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Revue Organisation et Territoire n°2, 2016
Positionnement marketing et développement de la ville de Casablanca en
tant que destination touristique
Mostafa ABAKOUY
Enseignant-chercheur à l’Ecole Nationale de Commerce et de Gestion de Tanger
(Université Abdelmalek Essaâdi) [email protected]
Majda KHATIB
Doctorante au Groupe de Recherche en Entrepreneuriat, Finance, Audit et Marketing, Ecole
Nationale de Commerce et de Gestion de Tanger (Université Abdelmalek Essaâdi)
Résumé
L’objectif de cet article est d’étudier la relation entre le positionnement marketing et
l’attractivité touristique des territoires.
Connue pour son attraction pour les entrepreneurs, la ville de Casablanca pourrait-elle
constituer une destination touristique ?
Sur la base d’une étude de cas approfondie sous une approche qualitative, nous sommes
arrivés à des résultats selon lesquels le « basculement » de la ville de Casablanca dans la
sphère touristique est conditionné par l’adoption d’un nouveau paradigme, en lien
essentiellement avec la concertation avec les parties prenantes, le développement d’une
identité au sein d’une marque partagée, la mise en place d’une nouvelle gouvernance locale,
le développement d’un marketing viral et personnalisé, l’inspiration des vertus du marketing
expérientiel.
Mots-clés : marketing territorial, tourisme, Casablanca.
Abstract
The purpose of this paper is to study the relationship between market positioning and tourism
attractiveness of territories.
Known for its attraction for entrepreneurs, Could Casablanca city be a tourist destination?
Based on a thorough case study in a qualitative approach, we arrived at the findings that the
change of the city of Casablanca to the tourist sphere is conditioned by the adoption of a new
paradigm, linked mainly with consultation with involved parties, the development of an
identity within a shared brand, the establishment of a new local governance, the development
of viral and personalized marketing and the inspiration of the virtues experiential marketing.
Key-words: Territorial marketing, tourism, Casablanca.
Revue Organisation et Territoire n°2, 2016
Introduction
Aujourd’hui, l’industrie touristique est devenue une composante capitale dans le monde
économique et est souvent entendue comme un secteur prospère pour lequel l’image et la
communication sont aussi importantes que les infrastructures. Dans un contexte globalisé, ou
les marchés sont de plus en plus concurrentiels, les destinations cherchent à se distinguer par
tous les moyens, usant de plus en plus les notions d’altérité, d’identité et d’image.
La mobilité croissante des facteurs de production, l’accroissement des accords de libre-
échange, mais aussi la multiplication des offres proposées aux investisseurs internationaux,
touristes ou encore organisateurs d’événements professionnels, les villes, régions ou pays font
face à une intensification de la compétition internationale. De même, les clients existants et
potentiels ont des exigences croissantes et de plus en plus personnalisées.
Que faire dans un tel contexte pour défendre et renforcer son attractivité ? Comment attirer
plus d’activités, promouvoir ses compétences territoriales ou encore conserver ses industries
et emplois ? Les territoires doivent identifier leurs éléments de différenciation face à leurs
concurrents, que ce soit en matière de prix ou de qualités spécifiques. Pour améliorer la
position concurrentielle de leurs territoires, les responsables locaux s’interrogent sur les voies
et moyens de faire évoluer leurs offres territoriales pour être plus compétitifs (Michalet,
1999).
Face à ces interrogations, le marketing territorial propose aux décideurs une approche globale
permettant de valoriser les facteurs d’attractivité de villes, intercommunalités, départements,
régions ou villes (Noisette et Vallerugu, 1996).
Au Maroc, la décision de décentralisation a mis les collectivités territoriales à rude épreuve,
elles deviennent acteurs des performances et du développement. Ceci a engendré une
concurrence rude et acharnée entre les territoires du même pays et nécessite donc une
réflexion stratégique autour des pratiques du marketing territorial afin de s’inscrire dans une
logique de compétitivité nationale et internationale
La ville de Casablanca représente le moteur de l’activité économique du Maroc. Elle jouit en
effet d’une place considérable dans la sphère économique et politique du pays, c’est pour cela
que le développement de la ville nécessite un marketing stratégique approprié orienté vers un
positionnement marketing adapté. Il s’agit de chercher un positionnement pour la ville sur un
marché à dimension mondiale. En termes de tourisme, Casablanca reste essentiellement une
destination business affaires (foires et salons, congrès). Mais combien connaissent vraiment
la ville, son patrimoine, ses atouts touristiques ? La métropole, qui ambitionne de devenir une
ville-monde, est confrontée à remédier à ce déficit en termes d’image.
Le présent article a pour objectif de traiter du marketing territorial de la ville de Casablanca
en mettant l’accent sur le secteur du tourisme et plus particulièrement analyser le
positionnement marketing de la ville non pas en tant que destination privilégiée des
investisseurs et entrepreneurs mais plutôt en tant que destination ayant des potentialités qu’il
faudrait mettre en valeur pour améliorer son attractivité.
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Nous allons dans un premier lieu faire un survol de la revue de littérature du marketing
territorial en mettant l’accent sur le positionnement marketing des destinations touristiques et
ses principales variables puis nous allons exposer la méthodologie de recherche et les résultats
de l’étude qualitative menée sur la ville.
I. Marketing et destinations touristiques
Dans cette première partie, nous présenterons un rappel des spécificités du marketing
territorial et une analyse des enjeux des destinations touristiques.
1.1. Le marketing territorial
Dans un environnement national et international, où les collectivités territoriales sont en
concurrence pour attirer entreprises et investissements, les villes ne peuvent pas agir en
aveugle pour parvenir à cet objectif (Clerc, 2008). Le développement économique est devenu
un impératif pour les collectivités, ces collectivités sont responsables en partie de ce
développement.
En se référant à Michel Wieviorka (2001), le terme «marketing territorial» est apparu en 1975
et, depuis, il a eu des évolutions sur le plan théorique aussi bien que sur le plan pratique et
ceci est relié aux préoccupations majeures qu’avait l’espace, ou plus exactement les
territoires, à cette époque. Il ne s’agissait pas uniquement de promouvoir ou de vendre le
territoire mais de soigner et de développer ses qualités naturelles et le potentiel des régions. A
partir des années 80, le marketing territorial était beaucoup plus associé au développement
urbain, mais il est primordial de souligner à ce propos que le vrai sens de ce néologisme n’est
conçu qu’à travers le premier livre d’Ashworth et Voogd (1990) intitulé "Selling the city:
Marketing approaches in public sector planning" (Lovelock et Lapert, 1999).
Dès lors, le marketing territorial détenait et détient encore une place importante notamment
concernant l’attractivité et la compétitivité territoriale. Ainsi, ce concept pourrait être désigné
comme étant "l’effort de valorisation des territoires à des marchés concurrentiels pour
influencer, en leur faveur, le comportement de leurs publics par une offre dont la valeur
perçue est durablement supérieure à celle des concurrents. Cette activité est généralement
pilotée par des agences de développement pour le compte d’autorités publiques ou d’acteurs
privés" (Gollain, 2008).
Dans une démarche stratégique, le marketing territorial consiste à étudier les comportements
et les besoins des cibles fondamentales et les stratégies permettant de mettre en avant l’image
du territoire et ses facteurs d’attractivité. Tout cela afin de pouvoir positionner le territoire sur
le vaste marché de l’investissement. Une collectivité territoriale ne peut engager des actions
sans identifier son territoire et sans prendre en compte les comportements existants vis à vis
de ce territoire. Elle doit, en effet, connaître les besoins des investisseurs, comprendre leurs
motivations et leur manière de procéder, d’une part, et, d’autre part, elle a besoin de se
connaître elle même, d’évaluer son image et les avantages qu’elle peut offrir aux
investisseurs. Ce n’est qu’à partir de là qu’elle pourra agir.
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1.2.Particularités du marketing territorial
D’aucuns distinguent le marketing territorial du marketing commercial. Cependant, le
marketing peut servir le territoire pour mieux mettre en valeur ses avantages comparatifs
(Benko, 1999). Les dirigeants locaux doivent tenir compte de l’obligation de générer une
prospérité économique pour combattre le chômage, éviter la désertion des espaces industriels
et l’exode de la population. Cela entraîne des différences dans la gestion du marketing
territorial par rapport à celui des entreprises.
Tableau n° 01 : Les caractéristiques du marketing territorial
Marketing de
produit
Marketing des
services
Marketing territorial
Client Client utilisateur
du
Produit
Client co-
producteur du
Service
Client acteur du
territoire (entreprises
ou citoyens)
Offre Produit Service Offre territoriale
multidisciplinaire
Prix Prix simple Prix simple Investissement
(foncier, immobilier)
et
fonctionnement
(ressources humaines,
fiscalité, …)
Canaux de
distribution
Force de vente
et grande
Distribution
Réseau d’agence
avec un
personnel en
contact
Plusieurs niveaux :
Politique, équipe
de développement
économique,
entreprises existantes,
…
Mesure de
la
performance
Qualité du
produit
Qualité du service Mesure tangible et
intangible de la
satisfaction des
entreprises et citoyens
Source : « Marketing territorial : Un Mix marketing produit et de marketing des services »,
Fiches pratiques du développement économique n°47, octobre, 2003.
Les territoires utilisent à présent le même raisonnement que les entreprises. Ils vont même
jusqu'à utiliser les mêmes outils, les mêmes méthodes dans le seul but de se démarquer de
leurs concurrents. L'enjeu du territoire est de « constituer l'excellence locale face à la
concurrence » (Gollain, 2010).Pour cela il existe de nombreux outils comme :
Des outils de connaissance: statistiques, enquêtes, analyse SWOT, analyse PESTEL
etc.
Des outils de pilotage: marketing stratégique (segmentation/ciblage/positionnement),
marketing-mix, évaluation.
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Les outils d’action: promotion, mobilisation des acteurs locaux, aménagement,
amélioration de l'offre locale...
Cependant, le « copier/coller » de cette pratique n'est pas systématique et ne devrait pas l'être
puisqu'il entraîne une certaine efficience et uniformisation du marketing territoriale.
Le développement d'un territoire répond à des logiques différentes du développement des
entreprises. Il n'est pas possible de maîtriser entièrement les facteurs d'un territoire et son
image (bonne humeur des habitants, accueil professionnel, météo...). Les actions proposées
par les territoires au sein de leurs stratégies sont généralement de l'ordre de l'environnement
entrepreneurial. Chaque territoire est unique et possède ses propres particularités, l’enjeu est
donc de personnaliser la démarche, différencier les outils mais aussi comprendre que la
démarche est complexe et nécessite une réflexion approfondie de la part de tous les acteurs
afin de se concerter sur le positionnement adéquat.
1.3. La destination touristique, enjeux de positionnement
A l’image d’un produit, une destination présente des caractéristiques objectives (climat,
composition du tissu économique, position géographique, histoire,...) sur lesquelles elle peut
s’appuyer. Son image est plus ou moins bonne dans l’esprit du public. Le positionnement, qui
consiste à privilégier certaines dimensions combinées, constitueront la «carte génétique» du
produit concerné, est tout à fait applicable aux villes. Dans ce contexte concurrentiel accru,
communiquer sur les infrastructures et la qualité de vie n’est plus suffisant, même si beaucoup
de villes s’en contentent (Hatem, 2004). Positionner une ville, c’est la « mettre en valeur, de
manière optimale (par ses avantages (réels ou perçus) les plus différenciateurs, par rapport
aux collectivités définies comme concurrentes à l’attention des publics pour lesquels cette
différence est motivante. En premier lieu, il faut donc choisir les cibles de la communication.
Une ville est confrontée à une multitude de segments de publics qu’il faudra un jour
convaincre du bienfondé de la politique qu’elle poursuit (Clerc, 2008). Il faut ensuite
déterminer l’image de la ville que l’on veut promouvoir. II s’agit d’opter pour une stratégie de
différenciation qui vise à donner une identité authentique la ville de telle sorte qu’elle
obtienne une place précise dans la conscience des individus (Lendrevie et Levy, 2013), qu’ils
soient décideurs, électeurs, relais d’opinions, prescripteurs, investisseurs, habitants, touristes,
etc.
Si le positionnement marketing produit est un exercice complexe et risqué, les destinations
touristiques n’en font pas l’exception. En effet, positionner une destination touristique
nécessite une réflexion approfondie de toutes les parties prenantes et une prise en
considération de toutes les composantes de l’offre (Identification des points d'attractions
majeurs, analyse de l'environnement : destinations proches, accès et dessertes ...) et de la
demande touristique (Qualification des clientèles, tranches d'âges, zones de chalandises par
type de séjour, perception de la destination, image et représentation qu'elle évoque au
consommateur, analyse des attentes en termes d'offre et de services, analyse des motivations
et des freins à consommer la destination, des centres d'intérêts ,analyse du comportement...).
Une destination touristique est définie comme une zone géographique disposant de
ressources attractives pour les visiteurs extérieurs. Dans la mesure où « tout peut devenir un
attrait touristique » dans un espace donné (Cazelais, 2000), ce sont les efforts stratégiques
déployés par l’équipe dirigeante pour assurer la mise en produit touristique des ressources
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attractives d’un territoire qui attribut à ce dernier le statut de destination touristique. Plus
précisément, selon l’Organisation Mondiale du Tourisme (OMT, 2004) : « une destination
touristique locale est un espace physique dans lequel un visiteur passe au moins une nuit. Elle
inclut des produits touristiques tels que des services de soutien et des attractions, et des
ressources touristiques accessibles en une journée. Elle a des frontières administratives et
physiques qui définissent son management. Sa compétitivité dépend de son image et de la
perception qu’en ont les visiteurs ».
La majorité des recherches relatent qu’une destination touristique est conditionnée par la
conjugaison des variables en lien avec les parties prenantes, l’identité territoriale, le marketing
expérientiel et le marketing viral.
1.3.1. Les parties prenantes : acteurs essentiels dans le développement d’une
destination touristique
La destination est un produit touristique complexe dans le sens où elle combine sur un
territoire des facteurs attractifs qui stimulent le déplacement et sont à l’origine du niveau de
satisfaction des touristes. Selon Maunier (2007), la destination est également un système dans
lequel une pluralité d’acteurs publics et privés interagit. Les finalités de ces acteurs parce
qu’elles divergent, doivent être étudiées afin de déterminer les moyens d’atteindre un niveau
de performance qui soit partagé par tous. Il s’agit alors de porter une attention particulière à
l’ensemble des produits et des situations organisationnelles, dans la mesure où ils forment un
tout. Les relations tripartites entre les sous-systèmes « organisations publiques », « structures
privées » et « demande touristique » du système destination. Les collectivités territoriales ont
donc pris conscience qu’elles avaient un rôle à jouer dans le marketing des destinations et que
celui ici ne pouvait être pris en charge uniquement par le seul secteur privé (Keller, 1998). La
coordination des actions de chacun mène en effet à aboutir à des actions marketing plus
cohérentes.
1.3.2. Importance de l’identité dans le positionnement de la ville
D’après Chaduteau (2003), la marque est un actif intangible essentiel parce qu’elle est un
moyen d’acquérir de nouvelles clientèles mais aussi un moyen de se différencier et de
fidéliser les touristes. Ceux-ci sont ainsi souvent attirés par la notoriété du lieu. L’application
du concept de marque aux destinations est toutefois délicate dans le sens où la marque peut
être associée à un espace ou à un offreur. La destination est ainsi composée de multiples
marques individuelles (Lumsdon, 2000). La politique de marque a dans ce cadre pour objet de
construire et de protéger la réputation de la destination, c’est-à dire « son identité » (Brent et
Brent, 1998). Décrite par Holloway et Robinson (1995) comme « un nom, un signe, un
symbole ou autre motif, ou leur combinaison », la marque permet d’identifier le produit d’une
organisation et de la distinguer de ses concurrents. Dans le cas des destinations, c’est souvent
le nom et le logo attaché à une unité territoriale qui jouent le rôle de cette marque. Ils visent à
transmettre l’expérience de voyage unique que le touriste est censé vivre dans la destination.
Cette expérience commence dès que le touriste développe une intention de visite. Elle perdure
avec l’usage des services durant le séjour et sa mémorisation, une fois que le touriste est de
retour chez lui (Laws, 1995).
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1.3.3. Le marketing viral et expérientiel : vers une meilleure attractivité d’une
destination touristique
L’expérience touristique dispose ainsi des valeurs sensorielles, émotionnelles, cognitives et
relationnelles (Medlik 1991), que la marque doit tenter de communiquer. En se basant sur les
principes du marketing expérientiel, les organisations officielles ont alors intérêt à proposer
au-delà des attributs fonctionnels de la destination, une expérience de consommation qui
éblouisse, touche et stimule les visiteurs sur le plan intellectuel et émotionnel. A travers les
thématiques de voyage et l’immersion du touriste dans la culture locale (parcours à thèmes,
festivals, découverte de lieux historiques, des traditions, etc.) la destination doit être capable
de surprendre agréablement le touriste et lui proposer une expérience mémorable. Ce sont
donc à la fois l’identité orale et visuelle de la destination, l’association des produits et
services, l’environnement et les individus, etc. qui vont créer l’expérience.
Certains moyens spécifiques sont notamment utilisés par les responsables des territoires
d’accueil pour tenter de mettre en scène la marque (les webcams, les festivals, etc.). Ils
permettent de maintenir l’attractivité de la destination qui est mise en désir de façon
permanente. Les sites Internet des offices de tourisme ont cette perspective, un rôle
d’incitation à la décision et représentent en partie la marque. En fournissant de l’information
et/ou en permettant au touriste de préparer son voyage, ces sites participent à l’expérience du
touriste, celle-ci commençant bien avant son arrivée dans la destination.
II. Faire de Casablanca une destination touristique : une construction à tâtons
Fondé sur une étude empirique de la ville de Casablanca, l’objectif de ce paragraphe est de
présenter et de discuter les résultats auxquels nous sommes arrivés. Mais, au préalable, nous
estimons opportun de rappeler le canevas de notre recherche.
2.1. Méthodologie de recherche
Etant la ville de contraste par excellence, la ville de Casablanca requiert une grande
prudence et beaucoup de créativité dans la démarche marketing. En réalité, la ville joue le rôle
de locomotive économique du Maroc. Elle occupe la première place en matière d’attrait des
investissements dans le pays avec 31% des unités industrielle et 38% des emplois dans
l’industrie (Belkadi, 2015). Cette place de premier plan au niveau économique cache plusieurs
disparités sur le plan humain et social. Mais qu’en est- il du tourisme dans la ville ? Quel rôle
occupe ce secteur dans le développement de la ville et est ce que la ville pourrait – être
considérée comme destination touristique ? Etant une destination d’affaires de premier choix,
la ville de Casablanca pourrait-elle afficher une face touristique ?
Pour répondre à cette problématique, il est indispensable d’analyser le positionnement
marketing de la ville de Casablanca sur un plan touristique. Pour ce faire, nous avons réalisé
une étude qualitative basée sur les entretiens semi directifs sur un échantillon de vingt (20)
organisations réparties entre le secteur public, la sphère privée, touristes et habitants natifs de
la ville. Le but de cette étude est d’étudier l’interaction entre ces différentes parties prenantes
en vue de faire de la ville de Casablanca une destination touristique au delà de son image de
ville d’affaires.
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Notre problématique de départ découle en effet du fait que la ville de Casablanca pourrait
présenter des attraits touristiques sur lesquels elle peut communiquer afin de devenir une
destination touristique. Pour ce faire, l’étude a porté sur des segments différenciés afin d’avoir
une vision plus large de la problématique traitée.
Tableau 2 : Les répondants à l’étude qualitative
Organismes publiques Marchés privés Associations et autres
Centre régional de tourisme
de Casablanca (CRT)
Hoteliers : Sheraton
Casablanca, Hyatt
Regency,Val d’Anfa, Kenzi
Tower, Royal Mansour
Association Marocaine du
Marketing et de la
Communication
La délégation de tourisme de
Casablanca
Agences de voyages : Atlas
Voyages, Holiday Services
Association des lauréats de
l’Institut Supérieur
International de Tourisme
Le centre régional
d’investissement
PME Touristiques : 2
restaurateurs, 3 Prestataires
de transports touristiques
2 Touristes Européens
1 Habitant natif de la ville
Cette diversité des profils interrogés est dictée par la nécessité d’observer de plus près la
présence des éléments nécessaires à l’aboutissement d’un positionnement marketing adéquat
prenant en considération les variables qui peuvent mettre en valeur la ville et la considérer
comme destination touristique.
2.2. Discussion des résultats
L’analyse de contenu réalisé via les entretiens semi-directifs fait tout d’abord apparaître un
certain nombre de difficultés relatives au marketing de la destination Casablanca. Bien que
les agents interrogés aient conscience que le tourisme est l’un des volets qui peut garantir
l’emploi et améliorer les conditions de vie dans la ville, le frein majeur du développement
touristique de la ville de Casablanca est sa démographie importante et les contraintes
associées en termes d’aménagement du territoire et d’emploi. Ceci nous pousse à conclure
que le tourisme est placé en second lieu puisque la priorité est accordée beaucoup plus à
l’industrie et aux services.
Ayant fait une comparaison entre les différents discours des acteurs opérant dans le secteur,
nous avons remarqué une discordance entre les propos. En effet, le développement touristique
de ce territoire semble être freiné par une incohérence entre les actions menées et par un
développement non harmonieux du territoire. Il s’agit plutôt pour certains d’une politique
volontariste alors que pour d’autres, la mise en valeur touristique souffre d’incohérences ou
d’incompatibilité entre la vision et les objectifs à court terme.
Sur le même registre, les acteurs de la sphère privée, notamment les hôteliers et prestataires de
services touristiques estiment qu’ils ne sont pas impliqués dans la prise de décision quant aux
stratégies territoriales par les collectivités territoriales, les partenariats se limitent
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essentiellement dans l’organisation d’événements …Ces derniers considèrent notamment que
les actions sont menées individuellement sans prendre en considération la destination dans sa
globalité. La population locale n’est guerre placée au centre des projets de grande importance.
Les responsables du développement touristique rencontrent de ce fait, des difficultés dans la
mise en valeur des atouts touristiques.
Dans cette enquête, les répondants s’estiment insuffisamment consultés par les collectivités
locales. Ils désirent pourtant participer activement aux décisions concernant les
aménagements réalisés en faveur du tourisme qu’ils considèrent souvent comme inadaptés.
Pour ces prestataires touristiques, la coopération publique-privée est possible en amont de la
mise en œuvre des projets en faisant participer les acteurs privés aux débats et à l’élaboration
des projets. Les professionnels disent mieux connaitre les besoins et attentes du marché et
posséder le savoir et le savoir faire nécessaires pour spécifier les aménagements à réaliser en
priorité.
Certains sont également disposés à se regrouper pour promouvoir leurs activités et gérer plus
efficacement les sites touristiques. Ils ont ainsi la volonté de coopérer davantage à travers des
mesures de concertation, de coproduction et d’échanges de bonnes pratiques mais veulent être
davantage informés, aidés et consultés par les acteurs publics.
En ce qui concerne l’identité de la ville, on remarque aussi une incohérence entre les propos
des répondants. Les preneurs de décisions en matière de tourisme de la ville estiment que les
efforts devraient se focaliser sur le segment « affaires » et accorder une importance minime
aux autres segments de tourisme notamment le culturel ou le balnéaire. Ceci n’est pas partagé
par les hôteliers et les touristes qui estiment que Casablanca dispose d’attraits touristiques
dont elle devrait communiquer pour améliorer son offre touristique. Cette divergence fait
ressortir l’incohérence en termes d’image touristique.
Le marketing viral de la destination repose selon les répondants sur les sites des organisations
publiques qui communiquent autour de la ville, un grand déficit en terme d’utilisation des
nouvelles technologies de communication et de l’information se voit clairement dans la
perception des sites par les touristes ou habitants néanmoins traduit par l’incohérence des
messages véhiculés par les différents acteurs. Ces derniers estiment également que la ville
n’est pas un lieu où l’on peut vivre une expérience inédite ou originale ; elle fait ressortir des
traits d’identité relatifs à un aspect pécuniaire plutôt que chaleureux ou accueillant. Ceci a été
remis en cause par les professionnels du secteur qui estiment que la ville dispose d’attraits
touristiques sur lesquels on ne communique pas assez et qui peuvent notamment faire de la
ville une destination touristique privilégiée.
L’étude réalisée fait ressortir la conclusion suivante : Casablanca ne peut constituer une
destination touristique que si toutes les parties prenantes ont conscience de l’importance de
plusieurs variables nécessaires dans le basculement de la ville dans la sphère touristique. Nous
pouvons donc avancer que sans la concertation de tous les acteurs responsables au
développement du secteur touristique, l’adoption d’un nouveau paradigme orienté vers une
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bonne gouvernance locale, une stratégie d’identité bien étudiée, des partenariats publics
privés, positionner la ville en tant que destination touristique reste un « mythe ».
Conclusion
Casablanca est une ville ayant plusieurs spécificités qui doivent être prises en considération
dans la réflexion marketing. Par rapports aux grandes métropoles qui se sont investies dans le
marketing territorial, la ville souffre d’un ensemble de problèmes qui enfreignent la politique
de la ville.
Au terme de cette étude, nous ne pouvons qu’avoir conscience de son caractère incomplet. Il
est évident qu’elle reste à parfaire et à enrichir et qu’elle souffre de plusieurs insuffisances,
mais nous estimons tout de même qu’elle a montré comment Casablanca pourrait constituer
une destination touristique et par quelles variables ce changement de positionnement
marketing il est conditionné.
Chez les destinations touristique les plus performantes, tout est, et tout sera, en effet, de plus
en plus mis en lien: liens entre l’identité et le marketing, entre le territoire et les entreprises,
les visiteurs et les citoyens, liens entre les objectifs stratégiques poursuivis et les actions, liens
entre la marque, les portes d’entrée du territoire et les offres du territoire, liens entre la
marque, les entreprises, les ambassadeurs et les membres des communautés, liens entre la
marque et l’ensemble des fonctions, actions et supports opérationnels du marketing, liens
entre chaque «media» ou support de communication avec l’ensemble de l’écosystème de
marque, liens par la communication virale, le partenariat et les effets de levier…
La gestion du pouvoir attractif en matière de tourisme des régions est un processus à long
terme composé d’une série d’étapes inter reliées. La qualité des choix effectués à chacune
d’elles aura un impact important sur la capacité de la ville à attirer des touristes, mais aussi
sur les coûts nécessaires pour y parvenir.
Alors que le travail collaboratif est privilégié dans le positionnement marketing d’une
destination, il semble être freiné par un manque de structures et d’outils lui permettant d’être
efficace. Il est alors possible de s’interroger sur les difficultés de mise en réseaux des
partenaires publics et privés alors même que celle-ci se développe aisément dans certains
secteurs touristiques (dans les transports, l’hôtellerie, etc.).
Il importe donc d’être proactif dans l’implantation d’une stratégie de marketing plutôt que de
devoir réagir d’urgence au déclin des démarches traditionnelles.
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