RECONNAISSANCE MOLÉCULAIRE À L’INTERFACE AIR-EAU : UNE … · 2018. 4. 17. · Je remercie...
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MYLÈNE BISSON
RECONNAISSANCE MOLÉCULAIRE À L’INTERFACE AIR-EAU : UNE AVANCÉE VERS
LES POLYMÈRES « ADN-MIMÉTIQUES »
Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures de l’Université Laval
dans le cadre du programme de maîtrise en chimie pour l’obtention du grade de maître ès science (M.Sc.)
DÉPARTEMENT DE CHIMIE FACULTÉ DES SCIENCES ET DE GÉNIE
UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC
2010 © Mylène Bisson, 2010
Résumé
La spécificité de la reconnaissance moléculaire démontrée par l’ADN est sans
parallèle dans le domaine des polymères synthétiques. Notre projet propose une nouvelle
méthode pour transcrire de l’information génétique d’un brin d’ADN dans un polymère
synthétique. Grâce à la reconnaissance moléculaire entre les paires de bases
complémentaires (A-T, G-C), nous visons l'assemblage de monomères dans l'ordre précis
dicté par la séquence de l'ADN. La polymérisation subséquente des monomères figera cette
séquence dans un nouveau polymère synthétique appelé ADN-mimétique.
Deux stratégies pour la préparation de polymères ADN-mimétiques seront
exposées. La première vise tout d’abord à déposer l'ADN de façon contrôlée sur un substrat
solide. Cette approche implique la formation d'un complexe électrostatique entre l'ADN et
un surfactant cationique à l’interface air-eau. L’interaction du surfactant avec l’ADN a été
démontrée par la balance de Langmuir et la microscopie à l'angle de Brewster. De plus, la
distribution des composants, l’orientation et la composition chimique des films transférés
sur un support solide ont été déterminées par des techniques de microscopie, de
spectroscopie infrarouge et d’analyse de surface.
La seconde approche devant mener aussi à la formation d’un polymère
d’ADN-mimétique implique l’assemblage de monomères à l’interface air-eau sur un simple
brin d’ADN dissous dans la phase aqueuse. Plusieurs monomères portant des bases azotées
ont été synthétisés par nos collaborateurs (équipe d’Hanadi Sleiman, Université McGill).
L'interaction entre ces molécules et l'ADN à l'interface air-eau a été étudiée avec une
balance de Langmuir et par microscopie à l'angle de Brewster. La première génération de
monomères étudiés ne forme malheureusement pas de film de Langmuir, et cela malgré la
modification de plusieurs paramètres expérimentaux. Ces premiers résultats ont mené à la
conception d'une seconde génération de molécules qui, dans ce cas, forment des
monocouches stables à l’interface. Certaines indications obtenues par spectroscopie
infrarouge laissent croire à une hybridation entre ces molécules et l’ADN. Enfin, une
troisième génération de monomères formant des films de Langmuir a également été étudiée
à l’interface air-eau et aussi sur des substrats solides. Nos travaux démontrent qu’il y a
appariement de bases entre ces monomères et des acides nucléiques.
Remerciements
Je tiens tout d’abord à remercier Anna Ritcey qui fut une directrice de recherche
exceptionnelle. Merci de m’avoir donné cette belle opportunité et de m’avoir fait confiance
pour amorcer ce nouveau projet ambitieux et fort intéressant. Votre grande disponibilité,
votre soutien et votre passion pour la recherche furent plus qu’appréciés. Vous êtes une
source inépuisable d’idées mais aussi de solutions, et ce, tout particulièrement lorsque des
moments de découragement se présentent.
Je remercie également notre collaboratrice, Hanadi Sleiman avec qui il fut
passionnant de discuter à chacune de nos rencontres. Un gros merci à Peggy Lo qui a créé
de toutes pièces les nucléolipides et monomères utilisés dans ce projet.
La réalisation de ce projet n’aurait jamais eu lieu sans l’aide de professionnels de
recherche. Travailler sous votre tutelle fut fort enrichissant. Merci à Patricia Basque à qui
j’ai posé plus d’un million de questions et qui a toujours pris le temps d’y répondre. Merci
pour ton soutien lorsque les appareils m’ont créé des ennuis. Merci aussi à Jean-François
Rioux-Dubé pour son aide et sa bonne humeur contagieuse.
Je tiens à remercier également Louis-André Lortie qui a su m’éclairer sur certains
concepts de la biologie moléculaire. Merci à Mario Méthot et Richard Janvier pour leur
aide plus que notable en microscopie à fluorescence. Je veux aussi mentionner ma grande
reconnaissance envers Alain Adnot pour son expertise mais aussi pour sa grande
accessibilité.
Je salue mes collègues avec qui j’ai partagé de formidables moments. Je m’ennuie
déjà du temps passé à vos côtés dans notre spacieux bureau du 4e étage. Un merci tout
spécial à Marie-Christine Dorais qui a contribué à ce projet de recherche pendant deux
trimestres.
De sincères remerciements à Jacques Turcotte, mon mentor, qui a su me guider
durant tout ce parcours universitaire. Vos nombreux conseils académiques, professionnels
ou personnels ont eu une importance inestimable.
iii
Pour leur appui inconditionnel, merci à ma famille et aux deux hommes de ma vie;
mon père Gaétan et mon frère Charles. Vos encouragements et votre affection sont la clé de
ma réussite. Merci à Marie-Michel, Marie-Pier et Marion…les 3M, à Valérie et à Stéphanie
pour votre fidèle amitié ainsi que votre intérêt pour mes travaux.
À la mémoire de ma mère, Johanne.
Table des matières
RÉSUMÉ.............................................................................................................................................I
REMERCIEMENTS ....................................................................................................................... II
TABLE DES MATIÈRES ................................................................................................................V
LISTE DES FIGURES ................................................................................................................. VII
LISTE DES TABLEAUX............................................................................................................. XII
LISTE DES ABRÉVIATIONS ET ACRONYMES..................................................................XIII
CHAPITRE 1 INTRODUCTION.................................................................................................... 1
1.1 L’ACIDE DÉSOXYRIBONUCLÉIQUE..................................................................................... 1 1.2 OBJECTIFS DU PROJET ........................................................................................................ 4 1.3 STRATÉGIES ....................................................................................................................... 6
1.3.1 Première stratégie – Surfactants cationiques................................................................ 6 1.3.2 Deuxième stratégie – Monomères ................................................................................. 7
1.4 APPLICATIONS ................................................................................................................... 9 1.4.1 Thérapie génique et approche antisens......................................................................... 9 1.4.2 Détection d’ADN ......................................................................................................... 12
CHAPITRE 2 INTRODUCTION AUX MÉTHODES EXPÉRIMENTALES.......................... 14
2.1 LES FILMS ET LA BALANCE DE LANGMUIR ...................................................................... 14 2.2 LES FILMS DE LANGMUIR-BLODGETT ............................................................................. 21 2.3 LA MICROSCOPIE À L’ANGLE DE BREWSTER ................................................................... 25 2.4 LA SPECTROSCOPIE INFRAROUGE DE RÉFLEXION TOTALE ATTÉNUÉE............................. 29 2.5 LA SPECTROSCOPIE DE PHOTOÉLECTRONS X................................................................... 34 2.6 LA MICROSCOPIE À FORCE ATOMIQUE ............................................................................. 37 2.7 LA MICROSCOPIE À FLUORESCENCE ................................................................................ 39
CHAPITRE 3 ÉTUDE IN SITU À L’INTERFACE AIR-EAU DES COMPLEXES SURFACTANT CATIONIQUE-ADN .......................................................................................... 43
3.1 DESCRIPTION ET PRÉPARATION DU MATÉRIEL................................................................. 43 3.2 PRÉPARATION DES FILMS DE LANGMUIR......................................................................... 46 3.3 BALANCE DE LANGMUIR ................................................................................................. 47
3.3.1 Isothermes de compression et de relaxation de l’ODA et du DODAB........................ 47 3.3.2 Isotherme de compression du complexe DODAB-ADN .............................................. 50
3.4 BAM ................................................................................................................................ 52 3.4.1 Monocouche de DODAB............................................................................................. 52 3.4.2 Monocouche du complexe DODAB-dA30 .................................................................... 53
CHAPITRE 4 ÉTUDE SUR SUPPORT SOLIDE DES COMPLEXES SURFACTANT CATIONIQUE-ADN .......................................................................................... 55
4.1 PRÉPARATION DES FILMS DE LANGMUIR-BLODGETT...................................................... 55 4.2 ATR ................................................................................................................................. 56
4.2.1 Étude qualitative de la composition des films ............................................................. 57 4.2.2 Étude de l’orientation moléculaire.............................................................................. 59
vi
4.2.3 Étude quantitative de la composition des films ........................................................... 61 4.3 XPS.................................................................................................................................. 67
4.3.1 Choix du substrat ........................................................................................................ 68 4.3.2 Préparation des échantillons....................................................................................... 70 4.3.3 Film ultramince de DODAB........................................................................................ 71 4.3.4 Film épais de dT30 ....................................................................................................... 74 4.3.5 Film ultramince de complexe DODAB-dT30................................................................ 77
4.4 MICROSCOPIE À FLUORESCENCE ..................................................................................... 81 4.4.1 Préparation des échantillons....................................................................................... 83 4.4.2 Étude par microscopie à fluorescence de films de complexe DODAB-ADNλ ............. 85
4.5 HYBRIDATION ENTRE MONOMÈRES ET ADN AYANT ÉTÉ DÉPOSÉ SUR UN SUBSTRAT PAR
TRANSFERT LB D’UN FILM DE COMPLEXE DODAB-ADN ........................................................... 87 4.5.1 Préparation des échantillons....................................................................................... 87 4.5.2 Étude ATR des monomères.......................................................................................... 89 4.5.3 Hybridation des monomères........................................................................................ 91
CHAPITRE 5 ÉTUDE DE LA RECONNAISSANCE MOLÉCULAIRE ENTRE MONOMÈRES/NUCLÉOLIPIDES ET L’ADN.......................................................................... 94
5.1 PREMIÈRE GÉNÉRATION DE MOLÉCULES SYNTHÉTIQUES ................................................ 94 5.1.1 Étude in situ à l’interface air-eau ............................................................................... 96
5.2 DEUXIÈME GÉNÉRATION DE MOLÉCULES SYNTHÉTIQUES ............................................... 98 5.2.1 C6-EG-THY.................................................................................................................. 98 5.2.2 C12-EG-THY .............................................................................................................. 101
5.3 TROISIÈME GÉNÉRATION DE MOLÉCULES SYNTHÉTIQUES............................................. 108 5.3.1 Étude in situ à l’interface air-eau ............................................................................. 108 5.3.2 Étude sur support solide............................................................................................ 113
CONCLUSION.............................................................................................................................. 136
BIBLIOGRAPHIE........................................................................................................................ 139
Liste des figures
Figure 1-1 Structure chimique d’un acide nucléique simple brin à quatre nucléotides..........2 Figure 1-2 Liaisons hydrogène entre les paires de bases A·T et C·G tel que décrites par
Watson et Crick. ...................................................................................................3 Figure 1-3 Représentation schématique de la dénaturation d’ADN natif (double hélice) et
de l’hybridation d’ADN dénaturé (simple brin). ..................................................4 Figure 1-4 Schémas (A) d’un polymère ADN-mimétique de séquence ACTG et (B) d’un
monomère fonctionnalisé......................................................................................5 Figure 1-5 Schémas représentant les différentes étapes de la première stratégie envisagée :
(A) formation d’un complexe électrostatique à l’interface air-eau entre un surfactant cationique et le patron d’ADN, (B) transfert sur support solide, (C) assemblage des monomères, (D) polymérisation et (E) obtention du polymère ADN-mimétique. ..................................................................................................6
Figure 1-6 Schémas représentant les différentes étapes de la deuxième stratégie envisagée : (A) hybridation à l’interface air-eau des monomères et du patron d’ADN, (B) transfert sur support solide, (C) polymérisation et (D) obtention du polymère d’ADN mimétique. ...............................................................................................8
Figure 1-7 Biosynthèse des protéines. ..................................................................................10 Figure 1-8 Principe d’action des oligonucléotides antisens..................................................11 Figure 1-9 Principe de détection d’ADN grâce à l’introduction dans le milieu d’un simple
brin marqué (sonde) de séquence complémentaire à la cible recherchée. L’hybridation mène à la production d’un signal détectable................................13
Figure 2-1 Représentation à deux dimensions des forces nettes qui agissent sur une unité (atomes ou molécules montrés en noir). (A) au cœur d’une phase liquide et (B) à la surface de cette phase liquide..........................................................................15
Figure 2-2 Compression de molécules amphiphiles à la surface de l’eau (A) monocouche expansée, (B) monocouche partiellement comprimée et (C) monocouche compacte. ............................................................................................................16
Figure 2-3 Illustration schématique d’une balance de Langmuir. ........................................17 Figure 2-4 Vue en perspective d’une plaque de Wilhelmy partiellement immergée dans
l’eau. ...................................................................................................................18 Figure 2-5 Isothermes caractéristiques pour une monocouche d’acide gras (gauche) et de
phospholipide (droite).........................................................................................19 Figure 2-6 Déposition Langmuir-Blodgett de type Y...........................................................22 Figure 2-7 Dépositions de types (A) X et (B) Z. ..................................................................22 Figure 2-8 Graphique de la position du substrat en fonction de la position des barrières lors
d’un transfert Langmuir-Blodgett. ......................................................................24 Figure 2-9 Lois de la réflexion et de la réfraction de la lumière. Les faisceaux incident et
réfléchi forment le même angle par rapport à la normale. Une partie de la lumière sera transmise. .......................................................................................25
Figure 2-10 Graphique présentant le pourcentage des coefficients de réflexion pour les deux polarisations du champ électrique en fonction de l’angle d’incidence pour l’interface air-eau. Rp est nulle à un angle d’incidence de 53,06°. .....................27
viii Figure 2-11 Logarithme de Rp en fonction de l’angle d’incidence permettant de voir le
déplacement de l’angle de Brewster pour l’interface air-eau (53,06°) et air-film organique (55,41°). .............................................................................................27
Figure 2-12 Une lumière polarisée parallèlement avec un angle d’incidence correspondant à l’angle de Brewster pour l’interface air-eau (53,06°) (A) ne subit aucune réflexion sur une sous-phase d’eau pure. Toutefois, (B) lorsqu’une monocouche est présente à cette interface, une partie de la lumière est réfléchie. ..................28
Figure 2-13 Schéma d’un microscope à l’angle de Brewster. ..............................................29 Figure 2-14 Schéma de la propagation de la radiation à l’intérieur d’un cristal ATR ainsi
que le système d’axes utilisé pour caractériser l’orientation moléculaire des films de symétrie uniaxe déposés. ......................................................................30
Figure 2-15 Vue de côté d’un cristal ATR à l’intérieur duquel on voit l’existence d’un champ électrique de la radiation électromagnétique au point de réflexion. À l’extérieur du cristal, l’onde évanescente décroit exponentiellement.................31
Figure 2-16 Principe de la spectroscopie de photoélectrons X.............................................34 Figure 2-17 Schéma des principales composantes d’un spectromètre de photoélectrons. ...36 Figure 2-18 Différents modes de travail de la pointe : mode non-contact, contact et contact
intermittent (tapping). .........................................................................................37 Figure 2-19 Principe du mode tapping en AFM...................................................................38 Figure 2-20 Spectre typique d’absorption et d’émission de fluorescence d’un fluorophore.
............................................................................................................................40 Figure 2-21 Schéma du principe d’un microscope à fluorescence. ......................................41 Figure 3-1 Structure moléculaire de l’octadécylamine (ODA); CH3(CH2)17NH2. ...............43 Figure 3-2 Structure moléculaire du bromure de diméthyldioctadécylammonium
(DODAB); [CH3(CH2)17]2NBr(CH3)2.................................................................44 Figure 3-3 Structure moléculaire du sel disodique de l’adénosine 5’-monophosphate
(AMP). ................................................................................................................45 Figure 3-4 (A) Isotherme de compression et (B) isothermes de relaxation à 7, 20 et
30 mN/m d’une monocouche d’ODA.................................................................48 Figure 3-5 (A) Isotherme de compression et (B) isothermes de relaxation à 7, 20 et
30 mN/m d’une monocouche de DODAB..........................................................48 Figure 3-6 Isothermes de compression d’une monocouche de DODAB sur une sous-phase
d’eau pure avec et sans dA30...............................................................................51 Figure 3-7 Images de microscopie à l’angle de Brewster d’une monocouche de DODAB sur
une sous-phase d’eau pure à des pressions de surface de (A) 5 mN/m, (B) 20 mN/m, (C) 31 mN/m et (D) 41 mN/m. ..........................................................52
Figure 3-8 Images de microscopie à l’angle de Brewster d’une monocouche de DODAB sur une sous-phase aqueuse de dA30 à des pressions de surface de (A) 5 mN/m, (B) 20 mN/m, (C) 30 mN/m et (D) 42 mN/m. ..........................................................53
Figure 4-1 Spectres ATR de films LB ultraminces de DODAB et du complexe de DODAB-dT30 dans (A) la région de 3050 à 2750 cm-1 et (B) la région de 1850 à 950 cm-1.............................................................................................................................58
Figure 4-2 Spectres ATR polarisés de bicouches transférées sur un substrat de germanium de (A) DODAB et de (B) complexe DODAB-ADN. .........................................60
ix Figure 4-3 Spectres ATR de films isotropes du complexe DODAB-AMP de rapport molaire
DODAB/AMP connu dans (A) la région des groupements méthylène et (B) la région du groupement phosphate. .......................................................................63
Figure 4-4 Courbe d’étalonnage du rapport molaire établie à partir des spectres ATR de complexes de DODAB-AMP. ............................................................................64
Figure 4-5 Spectres ATR d’une bicouche du complexe DODAB-dT30 de rapport molaire inconnu dans (A) la région des groupements méthylène et (B) la région du groupement phosphate. .......................................................................................65
Figure 4-6 Spectres ATR comparatifs de la région du groupement phosphate de films isotropes d’AMP et de dA30................................................................................67
Figure 4-7 Structures moléculaires (A) du surfactant DODAB et (B) de l’oligonucléotide dT30. ....................................................................................................................68
Figure 4-8 Spectre XPS de survol d’un film ultramince de DODAB. .................................71 Figure 4-9 Spectre XPS à haute résolution dans la région N 1s d’un film ultramince de
DODAB. .............................................................................................................73 Figure 4-10 Spectre XPS à haute résolution dans la région P 2p d’un film ultramince de
DODAB. .............................................................................................................73 Figure 4-11 Spectre XPS de survol d’un film épais de dT30 ................................................74 Figure 4-12 Spectre XPS à haute résolution dans la région N 1s d’un film épais de dT30. ..76 Figure 4-13 Formes tautomères de la thymine liée à un groupement R (pentose et
groupement phosphate).......................................................................................76 Figure 4-14 Spectre XPS à haute résolution dans la région P 2p d’un film épais de dT30. ..77 Figure 4-15 Spectre XPS de survol d’un film ultramince de complexe DODAB-dT30. ......78 Figure 4-16 Spectre XPS à haute résolution dans la région N 1s d’un film ultramince de
complexe DODAB-dT30. ....................................................................................79 Figure 4-17 Spectre XPS à haute résolution dans la région P 2p d’un film ultramince de
DODAB-dT30......................................................................................................80 Figure 4-18 (A) Illustration schématique du transfert d’un film de complexe polyionique
sur un substrat de verre et (B) image de fluorescence de l’ADN lambda marqué avec le YOYO-1. L’échelle est de 10 µm...........................................................83
Figure 4-19 Structure moléculaire du YOYO-1. ..................................................................84
Figure 4-20 Images de fluorescence de films LB de complexe DODAB-ADNλ; (A) d’une monocouche transférée sur une lame de verre à 5 mN/m, (B) à 20 mN/m et (C) d’une multicouche transférée sur une lame de verre à 20 mN/m. ......................86
Figure 4-21 Structures moléculaires des deux monomères de la troisième génération (A) M-C12-Adé et (B) M-C12-Thy. ............................................................................88
Figure 4-22 Spectre ATR d’un film épais de M-C12-Adé préparé sur un cristal de germanium. .........................................................................................................90
Figure 4-23 Spectre ATR d’un film épais de M-C12-Thy préparé sur un cristal de germanium. .........................................................................................................90
Figure 4-24 Évolution de la bande alcyne pour des spectres ATR d’un film LB ultramince de DODAB-dT30 seul (––), associé au monomère non complémentaire (---) et ensuite au complémentaire (····). .........................................................................91
x Figure 4-25 (A) Composition de chacune des couches des échantillons étudiés et (B)
composition envisagée pour de futures analyses afin de minimiser la perte de complexe lors du trempage dans l’hexane. .........................................................93
Figure 5-1 Structures moléculaires des monomères de la première génération (A) THY et (B) DAP. .............................................................................................................95
Figure 5-2 Structures moléculaires des nucléolipides de la première génération (A) C4-THY et (B) C6-THY.....................................................................................................95
Figure 5-3 Formes tautomères et forme déprotonée de la thymine. .....................................97 Figure 5-4 Structure moléculaire du nucléolipide C6-EG-THY. ..........................................98 Figure 5-5 Images de microscopie à l’angle de Brewster du nucléolipide C6-EG-THY sur
une sous-phase aqueuse d’oligonucléotides dA30 de rapports molaires adénine:thymine (A) 2:1, (B) 5:1 et (C) 14:1. ..................................................100
Figure 5-6 Images de microscopie à l’angle de Brewster d’une sous-phase aqueuse d’oligonucléotides dA30 pour des aires moléculaires correspondantes à (A) 9 et (B) 8 Å2/molécule s’il y avait présence d’une monocouche de C6-EG-THY...101
Figure 5-7 Structure moléculaire du nucléolipide C12-EG-THY........................................102 Figure 5-8 Isothermes de compression de monocouches de C12-EG-THY sur différentes
sous-phases. ......................................................................................................103 Figure 5-9 Isothermes de relaxation d’une monocouche de C12-EG-THY sur une sous-phase
d’eau pure. ........................................................................................................104 Figure 5-10 Images de microscopie à l’angle de Brewster d’une monocouche de
C12-EG-THY sur une sous-phase d’eau pure à des pressions de surface de (A) 5 mN/m, (B) 15 mN/m et (C) 35 mN/m. ..........................................................105
Figure 5-11 Spectres ATR de monocouches de C12-EG-THY transférées sur des substrats de germanium à partir de sous-phases d’eau pure contenant ou non différents acides nucléiques. .............................................................................................107
Figure 5-12 Isothermes de compression du M-C12-Thy étalé sur une sous-phase d’eau ultrapure (––); sur une sous-phase contenant le nucléotide complémentaire (---) et le nucléotide non complémentaire (····).........................................................109
Figure 5-13 Isothermes de compression du M-C12-Adé étalé sur une sous-phase d’eau ultrapure (––); sur une sous-phase contenant le nucléotide complémentaire (····) et le nucléotide non complémentaire (---).........................................................110
Figure 5-14 Images de microscopie à l’angle de Brewster d’une monocouche de M-C12-Adé sur une sous-phase d’eau pure à des aires moléculaires de (A) 129, (B) 97, (C) 78, (D) 53 et (E) 45 Å2/molécule. ..................................................111
Figure 5-15 Images de microscopie à l’angle de Brewster d’une monocouche de M-C12-Adé sur une sous-phase aqueuse de dT30 à des aires moléculaires de (A) 112, (B) 97, (C) 79, (D) 54 et (E) 46 Å2/molécule. ..........................................111
Figure 5-16 Variation du niveau de gris en fonction de l’aire moléculaire pour une monocouche de M-C12-Adé sur une sous-phase d’eau pure avec et sans dT30.112
Figure 5-17 Spectres ATR d’une monocouche de M-C12-Adé transférée sur un cristal de germanium à partir d’une sous-phase d’eau pure (––), d’une solution aqueuse d’oligonucléotides dA30 (---) et de dT30 (····).....................................................114
xi Figure 5-18 Images AFM d’une monocouche de M-C12-Adé transférée sur un substrat de
silicium à partir (A) d’une sous-phase d’eau pure, d’une sous-phase contenant des oligonucléotides (B) dA30 et (C) dT30. La zone de balayage en xy est de 0,5 µm. ..............................................................................................................115
Figure 5-19 Images AFM d’une monocouche de M-C12-Adé transférée sur un substrat de silicium à partir (A) d’une sous-phase d’eau pure, d’une sous-phase contenant des oligonucléotides (B) dA30 et (C) dT30. La zone de balayage en xy est de 5 µm. .................................................................................................................115
Figure 5-20 Spectre XPS à haute résolution dans la région N 1s d’un film épais de dA30.117 Figure 5-21 Spectre XPS à haute résolution dans la région P 2p d’un film épais de dA30.118 Figure 5-22 Spectre XPS de survol d’un film ultramince de M-C12-Adé. .........................119 Figure 5-23 Spectre XPS à haute résolution dans la région N 1s pour un film ultramince de
M-C12-Adé. .......................................................................................................120 Figure 5-24 Spectre XPS à haute résolution dans la région I 3d5/2 d’un film ultramince de
M-C12-Adé. .......................................................................................................121 Figure 5-25 Spectre XPS à haute résolution de la région I 3d5/2 pour un film ultramince de
M-C12-Adé montrant l’évolution des deux composantes en fonction du temps d’exposition aux rayons X. ...............................................................................122
Figure 5-26 Spectre XPS à haute résolution dans la région N 1s d’un film ultramince de M-C12-Adé et dT30. ...........................................................................................125
Figure 5-27 Spectre XPS à haute résolution dans la région I 3d5/2 d’un film ultramince de M-C12-Adé et dT30. ...........................................................................................126
Figure 5-28 Spectre XPS à haute résolution dans la région P 2p d’un substrat de silicium vierge à un angle d’analyse de 0°. ....................................................................126
Figure 5-29 Spectre XPS à haute résolution dans la région P 2p d’un film ultramince de M-C12-Adé et dT30. ...........................................................................................127
Figure 5-30 Spectre XPS à haute résolution dans la région N 1s d’un film ultramince de M-C12-Adé et dA30............................................................................................128
Figure 5-31 Spectre XPS à haute résolution dans la région I 3d5/2 d’un film ultramince de M-C12-Adé et dA30............................................................................................129
Figure 5-32 Spectre XPS à haute résolution dans la région P 2p d’un film ultramince de M-C12-Adé et dA30............................................................................................130
Figure 5-33 Quatre mésappariements possibles de deux bases azotées d’adénine.............131
Liste des tableaux
Tableau 4-1 Rapport dichroïque (RATR) et angle d’inclinaison (θATR) moléculaire calculés
pour les vibrations sélectionnées pour des bicouches de DODAB et de DODAB-ADN transférées sur un substrat de germanium. ................................................61
Tableau 4-2 Composition atomique relative des éléments dans un film ultramince de DODAB. .............................................................................................................72
Tableau 4-3 Composition atomique relative des éléments d’un film épais de dT30. ............75 Tableau 4-4 Composition atomique relative des éléments d’un film ultramince de
DODAB-dT30......................................................................................................78 Tableau 4-5 Paramètres expérimentaux des diverses composantes spectrales obtenues dans
les régions N 1s et P 2p des échantillons de DODAB, dT30 et du complexe DODAB-dT30......................................................................................................81
Tableau 4-6 Rapports d’intensité de la bande de l’élongation du lien alcyne à celle de l’élongation antisymétrique des méthylènes pour des films LB ultraminces de DODAB-dT30 seul ou hybridé à un monomère. .................................................92
Tableau 5-1 Composition atomique relative des éléments d’un film ultramince de M-C12-Adé. .......................................................................................................119
Tableau 5-2 Évolution des rapports des concentrations atomiques apparentes d’iode 3d5/2
selon différents temps d’exposition aux rayons X pour une même séquence d’enregistrement. ..............................................................................................123
Tableau 5-3 Évolution des rapports des concentrations atomiques apparentes d’iode 3d5/2
selon différents temps d’exposition aux rayons X pour des séquences d’enregistrement différentes. ............................................................................123
Tableau 5-4 Évolution des rapports des concentrations atomiques apparentes d’azote 1s selon différents temps d’exposition aux rayons X pour des séquences d’enregistrement différentes. ............................................................................124
Tableau 5-5 Paramètres expérimentaux des diverses composantes spectrales XPS obtenues dans les régions N 1s, P 2p et I 3d5/2 pour des échantillons de M-C12-Adé, dA30 et dT30. ..............................................................................................................132
Tableau 5-6 Paramètres expérimentaux des diverses composantes spectrales XPS obtenues dans les régions N 1s, P 2p et I 3d5/2 pour des échantillons de complexes M-C12-AdédT30 et M-C12-AdédA30............................................................................133
Tableau 5-7 Valeurs théoriques et expérimentales des rapports atomiques I/N et N/P obtenus par la spectroscopie de photoélectrons X pour des films ultraminces de M-C12-Adé seul, avec dT30 et dA30. Valeurs des rapports molaires monomère/nucléotide calculés à partir des rapports atomiques expérimentaux...........................................................................................................................134
Liste des abréviations et acronymes
A adénine ADN acide désoxyribonucléique AFM microscopie à force atomique ARN acide ribonucléique ARNm acide ribonucléique messager AS-ODN oligonucléotide antisens ATR réflexion totale atténuée BAM microscopie à l’angle de Brewster C cytosine CCD dispositif à couplage de charge AMP adénosine 5’-monophosphate DDDA bromure de didodécyldiméthylammonium DODAB bromure de diméthyldioctadécylammonium E. coli Escherichia coli EDTA acide éthylènediaminetétraacétique G guanine G phase gazeuse HPLC chromatographie liquide à haute performance IR infrarouge L1 phase liquide expansé L2 phase liquide condensé LB Langmuir-Blodgett LS Langmuir-Schaeffer MCT tellurure de mercure et de cadmium Nd-YAG grenat d’yttrium-aluminium dopé au néodyme ODA octadécylamine OGM organisme génétiquement modifié pb paire de bases PCR réaction en chaîne par polymérase RMN résonance magnétique nucléaire S phase solide SI système international d’unités SPM microscope à balayage par sonde STM microscope à balayage à effet tunnel T thymine VIH virus de l’immunodéficience humaine XPS spectroscopie de photoélectrons X YOYO-1 homodimère de jaune d’oxazole
Chapitre 1
Introduction
Dans ce premier chapitre, nous décrirons d’abord quelques propriétés et concepts de
base de l’acide désoxyribonucléique, un élément essentiel à la formation d’un polymère
ADN-mimétique. La section 1.2 présente concrètement les objectifs de ce projet tandis que
la section 1.3 détaille les deux stratégies envisagées pour obtenir ce matériau. Nous
discuterons à la section 1.4 de quelques applications possibles de ce type de polymère.
1.1 L’acide désoxyribonucléique
Il existe deux types d’acides nucléiques, l’acide désoxyribonucléique (ADN) et
l’acide ribonucléique (ARN). Ces biomolécules jouent un rôle crucial pour les organismes
vivants.1,2 Elles permettent le stockage, le transport et l’expression de l’information
génétique. Dans le cadre de ce projet de recherche, seul l’ADN a été utilisé, nous
discuterons donc uniquement de cet acide nucléique. On retrouve l’ADN dans le noyau
cellulaire où il assure la biosynthèse des protéines et des enzymes. Il y détermine aussi la
fonction et la division de la cellule. Ce sont James Watson et Francis Crick qui ont
découvert en 1953 la structure du sel de l’acide désoxyribonucléique.3 La forme native bien
connue de l’ADN est une double hélice formée de deux chaînes antiparallèles de séquence
nucléotidique complémentaire. L’unité monomérique des chaînes est le nucléotide qui est
composé de trois parties, soit d’une base azotée, d’un sucre (β-2-désoxy-D-ribose) et d’un
2 groupement phosphate. La Figure 1-1 montre un enchaînement de quatre nucléotides. Au
pH physiologique, le groupement phosphate est chargé négativement. Les acides
nucléiques simples brins ayant une courte séquence de nucléotides, moins de 50
nucléotides, sont appelés oligonucléotides.1 Ils sont habituellement obtenus par synthèse
chimique.
T
A
C
G
Figure 1-1 Structure chimique d’un acide nucléique simple brin à quatre nucléotides.
On trouve quatre bases azotées différentes dans l’ADN : l’adénine (A), la thymine
(T), la cytosine (C) et la guanine (G). Celles-ci ne participent pas à l’enchaînement mais
sont toutefois d’une très grande importance. Les chaînes d’ADN adoptent une structure de
double hélice par la formation de liaisons hydrogène entre les bases complémentaires de
deux simples brins. L’interaction entre ces bases est le meilleur mécanisme pour accumuler,
enregistrer, reproduire et élaborer l’information génétique. L’appariement est très
spécifique et répond à la règle de complémentarité suivante : l’adénine se lie avec la
3
4thymine tandis que la cytosine s’associe avec la guanine. C’est la formation de deux
liaisons hydrogène entre l’adénine et la thymine ainsi que les trois liaisons entre la cytosine
et la guanine qui permettent l’appariement. Cette interaction est présentée à la Figure 1-2.
La complémentarité découle de contraintes stériques et chimiques. Les bases sont des
molécules aromatiques hétérocycliques dont la structure découle de deux composés : les
purines (A et G) et les pyrimidines (T et C). Chacune des paires de bases a les mêmes
dimensions, elles sont composées à la fois d’une purine (deux cycles) et d’une pyrimidine
(un cycle). Alors que deux purines occuperaient trop d’espace, deux pyrimidines seraient
trop distancées pour former des liaisons stables. Les dimensions homogènes des paires
confèrent donc à la double hélice une structure régulière. Toutefois, une base purique ne
peut pas s’associer à n’importe laquelle des bases pyrimidiques en raison de contraintes
chimiques. Les liaisons hydrogène sont directionnelles. Ce caractère permet d’obtenir des
architectures moléculaires très bien définies. Les groupements des bases qui participent aux
liaisons hydrogène doivent donc être bien alignés. La règle de complémentarité entre les
paires de bases est fondamentale, il s’agit en fait de la reconnaissance moléculaire, un
principe à la base de plusieurs techniques de biologie moléculaire. C’est cette interaction
hautement sélective que nous voulons utiliser pour ce projet de recherche.
Adénine (A) Thymine (T) Guanine (G) Cytosine (C)
Figure 1-2 Liaisons hydrogène entre les paires de bases A·T et C·G tel que décrites par Watson et Crick.
Les liaisons hydrogène sont des liens de faible énergie, il est donc possible de
séparer deux brins d’ADN par chauffage ou par traitement chimique (formamide, urée).
4 Cette dénaturation de l’ADN n’est pas similaire à celle des protéines puisqu’il s’agit d’un
processus entièrement réversible. De plus, la dénaturation de l’ADN ne mène pas à une
perte d’activité. Un ADN natif en solution, soit une double hélice, soumis à un chauffage
doit donc être refroidi très rapidement pour éviter l’autoassociation des brins séparés.
L’association de deux simples brins d’ADN complémentaires est un phénomène nommé
hybridation. La Figure 1-3 présente le processus réversible de dénaturation/hybridation.
Figure 1-3 Représentation schématique de la dénaturation d’ADN natif (double hélice) et de l’hybridation d’ADN dénaturé (simple brin). (Adaptée de 2)
1.2 Objectifs du projet
L’objectif général de ce projet est d’assembler des monomères fonctionnalisés
synthétiques selon une séquence dictée par un brin d’ADN. Ce brin d’ADN constitue le
gabarit. En d’autres termes, nous voulons transcrire l’information génétique contenue dans
un brin d’ADN modèle dans un polymère entièrement synthétique. Ce nouveau matériau
est appelé polymère « ADN-mimétique » (Figure 1-4A). Les monomères synthétisés sont
composés de trois groupements aux caractéristiques propres. Les diverses parties de cette
molécule ont été schématisées à la Figure 1-4B. La première partie, la région permettant
l’assemblage du polymère, est une base azotée identique ou analogue à celle que l’on
retrouve dans l’ADN. C’est donc par reconnaissance moléculaire, ou plus précisément par
5 appariement entre les bases complémentaires, qu’il y aura association entre les monomères
et le gabarit d’ADN. Dans ce mémoire, nous utiliserons donc le terme hybridation pour
décrire cette association particulière qui conduit à la formation d’un polymère ADN-
mimétique. La deuxième section du monomère est une chaîne alkyle. Elle confère des
propriétés hydrophobes au monomère et lui permet de bien s’ancrer à l’interface air-eau. La
base azotée constitue la tête hydrophile. La dernière partie est une fonction polymérisable
qui permet de figer la séquence dictée par le gabarit d’ADN dans le polymère. La fonction
a été placée en bout de chaîne sur les schémas mais elle peut tout aussi bien être insérée
dans le squelette de la chaîne alkyle.
Fonction polymérisable Chaîne alkyle A B
A GC TT Base azotée (thymine)
Figure 1-4 Schémas (A) d’un polymère ADN-mimétique de séquence ACTG et (B) d’un monomère fonctionnalisé.
Outre les monomères, des nucléolipides ont aussi été utilisés. Leur structure est
semblable à celle des monomères sauf que la fonction polymérisable est absente. Ils sont
composés d’une base azotée et d’une chaîne hydrophobe. Si la fonction polymérisable est
manquante, c’est pour en simplifier la synthèse et permettre de faire des essais
préliminaires. Toutefois, si le nucléolipide forme un film stable à l’interface et s’hybride
avec l’ADN, la molécule complète comportant un groupement polymérisable devrait
ensuite être synthétisée.
Deux stratégies ont été envisagées pour obtenir un polymère ADN-mimétique. La
première utilise des surfactants cationiques pour amener les simples brins d’ADN sur un
support solide pour ensuite y faire l’assemblage des monomères fonctionnalisés selon
l’ordre dicté par la séquence d’ADN. La deuxième voie vise plutôt l’utilisation des
monomères fonctionnalisés directement.
6
1.3 Stratégies
1.3.1 Première stratégie – Surfactants cationiques
La première étape de cette approche vise une complexation électrostatique à
l’interface air-eau entre un surfactant cationique à choisir et le groupement anionique de
l’ADN, soit le groupe phosphate (Figure 1-5A). Tel qu’illustré à la Figure 1-5B, le film
mince du complexe surfactant-ADN sera transféré sur un support solide grâce à la
technique Langmuir-Blodgett.
Figure 1-5 Schémas représentant les différentes étapes de la première stratégie envisagée : (A) formation d’un complexe électrostatique à l’interface air-eau entre un surfactant cationique et le patron d’ADN, (B) transfert sur support solide, (C) assemblage des monomères, (D) polymérisation et (E) obtention du polymère ADN-mimétique.
7
Selon nous, on pourra ensuite effectuer la reconnaissance moléculaire entre les
monomères et le brin d’ADN servant de patron (Figure 1-5C). Après quoi, les monomères
pourront être polymérisés et menés ainsi à l’obtention du polymère ADN-mimétique
(Figure 1-5D et E), lequel contient la séquence complémentaire à celle du brin ayant servi
de gabarit. Les résultats présentés aux chapitres 3 et 4 décrivent en détail les trois premières
étapes de cette stratégie, soit l’étude in situ des films à l’interface air-eau, l’étude sur
support solide ainsi que l’assemblage des monomères.
1.3.2 Deuxième stratégie – Monomères
Cette deuxième stratégie implique l’utilisation des monomères directement à
l’interface air-eau. On réduit ainsi d’une étape le procédé d’obtention d’un polymère
ADN-mimétique. La première étape consiste ici à étaler les monomères fonctionnalisés,
molécules amphiphiles, à l’interface d’une solution aqueuse d’ADN (Figure 1-6A). Nous
espérons que les monomères s’ordonneront à l’interface selon la séquence dictée par le
simple brin d’ADN par appariement des bases complémentaires. Comme il est montré à la
Figure 1-6B et C, le film monomères-ADN ainsi formé pourra être transféré sur un substrat
solide pour y être ensuite polymérisé. Tout comme pour la première stratégie, on obtiendra
un polymère ADN-mimétique de séquence complémentaire au patron utilisé (Figure 1-6D).
Le chapitre 5 de ce mémoire présente les résultats concernant l’étude in situ des films
obtenus à l’interface par la deuxième stratégie et aussi leur caractérisation sur des supports
solides. Les travaux ont porté sur plusieurs monomères de structures différentes. Quant à la
polymérisation et à l’obtention du polymère ADN-mimétique lui-même, ces étapes feront
l’objet de travaux futurs.
8
Figure 1-6 Schémas représentant les différentes étapes de la deuxième stratégie envisagée : (A) hybridation à l’interface air-eau des monomères et du patron d’ADN, (B) transfert sur support solide, (C) polymérisation et (D) obtention du polymère d’ADN mimétique.
La reconnaissance moléculaire en solution est bien connue, la détection et le
séquençage d’ADN en sont des exemples. Suivant cette voie, nos collaborateurs du
Laboratoire de la professeure Sleiman, ont développé récemment plusieurs polymères
fonctionnalisés solubles dans l’eau.5,6 Ceux-ci peuvent donc s’hybrider par appariement de
bases à des oligonucléotides complémentaires. Dans ce cas, la polymérisation des
monomères a lieu avant l’hybridation à l’ADN et ainsi, contrairement à la stratégie
présentée dans ce mémoire, l’agencement ne peut pas être réalisé selon l’ordre dicté par le
brin d’acide nucléique. Kurihara7 8 et d’autres chercheurs ont avancé que la reconnaissance
moléculaire de petites molécules basée sur la formation de lien hydrogène ne peut avoir lieu
en solution aqueuse en raison de l’hydratation, mais peut cependant être observée à
l’interface d’une monocouche hydrophobe formée sur la surface de l’eau. On retrouve dans
la littérature plusieurs études qui portent sur l’appariement de bases entre nucléolipides et
nucléotides à l’interface air-eau.9,10,11 Toutefois, la reconnaissance moléculaire entre
nucléolipides et oligonucléotides ou chaînes d’ADN est un axe de recherche beaucoup
moins exploité. Certains groupes ont démontré une l’hybridation de bases complémentaires
9 entre nucléolipides et des oligomères.12,13 Aucun n’envisage néanmoins d’obtenir un
polymère à partir de ces films. Selon nous, l’approche considérée ici n’a jamais été
explorée dans la communauté scientifique.
Créer de toutes pièces un polymère ADN-mimétique en assemblant par hybridation
des monomères spécifiquement fonctionnalisés à des brins d’ADN choisis, laisse entrevoir
des applications de grand intérêt dans le domaine médical, judiciaire et aussi des matériaux
nanométriques structurés par exemple. Quelques-unes des applications envisagées seront
décrites sommairement à la section suivante.
1.4 Applications
1.4.1 Thérapie génique et approche antisens
Un nombre important de maladies sont liées à la mutation ou à l’absence d’un gène
dans l’organisme. Ces anomalies entraînent une altération, une surproduction ou encore un
déficit de protéines. Le traitement diffère dans chacune de ces trois situations. S’il y a
absence d’une protéine ou d’un gène, il faut entrevoir la possibilité de les introduire. S’il y
a altération ou surproduction, un effet thérapeutique sera obtenu si un composé agit sur la
biosynthèse de la protéine en cause dans la pathologie. Les divers processus de la
biosynthèse des protéines sont schématisés à la Figure 1-7. La première étape, qui a lieu à
l’intérieur du noyau d’une cellule eucaryote, est la transcription. Elle consiste à faire une
copie sélective d’un fragment d’ADN pour mener à la formation d’un brin d’ARN
messager (ARNm). Ce brin monocaténaire peut ensuite transporter l’information du noyau
au cytoplasme où se trouvent les ribosomes. Ce sont dans ces unités que la synthèse
protéique a lieu par le processus de traduction.
10
Figure 1-7 Biosynthèse des protéines. (Adaptée de 14)
Thérapie génique
La thérapie génique a comme objectif de produire une protéine aux effets
thérapeutiques dans un organisme cible. Ce traitement est composé de plusieurs méthodes
permettant le transfert de matériel génétique exogène, ADN ou ARN, à l’intérieur de
cellules somatiques d’un organisme vivant. Cette approche thérapeutique a été envisagée au
début des années soixante-dix pour le traitement de maladies héréditaires monogéniques
telles que la fibrose kystique. Elle a ensuite été considérée pour d’autres pathologies non
héréditaires ou polygéniques comme les cancers, les maladies infectieuses et
inflammatoires. D’un côté théorique, l’introduction de matériel génétique permettrait de
remédier à un déficit génétique ou bien de modifier le métabolisme cellulaire.15
Approche antisens
Une des alternatives possibles de la thérapie génique est l’approche antisens. Elle
vise à inhiber l’expression d’un gène par l’utilisation d’oligonucléotides antisens (antisense
oligodeoxynucleotides, AS-ODN).16 Ce sont des acides désoxynucléiques de courte chaîne,
entre 16 et 20 bases, dont la séquence est complémentaire à l’ARN messager cible. Le
terme « sens » fait référence à la séquence originale de la molécule de l’acide nucléique et
le terme « antisens » à la séquence complémentaire. Comme il est montré à la Figure 1-8,
les AS-ODN se fixent à l’ARNm et inhibent le phénomène de traduction. Les
11 oligonucléotides antisens vont rarement inhiber entièrement la production de protéines
puisqu’ils n’ont aucun effet sur la transcription. La production d’ARNm a toujours lieu à
l’intérieur du noyau cellulaire. Toutefois, il y a compétition entre les ARNm endogènes et
les AS-ODN introduits dans l’organisme. De cette façon, les AS-ODN ne causent pas de
mutation génétique et n’empêchent pas une protéine d’assumer son rôle physiologique
normal. L’efficacité se situe au niveau de la surproduction de protéines et c’est cette
production excessive qui est en cause dans plusieurs maladies.
Figure 1-8 Principe d’action des oligonucléotides antisens. (Adaptée de 14)
La plupart des oligonucléotides antisens utilisés sont des phosphorothioates où un
atome de soufre remplace l’atome d’oxygène au niveau des liens internucléotides. Cette
modification leur confère une plus grande stabilité et une meilleure résistance aux
nucléases, enzyme clivant les brins d’acides nucléiques au niveau de la liaison
phosphodiester. Toutefois, l’efficacité de ces AS-ODN est modérée et la synthèse de ce
type d’acides nucléiques s’avère coûteuse et nécessite plusieurs étapes.
Beaucoup d’espoir est porté vers la thérapie antisens même si les résultats obtenus à
ce jour ne sont pas aussi concluants que la théorie ne l’avait prédit. Il est donc important
d’apporter des modifications chimiques sur les oligonucléotides et également de créer
d’autres types de molécules. Nous croyons que le polymère ADN-mimétique s’avérerait
être un bon candidat pour l’approche antisens. Ce matériel se veut d’abord peu sensible à la
dégradation enzymatique puisqu’il ne possède aucun lien phosphodiester. Aussi, son
assemblage est réalisé par une technique facile d’utilisation ne nécessitant que très peu de
12 monomères, un aspect qui est à considérer lorsqu’une synthèse utilise des composés
coûteux.
1.4.2 Détection d’ADN
L’hybridation de brins complémentaires d’acides nucléiques est un principe déjà
grandement utilisé en biologie moléculaire. Cet appariement est à la base d’un grand
nombre de techniques comme la caractérisation de génome humain, viraux ou bactériens, le
clonage, les puces à ADN et également l’amplification en chaîne par polymérase
(Polymerase Chain Reaction, PCR). Cette méthode permet de copier en grand nombre une
séquence d’ADN connue présente qu’en très faible concentration. La détection d’acides
nucléiques est également basée sur le phénomène d’hybridation. C’est un autre domaine qui
connaît présentement un très grand essor et dont la contribution aux niveaux médical et
criminalistique est majeure. Par exemple, la reconnaissance d’ADN permet d’établir la
présence d’organismes génétiquement modifiés (OGM), permet le diagnostic rapide de
virus tels que le VIH, l’hépatite B et aussi de bactéries pathogènes. Dans le domaine
judiciaire, on utilise couramment la détection d’ADN pour confirmer ou infirmer
l’implication d’un individu dans un crime.
Comme il a déjà été mentionné à la section 1.1, l’ADN natif peut se dissocier en
simples brins dans des conditions dénaturantes et, les acides nucléiques monocaténaires
formés peuvent ensuite s’associer à nouveau sous la forme d’une double hélice en
respectant la règle de complémentarité A·T et C·G. Il est donc possible d’insérer un ADN
exogène dans le milieu d’association, lequel contient des millions de fragments dénaturés
par chauffage.15 Le fragment ajouté est un simple brin d’ADN qui aura préalablement été
marqué et que l’on l’appellera la sonde. Des composés radioactifs, fluorescents, des
enzymes ou encore des haptènes sont des types de marqueurs pouvant être utilisés. Les
haptènes sont des molécules antigéniques que le système immunitaire reconnaît sans
toutefois créer une réponse immunitaire. Si le milieu d’association contient la cible, c’est-à-
dire la séquence complémentaire à la sonde. La cible recherchée s’hybridera de façon
préférentielle à la sonde plutôt qu’à toute autre cible complémentaire puisque la sonde est
présente en large excès dans le milieu. La Figure 1-9 résume la détection d’ADN par
13 hybridation d’une sonde avec une cible choisie. Cet appariement avec une sonde marquée
crée un signal détectable et même quantifiable. Généralement, il s’agit d’un signal optique
(colorimétrique, fluorescent, luminescent, etc.) ou électrique (voltage, résistance).17
Figure 1-9 Principe de détection d’ADN grâce à l’introduction dans le milieu d’un simple brin marqué (sonde) de séquence complémentaire à la cible recherchée. L’hybridation mène à la production d’un signal détectable. (Adaptée de 2)
Le polymère ADN-mimétique anticipé est analogue à un simple brin d’acide
nucléique, on peut donc envisager son utilisation comme sonde dans les techniques de
détection d’ADN. Puisqu’on lui entrevoit une grande stabilité, on peut penser à une
meilleure résistance aux différentes techniques de marquage. Nous croyons également que
ce polymère synthétique offrira une très grande polyvalence chimique étant donné qu’il
sera possible lors de la synthèse des monomères d’ajouter ou de modifier certains
groupements pour en adapter les propriétés. Les monomères présenteront donc l’avantage
de pouvoir être marqués lors de leur synthèse. La flexibilité des synthèses donne aussi la
possibilité de faire une hybridation en phase solide, au même titre que les puces à ADN où
les sondes sont fixées sur un support solide. Nous croyons que le polymère ADN-
mimétique pourrait être muni d’un groupement fonctionnel qui permettrait son greffage sur
des surfaces.
Chapitre 2
Introduction aux méthodes expérimentales
Nous présentons dans ce chapitre les principales techniques utilisées au cours de ces
travaux, tant pour produire des monocouches organiques que pour leur transfert sur support
solide. On parle alors respectivement de films Langmuir et Langmuir-Blodgett. On y
énumère aussi les méthodes expérimentales qui ont servi à caractériser ces couches
ultraminces. On discutera donc des microscopies à l’angle de Brewster, à force atomique et
à fluorescence et également des spectroscopies infrarouge de réflexion totale atténuée et de
photoélectrons X. Nous ferons seulement quelques rappels théoriques pour mieux cerner
les éléments desquels nous tirons des informations utiles pour caractériser nos matériaux.
Quant aux conditions particulières et au matériel utilisé pour ces diverses techniques, ils
seront donnés aux chapitres suivants où sont présentées de façon détaillée les deux
stratégies adoptées pour la réalisation de ce projet.
2.1 Les films et la balance de Langmuir
Films de Langmuir
L’environnement des molécules à la surface d’un liquide est différent de celui au
cœur de la phase liquide. Dans le volume aqueux, une molécule subie des forces
d’attraction égales dans chacune des directions et elles s’annulent mutuellement. En
15 surface, les forces n’étant pas symétriques, la force nette résultante n’est donc pas nulle
(Figure 2-1). Les molécules se trouvant à l’interface gaz-liquide subissent ainsi une force
d’attraction plus grande vers la phase liquide que vers la phase gazeuse. Cette situation crée
un excès d’énergie libre à la surface du liquide.
Force apparente
Figure 2-1 Représentation à deux dimensions des forces nettes qui agissent sur une unité (atomes ou molécules montrés en noir). (A) au cœur d’une phase liquide et (B) à la surface de cette phase liquide. (Adaptée de 18)
La force résultante mène à l’apparition d’une tension à la surface. Cette tension de
surface peut être considérée comme l’énergie requise pour augmenter l’aire de la surface
d’un liquide ou d’un solide par une unité de surface. La tension de surface (γ) d’un plan est
donnée par l’équation 2.1 où G correspond à l’énergie libre de Gibbs, s à l’aire de la
surface. Les termes T, P et ni correspondent respectivement à la température, la pression et
le nombre de molécules. L’unité SI pour exprimer la tension de surface est le N/m, la
dyn/cm peut aussi être employée.
, ,
γiT P n
G
s
∂ = ∂ (2.1)
La présence d’un film à la surface d’un liquide ou d’un solide diminue sa tension de
surface. L’analogue à deux dimensions de la pression est appelé pression de surface (Π), et
est donné par la relation suivante :
Force nette = 0 Force nette
B A
16
0γ - γΠ = (2.2)
où γ0 est la tension de surface en absence d’une monocouche et γ la tension de surface
lorsque la monocouche est présente.
L’étude des films monomoléculaires à l’interface gaz-liquide se fait avec des
liquides ayant une tension de surface élevée tels que, l’eau, l’éthylène glycol, le glycérol et
le mercure. L’eau possède de très fortes interactions intermoléculaires et par conséquent
une valeur de tension de surface très élevée comparativement à la plupart des liquides, soit
73 mN/m à 20 °C et à pression atmosphérique. C’est pour cette raison que l’eau est la sous-
phase la plus utilisée pour ce type d’étude. Toutes les expérimentations présentées dans ce
mémoire ont été réalisées avec de l’eau ultrapure. Nous parlerons donc maintenant d’études
à l’interface air-eau. Il existe deux types de films monomoléculaires. Une de ces classes est
appelée les films de Gibbs. Ceux-ci sont formés par des molécules solubles qui se logent à
l’interface par adsorption. La deuxième famille de monocouches, les films de Langmuir, est
celle qui a été employée pour ce projet de recherche. Ces films sont formés par l’étalement
de molécules insolubles à l’interface des phases.
La formation d’une monocouche insoluble à l’interface air-eau a lieu par l’étalement
de molécules à caractère amphiphile (Figure 2-2A). Ces molécules sont constituées de deux
parties aux propriétés distinctes, soit d’une tête hydrophile, qui est soluble dans la phase
aqueuse et aussi d’une section hydrophobe qui consiste habituellement en une chaîne
alkyle. L’affinité d’un surfactant pour l’interface est déterminée par ses propriétés
chimiques et physiques. Les surfactants sont solubilisés dans un solvant volatil, qui s’étale
et qui est peu miscible avec la sous-phase, ici l’eau. Quelques gouttes de cette solution sont
déposées à l’interface. Après quelques minutes le solvant s’est évaporé et il est ensuite
possible de comprimer le film pour en étudier les propriétés (Figure 2-2B et C).
A B
C
Figure 2-2 Compression de molécules amphiphiles à la surface de l’eau (A) monocouche expansée, (B) monocouche partiellement comprimée et (C) monocouche compacte.
17 Balance de Langmuir
L’appareil utilisé pour caractériser les films de Langmuir s’appelle la balance de
Langmuir. La Figure 2-3 illustre schématiquement les principales composantes de cet
appareil. Il permet de mesurer la pression de surface en fonction de l’aire moléculaire. La
cuve qui contient la sous-phase est habituellement faite de Téflon®. Ce matériau inerte et
hydrophobe facilite le nettoyage et prévient les fuites de la sous-phase par-dessus le rebord
de la cuve. La température de la sous-phase est contrôlée et maintenue constante grâce à un
dispositif intégré à la cuve et relié à un bain thermostatique. L’appareil est muni de
barrières mobiles qui permettent de comprimer symétriquement le film et par le fait même
de modifier l’aire occupée par chacune des molécules étalées à l’interface. Les barrières
utilisées sont dans la plupart des cas faites de Delrin®, un matériau hydrophile qui empêche
la monocouche de fuir sous les barrières.
Balance avec plaque de Wilhelmy Barrière Barrière
Surface recouverte par la monocouche
Cuve contenant la sous-phase
19) Figure 2-3 Illustration schématique d’une balance de Langmuir. (Adaptée de
Il existe plusieurs techniques pour mesurer la pression de surface. La plus
couramment utilisée pour les films de Langmuir est la méthode de Wilhelmy.20 Cette
méthode consiste à déterminer les forces agissant sur une plaque suspendue et partiellement
immergée dans la sous-phase. Trois forces agissent sur la plaque : le poids de la plaque, la
poussée d’Archimède, qui consiste au poids du volume d’eau déplacé par la plaque et aussi
18 la force de surface qui est en fait le poids du ménisque. Les différents paramètres
dimensionnels d’une plaque de Wilhelmy sont illustrés à la Figure 2-4. La procédure
habituelle pour l’utilisation d’une balance de Wilhelmy exige de maintenir la plaque bien
mouillée par le liquide. L’angle de contact (θ) doit être inférieur à 90° et même se
rapprocher le plus possible vers 0°. La hauteur de la plaque (h), ou plutôt le niveau de la
sous-phase, doit aussi rester constante. Il est important que la plaque soit très mince, que
son épaisseur (t) soit négligeable par rapport à sa largeur (w). De cette façon, la force nette
résultante correspond à la réduction de la tension de surface du liquide pur par le film, ou
plus précisément à la pression de surface telle qu’exprimée par l’équation 2.2. Lorsque des
molécules s’adsorbent sur la plaque, celle-ci mouille moins bien, ce qui modifie l’angle θ.
Des plaques de platine, de quartz, de mica et de verre sont vendues commercialement à cet
effet. Des papiers filtres peuvent aussi être utilisés comme plaque de Wilhelmy. Ils ont
l’avantage de diminuer les risques de contamination puisqu’un nouveau papier filtre est
utilisé pour chaque essai.
t
Figure 2-4 Vue en perspective d’une plaque de Wilhelmy partiellement immergée dans l’eau.
θ
Air Eau
w
h
19 Isotherme
Les propriétés d’une monocouche insoluble à l’interface air-eau peuvent être mises
en évidence par un tracé appelé diagramme de phase isotherme. Afin d’alléger le texte et
d’être cohérent avec la terminologie utilisée dans la littérature, nous emploierons ici que le
mot isotherme. Un isotherme est obtenu par la compression du film, c’est-à-dire par la
diminution à vitesse constante de l’aire moléculaire par les barrières et par l’enregistrement
simultané de la pression de surface. L’acquisition se fait à température constante. Plusieurs
facteurs peuvent modifier l’aspect d’un isotherme, notons entre autres les propriétés
physiques et chimiques des molécules amphiphiles, la vitesse de compression, la
température et la composition de la sous-phase. Des isothermes typiques d’une
monocouche d’acide gras et de phospholipide sont présentés à la Figure 2-5.
Collapse
Pre
ssio
n de
sur
face
(m
N/m
)
S S
L2
L1-L2
L1L1
G-L1 G-L1
Aire moléculaire (Å2/molécule)
Figure 2-5 Isothermes caractéristiques pour une monocouche d’acide gras (gauche) et de phospholipide (droite).
Les isothermes renseignent sur la stabilité des monocouches à l’interface air-eau,
sur la réorientation moléculaire dans un système à deux dimensions et également sur les
20 changements de phases. Une transition de phase est marquée par une discontinuité de
l’isotherme. En 1952, W. D. Harkins21 a proposé une terminologie pour classifier les
différentes phases d’un film d’acide gras. Cette classification est toujours utilisée
aujourd’hui et peut être employée pour d’autres types de molécules que les acides gras.
Après l’étalement d’un film et au début de sa compression, les molécules se retrouvent à
l’équilibre entre deux phases, la phase gazeuse (G) et la phase liquide expansé (L1). Les
molécules sont alors très distancées les unes des autres. Dans cette phase, la diminution
importante de l’aire moléculaire ne crée qu’une faible augmentation de la pression de
surface, le film étant très compressible. La phase gazeuse n’est qu’un terme conceptuel.
Elle n’existe qu’à de très grandes aires moléculaires où il y a très peu d’interactions entre
les molécules étalées. La poursuite de la compression mène à l’atteinte de la phase L1, cette
dernière étant moins compressible que la précédente. Toutefois, les chaînes hydrophobes se
redressent ce qui entraîne une diminution importante de l’aire moléculaire. La phase solide
(S) quant à elle est peu compressible et la monocouche devient très dense. Si le film est
comprimé au-delà de la phase solide, le collapse sera atteint. La pression de collapse (πc)
est la pression de surface la plus élevée à laquelle le film peut être comprimé sans qu’il y ait
apparition de structures tridimensionnelles. Une fois πc atteinte, la pression de surface peut
chuter ou bien une cassure horizontale peut apparaître.
La courbe de droite de la Figure 2-5 présente l’isotherme d’une monocouche de
phospholipide. On remarque un plus grand nombre de phases et également la présence d’un
plateau où la pression de surface est constante. La phase identifiée L2 est appelée liquide
condensé. Les chaînes y sont très orientées et la densité du film est comparable à celle d’un
liquide en trois dimensions. La transition de phase L1-L2 est causée par la présence
simultanée de deux phases à l’équilibre dans le film, c’est-à-dire les phases liquide expansé
et liquide condensé. Cette transition est souvent visible par l’apparition d’un plateau sur la
courbe.
21
2.2 Les films de Langmuir-Blodgett
En 1919, sous la supervision d’Irving Langmuir, Katharine Blodgett a transféré une
monocouche d’acide gras d’une sous-phase d’eau sur une lame de verre. Le terme film de
Langmuir est réservé exclusivement pour les monocouches insolubles d’atomes ou de
molécules étalées à l’interface air-liquide. Lorsque ces films sont déposés sur un support
solide pour former un empilement régulier et très organisé de plusieurs couches, ils portent
le nom de films Langmuir-Blodgett (LB).
L’appareil utilisé pour effectuer un transfert Langmuir-Blodgett est très semblable à
celui employé pour l’étude des films de Langmuir. La cuve doit toutefois être munie d’un
puits rendant possible l’introduction d’un substrat dans la sous-phase et également posséder
un dispositif permettant de fixer et de varier la position du substrat. La pression de surface
est maintenue constante tout au long du transfert par une boucle de rétroaction entre
l’électrobalance qui mesure la pression de surface et le mécanisme de déplacement des
barrières mobiles. Le support solide est trempé verticalement dans la sous-phase comme le
montrent les figures 2-6 et 2-7. La technique Langmuir-Schaeffer (LS) permet aussi le
dépôt de monocouches. Cette seconde technique, moins couramment utilisée, diffère par
l’orientation du solide sur lequel est déposé le film. Habituellement, le substrat est placé
perpendiculairement à la surface de la sous-phase, mais pour la technique LS celui-ci est
plutôt parallèle à la surface.
Les films de Langmuir-Blodgett sont des monocouches ou des multicouches de
molécules amphiphiles hautement organisées. Pour obtenir ces structures, il faut insérer et
retirer de façon successive un substrat solide à travers une monocouche qui sera adsorbée
sur le support. Ce processus peut être répété jusqu’à une centaine de fois. Toutefois,
certains composés se prêtent mal à la formation de multicouches. Différents types de
multicouches LB peuvent être créées et obtenues par dépositions successives de
monocouches sur un substrat. Le plus commun est le type Y schématisé à la Figure 2-6.
Dans ce cas, la déposition a lieu dans les deux directions, les molécules de surfactant ont
une orientation opposée dans chacune des couches monomoléculaires. Lorsque le dépôt n’a
lieu que dans une seule direction, soit lors de l’immersion ou bien de l’émersion du
22 substrat, on appelle ces structures de multicouches, de type X et de type Z respectivement
(Figure 2-7).
Figure 2-6 Déposition Langmuir-Blodgett de type Y. (Adaptée de 23)
BA
23) Figure 2-7 Dépositions de types (A) X et (B) Z. (
Lors des transferts utilisant un substrat hydrophile, celui-ci peut être plongé dans la
sous-phase avant même de faire l’étalement des molécules de surfactant. Toutefois,
lorsqu’il y a présence d’un composé dissous dans la phase aqueuse, il est préférable
d’insérer le substrat seulement au moment de faire le dépôt pour éviter le phénomène
d’adsorption.
23
Il existe plusieurs types de substrat sur lesquels on peut effectuer un transfert en
fonction de l’analyse envisagée. Il est possible de déposer une monocouche sur un cristal de
germanium (Ge), de séléniure de zinc (ZnSe), de silicium (Si) ou encore sur des lames de
verre. Chaque matériau a des propriétés de mouillage différentes. Cependant, des
traitements chimiques appropriés peuvent accroître ou modifier le caractère hydrophile ou
hydrophobe de certains substrats. Une fine couche de métaux, par exemple d’or ou de
chrome, peut aussi être déposée sur le substrat par évaporation.
La qualité du dépôt d’un film sur un substrat peut-être évaluée grâce au taux de
transfert qui est donné par l’équation 2.322,23 où AL correspond à la variation de l’aire
occupée par la monocouche à l’interface air-eau durant le transfert et AS est l’aire du
substrat solide recouverte par le film. Un taux de transfert idéal se traduit par une valeur
près de l’unité. Le film se dépose alors sur le support solide sans modification par rapport à
son état à l’interface air-eau. Une valeur supérieure à 1 implique le dépôt d’une trop grande
quantité de molécules. Le film transféré n’est donc pas une monocouche. Dans le cas d’un
taux de transfert inférieur à l’unité, il n’y a pas assez de molécules pour recouvrir le support
de façon homogène. Pour calculer le terme TR, on doit porter en graphique la position des
barrières en fonction de celle du substrat. Ce type de graphique est montré à la Figure 2-8.
Il est possible de calculer l’aire perdue par la monocouche à la surface (AL) grâce au
déplacement des barrières et à la largeur de la cuve. Quant à l’aire du substrat recouverte
par le film (AS), elle est obtenue à partir de la variation de la position verticale du substrat
et de sa largeur.
R
AT
AL
S
= (2.3)
24
AirEau
Position des barrières (mm)
Pos
itio
n du
sub
stra
t (m
m)
Longueur du substrat sur lequel le film est présent
Déplacement des barrières
AirEau
Position des barrières (mm)
Pos
itio
n du
sub
stra
t (m
m)
Longueur du substrat sur lequel le film est présent
Déplacement des barrières
Figure 2-8 Graphique de la position du substrat en fonction de la position des barrières lors d’un transfert Langmuir-Blodgett.
Les monocouches à l’interface air-eau ont été étudiées avec une balance de
Langmuir dont le modèle est le KSV-3000 (KSV Instruments, Helsinki, Finlande). Une
cuve de téflon standard (150 x 500 mm) a été utilisée lors des analyses de surfactant
seulement. Dans le cas des essais où il y avait ajout d’acide nucléique dans la sous-phase,
une cuve de plus petite taille a été employée (80 x 500 mm) pour réduire le volume d’acide
nucléique utilisé. Les barrières qui assurent la compression du film sont faites de Delrin®.
Les techniques de Langmuir, Langmuir-Blodgett et les isothermes de compression
sont des outils essentiels à la préparation ainsi qu’à la caractérisation des films de
polymères ADN-mimétiques. Quant à la compréhension de leur organisation, de l’état de
leur surface et de leur composition, des techniques microscopiques et spectroscopiques sont
bien adaptées à ces besoins.
25
2.3 La microscopie à l’angle de Brewster
Le microscope à l’angle de Brewster (Brewster angle microscopy, BAM) permet
l’étude de la morphologie des films de Langmuir in situ à l’interface air-eau. Cette
technique découle des lois de réflexion et réfraction de la lumière à une interface.
Lorsqu’un faisceau incident rencontre l’interface entre deux milieux, celui-ci est réfléchi
avec le même angle par rapport à la normale au point d’incidence. Une partie de la lumière
est également réfractée (transmise) dans le deuxième milieu (Figure 2-9). La direction du
faisceau transmis est donnée par la loi de Snell
ti nn θθ sinsin 21 = (2.4)
où θi est l’angle d’incidence, θt l’angle de réfraction et n1 et n2 les indices de réfraction des
deux médias de part et d’autre de l’interface.
θr θi
n1
Figure 2-9 Lois de la réflexion et de la réfraction de la lumière. Les faisceaux incident et réfléchi forment le même angle par rapport à la normale. Une partie de la lumière sera transmise.
L’intensité de la lumière réfléchie peut être calculée grâce aux équations de Fresnel.
Le coefficient de réflexion (R), que l’on appelle aussi réflectivité, dépend de la polarisation
θt
n2
26 du faisceau incident. Lorsque le vecteur du champ électrique de la lumière est polarisé
parallèlement au plan d’incidence, Rp est donné par l’équation suivante :
2
21
21p )cos()cos(
)cos()cos(R
+−=
it
it
nn
nn
θθθθ
(2.5)
Il existe un angle bien précis pour des indices de réfraction donnés où la valeur de
Rp sera nulle, c’est-à-dire que le faisceau incident ne subit aucune réflexion. La lumière est
alors complètement transmise dans le substrat. Cet angle, qui a été observé en 1815 par Sir
David Brewster, découle de la loi de Snell. L’angle de Brewster (θB) est défini par les
indices de réfraction des deux milieux (équation 2.6). À l’interface air-eau (n1 = 1;
n2 = 1,33), la lumière polarisée parallèlement est complètement réfractée pour un angle
d’incidence de 53,06°. La Figure 2-10 montre bien que la valeur de Rp est nulle à cet angle,
tandis que pour la polarisation perpendiculaire, le pourcentage de réflectivité (Rs) ne sera
jamais nul. Si un film mince est présent à l’interface air-eau, les conditions de l’angle de
Brewster pour ces deux milieux ne sont plus respectées. Une monocouche organique a un
indice de réfraction d’environ 1,45.24 L’angle de Brewster pour l’interface air-film est donc
déplacé à un angle d’incidence de 55,41° (Figure 2-11). La présence d’un film engendre
donc la réflexion de la lumière sur les deux interfaces (film/eau et air/film) et également à
l’intérieur même du film. Tous ces faisceaux se superposent et produisent un signal
pouvant être détecté (Figure 2-12).
1 2
1
tanB
n
nθ −
=
(2.6)
0 10 20 30 40 50 60 70 80 900
10
20
30
40
Coe
ffic
ient
de
réfle
ctio
n (%
)
Angle d'incidence (°)
Rp
Rs
Ang
le d
e B
rew
ste
r (θ
B)
27
Figure 2-10 Graphique présentant le pourcentage des coefficients de réflexion pour les deux polarisations du champ électrique en fonction de l’angle d’incidence pour l’interface air-eau. Rp est nulle à un angle d’incidence de 53,06°.
0 10 20 30 40 50 60 70 80 90
-10
-8
-6
-4
-2
0
Log
Rp
Angle d'incidence (°)
Eau pure Film
Figure 2-11 Logarithme de Rp en fonction de l’angle d’incidence permettant de voir le déplacement de l’angle de Brewster pour l’interface air-eau (53,06°) et air-film organique (55,41°).
28
B A
Figure 2-12 Une lumière polarisée parallèlement avec un angle d’incidence correspondant à l’angle de Brewster pour l’interface air-eau (53,06°) (A) ne subit aucune réflexion sur une sous-phase d’eau pure. Toutefois, (B) lorsqu’une monocouche est présente à cette interface, une partie de la lumière est réfléchie.
La Figure 2-13 est une représentation schématique d’un microscope à l’angle de
Brewster. Un laser émet la radiation incidente qui est polarisée parallèlement au plan
d’incidence. Avant de faire l’étalement du film organique, l’angle sous lequel aucune
réflexion n’est produite est ajusté grâce à un goniomètre. Lorsque le film est présent, la
radiation réfléchie est captée par un objectif et un scanneur. Ces deux éléments permettent
un grossissement de l’image et aussi qu’elle soit focalisée. Le faisceau traverse ensuite un
second polariseur (analyseur) qui permet de visualiser des domaines anisotropes. Par sa
rotation on peut inverser les contrastes. Il est donc possible de distinguer un contraste
produit par anisotropie de la monocouche plutôt que par une différence de densité ou
d’épaisseur dans un film isotrope. Le bras de l’analyseur contient une caméra CCD
permettant de détecter la radiation dont l’intensité réfléchie dépend de l’épaisseur du film et
de son indice de réfraction. Le signal de réflectivité provenant de l’échantillon étudié est
converti en image vidéo par la caméra CCD. Il est exprimé selon une intensité de niveau de
gris. La variation s’étale sur 256 paliers de niveaux de gris. Les valeurs varient entre 0 pour
une image complètement noire, et 255 pour une image très claire. Cette échelle est une
mesure relative de la réflectivité d’une monocouche par rapport à celle de la sous-phase en
absence d’un film. Par l’augmentation de la luminosité du signal, il est possible de suivre
l’épaississement et l’augmentation de la densité d’un film à une seule phase. Il est
également possible de visualiser la forme et la taille des domaines grâce à la différence de
Film Eau
Air θB
θB
29 contraste. La résolution latérale se situe entre 1 et 2 µm, en fonction du grossissement de
l’objectif du scanneur.
Figure 2-13 Schéma d’un microscope à l’angle de Brewster.
L’appareil utilisé provient de la compagnie Nanofilm Surface Analysis (Halcyonics
GmbH). La source laser émet à une longueur d’onde de 532 nm et est du type Nd-YAG.
Elle a été utilisée à une intensité de 50 %. L’objectif employé a un grossissement de 10X et
le pouvoir de résolution du microscope est de 2 µm. Après avoir fait une correction
géométrique, les images ont une largeur de 430 µm et une hauteur d’environ 537 µm. La
hauteur varie en fonction de l’angle de Brewster déterminé pour la sous-phase étudiée. La
cuve de Langmuir dont est muni le microscope est fournie par la compagnie Nima
Technology.
2.4 La spectroscopie infrarouge de réflexion totale atténuée
La spectroscopie infrarouge (IR) est une technique d’analyse largement employée.
Elle permet entre autres de confirmer la présence de groupements fonctionnels.
L’absorption de rayonnement infrarouge engendre une transition entre les différents
niveaux d’énergie moléculaire de vibration. Pour qu’une molécule puisse absorber cette
radiation, ses mouvements de vibration doivent modifier son moment dipolaire. La
variation du moment dipolaire est un phénomène qui peut interagir avec le champ
Analyseur
Goniomètre
Caméra Laser Polariseur
Objectif/Scanneur
Goniomètre
30 électrique incident. Si la fréquence de l’onde incidente est la même que celle de la vibration
moléculaire, un transfert d’énergie a lieu et l’amplitude du mouvement est modifiée, il y a
absorption de l’onde.
L’interaction de la radiation avec la matière peut être mesurée selon différentes
techniques de transmission ou de réflexion. Pour l’étude des films ultraminces, la
spectroscopie de réflexion totale atténuée (Attenuated Total Reflection, ATR) est l’une des
techniques les mieux adaptées.25 Avec seulement quelques microgrammes d’échantillon,
l’ATR permet d’obtenir des spectres avec un bon rapport signal sur bruit en raison des
réflexions multiples à l’intérieur du cristal (Figure 2-14). Le faisceau infrarouge doit entrer
dans le cristal d’indice de réfraction élevé et transparent aux rayons IR avec un angle
supérieur à l’angle critique. L’angle critique (αc), tel que présenté à l’équation 2.7, dépend
des indices de réfraction des deux milieux traversés par la radiation, soit l’élément de
réflexion interne (n1) et le milieu externe (n2).
Figure 2-14 Schéma de la propagation de la radiation à l’intérieur d’un cristal ATR ainsi que le système d’axes utilisé pour caractériser l’orientation moléculaire des films de symétrie uniaxe déposés.
2
1
sin c
n
nα = (2.7)
31
Lorsque le faisceau IR traverse le cristal, plusieurs réflexions internes ont lieu à
l’intérieur de celui-ci. Le signal détecté est amplifié grâce à une superposition des ondes
entrantes et réfléchies. L’amplitude du champ électrique subit une variation sinusoïdale à
l’intérieur du cristal. Lorsque cette onde traverse l’interface de réflexion vers le milieu le
moins dense, elle connait plutôt une décroissance exponentielle (Figure 2-15). Cette partie
de l’onde qui franchit la surface du cristal est appelée onde évanescente. L’échantillon
interagit avec la radiation infrarouge grâce à cette onde. À un angle d’incidence donné, la
profondeur de pénétration varie selon la longueur d’onde (équation 2.8). Plus la longueur
d’onde est élevée (plus faible nombre d’onde), plus importante est la pénétration de l’onde
dans l’échantillon déposé à la surface du cristal. C’est donc le phénomène d’onde
évanescente qui est exploité pour caractériser les films ultraminces.
Figure 2-15 Vue de côté d’un cristal ATR à l’intérieur duquel on voit l’existence d’un champ électrique de la radiation électromagnétique au point de réflexion. À l’extérieur du cristal, l’onde évanescente décroit exponentiellement.
2212 sin i
dpn
λπ θ
=−
2
(2.8)
32 Calcul de l’orientation moléculaire
La spectroscopie ATR permet également de caractériser l’orientation moléculaire
puisque la méthode est basée sur le fait que l’absorption maximale du faisceau IR a lieu
lorsque le moment de transition du dipôle est parallèle au champ électrique qui compose la
lumière incidente. Le système d’axes utilisé pour déterminer l’orientation moléculaire est
défini à la Figure 2-14 présentée précédemment. L’information sur l’orientation des dipôles
peut être obtenue grâce au rapport dichroïque (RATR)
ATR
AR
A⊥
= ll (2.9)
qui est, pour une bande sélectionnée, le rapport entre l’absorbance mesurée avec une
radiation polarisée parallèlement ( ) et perpendiculairement ( ) au plan d’incidence. À
partir du rapport dichroïque et du carré des amplitudes moyennes des champs électriques de
l’onde évanescente dans le film selon les trois dimensions (Ey2, Ex
2 et Ez2), on tire le
paramètre d’ordre
All A⊥
γ2P qui est la valeur moyenne de la distribution de l’orientation du
moment de transition étudié par rapport à la normale du film (axe z). Le moment de
transition est illustré sur le schéma de la Figure 2-14 par le vecteur bleu (M). Ce terme peut
être calculé par l’équation suivante26 :
2 2 2ATR y x z 2
2 2 2 2ATR y x z
R E E E 1P
R E E 2E 2γ γ− −
= =− +
(3cos 1)− (2.10)
Les champs électriques ne sont pas équivalents selon les trois directions et ils
peuvent être calculés en utilisant entre autres les équations approximatives des films
ultraminces de Harrick.27,28 Si le moment de transition du dipôle a une distribution
infiniment étroite par rapport à la normale, on peut calculer l’angle γ à partir de la valeur du
paramètre d’ordre donné. Ainsi, lorsque le terme γ2P est égal à l’unité, l’angle γ est nul.
Le moment de transition est donc parallèle à l’axe z. Au contraire, lorsque sa valeur est de
-0,5, le moment de transition est orienté perpendiculairement à la normale. Et lorsque γ2P
33 a une valeur de 0, le vecteur M est, soit orienté aléatoirement par rapport à la normale
indiquant donc que le film est isotrope, ou bien orienté à un angle de 54,7°.
Si l’on connait l’angle β, qui est l’angle entre le vecteur du moment de transition et
l’axe de la chaîne (C) et si l’on suppose une symétrie cylindrique de la molécule par rapport
à l’axe de la chaîne, il est possible d’obtenir le paramètre d’ordre de l’axe de la chaîne par
rapport à la normale du cristal, θ2P (équation 2.11). Et si l’on fait l’hypothèse que cette
distribution est étroite, on peut exprimer la valeur de l’angle d’inclinaison (θ) de la chaîne
par rapport à z en utilisant l’équation 2.12. Le système présenté à la Figure 2-14 est uniaxe,
l’axe C n’a aucune orientation dans le plan xy, son orientation est seulement définie par
rapport à l’axe z.
2
22
PP
P (cos )γ
θ β= (2.11)
2
2
2 P 1arcos
3P (cos ) 3γθβ
= + (2.12)
Deux spectromètres ont été utilisés pour cette étude, soit le Magna-IR 560 et le
Magna-IR 760 de la compagnie Thermo-Nicolet Instrument inc. (Madison, WI). Ces deux
appareils sont équipés d’un détecteur MCT (tellurure de mercure-cadmium). Les
spectromètres sont purgés en continu avec de l’air sec. Un accessoire ATR vertical (Harrick
Scientific, Ossining, NY) permet de placer les cristaux et leurs supports dans le bon angle
par rapport au faisceau incident (45°). Un polariseur rotatif de ZnSe (Specac, Orpington,
UK) a été placé devant l’échantillon dans le cas où des mesures de l’orientation ont été
effectuées. Les spectres ATR ont été enregistrés avec une résolution de 4 cm-1 et une
acquisition de 1000 interférogrammes a permis d’obtenir un bon rapport signal sur bruit.
Un spectre de référence du cristal sans dépôt est toujours enregistré après celui de
l’échantillon. Les cristaux ATR sont des parallélogrammes (50 x 20 x 2 mm) dont les deux
surfaces latérales sont taillées à un angle de 45°. Ils sont faits de germanium (n1 = 4,0) et
34 permettent 24 réflexions internes. Le traitement des données spectroscopiques a été réalisé
avec le logiciel Grams AI (Thermo Galactic Industries, Salem, NH). Les calculs de
l’orientation moléculaire ont été réalisés à partir d’un programme basé sur les équations de
Harrick et conçu au laboratoire du professeur Michel Pézolet de l’Université Laval.
2.5 La spectroscopie de photoélectrons X
Le principe de la spectroscopie de photoélectrons X (X-ray Photoelectron
spectroscopy, XPS) consiste à analyser en énergie cinétique les électrons photoémis par un
échantillon soumis à l’irradiation d’un faisceau monoénergétique de photons X. La Figure
2-16 illustre ce concept.
Figure 2-16 Principe de la spectroscopie de photoélectrons X. (29)
L’énergie de liaison El qui caractérise un électron d’un niveau électronique donné
est directement accessible par la relation de conservation de l’énergie suivante :
(2.13) lE hv E= − cin
où hv est l’énergie excitatrice fixée et Ecin est l’énergie cinétique mesurée. Les électrons des
couches électroniques de cœur ou de valence, dont l’énergie de liaison est inférieure à hv,
35 pourront être expulsés de l’orbitale. Cela permet d’obtenir le diagramme des énergies
électroniques. Le spectre des énergies de liaison des électrons de cœur est caractéristique de
l’atome et de l’orbitale d’où sont émis les électrons. Il est donc possible d’identifier et de
quantifier un atome dans un matériau. L’énergie de liaison d’un électron ne dépend pas
seulement du niveau d’où provient la photoémission. Il est bien connu qu’une modification
de l’état d’oxydation ou de l’environnement chimique et physique de l’atome provoque un
faible déplacement chimique des pics du spectre de l’ordre de l’électronvolt.
La spectroscopie de photoélectrons est une technique d’analyse qui permet
d’identifier tous les éléments chimiques à l’exception de l’hydrogène et de l’hélium qui
n’ont pas de niveaux de cœur. Puisque chaque élément a un nombre important de raies qui
lui sont associées, son identification est assez simple. Lors d’une analyse quantitative, ce
n’est pas le nombre absolu de photoélectrons qui est mesuré, mais plutôt la concentration
relative d’un élément par rapport aux autres constituants de l’échantillon dont
l’enregistrement a été fait simultanément. Une comparaison quantitative peut également
être faite entre des échantillons différents, mais ils doivent avoir été mesurés dans des
conditions expérimentales identiques. Pour la plupart des échantillons analysés, cette
technique n’est pas destructrice. Toutefois, certains matériaux comme les polymères se
dégradent sous l’effet du faisceau de rayons X. Le faible libre parcours moyen des électrons
dans la matière limite la profondeur analysée à une couche très mince dont l’épaisseur varie
de quelques angströms à une dizaine de nanomètres. Notons toutefois qu’il est possible de
faire varier la profondeur analysée grâce à des mesures angulaires qui consistent à faire
pivoter l’échantillon par rapport à la direction de détection (analyseur). Ce changement
d’angle permet entre autres d’établir un profil de concentration ou au contraire de confirmer
l’homogénéité de la section sondée. Pour une évaluation quantitative, l’homogénéité de
l’échantillon constitue une limitation pour cette technique, il faut donc toujours faire une
hypothèse sur la répartition des éléments dans l’échantillon.
Un spectromètre de photoélectrons est constitué de différents éléments, soit d’une
source de photons X, d’un analyseur à électrons, d’un système de détection et de comptage
et également d’enceintes maintenues sous vide (Figure 2-17). Les appareils s’opèrent à des
pressions de l’ordre de 10-10 Torr pour éviter la diffusion des électrons et la contamination
36 de la surface par les gaz contenus dans l’air ambiant. Les sources X les plus courantes sont
des tubes à anode de magnésium ou d’aluminium. Pour atteindre une résolution de l’ordre
de 0,2–0,3 eV, on peut rendre ces sources de photons monochromatiques, généralement on
procède avec la raie AlKα. La sélection des photoélectrons selon leur énergie est réalisée
par un analyseur qui est dans la plus part des appareils un système dispersif du type
condensateur hémisphérique à double focalisation à 180°. La différence de potentiel
appliquée entre les deux électrodes hémisphériques définit l’énergie de passage des
électrons. Ainsi, seuls les électrons ayant une énergie cinétique comprise dans un certain
domaine par rapport à cette énergie de passage arrivent au détecteur positionné à la fente de
sortie du spectromètre. La détection est habituellement faite par un multiplicateur
d’électrons.
Figure 2-17 Schéma des principales composantes d’un spectromètre de photoélectrons. (Adaptée de 29)
Les mesures ont été effectuées au Laboratoire d’analyse de surface du département
de génie chimique de l’Université Laval par Monsieur Alain Adnot, Ph.D. Le spectromètre
à photoélectrons utilisé provient de la compagnie Kratos et le modèle est Axis Ultra. La
source de rayons X est une anode d’aluminium (AlKα) monochromatique avec un canon de
neutralisation pour l’analyse des échantillons électriquement isolants.
37
2.6 La microscopie à force atomique
Les microscopes à balayage par sonde (Scanning Probe Microscope, SPM)
permettent de mettre en évidence les détails du relief d’une surface à l’échelle atomique.
Les deux types de microscopes à balayage par sonde les plus utilisés sont le microscope à
balayage à effet tunnel (Scanning Tunneling Microscope, STM) et le microscope à force
atomique (Atomic Force Microscope, AFM). Le microscope AFM a été développé en 1986
par G. Binning, C. F. Quate et C. Gerber et contrairement à la STM, cette technique permet
d’imager des surfaces conductrices ainsi qu’isolantes.
En microscopie à force atomique, la surface de l’échantillon est balayée par une
pointe fixée sur un bras de levier flexible. Les forces d’attraction et de répulsion entre la
pointe et la surface de l’échantillon entraînent de faibles fléchissements du levier. Ces
variations sont détectées par un système optique et conduisent à fournir l’information
topographique de la surface à l’étude.
Il existe trois modes différents de travail de la pointe analytique du microscope, soit
le mode non-contact, le mode contact et le mode contact intermittent (Figure 2-18). Pour
définir ce dernier mode, on utilise habituellement le terme anglais tapping. Le mode
non-contact utilise les forces d’attraction entre la pointe et la surface, tandis que le mode
contact fait intervenir les forces de répulsion. Ce mode peut déformer l’échantillon en
raison du contact permanent de la pointe avec la surface et d’une force trop élevée
appliquée sur la pointe. Cela a pour effet de fournir une image distordue. Pour contrer ce
problème qui est particulièrement important pour les polymères, les films minces et les
échantillons biologiques, il est préférable d’utiliser le mode tapping.
Figure 2-18 Différents modes de travail de la pointe : mode non-contact, contact et contact intermittent (tapping). (30)
38
Ce mode nécessite la présence d’un deuxième piézoélectrique permettant un
déplacement selon l’axe z en plus de celui permettant un mouvement selon le plan xy. Il
peut être fixé au levier ou sous l’échantillon. Dans le type d’appareil utilisé pour nos
travaux, le levier est fixe et c’est l’échantillon qui se déplace sous la pointe pour analyser la
topographie (Figure 2-19). Ce mode se caractérise par l’oscillation du levier à une
fréquence de quelques centaines de kilohertz, cette valeur est suffisamment élevée pour
contrer les forces d’adhésion. Le levier oscille près de sa fréquence de résonance avec une
amplitude constante. C’est cette oscillation qui sera modifiée en réaction à la topographie
de la surface. L’image topographique est obtenue par le suivi de ces changements grâce à
une boucle de rétroaction. Un laser est réfléchi sur le levier et un détecteur photodiode
permet de déterminer si l’amplitude de l’oscillation du levier a changé par rapport à la
valeur fixée. Dans l’affirmative, un signal est envoyé au piézoélectrique (z) pour déplacer
l’échantillon afin de garder la déflexion du levier constante.
Figure 2-19 Principe du mode tapping en AFM. (Adaptée de 30)
Le mode tapping permet l’enregistrement simultané de trois types d’images. Dans le
premier type, le signal exprimé en tension électrique est converti en hauteur, on obtient
alors une image qui montre la hauteur des aspérités de la surface. On peut également
enregistrer des images en amplitude. Ce deuxième mode de visualisation consiste en la
39 dérivée du signal de hauteur, il introduit un plus grand contraste sur le rebord des structures
observées. Le dernier mode permet d’obtenir des images en phase. Il consiste à imager le
décalage de la phase de l’oscillation du levier par rapport à celle du signal périodique
envoyé pour créer cette oscillation. C’est le changement de propriétés dans l’échantillon qui
entraîne un déphasage. Par exemple, la variation de la viscoélasticité, de la composition, de
l’adhésion ou encore de la friction peuvent être mises en évidence dans une image en phase.
L’unité de hauteur dans ce cas-ci est exprimée en degrés.
Les images de microscopie à force atomique ont été obtenues avec l’appareil
MultiMode Scanning Probe Microscope de la compagnie Digital Instruments. Toutes les
images ont été enregistrées avec le scanneur E modèle AS-12V (Digital Instruments) dont
la zone de balayage maximale est de 10 x 10 µm. Les pointes utilisées (NSC15/AIBS) ont
été achetées chez MikroMasch. La surface supérieure de leur levier est recouverte
d’aluminium pour permettre une meilleure réflexion du laser vers le détecteur.
2.7 La microscopie à fluorescence
La fluorescence appartient aux phénomènes de luminescence, plus particulièrement
à la photoluminescence.31 Il s’agit d’un phénomène radiatif (émission de photons)
consécutif à une excitation lumineuse. La fluorescence est une propriété que possèdent
certaines substances chimiques que l’on appelle fluorophores. Lorsque ceux-ci sont irradiés
par une radiation de courte longueur d’onde, une partie des photons est absorbée et ensuite
réémise sous forme de lumière. Ce processus d’absorption et d’émission a été décrit par Sir
George Stokes en 1852.
Pour un fluorophore en solution, il est possible d’obtenir un spectre d’excitation et
d’émission de fluorescence. Ce type de spectre s’avère très utile pour choisir un
fluorophore ou pour déterminer les conditions expérimentales. Le maximum d’intensité de
fluorescence émise est indépendant de la longueur d’onde excitatrice. Toutefois, l’intensité
varie en fonction de l’intensité du spectre d’excitation pour la longueur d’onde donnée
(Figure 2-20). La symétrie des spectres d’excitation et d’émission de fluorescence est
expliquée par la relaxation vibrationnelle.
40
Figure 2-20 Spectre typique d’absorption et d’émission de fluorescence d’un fluorophore. (Adaptée de 32)
Un des appareils utilisés pour détecter la fluorescence est le microscope à
fluorescence. Un schéma simplifié de cet appareil est présenté à la Figure 2-21. Il s’agit ici
d’un microscope à épifluorescence puisque l’illumination est du même côté que l’objectif.
Dans d’autres instruments, la source lumineuse peut se trouver sous le spécimen. La
fonction de base du microscope à fluorescence est d’irradier un échantillon avec une bande
spécifique de longueurs d’onde puis de séparer le mieux possible l’émission de
fluorescence de la lumière d’excitation. La source de radiation excitatrice peut être par
exemple une lampe à filament de tungstène, un arc au xénon ou bien un laser. Une bande
étroite du spectre lumineux est sélectionnée grâce à un filtre d’excitation et le faisceau est
réfléchi vers l’échantillon grâce à un miroir dichroïque. Ce dernier est un filtre
d’interférence qui réfléchit la fenêtre de longueurs d’onde sélectionnées et laisse passer les
longueurs d’onde plus longues. Il est placé à 45° par rapport au faisceau d’excitation qu’il
renvoie par réflexion à 90° vers l’échantillon. Puisque la longueur d’onde d’émission est
supérieure à celle d’excitation, le rayonnement fluorescent pourra traverser le miroir
dichroïque pour être ensuite isolé par un filtre barrière. Les filtres d’excitation et d’arrêt
ainsi que le miroir dichroïque constituent une pièce interchangeable de l’appareil que l’on
appelle bloc et elle peut donc être choisie en fonction du fluorophore utilisé.
41
Figure 2-21 Schéma du principe d’un microscope à fluorescence.
Plusieurs plantes ou tissus animaux émettent de la fluorescence lorsqu’ils sont
irradiés par de courtes longueurs d’onde. Ce phénomène est appelé autofluorescence ou
bien fluorescence primaire. La fluorescence secondaire fait intervenir des fluorophores
extrinsèques. La plupart de ces composés fluorescents sont des molécules aromatiques.
Malgré le fait que l’ADN possède des bases puriques et pyrimidiques qui sont des
groupements aromatiques, cette molécule n’émet pas de fluorescence. Il existe toutefois
une variété de fluorophores pouvant se lier spontanément à l’ADN : l’acridine, le bromure
d’éthidium et les espèces cationiques planes. Ce sont des intercalants qui s’insèrent entre
deux plans de paires de bases. Il existe également des sondes fluorescentes qui peuvent
marquer les macromolécules.
Les observations de nos matériaux par microscopie à fluorescence ont été faites
avec deux appareils. Tout d’abord celui du Laboratoire de microscopie de l’Institut de
42 biologie intégrative et des systèmes de l’Université Laval, le microscope LSM 310 fabriqué
par Zeiss. Cet appareil permet des observations en modes fluorescence et confocal. Sa
source excitatrice est un laser d’une longueur d’onde de 488 nm et elle est munie de filtres
d’émission entre 515 et 565 nm pour le mode confocal et 485/535 nm pour le mode
fluorescence. Nous avons bénéficié de l’aide de Monsieur Richard Janvier pour ces
analyses. Le second microscope utilisé est celui du Laboratoire du professeur Christian
Salesse du département d’ophtalmologie de la Faculté de médecine de l’Université Laval.
Le modèle de l’appareil est le UM-2 de la compagnie Nikon. Le faisceau d’excitation est
produit par une lampe à arc au mercure (HBO 100 W/2, Osram). L’ensemble de filtres
choisi est le bloc filtre B2-A de Nikon. Son filtre d’excitation est une bande passante de
420 à 490 nm alors que son filtre d’émission est un filtre passe-haut à 520 nm. Ce
microscope est également muni d’un miroir dichroïque passe-haut à 500 nm et d’une
caméra CCD (C2400-09, Hamamatsu). Nous avons bénéficié cette fois de la collaboration
de Monsieur Mario Méthot.
Chapitre 3
Étude in situ à l’interface air-eau des complexes surfactant cationique-ADN
3.1 Description et préparation du matériel
La description et la préparation du matériel présentées ici s’appliquent pour les
chapitres 3, 4 et 5 de ce mémoire. Les nucléolipides et monomères seront décrits au
chapitre 5.
Surfactants
Les surfactants cationiques choisis pour la première stratégie de ce projet sont
l’octadécylamine (ODA) et le bromure de diméthyldioctadécylammonium (DODAB). Ce
sont tous deux des amines amphiphiles insolubles, une primaire et l’autre quaternaire.
Leurs structures sont montrées à la Figure 3-1 et 3-2. Ils ont été achetés chez Sigma Aldrich
(St-Louis, MO, USA) et ont été utilisés sans purification supplémentaire.
Figure 3-1 Structure moléculaire de l’octadécylamine (ODA); CH3(CH2)17NH2.
44
Figure 3-2 Structure moléculaire du bromure de diméthyldioctadécylammonium (DODAB); [CH3(CH2)17]2NBr(CH3)2.
Acides nucléiques
Différents types d’acides nucléiques ont été utilisés dans le cadre de nos travaux. La
majorité des essais ont été réalisés avec des oligonucléotides de 30 bases identiques, soit
d’adénine, dA30 ou bien de thymine, dT30. Nous avons préféré employer des brins
composés d’un seul type de base azotée afin de simplifier les résultats et de rendre plus
facile leur interprétation. Des oligomères dont la séquence est composée de 30 bases ont été
privilégiés puisque cette longueur est du même ordre de grandeur que celle déjà utilisée au
niveau de l’approche antisens. En ce qui concerne le domaine de la détection, la longueur
sélectionnée est supérieure à la longueur minimale nécessaire pour qu’une séquence de
nucléotides soit unique dans le génome de plusieurs organismes. Si la sonde est trop courte,
il est fort possible que sa séquence ne soit pas unique et qu’elle soit répétée à l’intérieur du
génome de l’organisme ou même qu’elle soit présente dans le génome d’un autre
organisme. Au contraire, si la séquence de la sonde est très longue, les chances sont
beaucoup plus élevées que celle-ci soit unique dans le génome donné. Cependant, lorsque
la séquence d’une sonde est longue, les mésappariements sont moins susceptibles de
déstabiliser la formation du double brin, ce qui peut conduire à la détection de faux positifs.
On peut aussi penser que dans le cas du polymère ADN-mimétique, puisque la technique
utilisée vise à hybrider chacun des monomères à un patron d’ADN simple brin pour en
obtenir la séquence complémentaire, la synthèse d’une longue séquence entraînerait un plus
grand risque d’erreur. Les oligonucléotides ont été synthétisés et purifiés par la compagnie
Integrated DNA technnologies-IDT (Coralville, IA, USA). L’échelle de synthèse est de
1 µmole d’oligonucléotide d’ADN et une purification standard a été réalisée. Les
oligonucléotides sont dessalés, déprotégés puis lyophilisés. Lors de leur réception, les tubes
ont été centrifugés pour éviter toute perte de matériel. La remise en suspension a ensuite été
45 effectuée dans de l’eau ultrapure stérile à une concentration au-delà de 100 µM. Pour
s’assurer que celle-ci soit complète, les tubes ont été chauffés à 50 °C dans un bloc
chauffant pendant 10 minutes.33
Le second type d’acide nucléique employé pour quelques expériences est le sel
disodique de l’adénosine 5’-monophosphate (AMP) dont la structure moléculaire est
montrée à la Figure 3-3. Le sel acheté chez Sigma-Aldrich a été tout simplement dissous
dans de l’eau nanopure à la concentration désirée.
Figure 3-3 Structure moléculaire du sel disodique de l’adénosine 5’-monophosphate (AMP).
La troisième classe d’ADN est de source naturelle. Puisque les oligonucléotides
synthétiques sont assez dispendieux, de l’ADN de sperme de saumon (Sigma-Aldrich) a été
employé afin de minimiser les coûts de certaines expérimentations. Ce type d’ADN est reçu
sous forme lyophilisée et ses fragments ont une longueur d’environ 2000 paires de bases. Il
a été remis en solution, fragmenté et dénaturé pour être sous forme monocaténaire et
obtenir des fragments courts de taille semblable à celle des oligonucléotides aussi utilisés.34
Avant utilisation, la fraction aliquote de 1 ml de la solution de stockage d’ADN de sperme
de saumon (10 mg/ml) est préalablement plongée pendant 5 minutes dans de l’eau
bouillante et ensuite directement placée sur un bain de glace pendant cette même période de
temps. Même si une dénaturation a été faite avant la congélation, il est préférable de répéter
cette étape avant l’utilisation. Après quoi, la portion est diluée dans un volume d’eau
46 nanopure ayant subi une stérilisation par autoclave pour obtenir une concentration finale de
5 µg/ml.
De l’ADN lambda (Promega, Madisson, WI, USA) a également été employé. Ce
dernier provient d’un virus appelé Phage Lambda qui infecte la bactérie E. coli. Il s’agit
d’un acide nucléique linéaire double brin formé de 48 502 paires de bases.35 La solution
tampon d’entreposage dans laquelle cet ADN est reçu est : 10 mM Tris-HCl (pH 7,8),
10 mM NaCl, 1 mM EDTA. Il n’a subi aucun traitement supplémentaire.
Pour éviter les cycles gel-dégel répétés, des parties aliquotes ont été préparées pour
tous les types d’acides nucléiques, à l’exception de l’AMP dont une solution fraîche est
préparée pour chaque essai. La température de conservation est de -20 °C pour le stockage
à long terme et de 4 °C pour une période d’au maximum deux semaines.
Les sous-phases sont préparées à partir d’eau purifiée par un appareil Barnstead
Nanopur II (Boston, MA), d’où le terme nanopure employé pour définir ce type d’eau. Le
terme ultrapure sera également utilisé. La résistivité est de 18,2 MΩ/cm et le pH est
d’environ 6,5.
3.2 Préparation des films de Langmuir
Les solutions diluées de surfactant sont préparées à une concentration s’approchant
de 1 mg/ml et le solvant est du chloroforme de qualité HPLC (Laboratoire Mat, QC). Plus
précisément, pour les isothermes de compression et l’étude de stabilité, le volume d’ODA
étalé est de 28 µl pour une solution ayant une concentration de 1,03 mg/ml et celui du
DODAB est de 45 µl (0,89 mg/ml). Pour les études effectuées au BAM, 13 µl (1,23 mg/ml)
de DODAB ont été étalés.
Les sous-phases d’acides nucléiques peuvent être préparées de deux façons
différentes, soit les acides nucléiques sont ajoutés à l’eau nanopure directement dans la
cuve à l’aide d’une seringue, soit la sous-phase contenant l’ADN à une concentration
connue est préparée avant même d’être versée dans la cuve. Les résultats présentés dans ce
chapitre font référence à la première méthode. Celle-ci a été utilisée lorsque des
47 oligonucléotides ou de l’AMP étaient ajoutés. Le volume était prélevé à l’aide d’une
microseringue de 100 µl et injecté à quelques millimètres de la surface de l’eau. La quantité
ajoutée dépend du nombre de molécules de surfactant qui sera étalé, il s’agit d’un ratio de
charge d’environ 15 (ρ−/+). Ce ratio est du même ordre de grandeur que ce qu’on retrouve
dans la littérature.36 La température de la sous-phase est maintenue à 20 ± 1 °C pour
chaque isotherme.
Suite à l’étalement de la solution de surfactant sur la sous-phase, une période
d’attente de 10 à 15 minutes permet l’évaporation du solvant. Pour les isothermes montrés à
la section 3.3.1, le film a été comprimé à un taux de 7,68 x 10-2 nm2/molécule/min dans une
cuve de 100 x 700 mm. Pour les sections 3.3.2 et 3.4, le taux de compression est de
1,25 x 10-1 nm2/molécule/min et les dimensions de la cuve sont de 60 x 500 mm.
L’évolution de la pression de surface est suivie grâce à la méthode de Wilhelmy avec un
papier-filtre.
3.3 Balance de Langmuir
3.3.1 Isothermes de compression et de relaxation de l’ODA et du DODAB
Isothermes de compression
On remarque que les isothermes de compression de ces deux surfactants sont très
différents (Figure 3-4A et Figure 3-5A). L’ODA est très peu compressible et son aire
moléculaire minimale est d’environ 20 Å2/molécule, ce qui correspond bien à la valeur de
l’aire occupée par une chaîne alkyle. Le film de DODAB quant à lui est beaucoup plus
compressible et présente des changements de pente en raison de transitions de phase. L’aire
minimale occupée par une de ces molécules est supérieure à la valeur attendue pour deux
chaînes hydrophobes. Les caractéristiques de cet isotherme seront détaillées un peu plus
loin.
48
20 40 60 80 100 120 140 160 180
0
10
20
30
40
50
0 1000 2000 3000 4000 5000 60000,5
0,6
0,7
0,8
0,9
1,0
7 mN/m 20 mN/m 30 mN/m
A/A
0
Temps (s)0 20 40 60 80 100
0
10
20
30
40
50
60
X
X
Figure 3-4 (A) Isotherme de compression et (B) isothermes de relaxation à 7, 20 et 30 mN/m d’une monocouche d’ODA.
Figure 3-5 (A) Isotherme de compression et (B) isothermes de relaxation à 7, 20 et 30 mN/m d’une monocouche de DODAB.
Isothermes de relaxation
Avant même de procéder à d’autres analyses, nous nous sommes intéressés à la
stabilité de chacun de ces surfactants. Ce paramètre est très important lorsqu’on procède au
transfert des films sur des supports solides. Il aide entre autres à déterminer la pression de
X
Pre
ssio
n de
sur
face
(m
N/m
)
Aire moléculaire (Å2/molécule)
X
X
0 1000 2000 3000 4000 5000 60000,5
0,6
0,7
0,8
0,9
1,0
7 mN/m 20 mN/m 30 mN/m
A/A
0
Temps (s)
X
Pre
ssio
n de
sur
face
(m
N/m
)
Aire moléculaire (Å2/molécule)
B A
A B
49 surface à choisir pour le transfert des films. La stabilité peut être évaluée grâce à
l’enregistrement d’isothermes de relaxation. Il s’agit ici de comprimer le film jusqu’à une
pression de surface cible et de suivre la variation de l’aire moléculaire par rapport à la
valeur initiale pour cette pression (A/A0) en fonction du temps. Moins une monocouche est
stable, plus les barrières doivent compresser le film pour maintenir la pression de surface
donnée. Il en résulte donc une diminution de l’aire moléculaire. Le rapport A/A0 a des
valeurs se situant entre 1,00 et 0. La monocouche est renouvelée pour chacune des
pressions de surface ciblée.
Le comportement des isothermes de relaxation des films de surfactants est
directement en lien avec les isothermes de compression et l’on observe qu’il est très
différent pour chaque composé. La Figure 3-4B présente l’isotherme de relaxation d’un
film d’ODA, où l’on voit que plus la pression de surface cible est élevée, plus la
décroissance de l’aire moléculaire est rapide. Ceci est tout à fait normal puisque plus on
approche du collapse, plus le film est instable. Toutefois, si l’on compare la chute de l’aire
moléculaire pour un film d’ODA avec celle du DODAB présentée à la Figure 3-5B, on
constate que la monocouche de DODAB est nettement plus stable. Pour une pression de
surface cible de 30 mN/m après 6000 secondes, le film d’ODA affiche un rapport A/A0 de
0,62 tandis que celui du DODAB est à une valeur de 0,97. Les isothermes de relaxation du
DODAB montrent deux phénomènes. D’abord, entre 0 et 3000 secondes environ il y a
décroissance du rapport A/A0, ce qui peut être causé par une dissolution des molécules dans
la sous-phase ou encore par la formation de couches multiples. La deuxième portion de
l’échelle de temps, de 3000 à 6000 secondes, montre une pente positive pour les pressions
de 7 et 20 mN/m. On peut ainsi penser qu’il y a une diminution des forces de cohésion et
par conséquent une expansion de la monocouche. Ce phénomène n’est pas observé pour
une pression cible de 30 mN/m. Ainsi, en raison de la meilleure stabilité de ses films de
Langmuir, le DODAB a été privilégié pour les analyses subséquentes.
Analyse détaillée de l’isotherme de compression du DODAB
L’isotherme de compression du DODAB présenté précédemment à la Figure 3-5A
peut être analysé par section. Tout d’abord, la première montée de pression de surface est
50 observée à une aire moléculaire d’environ 122 Å2/molécule. Au-delà de cette valeur, le film
se trouve à l’équilibre entre la phase gazeuse et la phase liquide expansé. À une pression de
surface d’environ 16 mN/m, un léger changement de pente est visible dû à une transition de
phase vers l’état condensé. Cette région est beaucoup moins compressible. L’aire minimale
occupée par une molécule est obtenue en extrapolant la pente de la phase solide pour une
pression de surface nulle, ce qui correspond à une aire moléculaire de 75 Å2 par molécule
de DODAB. Cette valeur de l’état le plus comprimé est supérieure à l’aire occupée par
deux chaînes aliphatiques qui est approximativement de 40 Å2. Ceci est une indication qu’il
y a de fortes répulsions entre les têtes cationiques du surfactant. On peut donc en déduire
que les molécules de DODAB sont dissociées et chargées positivement. Ainsi dans ces
conditions, l’association avec un polyélectrolyte négatif est possible. Plusieurs études ont
rapporté des valeurs d’aires moléculaires aussi grandes. 37-40 De plus, aucun plateau
indiquant un changement de la phase liquide expansé vers liquide condensé n’est visible sur
l’isotherme. Quelques isothermes présentés dans la littérature montrent toutefois la
présence d’un plateau de 15 à 20 Å2/molécule de largueur. Il a été démontré que l’existence
et l’étendue de ce plateau dépendent de la température, de la vitesse de compression et aussi
de la composition en sel de la sous-phase.38,39 La présence d’une phase condensée sera
montrée et discutée plus loin grâce à nos travaux en microscopie à l’angle de Brewster. La
pression de surface où a lieu le collapse est identique à celle obtenue par Sun et al.40, soit
43 mN/m.
3.3.2 Isotherme de compression du complexe DODAB-ADN
Avant toute chose, il est important de mentionner ici que l’ADN présente des
propriétés tensioactives très faibles et qu’il s’adsorbe à l’interface air-eau seulement lorsque
la force ionique du milieu est élevée.41 Les isothermes de DODAB étalés sur une sous-
phase d’eau pure et sur une solution aqueuse d’ADN sont montrés à la Figure 3-6. Aucune
incubation n’est nécessaire, la compression du film a donc lieu directement après
l’évaporation du solvant, soit 15 minutes après l’étalement du surfactant.
51
20 40 60 80 100 120 140 160 180 200
0
10
20
30
40
50
60
Pre
ssio
n de
sur
face
(m
N/m
)
Aire moléculaire (Å2/molécule)
eau pure oligonucléotides
Figure 3-6 Isothermes de compression d’une monocouche de DODAB sur une sous-phase d’eau pure avec et sans dA30.
La présence d’oligonucléotides dans la sous-phase modifie l’isotherme de
compression du DODAB. Celui-ci est déplacé vers des aires moléculaires plus grandes.
L’ADN étant un biopolyélectrolyte chargé négativement, il peut donc s’adsorber à
l’interface air-eau à un surfactant cationique et former ainsi un complexe électrostatique.
Puisqu’il y a diminution de l’effet de répulsion des charges, on s’attend à une diminution de
l’aire occupée par les molécules de DODAB. Toutefois, on observe que l’interaction avec
l’ADN entraîne une augmentation de l’aire moléculaire. Les charges négatives de l’ADN
sont positionnées sur le squelette à une certaine distance, elles forcent par conséquent les
molécules cationiques à être plus distancées que lorsque celles-ci sont sur une sous-phase
d’eau pure. Il en découle des changements dans la densité de la monocouche de surfactant.
Le comportement observé ici, c’est-à-dire le déplacement de l’isotherme vers de plus
grandes aires moléculaires, concorde avec ce qui est rapporté dans littérature pour des
études semblables visant la complexation d’une monocouche cationique et de l’ADN.42,43
On note également une modification d’inclinaison de la courbe vers 91 Å2/molécule. De
plus, la présence d’ADN dans la sous-phase semble augmenter la stabilité du film puisque
la pression de surface du collapse est passée de 43 à 58 mN/m. Il faut toutefois se garder
52 une réserve quant à ce dernier résultat puisque la pression de surface d’un collapse n’est pas
toujours reproductible.
3.4 BAM
Les isothermes de compression ont révélé une adsorption non spécifique entre le
surfactant cationique et l’ADN, ce qui est noté par un décalage de l’aire moléculaire. Pour
visualiser maintenant cet effet de l’ADN sur la monocouche de DODAB, la microscopie à
l’angle de Brewster a été utilisée.
3.4.1 Monocouche de DODAB
Les images BAM sont obtenues simultanément à l’enregistrement d’un isotherme.
Les images présentées à la Figure 3-7 font référence aux pressions de surface et aux aires
moléculaires de l’isotherme de compression du DODAB de la Figure 3-5A. Une
monocouche de ce surfactant a d’abord été caractérisée sur une sous-phase d’eau nanopure
dans le but d’établir une référence.
B A
C D
Figure 3-7 Images de microscopie à l’angle de Brewster d’une monocouche de DODAB sur une sous-phase d’eau pure à des pressions de surface de (A) 5 mN/m, (B) 20 mN/m, (C) 31 mN/m et (D) 41 mN/m.
53
À basse pression de surface (Figure 3-7A), on peut observer sur les images BAM de
petits domaines circulaires clairs. Plus la monocouche est comprimée, plus la taille et le
nombre de domaines augmentent. Leur aspect prend de plus en plus celui d’une fleur. On
voit aussi à la Figure 3-7C, que la phase entourant les domaines devient plus dense, puisque
le niveau de gris augmente. Il s’agit ici de la phase liquide condensé. Malgré le fait qu’il
n’y a pas de plateau visible dans l’isotherme présenté, il y a bien coexistence des phases
liquide expansé et liquide condensé. Ce phénomène a d’ailleurs déjà été rapporté.40,44
3.4.2 Monocouche du complexe DODAB-dA30
La morphologie du film du complexe DODAB-ADN est très différente de celle du
surfactant seul comme le laisse voir la Figure 3-8. À basse pression de surface, on
n’observe qu’une seule phase homogène. Il y a ensuite apparition de petits domaines
circulaires lorsque la pression de surface augmente. La compression entraîne la formation
d’un film très dense et homogène d’après le niveau de gris qui s’accroît fortement. Les
agrégats à l’aspect de fleur observés pour la monocouche de DODAB sont dans cas-ci
totalement absents.
BA
DC
Figure 3-8 Images de microscopie à l’angle de Brewster d’une monocouche de DODAB sur une sous-phase aqueuse de dA30 à des pressions de surface de (A) 5 mN/m, (B) 20 mN/m, (C) 30 mN/m et (D) 42 mN/m.
54
La technique de la balance de Langmuir ainsi que la microscopie à l’angle de
Brewster ont permis de démontrer qu’il y a bien formation d’un complexe électrostatique
entre le DODAB et des acides nucléiques à l’interface air-eau. Les deux principaux
éléments sont qu’en présence d’ADN dans la sous-phase, l’isotherme de compression est
déplacé vers des aires moléculaires plus grandes et la morphologie du film est changée.
Chapitre 4
Étude sur support solide des complexes surfactant cationique-ADN
Puisque l’association des monomères et la réaction de polymérisation souhaitées
pour la formation de polymères ADN-mimétiques auront lieu sur un support solide, il est
primordial de connaître la composition, l’orientation et la morphologie du film transféré sur
un support solide grâce à la technique Langmuir-Blodgett. Peu d’études à ce jour portent
sur l’analyse des films de DODAB et d’ADN sur support solide puisque leur principale
application est la formation de liposomes pour le transport de médicament in vitro.36,40,45
Donc les études précédentes portaient majoritairement sur la complexation de surfactants
cationiques et d’ADN en solution. La spectroscopie infrarouge de réflexion totale atténuée,
la spectroscopie de photoélectrons X et la microscopie à fluorescence sont les techniques
qui nous semblaient les mieux adaptées et que nous avons privilégiées pour nos travaux
portant sur l’étude du complexe surfactant-ADN sur support solide.
4.1 Préparation des films de Langmuir-Blodgett
Dans un premier temps, les monocouches sont préparées selon la méthode de
Langmuir qui a été décrite précédemment (section 3.2). Les divers paramètres propres au
transfert Langmuir-Blodgett, soit la vitesse de compression, la pression de surface cible, la
56 vitesse de transfert ainsi que le type de substrat employé pour les dépôts présentés dans ce
chapitre seront détaillés à chacune des sections.
Lors des transferts Langmuir-Blodgett comportant des acides nucléiques, certaines
précautions ont dû être prises. L’adsorption des biopolymères aux interfaces solide-liquide
est un phénomène bien connu. Il a été démontré par Gani et al.46 que l’ADN a de l’affinité
pour les surfaces tant hydrophiles qu’hydrophobes selon différents facteurs. Nous avons
donc effectué quelques essais afin de vérifier l’adsorption en fonction du temps
d’incubation. Le temps d’incubation est la période d’attente entre l’étalement du surfactant
sur la sous-phase et la compression du film. La spectroscopie ATR a été la technique la
plus simple et rapide pour fournir l’information recherchée. La sous-phase utilisée a une
concentration de 5 µg/ml d’ADN. Nous avons noté que pour une incubation de
10-15 minutes, en ayant préalablement positionné le substrat dans la sous-phase avant
l’étalement, l’adsorption non spécifique est faible et le rapport d’intensité des bandes
choisies est comparable à celui obtenu pour un substrat inséré dans la sous-phase seulement
au moment du transfert. Pour des périodes d’incubation de plus d’une heure, une quantité
notable d’ADN s’est fixée sur le support de germanium. Il est donc important de limiter le
plus possible le temps d’immersion des substrats dans une sous-phase contenant des acides
nucléiques ou encore d’effectuer des transferts par immersion.
4.2 ATR
La spectroscopie infrarouge de réflexion totale atténuée nous a permis d’obtenir de
nouvelles informations sur les films de complexes déposés sur supports solides. Des études
qualitatives et quantitatives réalisées par cette technique ont démontré la formation du
complexe ainsi que la proportion de chacun de ses composants. L’ATR nous a permis
également de mesurer l’orientation moléculaire d’un film de surfactant et de complexe.
57 4.2.1 Étude qualitative de la composition des films
Préparation des échantillons
Dans un premier temps, il était important de confirmer que le complexe était bel et
bien transféré sur le support solide par la technique Langmuir-Blodgett. Un film de
DODAB et un film du complexe DODAB-ADN sur un cristal de germanium ont donc été
préparés par cette technique. Pour s’assurer d’obtenir un bon signal d’absorbance, des
couches multiples ont été déposées. Le film de DODAB a été comprimé à une vitesse de
10 mm/min, une fois la pression de surface de 30 mN/m atteinte, une période d’attente de
quelques minutes a été laissée pour permettre au film de se stabiliser. Ensuite, cinq
monocouches ont été déposées successivement à une vitesse de transfert de 2 mm/min. Le
substrat était immergé dans la sous-phase d’eau pure dès le début. Ces paramètres de
transfert sont identiques pour le film du complexe, toutefois la façon de procéder est
légèrement différente. Tout d'abord, une monocouche de DODAB est déposée par émersion
du substrat préalablement présent dans la sous-phase. Cette étape rend la surface du cristal
de germanium hydrophobe. Elle permet donc par la suite le transfert par immersion et
éloigne tout risque d’adsorption non spécifique des acides nucléiques. Puis, dans une
seconde expérimentation, quatre couches de complexe DODAB-dT30 sont transférées. Les
films sont ainsi tous composés de cinq couches, toutefois la première couche du film de
complexe n’est formée que du surfactant.
Résultats et discussion
La Figure 4-1 présente les spectres ATR obtenus à partir de ces films et l’attribution
des principales bandes dans les domaines spectraux de 2750 à 3050 cm-1 et de 950 à
1850 cm-1. Dans la région des hautes fréquences, on retrouve pour les deux films les
vibrations d’élongation antisymétrique (νas CH2) et symétrique (νs CH2) des méthylènes à
2918 et 2950 cm-1. Une bande de plus faible intensité présente à 2958 cm-1 est attribuée aux
élongations antisymétriques des groupements méthyle (νas CH3) de la chaîne alkyle. La
région à basse fréquence montre clairement la présence du complexe avec l’ADN. Le
surfactant n’affiche qu’une seule bande caractéristique dans cette région à 1468 cm-1 et elle
58 est associée au mouvement de cisaillement des groupes méthylène (δ CH2). Le spectre du
complexe à la Figure 4-1B (en trait pointillé) montre quant à lui trois bandes spécifiques à
la présence d’oligonucléotides, soit la bande amide I à 1694 cm-1 et les vibrations
d’élongation symétrique (νs PO2-) et antisymétrique (νas PO2
-) des groupements phosphate,
respectivement à 1063 et 1259 cm-1. La bande amide I est causée principalement par la
vibration d’élongation du lien carbonyle (80 %), par la vibration d’élongation du lien C-N
et également par le mode de déformation angulaire du lien N-H de la pyrimidine.
3050 3000 2950 2900 2850 2800 2750
0,00
0,02
0,04
0,06
0,08
νs CH
2
νas
CH2
DODAB DODAB-dT
30
Abs
orba
nce
Nombre d'onde (cm-1)
νas
CH3
1800 1600 1400 1200 1000
0,000
0,004
0,008
0,012
νs PO
2
-ν
as PO
2
-
DODAB DODAB-dT
30
Abs
orba
nce
Nombre d'onde (cm-1)
Amide I
δ CH2
A
B
Figure 4-1 Spectres ATR de films LB ultraminces de DODAB et du complexe de DODAB-dT30 dans (A) la région de 3050 à 2750 cm-1 et (B) la région de 1850 à 950 cm-1.
59
Malgré le même nombre de couches déposées sur les substrats, on peut remarquer
que l’intensité des bandes des vibrations des méthyles et méthylènes sur les deux spectres
n’est pas la même. Cette différence d’intensité est causée par des taux de transfert non
équivalents. Il est évident que plus de matière a été déposée lors du transfert du film du
complexe que dans le cas du dépôt du surfactant. Pour l’étude qualitative en ATR, il ne
s’agissait pas d’optimiser les paramètres de transfert pour obtenir des taux de transfert près
de l’unité. Le travail avait plutôt pour but de démontrer dans un premier temps la présence
d’ADN dans les films du complexe une fois transférés sur un support solide.
4.2.2 Étude de l’orientation moléculaire
Préparation des échantillons
Ces films ont été préparés dans une cuve dont les dimensions sont 80 x 500 mm.
Lorsque le DODAB a été étalé sur l’eau pure une période de 15 minutes a été allouée avant
de débuter la compression tandis que lorsqu’il y avait présence d’ADN dans la sous-phase,
l’attente a été d’une heure. Les films ont été comprimés à une vitesse de 10 mm/min
jusqu’à l’atteinte de la pression de surface cible (30 mN/m). Deux monocouches ont été
transférées à une vitesse constante de 2 mm/min ainsi des taux de transfert d’environ 0,9
ont été obtenus. Les bicouches ont été déposées grâce à l’émersion du substrat de la sous-
phase et ensuite à sa réinsertion. Une fois le substrat de germanium revenu à sa position
initiale dans la sous-phase, la surface entre les barrières a été aspirée à l’aide d’une trompe
à vide. Les barrières ont été ouvertes pour ensuite procéder à la remontée du substrat à
l’extérieur de l’eau et permettre son séchage. La sous-phase d’acides nucléiques a été
produite ici selon le deuxième mode de préparation, c’est-à-dire à partir d’ADN de sperme
de saumon d’une concentration de 5 µg/ml.
Résultats et discussion
Puisqu’il a été démontré que le film de complexe est bien transféré sur le substrat de
germanium, nous avons cherché à savoir si la présence d’ADN modifie l’orientation des
60 chaînes de surfactant. Les calculs de l’orientation ont été faits à partir des spectres ATR
polarisés exposés à la Figure 4-2. Les spectres de la région des vibrations symétriques et
antisymétriques des méthylènes pour un film de DODAB sont montrés à la Figure 4-2A
alors que la Figure 4-2B présente cette même région pour un film de complexe
DODAB-ADN.
3050 3000 2950 2900 2850 2800 2750
0,000
0,005
0,010
0,015
0,020
0,025 p s
Abs
orba
nce
Nombre d'onde (cm-1)
A
3050 3000 2950 2900 2850 2800 2750
0,000
0,005
0,010
0,015
0,020
0,025
0,030
0,035
0,040
0,045
p s
Abs
orba
nce
Nombre d'onde (cm-1)
B
Figure 4-2 Spectres ATR polarisés de bicouches transférées sur un substrat de germanium de (A) DODAB et de (B) complexe DODAB-ADN.
61
On note très peu d’écart entre l’intensité des bandes pour la polarisation parallèle et
celle pour la polarisation perpendiculaire, il en découle donc un rapport dichroïque près de
l’unité. Le Tableau 4-1 détaille ces rapports dichroïques et aussi les angles d’inclinaison
moléculaire pour les deux échantillons. L’angle d’inclinaison de la chaîne alkyle de la
molécule n’est pas modifié en présence d’ADN. Comme les résultats obtenus par la balance
de Langmuir et le BAM l’ont démontré, seule la densité du film varie par la présence
d’acides nucléiques, l’orientation du surfactant reste quant à elle inchangée.
Tableau 4-1 Rapport dichroïque (RATR) et angle d’inclinaison (θATR) moléculaire calculés pour les vibrations sélectionnées pour des bicouches de DODAB et de DODAB-ADN transférées sur un substrat de germanium.
Composés Vibration Bande (cm-1) RATR θATR (°)
νs CH2 2850 0,96 18 DODAB
νas CH2 2920 0,99 19
νs CH2 2850 0,98 19 DODAB-ADN
νas CH2 2919 0,96 18
4.2.3 Étude quantitative de la composition des films
Préparation des étalons et des échantillons
Pour cette méthode d’évaluation quantitative, nous avons tout d’abord établi une
courbe d’étalonnage. Cette courbe d’étalonnage a été tracée à partir de films de mélanges
de surfactant cationique (DODAB) et de nucléotide (AMP) de rapport molaire connu. Cinq
solutions ayant des rapports DODAB/AMP de 0,38; 0,50; 1,06; 2,18 et 3,86 ont été
préparées. Les étalons sont constitués d’adénosine monophosphate, un nucléotide, en raison
d’une incompatibilité de solubilité du surfactant et des oligomères ou polymères d’ADN.
Le DODAB et l’AMP sont tous deux solubles dans l’éthanol. Les solutions étalons ont
donc été préparées dans un mélange éthanol/eau comme solvant. Les films ont ensuite été
obtenus par évaporation du solvant sur un cristal de germanium. Il s’agit ici d’une analyse
62 de films épais. Le terme film épais est utilisé dans ce mémoire en opposition au film
Langmuir-Blodgett. La quantité de matière déposée sur le cristal n’a pas d’importance
puisque c’est l’intensité relative et non pas l’intensité absolue qui est considérée. L’analyse
des spectres ATR ainsi obtenus permet de calculer le rapport d’intensité de la bande de la
vibration d’élongation symétrique des méthylènes et de la bande attribuée à la vibration
d’élongation symétrique des groupements phosphate.
L’échantillon a quant à lui été préparé de façon différente. Le film a été déposé sur
le cristal par la technique Langmuir-Blodgett. Pour nous assurer que l’ADN déposé
provienne bien de la complexation avec le surfactant cationique et non d’adhésion, nous
avons tout d’abord déposé une première couche de DODAB pour rendre le cristal
hydrophobe. Nous avons ensuite déposé par immersion et par émersion du substrat deux
couches de complexe DODAB-dT30. Pour que le rapport d’intensité des bandes IR ne soit
pas affecté par le dépôt de la couche de DODAB, nous avons premièrement fait
l’enregistrement d’un spectre de référence avant le premier dépôt. Ensuite, un
enregistrement d’échantillon a été fait à la suite de chacun des dépôts, soit de la
monocouche et de la bicouche, pour terminer avec un second spectre de référence. Grâce à
cette séquence d’enregistrement, le spectre de DODAB a pu être soustrait du spectre global.
Les paramètres de préparation des monocouches de DODAB et de DODAB-dT30 sont les
mêmes. La vitesse de compression des films est de 10 mm/min et la vitesse de transfert est
de 2 mm/min. Un volume de 17 µl de DODAB à une concentration de 1,30 mg/ml à été
déposé et un rapport de charge -/+ (nucléotide/surfactant) de 15 est calculé pour déterminer
le volume d’oligonucléotide à injecter.
Résultats et discussion
L’étude qualitative ayant démontré que le complexe électrostatique DODAB-ADN
pouvait être transféré sur un cristal de germanium, l’étude quantitative vise, quant à elle
maintenant, à déterminer dans quel rapport molaire le surfactant cationique et le nucléotide
anionique sont déposés sur le support solide. Nous souhaitons pour le moins connaître
l’ordre de grandeur du rapport molaire, est-il de 1:1 ou de 1000:1? Les spectres ATR des
régions d’intérêt sont présentés à la Figure 4-3. La courbe d’étalonnage a été établie en
63 portant en graphique le rapport d’intensité d’absorbance des bandes νs CH2 et νs PO2
- en
fonction du rapport molaire DODAB/AMP (Figure 4-4). La courbe obtenue est une relation
linéaire dont l’équation est donnée sur la figure et celle-ci permet de calculer le rapport
d’intensité de ces deux mêmes bandes pour un échantillon préparé par transfert
Langmuir-Blodgett.
3050 3000 2950 2900 2850 2800 2750
0,00
0,06
0,12
0,18
νs CH
2
Abs
orba
nce
Nombre d'onde (cm-1)
0,4 0,5 1,1 2,2 3,9
A
1300 1250 1200 1150 1100 1050 1000 950
0,000
0,002
0,004
0,006
0,008
0,010 νs PO
2
-
1082
Abs
orba
nce
Nombre d'onde (cm-1)
0,4 0,5 1,1 2,2 3,9
B
Figure 4-3 Spectres ATR de films isotropes du complexe DODAB-AMP de rapport molaire DODAB/AMP connu dans (A) la région des groupements méthylène et (B) la région du groupement phosphate.
64
0 1 2 3 4 50
5
10
15
20
25
y = 5,36x-0,63
R2=0,997
Rap
port
d'in
tens
ité (
ν s CH
2/νs P
O2- )
Rapport molaire (DODAB/AMP)
Figure 4-4 Courbe d’étalonnage du rapport molaire établie à partir des spectres ATR de complexes de DODAB-AMP.
On obtient ainsi le rapport molaire DODAB/thymine (surfactant/nucléotide) pour
l’échantillon analysé (Figure 4-5). Le rapport molaire DODAB/thymine obtenu pour
l’échantillon décrit est 2:1. Par contre, il est raisonnable de penser que les complexes
électrostatiques se forment selon un rapport molaire de 1:1 étant donné la nature
cation/anion des composants et cela, malgré le fait que le ratio utilisé dans la cuve du bain
Langmuir est 1:15. Dans chacun des essais, les acides nucléiques sont toujours ajoutés en
large excès par rapport aux molécules amphiphiles. Hou et ses collaborateurs47 ont
quantifié en solution le complexe de didodécyldiméthylammonium (DDDA), un surfactant
du même type que le DODAB mais qui possède deux chaînes de douze carbones, et d’ADN
grâce à la résonance magnétique nucléaire du proton (1H RMN) avec le toluène comme
référence interne. Le rapport qu’ils ont obtenu est 1:1. Le complexe DODAB-ADN que
nous étudions possède donc un rapport molaire qui est du même ordre de grandeur, qu’il
soit en solution ou fixé sur un support solide. Ce ratio molaire calculé de 2:1 laisse
logiquement supposer pour l’instant que la moitié de la surface recouverte par le DODAB
contient des nucléotides. Toutefois, la répartition des acides nucléiques sur le support sera
discutée plus en détail à la section 4.4.
65
3050 3000 2950 2900 2850 2800 2750
0,00
0,01
0,02
0,03
0,04
0,05
Abs
orba
nce
nombre d'onde (cm-1)
νs CH
2
A
1300 1250 1200 1150 1100 1050 1000 950
0,000
0,001
0,002
0,003
0,004
0,005
0,006
Abs
orba
nce
nombre d'onde (cm-1)
νs PO
2
-
1065B
Figure 4-5 Spectres ATR d’une bicouche du complexe DODAB-dT30 de rapport molaire inconnu dans (A) la région des groupements méthylène et (B) la région du groupement phosphate.
Il faut cependant penser que le rapport obtenu par ATR peut être partiellement en
erreur en raison d’une différence de composition entre les échantillons et les étalons, et
également en raison de différences d’orientation moléculaire. Les étalons ont été préparés
66 avec le sel de l’AMP, ce sont donc des solutions de nucléotides. Quant aux échantillons, ils
ont été préparés avec les composés habituels, c’est-à-dire avec une sous-phase contenant
des 30-mers de thymine. Donc, puisque le groupement phosphate des nucléotides n’est pas
dans un environnement identique dans l’AMP et dans le dT30, on observe un décalage de la
bande attribuée aux vibrations d’élongation symétrique de ce groupement fonctionnel. Sur
le spectre des étalons, la bande se situe à 1082 cm-1 alors que sur le spectre de l’échantillon
on l’observe à 1065 cm-1. Pour vérifier que ce décalage n’est pas causé par la différence de
préparation des films (film épais-film ultramince) mais plutôt de composition (AMP-dA30),
les spectres ATR de deux films préparés par évaporation de solvant ont été obtenus (Figure
4-6). Les fréquences sont toutefois un peu différentes, 1072 cm-1 pour le film dA30 au lieu
de 1065 cm-1 pour le film de DODAB-dT30, et 1090 cm-1 pour le film d’AMP au lieu de
1082 cm-1 pour le film DODAB-AMP. Les deux bandes sont à plus basse fréquence
lorsqu’il y a présence de surfactant. On peut donc penser que l’interaction électrostatique
avec le DODAB diminue la fréquence. Notons cependant que le décalage entre les deux
bandes est de 18 cm-1 dans les deux cas. Un autre facteur qui peut avoir contribué à l’erreur
d’appréciation du rapport obtenu est la profondeur de pénétration de l’onde évanescente.
Celle-ci varie comme on le sait en fonction de l’indice de réfraction des deux milieux, de
l’angle d’incidence et aussi de la longueur d’onde. Les vibrations à basse fréquence
absorbent donc plus fortement la radiation. Pour un film épais, la bande caractéristique du
phosphate est donc plus intense qu’elle ne le devrait. Pour les films minces, nous n’avons
pas à nous soucier de la profondeur de pénétration car l’onde évanescente traverse
complètement l’échantillon. Le troisième paramètre à considérer quant à la justesse du
rapport molaire concerne l’orientation moléculaire. Les films épais préparés par
évaporation de solvant des étalons sont isotropes tandis que les films minces préparés par
déposition Langmuir-Blodgett sont anisotropes. Puisqu’en spectroscopie ATR l’amplitude
des champs électriques n’est pas égale dans toutes les directions, l’absorption de la
radiation ne sera pas équivalente pour les étalons et pour l’échantillon.
67
1300 1250 1200 1150 1100 1050 1000 950
dA30
Abs
orba
nce
Nombre d'onde (cm-1)
AMP
10901072
νs PO
2
-
Δ 18 cm-1
Figure 4-6 Spectres ATR comparatifs de la région du groupement phosphate de films isotropes d’AMP et de dA30.
4.3 XPS
Tout comme avec la spectroscopie ATR, la spectroscopie photoélectronique à
rayons X nous a permis d’abord d’étudier de façon qualitative, puis quantitative, des films
du complexe DODAB-ADN sur support solide. On a pu établir précédemment le rapport
molaire DODAB/thymine dans des films de complexes transférés sur un cristal de
germanium. Toutefois, comme il a été mentionné, quelques facteurs ont pu contribuer à une
certaine erreur sur la valeur obtenue. La spectroscopie de photoélectrons X a donc été
utilisée pour confirmer le résultat obtenu par ATR. L’approche préconisée pour obtenir
cette information consiste à calculer le rapport du pourcentage des concentrations
atomiques d’azote et de phosphore en tenant compte que l’atome d’azote est contenu dans
chacun des constituants du complexe. Ce rapport peut également être calculé en utilisant
seulement le pourcentage atomique de l’azote. Il est nécessaire dans ce cas que les deux
espèces d’azote typiques du DODAB et de l’ADN soient bien résolues. Les structures
moléculaires présentées à la Figure 4-7 montrent que le DODAB et la désoxythymidine
68
nstituants, principalement ceux qui sont métalliques car une couche
d’oxyde les recouvre.
4-7 Structures moléculaires (A) du surfactant DODAB et (B) de l’oligonucléotide dT30.
4.3.1 Choix du substrat
A
monophosphate, l’unité monomérique de dT30, sont composés de carbone, d’hydrogène et
d’azote. Le surfactant a un atome de brome qui lui est unique tandis que le nucléotide a un
atome de phosphore, des atomes d’oxygène et du sodium. Le brome ne peut pas être utilisé
ici pour calculer le rapport molaire étant donné que sa concentration est faible, soit un seul
atome par molécule de DODAB. De plus, comme il a été mentionné précédemment le
DODAB se dissocie complètement lorsqu’il est étalé sur une sous-phase d’eau. Il est donc
très peu probable que les films contiennent le contre-ion Br-. Pour cette même raison, le
contre-ion de l’acide nucléique, Na+, ne peut pas être considéré. Toutefois, il aurait été
intéressant de vérifier si ces dissociations sont complètes par l’acquisition de spectres XPS
à haute résolution dans la région du Br 3d et du Na 1s. De même, l’atome d’oxygène ne
peut pas être utilisé pour l’étude quantitative puisque plusieurs types de substrats ont cet
élément parmi leurs co
Figure
B
Avant de procéder aux analyses des échantillons par XPS, il a été nécessaire de faire
une brève étude de différents substrats afin déterminer celui qui se prêtait le mieux à nos
69
n diverses procédures et qui ont aussi été recouverts par des monocouches
organiques.
Lamelle de verre
comme la silice pure ou le Vycor® (96 % SiO2) aurait peut-être aidé à contrer
ce problème.
Silicium
analyses. En premier lieu, le substrat ne doit pas comporter d’éléments qui sont étudiés
dans les échantillons ou encore qui possèdent une énergie de liaison proche de celles
étudiées. Des analyses ont été réalisées avec des substrats de différentes compositions,
nettoyés selo
La lamelle de verre est l’un des substrats étudiés. Qu’elle soit ou non nettoyée, la
lamelle contient beaucoup de contaminants alcalins, métalliques et métalloïdes. Il y a
également présence de zinc dont le niveau électronique 3s induit un pic vers 140 eV, valeur
proche de la position attendue pour le niveau 2p du phosphore de l’ADN. En forte
concentration il pourrait nuire à l’exploitation du P 2p. Les contaminants sont bien des
éléments constitutifs du verre, du moins dans la profondeur sondée, puisque leur
concentration apparente ne varie pas ou très peu en fonction de l’angle d’analyse, soit 0° et
75° par rapport à la normale à la surface de l’échantillon. L’utilisation d’un verre de plus
grande pureté
Le silicium cristallin et amorphe présente entre autres un pic situé entre 99 et
103 eV attribué au niveau 2p. Bien que ce pic se situe à bonne distance du P 2p, il présente
une structure de perte d’énergie qui vient modifier le fond de la zone où le pic P 2p
apparaît. C’est pour cette raison que nous avons tenté de recouvrir des substrats de silicium
pour en masquer la surface; tout d’abord par un film de chrome d’une épaisseur de 100 Å
suivi par 1500 Å d’or, tous deux préparés par évaporation. Une deuxième tentative de
recouvrement impliquait le dépôt d’une monocouche d’arachidate de cadmium par la
technique Langmuir-Blodgett. L’ion Cd2+ permet de ponter deux ions arachidate
(CH3(CH2)18COO-) et par conséquent de créer un film compact et stable à l’interface. Les
propriétés de surface du silicium sont modifiées par le dépôt d’or, celle-ci n’est plus du tout
hydrophile. Il donc impensable d’effectuer un transfert LB par émersion. Lorsqu’un dépôt
70
que
malgré la trainée d’énergie du Si 2p, la région du P 2p peut être exploitée avec succès.
4.3.2 Préparation des échantillons
ais sera de nouveau employé dans cette section en opposition au
film Langmuir-Blodgett.
méthode linéaire et de Shirley. Le logiciel CasaXPS a permis
le traitement de ces spectres.
LB est tenté sur un substrat recouvert d’une monocouche d’acide gras, celle-ci se redépose
à la surface de l’eau. Il s’agit d’un phénomène de « peeling-off ». Nous avons donc choisi
d’utiliser des substrats de silicium cristallin sans aucun recouvrement et sans nettoyage
particulier pour éviter tout risque de contamination. Les résultats obtenus ont montré
Les échantillons de complexe ont été préparés par transferts LB sur des substrats de
silicium cristallin (100) achetés chez Montco Silicon Technologies (Spring City, PA,
USA). Le surfactant a été étalé sur une sous-phase à 20 °C et suite à une période
d’évaporation de 10 minutes, le film a été comprimé à 10 mm/min jusqu’à la pression de
surface cible de 30 mN/m. Avant d’amorcer le transfert, une période d’attente de quelques
minutes a permis au film de se stabiliser. La vitesse de transfert est de 2 mm/min. Pour le
DODAB, le transfert a débuté avec le substrat immergé dans la sous-phase et cinq couches
ont été déposées, sans toutefois optimiser les taux de transfert. Une seule couche de
complexe DODAB-dT30 a été déposée et dans ce cas-ci le substrat a été conservé à
l’extérieur de la sous-phase pendant l’incubation et la compression. Pour la préparation du
film épais d’oligonucléotide, quelques microlitres d’une solution de dT30 (317 nmole/ml)
ont été déposés directement sur le substrat et le séchage s’est fait par évaporation du
solvant. Le terme film ép
Les échantillons ont été analysés avec un faisceau de rayons X d’une puissance de
225 W et à un angle d’incidence de 75° par rapport à leur normale. L’énergie de passage
dans l’analyseur est de 160 eV pour les balayages larges (1150-0 eV) et 20 eV pour les
régions analysées à meilleure résolution. Un balayage étroit a été effectué pour les régions
N 1s et P 2p. Le canon de neutralisation a été utilisé pour les analyses de dT30 puisque les
films étaient chargés. L’échelle d’énergie de liaison des spectres a été corrigée par rapport à
la valeur du carbone aliphatique qui a été fixée à 285 eV. La correction de la ligne de base a
quant à elle été réalisée par la
71 4.3.3 Film ultramince de DODAB
Un spectre de survol du surfactant seul a tout d’abord été enregistré à une résolution
plus faible que pour les spectres obtenus à haute résolution (Figure 4-8). Il permet avant
tout de déterminer les éléments qui ont une bonne sensibilité ou encore qui sont en teneur
assez importante dans l’échantillon. À des énergies de liaison inférieures à 600 eV, on
remarque la présence d’oxygène, de carbone et de silicium alors que les pics Auger sont
situés à des énergies supérieures. La photo-ionisation conduit à l’émission de deux
électrons, soit un photoélectron et un électron Auger. La présence d’oxygène peut être
expliquée par l’existence d’une couche d’oxyde (SiO2) à la surface du substrat de silicium
cristallin. Malgré l’angle d’analyse de 75° par rapport à la normale à l’échantillon, on
observe la présence de silicium provenant du substrat. Cette observation indique que le film
est entièrement traversé par la radiation, soit parce qu’il est mince ou encore parce qu’il
n’est pas uniforme sur toute sa surface. Ainsi, même si le film est inhomogène dans son
épaisseur, ce résultat confirme que l’analyse est faite sur toute sa profondeur. Il est possible
de connaître la composition atomique relative de chacun des éléments présents dans le film,
à partir des spectres de survol, et pour les éléments moins abondants, à partir des spectres
de haute résolution (Tableau 4-2).
1000 800 600 400 200 00
5
10
15
20
25
30
35
O 1
s
CP
S
Énergie de liaison (eV)
x103
C 1
s
OA
ug
er
Si 2
pSi 2
s
O 2
s
Figure 4-8 Spectre XPS de survol d’un film ultramince de DODAB.
72 Tableau 4-2 Composition atomique relative des éléments dans un film ultramince de DODAB.
Région XPS Composition atomique relative (%)
(±0,2)
C 1s 66,8
O 1s 15,0
N 1s 0,8
Si 2p 17,4
Azote
Comme nous l’avons mentionné précédemment, nous voulons établir le rapport
atomique entre l’azote et le phosphore pour confirmer le rapport molaire DODAB/ADN
établi par spectroscopie ATR. Il est donc primordial d’évaluer la composition relative de
ces éléments à meilleure résolution. On a constaté que l’azote n’apparaissait pas sur le
spectre de survol, toutefois à haute résolution il est possible de le détecter. Une seule
composante située à 402,5 eV est mise en évidence dans cette région du spectre (Figure
4-9). Il s’agit bien de l’amine quaternaire N+ du surfactant puisque l’énergie de liaison
obtenue s’inclut à la gamme des valeurs citées dans la littérature pour un sel
d’ammonium.48
Phosphore
Le spectre à haute résolution dans la région du phosphore, c’est-à-dire entre environ
138 et 124 eV, confirme l’absence de pic dans cette zone d’énergie pour le DODAB
(Figure 4-10). On remarque aussi que la ligne de base de cette zone n’est pas linéaire en
raison de la trainée d’énergie du silicium 2p comme il a été discuté précédemment.
73
408 406 404 402 400 39856
60
64
68
72
CP
S
Énergie de liaison (eV)
x 101
N+
402,5
Figure 4-9 Spectre XPS à haute résolution dans la région N 1s d’un film ultramince de DODAB.
140 138 136 134 132 130 128 126 1249
10
11
12
CP
S
Énergie de liaison (eV)
x 102
Figure 4-10 Spectre XPS à haute résolution dans la région P 2p d’un film ultramince de DODAB.
74 4.3.4 Film épais de dT30
Pour permettre une meilleure évaluation du spectre du complexe et surtout pour
apprécier l’apport propre à l’ADN, nous avons enregistré les spectres d’un film épais
d’oligonucléotide dT30. De la même façon que pour l’étude du surfactant cationique, un
spectre de survol a d’abord été enregistré (Figure 4-11). On voit que malgré la formation
d’un film épais, le silicium est toujours détecté. Il faut se rappeler que la technique
Langmuir-Blodgett permet de déposer sur le support des films ultraminces, uniformes et
homogènes contrairement à la méthode employée ici par évaporation de solvant. Nous
croyons qu’un dépôt à la tournette aurait certainement amélioré la qualité du film. La
concentration atomique relative de chacun des éléments composant l’échantillon est donnée
au Tableau 4-3.
1000 800 600 400 200 00
5
10
15
20
25
30
CP
S
Énergie de liaison (eV)
x 103
C 1
s
N 1
s
O A
ug
er
Si 2
pSi 2
s
O 2
s
P 2
p
O 1
s
P 2
s
Figure 4-11 Spectre XPS de survol d’un film épais de dT30
75 Tableau 4-3 Composition atomique relative des éléments d’un film épais de dT30.
Éléments Composition atomique relative (%) (±0,2)
C 1s 66,7
O 1s 20,5
N 1s 7,5
P 2p 1,9
Si 2p 3,4
Azote
La Figure 4-12 présente la fenêtre d’énergie spécifique à la région N 1s. Celle-ci
comporte deux pics centrés à 400,8 et 400,0 eV. Leur concentration atomique relative est
de 46,5 % et 53,5 %, respectivement. L’analyse XPS de l’ADN a déjà été rapportée dans la
littérature. Certains chercheurs n’attribuent qu’une seule composante N 1s pour la thymine
en mentionnant que cette dernière n’a que des atomes d’azote non conjugués avec un
environnement équivalent.49,50 D’autres par contre obtiennent deux composantes comme
c’est le cas pour notre étude.51,52 Puisque la thymine est une molécule conjuguée, la
délocalisation des électrons a comme conséquence qu’elle existe sous différentes formes de
résonance (Figure 4-13). La composante à plus haute énergie de liaison proviendrait du
groupement amide (N1) où l’azote est non conjugué (sp3), tandis que la seconde découle du
groupement carbamide (N3) où il y a conjugaison par la formation de la forme énol (sp2).
La faible séparation des composantes provient du fait que l’état chimique des deux types
d’azote est très similaire. Selon la structure moléculaire, théoriquement le rapport des
concentrations atomiques devrait être 1. Toutefois, la deuxième composante devrait être
présente dans des proportions inférieures puisque la forme énol est moins favorisée par
rapport à la forme céto. Expérimentalement, le rapport (–N=/>N–) obtenu est 1,2. Il est
difficile d’expliquer cette surabondance d’azote conjugué dans l’échantillon analysé.
76
406 404 402 400 398 396
40
60
80
100
120
140
160
CP
S
Énergie de liaison (eV)
x 101
(1)>N-
400,8
(2)-N=
400,0
Figure 4-12 Spectre XPS à haute résolution dans la région N 1s d’un film épais de dT30.
Figure 4-13 Formes tautomères de la thymine liée à un groupement R (pentose et groupement phosphate).
Phosphore
L’analyse de la région du phosphore 2p révèle un doublet en raison du couplage
spin-orbite (Figure 4-14). Ces pics proviennent du groupement PO4- composant le squelette
77 d’un brin d’ADN. Le P 2p1/2 est situé à 134,8 eV tandis que le P 2p3/2 se trouve à 133,9 eV.
Des énergies de liaison très similaires ont été obtenues par Vilar et al.50, soit 134,9 et 134,0
± 0,2 eV. Le rapport des concentrations atomiques relatives est bien 1:2 (66,7 %:33,3 %)
comme le prédit la mécanique quantique pour un doublet de l’état électronique p.53
140 136 132 128
10
20
30
(2)P 2p
3/2
133,9
CP
S
Énergie de liaison (eV)
x 101
(1)P 2p
1/2
134,8
Figure 4-14 Spectre XPS à haute résolution dans la région P 2p d’un film épais de dT30.
Le rapport atomique N/P calculé pour cet oligonucléotide, à partir des spectres de
haute résolution, est 3,61. La valeur théorique attendue pour un nucléotide de thymine est 2
(2 atomes d’azote/1 atome de phosphore). Vilar et al.50 ont également rapporté pour un
oligomère simple brin de thymine un rapport N/P largement supérieur à 2, plus exactement
de 3,9. On peut donc penser à une sous-estimation du phosphore en raison du faible rapport
signal sur bruit que cet élément affiche.
4.3.5 Film ultramince de complexe DODAB-dT30
Le spectre de survol du complexe électrostatique DODAB-dT30 montre la présence
de phosphore 2p (Figure 4-15). Cette observation confirme donc à nouveau qu’il y a bien
formation d’un complexe électrostatique à l’interface et que l’ADN est bien transféré sur le
78 support solide par la technique Langmuir-Blodgett, d’autant plus que le film comporte
1,2 % de cet élément (Tableau 4-4).
1000 800 600 400 200 00
5
10
15
20
25
30
35
CP
S
Énergie de liaison (eV)
x103
C 1
s
N 1
s
O A
ug
er
Si 2
pSi 2
s
O 2
sP 2
p
O 1
s
Figure 4-15 Spectre XPS de survol d’un film ultramince de complexe DODAB-dT30.
Tableau 4-4 Composition atomique relative des éléments d’un film ultramince de DODAB-dT30.
Composition atomique relative (%) Région XPS (±0,2)
C 1s 75,8
O 1s 10,7
N 1s 2,5
P 2p 1,2
Si 2p 9,9
79 Azote
Comparativement au spectre d’un film de DODAB, la région dédiée à l’azote 1s
d’un film de complexe DODAB-dT30 révèle un deuxième pic (Figure 4-16). La première
composante apparait à une énergie de liaison de 402,6 eV, ce qui correspond parfaitement à
la valeur obtenue précédemment pour l’azote quaternaire du surfactant qui est de 402,5 eV
(voir Figure 4-9). La composition atomique relative de ce type d’azote est de 33,9 %. Le
second pic se situe à une énergie de liaison de 400,6 eV et équivaut à une composition
relative de 66,1 %. Celui-ci est attribué aux atomes d’azote non chargés, N1 et N3, de
l’oligonucléotide. Puisque les deux états d’oxydation de l’azote sont bien résolus, il est
possible d’établir le rapport molaire DODAB/nucléotide à partir du rapport atomique
N+/N0. La valeur obtenue est 1,0. Elle est donc du même ordre de grandeur que celle qui a
été évaluée par nos études quantitatives en spectroscopie ATR.
406 404 402 400 398 396
64
72
80
88
CP
S
Énergie de liaison (eV)
x 101
(1)
N+
402,6
(2)
N0
400,6
Figure 4-16 Spectre XPS à haute résolution dans la région N 1s d’un film ultramince de complexe DODAB-dT30.
80 Phosphore
La région du phosphore 2p a dû être traitée de façon particulière. Comme il a été
montré à la Figure 4-10, le fond de cette zone n’est pas linéaire en raison d’une trainée
d’énergie du silicium 2p. Cette région du spectre a donc été enregistrée au même angle
d’analyse à partir d’un échantillon ne contenant pas de phosphore. Le modèle du fond est
extrait de ce spectre pour être ensuite appliqué à l’échantillon du complexe DODAB-dT30.
À la Figure 4-17, la composante 1 résulte donc de la trainée d’énergie due au substrat tandis
que la composante 2 correspond au signal provenant du phosphore 2p. Ce pic compose
61,3 % de la bande de la région P 2p et il se situe à une énergie de liaison de 133,5 eV.
140 136 132 128
8
9
10
11
12
(2)P 2p133,5
CP
S
Énergie de liaison (eV)
x 102
(1)Fond135,1
Figure 4-17 Spectre XPS à haute résolution dans la région P 2p d’un film ultramince de DODAB-dT30.
Puisqu’il est également possible de quantifier le phosphore dans cet échantillon, le
rapport molaire DODAB/nucléotide peut aussi être calculé à partir du rapport atomique
N+/P. De cette façon, la valeur calculée est 1,1 et correspond parfaitement aux rapports
molaires obtenus précédemment. On retrouve au Tableau 4-5 un résumé des données
spectrales XPS qui permettent de calculer les rapports atomiques et molaires.
81 Tableau 4-5 Paramètres expérimentaux des diverses composantes spectrales obtenues dans les régions N 1s et P 2p des échantillons de DODAB, dT30 et du complexe DODAB-dT30.
Région
XPS Échantillon
Composante spectrale
Énergie de
liaison (eV) ±0,2
LMH*
Concentration atomique
relative (%) ±0,2
Attribution
N 1s DODAB 1 402,5 1,21 100,0 N+
dT30 1 400,8 2,06 46,5 >N–
2 400,0 1,33 53,5 –N=
DODAB-dT30 1 402,6 1,14 33,9 N+
2 400,6 1,55 66,1 N0
P 2p DODAB - - - - -
dT30 1 134,8 1,84 33,3 P 2p1/2
2 133,9 1,84 66,7 P 2p3/2
DODAB-dT30 1 135,1 5,00 38,7 fond
2 133,5 2,05 61,3 P 2p
*Largeur à mi-hauteur
La spectroscopie de photoélectrons X a donc permis de contre-vérifier le rapport
molaire DODAB/nucléotide obtenu précédemment par ATR pour un film ultramince de
complexe de DODAB-dT30. Les résultats tirés de ces deux techniques d’analyse sont du
même ordre de grandeur. Dans le cas des données XPS, le rapport molaire
DODAB/nucléotide a été déterminé à partir de deux rapports atomiques différents. Les
valeurs obtenues correspondent parfaitement entre elles, soit 1,0 pour le rapport obtenu à
partir de N+/N0 et 1,1 pour celui obtenu avec N/P.
4.4 Microscopie à fluorescence
Les techniques spectroscopiques utilisées jusqu’à maintenant ont permis non
seulement de confirmer la présence d’ADN sur les supports solides mais également de le
quantifier. Nous nous sommes ensuite intéressés à la distribution des brins d’ADN sur le
substrat. Comme il a été mentionné précédemment, nos deux stratégies pour l’obtention
82 d’un polymère ADN-mimétique visent la polymérisation des monomères directement sur le
substrat une fois que ceux-ci sont hybridés à l’ADN. Pour obtenir un polymère
d’ADN-mimétique dont la séquence est bien complémentaire à celle du simple brin ayant
servi de gabarit, il est essentiel que la polymérisation soit indépendante pour chacun des
brins. Pour ce faire, les brins modèles se doivent d’être distribués uniformément sur le
support et bien distancés les uns des autres. Nous savons que l’ADN en solution adopte la
forme d’une pelote pouvant varier en taille et en forme en raison du mouvement brownien.
Mais qu’en est-il une fois transféré sur le support solide? La microscopie à fluorescence est
la technique qui nous semblait la mieux adaptée pour répondre à cette question.
En 1994, Bensimon et al.54 ont été les premiers à développer une technique
permettant d’étirer sur un substrat des molécules d’ADN afin d’en faire l’étude de façon
individuelle par microscopie à fluorescence. Cette méthode est appelée « molecular
combing » ou peignage en terme français. Elle implique l’utilisation de substrats
hydrophobes sur lesquels l’ADN peut s’ancrer à la surface par l’une ou ces deux
extrémités. Les molécules sont dépliées grâce au passage d’un ménisque lors de
l’évaporation de microgouttes. Plusieurs variantes de cette technique ont été développées au
fil des années. Entre autres, le groupe de Matsuo et al.55 ont développé quant à eux une
méthode permettant également d’étirer et d’immobiliser un double brin d’ADN sur un
substrat de verre en utilisant une monocouche de tensioactif à l’interface air-eau. Cette
approche est basée sur la technique Langmuir-Blodgett et ne requiert pas le traitement
chimique des substrats (Figure 4-18A). Un exemple d’image de fluorescence obtenue par
cette technique est montré à la Figure 4-18B et s’avère grandement intéressant pour nos
travaux. On constate que les brins sont bien distribués et bien distancés sur le substrat
solide. Ce sont les deux principales caractéristiques recherchées pour effectuer la
polymérisation des monomères une fois liés à l’ADN cible. Pour obtenir l’orientation du
film permettant de réaliser l’hybridation ADN-monomère, nous devons déposer deux
couches et non pas une monocouche comme l’ont fait Matsuo et ses collaborateurs.
Toutefois, l’étude présentée ici a été faite avec une seule couche de complexe.
83
Figure 4-18 (A) Illustration schématique du transfert d’un film de complexe polyionique sur un substrat de verre et (B) image de fluorescence de l’ADN lambda marqué avec le YOYO-1. L’échelle est de 10 µm. (56)
4.4.1 Préparation des échantillons
Nous avons donc voulu dans un premier temps reproduire les travaux du groupe de
Matsuo afin de nous assurer d’une bonne maîtrise de la technique et également de vérifier
la concordance des résultats, l’objectif étant ensuite d’appliquer cette méthode à notre
projet. La molécule cationique amphiphile qu’ils ont utilisée pour faire le film est identique
à celle choisie pour notre projet; il s’agit du DODAB. Toutefois, l’acide nucléique employé
par ce groupe est l’ADN lambda (ADNλ), un acide nucléique double brin dont la longueur
calculée est 16,5 µm. Ce type d’ADN est mieux adapté pour mettre au point la méthode
puisque les oligonucléotides utilisés dans notre projet ont une longueur de seulement
10,2 nm (0,34 nm/paire de bases), ce qui est inférieur à la résolution spatiale de l’appareil
qui est d’environ 0,2 µm. L’élément permettant la détection d’ADN est l’homodimère du
jaune d’oxazole dont l’acronyme est le YOYO-1 (Molecular Probe) qui est un intercalant
spécifique aux acides nucléiques (Figure 4-19). Ce composé très performant possède deux
groupements pouvant faire une intercalation entre les paires de bases. Ses maximums
d’absorption et d’émission sont respectivement à des longueurs d’onde de 489 et 509 nm
B A
84
57s’il est complexé à l’ADN double brin. Le coefficient d’extinction molaire, qui reflète la
probabilité d’absorption d’un photon, est de 98 900 cm-1·M-1 et le rendement quantique, qui
lui correspond au rapport entre le nombre de photons émis par la source et le nombre de
photons absorbés par la molécule est de 0,52. Ce fluorophore est principalement utilisé
pour les acides nucléiques de grande taille et à chaîne double. Toutefois, il peut aussi être
employé pour les homopolymères simple brin à chaîne courte.
Figure 4-19 Structure moléculaire du YOYO-1. (58)
La sous-phase a été préparée à partir d’une solution tampon TE (10 mM Tris-HCl,
1 mM EDTA, pH 8)34 stérilisée par autoclave dans laquelle de l’ADN lambda à une
concentration de 10 nM en paire de bases et du YOYO-1 à 5 nM ont été ajoutés. Le rapport
fluorophore/paire de bases est donc 1:2. Le DODAB est étalé sur cette sous-phase
maintenue à une température de 20 °C. Après 5 minutes d’attente, le film est comprimé à
une vitesse de 5,2 mm/min (2 x 10-2 nm2/molécule/min). Une fois que la pression de
surface a atteint 5 mN/m et 20 mN/m, la lame de verre ayant été préalablement insérée dans
la sous-phase est remontée à une vitesse de 4 mm/min. Matsuo et Ijiro59 se sont préoccupé
de l’adhésion non spécifique d’ADN sur le substrat et ont montré qu’un transfert effectué
sans monocouche de surfactant ne formait pas de motifs linéaires mais plutôt des agrégats.
Les lames à microscope utilisées sont standards et n’ont subi aucun traitement chimique
excepté qu’elles ont été nettoyées avec divers solvants organiques et ont été trempées dans
une solution oxydante de H2S04 et H2O2. Il faut éviter tout frottement sur la lame lors du
nettoyage, sans quoi il y a apparition de bruit de fond important sous forme de stries
fluorescentes très larges orientées dans la direction du frottement.
85 4.4.2 Étude par microscopie à fluorescence de films de complexe
DODAB-ADNλ
Les images du film de complexe DODAB-ADNλ obtenues par microscopie à
fluorescence diffèrent grandement de celles obtenues par Matsuo et ses
collaborateurs.55,56,59 Le film observé à la Figure 4-20A a été obtenu dans des conditions
pratiquement identiques à celles données dans la littérature pour le cas présenté à la Figure
4-18B. Toutefois dans les travaux de ces chercheurs, le rapport utilisé YOYO/paire de
bases est 1:10 et la vitesse de transfert est 2 mm/min alors que nous avons utilisé un rapport
YOYO/pb plus élevé puisque nous voulions maximiser l’intensité de fluorescence. Le
choix de la vitesse de transfert utilisée est basé sur des résultats publiés en 2006 par ce
même groupe qui montrent que plus la vitesse de transfert est grande, plus l’espace entre
les lignes est étroit et régulier.59 Il faut noter que des transferts antérieurs ont été réalisés
avec le même rapport YOYO/paire de bases et la même vitesse de transfert que ce qui est
donnés dans les travaux de Matsuo. Aucune structure fluorescente n’a pourtant été observée
lors de ces expérimentations, d’où pourquoi des essais subséquents ont été faits en
modifiant ces deux paramètres. Les premiers essais ont été étudiés avec le microscope LSM
310 de Zeiss qui, contrairement au second, a un objectif à immersion dans l’huile. Les
images présentées dans ce chapitre et résultant de la deuxième série d’essais ont quant à
elles été observées avec un microscope UM-2 de Nikon. Cette différence entre les appareils
est peut-être en cause dans les résultats des premiers essais. Aussi, puisque les paramètres
expérimentaux fournis dans la littérature étaient peu détaillés, plusieurs essais ont dû être
réalisés afin de mettre au point les différents protocoles, dont le lavage des lames, la
préparation de la sous-phase ainsi que les conditions d’observations. Il aurait donc été
intéressant de reproduire les résultats de la littérature avec le deuxième microscope et les
protocoles bien établis, et ce, avec les conditions identiques à celles utilisées par Matsuo et
ses collègues, plus précisément en utilisant un rapport YOYO/paire de base de 1:10.
86
50 µm 250 µm 250 µm
B C A
Figure 4-20 Images de fluorescence de films LB de complexe DODAB-ADNλ; (A) d’une monocouche transférée sur une lame de verre à 5 mN/m, (B) à 20 mN/m et (C) d’une multicouche transférée sur une lame de verre à 20 mN/m.
L’image 4-20A montre la présence de grosses structures linéaires qui en raison de
leur taille importante indiquent qu’il s’agit d’agrégats de plusieurs brins d’ADN. Ce résultat
nous porte à nous questionner à savoir si la distribution obtenue par ces autres chercheurs
est bien uniforme sur tout le substrat ou bien si elle est localisée. D’autant plus qu’aucune
image à plus faible grossissement que 10 µm n’est présentée. On peut également se
demander si le rapport YOYO/pb utilisé lors de nos essais était trop élevé. Il a été démontré
par Larsson et al.60 qu’à un rapport inférieur à 1:8, la bi-intercalation est le mode de
fixation prédominant alors qu’à un rapport supérieur, il y a contribution importante d’un
deuxième mode par fixation externe. Le YOYO étant un ligand cationique, une
concentration trop importante de cette molécule peut diminuer la charge négative de l’ADN
et par conséquent engendrer l’agrégation entre les brins d’acides nucléiques. La Figure
4-20B présente un film ayant été transféré à une pression de surface plus élevée (20 mN/m).
L’ADN y est mieux dispersé sur le substrat mais il est encore sous forme agrégée. Des
résultats semblables ont déjà été publiés.59 Enfin, on voit clairement sur la Figure 4-20C la
présence d’une structure alignée. Dans ce cas-ci, ce sont six cycles de transfert qui ont été
faits. On sait qu’il ne s’agit pas d’une molécule individuelle, car la longueur correspond à
plus de 700 µm, près de 43 fois la longueur d’un brin d’ADN lambda. La fixation d’un
agent intercalant demande de l’espace et il en résulte donc une distorsion locale et une
augmentation de la distance entre chacune des paires de bases. La séparation entre les bases
87 d’un site d’intercalation peut passer de 3,4 à 6,8 Å.61 Donc, si l’on fait l’hypothèse que tous
les sites sont occupés par un fluorophore, la molécule d’ADN lambda peut doubler de
taille, mais elle ne pourra jamais atteindre une longueur de plusieurs centaines de
micromètres.
Les résultats obtenus par microscopie à fluorescence sont en désaccord avec les
conclusions tirées des analyses par BAM, XPS et ATR qui font état d’un film dense et
homogène dont le rapport molaire DODAB/ADN est pratiquement égal à l’unité.
L’agrégation observée par microscopie à fluorescence est vraisemblablement provoquée
par la présence du fluorophore qui est absent dans les autres techniques d’analyse. Les
images obtenues ne sont donc pas représentatives de la morphologie des films
monomoléculaires formés par les complexes surfactant-ADN. En réponse à ces résultats
contradictoires et pour appuyer l’hypothèse avancée, nous avons procédé à l’analyse in situ
à l’interface air-eau du film de complexe DODAB-ADNλ. La microscopie à l’angle de
Brewster a clairement révélé que la présence du YOYO dans la sous-phase modifie la
morphologie du film, et ce, en créant des agrégats à l’interface.
4.5 Hybridation entre monomères et ADN ayant été déposé sur un substrat par transfert LB d’un film de complexe DODAB-ADN
Bien que la microscopie à fluorescence n’ait pas montré la distribution escomptée
des molécules d’ADN sur le substrat, nous avons quand même procédé à quelques tests
préliminaires d’hybridation sur le support solide entre monomères et acides nucléiques. La
spectroscopie ATR a été choisie ici pour les observations, puisque l’association entre les
constituants est facilement confirmée par l’apparition de bandes IR.
4.5.1 Préparation des échantillons
La première étape consiste à faire le dépôt de monocouches du complexe
DODAB-ADN par transfert LB sur un cristal de germanium. En premier lieu,
88 l’oligonucléotide est injecté avec une microseringue dans la sous-phase d’eau pure dans un
rapport de concentration molaire 11:1 (oligo/monomère). Le film de monomère est ensuite
déposé, puis une période d’attente de 15 minutes est laissée avant d’amorcer la
compression à une vitesse de 10 mm/min (7,62 x 10-2 nm2/molécule/min) jusqu’à la
pression cible de 30 mN/m. Le dépôt de deux monocouches est nécessaire pour obtenir
l’orientation du film qui permet l’hybridation du monomère et de l’ADN. Le monomère
utilisé pour ces essais découle de la troisième génération de monomères étudiés dans le
cadre de ce projet. Une étude plus approfondie de ces composés sera présentée
ultérieurement à la section 5.3. Leur structure moléculaire est présentée à la Figure 4-21.
Une solution de chacun de ces monomères, M-C12-Thy et M-C12-Adé, a été préparée dans
l’hexane à une concentration respective de 47 µg/ml et 60 µg/ml.
B A
Figure 4-21 Structures moléculaires des deux monomères de la troisième génération (A) M-C12-Adé et (B) M-C12-Thy.
L’enregistrement des spectres ATR comporte plusieurs étapes. Le spectre du film de
DODAB-ADN est enregistré en premier. Ensuite, le cristal est trempé pendant 2 minutes
dans la solution de monomère complémentaire ou non complémentaire à l’acide nucléique
présent dans le film. On élimine tout surplus de monomères non hybridé en rinçant le
cristal dans l’hexane pur. La quatrième étape est celle de l’enregistrement du spectre ATR
du film de DODAB-ADN-monomère. Finalement, le cristal est nettoyé par des lavages
89 successifs d’eau, de méthanol et de chloroforme. Le spectre de référence peut ainsi être
obtenu. Puisque les composés utilisés ne sont pas répertoriés dans la littérature, nous avons
jugé bon d’effectuer une étude ATR des monomères seuls avant de procéder à
l’hybridation. Ces deux spectres ont été enregistrés à partir de films épais obtenus par
évaporation de solvant.
4.5.2 Étude ATR des monomères
Le spectre ATR d’un film épais de M-C12-Adé révèle plusieurs bandes dont celle
située à 3307 cm-1 qui est attribuée à l’élongation du lien N-H de l’amine primaire de
l’adénine (Figure 4-22). La vibration d’élongation des liens C-H d’un cycle aromatique
absorbe la radiation à 3155 cm-1 alors que la vibration de déformation angulaire hors du
plan crée une bande à 844 cm-1. Cette dernière peut recouvrir une seconde bande de forte
intensité située entre 870 et 760 cm-1 qui est causée par le balancement du groupement
Si-CH3.62 Le groupe Si(CH3)3 est responsable de deux autres bandes, la déformation
angulaire symétrique cause une bande très étroite à 1248 cm-1 tandis que l’élongation du
lien Si-C se situe plutôt à 761 cm-1. On sait que le balancement des groupements CH2
(ρ CH2) apparaît à une fréquence similaire, on peut donc penser à une superposition des
bandes. Plusieurs bandes sont causées par les vibrations des liens C-H aliphatiques. Les
élongations antisymétriques et symétriques montrent les bandes aux fréquences
habituelles : 2924 et 2853 cm-1. Le cisaillement de ces groupements apparaît à 1466 cm-1
(δs CH2) tandis que la déformation symétrique des méthyles crée une bande à 1375 cm-1
(δs CH3). Le cycle aromatique du monomère a deux substituants éther (C-O-C). La réponse
caractéristique de cet aryle alkyle éther est la bande à 1214 cm-1 (élongation
antisymétrique) et celle à 1047 cm-1 (élongation symétrique). Les élongations des liens
C=C et C=N du cycle purique donnent deux bandes, l’une de forte intensité à 1642 cm-1 et
l’autre moins intense à 1597 cm-1. La bande située à 2154 cm-1 est très spécifique au
monomère, il s’agit de la vibration d’élongation de l’alcyne bisubstitué (C≡C). Il est
impossible d’observer sur le spectre la bande d’élongation du lien C-I puisque sa fréquence
est d’environ 550 cm-1. Cette valeur ne fait pas partie de la gamme de fréquences balayées
par le spectromètre (650 à 4000 cm-1).
90
3500 3000 2500 2000 1500 1000 500
0,00
0,02
0,04
0,06
0,08γ C-H
ν C=C C=N
ν C C
δsCH
3
δsCH
2
ν Si-Cν C-H
ν N-H
1375A
bsor
banc
e
Nombre d'onde (cm-1)
844
3307
2924
3155
2154
1642
14661214
1047
159
7
2853
761
νas
CH2
νsCH
2
νas
C-O
νsC-O
Figure 4-22 Spectre ATR d’un film épais de M-C12-Adé préparé sur un cristal de germanium.
3500 3000 2500 2000 1500 1000 500
0,00
0,02
0,04
0,06
0,08
0,10
0,12
0,14
δsCH
3
ν C-H
νas
CH2
ν C=O
ν Si-C
δsCH
2
γ C-Hν
asC-O
νsC-O
3179
3055
2854 759
1371
Abs
orba
nce
Nombre d'onde (cm-1)
8552925
2155
16851466
1214
1037
ν N-H
νsCH
2
ν C C
Figure 4-23 Spectre ATR d’un film épais de M-C12-Thy préparé sur un cristal de germanium.
Le spectre du film épais de M-C12-Thy présenté à la Figure 4-23 est semblable à
celui de l’autre monomère, M-C12-Adé, à l’exception de quelques bandes. Entre autres, on
91 remarque que la bande de l’élongation des liens N-H et celle des liens C-H aromatiques
sont à plus basse fréquence, soit 3179 et 3055 cm-1. Cette diminution de la fréquence
découle de la présence d’un amide secondaire comparativement à une amine primaire. La
principale différence avec le spectre précédent est cette bande très intense située à
1685 cm-1. Elle résulte de l’élongation du lien C=O du groupement thymine et elle est aussi
appelée la bande amide I.
4.5.3 Hybridation des monomères
La présence du monomère sur le substrat est clairement confirmée par la présence
de la bande de l’élongation C≡C à 2155 cm-1. La Figure 4-24 montre la variation d’intensité
de cette bande lors de l’hybridation des monomères M-C12-Thy et M-C12-Adé sur le film de
DODAB-dT30. On remarque l’existence d’une bande de faible intensité pour le film de
surfactant-ADN (ligne pleine). On explique mal la présence de cette bande alors que le
monomère n’est pas présent et qu’aucun composé dans le film ne possède une fonction
alcyne. Toutefois, cette bande augmente considérablement d’intensité lors de l’association
des bases azotées complémentaires (ligne pointillée).
2220 2200 2180 2160 2140 2120 2100 2080
0,0000
0,0001
0,0002
0,0003
0,0004 DODAB-dT
30
DODAB-dT30
et M-C12
-Thy
DODAB-dT30
et M-C12
-Adé
Abs
orb
ance
Nombre d'onde (cm-1)
Figure 4-24 Évolution de la bande alcyne pour des spectres ATR d’un film LB ultramince de DODAB-dT30 seul (––), associé au monomère non complémentaire (---) et ensuite au complémentaire (····).
92
Il faut savoir qu’une quantité relativement importante d’environ 14 % du complexe
DODAB-ADN est perdue lors du trempage dans les solutions d’hexane. Le matériel est
perdu sous forme de complexe puisque le rapport DODAB/ADN demeure constant sur les
spectres. Pour normaliser la perte d’ADN durant l’expérimentation, le rapport
monomère/surfactant a été calculé grâce au rapport d’intensité de la bande du lien C≡C à
2155 cm-1 et de celle des groupements CH2 à 2925 cm-1. Ces valeurs sont résumées au
Tableau 4-6, et précisons que plus la valeur du rapport d’intensité est élevée, plus la
quantité de monomères associés est importante.
Tableau 4-6 Rapports d’intensité de la bande de l’élongation du lien alcyne à celle de l’élongation antisymétrique des méthylènes pour des films LB ultraminces de DODAB-dT30 seul ou hybridé à un monomère.
Film analysé Rapport d’intensité
2
C C
as CH
νν
≡
(x 10-4)
DODAB-dT30 24
DODAB-dT30—M-C12-Adé 592
DODAB-dT30 18
DODAB-dT30—M-C12-Thy 36
DODAB-dT30—M-C12-Thy suivi de M-C12-Adé 148
DODAB-dA30 13
DODAB-dA30—M-C12-Adé 34
DODAB-dA30—M-C12-Adé suivi de M-C12-Thy 48
Ces résultats montrent bien qu’il y a hybridation entre les monomères et le brin
d’ADN complémentaire puisque les rapports d’intensité sont plus élevés que la valeur
initiale (DODAB-ADN). Des essais de contrôle ont aussi été effectués avec des brins non
complémentaires et, contrairement aux attentes, une hybridation a été observée, mais de
bien moindres importances que celle qui a lieu entre des brins complémentaires. On réalise
93 que l’hybridation entre dT30 et M-C12-Adé semble mieux fonctionner que celle entre dA30
et M-C12-Thy. Une différence de solubilité des monomères dans l’hexane pourrait
expliquer ce comportement. En effet, si le monomère est moins soluble, il peut se déposer
sur la surface et se manifester sur le spectre sans que l’appariement de bases soit en cause.
Une étude avec différents solvants pourrait s’avérer très intéressante. Elle permettrait entre
autres de juger si les résultats obtenus sont biaisés par la solubilité et permettrait également
de trouver un solvant qui ne retire pas le complexe DODAB-ADN de la surface. La
composition des couches a peut-être aussi un effet sur ce dernier élément. Le film de
complexe a été déposé selon l’orientation présentée à la Figure 4-25A et où les charges du
film de complexe sont neutralisées à la surface du cristal. On peut donc penser qu’une
première couche de surfactant cationique seul suivie d’une monocouche de complexe
pourrait diminuer la perte de matériel (Figure 4-25B). Le solvant non polaire ne
s’infiltrerait pas entre le cristal et la couche chargée positivement.
B A
Figure 4-25 (A) Composition de chacune des couches des échantillons étudiés et (B) composition envisagée pour de futures analyses afin de minimiser la perte de complexe lors du trempage dans l’hexane.
Chapitre 5
Étude de la reconnaissance moléculaire entre monomères/nucléolipides et l’ADN
Ce chapitre présente les résultats expérimentaux obtenus avec la deuxième stratégie
proposée pour l’obtention d’un polymère ADN-mimétique laquelle a été décrite à la
section 1.3.2. Rappelons que cette stratégie vise l’utilisation de monomères fonctionnalisés
directement à l’interface air-eau. Ces monomères doivent absolument être des molécules
amphiphiles et former des films de Langmuir pour permettre ainsi la reconnaissance
moléculaire avec l’ADN présent dans la sous-phase. De telles molécules ne sont pas
offertes commercialement. Elles ont été synthétisées au laboratoire de la professeure
Hanadi Sleiman du département de chimie de l’Université McGill.
5.1 Première génération de molécules synthétiques
La première génération de molécules qui ont été synthétisées consiste en deux
monomères : THY et DAP ainsi que deux nucléolipides : C4-THY et C6-THY. Les figures
5-1 et 5-2 présentent respectivement les structures moléculaires des monomères et des
nucléolipides.
95
A
B
Figure 5-1 Structures moléculaires des monomères de la première génération (A) THY et (B) DAP.
A B
Figure 5-2 Structures moléculaires des nucléolipides de la première génération (A) C4-THY et (B) C6-THY.
La fonction polymérisable des monomères est un dérivé du norbornène (exo-7-
oxabicyclo[2.2.1]hept-5-ene-2,3-dicarboximide). Cette unité permet une polymérisation par
métathèse par ouverture de cycle (Ring-opening metathesis polymerization, ROMP). Cette
méthode permet d’obtenir des polymères avec une distribution étroite des masses molaires.
Puisqu’il s’agit d’une polymérisation vivante, elle permet aussi d’obtenir des copolymères
blocs. Sleiman et al.63 ont réalisé pour la première fois en 2002 la synthèse d’un
96 homopolymère et d’un copolymère bloc contenant un groupement dicarboximide par une
réaction vivante de métathèse par ouverture de cycle. L’unité de dicarboximide est un
analogue à la thymine, il peut donc se lier sélectivement à l’adénine par la création de liens
hydrogène spécifiques comme le font les acides nucléiques. Toutefois, puisque dans ce
projet la reconnaissance moléculaire a lieu à l’interface air-eau, ces composés doivent avoir
des propriétés amphiphiles. Le dicarboximide n’est donc pas une molécule à retenir ici. Il
est possible de fonctionnaliser ce groupement grâce à une déprotonation suivie d’une
substitution nucléophile. C’est de cette façon que le groupe de Sleiman a créé des
monomères avec différents groupes fonctionnels.64,65 Ceux utilisés pour nos études sont
fonctionnalisés avec une base azotée, la thymine (Figure 5-1A) et un groupement
diacétamidopyridine (Figure 5-1B), un analogue à l’adénine qui se lie par trois liens
hydrogène au lieu de deux à la thymine.
5.1.1 Étude in situ à l’interface air-eau
Balance de Langmuir
La formation de films à l’interface air-eau est évidemment le premier élément à
vérifier avec ces composés. Malheureusement, aucune des molécules de la première
génération ne forme des films de Langmuir sur une sous-phase d’eau pure. On n’observe
aucune élévation de la pression de surface lors de la compression. L’analyse de la structure
de ces composés permet de conclure qu’il n’y a pas formation de monocouche en raison
d’un mauvais ancrage à l’interface. La tête hydrophile (thymine ou diacétamidopyridine)
est relativement peu soluble dans l’eau à cause de son caractère aromatique. Pour contrer ce
problème, nous avons envisagé d’ioniser la fonction thymine en espérant que la charge
négative ainsi créée augmente la solubilité.
Les bases azotées ont un fort caractère aromatique et sont riches en électrons. Ces
caractéristiques leur donnent la possibilité de prendre deux formes tautomères en fonction
du pH. Les tautomères céto et énol sont aussi appelés respectivement forme lactame et
forme lactime (Figure 5-3). À pH physiologique, les bases azotées se retrouvent
97 majoritairement sous la forme lactame. Les valeurs de pKa sont importantes, car elles
déterminent si les atomes d’azote des cycles aromatiques des bases peuvent former des
liaisons hydrogène, soit comme accepteur ou receveur d’électrons. Puisque les composés de
la première génération de molécules (monomère THY, C4-THY, C6-THY) sont formés de
thymine, nous allons nous attarder principalement à la déprotonation de cette base. Les
étapes d’ionisation sont résumées à la Figure 5-3. La constante de déprotonation (pK1) de la
thymine liée à un groupement R à 20 °C est 9,96.66
Figure 5-3 Formes tautomères et forme déprotonée de la thymine.
Une sous-phase aqueuse fortement basique, à un pH de 14, a été préparée par l’ajout
de NaOH. Malgré ce changement marqué du pH, aucun des composés (monomère THY,
nucléolipides C4-THY et C6-THY) n’a encore formé de monocouche à l’interface. Ce
résultat montre que même si la tête de la molécule est plus soluble grâce à l’ionisation de la
thymine, celle-ci ne s’ancre pas bien à l’interface.
Suite à ce résultat, pour faire opposition à la première supposition, nous avons donc
présumé une trop grande solubilité des composés. Tout d’abord, un dépôt mixte de deux
constituants a été fait, soit celui d’acide myristique et du nucléolipide THY puisqu’il est
connu que les acides gras ont comme propriété de stabiliser les films. Toutefois, l’ajout du
monomère semble déstabiliser la monocouche d’acide gras. L’isotherme est déplacé vers
des aires moléculaires plus faibles alors qu’on s’attend à un décalage vers des aires
moléculaires supérieures en raison du plus grand nombre de molécules présentes à
98 l’interface. Pour certains des composés, c’est plutôt une sous-phase contenant 150 mM de
chlorure de sodium qui a été utilisée, l’ajout de sel a pour effet de diminuer la solubilité des
molécules étalées. On appelle ce phénomène « salting out ». Ces essais ne se sont
malheureusement pas avérés concluants.
L’ajout d’oligonucléotides complémentaires dans la sous-phase est un autre élément
pouvant améliorer l’ancrage des molécules à l’interface. Pour évaluer l’effet de cet ajout, le
monomère THY a été étalé à l’interface et des oligonucléotides complémentaires d’adénine
(dA30) ont été injectés préalablement dans la sous-phase. De cette façon, nous espérions que
la formation de liaisons hydrogène entre les oligonucléotides et le monomère permettraient
à ce dernier de bien s’ancrer à l’interface et de former une monocouche. Encore une fois,
même avec la présence d’acide nucléique dans la sous-phase, aucun film de Langmuir n’a
été formé par le monomère THY.
5.2 Deuxième génération de molécules synthétiques
5.2.1 C6-EG-THY
Pour contrer le manque de solubilité de la base azotée, qui constitue la tête
hydrophile des molécules amphiphiles de la première génération et qui est essentielle au
processus de reconnaissance moléculaire, une fonction éthylène glycol a été ajoutée entre la
base azotée et la chaîne hydrophobe. On sait que l’éthylène glycol est une molécule
miscible avec l’eau. La structure moléculaire du nucléolipide C6-EG-THY est présentée à la
Figure 5-4.
Figure 5-4 Structure moléculaire du nucléolipide C6-EG-THY.
99
5.2.1.1 Étude in situ à l’interface air-eau
Balance de Langmuir et microscopie à l’angle de Brewster
Les premières études à l’interface air-eau avec ce nouveau nucléolipide ont montré
que le C6-EG-THY ne forme pas de monocouche sur une sous-phase d’eau pure à 20 °C. Il
n’y a aucune montée de la pression de surface lors de la compression ni aucune variation du
niveau de gris n’est détectée par les observations en microscopie à l’angle de Brewster.
L’expérimentation a donc été répétée, mais cette fois avec une sous-phase contenant
500 mM de NaCl et dans laquelle des oligonucléotides dA30 ont été ajoutés. Comme il a été
mentionné précédemment, la présence d’un sel a pour effet de diminuer la solubilité du
polyélectrolyte dans la sous-phase et ainsi d’augmenter la probabilité qu’il y ait hybridation
entre la thymine du nucléolipide étalé à l’interface air-eau et l’adénine dissoute dans la
sous-phase. Pour favoriser davantage l’interaction du nucléolipide avec l’acide nucléique,
une période d’incubation de 90 minutes a été laissée avant d’amorcer la compression.
Différents rapports molaires adénine:thymine ont été étudiés, 2:1, 5:1 et 14:1. Dans les trois
cas, l’isotherme π-A ne montre aucune augmentation de pression de surface suite à la
compression. Néanmoins, la microscopie à l’angle de Brewster révèle la formation
d’agrégats à l’interface air-eau à de petites aires moléculaires (8-9 Å2/molécule). Les
images présentées à la Figure 5-5 montrent bien que des molécules sont présentes à
l’interface lorsque l’oligonucléotide est largement en excès dans la sous-phase. Deux
conclusions sont toutefois possibles, soit qu’il s’agisse des molécules de C6-EG-THY qui
sont localisées à l’interface mais qui ne sont pas suffisamment ancrées pour former un film
stable ou encore, soit qu’il s’agisse d’ADN agrégé.
100
A C B
Figure 5-5 Images de microscopie à l’angle de Brewster du nucléolipide C6-EG-THY sur une sous-phase aqueuse d’oligonucléotides dA30 de rapports molaires adénine:thymine (A) 2:1, (B) 5:1 et (C) 14:1.
L’ADN dans l’eau ultrapure ou en milieu faiblement ionique ne forme pas de film et
ne s’agrège pas à l’interface air-eau. Cependant, en présence d’ions multivalents ou à haute
concentration en sels monovalents, il y a formation d’un film de Gibbs.41 L’ajout de sel
permet de blinder les interactions ion-dipôle entre l’ADN et l’eau et entraîne ainsi la
diminution de la solubilité du polyélectrolyte. La concentration de surface et le taux
d’adsorption augmentent en fonction de la teneur en sel dans la sous-phase, mais aussi en
fonction de la concentration d’ADN. Ce phénomène a été étudié en détail par Frommer et
Miller67 en 1968. Pour s’assurer que les agrégats observés par microscopie à l’angle de
Brewster n’étaient pas causés par l’ADN, mais bien par l’interaction entre le C6-EG-THY
et l’acide nucléique, des essais de contrôle ont été effectués. Des isothermes de
compression ont donc été repris sans toutefois étaler le nucléolipide à l’interface. La
concentration d’oligonucléotide dA30 est la même que celle utilisée pour l’essai dont le
rapport molaire adénine:thymine était 14:1 (Figure 5-5C), puisque c’est pour ce rapport que
la présence d’agrégats a été la plus importante. Tous les paramètres de compression ont été
identiques, soit 60 x 500 mm pour la taille de la cuve et 30 cm2/molécule pour la vitesse des
barrières. On peut voir à la Figure 5-6 que le nombre d’agrégats est infime
comparativement à ce qui a été observé lorsque le nucléolipide C6-EG-THY était présent à
l’interface. On peut ainsi confirmer pour l’essai précédent qu’il y a bien présence d’un film
101 de nucléolipide à des rapports molaires A:T de 5:1 et 14:1. Il faut cependant noter que ce
film n’est pas stable à l’interface air-eau.
B A
Figure 5-6 Images de microscopie à l’angle de Brewster d’une sous-phase aqueuse d’oligonucléotides dA30 pour des aires moléculaires correspondantes à (A) 9 et (B) 8 Å2/molécule s’il y avait présence d’une monocouche de C6-EG-THY.
On peut penser que le problème d’ancrage du C6-EG-THY provient de la chaîne
hydrophobe puisque théoriquement l’ajout du groupement éthylène glycol rend la tête bien
hydrophile. Le groupement hexyle n’est peut-être pas adéquat pour assurer un bon équilibre
entre le caractère hydrophile et hydrophobe de la molécule. Il est bien connu que la stabilité
d’un film varie grandement avec la longueur de la chaîne. Par exemple, les acides gras
doivent contenir plus de 13 atomes de carbone pour être étalés et former une monocouche
sur une sous-phase dont le pH est assez bas pour éviter la formation de l’ion carboxylate.23
Il a aussi été montré que les surfactants cationiques à une seule chaîne, du type sel de
bromure d’ammonium sont insolubles dans l’eau à partir de 18 atomes de carbone.68
5.2.2 C12-EG-THY
Un nouveau nucléolipide avec une chaîne alkyle formée de 12 atomes de carbone au
lieu de 6 a été synthétisé par le groupe de la professeure Sleiman et il a été identifié comme
suit : C12-EG-THY. Sa structure est pratiquement identique au nucléolipide précédent, le
C6-EG-THY, à l’exception de la chaîne qui est allongée (Figure 5-7).
102
Figure 5-7 Structure moléculaire du nucléolipide C12-EG-THY.
5.2.2.1 Étude in situ à l’interface air-eau
Balance de Langmuir et microscopie à l’angle de Brewster
Les modifications apportées à la chaîne hydrophobe du nucléolipide se sont avérées
efficaces étant donné que le composé C12-EG-THY forme des films de Langmuir à
l’interface air-eau. Les isothermes de compression présentés à la Figure 5-8 le confirment.
L’isotherme indique une bonne compressibilité du film puisque la variation d’aire
moléculaire est grande par rapport à la montée de la pression de surface. L’absence d’un
plateau nous laisse donc supposer que la monocouche est formée d’une seule phase. Cet
élément sera confirmé plus tard par la microscopie à l’angle de Brewster. L’ajout
d’oligonucléotides dans la sous-phase n’a pas induit de changements de pente dans la
courbe de l’isotherme du C12-EG-THY. Les décalages observés à la Figure 5-8 peuvent en
fait provenir de l’erreur sur la mesure du volume de la quantité étalée à l’interface. Des
essais supplémentaires ont été réalisés avec une sous-phase ayant une forte concentration en
sel, cependant aucun changement notable n’a été observé pour ces expérimentations. Bien
que les résultats ne soient pas présentés ici, le temps d’incubation et le type d’ADN dissous
sont deux paramètres additionnels qui ont été étudiés. L’hybridation entre ce nucléolipide,
le C12-EG-THY et l’ADN ne peut donc pas être confirmée par le tracé de l’isotherme. On
ne peut non plus l’infirmer, il est possible que l’hybridation ait lieu sans qu’il y ait
modification de l’isotherme.
103
0 20 40 60 80 100 120 140 160 180
0
8
16
24
32
40
48 eau ultrapure eau ultrapure et 500 mM NaCl dA
30
dA30
et 500 mM NaCl
Pre
ssio
n de
sur
face
(m
N/m
)
Aire moléculaire (Å2/molécule)
Figure 5-8 Isothermes de compression de monocouches de C12-EG-THY sur différentes sous-phases.
Puisque le C12-EG-THY est un nouveau composé non offert commercialement, il
est intéressant d’en connaître certaines caractéristiques, dont sa stabilité à l’interface air-
eau. Comme il a déjà été mentionné pour les études de stabilité du DODAB, cette
information nous permet entre autres de mieux choisir la pression de surface à laquelle
auront lieu les transferts Langmuir-Blodgett. La Figure 5-9 présente les isothermes de
relaxation de monocouches de C12-EG-THY sur une sous-phase d’eau pure. Rappelons
qu’un isotherme de relaxation correspond au tracé du rapport de l’aire moléculaire au temps
t (A) en fonction de l’aire moléculaire initiale lors de l’atteinte de la pression de surface
cible (A0). Les monocouches de nucléolipide ont été comprimées à une vitesse constante de
1,93 x 10-1 nm2/molécule/min jusqu’à l’atteinte des pressions de surface cibles qui ont été
maintenues pendant 600 secondes.
104
0 100 200 300 400 500 600
0,55
0,60
0,65
0,70
0,75
0,80
0,85
0,90
0,95
1,00
5 mN/m 10 mN/m 15 mN/m 20 mN/m 25 mN/m
A/A
0
Temps (sec)
Figure 5-9 Isothermes de relaxation d’une monocouche de C12-EG-THY sur une sous-phase d’eau pure.
On peut voir à la Figure 5-9 que plus la pression de surface cible est élevée, plus la
décroissance de l’aire moléculaire est rapide. À une pression de surface de 5 mN/m, après
600 secondes d’attente, le rapport A/A0 est égal à 0,93, à 10 mN/m le rapport devient 0,83;
et à 15, 20 et 25 mN/m, le rapport passe à 0,78, 0,71 et 0,58, respectivement. Il faut noter
ici qu’à 25 mN/m la durée de l’étude est de 425 secondes et non pas de 600 secondes, car la
décroissance de l’aire est très rapide et que l’aire de surface minimale permise par la cuve
utilisée a été atteinte. Notons aussi qu’une monocouche de C12-EG-THY ne montre pas une
aussi bonne stabilité que le surfactant cationique choisi pour la première stratégie du projet.
Toutefois, la stabilité est suffisante pour effectuer des transferts sur supports solides. Pour
certaines pressions de surface cibles, des isothermes de relaxation ont été réalisés avec une
sous-phase ayant une concentration de 5 µg/ml d’ADN et en laissant cette fois 1 heure
d’incubation avant de débuter la compression. Malheureusement, aucun changement
notable sur la stabilité des films n’a été observé en présence d’acide nucléique dans la sous-
phase. Ces résultats n’ont pas été portés en graphique dans ce mémoire.
105
La Figure 5-10 montre les images acquises par microscopie à l’angle de Brewster du
film de C12-EG-THY sur une sous-phase d’eau à 20 °C. On constate avant tout
l’homogénéité du film et également qu’il y a formation de petits agrégats à faible pression
(A-B). Remarquons aussi que le niveau de gris augmente à peine lors de la compression.
C’est donc dire que le film est mince ou encore que sa densité est faible. On peut aussi
supposer que l’indice de réfraction du film est bas ce qui expliquerait la faible réfringence.
A
A B C
Figure 5-10 Images de microscopie à l’angle de Brewster d’une monocouche de C12-EG-THY sur une sous-phase d’eau pure à des pressions de surface de (A) 5 mN/m, (B) 15 mN/m et (C) 35 mN/m.
5.2.2.2 Étude sur support solide
Étude du dépôt Langmuir-Blodgett
Afin de connaître le type de dépôt que fait le nucléolipide C12-EG-THY, plusieurs
cycles de transfert ont été réalisés sur un substrat de germanium. La pression de surface
choisie pour le transfert est 10 mN/m et la vitesse des barrières pour comprimer le film à
cette pression est de 10 mm/min. La vitesse du transfert se fait à 2 mm/min. Le dépôt est du
type z, le transfert a lieu seulement lors de la montée du substrat. On a également noté une
importante instabilité du film lors des transferts, les barrières continuent leur compression
même lorsque le cristal est hors de la sous-phase. Ceci peut être une indication que les
106 molécules sont faiblement ancrées à la surface et qu’elles se solubilisent dans la sous-
phase. On doit donc tenir compte de cette instabilité dans le calcul du taux de transfert.
Cette dérive des barrières doit être soustraite du taux de transfert par calcul mathématique.
De plus, lors de l’étape d’insertion du substrat dans la sous-phase suite à un premier dépôt,
il y a redéposition de la couche. On appelle ce phénomène « peeling-off », c’est-à-dire que
les molécules se désorbent du cristal et se redéposent à l’interface air-eau.69 Plusieurs
facteurs peuvent contribuer à minimiser ce phénomène, soit une vitesse de transfert
supérieure, une pression de surface plus élevée, un temps de séchage plus grand entre
chaque dépôt ou encore l’utilisation d’un substrat présentant moins de défauts de surface.
Des transferts ont été effectués avec une vitesse d’immersion du substrat plus rapide
(100 mm/min) et ce changement ne s’est pas avéré efficace. L’étude sur support solide
n’avait toutefois pas comme objectif d’optimiser le transfert de multicouches mais plutôt de
connaître sommairement le comportement du C12-EG-THY pour ensuite vérifier s’il y a
effectivement hybridation entre celui-ci et l’acide désoxyribonucléique. Ainsi, même si
l’étude à l’interface air-eau n’a pas permis de confirmer une interaction entre les deux
composés, nous avons tout de même tenté d’effectuer le transfert de ces films sur support
solide.
ATR
La Figure 5-11 présente des spectres ATR de monocouches de C12-EG-THY étalées
sur des sous-phases d’eau ultrapure contenant ou non des acides nucléiques pour la région
de 850 à 1800 cm-1. Les paramètres de transfert sont les mêmes que ceux décrits
précédemment dans cette section.
107
1800 1600 1400 1200 1000
0,000
0,001
0,002
0,003
0,004
0,005 eau ultrapure ADN dA
30
dT30
Abs
orba
nce
Nombre d'onde (cm-1)
ν C=O
δ CH2
νs C-O
δs CH
3
ν C=NC=C
Figure 5-11 Spectres ATR de monocouches de C12-EG-THY transférées sur des substrats de germanium à partir de sous-phases d’eau pure contenant ou non différents acides nucléiques.
Bien qu’il n’y ait aucune bande supplémentaire qui apparaît avec l’ajout d’acide
nucléique, les bandes situées autour de 1100 cm-1 (νs C-O) peuvent dissimuler la bande
causée par l’élongation symétrique des groupements PO2-. Pour vérifier cet élément, le
rapport d’intensité entre la bande de l’élongation antisymétrique des groupements CH2
située à 2925 cm-1 et celle de l’élongation symétrique du lien C-O (νas CH2/νs C-O) a été
calculé. Les spectres IR de la région de l’élongation antisymétrique des groupements CH2
ne sont pas présentés ici. Le rapport d’intensité des bandes obtenu pour le spectre du
nucléolipide sur l’eau pure est 2,4, tandis que ce rapport est 2,3 lorsque dT30 est présent
dans la sous-phase. On note que le rapport d’intensité des bandes est plus faible lorsque les
oligonucléotides d’adénine ou l’ADN d’environ 2000 paires de bases sont ajoutés à la sous-
phase. Il devient alors respectivement 1,6 et 0,9. L’intensité de la bande νs C-O étant donc
plus élevée laisse supposer qu’il y a chevauchement avec celle des groupements PO2-, d’où
la présence d’acide nucléique complémentaire dans les films analysés.
108
5.3 Troisième génération de molécules synthétiques
La troisième génération de molécules étudiées correspond en fait aux monomères
utilisés précédemment à la section 4.5 lors des essais d’hybridation avec le film de
complexe DODAB-ADN. La structure de ces molécules a déjà été montrée à la Figure
4-21. Nous présenterons ici les résultats obtenus avec la deuxième stratégie de ce projet,
soit l’étude de ces monomères déposés directement à l’interface air-eau. Comme il a été fait
pour les autres monomères et nucléolipides, la première étape consiste à vérifier qu’il y a
bien formation d’une monocouche à l’interface air-eau. Les isothermes de compression
montrent que ces deux monomères forment bien des films stables à l’interface (Figure 5-12
et 5-13). La balance de Langmuir et la microscopie à l’angle de Brewster ont été utilisées
en parallèle afin de mettre en évidence l’association des monomères avec l’ADN. Ces deux
techniques sont faciles d’utilisation et permettent l’étude directement à l’interface air-eau.
La section 5.3.2 décrira l’étude de ces films transférés sur un support solide.
5.3.1 Étude in situ à l’interface air-eau
5.3.1.1 Préparation des films de Langmuir
Les dimensions de la cuve utilisée pour former les films de Langmuir sont
100 x 700 mm. Le monomère M-C12-Adé a été dissous dans le chloroforme HPLC à une
concentration de 0,69 mg/ml tandis que le M-C12-Thy à une concentration de 1,56 mg/ml.
Les volumes étalés sont respectivement 76 µl et 38 µl. Pour les films contenant des acides
nucléiques, ils sont ajoutés avant l’étalement des monomères avec un rapport molaire des
bases azotées monomère/oligonucléotide de 1:10. L’oligomère d’adénine a une
concentration de 253,2 µM et celui de thymine de 260 µM. Les volumes injectés de ces
deux oligonucléotides sont d’environ 100 µl pour un film de M-C12-Adé et d’environ
115 µl pour celui de M-C12-Thy. Après l’étalement de la solution de monomère, une
période de 15 minutes a été laissée avant de faire la compression. Toutefois, lorsque des
oligonucléotides sont injectés préalablement dans la sous-phase, c’est une période de
109 60 minutes qui est allouée. Les films ont été comprimés à une vitesse de barrières de
29 cm2/min, ce qui correspond à 5,4 x 10-2 nm2/molécule/min.
5.3.1.2 Isotherme de compression
Pour le monomère M-C12-Thy dont l’isotherme de compression est présenté à la
Figure 5-12, on ne dénote aucune différence dans la forme de l’isotherme, qu’il y ait ou non
présence d’oligonucléotides. Pour le second monomère, celui-ci montre une légère
différence au niveau du collapse (Figure 5-13). La pression de surface à laquelle il survient
est augmentée et la courbe change de forme. Ce changement est observable aussi bien lors
de l’ajout du brin complémentaire que de celui qui est non complémentaire, mais l’effet est
un peu moins prononcé dans ce dernier cas.
0 20 40 60 80 100 120 140
0
10
20
30
Pre
ssio
n de
sur
face
(m
N/m
)
Aire moléculaire (Å2/molécule)
eau ultrapure dA
30
dT30
Figure 5-12 Isothermes de compression du M-C12-Thy étalé sur une sous-phase d’eau ultrapure (––); sur une sous-phase contenant le nucléotide complémentaire (---) et le nucléotide non complémentaire (····).
110
0 20 40 60 80 100 120 140 160
0
10
20
30
40
50
60
Pre
ssio
n de
sur
face
(m
N/m
)
Aire moléculaire (Å2/molécule)
eau ultrapure dA
30
dT30
Figure 5-13 Isothermes de compression du M-C12-Adé étalé sur une sous-phase d’eau ultrapure (––); sur une sous-phase contenant le nucléotide complémentaire (····) et le nucléotide non complémentaire (---).
5.3.1.3 Microscopie à l’angle de Brewster
Les images de microscopie à l’angle de Brewster montrées dans cette section ne
concernent que le monomère M-C12-Adé. Celles obtenues avec le monomère M-C12-Thy
sont comparables. Aussi, en raison du changement noté en présence d’ADN au niveau de
l’isotherme du M-C12-Adé, les études subséquentes sur supports solides se sont concentrées
principalement sur ce dernier monomère. Le but premier de l’utilisation de la microscopie à
l’angle de Brewster a été encore une fois ici de démontrer l’hybridation. La Figure 5-14
présente les images obtenues pour une monocouche de monomère étalé sur une sous-phase
d’eau pure, tandis que la Figure 5-15 se rapporte à une monocouche sur une sous-phase
contenant des oligonucléotides complémentaires. On peut voir que la morphologie du film
n’est aucunement modifiée par la présence d’acide nucléique.
111
Figure 5-14 Images de microscopie à l’angle de Brewster d’une monocouche de M-C12-Adé sur une sous-phase d’eau pure à des aires moléculaires de (A) 129, (B) 97, (C) 78, (D) 53 et (E) 45 Å2/molécule.
Figure 5-15 Images de microscopie à l’angle de Brewster d’une monocouche de M-C12-Adé sur une sous-phase aqueuse de dT30 à des aires moléculaires de (A) 112, (B) 97, (C) 79, (D) 54 et (E) 46 Å2/molécule.
A B C
ED
A B C
ED
112 Comme le montrent ces images, le film est très homogène et le niveau de gris
augmente considérablement tout au long de la compression. Même à une pression de
surface nulle (images A, B et C), le signal réfléchi est important. Cette observation indique
que l’indice de réfraction effectif est élevé. Ceci peut-être causé par un film dense ou un
film épais. L’augmentation du niveau de gris n’est pas graduelle comme l’indique le
graphique à la Figure 5-16. On constate un saut très important dans la courbe et selon les
essais l’aire moléculaire à laquelle il survient varie. La Figure 5-15B montre bien le
phénomène observé pour les deux films. Il semble que ce soit des « plaques » de film dense
qui se placent devant l’objectif. On peut donc supposer que les plaques coalescent pour
former un film uniforme, d’où l’observation d’un plateau suite à l’augmentation brusque et
soudaine de la courbe du niveau de gris. La densité du film augmente ensuite
progressivement jusqu’à la saturation de la caméra CCD.
0 20 40 60 80 100 120 140 1600
50
100
150
200
250
Niv
eau
de g
ris
Aire moléculaire (Å2/molécule)
eau pure dT
30
Figure 5-16 Variation du niveau de gris en fonction de l’aire moléculaire pour une monocouche de M-C12-Adé sur une sous-phase d’eau pure avec et sans dT30.
Puisque la balance de Langmuir et le BAM ont montré la formation de films de
monomères à l’interface air-eau, nous avons procédé à une étude sur des supports solides
par la spectroscopie ATR, l’AFM et le XPS. Nos efforts ont été concentrés sur le
113 monomère M-C12-Adé puisque c’est celui-ci qui a présenté un changement dans la forme
de son isotherme de compression.
5.3.2 Étude sur support solide
5.3.2.1 Préparation des films de Langmuir-Blodgett
Les échantillons ont été préparés par des transferts Langmuir-Blodgett sur des
substrats de silicium pour les analyses AFM et XPS et sur un cristal de germanium pour les
études ATR. Les dimensions de la cuve utilisée pour ces transferts sont 80 x 480 mm. Un
volume de 50 µl du monomère M-C12-Adé dont la concentration est 0,69 mg/ml a été étalé
sur une sous-phase d’eau pure à 20 °C. Pour les films contenant des oligonucléotides, ceux-
ci sont ajoutés avant l’étalement du monomère avec un rapport molaire des bases azotées
monomère/oligonucléotide de 1:12, ce qui correspond à un volume d’environ 81 µl pour
dA30 (253,2 µM) et 79 µl pour dT30 (260 µM). Après une période d’évaporation du solvant
de 15 minutes ou encore d’incubation de 60 minutes lorsque des oligonucléotides sont
ajoutés dans la sous-phase, le film a été comprimé à une vitesse de 10 mm/min
(5,2 x 10-2 nm2/molécule/min) jusqu’à l’atteinte de la pression de surface cible de
20 mN/m. Une fois cette pression obtenue, une période de 15 minutes a été allouée pour
que le film se stabilise avant de débuter le transfert. Le substrat a été maintenu à l’extérieur
de la sous-phase pour éviter l’adsorption d’ADN. Les supports utilisés sont hydrophiles, la
déposition du film débute donc lors de la première émersion. Toutefois, pour éviter tout
risque de dépôt, le substrat a été introduit dans la sous-phase à grande vitesse (20 mm/min).
Une fois son insertion complétée, une période de 2 minutes a été laissée pour permettre au
film de se stabiliser à nouveau. Après quoi, cinq couches ont été déposées à une vitesse de
1 mm/min pour les analyses XPS tandis qu’une seule couche a été transférée pour les
observations ATR et AFM. À titre de référence pour les études de spectroscopie à
photoélectrons X, le film de l’oligomère d’adénine a été préparé par évaporation de solvant.
114
5.3.2.2 ATR
Nous avons déjà présenté les spectres ATR de films épais de chacun de ces
monomères (section 4.5.2). Nous montrons ici les spectres ATR de monocouches du
M-C12-Adé transférées sur un cristal de germanium à partir de différentes sous-phases, soit
d’eau pure, de solutions aqueuses de l’oligonucléotide non complémentaire dA30, et
également complémentaire dT30 (Figure 5-17).
1850 1650 1450 1250 1050 850
0,000
0,002
0,004
0,006
0,008 eau pure dA
30
dT30
Abs
orba
nce
Nombre d'onde (cm-1)
Figure 5-17 Spectres ATR d’une monocouche de M-C12-Adé transférée sur un cristal de germanium à partir d’une sous-phase d’eau pure (––), d’une solution aqueuse d’oligonucléotides dA30 (---) et de dT30 (····).
On peut déduire par ce spectre qu’il y a hybridation entre le monomère M-C12-Adé
et dT30. La présence du brin complémentaire est montrée par la bande à 1641 cm-1. Ce sont
les groupements amide (HNC=O) de la thymine qui sont responsables de cette bande. On
ne peut toutefois pas confirmer que l’association est spécifique à l’oligomère
complémentaire puisqu’il y a aussi un changement dans le spectre du M-C12-Adé en
présence de dA30. La bande située à 1094 cm-1 peut être attribuée aux groupements PO2- de
l’acide nucléique.
115
5.3.2.3 AFM
La microscopie à force atomique a été utilisée afin d’obtenir de l’information sur la
morphologie des films Langmuir-Blodgett du monomère M-C12-Adé. Nous avons étudié les
films LB de ce monomère transféré à partir d’une sous-phase d’eau mais également d’une
sous-phase contenant l’oligonucléotide non complémentaire, le dA30 et le complémentaire
dT30. Les images AFM de ces films sont présentées à la Figure 5-18 pour une zone de
balayage du scanneur de 0,5 µm sur les axes xy et à la Figure 5-19 pour une zone de
balayage de 5 µm.
A C B
Figure 5-18 Images AFM d’une monocouche de M-C12-Adé transférée sur un substrat de silicium à partir (A) d’une sous-phase d’eau pure, d’une sous-phase contenant des oligonucléotides (B) dA30 et (C) dT30. La zone de balayage en xy est de 0,5 µm.
A C B
Figure 5-19 Images AFM d’une monocouche de M-C12-Adé transférée sur un substrat de silicium à partir (A) d’une sous-phase d’eau pure, d’une sous-phase contenant des oligonucléotides (B) dA30 et (C) dT30. La zone de balayage en xy est de 5 µm.
Les films de M-C12-Adé déposés sur des substrats de silicium sont uniformes et très
lisses. Il est à remarquer que l’échelle de hauteur n’est que de 2 nm. On ne dénote aucune
différence dans la morphologie des trois films, qu’il y ait ou non présence d’ADN. Ce
116 résultat appuie l’observation faite en microscopie à l’angle de Brewster lors des études in
situ à l’interface. Les films ont été transférés à une pression de surface de 20 mN/m et le
BAM a montré qu’à cette pression les films sont déjà très denses et qu’ils ne présentent
aucun domaine (Figure 5-14D et 5-15D). Cette morphologie du film est donc conservée
une fois transféré sur un support solide.
Parmi les techniques utilisées pour étudier les films de monomères sur support
solide, l’ATR a permis de montrer de façon qualitative une interaction entre le monomère
et l’ADN complémentaire et non complémentaire. La spectroscopie photoélectronique à
rayon X est la troisième technique envisagée pour étudier ces films. Elle permettra à son
tour non seulement de confirmer l’appariement du type Watson-Crick et du type non
standard, mais également de les quantifier.
5.3.2.4 XPS
Les échantillons ont été analysés par XPS avec un faisceau d’une puissance de
225 W et avec un angle d’incidence de 0° par rapport à la normale du plan des échantillons.
L’énergie de passage dans l’analyseur est de 160 eV pour les balayages larges (1150-0 eV)
et 40 eV pour les régions analysées à meilleure résolution. Un balayage étroit a été effectué
pour les régions N 1s, I 3d et P 2p. Afin de limiter le problème de la dégradation de
l’échantillon, les temps d’acquisition ont été réduits et la résolution légèrement sacrifiée.
De plus, pour gagner en sensibilité, seul le pic à plus faible énergie, I 3d5/2, du doublet de la
région I 3d a été enregistré. Les spectres ont été corrigés par rapport au carbone aliphatique
qui doit se situer à 285 eV et la correction de la ligne de base a été réalisée par la méthode
Shirley. Le logiciel CasaXPS a permis de traiter les spectres.
Pour maximiser le signal, il était nécessaire de réaliser les mesures XPS sur des
échantillons multicouches contrairement aux études ATR et AFM qui ont eu lieu sur une
seule couche de film. Pour connaître sommairement le comportement du monomère
M-C12-Adé lors du dépôt de multicouches, cinq couches d’un film étalé sur l’eau pure ont
été déposées sur un substrat de silicium. Ce dépôt a révélé que la déposition
Langmuir-Blodgett du M-C12-Adé se fait selon le type Y, c’est-à-dire dans les deux
117 directions. Le film est d’autant plus très stable à l’interface, les barrières ne compriment
que pour effectuer le transfert.
Film épais de dA30
Puisque le monomère est composé d’adénine, il a été utile d’étudier un oligomère
composé de ce nucléotide afin de bien attribuer les bandes ultérieurement. Le spectre à
haute résolution de la région de l’azote 1s est montré à la Figure 5-20. Cette bande a été
décomposée selon deux composantes, l’une à 401,1 eV attribuée à la présence d’azote non
conjugué et l’autre à 399,4 eV causée par l’azote conjugué de la purine. Un pic satellite de
shake-up est également visible à 405,5 eV. Sans aller dans le détail ici, ce dernier résulte de
transitions multiélectroniques.
408 406 404 402 400 398 396 394
20
40
60
80
100
120
CP
S
Énergie de liaison (eV)
x 102
(1)>N-
401,1
(2)-N=
399,4
shake-up
Figure 5-20 Spectre XPS à haute résolution dans la région N 1s d’un film épais de dA30.
Le spectre XPS de la région du phosphore 2p à la Figure 5-21 montre bien la
présence du doublet attendu, soit le pic de P 2p1/2 à 134,4 eV et celui de P 2p3/2 à 133,6 eV.
Ces valeurs correspondent à celles que l’on retrouve dans la littérature.50
118
140 138 136 134 132 130 128
5
10
15
20
25
(2)P 2p
3/2
133,6
CP
S
Énergie de liaison (eV)
x 102
(1)P 2p
1/2
134,4
Figure 5-21 Spectre XPS à haute résolution dans la région P 2p d’un film épais de dA30.
Le rapport atomique N/P calculé à partir des spectres à haute résolution de ces deux
régions élémentaires pour l’oligomère d’adénine est de 5,55. Dans ce cas-ci, N/P théorique
calculé à partir de l’architecture moléculaire équivaut à 5. Comme nous l’avions observé
pour l’oligomère de thymine (section 4.3.4) la valeur obtenue est supérieure à la valeur
théorique attendue. Pour dT30, cette valeur était de 81 % supérieure, tandis qu’ici pour dA30
la valeur obtenue n’est que de 11 % supérieure. Cette différence serait, d’après nous,
attribuable au meilleur signal enregistré pour chacun de ces deux éléments, soit environ 100
fois plus intense lors de l’étude de dA30. C’est principalement le faible rapport signal sur
bruit du phosphore qui mène à la surestimation du rapport N/P. Dans la littérature, un
rapport N/P aussi élevé que 8,2 a même été rapporté pour des oligomères simple brin
d’adénine.50
Film ultramince de M-C12-Adé
Un spectre XPS de survol d’un film ultramince de M-C12-Adé a d’abord été
enregistré (Figure 5-22). Tous les éléments constitutifs de ce monomère sont présents sur le
spectre à l’exception du palladium à 338 eV qui est un résidu de synthèse. La présence de
119 silicium indique également que l’échantillon est analysé sur toute son épaisseur. On
retrouve au Tableau 5-1 la composition atomique relative des constituants du film tirée des
données des spectres XPS.
1000 800 600 400 200 00
5
10
15
20
25
30
35
N A
ug
er
I 3s P
d 3
d
I 4p
I 4s
I 4d
I 3d
5/2
I 3p
1/2
I 3p 3
/2
I Au
ger
CP
S
Énergie de liaison (eV)
x104
C 1
s
N 1
s
O e
t I A
ug
er
Si 2
p
Si 2
s
O 1
s
I 3d 3
/2
Figure 5-22 Spectre XPS de survol d’un film ultramince de M-C12-Adé.
Tableau 5-1 Composition atomique relative des éléments d’un film ultramince de M-C12-Adé.
Composition atomique relative (%) Éléments (±0,2)
C 1s 68,9
O 1s 9,9
N 1s 8,5
I 3d 1,6
Si 2p 10,8
Pd 3d 0,3
120
La région de l’azote 1s est l’une des régions enregistrées avec un balayage étroit
pour permettre une meilleure analyse des pics (Figure 5-23). Le pic est constitué de deux
composantes distinctes, la première est située à 400,7 eV et correspond à 27,9 % de l’azote
total alors que la seconde à 399,0 eV correspond à 72,1 %. Ces deux valeurs d’énergie de
liaison obtenues ici correspondent parfaitement aux deux composantes observées avec un
film épais de dA30 et qui ont été présentées à la sous-section précédente. Répétons que l’on
observe à plus haute énergie, l’azote non conjugué (–NH2 et >N–) alors qu’à plus faible
énergie, on y voit l’azote conjugué (–N=).
406 404 402 400 398 396 39415
20
25
30
35
40
CP
S
Énergie de liaison (eV)
x 103
(1)>N- et -NH
2
400,7
(2)-N=
399,0
Figure 5-23 Spectre XPS à haute résolution dans la région N 1s pour un film ultramince de M-C12-Adé.
Le pic à plus basse énergie du doublet de I 3d a également été enregistré à meilleure
résolution (Figure 5-24). On observe également sur ce spectre la présence de deux
composantes, alors qu’on ne s’attend qu’à une seule. La composante majoritaire (621,0 eV;
94,1 %) est causée par l’iode du composé M-C12-Adé, tandis que la composante à 619,0 eV
(5,9 %) serait attribuable d’après nous à un phénomène de dégradation. Nous avons
d’ailleurs étudié la cinétique de l’apparition de cette forme réduite d’iode.
121
626 624 622 620 618 616
20
30
40
50
60
70
80
90
100
CP
S
Énergie de liaison (eV)
x 103
(1)I
621,0
(2)
I-
619,0
Figure 5-24 Spectre XPS à haute résolution dans la région I 3d5/2 d’un film ultramince de M-C12-Adé.
Dégradation de l’iode et de l’azote
Pour mieux évaluer la dégradation de l’iode dans le temps pour un échantillon de
M-C12-Adé, nous avons procédé à une analyse cinétique quantitative. Selon nous, il ne
semble y avoir aucun groupe de recherche qui discute de la dégradation de l’iode ou encore
de la formation d’une espèce réduite de cet élément. La dégradation a été étudiée selon
deux échelles de temps sur la même zone de l’échantillon. La Figure 5-25 montre
l’évolution des deux composantes en fonction du temps d’exposition aux rayons X. Le
premier spectre d’iode 3d5/2 enregistré est identifié t0, puis le spectre d’azote 1s est
enregistré, et à nouveau l’iode 3d5/2 (t0-1). Le carbone 1s servant à la correction de l’échelle
d’énergie est obtenu, puis suivi du troisième spectre de l’iode (t0-2). Ces trois spectres de
l’iode 3d constituent la première séquence d’acquisition. Une exposition de 12 minutes aux
rayons X suit cette séquence. Et ensuite, une série de spectres identiques à la première
séquence a été enregistrée : iode (t12), azote, iode (t12-1), carbone, iode (t12-2). Le cycle de
12 minutes d’exposition suivi de l’acquisition a été refait à deux autres reprises (t24 et t36).
122
626 624 622 620 618 616
20
30
40
50
60
70
80
90
100 t
0
t0-1
t0-2
t12
t12-1
t12-2
t24
t24-1
t24-2
t36
t36-1
t36-2
CP
S
Énergie de liaison (eV)
x 103
(1)I
621,0
(2)
I-
619,0
Figure 5-25 Spectre XPS à haute résolution de la région I 3d5/2 pour un film ultramince de M-C12-Adé montrant l’évolution des deux composantes en fonction du temps d’exposition aux rayons X.
C’est à partir de ces spectres que nous avons pu faire l’étude quantitative de la
formation d’un deuxième état d’oxydation de l’iode. Chacun des spectres a été décomposé
selon deux composantes comme il a été exposé précédemment à la Figure 5-24. La
première attribuée à l’atome d’iode du monomère et la seconde à la forme réduite. Le
Tableau 5-2 montre qu’à l’intérieur d’une même séquence d’enregistrement l’intensité du
pic de I 3d5/2 varie peu. La diminution d’intensité maximale notée est de 3,7 % (I24-2/I24 =
0,963). Il semble qu’après une très courte exposition (260 secondes), il y a augmentation de
l’intensité du pic jusqu’à 10,6 % (I0-2/I0 = 1,106) de sa valeur initiale.
123 Tableau 5-2 Évolution des rapports des concentrations atomiques apparentes d’iode 3d5/2
selon différents temps d’exposition aux rayons X pour une même séquence d’enregistrement.
Évolution du rapport des concentrations atomiques apparentes d’iode
I0-1/I0 1,057
I0-2/I0 1,106
I12-1/I12 0,989
I12-2/I12 0,985
I24-1/I24 1,006
I24-2/I24 0,963
I36-1/I36 0,974
I36-2/I36 0,988
Le Tableau 5-3 montre quant à lui la variation d’intensité du pic de I 3d5/2 entre
chacune des séquences d’enregistrement. La décroissance du pic est nettement plus
marquée dans ce cas-ci, elle peut même atteindre une valeur de 13 %. Toutefois, après la
première exposition de 12 minutes, il y a augmentation de l’intensité de la composante de
près de 7 % (I12/I0). Il est difficile d’expliquer ces augmentations et diminutions de
l’intensité en cours d’analyse. Bien qu’il y ait modification de l’état d’oxydation, la
concentration atomique relative de l’iode total est assez stable pour qu’on puisse établir des
rapports molaires monomère/nucléotide à partir de cet élément chimique.
Tableau 5-3 Évolution des rapports des concentrations atomiques apparentes d’iode 3d5/2
selon différents temps d’exposition aux rayons X pour des séquences d’enregistrement différentes.
Évolution du rapport des concentrations atomiques apparentes d’iode
I12/I0 1,067
I24/I0 0,962
I36/I0 0,870
124
Le même type d’étude cinétique a été refait pour vérifier cette fois le comportement
de l’azote. Cet atome a montré lui aussi un changement d’état chimique et c’est sa
composante à plus haute énergie de liaison qui augmente. Dans ce cas-ci par contre, la
concentration atomique relative de l’azote total n’est pas stable. On voit par le rapport
N36/N0 qu’elle peut augmenter à près de 26 % après une exposition de 3040 secondes
(Tableau 5-4). Nous en déduisons donc qu’il est important d’enregistrer les spectres le plus
rapidement possible afin d’éviter tout changement d’état d’oxydation et de biaiser ainsi les
rapports molaires obtenus. Nous jugeons fort intéressante cette observation pour
l’exploitation future de ces spectres.
Tableau 5-4 Évolution des rapports des concentrations atomiques apparentes d’azote 1s selon différents temps d’exposition aux rayons X pour des séquences d’enregistrement différentes.
Évolution du rapport des concentrations atomiques apparentes d’azote
N12/N0 1,205
N24/N0 1,224
N36/N0 1,259
Film ultramince de M-C12-Adé et dT30
Les spectres XPS ont également permis de confirmer l’hybridation du monomère
M-C12-Adé avec l’oligonucléotide complémentaire (dT30). Ce sont les mêmes éléments qui
ont été analysés à haute résolution, soit l’azote, l’iode et le phosphore. Le spectre XPS de la
région de l’azote 1s présente les deux composantes attendues (Figure 5-26). Les valeurs
d’énergie de liaison, de la largeur à mi-hauteur ainsi que de la concentration atomique
relative sont comparables à celles précédemment obtenues pour un film mince de
M-C12-Adé seul. La première composante, qu’on attribue à l’azote non conjugué, a une
énergie de liaison de 400,6 eV et une concentration atomique relative de 36,5 %. Pour
l’azote conjugué, ces valeurs sont 399,1 eV et 63,5 %, respectivement.
125
404 402 400 398 396
20
24
28
32
36
40
44
CP
S
Énergie de liaison (eV)
x 103
(1)>N- et -NH
2
400,6
(2)-N=
399,1
Figure 5-26 Spectre XPS à haute résolution dans la région N 1s d’un film ultramince de M-C12-Adé et dT30.
Pour l’iode, nous observons à nouveau le phénomène de dégradation, deux
composantes sont visibles sur le spectre à haute résolution de l’iode 3d5/2 (Figure 5-27). La
formation du second type d’iode est faible puisque la concentration atomique relative de
l’espèce réduite n’est que de 2,7 %. Les énergies de liaison sont identiques à celles notées
pour M-C12-Adé seul, soit 621,0 et 619,0 eV.
Quant à la région du phosphore, elle a été traitée de façon semblable au procédé
élaboré précédemment pour les films de DODAB-dT30. Tout d’abord, un spectre de cette
zone a été enregistré sur un substrat de silicium vierge au même angle d’incidence que celui
des échantillons, soit 0° (Figure 5-28). Comme il a déjà été mentionné, cette région n’est
pas linéaire en raison d’une trainée d’énergie du silicium 2p. Ainsi, deux composantes ont
été extraites de ce modèle de fond pour ensuite être appliquées au spectre des échantillons
de films minces.
126
626 624 622 620 618 616
20
30
40
50
60
70
80
90
100
CP
S
Énergie de liaison (eV)
x 103
(1)I
621,0
(2)
I-
619,0
Figure 5-27 Spectre XPS à haute résolution dans la région I 3d5/2 d’un film ultramince de M-C12-Adé et dT30.
142 140 138 136 134 132 130 128 12655
60
65
70
75
(2)Fond
CP
S
Énergie de liaison (eV)
x 102
(1)Fond
Figure 5-28 Spectre XPS à haute résolution dans la région P 2p d’un substrat de silicium vierge à un angle d’analyse de 0°.
127
La Figure 5-29 présente le spectre XPS de la région du phosphore pour le film
ultramince de M-C12-Adé et dT30. Les composantes identifiées 1 et 2 proviennent du
modèle de fond de silicium tandis que la composante 3 est bel et bien attribuée au signal du
phosphore 2p. Il équivaut à 41,7 % de la surface globale du pic. L’énergie de liaison est
située à 133,5 eV et correspond tout à fait à celle que l’on retrouve dans les bases de
recherche de référence.70 Cette bande confirme donc la présence d’ADN complémentaire
dans le film transféré sur le support solide. C’est un apport important que permet une fois
de plus la spectroscopie XPS.
142 140 138 136 134 132 130 128 126
55
60
65
70
75 (3)P 2p133,5
(2)Fond
CP
S
Énergie de liaison (eV)
x 102
(1)Fond
Figure 5-29 Spectre XPS à haute résolution dans la région P 2p d’un film ultramince de
M-C12-Adé et dT30.
Film ultramince de M-C12-Adé et dA30
Afin de vérifier si l’hybridation du monomère M-C12-Adé est bien spécifique, c’est-
à-dire que l’appariement n’a lieu qu’entre des bases complémentaires, nous avons procédé
à un contrôle. Pour ce faire, un film de M-C12-Adé a été préparé à partir d’une sous-phase
contenant des oligonucléotides dA30 et ensuite déposé sur un substrat de silicium. Aucun
changement n’est détecté sur les spectres des régions de l’azote et de l’iode. Le spectre XPS
à haute résolution dans la région N 1s présente les deux composantes habituelles (Figure
128 5-30), la première à 400,6 eV (29,1 %) et la deuxième à 399,0 eV (70,9 %). Les attributions
sont les mêmes que celles qui ont été faites pour les composés précédents. On retrouve à
plus haute énergie l’azote non conjugué et à plus faible l’azote conjugué.
404 402 400 398 39615
20
25
30
35
40
45
CP
S
Énergie de liaison (eV)
x 103
(1)>N- et -NH
2
400,6
(2)-N=
399,0
Figure 5-30 Spectre XPS à haute résolution dans la région N 1s d’un film ultramince de M-C12-Adé et dA30.
Le spectre XPS de l’iode 3d5/2 pour le film de M-C12-Adé et dA30 montre lui aussi
les deux composantes attribuées ultérieurement (Figure 5-31). Les énergies de liaison sont
identiques à celles obtenues précédemment pour cet élément, 621,0 et 619,0 eV. Les
concentrations atomiques relatives sont aussi comparables, soit 96,9 et 3,1 %.
129
626 624 622 620 618 616
20
30
40
50
60
70
80
90
100
CP
S
Énergie de liaison (eV)
x 103
(1)I
621,0
(2)
I-
619,0
Figure 5-31 Spectre XPS à haute résolution dans la région I 3d5/2 d’un film ultramince de M-C12-Adé et dA30.
Le spectre XPS à haute résolution dans la région du phosphore 2p présenté à la
Figure 5-32 confirme la présence de phosphore dans ce film formé sur une sous-phase
d’oligomère d’adénine. Encore ici les composantes identifiées 1 et 2 sont attribuées à cette
trainée d’énergie du silicium 2p observée sur le modèle du fond. La troisième composante
dont la concentration atomique relative est de 53,3 % et qui se présente à une valeur
d’énergie de liaison de 133,4 eV est reliée à P 2p. Malheureusement, la présence de
phosphore démontre que l’hybridation du monomère M-C12-Adé n’est pas spécifique aux
acides nucléiques complémentaires puisqu’il y a appariement entre deux bases d’adénine.
130
142 140 138 136 134 132 130 128 126
55
60
65
70
75 (3)P 2p133,4
(2)Fond
CP
S
Énergie de liaison (eV)
x 102
(1)Fond
Figure 5-32 Spectre XPS à haute résolution dans la région P 2p d’un film ultramince de M-C12-Adé et dA30.
L’appariement entre deux bases d’adénine est un phénomène qui peut survenir.
L’appariement de base dans l’ADN est souvent considéré seulement en terme de liaison
hydrogène Watson-Crick. Il existe toutefois plusieurs autres arrangements possibles, et ce,
même si ceux-ci sont moins favorables. Donohue71 fut le premier à reconnaitre l’existence
de ces liaisons non standards. Selon Burkard et al.72, en plus des 2 paires de bases du type
Watson-Crick, il y aurait 27 autres structures qui impliquent au moins deux liaisons
hydrogène. Plusieurs de ces paires de bases ont été observées expérimentalement tandis que
d’autres sont issues de calculs théoriques. In vivo, il se produit naturellement des
mésappariement de bases lors du processus de réplication de l’ADN. Toutefois, des
mécanismes de réparations sont en place afin de détecter et corriger ces erreurs. Si des
défauts perdurent, ceux-ci conduisent à l'introduction de mutations dans les cellules filles et
des conséquences importantes comme des cancers et des maladies génétiques peuvent en
découler.
Plusieurs chercheurs étudient les causes des différents types de
mésappariements.73,74 Certains assemblages non Watson-Crick peuvent être expliqués en
invoquant un changement de formes tautomères (céto-énol et amino-imino) ou par une
131 isomérisation (anti-syn) ou encore pour certaines paires de bases, les groupements
fonctionnels impliqués dans les liaisons hydrogène diffèrent, on l’appelle appariement
Wobble.
Les paires de bases peuvent être classées en quatre différentes catégories soit,
purine-pyrimidine, purine-purine (homo et hétéro) et pyrimidine-pyrimidine. La classe qui
nous intéresse ici concerne les liaisons homopurine puisque nous avons observé des liens
entre deux molécules d’adénine. Voici quatre arrangements possibles de paires de bases
d’adénine71,72,73 :
Figure 5-33 Quatre mésappariements possibles de deux bases azotées d’adénine.
Nos expérimentations ne font pas intervenir une double hélice, mais plutôt une
chaîne d’oligonucléotides avec des unités monomériques formées d’une base azotée.
Contrairement à la double hélice où les mésappariements déstabilisent la structure, on peut
penser que dans notre système ces liaisons non Watson-Crick n’ont pas d’impact sur la
stabilité. De plus, le monomère M-C12-Adé a beaucoup plus de liberté et de flexibilité
132 puisqu’il ne fait pas partie d’une chaîne, cela lui permet de se réorienter et de créer des
liaisons hydrogène avec les nucléotides. On peut donc croire qu’un changement au niveau
de la structure du monomère M-C12-Adé pourrait permettre de lui conférer une rigidité ou
amener des contraintes stériques, et ainsi défavoriser les liaisons avec l’adénine. Aussi,
puisque les formes tautomères semblent rendre possible les liaisons A-A (Figure 5-33D),
un changement de pH s’avèrerait peut-être utile pour contrer l’appariement non spécifique.
Les tableaux qui suivent résument les données expérimentales tirées des spectres
XPS. Le Tableau 5-5 concerne les échantillons à composé unique; celui du film mince de
M-C12-Adé, le film épais de dA30 et celui de dT30. Le Tableau 5-6 donne quant à lui les
paramètres expérimentaux pour les films de complexes monomère-oligonucléotide;
complémentaire et non complémentaire.
Tableau 5-5 Paramètres expérimentaux des diverses composantes spectrales XPS obtenues dans les régions N 1s, P 2p et I 3d5/2 pour des échantillons de M-C12-Adé, dA30 et dT30.
Région
XPS Échantillon
Composantespectrale
Énergie de liaison
(eV) ±0,2
LMH*
Concentration atomique
relative (%) ±0,2
Attribution
N 1s M-C12-Adé 1 400,8 1,51 27,9 >N– et –NH2
2 399,1 1,39 72,1 –N=
dA30 1 401,1 1,96 48,6 >N– et –NH2
2 399,4 1,34 49,9 –N=
dT30 1 400,8 2,06 46,5 >N–
2 400,0 1,33 53,5 –N=
P 2p M-C12-Adé - - - - -
dT30 1 134,8 1,84 33,3 P 2p1/2
2 133,9 1,84 66,7 P 2p3/2
dA30 1 134,4 1,23 33,3 P 2p1/2
2 133,6 1,23 66,7 P 2p3/2
I3d5/2 M-C12-Adé 1 621,0 1,28 94,1 I 3d5/2
2 619,0 1,33 5,9 I 3d5/2
*Largeur à mi-hauteur
133 Tableau 5-6 Paramètres expérimentaux des diverses composantes spectrales XPS obtenues dans les régions N 1s, P 2p et I 3d5/2 pour des échantillons de complexes M-C12-AdédT30 et M-C12-AdédA30.
Région
XPS Échantillon
Composantespectrale
Énergie de liaison
(eV) ±0,2
LMH
Concentration atomique
relative (%) ±0,2
Attribution
N 1s M-C12-AdédT30 1 400,6 1,54 36,5 >N–
2 399,1 1,40 63,5 –N=
M-C12-AdédA30 1 400,6 1,48 29,1 >N–
2 399,0 1,43 70,9 –N=
P 2p M-C12-AdédT30 2 133,5 1,82 41,7 P 2p
M-C12-AdédA30 2 133,4 1,89 53,3 P 2p
I 3d5/2 M-C12-AdédT30 1 621,0 1,29 97,3 I
2 619,0 1,36 2,7 I-
M-C12-AdédA30 1 619,0 1,53 3,1 I
2 621,0 1,29 96,9 I-
L’étude XPS présentée dans cette section démontre qu’il y a bien hybridation entre
les bases azotées complémentaires du monomère M-C12-Adé et dT30. Toutefois, le
phénomène se produit également en présente d’acide nucléique non complémentaire. Il est
intéressant de constater qu’on peut évaluer quantitativement ces deux types d’hybridation.
Ce sont deux rapports atomiques différents qui ont été utilisés pour y parvenir. Dans un
premier temps, nous souhaitions comparer le rapport I/N théorique par rapport à celui
obtenu avec les valeurs expérimentales. Le rapport théorique se calcule tout simplement en
utilisant la proportion des atomes dans la structure moléculaire des composés formant le
film. Pour M-C12-Adé, le rapport théorique I/N est 0,20 (1/5), pour un film de M-C12-Adé
et dT30 la valeur est 0,14 (1/7) et pour un film de M-C12-Adé et dA30 le rapport attendu est
0,10 (1/10). Lorsque des oligonucléotides sont présents dans le complexe, le calcul se fait
en considérant la proportion 1:1 (monomère/nucléotide). Les valeurs expérimentales tirées
des spectres sont très cohérentes avec les valeurs attendues (Tableau 5-7). C’est pour cette
raison que l’on croit que l’hybridation complémentaire ou non complémentaire selon le cas
134 a lieu dans des rapports molaires se rapprochant de l’unité (1 monomère/1 nucléotide). Il
est possible de calculer précisément la proportion molaire monomère/nucléotide grâce aux
valeurs expérimentales du rapport. Les valeurs obtenues correspondent très bien à celles
prédites, soit 1,2 pour un film de M-C12-Adé et dT30 et 1,9 pour un film de M-C12-Adé et
dA30. Bien que ces deux valeurs soient du même ordre de grandeur, on dénote toutefois que
l’hybridation dans le cas de l’acide nucléique complémentaire est légèrement meilleure
puisque le rapport monomère/nucléotide se rapproche plus de l’unité.
Tableau 5-7 Valeurs théoriques et expérimentales des rapports atomiques I/N et N/P obtenus par la spectroscopie de photoélectrons X pour des films ultraminces de M-C12-Adé seul, avec dT30 et dA30. Valeurs des rapports molaires monomère/nucléotide calculés à partir des rapports atomiques expérimentaux.
I/N N/P
Valeur théorique
Valeur expérimentale
monomère/nucléotide
Valeur théorique
Valeur expérimentale
monomère/nucléotide
M-C12-Adé 0,20 0,18 - - - -
M-C12-Adé dT30
0,14 0,15 1,2 7 23,63 4,33
M-C12-Adé dA30
0,10 0,13 1,9 10 23,81 3,76
À titre comparatif, nous avons aussi évalué de façons théorique et expérimentale le
rapport atomique N/P. On remarque cette fois une différence importance entre les valeurs
attendues et celles obtenues. En utilisant la valeur expérimentale de ce rapport, nous avons
à nouveau calculé le rapport molaire monomère/nucléotide. Pour l’échantillon M-C12-Adé
et dT30, la proportion des deux composantes est 4,33, alors que pour le complexe contenant
dA30 le rapport molaire est 3,76. Encore une fois ces deux valeurs sont du même ordre de
grandeur. Cependant, la composition molaire des complexes est près de quatre fois
supérieure à ce qui a été évalué avec le rapport atomique I/N pour le film contenant dT30 et
deux fois plus élevée pour dA30. Ceci vient selon nous ajouter une preuve supplémentaire
au fait que le signal du phosphore est sous-évalué même avec les précautions prises au
niveau du fond du spectre de la région P 2p. C’est cette même tendance qui a été discutée
135 plus tôt concernant la surévaluation du rapport N/P dans le cas des films épais de dT30 et
dA30.
L’analyse des données tirées des spectres XPS, tel que nous les avons enregistrées,
nous permet de conclure qu’il y a hybridation complémentaire et non complémentaire du
monomère M-C12-Adé et ce, dans les mêmes proportions. Il nous semble également évident
que le rapport atomique I/N est un meilleur choix pour évaluer le rapport molaire
monomère/nucléotide lors de la formation de ces complexes en vue bien sûr d’en arriver un
jour à un polymère d’ADN-mimétique.
Conclusion
Ce projet de recherche avait comme but ultime d’assembler des monomères
fonctionnalisés synthétiques selon une séquence dictée par un brin d’ADN gabarit pour en
faire un polymère « ADN-mimétique ». L’information génétique d’un brin d’ADN modèle
pourrait ainsi être enregistrée dans un polymère synthétique. La reconnaissance
moléculaire, ou plus précisément l’appariement entre les bases complémentaires, est le
phénomène qui permet l’association des monomères au gabarit d’ADN.
Comme il a été décrit, deux stratégies ont été envisagées pour obtenir un polymère
ADN-mimétique. La première utilise des surfactants cationiques pour conduire les brins
monocaténaires d’ADN sur un support solide pour ensuite y faire l’assemblage des
monomères fonctionnalisés selon l’ordre dicté par la séquence d’ADN. La deuxième
méthode que nous avons expérimentée vise plutôt l’utilisation des monomères
fonctionnalisés directement à l’interface air-eau.
La formation d’un complexe électrostatique entre le surfactant DODAB et des
oligonucléotides a pu effectivement être démontrée. La spectroscopie infrarouge de
réflexion totale atténuée et la spectroscopie de photoélectrons X ont permis de déterminer
que cette interaction se fait dans un rapport DODAB/nucléotide de 1:1. La microscopie à
fluorescence a montré par ailleurs que l’ADN n’est pas distribué uniformément sur le
substrat mais se présente plutôt sous la forme d’agrégats. Toutefois, comme nous l’avons
mentionné la microscopie à l’angle de Brewster a nettement montré que la présence du
fluorophore dans la sous-phase modifie la morphologie du film, et ce, en créant des
agrégats à l’interface. C’est pourquoi malgré cette agglomération des brins d’ADN,
l’association avec les monomères M-C12-Adé et M-C12-Thy a tout de même été réalisée et
suivie par ATR. Il y a eu appariement entre les bases complémentaires mais également une
hybridation non spécifique. Une évaluation quantitative à partir de rapports d’intensité a
permis de déterminer que l’appariement des bases non complémentaires se fait toutefois
dans une moindre mesure.
Pour cette première stratégie, il serait maintenant intéressant d’optimiser la
distribution des acides nucléiques sur le support solide lorsque le film est transféré. Une
137
voie possible pour y arriver, selon nous, serait d’ajouter une molécule « séparatrice » dans
la sous-phase pour empêcher l’agrégation des brins d’ADN et ainsi augmenter la distance
qui les sépare. De cette façon, la polymérisation se ferait selon la séquence dictée par le
brin gabarit. De plus, il serait important d’optimiser l’hybridation afin de ne favoriser que
l’appariement Watson-Crick. Et bien évidemment, pour mener à terme ce projet, l’étape
subséquente serait de polymériser les monomères et de vérifier par diverses techniques
d’analyse que le polymère obtenu a bien la séquence complémentaire au brin modèle. Si
cette avenue s’avère positive, il faudra refaire toutes les étapes pour une séquence réelle
contenant les quatre bases azotées.
La deuxième stratégie a exigé en premier lieu d’établir la structure moléculaire des
monomères ou encore des nucléolipides afin qu’ils forment une monocouche à l’interface
air-eau. La première génération de molécules synthétisées comportait deux monomères :
THY et DAP et deux nucléolipides : C4-THY et C6-THY. Parmi ces quatre molécules,
aucune n’a formé de film de Langmuir à l’interface, et ce, même en modifiant la
composition de la sous-phase. Deux nouveaux nucléolipides ont fait partie de la seconde
génération de composés. Le premier, le C6-EG-THY ne possédait pas de chaîne
hydrophobe assez longue pour permettre à la molécule de bien s’ancrer à l’interface air-eau
et de former un film de Langmuir. Le deuxième, le C12-EG-THY, avec l’augmentation de la
longueur de la chaîne hydrophobe s’est avéré efficace pour la formation de monocouche.
Les spectres obtenus par ATR montrent qu’il y a présence d’acide nucléique
complémentaire dans le film transféré. C’est la troisième génération qui a montré le plus de
potentiel. Les deux monomères, M-C12-Adé et M-C12-Thy forment des films de Langmuir
très stables et démontrent un appariement de bases avec les acides nucléiques.
Malheureusement, cette reconnaissance moléculaire ne se révèle pas sélective pour les
bases complémentaires. Le rapport molaire monomère/nucléotide se situe entre 1 et 2
environ, un rapport comparable à celui déjà obtenu pour l’interaction électrostatique de
notre première stratégie. Encore une fois ici, il serait nécessaire d’optimiser les conditions
expérimentales pour obtenir un appariement de bases complémentaires seulement, avant de
procéder à la polymérisation envisagée.
138
Les différentes approches expérimentales que nous avons évaluées au cours de ce
projet, de même que les résultats que nous avons tirés ou encore les observations qu’elles
ont permises, laissent présager beaucoup d’espoir de voir dans l’avenir rapproché des
polymères ADN-mimétiques disponibles.
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