Texte Rake s Progress

SELLEM

Seize...

LA FOULE

Dix sept...

SELLEM

Dix-sept... à dix-sept une fois, deux fois, trois fois, adjugé.

LA FOULE

Hourra !

Récitatif

SELLEM

Superbe. Oui, oui. Et maintenant pour le vrai audacieux –

(Marchant lentement vers Baba, couverte, et changeant

sa voix en un murmure suggestif)

Air (suite)

Un objet inconnu nous attire, nous attire.

Un gâteau ? Un orgue ?

L’arbre aux pommes d’or ?

Un bloc de copal ? Trésor alchimique ?

Oracle ? Pilier ? Pieuvre ? Qui osera ?

Courage ! Peut-être verra-t-on un ange.

(Les gens font de nouvelles offres, mais cette fois

ils s’excitent tant qu’ils submergent presque Sellem,

et commencent à se battre.)

Là ! Venez enchérir.

LA FOULE

Dix,

SELLEM

Hmm ! venez acheter.

LA FOULE

Vingt-cinq

Vingt-cinq

111

ACTE III SCÈNE 1

Page 108: Texte Rake s Progress

SELLEM

Aha!

The it.

CROWD

Thirty

SELLEM

This may be...

CROWD

Thirty one

SELLEM

... Salvation.

CROWD

Thirty two,

SELLEM

Poof! go high!

CROWD

Thirty three

SELLEM

La! be calm.

CROWD

Thirty five,

SELLEM

Hmm! come on.

Aha! the what.

CROWD

Thirty seven, thirty eight,

Forty, forty three, forty five, forty six, forty eight.

Final Bidding Scene

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

112

Page 109: Texte Rake s Progress

SELLEM

Ah ah !

Le truc.

LA FOULE

Trente

SELLEM

C’est peut-être...

LA FOULE

Trente et un

SELLEM

... le salut.

LA FOULE

Trente-deux,

SELLEM

Boum ! Montez !

LA FOULE

Trente-trois

SELLEM

Là ! Du calme.

LA FOULE

Trente-cinq,

SELLEM

Hmm! allons

Ah ah ! La chose..

LA FOULE

Trente-sept, trente-huit,

Quarante, quarante-trois, quarante-cinq, quarante-s i x ,

quarante-huit.

Dernière scène d’enchères

113

ACTE III SCÈNE 1

Page 110: Texte Rake s Progress

CROWD

Fifty,

SELLEM

Fifty,

CROWD

Fifty five,

SELLEM

Fifty five

CROWD

Sixty,

SELLEM

Sixty,

CROWD

Sixty one,

SELLEM

Sixty one,

CROWD

Sixty two

SELLEM

Sixty two,

CROWD

Seventy

Ninety

SELLEM

Seventy

Ninety, going at ninety, going at

Ninety,

CROWD

Hundred...

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

114

Page 111: Texte Rake s Progress

ACTE III SCÈNE 1

LA FOULE

Cinquante,

SELLEM

Cinquante,

LA FOULE

Cinquante-cinq,

SELLEM

Cinquante-cinq

LA FOULE

Soixante,

SELLEM

Soixante,

LA FOULE

Soixante et un

SELLEM

Soixante et un

LA FOULE

Soixante-deux

SELLEM

Soixante-deux

LA FOULE

Soixante-dix

Qautre-vingt-dix.

SELLEM

Soixante-dix

Quatre-vingt-dix une fois, quatre-vingt-dix

Deux fois

LA FOULE

Cent...

115

Page 112: Texte Rake s Progress

SELLEM

Hundred, going at a hundred

Going at a hundred, going, going, going, gone!

At this point the crowd is so rancous that Sellem is

practically shouting by the time he ends his phrases.

In order to quiet the crowd, Sellem, as he shouts his last

«Gone», snatches the wig off Baba’s head.

The effect quiets them immediately and she, for the

moment completely impervious to her surroundings,

finishes the cadenza she began in the last scene.

BABA

... ever.

(She looks quickly around, snatches up a veil that is lying

on the table, stands up indignantly and during the next

verse of her aria brushes herself off.)

Aria

Sold! Annoyed!

I’ve caught you thieving!

If you dare, if you dare

CROWD (murmurs in the background)

It’s Baba...

BABA

Touch

A thing,

CROWD

It’s Baba, his wife.

BABA

Then beware,

CROWD

It’s Baba,

BABA

Then

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

116

Page 113: Texte Rake s Progress

SELLEM

Cent une fois,

Cent une fois, cent deux fois, cent trois fois, adjugé !

A ce moment, la foule est si agitée que Sellem hurle la fin

de ses phrases. Pour calmer la foule, Sellem, criant son

dernier « Adjugé », arrache la perruque de la tête de Baba.

Le calme se rétablit immédiatement. Baba, complétement

insensible à ce qui se passe autour d’elle, finit la cadence

qu’elle avait commencée à sa dernière scène.

BABA

... mais

(Puis elle regarde rapidement tout autour d’elle, saisit un

voile sur la table, se lève avec indignation et s’époussette.)

Air

Vendue ! Vexant !

Je vous y prends à voler !

Si vous osez, si vous osez

LA FOULE (murmurant au fond)

C’est Baba...

BABA

Toucher

A quoi que ce soit,

LA FOULE

C’est Baba, sa femme.

BABA

Prenez garde,

LA FOULE

C’est Baba,

BABA

Alors

117

ACTE III SCÈNE 1

Page 114: Texte Rake s Progress

Beware

CROWD

It’s Baba,

BABA

My reckoning;

Be off, be gone,

CROWD

It passes believing, it’s Baba.

BABA

Be gone, desist:

I, Baba, must insist

Upon your leaving.

The voices of Tom and Nick are heard giving a street-cry

from off stage.

TOM, NICK

Old wives for sale, old wives for sale! Stale wives, prim

wives, silly and grim wives! Old wives for sale!

Recitative and duet

CROWD

Now what was that?

BABA (aside)

The pigs of plunder!

Anne enters hurriedly. She rushes to the window.

ANNE

Was that his voice?

CROWD

What next, I wonder?

BABA (aside)

The milk-maid haunts me.

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

118

Page 115: Texte Rake s Progress

Prenez garde

LA FOULE

C’est Baba.

BABA

Au compte à régler ;

Sortez, partez,

LA FOULE

C’est inouï, c’est Baba.

BABA

Laissez tout et partez ;

Moi, Baba, j’insiste

Pour que vous vous retiriez.

On entend en coulisse les voix de Tom et de Nick criant

comme des marchands ambulants.

TOM, NICK

Vieilles femmes à vendre, vieilles femmes à vendre !

Rassises, pincées, sottes et sinistres femmes ! Vi e i l l e s

femmes à vendre !

Récitatif & duo

LA FOULE

Qu’est-ce que c’est, maintenant ?

BABA (à part)

Les cochons à la gratte !

Anne entre en hâte. Elle se précipite à la fenêtre.

ANNE

Était-ce sa voix ?

LA FOULE

Quoi d’autre encore, je me demande ?

BABA (à part)

La laitière me hante.

119

ACTE III SCÈNE 1

Page 116: Texte Rake s Progress

ANNE (at the window)

Gone.

BABA (reflectively, after glancing about)

All I possessed seems gone.

(Shrugging her shoulders)

Well, well.

(To Anne, a bit imperiously and indulgently)

My dear!

ANNE (turning)

His wife!

BABA

His jest –

No matter now. Come here, my child, to Baba.

Anne goes over to her.

SELLEM (obviously under a strain)

Ladies, the sale, if you could go out.

BABA (impatiently)

Robber, don’t interrupt.

CROWD (to Sellem)

Don’t interrupt or rail;

A SOLO VOICE

A scene like this is better than a sale.

Duet

BABA (to Anne)

You love him, seek to set him right:

He’s but a shuttle-headed lad:

Not quite a gentleman, nor quite

Completely vanquished by the bad:

Who knows what care and love might do?

But good or bad, I know he still loves you.

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

120

Page 117: Texte Rake s Progress

ANNE (à la fenêtre)

Parti.

BABA (après un coup d’œil à la ronde)

Tout ce que j’avais semble parti.

(Haussant les épaules)

Bien, bien.

(A Anne un peu protectrice et indulgente)

Ma chère !

ANNE (se retournant)

Sa femme !

BABA

Une plaisanterie de sa part.

Peu importe maintenant. Venez ici, mon enfant, près de Baba.

Anne va vers elle.

SELLEM (visiblement surmené)

Mesdames, la vente, si vous vouliez bien sortir.

BABA (impatiemment)

Larron ! N’interromps pas.

LA FOULE (à Sellem)

N’interrompez pas, ne raillez pas.

UNE VOIX SOLISTE

Une scène comme celle-ci vaut mieux qu’une vente.

Duo

BABA (à Anne)

Vous l’aimez. Essayez de le sauver.

Ce n’est qu’un gars qui papillonne :

Pas tout à fait un homme de bien, ni tout à fait

Complètement perdu par le mal.

Qui sait ce que feraient l’amour et la patience ?

Mais bon ou mauvais, je sais qu’il vous aime encore.

121

ACTE III SCÈNE 1

Page 118: Texte Rake s Progress

ANNE

He loves me still, he loves me still!

Then I, I alone, then I alone

In weeping doubt have been untrue.

O hope, endear my love,

SELLEM AND CROWD

He loves her.

ANNE

Atone,

Atone,

SELLEM AND CROWD

Who? That isn’t known.

ANNE

Enlighten,

Enlighten grace, whatever may ensue.

BABA

But good or bad, I know he still loves you.

CROWD

He loves her still.

The tale is sad –

SELLEM

The tale is sad –

CROWD

– If true.

BABA

So find him, and his man beware!

I may have made a bad mistake

Yet I can tell who in that pair

Is poisoned victim and who snake.

Then go –

ANNE

But where shall you...?

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

122

Page 119: Texte Rake s Progress

ANNE

Il m’aime encore ! Il m’aime encore !

Alors moi seule, moi seule

Dans le doute et les larmes ai été infidèle.

Ô espoir, donne du prix à mon amour,

SELLEM & LA FOULE

Il l’aime.

ANNE

Expie,

Expie,

SELLEM & LA FOULE

Qui ? On ne sait pas.

ANNE

Illumine,

Embellis quoi qu’il arrive.

BABA

Mais bon ou mauvais, je sais qu’il vous aime encore.

LA FOULE

Il l’aime encore

L’histoire est triste –

SELLEM

L’histoire est triste –

LA FOULE

– Si elle est vraie.

BABA

Donc trouvez-le, et gare au valet !

J’ai pu m’être lourdement trompée,

Mais de ce couple je sais

Qui eut le venin et qui fut le serpent.

Alors partez –

ANNE

Mais où irez-vous ?...

123

ACTE III SCÈNE 1

Page 120: Texte Rake s Progress

BABA (lifting her hand to interrupt gently)

My dear,

A gifted lady never need have fear.

I shall go back, I shall go back,

I shall go back and grace the stage

Where manner rules and wealth attends.

(With an all-inclusive gesture)

Can I deny, can I deny, can I deny my time its rage?

My self-indulgent intermezzo ends.

ANNE

Can I for him

All love engage, can I for him, can I, can I for him

All love, all love, all love engage.

BABA

Can I deny my time, can I, can I, can I deny

My time, can I, can I deny my time its rage?

CROWD (in different groups)

She will go back.

Her view is sage.

BABA

My self-indulgent, my self-indulgent intermezzo ends,

My self-indulgent intermezzo ends,

My self-indulgent intermezzo ends.

CROWD

Her view is sage.

That’s life.

We came to buy.

See how it ends.

See how, see how it ends, see how it ends.

ANNE

And yet, and yet believe, believe her happy when love ends

When loves ends, when love ends.

SELLEM (despodently)

Money farewell... money farewell.

Who’ll buy? The auction ends.

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

124

Page 121: Texte Rake s Progress

BABA (levant la main pour doucement l’arrêter)

Ma chère,

Une femme d’esprit n’a rien à craindre.

Je retournerai, je retournerai

Je retournerai orner la scène

Où le maintien règne et qu’assiste la fortune

(Embrassant tout avec un grand geste)

Puis-je refuser, refuser à mon siècle sa fureur ?

Mon plaisant intermède prend fin.

ANNE

Puis-je lui

Donner tout amour, pour lui, pour lui

Donner tout mon amour, tout mon amour.

BABA

Puis-je refuser à mon siècle, puis-je,

Refuser à mon siècle, à mon siècle sa fureur?

LA FOULE (en plusieurs groupes)

Elle retournera.

Elle a raison.

BABA

Mon plaisant, plaisant intermède prend fin,

Mon plaisant intermède prend fin,

Mon plaisant intermède prend fin.

LA FOULE

Elle a raison.

C’est la vie.

Nous sommes venus acheter.

Voyons la fin.

Voyons, voyons la fin, voyons la fin.

ANNE

Et pourtant, pourtant, la croire heureuse quand l’amour finit.

Quand l’amour finit, quand l’amour finit.

SELLEM (abattu)

Adieu écus... adieu écus.

Qui achètera ? La vente est finie.

125

ACTE III SCÈNE 1

Page 122: Texte Rake s Progress

Ballad Tune

The voices of Tom and Nick are again heard

from the street. All on the stage pause to listen.

TOM AND NICK

If boys had wings and girls had stings

And gold fell from the sky,

If new-laid eggs wore wooden legs

I should not laugh or cry.

ANNE

It’s Tom, I know, I know, I know!

BABA

The two, then go!

SELLEM AND CROWD

The thief, the thief below!

Stretto – Finale

ANNE

I go to him, I go, I go, I go, I go to him.

BABA

Then go

To him,

In love be brave,

Be swift, be true

Be strong, be strong for him, be strong for him and save.

ANNE

O love, be brave,

Be swift, be true,

Be strong, be strong for him and save.

SELLEM AND CROWD

They’re after him.

His crime was grave.

Be swift if you want, if you want time enough to save.

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

126

Page 123: Texte Rake s Progress

Ballade

On entend de nouveau les voix de Tom et de Nick dans

la rue. Sur la scène, tout le monde s’arrête pour écouter.

TOM & NICK

Si les garçons avaient des ailes, les filles des dards,

Et que l’or tombât du ciel,

Si des œufs frais avaient des jambes de bois,

Je n’en rirais ni n’en pleurerais.

ANNE

C’est Tom, je sais, je sais, je sais !

BABA

Avec l’autre, alors allez !

SELLEM & LA FOULE

Le voleur, le voleur en bas !

Strette – Finale

ANNE

Je vais à lui, je vais, je vais, je vais à lui.

BABA

Alors allez

A lui,

Que l’amour vous rende vaillante,

prompte, loyale,

forte, forte pour lui et pour le sauver.

ANNE

Ô amour, sois vaillant,

prompt, loyal,

Sois fort , sois fort pour lui et pour le sauver.

SELLEM & LA FOULE

Ils le poursuivent.

Le délit est grave.

Soyez prompte si vous le voulez sauver à temps.

127

ACTE III SCÈNE 1

Page 124: Texte Rake s Progress

ANNE

O love, be brave,

Be swift

Be true,

Be strong for him to save.

CROWD

Be swift, be swift, be swift,

If you want time enough to save.

BABA

Be true,

Be strong, for him and save.

SELLEM

Be swift

If you want time enough to save.

ANNE (to Baba)

May God bless you.

BABA, SELLEM, CROWD

Be swift if you want time enough to save.

Anne rushes out.

Ballad Tune (reprise)

The voices of Tom and Nick are heard disappearing

in the distance.

TOM AND NICK

Who cares a fig for Tory or Whig?

Not I, not I, not I.

BABA (she turns and adresses Sellem, with lofty command)

You! Summon my carriage!

Sellem, impressed in spite of himself and certainly

forgetting that he came to auction off her carriage,

bows, goes to the door and opens it for her.

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

128

Page 125: Texte Rake s Progress

ANNE

Ô amour, sois vaillant,

Sois prompt

Sois loyal

Sois fort pour le sauver.

LA FOULE

Soyez prompte, prompte, prompte

Si vous voulez le sauver à temps.

BABA

Soyez loyale,

Soyez forte pour lui, et pour le sauver.

SELLEM

Soyez prompte

Si vous voulez le sauver à temps.

ANNE (à Baba)

Que Dieu vous bénisse.

BABA, SELLEM, LA FOULE

Soyez prompte si vous le voulez sauver à temps.

Anne se précipite au-dehors.

Ballade (reprise)

On entend les voix de Tom et de Nick s’éteindre au loin.

TOM & NICK

Qui se soucie des Conservateurs ou des Libéraux ?

Pas moi, pas moi, pas moi.

BABA (à Sellem, avec hauteur)

Vous ! Appelez mon carrosse !

Sellem, impressionné malgré lui, oubliant certainement

qu’il est venu vendre le carrosse aux enchères, salue,

se dirige à la porte et l’ouvre devant elle.

129

ACTE III SCÈNE 1

Page 126: Texte Rake s Progress

BABA (to the Crowd)

Out of my way!

(They fall back and she starts out.

At the door she pauses to remark:)

The next time you see Baba, you shall pay!

Grand exit of Baba.

CROWD (murmuring)

We’ve never been through such a hectic day.

SCENE 2

Prelude

A starless night. A churchyard. Tombs.

Front centre a newly-dug grave. Behind it a flat raised tomb,

against which is leaning a sexton’s spade.

On the right a yew-tree.

Duet

Enter Tom and Nick left, the former out of breath,

the latter carrying a little black bag.

TOM

How dark, how dark, how dark and dreadful is this place.

Why have you led me here?

There’s something, there’s something Shadow, in your face

That fills my soul with fear!

NICK

A year and a day have passed away

Since first to you I came.

All things you bid, I duly did

And now my wages claim.

TOM

Shadow, good Shadow, be patient; I

Am beggared as you know,

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

130

Page 127: Texte Rake s Progress

BABA (à la foule)

Place !

(Ils se reculent. Elle sort.

Elle s’arrête à la porte pour remarquer :)

La prochaine fois, vous paierez pour voir Baba !

Grande sortie de Baba.

LA FOULE (murmurant)

Nous n’avons jamais eu journée si mouvementée.

SCÈNE 2

Prélude

Une nuit sans étoiles. Un cimetière. Tombeaux.

Au centre, une tombe fraîchement creusée.

Contre une pierre tombale est posée une bêche de fossoyeur.

Un if sur la droite.

Duo

Tom et Nick entrent, le premier hors d’haleine,

le second portant un petit sac noir.

TOM

Que cet endroit est sombre, sombre et effrayant !

Pourquoi m’as-tu mené ici ?

S h a d o w, il y a quelque chose, quelque chose sur ton visage

Qui m’emplit l’âme de terreur !

NICK

Un an et un jour sont passés

Depuis notre rencontre.

J’ai accompli tout ce que vous me demandiez.

Maintenant, je veux mes gages.

TOM

Shadow, mon ami, un peu de patience ; tu sais

Que je suis ruiné ;

131

ACTE III SCÈNE 2

Page 128: Texte Rake s Progress

But promise when I am rich again

To pay you all I owe.

NICK

’ Tis not your money but your soul , ’tis not your money

but your soul.

Which I this night require.

Look in my eyes, look in my eyes and recognise

Whom, Fool! you chose to hire.

(Pointing out the grave)

Behold, behold your waiting grave, behold

(Taking the objects mentioned out of his bag)

Steel, halter, poison, gun.

Make no excuse, your exit choose:

Tom Rakewell’s race is run.

TOM

O let the wild hills cover

Me

Or the abounding wave. O why...

NICK

The sins you did

May not be hid.

Think not your soul to save.

TOM

... Did an uncle

I never knew ...

Select me for his heir?

NICK

It pleases well the damned in Hell

To bring

Another there.

Midnight is come: by rope or gun

Or medicine or knife,

On the stroke of Twelve you shall slay yourself

For forfeit is your life.

(A clock begins to strike.)

Count one, count two, count three, count four,

Count five and six

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

132

Page 129: Texte Rake s Progress

Je te promets de te payer dès que je serai riche

Tout ce que je te dois.

NICK

Ce n’est pas ton argent, mais ton âme

Que je demande cette nuit.

Regarde-moi dans les yeux et reconnais

Celui que, imbécile ! tu pris pour valet.

(Montrant la tombe)

Voici, voici la tombe qui t’attend, voici ...

(Tirant de son sac les objets qu’il désigne)

Fer, corde, poison, pistolet.

Sans chercher d’excuses, choisis ta sortie :

La course de Tom Rakewell est courue.

TOM

Ah, que les monts sauvages

Me couvrent

Ou la vague déferlante. Ah, pourquoi ...

NICK

Les péchés que tu fis

Ne peuvent être cachés.

Ne songe pas à sauver ton âme.

TOM

... Un oncle

Que jamais je ne vis ...

Me choisit-il pour héritier ?

NICK

Les damnés en enfer aiment beaucoup

Qu’on leur en amène

Un autre.

Minuit va sonner : par la corde ou le feu

La potion ou le couteau,

Sur le coup de minuit tu te tueras,

Car ta vie t’est confisquée.

(Une horloge commence à sonner.)

Compte un, deux, trois, quatre, ...

Compte cinq et six ...

133

ACTE III SCÈNE 2

Page 130: Texte Rake s Progress

TOM

Have mercy, have mercy on me,

Heaven.

NICK

And seven,

Count eight;

TOM

Too late.

NICK

No, wait.

(He holds up his hand and the clock stops

after the ninth stroke.)

Recitative

NICK (urbanely)

Very well, then, my dear and good Tom, perhaps you

impose a bit upon our friendship; but Nick, as you know,

is a gentleman at heart, forgives your dilatoriness and

suggests a game.

TOM

A game?

NICK

A game of chance to finally decide your fate. Have you a

pack of cards?

TOM (taking a pack from his pocket)

All that remains me of this world, and for the next.

NICK

You jest. fine, fine. Good spirits make a game go well. I

shall explain. The rules are simple and the result simpler

still: Nick will cut three cards. If you can name them, you

are free; if not, (he points to the instruments of death)you

choose the path to follow me. You understand? ( To m

nods.) Let us begin.

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

134

Page 131: Texte Rake s Progress

TOM

Aie pitié, aie pitié de moi,

Ô Dieu.

NICK

... Et sept

Compte huit ;

TOM

Trop tard.

NICK

Non, attends.

(Il lève la main et l’horloge s’arrête

après le neuvième coup.)

Récitatif

NICK (avec urbanité)

Très bien, donc, mon bon et cher Tom, peut-être abuses-tu

un peu de notre amitié ; mais, tu le sais, Nick est fonciè-

rement galant homme ; il te pardonne ta lenteur à te déci-

der et te propose un jeu.

TOM

Un jeu ?

NICK

Un jeu de hasard pour décider de ton sort. As-tu sur toi

un paquet de cartes ?

TOM (tirant un paquet de sa poche)

Tout ce qui me reste de ce monde, et pour l’autre.

NICK

Tu plaisantes. bien, bien. De la gaieté met du cœur au

jeu. J’explique. Les règles sont simples, l’issue encore

plus simple : Nick va couper trois cartes. Si tu peux les

nommer, tu es libre ; sinon, (montrant les instruments de

mort) tu choisis la méthode de me suivre. Saisis-tu ? (Tom

incline la tête.) Commençons.

135

ACTE III SCÈNE 2

Page 132: Texte Rake s Progress

Nick shuffles the cards, places the pack in the palm

of his left hand and cuts with his right, holding then

the portion with the exposed card towards the audience

and away from Tom.

Duet

NICK

Well, then.

TOM

My heart is wild with fear, my throat is

Dry.

NICK

Come, try.

TOM

I cannot think, I dare, I dare not wish.

NICK

Let wish be thought and think on one to name,

You wish in all your fear could rule the game

Instead of Shadow.

TOM (aside)

Anne!

(Calmly)

My fear departs;

I name the Queen of Hearts.

NICK (holding up the card towards Tom)

The Queen of Hearts.

(He tosses it to one side. The clock strikes once.)

You see, it’s quite a simple game.

(As Tom lifts his head in silent thanks,

Nick adresses to the audience.)

To win at once in love or cards is dull;

The gentleman loves sport, for sport is rare;

The positive appals him;

He plays the pence of hope to yield the guineas of despair.

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

136

Page 133: Texte Rake s Progress

Il mêle les cartes, les bat, place le jeu dans la paume

de sa main gauche, et de la droite coupe, tenant la partie

de la carte exposée vers le public loin de la vue de Tom.

Duo

NICK

Eh bien alors.

TOM

Je suis fou de peur, ma gorge est

Sèche.

NICK

Allons, essaye.

TOM

Je ne peux penser, je n’ose souhaiter.

NICK

Que ton désir formule ta pensée et pense à qui

Tu voudrais de toute ta peur voir régner sur le jeu

Au lieu de Shadow.

TOM (à part)

Anne !

(Calmement)

Ma peur se dissipe ;

J’appelle la Dame de Cœur.

NICK (tournant la carte vers Tom)

La Dame de Cœur.

(Il jette la carte de côté. Un coup sonne à l’horloge.)

Tu vois, c’est un jeu très simple.

(Alors que Tom élève la main en un merci silencieux,

Nick s’adresse au public :)

Réussir du premier coup en jeu ou en amour est ennuyeux ;

Le gentleman aime le sport, car le sport est rare ;

Ce qui est sûr le désole ;

Il risque les pences de l’espoir pour gagner les guinées du

désespoir.

137

ACTE III SCÈNE 2

Page 134: Texte Rake s Progress

(Turning back to Tom.)

Again, good Tom.

You are my master yet.

(Nick repeats the routine of shuffling and cutting the cards.)

TOM

What shall I trust in now?

How throw the

Die,

NICK

Come try.

TOM

How throw the die

To win, to win my soul back for myself?

NICK

Was Fortune not your mistress once?

Be, be fair.

Give her at least the second chance to bare

The hand of Shadow.

The spade falls forward with a great crash.

TOM (startled, cursing)

The deuce!

(He looks at what fell. Calmly:)

She lights the shades

And shows the two of spades.

NICK (with scarcely contained anger throwing the card aside)

The two of spades.

(The clock strikes once.)

Congratulations.

The Goddess still is faithful.

(Changing his tone)

But we have one more, you know, the very last.

Think for a while, my Tom, where you have come to.

I would not want your last of chances thoughtless.

I am, you may have oftentimes observed,

Really compassionate.

Think on your hopes.

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

138

Page 135: Texte Rake s Progress

(Se tournant de nouveau vers Tom)

Tom, mon ami, tu restes

Encore mon maître.

(Nick recommence à battre et à couper les cartes.)

TOM

A quoi me fierai-je maintenant ?

Comment jeter

Le dé,

NICK

Allons, essaye.

TOM

Comment jeter le dé

Pour me racheter mon âme ?

NICK

N’eus-tu pas jadis pour maîtresse la Fortune ?

Sois juste.

Donne-lui au moins ta seconde chance de découvrir

La main de Shadow.

La bêche tombe avec un grand bruit.

TOM (saisi, jurant)

Au diable !

(Il regarde la bêche. Calmement :)

Elle éclaire les ombres,

Et montre le deux de pique.

NICK (jetant la carte avec une colère à peine contenue)

Le deux de pique.

(Un coup sonne à l’horloge.)

Félicitations.

La déesse te reste fidèle.

(Changeant de ton)

Mais nous en avons encore une, tu sais, la toute dernière.

Songe un peu, cher Tom, au point où tu en es venu.

Je ne voudrais pas que ta dernière carte

Soit choisie à l’étourdie.

Je suis, tu l’as souvent constaté, vraiment compatissant.

Songe à tes espoirs.

139

ACTE III SCÈNE 2

Page 136: Texte Rake s Progress

TOM

Oh God, what hopes have I?

(He covers his face in his arm and leans against the tomb.

Nick reaches deftly down, picks up one of the discarded

cards and holds it up while he addresses the audience.)

NICK

The simpler the trick, the simpler the deceit;

That there is no return, I’ve taught him well,

And repetition palls him:

The Queen of Hearts again shall be for him the Queen of

Hell.

(He slips the card into the pack and then turns to Tom.)

Rouse yourself, Tom, your travail soon will end.

(Routine as cards.)

Come, try.

TOM

Now in his words

NICK

Now in

My words ...

TOM

... I

Find no aid.

NICK

He’ll find no aid

And Fortune gives no other sign, no other sign

And Fortune gives no other sign.

TOM

Will Fortune gives another sign

Will Fortune give another sign?

Tom looks nervously about him.

NICK

Afraid, Love-lucky Tom? Come, try!

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

140

Page 137: Texte Rake s Progress

TOM

O Dieu, quels espoirs ai-je ?

(Il s’appuie contre la tombe, se cachant le visage du bras.

Prestement, Nick se penche et ramasse une des cartes

qu’il a jetées, et qu’il montre au public.)

NICK

Plus simple le tour, plus facile la triche ;

Il tient de moi qu’il n’existe pas de retour en arrière,

La répétition le lasse :

De nouveau la Dame de cœur, elle lui sera la Reine d’enfer.

(Il glisse la carte dans le jeu, puis se tourne vers Tom.)

Reprends-toi, Tom, ton épreuve touche à sa fin.

(Il accomplit les mêmes gestes de battre et de couper.)

Allons, essaye.

TOM

Désormais dans ses paroles ...

NICK

Désormais dans

Mes paroles...

TOM

... Je ne

Trouve aucun secours.

NICK

Il ne trouvera aucun secours.

Et la Fortune ne lui donnera pas d’autre signe,

Et la Fortune ne lui donnera pas d’autre signe.

TOM

La Fortune me donnera-t-elle un nouveau signe

La Fortune me donnera-t-elle un nouveau signe ?

Tom regarde avec effroi autour de lui.

NICK

As-tu peur, heureux-en-amour Tom ? Allons, essaye !

141

ACTE III SCÈNE 2

Page 138: Texte Rake s Progress

TOM (frightened looking away from the ground)

Dear God, a track of cloven hooves!

NICK (sardonic)

The knavish goats are back

To crop the spring’s return.

TOM (stepping forward, agonized)

Return! and Love! The

Banished words torment.

NICK

You cannot now

Repent.

TOM

Return, return!

O Love!

(He breaks off, startled, when he realizes he is singing

with Anne.)

ANNE (off stage)

A love

That is sworn before Thee can plunder Hell,

Can plunder Hell of its prey.

Nick stands as though frozen.

TOM

I wish for nothing else.

Love, first and last, assume eternal reign;

Renew, renew my life, O Queen of Hearts, again!

(He snatches the exposed half-pack from the still

motionless Nick. The twelfth stroke strikes.

With a cry of joy Tom sinks to the ground senseless.)

NICK

I burn! I burn! I freeze! In shame I hear

My famished legions roar;

My own delay lost me my prey

And damns myself the more.

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

142

Page 139: Texte Rake s Progress

TOM (levant les yeux, terrifié)

Mon Dieu, une piste de sabots fourchus !

NICK (sardonique)

Ces friponnes de chèvres sont revenues

Brouter le retour du printemps.

TOM (déchiré, s’avançant)

Retour ! Et Amour ! Les

Mots bannis torturent.

NICK

Tu ne peux maintenant

Te repentir.

TOM

Retour, retour !

Ô Amour !

(Tom s’interrompt, effrayé quand il réalise qu’il chante

avec Anne.)

ANNE (hors scène)

Un amour

Juré devant Toi peut arracher à l’enfer

Peut arracher à l’enfer sa proie.

Nick reste figé.

TOM

Je ne veux rien d’autre.

L’amour, du début à la fin, règne éternellement ;

Fais-moi renaître, renaître ô Reine de cœur !

(Il arrache le demi-paquet avec la carte exposée de la main

de Nick toujours immobile. Le douzième coup sonne.

Tom, avec un cri de joie, s’effondre sur le sol, inanimé.)

NICK

Je brûle ! Je brûle ! Je gèle ! Dans la honte j’entends

Mes légions affamées rugir ;

Mon propre recul m’a perdu ma proie

Et me damne moi-même encore plus sûrement.

143

ACTE III SCÈNE 2

Page 140: Texte Rake s Progress

Defeated, mocked, again I sink

In ice and flame, in ice and flame to lie.

But Heaven’s will I’ll hate and till

Eternity defy.

(Looking at Tom)

Your sins, my foe, before I go

Give me some power to pain:

(With a magic gesture)

To reason blind shall be your mind;

Henceforth be you insane!

Slowly Nick sinks into the grave. Blackout.

The dawn comes up. It is spring. The open grave is now

covered with a green mound upon which Tom sits smiling,

putting grass on his head and singing to himself

in a child-like voice.

TOM

With roses crowned, I sit on ground;

Adonis is my name,

The only dear of Venus fair:

Methinks it is no shame.

SCENE 3

Bedlam. Backstage centre on a raised eminence a straw pallet.

Tom stands before it facing the chorus of madmen who include

a blind man with a broken fiddle, a crippled soldier,

a man with a telescope and three old hags.

Arioso

TOM

Prepare yourselves, heroic shades.

Wash you and make you clean.

Anoint your limbs with oil, put on your wedding garments

and crown your heads with flowers.

Let music strike.

Venus, queen of Love, will visit her unworthy Adonis.

Dialogue

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

144

Page 141: Texte Rake s Progress

Vaincu, bafoué, de nouveau je sombre

Dans la glace et la flamme.

Mais je persisterai à haïr la volonté du ciel

Et à le défier jusque dans l’éternité.

(Regardant Tom)

Tes péchés, avant que je ne m’en aille,

Me donnent sur toi quelque pouvoir de nuire.

(Faisant un geste magique)

Aveugle à la raison sera ton esprit.

Désormais, tu seras fou.

Nick s’enfonce lentement dans la tombe. Obscurité totale.

L’aube se lève. C’est le printemps. La tombe est maintenant

refermée par un tertre vert sur lequel est assis Tom,

souriant, se piquant sur la tête des brins d’herbe,

et se chantant à lui-même d’une voix d’enfant.

TOM

Couronné de roses, à terre assis,

Adonis est mon nom,

De Vénus la belle le seul chéri.

Me semble que c’est bon.

SCÈNE 3

Bedlam. Au fond, au centre, une paillasse sur une éminence.

Devant se tient Tom, faisant face au chœur des fous

comprenant un aveugle portant un violon brisé, un soldat

invalide, un homme avec un télescope et trois vieilles sorcières.

Arioso

TOM

Apprêtez-vous, ombres héroïques,

Faites vos ablutions.

Oignez vos membres d’huile, revêtez vos vêtements de

noces et couronnez vos têtes de fleurs.

Que résonne la musique.

Vénus, reine de l’amour, va rendre visite à son indigne Ad o n i s .

Dialogue

145

ACTE III SCÈNE 3

Page 142: Texte Rake s Progress

MADMEN

Madmen’s words are all untrue;

She will never come to you.

TOM

She gave me her promise.

MADMEN

Madness cancels every vow;

She will never keep it

Now.

TOM

Come

Quickly, Venus, or I die.

Tom sits down on the pallet and buries his face

in his hands. The chorus dance before him

with mocking gestures.

Chorus – Minuet

MADMEN

Leave all love and hope behind!

Out of sight is out of mind

In these caverns of the dead.

In the city overhead

Former lover, former foe

To their works and pleasures go,

Nor consider who beneath

Weep and howl and gnash their teeth.

Down in Hell as up in Heaven

No hands are in marriage given,

Nor is honour or degree

Known in our society.

Banker, beggar, whore and wit

In a common darkness sit.

Seasons, fashions, never change;

All is stale yet all is strange;

All are foes and none are friends

In a night that never ends.

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

146

Page 143: Texte Rake s Progress

LES FOUS

Mots de fous sont tous mensonges ;

Elle ne viendra jamais.

TOM

Elle me l’a promis.

LES FOUS

Folie révoque toute promesse ;

Elle ne la tiendra jamais

Maintenant.

TOM

Viens

Vite, Vénus, ou je meurs.

Tom s’assied sur la paillasse et enfouit sa tête

entre ses mains. Le chœur danse autour de lui

avec des gestes moqueurs.

Chœur – Menuet

LES FOUS

Laisse derrière toi tout amour, espérance.

Oubliés de tous et d’eux-mêmes sont

Les morts qui vivent dans ces caves.

Dans la ville là-haut,

L’amant et l’ennemi de jadis

Vont à leurs travaux et leurs plaisirs,

Sans songer à ceux qui, en dessous,

Pleurent et hurlent et grincent des dents.

Au fond de l’enfer comme en haut dans le ciel,

On ne donne aucune main en mariage,

Ni ne connaît-on chez nous

Distinction ou grade.

Banquier, mendiant, putain ou bel esprit,

Sont ensemble assis dans les communes ténèbres.

Saisons, modes, rien n’y change jamais ;

Tout est croupi et pourtant étrange ;

Il n’est point d’amis, tous sont ennemis

Dans une nuit qui ne s’achève jamais.

147

ACTE III SCÈNE 3

Page 144: Texte Rake s Progress

(The sound of a key being turned in a rusty lock is heard.)

Hark! Minos comes who cruel is and strong:

Beware! Away! His whip is keen and long.

They scatter to their cells. Enter Keeper and Anne.

Recitative

KEEPER (pointing to Tom)

There he is. Have no fear. He is not dangerous.

ANNE

Tom!

Tom still does not stir.

KEEPER

He believes that he is Adonis and will answer to no other

name. Humour him in that, and you will find him easy to

manage. So, as you desire, I’ll leave you.

ANNE (giving him money)

You are kind.

KEEPER

I thank you, lady.

Exit Keeper. Anne goes up and stands close to Tom

who still has not moved.

ANNE

Adonis.

TOM (raising his head and springing to his feet)

Venus, my queen, my bride. At last.

Arioso

I have waited, I have waited for thee so long,

Till I almost believed those madmen who blasphemed

against thy honour.

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

148

Page 145: Texte Rake s Progress

(On entend le son d’une clef tournant dans une serrure rouillée.)

Attention ! Voici Minos, cruel et fort,

Gare ! Fuyons ! Son fouet est long et acéré.

Ils se dispersent dans leurs cellules.

Le Gardien entre avec Anne.

Récitatif

LE GARDIEN (montrant Tom)

Le voici. Ne craignez pas. Il n’est pas dangereux.

LES FOUS

Tom !

Tom ne bouge toujours pas.

LE GARDIEN

Il se croit Adonis et ne répond à aucun autre nom. Ne le

contrariez pas et vous le trouverez doux. Puisque vous le

désirez, je vous laisse.

ANNE (lui glissant une pièce)

Vous êtes bon.

LE GARDIEN

Je vous remercie, madame.

Il sort. Anne va vers Tom et se tient près de lui ;

il ne bouge toujours pas.

ANNE

Adonis.

TOM (levant la tête et se dressant vivement)

Vénus, ma reine, mon épouse. Enfin.

Arioso

J’ai attendu, je t’ai tant attendue

Que j’en arrivai presque à croire ces fous qui blasphé-

maient contre toi.

149

ACTE III SCÈNE 3

Page 146: Texte Rake s Progress

They are rebuked.

Mount, Venus, mount thy throne.

(He leads her to the pallet on which she sits.

He kneels at her feet.)

O merciful goddess,

Hear the confession of my sins.

Duett

TOM

In a foolish dream, in a gloomy labyrinth

I hunted shadows, disdaining thy true love;

Forgive thy servant, who repents his madness,

Forgive, forgive Adonis, and he shall faithful prove.

ANNE (rising and raising him by the hand)

What should I forgive?

Thy ravishing penitence

Blesses me, dear heart, and brightens all the past.

Kiss me, kiss me, Adonis: the wild boar is vanquished.

TOM

Embrace me, Venus: I’ve come home at last.

ANNE AND TOM

Rejoice, beloved: in these fields of Elysium

Space cannot alter, nor time our love abate;

Here has no words for Absence or Estrangement

Nor Now a notion of Almost or Too Late.

Tom suddenly staggers. Anne helps him gently to lie down

on the pallet.

Recitative

TOM

I am exceeding weary. Immortal queen, permit thy mortal

bridegroom to lay his head upon thy breast.

(He does so.)

The Heavens are merciful, and all is well.

Sing, my beloved, sing me to sleep.

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

150

Page 147: Texte Rake s Progress

Ils sont confondus.

Monte, Vénus, monte sur ton trône.

(Il la conduit à la paillasse où elle s’assied.

Il s’agenouille à ses pieds.)

Ô déesse miséricordieuse,

Écoute la confession de mes péchés.

Duo

TOM

Dans un sot rêve, un sombre dédale,

J’ai poursuivi des ombres, dédaignant ton amour ;

Pardonne à ton serviteur qui se repent de sa folie,

Pardonne à Adonis et il se montrera fidèle.

ANNE (se levant et le relevant de la main)

Qu’ai-je à pardonner ?

Ton merveilleux repentir

Me bénit, cher cœur, et illumine tout le passé.

E m b r a s s e-moi, embrasse-moi Ad o n i s : le sanglier est vaincu.

TOM

Embrasse-moi, Vénus : je suis enfin de retour.

ANNE & TOM

Réjouis-toi, mon amour : en ces champs élyséens,

La distance ne peut changer ni le temps ni notre amour ;

Il n’existe pas de mots ici pour absence, aliénation ;

Ni maintenant de Bientôt ou de Trop Tard.

Soudain Tom défaille. Anne l’aide doucement

à s’étendre sur la paillasse.

Récitatif

TOM

Je suis extraordinairement las. Reine immortelle, laisse

ton mortel époux reposer sa tête sur ton sein.

(Il le fait.)

Les cieux sont compatissants, tout est bien. Chante, ma

bien-aimée, chante pour m’endormir.

151

ACTE III SCÈNE 3

Page 148: Texte Rake s Progress

Lullaby

ANNE

Gently, little boat,

Across the ocean float,

The crystal waves dividing:

The sun in the west

Is going to rest;

Glide, glide, glide

Toward the Islands of the Blest.

MADMEN (off in the cells)

What voice is this?

What heavenly strains

Bring solace to tormented brains?

ANNE

Orchards greenly grace

That undisturbed place,

The weary soul recalling

To slumber and dream,

While many a stream

Falls, falls, falls,

Descanting on a child-like theme.

MADMEN (off in the cells)

O sacred music of the spheres!

Where are our rages and our fears?

ANNE

Lion, lamb and deer,

Untouched by greed or fear

About the woods are straying.

And quietly now

The blossoming bough

Sways, sways, sways

Above the fair unclouded brow.

MADMEN

Sing on! For ever sing! Release

Our frantic souls and bring us peace!

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

152

Page 149: Texte Rake s Progress

Berceuse

ANNE

Doucement, petite barque,

Flottant sur l’océan,

Ouvrant les vagues de cristal.

Le soleil se couche

Pour dormir.

Glisse, glisse, glisse

Vers les Iles Fortunées.

LES FOUS (dans leurs cellules)

Qui chante ?

Quels célestes accents

Consolent nos cerveaux torturés ?

ANNE

Des vergers ornent de leur verdure

Ce lieu de quiétude,

Rappelant l’âme lassée

Au repos et au rêve,

Et mainte source

Coule, coule, coule,

Sur un chant enfantin.

LES FOUS (dans leurs cellules)

Ô musique sacrée des sphères !

Où sont nos fureurs et nos terreurs ?

ANNE

Lion, agneau et daim,

Sans désir ni peur,

Errent par les bois.

Désormais dans la paix

La palme fleurie

Se balance, balance, balance,

Au-dessus du beau front sans nuages.

LES FOUS

Chante ! Chante toujours ! Délivre

Nos âmes forcenées ! Apporte-nous la paix !

153

ACTE III SCÈNE 3

Page 150: Texte Rake s Progress

Enter Keeper with Trulove.

Recitative

TRULOVE

Anne, my dear, the tale is ended now. Come home.

ANNE

Yes, father.

(To Tom)

Tom, my vow holds ever, but it is no longer I you need.

Sleep well, my dearest dear. Good-bye.

Anne comes down-stage and joins Trulove.

Duettino

ANNE

Every wearied body must

Late or soon return to dust,

TRULOVE

God is

Merciful and just.

God ordains what ought to be,

ANNE

Set the frantic spirit free.

In this earthly city we shall not

Meet again, love,

Yet

Never think that I forget.

TRULOVE

But a father’s eyes are wet.

Exeunt Anne and Trulove and Keeper. Tom wakes,

starts to his feet and looks wildly around.

Finale (Recitative and chorus)

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

154

Page 151: Texte Rake s Progress

Le Gardien entre avec Trulove.

Récitatif

TRULOVE

Anne, ma chérie, l’histoire est terminée. Rentrons.

ANNE

Oui, père.

(A Tom)

Tom, mon serment tient toujours, mais ce n’est plus de

moi que tu as besoin. Dors bien, mon très cher aimé.

Adieu.

Anne va à l’avant-scène et rejoint son père.

Duettino

ANNE

Chaque corps épuisé doit

Tôt ou tard retourner en poussière...

TRULOVE

Dieu est

Bon et juste.

Dieu dispose ce qui doit être,

ANNE

... Libérer l’esprit forcené.

En cette terrestre vie nous ne

Nous retrouverons plus, mon amour,

Mais

Ne crois jamais que j’oublie.

TRULOVE

Mais les yeux d’un père se mouillent.

Sortent Anne, Trulove et le Gardien. Tom s’éveille,

se met debout et regarde, effaré, autour de lui.

Finale (Récitatif & chœur )

155

ACTE III SCÈNE 3

Page 152: Texte Rake s Progress

TOM

Where art thou Venus? Venus, where art thou? The

flowers open to the sun. The birds renew their song. It is

spring. The bridal couch is prepared. Come quickly, belo-

ved, and we will celebrate the holy rites of love.

The Chorus enter from all sides.

TOM (a moment’s silence, shouting:)

Holà! Achilles, Helen, Euridice, Orpheus, Pe r s e p h o n e ,

all my courtiers. Holla!

Where is my Venus? Why have you stolen her while I

slept? Madman! Where have you hidden her?

MADMEN

Venus? Stolen? Hidden? Where?

Madman! No one has been here.

TOM

My heart breaks. I feel the chill of death’s approaching

wing. Orpheus, strike from thy lyre a swanlike music,

and weep, ye nymphs and shepherds of these Stygian

fields, weep for Adonis, the beautiful, the young; weep for

Adonis whom Venus loved.

(He falls back on the pallet.)

Mourning Chorus

Mourn for Adonis!

Mourn for Adonis,

Ever young.

Mourn for Adonis,

Venus’ dear,

Mourn for Adonis,

Venus’ dear,

Weep, weep, weep,

Tread softly round his bier.

Weep, weep, for the dear of Venus, weep, weep.

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

156

Page 153: Texte Rake s Progress

TOM

Où es-tu, Vénus ? Vénus, où es-tu ? Les fleurs s’ouvrent

au soleil. Les oiseaux reprennent leur chant. C’est le

printemps. La couche nuptiale est prête. Viens vite, mon

aimée, et nous célébrerons les saints rites de l’amour.

Le chœur entre de tous côtés.

TOM (après un moment de silence, criant :)

Holà ! Achille, Hélène, Eurydice, Orphée, Pe r s é p h o n e ,

toute ma cour. Holà !

Où est ma Vénus ? Pourquoi l’avez-vous prise pendant

que je dormais ? Fous ! Où l’avez-vous cachée ?

LES FOUS

Vénus ? Volée ? Cachée ? Où ?

Fou ! Personne n’est venu ici.

TOM

Mon cœur se brise. Je sens de la mort m’effleurer l’aile

glacée. Orphée, frappe ta lyre et fais-lui rendre des sons

de cygne, et pleurez, vous, nymphes et bergers des rives

du Styx, pleurez Adonis, jeune et beau, pleurez Ad o n i s

que Vénus aima.

(Il retombe sur la paillasse.)

Chœur de déploration

Pleurez Adonis !

Pleurez Adonis,

Toujours jeune.

Pleurez Adonis,

Aimé de Vénus.

Pleurez Adonis,

Aimé de Vénus

Pleurez, pleurez, pleurez,

Et doucement entourez son cercueil.

Pleurez, pleurez, celui qu’aima Vénus, pleurez, pleurez,

157

ACTE III SCÈNE 3

Page 154: Texte Rake s Progress

EPILOGUE

Before the curtain. House lights up.

Enter Baba, Tom, Nick, Anne,Trulove,

the men without wigs, Baba without her beard.

ALL

Good people, just a moment:

Though our story now is ended,

There’s the moral to draw

From what you saw

Since the curtain first ascended.

ANNE

Not every rake is rescued

At the last by Love and Beauty;

Not every man

Is given an Anne

To take the place of Duty.

BABA

Let Baba warn the ladies:

You will find out soon or later

That, good or bad,

All men are mad:

All they say or do is theatre.

TOM

Beware, young men who fancy

You are Virgil or Julius Caesar,

Lest when you wake

You be only a

Rake.

TRULOVE

I heartily agree, Sir!

NICK

Day in, day out, poor Shadow

Must do as he is bidden.

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

158

Page 155: Texte Rake s Progress

ÉPILOGUE

Devant le rideau. Salle éclairée.

Entrent Baba, Tom, Nick, Anne et Trulove,

les hommes sans perruques, Baba sans barbe.

TOUS

Braves gens, un instant :

Notre conte est terminé,

Mais il faut tirer la morale

De ce que vous avez vu

Depuis que le rideau s’est levé.

ANNE

Il n’est pas donné à tout libertin

D’être sauvé à la fin par Amour et Beauté ;

A tout homme

N’est pas donnée une Anne

Pour tenir la place du devoir.

BABA

Un avertissement de Baba aux dames :

Tôt ou tard, vous découvrirez

Que, bons ou mauvais,

Tous les hommes sont fous.

Tout ce qu’ils disent ou font, c’est du théâtre.

TOM

Attention, jeunes gens qui croyez

Être Virgile ou César,

Craignez au matin

De vous retrouver

Libertin.

TRULOVE

J’abonde en votre sens, monsieur !

NICK

Du matin au soir, le pauvre Shadow

Doit faire ce qui lui est ordonné.

159

ÉPILOGUE

Page 156: Texte Rake s Progress

Many insist

I do not exist.

At times I wish I didn’t.

ALL

So let us sing as one.

At all times, in all lands

Beneath the moon and sun,

This proverb has proved true,

Since Eve went out with Adam:

For idle hands

And hearts and minds

The Devil finds

A work to do,

A work, dear Sir, fair Madam,

For you and you.

Bow and exeunt.

End of the opera

© Boosey & Hawkes, New York, 1949-1951

STRAVINSKY THE RAKE’S PROGRESS

160

Page 157: Texte Rake s Progress

Beaucoup disent

Que je n’existe pas.

Il m’arrive de le souhaiter.

TOUS

Donc, tous d’un seul cœur chantons.

En tous temps, en tous lieux,

Sous la lune et le soleil,

Le proverbe a dit vrai,

Depuis qu’Ève s’est mise avec Adam :

A mains,

Têtes et cœurs oisifs,

Le diable a tôt fait

De trouver besogne,

Besogne, cher monsieur, belle dame,

Pour vous et vous.

Ils saluent tous et sortent.

Fin de l’opéra

Traduction : N. Lesieur

161

ÉPILOGUE

Page 158: Texte Rake s Progress
Page 159: Texte Rake s Progress

CAHIER de LECTURES

W.H. Auden

Pose ta tête endormie...

Francis Poulenc

Stravinsky, portrait américain

Igor Stravinsky

La tradition classique

Eric W. White

Débuts de la carrière du Rake

Theodor W. Adorno

Le néo-classicisme de Stravinsky

Maurice Fleuret

Néo-classique ? Classique !

W.H. Auden

Beauté, minuit, vision s’effacent

Page 160: Texte Rake s Progress

Pose ta tête endormie, mon amour,

Tendre, sur mon bras infidèle ;

Le temps et les fièvres consument

La beauté toute individuelle

Des enfants rêveurs, et la tombe

Prouve que l’enfant est fragile :

Mais dans mes bras, jusqu’à l’aurore,

Que repose la créature

Vivante, mortelle, coupable,

Mais pour moi, belle entièrement.

WYSTAN HUGH AUDEN

In Collected Poems

Traduction : Jean Lambert

164

ALBAN BERG

’ ’

Page 161: Texte Rake s Progress

165

FRANCIS POULENC

STRAVINSKY, PORTRAIT AMÉRICAIN

Peu de musiciens ont tiré de l’orchestre un plus beau bruit

que Stravinsky. Entre ses mains, tout devient musique. Je me

souviens d’un jour lointain où, à la sortie d’une répétition de

Noces au théâtre Sarah-Bernhardt, nous prenions un bock, lui,

Auric, Rieti, Marcelle Meyer et moi. Tout en parlant, il heur-

tait avec le manche d’une cuillère nos verres vides. Croyez-

moi, c’était du Stravinsky. Ce Stravinsky de 1923, je l’ai re-

trouvé prodigieusement le même voici un mois.

Comme les êtres vraiment authentiques, Stravinsky pro-

mène avec lui son ambiance, ce qui fait que dans son studio

de Californie, je me croyais soit à Garches, à Biarritz, à Nice

ou à Paris dans les diverses résidences de Stravinsky de 1920

à 1938. Au mur les mêmes photos, les mêmes dessins de

Picasso, le même pochoir de Braque, sur les tables les

mêmes objets qui donnent à son bureau l’aspect d’un atelier

d’artisan : ici une lime, là un petit étui, une armée de grat-

toirs, un taille-crayon géant, des encres de toutes couleurs,

des règles de toutes tailles, des plumes de toutes grosseurs,

des régiments de gommes, du papier collant, des punaises,

une petite bibliothèque à cigarettes – un sofa pour les repos

au milieu du travail avec un mouchoir taie d’oreiller posé sur

un coussin. « Au bout d’une heure de travail intense, m’ a

souvent répété Stravinsky, reposez vous dix minutes, fermez

les yeux et jugez-vous. »

Page 162: Texte Rake s Progress

166

S t r a v i n s ky a toujours composé sur un piano quasi-muet.

Cet homme qui a écrit quelques unes des pages les plus toni-

truantes de la musique prétend qu’on n’entend bien ce que

l’on écrit que lorsqu’on le joue pianissimo.

Sur le pupitre de son piano, nous voyons une grande plan-

chette de bois et, en guise de papier à musique, une larg e

feuille de papier... à dessin. Car Stravinsky règle lui-même

son papier suivant les besoins de la composition.

Une montre est accrochée à l’angle droit de la tablette.

Comme je comprends cela, moi qui n’ai jamais pu écrire de

musique sans voir l’heure. C’est hélas ma seule commune

mesure avec le génie de Stravinsky.

Chaque matin, ayant pris son petit déjeuner au soleil sur

sa terrasse, Stravinsky se met ponctuellement à sa table, j’al-

lais dire à son établi. Ne me répétait-il pas jadis : « Mon cher

Poulenc, je ne nie pas l’inspiration, mais il faut la mettre tous

les jours à heure fixe sur le pot, comme on met les enfants. »

Dans sa ravissante maison californienne noyée dans les

fleurs, auprès d’une compagne exquise, entouré de ses enfants

et de ses petits-enfants, Stravinsky, au comble de la gloire,

continue à défricher les routes les plus difficiles. Même s’il lui

arrive, dans une œuvre comme le Scherzo à la russe, de flirter

avec le style de Pe t r o u c h ka , c’est toujours avec une technique

nouvelle et un art chaque jour plus exigeant.

[...]

Dès que j’entre dans le studio de Stravinsky, avec l’ins-

tinct que me donnent trente ans d’amitié, je saurais dire

exactement où il en est rien qu’à regarder les musiques qui

l’entourent. Cette fois, une pile impressionnante d’œuvres de

Palestrina me fait immédiatement présager des recherches

d’ordre religieux.

Les disques complets du Mariage de Figaro , de Così et de

L’Enlèvement me font augurer quelque œuvre scénique. Je ne

m’étais pas trompé, Stravinsky vient d’achever une messe et

compose actuellement un opéra bouffe en trois actes. Jadis, à

l’époque du Concerto de violon, les sonates de Bach ne le

quittaient pas ; à l’époque de Mavra, son piano était encom-

bré des partitions de Gounod, Chabrier, Delibes. Alors me

direz-vous, Stravinsky s’amuse à pasticher. Erreur, il regarde

tout simplement et il écoute, mais de quelle oreille !

FRANCIS POULENC

Page 163: Texte Rake s Progress

Picasso réagit de même devant un dessin d’Ingres ou telle

bacchanale de Poussin. Après un examen minutieux de ces

modèles illustres, Stravinsky se concentre sur lui-même et

nous donne sa solution du problème, car toute œuvre offre

une série de problème à résoudre.

Tandis que nous déjeunions en plein air de succulents

homards grillés arrosés de merveilleux vins français

(Stravinsky ne peut s’en passer), il m’expliquait l’esthétique

de son nouvel opéra. Orchestre de Mozart, bois par deux, pas

de trombone et un piano conducteur chargé d’accompagner

les récitatifs.

« Je veux pour la représentation de mon ouvrage un petit

théâtre d’où l’on entend partout de près : Monte-Carlo serait

le rêve. »

En effet, ce serait l’idéal, et j’espère bien que ce théâtre

qui a donné la première représentation française de Parsifal

ne laissera pas échapper celle de l’opéra de Stravinsky.

A bâtons rompus, 1949

STRAVINSKY, PORTRAIT AMÉRICAIN

Page 164: Texte Rake s Progress

168

IGOR STRAVINSKY

LA TRADITION CLASSIQUE

Depuis de nombreuses années je songe à écrire un opéra

en anglais. Par là je veux dire une musique qui ait son origine

dans la prosodie anglaise et élaborée à ma façon, comme je

l’ai fait autrefois pour les prosodies russes (Le Ro s s i g n o l,

Mavra, Les Noces), française (Perséphone) et latines (Œdipus

rex, Symphonie de psaumes).

Il y a six ans, c’est-à-dire en 1947, à Chicago, dans une

exposition de peinture anglaise, j’ai été frappé par les diffé-

rentes séries de Hogarth comme par une succession de

tableaux d’opéra. Peu après, lors d’une conversation avec

mon ami et voisin de Hollywood Aldous Huxley – qu’il faut

considérer comme le parrain de mon opéra, car c’est lui qui a

suggéré Wystan H. Auden comme librettiste – nous avons

parlé des problèmes posés par un opéra en langue anglaise.

En septembre 1947, après avoir achevé mon Orpheus, j’ai

informé mon éditeur que, le regretté Ralph Hawkes, de mon

projet d’écrire un grand opéra. L’idée lui plut beaucoup et il

commanda par la suite le livret à Wystan H. Auden. En

novembre, Auden me rejoignit à Hollywood. Nous nous

sommes mis d’accord sur le sujet, une fable morale en trois

actes, fondée sur la série du Rake’s Progress et avons rédigé

un synopsis de l’action, du décor et des personnages. De

retour à New York, Auden prit Chester Kallman comme coli-

brettiste. Et en mars 1948, ils donnèrent ce qui est certaine-

ment un des plus beaux livrets. La composition de la

musique m’a occupé pendant trois ans.

Page 165: Texte Rake s Progress

Lorsqu’on eut annoncé que je travaillais à un opéra, j’ai

lu dans la presse des spéculations sur ce que je ferais.

C e l l e s-ci se fondaient inévitablement sur mes deux opéras

précédents – Le Rossignol et Mavra. Le Rossignol me paraît

plus éloigné de moi que les opéras anglais d’il y a trois

siècles ou que l’opéra italo-mozartien qui a été tant négligé et

si mal compris par le monde des musiciens dramatiques.

Pour autant que M a v r a puisse se comparer à mon travail

actuel, c’est une œuvre qui représente ma conception de

l’opéra. Je pense qu’ « o p é r a » et « drame musical » sont

deux choses extrêmement différentes. L’œuvre de ma vie est

consacrée à la première.

The Ra ke’s Pr o g r e s sest vraiment un opéra – un opéra d’airs,

de récitatifs, de chœurs et d’ensembles. Sa structure musicale,

la conception de l’emploi de ces formes jusqu’aux relations de

tonalités sont dans la lignée de la tradition classique.

Texte écrit par le compositeur à l’occasion de la première américaine de l’œuvre

Cité dans Stravinsky d’Eric Walter White, © Flammarion, 1983

LA TRADITION CLASSIQUE

Page 166: Texte Rake s Progress

170

ERIC WALTER WHITE

DÉBUTS DE LA CARRIÈRE DU RAKE

Dès le départ, le compositeur avait conçu The Ra ke ’ s

Pr o g r e s s comme un opéra de chambre, avec un petit

orchestre, un petit chœur et un nombre limité de solistes

« musica da camera » disait-il dans une interview accordée à

Emilia Zanetti – un peu comme Così fan tutte – et il semblait

préférable de le créer dans un cadre moins grandiose. C’est

pourquoi il choisit d’en donner la première représentation au

Teatro la Fenice de Venise, au cours du XIVe

Festival interna-

tional de musique contemporaine organisé par Fe r d i n a n d o

Ballo. Et comme la Fenice n’avait pas sa propre compagnie,

c’est la Scala de Milan qui fournit l’orchestre, tandis que les

rôles principaux étaient confiés aux meilleurs chanteurs dis-

ponibles. Stravinsky lui-même accepta de diriger.

Il arriva donc en Europe avec son épouse au cœur de

l’été ; les premières répétitions eurent lieu à la Scala vers la

fin du mois d’août. Puis l’orchestre, le chœur et les solistes

gagnèrent Venise dans trois wagons de chemin de fer spécia-

lement réservés. La première à la Fenice, le 11 septembre

1951, fut une soirée extrêmement brillante.

Page 167: Texte Rake s Progress

171

« A mesure que le Rake progressait, il devenait clair

que Stravinsky atteignait à plus d’ampleur que jamais

auparavant. Les mouvements courts, très serrés, qui étaient

typiques de lui, le cédaient à des arias et des scènes d’une

grande liberté et expressivité lyriques. Malgré l’intérêt

et la précision étonnante de l’orchestre, c’était un opéra de

chanteurs et d’une fécondité dans l’invention mélodique

qui avait longtemps manqué à l’opéra. Durant les

entractes, les gens qui ne savent pas entendre la musique

discutaient de questions urgentes, comme celle de savoir

si le Rake avait ou non ce que Coleridge, traduisant

Schelling, appelait une forme organique. On entendait

également les commentaires sur le droit de Stravinsky

d’utiliser les anciennes conventions et formules de l’opéra

– venant de personnes qui n’avaient pas encore perçu la

sagesse de la remarque d’Ezra Pound “la beauté est

un bref sursaut entre un cliché et un autre” – mais

la majorité du public lui aurait tout concédé ou

l’aurait suivi n’importe où*. »

S t r a v i n s ky n’eut pas le temps d’écrire ni de publier un

manifeste ou une déclaration sur The Rake’s Progressavant la

représentation de Venise. Mais le soir de son arrivée à Milan,

il fit clairement comprendre, dans l’interview avec Emilia

Zanetti, qu’il était toujours radicalement opposé à l’idée de

drame lyrique, lequel souffrait, selon lui, d’une absence to-

tale de forme : « On doit toujours se borner, se donner des

l i m i t e s . » Il terminait en avouant son admiration pour

Monteverdi et son penchant pour L’Elixir d’amour d e

Donizetti. Il faisait également l’éloge d’Auden et Kallman,

prétendant que, à son avis, leur livret était aussi bon, sinon

m e i l l e u r, que le Don Giovanni de Da Ponte ; Auden devait

d’ailleurs lui rendre le compliment en publiant en guise de

dernière partie de The Dyer’s Hand (1963) un hommage à

S t r a v i n s ky comportant ses plus importants essais sur la

musique et l’opéra.

D’après Robert Craft, ce fut pour Stravinsky un succès

considérable.

DÉBUTS DE LA CARRIÈRE DU RAKE

* In The Ra ke’s Progress in Venice de Robert Craft. Publié dans le pro-

gramme de la production du Boston University Opera, 1953.

Page 168: Texte Rake s Progress

« Lorsque les lumières se sont éteintes et que Stravinsky

est entré dans la fosse, les applaudissements qui le saluaient

se décomposaient en trois niveaux : de tout le théâtre

des applaudissements rendaient hommage à l’homme

de grande stature (ce que lui eût appelé ses « lettres de

créance ») ; des places chères, on applaudissait pour

saluer un important événement social ; des balcons on

applaudissait un maître au faîte de ses capacités, qui

présentait son œuvre la plus grande. Stravinsky dirigeait

avec sa dignité habituelle, et avec une fermeté et une

intensité qu’aucun chef ne sait donner à son œuvre.

Et c’était là l’aspect le plus remarquable d’une exécution

qui, compte tenu des circonstances – trois semaines de

préparation seulement – était loin d’être idéale... Dès la fin

du deuxième acte, il y avait dans l’air une excitation et

un enthousiasme qui correspondaient bien à la création

d’un grand opéra. Les scènes du cimetière et de Bedlam

sont parmi les choses les plus émouvantes qu’il ait jamais

écrites, et elles n’ont pas manqué de toucher l’auditoire...

Stravinsky reçut une véritable ovation. Il était une heure

du matin avant que le théâtre ne fût vide ; et nous ne nous

sommes couchés qu’à six. »

Sans que cela fût évident au moment même, The Rake’s

Progress concluait la splendide série de chefs-d’œuvre néo-

classiques que Stravinsky écrivait depuis Mavra.

Extrait de Stravinsky de Eric Walter White (Traduction Dennis Collins)

© FLammarion, 1983

ERIC W. WHITE

Page 169: Texte Rake s Progress

173

THEODOR W. ADORNO

LE NÉO-CLASSICISME DE STRAVINSKY

L’œuvre d’Igor Stravinsky est entrée après la Seconde

Guerre mondiale dans une toute nouvelle constellation. Alors

q u’en 1930, si l’on fait exception de la plus stricte école

s c h ö n b e rgienne, tous les musiciens soucieux de se montrer

modernes faisaient de lui leur modèle stylistique, Stravinsky

n’est plus aujourd’hui qu’un « grand old man », l’unique sur-

vivant de ceux à qui l’on donne l’étiquette de « classiques de

la musique moderne », leur faisant perdre ainsi, inévitable-

ment, cette qualité de « m o d e r n e s » qu’on cherche à leur

g a r a n t i r. Stravinsky a, parallèlement à Picasso, lancé au

début des années vingt le néo-classicisme. Mais à la diffé-

rence de Picasso, il lui est resté fidèle pendant plus de trente

ans. Il a fallu attendre les œuvres postérieures au Ra ke ’ s

Pr o g r e s s pour le voir essayer sa technique sur un matériau

autre que la tonalité restaurée.

[...]

Son néo-classicisme a eu beaucoup à souffrir de ce qui

s’est fait en son nom, de la stupidité de tous ceux qui,

jusqu’au néo-baroque, se sont imaginé que les modèles de cet

Page 170: Texte Rake s Progress

174

artiste souverainement joueur offraient une règle de ce qui

était à faire ou à ne pas faire en musique, et qu’il n’ é t a i t

besoin que d’une énergique volonté de style pour restaurer

un langage musical qui fasse autorité et triompher ainsi de ce

qui est calomnieusement présenté comme le vain bavardage

du « s u b j e c t i v i s m e ». L’ expérience qui forme le noyau du

néo-classicisme – tout au moins celui qui s’est développé au

même moment en peinture, et qui est loin d’avoir eu le reten-

tissement de celui de Stravinsky – ne visait aucunement à

l’origine la reconstruction de formes autrefois en vigueur,

bien qu’on ait pu à tout moment avoir le réflexe de recourir à

elle. Ce qui a fait du néo-classicisme, indirectement, un idéal

stylistique, c’est la possibilité qu’il procure à l’individu

dégoûté de lui-même d’investir sa libido sur des formes anté-

rieures à l’évolution historique et encore incomplètement

individuées. [...] L’inspiration du néo -classicisme, au départ,

est proche de celle du surréalisme ; les revenants baroques

de Stravinsky sont les doubles de ces statues qui, dans L a

Femme 100 têtes de Max Ernst, basculent au milieu des

vivants, et qui souvent n’ont pas de visage, comme s’il avait

été gommé par la censure du rêve.

[...]

Plutôt que de s’interroger sur la qualité de la production

n é o-classique de Stravinsky, et de ses fluctuations, il serait

plus urgent de se demander ce qui a amené l’auteur du

Sacre du printemps – du strict point de vue de la compo-

sition, et non du point de vue psychologique – à adopter des

conditions aussi restrictives et à s’imposer ainsi, en quelque

sorte, un handicap insurmontable. Il faut se représenter ce

q u’implique le fait qu’un compositeur illustre, d’une virtuo-

sité réellement straussienne, n’écrive plus que des œuvres

qui, au lieu de lui assurer des succès larges et éclatants, ou

de le gratifier des succès négatifs et ésotériques du scan-

dale, l’ont privé au contraire de ce qui un jour l’avait défini

tout entier : l’intérêt. Peut-être un cas analogue ne s’est-il

produit qu’avec les dernières pièces de Brecht. Le prestige

accumulé fait sans doute que toutes ces œuvres sont jouées

dans le monde entier ; mais il n’y a guère Œdipus rex et que

la Symphonie de psaumesqui aient trouvé dans le public un

écho durable et, plus récemment, The Ra ke’s Pr o g r e s s : ce

pastiche a été servi par le manque d’opéras contemporains

THEODOR W. ADORNA

Page 171: Texte Rake s Progress

représentatifs et par un livret qui promet ce pour quoi les

A n g l o-S a xons disposent du terme intraduisible de s o p h i s t i -

cated. L’horizon qu’il avait lui-même ouvert dans la phase

du Sacre du printempsa dû inspirer à Stravinsky un effroi –

d’autant plus grand qu’il était le premier à le ressentir – qui

a également frappé par la suite d’autres compositeurs,

moins révisionnistes, de sa génération.

1962

Extrait de Quasi una fantasia (Traduction de Jean-Marie Leleu)

© Gallimard, 1982

LE NÉO-CLASSICISME DE STRAVINSKY

Page 172: Texte Rake s Progress

176

MAURICE FLEURET

NÉO-CLASSIQUE ? CLASSIQUE !

Ce n’est ni agréable ni confortable, mais je dois m’ y

résoudre : on n’a pas tous les jours l’occasion de réviser de

fond en comble une opinion que l’on croyait sinon définitive,

du moins assez solidement étayée pour vous donner long-

temps bonne conscience. J’ai dit, j’ai répété, que la période

n é o-classique de Stravinsky inaugurée dès 1919 avec

P u l c i n e l l a n’avait été finalement qu’une manière habile de

fuir les perspectives ouvertes à coups de hache par le Sacre

du printemps, qu’un recours au passé par peur de l’avenir,

qu’un jeu de grand virtuose pris au piège de sa facilité pen-

dant que d’autres (Schoenberg, Webern, Varèse) s’escri-

maient, dans le désert, à construire les cités du futur. Même

la conversion tardive de Stravinsky à l’héritage viennois me

devenait suspecte au point que j’y voyais plutôt l’ultime

pirouette d’un néo-webernisme de circonstance qu’un enga-

gement réellement profond. Depuis cinquante ans, le vieux

renard n’avait-il donc réussi qu’à changer de masques pour

mieux nous abuser ?

Certes, je n’étais pas à la création de The Rake’s Progress

à la Fenice de Venise en 1951, mais ni les deux enregistre-

ments dirigés par le compositeur avec le Metropolitan Opera

Page 173: Texte Rake s Progress

de New York et avec le Sadler’s Wells de Londres, ni la

médiocre production de l’Opéra-Comique il y a quelques

années, ne m’avaient fait changer d’avis. Or, voici qu’en une

seule soirée la représentation de l’Opéra de Lyon vient de

renverser mon Stravinsky préfabriqué, de bouleverser ce que

je croyais être une certitude, et de me bouleverser tout court.

Néo-classique, ce livret inspiré des gravures baroques de

Hogarth, conseillé par Aldous Huxley et tracé à la pointe

sèche, mais avec du sang, par Wystan Auden et Chester

Kallman comme une moralité condensant à la fois Don Juan ,

Faust et l’Histoire du soldat en une succession de tableaux de

genre sur la vanité et la misère et l’irrémédiable solitude

humaine ? Néo-classiques, ces récitatifs ponctués par le cla-

vecin, ces airs d’une expressivité concentrée, ces ensembles

denses et foisonnant d’inventions, ces chœurs de forte élo-

quence, cette musique impérieuse, inéluctable comme le des-

tin qu’elle illustre ? Néo-classiques, non ! Classiques, oui !

Si le classicisme c’est l’efficacité dramatique, l’homogénéité

du langage, la rigueur de la forme, l’harmonie des propor-

tions, le refus de l’élégance, la volonté de dépassement, la

quête éperdue de l’essentiel.

Le roi Igor aurait bien pu écrire tous les concertos déco-

ratifs et d’ameublement de Vivaldi et de Telemann réunis...

Qu’importe, si c’était pour en arriver là, pour parvenir enfin,

et seul en ce siècle, à cette synthèse dure et rayonnante, à cet

exaltant embrasement de la tradition qui recule les limites du

possible artistique bien au-delà de toutes les modernités. Les

stravinskiens me trouveront naïf, mais le vertige de l’éviden-

ce me saisit : The Rake’s Progress c’est Bach Haydn, Mozart

et tous les autres, élevés au dénominateur commun et su-

prême de leur éternité par une pensée globale et fertilisante

qui, loin de les figer, les engage vers l’aventure.

Extrait d’un article paru dans le Nouvel Observateurdu 1er

février 1971

à l’occasion de la production de l’Opéra de Lyon

NÉO-CLASSIQUE ? CLASSIQUE !

Page 174: Texte Rake s Progress

Beauté, minuit, vision s’effacent :

Que les vents de l’aube, soufflant

Autour de ta tête rêveuse

Révèlent un jour si propice

Que l’œil et le cœur te bénissent,

Satisfaits du monde mortel ;

Que les midis arides te trouvent nourri

Par les forces involontaires,

Que les nuits d’affronts te laissent passer,

Veillé par toutes les amours humaines.

WYSTAN HUGH AUDEN

In Collected Poems

Traduction : Jean Lambert

’ ’

Page 175: Texte Rake s Progress

CARNET de NOTES

Igor Stravinsky

Repères biographiques

& Notice bibliographique

The Rake’s Progress

Orientations discographiques

Page 176: Texte Rake s Progress

IGOR STRAVINSKYREPÈRES BIOGRAPHIQUES

180

H I S T O I R E S T R AV I N S KY

1881-1882.

Pogroms contre les Juifs

en Russie.

1889.

Premier emprunt russe lancé

en France.

1882.

Naissance le 17 juin

à Lomonossov près de

Saint-Petersbourg.

1891.

Commence ses études

musicales : piano, puis

harmonie et contrepoint.

1898.

Réalise sa première

composition musicale,

Tarantelle pour piano,

restée inédite.

1902.

Suit des études de droit à

l’université de Saint-Pe t e r s b o u rg.

Soumet ses premières

compositions à Rimski-Ko r s a kov

qui l’engage à poursuivre.

Page 177: Texte Rake s Progress

STRAVINSKY & SON TEMPS

181

M U S I Q U E L I T T É R AT U R ESCIENCE & ART S

1882.

Wagner, Parsifal .

1883.

Mort de Wagner.

Naissance d’Ernest Ansermet.

1889.

Rimski-Korsakov,

Schéhérazade.

1890.

Tchaikovski, La Dame de pique.

1891.

Naissance de Serge Prokofiev.

1893.

Mort de Tchaïkovski.

Verdi, Falstaff.

1900.

Naissance d’Aaron Copland.

1901.

Mort de Verdi.

1902.

Debussy, Pelléas et Mélisande.

1883.

Pavlov passe sa thèse

de doctorat en médecine.

1885.

Mort de Victor Hugo.

1887.

Naissance de Marc Chagall.

Tchekhov : Ivanov.

1890.

Naissance de Boris Pasternak.

1892.

Naissance de Marina Tsvétaeva.

1893.

Émile Zola : Le Docteur Pascal,

dernier volet des

Rougon-Macquart.

Naissance de Maïakovski.

Page 178: Texte Rake s Progress

IGOR STRAVINSKYREPÈRES BIOGRAPHIQUES

182

H I S T O I R E S T R AV I N S KY

1904.

Entente cordiale entre la

France et l’Angleterre.

1905.

France : Séparation de l’Église

et de l’État.

1re

Révolution russe.

1906.

Réhabilitation du capitaine

Dreyfus.

1912.

Chine : abdication de

l’empereur Pu Yi. Proclamation

de la république par

Sun Yat-sen.

1903.

Rimski-Korsakov devient son

professeur pour la composition,

l’orchestration et l’analyse.

1905.

Achève ses études

universitaires.

1906-1907.

Mariage avec Catherine

Nossenko ; naissance de

son premier fils, Theodor,

puis de sa fille Ludmila l’année

suivante.

1910.

Premier voyage à Paris ; ren-

contre Debussy, Ravel, Satie,

de Falla. Création de L’Oiseau

de feu à l’Opéra de Paris.

Naissance de son fils Soulima.

1911.

Création de Petrouchka au

Châtelet sous la direction de

Pierre Monteux.

1912.

Avec Diaghilev, assiste

à Parsifal au festival

de Bayreuth.

Rencontre Schoenberg

dont il admire beaucoup

le Pierrot lunaire.

Page 179: Texte Rake s Progress

STRAVINSKY & SON TEMPS

183

M U S I Q U E L I T T É R AT U R ESCIENCE & ART S

1905-1908.

Schoenberg élabore la musique

sérielle, se détournant de la

tonalité.

1906.

Charles Ives, Central Park in

the dark. (L’œuvre ne sera

créée qu’en 1954.)

1908.

Mort de Rimski-Korsakov.

Naissance d’Olivier Messiaen.

Scriabine, Poème de l’extase.

1909.

Rachmaninov, Troisième

concerto pour piano et orchestre.

1911.

Mort de Mahler.

1912.

Schoenberg, Pierrot lunaire.

1907.

Naissance du poète

Wystan Hugh Auden.

Picasso, Les Demoiselles

d’Avignon.

1910.

Marinetti : Manifeste futuriste

Kandinsky : Du spirituel

dans l’art.

Page 180: Texte Rake s Progress

IGOR STRAVINSKYREPÈRES BIOGRAPHIQUES

184

H I S T O I R E S T R AV I N S KY

1914.

Début de la Première Guerre

mondiale. L’Allemagne déclare

la guerre à la Russie le 1er

août.

1916.

Autriche-Hongrie : mort de

l’empereur François-Joseph.

1917.

Révolution d’octobre en Russie.

1918.

Fin de la Première Guerre

mondiale.

1918-1920.

Guerre civile en Russie,

victoire des bolcheviks.

1919.

Fondation du Komintern

(Internationale communiste).

Traité de Versailles.

Ecrasement de la révolution

spartakiste à Berlin et

naissance de la République

de Weimar.

1913.

Première mouvementée du

Sacre du printempsau Théâtre

des Champs-Elysées.

Collabore avec Ravel à une

version de La Khovantchina

de Moussorgski.

1914.

Naissance de sa fille Milena.

Création du Rossignol à l’Opéra

de Paris.

La famille Stravinsky s’installe

en Suisse.

1915.

Débuts en tant que chef

d’orchestre à Genève où

il dirige la Suite de L’Oiseau

de feu.

1917.

Première rencontre avec

Picasso.

1918.

Création de L’Histoire du soldat

à Lausanne.

1920.

Création de Pulcinella à

l’Opéra de Paris sous la

direction d’Ernest Ansermet.

La famille Stravinsky s’installe

en France.

Page 181: Texte Rake s Progress

STRAVINSKY & SON TEMPS

185

M U S I Q U E L I T T É R AT U R ESCIENCE & ART S

1913.

Naissance de Benjamin Britten.

1917.

Erik Satie, Parade .

1918.

Mort de Debussy.

Naissance de Leonard Bernstein.

Bartók, Le Château

de Barbe-Bleue.

1915.

Malevitch, Carré noir

sur fond blanc.

1916.

Freud : Introduction

à la psychanalyse.

1918.

Manifeste Dada.

1919.

Fondation du Bauhaus à

Weimar.

Page 182: Texte Rake s Progress

IGOR STRAVINSKYREPÈRES BIOGRAPHIQUES

186

H I S T O I R E S T R AV I N S KY

1921.

Révolte et répression des

marins de Cronstadt et des

ouvriers de Petrograd.

Adoption en URSS de la NEP

(nouvelle politique économique)

tolérant la propriété et le com-

merce privés.

1922.

Staline devient secrétaire

général du Parti communiste.

Mussolini et ses troupes

marchent sur Rome.

1924.

Mort de Lénine.

Dictature de Mussolini

en Italie.

1929.

Exil de Trotski.

Krach boursier à Wall Street et

début d’une crise économique

internationale.

1921.

Serge Koussevitsky dirige

la création de la Symphonie

d’instruments à ventsà Londres.

1922.

Termine la création de son

opéra Mavra, qui sera

un échec.

Création de Renard à l’Opéra

de Paris.

Rencontre Marcel Proust.

1923.

Création de Nocesà la

Gaîté-Lyrique (direction,

Ernest Ansermet).

1925.

Première tournée aux

États-Unis.

1927.

Accueil froid pour la création

d’Œdipus rex écrit avec

Jean Cocteau.

1928.

Création d’Apollon musagète

et du Baiser de la fée.

Page 183: Texte Rake s Progress

STRAVINSKY & SON TEMPS

187

M U S I Q U E L I T T É R AT U R ESCIENCE & ART S

1921.

Prokofiev, L’Amour des trois

oranges.

1923.

Naissance de Gyorgy Ligeti.

1925.

Alban Berg, Wozzeck.

Naissance de Pierre Boulez et

de Luciano Berio.

1928.

Kurt Weill, Bertolt Brecht,

L’Opéra de quat’sous.

1929.

Chostakovitch, Le Nez.

1921.

Einstein, prix Nobel

Chaplin, Le Kid.

1922.

Joyce : Ulysse.

1923.

Chagall quitte l’URSS pour

s’installer en France.

1924.

Thomas Mann : La Montagne

magique.

1925.

Soutine, Le Bœuf.

1928.

Fleming découvre la pénicilline.

1929.

Max Ernst, La Femme 100 têtes.

Page 184: Texte Rake s Progress

IGOR STRAVINSKYREPÈRES BIOGRAPHIQUES

188

H I S T O I R E S T R AV I N S KY

1933.

Allemagne : accession

au pouvoir du NSDAP, Hitler

devient chancelier.

1934.

Entrée de l’URSS à la Société

des Nations.

1936.

Arrivée au pouvoir du Front

populaire de Léon Blum.

Début de la guerre civile

en Espagne.

1939.

Pacte de non-agression signé

entre l’Allemagne et

l’Union soviétique.

Début de la Deuxième Guerre

mondiale.

1941.

Début de l’opération

Barberousse, offensive

allemande sur l’URSS.

Pearl Harbour, entrée des

États-Unis dans le conflit.

1930.

Création à Bruxelles de la

Symphonie de psaumes

(direction, Ernest Ansermet).

1934.

Création de Perséphone, sur un

texte d’André Gide.

Reçoit la nationalité française.

1939.

Mort de sa femme Catherine et

de sa mère. Quitte l’Europe en

guerre pour les États-Unis.

1940.

Épouse Vera de Bosset.

1941.

S’installe à Hollywood.

Page 185: Texte Rake s Progress

STRAVINSKY & SON TEMPS

189

M U S I Q U E L I T T É R AT U R ESCIENCE & ART S

1931.

Ravel, Concerto pour la main

gauche et Concerto en sol.

Varèse, Ionisations.

1933.

Kurt Weill et Bertolt Brecht,

Les Sept Péchés capitaux.

1935.

Mort de Berg.

1936.

Prokofiev, Pierre et le loup.

1941.

Création de Lady in the dark

à New York.

1930.

Naissance d’Antoine Vitez.

Mort de Maïakovski.

1932.

Naissance de Vassili Axionov.

Aldous Huxle : Le Meilleur

des mondes.

1933.

Malraux : La Condition

humaine

Première rétrospective Hopper

au MOMA de New York.

1936.

Mort de Maxime Gorki.

André Gide : Retour de l’URSS.

1938.

Mort de Stanislavski.

Eisenstein, Alexandre Nevski

(musique de Prokofiev).

1939-1940.

Arrestation et mort de

Meyerhold.

1940.

Walt Disney, Fantasia .

Cholokhov : Le Don paisible.

Page 186: Texte Rake s Progress

IGOR STRAVINSKYREPÈRES BIOGRAPHIQUES

190

H I S T O I R E S T R AV I N S KY

1942-1943.

Bataille de Stalingrad,

capitulation des forces allemandes.

1944.

Débarquement des Alliés

en Normandie.

1945.

Conférence de Yalta : Staline,

Churchill, Roosevelt définissent

l’organisation du monde

de l’après-guerre.

8 mai : capitulation

de l’Allemagne.

1946.

Début de la « guerre froide ».

1948.

Naissance de l’état d’Israël.

1949.

Traité de l’Atlantique nord.

Proclamation de la République

populaire de Chine par

Mao Tse Toung.

Création de la République

fédérale d’Allemagne.

1950.

Aux États-Unis, début

du maccarthysme.

1944.

Dirige la création de Quatre

Impressions norvégiennes avec

l’Orchestre symphonique

de Boston.

1945.

Reçoit la nationalité

américaine.

1948.

Rencontre Robert Craft

qui devient son assistant.

Création à la Scala de Milan

de la Messe.

1951.

Création de The Rake’s Progress

à la Fenice de Venise.

Page 187: Texte Rake s Progress

STRAVINSKY & SON TEMPS

191

M U S I Q U E L I T T É R AT U R ESCIENCE & ART S

1944.

Naissance de Peter Eötvös.

1945.

Mort de Webern et de Bartók.

1946.

Mort de Manuel de Falla.

Pierre Boulez, Sonatine pour

flûte et piano, Première sonate

pour piano.

1947.

Naissance de John Adams.

1949.

Mort de Richard Strauss.

Naissance de Michaël Levinas.

1942.

Lubitsch, To be or not to be.

1945.

Simenon s’installe

aux États-Unis.

1949.

William Faulkner, prix Nobel

de Littérature.

1950.

Mort de George Orwell

et de Nijinski.

1952.

Stanley Donen, Chantons

sous la pluie.

Page 188: Texte Rake s Progress

IGOR STRAVINSKYREPÈRES BIOGRAPHIQUES

192

H I S T O I R E S T R AV I N S KY

1953.

5 mars : mort de Staline.

Exécution des époux Rosenberg

aux États-Unis.

1956.

Insurrection de Budapest

et intervention militaire

des Soviétiques.

1957.

Signature du traité de Rome

instituant la Communauté

économique européenne.

1958.

En France, retour de Charles

de Gaulle au pouvoir et début

de la Ve

République.

1961.

Construction du mur de Berlin.

1962.

Indépendance de l’Algérie.

Crise des missiles de Cuba

entre Kennedy et

Khrouchtchev.

1963.

Assassinat de J.F. Kennedy.

1956.

Création de Canticum sacrum

ad honorem Sancti Marci

nominis à la basilique

Saint-Marc de Venise.

1957.

Création de Agon sous la

direction de Robert Craft.

1958.

Dirige la création de Threni,

œuvre dodécaphonique à

l’église San Rocco de Venise.

1962.

Voyage en Russie où il n’était

pas revenu depuis 48 ans.

1964.

Création d’Elegy for J.F.K. et, à

Jerusalem, d’Abraham et Isaac.

Page 189: Texte Rake s Progress

STRAVINSKY & SON TEMPS

193

M U S I Q U E L I T T É R AT U R ESCIENCE & ART S

1953.

Mort de Prokofiev.

1954.

Britten, Le Tour d’écrou.

1955.

Naissance de Pascal Dusapin.

1957.

Poulenc, Dialogues

des carmélites.

Bernstein, West Side Story.

1964.

Mort de Pierre Monteux.

1953.

Mort de Dylan Thomas.

1957.

Publication en Italie du

Docteur Jivago de Pasternak,

interdit en URSS.

Lancement du premier satellite,

le Spoutnik.

1958.

Palme d’or du festival de

Cannes décernée à Quand

passent les cigognes

de Kalatazov.

Jacques Tati, Mon oncle.

1961.

Yuri Gagarine fait le premier

vol spatial habité à bord

du vaisseau Vostok.

Page 190: Texte Rake s Progress

IGOR STRAVINSKYREPÈRES BIOGRAPHIQUES

194

H I S T O I R E S T R AV I N S KY

1967.

Guerre des Six Jours.

1968.

Mouvements étudiants

et sociaux en France et dans

le monde.

Assassinat de Robert Kennedy

et de Martin Luther King.

Richard Nixon élu président

des États-Unis.

1969.

Charles de Gaulle démissionne

de la présidence de

la République.

1966.

Création de Requiem Canticles

(direction, Robert Craft).

Compose sa dernière œuvre,

The Owl and the Pussycat,

dédiée à son épouse.

1967.

Derniers enregistrement

et concert public.

1971.

Meurt le 6 avril à New York

d’un œdème pulmonaire. Est

enterré à Venise le 15 avril.

Il repose au cimetière de l’île

San Michele, non loin de la

tombe de Diaghilev.

Page 191: Texte Rake s Progress

STRAVINSKY & SON TEMPS

195

M U S I Q U E L I T T É R AT U R ESCIENCE & ART S

1965.

Bernd Aloïs Zimmermann,

Les Soldats.

1968.

Berio, Sinfonia.

1966.

Publication posthume du

Maître et Marguerite de

Boulgakov (mort en 1940).

Mort d’Anna Akhmatova.

Andreï Tarkovski,

Andreï Roublev.

1968.

Publication en France du

Premier Cerclede Soljenitsyne.

1969.

Premiers pas de l’homme

sur la lune.

1973.

Mort du poète W.H. Auden.

Page 192: Texte Rake s Progress

Du compositeur

IGOR STRAVINSKY. Chroniques de ma vie, Denoël-Gonthier, 1971.

Sur le compositeur

ERIC WALTER WHITE. Stravinsky, le compositeur et son œuvre,

traduit par Dennis Collins, Collection Harmoniques,

Flammarion, 1983.

ANDRÉ BOUCOURECHLIEV. Stravinsky, Fayard, 1989.

MARCEL MARNAT. Stravinsky, Collection Solfèges, Seuil, 1995.

Sur The Rake’s Progress

L’Avant-Scène / Opéra, numéro 145 (1992).

IGOR STRAVINSKYNOTICE BIBLIOGRAPHIQUE

196

Page 193: Texte Rake s Progress

THE RAKE’S PROGRESS ORIENTATIONS DISCOGRAPHIQUES

197

IGOR STRAVINSKY

Royal Philharmonic Orchestra de Londres

Chœur du Sadler’s Wells Opera

Avec Don Garrard (Trulove), Judith Raskin (Anne),

Alexander Young (Tom Rakewell), John Reardon

(Nick Shadow), Jean Manning (Mother Goose), Regina Sarfaty

(Baba la Turque), Kevin Miller (Sellem), Peter Tracey

(Le Gardien de l’asile de fous)

1964

KENT NAGANO

Orchestre & Chœur de l’Opéra de Lyon

Avec Robert Lloyd (Trulove), Dawn Upshaw (Anne),

Jerry Hadley (Tom Rakewell), Samuel Ramey (Nick Shadow),

Anne Collins (Mother Goose), Grace Bumbry (Baba la Turque),

Steven Cole (Sellem), Roderick Earle

(Le Gardien de l’asile de fous)

1996

JOHN ELIOT GARDINER

London Symphony Orchestra

Monteverdi Choir

Avec Martin Robson (Trulove), Deborah York (Anne),

Ian Bostridge (Tom Rakewell), Bryn Terfel (Nick Shadow),

Anne Howells (Mother Goose), Anne Sofie von Otter

(Baba la Turque), Peter Bronder (Sellem), Julian Clarson

(Le Gardien de l’asile de fous)

1999

Page 194: Texte Rake s Progress
Page 195: Texte Rake s Progress

Chargé d’édition

Jean Spenlehauer

Conception & Réalisation

Brigitte Rax / Clémence Hiver

Impression

Imprimerie Lussaud

Opéra national de Lyon

Saison 2006/07

Directeur général

Serge Dorny

OPÉRA NATIONAL DE LYON

Place de la Comédie

69001 Lyon

Renseignements & Réservation

0.826.305.325 (0,15 e/ m n )

www.opera-lyon.com

L’Opéra national de Lyon est conventionné par le ministère de la Culture et

de la Communication, la Ville de Lyon, le conseil régional Rhône-Alpes

et le conseil général du Rhône.

Page 196: Texte Rake s Progress
Page 197: Texte Rake s Progress

ACHEVÉ d’IMPRIMER

en ce mois de mai 2007

pour les représentations du

RAKE’S PROGRESS

à l’Opéra national de Lyon

Mise en scène

Robert Lepage

Direction musicale

Alexandre Lazarev