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    Serge Da ney

    La Ma ison cinma

    et le monde2. Les Ann es L ib1981-1985

    di t i on tabl i e par Pat r i ce Rol l et ,avec Jean -Clau de Bi ett e et Chr i stophe M anon

    P.O.L33, ru e Sa int -And r-des-Art s, P a ris 6e

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    P.O.L diteur, 2002IS B N : 2-86744-907-3

    www.pol-editeur.fr

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    P AS S ION D E LIMAGE : D E S CAH I ERS DU CI NMA L IBRATIONE NTRETIE N AVEC S E R G E D AN EY PAR M I C H E L C R P U ,

    G ILLES D ELAVAUD , M I C H E L ME SNI L E T OLIVIER MONGIN

    Al l er au cinma, se fai r e un e toi l e expr essi ons cour an tes qui i nd i quent quel e cinma est une expr i ence t rs par t i cu l ir e : u ne pr euve cor por ell e tr ange, unpl ai si r d ont l es pu l si ons dem eur ent u ne terra incogni ta . l except i on de J eanL oui s Schefer1, peu de passi onns de la sal l e en noi r se son t i n ter r ogs sur cet temoti on esthti qu e; pl us r ar es encor e sont ceux qu i se souvi ennen t comme Ser ge

    Daney que l e cinma r ime depu i s touj our s avec enf an ce :

    Dabord, bien sr, la peur. P a ris, a u dbut des a nnes cinqua nte, un cinmaqui pouvait trs bien sappeler le Cyrano-Roquette et un enfant qui navait qudescendre un escalier et rencontrer une rue pour se retrouver au cinma, planqu.J ta is cet enfant peureux.

    On nal lai t pa s voir un fi lm, on a l la i t a u cinma . I l y a vai t un peti t fi lm eti l y avai t l egrand film. Et aussi des actualits Fox-Movietone (quon lisait mau-vitonne), le mur tremblant des rclames du quartier, une suite de Prochaine-

    ment sur cet cran. Et lentracte. Tandis que linutile rideau se refermait en coui-nant sur l cran gr is e t que l ouvreuse fa isa i t entendre son cr i sans i l lus ions(Bonbons, caramels, esquimaux, chocolats), la scne calme horreur se peu-plait par fois de ce quon appelait a lors les at tr a ctions. [...]

    1. J ean Louis Schefer, LH omme ord ina i r e du cinma, C a hier du cinma /G a llima rd, 1980.

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    Les at tr a ctions ne dura ient pa s, les fa nt mes ann onaient vite leur venue dansla sa lle, leur passa ge furtif entre les ra ngs, leur a ppel n otre bon cur. Lenfa nt lesvoyait errer la main tendue, la voix toute change, rels en pleurer. Ces morts-vivant s venus fa ire la m a nche au nom des milliers dobscurs t ombs sur t outes les

    scnes du monde venaient ver s lu i .Que fa i re ? Quelle a t t i tude adopter ? Rentrer sous terre ? Leur lancer un

    regard vide? Donner beaucoup dargent pour qui ls ne reviennent plus jamais?Trop tard. La salle de cinma tait pour lenfant un pige dlicieux et les attrac-tions la pa rtie a mre de ces dlices (plus t a rd, i l dirait : leur r efoul). De t outefaon, le grand film allait commencer, la copie la plus dlabre serait encoresomptueuse, et le noir le plus beau des refuges. Le cinma de la pauvret noustiendrai t quit tes du thtre de la misre et la musique du gnrique du microbonimenteur. Bref, on serait sauvs i r rmdiabl ement. Alors, pour que lobscuritrevienne plus vite, et pa r peur de la lumire et de ses monstr es, on donna it un peuda rgent a ux at tr a ctions. P a s beaucoup (on ta it pauvr es, nous a ussi).

    Cinphile, critique de cinma, jai tabli mon plaisir des images et des sonssur loubli de ce th tr e de la honte. J a i appris jouir de ma peur, puis en jouer,puis en crire 2.

    Tel est dabord l e suj et d e cet ent r eti en avec Ser ge Dan ey vi eux r out i er desCahiers du cinma (l a M ecque de la ci nph i l i e) et l un des cr i ti ques ci nmatogra-

    phi ques du quotidi enLibration

    , le pl ai si r et l a passion du cinma, l eu r s rso-nan ces. Y fon t cho u ne rfl exi on su r l h i stoi r e du cinma, su r l a concur r encedloya l e de la tlvi si on , b i en sr , m ai s aussi de la vi do, etc.

    L a N ouvell e VagueM ichel Mesn i l : Comment les Cah i er s du cinmaont-ils pu jouer ce rle cen-

    tral, moteur, alors que cest quand mme une revue faite essentiellement par desgens qui crivent et non pa r des pra ticiens du cinma ? Comment cett e critur e a-t-elle pu dboucher si rapidement, si fortement, sur une pratique? Quest-ce qui

    aujourdhui pourrait laisser supposer que cela pourrait se reproduire aux Cahiersou a i lleurs ?Ser ge Dan ey :Autr ement dit : est-ce que a sest produit une fois, historique-

    ment et pour des r a isons prcises, est-ce que a va se reproduire ou est-ce quil ne

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    2. Serge Da ney, La Rampe, Ca hiers du cinma /G a llima rd, 1983.

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    sagit pas l dun phnomne cyclique, propre au cinma et qui voudrait quil y aittous les dix ans quelque part dans le monde quatre ou cinq jeunes types, fous decinma, q ui ont besoinde parler ensemble, dcrire, et qui, du coup, bouleversentla science ? Cela sest pass en It a lie la fi n de la guerre, en Fra nce a vec la N ou-

    velle Vague, sans doute (mais dj moins) en Allemagne il y a dix ans. Et entre lenoralisme italien et les jeunes turcs de la Nouvelle Vague, il y aurait une quin-za ine da nnes et u n homme comme B a zin pour fa ire lien. P our lui, le noralismea t une exprience fonda menta le et cest tr a vers lui que les Cahiersont hritde cette exprience, de Rossellini surtout. D a ns le ca s fra nais, un a utr e facteur ajou : lextrme sclrose du cinma officiel, du cinma de qua lit , la redcou-verte aprs la guerre du cinma amricain et l impossibi l i t prat ique pour unjeune de faire un premier fi lm sa ns pa sser par l a pprentissa ge le plus dcervelan tqui soit, lassist a na t. Toujours est-il qu deux r eprises, en E urope, des gens ont pucour t -circuiter la ccs norm a l la m ise en scne.

    Ce qu i a nourri cett e gnrat ion de la Nouvelle Va gue, cest un curieux mlan gedlitisme et de populisme (qui me parat trs franais). Cest un fil que lon peutsuivre tout a u long de lhistoire des Cahierset q ue lon peut crit iquer, bien sr. Moi, jeme sens videmment pris l-dedans, dans cette difficult sintresser la voiemoyenne. B on. Quest-ce qui ta it litist e da ns cett e a tt itude ? Que des gens quia va ient une culture plutt litt ra ire, ma is pas t rs pousse (le ba c, peine plus), aientdfendu la pa rtie la plus cr i tedu cinma franais : Renoir, B resson, Cocteau etmme Guit ry et P a gnol, cont re le cinma de qua lit qui ta it fond sur une concep-tion acadmique de la da pta tion littra ire . Les ttes de turc de Truffaut sesdbuts sont les deux grands adaptateursde lpoque, Aurenche et B ost. Or, pour lesgens qui ont fait les Cahiers, et cela toutes les poques, il fallait que le cinmaprenne le texte littraire bras-le-corps, que limage se coltine le verbe en passantpar-dessus la mdiat ion de la da pta tion. Les gens de la Nouvelle Va gue, une fois pas-ss derrire la camra et mme qua nd ils se sont ncessairement loigns les uns desautres, ont fait et font encore aujourdhui un cinma o lcrit, la parole, le texte, leverbe et ses accents sont essentiels. Rohmer, Rivett e, Eusta che, Godar d sont, m me

    en puissance, de grands criva ins. Demy est un parolier gnial. Ils pensaient t ousquil ta it a berra nt de spa rer scna rio, ada pta tion, dialogues et m ise en scne. Toutcela devait venir dun m me mouvement et se lier orga niquement . E n ce sens, ce sontde vra is a uteurs . E t en ce sens, ils sont litist es. En ce sens, seulement.

    Pour ce qui est du populisme, il faut aller voir du ct de lAmrique. Ctaita imer da ns le cinma a mrica in la par tie mineure, mprise, prolta rise , la

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    srie B, les films o des cinastes avaient russi imprimer quelque chose de per-sonnel, de singulier, dan s des condit ions de t ra va il la chan e o le rle du direc-teur ta it pour le moins trs minoris. Les gens de la Nouvelle Va gue na ima ientpas t rop Wyler, Huston, Zinneman n, St evens, Wise ou mme Ford (ma is pour ce

    dernier, i ls a va ient tort), et i ls dcouvra ient Nichola s Ra y, S a muel Fuller, Anth onyMa nn, D ouglas Sirk. Ou a lors, i ls valorisaient l extr me des cinastes considrscomme des marchands de soupe, comme Hitchcock, ou de bons faiseurs, commeHoward Hawks. On faisait comme sils taient aussi importants que, disons, Cha-tea ubrian d ou Heidegger. P ure provocat ion !

    l i ti sme et popul i smeM ichel M esn i l : Comme ltude de la littrature elle-mme, celle du cinma

    da ns les un iversits est devenue de plus en plus formelle. Or, pour moi, ce sont lesCahiersqui, les premiers, ont appris aux gens que le cinma tait avant tout delordre du formel. Ne consta te-t-on pas q ua ux ta ts-U nis, o, de toute fa on, il nya vait pas eu, ava nt l underground, de cinma lita ire, celui-ci et mme tout cinmaintellectuel est impossible ? Da ns ces conditions, comment a ura it-on pu allerchercher ce qui tait intressant ailleurs que dans le cinma qui ne singeait paslintellectualit, le plus dpourvu dintentions autres que commerciales? Comme silAmrique tait voue au cinma populaire et la France, parce quelle a une cer-ta ine structure menta le, voue au contra ire un a utre cinma ?

    Serge Daney :Ce nest pas tout fait incompatible parce que si l on prend

    lexemple des films de srie B amricains, plus ils sont B, plus ils sont fauchs, etplus ils sont contraints de sinventer des codes trs stricts pour raconter quandmmedes histoires. Un film dAllan Dwan, cest trs intellectuel, dans le sens o il ya un t ra va il intellectuel intense da ns le bricola ge, dan s la gestion dune conomie dela pauvret, dans la rsolution trs rapide des problmes concrets. Un peu le cinmaque fait Luc Moullet a ujourdhui. En ce sens, les Cahierspost-Nouvelle Vague onta nticip sur une prat ique qui a ensuite fait des ra vages luniversit : tudier desfi lms de srie, hypercods, les dcoder et dir e : rega rdez comm e ils sont bea ux. Dun

    ct , on sa is i t le c inma dans ses express ions les p lus conscientes , les p lusa rt istes , Coctea u, B resson, Visconti, lE urope, et d e la ut re on le surpr end tr etrs compliqu dans ses expressions les plus mineures, mercantiles, inconscientes.

    J e me souviens de mon premier voyage a ux t a ts-U nis, avec la politique desa uteurs bien en tte et l intention de ra mener des scoopspour les Cahiersjaunes.Tous, que ce soit McCa rey, H a w ks, B rooks, Tourneur, disa ient la mme chose : J e

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    ra cont e une hist oire, je veux t oucher le public, il fau t que lhistoire soit bonne, q ueles a cteurs jouent bien quil y ait du m ouvement, de lmotion Dpriman t. Onavait le sentiment que les hommes qui avaient fait des films qui nous semblaienttrs labors, qui jeta ient sur leur pa ys un drle de regard en coin, a u bord de la

    dissidence (Ray, Fuller) ou de lexil intrieur (Tourneur, Sirk), ne pouvaient pasentrer da ns notre discours. Il y a vait l un giga ntesque ma lent endu, presque drle.En y repensant, je me dis, comme Rivette, quen art ce sont les malentendus quisont product i f s et que c ta i t bien comme a . Aujourd hui , ce ma lentendunexiste plus (sauf pour J erry Lewis) : la l imite, le dernier fi lm de Fuller peuttrs bien fa ire la une du Monde.

    M ichel M esn i l : Ne peut-on dire cependan t que les jeunes q ui nont pas fa itune exprience du type de celle de la Nouvelle Vague (que je crois unique danslhistoire du cinma) et qui ont fond aux tats-Unis la production indpendante(Coppola , S pielberg, Lu cas, etc.) par a issent t out de mme infi niment plus intel-lectuels que ne l ta ient leurs ans et t iennent des discours assez di f frentslorsqu ils pa rlent de leur fi lm ? Comme sils ava ient t convertis a ux Cahiers, l a mricaine, bien sr, et vingt a ns a prs

    Ser ge Daney : L , on peut dire q ue la boucle est boucle. Les cinast es dont jeparlais ne savaient pas ou ne pouvaient pas ou ne voulaient pas parler de leursfilms avec dautres critres que ceux de lpreuve de vrit que reprsente la car-rire commerciale dun produit aux tats-Unis. Je revois encore Cukor, un hommetrs rus cependan t : impossible de lui fa ire admett re que

    Sylvi a Scar letttait son

    plus beau film pour la simple raison quen 1935 ce film navait pas march. Onavait le sentiment quil le faisait un peu exprs, quil se moquait de nous. Maisvingt ou trent e ans a prs, les Spielberg, Coppola, DeP a lma ont digr la cultureeuropenne de cinma. I ls ont int gr un hrita ge-Cahiersrevu et corrig par euxpour refaire un cinma amricain des derniers jours, cest--dire archaque. L aGuerr e des toi l esou E.T. sont des films mythologiques. Cest lAmrique blanchequi se reconst itue en ce moment, sous nos yeux. Il suffit d e voir un homme commeP aul Schrader (qui a cri t un l ivre trs intel lectuel sur Ozu, B resson et Dreyer)

    requinquer, gr ce a ussi ce savoir, toute la gr a nde ma chine purita ine de la fi ctiona mricain e, bien-pensa nt e et cochonne. Ou i, la boucle est boucle.

    Bazin et l e r apport lH istoir eM i chel M esn i l : Au fond, les Cahiersont jou un rle vraiment extraordi-

    naire. Ce nest pas seulement une boucle qui se boucle par hasard, il y a tout de

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    mme une influence relle, tonnante, des Cahiers, et qui dpasse trs largementce quon a tt end gnralement dune revue. Les gens qui se retr ouva ient l-dedans,comment ont-ils form cett e espce de creuset ?

    Serge Daney :L , on est d a ns la myt hologie pa rce que cela, je ne la i pas vcu.O l i vi er M ongi n : Mais q ui ta i t donc Andr B a zin et comment a -t-i l conu

    laventure des Cahiers? Il devait tre un peu charismatique sur les bords pourquon en fasse le pre de la Nouvelle Vague

    Ser ge Daney : J e ne sais pa s. Cest plutt vous qui l a vez connu, Espr i t .M i chel M esn i l : B azin tai t un cha rismatique, je crois . I l insufflai t son feu

    sacr pour le c inma tout le monde. Mais en dehors de a , l a pol i t ique desa uteurs t a it dabord une politique, une str a tgie concerte

    Ser ge Daney : Il fa ut oser le dire tout de suite, les Cahiersont eu de linfluenceen ta nt quils ont toujours t t ents par le dogma tisme. P our le meilleur et pour lepire. Disons quil y ava it t oujours une ide du cinma ( dfendre ou fa ire) a ucur de ce creuset. Ce qui est intressant, cest que ce dogmatisme na jamaisconst itu chercher une sort e de puret du cinma (une spcifi cit , si lon veut )ma is plutt confronter le cinma a vec ce qui se passa it ct de lui ou da ns sesmarges. Il y a une histoire de ces marges. lpoque de Bazin, ctait le rapportcru l Hist oire parce que l Hist oire ta i t encore t ide, et ce ra pport , Ba zin l apens et thoris dun point de vue radical et spiritualis. lpoque de la Nou-velle Va gue, lorsque Rivett e a commenc crire, par exemple son t exte a dmira bleint itul Lett re sur Rossellini , o il dit a voir d couvert q ue la tlvision a ussi estun langage, i l y a eu cette intuit ion que le cinma pouvait bien, comme dirai tDura s plus ta rd, a ller sa perte ma is qui l entretenait un dialogue de plus enplus serr et pa ssionna nt a vec les au tres a rts et les aut res mdia s. Cela n a ja ma iscess dtre prsent chez Godard. Bon, aujourdhui il est possible que linfluencedirecte de la Nouvelle Va gue sur le cinma qui se fa it soit rsorbe : le cinmadominan t en Fr a nce veut r evenir la quali t , la division du t ra vai l entrecinma togra phique et litt ra ire , un a cadmism e cert a in

    Retour la m yth ologieM ichel M esn i l : Cest ce que ja ppelle le ret our du n a rr a t if , cest - -dire ler e t ou r u n c od e d e n a r r a t i v it c om p l t e m en t s t r ot y p . C t a i t C a y a t t e e ta ujourdhui cest B oisset, Lelouch.

    Serge Dan ey :Linfluence de la Nouvelle Vague est nanmoins norme. Parexemple, la P olitiq ue des a ut eurs a eu un t el succs quelle cont inue t re pra -

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    tique alors que de vrais auteurs, i l y en a quand mme assez peu. Il faut sat-tendre un retour de b ton a nt i-intellectua liste, a nti-a uteurs, y compris de la par tde ceux qui croyaient bnficier de ce label galvanis et que lorganisation de laproduction remet aujourdhui dans des rles dexcutants ou, plus simplement, de

    ra lisa t eurs .E t puis, linfl uence de la Nouvelle Va gue, cest peut -tre a illeurs q uil fau t la

    chercher, la tlvision par exemple. Cest trs curieux de voir que beaucoup detrucs (B resson fi lmant le dos de ses acteurs , G odard faisant exprs des faux rac-cords, le son direct dchan de Rivette) qui taient des faons violentes, mmevolonta ris tes , de dire non a u cinma a ncien sont devenus des a utomat ismesinconscients , une part ie normale de la rhtorique tlvisuelle. Les inf luencessexercent toujours de bia is.

    Cela fa it r fl chir ce quon a ppelle pa r commodit lhist oire du cinma . Ily a une par tie du cinma , une petite pa rtie, qui nous est essentielle, vita le, pa rceque nous a vons gra ndi son ryt hme et q ue, comme nous, elle a une hist oire .Moi, par exemple, les deux films qui mont le plus profondment branl lorsqueja i commenc me s ent ir cinphile , cest H ir oshim a mon amouret Pickpocket.Je sais que ces films ont chang ma vie et chang aussi le cinma. Et en mmetemps, je me demande si le cinma nest pas, dans sa masse, un art sans histoireou du moins avec une histoire temporalit trs lente. Les formes ont une his-toire. Les cinastes qui changent les formes font rarement les grands succs com-merciaux mais, en revanche, influencent

    tousles aut res cinas t es : Eisens te in ,

    Welles, Rossellini, Br esson, G odar d. Ma is le cinma norma l repose sur la cteuret il y aura toujours beaucoup de gens pour aller voir tel corps de tel acteur, quelque soit le mdium. Cest indpassable. Il y a une histoire des styles de jeu, unehist oire des corps mme, m a is ce nest pa s la mme q ue celle des form es . E n cesens, il ny a pas de diffrence fondamentale entre L As des aset un sous-Feuillad edes a nnes dix. Tout ce qui est du doma ine de la performa nce cha ppe forc-ment une histoire propre du cinma et reste impur.

    Cest pourquoi la question que les gens commencent se poser nest pas

    celle du devenir du cinma ma is de la mort vent uelle de cett e (petit e) par tie ducinma qui, elle, a une histoire, qui transmet la secousse sismographique de cequi se pa sse ailleurs, a u mme moment, da ns le rel . J e prends un exemplercent : la P ologne. B on, tout le monde verse des lar mes, les journa ux font desnumros hors-srie (comme L i brat i on), on ne parle que de a. Voil que Wajda,qui est un bon cinast e et un vr a i opport uniste, fait LH omm e de feret que le fi lm

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    est couronn Ca nnes. U ne fois distribu, le film est un chec commercial. Rela-tif , mais un chec quand mme. Donc, un tmoignage-document chaud sur laPologne, f ilm par le cinaste-vedette de ce pays, laisse indiffrent. Un an plustard, mme chose avec Travai l au noi rde Skolimowski, film trs aim de la cri-

    tiq ue Ca nnes, m on avis trs suprieur celui de Wa jda , raction cha ud duna rt iste polona is a u dra me de son pays quil reconstitue de l extrieur. Mme semi-chec. Quest-ce que cela veut dire ? Que le show t lvis de Rea ga n en mondiovi-sion est la seule transcription ressentie comme contemporaine de l vnement,ma is pa s les fi lms.

    Nest-ce pa s le symptme quon nat tend plus du cinma quil tr a va ille et q uilsoi t t ra vai l l , cha ud, pa r l vnement ? Est -ce que cest la tlvision qui grelvnement ? Est -ce que ce que lon at tend du cinma cest, du ct am rica in, unretour la mythologie (la mythologie comme culture) et, du ct europen, la ges-tion culturelle de luxe, genre G a umont (la C ultu re comme myt hologie)?

    M ichel Crpu :E st -ce que ce nest pa s une q uestion de vitesse de comm unica-tion ? Si on reprend lexemple de la tlvision, les gens a tt endent que lvnementa rrive le plus vite possible sur eux. Avec le cinma , il faut a tt endre.

    Serge Dan ey :Et encore, je parla is de Wa jda qui est presque un cas-limite,quelquun qui a t capable dtre sur l vnement. Je ne parle pas de ce quonnose plus a ppeler le tiers-monde , du cinma dAfriq ue noire, pa r exemple,parce quil parat vident quil ny aura jamais de cinma l-bas. Des films oui,mais pas de cinma. Une bonne partie des choses qui se passent sur terre nestplus voueau cinma .

    Gi l l es Delavaud :Il y a peut-tre un symptme du mme phnomne : il y aun certain nombre de fictions, depuis sept ou huit ans, qui prennent comme objetl vnement et les mdias, quil s a gisse du fi lm de S chlndorff sur le Liban ou desfilms amricains qui parlent de la tlvision, etc. Cette mdiation opre par latlvision devient u n enjeu et un objet fi ctionnel.

    Serge Daney :La question est donc : le cinma a -t-il aujourdhui les moyensde faire la critique de la t lvision ? Cett e critiqu e peut-elle intresser un va ste

    public? Les inventeurs de formes daujourdhui sont plutt des cinastes du deuil.Sy berberg, G odar d, mme Ruiz. Ils ont fa it leur deuil de lint ervention cha ud .Le cinma est peut-tre bien plac historiquement pour faire ces deux choses enmme temps : an a lyser la tlvision et sa isir l Histoire dans sa dimension de deuilimmdiat. La question de savoir sil faut filmer Barbie la tl devient, du coup,trs intressante.

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