Prépositions et rection verbale

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PRÉPOSITIONS ET RECTION VERBALE Denis Paillard De Boeck Université | Travaux de linguistique 2002/1 - no44 pages 51 à 67 ISSN 0082-6049 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-travaux-de-linguistique-2002-1-page-51.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Paillard Denis , « Prépositions et rection verbale » , Travaux de linguistique, 2002/1 no44, p. 51-67. DOI : 10.3917/tl.044.0051 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Université. © De Boeck Université. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h15. © De Boeck Université Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 86.70.44.244 - 11/10/2011 21h15. © De Boeck Université

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PRÉPOSITIONS ET RECTION VERBALE Denis Paillard De Boeck Université | Travaux de linguistique 2002/1 - no44pages 51 à 67

ISSN 0082-6049

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-travaux-de-linguistique-2002-1-page-51.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Paillard Denis , « Prépositions et rection verbale » ,

Travaux de linguistique, 2002/1 no44, p. 51-67. DOI : 10.3917/tl.044.0051

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PRÉPOSITIONS ET RECTION VERBALE

Denis PAILLARD*

Laboratoire de linguistique formelle. Université Paris 7

1. État des lieux

Les études consacrées aux prépositions peuvent être regroupées endeux grandes classes1 :

– les études qui privilégient les emplois dits spatiaux2 des prépositions.Dans ce cas il s’agit en premier lieu de proposer une caractérisationsémantique des prépositions : cette caractérisation peut débouchersoit sur la mise en évidence d’un invariant sémantique, soit sur laconstitution d’un réseau structuré de valeurs.

– les études consacrées au statut des compléments prépositionnels dansle cadre de la rection verbale. Les problèmes discutés sont de deuxordres : a. quels sont les critères qui permettent de distinguer lescompléments prépositionnels argumentaux des complémentscirconstanciels ? ; b. dans le cas des compléments prépositionnelsargumentaux, y a-t-il ou non désémantisation des prépositions3 ?

Notre approche des prépositions s’attache à définir une problématiquequi permette de décrire les prépositions à la fois du point de vue de la diversitéde leurs valeurs (spatiales, temporelles, figurées) sans privilégier un typede valeurs (en particulier, nous récusons la primauté du spatial), et du pointde vue du statut du complément prépositionnel dans la proposition. Cetteentreprise se situe en rupture avec un certain nombre de postulats ethypothèses largement présents dans la littérature.

Nous définissons une préposition comme un mot relateur R mettanten rapport deux termes X et Y. Cette définition est retenue par de nombreuxauteurs, mais en fait elle est appliquée essentiellement à la description desvaleurs spatiales et temporelles. Cela tient, selon nous, à la difficulté qu’il ya à définir le terme correspondant à X4 dans le cas où le syntagme

* Laboratoire de linguistique formelle – Tour Centrale pièce 707 – Université DenisDiderot, 2, place Jussieu, 75005 PARIS – email : [email protected]él. +33 1 44 27 56 85 – Domicile : 156, rue Oberkampf, 75011 PARIS – Tél. +33 140 21 65 87.

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prépositionnel a, pour un verbe donné, le statut de complément argumental :de fait, il semble que pour la majorité des auteurs, X corresponde au verbelui-même, position qui nous paraît difficile à tenir (nous y reviendrons).Plus généralement, comme le montre la terminologie la plus répandue, ladescription des prépositions privilégie le plus souvent la préposition elle-même et le terme correspondant à Y (cf. les notions de « complémentsprépositionnels » ou encore de « syntagmes prépositionnels »), ce qui reposesur la visibilité de Y. Dans cet article, par simple commodité, nous conservonscette terminologie (notamment le terme « complément prépositionnel »),mais nous chercherons à chaque fois à identifier le terme correspondant à Xdans le cadre du schéma X R Y.

Cette caractérisation de la préposition comme relateur est neutre pource qui est des différentes valeurs : spatiales, temporelles et figurées. Nouspensons qu’il est difficile de défendre la thèse de la primauté des valeursspatiales sur les autres valeurs, et cela d’autant plus qu’il n’existe pas decritères opératoires permettant de distinguer les valeurs spatiales outemporelles. Très souvent, une valeur est déclarée spatiale (ou temporelle)uniquement parce que le N correspondant à Y a une dimension spatiale (outemporelle), ce qui revient à projeter les propriétés sémantiques du N sur lapréposition. De plus, le fait que le N correspondant à Y ait une dimensionspatiale (ou temporelle) ne suffit pas à définir la valeur comme spatiale (outemporelle) ; cf. l’ambiguïté de Paul travaille sur Paris, ou encore le statutvariable du syntagme contre le mur dans se dresser contre le mur, se tenircontre le mur, s’appuyer contre le mur, lancer quelque chose contre le mur,rebondir contre le mur etc.

Les discussions autour du statut syntaxique des Cprép soulèvent unesérie de questions. La première concerne les critères permettant de distinguerles différents statuts du Cprép dans la proposition. Plusieurs auteurs(notamment D. Leeman (1998) et O. Bonami (1999)) ont montré qu’il n’étaitpas possible de fonder la distinction Cprép argumentaux / Cprép circonstants.O. Bonami, prolongeant les travaux de J.M. Gawron (1986), a mis enévidence des cas où le syntagme prépositionnel a un statut de « co-prédicateur » ; il s’agit des cas où le verbe et la préposition (ayant unefonction prédicative) ont un argument commun ; par exemple : les pêcheursont tiré le bateau sur la plage où bateau est à la fois argument du verbe tireret correspond au X de la préposition sur (la plage s’interprétant comme leY). Le second problème concerne le contenu sémantique de la prépositiondans le cas des Cprép argumentaux. Certains auteurs défendent la thèseselon laquelle la préposition est désémantisée lorsqu’elle introduit unargument du verbe : elle ne serait que le support fonctionnel de l’introductiond’un argument du verbe. Une telle approche ne permet pas de rendre comptedes cas où un même argument est introduit par deux (ou plus de deux)

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prépositions : cf. comparer à / avec, parler à / avec, s’appuyer sur /contre,tirer dans / sur la foule. Dans tous ces exemples, l’emploi de chaquepréposition est soumis à des contraintes et produit des effets de sensparticuliers5. En même temps, considérer que la préposition garde sasémantique dans le cas des Cprép argumentaux revient à multiplier lesarguments pour un verbe (chaque préposition introduisant un argumentparticulier en accord avec sa sémantique). La notion de Cprép coprédicateurest une première tentative pour dépasser cette contradiction, en conservantà la préposition sa valeur sémantique, sans pour autant multiplier lesarguments. Mais elle ne permet pas, nous semble-t-il, de rendre compte defaçon satisfaisante des cas où la construction avec un Cprép est enconcurrence avec une construction transitive : cf. tirer les rideaux / tirer surles rideaux, tirer un lapin / sur un lapin, passer une bosse / passer sur unebosse, je vous passe les détails, je passe sur les détails : dans ce cas on nepeut pas donner le statut de co-prédicateur au syntagme prépositionnelintroduit par sur. Plus généralement, si l’on adopte la définition d’unepréposition comme relateur de la forme XRY, une difficulté importante résidedans l’identification de X (le N introduit par la préposition étant Y).

Nous présenterons notre approche en étudiant les Cprép introduitspar la préposition sur avec le verbe tirer. L’hétérogénéité des emplois et desvaleurs supportées par tirer sur permet d’aborder une série de questionsd’ordre théorique, sur lesquelles nous reviendrons en conclusion.

Le corpus ci-dessous est représentatif des emplois et valeurs de tirersur :

[1] Les pêcheurs ont tiré le bateau sur la plage[2] Le chasseur a tiré sur un lapin[3] Paul a tiré sur le frein[4] Il tire sur sa cigarette comme un fou[5] Ce rouge tire sur le violet[6] Il a tiré le tract sur une offset[7] Il a tiré le tract sur du papier recyclé[8] Il a tiré de l’argent sur son compte[9] Il a tiré un trait sur son passé / sur cette histoire

L’exemple [1] a une double interprétation directement liée au Cprép : (a) lebateau est déjà sur la plage, et tirer s’interprète comme « traîner » ; (b) leprocès désigné par tirer consiste à amener sur la plage le bateau qui audépart est dans la mer. Dans les exemples [2] et [3] la construction en Cprépest en concurrence avec la construction transitive de tirer : [2a] Le chasseura tiré un lapin, [3a] Paul a tiré le frein. Par ailleurs, on notera que la présenced’un Cprép avec sur intervient avec des valeurs très différentes de tirer.

Ci-dessous, nous montrerons que les Cprép correspondent à différentsdegrés d’intrication entre le verbe et le complément prépositionnel. Mais

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dans un premier temps, il nous faut proposer une caractérisation de tirerd’une part, de sur d’autre part.

2. Le verbe tirer : forme schématique et structureargumentale

Le verbe tirer est un verbe fortement polysémique. Dans Paillard (1999)nous avons proposé une caractérisation unitaire de la sémantique de tirer,définie comme sa forme schématique (ci-dessous FS). La formeschématique, en tant que définissant l’identité sémantique du lexème verbaltirer, ne correspond à aucune valeur particulière du verbe, que l’on pourraitconsidérer comme première ou encore comme prototypique. Les valeursparticulières sont analysées comme le produit de l’interaction de la FS avecdes éléments du co-texte, cette interaction étant décrite sur différents plansrégis par des principes généraux6.

La forme schématique de tirer est la suivante : « Un terme a est prisdans une variation téléonomique régulée par un repère Z ».

Nous nous limiterons à quelques remarques sur la FS de tirer(complétées dans le cadre de la discussion de tirer sur), à propos des valeursillustrées par [2a] et [3a]. [2a] peut être glosé de la manière suivante : « lechasseur a envoyé un projectile sur une cible correspondant au lapin ; leprojectile a atteint la cible ». Le projectile correspond à a dans la FS et lelapin pris comme cible correspond au repère Z régulant la variation duprojectile (= a). [3a] peut être glosé de la manière suivante : « le frein estpris dans une variation consistant à passer d’une position (frein non serré) àune autre position (frein serré ) ». Le frein correspond à a ; la variation de aest régulée par la position visée « frein serré » correspondant à Z. Commele montre la discussion de ces deux exemples, les éléments de la FS n’ontpas nécessairement de réalisation lexicale (dans [2a] seul Z est réalisé parune unité lexicale correspondant au C1, dans [3a] seul a est réalisé par uneunité lexicale correspondant également au C1) mais tous les éléments de laforme schématique sont convoqués pour rendre compte des différentesvaleurs7. La FS associée à tirer vise à définir la spécificité de tirer en tantque lexème et les éléments a et Z ne sont pas des arguments. On noteraégalement que le terme qui est le sujet de tirer dans [2a] et [3a] ne correspondpas à un élément de la FS.

En même temps, tirer en tant que verbe est un prédicat, et à ce titre ilpossède une structure argumentale. Cette structure argumentale est définiede façon générale, chaque argument ayant un contenu sémantique régulier.Sous sa forme minimale, elle se présente comme un schéma de lexis à deuxplaces, où la première place correspond à l’argument « source » et la secondeà l’argument « but » de la relation prédicative notée π, ce qui s’écrit8 :

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< ( )source π ( )but>

Il n’y a pas de correspondance simple entre les éléments de la FS et lesplaces d’arguments définies par le schéma de lexis. En [2a] et [3a], seule laplace d’argument « but » est associée à un élément de la FS (Z pour [2a], apour [3a]). Cette autonomie du schéma de lexis par rapport à la formeschématique permet de prendre en compte des arguments qui necorrespondent pas à des éléments de la FS du verbe mais qui sont réaliséslexicalement par un GN : cela concerne, en particulier, l’argument « source »qui, très souvent, correspond à l’agent du procès. C’est vrai de tirer où leGN en position de sujet s’interprète comme l’agent du procès (« ledéclencheur de la variation ») dans les exemples [1] - [4] et [6] - [9] bienqu’il ne corresponde pas à un élément de la FS9.

Cette représentation du verbe comme associant une FS au schéma delexis (simple ou élargi) est complétée par un schéma syntaxique noté Co VC1 ...Cn (où Co, C1, Cn désignent les compléments syntaxiques du verbe,qu’il s’agisse d’arguments ou encore de Cprép (de fait, la notion de Cprépest pour nous une notion purement syntaxique). Entre FS, schéma de lexiset schéma syntaxique se met en place un jeu complexe de correspondances.

La préposition (et les termes X et Y qu’elle met en relation) estextérieure à cette représentation du verbe par sa FS et le schéma de lexis.Elle est prise en compte dans le cadre d’une combinatoire mettant en jeud’un côté le verbe (plus exactement sa représentation complexe) de l’autrele schéma prépositionnel où R met en relation deux places correspondantrespectivement à X et à Y, en fonction de la sémantique de la prépositiondéfinie par sa FS (pour la FS de sur cf. ci-dessous). Cette combinatoire a laforme générale suivante :

FS V FS Prép

< ( )source

π ( )but

> ε < ( )x R ( )

y >10

Cette combinatoire verbe / préposition permet de dépasser deux desproblèmes mentionnés ci-dessus à propos du traitement des Cprép. D’uncôté, la préposition n’est pas désémantisée : elle intervient avec sa sémantiquepropre. De l’autre, les termes correspondant à X et à Y ne sont pas considéréscomme des arguments du verbe (il n’y a donc pas de proliférationd’arguments lorsque plusieurs prépositions introduisent les Cprép d’un verbedonné).

Ci-dessus nous avons posé que dans le cadre de la combinatoireVerbe / Préposition il est possible de distinguer différents degrés d’intricationentre le V (plus exactement sa représentation) et la Prép en tant que schémade la forme XRY. Trois configurations ont été mises en évidence selon la

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plus ou moins grande extériorité des termes correspondant à X et à Y parrapport à la FS du V (plus exactement aux éléments qui la constituent).

Configuration A

Cette configuration correspond à un cas d’extériorité maximale de lapréposition par rapport au verbe. Par extériorité, il faut entendre le fait queles termes X et Y mis en relation par la préposition ne correspondent pas àdes éléments de la FS du verbe.

[10] Un livre sur Freud

ce syntagme complexe peut être un des arguments d’une relation prédicative,mais la relation établie entre livre et Freud est indépendante de la sémantiquedu verbe, ce qui est confirmé par le fait que un livre sur Freud peut apparaîtreavec des verbes très différents : un livre sur Freud est paru récemment, afait scandale, Paul a lu / écrit / présenté / acheté un livre sur Freud, il a faitun exposé à propos d’un livre sur Freud, etc.

[11] Paul lit un livre sur la terrasse

dans ce cas, c’est l’événement Paul lit un livre qui est mis en relation avecle localisateur défini par la terrasse ; on notera que la classe des événementssusceptibles d’être mis en relation avec sur la terrasse n’est pas limitée apriori.

Configuration B

Cette configuration correspond à une intrication maximale V - Prép : lestermes X et Y mis en relation par la préposition correspondent à des élémentsde la FS du verbe. Cela signifie que les termes qui ont les propriétéssémantiques que leur confère leur statut d’éléments de la FS du V acquièrentcelles que leur confère leur statut de X et de Y dans X R Y.

[2] Le chasseur a tiré sur un lapin

(a : le projectile non réalisé lexicalement correspond à X, Z : le lapin priscomme cible, correspond à Y)

[3] Paul a tiré sur le frein

(a ( = le frein) correspond à X, Z (= la position serrée) correspond à Y, Zn’est pas réalisé lexicalement)

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Configuration C

Cette configuration correspond à une intrication partielle par le biais d’unterme qui a un statut comme élément de la FS du verbe et un statut commeX (ou comme Y) dans le schéma prépositionnel. On a un « dédoublement »du statut du terme du fait de son inscription dans deux relations distinctes :d’un côté, celle définie par la FS du V, de l’autre, celle définie par lapréposition, ce qui produit une relation complexe, obtenue par raboutagede deux relations.

[1] Les pêcheurs ont tiré le bateau sur la plage.

Le bateau s’interprète à la fois comme le a de la FS de tirer et comme le Xde X sur Y. En tant que a il est en relation avec un Z non explicité maisrécupérable comme l’objectif « mettre le bateau au sec » ou encore « à l’abride la tempête », en tant que X il est en relation avec la plage défini commeY. Il s’établit une relation indirecte entre l’objectif Z et la plage localisantle bateau.

Cette dernière configuration correspond aux cas où pour Gawron(1986) le syntagme prépositionnel a le statut de co-prédicateur. La premièreconfiguration correspond notamment aux cas où le Cprép est un circonstant.La seconde configuration, par contre, propose un traitement original duCprép. Pour un auteur comme Gawron, dans de tels cas la prépositionintroduit un terme qui a le statut d’argument du verbe, ce qui revient àpostuler une affinité sémantique (difficile à justifier dans la majorité descas) entre la préposition et le verbe, alors que, de notre point de vue, lapréposition reconstruit la relation entre deux éléments de la formeschématique, entraînant des effets de sens particuliers (nous reviendrons endétail sur ce point dans la discussion des exemples avec tirer sur).

3. À propos de la préposition sur11

Nous ne proposerons pas ici une étude détaillée de sur. Nous reprendronsbrièvement la FS que nous avons proposée dans l’article cité en note. Commenous l’avons indiqué au départ, l’identité sémantique de sur, telle qu’elleest donnée par sa FS, est neutre pour ce qui est de la distinction entre valeursspatiales, temporelles et figurées. Conformément à notre hypothèse généralesur les prépositions, sur est défini comme un relateur R mettant en rapportdeux termes X et Y. La relation établie entre X et Y est une relation nonsymétrique, Y servant de repère à X (autrement dit, Y est la source dedéterminations pour X).

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Forme schématique de sur

X est repéré par Y, correspondant à un domaine structurétopologiquement;Sur munit le domaine de Y d’une frontière ;X est rattaché à la frontière du domaine de Y.

Selon le mode de constitution de la relation entre X et Y, la sémantiquede sur varie. Nous distinguons trois cas12.

– Contact. La relation entre X et Y est une relation qui peut être définieindépendamment de sur. Cette relation « primitive » est inférable despropriétés sémantiques respectives des termes pris comme X et comme Y.Un critère permettant de montrer que la relation entre X et Y est indépendantede la préposition sur est que cette relation peut être spécifiée par d’autresprépositions que sur (chaque préposition intervenant avec sa sémantiquepropre) :

[12] Le livre est sur (sous, près de) la table.

la relation entre livre (X) et table (Y) est une relation générale de localisationfondée sur les propriétés respectives de livre et de table, chaque prépositiondéfinissant un mode spécifique de localisation entre livre et table.

[13] Sur (vers) le matin il sombra dans un sommeil profond.

Comme dans le cas précédent, la relation première est une relation delocalisation entre un événement et un intervalle temporel. Autres exemples :

[14] Je vais sur (à) Paris / Paul travaille sur (à) Paris.[15] Il pleut sur Brest (à Brest).

– Interface. X et Y ne sont en relation que par le biais de la préposition sur.Cela signifie que leurs propriétés sémantiques respectives ne fondent pasune relation primitive (dans le cadre de la proposition), qui serait spécifiéepar sur.

[16] Paul dort sur le dos, est tombé sur la tête.

La relation entre dos et Paul (dormant) ou entre tête et Paul (tombant) reposeentièrement sur la sémantique de sur qui définit le dos / la tête comme lapartie du corps de Paul prise comme interface entre Paul dormant et le lieude son sommeil / entre Paul tombant et le sol. Cf. également,

[17] Pierre porte Marie sur son dos / sur ses épaules.[18] Marie n’est plus un enfant. Elle va sur ses quinze ans.

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Le cas « interface » est celui où la sémantique de la frontière informeles termes correspondant à X et à Y.

– Accès. X et Y, de par leurs propriétés sémantiques respectives, sont enrelation indépendamment de sur mais, en même temps, cette relation nepeut être spécifiée que par sur.

[19] Un passager est tombé du train, il est mort sur le coup.

Coup reprend l’événement « tomber du train » qui est présenté comme ayantdéclenché la mort. En même temps, c’est l’événement déclenché qui donneaccès (dans le temps) à l’événement en le constituant comme déclencheur.

[20] Arrêt sur demande

Ici encore, il y a une relation entre demande et arrêt : si un passager souhaiteque le bus s’arrête, il doit en faire la demande au conducteur. Comme dansle cas précédent, sur signifie que c’est l’arrêt qui donne accès à la demandequi fait que le bus s’arrête.

[21] L’ennemi marche sur Rome.

Ennemi est par définition un terme relationnel : c’est en tant qu’ennemi deRome que l’ennemi marche sur Rome.

Comme on le voit, les valeurs tant spatiales que temporelles de sur seretrouvent dans les trois cas. Ci-dessous, nous reviendrons sur la pertinencede ces trois cas pour rendre compte des valeurs et emplois de tirer sur.

4. Tirer sur

Les valeurs et emplois de tirer sur illustrés par les exemples [1] – [9] sontanalysés d’un double point de vue : du point de vue de la combinatoireentre tirer et sur avec les trois configurations A, B et C dégagées ci-dessusd’une part, du point de vue de la sémantique de sur telle qu’elle est définiepar sa FS en relation avec la distinction entre contact, interface et accèsd’autre part. Nous commencerons par les deux exemples où la constructionen sur est en concurrence avec la construction transitive.

4.1. Le chasseur a tiré sur un lapin / le chasseur a tiré un lapin

Lorsque nous avons présenté la combinatoire V / Prép, nous avons rattachéce type d’exemples à la configuration B : les termes X et Y correspondent àdes éléments de la FS de tirer. Ces termes combinent les propriétés qui sontles leurs en tant que a et Z, et celles que leur confère leur statut de X et de Y.Ce cumul de propriétés permet d’analyser une série de différences entre la

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construction transitive et la construction prépositionnelle. Ces différencessont de deux ordres : la classe des N correspondant à Z n’est pas la même,l’interprétation de l’événement désigné par tirer est différente.

Le passage de SN tirer SN à SN tirer sur SN entraîne un élargissementde la classe des N interprétés comme la cible du procès. Avec la constructiontransitive, Z correspond à des N désignant essentiellement du gibier : lapin,sanglier, faisan etc. (avec une extension à des N /humain/ lorsque ceux-cisont assimilés à du vulgaire gibier : il a tiré Paul comme un lapin). Avec laconstruction en sur, il n’existe a priori aucune contrainte spécifique sur lesN correspondant à Z : lapin, sanglier, faisan mais aussi pianiste, ombre,linguiste, foule, château, etc.

Dans la construction transitive, tirer s’interprète comme « abattre »,ce qui signifie que le tir est un tir réussi : le lapin que le chasseur a tiré est unlapin mort (le passé composé a une valeur résultative). Dans la constructionavec sur, rien n’est dit de la réussite du tir13 qui contextuellement peut êtrespécifié comme un tir réussi ou non : le chasseur a tiré sur un lapin et l’aabattu, le chasseur a tiré sur un lapin mais l’a raté / sans l’atteindre ; etdans Paul a tiré sur une ombre, il est difficile de formuler une problématiquede la réussite (à moins que l’ombre ne soit pas qu’une ombre ...).

Cette double différence entre la construction transitive et laconstruction avec sur s’explique par les propriétés que confère à Z et à aleur statut de Y et de X dans le schéma X sur Y. X ( = a interprété comme leprojectile) est rattaché à la frontière du domaine de Y (= Z c.-à.-d. la cible),ce qui signifie que a n’est pas centré sur Z : on est donc en deçà de laproblématique d’un tir réussi. En ce qui concerne la déformabilité internede sur, ce type d’exemples correspond au premier cas, celui du contact :l’existence de la construction transitive montre que les termes correspondantà X = a et à Y = Z sont dans une relation qui n’exige pas la présence de sur.Sur spécifie de façon particulière cette relation. Enfin, l’élargissement de laclasse des N dans le cadre de la construction en sur est lié à cette« problématisation » de la relation entre a et Z : un N comme ombre n’estpossible que si tirer (= envoyer un projectile sur une cible) ne signifie plus« abattre ».

4.2. Paul a tiré sur le frein / Paul a tiré le frein

Ce cas est du même ordre que le cas précédent. On observe également unedouble différence entre la construction transitive et la constructionprépositionnelle.

La construction prépositionnelle signifie un élargissement du champlexical des N correspondant à a dans la FS de tirer. Avec la constructiontransitive, on a uniquement des N « fonctionnels » dont la sémantique permet

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d’inférer l’objectif poursuivi : ficelle, corde, cordon, fil, verrou, palonnier,rideaux, frein, poignée, cheveux, langue, porte, chasse, etc. Avec laconstruction prépositionnelle, on retrouve ces N mais aussi un grand nombrede N incompatibles avec la construction transitive : pantalon, lacet, roues,tissu, col, piston, membre (fracturé), laisse, cigarette, etc. Très souvent,avec les N incompatibles avec la construction transitive, l’objectif poursuividoit être explicité contextuellement ou situationnellement.

Sur le plan interprétatif, on observe également des différences nettesentre les deux constructions. Dans la construction transitive, la traction opéréeest réussie pour ce qui est de l’objectif poursuivi (et au passé composé on aune valeur résultative14). Dans la construction prépositionnelle on se situeen deçà d’une problématique de la traction réussie (au sens d’une atteintede l’objectif poursuivi). Il peut y avoir aussi bien réussite (expriméecontextuellement): Il tira sur le cordon et la porte s’ouvrit, que simpleconation : arcbouté, il tira sur le corps, il tira violemment sur la porte quirésistait ou encore échec : tirez sur le noeud, vous ne ferez que le serrerencore plus, vous avez tellement tiré sur la corde que vous avez fini par lacasser. De plus, avec les N compatibles avec la construction transitive, laconstruction en sur signifie la prise en compte d’un nouvel objectif.Comparer : tirer les rideaux (il s’agit de les fermer), tirer sur les rideaux(pour vérifier s’ils sont bien accrochés, pour les arracher), tirer un fil (quidépasse), tirer sur un fil (pour défaire un écheveau ou encore un pull-over).

La différence d’interprétation entre les deux constructions, commedans le cas précédent, tient à ce que dans la construction en sur la relationentre Y (= a) et X (= Z) est reconstruite : le rattachement de Z à la frontièrede a problématise le rapport qu’il y a entre la traction de a (la variation quiaffecte a) et l’atteinte de l’objectif poursuivi dans le cadre de cette traction.Cette problématisation de la relation entre a et Z permet de comprendrel’élargissement de la classe des N observé avec la construction en sur. Enfin,l’existence de la construction transitive à côté de la construction en sursignifie que les exemples de ce type relèvent du cas « contact » (la relationentre a Y et Z X existe indépendamment de sa spécification par sur).

4.3. Ce rouge tire sur le violet

Ce type d’exemples est attesté uniquement avec la constructionprépositionnelle (cf. *Ce rouge tire le violet). Il diffère également desexemples discutés ci-dessus par le fait que les deux éléments a et Z de la FSsont réalisés lexicalement : a correspond à le rouge en position de sujet, etZ à le violet. On peut associer à cet exemple la glose suivante : « le rouge entant que rouge particulier fait l’objet d’une altération (variation) définie parune autre couleur, le violet, prise comme couleur de référence : le rouge, en

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tant que rouge particulier, relève de la frontière du violet ». Comme pourles deux exemples précédents, cet exemple correspond à la configuration Boù les termes correspondant à a et Z se voient conférer les propriétés quisont celles de X et de Y dans X sur Y. De plus, cette altération d’une couleurdéfinie par sa relation à une autre couleur telle qu’elle est exprimée par tirerexige sur15. Dans la mesure où la relation entre les deux couleurs, en tantqu’éléments de la FS de tirer, repose exclusivement sur celle que met enplace sur, elle relève, du point de vue de la variation de la sémantique desur, du cas « interface » : la variation de rouge telle qu’elle est régulée parviolet est conçue comme le rattachement de rouge (= X) à la frontière de Y.

4.4. Les pêcheurs ont tiré le bateau sur la plage

Ce type d’exemples peut recevoir deux interprétations : dans la première, lebateau est sur la plage et le procès consiste à le déplacer, en relation à unobjectif donné (sémantique de tirer oblige16). La seconde interprétationsignifie que le procès consiste à sortir le bateau de l’eau. Ces deuxinterprétations relèvent de deux configurations distinctes, mais elles relèventtoutes deux du cas « contact », comme en témoigne la possibilité deremplacer sur par une autre préposition (ou locution prépositionnelle) : lespêcheurs ont tiré le bateau (tout) le long de la plage, les pêcheurs ont tiré lebateau jusqu’à la plage. La relation première entre bateau et plage (c’est-à-dire indépendamment de la préposition qui la spécifie) est une relation delocalisation au sens large.

Dans la première interprétation, nous avons la configuration A où niX ni Y ne correspondent à des éléments de la forme schématique de tirer.En fait, c’est l’événement « tirer le bateau (en fonction d’un objectifdéterminé) » qui est localisé par la plage. Cela revient à poser que, dans cecas, X correspond à l’événement exprimé par la relation prédicative : lespêcheurs ont tiré le bateau.

La seconde interprétation a fait l’objet d’une première discussion enrapport avec la configuration C : le bateau correspond à a de la FS de tireret à X dans X sur Y, et à ce titre il est pris dans deux relations qui, tout enayant chacune leur autonomie, donnent naissance à une relation complexe.A la différence des exemples de la configuration B où les éléments de laforme schématique de tirer sont sémantiquement redéfinis par les propriétésque leur attribue leur statut respectif de X et de Y, dans le cas de C, bateaua un double statut : en tant que a de la FS de tirer d’une part, en tant que Xd’autre part. Nous proposons de parler de « dédoublement » du statut debateau dans la relation prédicative.

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4.5. Il a tiré de l’argent sur son compte

Ce type d’exemples relève également de la configuration C : de l’argentcorrespond à la fois à l’élément a de la FS de tirer, et à X dans X sur Y :comme pour l’exemple précédent avec bateau, on a un dédoublement dustatut de de l’argent. Par contre, son compte a uniquement le statut de Y.Entre de l’argent et son compte il existe une relation sémantique premièreau sens où un compte bancaire est le lieu où un particulier gère « son »argent (relation téléonomique). Avec un verbe comme tirer cette relationpremière entre de l’argent et son compte ne peut être spécifiée que par sur17,ce qui correspond au cas « accès ».

4.6. Il a tiré un trait sur son passé / sur cette histoire

Ici encore, il s’agit de la configuration C : un trait a un double statut : ilcorrespond à a dans la FS de tirer et à X dans X sur Y. Par contre, son passéet cette histoire (= Y) ne correspondent pas à un élément de la FS du verbe.Le relation entre un trait et son passé (cette histoire) repose entièrement surla préposition sur dont la sémantique informe les deux termes : on est dansle cas « interface »18.

4.7. Paul a tiré ce tract sur du papier recyclé19

Ce type d’exemples relève aussi de la configuration C avec un dédoublementdu statut de tract à la fois a dans la FS de tirer et X. Entre tract et papierrecyclé il existe une relation sémantique au sens où le papier est le supportd’existence du tract comme texte (en vue de sa diffusion) et cette relationsémantique ne peut être spécifiée que par la préposition sur. Ce point estconfirmé par le fait qu’avec d’autres verbes (cf. imprimer) on a égalementla préposition sur. On est dans le cas « accès ».

5. Conclusions

Dans cet article, à travers le cas de tirer sur, nous avons exposé une approchedes Cprép (cette approche, sur de nombreux points, est en fait un programmede travail en cours). Elle propose des solutions à une série de problèmes quisont au cœur des discussions passées et présentes sur le statut de cescompléments. Elle articule une réflexion sur le lexique (qu’il s’agisse duverbe ou des N qui, dans le cadre de la combinatoire instancient les différentesplaces20), la sémantique et la syntaxe.

La thèse centrale qui est avancée est que les Cprép (lorsqu’ils ne sontpas des circonstants) ne peuvent pas être traités comme de simples argumentsdu verbe. Ils doivent être analysés dans le cadre d’une combinatoire Verbe

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– Préposition. Cette thèse a des conséquences importantes à la fois pour lareprésentation du verbe et pour celle des prépositions.

En ce qui concerne le verbe, nous avons introduit un plan dereprésentation, la forme schématique, où est définie l’identité sémantiquedu verbe, indépendamment de tout « formatage » en termes d’arguments.La FS caractérise le verbe en tant qu’unité lexicale. Le verbe considérécomme prédicat muni d’arguments (source, but, et, le cas échéant,bénéficiaire, instrument) est représenté dans un format commun à tous lesverbes et défini comme un schéma de lexis. Entre la FS spécifique à unverbe et le schéma de lexis sont établies des correspondances, mais cela neconcerne que les termes qui syntaxiquement se présentent comme descompléments non prépositionnels.

Une préposition est définie comme un relateur R mettant en relationdeux termes X et Y, et ceci quels que soient les emplois et valeurs de lapréposition. L’identification du terme correspondant à X (qui n’est jamaisinterprétable comme le verbe en tant que tel) est un enjeu essentiel. L’identitésémantique de la préposition est donnée par une FS qui spécifie le contenusémantique du rapport entre X et Y. Cette sémantique de la prépositionvarie en fonction de la pertinence ou non des propriétés respectives de X etde Y pour la constitution de la relation établie entre ces deux termes, et durapport nécessaire ou possible qu’entretient telle ou telle préposition aveccette relation. Dans le cas de sur, cela correspond aux trois cas distingués :« contact » (les propriétés de X et de Y sont pertinentes, la relation entre X- Y et la préposition sur est un rapport possible, d’autres prépositions peuventspécifier cette relation), « interface » (les propriétés de X et de Y ne sontpas pertinentes, X et Y ne sont en relation que par la préposition sur),« accès » (les propriétés de X et de Y sont pertinentes, la relation entre X -Y et la préposition sur est un rapport nécessaire).

Les Cprép sont décrits dans le cadre de la combinatoire Verbe (FS +schéma de lexis) - Préposition (X R Y). Les configurations A, B et Cdéfinissent des rapports variables entre X, Y et les éléments de la FS duverbe. L’instanciation des différentes places par des items lexicaux varie enfonction de la configuration :

– configuration A : Les éléments de la FS du verbe sont lexicalisésdans le cadre du schéma de lexis ; X correspond à l’ensemble de larelation prédicative, le N correspondant à Y est instancié en Y :

FS V FS Prép

< ( )source π ( )but> ε < ( )x R ( )y>

(pêcheurs) (bateau) (plage)

Les pêcheurs ont tiré (= traîné) le bateau sur la plage

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– configuration B : dans la mesure où les éléments de la FS du V ont lestatut de X et de Y l’instanciation des N se fait non pas dans le schémade lexis mais dans le schéma prépositionnel :

FS V FS Prép

< ( )source π ( )but> ε < ( )x R ( )y>

(chasseur) (lapin)

Le chasseur a tiré sur un lapin

(le chasseur n’est pas un élément de la FS de tirer, et l’élément a = Xn’est pas lexicalisé)

– configuration C : le dédoublement d’un des termes dans deux relations(schéma de lexis et schéma prépositionnel) se traduit par une doubleinstanciation du N correspondant :

FS V FS Prép

< ( )source π ( )but> ε < ( )x R ( )y>

(pêcheurs) (bateau) (bateau) (plage)

Les pêcheurs ont tiré le bateau sur la plage

À partir de cette combinatoire Verbe / Préposition on obtient une relationsyntaxique de la forme Co V C1 Cprép où le statut du Cprép est calculé surla base de cette combinatoire complexe.

NOTES

1. Cette partition ne signifie pas qu’il n’existe pas d’études consacrées auxdeux thèmes. Cf., en particulier, les travaux de P. Cadiot.

2. Avec une extension possible aux emplois dits temporels. Cf., par exemple,l’article de J.C. Anscombre (1993) consacré aux emplois temporels de sur et desous : pour l’auteur, il s’agit d’étendre aux emplois temporels des deux prépositionsles propriétés dégagées par C. Vandeloise pour rendre compte des emplois spatiauxde sur et de sous.

3. Il est intéressant de noter que chaque approche privilégie certainesprépositions : sur, sous, dans (mais aussi contre et par) sont les prépositions lesplus étudiées du point de vue spatial, alors que les approches « syntaxiques »s’intéressent plutôt aux prépositions « incolores » à, de, en ainsi qu’aux prépositionspour, avec.

4. L’identification de Y ne soulève pas de difficultés particulières : pour unelangue comme le français, il s’agit (à de rares exceptions près) du GN qui suit

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directement la préposition, ce qu’entérine la notion même de syntagmeprépositionnel.

5. Ainsi, avec comparer le N (correspondant à Y) introduit par à est le repèrede la comparaison (on s’intéresse à ce que X a en commun avec Y), alors que dansle cas de avec les deux termes de la comparaison sont mis sur le même plan : ons’intéresse aux ressemblances mais aussi aux différences entre les deux N. Autretype de données révélatrices de la complexité du problème : cette chanson est passéeà (*sur) la radio / cette chanson est passée sur (*à) toutes les radios / cette chansonest passée à / sur France Inter.

6. Pour plus de détails, cf. l’article cité Paillard (1999), ainsi que De Vogüé,Paillard (1997).

7. On voit ici qu’une partie de la polysémie de tirer est liée à la réalisationlexicale par un N de tel ou tel élément de la FS en relation avec une place d’argument.Le N a le statut de complément du V.

8. Pour une discussion détaillée, cf. De Vogüé (1991).9. Un schéma de lexis élargi permet d’introduire d’autres arguments comme

le « bénéficiaire » ou encore « l’instrument », absents de la forme schématique duverbe. Toutefois, on notera que dans certains cas, ces arguments correspondent àdes éléments de la forme schématique (cf. des verbes comme frapper pour ce quiest de l’agent, donner pour le bénéficiaire, ratisser pour l’instrument).

10. ε est un opérateur de mise en relation du V avec Prép : il correspond àl’opération de repérage définie par A. Culioli. L’opération de repérage est uneopération de détermination d’un terme (le repéré) par sa mise en relation avec unterme repère. Dans le cadre de la combinatoire V - Prép, cela signifie que le schémaXRY est source de déterminations pour le verbe tel qu’il est donné par sa FS et leschéma de lexis.

11. À propos de sur, cf. notre article Paillard (2000). Cette caractérisation desur a été élaborée dans le cadre du séminaire consacré aux prépositions que nousorganisons avec J.J. Franckel à l’Université Paris 7 depuis plusieurs années.

12. Les termes utilisés pour désigner ces trois cas correspondent en fait à troisstatuts de la notion de frontière.

13. Dans le Trésor de la langue française, tirer sur dans cet emploi est définicomme « cherche à atteindre » (avec un projectile).

14. Une analyse plus fine permettrait de mettre en évidence des différencesliées aux propriétés spécifiques de tel ou tel N (ou classe de N).

15. Une recherche dans Frantext sur différentes couleurs donne massivementtirer sur. Nous n’avons trouvé que deux exemples où tirer est combiné à vers : unevoiture d’un jaune tirant vers l’ocre (H. Biancotti)., le ciel (...) tirait plus vers l’orque vers l’argent (A. Daudet). En même temps, l’existence de rares exemples avecla préposition vers ne nous paraît pas un argument suffisant pour ne pas rattacherces exemples au cas « interface ». On notera aussi que dans des exemples analoguesoù il ne s’agit pas de couleurs, seul sur est attesté : cf. Il tirait sur la cinquantaine,Le soir tirait sur le tard. Par contre, il y a là une incitation à préciser les critèrespermettant de distinguer les différents cas que constituent « contact », « interface »et « accès ».

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16. Tirer ici est très proche de traîner. En même temps, traîner à la différencede tirer n’est pas téléonomique : cf. le corps de la victime a été traîné sur plusieursmètres où il est difficile d’avoir tirer.

17. Le fait qu’avec d’autres verbes cette relation « argent » – « compte » soitégalement réalisée par sur peut être un argument supplémentaire : cf. verser del’argent sur son compte, avoir de l’argent sur son compte.

18. Cet exemple (parmi beaucoup d’autres) tend à montrer qu’il existe desrelations entre les cas où la relation entre X et Y repose uniquement sur la préposition(pour sur il s’agit du cas « interface ») et les constructions dites idiomatiques desverbes mettant en jeu un Cprép.

19. Faute de place, nous ne discuterons pas des exemples du type : il a tiré letract sur une vieille offset.

20. Les propriétés des N sont au cœur de la distinction « contact », « interface »et « accès ».

RÉFÉRENCES

ANSCOMBRE J.C, 1993, « Sur / sous : de la localisation spatiale à la localisationtemporelle », Lexique 11, Presses Universitaires de Lille, Lille, p. 111-143.

BONAMI O., 1999, Les constructions du verbe : le cas des groupes prépositionnelsargumentaux. Analyse syntaxique, sémantique et lexicale. Thèse de doctorat,Université Denis Diderot - Paris 7.

DE VOGÜÉ S., 1991, « La transitivité comme question théorique : querelle entre lathéorie des positions de Jean Claude Milner et la théorie des opérations d’AntoineCulioli », LYNX 24, Université Paris X Nanterre, p. 37-65.

DE VOGÜÉ S., 1999, « Construction d’une valeur référentielle. Entités, qualités,figures », Cahiers du Cerlico 12, p. 77–106.

DE VOGÜÉ S., PAILLARD D., 1997, « Identité lexicale et hétérogénéité de la variationco-textuelle », in GUIMIER C. éd., Co-texte et calcul du sens, Caen, PressesUniversitaires de Caen, p. 41-62.

GAWRON J.M., 1986, « Situations and Prepositions », Linguistics and Philosophy 9,p. 327-382.

LEEMAN D., 1998, Les circonstants en question, Paris, Kimé.PAILLARD D., 1999, « À propos des verbes polysémiques », in VICTORRI B. et FRANÇOIS

J. éds, Sémantique du lexique verbal, Cahiers de l’ELSAP, Caen, p. 133-148.PAILLARD D., 2000, « Sur la signification de la préposition sur (en russe) », in

PAILLARD D. et SELIVERSTOVA O. éds, Issledovanija po semantike predlogov,Moscou, Russkie Slovari, p. 67-90.

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