Redéfinir les frontières du surendettement: Quel problème ...

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HAL Id: hal-01459820 https://hal-sciencespo.archives-ouvertes.fr/hal-01459820 Submitted on 13 Jun 2017 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Distributed under a Creative Commons Attribution - ShareAlike| 4.0 International License Redéfinir les frontières du surendettement : Quel problème pour quel public ? Jeanne Lazarus, yohann Morival To cite this version: Jeanne Lazarus, yohann Morival. Redéfinir les frontières du surendettement : Quel problème pour quel public ?. LIEPP Policy Brief, Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP, Sciences Po), 2016, 10.25647/liepp.pb.26. hal-01459820

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Submitted on 13 Jun 2017

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Redéfinir les frontières du surendettement : Quelproblème pour quel public ?

Jeanne Lazarus, yohann Morival

To cite this version:Jeanne Lazarus, yohann Morival. Redéfinir les frontières du surendettement : Quel problème pourquel public ?. LIEPP Policy Brief, Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques(LIEPP, Sciences Po), 2016, 10.25647/liepp.pb.26. hal-01459820

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RÉSUMÉpar Jeanne Lazarus

26septembre 2016

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Redéfinir les frontières dusurendettement : Quelproblème pour quel public ?

The evolutions of fight against over­indebtedness policies constitute a primaryobservation point of the fight against poverty: the over­indebted populationtransforms in parallel with the transfers of socioeconomics misfortunes perceivedas justifiable. The implementation by Points council budget (PCB), an ongoingpublic policy experimentation, indicates a considerable innovation: the inclusionof banking related questions in the framework of the fight against the over­indebtedness. The preventive approach promoted by the PCB comes along withthe redefinition of the targeted population by the fight against the over­indebtedness policies. By focusing on the fluctuating borders of over­indebtedpopulation and on its consequences, we describe the complexity of designing apublic policy without a clearly defined targeted population.

* Les auteurs adhèrent àla charte de déontologie du LIEPPdisponible en ligne et n'ont déclaré

aucun conflit d'intérêt potentiel.

[email protected] Lazarus est

chargée de recherche au CNRS,membre du Centre de

Sociologie des Organisations.Ses recherches portent sur les

effets de la financiarisation surles économies domestiques.

Les évolutions des politiques de lutte contre le surendettement constituent unposte d’observation privilégié de la lutte contre la pauvreté : la figure dusurendetté se transforme parallèlement aux mutations des malheurs socio­économiques perçus comme légitimes. L’entrée par les Points conseil budget(PCB), un dispositif d’action publique actuellement en expérimentation, signaleune innovation notable : l’inclusion des questions bancaires dans la lutte contre lesurendettement. L’approche préventive promue par les PCB s’accompagne d’uneredéfinition des publics visés par la lutte contre le surendettement. En insistantsur les frontières fluctuantes de la figure du surendetté et sur ses conséquences,nous décrivons la difficulté à penser un dispositif d’action publique sans publicclairement identifié.

IntroductionLa lutte contre le surendettement constitue en France un domaine d’action publique

relativement récent. La première loi sur le sujet, appelée loi « Neiertz », date de 1989. Cettelutte est progressivement devenue partie intégrante de la politique sociale, en témoigne laplace importante qu’elle occupe dans les lois de 1993 (loi « Aubry »), 2003 (loi « Borloo »),2010 (loi « Lagarde ») ou encore 2013 (loi « Hamon »). Par exemple, l’« inclusion bancaire etla lutte contre le surendettement » était l’une des thématiques du plan pluriannuel de luttecontre la pauvreté et l’exclusion sociale lancé en janvier 2013. À cette occasion estformalisé le projet de Points conseil budget (PCB), dispositif devant prévenir lesurendettement en agissant en amont afin, entre autres, de réaliser des conciliations avec lescréanciers.

Loin de n’être qu’une confirmation des investissements dont fait désormais l’objet lalutte contre le surendettement, les PCB éclairent ses nombreuses recompositions.L’attention portée au contrôle du « malendettement », catégorie aux contours flous, indiqueque les PCB sont également pensés comme devant être un outil de prévention, voire d’«anticipation»[1], des difficultés budgétaires. La multiplication des catégories dérivées dusurendettement participe de la redéfinition à la fois des modalités de la lutte contre lesurendettement et du public concerné. Les moyens et les dispositifs diffèrent selon qu’il

Yohann Morival

[email protected]

Yohann Morival estdocteur en science politique et

post doctorant au Centre deSociologie des Organisations.

ABSTRACT

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Redéfinirlesfrontièresdusurendettement:Quelproblèmepourquelpublic? s’agisse de lutter contre le « surendettement », de

prévenir le « malendettement » ou de limiter l’«endettement actif». Ces tensions sont au cœur dece policy brief qui, à partir des PCB, interroge lesdynamiques structurant la définition du publicd’une action publique.

Les évolutions de la définition dusurendettement

La figure du surendetté incarne, pourchaque période, les malheurs socio-économiquesidentifiés par la société. Depuis la loi Neiertz de1989, les catégories de perception dusurendettement n’ont cessé d’évoluer en fonctiondes transformations de la définition despopulations cibles, des modes d’intervention jugésefficaces, et des modes de légitimation d’uneintervention publique destinée à soulager de leursdettes des personnes les ayant librementcontractées. Ainsi, surendettement actif/passif,accidents de la vie, malendettement, sont une sériede termes qui tous visaient à construire lesurendettement légitime, celui dont la sociétéestime que la responsabilité n’incombe que trèspartiellement au débiteur, victime d’une mise auchômage, d’un problème de santé, d’un brusquechangement familial voire de crédits inadaptés,destinés à le mettre en difficultés (Plot 2009). Laloi Neiertz a été votée en réponse à la montée duchômage et à la fin de l’inflation qui avaitbrutalement augmenté le prix réel des créditsimmobiliers souscrits dans les années 1970 (Lacan,2013) ; au moment de la loi Borloo en 2003, lanotion centrale de « situation irrémédiablementcompromise » témoigne d’une période où la criseéconomique est perçue comme structurelle. Lelégislateur considère alors qu’une partie de lapopulation est structurellement vouée à une formede pauvreté monétaire.

L’évolution de ces catégories conduit à deschiffrages variables du nombre de personnestouchées par les problèmes financiers : le chiffreadministratif du nombre de plans desurendettement en cours est le plus restreint,quand le terme de « malendettement », beaucoupplus vaste, peut aller jusqu’à intégrer des ménagesaffirmant avoir du mal à rembourser leurs crédits

même s’ils n’ont jamais eu d’incidents de paiement.Le Fichier des incidents de remboursement descrédits aux particuliers (FICP) recense quant à luiles personnes ayant rencontré des incidents deremboursement caractérisés et qui y sont inscritespour une durée de 5 ans. Le cadrage employé pourcaractériser le problème de l’endettement a deseffets importants sur la population concernée.

Les enjeux du chiffrage sont multiples :points d’appui à la dénonciation de l’urgence detraiter le problème, ces estimations orientent leregard de l’action publique vers des catégoriesdifférentes de la population. Le surendettementtouche-t-il des populations structurellementpauvres monétairement ? Des classes moyennestouchées par le chômage ? Des classes moyennesqui travaillent mais ont du mal à payer leurscharges ? Autour de ce repérage dusurendettement des catégories comme celles des «travailleurs pauvres », des « classes moyennesfragiles » sont mobilisées par les différents acteurstravaillant à alerter sur les problèmes et à lesrésoudre en orientant les politiques publiques. Ils’agit souvent pour eux de lutter contre l’idée quele surendettement serait un avatar de la pauvreté,mais qu’au contraire, il touche des personnes quiont accès au crédit et dont les revenus devraientles autoriser à revendiquer légitimement un accès àla consommation « normale ».

[2] D’après les chiffres de Georges Gloukoviezoff (2010).[3] Selon le Rapport d'information n° 445 (2007-2008) de M.

Bernard SEILLIER, fait au nom de la Mission communed'information pauvreté et exclusion du Sénat, 2 juillet 2008.L

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Qu’est-ce qu’un PCB ?

L’expérimentation des Points conseil budget a été lancée le 29 février 2016 dans quatrerégions pilotes (les Hauts de France, le Grand Est, l’Ile d France et le Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées). Les PCB sont un dispositif en phase d’expérimentation, qui sous un labelpublic, regroupe des points d’accueil proposant des conseils et une éventuelle médiation avecles créanciers. Ils sont destinés à recevoir toute personne ayant une difficulté budgétaire.

Tableau 1: Les multiples catégorisations dusurendettement

[1] http://social-sante.gouv.fr/grands-dossiers/lutte-contre-la-pauvrete-et-pour-l-inclusion-sociale/PCB

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www.sciencespo.fr/lie

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Le niveau de consommation socialementlégitime en fonction de son revenu est l’un deséléments essentiels des évolutions des définitionsdu surendettement. L’enjeu est de savoir dansquelle mesure il est socialement légitimed’enjoindre à la restriction des personnes salariées– donc officiellement socialement intégrées – dontle niveau de revenu ne leur permet pas de répondreà des aspirations de consommation « moyennes »,dans une société où l’inclusion sociale passe engrande partie par l’accès à la consommation(Lazarus 2006).

A quel problème les PCB répondent­ils ?

Les PCB sont à la fois des outilsd’accompagnement de personnes ayant desdifficultés financières et de médiation avec lescréanciers. Longtemps, la procédure desurendettement était purement administrative, lessalariés de la banque de France ne traitant qu’avecdes professionnels (créanciers, juges,éventuellement travailleurs sociaux), quandl’accompagnement des surendettés, s’il était assuré,relevait du travail social ou associatif, sans mise enréseau entre les deux mondes. Les PCB sontpensés comme un moyen d’intervenir en amont dela procédure, avant que les problèmes ne soienttrop importants, qu’il s’agisse de donner desconseils aux usagers pour limiter leurs fraisbancaires ou choisir un crédit par exemple, maisaussi pour négocier avec des créanciers de toutesorte (banques, établissements de crédits, bailleurssociaux, fournisseurs d’énergie, téléphonie, etc). Ilspeuvent aussi être un interlocuteur en aval, pouraccompagner les débiteurs tout au long du plan desurendettement, dont le respect implique desdépenses contraintes pendant de longues années[4].

En ce sens ils sont au croisement de laprocédure de traitement du surendettement et despolitiques sociales et témoignent donc d’uneévolution dans la perception de ce que doit êtrel’intervention publique sur le surendettement, quine se limite plus à un calcul des possibilitésfinancières des usagers mais considère que lespersonnes ont besoin d’un soutien technique. C’estpourquoi l’un des volets de la mise en œuvre duprojet sur lequel insistent ses promoteurs est laformation des modes d’intervention jugésefficaces des travailleurs sociaux en charge del’accompagnement budgétaire, afin d’améliorerleurs savoir-faire techniques de conseils et demédiation. Toutefois, à l’heure actuelle cetteformation ne fait pas l’objet d’un plan centralisémais doit être organisée par chaque PCB.

L’objectif de cette politique, offrir un servicehomogène à l’ensemble de la population, paraîtd’autant plus délicat que les structures impliquéesont des moyens et des façons de travaillermultiples. En ce sens, le développement d’unepolitique de formation pourrait être envisagée.

Faire des questions financières unecomposante de l’inclusion sociale

Les PCB peuvent être considérés commele symbole de l’institutionnalisation de l’inclusiondes questions bancaires dans la lutte contre lapauvreté. Contrairement à d’autres pays, la France alongtemps dissocié les questions financières etl’accompagnement social. Cela peut semblerparadoxal dans un pays au taux de bancarisationdes ménages qui atteint 99 %, mais les relationsavec la banque, l’utilisation des moyens depaiement comme des crédits ou de l’épargne

n’entraient pas dans le champ de la lutte contre lapauvreté. A l’heure actuelle les produits financiersproposés aux ménages font l’objet de validation etsurveillance réglementaire par l’autorité desmarchés financiers, voire par les services deprotection des consommateurs et inversement, lesservices s’intéressant aux finances des ménages –les services sociaux donc – sont quant à euxchargés de s’assurer de l’accès aux droits, avec assezpeu d’exploration des budgets des personnes. L’unedes explications principales de cet état de fait estl’existence d’une protection sociale collective, quiexplique que l’État français – contrairement à seshomologues anglo-américains notamment, maispas seulement – n’a longtemps pas considéréqu’apprendre aux citoyens à se servir des produitsfinanciers (choix de placements, d’assurances, decrédits ou de moyens de paiement) relevait de sondevoir de protection et encore moins que cesquestions pouvaient faire l’objet de politiquessociales.

Pourtant, depuis une dizaine d’années, lethème de l’exclusion bancaire a pris del’importance, faisant émerger l’idée que l’usage desproduits financiers pouvait être la source dedifficultés propres, distinctes du seul niveau derevenu. Produit de cette évolution, le modèle des

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[4] Le Crédit Municipal de Paris, qui a été désigné comme PCB, a développé depuis 2012 un programme pilote (Point Solution Surendettement)

à Paris en lien avec la Banque de France, d’accompagnement des surendettés en aval de la procédure, et revendique une forte amélioration du

respect du plan pour les personnes suivies.

“Les PCB peuvent êtreconsidérés comme le symbole

de l’institutionnalisationde l’inclusion des questions

bancaires dans la lutte contrela pauvreté”

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PCB vise à « mettre tout le monde autour de latable », non seulement pour gagner en circulationd’informations sur chaque dossier, mais égalementpour que les logiques des différents acteursimpliqués soient prises en compte dans lesprocessus.

L’accent mis sur un dispositif nonstigmatisant

En lien avec l’inclusion des questionsbancaires dans la lutte contre la pauvreté, ladéfinition et le suivi des PCB fédèrent une grandediversité d’organisations. S’y côtoient desreprésentants des créanciers, parmi lesquels lesfédérations professionnelles des banques et descompagnies financières, et ceux d’associations,comme le Secours catholique, la Croix rouge oul’Union nationale des associations familiales(UNAF). Participent également à ces travaux desreprésentants d’organisations investies dans lamédiation des dettes, comme CRESUS (Chambrerégionale du surendettement social), et desreprésentants des centres communaux ouintercommunaux d'action sociale. Outre ladiversité des positionnements qui existent entrecertaines de ces organisations, ces différentsgroupes sont également structurés par des intérêtsdivergents : si certains représentants de banquetrouvent un intérêt au projet des PCB qu’ilssoutiennent, d’autres s’y opposent, de même pourles membres d’associations, à chaque fois pour desraisons distinctes.

Au sein de l’État, le positionnement de lalutte contre le surendettement au croisement despolitiques économique et sociale, complexifiel’identification d’un « propriétaire de cette cause »(Gusfield 2009). Il est impossible de circonscrireun service ou même un ministère qui pilote leprojet des PCB avec continuité depuis le premiergroupe de travail sur le projet en 2013. Porté àl’origine par la Direction générale de la cohésionsociale (DGCS), le projet des PCB est ensuiteconfié au Contrôle général économique etfinancier (CGeFI) où plusieurs fonctionnairess’investissent dans la redéfinition du projet. Il estdans un troisième temps à nouveau confié à laDGCS : une équipe distincte de celle chargée del’étape initiale est alors chargée de suivre la mise enplace du dispositif. Les PCB sont ainsi du ressortde quatre secrétaires d’État, ce qui ne facilite pas leprocessus décisionnel. La lutte contre lesurendettement est une action publique auxcontours flous et mouvants (Plot 2011), ce qui enfait un enjeu particulièrement utile pour saisir laredéfinition des catégories de l’action publique.Dès lors, compte tenu de cette grande diversitéd’acteurs, comment se produit un accord sur lerôle à confier aux PCB ?

L’un des leitmotivs des acteurs impliquésdans la création des PCB est de toucher despopulations qui habituellement ne fréquentent pasles centres sociaux, dont les revenus se situent au-dessus des barèmes des minima sociaux, mais quirestent trop peu fortunées pour faire face auxcharges de la vie courante. Selon l’une despersonnes particulièrement investies dans leurconception, l’objectif des PCB est de « faire venirdes personnes en difficultés ou en risque d’être endifficultés ». Difficilement objectivable, le « risqued’être en difficulté » constitue un point deconvergence important.

Les PCB sont construits en partie commedistincts des structures d’action sociales. Ilsdoivent se différencier de ces derniers par leurcapacité à être un dispositif « non stigmatisant »,c’est-à-dire une structure où les « classesmoyennes » pourraient se rendre sans gêne. Cequalificatif de « non stigmatisant » est sans doutel’un des plus employés par les différents acteursrencontrés. Un fonctionnaire axe ainsi saprésentation sur la nécessité « de ne pas avoir unmessage stigmatisant, anxiogène, qui poussejustement la fameuse classe moyenne à éviter d’yaller ». L’argument sur l’absence de stigmatisationest d’autant plus efficace qu’il est légitimé ailleurs.Parmi les critères de réussite des Money Adviceand Budgeting Service (MABS) irlandais, qui onten partie servi de modèle aux PCB, un rapportréalisé au nom de la Commission européenneinsiste sur l’absence de stigmatisation .

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Redéfinirlesfrontièresdusurendettement:Quelproblèmepourquelpublic?

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L’accent mis sur la « non stigmatisation »participe de la promotion d’une acceptionparticulière de la lutte contre le surendettement quiconsidère que tout citoyen est un surendettépotentiel. Prévenir le surendettement serait doncune urgence sociale, discours congruent avecl’actuel intérêt public pour l’éducation financièrequi souligne les risques financiers qui pèsent surl’ensemble de la population et la nécessité deréformer les comportements individuels pour yfaire face (Lazarus, 2016).

Cette vision s’écarte d’une approche plusstructurelle du surendettement qui détermine sonorigine dans un manque de ressources financières,ou dans des évènements extérieurs à la volonté desdébiteurs. Cette dimension n’est pas totalementabsente des débats, un responsable associatifprécise que « La question de la difficultéstructurelle des budgets, c’est la cause premièrepour moi de la pauvreté, or elle n’est pas traité dansle plan de lutte nationale contre la pauvreté, saufsous l’angle il faut revaloriser un peu le RSA qui adécroché par rapport au SMIC ». Les tenants decette approche se retrouvent dans le discours « nonstigmatisant » pour une autre raison : ils insistentsur la nécessité de développer des actions endirection d’un nombre de plus en plus importantde travailleurs pauvres – catégorie aux contoursflous qui peut sans difficultés être associée à celledes « classes moyennes » évoquées plus haut. Ilsestiment important de mener des actions vers ce «nouveau » public qui peut avoir des réticences à setourner vers les structures installées de l’actionsociale.

ConclusionLa « non stigmatisation » est au cœur de la

production d’un consensus entre des acteursportant des analyses différentes du surendettementet des difficultés financières. Cette définition aussifloue qu’inclusive favorise l’obtention d’un accord,différents acteurs pouvant y projeter leurs priorités.La difficulté posée par cette approche préventivecentrée sur « la classe moyenne » est de circonscrirele public visé. En partie constituée à partir destructures d’action sociale existantes, rien ne ditque les PCB trouveront ce nouveau public.A bien des égards, ce public flou réduit lespossibilités de mise en action : le dispositif peut-ilse limiter aux « classes moyennes » ou doit-ils’adresser également aux populations plus fragilesqui rencontrent des problèmes bancaires ? Quellecomplémentarité organiser avec la procédure desurendettement ? Comment proposer en même

temps une approche bancaire et une approchesociale sans que l’une des deux dimensions nel’emporte ?

Les effets de ce dispositif, qui rappelons-len’existe que depuis le mois de janvier, ne peuventpas encore être mesurés à travers l’impact sur lespersonnes qui le fréquentent, mais ils sont notablesquant à la transformation de la définition de la luttecontre le surendettement, et peut-être sur laprocédure de surendettement elle-même. En effet,la Banque de France a depuis 1989 circonscrit sonintervention aux mesures administratives, n’entranten contact qu’avec les créanciers etexceptionnellement avec les débiteurs. Le suivisocial de ces derniers relevait pour la Banque deFrance uniquement du travail social et la concernaitde très loin. Les liens entre ces deux faces dutraitement du surendettement se sontprogressivement resserrés. Ces mutations, dont lesPCB sont un symbole, insèrent les débiteurs dansun réseau de prise en charge plus dense ayantvocation à agir bien plus en amont. Cetaccompagnement à la temporalité de plus en plusétendue transforme doublement l’activité desintervenants sociaux, publics comme associatifs, ensuscitant de nouvelles pratiques de conseil et enmodifiant les rapports avec les créanciersdésormais également partie prenante de ladéfinition des finalités de l’action. Alors que jusqu’àprésent les travailleurs sociaux disposaient de peude ressources pour fournir un conseil budgétaire, laréussite des PCB paraît corrélée à leur capacité à enacquérir, gage d’expertise et d’homogénéité

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“La difficulté posée par cetteapproche préventive centréesur « la classe moyenne » est

de circonscrire le publicvisé"

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Résumé du projet : l'argent des ménages dans les politiquespubliques

Ce projet réunit des historiens et des sociologues afin d’évaluer les politiques publiquesfrançaises de gouvernement des conduites monétaires en s’intéressant tout particulièrement auxinteractions entre acteurs publics, privés et du tiers secteur qui structurent cet espaced’intervention depuis le 19e siècle. Il prend place dans un contexte d’effervescence desinterventions publiques sur ces questions dans le cadre d’importantes recompositions despolitiques sociales. Ces politiques s’inspirent d’initiatives menées principalement dans des paysanglo-américains et peuvent être analysées comme des policy transfer. Le travail conjoint entresociologues et historiens nous permet de mesurer l’ampleur de la nouveauté de la périodeactuelle et de nous demander s’il existe une corrélation entre la faiblesse des protections socialeset l’intensité des politiques d’encadrement des conduites monétaires. L’opération de rechercheprincipale de ce projet consiste en une collecte exhaustive de données permettant de décrire etd’évaluer l’ensemble des politiques publiques et des domaines d’intervention étatique danslesquels l’encadrement monétaire est présent (traitement du surendettement, travail social,éducation nationale, régulation bancaire, etc) depuis une dizaine d’années.

Nous avons l’ambition de montrer que les politiques de gouvernement des pratiquesmonétaires ne se trouvent pas à la périphérie des politiques sociales mais qu’au contraire, ellessont l’un des maillons importants de la transformation du traitement social de la pauvreté. Noussouhaitons par ce projet, qui réunit des chercheurs reconnus dans leurs domaines respectifs,ouvrir un champ de recherche peu exploré mais surtout faire en sorte que les travauxuniversitaires traitant de la pauvreté et des politiques sociales s’interrogent désormais sur la placede l’argent dans celles-ci.

Pour plus d'informations: http://www.sciencespo.fr/liepp/fr/content/l-argent-des-menages-dans-les-politiques-publiques

BibliographieGusfield, Joseph R., (2009), La culture des problèmes publics: l’alcool au volant. Études

sociologiques (Paris. 2003), Paris, Economica.

Lazarus, Jeanne, (2006), Les pauvres et la consommation. Vingtième Siècle. Revue d’histoiren° 91(3), p. 137–152.

Lazarus, Jeanne, (2016), Gouverner les conduites par l'éducation financière. L'ascension dela financial literacy, in Sophie Dubuisson-Quellier, Gouverner les conduites, Paris: Presses deSciences Po, (2016), p. 93-125.

Plot, Sébastien, (2009), Du flambeur à la victime? Sociétés contemporaines (76): 67– 93.

Plot, Sébastien, (2011), Les enjeux d’une mise en risque: La construction dusurendettement comme problème public (1989-2010). Thèse de doctorat, Université Paris-Dauphine.

Lacan, Laure, (2013), L’argent des crédits, recours au crédit à la consommation, contrainteset pratiques de remboursement de petits fonctionnaires entre les années 1980 et les années 2000.Thèse de Doctorat, EHESS.

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Derniers Policy Briefs du LIEPP

María José ÁLVAREZ RIVADULLA, "Limits and Possibilities of Mixing Policies: Lessons from andfor Latin American cities", LIEPP Policy Brief, n°25, May 2016

Jan ROVNY, "Is Eastern Europe Uniformly Anti-Immigrant? Not so fast", LIEPP Policy Brief, n° 24,March 2016

Nina GUYON, Elise HUILLERY, "Track choice and socioeconomic origin: measuring and explainingacademic inhibition", LIEPP Policy Brief, n°23, February 2016

Sylvain BROUARD, "Les effets des attentats de 2015 sur l'opinion publique : Priorité à la sécurité,stabilité sur l'immigration & hausse souhaitée des dépenses publiques", LIEPP Policy Brief,n°22, janvier 2016

Clément CARBONNIER, Nathalie MOREL, "Faut-il miser sur l’emploi domestique ? Évaluation dela stratégie de stimulation des services à la personne en Europe", LIEPP Policy Brief, n°21,décembre 2015

Hugo BERTILLOT, "Quand l’évaluation modifie les institutions : Comment l’hôpital est transformépar les indicateurs qualité", LIEPP Policy Brief, n°20, septembre 2015

Yann ALGAN, Elise HUILLERY, Nina GUYON, "Comment lutter contre la violence et leharcèlement à l'école et au collège ?", LIEPP Policy Brief, n°19, juin 2015

Emiliano GROSSMAN, Simon PERSICO, "Introduire la proportionnelle pour restaurer la confianceen la démocratie ?", LIEPP Policy Brief, n°18, Paris, juin 2015

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