Strategies et changement : innovations et transformations des organisations

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Innovations et transformations des organisations

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Innovations et transformations des organisations

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ÉDITEUR DE SAVOIRS

Du même auteur dans la collection Management Sup :

Les fondamentaux du management, 2e édition, Dunod, 2013 Fusions-acquisitions, 4e édition, Dunod, 2012 Management du changement, Dunod, 2012

Management interculturel, se édition, Dunod, 2013

Le pictogramme qui figure ci-contre d'enseignement supérieur, provoquant une mérite une explication. Son objet est baisse brutale des achats de livres et de d'alerter le lecteur sur la menace que revues, au point que la possibilité même pour représente pour l'avenir de l'écrit,

------.. les auteurs de créer des œuvres

porticulièrement dans le domoine DANGER nouvelles et de les faire éditer cor-de l'édition technique et universi-

@) rectement est aujourd'hui menacée.

toire, le développement massif du Nous rappelons donc que toute photocopillage. reproduction, portielle ou totale, Le Code de Io propriété intellec- de Io présente publication est tuelle du 1er juillet 1992 interdit lE PHOTOCOPl.J.AGE interdite sans autorisation de en effet expressément Io photoco- TUE LE LIVRE l'auteur, de son éditeur ou du pie à usage collectif sans autori- Centre français d'exploitation du sotion des ayants droit. Or, cette pratique droit de copie (CFC, 20, rue des s'est généralisée dans les établissements Grands-Augustins, 75006 Paris).

© Dunod, Paris, 2013 ISBN 978-2-10-059939-4

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Table des matières

Remerciements

Introduction

1 La RSE comme forme d'innovation relationnelle pour l'entrée sur un nouveau marché

Section 1 La RSE comme vecteur de changement possible d'un champ concurrentiel

Section 2 Étude du cas Michel et Augustin

Section 3 De nouvelles stratégies d'innovation relationnelle

2 Les stratégies d'innovation et de rupture

Section 1 L'innovation : une tentative de délimitation

Section 2 Les différentes facettes de l'innovation

Section 3 Comment innover?

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Stratégies et changement

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3 Les stratégies des jeunes entreprises technologiques innovantes 51

Section 1 Les caractéristiques stratégiques des JETI 52

Section 2 Les outils et concepts de la stratégie des JETI 58

Section 3 Un modèle intégré du développement de ces entreprises clés 64

4 La gestion et l'animation des réseaux d'innovation 11

Section 1 Les réseaux d'innovation : cadrage théorique 72

Section 2 Les nouveaux modèles d'innovation: quel impact sur les réseaux? 83

5 Les brevets, déploiement d'une stratégie de protection ? 91

Section 1 Le brevet : une diversité de fonctions aux finalités stratégiques 93

Section 2 La Pl au sein de Danone 99

Section 3 Le déploiement de la stratégie de Pl ou l'articulation des différentes fonctions du brevet 108

6 Les stratégies d'external isation

Section 1 L'externalisation comme politique de changement

Section 2 L'externalisation: opportunités stratégiques ou menaces?

Section 3 Étude de cas: l'externalisation des compétences centrales« périphériques»

Bibliographie

Index

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Remerciements

C e livre a bénéficié du concours de plusieurs spécialistes et experts

des questions sur les changements stratégiques (politique d'inno­

vation relationnelle, stratégie de rupture, déploiement stratégique, déve­

loppement en réseau, externalisation . . . ). Il est le fruit d'une collaboration

étroite avec de nombreux professeurs et chercheurs spécialisés, et du

soutien d'entreprises partenaires qui ont souhaité participer à la réalisa­

tion de cet ouvrage collectif.

C'est pourquoi nous souhaitons remercier les différents contributeurs

et organisations pour leurs participations à ce projet qui réunit des

approches, expériences et sensibilités différentes autour d'une même

ambition, celle d'analyser, de décrypter et d'expliquer la thématique du

changement stratégique sous toutes ses formes, en précisant les enjeux,

caractéristiques et conséquences de ces types de changements en fonc­

tion du contexte étudié.

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Stratégies et changement

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Les différents contributeurs ayant participé à cet ouvrage sont :

Cécile AYERBE Maître de conférences, Habilité à Diriger des Recherches, Université

de Nice

Michel BARABEL Maître de conférences, Université Paris Est - IRG

Michel BERNASCONI Professeur et Directeur opérationnel de la Faculté, SKEMA Business

School

Thomas LOILIER Professeur des Universités, IAE de Caen

Olivier MEIER Maître de conférences et Directeur de recherche (HDR), Université

Paris Est - IRG

Audrey MISSONIER Professeur ESC Montpellier

Liliana MITKOVA Maître de conférences, Habilité à Diriger des Recherches, UPEMLV

- IRG

Jean-Claude PACITTO Maître de conférences, Habilité à Diriger des Recherches, Université

Paris Est - IRG

Albéric TELLIER Maître de conférences, Habilité à Diriger des Recherches, IAE de

Caen

Christophe ToRSET Maître de conférences au CNAM

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1 ntrod uction

Olivier MEIER, Directeur de l 'ouvrage

D epuis deux décennies, nous assistons collectivement à un mou­

vement de transformations qui changent le périmètre et le

champ d'actions de l 'entreprise confrontée à un environnement incer­

tain et instable, marqué par la globalisation des marchés, les rivalités

concurrentielles et le progrès technologique. Face à cette situation nou­

velle et irréversible, l 'entreprise actuelle se doit de s'adapter, en optant,

le cas échéant, pour des changements plus prononcés et plus impor­

tants, essentiels à la survie et à la pérennité de son organisation. Ces

changements stratégiques, qui touchent le contenu des organisations en

termes de mission, d'objectifs ou de métiers, mais aussi le système

dans sa globalité proviennent de choix qui tendent à transformer la per­

formance de l 'entreprise, et à créer des situations de réorientations ou

de rupture avec l 'existant. L'aspect critique et décisif de ces mouve­

ments explique ainsi l' intérêt constant que suscite ce sujet dans les

travaux en management stratégique et son approfondissement pour

mieux cerner les différentes dimensions du couple « stratégie et chan­

gement » en matière d 'options stratégiques.

Cet ouvrage est consacré essentiellement aux manœuvres straté­

giques à la disposition des entreprises, pour gérer et développer leurs

activités. Il met l 'accent sur le contenu de la stratégie des firmes qui en

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Stratégies et changement

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fonction des choix opérés, peut conduire à modifier le visage de l 'entre­

prise et à redessiner ses perspectives de croissance. Les mouvements

stratégiques de la firme sont de ce fait étroitement associés aux ques­

tions relatives à la vocation des organisations, à leurs exigences en

termes de performance et de sécurité et à la position qu'elles souhaitent

occuper au sein de l 'environnement concurrentiel.

Fort de ce constat, nous nous sommes attachés à proposer différentes

situations critiques dans lesquelles l'entreprise est amenée à faire des

choix en matière de développement ou de redéploiement, en ayant

recours à différentes manœuvres stratégiques. Les thèmes sélectionnés

s'inscrivent donc dans cette démarche et sont illustrés par différents

exemples et études de cas significatives de ces changements. Afin de

resituer ces manœuvres dans leurs contextes stratégiques, il est proposé

au début de chaque chapitre, une revue de littérature spécifique pour

mieux comprendre les enjeux et motifs associés à ces manœuvres stra­

tégiques.

Le chapitre 1 traite de l 'usage de l ' innovation relationnelle comme

modalité de changement sur les marchés. Il s'appuie sur l 'étude de cas

approfondi de l'entreprise Michel&Augustin dans le secteur de l'agro­

alimentaire, en mettant en avant la politique RSE comme moyen de

changer les règles du jeu concurrentiel.

Le chapitre 2 aborde une question maj eure en matière de gestion des

entreprises, en analysant les politiques d ' innovation et de rupture sous

ses différentes facettes.

Le chapitre 3 s'intéresse aux stratégies des jeunes entreprises techno­

logiques innovantes (JETI) et étudie leurs caractéristiques, modes

d'actions et modèle de développement.

Le chapitre 4 traite de la gestion et de l' animation des réseaux d'inno­

vation. Il vise notamment à étudier les nouveaux modèles d'innovation

et leurs impacts en termes de rôles, de stratégies d'acteurs et de moda­

lités d'application .

Le chapitre 5 approfondit l'articulation des différents rôles du brevet

et analyse le déploiement d'une stratégie de protection à partir du cas

Dan one.

Enfin, le chapitre 6 étudie les stratégies d'externalisation, mouve­

ment stratégique aujourd'hui incontournable dans la politique des

firmes, mais dont les modalités pratiques peuvent amener à bien des

déconvenues.

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La RSE comme forme d'innovation relationnel le pour l'entrée sur un nouveau marché

Michel BARABEL

Olivier MEIER

SaMMAIRE SECTION 1 La RSE comme vecteur de changement possible

d'un champ concurrentiel

SECTION 2 Étude du cas Michel et Augustin

SECTION 3 De nouvelles stratégies d'innovation relationnelle

L a RSE est souvent perçue comme un moyen utilisé par les grandes

entreprises, pour renforcer leur compétitivité et leur domination

sur le marché. Néanmoins, certains travaux récents tentent de remettre

en cause les fondements d'une corrélation positive entre la perfor­

mance sociale et sociétale d'une entreprise et sa taille. L'objectif de cet

article est d'analyser la façon dont l 'entreprise Michel et Augustin,

malgré des ressources limitées, a réussi à modifier les règles du jeu

concurrentiel à son avantage au sein du marché de la biscuiterie, et ce

malgré l ' importance et le poids de concurrents puissants. Nous montre­

rons notamment de quelle manière l 'entreprise a su valoriser la dimen­

sion RSE, pour transformer sa relation avec ses différentes parties

prenantes et ainsi changer la structuration de son environnement

concurrentiel.

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Chapitre 1 La RSE comme forme d'innovation relationnelle

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Section 1 LA RSE COMME VECTEUR DE CHANGEMENT POSSIBLE D 'UN CHAMP CONCU RRENTI E L

1 La RSE com me facteur de renforcement de la position stratégique de la grande entreprise

La thématique de la responsabilité sociale (RSE) est aujourd'hui

l 'une des problématiques centrales de la recherche en gestion (Wood,

1991 ; Carroll, 1 999 ; De Bakker, Groenewegen et Den Rond, 2005).

L'émergence et le développement du concept de RSE sont souvent

reliés dans la littérature à la crise de légitimité qui touche les entre­

prises depuis une vingtaine d 'années. Cela a conduit à l'instauration

progressive d'un nouvel environnement institutionnalisé (Gabriel,

2007) faisant pression sur les entreprises pour intégrer la montée des

préoccupations écologiques, sociales et sociétales et leurs consé­

quences sur le plan stratégique et managérial . Il en résulte un certain

nombre d'outils et de principes tels que les codes de bonne conduite,

les chartes de valeurs, le management de la diversité, les normes/

labels, les partenariats avec les ONG, les normes qualité (de type ISO

14 000), les rapports RSE/GRI Report . . . qui ont pour la plupart

émergé au sein des grandes entreprises multinationales (Jenkins,

2006). En ce sens, le concept de RSE induit un changement de

perspective de l ' entreprise vis-à-vis de son environnement, en passant

d'une approche actionnariale défendue par des auteurs comme

Friedman ( 1 970) à la prise en compte des attentes de l ' ensemble de

ses parties prenantes (Caroll, 1999). Ces pressions ont notamment

nourri un phénomène d'isomorphisme institutionnel (Di Maggio et

Powell, 1 99 1 ), avec l ' obligation pour les entreprises de mettre en

œuvre une politique de RSE sous peine de sanctions, de la part des

différentes parties prenantes. À ce titre, certains auteurs considèrent

que la RSE est devenue aujourd'hui un préalable à l'obtention d'un

droit à exercer sur le marché (Graaftand et al. , 2003).

La plupart des travaux traitant de la responsabilité sociale de

l 'entreprise (RSE) ont initialement porté sur les grandes entreprises

conduisant à faire de ces dernières la norme en matière de RSE

(Hoivik & Shankar, 2010 ; Blomback & Wigren, 2009). Assez natu-

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La RSE comme forme d'innovation relationnelle Chapitre 1

rellement, ces travaux suggèrent que les grandes entreprises sont les

mieux armées pour répondre aux exigences de la RSE, en raison de

l ' importance de leurs ressources financières et humaines (Graafland

et al. , 2003 ; Husted & Allen, 2007), de .la possibilité de mobiliser de

multiples compétences et de leur maîtrise du cadre législatif. L' exi­

gence d ' innovation favorise la grande entreprise, capable d' allouer

des ressources importantes pour continuer à évoluer et contribue

ainsi au maintien de la position concurrentielle des entreprises en

place.

Selon cette perspective, la RSE peut être perçue comme un moyen

utilisé par les grandes entreprises, pour conserver leur position sur le

marché (empêcher l 'émergence de nouveaux acteurs, figer le jeu

concurrentiel), en faisant appliquer des pratiques conventionnelles (Di

Maggio et Powell, 1983) ou indirectement en renforçant l 'apparition

des structures justifiées (Meyer et Scott, 1 986).

2 La RSE comme opportunité d' innovation relationnelle en faveur des TPE

Certains travaux tentent de remettre en cause les fondements d'une

corrélation positive entre la compétitivité d'une entreprise et sa taille,

en soulignant les avantages de la petite et moyenne entreprise (Foray et

Mowery, 1988 ; Guerci, 1990). Selon ces travaux, les PME se pré­

sentent comme des organisations plus flexibles qui peuvent s 'adapter

rapidement aux situations changeantes de l'offre et de la demande

(Dogson et Rothwell, 1 99 1 ). Abandonnant une approche conformiste

de la stratégie, qui consiste à vouloir se conformer aux caractéristiques

de l 'environnement (Di Maggio et Powell, 1983), cette nouvelle

approche préconise d'imaginer différemment le futur, en privilégiant

une démarche pro-active.

Ces travaux trouvent notamment un écho sur la façon dont les

entreprises entendent aborder et gérer la RSE. En effet, des travaux

récents tendent à considérer la RSE non pas simplement comme une

exigence difficile à satisfaire (Perry et Towers, 2009) mais également

comme une opportunité créatrice de valeur permettant à une petite et

moyenne entreprise de se positionner sur un marché (Husted et

Allen, 2007 ; Hoivik et Shankar, 20 10) autour de la création de nou-

5

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Chapitre 1 La RSE comme forme d'innovation relationnelle

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veaux business modèles (Moore et Manring, 2009 ; Seuring et

Muller, 2008).

Selon cette conception, les petites et moyennes entreprises, en dépit

de ressources limitées, seraient capables de mener des politiques de

transformation volontaire de leur environnement, en bouleversant les

paramètres et facteurs clés de succès ou en créant de nouvelles règles

du jeu. Ainsi, les travaux existants permettent de distinguer deux

approches de la RSE au niveau des PME (tableau 1 . 1 ) :

- une approche dominante où la RSE est perçue pour la PME comme

une contrainte et une difficulté supplémentaire entraînant selon les

cas une attitude d'opposition, d'évitement ou de conformité (dictat et

leadership des multinationales) ;

- une approche plus récente et encore minoritaire où la RSE est perçue

comme une opportunité pouvant générer innovation et création de

valeur, où la PME adopte une stratégie proactive en tirant profit de

ses qualités naturelles (adaptabilité, flexibilité, proximité, personna­

lisation de la relation client) afin de renforcer sa position concurren­

tielle sur le marché.

1 1

Tableau 1.1-Attitudes des acteurs face à la RSE

Attitudes Modèle traditionnel Modèle de l'innovation des acteurs (domination de la grande entreprise) stratégique

face à la RSE

PME/PMI

Grandes entreprises

Résistance (opposition)

Passive (inaction)

Défensive/m itation

(faire peu, faire pro­gressivement, faire

le moins possible, faire après)

Acteur disposant de ressources et de compé­tences supérieures l u i permettant d'ériger la

RSE comme une nouvelle barrière à l'entrée ou une contrainte supplémentaire

P roactive (tirer profit du

nouveau contexte concurrentiel que crée la

RSE pour entrer ou ren­forcer sa place sur le

marché en innovant )

Acteur adoptant une stra­

tégie traditionnel le (adaptation) laissant des

marges de manœuvre aux PME

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La RSE comme forme d'innovation relationnelle Chapitre 1

Section 2 ÉTU DE DU CAS MICH E L ET AUG USTI N

Le cas a été élaboré à partir de données primaires et secondaires,

selon les principes exposés par Yin (2003), à savoir : multiplicité des

sources, création de base de données par cas et logique de collecte à

partir de la question de recherche.

L'analyse réalisée repose sur une approche multisources, mêlant

données primaires et secondaires (Frankfort-Nachmias et al. , 1992 ;

Stewart, 1984) auprès de différentes parties prenantes de l 'entreprise

(salariés, clients, journalistes, magasins spécialisés et grande distribu­

tion). Elle provient d'analyses d'entretiens réalisés en face à face

auprès des fondateurs de l 'entreprise et de leurs salariés (20 % des

effectifs), de certains acteurs du milieu (journalistes et spécialistes du

secteur alimentaire) et d'une analyse de différents médias :

- une quinzaine d'articles issus des journaux de la presse écono­

mique' ;

- une dizaine d'émissions TV (Télématin France 2, M6 100 % mag,

E=M6, Capital M6, Kezeco TV, Business Direct 8, BFM TV, France

3 JT, TF1 Attention à la marche . . . ) ;

- de plusieurs émissions radio (France Inter, Europe 1, Radio Clas­

sique, BFM, NRJ . . . ) .

Nous avons également pu collecter un certain nombre de documents

diffusés par l'entreprise sur son site2 (communiqués, dossiers, études).

De même, nous avons recueilli des informations auprès des clients de

l ' entreprise à travers deux modalités : analyse lexicale des messages

laissés sur le site face book de l ' entreprise3 (investigation sur 50 jours à

l . Management, « 40 astuces pour gagner du temps », 02, 201 1 ; Le figaro Économie, « Michel et augustin, prêt à ouvrir son capital », 0 1 201 1 ; Les Échos, « A la conquête du client », 19 04, 201 1 Les Échos, « Michel et augustin, une recette qui marche », 19 juillet 2010; Dynamique entrepreneuriale, « Le moral ? Une question d'équilibre », avril 2010; Le Parisien, « Et maintenant, une boutique Michel et augustin », 30 01 2010 ; Marketing, « L'homme marketing de l'année 201 0 », mars 201 0; Challenges,« Un profil citoyen pour les rois du web», 08 07 2010. ; LSA, « Palmarès de l ' innovation », 18 02 2010 ; Le Point,

« Michel et Augustin, les insolents », novembre 2010 ; Management, « Apprenez à vaincre votre timidité », juillet-août 2009 ; Capital, « Comment faire de la pub sans budget de pub ? », mars 2008 ; FHM, « Des patrons pas comme les autres », octobre 2008 ; Ria, « Petites entreprises, cap sur l'audace », juillet 2008 ; Libération, « Michel et Augustin, yaourts et gâteaux parfum culot», 24 09 2006.

2. www.micheletaugustin.fr

3. http://fr-fr.facebook.com/MichelEtAugustin

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Chapitre 1 La RSE comme forme d'innovation relationnelle

8

raison de 20 messages postés par jour soit 1 000 posts analysés) et

échange informel avec les consommateurs (validation faciale auprès

d'une trentaine de clients) au siège de l ' entreprise lors de deux soirées

mensuelles portes ouvertes (premier jeudi de chaque mois) et plus pré­

cisément, ce travail a été mené sur six mois d'investigation du blog de

Michel et Augustin où l 'ensemble des posts envoyés par les clients

(plus de 1 000 posts) ont été collectés dans une base de données en vue

d'un traitement sur Nvivo 9.

En matière de traitement des données, nous avons eu recours pour les

entretiens face à face à un système de codage avec une première tenta­

tive d'organisation des données (Miles et Huberman, 2003). Nous

sommes par la suite retournés aux données mêmes pour en apprécier la

pertinence, c'est-à-dire pour voir comment cette représentation se

confirme, se modifie ou se contredit. Lors de ce retour aux données,

nous avons repris la codification et le processus itératif s 'est poursuivi

jusqu'à ce qu'une organisation plausible et assurée s'opère, permettant

l ' intelligibilité du discours et la saturation des diverses significations

codifiées (Karsenti et Savoie-Zajc, 2000).

En ce qui concerne l 'analyse des posts des clients sur le site commu­

nautaire Facebook, ces derniers ont fait l 'objet d'une analyse qualita­

tive de contenu. Nous avons choisi de coder l 'ensemble des données

afin d'avoir une vision globale par thème centré sur la nature des liens

entre l'entreprise Michel et Augustin et ses clients tels que les acteurs

l ' expriment (Andrew et al. , 2008).

Pour ce faire, nous avons adopté la démarche suivante :

- lecture des commentaires des clients par référence à la probléma­

tique ;

- formulation des objectifs de l 'analyse : rechercher les éléments rela­

tifs au concept de parties prenantes et de lien clients/entreprise ;

- mise en codage ouvert (description des idées à repérer et des mots les

constituant) ;

- classification en thèmes ;

- hiérarchisation des mots et des thèmes en fonction de leur fréquence

grâce au logiciel de traitement des données Nvivo 9 (QSR Interna­

tional, Cambridge, MA) ;

- formalisation des interprétations.

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La RSE comme forme d'innovation relationnelle Chapitre 1

1 Spécificités du marché des biscuits avant et après l'institutionnalisation des principes de RSE

Le marché du biscuit est une composante du secteur agroalimentaire.

En 2005, il représente environ 1 ,35 milliard d'euros et est dominé par

deux multinationales : Lu (groupe Danone) et United Biscuits (BN,

Delacre) qui détiennent respectivement 40,7 % et 1 1 ,3 % de part de

marché.

Le marché est caractérisé par une décroissance du chiffre d'affaires

(-2 % en 2004 et en 2005) et le poids des marques de distributeur

(MDD) qui ne cessent de croître sur ce marché avec environ 24,8 % de

part de marché en valeur et 35,6 % en volume ( + 3 points par rapport à

2004). D'autres marques connues sont également présentes sur le mar­

ché telles que Bahlsen St Michel (4,8 % de part de marché en valeur),

Andros, Masterfoods, Cadbury (fingers), etc.

Le marché des biscuits, au même titre que l 'ensemble du secteur

agroalimentaire est marqué depuis le début des années 2000 par un ren­

forcement des préoccupations autour des questions de santé, de nutri­

tion (lutte contre l'obésité et le surpoids, maladies cardio-vasculaires)

et de développement durable (respect de l 'environnement, préservation

des ressources, commerce équitable, développement local. . . ). Ces nou­

velles pressions ont été exercées à la fois par les États (lancement du

Programme national nutrition santé en 2001 en France par exemple),

les institutions publiques et les ONG.

Parallèlement, on observe l'émergence d'un nouveau type de consom­

mateur qualifié « alter-consommateur » aux nouvelles exigences qui

représente progressivement un segment de marché de plus en plus

important. Autour du « bien manger », le consommateur attache de plus

en plus d'importance à ce qui figure sur l'étiquette et est à la recherche

de normes et des labels qui confirment le caractère « éthique » et la qua­

lité des produits. Le « consomm'acteur » s'intéresse également à la

provenance des produits consommés, de plus en plus conscient de son

rôle dans la « supply chain » (du producteur au consommateur final).

De fait, la consommation durable s'incarne de différentes manières

sur le marché. On distingue : le commerce durable (système commer­

cial ne nuisant pas à l 'environnement) ; le commerce équitable (garan­

tir aux producteurs des pays du Sud des moyens de vivre décemment et

d'accéder au développement), le commerce éthique (mettre en place un

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Chapitre 1 La RSE comme forme d'innovation relationnelle

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système de production respectant les droits fondamentaux des tra­

vailleurs), le commerce solidaire (soutenir, par son achat, une organisa­

tion de solidarité), le bio et la santé.

Ainsi, la RSE a en partie modifié les attentes d'une partie des

consommateurs (émergence de nouveaux segments, intégration de cri­

tères éthiques . . . ) et a poussé les acteurs à redéfinir leur stratégie et leur

positionnement.

Face à cette nouvelle donne, les leaders1 ont de manière homogène

adopté la même stratégie. Elle consiste à miser sur l ' innovation tech­

nique (norme scientifique) afin de créer des barrières à l 'entrée en met­

tant en place des stratégies d'investissements lourds dans leur outil de

production (baisser les coûts des produits), la santé (réduction des pro­

duits hydrogénés . . . ), le marketing (recentrage sur les marques phares)

et les produits bio. « Pour nous différencier, nous accentuons la qualité

de nos produits », explique un responsable Lu. « L'innovation est le

principal axe de développement pour LU», indique une porte-parole du

groupe pour qui les nouveaux produits représentent chaque année 10 %

de son chiffre d'affaires.

Ainsi, les grandes entreprises ont élaboré de nouvelles générations de

produits jouant sur la dimension « santé ». Il s 'agit de présenter les

nouveaux produits comme pouvant avoir un traitement préventif des

maladies : teneur réduite en sucre, en graisse et à base d'ingrédients

« bioactifs » pour améliorer la santé digestive, enrichis en fruits, enri­

chis en céréales ou en fibres, fortifiés en vitamines . . .

2 La stratégie de Michel et Augustin

L'entreprise Michel et Augustin a été créée en 2004 par Michel de

Rovira et Augustin Paluel-Marmont. Ils décident de s'associer à 50-50

avec une mise initiale de 1 5 000 euros. L'entreprise est, à 1' origine,

positionnée sur le marché des biscuits (début 2000, Augustin Paluel­

Marmont a décidé de passer un CAP de boulanger-pâtissier afin

1. Depuis 2005, le marché du biscuit est plutôt en déclin en volume même s'il progresse en valeur à cause de la hausse des prix des matières premières. La part de marché des deux leaders (LU racheté par le groupe Kraft Foods et United Biscuits France) diminue. Le troi­sième acteur sur le marché est Saint-Michel Biscuits (Saint-Michel, Bonne maman) qui détient environ 5 % de part de marché.

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La RSE comme forme d'innovation relationnelle Chapitre 1

d'assouvir une passion d'enfance), marché comme nous l'avons vu

« saturé », en déclin et dominé par des leaders mondiaux surpuis­

sants.

Le projet entrepreneurial originel est inspiré par Ben & Jerry. En

effet, en découvrant cette marque, Augustin Paluel-Marmont se rend

compte que dans le secteur des biscuits : « aucune marque ne me

disait bonjour, aucune ne me parlait. On ne me racontait que des his­

toires fabriquées ». De plus, le discours des marques est souvent aus­

tère voire, selon les dirigeants, mensongers. « Je ne ressentais aucune

affection envers les produits des supermarchés. Et j ' étais scandalisé

par leurs mensonges. Quand Nutella dit qu'il faut manger des tartines

pour être en bonne santé, c'est du foutage de gueule. Nutella, c'est

bon. Mais à part grossir, çà n'apporte rien au corps », Augustin

Paluel-Marmont.

Les créateurs s' inspirent également de Richard Branson qui incarne

pour eux « la joie de vivre, l 'énergie, l 'optimisme à toute épreuve et le

partage », Augustin Paluel-Marmont.

Enfin, ils constatent que la composition des produits est souvent dif­

ficile à décrypter et comprend souvent des ingrédients non utilisés dans

la vie quotidienne : « il faut être prix Nobel de chimie pour comprendre

la liste des ingrédients composant ce que vous achetez et mangez » .

« Je fais beaucoup de pâtisserie. Je n 'ai j amais mis de l 'huile de palme

hydrogénée », Augustin Paluel-Marmont

Fort de ces constats, ils décident de se lancer avec une marque qui

instaure une nouvelle relation avec les parties prenantes et notamment

les clients autour de valeurs telles que « le plaisir, l'attitude positive,

la valorisation de l 'humain, le partage et la transparence » Augustin

Paluel-Marmont. Selon cette perspective, les dirigeants abordent le

marché avec une vision positive du nouveau contexte créé par la RSE

(authenticité, plaisir, partage) en refusant une vision contrainte et ins­

titutionnalisée telle qu'elle est véhiculée par les deux entreprises lea­

ders (normes, labels, procédures ... ). À ce titre, Michel et Augustin

refusent la certification : « Notre clé d'entrée n'est pas le bio. Nous

choisissons les meilleurs ingrédients possibles, essentiellement en

France » .

L'entreprise se positionne sur le segment du biscuit car il l'associe à

un état d'esprit positif autour du partage : « il est facile de partager

autour d'un biscuit car tout le monde est capable d'en faire chez soi. Le

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Chapitre 1 La RSE comme forme d'innovation relationnelle

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biscuit a été un support pour faire partager notre état d'esprit » .

(Augustin Paluel-Marmont)

3 Une relation transparente et a uthentique basée sur le plaisir et le co-partage

Dans son approche du marché, l'entreprise va privilégier des valeurs

particulières :

• La personnalisation est incarnée par le nom (prénom des deux créa­

teurs), le logo de la marque (visage des deux dirigeants) et le

packaging où les dirigeants confient des éléments de leur vie privée :

« Michel a 2 plantes vertes, un vélo et plus grand-chose sur la tête ».

Cette personnalisation est liée à un constat : « On fait plus confiance

à des personnes qu' à des organisations. Ma principale préoccupation,

c'est qu'on se dise que le produit va être bon car il a été fabriqué par

Michel et Augustin . Les produits me sont certifiés par Michel et

Augustin » ? selon Michel de Rovira.

• La proximité est liée à l ' accessibilité des dirigeants et de l' entre­

prise. Par exemple, les deux dirigeants communiquent leur numéro

de téléphone. De même, tous les premiers jeudis du mois, la

« Bananeraie » (siège social de la marque, situé à Boulogne

Billancourt) ouvre ses portes aux clients, leur propose une dégus­

tation des derniers produits et recense tous les commentaires émis.

De manière générale, l ' entreprise joue sur l ' interactivité avec ses

parties prenantes, dont ses clients et leur association à la vie de

l 'entreprise. À ce titre, on peut trouver sur le paquet des sablés de

l 'entreprise : « Notre aventure gourmande est saine, plein de peps,

de projets fous, et surtout humaine. Vous, le l ivreur, le commer­

çant, la tribu des trublions : chacun a son mot à dire pour faire

grandir l'aventure » . Les journées portes ouvertes font l' objet

d'une organisation minutieuse au regard du nombre de participants

(parfois jusqu'à 400). « Les locaux sont structurés en bar à dégus­

tation (bar à vaches, bar à goupils), bar à thèmes (bar à CV, bar à

l 'aventure . . . ) et en ateliers, ce qui permet d'avoir un contact qua­

litatif et privilégié avec l 'ensemble des participants » , Augustin

Paluel-Marmont.

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• La transparence et la vérité tiennent à la diffusion de la composi­

tion des produits et des recettes ainsi qu'à l 'absence de fausse pro­

messe notamment au niveau de la santé. Comme le précisent les

dirigeants : « Au départ, ce sont juste les prénoms de copains[ . . . ] qui

ont exprimé leur ressenti de consommateur. On en avait assez d'être

manipulés par des marques et de ne pas très bien comprendre la lisi­

bilité des ingrédients qui composaient les produits de consommation

alimentaire de la grande distribution. On est parti dans une démarche

sincère de partage d'une aventure humaine et gourmande avec les

consommateurs ».

Internet, via le site Internet et le blog de l 'entreprise, est également

un moyen de communication privilégié : commentaires sur les produits,

aide au référencement des commerçants, co-gestion de la marque,

vidéos et photos mettant en scène les salariés, présentation de la tribu,

coulisses d'une opération marketing, participation aux recrutements . . .

De plus, une lettre mensuelle « Le bananier » retrace les différents

événements autour de la marque. Elle fédère plus de 50 000 abonnés.

L'entreprise compte également près de 3 1 000 amis sur Facebook, ce

qui les place loin devant les leaders du secteur agroalimentaire (par

exemple : seulement 2 300 amis pour Lu) : « Le parti pris, c'est parta­

ger le quotidien de la marque avec toute la tribu », selon Augustin

Paluel-Marmont.

L'ensemble de ces actions conduisent chaque consommateur à

avoir le sentiment d'être un membre à part entière de l ' entreprise et

à créer une véritable relation de confiance entre ce dernier et la

marque.

Le plaisir est un autre gage de succès de l 'entreprise. Alors que les

consommateurs sont tiraillés entre un discours culpabilisant et anxio­

gène sur l 'alimentation d'un côté et leur plaisir de l 'autre. Michel et

Augustin parviennent à concilier ces deux aspects en sortant du dis­

cours traditionnel austère.

3.1 Un mix ma rketing déca lé

Le positionnement de Michel et Augustin s'accompagne d'une poli­

tique de communication décalée centrée sur l 'humour, le « fun », le

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Chapitre 1 La RSE comme forme d'innovation relationnelle

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« buzz »1 (vidéos farfelues, happening, street marketing . . . ), la convi­

vialité et l ' échange. Cette communication vise à créer une complicité

immédiate avec le client.

De plus, le positionnement est également incarné par un packaging

atypique :

- le graphisme (couleurs vives et chaudes, non sophistication, dessins

se référant à l 'enfance comme la vache, le tableau et la craie, la

fleur) ;

- le nom des produits ayant un petit supplément d'âme : « petits sablés

ronds et bons, la Ch'tite Gaufre . . . » ;

- le logo créé par Michel et Augustin représente des caricatures des

deux dirigeants ;

- le slogan : « les trublions du goût » ;

- l 'humour présent sur le paquet qui est en complet décalage avec les

discours habituels que l 'on trouve sur les paquets de biscuits :

« Savez-vous qu'en croquant ces petits sablés ronds et bons . . . , vous

allez à la fois maigrir, faire le plein d'énergie et renforcer votre capi­

tal osseux ? Et oui, nos nutritionnistes en blouse ultrablanche, en

collaboration avec la Nasa, ont mis au point. . . Stop ! Arrêtez les

salades ! » ;

- l 'utilisation du tutoiement ou de l'impératif accompagné d'un point

d'exclamation : « toquez et bavardons ! » ; « À vous de jouer ! » ;

« Vive la vie et les amis ! » ;

- la pleine utilisation du packaging (mots dissimulés derrière le carton,

blague sous la boîte, une petite flèche pour commenter certains

points . . . ).

Il s'agit de créer des « produits qui disent bonjour et sont souriants

en supermarchés », Michel de Rovira. L'entreprise a voulu créer une

rupture (faire disparaitre le formalisme et la distance) et rompre avec

l 'ennui et la monotonie des packagings traditionnels. L'objectif est de

créer une véritable relation avec le consommateur à travers le packaging

des produits.

1 . Les deux fondateurs de la marque se mettent souvent en scène, vêtus de taches noires et blanches pour rappeler les vaches, dans les stations de métro ou dans les supermarchés. La marque a imaginé une opération de street marketing où les équipes ont collé des stickers à la station de métro proche du QG de la marque.

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La RSE comme forme d'innovation relationnelle Chapitre 1

� Focus

Décryptage de la relation entre Michel et Augustin et ses cl ients

Cet encadré présente les résu ltats de l 'analyse de contenu réal i sée avec Nvivo 9 à partir des 1 000 commenta ires c l ients postés (étude durant 5 semaines, environ 2 0 messages par jour) sur le site Facebook de l 'entreprise. Cinq thèmes centraux ont été identifiés par l 'analyse. Chaque thème regroupe des mots clés qui l u i sont rattachés.

Thème 1 : adhésion/fan attitude (763; 60 %} (Occurrence du thème : 763 ; 60 % de post où le thème est mentionné) Extraits de Verbatim (site Facebook) «Toutes mes fél ic itations pour votre réussite »

« Wahoo je su is enfi n tombé sur des cookies dans ma vi l le!!! »

« Ouaaa je viens de trouver u n nouveau produit : 'Les Pai l lo l i nes' . . . j u ste trooooop BON !!! Merci i i i i »

«Je B ÉN I S le rayon Michel & Augustin à mon Monoprix. »

Thème 2: humour, autodérision/joie de vivre (428; 38 %} « Est-ce que Lu ou Danone t'ont déjà fait r ire quand tu faisais tes courses ? »

« Comment expl iquer . . . ce n'est pas que c'est bon, c'est doux, fon­dant en bouche, chaque bouchée vous fait partir comment d i re . . . dans u n état de bonheur pur et vous fait penser la chose suivante : punaise que la vie est bonne sometimes ! ! ! »

« Du bonheur du bonheur du bonheur. »

Thème 3: plaisir/goût/philosophie de vie (396; 36 %} « Michel et Augustin n'est peut-être pas la marque la p lus i nnovante du siècle mais est à l 'origine de desserts sympas et qui changent u n peu des marques plus standards. »

Thème 4 : tribu (311 ; 29 %} « Bonjour la tribu ! Va fa l loir descendre encore un peu vers Montauban que je trubl ionne avec vous ! Bonjour les troubl ions. »

Thèmes: personnalisation (252; 20 %} « Des nouvelles d'Augustin ? »

« Pauv' Augustin ! ! i 1 ne méritait pas cela ! ! »

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Chapitre 1 La RSE comme forme d'innovation relationnelle

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Ainsi, Michel et Augustin ont décidé d'assumer un positionnement

différent de la concurrence : des produits gourmands, de qualité, natu­

rels (au beurre, pas à l'huile, sans colorants, sans conservateurs . . . ) avec

un prix plus élevé en contrepartie (gamme de 2 à 6 euros). En effet, ils

ont privilégié au positionnement « santé » ou éco-responsable « bio »

la carte de l'hédoniste « manger-plaisir ». en mettant en avant le plaisir

gustatif, le goût des « bonnes choses », le discours non moralisateur ou

culpabilisant et la convivialité. Ainsi, 1' entreprise souhaite « retrouver

le goût des biscuits de nos grand-mères en réunissant les meilleurs

ingrédients, sans additifs, ni conservateurs ».

4 Relations avec les fournisseurs et distributeurs

L'entreprise joue sur un approvisionnement et une fabrication locale

en France plutôt que sur des démarches de commerce équitable : « Cela

ne répond pas vraiment à une définition du commerce équitable car on

n'est pas vraiment dans une relation de pays développé qui achèterait

aux pays du sud. Nous, on est plus dans une relation durable où on veut

travailler sur le long terme avec des exploitations françaises et assurer

notre approvisionnement en lait ».

Elle privilégie une démarche de consommation durable qui éveille le

goût et la curiosité des consommateurs à des produits de qualité plutôt

qu'un label bio. « Je n 'utilise pas de lait bio parce qu'il faudrait que je

l ' importe d'Allemagne de l'Est. Mon lait vient de Gap dans les Alpes

du Sud, cela a aussi des avantages en termes de proximité car Gap se

situe à 2 heures de mon usine de production ». De plus, on n'est pas bio

car en tant que consommateur, nous n'en consommons pas ». Néan­

moins l'entreprise est sensible : « aux contraintes environnementales

[et] essaye des packagings qui rejette moins de C02 ».

Les fournisseurs sont au même titre que les clients et les consomma­

teurs considérés comme des partenaires du développement de l 'entre­

prise. À ce titre, la notion de confiance est prioritaire et l 'entreprise

souhaite entretenir des relations durables et « gagnant-gagnant » avec

ses fournisseurs en misant sur la proximité et les interactions : « On a

un contrat avec nos fournisseurs qui garantit des prix plus stables aux

agriculteurs même en période de crise. [ . . . ] On n'entretient pas avec les

agriculteurs une relation purement commerciale. » « 11 y a plein de gens

avec qui on n'a pas de contrat. La majorité, on n'a pas de contrat avec

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eux parce que cela repose sur la confiance et ça repose sur des hommes.

[ . . . ] Une relation de confiance, c'est une relation de présence. À ce

titre, on passe beaucoup de temps en usine chez nos fournisseurs » ,

(Augustin Paluel-Marmont).

De même, en ce qui concerne les distributeurs, Michel et Augustin les

considèrent comme des membres de la tribu, qui ont « leur mot à dire

pour faire grandir l'aventure » : « C'est un commerçant qui nous a donné

l' idée de sortir une gamme d'île flottante. Dans les faits, la stratégie de

1' entreprise est un processus créatif itératif permanent où se mélangent

contributions internes et externes. C'est également un commerçant qui

nous a donné l'idée de sortir une confiserie des rois à la rentrée 2012. »

5 Relations avec les collaborateurs

Le style de management est démocratique et souvent informel.

L'entreprise privilégie 1' approche directe : « la plupart du temps les

mails sont envoyés par des collaborateurs qui ont juste besoin de se

sentir l'esprit tranquille en nous mettant au courant d'un problème. À ceux-là je fais parvenir une parodie de réponse automatique, du style :

votre e-mail vient de s' autodétruire, pour toute question vraiment

urgente, venez me voir. »

Ainsi, l'entreprise privilégie la prise de décision naturelle au fil de

l 'eau : « Il n'y a pas de grands comités où l 'on prend des décisions. C'est

surtout lié au fait qu'on ne dépense pas d'argent, à savoir qu'il n'y a pas

d'investissements lourds à réaliser. Tout se fait avec beaucoup de bon

sens, d'enthousiasme et de passion », (Augustin Paluel-Marmont).

Néanmoins, une journée (le lundi) est consacrée aux sujets en sus­

pens : « Plutôt que de multiplier les réunions, ce qui fait perdre un

temps fou, on préfère aborder les questions en une seule fois, lors­

qu'elles ne nécessitent pas une réponse immédiate. [ . . . ] C'est un sys­

tème qui permet aussi de réduire le temps passé à gérer les e-mails. On

reçoit chacun une centaine de messages électroniques par jour. Au lieu

d'y répondre au coup par coup, on traite les sujets qu'ils soulèvent à la

réunion du lundi. »

Le site Internet valorise les membres de la tribu et cherche à mettre

en avant personnellement chaque salarié ainsi que sa contribution :

« Rencontré à un pique-nique par un soir d'été, Séverine a dessiné de

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Chapitre 1 La RSE comme forme d'innovation relationnelle

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ses doigts de fée le tout premier paquet de petits sablés. Merci » (site

Internet Michel et Augustin).

Michel et Augustin attachent également beaucoup d'importance au

processus de recrutement.

« Je veux que le processus de recrutement soit quelque chose d'assez

unique, une expérience exceptionnelle à vivre. » En termes de critères

de recrutement au-delà des compétences techniques indispensables,

l 'entreprise privilégie les personnalités positives : « Nous recherchons

des collaborateurs heureux de vivre, bien dans leur tête, créatifs,

innovants, enthousiastes avec beaucoup de bon sens et d'énergie. »

Dans cette perspective, l 'entreprise recherche des collaborateurs pas­

sionnés, très impliqués et qui n'ont pas I ' impression de travailier mais

de participer à une aventure commune.

Les méthodes de sélection sont en adéquation avec cet objectif : « Il

y a bien sûr des entretiens et des mises en situation. Nous accordons

beaucoup d'importance au déjeuner d'équipe où le candidat va inter­

agir avec l'ensemble des collaborateurs de l 'entreprise. »

« Par exemple, pour un candidat chef de secteur commercial, on a

reconstitué un magasin à la Bananeraie. Certains des salariés jouent le

rôle des commerçants et l 'on va voir la façon dont le candidat se

comporte, sa réaction par rapport à certaines situations auxquelles on

va le confronter. »

« Dans les faits, la décision de recrutement se prend collectivement

en équipe sur la base d'un consensus de l 'ensemble des salariés. »

Concernant la politique de motivation des collaborateurs, Michel et

Augustin privilégient l 'atteinte d'objectifs collectifs et des modalités de

récompense collective plutôt de nature implicite (événements collec­

tifs) qu'explicite (rémunération, promotion).

« Pour fêter notre chiffre d'affaires record du mois de mai 201 1 , nous

avons organisé une grande manifestation de jambon Bellota à la Bana­

neraie. »

« On est parti deux jours tous ensemble au Maroc. Il y a plein de

petits événements qui ne sont pas somptueux mais qui sont facteurs de

mobilisation et de cohésion. »

Concernant la politique de gestion de carrières, il n'existe pas de

plans de carrières pour les collaborateurs au regard de la taille de

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La RSE comme forme d'innovation relationnelle Chapitre 1

l 'entreprise et de sa culture. Michel et Augustin mettent avant tout

l 'accent sur la co-construction de la carrière et l' importance pour le

collaborateur d'être un intrapreneur : « Nos salariés doivent être des

intrapreneurs. Comme l 'entreprise est en croissance, il y a plein de

sujets passionnants qui ne demandent qu'à être saisis. C'est au salarié

de se mettre en avant. »

6 Relations avec la société

L'implication des dirigeants dans des projets humanitaires et sociétaux

est considérée dans des engagements personnels qui ne font pas l 'objet

d'une communication tapageuse. Ces projets sont liés aux « valeurs de

solidarité et de partage » que portent en eux les deux dirigeants. Elles

sont liées avec une certaine distanciation vis-à-vis de 1' argent. « Notre

objectif n'est pas de rouler en Porsche. Donc, l ' entreprise qu'on

construit, elle est au service des valeurs auxquelles on croit. [ . . . ] On

cherche à développer l'entreprise en restant fidèle à nos convic­

tions. [ . . . ] L'argent ne nous intéresse pas beaucoup sauf pour ce qu'on

peut en faire en termes de redistribution ».

Si l'entreprise est sensible au concept d'entreprise citoyenne, elle

privilégie les projets pragmatiques à échelle humaine autour de ques­

tions « d'entrepreneuriat, de solidarité et du sport. « Le premier truc

que j 'ai fait dès qu'on a pu le faire, c'est de recruter par exemple Martin

qui est un type absolument génial, qui nous fait plein de petits boulots

dans le quartier et qui est handicapé mental . »

« On loue notre salle de réunion pour la journée, il y a plein de gens

qui veulent venir et on reverse ça à des associations, on accueille des

enfants handicapés. »

« On a plein de petits combats qu'on essaye de mener modestement

au quotidien, et on n 'a pas d'énormes combats sur lesquels on focalise

toute notre attention et notre énergie, on est des Français moyens qui

ont une sensibilité diffuse. »

Fort de son positionnement original et de sa façon d'instaurer des

relations particulières avec ses parties prenantes, Michel et Augustin a

multiplié par 60 son chiffre d'affaires en 5 ans (de 500 000 euros en

2006 à 30 millions d'euros en 201 1 ). Nous allons, au moyen de notre

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Chapitre 1 La RSE comme forme d'innovation relationnelle

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grille d'analyse présentée dans la première section décortiquer les rai­

sons de ce succès (cf section 3).

Section 3 DE NOUVELLES STRATÉGIES D' I N NOVATION RE LATION N E LLE

Le cas proposé met en exergue des approches et des pratiques en rup­

ture (changement stratégique) avec les règles habituelles du secteur. Il

révèle la possibilité pour une petite entreprise (en l 'espèce une nouvelle

entreprise), de sortir du cadre établi, pour mener une innovation de type

stratégique, fondée sur des facteurs clés de succès spécifiques et une

démarche originale. En effet, Michel et Augustin a su tirer profit d'une

partie des nouvelles normes imposées par la RSE, pour développer son

propre modèle de croissance. Face à l 'existence de nouvelles barrières

à l'entrée profitables aux grandes entreprises déjà positionnées (poids

de la R&D, communication sociale et sociétale, normes de sécurité ali­

mentaire . . . ), Michel et Augustin a choisi de contourner cet obstacle, en

modifiant la manière de percevoir et de traiter la question de la RSE

dans sa politique de développement. Au lieu de l 'aborder sous l'angle

technique (sélection, rigueur, contrôle et suivi) et économique (gestion

et optimisation des moyens), l ' entreprise souhaite puiser ses nouveaux

atouts dans un nouveau modèle relationnel composé de l 'ensemble de

ses parties prenantes. Elle adopte une véritable stratégie « shareholder »

en misant sur la transparence, la spontanéité et la confiance pour faire

des différentes parties prenantes les principaux acteurs et contributeurs

de l 'aventure entrepreneuriale.

Ne pouvant pas lutter sur le plan dimensionnel (taille, volume,

chiffre d' affaires, budget R&D . . . ) ou scientifique (diététique, santé,

nutrition . . . ) , l 'entreprise Michel et Augustin ont misé sur la construc­

tion d'une aventure collective qui fédère clients, collaborateurs, dis­

tributeurs et autres parties prenantes autour de valeurs communes

telles que le plaisir, la véracité et le partage. Il ne s 'agit plus de « faire

le bien » du consommateur mais « de se faire collectivement du

bien » en acceptant et revendiquant les dérives jusqu' alors moquées

ou décriées, telles que l ' aspect glouton, l ' esprit enfantin, le mélange

des genres (la notion de tribu englobe la hiérarchie, les collaborateurs

et les clients) et le refus de la communication institutionnelle de type

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La RSE comme forme d'innovation relationnelle Chapitre 1

actionnarial. Ainsi, Michel et Augustin n'est plus perçue comme une

simple entreprise développant des relations commerciales avec son

environnement mais comme l ' accès à un nouvel univers de type tribal

où on adhère, via un certain nombre de produits et de manifestations,

à des valeurs partagées autour du « plaisir ensemble » . À ce titre,

comme l ' illustre le tableau 1 .2, Michel et Augustin a su se position­

ner de matière innovante et différenciante des leaders du marché du

biscuit.

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Tableau 1.2 - Analyse comparative de la vision de la RSE par les acteurs du secteur des biscuits

Leaders du secteur (Nestlé, Michel et Augustin Danone, Kraft)

Stratégie Traditionnel le/conformité Rupture/changement

Finalité Moyen de renforcer les barrières à Moyen d'entrer sur un marché

l'entrée

Normes auxquelles i l faut se Une opportunité pour

Enjeu conformer (nouvelle orthodoxie) bouleverser les règles du jeu

concurrentiel

Facteurs clés Importance des ressources mobili- Adaptation, imagination,

de succès sables (effet taille, pouvoir de marché) singularité (innovation)

- S'inscrit dans le paradigme existant - Création ou construction

Démarche - Renforcement et amél ioration des d'un nouveau paradigme

managériale compétences existantes - Démarche exploratoire

autour d'activités inédites

et incertaines

Type d'innova- Innovation concurrentiel le de type Innovation de type « radical »

tions possibles1 « incrémentale » ou « majeure » ou « stratégique »

La stratégie compatible RSE de Michel et Augustin s' incarne par

une approche des parties prenantes divergente de celle de ses concur­

rents. L'entreprise souhaite transformer ses collaborateurs, ses parte­

naires (fournisseurs, investisseurs . . . ) et ses clients en acteurs d'une

même tribu partageant la même vision et les mêmes préoccupations

(cf tableau 1 .3).

Il souhaite briser les frontières : salariés/entreprise fournisseurs /

entreprise et consommateurs/entreprise.

l . C. Markides et P. Geroskiqui identifient quatre types d' innovation en croisant deux dimensions : l'impact de l'innovation sur les compétences et les actifs des firmes établies et l 'impact de l ' innovation sur les habitudes et les comportements des consommateurs.

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Cha pitre 1 La RSE comme forme d'innovation relationnelle

Tableau 1.3 - Approche comparée des entreprises vis-à-vis de ses parties prena ntes

Nouvelles exigences Stratégie des leaders Michel et Augustin de la RSE

Consommateurs

Recherche d'informa­

tions sur la composition

des produits

Labels bio mais formule Transparence, formules affichées, secrète ou technique- produits que l'on peut cuisiner soi-

ment non accessible même

Condition de fabrication Pas d'infos Méthode traditionnel le

Santé, nutrition

Connaître l'histoire

détai l lée du produit

qu'i ls achètent

Fournisseurs

et distributeurs

Salariés

Société

F i l ière bio

Bio, investissement en

R&D, produits i nnovants

Commerce équitable,

Normes RSE

Forte formal i sation

Relations de sous­traitance classique

Col laborateurs Culture corporate (inno­

vation, cl ient . . . ) Chartes managériales

Lourdeur bureaucra­

tique

Engagements RSE

médiatisés

Programme d'actions

RSE d'envergure

Produits les plus naturels possibles, produits sains

Personnal isation de la marque,

véracité de l'amitié entre Michel

et Augustin

Sélection de fournisseurs français

avec une relation durable Relations de confiance parfois infor­

mel les (pas de contrat)

Membres de la tribu (aventure col l ective)

Management démocratique (prise

d'in itiative . . . )

Plaisir, réactivité, transparence, proximité

E ngagement privé et pragmatique au

cas par cas RSE de proximité Éthique, phi losophie de vie

.!: Le cas proposé contribue, par conséquent, à remettre en cause cer-0'>

·� tains schémas établis sur le rapport entre la taille et la performance des c..

3 firmes qui tendent dans de nombreux travaux à accorder une primauté

22

à la grande entreprise dans les secteurs traditionnels à forte intensité

concurrentielle. Il montre en revanche qu'une approche différente de la

RSE fondée sur des nouvelles logiques relationnelles en particulier

avec les parties prenantes et un rapport nouveau à la proximité (RSE

appliquée à une communauté locale - cf possibilité pour les consom­

mateurs de se rendre mensuellement au siège de l 'entreprise pour par­

tager et construire ensemble) peut constituer une démarche créative de

valeur pour la PME (Lepoutre et Heene, 2006 ; Spence, 2007). Plus

Page 29: Strategies et changement : innovations et transformations des organisations

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La RSE comme forme d'innovation relationnelle Chapitre 1

précisément, cet article apporte une contribution nouvelle sur le lien

entre innovation de rupture et RSE en abordant la RSE comme la pos­

sibilité pour une firme de modifier les règles du jeu concurrentiel (stra­

tégie proactive) et non simplement comme une contrainte corporate

(stratégie adaptative) .

L' E SS E NTI E L

À partir de l'étude d'une petite entreprise dans le secteur de

l 'agroalimentaire confrontée à une concurrence forte et interna­

tionale, ce chapitre vise à montrer de quelle manière on peut malgré

des ressources limitées, réussir à modifier les règles du jeu concur­

rentiel à son avantage. En effet, face aux questions de volume et de

taille mais également de puissance financière, 1 'entreprise Michel et

Augustin a su valoriser la dimension RSE, pour transformer sa rela­

tion avec ses différentes parties prenantes et ainsi changer la struc­

turation de son environnement concurrentiel. La stratégie de Michel

et Augustin est donc un cas particulièrement riche d'enseignement

en matière de stratégie d' innovation relationnelle. Elle repose prin­

cipalement sur trois leviers : une relation transparente et authen­

tique basée sur le plaisir et le co-partage, un mix marketing décalé

et de nouvelles relations avec ses distributeurs, fournisseurs, colla­

borateurs et l 'opinion publique.

Ce chapitre ouvre ainsi de nouvelles perspectives sur la manière

d'innover et de recourir à la RSE dans les stratégies de développe­

ment. Il met notamment en lumière l' intérêt pour les petites entre­

prises d'utiliser la RSE, non pas de façon adaptative, mais comme

moyen d' innover sur le plan relationnel et de pénétrer différemment

de nouveaux marchés.

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Les st ratég ies d ' i n novat ion et de ru ptu re

Jean-Claude PACITTO

SoMMAIRE SECTION 1 L'innovation : une tentative de délimitation

SECTION 2 Les différentes facettes de l'innovation

SECTION 3 Comment innover ?

L 'innovation est à l'ordre du jour. Pour beaucoup elle apparaît

comme le seul moyen pour sortir de la crise. Dans ce contexte,

l 'Europe est particulièrement concernée. Le tableau de bord (2010) des

investissements en recherche-développement réalisé par la commission

européenne1 est, à cet égard, sans appel : les performances des entre­

prises européennes dans les secteurs clés des hautes technologies sont

médiocres comparées à celles de leurs homologues américaines ou

asiatiques. On remarquera, ainsi, que les sociétés américaines ont

investi cinq fois plus que leurs concurrents européens dans les semi­

conducteurs, quatre fois plus dans le logiciel et huit fois plus dans les

biotechnologies.

1 . Monitoring industrial research : the 2010 EU industrial R&D investment scoreboard, European commission.

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Cha pitre 2 Les stratégies d'innovation et de rupture

26

On objectera que le lien dépenses R&D/innovation n 'est pas automa­

tique, que l ' innovation ne saurait se résumer à sa seule composante

technologique (Morand et Manceau, 2009) et qu'il faut donc appréhen­

der l ' innovation sous ses multiples facettes.

Pour autant, quelles que puissent être les insuffisances de telle ou

telle approche de l 'innovation, une chose est certaine : la compétitivité

des entreprises dépendra de plus en plus de leur capacité à innover et

de celle des États à bâtir des contextes facilitant cette innovation.

Il reste alors à délimiter les réalités que recouvre ce concept d'inno­

vation. Comment définir l ' innovation et comment en appréhender

toutes les facettes ? Ce chapitre n 'a pas d'autre ambition que celle

d'essayer d'apporter des réponses ou du moins des éléments de réponse

à ces questionnements.

Section 1 L' I N NOVATION : U N E TENTATIVE DE DÉLIMITATION

1 Les définitions classiques

Le célèbre manuel d'Oslo de l 'OCDE dans sa troisième édition

(2005), distingue quatre types d'innovation : les innovations de produit,

les innovations de procédé, les innovations de commercialisation et les

innovations d'organisation.

L'innovation de produit « correspond à l ' introduction d'un produit ou

d'un service nouveau ou sensiblement amélioré sur le plan de ses

caractéristiques ou de l 'usage auquel il est destiné. Cette définition

inclut les améliorations sensibles des spécifications techniques, des

composants et des matières, du logiciel intégré, de la convivialité ou

autres caractéristiques fonctionnelles » .

L'innovation de procédé se définit par « la mise en œuvre d'une

méthode de production ou de distribution nouvelle ou sensiblement

améliorée. Cette notion implique des changements significatifs dans les

techniques, le matériel et/ou le logiciel ».

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Les stratégies d'innovation et de rupture Chapitre 2

� Focus

La pérennisation par l ' innovation : le cas Babolat

« Babolat de père en f i l s depuis 1 875. Basée à Lyon, l 'entreprise est une référence dans les sports de raquette. Pierre Babolat, son fonda­teur, a marqué l 'h i stoire du tenn is en i nventant en 1 875 le cordage en boyau nature l . En 1 95 5 l 'entreprise introduit le cordage en nylon. En 1 977 e l le invente les machines à corder et, en 2 0 1 0, commercial ise un nouveau cordage en copolymère, de forme octogonale pour aug­menter le « grip » sur la bal l e . . . À la tête, Eric Babolat, l 'arrière-arrière petit fi l s du fondateur garde le cap. Son entreprise consacre 1 0 % de ses ressources à la R&D . . . »

Sources : extrait des Échos, 2 février 2012.

Du béton toujours ... mais fabriqué autrement !

« Au sei n de la société belge Bekaert, Ann Lambrechts a développé, en 2000, une tech n ique de fabrication du béton, qu i remplace les armatu res traditionnel les par l'ajout de fibres d'acier. Cette techno­logie amél iore la résistance à la rupture de 32 %, réduit les coûts de construction et apporte une sol ution technique aux constructions audacieuses. Commercia l i sé sous la marque Bramix, ce procédé a notamment été uti l i sé pour la construction du tunnel du Gothard en Su isse et le siège de la télévision d'État chi noise (CCTV) à Pékin . . . »

Sources : extrait des Échos, 2 février 2012.

Quelles que puissent être les limites de ces définitions, elles ont néan­

moins le mérite de dire ce que n 'est pas l' innovation : l ' innovation n 'est

pas l ' invention car l ' innovation suppose un résultat, que cela concerne

la mise sur le marché ou l 'amélioration de l 'efficience de l ' entreprise .

L'innovation pour être souvent reliée à une nouvelle idée ne se limite

pas à cela, elle est selon 1 'expression de Durand (2004a) « an idea put

to work ». Le manuel d'Oslo dans sa définition générale de l ' innovation

parle de mise en œuvre et précise « un produit nouveau ou amélioré est

mis en œuvre quand il est lancé sur le marché ».

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Page 34: Strategies et changement : innovations et transformations des organisations

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Cha pitre 2 Les stratégies d'innovation et de rupture

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Si, indiscutablement, l ' innovation demande de la créativité, celle-ci

doit être exploitée c'est-à-dire concrétisée et finalisée. On innove

pour quelque chose en vue d'un ou plusieurs objectifs mais dans tous

les cas pour obtenir un résultat qui affecte la performance de l 'entre­

prise.

La définition de Drucker ( 1 985) est à cet égard explicite. Pour cet

auteur, « innovation is a change that creates a new dimension of perfor­

mance ». Dans cette définition, le lien entre changement et innovation

est clairement exprimé.

Les deux types d'innovation ne sont pas exclusifs l'un de l 'autre et

peuvent par leur combinaison fonder un avantage concurrentiel durable.

Ainsi, le succès de Tetra Pak ne réside pas seulement dans la fabri­

cation d'un contenant original mais surtout dans le fait que l'entre­

prise a mis au point et commercialisé les machines permettant de

remplir ces contenants. L'innovation de procédé (des machines per­

mettant le remplissage sous vide) renforce ici l ' impact de l ' innova­

tion produit. Les deux innovations ont été transférées au client, ce qui

est plus original.

Comme nous l 'avons dit, l ' innovation doit avoir une traduction éco­

nomique. De ce point de vue ne doivent pas être confondues deux réa­

lités : l 'entreprise innovante et l 'entreprise inventive.

Le célèbre exemple du PARC (Palo Alto Research Center), structure

mise en place par Xerox pour développer les nouvelles technologies

liées au domaine des ordinateurs est à cet égard révélateur. Le PARC a

certainement inventé les concepts les plus importants de l ' informatique

actuelle mais aucun d'entre eux n'a été commercialisé par Xerox.

Xerox a inventé mais n'a pas innové et ce sont les concurrents qui ont

exploité les inventions (Prax, Buisson et Silberzahn, 2005). Trop limi­

tatives pour circonscrire toutes les réalités révélées par le terme,

d'autres types d'innovation vont apparaître comme l' innovation de

commercialisation et l' innovation organisationnelle.

L'innovation de commercialisation est définie comme « la mise en

œuvre d'une nouvelle méthode de commercialisation impliquant des

changements significatifs de la conception ou du conditionnement, du

placement, de la promotion ou de la tarification d'un produit » (OCDE,

2005). D'une innovation de commercialisation peut dépendre le succès

d'un produit innovant, ainsi la montre Swatch dont le mode de distri­

bution non spécialisé constitua une des clés de la réussite.

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Les stratégies d'innovation et de rupture Chapitre 2

L'innovation d'organisation1 ne doit pas être confondue avec l'innovation

de procédé même s ' il n'est pas toujours aisé de bien distinguer les deux.

Quand la SNECMA révolutionne -

sa tacon d'assembler ses moteurs ,

« Dès 2007, nous avions constaté que notre ancien système de pro­duction ne permettait pas de répondre à l 'augmentation des cadences. I l fa l lait imaginer une nouvel le manière d'assembler les moteurs nous permettant de progresser significativement en performance, au plan économique comme en matière de cycles de montage et d'environ­nement de travai l » .

. . . F in 2009, les anciens portiques datant du début des années 1 980 ont été remisés. Snecma n'en a conservé que 3 sur 1 1 pour assurer quelques opérations à la demande de certains cl ients. Pour réduire les temps de cycle, l 'usine a choisi une nouvelle architecture de l igne d'assemblage, basée sur un flux de production avec des moteurs en mouvement plutôt qu'immobi l isés tout au long de leur assemblage. Chaque sortie de moteur en bout de chaîne appel le un nouveau moteur. Le flux tire auto­matiquement la production. Les résu ltats sont là. L' industriel est capable d'assembler 4 moteurs CFM56 par jour, avec une réduction du cycle de montage supérieure à 3 5 % et u n gain de productivité de 2 5 % . . . Avec ses deux l ignes pulsées fonctionnant en paral lèle, le fabricant dispose désormais d'une capacité de production de 850 moteurs par an ! I l nous fa l lait 29 jours pour monter un moteur en 1 999, 1 6 jours en 2007 et 1 0 aujourd'hui précise François Planaud . . . »

Source : extrait de L'usine Nouvelle, 16 ju in 2011.

C'est peut-être plus dans les finalités que doivent être recherchées les

différences. L'innovation organisationnelle affecte très souvent la capa­

cité à innover de l 'entreprise. Ce qui est recherché c'est la permanence

d'un phénomène. Par rapport aux pratiques du secteur du textile habille­

ment des années 70 et du début des années 80, l'organisation mise en

place par Benetton était sans aucun doute une innovation. De la même

l . L'innovation d'organisation est définie comme « la mise en œuvre d'une nouvelle méthode organisationnelle dans les pratiques, l'organisation du lieu de travail ou les relations extérieures de la firme » (OCDE, 2005).

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Page 36: Strategies et changement : innovations et transformations des organisations

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Cha pitre 2 Les stratégies d'innovation et de rupture

30

façon les choix opérés par Zara en faveur de l ' internalisation reposent sur

une vision originale et sur beaucoup d'innovations de procédés. Mais

au-delà de la réactivité recherchée, c'est bien la capacité de ces entre­

prises à innover qui est en jeu. Zara au travers de la réactivité cherche

avant tout à gérer les fortes amplitudes d'un secteur dominé par l'éphé­

mère. Dans cette perspective, il n'est pas non plus aisé de distinguer

innovation d'organisation et innovation en management parce que toute

innovation d'organisation implique la mobilisation de principes (expli­

cites ou implicites) qui définissent le management. D'ailleurs, la défini­

tion qu'en donne Hamel (2006) va dans ce sens. Pour Hamel, en effet,

l ' innovation en management dans les grandes entreprises a pour objectif

de réinventer les processus qui gouvernent le travail des managers. Ce

sont donc des principes mais aussi des pratiques et des processus. L'inno­

vation en management fait donc fi des frontières et englobe aussi bien les

définitions liées au procédé que celles liées à l 'organisation.

Ainsi, les innovations structurelles mises en place par General

Motors et Toyota ne sont pas vues comme des innovations organisa­

tionnelles mais plus globalement comme des innovations en manage­

ment. Ce qui est recherché, c'est faire autrement en permettant de

dominer durablement ses adversaires. Dans le cas de Toyota, la source

de l ' innovation doit être recherchée dans un résultat étonnant : la capa­

cité de l 'entreprise à tirer bénéfice des suggestions et de l'intelligence

en général des employés de base, d'être en dernier lieu une organisation

toujours apprenante. Dans ce cas, l ' innovation doit autant aux principes

qui régissent l ' entreprise qu'à sa structure objective. Plus classique­

ment, l ' innovation en management implique et combine les trois

dimensions des compétences : le (ou les) savoir(s), le (ou les) savoir­

faire et les attitudes (Durand, 2004b).

2 Une classification selon l 'intensité de l 'innovation

L'innovation n ' implique pas toujours de profonds bouleversements,

elle n'est pas toujours destruction créatrice. Dans bien des cas, elle va

découler d'une succession d'améliorations. D'un point de vue général,

l ' innovation incrémentale ne bouleverse pas les conditions d'usage et

l' état de la technique. L'innovation incrémentale se situe dans une

perspective d'amélioration. Il s 'agit d'améliorer des produits ou des

procédés pour ne pas altérer la compétitivité de l 'entreprise et de pré­

server un avantage concurrentiel ou la faculté d'affronter la concur-

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Les stratégies d'innovation et de rupture Chapitre 2

rence dans un secteur donné. La souris optique est une innovation

incrémentale, elle n 'a pas modifié l 'usage du produit, elle en a facilité

l 'utilisation et réduit l 'encombrement.

Comme le souligne Koenig (2004) l ' innovation incrémentale tient à

préserver l 'existant (base de clientèle, compétences) ce qui n 'est pas le

cas de l' innovation de rupture qui, elle, tend à remettre en cause tout ou

partie de l'existant. Ainsi pour Lehmann-Ortega et Roy (2009) une stra­

tégie de rupture « consiste pour une entreprise à revisiter de manière

radicale les règles du jeu concurrentiel en proposant une nouvelle valeur

au client en vue de créer ou d'étendre un marché à son avantage ».

Pour Dewar et Dutton ( 1986) l ' innovation radicale fait référence à

des changements fondamentaux qui révolutionnent la valeur d'usage

des produits ou procédés et qui rompent drastiquement avec les pra­

tiques existantes.

Les innovations radicales affectent en profondeur les connaissances

et les compétences à l 'œuvre dans un domaine d'activité donné. C'est

bien, comme on le verra le métier qui est transformé et au-delà du

métier le business model 1 •

Cependant et comme le font justement remarquer Pin, Métais et

Dumoulin (2003), il faut se garder d'opposer innovations incrémentales

et radicales. D'ailleurs, les innovations de rupture ou radicales sont

souvent des innovations incrémentales modifiées sur un ou plusieurs

facteurs clés de succès2• Schoettl (2009) montre bien que la stratégie de

rupture tant commentée d'Ikea, résultat d'une succession d'expérimen­

tations dues le plus souvent à des événements inattendus. Le change­

ment peut aussi résulter d'une combinatoire différente (Julien, 2005) et

non d'une modification radicale.

l. Comme d'autres, nous avons renoncé à traduire business mode], aucune des traductions proposées n'étant de fait satisfaisante. Pour Lehmann-Ortega et Schoettl, un business mode! peut se définir « comme les mécanismes permettant à une entreprise de créer de la valeur à travers la proposition de valeur faite à ses clients, son architecture de valeur (comprenant ses ressources, sa chaîne de valeur interne et externe), et de capter cette valeur pour la transformer en profits (revenue mode!), Ateliers de l 'innovation, Lille, 2005.

2. Pour ces auteurs, la littérature tend à se focaliser sur les ruptures fondées sur des modi­fications radicales au niveau du produit, plus rarement sur des modifications radicales au niveau du process. Pourtant, notent-ils, celles-ci sont intéressantes du fait qu'elles sont « beaucoup plus insidieuses, car elles correspondent à des « changements dans la conti­nuité » », Pin, Métais et Dumoulin, Vers un dépassement de l 'antinomie entre rupture et continuité : Le cas Valéo, XJième conférence de 1 ' AIMS, Carthage, 2005.

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Cha pitre 2 Les stratégies d'innovation et de rupture

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Contrairement à une idée reçue, le modèle Traction de Citroën n 'était

pas en soi une innovation radicale dans le sens où les innovations inté­

grées au modèle existaient déjà (traction avant, carrosserie monocoque,

freinage à commande hydraulique, etc.). Seulement pour la première

fois, ces innovations avaient été réunies sur un même véhicule en vue

d'une fabrication en grande série (Broustail et Greggio, 2000).

La Traction a véritablement bouleversé la valeur d'usage de l 'auto­

mobile en faisant accéder lautomobiliste à des performances et à un

confort inconnus jusque-là sur des véhicules de grande série. Elle était

de ce point de vue incontestablement une innovation de rupture.

Section 2 LES D I FFÉ RENTES FACETTES DE L' I N NOVATION

1 De l' innovation « compétitivité »

à l'innovation stratégique

1.1 Le ra isonnement classiq ue

Dans le raisonnement stratégique classique, tel que l 'on peut le

trouver exposé par Porter ( 1 985), l ' innovation joue un rôle fondamen­

tal, elle permet aux entreprises de mieux résister aux contraintes exté­

rieures en confortant ou en améliorant le positionnement de l'entreprise

dans un contexte concurrentiel donné.

Héritière en partie des acquis de l ' Industrial Organization, l ' analyse

stratégique classique envisage l ' innovation comme un moyen, l 'objec­

tif pour l 'entreprise étant de faire durer son avantage concurrentiel ou

le cas échéant de le renouveler.

Dans cette perspective, l ' innovation est un moyen de l 'adaptation.

L'environnement est une donnée objective qui s ' impose aux compéti­

teurs et les comportements des entreprises sont en partie déterminés par

des données structurelles extérieures et sur lesquelles les entreprises

ont peu de prise.

On notera cependant que l 'évolution de Porter sur l' idée même de

positionnement, ou l' idée de faire autrement et non plus mieux que les

autres n'est pas sans implications quant à la redéfinition des objectifs

assignés à la stratégie.

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Les stratégies d'innovation et de rupture Chapitre 2

Porter ( 1996) souligne en effet le danger du mimétisme engendré par

la volonté des entreprises de faire mieux que leurs concurrents. Ce fai­

sant, les entreprises confondent deux choses : l 'efficacité opération­

nelle et la stratégie. L'efficacité opérationnelle conduit au mimétisme,

chacun copiant les pratiques jugées les plus performantes. Le problème

est que toutes les entreprises finissent par se battre avec les mêmes

armes et au final, il ne reste plus pour se démarquer de la concurrence,

que l'argument des coûts, qui entraîne les secteurs dans une baisse de

rentabilité préjudiciable à tous les acteurs.

L'essence de la stratégie ne consiste dès lors plus à faire mieux que les

concurrents mais dans la création d'un positionnement exclusif. Dans cette

perspective, l'innovation sous toutes ses formes, peut aider à la construc­

tion de ce positionnement exclusif synonyme de rentabilité supérieure.

Pour autant, et même si l'évolution de Porter sur le concept de positionne­

ment est manifeste, on reste dans un schéma classique. L'adaptation à

l'environnement reste la norme et l'auteur ne remet pas en cause le concept

de positionnement, il le fait évoluer, ce qui n'est pas la même chose.

1.2 Qua nd l'in novation devient stratégique

C'est ce schéma général qui va être peu à peu remis en cause par le

courant dit de « l ' innovation stratégique » (Dahan, 2005).

Pour les auteurs qui se situent dans cette perspective (Baden-Fuller et

Stopford, 1994 ; Charitou et Markides, 2003 ; Govindarajan et Gupta,

2003 ; Hamel, 1996, 1998, 2000, 2006 ; Kim et Mauborgne, 1997, 1999,

2005 ; Lehmann-Ortega et Roy, 2009 ; Markides, 1997, 1998, 2004 ;

Strebel, 1995), il ne s'agit plus de s'adapter mais de changer les règles

du jeu. L' innovation doit être stratégique dans le sens où elle doit redé­

finir les règles du jeu et précisément éviter le travers du mimétisme.

Pour Markides ( 1997) les entreprises qui ont le mieux réussi et qui ont

su s'imposer durablement sont celles qui ont su rompre avec les règles du

jeu de leur industrie. De même, pour Kim et Mauborgne ( 1 999b) la nou­

velle pensée stratégique doit s'élaborer en dehors des frontières existantes

des industries. L'objectif n'est pas d'affronter la concurrence dans des

océans rouges (le rouge soulignant le caractère meurtrier de la compé­

tition) mais de créer des océans bleus, en clair des espaces de marché

nouveaux (Kim et Mauborgne, 2005). Ces espaces vierges où l'on pourra

se développer rapidement et à l 'abri de la concurrence doivent être créés

par les entreprises au moyen d'une nouvelle conception de la stratégie.

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Page 40: Strategies et changement : innovations et transformations des organisations

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Cha pitre 2 Les stratégies d'innovation et de rupture

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Hamel ( 1 998, 2000), insistant sur la nécessité de rompre les règles du

jeu, en appelle à une véritable révolution stratégique.

Notons que pour tous ces auteurs, l ' innovation est prise dans son sens

global, une innovation pourra être qualifiée de stratégique sans pour

autant être technologique (Lehmann-Ortega et Roy, 2009). Le refus de

la sophistication technologique ou de la course à la complexité carac­

térise, d'ailleurs, souvent ces stratégies. Aurégan et Tellier montrent

bien, à cet égard, que le succès de la Wii de Nintendo provenait, pour

une large part, de la volonté des dirigeants de la compagnie japonaise

de ne pas suivre leurs concurrents dans la course à la sophistication

technologique. II en va de même pour la Logan de Renault (Métais,

Dauchy et Hourquet, 2009). Le succès du low cost, notamment dans le

secteur du transport aérien, n 'a pas d 'autre explication.

� Focus

Une offre repensée autour de choix simples : l'exemple Southwest Airlines

« . . • Derniers arrivés sur leurs marchés, i l s jouent sur les deux atouts clefs que leur apporte leur jeunesse : une offre totalement repensée et une orga­nisation bien plus efficace. Le pionnier du /ow cost aérien s'appel le South­west Airl ines. Quand i l s'est lancé au début des années 70, son idée était d'instaurer une navette entre les trois grandes vil les du Texas : Houston, Dallas et San Antonio . . . Son idée était de concurrencer l'automobi le sur ces distances courtes (une heure d'avion), à la fois en prix et en service. Quand on prend sa voiture ou un bus, on ne réserve pas son siège et on n'attend pas la fourniture d'un repas. On veut juste partir à l'heure, arriver à l'heure et dépenser le moins possible. C'est la même idée qu'a dévelop­pée plus tard Ryan Air . . . Chez Southwest, i l n'y a, depuis 1 97 1 , que des Boeing 73 7 . . . Herb Kel leher, le mythique patron de Southwest a coutume de dire qu'i l ne fait pas de vol transatlantique parce que les 737 ne tra­versent pas les océans. Plus qu'une boutade, c'est l' idée que la simplicité de l'offre est un gage de bas prix pour le consommateur . . . »

Source : extrait des Échos, 18 janvier 2012.

Malgré la diversité des définitions (Dahan, 2005), on retrouve tou­

jours chez ces auteurs trois éléments fondamentaux (Schlegelmilch,

Diamantopoulos et Kreuz, 2003) :

Page 41: Strategies et changement : innovations et transformations des organisations

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Les stratégies d'innovation et de rupture Chapitre 2

• En premier lieu l 'innovation stratégique est inséparable d'une

reconceptualisation en profondeur du business model dominant. Il

s 'agit d'imaginer ce que l 'activité sera et non de se focaliser sur ce

qu'elle est. La condition, c'est bien sûr de s'affranchir des schémas

mentaux et autres dominants.

• En second lieu, l ' innovation stratégique doit aboutir à une redéfini­

tion des marchés existants, l ' innovateur stratégique ne cherche pas à

s 'adapter il crée lui-même les conditions de sa réussite. C'est donc

toujours de sa part une démarche volontariste. Kim et Mauborgne

(2005b) n'hésitentpas àqualifiercetteperspectivede « reconstructionist

view » . Pour ces auteurs les conditions structurelles qui prévalent

dans une industrie donnée ne s' imposent pas aux entreprises. Elles

peuvent être modifiées au moyen des leurs actions et ce, en redéfinis­

sant les postulats sur lesquels s 'est établie la compétition.

• Enfin, troisième élément, une innovation stratégique n'a de sens que

si elle est susceptible d'apporter une valeur supérieure aux clients.

Dans cette perspective, une innovation stratégique est avant tout une

innovation de la valeur (Kim et Mauborgne, 1999a).

De ce point de vue, l ' innovation stratégique affecte durablement la

valeur d'usage d'un bien ou d'un service. Le succès de Callaway Golf

dans le domaine des cannes de golf, celui de Casella Wines dans le

domaine du vin trouvent leur origine dans cette redéfinition de la

valeur. Dans le dernier exemple, Casella Wines en redéfinissant les

facteurs-clés de succès de l ' industrie du vin en a modifié aussi la valeur

d'usage pour les consommateurs. Le triptyque « easy drinking, easy to

select and fun and ad venture » a permis à l 'entreprise et au vin en géné­

ral de rencontrer une nouvelle clientèle et de faire de ce dernier un

produit d'usage courant et divertissant et non plus un produit soigneu­

sement choisi en fonction d'occasions précises. Dans une même

perspective, la Wii de Nintendo a permis aux utilisateurs de vivre des

expériences ludiques grâce à la nouvelle manette voire à partir de 2008

des expériences liées à la remise en forme (Aurégan et Tellier, 2009) .

Comme dans le cas de Casella Wines, Nintendo a cherché à séduire une

nouvelle clientèle : celle des non-initiés, une clientèle plus attachée au

caractère ludique des jeux qu'à leur performance technique .

Au-delà des trois éléments tels que décrits, tous les auteurs insistent

sur le caractère radical des innovations stratégiques (Lehmann-Ortega

et Schoettl, 2005) voire sur leur caractère révolutionnaire. Mais l ' inten-

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Cha pitre 2 Les stratégies d'innovation et de rupture

3 6

sité de cette radicalité peut être très variable. En effet à quel moment

va-t-on considérer qu'une innovation est stratégique ? Plus profondé­

ment quelles sont les conséquences de l ' innovation stratégique ?

2 L'impact de l ' innovation com me critère de classification

Comme le souligne Koenig (2004), on peut mieux saisir les diffé­

rences entre, par exemple, innovation incrémentale et innovation de

rupture si l 'on veut bien comprendre qu'elles n'ont pas les mêmes

impacts. Chacune de ces innovations va jouer sur des registres diffé­

rents : celui de la préservation pour l ' innovation incrémentale et celui

de la destruction pour l 'innovation de rupture.

De ce point de vue, les conséquences de l'innovation varient selon

que l 'on se place dans l'une ou l'autre de ces perspectives.

Pour autant, même une innovation de rupture peut avoir des consé­

quences différentes selon qu'elle impacte la définition du métier, de la

mission ou bien les deux. L'impact de l ' innovation est ici lié aux objec­

tifs qu'on lui assigne même si comme toute décision, les effets indési­

rables sont inévitables.

Ce qui rend aléatoires les classifications, c 'est que les innovations,

quelles qu'elles soient, jouent sur les deux registres avec des intensités

variables. Ainsi, une innovation stratégique peut bouleverser les règles

du jeu sans pour autant créer à elle seule un nouveau secteur d'activité

comme le montre l'exemple de Dell.

Pour essayer de prendre en compte tous les cas de figure, Dahan

(2005) distingue trois niveaux de radicalité dans l'innovation concur­

rentielle : l ' innovation concurrentielle incrémentale (l'efficacité opéra­

tionnelle de Porter) ; l'innovation stratégique qui correspond à une

stratégie singulière qui va à l 'encontre du modèle dominant tout en res­tant dans le secteur d'activité et enfin la révolution stratégique, qui en

renouvelant en profondeur le concept d'offre débouche sur la création

d'un nouveau secteur d'activité.

Ne sera qualifiée de révolution stratégique que l 'innovation qui

cumule deux caractéristiques : la nouveauté du modèle économique (le

business model des divers auteurs) et la nouveauté du concept d'offre.

En croisant ces deux critères on obtient quatre types d'innovation pra­

tiqués par les entreprises.

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Les stratégies d'innovation et de rupture Chapitre 2

Tableau 2.1 - Classification des types d'in novation

Nouveauté(s) par rapport Modèle économique Nouveau modèle à la concurrence similaire économique

Concept d'offre similaire : la concur- Innovation concurrentielle Innovation stratégique

rence directe continue à exister incrémentale

Nouveau concept d'offre : la concur­rence di recte n'existe p l us

Innovation de produit radicale

Révolution stratégique

Source : Dahan (2005)

Les précisions apportées par l'auteur sont salutaires car elles révèlent

que les différents types d'innovation tels que décrits n'ont pas les mêmes

conséquences. Les compétences et la concurrence sont affectées diffé­

remment selon le type d' innovation. Pour Govindarajan et Gupta (2001),

l ' innovation stratégique impacte à la fois la valeur apportée au consom­

mateur mais aussi modifie la chaîne de valeur de l'entreprise.

� Focus

Les secrets de fabrication de Free Mobile Pour produire moins cher, Free a toujours la même recette : peu d' innovation technologique et un modèle économique plein d' imagi­nation. Pour commencer, fin i le mobi le subventionné. Free l i bère ainsi le consommateur de tout engagement dans la durée en n' inc luant plus le remboursement du téléphone dans le forfa it. Li bre au c l ient de garder son mobi le, d'en acheter un chez un revendeur ou, via Free, à crédit. « Sur un revenu moyen de 1 OO euros par abonné, l'achat du téléphone représente un coût de 1 5 euros pour l'opérateur » esti me ainsi Hervé Col l i gnon, analyste télécoms pour AT Kearney. Mais l 'astuce majeure de Free réside dans la s i mp l ic ité. « Nous avons une offre plus si mple, donc une structure de coûts plus s imple, expl ique Maxime Lombard i n i , le d i recteur général d' l l iad, la maison mère de Free. Les autres opérateurs ont beaucoup de personnel et de conse i l lers, un système d' i nformation compl iqué . . . Pas nous . . . »

Source : L'Usine Nouvelle, 16 janvier 2012.

Les deux sont d'ailleurs étroitement liées. Toutefois ces deux auteurs

en restent à une vision générale de l 'avantage généré par l ' innovation

et ne parlent pas de redéfinition du business model.

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Cha pitre 2 Les stratégies d'innovation et de rupture

3 8

Pourtant, c'est un point capital car toute innovation stratégique n'est

pas créatrice « d'océans bleus » et il ne faut pas confondre redéfinition

du concept d'offre et redéfinition du business model même si les deux

peuvent être liés. En effet et comme le font remarquer Lehmann-Ortega

et Roy (2009), si la rupture peut avoir comme effet la création d'un

nouveau marché elle peut aussi déboucher sur l ' extension de marchés

déjà existants.

Les innovations stratégiques ne sont pas seulement le fait d'outsiders

voulant bousculer les règles du jeu afin de déstabiliser les entreprises

établies, elles peuvent être le fait d'entreprises dominantes ou impor­

tantes qui cherchent à affermir leur domination sectorielle (Markides,

1998 ; Roy, 2005). Ni Renault, ni Dell, ni Nintendo n'étaient à propre­

ment parler des outsiders au sens où l'on entend ordinairement ce

terme.

La typologie proposée par Lehmann-Ortega et Schoettl (2005) syn­

thétise ces différentes contributions et introduit un nouveau type de

stratégie : la stratégie perturbatrice. Les stratégies perturbatrices selon

ces deux auteurs, modifient partiellement le business model, elles

tendent à déstabiliser le jeu concurrentiel mais ne débouchent pas,

contrairement aux stratégies de rupture, sur un « business model » radi­

calement différent.

On ajoutera que pour ces auteurs, seule la stratégie de rupture consti­

tue vraiment une innovation stratégique. Comme on peut le voir sur le

schéma qui suit, celle-ci modifie fondamentalement la valeur pour le

client mais aussi la chaîne de valeur.

Pour autant et c'est peut-être là un point contestable de leur analyse,

l' innovation stratégique a une conséquence somme toute classique : la

distanciation par rapport aux concurrents. Or, cette notion de distancia­

tion est ambiguë. S 'agit-il de prendre de l 'avance sur ses concurrents

ou de les oublier en créant un nouveau business model ?

Dans un cas on reste dans l 'océan rouge, dans l 'autre on navigue sur

les eaux bleues.

Néanmoins, le qualificatif « perturbateur » nous semble plus appro­

prié pour qualifier nombre de stratégies que trop d' auteurs consi­

dèrent comme des stratégies de rupture strictement entendues. Il n 'est

pas certain, par exemple, que le cas Amazon constitue à proprement

parler une stratégie de rupture. Il y a plus ici perturbation que rupture.

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Les stratégies d'innovation et de rupture Chapitre 2

La valeur d'usage du bien n 'a pas été affectée ou du moins pas fon­

damentalement.

La perturbation par définition entraîne la réaction des concurrents ce

qui n'est pas le cas des stratégies de rupture, du moins dans un premier

temps (Charitou et Markides, 2003). La stratégie de perturbation vise à

un certain niveau de déstabilisation du jeu concurrentiel, variable selon

les ressources des entreprises. La stratégie de rupture vise, elle, à créer

un nouveau jeu concurrentiel en effaçant plus ou moins provisoirement

la concurrence et en imposant à celle à venir des nouvelles règles du

jeu : ses règles.

Il convient donc de ne pas confondre les deux types de stratégie.

Modification de la valeur pour le client

Radical Stratégie perturbatrice Stratégie de rupture

Modérée Amélioration incrémentale

Stratégie perturbatrice

Modification �-------��---------- de la chaîne

Modérée Radical de valeur

Source : d'après Lehmann-Ortega et Schoettl, 2005.

Figure 2.1 - Les formes d'innovation selon la nature de la valeur créée

Une autre typologie de l ' innovation a été proposée par Markides et

Geroski dans leur ouvrage publié en 2004 et intitulé Fast Second.

Pour ces auteurs, une innovation se distingue d'une autre selon

1 ' impact qu'elle peut avoir à la fois sur les compétences et les actifs

des firmes établies et sur les habitudes et les comportements des

consommateurs. En croisant ces deux dimensions on obtient quatre

types d ' innovation.

3 9

Page 46: Strategies et changement : innovations et transformations des organisations

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Cha pitre 2 Les stratégies d'innovation et de rupture

40

Majeur

Impact de l ' innovation

sur les habitudes et les

comportements des consommateurs

Mineur

Innovation majeure

Services bancai res sur Internet

Innovation incrémentale

ABS de Bosch

Renforce

Innovation radicale

Téléphone mobile,

magnétoscope

Innovation stratégique

LCD, plasma

Détruit

Impact de l' innovation sur les compétences et les actifs des firmes établ ies

Source : d'après Markides et Geroski, 2004.

Figure 2.2 - Les formes d'innovation selon la nature de l'im pact

La distinction opérée entre innovation majeure, innovation radicale et

innovation stratégique nous paraît pertinente car elle montre que ces

innovations n'ont pas les mêmes conséquences. Ainsi l'Internet bancaire

a certes modifié l'utilisation des services :financiers par les clients mais

les banques traditionnelles disposaient des compétences pour développer

de tels services. Ce n 'était donc pas une innovation de rupture ou radicale

selon la typologie exposée par les deux auteurs.

Le véritable problème pour les concurrents, provient des innovations

qui tendent à détruire leurs compétences et leurs actifs. Dans cette

perspective, deux cas de figure existent : soit l ' innovation affecte pro­

fondément les habitudes et les comportements des consommateurs

ainsi que les compétences et les actifs des firmes établies, on parlera

alors d'innovation radicale. Soit l ' innovation n'affecte que les actifs

sans modifier en profondeur les habitudes et les comportements des

consommateurs, dans ce cas on qualifiera l ' innovation de stratégique.

L'intérêt de cette typologie réside dans le fait qu'elle accorde une

place importante aux compétences des entreprises. Dans toute lutte

concurrentielle, ce sont en effet des compétences, des actifs qui sont en

jeu. En les détruisant ou les affectant sur le long terme, les stratégies

d' innovation remettent en cause les savoir-faire (le métier) et souvent

aussi les missions des entreprises.

Pour autant, il reste à déterminer le niveau de destruction de ces

compétences et actifs en ne sous-estimant pas la capacité de réaction

des entreprises.

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Les stratégies d'innovation et de rupture Chapitre 2

Plus d'ailleurs que des compétences ou des actifs, ce sont des attitudes

qui sont souvent remises en cause (Durand, 2004b) ou à l'origine de

l'inertie des entreprises. Ces attitudes sont souvent générées par une

longue série de succès. Don Sull (2003) montre très bien comment des

entreprises continuent d'appliquer des recettes qui ont fonctionné à un

moment donné alors même que l'environnement a changé. Dans cette

perspective, elles privilégient les innovations incrémentales favorisant

ainsi « l ' inertie active ». La stratégie est dès lors plus subie que choisie.

Enfin, la typologie telle qu'exposée par Markides et Geroski relati­

vise trop, de notre point de vue, les effets de l 'innovation incrémentale.

On oublie trop souvent que l 'innovation incrémentale est par nature

cumulative (Abernaty, Clark et Kantrow, 1981) et qu'à un moment ou

à un autre, elle risque de bouleverser à la fois les habitudes et compor­

tements des consommateurs. De ce point de vue, i l n 'est pas certain que

l' ABS n 'ait pas remis en cause les compétences habituelles des fabri­

cants de systèmes de freinage. La généralisation de ce type de techno­

logie a posé beaucoup de problèmes aux firmes établies.

3 Leader ou suiveur : les dilemmes de l'innovateur

Dans la littérature relative à l'innovation, il est clair que l ' entreprise

qui innove la première dispose d'une rente certaine. De ce point de vue,

l ' innovateur est souvent présenté comme un visionnaire ou un révolu­

tionnaire (Hamel, 2000, 2006). Le constat qui s ' impose souvent est

alors celui-ci : seule l 'innovation est gage d'une stratégie gagnante.

Pourtant, est-ce toujours le cas ? Dans cette perspective le suiveur est

toujours considéré comme un copieur, ce qui révèle une absence totale

de stratégie .

À contre-courant de cette vision et dans un livre stimulant' , Oded

Shenkar montre que l ' imitation est bien souvent une stratégie perti­

nente et que beaucoup d'entreprises que l 'on qualifie trop facilement

d' innovantes sont de fait, plus imitatrices qu'innovantes. Évidemment,

le succès de ces entreprises réside, souligne l 'auteur, dans leur capacité

à combiner imitation et innovation ce qu' i l appelle l ' imovation. La

force d'un Steve Jobs c 'est, ainsi, d'avoir toujours su recombiner des

1 . Copycats, how smart companies use imitations to gain a strategic edge, Boston, Harvard Business Press, 2010.

41

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Cha pitre 2 Les stratégies d'innovation et de rupture

42

éléments existants mais cette recombinaison, elle, était originale. Dans

cette perspective et pour Shenkar, l' imitation peut être stratégique.

� Focus

Samsung, un copieur sachant innover « [ . . . ] La méthode Samsung est s impl issime. À chaque fois, l 'entreprise i mite ce que fait la concurrence puis cherche à l'améliorer. « I l s sont bons pour su ivre les marques leaders et le font avec une grande rapi­dité analyse Annette Jump, d i recteur de recherche au cabinet de consei l américa i n Gartner, et i l s profitent de la qual ité de leurs propres composants » . Avec succès, comme le montrent les téléviseurs. Toutes les marques souffrent, victimes d'une forte baisse des prix. Samsung, l u i , résiste. D'honnête chal lenger i l est passé en quelques années au statut de leader, en volume et en qual ité. Ses dern ières séries D7000 et D8000 sont superbes, très séduisantes et fort chères. Rien n'est pourtant révol utionnaire, mais la maîtrise technologique permet d'amél iorer la qual ité de l'écran LED et d'associer dans u n cadre u ltra-plat les éléments d'un téléviseur haut de gamme (connexion à Internet, Wifi . . . ), le tout au service de l a reconstitution des marges mises à mal par une concurrence acharnée. [ . . . ] »

Source : extrait de L'Usine Nouvelle, 9 février 2012.

Christensen ( 1 997) dans son dilemme de / 'innovateur avait bien mon­

tré que les entreprises et notamment les grandes entreprises étaient plus

aptes à développer des innovations incrémentales ou de soutien (sus­

taining innovation) que des innovations de rupture (disruptive innova­

tion) . Pour l 'auteur les modes de gestion adoptés par ces entreprises et

la nécessité de produire des résultats sur le court et moyen terme

n'encouragent pas les entreprises à s 'engager dans des innovations de

rupture. De la même façon, la nécessité pour se développer de disposer

de vastes marchés ne leur fait pas prêter attention à des marchés

émergents dont la rentabilité est difficile à prévoir.

Pour autant, Christensen pense que cette façon d'agir est dommageable

et beaucoup de ces entreprises ont été déstabilisées par des innovations

de rupture qu'elles n'avaient soit pas vues venir, soit sous-estimées.

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Les stratégies d'innovation et de rupture Chapitre 2

Pour d'autres auteurs, les entreprises ont le choix entre deux types de

stratégie : elles peuvent se concentrer sur des marchés modestes en les

développant dans le temps soit laisser innover les autres et rattraper

ensuite l ' innovation, les modalités de cette captation pouvant être

variables. Partant du constat que les entreprises qui ont su imposer les

innovations radicales ne sont pas toujours celles qui ont été à l'origine

de l 'innovation, ces auteurs en viennent à considérer avec des points de

vue différents qu'il n 'est pas toujours profitable d'être le premier à lan­

cer une idée nouvelle sur le marché.

Dans son ouvrage Crossing the Chasm ( 1 999) Geoffrey Moore nous

en explique les raisons. La démonstration de l 'auteur part d'un para­

doxe : comment se fait-il que les innovations révolutionnaires après une

période de lancement où le succès est au rendez-vous échouent lamen­

tablement dans le long terme. Les causes de ces échecs trouvent leur

origine dans le fait que les innovations au fur et à mesure de leur péné­

tration sur le marché, ne rencontrent pas les mêmes clients.

Au départ, ces innovations sont adoptées par les techno-enthousiastes,

catégorie de clients d'abord attirés par la nouveauté. Dans un second

temps, ces derniers passent le relais aux « adopteurs précoces » ou

« stratégiques ». Ceux-ci sont mus par un raisonnement plus intéressé :

l ' innovation est adoptée parce qu'elle est susceptible de déboucher sur

un avantage concurrentiel. Disposant de ressources, les adopteurs

« stratégiques » constituent une cible privilégiée pour les innovateurs.

Le problème surgit quand on passe des adopteurs précoces (early

adopters) aux « pragmatistes » (early majority) .

La difficulté réside dans le fait que les entreprises tendent à négliger

les profondes différences qui existent dans les comportements d'achat

de ces deux groupes. Ainsi, si pour les adopteurs précoces, les caracté­

ristiques technologiques constituent la principale motivation d'achat

(même si évaluées par rapport à leur potentiel compétitif), pour les

autres (early majority), l'expérience, l 'opinion des collègues et l'exis­

tence d' infrastructures solides le sont tout autant. En d'autres termes,

les motivations liées à la sécurité ont leur importance.

Il existe donc un chasm (gouffre) entre les deux et en n 'anticipant pas

l ' importance de ce gouffre, beaucoup d'entreprises périclitent. En effet,

c'est en conquérant les « pragmatistes » que les entreprises seront à

même d'accéder aux marchés de masse et de rassurer les acheteurs

conservateurs (the late majority).

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Cha pitre 2 Les stratégies d'innovation et de rupture

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La solution pour Moore est simple : les entreprises doivent se focali­

ser sur des micro-niches et ainsi devenir leader sur celles-ci et s'enga­

ger ensuite sur la conquête de nouveaux segments soigneusement

identifiés et répéter, autant que faire se peut, l ' approche. Il faut donc

positionner soigneusement son offre et ne négliger aucun besoin de la

clientèle visée.

Pour Moore, il faut rester dans une posture de leader mais de leader

modeste, loin des images du leader triomphant, véhiculées par les

success stories trop souvent à l 'œuvre dans la littérature relative à

l 'innovation stratégique. C'est la seule façon de combler le gouffre.

La thèse défendue par Moore tient compte d'une donnée souvent

négligée par les auteurs ou du moins trop rapidement abordée : le

rythme de diffusion des innovations. Ce rythme dépend des types de

clientèle rencontrés et de leur pouvoir sur le marché. Une entreprise qui

lance une innovation même radicale ne peut pas faire fi de ces réalités.

Pour l 'avoir oublié nombre d'entreprises sont rangées dans la catégorie

peu glorieuse des « inventeurs ». Markides et Geroski (2004) déve­

loppent un point de vue différent. Ils partent d'un constat : les inven­

teurs ne sont pas toujours loin s'en faut les innovateurs. JVC n'a pas

inventé le magnétoscope ni Procter & Gamble, la couche-culotte.

Comment expliquer ce fait ? Pour ces auteurs, la diffusion d'une

innovation radicale sur le marché se déroule (souvent, pas toujours) en

deux temps qui correspondent à deux phases et qui, point important,

mobilisent des compétences différentes.

Dans une première phase d'exploration, la découverte d'une nouvelle

technologie ou d'un nouveau concept produit se traduit par une impor­

tante vague de créations d'entreprises. On a pu observer un tel phéno­

mène avec Internet et la naissance de milliers de start-up, dont la durée

de vie a été très brève.

Les projets foisonnent, les idées fusent mais on en reste bien souvent,

à un stade artisanal . La seconde phase est qualifiée de phase de conso­

lidation. Le marché s'épure autour d'un petit nombre d'offres, offres

qui deviennent des standards.

À ce moment, il ne s 'agit plus tant pour les entreprises de se mainte­

nir à la pointe de l' innovation que de créer les conditions d'un marché

de masse en jouant à fond la logique industrielle. Dans cette perspec­

tive et comme l 'ont bien montré Kim et Mau borgne (2005), stratégie

d'innovation et stratégie de coût sont étroitement liées.

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Les stratégies d'innovation et de rupture Chapitre 2

Pour Markides et Geroski, ces deux phases mobilisent des compé­

tences et des profils d'entrepreneur très différents.

Dans la phase d'exploration, l' imagination et l 'expérimentation sont

privilégiées. Les structures sont peu hiérarchisées, il n'existe pas ou peu

de planification. Dans cette phase, l ' aspect technologique ou innovant

des projets prend souvent le pas sur n'importe quelle autre considéra­

tion. Le problème c'est que ces attitudes, ces compétences deviennent

très vite inopérationnelles dans la phase de consolidation. À ce moment

les caractéristiques des grandes entreprises ne sont plus des handicaps,

elles peuvent dès lors se contenter de n'être que les seconds en faisant

accéder les innovations des pionniers aux marchés de masse.

Pour autant, savoir tirer part des innovations des autres suppose, de

la part des entreprises, de maîtriser trois domaines de compétence :

• En premier lieu, une telle stratégie ne peut réussir que si l 'entreprise

qui l 'adopte investit durablement dans la veille stratégique. L'objectif

étant ici de suivre attentivement l'évolution de la maturité du marché.

Ceci suppose de repérer les innovations susceptibles de déboucher

sur la création d'un nouveau marché de masse et d'identifier le

moment opportun pour se lancer.

• En second lieu, l 'entreprise doit concevoir une offre susceptible de

séduire le grand public. Ceci suppose de ne pas se focaliser sur la

performance technique, de simplifier le produit pour en baisser le

coût et de rassurer le client.

• Enfin, l 'entreprise doit chercher à inonder rapidement le marché.

Ceci suppose de renoncer au profit à court terme et de s'appuyer sur

des partenariats.

Quoi qu'il en soit et pour Markides (2009), les grandes entreprises

n'ont aucun intérêt d'être à l'origine des stratégies de rupture. Dans un

article au titre suggestif1 , 1 'auteur explique que les grandes entreprises

ont tout intérêt, au contraire, à détecter et « rattraper » les innovations

générées par d'autres et notamment les entreprises petites et moyennes .

Cette étude a le mérite de relativiser un certain nombre d'assertions

relatives aux stratégies d'innovation, de bien mettre en évidence les deux

phases de l'innovation et d'y faire correspondre des compétences. Dans

ce domaine l'avantage n'est pas toujours à l 'attaquant (Foster, 1 986)

1 . « Pourquoi les entreprises existantes ne devraient pas créer de rupture », Revue Fran­çaise de Gestion, n°197, 2009.

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Page 52: Strategies et changement : innovations et transformations des organisations

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Cha pitre 2 Les stratégies d'innovation et de rupture

46

mais au finisseur. Tout dépendant en dernier lieu du rythme de diffusion

de l ' innovation. Il ne faut pas oublier que le magnétoscope a été inventé

en 1 95 1 et n 'est devenu un produit grand public que dans les années 80.

Section 3 COMMENT I N NOVE R ?

1 De la nécessité de se remettre en cause

Il y a une grande unanimité dans la littérature consacrée à l ' innova­

tion pour considérer qu'à l 'origine de celle-ci, il y a toujours une

relllise en cause.

Cette remise en cause part d'un postulat : les réalités environnemen­

tales sont certes des données objectives qui influent sur la performance

de l 'entreprise mais elles ne déterminent pas le comportement de l 'entre­

prise et surtout, par leurs actions, les entreprises peuvent changer les

règles du jeu. Rompant avec la tradition adaptative léguée par l 'industrial

organization, les auteurs insistent sur la nécessité de rompre avec les

schémas établis. Pour Hamel ( 1998) et Duysters et al. (2004) il faut

« casser » les règles du jeu, c'est-à-dire ne pas se référer à ce qui est

considéré dans une industrie donnée comme la bonne manière de faire.

Il faut donc se méfier de ce qui paraît évident, ce qui est communément

accepté (Markides, 1997). L'objectif est de générer une nouvelle manière

de penser, une nouvelle manière d'envisager les choses (Kim et Mau­

borgne, 1 999). Dans cette perspective, le choix du vocabulaire n 'est pas

neutre. II faut, nous disent Prahalad et Hamel ( 1 994), rejeter « l 'orthodo­

xie sectorielle » ou « déconstruire » les principes du management

(Hamel, 2006). Pour Hamel, ceux-ci sont datés et ne sont plus adaptés

aux réalités de la nouvelle compétition industrielle. Cette remise en cause

est inséparable du nouvel objectif assigné à la stratégie « not competing,

but malàng the competition irrelevant by creating a new market space

where there are not competitors » (Kim et Mauborgne, 2005).

Même si l 'objectif n 'est pas l ' innovation de rupture, l ' impact de

l ' innovation sera de toute façon lié à la capacité de l 'entreprise à inter­

roger la « sagesse conventionnelle » (Baden-Fuller et Pitt, 1996) ou les

recettes sectorielles (Baden-Fuller et Stopford, 1994 ) .

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Les stratégies d'innovation et de rupture Chapitre 2

Dans le cas Nintendo et de la Wii, Aurégan et Tellier révèlent que la

réussite du projet tient pour une bonne part à la capacité de l' entreprise

à avoir su s'affranchir des règles sectorielles qui imposaient, de fait, des

stratégies très prévisibles. Nintendo a su rompre notamment avec la

course à la sophistication technologique et s 'adresser à des clientèles

autres comme, par exemple, les seniors. Dans le cas Logan et malgré

des oppositions internes, Renault a su rompre avec les règles du jeu

implicites du secteur en opérant une véritable « déconstruction straté­

gique » (Métais, Dauchy et Hourquet, 2009).

Au fond, l'innovateur doit se méfier de ses propres succès. Jeff Bezos

fondateur d' Amazon résume cette attitude dans une formule sans ambi­

guïté « to make sure we're never too confortable » (Warner, 1998). En

rompant avec les schémas cognitifs établis, il s'agit aussi de bâtir une

culture d'entreprise ou le questionnement n'est plus l'exception mais la

règle. Bill Gates ou Nicolas Hayek insistent beaucoup sur cette nécessité.

Au-delà de l ' innovation, il s 'agit bien de favoriser une culture du

changement. Cette problématique a été explorée par Pascale ( 1990) et

Pascale et al. (2000). L'auteur, après une analyse en profondeur

d'entreprises comme Ford, General Electric ou Honda, montre bien que

le principe de contradiction est à la base des succès de ces entreprises

et de leur capacité à se remettre en cause.

Il faut reconsidérer les paradigmes stratégiques du moment (Pascale 1990)

parce qu'un paradigme figé conduit toujours à l 'inertie et l'inertie à la fail­

lite ou dans le meilleur des cas à une baisse drastique de la performance.

À l 'origine de l ' inertie active telle que décrite par Don Sull (2003), il

y a toujours des attitudes générées par des succès. Capitalisant sur ces

derniers, les entreprises favorisent les innovations incrémentales

(Christensen, 1997) et reproduisent les recettes à l'origine des premiers

succès. Face à de nouveaux concurrents, ces entreprises subissent le

syndrome de Stockdale (Collins, 200 1 ) , à savoir un excès d'optimisme

qui les empêche de regarder la réalité en face et prendre la juste mesure

des changements d'environnement.

Dans cette perspective, rien ne doit être considéré comme acquis.

C'est en imaginant le pire (ce qui fut le cas de l 'amiral Stockdale pri­

sonnier pendant huit ans au Vietnam) qu' on parvient à survivre.

47

Page 54: Strategies et changement : innovations et transformations des organisations

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Cha pitre 2 Les stratégies d'innovation et de rupture

48

2 Un moyen : le questionnement

Pour innover il faut poser les bonnes questions. C'est dans tous les

cas, un constat qui semble faire consensus (Geroski, 1998 ; Hamel,

1 998 ; Kim et Mauborgne, 1999, 2005 ; Lynn, Maurone et Paulson,

1 996 ; Markides, 1997, 1998, 1999 ; Martinsons, 1 993, O'Reilly III et

Tushman, 1 997 ; Peters, 1 998, 1 99 1 ; Treacy et Wiersema, 1 993).

Pour Markides ( 1997), lorsque l 'on s' intéresse aux entreprises qui

ont su innover en rompant avec les règles du jeu existantes, l ' important

n 'est pas de décrire leurs actions ou leurs stratégies mais d'apporter des

réponses aux questions suivantes « What allowed these companies to

think of all these possibilities ? What are the sources of their innova­

tion ? ». Les questions restent, toutefois, de facture classique, les impli­

cations le sont peut-être moins.

On retrouve chez beaucoup d'auteurs (Markides, 1997, 2000 ; Kim

et Mau borgne, 1997, 2005) le triptyque qui ? Quoi ? Et comment ? À savoir : qui devrions-nous viser comme clients, quelle devrait être notre

offre aux clients et comment peut-on fournir cette offre au mieux ?

Pour Markides ( 1 997), en effet, le meilleur moyen pour une entre­

prise pour s'engager dans « ! 'autrement » c'est d'abord de questionner

sa définition actuelle de l 'activité. C'est, pour l 'auteur, cette définition

qui détermine tout le reste notamment la perception de la concurrence

et de la clientèle.

Afin de mieux aider les décideurs engagés dans des démarches

d' innovation, Kim et Mauborgne ( 1999b) distinguent les questions

conventionnelles de celles centrées sur l ' innovation de valeur. Dans le

premier cas, on reste dans une visée classique : celle du positionnement

plus judicieux que la concurrence ; dans le second, on s ' interroge sur

l'autre façon de créer de la valeur.

On retrouve une perspective similaire chez Govindarajan et Gupta

(200 1 ). Pour ces auteurs après avoir défini quels sont ses clients,

l'entreprise doit se poser la question de la valeur qu'elle souhaite leur

apporter et des moyens de créer cette valeur.

Pour Christensen et al. ( 2002), la capacité des entreprises à générer

des innovations de rupture (disruptive innovations) dépend de leur

capacité à créer de nouveaux marchés en posant un certain nombre de

questions ayant trait notamment à la valeur d'usage du bien ou du ser-

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Les stratégies d'innovation et de rupture Chapitre 2

vice considéré et à la capacité de ces mêmes entreprises à créer de

nouveaux business model.

Là aussi, les entreprises ne doivent pas se contenter de l'évidence et

questionner la réalité. Qu'est-ce qui fait, par exemple, qu'à une époque

donnée, certains clients n 'ont pas été séduits par telle ou telle offre et

comment réduire la complexité de cette dernière ? En remettant en

cause des fausses évidences, les entreprises sont alors à même d'inven­

ter de nouvelles façons de faire et d'affronter des entreprises disposant

de ressources plus conséquentes comme l' illustre le cas Xerox qui a su,

face à Hewlett-Packard, innover en redéfinissant à la fois les besoins

des clients et mettre sur pied un business model original.

L'innovation, quelles que puissent être les définitions proposées, est

inséparable de la notion de valeur. Innover consiste à apporter soit une

valeur supérieure à celle de la concurrence soit redéfinir cette valeur.

Kim et Mau borgne (2005b) lient cette redéfinition de la valeur à un

questionnement qui interroge l 'entreprise à la fois sur l ' existant mais

aussi sur ce qui devrait être.

En premier lieu, il s 'agit d'éliminer dans les secteurs considérés, les

facteurs que les entreprises considèrent donnés, ce qu'elles tiennent

comme la bonne manière de faire, l 'orthodoxie de Hamel ( 1 998).

En second lieu, il s'agit de réduire la complexité des produits,

complexité qui influe sur la structure de coût mais qui ne modifie pas

la valeur d'usage du produit.

En troisième lieu, il s 'agit d'éliminer les compromis que les clients

ont été obligés de faire étant donné l 'état de l 'offre.

Enfin, il s 'agit de réfléchir à de nouvelles façons de produire de la

valeur en vue de créer une nouvelle demande et générer une nouvelle

dynamique de coût dans le ou les secteurs considérés .

Les deux premières questions permettent, en redéfinissant la struc­

ture de coût, d'envisager de nouvelles façons de faire et donc en dernier

lieu de redéfinir les business model.

Concomitamment, et en redéfinissant la valeur de l'offre, les entre­

prises s 'avèrent capables de créer de nouveaux marchés, des « océans

bleus » selon l 'expression des auteurs.

Pour Métais, Dauchy et Hourquet (2009) une stratégie de rupture passe

par une reconsidération de 4 leviers clés à savoir : les forces et faiblesses

49

Page 56: Strategies et changement : innovations et transformations des organisations

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Cha pitre 2 Les stratégies d'innovation et de rupture

des acteurs, les facteurs clés de succès, les fondamentaux non écono­

miques de l'industrie et le questionnement sur les frontières et les

marges. Ces auteurs invitent les entreprises, à partir de ces 4 leviers, à

opérer une véritable déconstruction stratégique. Là aussi, le questionne­

ment est central et le cas Logan, qui illustre leur propos, montre bien à

quel point les fausses évidences conduisent les entreprises au mimétisme

stratégique, mimétisme stratégique suicidaire à long terme (Porter,

1 996). Le questionnement ne va pas de soi. Les entreprises doivent aussi

mettre en place des processus susceptibles de favoriser celui-ci. Cela peut

passer notamment par la faculté laissée aux employés de développer des

projets autonomes (Hamel, 2006), ce que Burgelman (2001 ) qualifie

« d'action autonome ». Les exemples célèbres de 3M et Intel témoignent

du bien fondé de telles initiatives. Elles peuvent aussi favoriser des ren­

contres où les différents acteurs de l'entreprise sont invités à contredire

la stratégie officielle (Pascale, 1990 ; Pascale et al. 2000).

Dans cette perspective, la capacité à questionner est évidemment liée

à l 'organisation de l 'entreprise et c' est celle-ci qu'il faut constamment

« ébranler » (Pascale, 2000). On comprend dès lors que pour Hamel

(2006), la vraie innovation est celle qui a trait au management, d'elle

dépend tout le reste.

E S S E NTI E L

c5 L'innovation ne saurait se résumer à sa seule composante technolo-(Y)

8 gigue. Quel que soit son contenu, elle affecte très souvent l 'usage N

@ du produit ou du service et donc plus globalement leur valeur .!: d'usage. Les finalités de l ' innovation sont multiples, finalités qui O'>

-� peuvent conditionner son intensité. De l'amélioration de l 'existant c..

3 à la redéfinition en profondeur des produits et marchés, l ' innovation

50

peut autant viser à prolonger l'existant qu'à le bouleverser. Elle

peut se situer dans le cadre de règles du jeu préétablies de la même

façon qu'elle peut viser à s 'en affranchir. On peut innover sans être

forcément un pionnier. Dans certains cas et à certaines conditions,

une stratégie de suiveur peut donc être plus pertinente. L'innovation

dans tous les cas nécessite de toujours questionner son activité,

pour imaginer de nouvelles façons de faire.

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Les st ratégies des jeu nes entrep ri ses tech no l og i q ues i n nova ntes

Michel BERNASCONI

SoMMAIRE SECTION 1 Les caractéristiques stratégiques des JETI

SECTION 2 Les outils et concepts de la stratégie des JETI

SECTION 3 Un modèle intégré du développement de ces entreprises clés

L 'objectif de ce chapitre est de proposer une réflexion sur la stratégie

des jeunes entreprises technologiques innovantes. Ces formes

d'entreprises ont en effet des spécificités et elles agissent le plus souvent

dans des environnements incertains qui rendent inadaptés les approches

traditionnelles de la stratégie. La première section définit et présente les

caractéristiques des Jeunes Entreprises Technologiques Innovantes que

nous nommerons JETI dans la suite du texte. La deuxième section s'inter­

roge sur la pertinence des outils de la stratégie pour les JETI et identifie

les approches adaptées. La troisième section propose un modèle intégré

qui décrit le développement de ces entreprises d'une part et prend en

compte simultanément la formulation de la stratégie et la mise en œuvre.

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Cha pitre 3 • Les stratégies des jeunes entreprises technologiques

52

Section 1 LES CARACTÉ RISTI Q U ES STRATÉGIQUES - -

DES J ETI

1 Définitions et caractéristiques des JETI

Les jeunes entreprises technologiques ne sont pas nécessairement

aisées à définir si l 'on se réfère aux nombreuses appellations trouvées

dans la littérature : firmes de hautes technologies, entreprises de tech­

nologies avancées, entreprises innovantes, mais aussi « new technology

based firms » ou encore « knowledge based-firms ». La littérature a

proposé de nombreux critères (Cooper, 1 986 ; Albert et Mougenot,

1 998). Baruch ( 1 997) recommande de retenir trois critères principaux

pour différencier une entreprise de haute technologie des autres entre­

pnses :

- le niveau d'éducation du personnel ; - l ' investissement en R&D ;

- le secteur industriel de l 'entreprise.

Les deux premiers critères caractérisent bien l 'économie de la connais­

sance et l ' innovation. Le secteur industriel permet d'identifier les sec­

teurs innovants les plus couramment admis par l 'INSEE, comme les

technologies de l ' information, y compris Internet, la pharmacie et les

instruments de contrôle. Il est toutefois préférable de ne pas trop limiter

ces secteurs et de prendre en compte des domaines en forte évolution

comme les matériaux, la biologie moléculaire, les énergies renouve­

lables, etc.

Les JETI ont quelques caractéristiques singulières. Elles sont

situées dans des secteurs naissants et instables dont elles tirent parti.

Elles ont des relations étroites avec les milieux scientifiques dont les

entrepreneurs sont fréquemment issus. Elles ont des difficultés à iden­

tifier et à capter les premiers marchés. Les besoins en investissement

sont élevés et elles ont recours à des investisseurs spécialisés. Pour

toutes ces raisons les auteurs insistent sur l ' incertitude et le risque qui

caractérisent ces entreprises (Moensted, 2006). Face à toutes ces

incertitudes il existe le plus souvent un écart entre les prévisions et les

réalisations (Massacrier et Rigaud, 1 984 ; Bernasconi et Moreau,

2004).

Depuis Bygrave et Hofer ( 1991) , il est couramment admis que le pro­

cessus entrepreneurial est constitué de trois phases : l ' identification d'une

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Les stratégies des jeunes entreprises technologiques Chapitre 3

occasion d'affaires, l'exploitation de l 'opportunité, et la création de

valeur. Ce processus apparemment linéaire étant en réalité itératif et dyna­

mique. L'absence de séquentialité est particulièrement présente dans la

littérature sur les jeunes entreprises technologiques, puisque l ' innovation

a pour effet d'augmenter l ' incertitude dans la définition de la stratégie et

dans sa mise en œuvre. Ainsi, on peut noter qu'il arrive fréquemment que

le couple produit-marché initialement visé s'avère inadapté, obligeant les

entrepreneurs à le définir à nouveau. On peut dès lors considérer que la

réalisation d'un projet se fait par des évolutions non linéaires, des répé­

titions ou des remises en cause. Pour Garnsey ( 1998), le processus de

création et de développement de nouvelles entreprises technologiques

innovantes est sujet à la circularité causale, à des boucles rétroactives où

les éléments interagissent avec le système qui les produit, et où le facteur

chance (événements) peut avoir une incidence sur le développement.

EXEMPLE

Fondée en 1 994 par Henri Seydoux, Parrot a frôlé plusieurs fois la faillite.

Après s'être risqué sur le marché des agendas électroniques à reconnais­

sance vocale, Parrot se tourne vers ]es kits mains libres à commande

vocale. Sans succès. La société, au bord de la faillite, signe alors un accord

avec ! 'équipementier suédois Ericsson qui lui propose de développer des

produits de communication sans fil B luetooth. Dès 2002, Parrot commer­

cialise des kits mains libres Bluetooth pour automobiles. Ce troisième essai

est le bon. De 35 000 kits vendus en 2002, les ventes passent à 1 OO 000 en

2003 et près de 1 million en 2005. « Après avoir évité par deux fois de

s'écraser au sol, le perroquet compte cette fois s'envoler vers la Bourse » .

Source : d'après Les Échos, 24 mai 2006.

2 Période de démarrage des JETI

C'est au cours de sa phase de démarrage que la JETI présente les

caractéristiques spécifiques évoquées précédemment et donc des enjeux

particulièrement délicats en terme de stratégie et d'organisation. Mais

comment délimiter la période de démarrage de la jeune entreprise tech­

nologique ? Quel est le point de départ, c 'est-à-dire le moment où l'on

peut considérer qu'un projet de création est en vie ? Quel est le point

d'arrivée, c'est-à-dire le moment où les raisonnements stratégiques et

organisationnels ne sont plus spécifiques ?

53

Page 60: Strategies et changement : innovations et transformations des organisations

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Cha pitre 3 • Les stratégies des jeunes entreprises technologiques

54

Dans le vocabulaire commun, la création d'une entreprise consiste à

donner une existence légale à une activité à finalité économique, dotée

d'attributs visibles et de ressources qui constituent un premier niveau

d'organisation. Pourtant dans la technologie, les projets ont souvent une

période de développement importante avant la création juridique de la

société. Cette phase, souvent d'une grande importance pour le dévelop­

pement de la technologie, a pu être de plusieurs années, souvent initiée

au sein ou en relation avec une entreprise ou un laboratoire existant.

EXEMPLE

En 1 993, le Professeur Carpentier concluait un partenariat (GIE) avec Jean­

Luc Lagardère et son groupe industriel (Aerospatiale Matra et EADS­

Marconi Space) afin de conduire ses recherches sur un cœur artificiel, au

sein d'un groupement d'intérêt qu'il baptisait Carmat. Durant ces 1 5 années

au cours desquelles 15 millions d'euros ont été investis, le projet a été

gardé secret afin de permettre une avancée technologique majeure sans

éveiller l ' intérêt de concurrents. En 2008, le premier essai réalisé, le GIE,

a été transformé en entreprise et la société est entrée en bourse en 20 10.

Quand se termine la phase de démarrage ? Différentes définitions ont

été données de la durée de la phase de démarrage. On peut considérer

avec Tesfaye ( 1997) que la période de création s'achève avec la vente

du premier produit. Dans ce cas, selon Neishem (2000), le temps

écoulé entre l ' idée de créer une entreprise de haute technologie et la

vente du premier produit est de 24 à 36 mois environ. On peut égale­

ment prendre l 'atteinte du seuil de rentabilité comme I ' étape de la fin

de la création et du passage au développement. Les observations de

Twaalfhoven et Kugi (2003) sur 200 entreprises technologiques

montrent que le seuil de rentabilité est atteint en moyenne au bout de

60 mois, alors que les business plans faisaient apparaître un délai

moyen de 30 mois, soit un rapport de 1 à 2. Sammut ( 1 998), dont le

champ d'observation n 'était pas la technologie, considère que la phase

de démarrage se termine lorsque le dirigeant fait preuve d'une

conscience stratégique, c 'est-à-dire qu'il adopte une gestion systé­

mique, engage un transfert organisationnel et est en mesure d'atteindre

ou de dépasser le seuil de rentabilité. Cette approche a sans doute pour

effet d'allonger le nombre d'années nécessaire. En retenant l 'atteinte

du seuil de rentabilité, nous pouvons donc considérer que la période de

création d'une entreprise technologique se situe entre 3 et 7 ans. C'est

dans ce laps de temps que nous considérerons la création d'entreprise.

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Les stratégies des jeunes entreprises technologiques Chapitre 3

3 Différents types de projets d'entreprises technologiques

Avant de tenter de décrire les stratégies des jeunes entreprises tech­

nologiques, il convient de se demander si chaque JETI connaît un

mode de développement spécifique lié à ses caractéristiques propres

ou s'il existe des trajectoires de croissance particulières et adoptées

par une majorité d'entreprises. Rechercher des types de modèles de

croissance c'est faire référence à l 'approche de la configuration par­

ticulièrement mise en valeur avec les travaux de Mintzberg et Miller

( 1 986).

E@ Focus

L'approche par les configurations De façon générale, l 'approche par les configurations analyse l 'entre­prise comme un système d'éléments i nterel iés. Plutôt que de s' intéres­ser à toutes les combinaisons possibles entre les différents éléments et à la formu lation d'une loi générale qui les relierait, l 'approche par les configurations suggère de l i m iter l'analyse à un nombre restreint de cas cohérents Ceux-ci, nommés « archétypes » ou « idéal-types » ,

sont d'a i l leurs supposés être les seules formes cohérentes du système et correspondre aux cas d'entreprises les plus performantes. Les théo­riciens des configurations acceptent b ien entendu l'existence de configurations hybrides. De la même man ière, dans la dynamique de la vie de l 'entreprise, le passage d'une configuration à une autre est évidemment accepté.

Les variables prises en compte dans l 'approche des configurations

permettent d'analyser conjointement la stratégie de l'entreprise, sa

structure organisationnelle et son environnement. C'est dans cette

approche que nous avons proposé une typologie des modes de dévelop­

pement des JETI dans la Silicon Valley (Bernasconi, 1 994 ) . Les

variables retenues pour identifier les configurations, ou types, sont

55

Page 62: Strategies et changement : innovations et transformations des organisations

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Cha pitre 3 • Les stratégies des jeunes entreprises technologiques

56

proches de celles qui ont été mises en évidence dans de nombreux tra­

vaux sur la modélisation du phénomène entrepreneurial et notamment

celles proposées par Bruyat ( 1 994) : l' équipe, l 'opportunité poursuivie

ou activité, les ressources, l 'organisation et l ' environnement. Toutefois

l 'analyse a mis ces variables en perspective par rapport à la valeur per­

çue de l 'opportunité d'une part et sur le maintien du contrôle par

l'équipe dirigeante d'autre part. Sans prétendre représenter tous les

types possibles, quatre configurations ont été identifiées.

3.1 Les entreprises autonomes

Les entrepreneurs qui lancent des entreprises sont motivés par une

vision personnelle de leur projet et mettent comme priorité la sauve­

garde de la liberté stratégique et parfois le contrôle patrimonial de

l ' entreprise. Ils sont hostiles à l'entrée d'investisseurs en capital-risque.

De ce fait le financement de ces entreprises est alors réalisé par les

créateurs eux-mêmes, par l 'argent de proximité et surtout par l 'autofi­

nancement. Le positionnement n'est tenable qu'à la condition que le

marché servi soit une niche, de préférence géographiquement limitée.

Ce type d'entreprise correspond bien à la société de recherche ou à une

offre moyennement innovante.

3.2 Les entreprises progressives

Les entreprises progressives se caractérisent par la volonté des diri­

geants de franchir progressivement les étapes de leur développement.

Les ambitions sont importantes et laissent espérer une position parmi

les leaders du marché. Ils privilégient une croissance contrôlée plutôt

que la recherche forcenée de la vitesse. Pour cette raison, les fondateurs

cherchent des financiers qui leur laissent de l'autonomie sur les déci­

sions. Les moyens financiers sont mobilisés au fur et à mesure du fran­

chissement des étapes par des tours de financement limités. Le

changement organisationnel se fait au rythme du développement et de

la validation des hypothèses du business plan. La structure de

l 'entreprise est définie en fonction de la nature de l ' innovation et des

enjeux et s 'adapte au rythme du projet.

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Les stratégies des jeunes entreprises technologiques Chapitre 3

3.3 Les entreprises pressées ou modèle Silicon Va l ley

Les entreprises pressées sont des entreprises bâties sur une offre

innovante fondée sur une amélioration très significative ou une offre

de rupture. Ce type d'entreprise trouve son modèle dans la Silicon

Valley. Ces entreprises sont peu nombreuses mais elles sont emblé­

matiques car elles sont susceptibles d'atteindre une taille mondiale.

Elles sont le plus souvent premières sur un marché, qu'elles vont

d'ailleurs souvent inventer. Ces entreprises se caractérisent par la

priorité accordée à la recherche de la croissance et de la vitesse d' exé­

cution. Les financements sont très importants, proviennent essentiel­

lement des capital-risqueurs qui ont comme unique perspective la

croissance et une forte valorisation par la bourse ou la revente à un

grand groupe. Pour les fondateurs, le choix de cette logique, qui peut

laisser espérer les plus belles perspectives, a des contreparties qu' ils

doivent comprendre et accepter. Ils sont des éléments constitutifs du

projet mais on leur demandera de laisser leur place à la tête de l ' orga­

nisation, dès qu' on considérera qu' ils ne sont plus les meilleurs pour

conduire l ' entreprise. Les moyens importants mobilisés permettent de

bâtir rapidement des organisations importantes et sophistiquées des­

tinées à soutenir la stratégie.

3.4 Les sociétés opportunistes

Ce type de société apparaît plutôt dans des secteurs émergents à haut

potentiel. Dans ces secteurs où les avancées technologiques sont très

fortes, des équipes de pointe peuvent améliorer une des composantes

de l 'activité, ou une brique technologique d'un système complexe .

Néanmoins, compte tenu de la taille des acteurs intégrateurs de l'indus­

trie, elles ont peu de perspectives de développer une grande entreprise

par elle-même. Par contre elles pourront représenter une proie pour un

gros acteur du secteur ou un concurrent mieux placé. On trouve ce

genre de logique dans les activités comme les télécommunications,

Internet, les biotechnologies ou encore dans des secteurs ou les évolu­

tions de la réglementation offrent des fenêtres d'opportunité, comme

l' énergie .

La particularité de cette catégorie d'entreprise est que les entrepre­

neurs n'ont pas nécessairement conscience, au début, du caractère pro­

visoire de leur entreprise. Les modes d'organisation se font souvent

57

Page 64: Strategies et changement : innovations et transformations des organisations

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Cha pitre 3 • Les stratégies des jeunes entreprises technologiques

avec une économie de moyens, mais aussi une grande flexibilité afin de

s'adapter au mieux aux opportunités et obtenir une vitesse d'exécution

nécessaire pour valoriser l 'opportunité.

EXEMPLE

Créée en 2002 à Sophia Antipolis, la société SEEMAGE se proposait de

créer le power point de la 3D, c'est-à-dire un outil léger, simple d'emploi,

accessible à tout le monde qui permette de visualiser, d' annoter, de

commenter, de collaborer et de créer des présentations. Leurs produits ont

séduit de grandes entreprises dans le domaine de la mécanique et de l'aéro­

nautique. Grâce à une levée de fonds auprès d' investisseurs l'entreprise a

pu se développer. L'entreprise a été racheté en 2007 par Dassault Systèmes

qui a intégré la technologie dans son offre pour fournir des solutions inno­

vantes destinées à répondre à la demande croissante de ses clients dans le

domaine de la documentation des produits.

L'objectif de cette section était de définir les spécificités des jeunes

entreprises technologiques, de clarifier la phase d'émergence et de

tenter d' identifier des archétypes qui permettent de rendre compte des

principales logiques stratégiques suivies par ces entreprises. Ceci étant

fait, on peut s ' interroger sur les outils et méthodes stratégiques qui leur

sont adaptés.

Section 2 LES OUTI LS ET CONCEPTS DE LA STRATÉG IE DES J ETI

N

@ Le champ de la stratégie a développé depuis une cinquantaine

:§, d'années de nombreux outils et concepts qui ont évolué avec l 'écono-

-� mie. On peut s'interroger sur l 'applicabilité de ces outils et de ces

3 concepts aux jeunes entreprises technologiques. Dans une première

partie, nous rappellerons les outils génériques de la stratégie. Dans une

deuxième partie, nous présenterons des outils et concepts particulière­

ment adaptés à la jeune entreprise technologique. Dans une troisième

partie nous montrerons qu'il faut parler de posture pour bien prendre en

compte la stratégie dans ces entreprises.

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Les stratégies des jeunes entreprises technologiques Chapitre 3

1 Les outils et concepts génériques de la stratégie

Le champ de la stratégie s 'est développé dans le contexte des entre­

prises existantes et en particulier des grandes entreprises. Les premiers

grands contributeurs (Ansoff, BCG . . . ) tentaient alors de répondre aux

problèmes que se posaient les entreprises pour gérer la complexité de

leurs activités et conduire leur développement. Les concepts et

méthodes ont été développés pour répondre aux évolutions des règles

de la concurrence, des structures des marchés et de la complexité crois­

sante de la relation de l 'entreprise avec ses parties prenantes et en par­

ticulier les actionnaires. Dans les années 1980, les apports du PIMS et

de Michael Porter sur l 'analyse des systèmes concurrentiels ont façonné

la pensée et l 'analyse stratégique permettant aux entreprises d'amélio­

rer l 'analyse des stratégies à mener en fonction des systèmes concur­

rentiels et à clarifier les facteurs clés de succès associés. L'analyse de

la chaîne de valeur a permis de mieux faire le lien entre les stratégies

menées et la valeur créée pour le client. Mais jusqu'alors peu de place

était réservée à l ' innovation qui devenait pourtant le facteur le plus

important dans la concurrence que se livraient les entreprises. Ce fut en

particulier l 'apport de Hamel et Prahalad ( 1989) qui ont proposé non

plus de faire seulement la stratégie en se positionnant par rapport à

l ' existant, mais en partant des ressources maîtrisées. La stratégie

cherche alors davantage que par le passé à explorer des voies nouvelles

pour sortir de situations de concurrence de plus en plus fortes, liées à

la montée des pays émergents. Dans cette perspective, l 'approche

Ocean Bleu (Kim et Mauborgne, 2005) invite les entreprises à réinven­

ter leur positionnement et leurs pratiques en privilégiant des innova­

tions valorisées par le client.

Les corpus de connaissances et les approches de la stratégie que nous

venons de rappeler sont-ils applicables aux jeunes entreprises techno­

logiques ? Certes la stratégie permet aujourd' hui de disposer d'une

batterie d'outils qui peuvent trouver leur utilité dans l 'analyse des sec­

teurs dans lesquels veulent entrer les nouvelles entreprises innovantes.

Les méthodes de segmentation, les analyses SWOT, les stratégies géné­

riques, l'analyse des forces concurrentielles, les chaînes de valeur

internes et externes, sont indiscutablement des outils pertinents que

l 'on retrouve d'ailleurs dans la plupart des business plan des jeunes

entreprises technologiques innovantes. Ils permettent de rendre compte

de l 'existant, d'anticiper et de positionner l 'offre. Mais pour que cela

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soit réellement utile et pertinent, la nouvelle entreprise doit s'insérer

dans un système de concurrence existant, c 'est-à-dire que son innova­

tion ne soit pas trop forte. Comme finalement peu d'entreprises sont

porteuses d'innovation de rupture ou proposent de nouveaux marchés,

les outils de la stratégie sont donc applicables dans de nombreuses

situations. Mais lorsque les jeunes entreprises sont porteuses d' innova­

tion de rupture ou proposent de nouveaux marchés, les outils de la

stratégie sont moins applicables.

2 Les concepts et outi ls stratégiques adaptés à la jeune entreprise technologique innovante

Le domaine de l 'entrepreneuriat, si on l 'entend au sens large comme

la création de nouvelles activités, dispose d'outils et concepts dont la

vision, la proposition de valeur et le business model qui vont être pré­

sentés.

2.1 La vision

Selon Filion ( 1 99 1 ), la vision est l' image projetée dans le futur de la

place que l 'on veut voir occuper par nos produits sur un marché, en f onc­

tion de notre compréhension des évolutions de la technologie, du secteur

et de la société. Seul l 'innovateur est capable d'imaginer cette vision,

puisqu'elle ne correspond pas à une réalité appréhendable par les acteurs

existants. C'est d'une certaine manière la première formulation de la

stratégie du projet. Dans les secteurs technologiques, la vision est un élé­

ment important qui permet de faire partager aux parties prenantes de la

création d'entreprise la représentation des entrepreneurs.

EXEMPLE

Jensen Huang, jeune ingénieur en électronique diplômé de Stanford, avait

beaucoup joué sur des consoles électroniques dans sa jeunesse. En 1 993, Il

a eu la vision que les PC allaient devenir également des supports pour les

jeux. Toutefois les cartes graphiques de r époque étaient très coûteuses et

destinées aux stations de travail graphiques professionnelles. Il prit alors la

décision de concevoir des technologies graphiques performantes et de faibles

coûts en créant la société NVIDIA. Sa vision, basée sur son expérience du

jeu, son approche entrepreneuriale et ses connaissances électroniques, s'est

avéré fondée et son entreprise a participé au développement du jeu vidéo.

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Les stratégies des jeunes entreprises technologiques Chapitre 3

2.2 La proposition de va leur

Le facteur essentiel d'une nouvelle entreprise est l ' identification de

sa proposition de valeur. La proposition de valeur est la raison pour

laquelle un client choisit une entreprise plutôt qu'une autre pour

résoudre l'un de ses problèmes ou satisfaire l'un de ses besoins. Définir

sa proposition de valeur est un travail long et ardu qui nécessite une très

bonne connaissance des besoins d'un segment de client identifié. Pour

une jeune entreprise qui entre sur un marché, l ' identification de la pro­

position de valeur est un résultat d'analyse qui suppose une bonne

connaissance des offres concurrentes, une claire définition des fonc­

tions de son offre et surtout des bénéfices qu'en retirera le client.

Pour les jeunes entreprises technologiques, la définition de la propo­

sition de valeur est souvent un exercice long, difficile et itératif. En

effet, si par définition il y a innovation cela signifie que les éléments

d'appréciation de la proposition de valeur sont inexistants ou difficiles

à apprécier. Il est en effet difficile de savoir ce que le client va faire

d'une nouvelle solution qu'il ne connaît pas encore. Il existe toutefois

des méthodes qui permettent de cheminer vers cet objectif dans un

cadre à la fois rigoureux et créatif, comme la méthode ISMA 360 1 •

EXEMPLE

Chercheur dans un centre de recherche à Sophia Antipolis, Michel

Gschwind crée ARECO après avoir obtenu une licence sur un générateur

de gouttes à ultrason. Ces ondes à très haute fréquence génèrent un

brouillard extrêmement fin. Le domaine d'application le plus prometteur

était la nébulisation des étalages de produits frais sur le lieu de vente afin

d'en maintenir la fraîcheur. La proposition de valeur initiale était basée sur

le maintien de la fraîcheur et la perte de matière. Sachant que la teneur en

eau des fruits et légumes se situe entre 85 % et 90 %, ARECO est mainte­

nant en mesure de préciser sa proposition de valeur : réduire de 50 % la

perte de poids liée au dessèchement, maintenir un haut niveau d'hygiène et

de garder la texture et les qualités organoleptiques des produits. Cela a été

rendu possible grâce aux données fournies par les clients et des mesures en

laboratoire (www.areco.com).

1 . La méthode ISMA 360° a été développé par Dominique Vian, professeur à SKEMA Business School.

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Cha pitre 3 • Les stratégies des jeunes entreprises technologiques

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2.3 Le business model

« Le business model est la description pour une entreprise des méca­

nismes lui permettant de créer de la valeur à travers : la proposition de

valeur faite à ses clients, son architecture de valeur, et de capter cette

valeur pour la transformer en équation de profits » (Lehman-Ortega,

2008). Le business model est aujourd'hui un élément clé d'une straté­

gie d'innovation. En effet nous avons aujourd'hui de très nombreux

exemples d'entreprises qui ont innové en proposant un autre business

model, par exemple en repensant la proposition de valeur associée à des

coûts faibles afin de séduire des clients sensibles aux prix, ou encore de

remplacer un produit par un service.

Le business model n'est pas un modèle normatif ou prescriptif. C'est

un cadre de conception et de créativité qui permet de faire émerger la

stratégie de l 'entreprise et d'identifier les éléments clés de sa mise en

œuvre. Les éléments pris en compte par le business model dépendent

des auteurs. La proposition d'Osterwalder et Pigneur (20 1 0) offre une

représentation adaptée à la conception d'une nouvelle activité. Il pro­

pose de décrire dix composantes de l 'activité, en mettant en évidence

les interrelations entre elles.

Pour les jeunes entreprises innovantes le business model constitue un

outil stratégique particulièrement pertinent. En effet, les entrepreneurs

des entreprises technologiques ont une propension à survaloriser le rôle

de la technologie dans la construction d'une stratégie. Le business

model, qui ne prend pas la technologie en tant que tel, oblige à penser

« marchés » et « ressources », ce qui pousse les entrepreneurs à décou­

vrir la complexité du processus d'innovation dans lequel ils sont enga­

gés, et en particulier la proposition de valeur qu'ils offrent au marché.

Le business model permet de mettre en évidence les interactions entre

les composantes de la nouvelle activité d'une part et il oblige à prendre

en compte simultanément la formulation de la stratégie et les éléments

clés de mises en œuvre, comme les ressources ou les activités.

2.4 Les différentes postures de la stratégie

Dans la partie précédente nous avons identifié et analysé la boîte à

outils stratégiques en mettant en évidence l 'usage spécifique de certains

de ces outils pour la jeune entreprise innovante. Mais si l 'on veut

comprendre ce qui fait réellement la différence entre les entreprises

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Les stratégies des jeunes entreprises technologiques Chapitre 3

établies et les jeunes entreprises innovantes, c'est probablement du côté

de l 'approche ou de la posture qu'il convient de regarder. Pour aborder

ce point, nous proposons de le traiter sous deux aspects : la stratégie

émergente versus la stratégie délibérée d'une part et la démarche

effectuale versus la démarche causale d'autre part.

1 la stratégie émergente versus la stratégie délibérée

La vision de la stratégie depuis Ansoff jusqu'aux années 1980, qui

constitue l'école de la planification ou celle du positionnement de Por­

ter, consistaient à formuler une stratégie et ensuite à la mettre en œuvre.

Cette démarche est qualifiée de stratégie délibérée. En réaction à cette

conception linéaire, Mintzberg ( 1 999) propose une stratégie organique

et progressive. Il souligne que la réflexion (formulation de la stratégie)

et les actions (mise en œuvre de stratégie) se produisent souvent simul­

tanément. Au lieu de la formulation de la stratégie, il préfère se concen­

trer sur les processus plus large de la formation stratégique qui signifie

l 'émergence d'un modèle orienté par des actions grâce à l ' interaction

entre action et pensée.

Le monde dans lequel les organisations vivent est trop complexe et

trop incertain pour être analysée et contrôlée. Par conséquent, il est plus

judicieux « d'avancer à petits pas » et de compter sur l 'expérience

accumulée et les erreurs commises afin d'apprendre et d'améliorer

l 'action pour la prochaine étape ou tentative. Les essais et les erreurs

deviennent des facteurs importants de la stratégie car elles permettent

l'apprentissage par la pratique. Mintzberg inverse la traditionnelle

démarche stratégique de « penser avant d'agir » avec la suggestion

« agir avant/pendant que vous pensez ».

Cette approche de la stratégie émergente rend probablement mieux

compte de la démarche utilisée par les entrepreneurs pour élaborer la

stratégie de leur jeune entreprise.

1 la démarche effectuale versus la démarche causale

Les travaux de Sarasvathy (2001), nous permettent d'aller plus loin

dans l 'analyse de la démarche des entrepreneurs. La différence de

démarches entre entrepreneurs et managers avait déjà été identifiée et

documentée en mettant en évidence des compétences et des attitudes.

Saravathy va plus loin en analysant la différence de posture entre les

deux types d'acteurs. En effet les managers agissent par rapport à des

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Cha pitre 3 • Les stratégies des jeunes entreprises technologiques

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objectifs précis qui ont été définis et, pour les atteindre, ils mettent en

œuvre des stratégies qui consistent à utiliser des moyens dont ils dis­

posent. Cette démarche, qualifiée de causale, fonctionne lorsque le

futur est prédictible, c'est-à-dire lorsque l' incertitude est faible.

À l ' inverse, la posture qualifiée d'effectuale par Sarasvathy, consiste

à partir des moyens existants, ou accessibles, et à imaginer des finalités

possibles. Il s'agit donc de se concentrer sur ce que l 'on maîtrise (les

moyens) plutôt que l ' on ne maîtrise pas (le futur). C'est donc l 'action

menée à partir des moyens existants qui permettra d'atteindre l 'une ou

l 'autre des finalités envisagées. Une fois qu'une finalité est atteinte, on

pourra à nouveau recommencer le processus. Ainsi Michael Dell fon­

dateur de Dell n'a pas commencé par concevoir le « modèle direct » qui

lui a permis de créer un leader mondial dans le PC, mais à assembler

des PC dans sa chambre d'étudiants, en achetant des composants et à

les vendre autour de lui.

Chacune de ces deux démarches, causale et effectuale, est évidem­

ment pertinente en tant que telle. Leur condition d'usage est dictée par

le niveau d'incertitude dans laquelle se trouvent les activités envisa­

gées. La posture causale suppose que le futur est relativement

prédictible, alors que la posture effectuale est particulièrement adaptée

lorsque le futur est incertain. Les jeunes entreprises innovantes qui

agissent en général dans des environnements incertains auront ainsi

tendance à agir de manière effectuale dans les premières phases de la

vie de l 'entreprise. Les entreprises situées dans des environnements

moins turbulents auront profit à agir dans un mode causale.

Dans cette section nous avons rappelé l 'évolution de la stratégie, en

mettant en évidence les outils, concepts et postures adaptés aux JETI.

Section 3 UN MODÈLE INTÉGRÉ DU DÉVELOPPEMENT DE CES ENTREPRISES CLÉS

Dans les sections précédentes nous avons mis en évidence certains

éléments spécifiques aux stratégies des JETI : l ' incertitude, la difficulté

de définir la proposition de valeur, l 'absence de linéarité du processus

de développement, et enfin, la nécessité de prendre en compte la formu­

lation de la stratégie et sa mise en œuvre. Pour tenter de prendre en

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Les stratégies des jeunes entreprises technologiques Chapitre 3

compte toutes ces spécificités, nous proposons une approche intégrée

(Bernasconi, 2008). Ce modèle s'articule sur deux concepts complé­

mentaires : d'une part la représentation de l 'entreprise en création

comme un système et d'autre part la représentation du processus de

développement comme une succession d'états du système.

1 Piloter un système entrepreneurial

En s 'appuyant sur l'approche systémique, le modèle propose de

représenter une jeune entreprise comme un système ouvert. Il convient

donc d'identifier ces éléments, encore appelés dimensions ou attributs.

Bruyat ( 1 994) rappelle le consensus de la communauté scientifique sur

quatre éléments nécessaires pour l 'étude de la création d'entreprise : le

créateur, le processus de création, l ' environnement et l ' entreprise nou­

velle. Sammut ( 1998) propose d'observer le processus de création en

prenant en compte simultanément cinq variables clés qui sont : l 'entre­

preneur, les ressources financières, l'environnement, l 'organisation et

l 'activité. Ces cinq éléments, que nous avons retenus, vont être propo­

sés successivement en mettant en évidence leurs rôles dans la création

des jeunes entreprises technologiques.

Le rôle de l'entrepreneur est central dans le processus de création

d'entreprise. Dans les entreprises technologiques, de nombreuses

études réalisées dans différents pays ont par ailleurs montré que l ' entre­

preneur est rarement seul, mais qu'il existe des équipes entrepreneuriales

constituées de deux ou trois personnes, en particulier dans les projets

ambitieux à croissance rapide.

La relation entre l 'entrepreneur et l 'entreprise en création est d'ailleurs

si étroite qu'elle est qualifiée de dialogique (Bruyat, 1994), de dialectique

(Verstraete, 2001 ) ou encore de situation entrepreneuriale (Fayolle,

2004). Ces auteurs insistent sur l 'évolution conjointe de l'entrepreneur et

de son projet. Ainsi, si l 'on reconnaît l 'existence d'équipes entrepreneu­

riales dans les entreprises technologiques, il convient d'étendre la situa­

tion entrepreneuriale de l ' individu à léquipe. Cela signifie que l 'on

prend en compte l 'émergence de l'équipe, ses recompositions, suite à des

évolutions ou à des conflits, et sa transformation en une équipe de mana­

gement.

Le deuxième élément du système est l'activité. De nombreuses défi­

nitions existent. Celle qui définit l ' activité par le triplet technologie-

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Cha pitre 3 • Les stratégies des jeunes entreprises technologiques

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produit-marché est particulièrement adaptée au propos. La définition de

l'activité telle que définie ici, est par nature l'objet des outils straté­

giques que nous avons présenté. Le résultat le plus abouti de ce triplet

est la mise en évidence de la proposition de valeur, dont nous avons

noté la difficulté d'émergence. L'absence de linéarité du processus de

création de la jeune entreprise technologique est justement due au pro­

cessus essai-erreur qui préside le plus souvent pour établir l 'activité de

l 'entreprise Perrot présentée précédemment.

L'organisation de l 'entreprise en création pose une difficulté. En effet

les travaux sur l'organisation émergente s'intéressent à la pré-création, et

les théories des organisations aux organisations existantes. Or dans le

processus de création, l'organisation est un continuum qu'il convient

d'observer. Pour les entreprises établies, le rôle de l'organisation et son

évolution ont été abondamment traités dans la littérature, identifiant les

phases par lesquelles passent les entreprises. Dans le cas particulier des

entreprises technologiques, Blais et Toulouse ( 1992) ont constaté des

degrés de formalisation différents des principales compétences de ges­

tion en fonction des phases (intensité de la structuration, importance des

systèmes de gestion et des procédures de planification). Julien (200 1 )

insiste sur la nécessité de l'organisation de s'adapter par des pratiques

d'auto-réorganisation et une capacité à gérer l'improvisation.

L'environnement est omniprésent dans les approches de la création

d'entreprise. Il est souvent pris en compte de manière dominante dans

ses dimensions réglementaires et concurrentielles, et également comme

sources d'opportunités et de menaces dans l'approche stratégique.

L'environnement personnel de l 'entrepreneur est également un élément

important avant, pendant et après la création. L'entrepreneur, homme

social, est un produit de son milieu Filion ( 1997) et il dispose d'un

capital social (Bourdieu, 1 98 1 ) . C'est dans l 'environnement personnel

que les entrepreneurs vont puiser ressources, soutiens et crédibilité.

À ces deux types d'environnements il faut ajouter le territoire, ou

plus précisément le milieu innovant tel qu'il a été proposé par Aydalot

( 1986) et le GREMI. En effet depuis Marshall ( 1920), sous des vocables

et des approches différentes, économistes, géographes, sociologues, ont

exploré les caractéristiques tangibles et intangibles des territoires et les

avantages offerts aux entreprises : économies externes, accès aux res­

sources et à l' innovation, etc.

Les resso urces financières des jeunes entreprises technologiques

ont des spécificités : le décalage entre les dépenses et les recettes,

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Les stratégies des jeunes entreprises technologiques Chapitre 3

l ' impact des décisions rapides sur la structure financière, l ' importance

des actifs immatériels et le besoin permanent d'évaluation de l 'entre­

prise (Gasiglia, Gueye et Pistre, 2000). La multiplicité des acteurs du

financement, leur spécialisation par phase et par secteur ainsi que la

complexité des négociations expliquent le temps significatif consacré

par le dirigeant. À ce titre, le financement a toujours été considéré

comme un élément important dans nos travaux.

Ainsi on peut représenter une entreprise technologique en création

comme un système composé des cinq éléments qui viennent d'être rap­

pelés (figure 3 . 1 ) . Le choix du nuage comme forme de contenant a été

préféré à une ellipse ou un rond qui délimiterait trop précisément le

dedans et le dehors. Il doit être interprété comme un contour flou et

poreux, et matérialise le concept de frontière proposé par McKelvey

( 1980) et repris par Gartner et Katz ( 1988) comme un des éléments de

l 'organisation en émergence.

Milieu (territoire)

Activité (Technologie - Produit - Marché)

t Entrepreneur(s)

/ \ Ressources Organ isation � � financières

Environnement compétitif et réglementaire

Environnement personnel

Figure J.1 - Le système représentant une jeune entreprise technologique

Afin de jouer son rôle de modèle de simulation, la représentation fait

cependant le choix de situer les variables sur lesquelles les entrepre­

neurs ont un certain contrôle à l'intérieur du nuage. Les trois types

d'environnement décrits précédemment, situés par convention à l 'exté­

rieur du nuage, sont individualisés pour souligner leur singularité.

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Cha pitre 3 • Les stratégies des jeunes entreprises technologiques

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2 Réussir une création d'entreprise

Ayant défini l 'entreprise en création comme un système, nous allons

maintenant nous intéresser à la dynamique de la création. Pour ce faire

nous allons combiner deux approches complémentaires : les phases du

processus de création d'une part et le concept de projet d'autre part.

� Focus

L'entreprise et la logique projet L'entreprise peut être observée comme u n projet. Cet usage n'est pas naturel, car en gestion un projet est tradition nel lement défin i comme : « une u n ité organisat ionnel le dédiée à l 'atteinte d'un but, dans le cadre d'un budget et en conformité avec des spécifications de perfor­mance prédéterm inées » (Gaddis, 1 959) . Toutefois certains auteurs considèrent que la firme basée sur le projet (project-based firm) est une nouvel le manière de penser les organisations et leur management ou encore que la théorie générale du management de projet peut être app l iquée à tout projet, y compris une organisation (Soder lund, 2004). Knights et Muel Ier (2 004) proposent d'ai l leurs de considérer la stratégie comme un projet sans f in qui permet de prendre en compte simu ltanément la formu lation et la mise en œuvre, dans un processus conti nuel d'autoformation et de reconstruction .

En s'inspirant des trois phases proposées par Bygrave et Hofer

( 1 991) 1 et en intégrant l 'approche de l ' entreprise comme un projet,

nous proposons de considérer qu'une jeune entreprise en création passe

par une succession de projets identifiables : le projet d'affaires, le projet

d'entreprendre et le projet d'entreprise2.

À 1 ' origine d'une démarche entrepreneuriale, il y a l ' identification

d'une opportunité d'affaires par des individus qui deviennent potentiel­

lement des entrepreneurs. À l ' issue d'un processus de création d'une

occasion d'affaires, ils structurent une proposition que nous appellerons

1 . L'identification d'une occasion d'affaires, l'exploitation de l 'opportunité, et la création de valeur.

2. Nous nous sommes également inspirés de l'approche de Bréchet (1994) sur la transfor­mation du projet d'entreprendre en projet d'entreprise.

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Les stratégies des jeunes entreprises technologiques Chapitre 3

projet d'affaires. À ce stade, le système entrepreneurial décrit précé­

demment ne comprend en général que quelques éléments incomplets.

S ' ils décident d'aller de l 'avant, ces entrepreneurs vont nécessaire­

ment rentrer dans un processus de formulation plus précis des éléments

constitutifs du projet. Il s ' agit alors d'un nouvel enjeu, un projet nourri

évidemment à partir du projet d'affaires. À la différence du précédent,

il prend en compte l 'engagement des entrepreneurs et sera appelé donc

projet d'entreprendre. Il se caractérise par des choix d'orientations

stratégiques plus précis et une dynamique de développement plus expli­

cite. Munis d'un projet d'entreprendre, les entrepreneurs déclarés vont

tenter de le réaliser par le développement d'un produit (ou d'un ser­

vice), la mise sur le marché et la construction progressive d'une orga­

nisation. Le système entrepreneuriat commence à apparaître. Les jeux

d'interactions se complexifient.

Ce n 'est qu'à partir du moment où l 'activité est validée par une pre­

mière réussite commerciale et l 'apparition d'un business model robuste,

que le projet d'entreprise devient explicite. Les principaux risques ont

été éliminés, les orientations sont mieux affirmées et les routines pro­

fessionnelles et organisationnelles commencent à être maîtrisées. On

voit alors clairement l ' entreprise qu'il faut bâtir. Les interrelations des

éléments du système entrepreneurial sont mobilisées et coordonnées

par rapport à l 'activité réellement établie.

Nous avons présenté les trois projets comme une succession harmo­

nieuse de la création. Chaque projet est réussi et l 'on passe au suivant. Or

nous savons que ce n 'est que très rarement le cas et il est nécessaire que

le modèle représente ces retours en arrière. Imaginons que le projet

d'affaires ne soit pas convaincant, il y a alors une alternative, recommen­

cer ou arrêter. Recommencer signifie que l' on est toujours dans ce projet.

De la même manière, un projet d'entreprendre, dont l 'offre ne trouve pas

le marché devra donc ou s'arrêter ou nécessiter une refonte importante.

La représentation de la création d'entreprise comme une succession

de trois projets présente un certain nombre d'atouts :

• La représentation de la création comme un système donne à l ' entre­

preneur une représentation de la complexité de son projet qui favorise

la définition de la stratégie et de sa mise en œuvre.

• L'identification des trois projets permet aux entrepreneurs et aux per­

sonnes qui les accompagnent de bien comprendre où ils en sont et les

enjeux du projet mené.

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Cha pitre 3 • Les stratégies des jeunes entreprises technologiques

70

• Le modèle proposé s' inscrit dans la stratégie émergente et la posture

effectuale qui conviennent mieux à la spécificité de la création

d'entreprises dans l ' incertitude.

La création des jeunes entreprises technologiques innovantes est un pro­

cessus complexe et exigeant en raison de l' incertitude et des risques inhé­

rents de l'innovation. Appréhender ce phénomène, le décrire et en donner

des représentations utiles aux entrepreneurs et aux publics qui les accom­

pagnent nécessite de disposer d'outils et de représentations adaptées. Les

apports de la stratégie et de l'entrepreneuriat qui le permettent ont été

identifiés. Le modèle présenté tient compte de l'absence de séquentialité

du développement de ces entreprises et permet de prendre en compte

simultanément la formulation de la stratégie et sa mise en œuvre.

E S S E NTI E L

Les jeunes entreprises technologiques innovantes sont situées dans

des secteurs naissants et instables dont elles tirent parti. Elles ont

des difficultés à identifier et à capter les premiers marchés. La rela­

tion entre l 'entrepreneur et le projet d'entreprise est très étroite. Les

besoins en investissement sont élevés et elles ont recours à des

investisseurs spécialisés. Pour toutes ces raisons les auteurs insis­

tent sur l ' incertitude et le risque qui les caractérisent et on observe

un écart entre les prévisions et les réalisations. Les modèles straté­

giques qui ont pour la plupart été conçus pour améliorer la position

compétitive dans des marchés existants ne sont pas adaptés aux

phases initiales de création. Certaines approches stratégiques et cer­

tains outils comme la vision, la proposition de valeur ou le business

mode] sont des outils pertinents. Il s 'avère toutefois que la diffé­

rence d'approche ne tient pas tant aux outils qu'à la posture, c'est­

à-dire à la manière d'aborder la stratégie. Dans le cas des jeunes

entreprises, il est nécessaire de combiner la formulation et la mise

en œuvre comme le proposent la stratégie émergente et l'approche

effectuale. Un modèle qui représente l ' entreprise naissante comme

un système et qui identifie trois états d 'avancement du projet est

présenté. Il permet de tenir compte de l' absence de séquentialité du

développement de ces entreprises et de prendre en compte simulta­

nément la formulation de la stratégie et sa mise en œuvre.

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La gest ion et l ' a n i m at ion des résea ux d ' i n novat ion

Thomas LOILIER

Albéric TELLIER

SaMMAIRE SECTION 1 Les réseaux d'innovation : cadrage théorique

SECTION 2 Les nouveaux modèles d'innovation : quel impact sur les réseaux ?

'

Apartir des années quatre-vingt, 1 'émergence de nouvelles

formes d'organisation de l'activité innovatrice et la proliféra­

tion des accords portant sur les activités de recherche et développement

(R&D) ont contribué à relativiser les arguments en faveur de l ' interna­

lisation, généralement présentée comme la meilleure garantie d' appro­

priation des bénéfices issus de l ' innovation. Plusieurs auteurs vont

étudier les réseaux formés à l 'occasion de projets d'innovation et cher­

cher à expliquer l 'émergence de ce type de structure en pointant ses

avantages (Teece, 1987). Le réseau permettrait l 'accès à des actifs

complémentaires, une mutualisation de certains coûts, une flexibilité

accrue et une meilleure réactivité.

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Cha pitre 4 • La gestion et l'animation des réseaux d'innovation

72

Parallèlement, d'autres travaux vont plus particulièrement s ' atta­

cher à la relation entre innovation et géographie au travers de l 'étude

des systèmes localisés d' innovation. Ces réflexions, qui consistent à

s ' interroger sur la dimension spatiale de 1 ' innovation, vont être consi­

dérablement renouvelées avec la percée des technologies de

l ' information et de la Communication (TIC) en raison de leur capa­

cité à accroître les possibilités de coordination à distance (Rallet et

Torre, 200 1 ) .

Plus récemment, les importants changements économiques et techno­

logiques (nouvelles technologies, économie mondialisée, frontières

floues entre les secteurs d'activités, raccourcissement des cycles de

vie . . . ) ajoutés à la montée en puissance d'acteurs liés à la R&D

(notamment les cabinets de capital risque) ont conduit de nombreux

auteurs à réaffirmer la nécessité de l ' innovation collective et à repenser

certaines logiques. En particulier, le modèle de « l ' innovation ouverte »

proposé par Chesbrough (2003) amène à repenser le rôle, la structure

et le fonctionnement des réseaux d' innovation.

La première partie permet de revenir sur la notion de réseau d'inno­

vation. L'analyse effectuée met clairement en évidence l'importance de

la notion de confiance et le rôle de la proximité entre les acteurs. Le

rôle et le fonctionnement des réseaux dans un modèle d' innovation

ouverte sont abordés dans la deuxième partie de ce chapitre.

Section 1 LES RÉSEAUX D ' INNOVATION : CADRAG E THÉORI Q U E

-

1 Les réseaux d'innovation : de quoi parle-t-on ?

Les réseaux d' innovation peuvent être définis comme des ensembles

coordonnés d'acteurs hétérogènes (laboratoires privés ou publics,

entreprises, clients, fournisseurs, organismes financiers . . . ), qui parti­

cipent activement et collectivement à la conception, à l ' élaboration, à

la fabrication et à la diffusion d'une innovation (d' après Maillat,

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La gestion et l'animation des réseaux d'innovation Chapitre 4

1 996, p. 84). La réponse généralement retenue pour expliquer l 'émer­

gence de ce type de structure est la nécessité pour l ' innovateur

d'accéder à des actifs complémentaires (Teece, 1 987) pour mener à

bien son projet. Ces actifs correspondent à des moyens techniques,

financiers ou commerciaux indispensables à la création et/ou à la dif­

fusion de l ' innovation. Pour les obtenir, l 'entreprise innovatrice va

être amenée à intégrer dans son projet des détenteurs de « compé­

tences métier » (par exemple des concurrents qui maîtrisent des tech­

nologies clés), de « ressources managériales » (en marketing, droit,

finance . . . ), des « facilitateurs institutionnels » , des clients pilotes, des

distributeurs, et ainsi former une véritable « communauté » d'innova­

tion (Laban et al. , 1995).

EXEMPLE - Le réseau d'innovation de Rochester

À la fin des années quatre-vingt, la ville de Rochester (état de New-York)

est parvenue à développer en trois-quatre ans un projet d'appareil électro­

nique de calibrage du verre en mobilisant des entreprises (notamment

Kodak et Xerox), des institutions consulaires, des organisations profession­

nelles, des centres de recherche, tous issus de la région. Un dispositif for­

mel de régulation permettait de piloter cet ensemble d'acteurs réunis autour

d'un projet innovant. Chaque semaine, des chefs d'entreprise, des mana­

gers, des responsables d'établissements scolaires se rencontraient afin de

répondre aux difficultés imprévues et de réfléchir sur le développement à

long terme de Rochester (Gabor, 1 99 1).

Dans un réseau, aucun des membres ne dispose a priori de l ' intégra­

lité des actifs indispensables au projet. Ainsi, les réseaux d' innovation

présentent deux caractéristiques spécifiques : la co-création d'actifs

endogènes et la forte incertitude inhérente au projet. Comme nous le

verrons par la suite, ces deux caractéristiques nécessitent la mise en

place de mécanismes de coordination fondés sur la confiance et le

contrôle.

Dans le cas du processus d' innovation, un certain nombre d'actifs

spécifiques ne préexiste pas à la décision de s'engager dans ce projet.

Ces actifs spécifiques dits « endogènes » (Boissin, 1999) se construisent

« en marchant » , au fil du processus d' innovation. Certaines compé-

73

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Cha pitre 4 • La gestion et l'animation des réseaux d'innovation

74

tences humaines (routines individuelles ou organisationnelles) ou phy­

siques (nouveaux procédés, nouvelles machines, nouveaux produits . . . )

vont se développer à mesure de l 'avancement du processus d'innova­

tion et doivent donc être considérées comme la résultante du travail

coopératif. Cette co-construction s'observe particulièrement au sein

des communautés d ' innovation où la mise en commun d' actifs

complémentaires donne lieu à un apprentissage collectif (le « faire

avec ») qui peu à peu devient un actif spécifique de première impor­

tance.

Comme les questions posées par les projets d'innovation sont nom­

breuses (conception, financement, protection, diffusion . . . ), les réseaux

ne peuvent fonctionner qu'en mobilisant une grande variété d' acteurs.

Les réseaux d' innovation apparaissent ainsi comme un ensemble de

communautés distinctes qui remplissent un certain nombre de fonc­

tions spécifiques. Les travaux de Bernasconi et al. (2004) sur la

Silicon Valley et Sophia-Antipolis, deux clusters de haute techno­

logie, permettent d'identifier douze pôles d'expertise assimilables à

des communautés de pratiques ayant des fonctions officielles (liées

essentiellement à leur expertise) mais aussi informelles (solidarité,

lobbying, conseil, cooptation . . . ) toutes aussi indispensables dans la

construction de la performance collective du réseau. Le tableau 4. 1 détaille la constitution de ces communautés et leurs fonctions for­

melles et informelles.

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Copyright © 2013 Dunod.

Tableau 4.1 - Les communautés à l'œuvre dans un réseau d'innovation

Institutions universitai res 1 Pôles d'expertise pédagogique de formation du capital humain et des entrepreneurs potentiels

Centres de recherche (publics/privés)

Communautés d'experts au sein des grandes entreprises

Sociétés de capital risques

Cabinets d'avocat

Pôles d'expertise générateurs d'i nnovations appliquées (i.e. don­nant l ieu à une utilisation dans le réseau)

Pôles de compétences technologiques et managériales capables de convertir des technologies en produits créateurs de valeur

Financeurs des entreprises tant en création qu'en développement

Pôles d'expertise juridique dans la création d'entreprise et l a pro­tection des innovations

Cabinets de recrutement 1 Facilitateurs des mécanismes du marché des compétences (mar­ché du travail hautement qualifié)

Cabinets de consultants

Cabinets d'experts comptab les

Cabinets de relations publiques

Banques commerciales

Banques d'i nvestisse­ment

Journal istes

Pôles de développement et de diffusion des expertises managériales

Pôles d'expertise comptable (en particulier pour les PME) avec comme expertise spécifique la valorisation des actifs liés à l'innovation.

Pôles de médiatisation et de signalisation des produits des entre­prises sur ses marchés

Pôles d'expertise dans la gestion des moyens de paiements et de financement du développement commercial des PME

Pôles d'expertise en matière d'introduction en bou rse et de ces­sion des PME

Pôles de médiatisation des entreprises et de leurs produits

Sas entrepreneurial (accompagnement du projet de créa­tion pendant les études) et vecteur d'accumulation de capital social

Sas entrepreneurial (via notamment l'essaimage)

Sas entrepreneurial, réservoir de ressources humaines pour les PME, animateurs de réseaux et d'associations, incitateurs à la création (en tant qu'acquéreurs potentiels de start-up)

Faci l itateurs de partenariats (par mise en contact d'entre­prises financées par leurs soins), conseils auprès des entre­preneurs, émetteurs de signaux (via leur décision d'i nves­tissement ou de non investissement)

Facil itateurs

Pas de fonction informelle identifiée

Facilitateurs du transfert entre les meil leures entreprises des « best practices »

Pas de fonction informelle identifiée

Pas de fonction informelle identifiée

Pas de fonction informelle identifiée

Facilitateurs du développement commercia l de la techno­logie développée par une PME

Facilitateurs de la valorisation de la culture entrepreneuriale au sein du réseau

Source : adapté de Bernasconi et al., 2004, pp. 80-81.

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Cha pitre 4 • La gestion et l'animation des réseaux d'innovation

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Ces communautés qui composent le réseau sont interdépendantes et

complémentaires. Cela signifie que leur intégration dans un projet col­

lectif doit absolument répondre à deux exigences, la spécificité et

l ' exhaustivité :

- le principe de spécificité stipule que chaque communauté doit se dif­

férencier des autres en ayant un ensemble de fonctions (officielle(s)

et informelle(s)) unique ;

- le principe d'exhaustivité exige que toutes les communautés recen­

sées couvrent l 'ensemble du réseau, en particulier au niveau des

compétences nécessaires à l ' innovation.

La performance des projets d'innovation passe donc par la présence

suffisante de chaque communauté et par la qualité des relations entre

celles-ci

2 Comment fonctionne un réseau d'innovation ?

Si la formation du réseau s ' inscrit dans un processus finalisé (notam­

ment proposer un nouveau produit), il n 'en demeure pas moins que le

contexte reste incertain . Le fonctionnement du réseau, comme toute

logique projet, est avant tout une affaire d ' intégration, de combinaison

de logiques différentes, de compromis entre des intérêts parfois diver­

gents. L' incertitude peut être relative à la faisabilité technique du pro­

jet, aux procédés de fabrication à développer, à la commercialisation du

produit nouveau. . . Accepter de participer à un tel réseau revient à

s 'engager dans un processus dont on ne peut a priori évaluer les coûts

et les bénéfices pour chacun des participants puisqu'il s 'avère difficile

d'imaginer les résultats du travail collaboratif. Maillat ( 1 998) note ainsi

que les acteurs d'un réseau d'innovation sont amenés à investir dans le

projet avant même d'être certains de réussir et qu'ils procèdent ensuite

par essais-erreurs et réorientations successives. Dès lors, il est crucial

de pouvoir s 'engager avec des partenaires « de confiance » qui feront

« de leur mieux » pour arriver à des résultats.

La confiance est ainsi le mode de coordination privilégié d'un réseau.

Celle-ci peut être définie comme « l ' anticipation qu'un partenaire à

l ' échange, ne s'engagera pas dans un comportement opportuniste,

même en présence d'incitations compensatrices de court terme et d'une

incertitude sur les bénéfices à long terme » (Chiles et McMackin, 1996,

p. 85). Le développement de la confiance peut se faire à différents

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La gestion et l'animation des réseaux d'innovation Chapitre 4

niveaux. On peut travailler avec un partenaire parce que l 'on a

« confiance en lui » et/ou par ce que l 'on sait que cette collaboration se

situe dans un cadre institutionnel qui offre des garde-fous. Les travaux

de Zucker ( 1 986) permettent d'identifier ces différents niveaux de la

confiance. L'auteur distingue en effet trois formes de confiance : la

confiance intuitu personae (characteristic based trust), relationnelle

(process-based trust) et institutionnelle (institutional based trust)

comme le précise le tableau 4.2.

Tableau 4.2 - Les différents modes de production de la confiance

Modes de production/ Fondements de la confiance Exemples Mécanismes de la confiance

Confiance intuitu personae

Confiance relationnel le

Confiance i nstitutionnel le

Caractéristiques propres d'un Famille, communauté,

individu ( la confiance est donc ethnie, culture, reli-

ici attachée à une personne) gion . . .

Échanges passés o u attendus, Loyauté, engagement . . . réputation, don/contre don

Une structure sociale formel le

garantissant les attributs d'un individu ou d'une organisation

Règles, code éthique,

standards professionnels, normes, marques . . .

Source : adapté de Zucker, 1986.

La confiance intuitu personae naît des caractéristiques personnelles

des individus. Ceux-ci peuvent par exemple appartenir à une même

ethnie, famille ou encore religion. Ces caractéristiques, qui ne peuvent

être produites à volonté, sont exogènes à la relation des acteurs. La

confiance relationnelle est en revanche inséparable de la relation prop­

rement dite. Elle est finalement issue du savoir que l 'on peut détenir sur

l ' Autre grâce à des actions répétées (loyauté passée, services rendus . . . )

ou des informations, provenant d'un tiers, relatives à sa fiabilité (répu­

tation par exemple). Ces deux formes de confiance sont avant tout inter­

personnelles. La confiance institutionnelle est d'une autre nature.

Systémique, elle peut exister entre individus sans que ceux-ci ne se

connaissent ou n 'aient d'interactions directes les uns avec les autres.

Cette confiance caractérise celle que l 'on place dans les institutions

formelles comme par exemple les lois. Elle peut prendre deux formes :

un ensemble de signaux (par exemple une marque, un diplôme, la

norme ISO . . . ) émis par l'un des protagonistes qui réduit le champ de

ses comportements possibles ou l ' intrusion d'un tiers dans la relation

qui peut notamment rassurer les acteurs sur le résultat de cette relation

(par exemple une compagnie d'assurance).

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Cha pitre 4 • La gestion et l'animation des réseaux d'innovation

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Si l 'on retient la représentation du réseau comme un ensemble de

communautés inter-reliées (section 1 et tableau 4. 1 ), la chaîne de

confiance peut être conceptualisée comme l 'ensemble des confiances

intra-communautaires complétées par la confiance inter-communautaire.

Autrement dit, deux types de confiance se distinguent dans le réseau :

- la confiance dans chaque maillon (chaque communauté) ;

- la confiance de l 'ensemble du réseau déterminée par la qualité de la

coordination des communautés dans les projets.

A priori, les deux sont nécessaires pour que le réseau puisse fonction­

ner efficacement.

Les actes de confiance au sein des réseaux d' innovation prennent la

forme d'engagements qui s' intègrent dans une dialectique de dons et

contre dons (Bouty, 1 999 ; Ferrary, 2002 ; Loilier et Tellier, 2004) qui

introduit une réciprocité dans l 'échange. Plus précisément, ce que

donne chaque acteur au reste de la communauté (compétence tech­

nique, réputation, information stratégique . . . ) ne fait pas l 'objet d'une

compensation immédiate mais d'une compensation différée dont la

nature n'est pas définie au moment de l' échange. Ce système permet

le développement de la confiance si les échanges sont équitables

c 'est-à-dire s ' ils « consistent à aider le partenaire lorsqu'il en exprime

le besoin et inversement, à ce qu'il fasse de même lorsque l 'occasion

s 'en présente » (Bouty, 1999, p. 10).

Il est cependant nécessaire de préciser le caractère complexe des

relations qu'entretiennent les acteurs du réseau. Même si le réseau

réunit des partenaires qui se font confiance et qui acceptent de donner

avant de recevoir, leurs relations ne peuvent se résumer à la coopéra­

tion. Elles relèvent plutôt de la « coopétition » c'est-à-dire un mélange

subtil et variable de coopération et de compétition. Seul ce couplage

peut garantir à la fois la sécurité et la compétitivité du réseau en pré­

servant la cohérence de l 'ensemble mais aussi en stimulant l ' innova­

tion. Mais dès lors, si la confiance est le mode de coordination

privilégié du réseau, il est néanmoins nécessaire de disposer d'outils

de résolution de conflits, de dispositifs de sanction, de définition des

engagements . . . Même si chaque acteur pose l'hypothèse que les

autres membres ont la volonté réelle de coopérer et que les comporte­

ments opportunistes seront ainsi quasi-absents, il est impératif de dis­

poser d'une règle de réciprocité qui assure l 'équité des transactions

(Josserand, 200 1 , p. 1 9). Dans le cas du réseau d'innovation, cette

règle est celle de l ' exc.lusion des individus qui ne se révèlent pas

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La gestion et l'animation des réseaux d'innovation Chapitre 4

dignes de confiance. L'existence de cette règle qui agît comme un

« garde-fou », sécurisera les acteurs, incitera au comportement coopé­

ratif (par exemple la transmission d'information) qui, en retour, ali­

mentera la confiance au sein du réseau. Ainsi, non seulement le

contrôle et la confiance sont des modes de coordination complémen­

taires, mais ils s ' influencent mutuellement.

� Focus

L'ana lyse du don dans les sciences sociales Le mécanisme du don analysé notamment par Mauss ( 1 950) en anthropologie, puis par Perroux ( 1 960) en économie, se décompose en trois séquences : donner, recevoir pu is rendre. l i convient bien à l 'acte i n novateur puisqu' i l est lu i -même u n pari : i l ne suppose aucun retour certain . Cel u i qui reçoit le don peut choisir de l 'accepter ou de le refuser. S' i l accepte, i l va à son tour donner pou r rééq u i l i brer la relation : i l rend. Après éval uation de ce contre don, un nouveau cycle peut être enclenché. On assiste alors à u n processus d'engage­ment progressif qui construit la confiance. La rational i té du don est ainsi ambivalente dans la mesure où :

- tout don suppose la confiance puisque cel u i qui donne se trouve dans l ' i mpossibi l ité d'évaluer a priori l a va leur de l'éventuel contre don. Fa i re u n don est donc u n acte i n certai n qui peut être éloigné de la rational ité économique stricte ;

- le don n'est pas désintéressé dans la mesure où i l présuppose un contre don. Perroux ( 1 960) a d'ai l leurs montré que, sous certaines conditions, la logique du don peut tout à fait renforcer l 'ordre marchand.

3 Quel est le rôle du territoire dans la constitution -

des réseaux?

L'émergence d' idées nouvelles par l a confrontation des points de vue

et la divulgation d'informations parfois stratégiques ne peuvent se faire

que par des interactions fréquentes, des relations de face à face permet­

tant des discussions fluides et véritablement interactives. Aussi, la

proximité géographique est considérée comme un moyen permettant de

faciliter (en nombre et en qualité) les relations entre les acteurs

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Cha pitre 4 • La gestion et l'animation des réseaux d'innovation

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membres du réseau, notamment dans les phases amont du projet. En

outre, cette proximité physique des acteurs est généralement considérée

comme un moyen de diffusion de la partie non codifiable des connais­

sances et de limitation des coûts d'information.

La Silicon Valley, région de deux millions d'habitants située près de

San Francisco célèbre pour son dynamisme en matière d'innovation

dans le domaine de l 'électronique et de l ' informatique, peut être consi­

dérée comme un bon exemple de réseau territorial d'innovation. Les

travaux de Saxenian ( 1994), Weil ( 1997) et Brasseur et Picq (2000) sou­

lignent l ' importance du regroupement géographique des acteurs dans le

succès de cette région finalement de taille très modeste (75 km de long

et 20 km de large) et permettent de comprendre son fonctionnement.

Tout d'abord, un tissu industriel extrêmement dense et un important

vivier de scientifiques de haut niveau (les universités de Stanford et de

Berkeley sont proches) permettent une très grande mobilité des hommes,

des idées et des capitaux. La présence de nombreux facilitateurs (cabi­

nets de capital risque, d'avocats, de conseils en business plan, pépi­

nières . . . ) permet un nombre important de créations d'entreprise.

Ensuite, la proximité des clients accélère la prise en compte de leurs

besoins, la définition des fonctionnalités des nouveaux produits et le test

des prototypes. L'incertitude qui pèse sur l 'aboutissement des projets

d'innovation conduit à mobiliser les différents participants par des

accords très informels, fondés sur la confiance. Les partenaires se

connaissent souvent directement, ont déjà travaillé ensemble (voire col­

laboré au sein d'une même entreprise) et les risques d'appropriation

unilatérale sont limités. Les relations formelles et informelles, mar­

chandes ou non marchandes et les habitudes de travailler ensemble

génèrent une éthique de travail, des principes de solidarité et d'entraide

essentiels dans la constitution des réseaux territorialisés (Maillat, 1996) .

En effet, comme il y a une incertitude sur les compétences, informations

ou biens échangés, les acteurs du réseau doivent « socialiser » leurs

échanges, c 'est-à-dire les inscrire dans un groupe social qui a ses règles

de fonctionnement, ses coutumes, ses rites . . .

Les capital-risqueurs jouent un rôle essentiel dans ce processus de

socialisation. Ils exercent une véritable « force centrifuge » autour de

laquelle gravitent les acteurs économiques impliqués dans le processus

de création des entreprises innovatrices : juristes, chasseurs de tête,

grands groupes industriels, banques d'affaires, clients, fournisseurs . . .

(Ferrary, 2002, p. 64) En particulier, de par leur réputation, ils favorisent

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La gest ion et l'animation des réseaux d'innovation Chapitre 4

les mises en contacts, assurent les fonctions d'intermédiaires et, au-delà,

signalent la validité du projet à l'ensemble de la communauté. Dans la

Silicon Valley, les projets d'innovation qui passent par une création

d'entreprise apparaissent ainsi comme des réseaux très centralisés. Au

cœur du réseau, les capital-risqueurs centralisent les projets, les évaluent

et mobilisent les ressources nécessaires. La stabilité du réseau est assurée

par une double dépendance qui participe à l'émergence d'un sentiment

de confiance. D'une part, les cabinets de capital-risque, même s'ils sont

centraux, ont besoin des autres acteurs pour recevoir des projets d' enver­

gure puis les mener à leur terme ; d'autre part, les acteurs économiques

ont besoin de ces cabinets pour intégrer des projets d'innovation.

� Focus

Les caractéristiques génériques des territoires innovants

De très nombreux travaux ont ainsi mis l 'accent sur le rôle du terri­toire dans la dynamique in novatrice sous des angles et des appe l la­tions divers : d istricts i ndustriels, c lusters, m i l ieux i n novateurs . . . De man ière générale, i l est fréquent de retrouver dans ces réseaux terri­toriaux des caractéristiques d'ordre économique, social, cu lturel et h istorique. Rousseau (2004, pp. 1 1 4- 1 1 5) en met en avant sept en s'appuyant sur la l i ttérature existante :

- u n territoire dél im ité et re lativement restreint ; - une densité élevée d'entreprises (pl utôt des petites et moyennes

entreprises) qui emploient di rectement une part importante de la population active du territoire ;

- u ne mono-activité dénommée « fi l ière » sur laquelle le réseau repré­sente un chiffre d'affaires national ou international non négligeable ;

- une chaîne de valeur éclatée en activités i ndépendantes et complé­mentaires ;

- la maîtrise d'un savoi r-fa i re industriel souvent indissociable de la région d'origine (matières premières spécifiques, conditions géogra­phiques particul ières . . . ) ;

- la présence active de faci l itateurs et d'accompagnateurs i nstitution­nels (organ ismes de formation, de recherche et de financement) ;

- le support en amont et en aval de la chaîne de valeur de nombreuses entreprises de services permettant la maîtrise des approvisionnements et donnant une assise sol ide au développement potentiel du réseau .

81

Page 88: Strategies et changement : innovations et transformations des organisations

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Cha pitre 4 • La gestion et l'animation des réseaux d'innovation

82

Le recours à des pratiques de « coopétition » est possible car, en cas

de trahison, l'individu serait progressivement exclu des projets à venir.

En d'autres termes, dans ce type de réseau, il est rationnel d'être hon­

nête car l'effet réputation d'un comportement opportuniste pourrait se

révéler catastrophique. Cependant, la sanction est dans ce cas sociale et

non légale : les informations sur le comportement opportuniste seront

diffusées au sein du réseau et inciteront chacun des membres à refuser

toute nouvelle collaboration avec le « tricheur » (Ferrary, 2002).

Les vertus de la proximité géographique sont donc nombreuses. On

peut d'ailleurs noter ici que le développement en France des pôles de

compétitivité repose bien sur ce postulat d'un lien étroit entre le terri­

toire et l'innovation collective. Cependant, il s'est aussi développé dans

différents secteurs d'activités des réseaux a-territoriaux. Leur consti­

tution a été rendue possible notamment par le développement des TIC.

Celles-ci peuvent en effet représenter un moyen de diminuer la

contrainte de proximité physique. On peut dès lors parler de « proxi­

mité électronique » définie comme la possibilité détenue par les

membres du réseau de consulter, d'échanger et d'élaborer des données

informatisées. Par exemple, des projets de conception et de fabrication

industrielles font appel aujourd'hui à des « plateaux virtuels » (Favier

et al., 1999). Fondés sur l'utilisation de logiciels groupware de plus en

plus performants et de moins en moins coûteux (visioconférence, par­

tage d'applications, maquettage collectif virtuel, « tableau blanc » élec­

tronique, « brainstorming électronique » . . . ), ces lieux d'échange

électronique permettent à des équipes géographiquement disséminées

de multiplier les interactions et les collaborations dans le cadre de pro­

jets industriels souvent de grande envergure.

Nous avons vu précédemment l 'importance de la confiance et de la

socialisation des échanges dans les réseaux d' innovation. Le problème

posé par la distance entre les acteurs de l ' innovation réside dans la dif­

ficulté de rencontre en face-à-face ou, plus généralement, de connais­

sance personnelle de l ' Autre. Comment parier sur la valeur du contre

don quand on ne connaît pas celui à qui l 'on donne ?

Les réseaux a-territoriaux mobilisent davantage la confiance système

et tout particulièrement la confiance institutionnelle pour pallier l ' ano­

nymat des acteurs. Cette dernière permet en effet, comme l 'a démontré

Zucker ( 1986), de se détacher des protagonistes en garantissant soit

l ' identité et la qualité de l ' intermédiaire soit le respect de la qualité via

des normes. Il est important de noter ici que cette confiance de niveau

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La gestion et l'animation des réseaux d'innovation Chapitre 4

supérieur ne remplace par la confiance interpersonnelle (puisqu'au

final ce sont bien les individus qui échangent) mais permet de la géné­

rer en socialisant l ' échange. Celui-ci ne s'effectue plus « hors contexte »

mais devient encastré et c' est cet encastrement qui produit la confiance.

Si les acteurs ne peuvent être proches par leur connaissance mutuelle,

ils vont le devenir à travers la connaissance partagée d'un tiers ou d'une

institution (règle, norme . . . ) qui va redonner du lien social et donc de la

proximité. Bien entendu, cette proximité est d'autant plus efficace que

tous ont connaissance de l ' institution et s 'y conforment.

Ainsi, les réseaux d'innovation distants qui fonctionnent seraient des

communautés qui sont parvenues à compenser la dispersion des acteurs

et le manque de relations, par des modalités d'organisation et de régu­

lation profondément renouvelées favorisant l ' émergence d'un senti­

ment de confiance envers des acteurs que l 'on n'a pas rencontrés.

Section 2 LES NOUVEAUX MODÈLES D' INNOVATION : QUEL IMPACT SUR LES RÉSEAUX ? -

Au cours des vingt dernières années, d' importants changements ont

bouleversé les secteurs d'activités et les entreprises. Des technologies

radicalement nouvelles ont fait leur apparition (le numérique, les biotech­

nologies, les nanotechnologies, etc.), la concurrence est désormais mon­

diale, les marchés sont de plus en plus concurrentiels, les frontières entre

les secteurs d'activités sont de plus en plus floues, des modèles d'affaires

nouveaux ont fait leur apparition (autour notamment de l 'exploitation

d'Internet), le cycle de vie des produits s'est considérablement raccourci,

etc. Si l'innovation est plus que jamais une arme concurrentielle à privi­

légier, ces changements sont tellement lourds qu'il est apparu comme

indispensable de changer la manière d'envisager le processus d'innova­

tion, en accentuant encore davantage son caractère collaboratif.

Depuis quelques années, un modèle semble se diffuser et trouver un

nombre d'adeptes toujours plus conséquent : le modèle de l ' innovation

ouverte (Open Innovation Madel). Si ce modèle s'appuie largement sur

une approche collaborative de l ' innovation, il conduit à renouveler la

question des acteurs à mobiliser et de leurs liens. En cela, s ' il tend à

renforcer l 'intérêt des réseaux d'innovation, il est également de nature

à modifier leur structure et leur fonctionnement.

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Cha pitre 4 • La gestion et l'animation des réseaux d'innovation

84

1 La montée en puissance de l'innovation ouverte

Le modèle d'innovation ouverte trouve son origine dans les travaux

d'Henry Chesbrough, aujourd'hui professeur à Berkeley. Ce modèle a

été présenté de manière synthétique dans un ouvrage de 2003, Open

Innovation : The New Imperative for Creating and Profiting from

Technology qui a eu un retentissement considérable tant chez les prati­

ciens de l ' innovation que chez les chercheurs. Chesbrough relève

quatre évolutions majeures qui incitent selon lui à l 'adoption d'un nou­

veau modèle d'organisation de l 'activité d 'innovation.

La première évolution est la disponibilité et la mobilité accrues

des travailleurs hautement qualifiés. Chaque année, les universités

et les grandes écoles forment des centaines de milliers de nouveaux

diplômés. Dans une économie désormais mondialisée, ces jeunes

talents peuvent proposer leurs services aux « mieux offrants ». Cette

foule de main-d' œuvre qualifiée peut également, par l ' intermédiaire

des TIC, être plus aisément consultée dans le cadre de la détection

ou du test de nouvelles idées. La deuxième évolution concerne le

développement considérable des sociétés de capital-risque (venture

capital) qui, nous l ' avons vu, jouent un rôle décisif en matière

d' innovation. Elles facilitent les créations d 'entreprises (start-up) et

les pratiques d'essaimage (spin-off) . La troisième évolution découle

de l 'accélération du changement technologique et de la disparition

progressive des frontières entre secteurs d'activités. Ce contexte est

de nature à offrir des débouchés pour des idées non utilisées dans la

firme. Enfin, la quatrième évolution est le développement des capa­

cités de R&D des acteurs amont des filières industrielles, notam­

ment les fournisseurs. Dès lors, il peut être judicieux pour la firme

cliente de développer des collaborations sur longue durée en matière

d' innovation, par exemple avec certains fournisseurs (lsckia et

Lescop, 201 1 ) .

Devant ce constat, Chesbrough milite pour un modèle ouvert dans

lequel la firme exploite les sources d'innovation (connaissances, bre­

vets, compétences) disponibles dans son environnement (outside-in) et

cherche parallèlement à valoriser les résultats de sa propre R&D

qu'elle a décidé de ne pas exploiter en interne, par exemple un brevet

qui l 'éloigne de son cœur de métier (inside-out). L'effort d' innovation

doit donc se faire dans deux directions. D 'un côté il faut aller chercher

dans son environnement des ressources tangibles ou intangibles sus-

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La gestion et l'animation des réseaux d'innovation Chapitre 4

ceptibles d'être valorisées par l'entreprise. De l 'autre, il faut chercher

à valoriser les ressources internes de l ' entreprise en cherchant systé­

matiquement de nouveaux débouchés dans ce même environnement

(ventes de brevets, essaimage . . . ). Si 1 'on accepte cette idée, on perçoit

aisément que les coopérations, les acquisitions, les prises de parti­

cipation ou encore les pratiques de capital-risque sont potentiellement

des moyens majeurs pour capter des connaissances et technologies

nouvelles, les exploiter sous des formes variées et les mettre rapide­

ment sur le marché.

La représentation suivante du modèle d'innovation ouverte permet de

mettre en avant ce point.

Base technologique externe

arché d'une

� Création d'une UJ entité nouvel le

Intégration par acquisition, al l iance

Notre

Notre marché actuel

Source : d'après Chesbrough H., « Open I nnovation : Renewing Growth from lndustrial R&D », 1oth Annual Innovation Convergence, 27 septembre 2004.

Figure 4.1 - Le modèle d'innovation ouverte

La firme doit être capable d'exclure du processus interne certains

projets qui l' éloignent de son cœur de métier. Elle peut créer une start­

up, soutenir le porteur de l' idée dans un projet de création d'entreprise

par une participation au capital, trouver un financement auprès des

sociétés de capital-risque, etc. Dans le même temps, elle peut avoir

intérêt à passer des alliances avec des acteurs externes, faire l'acquisi­

tion de jeunes entreprises à fort potentiel, acheter des licences d' exploi­

tation sur des brevets jugés intéressants . . .

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Page 92: Strategies et changement : innovations et transformations des organisations

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Cha pitre 4 • La gestion et l'animation des réseaux d'innovation

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EXEMPLE - Modèle d'in novation fondé s u r les acquisitions

Cisco Systems, entreprise fondée en 1 984, est progressivement entrée sur

les nouveaux marchés des équipements en télécommunication : commuta­

teurs pour environnements LAN (Local Area Network), équipements

dédiés à la « Voice over IP » (VolP), aux solutions de sécurité, aux solu­

tions de stockage en réseau . . . Il est étonnant de constater que ces innova­

tions technologiques radicales ne résultent pas d'un effort de R&D interne

mais de la mise en œuvre d'une stratégie d'acquisition de start-up. De 1993

à 2007, Cisco Systems a acquis 1 25 entreprises pour une valeur cumulée

de plus de 43 milliards de dollars. En moyenne, ces entreprises ont été

acquises 4,5 ans après leur création. L'ancrage dans un territoire innovant

paraît ici décisif. En effet, Cisco est au cœur de la Silicon Valley et entre­

tient des relations privilégiées avec des acteurs clés, notamment les cabi­

nets de capital-risque (Ferrary, 2008).

Pour Chesbrough, la firme qui souhaite ouvrir son activité d' inno­

vation doit mettre en place un processus de couplage dans lequel

l' inside-out et l ' outs ide-in sont complètement associés et partagés au

sein d'un réseau de partenaires variés : certains amènent des idées et

ressources, d'autres les intègrent dans leur propre base technologique

pour les céder parfois à d'autres partenaires qui assureront la mise sur

le marché. Si ce modèle repose donc bien sûr l 'utilisation de la forme

réseau, il introduit, comme nous allons le voir, des acteurs nou­

veaux.

2 Des acteurs et des rôles nouveaux au sein des réseaux

Le modèle de Chesbrough met en exergue des acteurs déjà largement

présents dans les réseaux territoriaux d' innovation. Les start-up, les

centres de recherches publics et privés, les « facilitateurs » de toute

sorte (cabinets de conseil, pépinières, etc.) jouent bien un rôle clé dans

un modèle d' innovation ouverte. Au niveau des acteurs, l 'originalité du

modèle vient davantage de l ' importance accordée à deux types

d'acteurs nouveaux : les « apporteurs de solution » et les « intermé­

diaires d'innovation » .

Tout d'abord, le modèle de l ' innovation ouverte, et notamment le

volet outside-in, repose sur l ' idée qu'il est désormais facile et peu coû­

teux d'intégrer plus finement les usagers aux projets d'innovation par

le biais des TIC. Cette pratique d'appel à la « foule des anonymes »

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La gestion et l'animation des réseaux d'innovation Chapitre 4

pour proposer des idées ou traiter des problèmes semble d'ailleurs la

plus développée. On nomme crowdsourcing ce dispositif qui consiste à

utiliser la créativité et l 'expertise d'un grand nombre d'usagers (sou­

vent des internautes). Dans le même temps, les pratiques d' inside-out

conduisent à proposer des idées (brevets) non exploitées à des acteurs

variés. Ces deux processus contribuent à l ' instauration de réseaux plus

étendus et plus flexibles. En effet, dans un réseau d' innovation tradi­

tionnel (comme ceux présentés en première partie), l ' entreprise

s 'adresse à des acteurs identifiés avec lesquels elle s'est engagée dans

des relations durables.

Il reste ensuite que l' inside-out et l' outs ide-in ne peuvent fonctionner

que s'il existe un « marché des idées » permettant de mettre en contact

offreurs et acheteurs. Or, on observe bien le développement de sociétés

qui jouent le rôle « d'intermédiaires de l' innovation » . Elles se spécia­

lisent dans la vente ou l 'achat de brevets (par exemple en France la

plateforme brevetavendre.fr), la collecte de fonds pour la création de

start-up, ou encore la mobilisation de talents externes pour régler des

problèmes.

EXEMPLE - Les intermédiaires de l'innovation

Développée à l'origine par le groupe pharmaceutique Eli Lilly, InnoCentive

est une plateforme qui permet à des entreprises de soumettre un problème

de R&D et à des chercheurs de gagner des primes en le résolvant. Le prin­

cipe est simple. Une société envoie de manière confidentielle un problème

sur le site Web d'InnoCentive. Le chercheur qui apporte la meilleure solu­

tion gagne une prime. En septembre 201 0, Innocentive annonçait environ

80 000 scientifiques inscrits, répartis dans plus de 1 70 pays. Boeing, Dow

Chemical, ou encore Procter & Gambie l 'utiliseraient. Quant aux primes,

elles vont de 5 000 à plus de 1 OO 000 dollars .

En France, PRESANS est également un apporteur de solutions innovantes.

La société possède un panel « d'experts » (chercheur, ingénieur, respon­

sable de cellule de valorisation . . . ). L'inscription en tant qu'expert est gra­

tuite. Les clients sont accompagnés par la société pour détailler leur

problème et le transformer en un « challenge technologique » qui sera

publiposté à l'ensemble des experts. Là aussi, la meilleure solution rem­

porte la prime .

Sources : « lnnoCentive obtient le financement capital-risque de 9 mil l ions USD », PR Newswire Europe Ltd, 01/02/2010 - www.innocentive.com - www.presans.com

(sites consultés en septembre 2010).

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Page 94: Strategies et changement : innovations et transformations des organisations

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Cha pitre 4 • La gestion et l'animation des réseaux d'innovation

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Comme on peut le constater avec ces deux exemples, i l existe poten­

tiellement une multitude de communautés libres d'accès, chercheurs

universitaires, communautés virtuelles et même mondes virtuels, pou­

vant représenter de véritables viviers d'idées et de capacités créatrices

pour des entreprises désireuses d'absorber des connaissances externes.

Par exemple, la communauté des logiciels libres offre de nouvelles pos­

sibilités aux entreprises désireuses de réaliser ce qu'elles ne pourraient

accomplir seules dans des domaines liés à l ' informatique.

3 Se convertir à l ' innovation ouverte :

des zones d'ombres

Si Chesbrough vante les mérites de l'ouverture à la fois pour capter

des ressources externes et détecter des possibilités d'exploitation de

ressources internes, encore trop peu de travaux cherchent à détailler les

conditions de mise en œuvre d'une telle ouverture. Les recherches

récentes permettent néanmoins de souligner deux points clés (Loilier et

Tellier, 201 1 ).

D'une part, l ' adoption d'un modèle d'innovation ouverte ne signifie

pas forcément l 'abandon d'une activité de R&D en interne. Celle-ci

reste fondamentale pour permettre la valorisation des idées et des res­

sources captées à l 'extérieur. Il y a donc une nécessaire complémenta­

rité entre la R&D interne et les diverses pratiques d'ouverture

(acquisition, licences . . . ). Jusqu'où une firme peut diminuer son effort

de R&D interne au profit de l 'ouverture ? Quel est le seuil minimal de

R&D à conserver afin d'exploiter les idées et ressources externes ?

Pour le moment, ces questions restent en suspend. On peut néanmoins

poser que sans un effort de R&D « minimum », la firme risque d'être

dans l ' incapacité d'exploiter des idées et ressources développées par

d'autres. D'ailleurs, les cas utilisés par Chesbrough pour défendre son

modèle sont en majorité des grandes firmes (Xerox, IBM, Procter &

Gambie . . . ) qui investissent largement dans la R&D. Ainsi, l'ouverture

stimule plus qu'elle ne remplace la R&D interne, à la condition que la

firme ait développé une capacité à absorber les connaissances et res­

sources collectées.

D'autre part, la co-création pose inévitablement la question de la dif­

fusion des informations et connaissances tout au long du projet. À l ' intérieur de ces communautés « d'experts » plus ou moins virtuelles,

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La gestion et l'animation des réseaux d'innovation Chapitre 4

la multiplication des échanges a sans doute d'importantes répercus­

sions sur la protection et la sauvegarde des actifs intellectuels. Les

enjeux et les pratiques en matière de brevets, licences, marques ou

encore secret industriel, sont profondément renouvelés. En particulier,

l 'utilisation des services d'un intermédiaire pour capter des idées à

l ' extérieur pose la question de la répartition des droits de propriété

intellectuelle entre trois acteurs : l 'entreprise, l ' individu apporteur de

l ' idée et l ' intermédiaire. Au-delà, l ' innovation ouverte peut sans doute

accroître les risques de fuite de connaissances protégées et inciter à

multiplier les dispositifs de contrôle. Là aussi, i l semble nécessaire de

socialiser les échanges afin de limiter les comportements opportu­

nistes.

Il est donc assez curieux de constater que très peu de travaux s'inté­

ressent à la dimension territoriale du modèle d'innovation ouverte. Si

la collecte d'idées auprès de clients plus ou moins représentatifs peut

aisément s'envisager « à distance », des dispositifs plus complexes

d'ouverture peuvent être difficiles à imaginer sans une proximité géo­

graphique des acteurs concernés, notamment quand l ' innovation repose

sur la mise en œuvre de savoirs tacites.

Les récentes recherches menées par Belussi, Sammarra et Sedita

(20 1 0) sur l 'adoption d'un modèle d'innovation ouverte par les firmes

italiennes de l ' industrie des sciences de la vie situées en Émilie­

Romagne semblent pourtant montrer toute l ' importance à accorder à la

dimension territoriale. Dans ce cas, le développement d'une logique

d'ouverture a eu un effet non négligeable sur la dimension spatiale des

relations. Historiquement organisées en un district industriel, ces firmes

de l 'Émilie-Romagne sont aujourd'hui engagées dans un ensemble de

relations avec des acteurs nationaux et internationaux tout en conti­

nuant à tirer profit de la proximité géographique de certains acteurs. La

régénération de ce territoire innovant serait ainsi due à un maillage

réussi entre des acteurs historiques localement situés et des nouveaux

partenaires distants géographiquement. Les auteurs notent en particu­

lier que si les collaborations de firmes à firmes se réalisent aujourd' hui

sur une base européenne voire mondiale, les acteurs continuent à privi­

légier des liens avec des centres de recherche de proximité qui jouent

sans doute un rôle de « facilitateur ». Ils proposent d'ailleurs de dénom­

mer Open Regional Innovation System ces dispositifs d'ouverture terri­

torialement fondés. On le voit, les liens entre le territoire et l ' innovation

collective restent étroits.

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Page 96: Strategies et changement : innovations et transformations des organisations

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Cha pitre 4 • La gestion et l'animation des réseaux d'innovation

90

4 Manager le réseau d'innovation : les enseignements

La coopération innovatrice entre entités distinctes est au cœur de la

compétitivité. Il devient si délicat de détenir seul tous les actifs néces­

saires que la mobilisation de plusieurs partenaires extérieurs devient

habituelle. Au niveau de la mise en œuvre du projet, la coopération

nécessite une diffusion des connaissances à la fois tacites et formalisées.

Or, depuis plus de quinze ans, les pratiques coopératives industrielles et

les recherches académiques ont globalement montré que cette diffusion

s'avérait facilitée par la proximité géographique des acteurs et les face-à­

face. Les clusters, les pôles de compétitivité et autres réseaux territoriaux

sont la manifestation concrète de cette hypothèse implicite. Le dévelop­

pement continu des TIC a bien entendu largement questionné cette hypo­

thèse. Face aux multiples outils de communication qui sont apparus, la

nécessité de la proximité géographique a été en partie contestée ou en

tout cas relativisée. On parle alors volontiers de proximité électronique.

Ces nouvelles possibilités sont largement exploitées dans les modèles

dits « d'innovation ouverte » qui reposent notamment sur l'idée que le

Web peut désormais permettre de collecter des idées nouvelles ou de trai­

ter des problèmes en s'adressant à la « foule des anonymes ».

E S S E NTI E L

La coopération innovatrice entre organisations distinctes conduit à

faire du réseau d'innovation une forme organisationnelle encore

plus souple et mouvante et contribue au développement de nou­

veaux types d'acteurs, notamment les « intermédiaires de l ' innova­

tion ». Il reste que la coopération innovatrice à distance pose le

problème de la protection des intérêts individuels et de la confiance

entre les innovateurs. Les incertitudes en matière d ' innovation sont

telles qu'il n 'est pas possible de tout prévoir donc de tout contrac­

tualiser. Innover est toujours un pari qui nécessite de faire confiance

à l 'autre. Dans un réseau a-territorial voire « virtuel » , la confiance

peut être qualifiée de contextuelle : on ne fait plus confiance à

l 'autre mais à l'ensemble du contexte dans lequel s 'insère la rela­

tion. La confiance attribuée à l'un des membres de la communauté

n 'est alors plus séparable de ceJle inspirée par le système.

Page 97: Strategies et changement : innovations et transformations des organisations

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Les b revets, dép lo i e m e nt d ' u n e st ratég ie de p rotect ion ?

Cécile AYERBE

Liliana MITKOVA 1

SaMMAIRE SECTION 1 Le brevet : une diversité de fonctions aux finalités

stratégiques

SECTION 2 La P l au sein de Da none

SECTION 3 Le déploiement de la stratégie de P l ou l'articulation des différentes fonctions du brevet

L e brevet est un « titre délivré par l 'État qui confère à son titulaire

un droit exclusif d'exploitation de l ' invention qui en est l 'objet »

(Chavanne et Burst, 1 993, 25). En d'autres termes, il peut être défini

comme un avantage concurrentiel accordé à l ' inventeur (ou à son ayant

droit) qui bénéficie alors du droit exclusif d'exploiter directement ou

indirectement son invention (Breesé, 2002). En excluant les tiers de

l 'usage économique de l ' invention il permet à l ' innovateur de s'appro-

1 . Les auteurs remercient très sincèrement Monsieur Michel Carnielo, R&D General Counsel au sein de Danone pour sa précieuse contribution à cet article. Plus généralement, ils tiennent à lui exprimer leur reconnaissance pour sa collaboration active à leurs travaux sur le management de la Pl, et ce depuis de nombreuses années à présent.

Page 98: Strategies et changement : innovations et transformations des organisations

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Cha pitre 5 Les brevets, déploiement d'une stratégie de protection ?

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prier la rentre de l 'innovation tout en diffusant l 'information technolo­

gique sur l ' invention (Le Bas et Mothe, 2010). Rappelons, en effet, que

la publication du brevet est la contrepartie de la protection 1 •

Le système de brevet a donc été conçu comme un moyen d'inciter à

l'innovation en protégeant contre l'imitation tout en favorisant la diffu­

sion des informations techniques. Dans cette approche reposant sur un

rôle d'exclusion du brevet, le détenteur en est à la fois l ' inventeur, le pro­

ducteur et le distributeur. Au-delà de cette fonction première d'exclusion,

il est aujourd'hui largement reconnu que le brevet n 'est pas un simple

instrument juridique mais un outil stratégique aux utilisations variées :

« comme si le brevet devenait de moins en moins un outil pour protéger

l'innovation et de plus en plus un outil pour bloquer l ' innovation des

firmes rivales » (Le Bas 2002, 4). L'importance des motivations straté­

giques conduit à une exploitation plus intensive du brevet (Corbel, 2005 ;

Lallement, 2008). Les nouveaux déterminants du dépôt n'apparaissent

plus uniquement liés à la volonté de maintenir la liberté d'exploitation,

mais aussi de mettre la pression sur les firmes rivales, de mieux négocier

des droits de propriété industrielle (via des licences notamment), d'ins­

taurer des collaborations, ou de disposer d'un outil juridique dans le cas

d'éventuels litiges (Corbel, 201 1 ; Le Bas, 2002). Le management de

l'invention protégée par le brevet s'est donc complexifié.

Dans ce contexte, l 'objectif de cette recherche est de rendre compte

des différents rôles stratégiques attribués au brevet et de montrer

comment ils participent à la mise en œuvre d'une stratégie de propriété

industrielle (PI)2, elle-même au cœur de la stratégie générale. L'accent

porte sur la mise en œuvre de ces rôles au cours des différentes étapes

de la gestion des brevets. Pour cela, nous nous appuyons sur Danone,

leader mondial des produits laitiers frais, dont la stratégie de PI claire­

ment orientée sur le maintien de la position dominante, repose sur l 'uti­

lisation combinée de diverses fonctions du brevet.

1 . Intervenant 1 8 mois après le premier dépôt.

2. Bien que la propriété industrielle ne se résume pas aux brevets, nous employons ici ce terme.

Page 99: Strategies et changement : innovations et transformations des organisations

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Les brevets, déploiement d'une stratégie de protection ? Chapitre 5

Section 1 LE BREVET : UNE DIVERSITÉ DE FONCTIONS AUX F I NALITÉS STRATÉGIQUES -

Comme le souligne Lallement (2008, 2) « les nouveaux usages du

brevet en font non seulement un mode de protection contre l ' imitation

mais aussi une arme stratégique et une source primaire de création de

valeur » . L'objectif de cette première section est précisément de pré­

senter ces nouvelles fonctions stratégiques ( 1 . 1 ) et de montrer leur

déclinaison possible selon les différentes étapes de la gestion des bre­

vets ( 1 .2).

1 Les différentes utilisations stratégiques du brevet

À travers leurs multiples facettes, les droits de propriété intellec­

tuelle, et le brevet en particulier, constituent un outil stratégique essen­

tiel pour les entreprises. L'éditorial du numéro thématique de

Management International dédié aux nouveaux enjeux de la protection

définit ce que l 'on peut qualifier d'approche stratégique de la PI.

Conformément à Teece et al. ( 1 997), il s 'agit de s'interroger sur la

manière de bâtir un avantage concurrentiel, ce dernier résidant dans les

processus managériaux et organisationnels, façonnés par les actifs

(spécifiques) et les chemins qu'emprunte l 'entreprise. En d'autres

termes, il s 'agit bien de considérer les actifs de PI comme des moyens

d'obtenir un avantage sur le marché autre que par la seule exclusion des

concurrents. Une partie croissante de la littérature s ' intéresse à ce phé­

nomène souvent qualifié de « brevetage stratégique » (strategic patent) .

Pour Lallement (2008, 4 ), ce brevetage stratégique montre clairement

que le « brevet a changé de statut et s 'apparente de plus en plus à une

arme cruciale dans le jeu de la concurrence » entretenant de fait une

« inflation de brevets » . Il consiste à accumuler des brevets non plus

uniquement à des fins d'exploitation (qu'elles soient interne ou externe)

mais à leur attribuer de nouvelles fonctions. Parmi ces fonctions on

notera notamment :

• Une fonction de signal afin d'indiquer un niveau de performance de

l ' entreprise, ou tout du moins, des compétences technologiques. Le

brevet est ainsi utilisé pour asseoir la réputation de la firme vis-à-vis

des parties prenantes au sens large, à savoir non seulement ses

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Page 100: Strategies et changement : innovations et transformations des organisations

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Cha pitre 5 Les brevets, déploiement d'une stratégie de protection ?

94

concurrents, clients ou fournisseurs directs mais aussi partenaires

potentiels ou encore investisseurs (Blind et al., 2006 ; Corbel,

201 1 ).

• Une fonction de coordination : le brevet est également de plus en plus

utilisé pour faciliter les accords de coopération entre organisations.

Cohendet et al. (2006) ont particulièrement développé ce rôle de

coordination du brevet dans le cadre d'une économie de la connais­

sance. Pour ces auteurs, il s 'agit de dépasser la logique traditionnelle

centrée sur le brevet comme instrument d'incitation à l ' innovation au

profit d'une vision renouvelée privilégiant cette fonction collaborative.

Au-delà de la simple acquisition de technologies, le brevet est ainsi

un instrument de sécurisation essentiel aux pratiques d' innovation

ouverte (Chesbrough, 2003).

• Une fonction de négociation : dans cette perspective, le brevet est

bien un outil qui sert de « monnaie d'échange » dont on souhaite bien

entendu augmenter la valeur (Hall et Ziedonis, 2001) . Ce rôle se

retrouve surtout dans les secteurs à technologies complexes' (Grindley

et Teece, 1997 ; Guellec et al., 201 1 ) . Il permet ainsi au détenteur de

conserver la liberté d'exploitation de ses propres technologies, mais

aussi d'accéder aux technologies développées par d'autres (essentiel­

lement par la participation à des « pools de brevets ») dans des

domaines où il est très difficile de ne pas être contrefacteur potentiel.

Prolongeant cette optique, le brevet peut être utilisé pour bénéficier

d'externalités de réseaux et développer un standard (Corbel, 2005 ;

Demil et Lecocq, 2002).

• Une possibilité de mener des poursuites juridictionnelles. Loin des

approches collaboratives précédentes, McDonough (2006) indique

ainsi que certaines firmes utilisent la PI avec pour objectif de saisir

des contrefacteurs potentiels et non pour mettre en œuvre des inno­

vations.

• Une fonction de veille technologique (Granstrand, 1999 ; Pitkethly,

2001) . La législation impose au détenteur d'expliciter les caractéris­

tiques de l ' invention lors du dépôt de la demande. L'exploitation des

1. Les industries complexes reposent sur des CoPS (Complex products and systems) c'est à dire des produits et des systèmes complexes. La complexité d'un produit peut être appré­hendée à travers plusieurs dimensions telles que le nombre de composants, la diversité des inputs matériels et informationnels, le degré de «sur-mesure» à la fois du système et des sous­systèmes ainsi que la complexité de l'architecture du système.

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Les brevets, déploiement d'une stratégie de protection ? Chapitre 5

bases de données brevets fournit donc une source importante d' infor­

mations 1 qui peuvent être notamment utilisées pour rechercher de

futurs partenaires, orienter l 'activité inventive ou encore repérer les

principaux concurrents en R&D et les contrefacteurs potentiels

(Ernst, 2003).

• Une fonction de blocage de la concurrence. Pour Le Bas et Mothe

(2010) le brevet bloquant est à ce titre un brevet dont le rôle straté­

gique est un des plus importants. Les auteurs montrent que jusqu'aux

années 80 les firmes brevettent avant tout des innovations ayant une

importance pour leurs activités et donc qu'elles souhaitent directe­

ment valoriser. Un virage s'opère alors, les entreprises déposant de

plus en plus de brevets de moindre importance autour de l ' invention

de base pour renforcer le pouvoir du brevet central (stratégie dite de

fencing). Elles procèdent ainsi à la formation de portefeuilles de bre­

vets qui créent autant de blocage. Les auteurs montrent qu'ils ne sont

pas seulement utilisés pour bloquer les développements technolo­

giques des concurrents mais aussi pour gêner leur accès au marché

lui-même. De fait ces brevets bloquants sont alors déterminants dans

les négociations.

• Des travaux récents prolongent la fonction collaborative du brevet.

Pénin et Wack (2008) proposent ainsi une utilisation renouvelée du

brevet à la manière du copyleft dans le secteur du logiciel. Le brevet

devient un moyen d'empêcher l 'appropriation d'une invention et de

sécuriser ses développements futurs. De la même manière que le

droit d'auteur a été utilisé dans le cas du logiciel, un tel rôle permet

à la fois d'empêcher l'appropriation et de contrôler l 'utilisation qui

est faite de la technologie à travers les contrats de licence.

Incontestablement, les utilisations du brevet ne se réduisent plus à

la fonction première de défense contre les contrefacteurs : « les pra­

tiques sont passées d'une utilisation traditionnelle du brevet en tant

qu'élément essentiellement défensif (protection anti-contrefaçon) à

une attitude plus pro-active » (Lallement, 2008, 5) . Dans ce contexte,

le brevet est actuellement perçu comme « un instrument flexible dont

l 'utilisation gagne à être différenciée par rapport au contexte »

(Pénin, 2010, 50). Cette flexibilité est également à mettre en perspec­

tive aves les différentes étapes de la gestion des brevets. Gérer des

1 . Elles offrent dans de nombreux cas l'avantage de la gratuité : Espacenet, USPTO et Epoline notamment.

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Page 102: Strategies et changement : innovations et transformations des organisations

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Cha pitre 5 Les brevets, déploiement d'une stratégie de protection ?

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brevets suppose, en effet, la prise en compte de questions spécifiques

au cours de leur développement. Les pratiques stratégiques mention­

nées ci-avant doivent donc être pensées tout au long de la gestion des

brevets.

2 Les questions stratégiques a u cours du processus de gestion des brevets

Pour pouvoir donner lieu à une innovation, l ' i nvention protégée

suit un processus en plusieurs étapes. Trois phases peuvent être dis­

tinguées (Mitkova, 1999) : l ' émergence de l ' idée et le dépôt du bre­

vet, les choix des modes de valorisation du brevet et l ' exploitation

effective.

2.1 Émergence de l'idée et dépôt d u brevet

Cette phase correspond à l 'émergence de l ' idée, à la réflexion sur le

type de protection choisie (loi ou secret) et aux opérations de dépôt et

d'acquisition lorsque la protection juridique est retenue. La première

question stratégique concerne la modalité de la protection choisie pour

obtenir un avantage concurrentiel. L'arbitrage entre protection par le

secret ou par le brevet a été longuement débattu par la littérature. La

résolution de ce dilemme repose sur une analyse de paramètres spéci­

fiques à chaque dépôt : les conditions de brevetabilité, la difficulté à

imiter l 'invention (Campes et Moreaux, 1 995), le coût de la protection

et les prévisions du gain net actualisé (Campes, 1 987), la cohérence de

l ' invention avec les domaines d'activité considérés comme stratégiques

pour l 'entreprise (Ribault et al., 199 1) , la dynamique concurrentielle et

technologique, les stratégies de collaboration envisagées (Allegrezza,

1 998), et enfin la capacité à garder le secret (Hannah, 2005).

Une fois l arbitrage effectué entre protection par la loi ou par le

secret, lorsque le brevet est retenu, les actions d'enregistrement auprès

des différentes instances sont effectuées avec tout le formalisme et la

rigueur que cela suppose. Le recours à des cabinets externes, éventuel­

lement spécialisés par secteur, peut être envisagé. Il convient ici de

déterminer des paramètres de protection qui sont décisifs pour l' exp loi-

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Les brevets, déploiement d'une stratégie de protection ? Chapitre 5

tation future du brevet (description de l ' invention, territoires et durée de

la protection). À cette étape le rôle de la veille technologique est essen­

tiel. La consultation des bases de données brevets aide à identifier les

paramètres de protection. L'étendue de la description et des revendica­

tions lors de la rédaction de la demande de dépôt permet de décourager

les imitations, de construire une réserve technologique et de préserver

l'avantage concurrentiel. L'extension géographique, quant à elle,

dépend de la situation concurrentielle sur les marchés étrangers et des

objectifs de développement de 1 'entreprise (exportation directe, licence,

coopération).

Enfin, concernant la durée de la protection, les modèles cherchant à

évaluer la durée optimale (Pakes, 1 986) montrent que les brevets sont

maintenus en moyenne pendant la moitié de la durée législative, à

savoir dix ans. En résumé, les questions stratégiques clés à cette étape

sont les suivantes : le brevet est-il la meilleure protection pour obtenir

un avantage concurrentiel ? S ' intègre-t-il dans les DAS et marchés

actuels ? Sur quels territoires protéger selon les DAS et la stratégie de

conquête des marchés ? Quelles sont les revendications potentielles

pour bloquer le domaine technologique ? Dans quelle mesure le dépôt

modifie-t-il les relations avec les concurrents et le pouvoir de négocia­

tion ? À quelles acquisitions de brevets procéder afin de créer ou de

renforcer les axes de recherche ?

2.2 Choix des modes de valorisation

Deux modes de valorisation principaux sont distingués : la valorisa­

tion interne et la valorisation externe. La valorisation interne est le fait

du détenteur de l 'invention. Elle est généralement liée à la question de

la liberté d'exploitation. Elle s'inscrit donc tout naturellement dans une

approche monopolistique du brevet, l'objectif de chaque protection

étant de garder l'exclusivité sur l ' invention et sur le marché. Elle est

naturellement adoptée pour les brevets faisant partie des domaines

d'activités stratégiques. Le choix d'une valorisation interne implique

un suivi précis du brevet sur le marché ainsi qu'une activité importante

de veille (Marquer, 1 985). Plus précisément, il s'agit de faire face à la

contrefaçon, de se protéger contre les attaques, de renforcer les actifs

immatériels et/ou de créer des barrières via un « filet de revendications

potentielles ».

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Cha pitre 5 Les brevets, déploiement d'une stratégie de protection ?

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Clairement le rôle du brevet comme instrument de poursuite juridic­

tionnelle est ici mobilisé. En cas de menace celui-ci sera directement

utilisé pour assurer la liberté d'exploitation. Le brevet doit en outre

assurer son rôle de blocage de la concurrence en garantissant une

exclusivité de valorisation de la technologie sur le marché pour une

période donnée. La valorisation externe suppose quant à elle la rentabi­

lisation du brevet sous différentes formes de la simple valorisation

marchande à des solutions plus intégratives reposant sur des modalités

spécifiques (accords de coopération divers pouvant aller jusqu'à la

joint-venture et la fusion). Le brevet est donc considéré soit comme un

moyen de collaboration facilitant l 'accès à des technologies concur­

rentes et la structuration de partenariats, soit comme un pur actif

commercialisable (Corbel, 2005). La logique collaborative exige la

mise en place de critères et de procédures d'analyse des partenaires

potentiels, de suivi des opérations pendant et après les négociations

(Grindley et Teece, 1997).

2.3 Exploitation effective du brevet

La dernière phase, celle de l ' exploitation effective du brevet corres­

pond à la mise en œuvre des choix de valorisation énoncés précédem­

ment. Elle repose sur une surveillance permanente du portefeuille de

brevets. Des systèmes de pondération plus ou moins sophistiqués per­

mettent une notation des brevets qui sont régulièrement passés en revue

par des comités multi-fonctions. Dans le cas d'une exploitation interne,

les enjeux clés sont liés aux risques technologiques, financiers et

commerciaux associés à ce mode de valorisation. En particulier, une

attention continue grâce à la veille doit être portée aux perfectionne­

ments technologiques et à la surveillance active des concurrents afin de

maintenir le monopole et l 'efficacité de l'arme que constitue le brevet.

La valorisation externe, de son côté, présente des enjeux spécifiques

liés à la contractualisation qu'elle suppose. Par exemple, la licence

implique une surveillance permanente de la bonne exécution du

contrat.

Même si les phases de gestion des brevets et les enjeux qui y sont

associés ont été présentés ici de manière relativement dichotomique, la

réalité est plus complexe. Chaouat ( 1 999) souligne ainsi que les entre­

prises ont de plus en plus recours à des modalités de valorisation

mixtes. Par exemple un comportement « paix de brevet » , relatif à des

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Les brevets, déploiement d'une stratégie de protection ? Chapitre 5

licences croisées, pourrait évoluer vers un achat de licence ou la

recherche de revenus. Toutefois comme le précise Ernst (2003) dans un

souci de clarification nous pouvons retenir que la valorisation interne

est à rapprocher de la protection en vue d'un monopole alors que la

valorisation externe suppose la rentabilisation du brevet sous diffé­

rentes formes.

Comme nous l 'avons montré dans cette première partie, le brevet

remplit de nouvelles fonctions et ne se limite plus à l 'unique protection

contre l 'imitation. Il ne s'agit pas ici de nier cette fonction première

mais de montrer comment elle peut être complétée par les nouveaux

rôles stratégiques du brevet. Nous l 'avons souligné également, la ges­

tion des brevets s ' inscrit dans un processus phasé déclinant des ques­

tions stratégiques spécifiques au cours des différentes étapes. L'objectif

à présent est de rendre compte de l 'articulation de ces différentes fonc­

tions mises en évidence tout au long de la gestion des brevets. Nous

pourrons alors montrer comment la variété des rôles permet de déployer

une stratégie de PI, elle-même au cœur de la stratégie générale. Nous

nous appuyons pour cela sur le cas Danone.

Section 2 LA Pl AU SE IN DE DANONE

Le groupe Danone est particulièrement intéressant pour étudier le

déploiement d'une stratégie de PI centrée sur les différentes utilisations

du brevet. Leader national de l 'agro-alimentaire avec des positions de

numéro 1 mondial dans plusieurs activités, il a toujours fait de la pro­

priété industrielle un moyen de maintenir sa position dans un environ­

nement concurrentiel. Depuis une dizaine d'années, le groupe a

également connu de nombreux changements tant stratégiques

qu' organisationnels qui ont directement concerné l 'activité PL

1 L'innovation, vecteur de développement

1.1 Ch iffres clés et stratégie généra l e

Dan one suit une stratégie centrée sur l ' innovation au sein de quatre

segments (produits laitiers, eaux en bouteille, nutrition infantile et

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Cha pitre 5 Les brevets, déploiement d'une stratégie de protection ?

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nutrition médicale) qui « correspondent aux évolutions des besoins et

des tendances lourdes de consommation » (F. Riboud, rapport d'acti­

vité 201 0). Leur contribution au chiffre d'affaires est la suivante :

produits laitiers (57 % ) , nutrition infantile (20 % ) , eaux en bouteilles

( 1 7 % ) et nutrition médicale ( 6 % ) 1• Ces quatre segments rendent

compte d'une claire évolution vers l ' alimentation santé. Ce position­

nement repose sur une forte croissance externe avec le rachat de

Numico en 2007 et la création d'une co-entreprise avec Unimilk en

20 1 0. Premier fabricant européen d'aliments pour bébé, le néerlan­

dais Numico présent dans une centaine de pays est également un

acteur clé de l'alimentation clinique. Cette acquisition a donc permis

à Danone de renforcer sa position internationale dans le domaine de

la nutrition et de la santé en intégrant via l ' alimentation clinique, une

nouvelle activité très spécifique. La création récente de la co­

entreprise avec la société russe U nimilk a réuni les numéros 1 et 3 du

marché russe des produits laitiers frais. L'enjeu est, sur le cœur de

métier de Danone, d'accélérer le développement international sur les

zones géographiques ciblées dites « MICRUB2 » dont la Russie est un

acteur clé.

Danone réalise actuellement 80 % de ses ventes avec des positions

de numéro 1 mondial et 20 % avec des positions de numéro 2. C'est

cette volonté de conserver des positions de leader qui guide la straté­

gie du groupe depuis que Franck Riboud en assure la direction et a

conduit au recentrage sur les quatre segments existants. Rappelons,

en effet, que jusqu'au milieu des années 90, le groupe se définit

comme un conglomérat adoptant une stratégie de généraliste autour

de neuf catégories de produits qui occupent des positions de troisième

et quatrième mondial. Le marché est alors constitué à 80 % de pays

occidentaux. La stratégie actuelle est radicalement différente. Sur ses

quatre segments, Danone souhaite être clairement identifié comme un

spécialiste au niveau mondial. Ainsi, le groupe est aujourd'hui le

numéro 1 mondial des produits laitiers frais, le numéro 2 mondial de

l 'alimentation infantile et des eaux en bouteille et le numéro 1

l . Précisons ici qu'en 2010 Danone a réalisé un chiffre d'affaires de plus de 17 milliards d'euros réparti comme suit : produits laitiers frais 9,7 milliards (en croissance de 6,5 %), nutrition infantile 3,35 milliards (en croissance de 8,9 % ), eaux en bouteille 2,8 milliards (en croissance de 5,3 %) et nutrition médicale l milliard (en croissance de 9%). Au total en 2010, le groupe a connu une croissance de 6,9 % (source : rapport d'activité 2010).

2. Acronyme mentionné par F. Ribaud (rapport d'activité 2010) désignant le Mexique, l'Indonésie, la Chine, la Russie, les États-Unis et le Brésil.

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Les brevets, déploiement d'une stratégie de protection ? Chapitre 5

Européen pour la nutrition médicale. Recentrage et dimension inter­

nationale apparaissent donc comme les maîtres mots de la stratégie

actuelle. Dan one réalise 49 % de son chiffre d' affaires dans les pays

émergents (où sont présents deux tiers de ses effectifs) et 1 0 % en

Amérique du Nord. Le modèle est jugé peu risqué puisqu'aucun pays,

à part la France et la Russie, à 1 1 %, ne représente plus de 8 % du

chiffre d'affaires.

1.2 L'innovation et l'a l imentation sa nté

Dans un contexte mondial marqué à la fois par un renforcement de

la réglementation alimentaire' et l 'entrée de nouveaux concurrents,

l'objectif de Danone est de se différencier par l ' innovation dans l 'ali­

mentation santé. Le groupe consacre environ 1 ,5 % du chiffre

d'affaires soit plus de 200 millions d'euros annuels en dépenses de

R&D, dispose au niveau mondial de plus de 1 000 chercheurs (la

grande majorité d'entre eux étant localisée au centre de recherche

Daniel Carasso à Palaiseau et à Wageningen en Hollande), gère un

portefeuille de 4 1 5 brevets et dispose de 4 500 souches et de bactéries

lactiques.

L'innovation concerne bien entendu le développement des produits

mais aussi les emballages. Concernant les emballages, « le recours à

des matériaux d'origine non fossile est l'une des priorités de la stratégie

d' innovation du groupe en matière de packaging pour réduire son

empreinte carbone »2• Danone mène en ce sens d'importants travaux de

recherche avec des laboratoires et des fournisseurs avec pour ambition

de remplacer à terme les technologies issues du pétrole3. Concernant

les produits mêmes, l'objectif en termes de recherche est de mettre au

point des produits aux qualités santé avérées. Défendre « la santé par

l 'alimentation au plus grand nombre » a toujours été le moteur de déve­

loppement du groupe. Mais l 'enjeu actuel est bien d'être autorisé à

1 . Voir au niveau européen notamment le règlement (CE) 178/2002 ou « Food Law » qui détermine les procédures relatives à la sécurité sanitaire des aliments en mettant l'accent sur la traçabilité amont et aval.

2. Rapport d'activité 2010, p. 14.

3. Un des objectifs clefs de la division Eaux est ainsi de parvenir à fabriquer dans un ave­nir proche une bouteille à partir de plastique issu à 100 % de biomatériaux.

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Cha pitre 5 Les brevets, déploiement d'une stratégie de protection ?

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revendiquer des allégations santé1 pouvant déboucher à terme sur le

développement de véritables programmes d'action par l 'alimentation.

Une telle stratégie suppose des recherches amont menées en collabora­

tion avec des organismes de recherche et laboratoires universitaires2•

Au-delà de l 'étude des ferments lactiques et pro biotiques qui sont au

cœur des travaux de recherche, les programmes communs visent

aujourd' hui le développement de connaissances sur des thématiques

encore largement à explorer telles que la caractérisation des bactéries

du tube digestif (leur cartographie, leur localisation et leur rôle dans le

processus de digestion). L'étude du fonctionnement du tube digestif est

un axe essentiel des recherches actuelles, l ' enjeu à terme étant de mon­

trer le rôle de la flore intestinale dans les défenses immunitaires. De tels

programmes reposent également sur des études cliniques qui sont indis­

pensables pour démontrer les bénéfices des produits et ainsi prétendre

à une « allégation santé »3. Le budget des études cliniques a, à ce titre,

été multiplié par 5 en 10 ans4•

Au-delà de l 'amélioration des qualités nutritionnelles des aliments,

l 'objectif en matière d'innovation est également de satisfaire au mieux

des consommateurs de plus en plus variés en termes de goûts et d'habi­

tudes de consommation. L' innovation en aval concerne donc le déve­

loppement de gammes et la déclinaison des produits selon les habitudes

locales. Par exemple, Activia conditionné en brique pour le petit déjeu­

ner, a d'abord été lancé à en Scandinavie avant d'être commercialisé en

Irlande, au Royaume-Uni et en France.

1.3 L'organisation de la recherche : Danone Research

L'activité d' innovation est déployée au sein de Danone Research,

filiale à 1 00 % du groupe, qui gère l 'ensemble des ressources de la

R&D au niveau mondial. L'essentiel des équipes est intégré dans les

quatre divisions du groupe sur deux zones géographiques :

1 . Auxquelles ne pourront prétendre que les fabricants ayant réalisé les démonstrations scientifiques exigées par les règlements (EFSA en Europe et FDA aux États-Unis).

2. Par exemple : Washington University, Institut Pasteur, Wageningen University, Lawson Institute, INRA.

3. Notons à ce titre que Danone est fortement investie, auprès d'autres institutions (Afssa notamment) afin de développer en commun des expertises dans le domaine des allégations santé. L'objectif est bien de mettre en évidence et de caractériser des marqueurs aux effets bénéfiques sur la santé, et ce, dans le cadre d'une alimentation régulière.

4. Cette augmentation est cependant avant tout le fait de la nutrition médicale.

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Les brevets, déploiement d'une stratégie de protection ? Chapitre 5

- le centre Daniel Carasso à Palaiseau pour les Produits Laitiers Frais

et Eaux. Il réunit 600 personnes 1 ;

- quatre centres en Hollande2 pour la nutrition spécialisée (infantile et

médicale) qui comprennent 200 personnes. En 201 2 les activités de

R&D de ces centres seront regroupées à Utrecht au sein d'un parc

scientifique selon le modèle du centre Daniel Carasso.

De plus, le groupe déploie des recherches dans des zones géogra­

phiques spécifiques et dans certaines filiales en s'appuyant sur des

équipes locales3•

Lors de l 'intégration de Numico, l'accent a été mis sur le développe­

ment de relations transversales entre les centres de recherche français

et néerlandais. La réalité des programmes et leurs spécificités respec­

tives a rendu moins nécessaire cette transversalité, les deux centres

étant aujourd'hui davantage dans une logique de spécialisation4• Ils

développent chacun des programmes de recherche en amont avec

diverses institutions5 et sont en interne davantage centrés sur la dimen­

sion applicative des connaissances et leur déclinaison dans les gammes

de produits. L'organisation de la R&D du centre Daniel Carasso est à

ce titre emblématique. En effet, plusieurs entités de R&D sont à distin­

guer :

- R&D par gamme : celle-ci correspond aux gammes Activia, Actimel,

Danacol, Danonino (respectivement système digestif, immunité

cardiovasculaire, croissance osseuse) ;

- R&D pour les produits « de base ». L'objectif est ici de transférer les

paramètres de qualité sur des produits économiques pour le consom­

mateur ;

l . Deux cent cinquante chercheurs, deux cent cinquante développeurs et cent personnes en « support » des activités de R&D (dont la Propriété Industrielle). C'est en 2002 que Danone a regroupé l'ensemble de ses activités de recherche au sein du centre Daniel Carasso. Aupa­ravant, le groupe possédait plusieurs branches (bière, épicerie, produits laitiers frais, boissons, biscuits et verres d'emballage), chacune fonctionnant de manière autonome avec sa propre R&D (et gérant sa propriété industrielle).

2. A Wageningen, Zoetermeer, Cuijk et Schiphol.

3. Par exemple Danone a ouvert en septembre 201 1 aux États-Unis le « Dannon Discovery & Innovation Center ». L'objectif est d'accélérer les innovations de produits sur le marché américain des yaourts.

4. L'activité de R&D en matière de nutrition médicale est très particulière du fait de la mobilisation des recherches cliniques, du type de produit même (devant pallier une insuffi­sance) et de leur mode de commercialisation / délivrance.

5. En 2010 Danone a ainsi publié plus près d'une centaine de travaux dans des revues à comité de lecture.

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Cha pitre 5 Les brevets, déploiement d'une stratégie de protection ?

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Chacune de ces équipes de R&D est gérée comme une entité à part

entière et est qualifiée de « cluster » ayant l 'entière responsabilité des

recherches et développements qui y sont menés. Toutefois, au-delà de

cette organisation en « cluster de R&D », le Centre Carasso bénéficie

d'expertises transversales autour de cinq entités amenées à travailler

selon les projets des clusters :

- nutrition, centrée sur les qualités nutritionnelles des produits ;

- gut Microbiology and Probiotics, spécialisée dans la caractérisation

des ferments ;

- clinicat Studies and Biostatistics ;

- sensorial and Behavior Science, dédiée aux études sensorielles et

consommateurs ;

- packaging et outils pilotes.

2 L'activité de protection par le brevet

2.1 La stratégie de Pl de Danone

Au cours des dix dernières années Danone a déposé de 15 à 40 bre­

vets par an. Les principales zones de dépôt sont l 'Europe, les États­

U nis, le Canada, l'Amérique du Sud et l 'Asie. La grande majorité

(75 % ) des brevets concerne les produits laitiers. L'objectif de la pro­

tection est clairement de maintenir sa position de leader mondial sur les

produits laitiers fermentés ou non fermentés. La PI est donc « au ser­

vice de la stratégie générale du groupe » (directeur PI). Elle suit une

forte orientation marché. Danone évolue dans un secteur où l'activité

de protection ne vise pas la recherche de licenciés par la valorisation

externe mais plutôt le maintien de la liberté d'exploitation par la valo­

risation interne. Le dépôt (et le maintien éventuel) du brevet vise donc

très nettement un effet dissuasif. L'activité de PI est ainsi centrée sur le

maintien de la liberté d'exploitation, la lutte contre la contrefaçon et le

blocage de nouveaux entrants « nous déposons aussi quand nous esti­

mons que nous pourrions être bloqués si un tiers déposait lui-même le

brevet, toujours avec cette idée de préserver notre liberté d' exploita­

tion » (directeur PI). Il s'agit donc de rendre incontestables les posi­

tions concurrentielles du groupe en utilisant la PI comme un moyen de

développer un « avantage compétitif juridique » (responsable Pl). Ceci

suppose bien entendu de maintenir la protection sur les process et

ferments « éprouvés » qui sont à la base de la définition des gammes de

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Les brevets, déploiement d'une stratégie de protection ? Chapitre 5

produits, mais aussi d'élargir la protection à de nouvelles connais­

sances avec pour finalité l'obtention d'allégations santé. Notons ici que

cette stratégie défensive ne vise donc pas le dépôt systématique. Elle

est même complétée par d'autres démarches, moins lourdes et moins

onéreuses visant à assurer cette liberté, telles que l'enregistrement

mensuel des cahiers de laboratoires par un huissier. Cette démarche,

certes bien moins protectrice qu'un brevet, permet si besoin de saisir

une juridiction afin de démontrer une preuve d'antériorité (processus

obligatoire dans les contentieux aux États-Unis). Au-delà de cet intérêt

en termes de protection, elle entraîne les chercheurs à formaliser leurs

travaux et renforce de fait les processus d'innovation du groupe.

2.2 L'organisation de la Pl et du j uridique R&D

La protection est gérée au sein de deux entités Pl, l'une basée au

centre Daniel Carasso et l'autre en Hollande. Ces entités partagent la

même base de données brevet.

La direction PI en Hollande comprend sept ingénieurs brevet. Elle

assure la protection de la nutrition spécialisée, activité qui donne lieu à

davantage de dépôts que les branches produits laitiers et eaux (une qua­

rantaine contre une trentaine de dépôts annuels).

La direction juridique gère les contrats avec les hôpitaux afin de réa­

liser les études cliniques qui s'imposent en matière d'alimentation

médicale (une cinquantaine d'études par an).

La direction juridique R&D est rattachée à la Direction Générale du

groupe et est localisée au centre Daniel Carasso. Elle gère la protection

pour les divisions Produits laitiers frais et Eaux. Des liens fonctionnels

sont également établis avec la division PI de la Hollande et les

correspondants locaux. L'implantation dans les centres de recherche

permet une collaboration continue entre chercheurs et ingénieurs bre­

vet.

La PI et le juridique R&D gèrent deux activités principales : la pro­

tection par le brevet d'une part, et la contractualisation d'autre part. En

matière de protection, il s'agit à la fois d'inciter les chercheurs à dépo­

ser1, puis à effectuer toutes les démarches relatives aux déclarations

d'invention, réaliser la veille, gérer les dépôts et le portefeuille de bre-

1 . Notons qu'à ce titre Danone a récemment mis en place un système de rémunération des inventeurs salariés français.

105

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Cha pitre 5 Les brevets, déploiement d'une stratégie de protection ?

106

vets. À côté de cette activité « traditionnelle » du département PI, l 'acti­

vité dite de contractualisation est en plein développement. Celle-ci

concerne tout d'abord les contrats de recherches menées avec différents

organismes. Il peut s 'agir de recherches en amont telles que celles réa­

lisées actuellement sur la fi.ore intestinale ou davantage finalisées. Dans

tous les cas, elles requièrent une claire définition du partage et de

l'exploitation des droits. Mais au-delà de la contractualisation de

recherche proprement dite, Danone a considérablement développé au

cours des cinq dernières années ses achats auprès de ses fournisseurs

externes (de 400 à 500 contrats par an contre 1 000 actuellement) deve­

nant ainsi « acheteur d'innovations ». Ces fournisseurs sont des spécia­

listes mondiaux de la « logistique des bactéries » auprès desquels le

groupe est amené non seulement à se procurer les bactéries nécessaires

à son déploiement international mais aussi à développer des recherches

communes 1 • Pour ce faire Dan one s'est doté de cellules Achat (environ

une dizaine de personnes localisées au centre Daniel Carasso et autant

en Hollande). Celle-ci comprend une entité de Sourcing Development

dont la mission est d' identifier les « fournisseurs d' inventions » . Les

cellules Achat travaillent conjointement avec la R&D et la PI et le juri­

dique R&D. La coopération avec la direction Achat est essentielle afin

de s'assurer que les fournisseurs aient bien pris leur responsabilité de

PI d'une part, et de garantir le partage des droits dans le cadre de

recherches collaboratives d'autre part. La contractualisation avec les

fournisseurs externes repose sur un renforcement des liens entre la PI

et la direction juridique. Cette dernière s'appuie pour la rédaction des

contrats sur les compétences techniques et juridiques de l 'équipe PI. Le

directeur juridique est également membre du Legal board du groupe

qui se réunit mensuellement avec une volonté de développer la préven­

tion juridique au niveau des quatre divisions et leurs unités opération­

nelles locales .

Plus précisément, neuf personnes travaillent au sein du département

juridique R&D à Palaiseau : un directeur juridique (ancien chercheur

puis directeur R&D du groupe), trois juristes, trois ingénieurs brevets

répartis par compétences scientifiques (pour les biotechnologies, les

technologies industrielles et le packaging), un ingénieur veille techno­

logique et une assistante. Chaque membre de l'équipe a des tâches

clairement définies :

1 . Ces dernières peuvent concerner les ferments mais aussi de plus en plus les emballages dans le cadre de la volonté de développer de nouveaux matériaux.

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Les brevets, déploiement d'une stratégie de protection ? Chapitre 5

• Le directeur juridique R&D, qui rapporte hiérarchiquement au DG

R&D et fonctionnellement au directeur juridique groupe, assure la

coordination et la gestion du portefeuille de brevets pour les produits

laitiers frais et eaux. Il est membre de l 'équipe de direction de la

R&D et du legal board. La direction juridique R&D est également

impliquée au niveau des achats qui occupent, nous l 'avons vu, une

place grandissante dans l 'activité.

• Les trois ingénieurs brevets participent à l'avancement des projets

des chercheurs de 1 ' idée jusqu'à la réalisation industrielle. Leur rôle

est clairement d' inciter les chercheurs à protéger leurs inventions.

Ils gèrent également l ' interface entre la R&D et les cabinets

externes lors du dépôt de brevet ou en cas de litiges. Ils sont égale­

ment impliqués dans les choix de valorisation et de gestion du por­

tefeuille.

• L'ingénieur « veille technologique » effectue des bilans périodiques

sur 1 ' actualité mondiale des brevets et assure leur diffusion aux

équipes de R&D. Il a un rôle d' information auprès des chercheurs

mais vise aussi à orienter les travaux futurs. Cette veille joue donc

à la fois un rôle informationnel (dont l 'objectif est d' identifier dès

les phases amont de R&D ce qui risque d'être bloquant), mais éga­

lement un rôle incitatif vis-à-vis de la communauté scientifique du

groupe.

• Les trois juristes interviennent à deux niveaux majeurs. Tout

d'abord, ils gèrent les aspects contractuels relatifs à la PI dans les

relations avec les fournisseurs d' innovation. Par ailleurs, ils rédigent

et suivent les contrats avec les partenaires tels que les universités ou

les « sous-traitants de la R&D » (les hôpitaux pour les tests cli­

niques notamment). Le rôle du juridique est alors déterminant pour

définir les clauses de partage de la propriété industrielle. Ils mènent

en ce sens des discussions techniques en collaboration avec les

chercheurs et les ingénieurs brevets afin de mieux préparer les dos­

siers de dépôt.

À Wageningen en Hollande, une dizaine de personnes travaillent au

sein de l'unité PI : un directeur brevets qui rapporte hiérarchiquement

au DG R&D et fonctionnellement au directeur juridique groupe,

accompagnés d'ingénieurs brevets, d'ingénieurs de veille technolo­

gique et d'assistantes.

107

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Cha pitre 5 Les brevets, déploiement d'une stratégie de protection ?

108

La faible taille des deux départements PI impose le recours à des

unités externes. Des cabinets spécialisés en PI sont très fortement

mobilisés en fonction des projets et des zones géographiques concer­

nées. Le choix des partenaires externes repose sur leurs compétences

et leur notoriété dans le domaine d' activité ou dans la région géogra­

phique recherchée. Les cabinets ont en charge la rédaction de la

majeure partie des dossiers de dépôt de brevet. Ils effectuent le

dépôt national et l ' extension géographique de la protection. Ils sont

également sollicités pour le suivi financier du maintien des brevets

déposés.

Section 3 LE DÉ PLOI EMENT D E LA STRATÉG I E DE Pl OU L'ART ICULATION DES DI FFÉRE NTES FON CTIONS DU BREVET

Comme nous 1 ' avons vu, la stratégie de PI de Dan one est centrée sur

le maintien de la liberté d'exploitation et des positions de leader sur

l 'alimentation santé. Il s'agit à présent de monter comment cette stra­

tégie est déployée selon les trois phases du processus de gestion des

brevets mentionnées précédemment : émergence de l 'idée et dépôt,

choix des modalités de valorisation, exploitation effective du brevet.

Nous montrerons comment, au cours de ces différentes phases, s'arti­

culent les rôles du brevet mentionnés initialement pour servir la straté­

gie de PI.

1 Émergence et développement de l'idée/dépôt des brevets

La première phase est scindée en deux étapes clés. La première

concerne le pilotage (émergence et développement) de l 'idée nouvelle

et la seconde le dépôt effectif. Le schéma suivant rend compte de cette

distinction, explicitée dans la figure 5.2.

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Les brevets, déploiement d'une stratégie de protection ? Chapitre 5

PHASE 1 : ÉMERGENCE ET DÉVELOPPEMENT DES IDÉES / DÉPÔT DES BREVETS

1 .1 . Émergence et développement de l'idée Fonctions du brevet : veille technologique / coordination

Rôle de la Pl - Surveillance bases de données - Mise en place de la stratégie de

contractua 1 isation - Validation de la liberté d'exploitation - Coaching P l des chefs de projets

Prise de décision sur l'émergence de l'idée - Lancement ou arrêt de la Recherche - Contrats avec des fournisseurs d'innovation externes - Renégociation des contrats de R et de D - Mutation vers les unités de développement

Prise de décision sur le développement du projet - Conti nuer selon le plan - Continuer plus vite à cause de l a concurrence - Modifier et/ou arrêter (critères de marché)

Fonctions du brevet: signal I coordination I blocage

1 .2. Dépôt de brevet et extension de la protection

Rôle de la Pl - Décision sur la « brevetabilité » / extension - Lien avec les cabinets pour rédaction / dépôt - Tenue de la base de données brevet interne - Gestion du portefeuille

Décision sur le dépôt national - Publication ou secret - Prise de décision sur brevetabilité (études des critères) - Dépôt de la demande - Dépôt obligatoire : avec des fournisseurs ou des

instituts dans le cadre de col laborations conduisant à un partage dela P l

Décision sur les extensions - Liste « basique >>

- Liste des extensions

Unités organisationnel les : Comités de pilotage par gamme et par programme de recherche avec u n reporting bi-annuel en comité de direction

Figure 5.2 - Processus de gestion des brevets et décisions stratégiq ues : phase 1

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Page 116: Strategies et changement : innovations et transformations des organisations

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Cha pitre 5 Les brevets, déploiement d'une stratégie de protection ?

110

Concernant le pilotage, au sein de Danone, l'idée initiale résulte soit

de la recherche (largement orientée produit) soit des développeurs sen­

sibles au marché parfois du marketing. Le centre de recherche Daniel

Carasso est le vivier des idées nouvelles mais les chercheurs du groupe,

localisés dans les filiales, participent également à l'émergence des pro­

jets. Les product managers, responsables d'une gamme de produits ont

pour tâche d'établir des liens entre la recherche et le marketing afin

d'assurer la réactivité par rapport au marché et à la concurrence. Le

pilotage de ces idées proprement dit est assuré au sein des « comités de

pilotage par gamme et par programme de recherche », constitués des

membres des départements Recherche (directeur de la recherche, res­

ponsable projet), PI (directeur PI, ingénieurs brevet) et Développement

(directeurs développement de la branche, leader projet).

Les questions débattues lors de ces comités portent sur le contenu

scientifique des projets et les moyens de les développer. Il s'agit donc

de faire un point sur l 'état de l'art de l' idée initiale, l'avantage compé­

titif apporté et les risques technologiques et commerciaux. Plusieurs

possibilités sont envisagées pour chaque projet : accélération, ralentis­

sement ou arrêt définitif, développement en interne, alliance avec des

fournisseurs/instituts de recherche. Les critères de décision reposent

sur la portée scientifique des projets au regard de la stratégie du groupe.

Ce sont donc ces comités qui fournissent le feu vert pour les lance­

ments de projets. À cette étape, le département PI joue un rôle impor­

tant dans l 'établissement de l 'état de l 'art du projet, la veille

technologique et la contractualisation éventuelle avec des partenaires

externes.

On le voit donc, deux rôles essentiels reviennent au brevet dans cette

première étape : la veille technologique pour évaluer la valeur scienti­

fique du projet, et la fonction de coordination dans le cadre des contrats

avec les fournisseurs et les partenaires scientifiques sur des programmes

de recherche amont. Il s 'agit bien là de maintenir à terme la liberté

d'exploitation qui fonde même la stratégie de PI du groupe en maîtri­

sant parfaitement les développement des connaissances par la veille et

en la renforçant par l 'accès à des innovations externes. Nous sommes

bien là dans le cadre de logiques d'intégration amont largement déve­

loppées dans les travaux sur l 'Open Innovation (Chesbrough, 2003 ;

Dahlander et Gann, 2010)

Une fois l ' idée adoptée, elle est gérée par les « développeurs » . Le

développement se décompose en étapes :

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Les brevets, déploiement d'une stratégie de protection ? Chapitre 5

- select : quel produit ? pour qui ? ;

- define : définition des caractéristiques du produit ;

- develop : prototype, nécessaire au lancement de projet ;

- implement : pré-lancement ;

- lauch : lancement.

La décision finale relève de trois possibilités : continuer selon le plan,

continuer à une vitesse supérieure en raison de la concurrence et de la

stratégie de la direction générale, modifier et/ou arrêter pour des rai­

sons marketing. Le département propriété industrielle est un support

actif de l ' ensemble de ce processus. Il intervient notamment pour vali­

der la liberté d'exploitation tout au long du déroulement du projet et

définir les clauses de propriété dans les contrats de collaboration avec

les fournisseurs. Le développement du projet est supervisé par au sein

des comités dans lesquels plusieurs pôles de compétences sont

réunis dans un processus formalisé : le développement (via les leaders

projets et product managers), le marketing (via des responsables projet,

marque ou zone géographique), la PI (via un ingénieur brevet), les

fonctions achats, industrielles, réglementaires et la recherche selon

nécessité.

La seconde étape de cette première phase concerne le dépôt de brevet

et l ' extension de la protection. Les questionnements clés concernent le

dépôt ou non, la possibilité effective de brevetabilité et la rédaction des

revendications. Ces décisions sont prises en collaboration avec les res­

ponsables R&D, les ingénieurs brevets et les chercheurs pour chaque

gamme, et ce au cours des réunions des comités de pilotage par gamme

et par programme. Dans le cas de Danone, 50 % des projets innovants

font objet d'une demande de dépôt et 80 % des demandes sont déli­

vrées. Ceci explique le rôle majeur des ingénieurs brevets dans la veille

juridique des demandes afin d'éviter les poursuites juridictionnelles en

raison du taux important d'opposition dans ce secteur d'activité. Ainsi,

le dépôt n'est pas systématique car, comme mentionné précédemment,

on ne protège que ce qui est au cœur du métier. Il s 'agit donc ici d'uti­

liser le brevet comme un signal fort de performance technologique sur

des segments précis, et ce vis-à-vis des concurrents mais aussi des four­

nisseurs d'innovation : très clairement le dépôt vise à signaler et

conforter les positions de leader tout en assurant la possibilité de colla­

boration. Danone maintien à ce titre un portefeuille de brevets avec un

rôle essentiel de blocage de la concurrence pour assurer le maintien de

la liberté d'exploitation.

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Cha pitre 5 Les brevets, déploiement d'une stratégie de protection ?

112

Après le premier dépôt se pose la question de l 'extension de la pro­

tection. Les zones de dépôt sont déterminées selon les objectifs straté­

giques du groupe. Deux listes de pays sont établies. La première,

concerne les dépôts « basiques » pour toutes les inventions (Europe,

Russie, États-Unis, Chine, Argentine, etc.) et la seconde, des extensions

spécifiques selon les besoins des business units. À cette étape, l' organi­

sation du processus de décision est informelle, elle ne repose pas sur

une structure spécifique. Le groupe privilégie le rôle clé de l 'expertise

d'interlocuteurs différents selon les spécificités des brevets.

2 Choix des modes de va lorisation et va lorisation effective des brevets

Après le dépôt interviennent les phases liées au choix des modes de

valorisation et à la valorisation effective des brevets. Ces phases sont

explicitées dans la figure 5 .3 .

PHASE 2 : DÉCISIONS SUR LES MODES D E VALORISATION DES BREVETS

Mode de valorisation = INTERNE (stratégie défensive) Fonctions du brevet : blocage de la concurrence / coordi nation

Rôle de la Pl

- Garantir le blocage de la concurrence - Accompl i r le rôle de coordination nécessaire au

développement des innovations futures (contractual isation)

Utilisations possibles du brevet dans la valorisation interne

- Brevet puissant : uti l isé pour « bloquer » les concurrents, gagner un avantage concurrentiel

- Brevet de moindre importance : dépôt et maintien opportun iste pour ménager le futur, motiver les chercheurs ou tout simplement «finaliser » un travail mené correctement

L - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - 1

Unités organisationnel les :

Comités de

pi lotage par gamme et par

programme de

recherche

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Les brevets, déploiement d'une stratégie de protection ? Chapitre 5

PHASE 3 : EXPLOITATION EFFECTIVE DU BREVET

Fonctions du brevet : blocage de la concurrence / coordi nation / veil le (maintien ou non de l'exploitation interne)

Rôle de la Pl

- Gestion de la base de données brevet - Vei l le concurrentiel le technologique - Implication dans les décisions de maintien/abandon - Analyse de la Pl dans les collaborations effectives

- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - , 1 1 1 1 1

: - Maintien/abandon

Décisions

1 : - Nouvelles collaborations pour renforcer les positions 1

1 1 1 • - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - �

U nités organisationnelles : Comités de

pilotage par gamme et par

programme de recherche

organisés en vue des revues de portefeui l les

(au moins une par an) et

collaborations

informel les

Figure s.i - Processus de gestion d es brevets et décisions stratégiques : phases 2 et 3

Dans le cadre de la stratégie défensive explicitée précédemment, la

valorisation des inventions repose principalement sur une valorisation

interne. Celle-ci vise à procurer un avantage concurrentiel dans le cadre

d'une approche monopolistique du brevet. Les concessions de licences,

modalité clé de la valorisation externe, ne font pas partie de la stratégie

du groupe. Les achats de licences, quant à eux, sont effectués dans le

cadre des collaborations avec des organismes externes de R&D et avec

les fournisseurs d'innovations. L'exploitation, relevant donc ici d'une

valorisation interne, suppose un maintien des brevets directement liés

au cœur de métier. Ces décisions de maintien ou d'abandon sont le fait

de revues de portefeuille gérées par le département PL Une base de

donnée brevets interne, exclusivement consultée par la PI permet de

suivre les informations juridiques et commerciales. Elle est un outil clé

de la prise de décision de maintien ou d'abandon sur l 'ensemble du

portefeuille de brevets en France et en Hollande. Ces décisions sont

établies sur la base de critères relatifs à la couverture géographique de

la protection, la concurrence et le « score qualité » (juridique, techno­

logique et commercial) des brevets. Le rôle des ingénieurs brevet et du

113

Page 120: Strategies et changement : innovations et transformations des organisations

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Cha pitre 5 Les brevets, déploiement d'une stratégie de protection ?

114

responsable veille est donc essentiel. Au-delà de ce fonctionnement,

des expertises de certains acteurs clés ayant une connaissance appro­

fondie des marchés et des produits du groupe, sont aussi requises de

manière plus informelle. On le voit donc ici, les fonctions de blocage

de la concurrence et de coordination du brevet sont essentielles mais

celle de veille revient au premier plan. Seule une surveillance active des

concurrents, des contrefacteurs potentiels et des fournisseurs permet de

décider du maintien des brevets et de leur exploitation future.

Cet article a permis de mettre en lumière différents rôles stratégiques

du brevet et de montrer leur articulation tout au long du processus. À partir du cas de Danone, nous avons pu montrer comment la défense de

positions de leader repose sur la définition d'une stratégie de PI, elle­

même au service de la stratégie générale. Le déploiement d'une telle

stratégie suppose de combiner diverses fonctions qui interviennent dif­

féremment dans l ' émergence de l 'idée et le dépôt, les choix de valori­

sation et la valorisation effective des brevets.

E S S E NTI E L

Le brevet n'est pas un simple instrument juridique mais un outil

stratégique aux utilisations variées. Les nouveaux déterminants du

dépôt n'apparaissent plus uniquement liés à la volonté de maintenir

la liberté d'exploitation, mais aussi de mettre la pression sur les

firmes rivales, de mieux négocier des droits de propriété industrielle

(via des licences notamment), d' instaurer des collaborations, ou de

disposer d'un outil juridique dans le cas d'éventuels litiges. Le

management de l ' invention protégée par le brevet s 'est donc

complexifié. L'objectif de cette recherche est de rendre compte des

rôles stratégiques attribués au brevet et de montrer comment ils par­

ticipent à la mise en œuvre d'une stratégie de propriété industrielle

(PI), elle-même au cœur de la stratégie générale. L'accent porte sur

la mise en œuvre de ces rôles au cours des différentes étapes de la

gestion des brevets (émergence de l' idée et dépôt, choix des modes

de valorisation et valorisation effective). Pour cela, nous nous

appuyons sur le cas Danone, dont la stratégie de PI clairement

orientée sur le maintien de la position dominante, repose sur l'uti­

lisation combinée de diverses fonctions du brevet.

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Les st ratég ies d 'e xt e r n a 1 i sat i o n

Olivier MEIER

Audrey M1ssoNIER

Christophe ToRSET

SoMMAIRE SECTION 1 L'externalisation comme politique de changement

SECTION 2 L'externalisation : opportunités stratégiques ou menaces ?

SECTION 3 Étude de cas : l'externalisation des compétences centrales « périphériques »

S ous la pression de la globalisation de l 'économie, de la concur­

rence et face à la réduction du temps de cycle de vie des produits,

les entreprises recherchent de nouvelles formes d'organisation fondées

sur une meilleure maîtrise de leur savoir-faire et une gestion optimale

de leurs activités stratégiques. Ces différents facteurs les conduisent à

mettre en œuvre des voies de développement qui favorisent l'exploita­

tion de leurs avantages spécifiques et améliorent leurs capacités de

réaction face à des clients exigeants et à une concurrence de plus en

plus performante. En effet, afin de proposer des produits plus innovants

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Cha pitre 6 Les stratégies d'externalisation

116

et de qualité, certaines entreprises se recentrent sur des activités amont

(recherche et développement, marketing, conception) ou aval (commer­

cialisation, promotion), ce qui les conduit à optimiser 1 ' allocation des

ressources et à confier un certain nombre de leurs activités à des four­

nisseurs extérieurs, en ayant recours à l ' externalisation. Ce chapitre

présente les caractéristiques de l ' externalisation, les changements

qu'elle entraîne, ainsi que ses principaux avantages et limites. Un cas

d'application vient conclure le chapitre.

Section 1 L'EXTERNALISATION COMME POLIT IQUE -

DE CHANGEMENT

1 Définition et déterminants de l'externalisation

La plupart du temps, l' externalisation consiste à confier la totalité

d'une fonction ou d'un service de l 'entreprise à un prestataire externe

spécialisé, pour une durée pluriannuelle. Celui-ci fournit alors la pres­

tation en conformité avec le niveau de service, de performance et de

responsabilité spécifiés. En effet, comme le souligne l ' AFNOR ( 1 995),

« l' externalisation est un service défini comme le résultat de l ' intégra­

tion d'un ensemble de services élémentaires, visant à confier à un pres­

tataire spécialisé tout ou partie d'une fonction de l 'entreprise « client »

dans le cadre d'un contrat pluriannuel, à base forfaitaire, avec un

niveau de service et une durée définis » . Les éléments concernés par ce

transfert peuvent être des équipes de collaborateurs et des compé­

tences, des actifs immobiliers et/ou mobiliers, des ressources et moyens

deproduction,desélémentsmatérielset/ouimmatériels.L'externalisation

s'inscrit donc dans une perspective stratégique menée par l'entreprise,

qui repose sur une analyse approfondie du cœur de métier de la firme,

des objectifs de croissance, des activités créatrices de valeur, des avan­

tages concurrentiels distinctifs et des compétences clés ( core

competences).

L' externalisation est avant tout un mouvement stratégique qui

s 'oppose à l ' internalisation et à l ' intégration verticale des activités. On

entend par externalisation la passation d'un contrat avec un tiers qui

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Les stratégies d'externalisation Chapitre 6

peut être un particulier, une entreprise privée, un organisme gouverne­

mental ou une organisation non gouvernementale, en vue de l' exécu­

tion de tâches spécifiques et/ou de la fourniture de services et des biens

connexes, selon des clauses et dans des conditions bien définies.

L'externalisation relève d'une décision de la direction générale qui vise

à redessiner le cœur de métier de l'entreprise et son périmètre d' acti­

vité. En effet, l 'externalisation contribue à préciser l' intérêt stratégique

pour l'entreprise de continuer ou au contraire de sous-traiter certaines

activités à un prestataire extérieur dans le cadre de contrats à long terme

(Lacity et Hirscheim 1993 ; Fréry 1996). Comme en témoigne le baro­

mètre présenté ci-après, plusieurs activités sont concernées par

l' externalisation.

EXEMPLE - Les activités concernées par l'externalisation

D'après le « Baromètre Outsourcing européen » piloté par Ernst & Young

(2008), les activités de 1' entreprise les plus souvent classées selon leur

degré d' extemalisation, sont les suivantes : les services généraux (76 % ),

distribution, logistique ou transport (73 % ), informatique/télécommunica­

tions (68 % ), ressources humaines (59 % ), administration ou finances

(56 %).

Les tendances actuelles en matière de gestion des compétences clés

incitent de nombreuses entreprises à développer des stratégies d' exter­

nalisation pour l'ensemble des fonctions, même celles jugées plus spé­

cifiques, comme la production, le marketing, la recherche &

développement ou encore la gestion des ressources humaines. En effet,

l ' externalisation ne concerne plus uniquement les activités péri­

phériques (nettoyage, entretien, restauration, sécurité, accueil . . . ) mais

porte aussi sur des activités qui contribuent à la création d'une partie de

la valeur de l'entreprise.

Cependant, bien que créatrices de valeur, elles sont très rarement au

centre du métier de base de l'entreprise. Ainsi, par exemple, on note

une externalisation de certaines activités RH qui s' inscrit dans une per­

formance accrue de la fonction (Leroux et al, 2005). Ce type d'exter­

nalisation s'étend aux activités de recrutement, évaluation, mobilité

mais aussi aux activités de gestion du personnel, à la gestion des

compétences, à la formation et également aux Directions des Res­

sources Humaines dans certaines PME-PMI.

117

Page 124: Strategies et changement : innovations et transformations des organisations

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Cha pitre 6 Les stratégies d'externalisation

118

� Focus

La démarche d 'external isation Comme toute stratégie, l 'externa l i sation d'une ou plusieurs activités demande une analyse préalable de la situation de l 'entreprise et des perspectives en termes de réduction des coûts, d'efficacité (amél iora­tion de l 'existant/i nnovation), de souplesse et de s impl icité. De man ière générale, i l est poss ible d' identifier u n certa i n nombre de poi nts critiques à étudier avant d' in itier une te l le politique :

1 . Analyse de la stratégie de l'entreprise et de son modèle de déve-loppement.

2 . Étude déta i l lée de la chaîne de valeur économique de l 'entreprise. 3 . Identification des métiers et activités stratégiques à conserver. 4. Identification des zones éventuelles d'externa l i sation et des modes

de contractual isation. 5. Étude des coûts (avantages et des risques). 6 . Défi n ition des compétences internes à préserver ou à renforcer :

le manque de moyens humains dans le contrôle de la prestation peut par exemple constituer un obstacle.

7. Recherche du profil du prestatai re correspondant aux activités externa l i sables.

8. Clarification du contrat d'external isation (durée, prix, mesure de la performance, évol utivité de la prestation, gestion des conten­tieux, c lause de sortie . . . ) .

9 . Défi n ition des modal ités pratiques du contrat (mode de fonction­nement, système de contrôle, gestion des interfaces, centre de pi lotage . . . ) .

1 O . Établ issement du nouveau modèle économique : investissements et gains associés.

1 1 . Précision et offic ia l isation des critères de sélection, d'éval uation des résultats et de renouvel lement des contrats.

1 2 . Gestion antic ipée des aspects humains dans le cadre et en dehors du contrat (transfert de personnel, gestion des compétences, redéploiement des salariés . . . ) .

Préparation minutieuse du plan de communication (présentation du projet, i l l ustration de l 'offre, calendrier, tableaux comparatifs des avantages, résultats attendus . . . ) .

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Les stratégies d'externalisation Chapitre 6

2 Sous-traitance, downsizing, reengineering :

quelles différences ?

L' externalisation est souvent confondue avec d'autres pratiques des

organisations, en raison des changements occasionnés au sein de

l 'entreprise d'origine, avec le retrait d'activités initialement gérées en

interne. Il est proposé de clarifier les spécificités de l ' extemalisation, à

travers ses différences avec les politiques de sous-traitance, de

downsizing et de reengineering.

2.1 Externalisation versus sous-traitance

La notion de sous-traitance a juridiquement un sens très précis . La loi

a ainsi défini la sous-traitance comme « l 'opération par laquelle une

entreprise confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une

autre personne appelée sous-traitant tout ou partie de l'exécution du

contrat d'entreprise ou du marché public conclu avec le maître de

l 'ouvrage » (article 1 de la loi n°75-1 334 du 3 1 décembre 1 975).

Si la sous-traitance présente certains points communs avec l 'exter­

nalisation (division du travail , mouvement vers l ' extérieur, relation

interentreprises), celle-ci s 'en distingue sur quatre dimensions clés :

- l 'objet de la relation : la sous-traitance se définit notamment par

des obligations de moyens tandis que l ' externalisation oblige à des

résultats ;

- la durée de la relation, l 'externalisation se présente comme une rela­

tion de long terme de type coopératif. Ceci peut d'ailleurs poser par­

fois des problèmes à 1 ' entreprise cliente, compte tenu de la difficulté

de gérer des contrats dans la durée en termes de contraintes organisa­

tionnelle (dépendance) et budgétaire ;

- la logique organisationnelle qu 'elle sous tend : 1 ' externalisation

modifie, par une soustraction de l'organisation hiérarchique (firme)

vers le marché, les frontières de la firme et la configuration structu­

relle de ses ressources (Hamdouch, 1996) ;

- la possibilité de transférer une partie du personnel de la fonction

externalisée dans les effectifs du prestataire (Lacity et Hirscheim,

1993). Dans cette situation, le personnel de la fonction concernée

peut en effet être transféré chez le prestataire, où il intègre ses locaux

même s ' il peut également pour certaines activités œuvrer sur le site

de l 'entreprise mandataire.

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Cha pitre 6 Les stratégies d'externalisation

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EXEMPLE

Rhône-Poulenc a signé en 1 996 l 'un des plus gros contrats d'externalisa­

tion de l ' informatique jamais observé en France. D'une durée de 7 ans et

d'un montant de près de 600 millions de francs, il impliquait le transfert de

80 employés et la mise en place d'une joint-venture, détenu à 50/50 par

Rhône-Poulenc et son prestataire, Axone.

2.2 Différences entre l'externalisation et les politiques de downsizing et de reengineering

L' externalisation a souvent pour corollaire la réduction de la taille

de l 'entreprise (Barthélémy, 2004), avec comme conséquence directe

une réduction de son périmètre d'activités (recentrage) et la diminu­

tion totale de ses effectifs (transfert d'une partie de son personnel).

Néanmoins, l' externalisation se distingue fortement des politiques de :

- downsizing : le downsizing implique une diminution volontaire de la

taille de l 'entreprise (réorganisation) à travers des politiques de licen­

ciement (réduction des effectifs) et la cession d'une partie de l 'outil

de production, en vue d'améliorer les résultats financiers de l 'entre­

prise (profitabilité) ;

- re-engineering : le re-engineering se traduit par une restructuration

de la chaîne de la valeur de l 'entreprise et l'élimination des activités

qui ne créent pas de valeur pour l 'organisation. Dans le cadre de cette

politique, la structure organisationnelle de l ' entreprise va par consé­

quent être redessinée de façon radicale (remise à plat des processus/

redéfinition des activités opérationnelles) en fonction des sources

potentielles de création de valeur, au niveau des performances cri­

tiques que constituent aujourd'hui les coûts, la qualité, le service et

la rapidité.

L' externalisation présente des différences significatives avec ces

deux politiques, dans la mesure où les activités concernées restent des

éléments constitutifs du fonctionnement de l 'entreprise. L'entreprise

reste directement impliquée dans les activités externalisées. La relation

entre l 'entreprise et son prestataire ne s'arrête donc pas après la tran­

saction (gestion et suivi de la relation). De plus l 'externalisation,

contrairement à certaines politiques de restructuration interne n'implique

pas nécessairement le départ définitif des activités externalisées.

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Les stratégies d'externalisation Chapitre 6

3 Externalisation et changement

La plupart des recherches s'accordent à considérer l 'extemalisation

comme une pratique qui vient modifier sensiblement la structure et la

configuration organisationnelle des entreprises, en créant un nouveau

fonctionnement opérationnel autour d'une coopération contractualisée

entre deux organisations (le client et son prestataire) fondée sur des

interactions et des interfaces nombreux et complexes (Fimbel, 2003 ;

Gosse et al., 2002). Il est proposé de rendre compte de ces change­

ments, notamment en ce qui concerne l 'adaptation de la chaîne de

valeur de l 'entreprise et la nouvelle gestion des relations entre les acti­

vités et services.

3.1 La nécessité d'adapter la chaîne de valeur de l'entreprise

L' externalisation se traduit par un engagement contractuel clair et

équilibré entre deux parties, où il s' agit de préciser au sein de la chaîne

de valeur des entités partenaires, la distribution des rôles et des respon­

sabilités, les modalités d'appréciation des résultats, le partage des gains

de productivité réalisés et les conditions de réversibilité. Desreumaux

( 1996) souligne que l'externalisation modifie, en tant que telle, la struc­

ture de la firme, en se présentant comme l'un des leviers à la création

d'une nouvelle forme organisationnelle plus souple et innovante. Selon

cette vision, l'externalisation vise à remodeler l 'entreprise et ses activi­

tés, en partant du principe qu'une organisation n'a pas toujours intérêt

à tout réaliser par elle-même. En suivant cette logique, l 'externalisation

revient à identifier au sein de l'entreprise les activités, jusqu'alors réa­

lisées en interne, qui, après examen :

- n'ont pas de valeur ajoutée déterminante par rapport aux produits ou

services délivrés ;

- peuvent être réalisées avec un standard de qualité supérieure ( diffé­

renciation) ou à prix moins élevé (rationalisation) à l ' extérieur de

l'entreprise ;

- sont une source trop importante d' immobilisation en termes de res­

sources financières et humaines ;

- peuvent constituer une perte de temps et d'énergie pour la direction

de l ' entreprise en raison des coûts de structure, de coordination et de

contrôle.

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Cha pitre 6 Les stratégies d'externalisation

122

L'externalisation concerne ainsi l'ensemble des activités dont le

désengagement peut permettre d'accroître la productivité et la compé­

titivité de l 'organisation. Elle reflète la volonté de lentreprise de

réallouer ses ressources vers son cœur de métier et sa mission straté­

gique (vocation).

3.2 De nouvelles logiques orga nisation nel les

L' externalisation implique de nouvelles relations entre les activités et

les services, notamment en raison de la gestion par le prestataire de

l'activité externalisée et des nouvelles logiques organisationnelles

qu'elle sous tend : changement des priorités, allocation des ressources,

management des compétences, évolution des modes de contrôle et de

coordination, changement culturel . . . Selon cette perspective, l' externa­

lisation, en tant que pratique de « désintégration », entraîne le rempla­

cement de la grande entreprise (système hiérarchique formel) par un

système plus souple basé sur des logiques à la fois entrepreneuriales

(prise d'initiative, coopération, délégation, échange) et procédurières

(standardisation des tâches, procédure écrite formalisée, découpage des

tâches, contrôle fréquent). En effet, l' externalisation ouvre la voie à de

nouvelles formes d'organisation basées sur des relations coopératives,

où l'organisation entrepreneuriale co-existe avec certaines caractéris­

tiques de l'approche taylorienne. Ceci s'explique par le fait que le pro­

cessus de contractualisation favorise une nouvelle répartition des rôles

selon un mode contributif au sein de la chaîne de valeur. Dans le cadre

d'une externalisation, le responsable a pour rôle de concevoir une

chaîne de valeur, de la coordonner et de la contrôler. Le responsable

d'unité doit assurer la cohérence entre les divers partenaires, mener une

action de conception et de coordination. L' externalisation entraîne par

conséquent un nouveau fonctionnement opérationnel qui s'appuie sur

une coopération contractualisée entre les deux organisations.

Structurellement interorganisationnelle, la relation entre le client et son

prestataire est principalement fondée sur des interfaces, voire des

interopérabilités, nombreuses et complexes.

Desreumaux ( 1996) confirme ce processus de décentralisation des

pouvoirs (logique coopérative) dans les nouvelles formes d'organisation

et montre que l'entreprise se divise en petites unités avec un responsable

(acheteur) à sa tête. Le contrat se présente ainsi comme la pierre angu­

laire de la nouvelle structure et devient, par ses attributs, le principal

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Les stratégies d'externalisation Chapitre 6

déterminant des interconnexions et des ajustements mutuels entre

l'entreprise pivot et ses prestataires autour des critères de coût, d'inno­

vation, de qualité et de flexibilité inscrits dans le contrat de délégation.

Un tel fonctionnement est facilité par le développement des systèmes de

communication en réseau qui permettent de compenser l'éloignement

entre les différentes entités de la nouvelle organisation (formation

d'équipe virtuelle ou à distance). De manière générale, l 'externalisation

s'accompagne d'une flexibilité et d'une adaptabilité accrues dans le tra­

vail et les relations entre collaborateurs dans le cadre d'un maillage entre

les entités (management d'interface entre client et prestataire). Ceci

conduit à faire évoluer les relations hiérarchiques et d'encadrement vers

des interconnexions ou interdépendances horizontales entre les fonc­

tions supports externalisées et les autres fonctions restantes dans l 'entre­

prise. Cette reconfiguration organisationnelle entraîne aussi une

formalisation accrue des fonctions externalisées et des procédures d'éva­

luation et de coordination de la prestation (comité de pilotage, diagnos­

tic, qualité du contrat, respect des spécifications techniques). En effet,

pour que l' externalisation réussisse, une logique de suivi et de contrôle

interne de tous les indicateurs de progrès de qualité de fournitures prévus

dans le contrat est à réaliser, au même titre qu'un tableau de bord, pour

surveiller en permanence les relations entre partenaires et veiller au

respect des objectifs. D'ailleurs, pour de nombreux auteurs, l' externa­

lisation est une pratique qui ne peut en aucun cas conduire à une relation

de partenariat. L' extemalisation implique une confiance basée sur le cal­

cul, renforcée par des contrôles fréquents. Si l' externalisation tend à

renforcer les fondements structurels et informationnels des nouvelles

formes d'organisation, elle contribue paradoxalement à légitimer un

management plus taylorisé au sein de l 'entreprise basé sur une logique

de rationalisation accrue à travers la formalisation de contrats commer­

ciaux entre l'entreprise pivot (mandataire) et les sociétés prestataires .

Dans la plupart des contrats d' externalisation, du fait des changements

générés (et des risques encourus), il convient pour l 'entreprise de veiller

aux conditions de réversibilité (possibilité de reprendre en interne la ges­

tion de l'activité jusque-là externalisée) et de portabilité (possibilité de

changer quand cela est possible de prestataires de services). Néanmoins,

l'entreprise peut très difficilement réinitialiser sa démarche du fait de

l'ampleur des coûts et de la complexité des structures. Le degré de réver­

sibilité (ou réintemalisation) est donc souvent faible, bien qu'elle soit

fortement mise en avant lors des formalisations contractuelles.

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Cha pitre 6 Les stratégies d'externalisation

124

Section 2 L'EXTERNALISATION : OPPORTUN ITÉS STRATÉGIQUES OU ME NACES ?

-

1 L'attrait pour l'externalisation

L'intérêt de l 'externalisation est d'offrir un moyen supplémentaire de

réaliser des économies (gains de productivité) ou d'autres améliora­

tions importantes (allégement des structures, apport de connaissances,

praticité, renforcement de la qualité, renouvellement des pratiques)

dans la façon dont une entreprise entend mener ses activités et assurer

ses services.

1.1 La hiérarchisation des priorités

La délégation de fonctions non essentielles à une autre entreprise

peut constituer une des raisons pour une société donnée d'envisager

le recours aux contrats d' externalisation. Il s 'agit en effet pour la

firme de se concentrer sur ce qu'elle sait faire le mieux, en valorisant

son savoir-faire de base. Selon cette perspective, l' externalisation

s ' inscrit dans une stratégie de recentrage, où l ' entreprise se développe

en consacrant l 'ensemble de ses ressources aux activités qui offrent le

plus de possibilités sur le plan de l ' innovation et de la qualité du ser­

vice. Mais l ' externalisation peut permettre aussi de modifier l' organi­

sation et la gestion des activités, en créant les conditions d'un

maillage constitué de prestataires spécialisés qui contribuent chacun

à leur niveau au développement de la chaîne de valeur. Selon cette

logique, les activités de l 'entreprise sont réparties en fonction des

contributions spécifiques de chaque entité, la délégation étant confiée

à l ' entité disposant d'avantages concurrentiels distinctifs dans le

domaine considéré.

EXEMPLE

De nombreuses administrations (structures centrales, ministères, orga­

nismes publics . . . ) ont recours massivement à l 'externalisation pour des

opérations souvent classiques, comme la restauration, le nettoyage, la

maintenance, le gardiennage, l 'accueil ou encore la sécurité. Les contrats

réalisés sont souvent d'une durée de trois ans.

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Les stratégies d'externalisation Chapitre 6

1.2 La réa lisation d'économies de coûts

La réduction ou le contrôle des coûts constitue une autre raison pour

une entreprise d'envisager le recours aux contrats d'externalisation.

L' extemalisation permet de réduire les coûts, en contribuant à des éco­

nomies de coûts de l'ordre de 15 % à 30 % d'après plusieurs études

spécialisées. C'est donc une occasion pour la firme d'améliorer la posi­

tion financière de l 'activité, en réduisant ou au moins en contenant les

coûts, la rentabilité restant un but fondamental pour la plupart des socié­

tés qui extemalisent sélectivement ou totalement. Par exemple, l 'exter­

nalisation réduit les dépenses de gestion et d'organisation (allégement

des structures) et diminue les coûts de maintenance et d'adaptation aux

évolutions réglementaires et technologiques très fréquentes dans cer­

taines activités. Elle apporte aussi des flux de capitaux importants avec

le transfert de personnel et de matériels qui se combinent avec des avan­

tages fiscaux. Autant d'éléments qui concourent à améliorer les marges

d'autofinancementetfavorisentlerééquilibragedubilan. L'externalisation

représente alors une stratégie financière à long terme, accompagnant un

retour à une bonne position financière et concurrentielle, en échange

d'honoraires d'externalisation qui peuvent être considérés comme un

taux d'intérêt. De même, l'externalisation permet une meilleure affecta­

tion du budget, une plus grande transparence et donc un meilleur

contrôle des dépenses. Elle contribue aussi à transformer les coûts fixes

en coûts variables, d'où une réduction de la structure de coûts en cas de

baisse d'activité et la possibilité de répondre positivement à un surcroît

imprévu de la demande sans créer de goulot d'étranglement.

EXEMPLE

Deutsche Bank, qui a transféré son informatique à IBM en 2002, s'attend

à réduire ses coûts de 1 milliard d'euros sur dix ans, principalement grâce

à la transformation de coûts fixes en coûts variables. ABN Amro, qui vient

lui aussi de signer un contrat d' outsourcing avec cinq fournisseurs, espère

258 millions d'euros par an à partir de 2007, soit une baisse du coût infor­

matique de 10 %.

1.3 L'accès à des compétences spécialisées

L' externalisation donne également aux entreprises l ' accès à des

connaissances et à des compétences pointues difficilement dispo-

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Cha pitre 6 Les stratégies d'externalisation

126

nibles en interne, avec des possibilités de mise en concurrence. En

effet, historiquement motivées par une recherche de minimisation des

coûts (allégement des structures, variabili sation des charges fixes,

optimisation des ressources), les entreprises s'orientent aujourd'hui

vers l' externalisation pour acquérir un savoir-faire non disponible en

interne ou difficile à préserver compte tenu des évolutions techniques

et réglementaires (problème en termes de maintenance et de veille

technologique). Pour Boeri ( 1 998), il s 'agit donc de « faire faire »

face à l ' incapacité totale ou partielle de l 'entreprise de développer un

savoir-faire essentiel pour continuer à développer l 'activité concer­

née. Les entreprises passent ainsi des contrats, pour des tâches parti­

culières, avec des spécialistes ou des professionnels qu' i l n'est pas

possible (pour cause de moyens) d'engager de manière permanente.

C'est ainsi que de nombreuses firmes confient à des prestataires exté­

rieurs leurs besoins très spécialisés dans le domaine des technologies

de l ' information technique et des communications. Le fait d'externa­

liser une activité à un fournisseur qui possède une expertise reconnue

ou un personnel qualifié contribue donc à renforcer la qualité du tra­

vail effectué ou du service fourni. En confortant cette position par des

mesures de qualité dans l 'accord d' externalisation, il est ainsi pos­

sible d'améliorer les délais d'exécution et le rendement du travail

fourni .

EXEMPLE

Face à la pressjon de la concurrence internationale et au phénomène de

globalisation, un grand nombre d'entreprises multinationales et mondiales

(automobile, aéronautique, transport, énergie, électronique, télécoms . . . ),

pour rester compétitives, sont obligées de renforcer leurs capacités de

recherche et d'innovation, ce qui favorise une augmentation du volume de

R&D externalisée. L'extemalisation est en effet l'un des moyens pour ces

firmes de maintenir un niveau de compétitivité constant, voire si possible

de devancer leurs concurrents, grâce aux relations étroites entretenues avec

les laboratoires universitaires ou d'organismes publics, les réseaux et struc­

tures coopératives ou des sociétés spécialisées (veille et maintenance tech­

nologique).

Mais si l' externalisation présente a priori de nombreux atouts, sa

réalité pratique amène à la prudence au vu des risques encourus pour la

firme cliente.

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Les stratégies d'externalisation Chapitre 6

2 L'externalisation : une manœuvre à risques?

Les risques liés à 1' externalisation stratégique sont nombreux. Ils sont

fréquemment sous-estimés par les managers, séduits par l 'importance

des bénéfices potentiels associés au transfert de l'activité et par les

avantages immédiats de cette politique en terme de rentabilité.

2.1 Les risq ues de sous-performance

L'un des risques contractuels de l' externalisation est la sous­

performance ou la non-performance. Ceci correspond à la situation où

le prestataire délivre un service qui ne correspond pas aux spécifica­

tions définies dans le contrat. Dans ce cas, le client subit une perte,

voire un dommage. Cette situation est perçue comme risquée car le

client n'a pas de véritable contrôle direct sur les moyens engagés par le

prestataire. Pour limiter un tel risque, les clients privilégient, lors de la

phase de sélection du prestataire, les critères de l'expérience passée et

de la réputation. Ensuite, ils se dotent généralement de systèmes de

suivi et d'instruments de contrôle (détection des écarts, incitations pour

une amélioration de la performance, pénalités, etc.). Toutefois, ce serait

une erreur de penser que le risque associé à la performance est entière­

ment lié à l 'offre. En effet, le comportement du client et son type

d'organisation peuvent avoir un effet direct et décisif sur la perfor­

mance du prestataire. De plus, des mécanismes d' incitation et de

pénalités trop complexes butent sur d'importantes difficultés de mise

en œuvre. L'attention du prestataire se focalise principalement sur

les éléments ou les dimensions sélectionnés plutôt que sur la perfor­

mance globale. Il est à noter que ce risque expose le client à une

perte potentielle de son avantage concurrentiel . Si ce dernier repose

sur un savoir-faire opérationnel et technique exclusif, ou bien sur un

mode d'organisation typé, c'est une partie du chiffre d'affaires qui est

menacée.

2.2 Le manque d'i nformations et la perte de savoir-faire

La question de la perte du savoir-faire est cruciale pour les entre­

prises qui externalisent. Le transfert d 'équipements spécifiques et

surtout d'une grande partie du personnel vers le prestataire implique

une perte de compétences individuelles et organisationnelles. Le

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Cha pitre 6 Les stratégies d'externalisation

128

risque associé est que cette perte de compétences revête un caractère

irréparable. Pourtant, gérer en interne la relation avec le prestataire,

assurer le suivi, mettre en place le contrôle de la prestation, et faire

évoluer le contrat requièrent de conserver les compétences néces­

saires pour pleinement tirer un bénéfice de l' externalisation. À long

terme, l' externalisation fait courir des risques importants de fuite de

savoir-faire. Elle implique la perte d' informations et de connaissances

opérationnelles au niveau de l 'activité externalisée. En effet, une

organisation focalisée sur quelques compétences centrales peut être

très efficiente à court terme mais inadaptée sur le long terme si elle a

abandonné des compétences critiques pour le futur. Elle sera donc

particulièrement vulnérable aux changements qui pourraient survenir

dans son environnement.

EXEMPLE

Dans les années 80, un grand nombre d'entreprises américaines dans les

secteurs de l 'automobile, de l 'électronique et de la mécanique ont eu

recours à une politique d'extemalisation dans de nombreuses activités dans

une logique d'optimisation des ressources et d'économies de coûts. Cette

stratégie d'extemalisation généralisée a notamment bénéficié aux fabri­

cants et fournisseurs asiatiques qui offraient des services particulièrement

avantageux en termes de réduction de coûts (production). Quelques années

après, ces mêmes fabricants sont devenus les concurrents les plus dange­

reux pour ces entreprises américaines, en proposant des produits de qualité

équivalents, avec les mêmes avantages à des prix défiant toute concur­

rence.

2.i Les risq ues de défail la nce de l'entreprise prestataire

Ce type de risque est attaché aux compétences du prestataire, il peut

être de trois natures : le risque technique (de court terme), le risque

économique et financier (de moyen terme) et le risque technologique

(de moyen-long terme). Le risque technique est principalement lié à la

panne ou au problème technique qui interrompt la continuité de la

prestation alors que le client en pâtit (centraux téléphoniques,

plateformes logistiques . . . ). En général, ce risque peut être anticipé et

géré dans le cas du contrat. Des pénalités financières peuvent être

appliquées en cas de non-performance. Le risque économique et finan­

cier soulève la question de la pérennité économique du prestataire.

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Les stratégies d'externalisation Chapitre 6

Certains marchés sont caractérisés par l 'arrivée de nouveaux entrants,

attirés par une forte croissance, qui ne peuvent apporter les gages ni de

l 'ancienneté, ni de l 'expérience accumulée. La potentialité d'un tel

risque requiert alors une analyse poussée de la solidité financière du

prestataire, mais aussi de la stabilité de ses équipes comme de la qua­

lité de son climat social. Enfin, le risque technologique recouvre

l ' incertitude à propos de la capacité du prestataire à faire les bons

choix technologiques pour offrir le service le meilleur au meilleur

coût. Pour l' informatique, les télécommunications, la logistique et la

R&D, ce risque est particulièrement important. En effet, ce risque peut

être qualifié de majeur dans les environnements à fort contenu techno­

logique.

EXEMPLE

Outre le cas extrême où le prestataire fait faillite, plusieurs facteurs peu­

vent nuire à la qualité de service : effectifs insuffisants, savoir-faire

défaillant, grève, changements d'équipes . . . En cas de grève du personnel

appartenant à une société bénéficiant d'un contrat d' externalisation signé

avec une entreprise cliente, celle-ci ne peut pas toujours intervenir et n'a

donc aucun moyen d'action pour faciliter la reprise du travail par la négo­

ciation.

2.4 Les risq ues de dépenda nce et de perte de contrôle

En matière de gestion des risques, l ' externalisation pose la question

des rapports entre l'entreprise cliente et son prestataire, compte tenu

des risques d'opportunisme et des liens de dépendance qu'entraîne ce

type de manœuvre stratégique.

Un des risques majeurs de l ' externalisation concerne la création

d'un lien de dépendance quasi-irréversible avec le prestataire à qui on

confie la délégation de l 'activité. En effet, lorsqu'une entreprise exter­

nalise sa fonction informatique ou logistique par exemple, son besoin

en matière de contrôle et d' information sur l'activité déléguée ne dis­

paraît pas en dépit du choix de l ' externaliser. On se trouve donc dans

le cas où une entreprise serait dépendante d'une prestation qu'elle a

choisi de ne plus réaliser en interne. La création d'un lien de dépen­

dance irréversible est fréquemment l ' inquiétude prépondérante de

l'entreprise qui externalise.

129

Page 136: Strategies et changement : innovations et transformations des organisations

Cha pitre 6 Les stratégies d'externalisation

EXEMPLE

Au milieu des années 90, Blue Shield décide de mettre fin à une relation

d'infogérance avec EDS, vieille de vingt-cinq ans. Cette décision, pourtant

fondée sur des critères rationnels (performance insuffisante, coûts trop éle­

vés), s 'avère rapidement irréaliste. En effet, il apparaît impossible de chan­

ger de prestataire car les employés de Blue Shield s'étaient adaptés aux

méthodes d'EDS, qui par ailleurs avait accumulé un savoir sur les systèmes

d'information de son client. Finalement, seuls quelques points du contrat

purent être renégociés, et la relation a été maintenue.

Naturellement, le risque de dépendance ne peut réellement s 'appré­

cier au moment de la signature du contrat car les conflits entre les

clients et leurs prestataires ne surgissent qu'après un certain temps. Le

développement de 1 'externalisation s'accompagne de lopportunisme

post-contractuel. En effet, ni l'ensemble des circonstances ni les

comportements futurs ne sont prévisibles. Aucun contrat n'est complet.

Dans le cas d'une prestation spécifique, le risque d'apparition d'une

forte dépendance et de comportements opportunistes du prestataire est

donc élevé. Par exemple, il n'est pas impossible qu'un prestataire,

s 'étant fait attribuer un marché en présentant des soumissions peu éle­

vées, profite de la dépendance de l 'organisation pour augmenter les

prix et/ou abaisser la qualité de ses prestations.

Aux yeux de nombreux décideurs, réintégrer l'activité externalisée

apparaît quasiment impossible. Une étude sur la logistique publiée en

-g 1 996 montrait que 77 % des entreprises estimaient qu'elles en seraient

� incapables. Nos propres données montrent que la réintégration reste

� possible mais qu'elle induit des coûts très élevés. 0 N

@ De plus, l ' extemalisation, entraînant l' abandon de l 'autorité hiérar-

!: chique pour une gouvernance par le marché, ne permet pas à l 'entre-0'>

-� prise cliente d'assurer un contrôle direct sur les comportements c..

3 potentiellement dysfonctionnels du prestataire. En effet, il y a toujours

130

le risque dans le cas d'une externalisation d'activités que le prestataire

divulgue des informations confidentielles de l'entreprise pour laquelle

il travaille, même si cette crainte est plus théorique que réelle. Les stan­

dards techniques utilisés par les prestataires sont souvent plus sévères

que ceux de leurs clients. De plus, la réputation du prestataire pourrait

rapidement en pâtir. Le risque de perte de contrôle de lactivité est tou­

tefois particulièrement sensible dans le cas de l' externalisation de la

fonction informatique. Les services informatiques sous-tendent les

Page 137: Strategies et changement : innovations et transformations des organisations

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§ 0 ©

Les stratégies d'externalisation Chapitre 6

fonctions de marketing, de contrôle de gestion, de gestion des stocks,

etc. Les questions de la confidentialité et de la sécurité des informations

sont donc des points sensibles à surveiller. Plus globalement, le risque

de perte de contrôle de l 'activité est souvent jugé important, en particu­

lier pour ce qui concerne le suivi de la réalisation dans le temps de la

prestation, mais aussi le contrôle des prix et de la qualité de la presta­

tion. L'entreprise cliente doit ainsi développer une compétence spéci­

fique de maîtrise d'ouvrage des fonctions sensibles externalisées. Cela

suppose le maintien d'une bonne technicité en la matière, et le dévelop­

pement d'outils de gestion appropriés (définition des rôles, suivi des

responsabilités respectives, évaluation du service rendu, définition et

repérage des dérives, système de pénalités, tableaux de bord de contrôle

et d'audit de la fonction . . . ) .

EXEMPLE

En 1998, IBM a signé avec Geodis un contrat d'extemalisation de l'ensem­

ble de ses activités logistiques pour une durée de 5 ans et un montant de

1 52 millions d'euros. Portant à la fois sur la France, l'Allemagne et l ' Italie,

cette opération d'externalisation ne concernait pas le cœur du métier

d'IBM. Cependant, la logistique n'en est pas très éloignée, ce qui a expli­

qué certaines réticences au sein du Groupe IBM. En effet, la perte de la

maîtrise de cette activité aurait été catastrophique pour cette entreprise,

d'où l ' importance accordée par IBM aux modalités du contrat (évolutivité

de la prestation, gestion des contentieux, clause de sortie . . . ).

Section 3 ÉTU DE DE CAS : L' EXTERNALISATION DES COMPÉTE NCES C E NTRALES

; ;

« PER IPHER IQUES » -

1 Le contexte

Formai est une société de formation professionnelle pour adultes en

activité, spécialisée dans les formations tertiaires techniques (comp­

tabilité, secrétariat, assistance juridique . . . ). Créée en 1 963, la société

a connu une expansion régulière. Elle est toujours dirigée par la

famille du fondateur et emploie 37 salariés permanents et environ 80

131

Page 138: Strategies et changement : innovations et transformations des organisations

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Cha pitre 6 Les stratégies d'externalisation

132

enseignants vacataires qui interviennent dans les différentes forma­

tions proposées par l 'entreprise. Formal est une entreprise spécialisée

dans la formation à distance (FAD). Métier historique de l' entreprise,

la formation à distance représente en 2006 plus de 85 % du chiffre

d'affaires de Formal, le reste étant essentiellement issu d' activités de

formation présentielle intra-entreprises. Cette activité très consom­

matrice de ressources externes (principalement les enseignants et

experts professionnels auteurs des supports de cours) nécessite une

gestion logistique très élaborée. Formai propose en effet 27 forma­

tions au total. Chacune est composée en moyenne de 5 unités de

connaissances différentes et chaque UC est découpée en six modules

théoriques, soit un total de 8 1 0 modules de cours et 8 1 0 devoirs écrits

correspondants. Forma] compte en moyenne 1 20 inscrits par forma­

tion. Chaque personne en formation est en moyenne inscrite à 3 UC,

ce qui correspond à un nombre total de clients d'environ : 120 x 27 =

3 240. Les supports de cours sont envoyés par courrier postal aux per­

sonnes en formation, module par module. Par ailleurs, Formal estime

que 80 % des devoirs adressés aux inscrits sont renvoyés à la correc­

tion puis ré-adressés aux clients. La logistique aval, qui permet donc

de mettre les supports de cours à disposition des clients, est très

lourde.

Tableau 7. 1 - Les chiffres clés

Nb de formations proposées 2 7 Nb de formations proposées 2 7

x N b U C par formation 5 x Nb moyen d'inscrits par formation 1 2 0

= Nb total UC 1 3 5 = N b moyen d'inscrits 3 240

x Nb modules par UC 6 x Nb moyen d'UC par inscrit 3

= Nb total modules 810 = Nb total d'inscriptions en UC 9 720

x Nb de modules par UC 6

= Nb total d'envois postaux pour les sup- 58 320 ports de cours

+ Nb de devoirs traités à la correction : 46 656 80 % X 58 320

= Nb total d'envois postaux 1 04 976

Page 139: Strategies et changement : innovations et transformations des organisations

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Les stratégies d'externalisation Chapitre 6

Cette logistique aval est fortement dépendante de la logistique

amont qui consiste pour Formai à produire les supports de cours. Ces

cours et devoirs sont essentiellement conçus par des enseignants et

experts professionnels vacataires qui sont rémunérés « à la tâche » en

fonction du volume produit. Formai travaille de manière régulière

avec environ 80 vacataires auteurs des cours et devoirs. Par ailleurs,

9 chefs de produits, salariés de l'entreprise, assurent l 'encadrement

pédagogique de 2 à 4 formations. Spécialisés chacun dans un domaine

fonctionnel (fiscalité, finance, anglais, bureautique, etc.), ce sont des

enseignants qui ont pour rôle de définir le contenu des formations,

d'écrire certains supports de cours et de recruter et encadrer les

auteurs de cours vacataires.

Chaque unité de connaissances pour chaque formation est intégrale­

ment réécrite tous les trois ans et réactualisée tous les ans. Tous les

devoirs doivent en revanche être intégralement nouveaux chaque année

pour suivre les évolutions législatives, adapter la préparation aux chan­

gements dans les épreuves nationales et assurer le niveau de qualité

globale de la formation. Cette exigence de qualité se traduit donc par

une logistique amont très lourde également. Pour que les supports de

cours puissent être envoyés à temps aux étudiants, ils doivent être

imprimés un mois au moins avant leur date d'expédition. Cela implique

que les auteurs de cours et devoirs remettent leur production au moins

deux mois avant la date d'impression, de sorte que les supports puissent

être contrôlés par le chef de projet concerné, mis en page selon les stan­

dards de Formai puis imprimés.

Pour gérer ces activités de back-office, Formai emploie une quinzaine

de salariés (8 secrétaires de rédaction, 2 graphistes, 5 imprimeurs) .

L'entreprise a toujours souhaité réaliser en propre ces activités de

conception des supports de cours afin d'en maîtriser la qualité. Elle

dispose pour cela d'une imprimerie en interne et d'un centre logistique

de routage des supports de cours et des devoirs.

Cette chaîne logistique s'applique aux 8 1 0 modules composant les

1 35 unités de connaissances. Les contraintes et conséquences d'erreurs

éventuelles sont donc démultipliées en fonction du volume traité.

133

Page 140: Strategies et changement : innovations et transformations des organisations

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Cha pitre 6 Les stratégies d'externalisation

134

J - 360

J - 90

J - 60

J - 30

J + 30

J + 45

y

Auteurs­correcteurs

Conception et rédaction des

cours et devoirs

Correction des devoirs

Formai

Commande : écriture de cours

et/ou devoirs

Contrôle qualité

Mise en page, mise en forme :

publ ication assistée par

ordinateur (PAO)

Impression

Routage des supports de cours

Routage des devoirs à corriger

Routage des devoirs corrigés

Clients en formation

Travai l personnel Préparation des

devoirs

Réception des devoirs corrigés

Figure 6.1 - Schéma de la fonction production de Formai

2 Le choix de l'externalisation

Depuis plusieurs années, Formal est confrontée à des conditions

d'exercice de son activité de plus en plus difficiles. L'entreprise rencontre

des problèmes importants et son chiffre d'affaires diminue régulièrement

depuis trois ans. Le dirigeant décide donc de faire appel à un cabinet de

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Les stratégies d'externalisation Chapitre 6

conseil spécialisé en organisation. Quatre conclusions majeures semblent

expliquer les difficultés rencontrées par l'entreprise :

• Une concurrence accrue : le développement des technologies de la

communication, principalement Internet, a partiellement transformé

le modèle économique du secteur de la formation à distance. De

nombreux concurrents ont définitivement abandonné les supports

papiers pour ne plus offrir que des formations en mode e-learning, ce

qui leur permet d'afficher des tarifs extrêmement compétitifs par rap­

port à ceux de Formai. Une importante barrière à l 'entrée est ainsi

partiellement tombée avec l 'abandon du support papier : la maîtrise

de la chaîne logistique.

• Une technologie désuète : les logiciels informatiques utilisés en

PAO au sein de Formai sont relativement anciens. Peu souples, ils ne

permettent pas la réalisation de documents plus conviviaux et le parc

informatique vieillissant rencontre des difficultés à gérer ces applica­

tions très lourdes. Il en résulte de nombreuses heures d'arrêt de la

production pour cause de maintenance informatique. Par ailleurs, les

rotatives utilisées à l' imprimerie sont elles aussi obsolètes. Elles

limitent fortement l 'évolution graphique des supports de cours et sont

sujettes à de nombreuses pannes.

• Une culture du retard : la chaîne logistique, qui débute avec la

commande faite aux auteurs et se termine par la réception des devoirs

corrigés par les clients, est organisée de manière à laisser aux auteurs

le temps de concevoir et rédiger les supports. Ils disposent ainsi de 9

mois en moyenne entre le moment où le chef de produit leur commande

la rédaction d'un ou de plusieurs modules ( 1 00 pages en moyenne par

module) et l 'envoi de ce support sous format électronique à l 'entre­

prise. Les supports remis sont au format traitement de texte et doivent

ensuite être contrôlés par le chef de produit qui les transmet au dépar­

tement PAO où les secrétaires de rédaction et les graphistes les trans­

forment en fichiers au format d'impression et réalisent le travail de

conception du document final. La PAO dispose d'un mois entre la

réception et l 'envoi à l ' imprimerie qui dispose elle aussi d'un mois

avant l'envoi aux clients. Malgré ces délais étendus pour tenir compte

des éventuels retards, il est très fréquent que les supports de cours ne

soient pas envoyés dans les délais prévus aux personnes en formation.

• Des coûts de production très élevés : l 'audit de l 'entreprise a mon­

tré que le coût moyen de production des cours était environ 30 %

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Page 142: Strategies et changement : innovations et transformations des organisations

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Cha pitre 6 Les stratégies d'externalisation

13 6

supérieur à celui des concurrents qui utilisent également le support

papier. Plusieurs raisons sont invoquées. Les auteurs des cours sont

mieux rémunérés que chez les concurrents et négocient leurs tarifs

directement avec les chefs de produit, sans respect pour la grille de

tarification établie par les dirigeants qui ont par ailleurs des diffi­

cultés à recruter de nouveaux auteurs. Le niveau moyen des salaires

dans l 'entreprise est également élevé du fait notamment d'une pyra­

mide des âges inversée et de la survivance de pratiques de rémunéra­

tions mises en place durant l'âge d'or de l 'entreprise (primes

régulières, 35 jours de congés, etc.) qui pèsent fortement sur les

résultats. Enfin, et bien que le matériel d'imprimerie soit totalement

amorti, les coûts associés à l 'impression et au routage des documents

sont très sensiblement supérieurs à ceux des entreprises du secteur.

Formai se trouve alors dans une situation délicate : ses coûts de pro-

duction élevés imposent une tarification plus chère de ses produits,

sensiblement supérieure à celle de ses concurrents, notamment ceux

ayant opté pour le « tout Internet » . Par ailleurs, les problèmes d' orga­

nisation interne entraînent des problèmes de qualité importants, essen­

tiellement des retards de livraison. Cette qualité médiocre rejaillit sur

l ' image de marque de l 'entreprise qui perd ainsi de nombreux clients,

voit son chiffre d'affaires diminuer et rencontre alors de graves diffi­

cultés financières.

Face à ces constats, les dirigeants ont étudié trois options stratégiques :

• L'abandon du support papier : Pour faire face à la concurrence des

entreprises d' e-learning, Formai pouvait reporter toute son activité

sur supports multimédias, Internet et DVD-Roms. Cette solution n 'a

pas été retenue par les dirigeants qui pensent que le support papier

reste indispensable au regard des formations qu'ils proposent et du

public visé .

• L'investissement dans un no uvel o util de production : l' obsoles­

cence du matériel informatique et d' imprimerie nécessite des inves­

tissements très lourds pour disposer d'un outil de production souple

et performant. Formai ne peut pas mobiliser les ressources finan­

cières internes nécessaires et l ' incertitude sur l ' évolution du secteur

est trop importante pour que les dirigeants prennent le risque d'un

endettement très lourd.

• L' externalisation de tout ou partie du processus de production :

les coûts de production des supports de cours étant très élevés, il est

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Les stratégies d'externalisation Chapitre 6

probable que l 'entreprise peut les faire éditer et imprimer par des pres­

tataires externes à des prix très inférieurs. Les dirigeants souhaitent

approfondir cette solution et font appel à une société de conseil spé­

cialisée dans l ' externalisation pour les aider à mieux définir leurs

besoins et à organiser la production entre différents prestataires.

3 La mise en œuvre de l'externalisation

Pour réorganiser complètement leur processus de production en

externalisant une partie des activités, les dirigeants ont étudié la nature

de leur métier. Ils se sont interrogés sur ce qui constituait leurs compé­

tences centrales, c 'est-à-dire les compétences indispensables à l 'exer­

cice de leur activité et potentiellement génératrices d'avantages

concurrentiels. L'analyse menée avec la société de conseil est arrivée à

la conclusion que le cœur de compétences de l 'entreprise était la

conception de supports de formation de grande qualité. Forts de ces

résultats, les dirigeants ont alors analysé les fonctions qui pouvaient

être externalisées et ont démarré la recherche des prestataires corres­

pondants. Quatre métiers différents ont été identifiés :

• La publication assistée par ordinateur (PAO) : la PAO nécessite un

matériel informatique très performant et des compétences très spéci­

fiques. Dans la chaîne de production de Formai, la mise en page ou

mise en forme, était réalisée par les secrétaires de rédaction. Les chefs

de produit, après avoir assuré le contrôle qualitatif du contenu, leur

transmettaient les fichiers électroniques des cours rédigés par les

auteurs. Ces fichiers au format traitement de texte comportent fré­

quemment des images, graphiques, tableaux, copies d'écran, docu­

ments scannés, photos, formules mathématiques et nécessitent un

traitement spécifique pour d'une part être mis en forme selon les stan­

dards de l 'entreprise et d'autre part être transmis à l ' imprimeur dans un

format utilisable par celui-ci . Les secrétaires de rédaction ne dispo­

saient cependant que d'une formation sommaire en PAO et leur pro­

ductivité était largement inférieure à celle de professionnels spécialisés .

Il a donc été décidé d' extemaliser cette tache en faisant appel à une

agence spécialisée après consultation des tarifs et conditions de plu­

sieurs prestataires. L'agence de PAO retenue est composée de seule­

ment sept salariés spécialisés et Forma! est ainsi devenu le principal

client de l'agence, représentant plus de 70 % de son chiffre d'affaires.

137

Page 144: Strategies et changement : innovations et transformations des organisations

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Cha pitre 6 Les stratégies d'externalisation

13 8

L'agence reçoit donc des chefs de produit les documents sous format

électronique, les traite puis les soumet aux chefs de produit qui signent

un bon à tirer avant que le fichier ne soit adressé à l ' imprimerie.

• L'imprimerie : le matériel d'imprimerie de Formai étant désuet, les

coûts de maintenance étaient très élevés et les retards et problèmes de

qualité fréquents. L'impression n'est pas considérée par les dirigeants

comme stratégique. Cela faisait plusieurs années qu'ils envisageaient

d'abandonner ce maillon de leur chaîne de production hérité de l 'his­

toire et créé à une époque où il paraissait plus économe d' imprimer

en interne les supports de cours. Pour le choix du prestataire externe,

les dirigeants ont notamment mis l 'accent sur le respect des délais, la

capacité à traiter de gros volumes et le prix. Les supports de cours

étant en effet peu complexes, la recherche d'un prestataire haut de

gamme n'était pas de mise. L'imprimeur choisi par les dirigeants est

celui ayant fait la proposition la moins chère. Bien que situé à plus de

400 km du siège de Formai, il assure pouvoir traiter de gros volumes

dans les délais impartis.

• Le ro utage des supports de co urs : le routage correspond à l'envoi

des supports de cours à chaque personne en formation. Cette activité

est au centre des relations entre l 'entreprise et ses clients. Elle est

donc fondamentale pour les dirigeants qui ont longtemps hésité à

l ' externaliser. Face aux tarifs très compétitifs proposés par les pres­

tataires potentiels, ils ont néanmoins décidé de confier la gestion des

envois à une société de routage qui reçoit les supports de cours

envoyés par l 'imprimeur, les stocke puis les adresse individuellement

à chaque personne en formation. Cette fonction essentielle ne doit

pas connaître de dysfonctionnement majeur (envois en retard, mau­

vais adressage, erreurs entre deux étudiants, etc.), les conséquences

pouvant être très dommageables pour l ' image de marque de Formai

qui a déjà souffert de problèmes de qualité par le passé. Les diri­

geants ont porté leur choix sur une entreprise de routage de très

grande taille, leader en Europe de cette activité, qui dispose de sys­

tèmes informatiques très performants et d'entrepôts dans la France

entière. Le recours à cette société a permis de diminuer par trois le

coût moyen du routage pour une personne en formation.

• La gestion des copies : cette activité est également centrale pour

l 'image de marque et la qualité perçue par les clients, puisqu'elle

touche à l 'évaluation des connaissances acquises. Son objet est la

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Les stratégies d'externalisation Chapitre 6

gestion des copies adressées par les personnes en formation. Tous les

clients envoient les devoirs à corriger à une même adresse. Ces

devoirs sont ensuite triés et regroupés pour être adressés à un

enseignant-correcteur qui doit ensuite les renvoyer au centre de tri

avant que les devoirs corrigés ne soient ré-adressés aux personnes en

formation. Les dirigeants de Formai ont également eu quelques hési­

tations à extemaliser cette fonction centrale. Leurs craintes se

situaient à deux niveaux. Ils craignaient tout d'abord que la moindre

défaillance soit très coûteuse en termes d'image de marque. La ges­

tion des copies était auparavant affectée à deux salariés permanents

de l'entreprise et identifiée comme une activité « à haut risque » :

toutes les mesures possibles étaient prises pour éviter la perte des

copies, les erreurs d'adressage et les retards. Un logiciel spécifique

avait été commandé 7 ans auparavant auprès d'une société de ser­

vices informatiques. Par ailleurs, l 'évaluation des connaissances est

généralement un point central du dispositif de formation qui permet

aux étudiants de mesurer leurs progrès et instaure une relation inter­

personnelle étroite avec le correcteur et donc l 'organisme de forma­

tion. Les dirigeants craignaient donc que l 'abandon de cette activité

ne détériore le lien pédagogique et la qualité de la relation avec les

clients. Cette activité était cependant étroitement associée au routage

des supports de cours. Il est donc apparu logique de l ' externaliser

également puisque le routage était confié à un prestataire externe. La

société de routage ne sachant pas gérer ces doubles envois (d'une

adresse personnelle étudiante à une adresse personnelle enseignante),

il a été très difficile de trouver un prestataire capable de prendre en

charge la gestion des copies. Les dirigeants de Formai ont finalement

trouvé une société à même d'en assurer la responsabilité. Ses presta­

tions relativement chères ont été négociées sur la base du volume très

important d'envois à gérer (environ 50 000 devoirs par an) .

Les gains attendus de ces choix d'externalisation étaient doubles.

L'entreprise souhaitait d'une part améliorer sensiblement le niveau de

qualité de ses prestations, notamment en réduisant les délais d'envoi

des supports de cours, en augmentant la clarté et la convivialité des

documents grâce à l 'utilisation de technologies d'impression modernes

et en sécurisant la gestion des copies.

Formai voulait d'autre part diminuer de manière très sensible ses

coûts logistiques en achetant des prestations à un prix nettement infé­

rieur à ses propres coûts de fonctionnement auprès de prestataires avec

13 9

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Cha pitre 6 Les stratégies d'externalisation

140

lesquels l ' entreprise disposait d'un pouvoir de négociation important

du fait des volumes traités.

4 Les conséquences de l'externalisation

Le choix du recours à des prestataires externes a profondément modi­

fié la fonction de production de Formai qui a conservé toutes les acti­

vités de conception et d'ingénierie de formation mais délégué les

fonctions logistiques. Le schéma 2 synthétise la nouvelle chaîne logis­

tique de l'entreprise.

Cette nouvelle architecture de production, plus complexe mais plus

efficiente, a permis à l'entreprise d'améliorer sensiblement ses résul­

tats, mais elle a également entraîné des changements organisationnels

majeurs parfois difficiles à appréhender a priori.

4.1 Les conséquences positives de l 'externalisation

Les conséquences positives de l' externalisation des fonctions logis­

tiques ont été principalement de deux ordres : la diminution des coûts

et l 'amélioration substantielle de la qualité.

• La diminution des coûts : les dirigeants de Formal estiment que le

coût de revient moyen d'une unité de connaissances pour une per­

sonne en formation a diminué de près de 25 % avec le recours à des

prestataires externes. Cette diminution très importante des coûts a

permis à l 'entreprise de réviser ses tarifs à la baisse. Devenue plus

concurrentielle sur les prix, Forma] a vu sa part de marché croître de

7 % en trois ans, le nombre total de personnes formées par an passant

de 3 240 à 4 180. L'impact sur les résultats financiers a certes été

moindre du fait de la baisse des tarifs, mais les comptes de l 'entre­

prise ont été assainis et le résultat net est aujourd' hui largement posi­

tif. Cette amélioration des résultats a permis à l 'entreprise de

développer de nouvelles formations, principalement dans les métiers

du secrétariat spécialisé (secrétariat médical, juridique, etc.) et de

renforcer ses budgets de prospection commerciale.

• L'amélioration de la qualité s' est principalement traduite par la plus

grande convivialité et la clarté des nouveaux supports de cours.

Désormais en couleur, les cours sont plébiscités par les personnes en

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Les stratégies d'externalisation Chapitre 6

formation, nombre d'entre elles pensant même que les supports de

cours ont été intégralement réécrits alors que Formal a conservé le

même rythme de réécriture des supports. Malgré la petite taille de la

structure en charge de la PAO, les dirigeants sont extrêmement satis­

faits de ce partenariat qui leur a permis de réduire les coûts et de

proposer des supports de formation plus modernes et plus agréables.

Par ailleurs, la très grande majorité des problèmes de dépassement

des délais sont aujourd'hui résolus. Les supports sont toujours adres­

sés à temps aux clients.

Agence de PAO Imprimerie

Mise en page, mise en forme :

publ ication ... Impression � assistée par

ordinateur (PAO)

j �

Auteurs Formai correcteurs .... � , Conception et � Commande :

rédaction des écriture de cours �

Société de cours et devoirs

' et/ou devoirs routage

Correction des � Routage des + devoirs

Contrôle quai ité supports de cours -

Fourniture des adresses

� , � Réception des Routage des

.... devoirs corrigés

devoirs corrigés

Routage des .... Travai l personnel

-"' Préparation des "'

devoirs à corriger devoirs

Société .... Clients en d'adressage � formation

Figure 6.2 - La nouvel le chaîne logistique de l'entreprise Formai

141

Page 148: Strategies et changement : innovations et transformations des organisations

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Cha pitre 6 Les stratégies d'externalisation

142

4.2 Les conséq uences négatives de l'externa lisation

Malgré lamélioration très nette des résultats financiers et commer­

ciaux, plusieurs points négatifs sont apparus suite aux décisions

d'extemalisation, notamment la perte de flexibilité, des difficultés

sociales et de maîtrise de la production et des problèmes de qualité.

• La perte de flexibilité : I 'externalisation de toutes les fonctions

logistiques a privé l entreprise de sa capacité à réagir très rapide­

ment à des modifications de son environnement. Lorsque ces f onc­

tions étaient internes à l ' entreprise, une modification de dernière

minute sur les supports était presque toujours possible. Si un ensei­

gnant souhaitait intégrer dans le cours un article de journal récent

ou une modification législative, les chefs de produit pouvaient stop­

per momentanément la production des supports imprimés. La nou­

velle chaîne logistique est très tendue et lorsque le bon à tirer a été

signé, plus aucune modification n'est possible, sous peine d'un

retard dans le planning bien supérieur aux quelques jours observés

auparavant, comme l 'explique un chef de produit.

• Les difficultés sociales et la perte de maîtrise : n choisissant l ' exter­

nalisation, les dirigeants ont implicitement fait le choix de licencier

certains de leurs salariés. Les 5 salariés de l ' imprimerie ont été licen­

ciés, ainsi que les 2 graphistes et 3 des 8 secrétaires de rédaction. Un

tiers de 1 'effectif total de l'entreprise a ainsi été licencié. Les diri­

geants, très attachés à la culture familiale de Formal, ont financé des

mesures de retraites anticipées et proposé des conditions de départ très

avantageuses aux salariés. Malgré cela, le climat social s 'est très net­

tement dégradé durant les deux années suivant la décision d'exter­

nalisation. Plusieurs mouvements d'humeur ont entraîné des retards

dans la conception des produits . Plus grave encore, de nombreux sala­

riés, dont les chefs de projet, ont le sentiment que leur métier est

aujourd'hui dévalorisé, alors qu'un des objectifs des dirigeants était

justement de se focaliser sur les activités à forte valeur ajoutée.

Ces difficultés sociales se sont traduites par le départ de 4 des 9 chefs

de produit. Le développement de nouvelles formations n'a pu être réa­

lisé qu'en s'appuyant sur la bonne volonté et le professionnalisme des

secrétaires de rédaction restantes qui ont endossé de facto la responsa­

bilité des produits.

• Les problèmes de qualité : malgré l 'amélioration notable des sup­

ports de formation et la forte diminution des retards, Formai doit

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Les stratégies d'externalisation Chapitre 6

encore aujourd'hui faire face à d'importants problèmes de qualité. La

diminution de la flexibilité du processus de production a démultiplié

l ' impact du moindre retard dans le processus. Les retards subis par

les clients sont très peu nombreux, mais ils sont alors très importants,

jusqu'à deux mois parfois. Dans ces conditions, la pression exercée

sur les auteurs et les chefs de produit pour qu'ils respectent les délais

imposés par les plannings des prestataires s'est traduite par la multi­

plication des comportements opportunistes. Un audit qualité réalisé

sur les supports de cours a ainsi montré que seuls deux supports sur

trois étaient intégralement renouvelés tous les trois ans. De même,

plusieurs sujets de devoirs ont été modifiés à la marge alors qu'ils

auraient dû être réécrits complètement. Les clients ne semblent pas

avoir pâti pour l ' instant de ces comportements opportunistes, mais

les dirigeants souhaitent repenser le système de contrôle et de rému­

nération pour se prémunir à l 'avenir de ces déviances nées des exi­

gences sur les délais.

Par ailleurs, plusieurs clients se sont étonnés de devoir envoyer leurs

copies à une adresse qu'ils ne connaissent pas et qui ne semble pas

avoir de lien direct avec Formal. Plusieurs lettres ont été adressées aux

dirigeants en ce sens : les personnes en formation déplorent que la rela­

tion qui les lie désormais à l 'entreprise ne soit plus que financière,

comme en atteste l ' extrait d'un courrier reçu par les dirigeants :

« [ . . . ] J 'ai payé la formation à votre organisme. Depuis ce jour, je n 'ai

plus aucun lien avec vous. Les supports de cours et les devoirs me sont

adressés par des sociétés différentes sans aucune légitimité pédago­

gique. L'absence de site Internet digne de ce nom ne favorise évidem­

ment pas les échanges avec les chefs de produit qui par ailleurs semblent

systématiquement courir après les informations dès que je leur pose la

moindre question. Je suis très étonné de ce mode de fonctionnement qui

ne m' incite pas à poursuivre ma formation à distance. [ . . . ] » .

5 Le bi lan : l 'external isation com me cata lyseur du changement

Après trois années d' externalisation, les dirigeants en font un bilan

mitigé. Les résultats financiers et commerciaux se sont nettement amé­

liorés, l ' entreprise ayant gagné plus de 29 % de clients supplémen­

taires, tandis que son chiffre d'affaires augmentait de 1 7 % et que le

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Cha pitre 6 Les stratégies d'externalisation

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résultat net redevenait positif. Cette amélioration est très largement

imputable aux décisions d'externalisation qui ont permis d'améliorer

le niveau de qualité esthétique des supports et le niveau de qualité

logistique.

En revanche, certains nouveaux problèmes de qualité sont apparus et

le métier de l 'entreprise est en train d'évoluer beaucoup plus rapide­

ment que la culture de ses salariés. Le dirigeant porte un regard lucide

sur ces évolutions : « Nous avons pris la bonne décision en externa­

lisant la logistique. C'était indispensable et cela nous a redonné une

aisance financière qui nous permet aujourd'hui de redéployer notre

offre de formation. Cela transforme complètement l'entreprise et nous

ne faisons plus tout à fait le même métier. Nous pensions que

l 'externalisation consistait à déléguer une partie de nos activités mais

sans toucher au cœur de notre métier. Nous nous sommes trompés.

Couper une branche, c'est changer l 'avenir d'un arbre. En nous sépa­

rant de la logistique, nous savions que nous perdrions en partie la maî­

trise de certains maillons de la chaîne, mais nous ne pensions pas que

cela modifierait également notre cœur de métier. Nous avions considéré

la logistique comme une activité périphérique à notre métier central

qu'est l ' ingénierie de formation et la conception de cours à distance.

Nous n 'avions certainement pas compris que la logistique était aussi

une compétence centrale périphérique ».

Lorsque le dirigeant évoque des signaux négatifs, il fait référence au

sentiment d' isolement et de rupture de la relation qu'ont exprimé de

nombreuses personnes en formation, mais aussi au risque très grave

que l ' entreprise doit aujourd'hui affronter : le prestataire d'imprimerie

est en effet en redressement judiciaire et Formal doit trouver un autre

prestataire en cours d'année. Ce changement d'imprimeur aura évi­

demment des conséquences importantes sur l 'agence de PAO qui devra

peut-être modifier le logiciel utilisé jusqu'à présent et revoir même la

présentation des supports de cours. Par ailleurs, l ' image de marque de

l 'entreprise est en train de changer. Alors que Formal était auparavant

perçu comme un organisme de formation de référence dans ses champs

de compétence, le développement de nouvelles formations et l 'atténua­

tion du lien direct avec les clients donne aujourd'hui l ' impression que

l 'entreprise est passée d'une stratégie de différenciation par la qualité à

une stratégie de volume. Le dirigeant en a d'ailleurs conscience : « Le

problème de notre extemalisation, c'est que nous avons tout changé du

jour au lendemain. Pour que cela reste rentable, il faut que les activités

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Les stratégies d'externalisation Chapitre 6

externalisées portent sur un volume d'affaires important, sans quoi

nous ne pouvons pas négocier avec nos prestataires. Cela nous a amené

ces deux dernières années à faire des choix de développement moins

judicieux. Notre positionnement qualité est remis en partie en cause par

ces développements et nous ne maîtrisons plus totalement notre straté­

gie. Nous avons gagné des clients et amélioré la marge, mais sur le long

terme, nous devons repenser la stratégie en intégrant dès le départ les

contraintes de l 'externalisation. Nous ne l ' avions pas fait et aujourd'hui,

ce sont nos relations partenariales qui déterminent indirectement notre

stratégie. »

Dans le cas de Formal, l' extemalisation entretient un rapport dual

avec le changement. Les évolutions de l 'environnement l 'ont amené à

adopter l 'externalisation comme mode de gestion de ses activités logis­

tiques. En ce sens, c'est bien la volonté de changement de l 'organisa­

tion qui a eu pour conséquence le choix de l ' externalisation. En

revanche, les dirigeants n 'avaient pas anticipé l 'ampleur des change­

ments organisationnels et stratégiques induits par le choix de l ' externa­

lisation. La logistique n'ayant pas été identifiée comme une compétence

centrale de l 'entreprise, les dirigeants n 'ont pas imaginé que la modifi­

cation de la fonction logistique aurait autant d'impact sur le métier

central de l 'entreprise. Ici, le changement environnemental entraîne un

changement organisationnel majeur et délibéré (I' externalisation) qui

entraîne lui-même des changements organisationnels (modification de

l' identité) et stratégiques (de la différenciation vers le volume) émergents

et difficilement appréhendables.

Changements environnementaux

Changement organisationnel

délibéré (external isation)

Changement organisationnel subi

(identité, cu lture)

Changement stratégique subi

(volume)

Figure 6.3 - Mécanismes de cha ngement

L' extemalisation, comme la plupart des décisions stratégiques est

une boîte de Pandore : on sait quand on l 'ouvre, on ne sait ni ce que

l 'on y trouve, ni si l 'on pourra la refermer. . .

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Cha pitre 6 Les stratégies d'externalisation

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E S S E NTI E L

L' externalisation consiste à confier la totalité d'une fonction ou

d'un service de l' entreprise à un prestataire externe spécialisé, pour

une durée pluriannuelle. Celui-ci fournit alors la prestation en

conformité avec le niveau de service, de performance et de respon­

sabilité spécifiés. Ce mode de développement a des effets structu­

rels sur l'organisation initiatrice, tant sur la plan de la gestion

stratégique des compétences qu'au niveau des mécanismes de

contrôle et de coordination. Ce type de stratégie ne va pas de soi et

mérite attention et réflexion, avant de décider d'une telle politique.

Elle pose notamment la question des métiers clés de l'entreprise, de

son modèle de croissance mais également de ses avantages dis­

tinctifs. L' externalisation ne doit donc pas simplement se voir

comme une opération de réduction des coûts mais avant tout

comme une décision qui peut engager durablement l 'entreprise et

avoir des conséquences lourdes sur le développement futur des

sociétés concernées.

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I n dex

A

Actifs spécifiques 74

B

Brevet 9 1 , 108 Business model 60, 62

c

Chaîne de valeur 1 24 Co-création 73, 88 Confiance 72, 74, 1 23 Coopération innovatrice 90 Coopétition 78, 82 Création d' entreprise 65, 85

D

Défail lance 1 28, 1 3 9 Dépendance 8 1 , 1 29, 1 30 Déploiement 9 1 , 1 0 8 Dilemme de l 'innovateur 42 Downsizing 1 20

E

Économies de coûts 1 25, 1 28 Entreprises autonomes 56 Entreprises pressées 57 Entreprises progressives 56 Exploration 44, 45 Externalisation 1 1 5 , 1 1 6, 1 1 9

F

Facteurs clés de succès 6, 20, 49, 59

(i

Grande entreprise 4, 22, 57, 1 22

Imagination 2 1 , 37, 45 Innovation « compétitivité » 32 Innovation concurrentielle 2 1 , 37 Innovation de rupture 32 Innovation incrémentale 3 1 , 36, 40 Innovation ouverte 83, 85, 88 Innovation radicale 32, 40, 44

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Stratégies et cha ngement

1 62

Innovation relationnelle 3-23 Innovation stratégique 35, 40

K

Knowledge based-firms 52

M

Modèle économique 37 Modes de valorisation 96, 97, 1 12, 1 14

N

New technology based firms 52

p

Pilotage 108, 1 10, 123 PME 6, 22, 75 Position concurrentielle 5, 6 Processus entrepreneurial 53 Projets d'entreprises technologiques

55 Proposition de valeur 60 Protection 91

R

Recherche et développement 71, 1 16 Reengineering 120 Règles du jeu 6, 21, 23, 31 , 46 Réseaux d'innovation 73 Révolution stratégique 34, 36, 37 RSE 3 Rupture 25

s

Silicon Valley 57, 74, 80, 86 Sociétés opportunistes 57 Sous-traitance 1 19 Stratégie défensive 105, 1 12, 1 13 Stratégie délibérée 63 Stratégie émergente 63 Stratégie perturbatrice 38, 39

T

Territoires innovants 81

V

Vision 60