Pour une ethnolinguistique discursive du conte berbère … · Miloud Taïfi, pour m’avoir fait...

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HAL Id: tel-00686041 https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00686041v1 Submitted on 6 Apr 2012 (v1), last revised 2 Jul 2013 (v2) HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Pour une ethnolinguistique discursive du conte berbère à la croisée des cultures : relation orale et ”méta-médiation” Fabienne Tissot To cite this version: Fabienne Tissot. Pour une ethnolinguistique discursive du conte berbère à la croisée des cultures : relation orale et ”méta-médiation”. Linguistique. Université de Franche-Comté, 2011. Français. <tel- 00686041v1>

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    Submitted on 6 Apr 2012 (v1), last revised 2 Jul 2013 (v2)

    HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.

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    Pour une ethnolinguistique discursive du conte berbre la croise des cultures : relation orale et

    mta-mdiationFabienne Tissot

    To cite this version:Fabienne Tissot. Pour une ethnolinguistique discursive du conte berbre la croise des cultures :relation orale et mta-mdiation. Linguistique. Universit de Franche-Comt, 2011. Franais.

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  • UIVERSIT DE FRACHE-COMT

    COLE DOCTORALE LAGAGES, ESPACES, TEMPS, SOCITS

    Thse en vue de lobtention du titre de docteur en

    SCIECES DU LAGAGE

    POUR UE ETHOLIGUISTIQUE DISCURSIVE DU

    COTE BERBRE LA CROISE DES CULTURES :

    RELATIO ORALE ET MTA-MDIATIO

    Volume 1

    Prsente et soutenue publiquement par

    Fabienne TISSOT

    Le 15 janvier 2011

    Sous la direction de

    Madame le Professeur Andre CHAUVI-VILEO

    Membres du Jury : Andre CHAUVIN-VILENO, Professeur luniversit de Franche-Comt, Directeur Jean-Franois JEANDILLOU, Professeur luniversit de Paris X, Rapporteur Mongi MADINI, Matre de confrences luniversit de Franche-Comt, Co-directeur Musanji NGALASSO-MWATHA, Professeur luniversit de Bordeaux 3, Rapporteur Marion PERREFORT, Professeur luniversit de Franche-Comt, Examinateur Miloud TAFI, Professeur luniversit de Fs, Examinateur

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    Remerciements

    A mes directeurs de recherche, Mme Andre Chauvin-Vileno, pour ses relectures attentives et comprhensives, sa maeutique douce et ferme la fois, ses remarques fusantes et son soutien chaleureux et patient au fil de ces longues annes ; M. Mongi Madini, pour son regard distanci et critique sur ma thse, la confiance quil ma accorde, ses encouragements et sa tolrance depuis les premires annes en salle C11 A Madame Marion Perrefort, Messieurs Jean-Franois Jeandillou, Musanji Ngalasso-Mwatha et Miloud Tafi, pour mavoir fait lhonneur de juger cette longue thse A mes informateurs, qui se sont risqus, pour la plupart de faon indite, lexercice du contage et de la traduction, A Mohammed At Ider A Mokhtar Amanar A Malika Azayou A Afid Baddi A Brahim Bouadi A Abdallah Boufouss A Zohra Elfikhi A Rachid Tachroune A Sofia qui se reconnatra Pour leur parole conteuse, initiatrice et continuatrice jusque dans le froid hivernal, leur patience et leur gentillesse, pour avoir, pour certains, jou le jeu de la recherche, pour lmotion partage et les jolies complicits cres, quils voient ici le tmoignage de ma plus vive reconnaissance A Mohammed Tachroune, pour sa bonne humeur, son soutien et son investissement dans ma recherche Aux amis de Taghazout, pour leur accueil, leur gnrosit, et tous les moments passs en leur compagnie : Jamal, Farid, Bouchra, Fatima, Omar, Laoussine, Camel, Lhassen, Mohammed, Watchou, Aboudrar, Nordine et ceux que joublie A Nicolas, qui ma emmene la dcouverte de la culture berbre et la claire par lacuit de son regard la fois sensible, amical et sociologique, pour sa gnrosit et pour ce quil ma apport A Karima Askassay, Aziza Ben Ajjou, Nordine Benhaga, Lamia Bereski, Lucile Boucot, Soad Matar, Maud, Nacera, Najet et Yasmine qui ont particip lenqute de terrain en France, en relayant ma demande dans leur cercle amical ou familial A Karim Aguenaou et Aboulkacem El Khatir ( Afulay ) du site mondeberbere.com, pour leurs prcieuses informations A Irne Dhote, Stan Idelsen, Rafik Harbaoui, Mustapha Kharmoudi, Lila Khaled, Aziz Kich et Hlne Vermeulin

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    A Abdallah T., qui ma permis daccder un certain nombre de mmoires lUniversit dAgadir, au personnel de la librairie Al Mougar, pour sa disponibilit et sa gentillesse mon gard, A Malika, pour les nombreux clairages apports sur la culture berbre, sa jolie voix et ses rires communicatifs, ainsi qu Fatima et Khadija A Marc Souchon, pour le regard port sur ma recherche ses dbuts A Bernard Lyonnet, pour son intrt pour ma thse et nos changes constructifs Au LASELDI, pour le cadre matriel et thorique offert aux doctorants et ses membres et plus particulirement Alpha Barry, Kaouthar Ben Abdallah, Bernard Couty, Yves Jouvenot, Margareta Katsberg, Cline Lambert, Virginie Lethier, Elni Mitropoulou, Nanta Novello-Paglianti (pour ses petites attentions), Adle Petitclerc, Nicole Salzard, Justine Simon, Phillipe Schepens et Jean-Marie Viprey A Magali Bigey, pour les moments partags, ses encouragements et son nergie

    A Sandrine Curti, pour sa gnrosit et les moments de complicit depuis le DEA jusqu la thse, acheve en des temps qui me semblent lointains

    A Audrey Moutat, pour le partage amical de bureau, les changes presque rgls de cls et de nouvelles A ma famille, mes parents, pour leur soutien autant moral que financier ; ma mre qui ma encourage tudier ; mon pre, qui pourra dsormais dire de sa fille quelle est docteure et ses ravitaillements continus en fruits et lgumes frais ; mon frre pour sa prsence dans les moments difficiles ; Batrice, les filles et le bb ; Ccile pour ses encouragements et lintrt port mon travail ; Caroline, qui restera jespre encore un peu marseillaise ; mon oncle prfr et Chantal pour ses petits mots ; Marie-Claude pour les pauses chlores et Jeannette, du temps rvolu des petites chipies aujourdhui pour sa curiosit reste intacte A Pascal Froget, pour sa gentillesse, ses encouragements et les rires partags, Bruno Martin pour son soutien librateur et ses petits trucs , Brigitte G-L pour son nergie qui a quelque chose de magique , Nicole Caillet-Wirth pour son souci de lhumain, Hassan Katranji A ma petite sur de coeur, Delphine, pour sa sensibilit, sa gnrosit, ses hbergements rpts, sa bonne humeur et sa belle fidlit dans les bons et mauvais moments, Antoine aussi et pas seulement parce que lun ne va plus sans lautre A ma grande soeur de cur, Aurlie, pour les ts cvenols ainsi qu sa famille les ballades ressources aux cascades, en passant par les goters belle maman , son apprhension intuitive du monde et puis pour Les aventurires et Fredo, bientt docteur en ornithologie A Fanny, pour lintermde saint-raphalien , sa patience comprhensive, les fous rires complices et ses relectures attentives A Lilou, pour ces mmes moments complices/dcompressifs et son aide prcieuse la mise en forme de la thse Aux autres danseuses et tout particulirement Marie-Blanche, pour sa gnrosit, le rconfort aprs leffort et son activisme profondment humain

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    A Marie-Jo Saintesprit, pour sa lecture scrupuleuse de la version dfinitive de ma thse et sa passion pour la langue franaise A Danielle Tosello-Courbon, pour sa gentillesse et son enthousiasme pour mes travaux A Eric, pour ses conseils et son patient tlguidage informatique A Anne-Vro, Cathy et surtout Sylvain et Isa pour leurs traductions A Gertie, pour sa bienveillance et son enthousiasme pour ma recherche A Iris, pour son imagination cratrice, son nergie et pour mavoir porte sur une scne A la joyeuse compagnie du lundi soir et tout particulirement Fabien, Zilokha et Marie-Jo Enfin Emilie, Goups, Jenny, Yasmina, Mina, Boots, Franoise(s), Herv et Annie, Chantal, Yenyen, Fabrice, Christian, Christelle,Virginie, Gg, Anne-Caroline, Laurent, Nathalie G. et B., Poupoul, Thierry et La, Nath et Tony, Dimi, Rokhaya, Simon, Amina, Marie-Nolle, Sylvain et Cyril, pour tous les moments partags, leur gnrosit, leurs encouragements, leur soutien et/ou pour mavoir entendue parler souvent de ma thse

  • Acquiescement au monde comme lieu matriciel. Creuset o slabore un rapport lautre en pointill. on pas le plein de la raison, mais le vide des sens. Linterstice permettant, justement parce quil est creux , daccueillir lautre. Remplacement de la certitude (dogmatique) excluante, par le doute, source de toute tolrance.

    Le renchantement du monde, Une thique pour notre temps

    Michel Maffesoli

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    Sommaire

    VOLUME 1 Introduction gnrale.............................................................................................................................13 Chapitre I ................................................................................................................................................27 Des diverses approches du conte une ethnolinguistique discursive des textes littraires oraux ...27

    1. Panorama des diverses approches de lobjet conte ..........................................................................27 1.1. Dgager la structure du rcit par le biais de la linguistique .....................................................28 1.2. Dgager les thmatiques du conte en liaison avec leur contexte de production.......................32 1.3. Rintgrer le conte dans sa situation de production : lapproche pragmatique ........................34 1.4. Lapproche psychanalytique ....................................................................................................34

    2. Pour une ethnolinguistique discursive des textes littraires oraux...................................................35 2.1. De lethnolinguistique..........................................................................................................35 2.2. A lanalyse du discours ............................................................................................................47 2.3. Des points darticulation entre lanalyse du discours et lethnolinguistique............................50 2.4. Analyse du discours et textualit..............................................................................................52 2.5. Synthse ...................................................................................................................................56

    Chapitre II...............................................................................................................................................61 Texte, nonciation et discours................................................................................................................61

    1. Structure compositionnelle et texture ..............................................................................................63 1.1. Structure narrative....................................................................................................................63 1.2. Cohrence ................................................................................................................................65 1.3. Connexion et liage des units textuelles ..................................................................................66

    2. La dimension nonciative ................................................................................................................70 2.1. Lnonciation : thorie gnrale...............................................................................................71 2.2. Marquage de la subjectivit/prise en charge nonciative .........................................................74

    3. La dimension mta-nonciative .......................................................................................................79 3.1. Non-concidence interlocutive .................................................................................................83 3.2. Non-concidence du discours lui-mme ................................................................................86 3.3. Non-concidence entre les mots et les choses ..........................................................................92 3.4. Non-concidence des mots eux-mmes ...............................................................................100

    Chapitre III ...........................................................................................................................................105 Discours et ethnotextes en contexte.....................................................................................................105

    1. Du contexte la contextualisation .................................................................................................106 1.1. Elments de dfinition ...........................................................................................................106 1.2. Les paramtres constituants du contexte ................................................................................107 1.3. Reprsentations, images et schmatisation ............................................................................108 1.4. Caractre dynamique et processuel du contexte.....................................................................111 1.5. La contextualisation et ses indices .........................................................................................113 1.6. Co-textualisation, mmoire discursive et gnricit ..............................................................116 1.7. Contexte(s) et situations de transmission ...............................................................................118

    2. Construction du sens dans linteraction .........................................................................................119 2.1. Affirmation du ple de la rception .......................................................................................120 2.2. Ajustement interlocutif et savoirs mobilisables dans linteraction.........................................122

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    3. Contexte culturel et dynamique identitaire ....................................................................................128 3.1. Pour une dlimitation du culturel .....................................................................................130 3.2. Le point de vue des individus : la production de lidentit culturelle ..............................145 3.3. Synthse .................................................................................................................................159

    4. Du conte en contexte culturel lethnotexte en contexte de transmission.....................................161 4.1. Contes et contexte culturel .....................................................................................................162 4.2. Ethnotextes et contextes de transmission ...............................................................................172

    Chapitre IV ...........................................................................................................................................185 Le contexte de lenqute et le recueil de productions ethnodiscursives ...........................................185

    1. Cheminement de la recherche : des textes au processus de transmission ......................................186 2. Contexte et droulement de lenqute............................................................................................190

    2.1. Premire phase : lenqute de terrain au Maroc .....................................................................191 2.2. Seconde phase de lenqute ...................................................................................................217

    3. Les informateurs ............................................................................................................................223 3.1. Hassan E. ...............................................................................................................................224 3.2. Hicham C. ..............................................................................................................................226 3.3. Salem A..................................................................................................................................227 3.4. Sofia B. ..................................................................................................................................229 3.5. Laoussine A. ..........................................................................................................................229 3.6. Hamid B. ................................................................................................................................231 3.7. Zayane A................................................................................................................................231 3.8. Rabah H. ................................................................................................................................233 3.9. Saana T. .................................................................................................................................234

    Chapitre V.............................................................................................................................................239 Textes de tradition littraire berbre en performance orale ......................................................239

    1. Lordre de loralit.........................................................................................................................240 1.1. Loral comme ordre de ralisation de la langue et du discours ..............................................241 1.2. La performance orale .............................................................................................................250

    2. Le champ des productions littraires orales berbres ....................................................................259 2.1. Structuration et dfinition du champ littraire .......................................................................260 2.2. Dune littrature traditionnelle de la convenance aux formes modernes .........................273

    Chapitre VI ...........................................................................................................................................299 Le corpus de contes berbres et sa dimension variationnelle ...........................................................299

    1. Les contes berbres en tant quobjets dtude .........................................................................300 1.1. Classification folkoriste et thmatique des contes ...........................................................301 1.2. De quelques traits saillants du conte berbre .........................................................................309

    2. Les versions et les observables du corpus......................................................................................311 2.1. La constitution dun corpus de rfrence .........................................................................311 2.2. Le corpus de travail et les observables de lanalyse...............................................................315

    3. Lespace discursif de la variation et de laltration .......................................................................330 3.1. Variance, variation et variabilit ............................................................................................331 3.2. Deux formes du dire autrement ........................................................................................338

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    Introduction gnrale

    Objet textuel, culturel, esthtique et littraire, minemment riche et complexe, issu dune

    tradition et porteur de la mmoire dun groupe, de ses proccupations essentielles mais aussi dune

    universalit, transmis dans le temps et lespace par des voix/voies diverses, ritration du presque

    mme dans le jeu de la variation, produit dun imaginaire et mise en forme imagine du monde, le

    conte nen finit pas de nous parler de lhomme et dengendrer du sens. Cest la croise des

    cultures berbre et franaise ou plus exactement au point de rencontre entre des individus, que nous

    nous intressons au conte, en tant que reprsentation identitaire mise en discours par une

    communaut donne, les Berbres du sud marocain. Le conte est abord, dans notre recherche par

    le biais du discours qui le fait tre et lui donne sens, dans son laboration dans lici et maintenant

    dune interaction donne dans la langue de lautre le franais et pour lautre. Cest un

    processus de narration orale et de mise en discours identitaire que nous nous intressons, celui de la

    transmission orale dans son mergence et son ajustement lautre.

    Des contes berbres tachelhites raconts et recueillis en situation interculturelle et interlingue

    Les contes sur lesquels porte notre recherche ont fait lobjet dun recueil dans diffrentes situations

    de transmission qui se caractrisent par leur double dimension interculturelle et interlingue. Les

    contes ont t recueillis au Maroc, auprs de locuteurs berbrophones qui les ont donns en berbre

    ou/et en franais notre intention et les rcits donns en berbre nous ont t traduits au Maroc et

    en France, loral toujours, par des locuteurs berbrophones.

    Les contes analyss sont originaires dune aire culturelle dtermine, en loccurrence, lensemble

    berbrophone tachelhite ou chleuh au Maroc, caractris par lemploi dun parler commun, le

    tachelhite. Ce groupe linguistique occupe la plaine du Souss, la partie occidentale du Haut Atlas et

    lAnti-Atlas jusqu' la zone prsaharienne situe au sud de cette chane de montagne.

  • 14

    Le tachelhite est une variante dialectale de la langue amazighe (berbre), au mme titre que le

    tarifite parl principalement dans le Rif, le tamazighte employ dans le Moyen Atlas et dans une

    partie du Haut Atlas, au centre du Maroc ou encore le kabyle en Algrie. Prcisons que

    lintercomprhension est effective lintrieur de laire tachelhite, les variations dues

    lloignement des populations sont dordre phontique et se marquent par des particularits

    lexicales dune rgion lautre. La diffusion des productions littraires traditionnelles en prose et

    en vers dans cet espace en tmoigne : les mmes rcits, les mmes chants et pomes se retrouvent

    dans les divers points de la zone tachelhite. On peut parler selon BOUKOUS dune communaut

    linguistique et culturelle originale (1977 : 126).

    Signalons compte tenu de lenjeu idologique li lemploi de ces termes que les nominations

    et les formes orthographiques relatives la communaut berbre dans son ensemble et lensemble

    tachelhite en particulier, qui sont adoptes dans notre thse suivent les propositions de

    BOUKOUS (1995 : 18). Lauteur propose, en effet, par souci de conformit avec la morphologie

    des noms de langue en franais et pour en assurer la diffusion dans les travaux francophones

    consacrs la culture et la littrature berbres dutiliser la forme amazighe pour dsigner la

    langue berbre, celles de Amazighes pour dsigner les Berbres (plutt que Imazighen )

    et la forme adjectivale amazighe(s) . Nous utiliserons, pour notre part, les deux appellations

    berbre et amazighe , lusage de la premire tant profondment ancr. Dans le titre de notre

    thse, nous avons eu recours lappellation berbre . Nous avons choisi de parler du conte

    berbre , dune part, parce que le circuit de diffusion de notre thse est avant tout francophone,

    mais aussi parce que les contes sur lesquels nous travaillons et que nous analysons, tout en tant

    amazighes de par le groupe qui en est lorigine, sont donns en langue franaise. Le terme

    amazighe dans le titre aurait pu laisser supposer que les textes sur lesquels porte lanalyse et qui

    figurent en annexes sont en langue berbre.

    Problmatique, hypothse et cadrage de la recherche

    Le conte, parce quil relve des reprsentations actualises dans et par le discours, apparat

    intrinsquement li son ensemble culturel et linguistique dorigine, ses pratiques et ses codes

    culturels, discursifs et esthtiques (systme de valeurs, ressources langagires, systme de genres,

    littrarit des textes, rgles et modes spcifiques dnonciation, fonction sociale, etc.). Les

    ethnolinguistes ont mis laccent sur la contextualit du sens du texte de littrature orale, en

    montrant que celui-ci rside surtout dans la relation dynamique qui unit ce texte son contexte

    linguistique, culturel et social de transmission. Cest en effet ce quaffirme CALAME-GRIAULE

    de faon programmatique en ouvrant la voie aux recherches menes sur les textes de littrature

    orale : Tout texte de littrature orale constitue un message transmis par un agent lintrieur dun

    certain contexte culturel et social par lintermdiaire dune certaine langue, il doit pour tre reu

    sadresser un auditoire en possession du double code linguistique et culturel (1977 : 23).

  • 15

    Dans la situation qui nous intresse, le contage est provoqu par un tiers. Les contes sont dtachs

    de leur contexte traditionnel de transmission, ils sont dits lintention dun destinataire tranger

    la culture source des contes et doivent se mouler dans une autre langue et dans des modalits de

    performance indites. Les interactions interculturelles et interlingues se caractrisent par une

    disparit plus forte entre les individus, relative au code linguistique, aux pratiques communicatives

    et au non recouvrement des prsupposs culturels. Nous nous sommes donc interroge sur la

    manire dont le conte peut passer et continuer faire sens pour lautre et dans la langue de

    lautre, sans pour autant perdre sa spcificit.

    Pour que le conte soit interprtable pour le destinataire, les conteurs/traducteurs, en tant que

    reprsentants de lensemble lorigine des contes vont oprer un travail interlingue et

    interculturel de transposition du conte, cest--dire quils vont lajuster au destinataire, sur la base

    de ses connaissances supposes. Transmettre un conte ne peut se faire, en effet, sans la projection

    dun systme de valeurs. Le conteur, en donnant le rcit, va valuer ce que KERBRAT-

    ORECCHIONI (2002 : 228) appelle les comptences encyclopdiques (culturelles et

    idologiques) de linterlocuteur. Cette supposition va dpendre du degr de connaissance, voire de

    connivence entre les interlocuteurs, et des reprsentations luvre dans la relation, en fonction

    desquelles, le conteur va faire en sorte que le conte soit recevable , cest--dire quil fasse sens.

    Nous formulons lhypothse que cette activit de transposition laisse des traces la surface des

    textes et rvle en ce sens le travail dajustement/dplacement du conte et en de la situation de

    transmission interculturelle et interlingue dans laquelle ils sont actualiss.

    Une premire approche des contes recueillis a, en effet, rvl des interruptions rptes du fil de la

    narration et un dveloppement dun niveau mtatextuel, cest--dire la prsence de nombreuses

    zones de commentaires, lors desquelles lnonciateur arrte le cours du rcit pour signaler une

    difficult, un manque, une particularit, lexpliciter ventuellement, guider linterprtation, prendre

    de la distance, etc. Ces moments o le narrateur prend son dire comme objet de discours

    apparaissent tre ceux o se donne voir de manire sensible la relation lautre, o le locuteur se

    distancie par rapport la narration quil est en train dlaborer, celle quil reprend, se positionne

    par rapport sa propre culture et celle de lautre et o se joue la ngociation du sens.

    Cette activit de rinterprtation du conte est ralise par des locuteurs, pour leur grande majorit,

    novices dans lactivit du contage et de la traduction, qui sils matrisent, de manire gnrale, bien

    voire trs bien le franais, se trouvent confronts un certain nombre de difficults lors de la

    convocation des ressources de langue cible et de traduction proprement dites. En outre, lactivit de

    narration est orale et observe dans son mergence dans le cadre dune interaction donne. Ces

    diffrents paramtres oprent de concert et confrent des caractristiques particulires aux

    narrations que nous avons recueillies, au sens o elles diffrent de narrations ou de traductions

    crites et de transmissions ralises par des conteurs experts dans leur langue ou dans la langue

    cible , dans la mesure o les difficults ne sont pas traites en amont.

  • 16

    On peut relever, en effet, des phnomnes nonciatifs caractristiques de la communication orale

    en gnral et de la communication orale exolingue plus spcifiquement, notamment du point de vue

    dune laboration discursive accidente et dune dynamique de co-construction : rptitions,

    hsitations, retours en arrire, recherche de mots, squences dialogues consacres au rglage

    de la difficult, erreurs de langue, simplification ventuelle, vitements, recours accru la

    gestuelle, mentions mta-nonciatives relatives la difficult, stratgies facilitatrices, etc.

    Lactivit de traduction, considre comme processus de mdiation interlingue et interculturelle,

    pose un certain nombre de problmes auxquels tout traducteur est confront, en particulier la

    dlicate transposition des realia, des implicites culturels et des noncs formulaires. Le

    conteur/traducteur va avoir recours diffrents procds de traduction qui rendent de manire plus

    ou moins fidle les mots et les choses du texte et de lensemble source et peuvent tre accompagns

    dnoncs explicatifs qui donnent un certain nombre de cls dinterprtation, initient

    ventuellement le destinataire, mais galement de commentaires relatifs lactivit traductive.

    Notre travail, en ce sens, se centre en partie sur le processus de traduction mais le corpus sur lequel

    nous travaillons reflte un oral spontan et donne accs au bricolage de la traduction ralis par

    des locuteurs qui nen sont pas experts. Il sagira de tenter, en outre, dapprhender dans quelle

    mesure les phnomnes nonciatifs mis en exergue relvent de paramtres individuels une

    matrise de la langue cible qui diffre selon les individus , de paramtres plus situationnels la

    tche de traduction ou de contage, la non expertise des traducteurs et conteurs et de paramtres

    plus systmiques qui relvent de la non-concidence entre les langues cible et source et des

    prsupposs culturels dordre collectif.

    La redfinition de lobjet de recherche suite lexprience de terrain

    Notre objectif de dpart tait de suivre les diffrents tats du texte-conte, sur la base de textes

    recueillis dans un contexte doralit traditionnelle pour interroger leur devenir dans un contexte

    dimmigration. Pour ce faire, nous voulions effectuer une comparaison entre diffrentes versions

    dun mme conte recueillies au Maroc et en France, dans des contextes gographiques et

    socioculturels diffrents, les facteurs de variation tant le lieu mais galement le moment du

    recueil. Nous avions dj trait de cette problmatique dans le cadre de notre D.E.A. mais sur un

    corpus sensiblement diffrent : un ensemble de contes maghrbins, recueillis au Maghreb et dans

    un contexte dimmigration. Nous voulions dans notre thse affiner langle dapproche et lobjet en

    nous centrant sur des rcits manant dune aire culturelle dtermine. Dautre part, ayant travaill

    sur des versions crites, cest--dire retravailles pour leur publication, nous navions pas eu accs

    au droulement de la narration et ignorions pour la plupart les conditions de leur transmission.

    Nous voulions donc, pour notre thse, aller la rencontre dune parole vive.

    Pour ce faire, nous nous sommes tablie, durant deux mois et demi, au Maroc, proximit dun

    village o nous avions des connaissances, ce qui nous permettait dtre en terrain connu et de

  • 17

    formuler notre demande savoir le recueil et lenregistrement de contes ds les premiers temps.

    Nous avions le projet de collecter les contes en berbre et de les faire traduire dans un second

    temps. La collecte ne sest pas rvle chose aise, dune part, parce que la pratique du contage se

    fait rare et, dautre part, parce nous avons t confronte un certain nombre de barrires

    symboliques et notamment celle de la langue, que nous navions pas value sa juste mesure

    avant le sjour de terrain. Nous avons enregistr des narrations dans des modalits diverses en

    franais, en berbre, contages, traductions et tablies au coup par coup avec les diffrents

    informateurs et de manire quasi exclusive auprs dun mme cercle de relations, savoir une

    population jeune, ge de 24 38 ans, en grande majorit de sexe masculin. Ces diffrentes

    personnes, lexception de lune dentre elles, nont pas lhabitude de raconter. Les transmissions

    ont t provoques dans le cadre de lenqute et peuvent tre en ce sens considres, pour la

    plupart, comme des pratiques culturelles reconstitues. Les contes que nous avons recueillis ne

    correspondent plus des textes reconnus et partags par une communaut. Ils sont, dj, dtachs

    de leur contexte de transmission originel dans la mesure o lon ne raconte pratiquement plus.

    Ds lors, il nous fallait redfinir notre objectif initial : en effet, la comparaison entre contes

    recueillis au Maroc et contes recueillis en France navait plus de sens, dans la mesure o nous

    aurions eu affaire dans les deux cas une pratique culturelle ractive, avec des paramtres

    indits : lieu, moment, connaissances non partages entre conteur et auditoire et passage dune

    langue lautre ce qui nest pas le cas de lensemble des versions recueillies au Maroc mais

    caractrisent un certain nombre dentre elles. Notre intrt sest donc dplac des textes et de leur

    cheminement la prise en compte des conditions dune transmission singulire et de sa dynamique

    dlaboration dans lici et maintenant de la rencontre interculturelle. Nous interrogeons toujours le

    lien qui unit le conte son contexte, non plus en comparant les diffrentes actualisations

    successives dun conte, mais plutt en questionnant la possibilit de transmettre le conte ds lors

    quil est dtach de son contexte de transmission dorigine. Cest autrement dit une transmission

    hors du contexte dorigine et dans une langue autre laquelle nous nous intressons et la manire

    dont les nonciateurs vont, pour que le conte fasse sens, restituer le contexte, rcrer en quelque

    sorte le lien au contexte. Cette transmission est interroge dans ses alas et ses succs, dans son

    laboration dynamique dans le cadre dune interaction donne et dans la spcificit que gnrent

    les conditions dactualisation interlingue et interculturelle.

    Nous avions, au cours de notre recherche de D.E.A., rencontr les travaux de DECOURT (1992 et

    1993) et DECOURT & LOUALI-RAYNAL (1990 et 1995) consacrs aux contes maghrbins en

    immigration et au contage dans linterculturel. Des contes avaient t recueillis au sein des familles

    et lexprience du contage prolonge dans des centres sociaux notamment dans le cadre dune

    formation Contes et rcits de la vie quotidienne petit laboratoire de littrature orale en

    situation interculturelle selon les auteures (1995) puis dans les bibliothques, dans des coles et

    luniversit et donn lieu des publications (DECOURT, 1992 et DECOURT & LOUALI-

  • 18

    RAYNAL, 1995). La rflexion engage sur une pdagogie interculturelle (DECOURT, 1993)

    du conte et sur un no-contage dans limmigration a mis en vidence notamment les points

    suivants : un attachement et une permanence de la tradition orale dans limmigration, une rupture

    avec les formes de transmission traditionnelles, la vertu du conte (re)crer du lien et faire

    dialoguer les cultures et linstitution des femmes conteuses en tant que mdiatrices culturelles. Les

    publications qui ont vu le jour ont expriment une mthodologie de transposition cratrice du

    rcit oral dans une fidlit au style oral, mais aussi une volont de sauvegarder le plaisir de la

    variation jusque dans la lecture, par la mise en place dune criture plusieurs voix

    (DECOURT & LOUALI-RAYNAL, 1995). Les auteures ont mis en vidence, en outre, des

    procds de contage spcifiques linterculturel qui nous intressent tout particulirement :

    recherches de mots et procds explicatifs traits sous langle des gloses lexicales (glose de

    reformulation, de traduction, de mise en garde , dinitiation, de connivence) et des gloses

    culturelles (relatives la symbolique du conte et visant un accordage des reprsentations),

    crativit de linterlangue , procds narratifs oraux et notamment les signaux organisateurs du

    rcit oral (DECOURT & LOUALI-RAYNAL, 1990 et 1995).

    Le corpus que nous avons recueilli au Maroc et qui a t enrichi par la suite par de nouvelles

    versions prsente ce type de procds la fois caractristiques dune narration orale et dun

    contage interculturel. Si les auteures ont mis en vidence ces phnomnes par lanalyse des

    performances orales et leur rcurrence dans les diffrentes versions recueillies mais aussi des styles

    oraux propres aux diffrentes conteuses et qui ont guid lcriture de ces contes ces procds

    nont pas t analyss de manire approfondie, ni dans leur dynamique dmergence. Ces travaux,

    en mettant laccent sur une spcificit du contage interculturel et sur des phnomnes discursifs

    observables mais non systmatiss ont ouvert la voie notre propre recherche.

    Ancrages disciplinaires

    Pour apprhender le processus de transmission, dans sa dynamique dlaboration discursive, son

    oralit, dans sa dimension interculturelle et interlingue et en tant quactualisant un texte de tradition

    orale, nous nous inscrivons dans une approche ethnolinguistique discursive des textes littraires

    oraux.

    Lethnolinguistique tudie de manire gnrale les faits de langage sous lclairage du culturel.

    Lethnolinguistique la franaise , impulse par les travaux de Calame-Griaule, sintresse

    traditionnellement aux textes de littrature orale dans leur actualisation dans un contexte de

    transmission donn : identit de linterprte, auditoire, relation instaure, cadre de la performance,

    ressources langagires, inscription dans des genres, rgles sociales de la performance, contexte

    socioculturel, langue, etc. Les diffrentes composantes du conte sont interroges composantes

    syntaxique, lexico-smantique, rhtorique, pragmatique et socioculturelle ainsi que la fonction

    sociale des textes notamment dans le rle quelle joue dans la transmission des modles

  • 19

    culturels (CALAME-GRIAULE, 1977). Lethnolinguistique sintresse en outre la dimension

    variationnelle des textes, autrement dit la latitude de ralisation performantielle limite toutefois

    par une structure commune aux diffrentes ralisations textuelles et par l exigence de fidlit

    une mmoire collective. Cette approche nous permet ainsi denvisager les textes de littrature orale

    dans leurs dimensions esthtique, linguistique, sociale et culturelle, dans leur ralisation

    performantielle et en tant que reprise variationnelle dun texte de tradition orale.

    Si cette approche est essentielle notre objet danalyse et notre propre dmarche, nous nous

    inscrivons conjointement dans le champ de lanalyse de discours, qui se caractrise comme

    lethnolinguistique par son interdisciplinarit et recouvre en partie le champ de cette dernire ds

    lors que lon aborde les discours dans leur contexte large. Nous mettons ainsi laccent sur le fait

    que nous nous intressons la mise en discours des textes littraires oraux dans le cadre dune

    interaction donne. Lapproche en termes danalyse du discours implique un certain nombre de

    prsupposs thoriques, tels que le fait de considrer le langage comme activit, la contextualit

    radicale du sens et la dimension interactionnelle de la communication verbale. Associes ces

    options thoriques, on relve ce que MAINGUENEAU (2005 : 69) appelle les ressources

    communes ceux qui travaillent sur le discours : genres de discours, cohrence/cohsion textuelle,

    typologie des discours, polyphonie, actes de discours, thorie de lnonciation, mta-nonciation,

    intertextualit, etc. Les ressources dveloppes dans le cadre de lanalyse du discours et de

    lanalyse textuelle nous fournissent des outils danalyse pour rendre compte de la dynamique de

    production contextuelle et interactionnelle des textes, par une instance nonciative donne, dans

    leur rapport dautres pratiques discursives, aux systmes de genres et dans leur matrialit

    textuelle.

    Nous nous inscrivons galement de manire plus ponctuelle dans les champs de

    lethno/anthropologie et de la psychosociologie pour aborder les concepts de culture et didentit

    culturelle et plus spcifiquement la question de lidentit berbre , pour rendre compte dune

    dmarche denqute et de recueil de donnes qui emprunte la pratique ethnographique et pour

    envisager le processus de transmission comme discours didentit situ. Ces concepts nous sont en

    outre essentiels en ce que les situations de transmission sont dfinies comme interculturelles. Notre

    objet de recherche est, en ce sens, inscrit dans le champ de linterculturel, en tant quil est mise en

    relation de deux individus reprsentants de communauts culturelles diffrencies et que le conte

    labor dans un ensemble culturel donn est amen faire sens pour des individus qui nen sont

    pas membres. Les situations de transmission que nous analysons relvent paralllement langue et

    culture tant intimement lies, quoique dans une relation non univoque du champ de la

    communication exolingue que nous appellerons interlingue avec VASSEUR (2005) et nous

    convoquerons pour cette raison les thorisations sociolinguistiques, relatives notamment aux

    difficults spcifiques ce type de communication, aux stratgies qui sont mises en place par les

    partenaires et la dimension collaborative qui les caractrise. Une place particulire enfin est

  • 20

    donne la thorie de la traduction, qui est conceptualise essentiellement dans le champ des

    tudes littraires et de la traductologie et qui pose de manire aigu la question du transfert du

    linguistique et du culturel dans lactivit traductive. La question centrale du rapport entre langue et

    culture, aborde la fois dans la communication interculturelle et interligne, dans la traduction qui

    peut tre considre comme une modalit de cette dernire, mais aussi dans la mise en discours de

    reprsentations culturelles et identitaires dans le conte que nous aborderons par le biais du

    concept dethnotexte apparat ainsi sous-jacente lensemble de cette recherche.

    Mthodologie danalyse

    Nous envisageons le processus de transmission comme une activit de mdiation interculturelle et

    lanalysons dans son mergence et son ajustement lautre. Notre mthodologie danalyse consiste

    pointer la surface des textes les traces de cette dynamique dlaboration discursive. Les

    marques textuelles et micro-textuelles que nous relevons hsitations, interruptions, marques de

    connexion, zones dmergence de la subjectivit du narrateur, commentaires explicatifs, signaux de

    reprise, modalisations, adresses linterlocuteur, etc. sont interprtes non seulement comme

    caractristiques dune narration orale mais galement comme des signaux dune difficult, dun

    manque, dune spcificit, dune distanciation ou encore dun ajustement au destinataire.

    Notre corpus ayant t runi dans loptique de la comparaison, nous avons diffrentes versions du

    mme conte traductions ou contages donnes par diffrents nonciateurs et dans diverses

    situations. La mise en regard des diffrentes versions orales nous permet, outre dinterroger la

    conformit des narrations une structure commune, dobserver la rcurrence ou non des

    phnomnes nonciatifs et de rendre compte de diffrentes manires de transmettre le conte selon

    les modalits de transmission, lnonciateur, les circonstances de la situation de transmission, la

    relation entretenue avec le destinataire/enquteur. Le corpus des versions orales a t complt par

    un certain nombre de versions crites bilingues et unilingues, issues dans leur majorit de

    lensemble tachelhite. La comparaison des versions crites les unes avec les autres et avec les

    versions orales met jour la manire diffrentielle dont une difficult de traduction, par exemple,

    releve dans plusieurs des versions orales est traite lcrit.

    Des phnomnes nonciatifs rpts et constants dune version lautre pourront tre

    ventuellement interprts comme symptomatiques des conditions singulires de la transmission :

    dans le cas des versions orales et crites, de la dimension interculturelle et interlingue des

    narrations et dans le cas des versions orales, de la non expertise des nonciateurs, dune reprise plus

    ou moins fidle dun texte source, de la dimension reconstitue des transmissions ou encore du

    contexte institutionnel de lenqute. Un certain nombre des variations releves dune version

    lautre seront interroges la lumire des paramtres individuels (statut, trajectoire personnelle,

    rapport aux cultures, degr de matrise de la langue cible, etc.), de la relation entretenue avec

    lenquteur, des circonstances de la transmission, des modalits effectives (traduction, contage,

  • 21

    oralit, criture), ainsi que, dans le cas des versions crites, du circuit de diffusion des textes ou

    encore de la vise de publication. Un certain nombre de donnes identitaires seront pour cette

    raison, identifies pralablement lanalyse des textes, en mme temps que le mode de relation au

    destinataire, et les diffrentes situations de transmission seront dcrites et analyses la fois dans

    ce qui les rapproche et les diffrencie.

    Signalons, par ailleurs, que pour prserver lanonymat des personnes que nous citons dans notre

    enqute et tout particulirement nos informateurs propos desquels nous donnons des informations

    personnelles, les prnoms et initiales indiqus sont fictifs. Nous avons longuement hsit

    anonymer nos informateurs, dans la mesure o nous le verrons, les contes donns et les traductions

    effectues relvent dactes crateurs personnels, nous aurions voulu en ce sens oprer une

    reconnaissance des diffrentes personnes, en tant qu auteurs de performances originales.

    Lorganisation de la thse

    Notre thse sorganise en deux volumes principaux et en neuf chapitres.

    Le premier volume (chapitres I, II, III, IV, V et VI) souvre sur un chapitre qui recense les

    diffrentes approches de lobjet conte et nous y exposons notre approche ethnolinguistique

    discursive des textes littraires oraux . Si cette approche dfinit lensemble de la dmarche et

    cadre en ce sens la totalit de la thse, le premier chapitre constitue une sorte de table dorientation

    pour les chapitres du premier volume de la thse qui sintressent dabord la dimension

    ethnolinguistique discursive des textes avant de se centrer sur leur dimension littraire et orale et de

    les apprhender comme un ensemble de textes runis par lanalyste au sein dun corpus.

    Lorganisation du volume rend compte, en outre, dun tissage entre lexpos dlments thoriques

    et des donnes de terrain contextualises et organises dans un corpus : deux chapitres

    thoriques dabord (chapitres II et III), auxquels succdent un chapitre consacr au recueil des

    contes en contexte (chapitre IV), un chapitre entre thorie et analyse (chapitre V) puis un chapitre

    consacr au corpus des contes (chapitre VI).

    Les deuxime, troisime et quatrime chapitres constituent un premier ensemble de la thse, en

    ce quils sintressent de manire plus cible la dimension ethnolinguistique discursive des

    textes . Le parcours propos est celui de lexpos dun certain nombre dlments thoriques

    relatifs la textualit, lnonciation, la mta-nonciation, puis la contextualisation discursive

    et culturelle pour se terminer par lexpos du contexte de la mise en discours des contes, cest--

    dire le contexte du recueil.

    Dans le deuxime chapitre, nous voquons deux socles thoriques qui nous permettent de rendre

    compte dun double mouvement qui traverse les textes : une affirmation de la cohrence-cohsion

    du texte-conte il sagit pour les narrateurs de raconter/traduire un rcit et un mouvement de

    rupture de lenchanement narratif le processus de transmission apparat comme soumis un

    certain nombre dinterruptions et de perturbations. Une thorie du texte narratif permet de relever

  • 22

    les lments textuels qui oprent un balisage de linterprtation et le font apparatre comme un

    ensemble structur, li et cohrent. La mise en vidence dun double niveau nonciatif et mta-

    nonciatif, met laccent non seulement sur diffrents modes nonciatifs et sur linscription variable

    de lnonciateur dans son texte mais aussi sur un mouvement d auto-commentaire du processus

    de sa transmission.

    Dans le troisime chapitre, nous nous intressons la contextualisation des textes dans une

    perspective plus discursive, dabord, puis dans ses dterminations plus spcifiquement culturelles,

    ensuite. Nous rendons compte des paramtres constituants du contexte, de sa nature

    reprsentationnelle, construite et dynamique et montrons que le sens slabore dans le cadre dune

    interaction donne dans un processus dajustement des partenaires lun lautre. Nous nous

    intressons ensuite la dimension culturelle et identitaire, par une rflexion sur la constitution de la

    pratique ethno/anthropologique dans son oscillation entre mise en vidence des diversits

    culturelles et universalit et montrons que la culture ne peut se saisir que par le bais des discours

    didentit qui lactualisent, la manipulent et la reprsentent. Nous revenons, pour clore le chapitre,

    vers les textes en montrant comment texte et contexte culturel se soulignent et abordons par le

    concept d ethnotexte (BOUVIER, 1992), la mise en discours situe des productions culturelles

    en tant quacte didentit. Nous voquons un certain nombre de procds de recontextualisation et

    de cautrisation du sens ds lors que change le contexte de transmission.

    Le quatrime chapitre vise justement recontextualiser les textes par la description du contexte

    socio-culturel, institutionnel qui a prsid la mise en discours des productions que nous avons

    recueillies et faire connaissance avec les individus/informateurs qui ont interprt ou traduit les

    contes. Nous exposons le droulement de notre enqute dans ses diffrentes phases et dans ses

    alas et rendons compte des rlaborations thoriques qui lont accompagne. Nous montrons dans

    quelle mesure le recueil de donnes relve dune dmarche ethnographique vise

    ethnolinguistique. Nous analysons de manire plus prcise le terrain marocain dans ses

    dterminations culturelles, sociales, historiques et linguistiques, comme constituant le lieu

    dancrage du recueil de productions discursives situes et dans sa dimension interculturelle, en tant

    que lieu frquentation touristique ancienne et continue. Nous prsentons nos diffrents

    informateurs dans leur individualit propre et dans leur positionnement dans un entre-deux culturel,

    que ce soit sur le terrain marocain ou en France, ce qui permet notamment dclairer un mode

    dtre sa culture et celle de lautre. Nous dcrivons, en outre, prcisment la nature de la

    relation denqute, notamment dans sa dimension institutionnelle.

    Les cinquime et sixime chapitres prennent pour objet les textes littraires oraux berbres

    dans leur dimension orale, leur inscription dans un espace littraire berbre, puis en tant

    quensembles de textes runis au sein dun corpus, et pour cette raison peuvent tre considrs

    comme constituant un deuxime ensemble de la thse.

  • 23

    Dans le cinquime chapitre, nous tentons dabord dobjectiver la dimension orale et performantielle

    des productions que nous avons recueillies. Nous oprons ensuite une seconde

    recontextualisation des textes, en nous intressant au systme traditionnel de la littrature orale

    berbre (structuration du champ, modes dexcution, de circulation et de rception des textes) et

    sa mutation dans le contexte contemporain. Nous situons les productions que nous avons recueillies

    par rapport cet ensemble, en termes de continuit et de rupture.

    Dans le sixime chapitre, nous prsentons le corpus des diffrentes versions runies, dabord en

    tant quensemble de contes berbres qui peuvent tre par ailleurs inscrits dans un intertexte plus

    large. Nous mettons en vidence deux sous-ensembles du corpus : versions orales et versions

    crites. Nous dgageons partir des versions orales des observables de lanalyse phnomnes

    nonciatifs de rupture et de perturbation et oprations discursives de mdiation , les versions

    crites, nous permettant de rendre compte de manire constrastive de la transmission dans

    diffrentes modalits (orales/crites, informelles/publies, uvres dcrivain/publications

    universitaires/transmissions ralises par des individus non experts, etc.). Nous interrogeons

    ensuite un certain nombre des paramtres dfinitoires de notre corpus, notamment en termes

    daltration transcription et reformulation intertextuelle de variation et despace de variabilit

    du conte variabilit individuelle dans les diffrentes traductions dune version donne, variabilit

    constitutive de la littrature orale et variabilit dans les modes de transmission.

    Le second volume (chapitres VII, VIII et IX) constitue un troisime ensemble de la thse, centr

    sur lanalyse des situations de transmission des diffrentes versions et sur le processus de

    transmission/mdiation des textes en situation interculturelle et interlingue et dans le cadre

    dinteractions donnes.

    Avant danalyser les textes proprement dits, nous mobilisons, dans le septime chapitre, encore un

    certain nombre de ressources thoriques pour rendre compte de la dimension interculturelle et

    interlingue commune aux diffrentes situations de transmission que nous considrons comme

    inscrites dans un espace de mdiation interculturel et interlingue du conte. Nous nous

    intressons la dimension interactionnelle des situations de transmission, la rencontre

    interculturelle et montrons que les interactions interculturelles se caractrisent par un certain

    nombre dobstacles, une collaboration gnralement accrue des partenaires et une dynamique de

    co-construction discursive qui saccompagne dun travail dlaboration de la relation. Nous

    pointons, partir des travaux mens sur la communication interlingue, un certain nombre de

    signaux de difficults et de stratgies orientes vers une intercomprhension. Nous nous intressons

    ensuite la traduction, en tant que modalit de la transmission et en tant que mdiation entre deux

    ensembles culturels et linguistiques. Dans un quatrime temps, nous dcrivons prcisment les

    diffrents cadres interactionnels des transmissions orales, les modalits de la transmission

    contage/traduction, mode de consignation, traduction de lordre de la condensation ou du

  • 24

    dveloppement, etc. et la relation instaure entre les partenaires, comme autant de paramtres qui

    dterminent la nature de la transmission. Nous voquons enfin les modalits de recueil des versions

    crites, le mode dtablissement des textes et leur vise de publication.

    Les deux derniers chapitres sont consacrs lanalyse des textes proprement dite. Dans le huitime

    chapitre, nous pointons un certain nombre dlments textuels qui renvoient lactivit narrative et

    la font apparatre comme une sorte de ligne indpendante du rcit. Nous relevons cinq ensembles

    de phnomnes que nous abordons pour leur majorit sous langle des dcrochages nonciatifs

    mais galement pour certains comme mentions de guidage. Nous les envisageons la fois dans leur

    permanence ce qui nous permet de mettre laccent sur des phnomnes que nous supposons lis

    la narration orale interlingue en situation interculturelle , dans leur spcificit selon la modalit de

    transmission (contage/traduction, mode de consignation), lnonciateur (conditions psychologiques,

    matrise de la langue darrive, notamment) et dans leur diversit formelle.

    Dans le neuvime et dernier chapitre, nous nous intressons un certain nombre de stratgies et

    doprations discursives en tant que procdures de (re)mdiation. Nous relevons deux ensembles

    principaux de stratgies mises en uvres par un certain nombre doprations discursives que nous

    articulons aux dcrochages relevs dans le chapitre prcdent, notamment en tant que remdiations

    face la difficult ou la perturbation et nous interrogeons leurs fonctions discursives. Nous nous

    attachons ensuite rendre compte de diffrents procds de traduction, coupls pour certains aux

    oprations discursives dj mentionnes, et nous analysons leur mise en oeuvre dans les diffrentes

    versions orales et crites afin de mettre en vidence diffrentes manires de traiter la complexit

    traduire. Au terme de ce parcours, nous rendons compte de diffrents principes de traduction et de

    transmission, de vises de transmission plus ou moins ethnologiques qui sont autant de faon de

    raconter et de reprsenter de manire plus au moins visible lnonciateur en train de dire/traduire le

    conte et la communaut lorigine des textes. Nous nous intressons pour terminer la nature

    interactionnelle des transmissions, en montrant leur dynamique de co-construction et la dimension

    de ngociation luvre.

    Le volume dannexes propose un certain nombre de cartes qui permettent de situer le lieu

    dorigine des contes et des informateurs (annexe I), des tableaux rcapitulatifs qui donnent une vue

    densemble du corpus danalyse, reprennent un certain nombre dinformations relatives aux

    informateurs et prsentent de manire synthtique les diffrents cadres interactionnels (annexe II)

    Aprs ce cadrage, figurent les textes-contes (annexe III), cest--dire les transcriptions des versions

    que nous avons recueillies. Ceux-ci sont prsents comme actualisant de manire variationnelle un

    mme conte. Nous reproduisons ensuite ce que nous appelons des documents denqute (annexe

    IV) : exemples de fiche informateur et fiches descriptives des diffrentes situations de

    transmission. Si les premires rendent compte dune mthodologie de recueil des donnes, les

    secondes compltent les informations donnes dans le corps de la thse. Les fiches descriptives

  • 25

    sont essentielles la comprhension du droulement des transmissions effectives, en ce quelles les

    recontextualisent dans des circonstances spatio-temporelles prcises et permettent de les

    apprhender en tant que mises en discours situes dans le cadre dune interaction donne. Elles

    rendent compte en outre de la configuration du lieu, des places et des postures des interlocuteurs,

    des dplacements ventuels, du droulement des interactions et dun certain nombre dlments

    relatifs la gestuelle, aux intonations et au rythme de la narration. Elles constituent, en ce sens, une

    voie dentre dans les textes, non plus en tant que diffrentes versions du mme conte mais comme

    ayant t donnes dans une situation de transmission prcise. En ce sens, elles sont mettre en

    correspondance avec lanalyse des diffrents cadres dinteraction dans le septime chapitre, tandis

    que les textes et leur mode dorganisation de lannexe III, rpondent la prsentation du corpus

    effectue dans le sixime chapitre. Pour terminer, nous nous intressons lensemble culturel et

    linguistique berbre (annexe V) que nous situons gographiquement et que nous dcrivons socio-

    linguistiquement. Nous tentons ensuite de cerner une identit amazighe par le biais dun certain

    nombre de ses fondements et rendons compte de la redfinition dune amazighit dans un

    contexte de revendication identitaire. Lannexe V claire de manire complmentaire les cinquime

    et sixime chapitres mais constitue aussi un arrire plan indispensable lensemble de la thse.

  • 26

  • Chapitre I Des diverses approches du conte une ethnolinguistique discursive des textes littraires oraux

    27

    Chapitre I

    Des diverses approches du conte

    une ethnolinguistique discursive

    des textes littraires oraux

    Ce chapitre nous permettra dapprocher le conte, non partir des traits qui sont censs le dfinir

    mais par les diffrents cadres danalyse qui le prennent pour objet et mettent en lumire les

    diffrentes composantes quil convoque. A partir de ce panorama des divers points de vue sur le

    conte, nous rendrons compte de notre propre apprhension de lobjet conte, par langle de ce que

    nous appelons une ethnolinguistique discursive des textes littraires oraux .

    1. Panorama des diverses approches de lobjet conte

    Notre objet danalyse, le conte, perform en situation orale, convoque diffrentes composantes :

    syntaxique, lexico-smantique, rhtorique, pragmatique et socio-culturelle. Le conte peut par

    consquent tre abord sous diffrents angles dapproche. Pour tenter de faire le tri, nous allons

  • Chapitre I Des diverses approches du conte une ethnolinguistique discursive des textes littraires oraux

    28

    nous appuyer sur la classification propose dans le numro 45 de la revue Littrature par

    DEMERS, GAUVIN & CAMBRON (1982 : 79-113). La rfrence est ancienne mais permet de

    dresser un panorama synthtique des diffrents cadres danalyse du conte.

    Nous allons exposer la classification retenue par ces auteures, en dveloppant chacune de ces

    approches et en nous demandant ce que chacune delle peut apporter notre propre travail de

    recherche. Un tableau rcapitulatif prsente les diffrents angles danalyse possible du conte,

    regroups en neuf catgories : celle de lanthropologie structurale/smiotique, celle de

    lethnologie/sociocritique, les approches folklorique, gnrique, morphologique,

    narratologique/rhtorique, pragmatique et psychanalytique et une dernire qui regroupe toutes les

    autres approches possibles, que les auteures nomment historico-littraire, philosophique,

    stylistique, etc. (ibidem : 112-113). Pour chacun de ces cadres danalyse, les auteures dgagent

    les postulats mthodologiques, les initiateurs, les caractristiques thoriques et formelles, la vise

    fondamentale, laire danalyse, le plus petit lment danalyse et une question pose au conte,

    que nous allons exposer leur suite. Il nous semble pertinent de faire un premier regroupement

    entre lapproche de lanthropologie structurale/smiotique, lapproche morphologique et celle de la

    narratologie/rhtorique dans la mesure o la vise principale est de dgager le fonctionnement du

    rcit en recourant aux mthodes ou aux outils linguistiques.

    1.1. Dgager la structure du rcit par le biais de la linguistique

    1.1.1. Lapproche morphologique

    Lapproche morphologique initie par Propp, puis dveloppe par Brmond part du postulat que le

    modle est possible1. Lanalyse descriptive et schmatique sappuie sur la linguistique. La vise

    consiste cerner les rgles de fonctionnement du rcit. Laire danalyse est la syntaxe du texte par

    le biais de la grammaire narrative. Le plus petit lment de dcoupage est la fonction. La question

    pose au conte est la suivante : Quelle est la ncessit de ton droulement ? .

    PROPP (1928/1970) est considr comme le prcurseur de lanalyse structurale du rcit. Il a tudi

    un corpus de contes merveilleux russes, dans lesquels il voit le jeu de variables (noms et

    attributs des personnages) et de constantes (les fonctions quils accomplissent). Au terme de

    son analyse, il dgage trente et une fonctions, la fonction devant tre comprise comme un acte

    des personnages, dfini du point de vue de sa signification pour le droulement de laction du conte

    considr comme un tout (ibidem : 31). Ces fonctions, selon Propp, senchanent dans un ordre

    identique et constituent le schma canonique du conte merveilleux russe.

    1 - Il faut noter que les auteures intgrent, dans ce premier ensemble, les recherches de Todorov que nous classerons pour notre part dans lapproche narratologique/rhtorique.

  • Chapitre I Des diverses approches du conte une ethnolinguistique discursive des textes littraires oraux

    29

    BREMOND (1973) reprend la notion de fonction , dont la mise en squence engendre le rcit.

    La squence lmentaire est forme de trois fonctions qui correspondent aux phases obliges de

    tout processus : virtualit, passage lacte et achvement. Les squences lmentaires se

    combinent en squences complexes, du type de lenclave ou du bout bout, par exemple. Le

    processus est dfini comme laction dun personnage, dfinie du point de vue de sa

    signification dans le droulement de lintrigue (ibidem : 131). Lauteur liste un nombre important

    de processus, les principaux tant, dune part, l amlioration et, dautre part, la

    dgradation . Il faut signaler que BREMOND reconnat les limites de lapproche en termes de

    structure : en effet ltablissement du lexique des formes de lintrigue ne permet pas de rendre

    compte des contenus thmatiques que manifestent les fonctions , autant dlments qui selon

    lauteur reclent [] le sens original de chaque rcit (ibidem : 323).

    1.1.2. Anthropologie structurale/smiotique

    La seconde approche regroupe lanthropologie structurale initie par Lvi-Strauss et la smiotique

    dveloppe par Greimas puis Courts. Le postulat mthodologique est le suivant : il y a homologie

    structurelle entre le texte-conte et le texte-systme culturel. Lanalyse fonctionne par opposition

    binaire. La vise principale consiste dgager les grands modles culturels. Laire danalyse est la

    smantique du texte et le plus petit lment de dcoupage est appel mythme ou sme (unit

    smantique de base, par exemple, le sme mle oppos au sme femelle ). La question pose

    au conte est la suivante : Que signifies-tu ? . Avec les approches anthropologique et smiotique,

    lattention des chercheurs se porte sur le contenu, lanalyse se veut figurative.

    LEVI-STRAUSS met en parallle les smantismes des mythes dont il pose et dmontre quils sont

    dans un rapport de transformation et quils nont de sens quen fonction du systme des mythmes

    auquel ils appartiennent : Les mythes sopposent dautres mythes, ils les contredisent ou les

    transforment, et il serait impossible de comprendre ceux-l sans se rfrer ceux-ci (1975 : 34).

    Le mythe est assimil un langage et ses composantes symboliques aux phonmes. Les mythmes,

    cest--dire les motifs qui font systmes entre eux, sont les units constitutives du mythe, des

    paquets de relation daprs LEVI-STRAUSS (cit par DURAND, 1960/1995). Lanalyse

    structurale a pour but disoler les mythmes et de reprer leur transformation dune culture lautre

    dans une perspective anthropologique. Pour Lvi-Strauss, chaque mythologie reflte une des

    ralisations de la combinatoire virtuelle infinie dun petit nombre de structures mentales. La mise

    jour de la structure des mythes permettrait de relever les lois essentielles telles que lopposition,

    linversion, lhomologie, etc.

    Le modle actanciel tabli par GREIMAS (1966) met en vidence les fonctions-relations des

    protagonistes les actants qui se droulent travers des programmes narratifs, ces derniers,

    allant dune situation initiale une situation finale. Les relations entretenues entre les divers actants

  • Chapitre I Des diverses approches du conte une ethnolinguistique discursive des textes littraires oraux

    30

    correspondent diffrentes modalits de lactivit humaine Vouloir, Savoir et Pouvoir , le

    schma narratif gnral correspondant la qute . Diffrents lments narratifs sont dgags :

    performantiels (les preuves), contractuels (tablissement et accomplissement/violation

    dun contrat, rcompense/punition) et disjonctionnels (sparations, dparts) ou

    conjonctionnels (retours, runions) (GREIMAS, ibidem). GREIMAS, comme la fait avant lui

    Lvi-Strauss, rintgre la dimension paradigmatique du rcit, vacue par Propp : la simple

    succession dnoncs narratifs ntant pas un critre suffisant pour rendre compte de

    lorganisation du rcit, ce nest que la reconnaissance des projections paradigmatiques qui permet

    de parler de lexistence des structures narratives (GREIMAS, cit par COURTES, 1993 : 8).

    COURTES montre limportance du code figuratif, et du double rapport que les figures

    entretiennent entre elles, tant au niveau de laxe syntagmatique (ordre de la combinaison), quau

    niveau paradigmatique (ordre de la slection). Les divers lments qui pourront commuter un

    point prcis de la chane syntagmatique, nentretiendront pas forcment le mme rapport avec les

    lments qui les prcdent et les suivent sur laxe syntagmatique. Ainsi, par exemple, lidentit de

    lagent dgradateur, que ce soit un homme, une femme, ou encore une belle-mre ou une co-pouse

    va entraner une srie de significations diffrentes, relatives aux rapports des sexes au sein de la

    socit (dans le cas de la variation homme/femme) ou encore aux rapports fille/belle-mre ou

    pouse/co-pouses (en ce qui concerne la variation belle-mre/co-pouse). Dautre part, la punition

    inflige ne sera pas la mme, il peut mme ne pas en tre question dans la suite du rcit. Lauteur

    cherche dcouvrir une smantique du conte merveilleux (1986 : 10), saisie un niveau

    figuratif profond, dont les motifs constituent, en surface, autant de manifestations possibles.

    1.1.3. Lapproche narratologique/rhtorique

    Cette approche, initie par Genette, Barthes et Todorov, entre autres, sappuie sur le postulat que la

    signifiance du texte lui est immanente. Lanalyse se veut descriptive et critique et sappuie sur la

    linguistique. La vise est de dcrire le discours du texte-objet esthtique. Laire danalyse est la

    syntagmatique du texte dgage par le biais dune grammaire discursive. Le plus petit lment de

    dcoupage est la figure. La question pose au conte est celle-ci : Comment fonctionnes-tu et

    pourquoi me plais-tu ?

    BARTHES (1966) dgage trois niveaux dans lanalyse : les fonctions, les actions et la narration. Il

    opre une distinction entre les fonctions qui concernent le faire des acteurs et les indices

    qui concernent l tre-avoir . Parmi les fonctions, il distingue les propositions narratives

    noyaux ou cardinales (propositions purement narratives responsables de la progression de

    lintrigue) des propositions narratives secondaires ou catalyses (qui viennent combler

    lespace entre deux noyaux). Parmi les indices , il oppose les indices proprement dits qui

    donnent des informations sur les caractres ou sentiments des personnages et les informants qui

  • Chapitre I Des diverses approches du conte une ethnolinguistique discursive des textes littraires oraux

    31

    inscrivent lintrigue dans un lieu, un temps, en rendent latmosphre et indiquent lidentit des

    personnages (ge, sexe, tat civil, etc.). Nous utiliserons la terminologie de lauteur dans les

    chapitres VIII et IX, pour rendre compte, dune part, de la prsence des descriptions et des

    commentaires, relatifs aux protagonistes et aux cadres spatio-temporels des contes et, dautre part,

    de limportance relative des diffrentes propositions narratives.

    TODOROV (1966/1981), pour sa part, tablit une distinction entre le rcit comme histoire (suite

    des vnements du rcit) et comme discours (acte de narration du rcit). Il sintresse la technique

    du rcit et dgage trois procds principaux dans le discours narratif : le temps du rcit o

    sexprime le rapport entre temps de lhistoire et temps du rcit, les aspects du rcit , cest--dire

    la manire dont lhistoire est perue par le narrateur, et les modes du rcit , qui dpendent du

    type de discours utilis par le narrateur pour nous faire connatre lhistoire.

    GENETTE met laccent sur la complexit et la diversit des formes narratives, difficilement

    rductibles un schma unique. Il distingue entre histoire , rcit et narration .

    L histoire correspond au signifi ou contenu narratif , le rcit proprement dit le

    signifiant, nonc, discours ou texte narratif lui-mme et la narration est dfinie comme

    lacte narratif producteur et, par extension, lensemble de la situation relle ou fictive dans

    laquelle il prend place (1972 : 72). Il met en vidence trois catgories de problmes narratifs

    relevant, pour les deux premires, le temps et le mode, des relations histoire/rcit, pour la troisime,

    la voix, la fois des rapports narration/rcit et narration/histoire. (DUCROT & SCHAEFFER,

    1995 : 234-235). Nous convoquerons la thorisation de Genette, notamment dans le chapitre VIII,

    lorsque nous traiterons des formes de guidage de la narration, en tant que dcrochages nonciatifs,

    et plus particulirement de la mise en perspective temporelle. Il faut noter en outre que la

    narratologie contemporaine tend replacer le discours narratif dans des stratgies de

    communication.

    1.1.4. Lapproche gnrique

    Lapproche gnrique, initie en particulier par Bdier, sappuie sur le postulat que chaque tat

    dun conte est un texte. Lanalyse stylistique et littraire, sappuie sur la philologie. La vise

    fondamentale est de dfinir un type de conte crit. Laire danalyse est le texte comme reprsentant

    dun genre. Le plus petit lment de dcoupage est le motif, en tant quunit syntaxique. La

    question pose au texte est la suivante : En quoi es-tu conforme ? au genre du conte crit.

  • Chapitre I Des diverses approches du conte une ethnolinguistique discursive des textes littraires oraux

    32

    1.2. Dgager les thmatiques du conte en liaison avec leur contexte de production

    Un second regroupement concerne les approches folklorique et ethnologique, la premire pouvant

    tre considre comme lorigine de la seconde.

    1.2.1. Lapproche folklorique

    Lapproche folklorique initie par les frres Grimm et Aarne, notamment, sappuie sur le postulat

    quil existe un archtype quon peut dgager des variantes effectives des textes, la vise tant de

    dcouvrir cet archtype (lUrform) et ses modes de transmission. Lanalyse, qui porte sur les

    variantes du texte est avant tout thmatique et comparatiste. Le plus petit lment de dcoupage est

    le motif, en tant quunit thmatique. Les variantes sont rattaches des processus historiques, des

    diffrences ethniques, la part cratrice des excutants et aux diffrentes traditions

    communautaires (daprs ORTURAY, 1972). La question pose au conte est la suivante : Do

    viens-tu et o vas-tu ? .

    La recherche de larchtype sinscrit dans le cadre du courant de pense du diffusionnisme qui se

    dveloppe la fin du XIXe sicle et considre quil y aurait un lieu dorigine partir duquel les

    lments techniques et culturels se seraient diffuss. On cherche alors rendre compte des

    diffrentes tapes de diffusion des lments considrs (MEROLLA, 2006 : 36). Le diffusionnisme

    nexclut pas lide de la supriorit dune culture par rapport lautre et par l-mme un jugement

    de primitivit de certaines populations.

    Avec lapproche folklorique, les contes populaires sont collects, dcrits et classs. A la fin du

    XIXe sicle, lcole finnoise, laquelle appartenait Aarne, sest attache runir le plus grand

    nombre possible de variantes et de versions pour reconstituer un conte type archtypal. Pour

    AARNE, le conte-type est une organisation particulire de motifs qui se retrouve dans un certain

    nombre de contes appels variantes dont les modifications sont peu importantes et naltrent ni

    lagencement gnral ni lordre des motifs (GRG-KARADY, 1990 : 23-24). On cherchait

    alors tablir une sorte de cartographie de la diffusion de variantes dun conte, ce qui aurait

    permis didentifier son foyer de cration et de reconstituer peu peu le rcit originel , dans une

    optique que lon peut qualifier de gnalogique (ANGELOPOULOS & alii, 2005 : 12).

    Cette approche, outre le fait que les contes collects relvent souvent du rsum et quils sont

    rarement accompagns dinformation sur le conteur, a linconvnient dinduire une vision

    normative et hirarchisante, les versions recueillies tant considres comme des avatars plus ou

    moins dgrads du conte type originel.

    Cependant, lentreprise initie par AARNE (1910), rvise et complte par Thompson partir de

    1928 et dont ldition de rfrence est celle de 1961 (AARNE & THOMPSON, 1961/1981),

  • Chapitre I Des diverses approches du conte une ethnolinguistique discursive des textes littraires oraux

    33

    propose une classification des contes par thmes, lchelle internationale, qui constitue une base

    aux entreprises de recensement actuelles. Une nouvelle version de la classification Aarne-

    Thompson (AaTh), modifie, affine et considrablement enrichie, a paru en 2004 sous le nom de

    Aarne-Thompson-Uther (ATU). En France, ce travail de collecte et de classification aboutira la

    constitution de grands catalogues de contes effectue par Delarue puis Tenze (DELARUE &

    TENEZE, 1997/2002). La constitution de catalogues et la classification se poursuit aujourdhui

    pour des aires culturelles dlimites (nationales ou rgionales) partir de la classification

    internationale, souvent remise en cause dans la mesure o le matriel issu des collectes de terrain

    ne sajuste pas toujours au schma-type propos par lATU. Nous rendrons compte dans notre

    sixime chapitre de ces classifications dans la mesure o elles ont t reprises pour le domaine

    berbre dfaut dune catgorisation adquate, encore constituer et quelles permettront

    d identifier les contes de notre corpus un certain nombre de rcits rpertoris. Nous rendrons

    compte plus prcisment des limites de ce type de classification.

    1.2.2. Lapproche ethnologique/sociocritique

    Lapproche ethnologique/sociocritique initie par Boas, puis reprise par Benedict sappuie sur le

    postulat que le texte est miroir de socit. Lapproche ethnologique se concentre sur les socits

    dites primitives , alors que lapproche sociocritique sintresse aux socits industrialises.

    Lanalyse se veut descriptive et explicative. La vise fondamentale est de comprendre une socit

    donne travers le texte. Laire danalyse est alors le contexte par le texte, le plus petit lment

    danalyse est lindice rfrentiel, la question pose au conte peut se formuler comme suit : Que

    livres-tu du milieu qui te dit ?

    Le conte est considr comme explicatif de la socit qui le produit. Sous limpulsion de Boas,

    prcurseur du courant du culturalisme, lethnologue cherche dceler, sur le terrain, ce qui fait

    lunit de la culture. Chaque culture, au sens dun ensemble de comportements, de rfrences

    textuelles et de valeurs communes, est le produit dune histoire contingente. La culture sexprime

    travers les usages et savoirs conventionnels spcifiques un groupe, et parmi ces savoirs, les rcits

    issus de la littrature orale. Il faut noter que Boas est lun des premiers avoir soulign

    limportance davoir accs la langue de la culture que lethnologue tudie. Nous reviendrons sur

    cet aspect infra, lorsque nous aborderons le point de vue de lethnolinguistique. Nous prciserons

    galement le rapport existant entre le texte et le contexte culturel dans la section 4.1. de notre

    troisime chapitre.

  • Chapitre I Des diverses approches du conte une ethnolinguistique discursive des textes littraires oraux

    34

    1.3. Rintgrer le conte dans sa situation de production : lapproche pragmatique

    Lapproche pragmatique initie par Dundes, Ben-Amos et Hendricks part du postulat que les actes

    linguistiques doivent tre rinsrs dans le contexte de performance. Lanalyse se veut globalisante

    et sappuie notamment sur la philosophie du langage (Austin, Searle). La vise fondamentale est

    dnoncer les lois de constitution du texte . Lanalyse sintresse aux texte et contexte comme

    texte. Le plus petit lment de dcoupage est lacte de parole. La question pose au conte est la

    suivante : Quelle sorte de Texte es-tu ? . La prise en compte de la situation de narration des

    contes (metteur, rcepteur, situation de narration) dfinit lapproche pragmatique qui aurait pour

    but selon CHABROL (1973) de dcrire la situation de production et de rception du sens .

    DUNDES (1964), dans son article intitul Texture, Text and Context , tente une dfinition

    formelle du conte qui devrait tenir compte des trois niveaux suivants articuls lobjet : la

    texture , surface linguistique du texte, le texte , contenu tel quil peut tre rduit ou traduit et

    le contexte , cest--dire tout ce qui entoure lobjet et lui donne son sens. Lauteur distingue

    entre motifme , qui serait un motif gnrique (par exemple, la tromperie), et allomotif ,

    cest--dire toutes les formes de sa manifestation, selon la situation dnonciation lie un contexte

    culturel donn (change de bonnets, couvertures). Cette approche met laccent sur le lien entre la

    signification du texte et ses conditions dnonciation et envisage lactualisation des rcits dans leur

    dimension performantielle. Cette approche est dterminante, au mme titre que la prcdente, dans

    les fondements de lapproche ethnolinguistique que nous dvelopperons infra.

    1.4. Lapproche psychanalytique

    Lapproche psychanalytique, initie par Fromm, Rank et Roheim sappuie sur le postulat

    mthodologique que le texte est transparent. Lanalyse hermneutique sappuie sur les travaux de

    Freud. La vise fondamentale est dexpliquer les conflits humains. Laire danalyse est le gnotexte

    fantasmatique. Le plus petit lment de dcoupage est le symbole. La question pose au conte est

    celle-ci : Que rvles-tu de linconscient ?. Selon lapproche psychanalytique, associe de faon

    incontournable aujourdhui, au nom de BETTELHEIM (1976), le conte exprime sous une forme

    dtourne les conflits psychiques de la petite enfance. Il a une fonction initiatique et existentielle

    dans la mesure o il aide lenfant assumer les preuves psychiques et permet sa personnalit de

    se construire.

    Les frontires entre ces diffrentes approches ne sont videmment pas hermtiques, nombre de

    travaux sur le conte se rclament en ralit de diverses approches. Cette classification, en tant

    qutat des lieux des tudes menes avant 1980, nous a permis de dceler les principaux modes

    dapproche du conte.

  • Chapitre I Des diverses approches du conte une ethnolinguistique discursive des textes littraires oraux

    35

    2. Pour une ethnolinguistique discursive des textes littraires oraux

    Nous allons faire une place particulire un autre angle dapproche, non cit prcdemment, qui

    est celui de lethnolinguistique. Cette approche sarticule lanalyse du discours en raison de la

    dynamique texte/contexte et du rle accord laspect discursif.

    2.1. De lethnolinguistique

    2.1.1. Les fondations de lethnolinguistique

    Lethnolinguistique se caractrise par son interdisciplinarit et par le flou qui rgne parfois pour

    dlimiter son domaine, flou que lon retrouve dans les diffrentes nominations y rfrant :

    sociologie du langage, sociolinguistique, ethnolinguistique, anthropologie linguistique, linguistique

    anthropologique, etc. (daprs DUCROT & TODOROV, 1972 : 84). Nous allons tcher dy voir

    plus clair dans la nbuleuse ethnolinguistique et tenter den montrer la cohrence parce quil nous

    semble quelle existe bel et bien en exposant son dveloppement, ses assises thoriques, ainsi que

    ceux de la sociolinguistique, discipline connexe lethnolinguistique, laquelle elle est parfois

    assimile.

    Couplant approches linguistique et ethnologique, la question centrale laquelle tente de rpondre

    lethnolinguistique est videmment celle du lien entre la langue et la culture.

    Humboldt2 a mis un certain nombre dides de base, qui ont aliment la rflexion

    ethnolinguistique. Pour ce dernier, il existe un esprit de la langue, travers lequel on peut retrouver

    la faon de penser dun peuple. Chaque langue renfermerait une vision du monde irrductible, une

    crativit et un style propre. Elle permettrait lexpression dune conception du monde, par le biais

    dun codage particulier : le filtre de la construction grammaticale. La langue organise le monde

    environnant, selon des catgories qui lui sont particulires. Il en est ainsi de la catgorie du genre,

    des pronoms (dont la distribution diffre dune langue lautre), du temps, de lespace, etc.

    Humboldt, tout en mettant en vidence la particularit des langues, sintresse aussi la dimension

    universelle du langage : chaque langue dans des structures diffrentes exprimerait un entendement

    universel, elle aurait la possibilit de tout exprimer.

    Boas, que nous avons voqu supra en tant quinitiateur de lapproche ethnologique des textes de

    littrature orale, sinspire des ides de Humboldt et pose les bases du relativisme linguistique. Il

    met en vidence le particularisme de chaque culture et de chaque langue ce qui est la base du

    courant culturaliste en anthropo/ethnologie sur lequel nous reviendrons dans la section 3.1.1. du

    2 - Linguiste et philosophe allemand (XVIIe- XVIIIe sicles)

  • Chapitre I Des diverses approches du conte une ethnolinguistique discursive des textes littraires oraux

    36

    chapitre III tout en affirmant comme Humboldt, que toutes les langues se valent, dans le sens o

    toute langue peut tout dire avec ses ressources propres. Boas sintresse au systme de

    classification des langues et met en vidence le fait que les langues ne divisent pas le monde de

    faon homogne, il en est ainsi des classifications animales, vgtales dont la terminologie diffre

    dune langue lautre. Il sintresse galement aux catgories (tel que le genre) qui varient dune

    langue lautre et p