Populisme médiatique made in Japan -...

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1 Institut d’Etudes Politiques de Paris Master recherche – politique comparée mention Asie 2009-2010 Populisme médiatique made in Japan La stratégie de communication de Koizumi Junichirô lors de l’élection de 2005 Xavier MELLET Sous la direction de Jean-Marie BOUISSOU Shishirô

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Institut d’Etudes Politiques de Paris Master recherche – politique comparée mention Asie

2009-2010

Populisme médiatique made in Japan La stratégie de communication de Koizumi Junichirô lors de l’élection de 2005

Xavier MELLET

Sous la direction de Jean-Marie BOUISSOU

Shishirô

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Remerciements

Je tiens premièrement à remercier mon directeur, Jean-Marie Bouissou, d’avoir

consacré beaucoup de temps à relire mes textes avec attention, mais aussi de m’avoir

fait part de ses conseils de méthode et de son savoir encyclopédique sur le Japon.

Je remercie ensuite mes relecteurs. Ma compagne, Camille Argiewicz, pour son

amour des phrases bien écrites ; mon papa, Jean-Marie Mellet, pour sa méticulosité à

traquer les fautes d’orthographe et de mise en page ; et Alexandra Marchesin, qui m’a

permis de déceler les dernières erreurs.

J’adresse aussi mes profonds remerciements aux équipes parisiennes des

quotidiens japonais Yomiuri et Nikkei. Leur accueil et leur gentillesse ont grandement

facilité mon étude de la campagne de 2005.

Je remercie enfin les professeurs Dominique Colas et Dominique Boullier qui

ont contribué à enrichir ma réflexion.

Remarques préliminaires Les traductions en français de citations ou titres de documents en anglais ou

japonais sont le fait de l’auteur.

Les noms propres japonais sont écrits selon l’usage dans le pays. D’abord le nom,

ensuite le prénom. C’est le cas de Koizumi Junichirô.

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Sommaire

– INTRODUCTION – _______________________________________________________ 7 Succès du populisme médiatique au Japon ________________________________________________7 Le populisme comme positionnement rationnel sur un marché politique _____________________ 8 Le populisme comme réponse à une crise de légitimité politique ____________________________ 10 Le populisme médiatique comme technique marketing ____________________________________ 12 Le populisme médiatique comme « Big Mac » ____________________________________________ 13

01 - Le Japon, nouvelle terre d’accueil du populisme médiatique. Les

changements des années 1990 _____________________________________________ 15

A - Les institutions – du théâtre démocratique à la démocratie théâtrale __________ 16 1. Le « système de 1955 » _____________________________________________________________ 17

1.1 Le « théâtre démocratique » ______________________________________________________ 17 1.2 La faiblesse du pouvoir exécutif ___________________________________________________ 18

* Le Premier ministre aux mains de son parti ________________________________________ 18 * Le Premier ministre aux mains des parlementaires __________________________________ 18

1.3 L’atomisation des enjeux politiques ________________________________________________ 19 * Les campagnes électorales fermées sur les enjeux locaux _____________________________ 19 * L’absence de cohérence programmatique nationale _________________________________ 20

2. La « présidentialisation » du système politique _____________________________________ 21 2.1 L’émergence d’enjeux nationaux __________________________________________________ 21

* Le nouveau mode de scrutin : nécessité des grands partis _____________________________ 21 * Les « manifestes » : cohérence programmatique nationale ____________________________ 22 * Le PDJ renverse les règles _______________________________________________________ 22

2.2 Le renforcement du pouvoir exécutif ______________________________________________ 23 * Le poids du Cabinet sur l’administration ___________________________________________ 23 * Le poids du Premier ministre sur son parti _________________________________________ 23

B - Les médias – du supporter discret au « darwinisme charismatique » ___________ 24 1. La neutralité des médias __________________________________________________________ 25

1.1 Un très grand potentiel pour l’entrepreneur politique… _______________________________ 25 * Les empires médiatiques ________________________________________________________ 25 * La grande liberté des médias _____________________________________________________ 25 * Les médias respectés et influents ________________________________________________ 26

1.2 … restreint par trois biais _______________________________________________________ 26 * Une loi électorale très stricte _____________________________________________________ 27 * Le « code d’éthique du journalisme » : éloge de la neutralité __________________________ 27 * La complicité des médias avec le pouvoir : le « système de clubs de reporters » __________ 27

1.3 La critique supportrice du pouvoir _______________________________________________ 28 2. Le « darwinisme charismatique » _________________________________________________ 29

2.1 Les transformation des médias___________________________________________________ 29 * La diversification de l’information politique _______________________________________ 29 * L’essor de la politique spectacle _________________________________________________ 30 * L’émergence d’Internet _________________________________________________________ 31

2.2 Le « darwinisme charismatique » : nouvelle bataille médiatique _______________________ 31

C - Les mentalités – du mythe national au mythe du sauveur _____________________ 32 1. La crise identitaire _______________________________________________________________ 32

1.1 La fin d’un modèle économique égalitaire ___________________________________________ 32 1.2 La crise identitaire ______________________________________________________________34 1.3 La démocratisation du charisme __________________________________________________ 35

2. La crise politique ________________________________________________________________ 36 2.1 La classe politique discréditée par des scandales ____________________________________ 36 2.2 Le Japon en quête d’un homme providentiel ________________________________________ 37

* Les trois tentatives d’incarnation du changement politique ___________________________ 37 * Les trois caractéristiques du sauveur japonais des années 1990 _______________________ 38

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02 - Koizumi Junichirô, un leader charismatique made for Japan. Une recette universelle adaptée au goût japonais ______________________________________ 39

A - Koizumi Junichirô, leader charismatique ___________________________________ 42 1. Du politicien traditionnel au lion déterminé _______________________________________ 42

1.1 Cultiver sa différence __________________________________________________________ 42 * De l’héritier à l’outsider ________________________________________________________ 42 * L’« homme bizarre » de la vie politique japonaise __________________________________ 44

1.2 Le lion réformiste ______________________________________________________________ 45 * Un « charisme messianique » tourné vers la « réforme » _____________________________ 45 * La métaphore du lion __________________________________________________________ 46

1.3 La détermination mise en scène __________________________________________________ 47 * Koizumi Junichirô comme leader « césariste » _____________________________________ 47 * La détermination montrée par la communication « non verbale » _____________________ 48

2. La sincérité par le facteur privé : « charisme populiste » ____________________________ 49 2.1 Désacraliser la politique : une sincérité fabriquée ___________________________________ 49

* Un chef qui ressemble à son peuple ______________________________________________ 49 * La newsletter « Lion Heart » ____________________________________________________ 50

2.2 Sacraliser le chef : l’idole et ses avatars _____________________________________________ 52 * L’idole des jeunes, et des femmes _________________________________________________ 52 * Les alliés charismatiques ________________________________________________________ 53 * Les produits dérivés ____________________________________________________________ 55

2.3 Susciter l’empathie : l’enfant Koizumi Junichirô ____________________________________ 56

B – Ethologie du leader charismatique – idéologie, discours et mise en scène _____ 58 1. La légende du leader charismatique _______________________________________________ 58

1.1 Des discours simples et authentiques _____________________________________________ 58 * Des discours simples __________________________________________________________ 58 * L’authenticité par le syllogisme __________________________________________________ 58

1.2 Les vertus du manichéisme _____________________________________________________ 59 * La politique comme discrimination de l’ami et de l’ennemi ? _________________________ 59 * L’ennemi comme reflet du pouvoir du chef : les « forces de la résistance » ______________ 60

1.3 La centralité du chef ____________________________________________________________ 61 * Le populiste médiatique ne laisse personne indifférent _______________________________ 61 * Koizumi Junichirô en héros de fiction ____________________________________________ 62

2. L’idéologie au service du populisme : nationalisme et néolibéralisme ________________ 63 2.1 Le nationalisme d’un homme déterminé __________________________________________ 63 2.2 Koizumi Junichirô dans la famille des néolibéraux-populistes ________________________ 66

* Le culte de l’efficacité __________________________________________________________ 66 * Le culte de l’effort _____________________________________________________________ 67 * Le culte de la réussite personnelle _______________________________________________ 68

2.3 Le bon usage politique de la privatisation _________________________________________ 69

03 - La campagne électorale de 2005 : victoire du marketing politique. « Kit Ikea

de l’élection » et « démocratie plébiscitaire » appliqués au Japon _____________ 71

A - La « démocratie plébiscitaire » : exigence du marketing ? ____________________ 74 1. Une élection originale ___________________________________________________________ 74

1.1 L’intérêt pour le scrutin converti en sièges _________________________________________ 74 * Un niveau d’intérêt très élevé ___________________________________________________ 74 * La victoire mécanique du mode de scrutin _________________________________________ 75

1.2 Une victoire « à l’extérieur » pour le PLD ___________________________________________ 75 * Victoire dans les villes, défaite dans les campagnes __________________________________ 75 * La progression chez les électeurs flottants_________________________________________ 76 * La conquête in extremis des indécis ______________________________________________ 76

2. Le marketing politique au service du chef __________________________________________ 77 2.1 Le « kit Ikea de l’élection » _______________________________________________________ 77

* La « proposition de vente unique » : une nécessité électorale __________________________ 77

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* L’« effet d’agenda » : faire danser les médias _______________________________________ 78 2.2 La « team Koizumi » et ses priorités ______________________________________________ 79

* La « team Koizumi » : des experts motivés par le charisme du chef ____________________ 79 * La priorité à la médiatisation ____________________________________________________ 80 * La priorité aux abstentionnistes des villes __________________________________________ 81

3. La privatisation de la poste comme « proposition de vente unique » _________________ 82 3.1 L’ouverture du « théâtre Koizumi » : la dissolution de l’Assemblée ____________________ 82

* Une dissolution théâtrale _______________________________________________________ 83 * Koizumi Junichirô dans la peau de Galilée ________________________________________ 84

3.2 La poste, rien que la poste… _____________________________________________________ 85 * Un discours ultra polarisé ______________________________________________________ 85 * Eadem sed aliter : le même sujet mais toujours d’une autre manière ___________________ 85

3.3 La « démocratie plébiscitaire » dans les publicités __________________________________ 86

B – L’ubiquité médiatique du « théâtre Koizumi » ______________________________ 89 1. Victoire de Koizumi, complicité des médias ________________________________________ 89

1.1 « Assassins » contre « rebelles » : un scénario idéal __________________________________ 89 * Le succès d’une chaîne de « pseudo-événements » __________________________________ 89 * Campagne officielle et campagne « non officielle » _________________________________ 90

1.2 La privatisation de la poste au centre de tout________________________________________ 91 1.3 L’élection vue de l’étranger : le « jeu » et la « guerre » _______________________________ 92 1.4 L’opposition réduite au silence __________________________________________________ 94

2. 35 jours de « théâtre Koizumi » ___________________________________________________ 95 2.1 Un scénario bien ficelé du début à la fin ___________________________________________ 95

* La revanche de Nobunaga ______________________________________________________ 96 * La « non visite » au sanctuaire Yasukuni _________________________________________ 97 * L’importance des débats télévisés ________________________________________________ 98

2.2 « Assassins » contre « rebelles » : épiphénomène utile ______________________________ 99 * Un appel au peuple en trompe-l’œil ______________________________________________ 99 * Quand le manichéisme se fait chair ______________________________________________ 100

2.3 Le « cool-biz » : paternalisme du chef et différence motrice __________________________ 101

– CONCLUSION – _______________________________________________________ 103 Un Populisme médiatique made for Japan ______________________________________________ 103 Quel rôle pour le facteur humain dans le populisme ? ____________________________________ 105

SOURCES _______________________________________________________________ 107 Ouvrages et articles _________________________________________________________________ 107 Articles de presse internationale ______________________________________________________ 113 Articles de presse japonaise __________________________________________________________ 115 Documents Internet _________________________________________________________________ 117 Vidéos de Koizumi __________________________________________________________________ 118

ANNEXES _______________________________________________________________ 121 01 – Les élections législatives de 2000, 2003 et 2005 ____________________________________ 121 02 – Le vote proportionnel à l’élection de 2005 selon le type de circonscription _____________ 121 03 – Evolution des intentions de vote au cours de la campagne de 2005 ___________________ 122 04 – L’évolution du vote des électeurs « indécis » ______________________________________ 124 05 – Jaquette des CDs « best of Koizumi » : Elvis Presley et Ennio Morricone _______________ 125 06 – Livrets d’enquêtes d’opinion utilisés par la « team Koizumi » ________________________ 126 07 – Publicité PLD pour la région de Tôkyô ___________________________________________ 127 08 – Page de couverture des manifestes du PLD et PDJ _________________________________ 128 09 – Une caricature du journal Asahi (10 août 2005) ____________________________________ 128 10 – Publicités PLD pour recruter des candidats _______________________________________ 129 11 – Tableau comparatif des centres d’intérêts d’Okada Katsuya et Koizumi Junichirô ________ 130

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- INTRODUCTION – Succès du populisme médiatique au Japon

« II est arrivé une singulière mésaventure au mot « populisme » : il est récemment

devenu populaire »1. Ce constat de Pierre-André Taguieff en 1997 s’est largement vérifié

lors de l’élection présidentielle française dix ans plus tard, où les trois principaux

candidats ont adopté une stratégie de communication qui pouvait, à des degrés divers,

être qualifiée de « populiste »2. Que signifie donc ce terme ? Sa définition est difficile à

circonscrire, favorisant un emploi à tort et à travers. Le mot est en effet pratique dans

le registre de la dénonciation car il a le double avantage d’être ambigu et doté d’une

forte charge péjorative. Il semble évoquer à lui seul toutes les horreurs politiques du

passé, les pires dictateurs du 20ème siècle et tous ceux qui ont exalté le peuple pour

mieux le dominer3. Le phénomène n’est pas nouveau. Déjà au 6ème siècle avant J-C, le

roi romain Tarquin le Superbe était accusé par les sénateurs et l’aristocratie de flatter le

bas peuple pour légitimer son pouvoir autoritaire4. On aurait cependant tort de

considérer les populistes d’aujourd’hui identiques à ceux d’hier. Derrière les usages

intéressés d’un terme malléable se cache une réalité récente : le succès actuel de ce que

l’on peut baptiser le « populisme médiatique ». Les nouvelles technologies de

l’information et de la communication ont modernisé le populisme en l’adaptant au

fonctionnement des grandes démocraties contemporaines 5 . Les exemples sont

nombreux : Margaret Thatcher, Ronald Reagan, Hugo Chavez, Silvio Berlusconi,

Thaksin Shinawatra, Barack Obama… et plus proches de nous Ségolène Royal, François

Bayrou et Nicolas Sarkozy.

Le phénomène a également fini par atteindre le Japon. Koizumi Junichirô a été

le premier à pratiquer dans l’Archipel un populisme à grande échelle. Intégrant les

attentes d’une grande partie de la population, il s’est construit en conséquence une

image nouvelle, en rupture avec l’ensemble de la classe politique japonaise, mais aussi

avec son propre parcours de banal héritier politique de troisième génération (sansei

giin). Après deux tentatives infructueuses en 1995 et 1998, il s’impose comme l’ultime

1 TAGUIEFF Pierre-André, « Le populisme et la science politique. Du mirage conceptuel aux vrais problèmes », in Vingtième siècle, n°56, 1997, p4 2 LEDROIT Orianne, Les usages du terme « populisme » dans la campagne présidentielle de 2007. Du succès des utilisations stratégiques d’un mot équivoque, mémoire de recherche à l’IED de l’université Lumière Lyon II, 2007. Voir autrement l’émission C dans l’air sur France 5, « Vous avez dit populisme… ? » lundi 13 novembre 2006 : http://www.dailymotion.com/video/xn1re_c-dans-l-air-le-populisme_news 3 AGULHON Maurice, « Le peuple à l’inconditionnel », in Vingtième siècle, n°56, 1997 4 LE GLAY Marcel, Rome, tome 1 : Grandeur et déclin de la République, Editions Perrin, 2005, p60 et 61 5 ECO Umberto, « Le populisme menace l’Europe », propos recueillis par Pierre Ganz et Alain Louyot, in L’Express.com, mercredi 16 juin 2004 : http://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/le-populisme-menace-l-europe_489283.html

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recours d’un Parti Libéral-Démocrate (PLD, Jimintô) discrédité et se fait élire président

du parti pour devenir Premier ministre en 2001. Quatre années plus tard, l’élection

qu’il provoque suite au rejet par le Sénat de son projet de privatisation de la poste, lui

permet de faire étalage de son remarquable talent de communicant : offrant à son parti

une des plus larges victoires de son histoire. Il est parvenu lors de la campagne de 2005

à faire oublier un bilan mitigé et à transformer le débat public en plébiscite sur la seule

question de la privatisation de la poste.

Le populisme comme positionnement rationnel sur un marché

politique

La réussite du populisme médiatique renseigne sur sa très grande plasticité.

Celui-ci, loin d’être un cadre idéologique rigide, se révèle être l’extrême inverse, « une

forme vide remplie à sa manière par chaque leader »6. Qu’on le qualifie de « style

politique »7 ou d’« idéologie molle »8, il est une façon de faire et non de penser – une

technique de communication au service d’un « entrepreneur politique ».

L’ « entrepreneur politique » apparaît comme l’alter ego de l’entrepreneur

innovateur théorisé par Joseph Schumpeter, à la différence que le premier « opère sur

des votes »9 alors que le second opère sur des consommateurs. L’entrepreneur politique

est capable d’analyser mieux que ses concurrents une situation donnée, pour en saisir

les opportunités. Philip Jones le définit comme « quelqu’un qui reconnaît qu’un groupe

d’individus partage une même demande pour un bien collectif ou un but commun, et qui

croit qu’il peut en tirer un profit pour lui-même en supportant les coûts de la mise en

place de l’organisation qui atteindra un tel but ou fournira un tel bien »10 – ce à quoi on

peut ajouter que le populiste assimile le groupe d’individus au « peuple » tout entier et

qu’il n’est pas contraint de concrétiser ses promesses. Yves Tiberghien ajoute à la

définition la possession d’un « specific knowledge » – mélange d’information et

d’intuition – à partir duquel l’entrepreneur politique peut prendre l’avantage sur ses

concurrents11. Le nombre d’électeurs potentiels qu’il peut mobiliser (mesuré par les

sondages) représente le « capital électoral » dont il optimise l’utilisation grâce à son

6 TAGUIEFF Pierre-André, L’illusion populiste, Essai sur les démagogies de l’âge démocratique, Editions Flammarion, Collection Champs, 2007, p9 7 TAGUIEFF Pierre-André, « Le populisme et la science politique », op.cit, p8 8 BADIE Bertrand, « Une faillite du politique », in Vingtième siècle, n°56, 1997, p227 9 SCHUMPETER Joseph, Capitalisme, socialisme et démocratie, Les classiques des sciences sociales, 1942, Chapitre 23 : http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html 10 JONES Philip, “The Appeal of the Political Entrepreneur”, in British Journal of Political Science, vol.8, n°4, 1978, p499 : “A political entrepreneur is someone who recognizes that a group of individuals share a desire for the provision of a collective good or common goal, and who believes there to be a profit to himself in undertaking the costs of providing an organization which will furnish such a goal”. 11 TIBERGHIEN Yves, Entrepreneurial States: reforming corporate governance in France, Japan and Korea, Cornell University Press, 2007, p20

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« specific knowledge » pour bâtir son avenir politique12 et réaliser un projet de long

terme : obtenir le pouvoir13. Dans son Etude du populisme de Koizumi Junichirô, Otake

Hideo estime que ce dernier a été machiavélien en simplifiant outrageusement les

enjeux politiques 14. Si cela est vrai, notons que la morale n’est pas l’affaire de

l’entrepreneur politique, seul son intérêt personnel le motive ; en ce sens il est

machiavélien par nature.

L’entrepreneur politique choisit le populisme pour se démarquer de ses

concurrents. Il fait le « pari de la réforme »15 dans le type de démocratie défini par

Joseph Schumpeter dans Capitalisme, socialisme et démocratie. Contrairement à la

théorie classique qui fonde la démocratie sur le mythe de la centralité de la volonté

populaire, ou la toute puissance de sa parole, dans le gouvernement de l’Etat,

l’économiste a développé une théorie centrée sur le critère procédural. La démocratie

n’est pas la manifestation brute de la volonté du peuple mais un marché sur lequel la

compétition entre entrepreneurs politiques est régulée par le vote. « La méthode

démocratique est le système institutionnel, aboutissant à des décisions politiques, dans

lequel des individus acquièrent le pouvoir de statuer sur ces décisions à l'issue d'une lutte

concurrentielle portant sur les votes du peuple »16. Le rôle de ce dernier n’est que de

« permettre la formation d’un pouvoir exécutif par un mécanisme électoral »17. Cette

définition place le leadership au centre de l’effectivité du pouvoir dans la mesure où ce

n’est qu’à travers la désignation des chefs qu’un peuple parvient à s’instituer en

« volonté fabriquée »18. La qualité de la démocratie dépend donc de la manière dont le

vote régule la compétition politique. Cette théorie présente l’avantage de pouvoir être

fonctionnelle au delà de la sphère d’influence historique de la démocratie athénienne

et des théories du contrat social.

Toutefois, le marché politique parfait n’existe pas davantage que la

« concurrence pure et parfaite » dans le modèle économique idéal. Pour autant, il

convient que la compétition soit suffisamment libre pour que l’entrepreneur puisse

déployer sa stratégie de communication et accroître sa part de marché. Il a

nécessairement besoin de cette « autonomie politico-stratégique » que définit Yves

Tiberghien, pour qui « l’autonomie politique est à l’entrepreneur politique ce que

l’oxygène est aux êtres vivants (…) l’espace politique disponible pour renforcer le pouvoir

12 FRANCOIS Abel, « The Political Entrepreneur and Coordination of the Political Process : A Market Process Perspective of the Political Market », in The Review of Austrian Economics, vol.16, n°2/3, 2003, p155 13 KINGDON John, Agenda, Alternatives and public policies, Little, Brown, 1984, p204 14 OTAKE Hideo, Etude du populisme de Koizumi Junichirô. Ses stratégies et techniques (小泉純一郎 ポピュリ

ズムの研究. その戦略と手法), Tôyôkeizai, 2006, p92 à 95 : l’auteur explique ici que Koizumi a distingué des problèmes « importants » (hard) et des problèmes « peu importants » (easy) en fonction de son propre intérêt. 15 TIBERGHIEN Yves, Entrepreneurial States, op.cit, p20 16 SCHUMPETER Joseph, op.cit, Chapitre 22 17 COLAS Dominique, Sociologie politique, Presses Universitaires de France, Collection Quadrige, 2006, p332 18 Ibidem, loc.cit

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des entrepreneurs politiques dans leurs relations avec le parti, la coalition et le pouvoir

législatif »19.

Jean-Marie Bouissou20 a montré que, avant la fin des années 1990, le système

politique japonais, baptisé « système de 1955 » (gojyûgonen taisei), était très loin de la

« concurrence pure et parfaite ». Les barrières à l’entrée étaient difficiles à franchir

pour les nouveaux entrepreneurs politiques, et donc l’atomicité de l’offre, chère aux

économistes, faisait cruellement défaut. Le pays était en effet sous la domination d’un

seul grand parti « attrape-tout », le Parti Libéral-Démocrate. Le mode de scrutin

focalisait les enjeux électoraux sur des problèmes locaux et des relations de personnes.

Un clientélisme institutionnalisé et très coûteux limitait la concurrence car il exigeait

des potentiels entrants un réseau extrêmement dense de relations et une grande

capacité de financement. La force du système résidait dans le fait que, au delà du PLD,

l’opposition socialiste en tirait également bénéfice. Elle avait en effet intérêt au

maintien d’une concurrence limitée, qui lui assurait des sièges stables et la prise en

compte de certaines de ses propositions par le gouvernement. Au final, le système

tendait à reproduire des dynasties de politiciens, souvent dépourvus de savoir-faire en

communication.

Les médias étaient solidement indépendants du pouvoir politique et une

réglementation très stricte des campagnes électorales empêchait tout candidat de

prendre l’avantage sur la concurrence. Koizumi Junichirô est pourtant parvenu à

franchir ces barrières, au point que certains auteurs, tel le journaliste Uesugi Takashi21,

ont déploré la complaisance des médias qui ont, du moins dans un premier temps,

relayés les scénarios élaborés par le Premier ministre, pour n’en dénoncer les dérives

qu’ulterieurement.

Le populisme comme réponse à une crise de légitimité politique

Si la théorie « classique » du populisme est très fournie, le stade « médiatique »

qu’il a atteint aujourd’hui reste encore assez peu analysé. Le premier critère retenu

dans la définition « classique » est celui mis en avant par Ernesto Laclau : l’appel lancé

par un chef à un « peuple » défini subjectivement en fonction de l’imaginaire collectif

de ceux qu’il veut y inclure22. Cette construction imaginaire d’un peuple est essentielle 19 TIBERGHIEN Yves, Entrepreneurial States, op.cit, p 23 et 24 20 BOUISSOU Jean-Marie, Quand les sumos apprennent à danser. La fin du modèle japonais, Editions Fayard, 2003, chapitres IX et X. Voir également : Idem et POMBENI Paolo, « Grandeur et décadence de la ‘partitocratie redistributive régulée’. L’évolution du système politique au Japon et en Italie depuis la guerre », in Revue française de science politique, vol. 51, n° 4, août 2001 21 UESUGI Takashi, Victoire de Koizumi défaite des médias (小泉の勝利 メディアの敗北), Sôshisha, 2006, p9 22 LACLAU Ernesto, Politics and Ideology in Marxist Theory. Capitalism, Fascism, Populism, Verso, 1979, p143. Pour une description rapide des problèmes méthodologiques concernant le sens du « peuple » en tant qu’entité et concept, voir : CANOVAN Margaret, « Populism for Political theorists? », in Journal of Political ideologies, vol. 9, n°3, 2004, p247 à 251

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au populisme car « il n’y a pas de populisme sans références au peuple, au même titre

qu’il n’y a pas de nationalisme sans références à la Nation »23. La définition de Laclau est

un point de départ nécessaire mais non suffisant ; le populisme se structure également

autour de deux piliers complémentaires. D’une part, un désir de changement suscité

par une crise d’ampleur nationale ; d’autre part, une offre de leadership charismatique

par un entrepreneur politique.

L’apparition du populisme est conditionnée par une profonde crise de la

représentation politique. La simplification à outrance des enjeux et la détermination

d’une ligne politique par la négative renseignent sur la nature du populisme, qui est de

se nourrir d’un vide ou d’un désarroi dans la population. Aussi est-il souvent qualifié

de maladie de la démocratie24 . Non seulement il « s'accommode d'une faiblesse

programmatique, mais (…) il s'en nourrit, tirant son efficacité en même temps de ses

vertus unanimistes et de sa propre pureté qu'il met en scène pour se dire différent des

entrepreneurs politiques dont il dénonce volontiers l'inanité des programmes et

l'incapacité de les mener à bien. On comprend aussi qu'en tant que technique de

mobilisation, le populisme s'impose avec succès dans des situations d'anomie ou de

transition » 25 . A cet égard, le phénomène Koizumi est inséparable de la crise

systémique – à la fois politique, économique et sociale – que traverse le Japon depuis

deux décennies.

L’appel au peuple est lancé par un entrepreneur politique qui cherche à acquérir

cette légitimité charismatique que décrit Max Weber dans Economie et société. Il est

un constructeur de fiction, un metteur en scène politique, non seulement parce qu’il

entretien le mythe de l’unité du peuple qu’il prétend incarner26, mais surtout parce

qu’il cherche à faire croire à la spontanéité de son charisme, entendu comme « la

qualité extraordinaire (…) d’un personnage (...) doué de forces ou de caractères

surnaturels ou surhumains ou tout au moins en dehors de la vie quotidienne,

inaccessibles au commun des mortels, (…) et en conséquence considéré comme un

‘chef’ »27.

23 FIESCHI Catherine, « Introduction », in Journal of Political ideologies, vol. 9, n°3, 2004, p237 24 ROSANVALLON Pierre, La contre-démocratie. La politique à l’âge de la défiance, Editions du Seuil, Collection Points, 2006, p269 à 279 : l’auteur qualifie le populisme de « politique pure de l’impolitique », « contre-démocratie absolue »… et aussi de « pathologie » polymorphe. 25 BADIE Bertrand, « Une faillite du politique », op.cit, p227 26 ECO Umberto, A reculons, comme une écrevisse, Editions Grasset, 2006, p158 et 159 : « En réalité, le « peuple » comme expression d’une seule volonté et de sentiments identiques, telle une force quasi naturelle incarnant la morale et l’Histoire, n’existe pas. (…) En appeler au peuple (…) signifie construire une fiction : le « peuple » en tant que tel n’existe pas, le populiste est celui qui se crée une image virtuelle de la volonté populaire. (…) On peut aussi créer l’image du consensus populaire en se servant des sondages, ou en évoquant simplement le fantasme d’un « peuple ». Ainsi, le populiste identifie ses propres projets à la volonté du peuple et, s’il parvient (comme c’est souvent le cas), transforme une bonne partie des citoyens, fascinés par une image virtuelle à laquelle ils finissent par s’identifier, en peuple, ce peuple qu’il a lui-même inventé ». 27 WEBER Max, Economie et société 1, op.cit, p320

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Le positionnement de l’entrepreneur politique populiste se fait par deux biais

complémentaires : la dénonciation de l’Autre et l’affirmation de Soi. La légitimité peut

s’obtenir par la dénonciation d’un ennemi, qui arrive d’en haut (les élites) ou d’en face

(l’étranger), et contre lequel le chef serait un recours. Le populisme se construit dans le

manichéisme pour rassembler par la négative28 ; il construit et martèle « une rhétorique

structurée par le blâme et l'éloge »29, dotée d’un fort pouvoir heuristique, – créateur

d’explications simplistes et non vérifiables du malaise social. Ainsi, Koizumi a dénoncé

sans relâche ce qu’il nommait les « forces de la résistance » (teikô seiryoku) ou les

« forces d’opposition » (hantai seiryoku), formule désignant l’élite politique et

administrative responsable de la crise des années 1990 et hostile à ses réformes.

Face à l’ennemi qu’il construit, le populiste affirme qu’il faut agir vite. Il

dénonce les injustices et prône un « changement » rapide et radical. Il critique toutes

les formes de médiation institutionnelle, jugée insuffisamment réactive et éloignée du

peuple. Il prétend personnifier un renouveau et met donc en scène sa détermination à

agir pour sortir le peuple de la crise. Ainsi, Koizumi a systématiquement affiché sa

volonté personnelle et cherché à incarner la réforme, notamment au cours de la

campagne de 2005.

Le populisme médiatique comme technique marketing

Lorsque Pierre-André Taguieff dit du populisme médiatique qu’il est « une

forme de populisme adaptée aux exigences de la médiatisation télévisuelle et susceptible

d’infléchir en même temps tous les types classiques de populismes »30, il insiste sur

l’ampleur des transformations subies par le concept. Le populisme médiatique

transforme le populisme classique pour l’adapter aux sociétés et aux technologies

contemporaines. On peut à cet égard distinguer deux modifications majeures.

Le populisme médiatique puise moins son efficacité dans l’idée de « peuple »

que dans la figure mise en scène du héros charismatique. Les transformations qui ont

eu lieu dans le monde des médias ont joué un rôle fondamental en diminuant

considérablement le rôle des partis politiques et en banalisant dans le même temps la

personnalisation du pouvoir31. Cette tendance est liée à la domination de la télévision

et d’Internet, deux médias via lesquels il est facile de créer une illusion de proximité

avec le peuple32. On pourrait parler à ce sujet d’un « matérialisme médiatique » : la

28 TAGGART Paul, “Populism and Representative Politics in Contemporary Europe”, in Journal of Political ideologies, vol. 9, n°3, 2004, p280 : l’auteur fait référence au « cœur vide » (« empty heart ») du populisme. 29 TAGUIEFF Pierre-André, « Le populisme et la science politique », op.cit, p10 30 Ibidem, p23 31 BERGOUNIOUX Alain, « Le symptôme d’une crise », in Vingtième siècle, n°56, 1997 32 Voilà pourquoi nous utilisons le terme « populisme médiatique » et non « télépopulisme ». En plus de la télévision, Internet est désormais devenu un média de première importance pour le populisme, et ce en raison de l’illusion de proximité qu’il permet de véhiculer aux électeurs.

13

structure du monde des médias détermine en partie le degré de personnalisation du

pouvoir. La médiatisation s’est effectuée aux dépens des appareils politiques

traditionnels. Elle a favorisé une « démocratie de rejet »33 qui met en lumière le facteur

privé/intime plutôt que la symbolique de la fonction et le contenu des programmes.

L’entrepreneur politique s’attache par ailleurs à mettre en scène la « différence

motrice »34 qui le distingue de ses concurrents. Celle-ci peut être un trait physique

(coiffure, vêtements, démarche, voix…), un trait de caractère (virilité, sincérité,

détermination, incorruptibilité…), un sujet de prédilection (travail, sécurité, inégalités

sociales…), mais aussi le « pari de la réforme » et la capacité présentée comme

extraordinaire à agir dans le monde concret. Le charisme mis en scène a ainsi subi lui

aussi l’évolution technologique, qui fait de la rencontre avec le citoyen (le « foule

contact ») une action mineure et donne une importance fondamentale à la compétence

télévisuelle. La capacité à formuler des « catch phrases » adaptées au temps court de la

télévision, et ce que Philippe Maarek qualifie de « charisme audiovisuel » 35 deviennent

alors fondamentales. Plus qu’une qualité extraordinaire, le charisme consiste

désormais en une compétence technique qui ne laisse rien au hasard.

Chaque entrepreneur politique dispose donc d’outils qui lui permettent

d’élaborer et d’adapter au mieux sa stratégie de communication. Le populisme

médiatique est un populisme « chirurgical » qui, grâce aux sondages, oriente son

discours en fonction des attentes de très court terme mesurées au sein de la population.

Cette tendance au ciblage du message politique est d’autant plus forte qu’elle s’inscrit

dans des environnements de plus en plus concurrentiels. Ainsi, l’entrepreneur

politique est aussi devenu plus « terne », dénué de sublime36; les médias, obsédés par la

question de savoir « qui va gagner »37, décrivent souvent la politique comme une

simple course de chevaux (horse race story)38.

Le populisme médiatique comme « Big Mac »

D’une certaine manière, le populisme médiatique semble fonctionner comme le

célèbre « Big Mac ». Si la recette doit être adaptée pour que la sauce et les dosages

correspondent au mieux au goût de chaque pays, elle est en réalité quasiment

33 ROSANVALLON Pierre, op.cit, p181 34 MAAREK Philippe, Communication et marketing de l’homme politique, Editions LexisNexis, 2007, p80 35 Ibidem, p205 : l’auteur définit le « charisme audiovisuel » comme « l’ensemble des conséquences – positives ou non – de la communication non verbale audiovisuelle pour la qualité de la communication d’un homme politique ». 36 TAGUIEFF Pierre-André, « Le populisme et la science politique », op.cit, p31 : « On y peut (…) reconnaitre un style bonapartiste désublimé, qui revient à une exploitation conjoncturelle des rêves de solutions immédiates à des problèmes insolubles dans des situations intenables, à travers diverses formes de messianisme vidéopolitique ». 37 SERRES Michel, La guerre mondiale, Editions Le Pommier, 2008 38 LITTLEWOOD Thomas, Calling Elections: the History of Horse-Race Journalism, University of Notre Dame Press, 1999

14

identique partout sur la planète. Bien que différentes, les recettes « classiques » et

« médiatiques » méritent toutes deux d’être labellisées « Big Mac ». En premier lieu,

Toutes deux doivent être servies le plus vite possible, et même de manière quasi

instantanée pour la recette médiatique. Il faut aussi, dans les deux cas, que le

consommateur ait une grande « faim politique », engendrée par un désamour des

recettes politiques traditionnelles. Le « Big Mac populiste » lui apparaît alors comme

une solution facile et accessible à un problème immédiat. La différence principale de la

recette médiatique par rapport à la recette classique est son « charisme de synthèse »,

conçu en laboratoire à coups de media-training pour correspondre parfaitement aux

besoins du consommateur.

Comment, et dans quelle proportion, Koizumi Junichirô a-t-il adapté avec

succès la recette du populisme médiatique au goût japonais ? Répondre à cette

question est l’objectif de ce mémoire. La démonstration sera bâtie autour de trois

hypothèses.

1) Au cours des années 1990, le marché politique japonais a été refondé dans un

sens qui a permis l’épanouissement du populisme médiatique. Ce que certains auteurs

ont appelé la « décennie perdue »39 (ushinawareta jûnen) a en réalité été celle de

changements radicaux. Le pays s’est doté d’un exécutif fort qui a intensifié l’autonomie

politico-stratégique du Premier ministre, d’un nouveau mode de scrutin qui a rendu

possible la concurrence politique, surtout dans les médias. La demande de leadership

charismatique s’est dans le même temps significativement intensifiée. (Partie 01)

2) Koizumi a construit son charisme en adoptant des postures ayant déjà fait

leurs preuves à l’étranger. Il a su combiner le « charisme messianique » en promettant

des réformes radicales, le « charisme césariste » fondé sur son ton martial et sa grande

détermination, et un « charisme populiste » fait de proximité mise en scène avec le

peuple. Koizumi est un pot-pourri universel avant d’être typiquement japonais. Mais il

a aussi habilement utilisé des ressorts psychologiques traditionnels de la culture

populaire nippone, comme l’accent mis sur la souffrance et la suscitation de l’empathie.

(Partie 02)

3) Le succès de sa stratégie de communication lors de l’élection de 2005 est

principalement dû à l’intégration réussie de techniques américaines de marketing

politique – le « kit Ikea de l’élection » – dans un environnement médiatique japonais

propice à les recevoir. Ce sont les deux éléments essentiels de ce kit – la « proposition

de vente unique » et la maîtrise de l’« effet d’agenda » – qui ont permis à Koizumi de

construire ce que Max Weber a appelé la « démocratie plébiscitaire ». (Partie 03)

39 Sur la crise de la « décennie perdue », voir : YOSHIKAWA Hiroshi, Japan’s Lost Decade, International House of Japan, 2001 ou, pour la politique étrangère : KAJI Sahoko, « Japon : la décennie perdue », in Politique étrangère, n°1, 2002

15

01 Le Japon, nouvelle terre

d’accueil du populisme

médiatique

Les changements des

années 1990

16

Dans la décennie 1990, le Japon est entré, tout comme les pays développés

occidentaux, dans une phase que l’on peut qualifier de « post-modernité » 40 ou

« seconde modernité »41. Lui qui fascinait par sa singularité semble désormais partager

les mêmes problèmes que l’Occident : crise identitaire, peur de l’avenir, hausse du

chômage… Et comme les démocraties occidentales, il a connu durant l’ère Koizumi la

« présidentialisation » du pouvoir et le populisme médiatique.

Le populisme de Koizumi apparaît comme la rencontre d’un homme et de cette

conjoncture. Aussi est-il nécessaire d’analyser d’abord celle-ci pour comprendre ces

évolutions du système japonais – aux plans politique, médiatique et social – sans

lesquelles le populisme médiatique n’aurait sans doute pas pu advenir. Ces évolutions

ont principalement consisté en l’augmentation du pouvoir et de la visibilité du Premier

ministre, en l’essor de la « politique spectacle » et en l’émergence d’une demande

massive de changement.

A - Les institutions – du théâtre démocratique à la

démocratie théâtrale

Sur le plan institutionnel, le populisme médiatique avait peu de chance

d’advenir au Japon avant les années 1990. Le marché était insuffisamment ouvert à

l’innovation des entrepreneurs politiques et le chef de l’exécutif ne possédait pas assez

d’autonomie pour élaborer sa stratégie de communication. Les changements

intervenus ont consisté à renforcer le pouvoir exécutif, le poids de l’image du Premier

ministre à l’échelle nationale, et à faire de l’alternance politique une perspective

suffisamment crédible pour inciter les entrepreneurs politiques à la bataille pour le

pouvoir. Il apparaît qu’au cours des années 1990 le potentiel de trois des quatre

composantes de l’« autonomie politico-stratégique »42 développée par Yves Tiberghien

(et définie en introduction page 9) a été libéré au Japon43 :

1) « Autonomy within the party » : la capacité du leader à passer outre les

positions de son parti. Le pouvoir du Cabinet ayant été renforcé par les réformes,

40 PELLETIER Philippe, Atlas du Japon. Une société face à la post-modernité, Editions Autrement, Collection Atlas/Monde, 2008 41 YATABE Kazuhiko, « La société japonaise et la modernité », in Japon - Le renouveau ?, DOURILLE-FEER Evelyne (dir.), La documentation française, 2002 42 TIBERGHIEN Yves, Entrepreneurial States, op.cit, p24 43 La dernière composante, « degree of autonomy within ruling coalitions », soit le degré d’autonomie vis-à-vis des coalitions parlementaires, n’a, semble-t-il, pas eu d’incidence sur le populisme médiatique.

17

Koizumi a pu entrer en conflit avec une partie de l’élite politique conservatrice, et

mettre en scène ce conflit à son profit.

2) « Degree of leadership security » : le degré de sécurité du pouvoir exécutif. Il

est mesuré par divers facteurs : la visibilité médiatique du Premier ministre, sa

popularité mesurée par les sondages, son mode de désignation, la routinisation de son

pouvoir… Koizumi a profité d’une légitimité populaire plus forte issue de son mode de

désignation à la tête du PLD (voir page 42), et d’un plus grand pouvoir institutionnel

par le biais de quatre réformes intervenues entre 1999 et 2001. Il a également été

gratifié d’un haut niveau de popularité tout au long de son mandat.

3) « Degree of control over the legislative agenda » : le degré de contrôle de

l’exécutif sur l’ordre du jour de la Diète. Inexistant avant les réformes, son amélioration

a permis au Premier ministre d’imposer son agenda de réformes aux parlementaires

réticents.

La fonction de Premier ministre a ainsi suffisamment gagné en poids

institutionnel pour permettre à Koizumi d’appliquer une stratégie de communication

populiste médiatique. D’un marché politique fermé, le pays est passé, en une décennie

seulement, à un véritable jeu concurrentiel.

1. Le « système de 1955 »

1.1 Le « théâtre démocratique »

Le « système de 1955 » se caractérisait par une offre politique complètement

sclérosée par des arrangements entre majorité et opposition, au profit du Parti Libéral-

Démocrate, « parti attrape-tout ». De 1955 à 1993 il n’y a eu aucune alternance à la tête

du pouvoir. Alors que les années 1960 avaient été très conflictuelles entre la gauche et

la droite (Inejirô Asanuma, président du Parti Socialiste, est assassiné par l’extrême

droite en 1960 en plein débat télévisé), dans les années 1970 l’opposition a semblé

renoncer à prendre le pouvoir. Elle a été incluse dans un partage des postes qui, s’il

demeurait inégal, avait le mérite d’arranger les deux camps. « Le Système était régi par

une règle d’or : il garantissait aux partis d’opposition des bénéfices supérieurs à ce qu’ils

pouvaient raisonnablement espérer de sa modification »44. D’un côté, le PLD est parvenu

à faire avancer la plupart de ses projets. De l’autre, le Parti Socialiste a pu conserver

une base électorale importante et sauver la face en donnant une légitimité suffisante à

sa résistance sur quelques enjeux fondamentaux, telles la relation avec les Etats-Unis et

la révision de la Constitution. Le terme d’ « opposition » a ainsi fini par apparaître

44 BOUISSOU Jean-Marie, Quand les sumos apprennent à danser, op.cit, p331

18

comme une usurpation, la gauche ne s’opposant plus dans les faits. Le pays était alors

un « théâtre démocratique » dans lequel le conflit était mis en scène par les grands

médias. Excepté les troubles de la fin des années 1960, « l’Archipel confine la politique

dans l’enceinte du parlement où se déroule un affrontement ritualisé entre la droite et la

gauche, les véritables décisions étant prises, en dernier ressort, par l’administration

centrale »45. Pour que le populisme médiatique puisse advenir au Japon, il fallait que ce

partage du marché politique et que cette comédie médiatique cessent.

1.2 La faiblesse du pouvoir exécutif

* Le Premier ministre aux mains de son parti

Le Premier ministre était un personnage faible en raison de son rôle secondaire

dans le fonctionnement interne du PLD. Un consensus s’était établi au sein même du

parti majoritaire. Celui-ci était (et est toujours) divisé en différents clans (habatsu)

rassemblés autour d’une personnalité fondatrice. Ces clans se partageaient le pouvoir

par des arrangements internes consistant à faire tourner les postes ministériels en

fonction du poids de chaque clan en nombre d’élus. Le PLD fonctionnait (et

fonctionne encore) comme une entreprise, en fidélisant les parlementaires grâce au

principe d’avancement « à l’ancienneté ». Avoir été ministre cinq fois donnait le droit

de briguer le poste de Premier ministre. Le nombre de places étant cependant limité, il

fallait, pour combler tout le monde, les faire tourner rapidement. Le Japon était dans

une situation paradoxale où la grande stabilité du PLD au pouvoir semblait

conditionnée par un turnover très élevé au sein du gouvernement. « Sous le Système de

1955, la durée de vie moyenne des cabinets n’a pas dépassé dix mois et, depuis 1972, celle

des premiers ministres, deux ans »46. En un mot, on pouvait dire qu’un Premier ministre

occupait ce poste parce que son tour était venu.

* Le Premier ministre aux mains des parlementaires

Le pouvoir exécutif était inféodé au pouvoir législatif. Le Premier ministre ne

disposait pas de la maîtrise de l’ordre du jour et des débats à la Diète. Les commissions

parlementaires étaient si puissantes qu’elles pouvaient convoquer un ministre à tout

moment. Si Nakasone Yasuhiro a constitué une exception en restant en poste environ

cinq ans (1982-1987), depuis les années 1970, « le premier ministre souffre d’un déficit de

légitimité et d’une faible popularité ; il souffre aussi parfois d’un déficit de personnalité,

car les parlementaires, ayant les mains libres pour choisir le chef de l’exécutif, pour éviter

d’être tenus en laisse, tendent à suivre le vieux précepte de Clemenceau (« Prenez le plus

c… ») qui a valu à la France des IIIème et IVème Républiques une longue série de

45 YATABE Kazuhiko, op.cit, p79 46 BOUISSOU Jean-Marie, Quand les sumos apprennent à danser, op.cit, p343

19

présidents falots »47. Les parlementaires et les clans avaient intérêt à maintenir en place

un système dépourvu d’exécutif fort pour conserver leurs marges de manœuvres. La

Constitution était d’ailleurs parfaitement adaptée à un tel système, car « le Japon n’a

pas de chef d’Etat, seulement un chef de gouvernement élu par les parlementaires »48.

La faiblesse de l’exécutif eut des incidences sur le processus de décision

politique. Le Premier ministre apparaissait davantage comme un coordinateur de

consensus que comme un décideur49. Il ne choisissait pas lui-même ses ministres mais

devait tenir compte des équilibres factionnels. Le fonctionnement du « système de

1955 » a fait que l’image du Premier ministre était de faible importance dans les

processus décisionnels et électoraux50.

1.3 L’atomisation des enjeux politiques

* Les campagnes électorales fermées sur les enjeux locaux

Le « système de 1955 » était caractérisé par l’atomisation à l’échelle locale des

enjeux politiques. Cela était en grande partie dû à un mode de scrutin très particulier

qui permettait à une écrasante majorité des candidats à la députation de ne pas avoir à

faire de campagne électorale contrainte par la discipline partisane. « Ce système unique

au monde avait été imaginé en 1900 par les oligarques du palais pour faire éclater les

partis politiques qui leur disputaient le pouvoir. Son principe était d’obliger les candidats

d’un même parti à s’affronter entre eux »51. Chaque circonscription comptait de deux à

six sièges, en moyenne quatre, et chaque parti pouvait présenter plusieurs candidats.

Le scrutin était uninominal à un tour, sans aucun report de voix (single non-

transferable vote). Pour se faire élire, les candidats avaient recours à ce que l’on qualifie

traditionnellement de trois « ban » : 1) le « jiban », la « base » humaine composée de

supporters choyés et récompensés pour leurs efforts, notamment par le biais de

participations financières de leur député aux cérémonies de la vie courante (mariages,

enterrements, anniversaires…). 2) le « kanban », l’ « enseigne », soit un nom de famille

associé à une réputation. Le siège parlementaire se transmet très souvent de père en 47 Ibidem, p344 48 Ibidem, loc.cit 49 KRAUSS Ellis et NYBLADE Benjamin, « Presidentialization in Japan? The Prime Minister, Media and Elections in Japan », in British Journal of Political Science, 2005/35, p358 50 MACHIDORI Satoshi, « Les réformes des années 90 ont transformé la politique japonaise », in Les Cahiers du Japon, automne 2005, p42 : Voici comment l’auteur décrit le processus de décision au sein du « système de 1955 ». « Avant de soumettre un projet de loi à la Diète, le gouvernement le communiquait au PLD pour qu’il y soit examiné par le Comité des affaires politiques et le Comité des affaires générales. Le premier, plus particulièrement, intervenait sur le contenu politique du texte. Ce comité était divisé en départements correspondant aux divers ministères et agences de l’Etat, et les parlementaires qui, après de nombreuses années dans un département particulier, étaient devenu des experts de la politique en ce domaine offraient la meilleure illustration de ce qu’on appelait les zoku giin, ou « tribus » de législateurs étroitement associés à un ministère donné ». 51 BOUISSOU Jean-Marie, « Changement ou immobilisme politique », in DOURILLE-FEER Evelyne (dir.), Japon - Le renouveau ?, La documentation française, 2002, p140

20

fils52. 3) le « kaban », l’ « enveloppe » ou la quantité d’argent qu’un député est capable

de lever pour ses activités politiques, notamment l’entretien très coûteux de ses divers

soutiens. Le mode de scrutin incitait en effet le candidat à se concentrer sur sa base

personnelle de soutien (kôenkai 53 ) pour assurer son élection. Sachant qu’une

circonscription comportait en moyenne 732 386 personnes et que les voix accordées

aux perdants étaient inutiles, « mortes », 10% des suffrages exprimés étaient en général

suffisants pour assurer son élection. Il va de soi que ces « députés 10% »54 ont constitué

un obstacle à l’émergence d’une démocratie basée sur la conflictualité tant les

arrangements clientélistes parvenaient à garantir la réélection. S’il y a songé, le PLD n’a

toutefois pas osé modifier ce système, qui protégeait aussi les ressources électorales de

l’opposition55.

* L’absence de cohérence programmatique nationale

Compte tenu de la prédominance des enjeux locaux sur les enjeux nationaux, le

PLD n’a pas eu à établir de cohérence programmatique sur le plan national. La période

de Haute Croissance (1955-1973) ne s’est pas caractérisée par un plus grand accès de

l’individu aux institutions politiques, fussent-elles démocratiques et libérales.

L’organisme qui au sein du PLD, était chargé des décisions de politique générale, le

Policy Affairs Research Council (PARC, Seimucho sakai), prenait ses décisions à huit-

clos, sans débat public ni suivi médiatique. Par ailleurs les grands partis n’avaient pas à

établir de listes de promesses politiques à chaque élection. Les individus, satisfaits par

la hausse du niveau de vie et ayant le sentiment d’appartenir à un ensemble culturel

spécifique, ont laissé la chose politique aux politiciens. Les électeurs, souvent tenus par

des relations personnelles au niveau local, étaient déconnectés de la vie politique à

l’échelle nationale : la « pacification idéologique s’accompagne d’une autonomisation du

champ politique et de sa spécialisation »56.

52 Pour consulter des statistiques sur les « parlementaires héréditaires » (seishû giin), voir : SEIZELET Eric, « La patrimonalisation des charges parlementaires au Japon », in Critique internationale, n°33, oct-déc 2006 53 Une « kôenkai » (association de soutien) est un immense réseau d’associations en tout genre chargé de relayer le message publicitaire de l’homme politique au sein d’un « clientélisme de masse à tropisme égalitaire ». BOUISSOU Jean-Marie, « Le clientélisme organisé dans une démocratie moderne. Le cas des kôenkai japonaises », in BRIQUET Jean-Louis Briquet et SAWICKI Frédéric (dir.), Le clientélisme politique dans les sociétés contemporaines, Presses Universitaires de France, 1998, p184 54 BOUISSOU Jean-Marie, Quand les sumos apprennent à danser, op.cit, p315 55 Ibidem, p333 et 334 56 YATABE Kazuhiko, op.cit, p79

21

2. La « présidentialisation » du système politique

Pour devenir un marché politique dans lequel le chef de l’exécutif disposerait de

suffisamment d’autonomie politico-stratégique, un retour du peuple dans les affaires

politiques était nécessaire. Il fallait que celui-ci puisse choisir ses représentants sans

médiations clientélistes, de sorte que le marché politique devienne réellement ouvert à

la concurrence, et que les politiciens soient contraints de faire campagne sur une

échelle bien plus large que leurs simples bases locales. Pas de populisme médiatique

sans risque d’alternance. Le pays devait ainsi venir à bout de quatre obstacles majeurs.

Il fallait tout d’abord modifier le mode de scrutin pour donner plus de pouvoir au parti

à l’échelon national. Il était ensuite nécessaire d’en finir avec une opposition qui ne

s’opposait pas, afin de donner à la population la capacité réelle de faire basculer le

pouvoir. La troisième donnée à affaiblir était l’ensemble des déterminants clientélistes

du vote au Japon, kôenkai et autres clubs de soutiens qui délivraient à leurs membres

des consignes de vote. Enfin le pouvoir exécutif devait être renforcé au détriment du

pouvoir législatif.

2.1 L’émergence d’enjeux nationaux

* Le nouveau mode de scrutin : nécessité des grands partis

L’éclatement de la bulle spéculative et de différents scandales à la fin des années

1980 ont entaché la confiance accordée à la classe politique et rendu populaire le

thème de la « réforme politique » (seiji kaikaku). La perte momentanée du pouvoir par

le PLD entre 1993 et 1994 a été l’occasion d’une révision du mode de scrutin, premier

pas vers cette « réforme politique ». Depuis cette année l’élection législative se fait sur

300 circonscriptions locales dans lesquelles un seul candidat est élu au scrutin

uninominal à un tour, et 180 sièges attribués aux partis à l’échelle régionale au suffrage

proportionnel. Pour que les parlementaires conservent leurs sièges, il leur a été accordé

de pouvoir figurer sur les listes proportionnelles en même temps que dans les

circonscriptions locales57. Principale conséquence de ce nouveau mode de scrutin, « le

facteur décisif pour chaque candidat est l’obtention de l’investiture exclusive d’un grand

parti »58. Cela a augmenté l’importance du jugement des citoyens en les invitant à se

focaliser sur l’image et le rôle du parti politique plutôt que du candidat local.

Parallèlement, la nouvelle logique du « winner take all », calquée sur le modèle

britannique, renforce considérablement le poids des électeurs non affiliés dans les

basculements de majorités parlementaires. La politique s’est donc déplacée à l’échelon

national, les membres d’un même parti n’ont plus à se présenter contre des

57 BOUISSOU Jean-Marie, « Changement ou immobilisme politique », op.cit, p158 58 MACHIDORI Satoshi, op.cit, p43

22

concurrents de leur propre formation, mais à l’inverse pâtissent plus fortement de son

image à l’échelle nationale59.

* Les « manifestes » : cohérence programmatique nationale

Les partis ont eu à clarifier leurs positions générales pour rassembler l’électorat.

Pour donner l’apparence d’être unifié par les idées plutôt que les simples intérêts

politiciens, l’hétérogène Parti Démocrate Japonais (PDJ, Minshûtô) a publié peu de

temps avant les élections de 2003 un « manifeste » (manifesuto) synthétisant ses

positions sur les principaux sujets de la campagne. Le PLD a été contraint d’imiter

cette pratique pour ne pas apparaître comme trop opaque. La création d’un

programme clair au niveau national a été une nouveauté dans la vie politique japonaise,

dont les médis ont su s’emparer. Ils se sont attachés à comparer les propositions faites

par chaque parti et ont fait du « manifeste » le cœur des campagnes officielles. Cette

cohérence nouvellement affichée a indirectement renforcé le pouvoir du Cabinet et du

chef de parti en incitant les parlementaires à se soumettre à une ligne centrale60.

Koizumi a ainsi pu afficher une ligne claire dans le manifeste de son parti lors de la

campagne de 2005.

* Le PDJ renverse les règles

Le nouveau mode de scrutin avait pour ambition de créer un système de type

britannique dans lequel deux grands partis se disputeraient le pouvoir à chaque

élection61 : il y est parvenu. Après une longue recomposition du système politique a fini

par émerger, sur les ruines du Parti Socialiste, le Parti Démocrate Japonais, formation

qui s’opposait réellement au PLD. Il a été catapulté première force d’opposition en 1997

après l’éclatement d’une grande alliance d’opposition nommée Nouveau Parti du

Progrès (Shinshintô). Dès lors, il n’a cessé de fédérer des groupes plus petits jusqu’à

devenir crédible face au PLD. En 2005, le système politique japonais était devenu ce

qu’Olivier Duhamel appelle, illustrant le cas français, le MBDPD, alias Multipartisme

Bipolaire à Deux Partis Dominants62. Le peuple était donc redevenu l’arbitre qu’il fallait

courtiser, le mode de scrutin ayant diminué le poids des médiations locales et permis

une alternative véritable.

59 KABASHIMA Ikuo et STEEL Gill, “How Junichiro Koizumi seized the leadership of Japan’s Liberal Democratic Party”, in Japanese Journal of Political Science, vol 8, n°1, 2007, p105 60 ESTÉVEZ-ABE Margarita, « Japan's shift toward a Westminster system: a structural analysis of the 2005 Lower House election and its aftermath », in Asian survey, 2006/46, n°4, p665 et 666 61 Cette volonté d’alternance figurait dans les recommandations de la déclaration de politique générale du Keidanren (syndicat patronal japonais) en 1992 et du puissant syndicat Rengô : BOUISSOU Jean-Marie et POMBENI Paolo, op.cit, p559, ou BOUISSOU Jean-Marie, « Les élections législatives au Japon (18 juillet 1993). La chute du Parti libéral-démocrate et la recomposition du système politique », in Revue française de science politique, 44ème année, n°3, 1994, p416 62 Cours d’Olivier Duhamel à l’IEP de Paris, « Institutions politiques 2 », année 2005-2006

23

2.2 Le renforcement du pouvoir exécutif

Un deuxième pas de géant vers la « réforme politique » a été franchi à la fin des

années 1990 par une série de quatre réformes : une réforme administrative en 1999, une

réforme du financement politique et une réforme du Cabinet en 2000, et enfin une

réforme du gouvernement central en 2001. Celles-ci ont eu pour effet de renforcer le

pouvoir du Premier ministre en tant que chef du gouvernement et du parti majoritaire.

* Le poids du Cabinet sur l’administration

La réforme administrative de 1999 a renforcé le pouvoir du gouvernement sur

l’administration. Elle lui a donné les moyens de développer ses propres initiatives

politiques, par le biais de bureaux ad hoc au sein desquels pouvait être rassemblé un

personnel expert en un domaine précis. Le gain d’efficacité qui en a résulté a facilité la

gestion de problèmes difficiles63. En septembre 2005, il existe ainsi 15 bureaux ad hoc

dont un préparant la privatisation de la poste. La réforme du Cabinet l’année suivante

a continué sur cette lancée en affermissant le contrôle du Cabinet sur l’administration

des ministères. Dans chacun d’entre eux a été nommé un « ministre junior » capable

d’épauler son patron face à une administration qui détient le monopole de la

compétence légitime64.

La réforme du gouvernement central de 2001 a durablement renforcé le pouvoir

du Premier ministre de quatre manières : une diminution du nombre de ministères, la

possibilité de nommer des ministres d’Etat chargés de grandes réformes, sans que

ceux-ci ne soient rattachés à un ministère, la possibilité de désigner cinq conseillers

spéciaux (soit deux de plus qu’auparavant), et la création du « Bureau du Cabinet » qui

rassemble les conseillers et les ministres d’Etat dans une entité puissante et cohérente.

L’efficacité de la réforme du financement politique est sujette à débat. Les

optimistes peuvent soutenir que celle-ci a eu un rôle majeur en accordant aux partis un

moyen de contrôle direct sur leurs candidats à la députation65 ; les pessimistes peuvent

expliquer que son impact est resté très limité, les partis ne finançant en moyenne que

15% des campagnes électorales, et les députés pouvant toujours pratiquer le

clientélisme local66.

* Le poids du Premier ministre sur son parti

Si le Premier ministre a renforcé son pouvoir institutionnel, son image a aussi

fortement gagné en importance. Une double tendance s’est concrétisée dans les années 63 SHINODA Tomohito, « Japan’s Cabinet Secretariat and its emergence as a core executive », in Asian Survey, vol.45, 2005, p811 et 812 64 ESTÉVEZ-ABE Margarita, op.cit, p645 65 Ibidem, p643 66 BOUISSOU Jean-Marie, « Changement ou immobilisme politique », op.cit, p159 et 160

24

1990 : l’image du Premier ministre s’est détachée de celle de son parti, et elle est

devenue déterminante dans la réputation du parti tout entier. Grâce au nouveau mode

de scrutin, celui-ci a paru incarner une formation politique majoritaire dont le label

était devenu, pour l’élu local, un atout ou un problème67. La hausse du nombre

d’électeurs indécis68 a contribué au renforcement de l’image du Premier ministre. Les

grands partis se doivent par conséquent d’avoir à leur tête des chefs qui soient à la fois

charismatique et évitent de provoquer de nouveaux scandales. Ces électeurs ont en

effet eu pour habitude de faire leur choix dans les derniers jours de campagne, en

fonction des prestations médiatiques des politiciens. En 2000, l’instauration d’un

temps de questions au Premier ministre, comme il est de coutume en Grande-Bretagne,

a confirmé la dépendance des députés vis-à-vis de l’image véhiculée par le leader de

leur parti, en renforçant sa couverture médiatique.

Ainsi, en plus du changement de mode de scrutin intervenu en 1994, l’ensemble

des réformes des années 1990 ont augmenté l’autonomie politico-stratégique du

Premier ministre. D’un côté, la réforme du gouvernement central, la réforme du

Cabinet et l’instauration de questions médiatisées ont accru le pouvoir de l’exécutif sur

le législatif (« degree of control over the legislative agenda ») et la visibilité du Premier

ministre (« degree of leadership security »). De l’autre, l’instauration d’un manifeste, de

primaires élargies au sein du PLD (voir page 42), voire de la réforme du financement

électoral, ont renforcé le poids du leader sur son parti (« autonomy within the party »).

Le populisme médiatique de Koizumi Junichirô doit par conséquent être considéré

comme la rencontre d’un homme et de cette conjoncture, l’utilisation de nouvelles

opportunités institutionnelles par un entrepreneur politique rationnel.

B - Les médias – du supporter discret au

« darwinisme charismatique »

Les médias japonais occupent depuis les années de Haute Croissance une place

prépondérante au sein de la société. Or il était impossible pour l’entrepreneur

politique de se démarquer de la concurrence par leur biais avant les changements des

années 1990. Leur potentiel était en effet neutralisé par trois éléments : un

encadrement juridique très strict des campagnes électorales, le « système de clubs de

67 KRAUSS Ellis et NYBLADE Benjamin, « Presidentialization in Japan? The Prime Minister, Media and Elections in Japan », in British Journal of Political Science, 2005/35, p365 68 TANAKA Aiji, « The Rise of the Independent Voter », in Asia Program Special Report, n°101, février 2002, p19 : Le pourcentage d’électeurs ne s’identifiant à aucun parti est passé de 35% en 1993 à 50% en 1995, et est resté à cette hauteur jusqu’au début du 21ème siècle.

25

reporters » et le « code d’éthique du journalisme ». Si ces éléments n’ont pas disparu,

des transformations en ont diminué l’impact et offert de nouvelles perspectives

d’utilisation des médias. Ces derniers sont devenus un champ de bataille sur lequel les

entrepreneurs politiques s’affrontent désormais à coup de charisme. La stricte

neutralité des médias a ainsi pu être contournée pour les bienfaits d’une stratégie de

communication populiste.

1. La neutralité des médias

1.1 Un très grand potentiel pour l’entrepreneur politique…

Le monde médiatique japonais, notamment la presse écrite nationale, paraît

posséder depuis l’après-guerre un énorme potentiel en termes de populisme

médiatique, et ce pour trois raisons.

* Les empires médiatiques

Les journaux nationaux sont très puissants. Non seulement leur poids en termes

de tirage est faramineux69, mais ils sont surtout parvenus à constituer de véritables

empires. Leurs tentacules se sont déployées dans un large panel de services, y compris

les chaînes de télévisions nationales : Nippon Television est détenue en majorité par le

journal Yomiuri, le journal Mainichi est un actionnaire important de la chaîne TBS, Fuji

Television fait partie du groupe Fujisankei Communication, extension du journal Sankei,

le journal Nikkei possède en partie TV Tôkyô, le journal Asahi est actionnaire

majoritaire de TV Asahi... Cette relation croisée existe malgré les régulations stipulant

qu’un journal n’a pas le droit de contrôler de chaînes de télévision. Par différents

moyens, notamment les investissements vers des « entreprises sœurs », les journaux

nationaux s’avèrent de fait les plus importants décideurs dans chaque compagnie

commerciale de télévision70.

* La grande liberté des médias

La seconde caractéristique importante des médias au Japon est la liberté dont ils

jouissent. Depuis la Seconde Guerre mondiale, aucune loi ne la restreint. S’ils sont

certes sujets aux lois pénales et anti-monopolistiques, la loi reconnaît spécifiquement

aux journaux et télévisions le droit de recueillir des informations, de les rapporter et de

69 En 2005 le Yomiuri tirait à 13,8 millions d’exemplaires par jour (dont 10 millions de matin), le Asahi à 11,6 millions (dont 8 le matin), le Mainichi à 5,5 millions (dont 4 le matin) et le Nikkei à 4,6 millions (dont 3 le matin) : Ambassade de France au Japon, « Panorama de la presse japonaise », (dernière mise à jour : 3 octobre 2007) : http://www.ambafrance-jp.org/IMG/pdf/Panorama-Presse-ecrite.pdf 70 FELDMAN Ofer, Politics and the News Media in Japan, The University of Michigan Press, 1993

26

les commenter. La liberté d’expression est garantie par l’article 21 de la Constitution71 et

le gouvernement est très peu enclin à censurer les médias. Chaque année le Japon est

classé parmi les pays du monde où la presse est la moins contrôlée72. A la différence

des autres industries, ils ne disposent pas de ministère qui puisse regarder par dessus

leurs épaules. Les limitations subies sont en général volontaires et relèvent du domaine

informel. Sur le plan économique, tout porte à croire que les médias sont largement

indépendants du pouvoir et capables de se financer par eux-mêmes. A l’inverse, la

presse semble avoir timidement relayé des problèmes d’empoisonnements alimentaires

ou de sécurité de certains produits… en raison de leur dépendance à la publicité

pourvue par les industries concernées par ces problèmes73.

* Les médias respectés et influents

Les médias sont capables de délimiter l’opinion publique et d’imposer la

structure des débats politiques. La société japonaise moderne est largement

répondante aux symboles et images véhiculées par des médias qui contribuent

massivement à la diffusion du savoir et de la culture. La presse écrite, particulièrement

tenue en estime, est perçue comme une force qui fait contrepoids à l’austérité

impersonnelle des politiciens. Les japonais la lisent massivement et son influence sur la

façon de penser l’information est exceptionnelle.

Les médias exercent occasionnellement un effet direct sur le système politique

en contribuant à façonner les résultats électoraux. Malgré l’interdiction juridique, ils

publient des sondages qui prédisent qui sera certainement élu et qui n’a que peu de

chances de l’être. L’ « effet d’annonce » (anaunsu kôka) ainsi provoqué peut changer le

cours des élections74. Jiji press a par exemple aidé Koizumi à se faire élire à la tête du

PLD en 2001, en publiant un sondage le donnant gagnant alors que les écarts étaient

peu significatifs75. Cela a crédibilisé sa candidature et donc donné confiance aux

électeurs.

1.2 … restreint par trois biais

Malgré cette santé extraordinaire, le monde médiatique n’est d’une influence

politique que limitée, ce en raison de la neutralité à laquelle il est contraint et à

laquelle il se contraint.

71 Article 21 de la Constitution japonaise : “Freedom of assembly and association as well as speech, press and all other forms of expression are guaranteed. (2) No censorship shall be maintained, nor shall the secrecy of any means of communication be violated” : http://www.ndl.go.jp/constitution/e/etc/c01.html#s3 72 Un exemple, le classement de la liberté de la presse 2009 de Reporter Sans Frontières place le Japon au 17ème rang et la France au 43ème : http://www.webchercheurs.com/14/1574-fr-classement-liberte-de-la-presse-2009-rsf.html 73 FELDMAN Ofer, Politics and the News Media in Japan, op.cit 74 Ibidem 75 KABASHIMA Ikuo et STEEL Gill, op.cit, p113

27

* Une loi électorale très stricte

La loi électorale est très stricte à l’égard des médias76. En dépit de leur énorme

potentiel d’influence, ceux-ci sont tenus à la neutralité. Aucun média n’est autorisé à

afficher son soutien à quelque parti que ce soit, aussi s’avèrent-ils difficiles à utiliser

pour les hommes politiques. L’article 148-2 interdit la publication de nouvelles

susceptibles d’influencer le résultat d’une élection, et l’article 148-3 la publication de

sondages d’opinion révélant les forces des candidats (bien qu’ils le fassent tous). Les

candidats, pour leur part, ne sont pas autorisés à acheter du temps à la télévision ou

des emplacements publicitaires dans les journaux. L’article 150 explique que les

passages médiatisés des candidats en campagne électorale sont entièrement financés

par l’Etat et consistent en quatre apparitions télévisuelles, deux sur la chaîne publique

NHK et deux sur l’ensemble des chaînes privées (au choix du candidat). Chaque

passage ne peut durer plus de 5 minutes et 30 secondes. Les candidats n’ont également

droit qu’à deux apparitions à la radio et cinq encadrés publicitaires dans les journaux,

de tailles strictement délimitées. Le cinquième point de l’article 150 précise que tous les

candidats ont droit au même traitement dans les médias. La durée légale de campagne

pour les élections législatives au Japon n’est que de douze jours, ce qui laisse très peu

de temps à l’entrepreneur politique pour établir une stratégie de communication dans

le cadre strictement juridique.

* Le « code d’éthique du journalisme » : éloge de la neutralité

A cette restriction imposée aux médias s’ajoute une restriction volontaire, le

« code d’éthique du journalisme ». Les médias se doivent de respecter trois

principes censés garantir leur indépendance, et que l’on pourrait tous traduire par

« neutralité » en français : « fuhen » (impartialité ou neutralité), « futô » (neutralité

politique) et « chûritsu kôsei » (justice ou neutralité juste) 77 . Ces trois termes

pourraient signifier « neutre » en français. Les canons du journalisme japonais

stipulent que les reportages et éditoriaux doivent être sujets à de nombreuses

restrictions volontaires. Les écrits ne doivent pas être biaisés par l’opinion du reporter,

ni être utilisables par une quelconque propagande. Le caractère strictement

professionnel voire répétitif des articles fait que les lecteurs de journaux japonais dits

d’opinion (Asahi, Yomiuri, Mainichi, Nikkei, Sankei…) ne reçoivent que peu d’influence

idéologique en comparaison aux journaux français.

* La complicité des médias avec le pouvoir : le « système de clubs de reporters »

Malgré leur indépendance, les médias sont partie intégrante d’un réseau étroit

de relations avec les mondes politique et financier, que l’on nomme « système de clubs

76 Pour lire la loi électorale japonaise en détail : http://www.houko.com/00/01/S25/100.HTM 77 FELDMAN Ofer, Politics and the News Media in Japan, op.cit

28

de reporters ». Celui-ci laisse peu d’espace aux entrepreneurs politiques dans la mise

en scène de leur image. Sa logique est simple, le journaliste souhaitant obtenir des

informations particulières ou traiter d’un sujet précis sur une longue période s’inscrit

dans le club de presse affilié à son sujet afin d’entrer directement en contact avec

l’administration susceptible de l’aider au mieux. Il peut profiter d’un accès facile et

rapide à l’information et de certains privilèges, comme le droit de participer à des

tables rondes rassemblant des individus a priori difficiles à rencontrer78. Ce système est

à la fois utile pour le journaliste et pour le politicien concerné par d’éventuels

reportages.

Héritage de la période militariste dans laquelle la presse obéissait au pouvoir, le

« système de clubs de reporters » crée des liens entre les sphères politique et

médiatique qui, à l’évidence, encouragent à donner une image positive de l’Etat et du

gouvernement79. Alors que les structures formelles doivent assurer l’autonomie des

médias, c’est un processus informel qui engendre donc conformité et dépendance vis-

à-vis des sources officielles. Les journalistes dépendent principalement de la

bureaucratie et non du Cabinet du Premier ministre, que ce soit pour la presse ou la

télévision, dominée par la chaîne publique NHK80. Le fonctionnement des médias

contribue par conséquent à diminuer de facto l’influence politique de l’image du

Premier ministre81.

1.3 La critique supportrice du pouvoir

Les médias japonais ont par ailleurs été, dans le « système de 1955 », partie

prenante d’un jeu de complicité avec le monde politique qui a renforcé le pouvoir du

PLD sur le long-terme. Paradoxalement, ils l’ont d’abord aidé par l’absence et la

neutralité82. Sans les règles de direction auto-contraignantes, les médias auraient pu

être une force beaucoup plus influente dans le système politique. La loi électorale et le

« code d’éthique du journalisme » ont fait qu’aucun candidat ne pouvait améliorer ses

chances d’être élu par le biais médiatique, ce qui a de facto donné un net avantage aux

personnalités disposant des trois « ban » (voir page 19)… en général des députés PLD.

La place intermédiaire des médias au sein de la société japonaise, donnant des

ressources à toutes les forces politiques, semble avoir pareillement mené à la

neutralité83.

78 PHARR Susan, “Media as a Trickster in Japan: A Comparative Perspective”, in PHARR Susan et KRAUSS Ellis (dir.), Media and Politics in Japan, University of Hawaii Press, 1996 79 Ibidem 80 KRAUSS Ellis, Broadcasting Politics in Japan. NHK and television news, Owl Books, 2001 81 KRAUSS Ellis et NYBLADE Benjamin, op.cit, p359 82 PHARR Susan, op.cit 83 KABASHIMA Ikuo et BROADBENT Jeffrey, “Referent pluralism: Mass Media and Politics in Japan”, in Journal of Japanese Studies, vol.12, n°2, 1986 : le “referent pluralism” signifie que les médias donnent des moyens d’agir à tous les groupes politiques, et ainsi contribuent à faire vivre la démocratie.

29

Mais surtout, les médias semblaient s’être assigné un rôle consistant à rendre le

gouvernement responsable de ses actes en appelant régulièrement la classe politique

au sursaut. On a dit à propos du PLD qu’il pratiquait un conservatisme « créatif » par

réaction pragmatique aux aléas de l’opinion publique84. Ce qui a priori était une féroce

critique du gouvernement a en réalité été une « critique supportrice », car contribuant

à consolider son pouvoir. Cette critique virulente de la classe politique par les médias

« nourrit dans le public un cynisme et un scepticisme qui sont, en dernier ressort,

beaucoup plus favorables au statu quo qu’au changement. En ce sens, bien qu’elle le

critique durement, la grande presse nippone sert sans doute le PLD avec plus d’efficacité

que Le Figaro la droite française en la couvrant de louanges »85. Les médias, en se faisant

porte-parole des aspirations populaires, ont permis à des élites politiques souvent

déconnectées du peuple de mieux comprendre ce qu’il attendait, et ainsi d’adapter plus

rapidement leur politique pour préserver l’essentiel de leur légitimité.

2. Le « darwinisme charismatique »

2.1 Les transformation des médias

* La diversification de l’information politique

Depuis la fin de la décennie 1980 un changement s’est déroulé dans les médias,

principalement la télévision, qui a consisté en une confusion croissante entre les types

de programmes. Les émissions d’information et de divertissement ont tendu à se diluer

les unes dans les autres, brouillant les repères et ouvrant une brèche à un nouveau type

d’hommes politiques. « News Station », émission de TV Asahi, a modifié la façon dont

on fait de l’information au Japon. Son présentateur, Kume Hiroshi, commentait

l’actualité politique en usant de termes humoristiques et un style que l’on apparentait

habituellement aux programmes de divertissement. Les autres chaînes de télévision se

sont inspirées de son succès pour modifier la façon dont elles présentaient

l’information politique. Dans l’émission « Sunday Project », toujours sur TV Asahi,

présentée par le célèbre comédien Shimada Shinsuke, un quart d’heure était consacré à

un petit talk show qui a de plus en plus accueilli de personnalités politiques. Le

présentateur estime que cette évolution est due à la situation politique mondiale des

années 1990. La gravité de certains événements internationaux (massacre de

Tiananmen, chute du mur de Berlin, guerre du Golfe…) et des scandales nationaux

(Recruit-Cosmos notamment, voir page 36) a fait prendre conscience que la politique

84 PHARR Susan, op.cit 85 BOUISSOU Jean-Marie, Quand les sumos apprennent à danser, op.cit, p341

30

était bien plus captivante que le sport ou les dorama (séries télévisées japonaises,

coréennes ou chinoises)86.

* L’essor de la politique spectacle

Alors que les programmes d’information ont perdu de leur rigueur au profit du

spectacle, les programmes de divertissement ont commencé à aborder des sujets

politiques. En dehors des nombreuses catégories d’émissions porteuses d’idées

politiques comme les dorama ou les talk shows, ce que l’on nomme « wide shows »

(longs programmes diffusés les matins et après-midis visant les femmes au foyer), ont

augmenté la part de leurs sujets politiques. Makiko Tanaka, politicienne charismatique,

fille de Tanaka Kakuei et ministre des Affaires étrangères de Koizumi de 2001 à 2002, a

illustré à merveille la politisation nouvelle des wide shows télévisés. Bien qu’elle était

en conflit avec une grande partie du PLD et de sa propre administration, elle a su

rester ministre des Affaires étrangères pendant presque un an grâce au soutien que lui

apportaient les wide shows (lieu où il est facile de susciter l’empathie de la population),

alors que les grands journaux ont unanimement dénoncé son attitude sur leurs

premières pages. Les citoyens l’ont en moyenne évaluée plus négativement s’ils se

référaient aux journaux que s’ils regardaient la télévision87.

Contrairement à des journaux télévisés qui abordent la politique de manière très

formelle, les wide shows permettent au téléspectateur d’assouvir son envie de découvrir

les « vraies intentions » cachées derrière les apparences. Au moyen de seconds

couteaux tels les journaux sportifs ou « people », les politiciens charismatiques sont

désormais capables de contourner le « système de clubs de reporters » et les grands

journaux nationaux. La critique supportrice des grands médias a par conséquent perdu

structurellement en importance au profit d’un jeu concurrentiel entre entrepreneurs

politiques. La conséquence directe de ces changements est que les hommes politiques

apparaissent de plus en plus dans les médias. Voir des commentaires de politiciens

dans les programmes de divertissement, ou sur son téléphone portable, est devenu

banal. Ils sont par exemple six à être apparus dans « Quiz Millionaire », équivalent

nippon de « Qui veut gagner des millions ? », entre avril 2000 et août 2004. La télé-

politique est sans doute plus naturelle pour les politiciens jeunes, malgré tout certains

anciens s’y prêtent avec beaucoup d’intérêt, comme Koizumi Junichirô. Son

omniprésence dans les médias a été qualifiée de « théâtre » par les quotidiens nippons.

Le 8 juillet 2001, peu après son élection au poste de Premier ministre, il fait son entrée

sur le plateau de l’émission « Hôdô 2001 » (Fuji TV) accompagné d’une musique de

86 TANIGUCHI Masaki, “Changing Media, Changing Politics in Japan”, in Japanese Journal of Political Science, vol.8, n°1, 2007 87 Ibidem

31

Queen. Trois jours plus tard on le voyait sur NNN News Plus en train de parler de son

sens de la mode et de ses nouilles chinoises favorites, entouré de dames intéressées88.

* L’émergence d’Internet

L’émergence du nouveau média qu’est Internet a également bousculé les

pratiques politiques. Celui-ci possède par essence un fort potentiel en termes de

populisme, tant il permet de donner l’illusion d’un lien direct entretenu avec le chef. La

loi électorale, dépassée par la rapidité du phénomène, n’a affirmé aucune proscription

à son égard, aussi de nombreux parlementaires se sont-ils lancés dans la brèche. « 100%

des élus de la Chambre basse possèdent un site Internet et ce depuis 2003, alors qu’ils

n’étaient que 30% en 1996 »89. Capucine Lix, ancienne étudiante de l’IEP de Paris, a noté

que le Japon dispose depuis les années 1990 d’une considérable avance sur la France

dans ce domaine. « La différence majeure entre la France et le Japon (…) est la

propension des élus à avoir recours à Internet et à l’utiliser dans le cadre de la

mobilisation des électeurs »90. Le premier chef de gouvernement à avoir utilisé ce

potentiel est Koizumi Junichirô lorsqu’il a créé le 29 mai 2001 la newsletter, « Lion

Heart, un message du Premier ministre ». Par un style respectueux de ses lecteurs et

l’énonciation d’anecdotes personnelles, il a pu instaurer un lien de proximité fictive

avec l’électeur, ce que la loi électorale avait voulu interdire (voir page 27).

2.2 Le « darwinisme charismatique » : nouvelle bataille médiatique

Le métier d’homme politique exige désormais la maîtrise de nouvelles

compétences télévisuelles, dont la majeure partie de l’élite traditionnelle est dépourvue.

De plus en plus d’électeurs estiment la télévision utile dans leurs choix électoraux,

aussi les hommes politiques sont incités à se construire un « charisme audiovisuel ».

Cette nouvelle donne a des répercussions sur l’organisation même des partis. En effet,

les compétences administratives ne suffisent plus dans la nomination à un poste

important, la capacité à animer des débats publics et répondre aux attaques de

l’opposition est prise en compte. Le politiste Taniguchi Masaki donne l’exemple de

Tsujimoto Kiyomi, devenu membre du conseil exécutif du Parti Démocrate-Social

grâce à ses performances télévisuelles91. En ce sens, le monde politique japonais a

assisté à l’essor de ce que l’on peut qualifier de « darwinisme charismatique », tant le

charisme audiovisuel est devenu une compétence nouvelle par laquelle s’effectue le

processus d’élimination ou de promotion du personnel politique au sein des partis.

L’opinion publique a ainsi quitté de facto sa passivité du « système de 1955 » et joue un

88 Ibidem 89 LIX Capucine, Etat des lieux d’une « révolution politique ». Modalités et spécificités du renouvellement de la classe politique au Japon, mémoire de master Politique comparée mention Asie de l’IEP de Paris, 2007, p95 90 Ibidem, loc.cit 91 TANIGUCHI Masaki, op.cit

32

rôle primordial dans la carrière des entrepreneurs politiques. Contrairement à la

neutralité tant voulue par le législateur et revendiquée par le journaliste, il est

désormais possible pour le politicien de prendre avantage sur ses concurrents par le

biais médiatique. La télévision, tout particulièrement les chaînes nationales, est

devenue le lieu privilégié de la communication politique. Après avoir retrouvé le

pouvoir en 1996, le PLD a entamé une refondation médiatique (de faible intensité

toutefois, il nous suffit de voir l’incompétence médiatique des Premiers ministres ayant

succédés à Koizumi) en commençant à mettre à ses meilleurs postes des hommes

capables de communiquer dans les médias.

C - Les mentalités – du mythe national au mythe du

sauveur

Le Japon est passé à partir des années 1980 d’une phase de gloire où l’on

s’interrogeait sur sa possibilité de devenir la première puissance mondiale92, à une

« décennie perdue » faite de déclin économique, moral et politique. L’originalité d’un

Japon riche mais égalitaire a cédé place aux problèmes de la « post-modernité » :

affirmation des différences et peur de l’avenir. Les gouvernements qui se sont succédés

se sont avérés incapables de lutter contre la lente évolution à la baisse générale des

salaires, la hausse des inégalités et du chômage. Largement concernées par des affaires

de corruption, les organisations politiques traditionnelles se sont discréditées. La

société japonaise a dès lors cherché à retrouver espoir en se laissant séduire par des

entrepreneurs politiques incarnant un leadership charismatique « providentiel ».

1. La crise identitaire

1.1 La fin d’un modèle économique égalitaire

La défaite de 1945 a permis aux Etats-Unis d’imposer au Japon une

démocratisation institutionnelle sans précédent. Le pays est passé, pour reprendre la

dichotomie de Karl Popper (La société ouverte et ses ennemis), d’une société fermée et

militariste, à une société ouverte et démocratique. La création d’une vaste classe

moyenne a permis de recréer de l’intégration sociale. Malgré la dualité du marché du

92 GODEMENT François, La renaissance de l’Asie, Editions Odile Jacob, 1993, chapitre 7 – Le Japon, première puissance mondiale ?, p211 : l’auteur indique que le PIB japonais a dépassé le PIB allemand en 1987 et qu’il a atteint les deux tiers du PIB américain en 1991.

33

travail (l’existence des « employés à vie » était conditionnée par celle de travailleurs

précaires), l’organisation de la vie sociale sur le modèle occidental de la famille

nucléaire a permis une « moyennisation » des niveaux de vie. L’employé « à vie » –

toujours de sexe masculin – était chargé d’assurer les rentrées d’argent, tandis que la

femme au foyer (autrefois réservée à une élite) gérait les affaires familiales courantes.

Les individus ont adopté un style de vie « moyen », une « culture moyenne » de masse

s’est rapidement diffusée, bien aidée par l’essor de médias qui ont rapidement couvert

tout le territoire.

Or, la « moyennisation » des niveaux de vie qui caractérisait le modèle de

croissance du Japon s’est effritée à partir des années 1980. Une double tendance s’est

progressivement affirmée. D’un côté, le développement de l’emploi précaire ; de l’autre,

l’érosion du nombre de travailleurs concernés par l’ « emploi à vie »93. La levée des

protections dans certains secteurs de l’économie et une importante récession

économique depuis 1988, ponctuée par l’éclatement de la bulle spéculative, ont

entraîné une hausse des inégalités. Celle-ci a fait apparaître une opposition nouvelle

entre ce que les médias ont appelé les « kachigumi » (groupe des vainqueurs, nouveaux

riches) et les « makegumi » (groupe des perdants, nouveaux pauvres). « L’image de la

société égalitaire devient moins crédible quand tous ceux qui possèdent du terrain

doublent ou triplent leurs fortunes en 1985 et 1988 »94. D’un côté, les nouvelles fortunes

issues de l’emballement financier hésitent moins à renoncer à une modestie

caractéristique de la japonité95. De l’autre, la hausse générale des prix, notamment

dans l’immobilier et les produits importés, a nourri un sentiment général de

paupérisation au sein de la classe moyenne. Parallèlement, les nouvelles exigences en

matière de bien-être ont rendu certains emplois impopulaires : ce que l’on a qualifié de

3K – « kitanai » (sale), « kitsui » (difficile) et « kiken » (dangereux) – ne trouvent plus

preneurs96. Cette érosion du modèle économique a eu un impact sur celle du modèle

identitaire.

93 La population de travailleurs précaires au Japon a presque doublé entre 1990 et 2008, passant de 8810 millions à 17790 millions. Au cours de la décennie 1990 leur nombre est progressivement passé de près de 9 millions à près de 13 millions. L’augmentation des emplois précaires a accompagné une diminution des « emplois à vie » : la probabilité de rester chez le même employeur pendant 10 ans est passée de 63% en 1992 à 49% en 2002. Source : FORTIN Aurélien et SICSIC Michaël, « Les mutations du marché du travail japonais et ses conséquences sur le modèle de croissance », in Trésor-éco (Direction Générale du Trésor et de la Politique Economique), n° 65, Septembre 2009 : http://www.dgtpe.minefi.gouv.fr/TRESOR_ECO/francais/pdf/2009-017-65.pdf 94 BOUISSOU Jean-Marie, Le Japon depuis 1945, Editions Armand Colin/Masson, Collection Cursus Histoire, 2ème édition, 1997, p142 95 L’entrepreneur Horie Takafumi, candidat aux côtés de Koizumi Junichirô en 2005, constitue le symbole le plus médiatique de cette richesse affichée de manière ostentatoire. 96 BOUISSOU Jean-Marie, Le Japon depuis 1945, op.cit, p141

34

1.2 La crise identitaire

Les années de Haute Croissance ont permis, après l’échec du militarisme, de

recréer un fort sentiment d’appartenance à la Nation japonaise qui, au delà de la

« moyennisation » économique et culturelle, se fondait sur un mythe d’unicité

ethnique. Il a été établi une « nippologie »97 qui devait assurer l’absence de troubles

politiques. Celle-ci a fait l’apologie de la culture nippone reconstituée et promu un

modèle d’interaction sociale centré sur l’empathie et le manque de désir de conflit : la

politique a été confinée au théâtre démocratique (voir page 17). Le sentiment

d’appartenance a été le pansement nécessaire aux plaies laissées par un déracinement

dû à la migration économique vers les villes et à l’augmentation des relations

anonymes (par opposition aux relations villageoises personnalisées). L’espoir de voir le

niveau de vie général s’accroître et le sentiment d’avoir un objectif commun de

développement, ont rendu les japonais insensibles au populisme durant ces années de ;

celui-ci n’existe en effet que pour répondre à un malaise d’ampleur nationale.

Or, dans les années 1990, l’intégration et la pacification des années de Haute

Croissance ont cédé place à la différenciation et la conflictualisation des sociétés post-

modernes occidentales. Comme l’indique le sociologue Yatabe Kazuhiko, il y a eu un

« divorce entre les individus et les différentes dimensions – politique, idéologique, sociale

– qui assuraient l’intégration de la société, ainsi que les voies empruntées pour tenter de

combler cet écart constitutif de la modernité »98. Cela s’est notamment manifesté par

l’attrait retrouvé du néonationalisme, le bénévolat associatif, le consumérisme

ostentatoire et, a fortiori, la contestation politique. L’étiquetage identitaire est dès lors

devenu plus complexe, « les références culturelles, jadis comprises et partagées par tous,

se multiplient et s’émiettent »99. Le sentiment identitaire unifié s’éclate en de multiples

sous-cultures. Des tribus d’individus (zoku) se réunissent pour une passion ou une

cause communes. On assiste à l’essor de nouveaux mouvements sociaux d’une grande

variété, allant de la défense du consommateur au droit à l’information ou à la lutte

contre les discriminations (lépreux, hémophiles…). Tous traduisent le fait que

désormais les institutions traditionnelles servent de moins en moins de refuge et les

élites sont plus aisément remises en question. Le populisme est rendu possible dans la

mesure où il met en scène son opposition par rapport aux appareils politiques

traditionnels.

97 YATABE Kazuhiko, op.cit, p87 98 Ibidem, p77 99 Ibidem, p112

35

1.3 La démocratisation du charisme

La défiance vis-à-vis de la société traditionnelle s’est traduite par l’affirmation

des différences individuelles. « Les années 1990 ont ébranlé la société uniformisée, où

prévalait la règle minna onaji minna issho (tous semblables, tous ensemble) »100. Les

individus ont commencé à construire leurs vies dans une optique de singularité, aussi

la hausse des actions civiques peut être comprise comme destinée à développer le moi,

une solidarité ou une utilité sociale… Dans les années 1990, « pour décrire la société du

futur, les deux mots à la mode sont nettowaku (pour network : réseau) et kyôsei

(symbiose). Le premier dépeint une association souple et volontaire d’acteurs autonomes

et égaux. Le second rejette toute forme d’intégration autoritaire et uniformisatrice,

refuse le jeu du rapport de forces, et survalorise le respect des différences et

l’enrichissement mutuel à travers une interaction harmonieuse »101. La résistance à la

tradition est principalement venue des villes. Coloration des cheveux en blond,

prostitution des jeunes filles… « la crise a libéré l’hédonisme refoulé » 102 . Cette

focalisation sur soi se manifeste dans la préférence au personnage du héros qui change

le monde plutôt qu’à l’idéal du groupe uni dans l’adversité : « dans les stades, les

exploits individuels des stars du football attirent plus de foule que le métronome

« corseté » du base-ball »103. Le sport comme preuve du changement des mentalités.

C’est également à partir de ce moment que le terme de « charisme » (karisuma)

émerge dans la société japonaise. Inusité auparavant, il désigne aujourd’hui,

principalement chez les jeunes, n’importe quel individu disposant d’une qualité perçue

comme extraordinaire : la définition de Max Weber s’est démocratisée. Dans la plupart

des cas il s’agit de qualités visuelles : coiffure excentrique, style vestimentaire… qui

mettent en valeur une sorte de différence libératrice par opposition à l’oppressante

« culture moyenne » des années de Haute Croissance. Pour avoir une idée des qualités

requises pour être charismatique dans le Japon branché du 21ème siècle, il suffit de

répondre au questionnaire proposé par un site Internet 104 : 25 questions qui

déterminent le « niveau de charisme » (karisuma-teki) que l’on possède. Il semblerait

que, pour obtenir un bon score de charisme, il faille à chaque fois relativiser le contrôle

social et affirmer sa liberté personnelle. Il faut par exemple répondre que la

prostitution n’est pas un mal en soi, que l’on préfère vivre comme un chat plutôt que

comme un chien, que l’on veut partir à l’étranger en vacances pour flâner au bord de

mer, que l’on a une forte volonté, que l’on sait parler en public, que l’on a un côté

100 GARRIGUE-TESTARD Anne et CHEVALIER Sylvie, L’évolution des mentalités dans les années 1990, in BOUISSOU Jean-Marie (dir.), Le Japon contemporain, Editions Fayard/CERI, 2007, p469 101 BOUISSOU Jean-Marie, Le Japon depuis 1945, op.cit, p168 102 BOUISSOU Jean-Marie, Quand les sumos apprennent à danser, op.cit, p514 103 BOUISSOU Jean-Marie, Le Japon depuis 1945, op.cit, p168 et 169 104 « Déterminer son charisme » (カリスマ判定) : http://noby.akira.ne.jp/karisuma/mondai.cgi

36

religieux, voire superstitieux… L’affirmation du charisme est symptomatique du rejet

de la société des anciens.

2. La crise politique

2.1 La classe politique discréditée par des scandales

Les troubles économiques ont réveillé dans la population un sentiment de

frustration et d’incapacité à transformer un monde politique dominé depuis 1955 par le

seul Parti Libéral-Démocrate. La situation a évolué à la fin des années 1980 à la suite de

plusieurs facteurs dont les excès de l’économie spéculative et les choix politiques du

PLD – notamment ceux d’augmenter les dépenses militaires et la taxe à la

consommation. Toutefois, le principal moteur de cette crise de la représentation

politique a été le scandale Recruit-Cosmos qui a éclaté en 1988. Celui-ci a révélé à

l’opinion un immense réseau de corruption mêlant aux yakuza une majeure partie de

la classe politique : le Premier ministre alors en exercice Takeshita Noboru (contraint

de démissionner), l’ancien Premier ministre Nakasone Yasuhiro, tous les chefs de

factions du PLD, les principaux dirigeants du Parti Socialiste, du Kômeitô105, les

journaux Yomiuri et Nikkei… La perte de confiance en la classe politique a été massive,

particulièrement pour le PLD qui, en perdant les élections sénatoriales de 1989, a

contribué à paralyser le processus de décision. L’affaire Sagawa-Kyûbin, nouvelle

histoire de corruption généralisée106, enfonce le clou deux années plus tard. Devant

une classe politique complètement discréditée par son incapacité à répondre

rapidement aux diverses situations d’urgence, la thématique du changement à tout

prix est devenue populaire dans l’opinion. Le thème de la « réforme politique » (seiji

kaikaku) a largement occupé les médias. L’abstention est montée très rapidement (de

26,7 % aux législatives de 1990 à 40,3 % à celles de 1996), tout comme le nombre

d’électeurs dits « flottants »107. Désormais une majorité d’électeurs « ne s’identifie plus à

aucun parti (environ 60 %), partage le sentiment que des changements profonds sont

inévitables et inquiétants (environ 70 %), et ne font pas confiance aux responsables

politiques pour les en protéger (environ 85 %) »108.

105 Le Kômeitô (Parti du Gouvernement Eclairé), ou Nouveau Kômeitô depuis 1998, est la branche politique de la secte bouddhiste Sôka Gakkai. Il participe au gouvernement PLD à partir de 1994. 106 BOUISSOU Jean-Marie, « Brève anatomie d’un scandale exemplaire », in Critique internationale, n°3, printemps 1999 : l’auteur explique que ce scandale « met crûment à jour les relations entre le PLD, l'extrême-droite et les boryokudan (organisations mafieuses) ». 107 Les électeurs « flottants » ont pour caractéristique de n’être fidèle à aucune formation politique et de voter en fonction des performances médiatiques de court-terme (en général pour punir les politiciens impliqués dans les scandales). 108 BOUISSOU Jean-Marie et P.POMBENI Paolo, op.cit, p565

37

2.2 Le Japon en quête d’un homme providentiel

* Les trois tentatives d’incarnation du changement politique

Il apparaît que la solution adéquate s’est trouvée dans un leader charismatique

capable de redonner espoir et mettre fin aux problèmes de la politique japonaise. Les

troubles de la « décennie perdue » ont rendu l’avenir inquiétant : hausse du chômage,

brouillement des repères identitaires, manque de leadership… Le caractère systémique

de la crise a entraîné la population à vouloir qu’un homme fort, « providentiel »,

prenne les rênes du pays. Dans les années 1990, le Japon a connu plusieurs tentatives

d’émergence de sauveurs portés par l’opinion. Après la démission de Takeshita Noboru,

le PLD a décidé en juillet 1989 de mettre à sa tête Kaifu Toshiki, homme non

éclaboussé par le scandale Recruit-Cosmos supposé être « propre » et « médiatique ».

Celui-ci a été contraint de démissionner en novembre 1991. Après cet échec, trois

personnalités médiatiques ont essayé d’incarner le sauveur qui redonne au pays sa

dignité : Doi Takako en 1989, Hosokawa Morihiro en 1992 et Kan Naoto en 1996.

Lorsqu’elle a pris la tête du Parti Socialiste, Doi Takako a été la première femme à

prendre les rênes d’un parti au Japon. Sa popularité très élevée a contribué à la victoire

de la gauche aux élections sénatoriales de 1989. Hosokawa Morihiro a été considéré

comme le « Kennedy japonais » lorsqu’il a pris les commandes d’une immense

coalition qui a évincé le PLD du gouvernement entre août 1993 et avril 1994. Kan Naoto

s’est fait connaître par son activisme au ministère de la Santé et du Bien-être Social en

osant aller contre la bureaucratie dans une affaire de sang contaminé. Ces trois

personnes ont eu pour point commun d’avoir été des « politiciens-bulles »109 dans le

sens où leur popularité a été très élevée (celle de Hosokawa a atteint 70% en 1993) mais

sur une courte période.

En effet, chacun des trois politiciens a par la suite échoué dans sa tentative

d’incarner le sauveur du peuple japonais. Il a manqué à Doi Takako la troisième

condition de la légitimité charismatique selon Max Weber, l’organisation110. Son parti

ne l’a jamais accepté à sa tête tant elle remettait en cause les privilèges du « système de

1955 ». Elle a par conséquent été évincée en 1991. Hosokawa Morihiro a échoué sur la

première condition définie par Max Weber – la croyance en une capacité

extraordinaire du chef –, tant son incompétence a été manifeste. Celui-ci « n’a eu

besoin de personne pour ruiner sa crédibilité avec sa fameuse conférence de presse

nocturne »111. Kan Naoto a quant à lui échoué sur le même critère lorsque les médias

sont parvenus à le surprendre « au petit matin sortant de l’hôtel aux mains d’une jeune

collaboratrice »112.

109 BOUISSOU Jean-Marie, Quand les sumos apprennent à danser, op.cit, p381 à 384 110 WEBER Max, op.cit, p323 111 BOUISSOU Jean-Marie, Quand les sumos apprennent à danser, op.cit, p383 112 Ibidem, loc.cit

38

* Les trois caractéristiques du sauveur japonais des années 1990

Koizumi Junichirô a eu à disposition plus d’outils institutionnels que ses

prédécesseurs pour imposer sa volonté à son parti et, par conséquent, mettre en scène

de manière crédible sa détermination dans les médias. Il a su tenir compte des trois

échecs de Doi, Hosokawa et Kan, pour s’imposer comme le sauveur tant désiré. Ce

dernier est la somme de trois caractéristiques qu’il a su mettre en scène à son profit :

1) Le sauveur prétend provenir des marges du système politique. Il ne peut

qu’être hors système, donc non concerné par le diktat de l’avancement à l’ancienneté.

La particularité de Takako Doi était de ne provenir ni du milieu syndical, comme il

était d’usage dans la formation socialiste, ni d’une dynastie politique, comme il était

d’usage dans tous les partis. Kan Naoto venait de la Ligue Social-Démocrate, un

« infime groupuscule » (qui n’a jamais dépassé les quatre députés)113. Koizumi n’était

pas chef de clan et ne pouvait pas devenir Premier ministre dans le « système de 1955 ».

Il a mis en avant sa rébellion vis-à-vis de l’avancement à l’ancienneté.

2) Le sauveur adopte la figure de l’amateur aux mains propres. Cela semble se

justifier au regard d’un contexte japonais marqué par des scandales de grande ampleur

et l’incompétence d’une partie importante de la classe politique. Doi a été populaire

car elle avait offert des postes importants à des militants associatifs, Hosokawa a lancé

en 1992 un appel au peuple, donc à des amateurs en politique, pour définir le meilleur

programme possible. Kan a eu le soutien des coopératives de consommation. Koizumi

a quant à lui su exploiter le filon en refusant de répartir les sièges ministériels entre les

clans et en nommant des personnalités jugées expertes au sein du Bureau du Cabinet.

3) Le sauveur prétend s’adresser au peuple avec sincérité. Il s’oppose à

l’archétype du politicien traditionnel qui ne sait pas s’exprimer dans les médias, ne

possède aucun panache, peu de caractère et doit dissimuler les intentions de son parti

à travers un langage alambiqué. Le sauveur ne peut qu’être quelqu’un d’atypique

(c’était le cas des trois « politiciens-bulles »), qui doit gagner le peuple à sa cause par les

émotions plus que la raison. Reprenant cet archétype du héros, Koizumi a fabriqué un

personnage prétendu être authentique.

113 Ibidem, p382

39

02 Koizumi Junichirô, un

leader charismatique

made for Japan

Une recette universelle

adaptée au goût japonais

40

Le leader charismatique fonctionne comme une recette de cuisine : c’est en

accommodant les saveurs le plus subtilement possible qu’il parvient à plaire à un grand

nombre de consommateurs. Chaque ingrédient doit à la fois posséder un goût

prononcé et parvenir à se faire discret au sein d’un mélange cohérent duquel se dégage

une saveur générale. Comme une recette de cuisine qui cumule les ingrédients, le bon

leader charismatique parvient à cumuler les postures et se fabriquer une image

cohérente mais originale.

Déjà en 1515, Nicolas Machiavel soulignait l’importance de l’image dans

l’aptitude d’un chef à se faire obéir, indiquant qu’Hannibal s’était fait respecter de son

armée car il avait l’image de quelqu’un de cruel114. Max Weber a par la suite estimé que

le charisme du chef se fondait sur la « croyance » en ses capacités extraordinaires, non

sur la « vérité » concrète de ses aptitudes mais sur la « vérité » perçue – ce qui semble

donner raison à Friedrich Nietzsche lorsque celui-ci avait défini la vérité comme

un ensemble de mensonges utiles115. Le leader charismatique doit parvenir à jouer sur

plusieurs tableaux et cumuler les postures avec efficacité. Un bon chef est un chef

multi-facettes. Alexandre Dorna a identifié plusieurs catégories de charisme :

« messianique », « populiste », « césariste », et même « républicain »116. Il semble que

les populistes médiatiques modernes cumulent tous plusieurs de ces catégories dans

un mélange, dont les proportions diffèrent toujours, mais qui structure leur

communication politique.

Koizumi Junichirô apparaît comme une adaptation japonaise de cette forme

universelle de leader charismatique. Il a habilement mêlé à la fois un « charisme

messianique » par sa promesse de « réforme » radicale du pays, un « charisme

césariste » par son ton martial et sa grande détermination, et un « charisme populiste »

fait de proximité construite avec les électeurs. Dans le même temps, le Premier

ministre partage un nombre significatif de techniques de mise en scène de son

charisme avec des populistes médiatiques contemporains. Comme dans la recette du

« Big Mac », Koizumi applique au Japon une formule universelle, mais dont les

proportions sont localement adaptées. Aussi le personnage doit d’abord être

caractérisé par ce qu’il a de commun avec d’autres leaders de style populiste

médiatique tels que Nicolas Sarkozy, Silvio Berlusconi et Thaksin Shinawatra.

Le succès de Koizumi a été exceptionnel : sa côte de popularité a oscillé entre

40% et 80% durant toute la durée de son mandat117. Il est parvenu à rallier à lui de

114 MACHIAVEL Nicolas, Le Prince, Editions Librio, 2004, chapitre XVII, p80 115 NIETZSCHE Friedrich Wilhelm, Vérités et mensonges au sens extra-moral, Editions Actes Sud, Collection Babel, 2002 116 DORNA Alexandre, Le leadership charismatique, Editions Desclée de Brouwer, Collection Provocation, 1998 117 Pour une analyse détaillée de son taux de soutien, voir : MORITA Dai, The Roles of Nationalism in Neoliberalisation. The Case of Neoliberalisation and Nationalism in Recent Japan, mémoire de master en sciences politiques à l’université de Canterbury, mars 2008, p124 à 130

41

nombreux déçus de la politique en se construisant une image à l’opposé de l’archétype

traditionnel du politicien. Comme le disent les japonais, les hommes politiques sont «

ennuyeux et ridicules » (tsumaranakute, omoshirokunai) » 118 . Depuis la fin de la

Seconde Guerre mondiale le leadership n’a que peu varié au Japon, la plupart des

politiciens ont eu à peu près les mêmes caractéristiques, ou ont été perçus comme

similaires. « N’exprimant jamais d’idées personnelles et originales, ils ont été perçus

comme manquant d’ambition, d’objectifs et d’agenda politique. Au lieu d’être forts,

visibles, sûrs d’eux et éloquents, les Premiers ministres japonais (…) étaient

remarquablement faibles, réactifs et peu enclin à la réforme »119. La sociologue Nakane

Chie a décrit le leadership comme « très faible au Japon, la classe dirigeante n’ayant pas

besoin d’exceller au niveau de l’intelligence, de l’efficacité ou du mérite ; elle acquiert sa

position par l’expérience et à la faveur de l’âge »120, en raison de la tradition politique et

du mode de scrutin d’avant 1994 (voir page 20). Elle en a déduit que les japonais

préfèrent un « leader réservé et consensuel »121. Koizumi a manifestement prouvé le

contraire. La classe politique s’est montrée incapable de résoudre les problèmes

économiques apparus dés les années 1970, et a été massivement discrédité par les

différents scandales des années 1990. Elle était donc loin de faire rêver un électorat

résigné.

La construction « en miroir » du personnage Koizumi s’est focalisée sur deux

qualités – la détermination et la sincérité – dont ne disposent pas les politiciens

« traditionnels », mais qui sont partagées avec les populistes médiatiques à l’échelle

mondiale.

1) Les « traditionnels » sont faibles et soumis à des logiques de parti. A l’inverse,

le personnage Koizumi est déterminé et a beaucoup de volonté personnelle. Il a

légitimé sa position « hors du système » par sa motivation romancée pour accomplir sa

« mission » de réformer le pays. C’est là son « charisme messianique » fondé sur la

détermination et l’idéal d’action, tel qu’identifié par Alexandre Dorna 122 ou Max

Weber123.

2) Les « traditionnels » sont dissimulateurs, peu communicants, ennuyeux,

austères. A l’inverse, le personnage Koizumi est sincère, authentique, drôle et proche

du peuple. Il s’est parfaitement bien adapté à l’affirmation des différences dans les

118 FELDMAN Ofer, “Personality and leadership”, in Asia Program Special Report, n°101, février 2002, p30 119 Ibidem, loc.cit 120 Idem, The Japanese Political Personality, Analysing the Motivations and Culture of Freshman Diet Members, St Martin’s Press, 2000, p13 121 LIX Capucine, op.cit, p6 122 DORNA Alexandre, « Le néopopulisme et le charisme », in La tentation populisme au cœur de l’Europe, sous la direction de IHL Olivier, CHENE Janine, VIAL Eric et WATERLOT Ghislain, Editions La Découverte, Collection « Recherches », 2003, p95 123 WEBER Max, op.cit

42

jeunes générations des années 1990124 (voir page 35) en affirmant efficacement la sienne.

Son charisme s’est fondé sur les principes d’« identification » et d’« incitation » tels que

décrit par Bernard et Ruth Bass125. Koizumi a mis en scène sa vie privée pour

désacraliser la fonction politique et ainsi se prétendre proche des citoyens.

Parallèlement, son caractère strictement japonais semble résider principalement dans

sa capacité à se montrer comme un personnage « fragile » et « mignon », propre à

susciter l’empathie chez l’électorat, notamment féminin.

A - Koizumi Junichirô, leader charismatique

1. Du politicien traditionnel au lion déterminé

1.1 Cultiver sa différence

* De l’héritier à l’outsider

Né le 8 janvier 1942, Koizumi Junichirô a passé la majeure partie de sa vie

politique dans la peau d’un banal héritier de troisième génération au sein du PLD. Son

grand-père, Koizumi Matajirō (1865-1951), a été ministre des Transports et

Communications sous les Premiers ministres Hamaguchi (1929 à 1931) et Wakatsuki

(1931) et, déjà à l’époque, un des premiers défenseurs de la privatisation de la poste.

Son père, Koizumi Junya (1904-1969), a été député et directeur général de l'Agence de

Défense japonaise. Koizumi Junichirô a quant à lui étudié l'économie à l'Université

Keio, puis, comme l’a aussi fait le populiste thaï Thaksin Shinawatra, étudié dans un

pays occidental, à l'Université de Londres.

Il a commencé sa carrière politique en 1970 comme l'héritier de son père dans la

préfecture de Kanagawa. Il a toutefois perdu sa première élection et s’est réorienté en

devenant secrétaire du ministre des finances PLD et futur Premier ministre, Fukuda

Takeo126. Il a ensuite pris sa revanche lors des élections de 1972 et rejoint la faction

Fukuda au sein du PLD. Celle-ci, généralement favorable au libéralisme et aux

privatisations, était opposée au localisme de la faction dirigée par le Premier ministre

124 GARRIGUE-TESTARD Anne et CHEVALIER Sylvie, L’évolution des mentalités dans les années 1990, in BOUISSOU Jean-Marie (dir.), Le Japon contemporain, Editions Fayard/CERI, 2007 125 BASS Bernard et BASS Ruth, “The Bass Handbook of Leadership: Theory, Research, and Managerial Applications”, Free Press, 2009 126 Fukuda Takeo a été Premier ministre de 1976 à 1978.

43

de l’époque, Tanaka Kakuei127. Koizumi a été réélu à plusieurs reprises dans la

préfecture de Kanagawa et est resté député jusqu'à prendre la présidence du parti en

2001. Il avait avant cela monté l’échelle politique en effectuant le traditionnel parcours

« à l’ancienneté ». En 1988 il a été ministre de la Santé et du Bien-être social, puis

ministre des Postes et Télécommunications en 1992 et une seconde fois ministre de la

Santé et du Bien-être social en 1996. Il s’est fait remarquer à ce poste en acceptant

immédiatement et solennellement, contre l’avis de son ministère, un jugement de la

Haute cour de justice condamnant l’Etat japonais sur une question pharmaceutique128.

A la fin des années 1990, son parcours n’était pourtant pas suffisant pour prétendre au

poste de Premier ministre.

En 1994, pendant la période de recomposition politique, il a eu le flair de

rejoindre le Shinseiki (littéralement, « nouveau siècle », aussi nommé YKK), une

nouvelle faction marginale au sein du PLD composée de jeunes politiciens prônant la

« réforme ». Il s’est porté candidat aux primaires internes au PLD en 1995 et 1998.

Malgré sa défaite (le chef étant désigné par les parlementaires sur la base d’un

consensus entre les factions les plus fortes), il a pu se construire et rendre crédible une

image de politicien en marge du parti. En 2001, le PLD discrédité décide d'organiser

une nouvelle élection de son président. Pour tenter de reconquérir des électeurs

méfiants qui le considèrent comme trop fermé sur les arrangements internes, il ouvre

le vote aux délégués des sections locales129. Koizumi, qui était clairement un outsider,

remporte une victoire écrasante130 contre l'apparatchik Hashimoto Ryûtarô, en majeure

partie grâce à ce fort soutien local131. A une époque de crise politique, les candidats

devaient avoir l'air de « réformistes » pour être élus ; à ce moment précis seul Koizumi

en était capable au PLD. Les médias l’ont de plus indirectement aidé en le décrivant

comme le symbole d’un nouveau type de politicien. C’était le début de ce que certains

auteurs ont appelé la « lune de miel » entre les médias et lui132.

127 BOUISSOU Jean-Marie, « L’alternance politique manquée (1972-1980) », in BOUISSOU Jean-Marie (dir.), Le Japon contemporain, Editions Fayard/CERI, 2007, p80 : en 1972, ce que l’on appelle la « guerre Kaku-Fuku » (kaku-fuku sensô) « ne fait que commencer ». 128 INOGUCHI Takashi, « The Personalization of Politics: Koizumi and Japanese Politics », Forthcoming in The Personalization of Politics, BLONDEL Jean et THIEBAULT Jean-Louis (dir.), Routledge, 2009, p5 129 En plus du vote des parlementaires, il a été accordé trois voix à chacune des 47 circonscriptions locales : ANDERSON Gregory, « Lionheart or Paper Tiger ? A first-term Koizumi perspective », in Asian Perspective, vol.28, n°1, 2004, p153 130 Il a obtenu les votes de 298 délégués, contre 155 pour Hashimoto Ryûtarô et 31 pour Aso Tarô. Les résultats sont disponibles sur le site Internet du PLD : http://www.jimin.jp/jimin/jimin/sousai01/ 131 ANDERSON Gregory, op.cit, loc.cit : Il a obtenu 87% des votes dans les circonscriptions locales (Hashimoto n’en a obtenu que 11%), et 51% des votes des parlementaires (contre 40% pour Hashimoto). Voir autrement, LIN Chao Chi, « How Koizumi won », in REED Steven, McELWAIN Kenneth Mori et SHIMIZU Kay (dir.), Political Change in Japan: Electoral Behavior, Party Realignment and the Koizumi Reforms, Stanford University, 2009 132 KABASHIMA Ikuo et STEEL Gill, op.cit

44

* L’« homme bizarre » de la vie politique japonaise

Koizumi a très tôt cultivé sa différence, son

excentricité. Il est décrit comme un « loup solitaire »

qui n’apprécie peu les réunions de groupe. Il est celui

qui agit seul et ne conspire pas, en ce sens il est censé

être un bon leader (toppulîdâ) proche du peuple133. Il

est pour les médias un « homme bizarre » (henjin)

depuis que Tanaka Makiko, fille de l’ancien Premier

ministre Tanaka Kakuei, l’avait ainsi qualifié lors de la

primaire PLD de 1998134. Koizumi a utilisé deux biais

visibles pour affirmer dans les médias sa « différence

motrice » le distinguant du reste de la classe politique :

sa coiffure et ses vêtements. Il a dans un premier temps

modifié sa coiffure pour en faire une sorte de double brushing gris tombant des deux

côtés de sa tête. D’un look de salariman classique (ressemblant légèrement à Jacques

Chirac, image ci-dessus135) – cheveux noirs, raie sur le côté peignée en arrière – il a

lentement évolué au cours des années 1990 jusqu’à atteindre sa coiffure définitive entre

1995 et 1998. Il l’a qualifié de « crinière », point de départ de son utilisation de la

métaphore du lion (voir page 145). Ses cheveux étaient non seulement différents de

ceux des autres politiciens, mais ils témoignaient indirectement de sa

« détermination » en lui donnant l’allure extraordinaire d’un héros de manga (voir

page 233). Le 13 octobre 2002 par exemple, Koizumi se rend sur un porte-avion de la

flotte japonaise pour assister à une

réunion militaire internationale au large

de la baie de Tôkyô. A bord, la camera

télévisée se focalise sur sa chevelure

ondulante. Filmé en contre-plongée,

chapeau sur le cœur, le regard orienté

vers l’horizon et les cheveux au vent, le

Premier ministre est au centre d’une

scène dont l’esthétique et l’héroïsme

font songer au manga politique (image

ci-contre)136. Cette excentricité capillaire

133 IIJIMA Isao, Les documents secrets du palais Koizumi (小泉官邸秘録), Nikkei-book, 2006, p3 à 5 134 KITERA Masato, « Japon : « Oui, la réforme est possible ! », in Politique Etrangère, n°1, 2002, p42 : Tanaka Makiko a désigné les trois candidats à la primaire PLD de 1998 par la formule « Bonjin, gunjin, henjin ». « ‘Bonjin’ (‘l’homme ordinaire’) pour Obuchi, ‘gunjin’ (‘le militaire’) pour Kajiyama – un ancien de l’Ecole militaire de l’Armée de terre –, et ‘henjin’ (‘le drôle de type’) pour Koizumi ». 135 IWASAKI Daisuke, Le côté sombre de Koizumi Junichirô (ダークサイド・オブ・小泉純一郎―「異形の宰

相」の蹉跌), Yôsensha, 2006, p135 136 Rencontre internationale des flottes militaires le dimanche 13 octobre 2002 (国際観艦式) : http://www.kantei.go.jp/jp/koizumiphoto/2002/10/13kankansiki.html

45

lui a rendu service en le rendant « jeune » – en raison de la longueur des cheveux et de

la permanente savamment entretenue – mais sage – en raison de la coloration grise -. Il

a dans le même temps marqué sa différence en portant des tenues claires et des

cravates colorées, en opposition au costume noir du politicien traditionnel. Il semble

avoir préféré les chemises blanches, qu’il portait en toutes circonstances, seules ou

accompagnées d’une veste noire, bleue grise ou également blanche137.

1.2 Le lion réformiste

* Un « charisme messianique » tourné vers la « réforme »

Max Weber avait associé l’idéaltype de leader charismatique à la figure du

prophète qui, en temps de crise, apporte des solutions radicales. Celui-ci est

nécessairement motivé par une « mission » ou une « vocation »138. Alexandre Dorna a

identifié ce type de charisme comme étant « messianique », du fait qu’il incarne un

sauveur dont la fonction est de servir d’ « antidépresseur » qui introduit de l’espoir là

où il n’y en a pas139. Son arrivée suppose par conséquent une profonde déception du

corps social envers la politique, et un sentiment d’attente. Koizumi correspond à

l’archétype de « charisme messianique » dans la mesure où il a proposé la

réforme comme solution aux problèmes des années 1990. L’un de ses slogans de

campagne était par exemple, « pas de développement sans réforme » (kaikaku nakushite

seichô nashi)140. Ses racines réformistes sont profondes, il est connu dés les années 1970

comme un opposant au clientélisme de son parti141. Il a défendu la réforme à travers

plusieurs ouvrages, notamment deux dont le titre contient le mot kaitai (体論)142,

signifiant « démolir », « démembrer », mais pouvant également se traduire par

« réformer ». Le Trésor de la langue française définit simplement la réforme comme

une « modification effectuée dans un but d'amélioration »143. Mais celle-ci est investie

d’une forte valeur symbolique dès lors qu’elle vise à critiquer les forces d’inertie

responsables de la crise, et proposer un avenir meilleur. Par opposition à un mal bien

présent, certains populistes médiatiques sont parvenus à faire valoir l’idéal de

« réforme » pour lui-même, sans qu’il possède de contenu propre. Nicolas Sarkozy

137 La liste des vidéos consultées pour ce mémoire est disponible page 118. Autrement, pour voir toutes les vidéos « officielles » de Koizumi : http://www.kantei.go.jp/jp/koizumiphoto/index.html 138 WEBER Max, op.cit, p324 139 DORNA Alexandre, Le leadership charismatique, op.cit, p28 140 SHIBUICHI Daiki, “The Yasukuni Shrine Dispute and the Politics of Identity in Japan: Why all the Fuss?”, in Asian Survey, Vol. 45, n°2, 2005, p210 141 GAUNDER Alisa, Political Reform in Japan, leadership looming large, Routledge, 2007, p132 142 KOIZUMI Junichirô, Réformer le ministère des postes et des télécommunications (郵政省解体論), Kôbunsha, 1994 Idem, Réformer le royaume des bureaucrates (官僚王国解体論), Kôbunsha, 1996 143 Trésor de la Langue Française : http://atilf.atilf.fr/tlf.htm

46

avait notamment fait de ce thème son cheval de bataille, qualifiant par exemple sa

première année de pouvoir comme la plus « réformatrice depuis De Gaulle...»144.

* La métaphore du lion

Koizumi Junichirô a pris prétexte de sa coiffure pour exploiter la métaphore du

lion. Comme en témoignent les fables d’Esope, le « roi des animaux » est depuis fort

longtemps en Occident une figure d’autorité, de courage, de bravoure et de force.

L’historienne Elena Cassin a montré qu’il était déjà associé au roi dans la Mésopotamie

du troisième millénaire avec J-C145. Difficile de savoir quand cette image est apparue au

Japon. Dans le théâtre kabuki (né au 17ème siècle), le lion est un démon puissant qui

exprime sa colère. Koizumi a orienté cette image de puissance et de courage vers

l’accomplissement des « réformes ». Le nom qu’il a choisi pour son « mail magazine »,

« Lion Heart, un message du Premier ministre », est par exemple simple mais très

évocateur du message qu’il souhaite véhiculer sur sa propre personne. Dans la version

anglaise, chaque fin de chronique rappelle le sens du qualificatif « Lion Heart » : « le

titre de cette chronique, ‘Lion Heart’, est une référence à la coiffure à la lion du Premier

ministre et son inflexible détermination à faire avancer des réformes structurelles ». Ce

qui n’est qu’un choix capillaire est ici associé à une symbolique politique héroïque. Par

ailleurs, « le lion renvoie à la ‘crinière’ du Premier ministre mais aussi à une discrète

allusion familiale : le père de Koizumi (le grand-père en réalité), Matajirô, avait été

ministre des Transports et des Communications sous le Cabinet dirigé par Hamaguchi

Osachi surnommé ‘Le Lion’ »146. Koizumi a aussi joué sur un jeu de mot en japonais. Le

lion se prononce « shishi » (獅子), ce qui est également la prononciation de « patriote »

(志士) et « assidu », une personne dévouée à sa cause (孜々) : trois mots qui

correspondent à son image d’homme déterminé.

Dans le même temps, il est parvenu à ajouter au courage et à la force une touche

de sensibilité. Il a assimilé le lion à un personnage doté de « cœur », pour donner le

sentiment d’incarner un idéal de justice, au même titre qu’un héros de fiction147. Lors

de nombreux meetings il a utilisé une chanson à succès du groupe SMAP (les « Beatles

japonais » pour Jean-Marie Bouissou) qui se nomme « Lion heart » et fait référence aux

vertus du parfait héros déterminé mais sensible, voire romantique. Un homme

témoigne un amour débordant de passion pour ce qui semble être une femme, et lui

144 Hérodote, « Nicolas Sarkozy : l’année de toutes les réformes », 6 mai 2008 : http://www.herodote.net/articles/article.php?ID=247 145 CASSIN Elena, « Le roi et le lion », in Revue de l’histoire des religions, vol.198, n°4, 1981 146 SEIZELET Eric, « Koizumi Junichirô, superstar de la vie politique japonaise », in Le temps des médias, 2008/1, n°10, p122 147 Koizumi a récemment accepté de prêter sa voix au personnage de dessin animé Ultraman. MASTERS Coco, “Japan's Former PM Koizumi Lends His Voice to Ultraman”, in Time, jeudi 15 octobre 2009 : http://www.time.com/time/world/article/0,8599,1930115,00.html#ixzz0jApJQqVb

47

explique qu’il a été conçu pour la protéger, rester à ses côtés, d’où le « lion heart » en

lui148.

1.3 La détermination mise en scène

* Koizumi Junichirô comme leader « césariste »

En jouant sur la « détermination » pour batir sa popularité, Koizumi est parvenu

à incarner un type contemporain de « charisme césariste ». Pour Alexandre Dorna,

« Jules César incarne la forme militaire du charisme. C’est là que le peuple se met à rêver

d’un grand homme, fort et bienfaisant. César représente de manière théâtrale cette image

de soldat et de politique, à un moment où la république romaine sombre dans l’anarchie.

Il tranche à coup d’épée dans ces élites décadentes »149. Dans un contexte de crise

politique et morale, la force du chef rassure les citoyens. Koizumi a joué sur ce registre

en adoptant un ton que l’on peut qualifier de martial. Il a promis de réformer le pays

de manière radicale150 et multiplié les promesses théâtrales de dévotion totale pour sa

« mission ». A plusieurs reprises, il a affirmé qu’il était prêt à mourir151 ou se jeter dans

le feu pour accomplir les réformes. Il a été assimilé par les médias au chef de guerre

Oda Nobunaga qui en 1571 incendiait le monastère du Mont Hiei (le Enryaku-ji au nord

de Kyôto) car les moines avaient refusé de se rendre152. Ce sens du sacrifice semble

avoir été très efficace : « chaque fois que le Premier ministre suit une ligne dure, son taux

de soutien augmente. (…) Le ton péremptoire de M.Koizumi rassure »153.

Il a souvent expliqué que sa volonté première était d’accomplir les « réformes

structurelles », et qu’il pourrait partir le cœur léger une fois que ce serait fait. « Pour les

deux prochaines années je ferai tout ce que je peux pour surmonter les problèmes que

nous rencontrons. Une fois que les réformes que j’ai en tête seront une réalité, je ferai ce

que j’avais dit et n’aurai aucun regret à abandonner les rênes du gouvernement. A

présent, je donnerai tout pour finir tout ce que j’ai commencé et je peux vous assurer que

nous ne laisserons rien à moitié fait »154. En 2005, il a pareillement mis en scène son

intention de quitter le gouvernement en 2006 pour apparemment donner plus de poids

148 Pour les paroles traduites en anglais : http://www.lyricstime.com/smap-lion-heart-translation-lyrics.html 149 DORNA Alexandre, « La question du Chef charismatique: l’image épique et la dynamique émotionnelle », in Les Cahiers de Psychologie politique [En ligne], n°13, Juillet 2008 : http://lodel.irevues.inist.fr/cahierspsychologiepolitique/index.php?id=150 150 OTAKE Hideo, Etude du populisme de Koizumi Junichirô, op.cit, p27 : l’auteur utilise le terme « drastique » (dorasutikku). 151 Notamment pour la privatisation de la poste en 2005 : HISANE Masaki, « Koizumi : A modern day samurai ? », in Asia Times Online, jeudi 18 août 2005 : http://www.atimes.com/atimes/Japan/GH18Dh01.html 152 McCORMACK Gavan, "Koizumi's coup", in New Left Review, n°35, sept-oct 2005, p6 153 PONS Philippe, « Le ‘théâtre Koizumi’ », in Le Débat, 2006, n°139, p44 154 Lion Heart - un message du Premier ministre (らいおんはーと ~ 小泉総理のメッセージ) : jeudi 8 avril 2004, n°136, « Interview du Lion – fin » (「らいおんインタビュー」(後編))

48

à l’accomplissement de ses réformes155. A titre de comparaison, Nicolas Sarkozy est

aussi adepte du ton martial pour illustrer sa détermination, notamment sur le thème

de l’insécurité (promettant une « tolérance zéro »). En juin 2005, il a par exemple

indiqué à une électrice qu’il fallait « nettoyer » les banlieues au « Kärcher ». Plus

récemment, il a proclamé lors d’un discours à des agriculteurs qu’il était « prêt à aller à

une crise en Europe plutôt que d'accepter le démantèlement de la politique agricole

commune »156.

* La détermination montrée par la communication « non verbale »

Koizumi sait rendre effective sa détermination dans les médias. Si sa

personnalité médiatique présente les traits d’un media-training efficace, son conseiller

en communication, Seko Hiroshige, assure que son talent était dû à sa seule

personnalité : « Koizumi a un sens naturel des relations publiques, c’est un génie des

relations publiques. Il n’agit pas grâce à la théorie ou la logique mais grâce à un talent

unique »157. Le Premier ministre a pourtant appliqué des techniques classiques de

communication « non verbale »158, tant dans sa gestuelle que le ton de sa voix. Son

visage lisse et souriant était maquillé de façon à supporter les angles de caméra

rapprochés. Contrairement à la grande majorité des politiciens japonais, il s’agitait à

l’écran, avait une « gestuelle presque latine » 159 pour renforcer son implication

personnelle dans les problèmes débattus. Il est aussi l’un des seuls à s’être servi de

l’« eye-contact » en regardant patiemment les personnes assises en face de lui lors de

ses conférences de presse, ce qui a contribué à lier l’autre dans une relation de

complicité émotionnelle. Koizumi laissait également une forte empreinte vocale : son

timbre de voix était grave, modulable en fonction de la situation, ses phrases courtes et

séparées de longs silences. Ses propositions étaient énoncées avec un ton convaincu,

solennel, insistant sur les mots importants, y compris sur des sujets de la vie courante

abordés lors d’émissions télévisées non politiques. Ainsi a-t-il rendu crédible, par la

puissance de sa volonté mise en scène, sa détermination pour amener le pays vers un

avenir radieux grâce à la « réforme ».

155 CHRISTENSEN Ray, « An analysis of the 2005 Japanese general election: will Koizumi's political reforms endure? », in Asian survey, 2006/46, n°4, p505 et 506 156 Les Echos, « Sarkozy prêt à une crise en Europe pour défendre la PAC », mercredi 24 mars 2010 : http://www.lesechos.fr/info/france/reuters_00240121-sarkozy-pret-a-une-crise-en-europe-pour-defendre-la-pac.htm 157 SEKO Hiroshige, 650 jours de remaniement du projet du PLD (自民党改造プロジェクト 650 日), 2006, p23 158 MAAREK Philippe, op.cit, p202 à 205 : La communication « non-verbale » est la somme de trois composantes : l’apparence physique, la voix et la gestuelle. 159 Le Monde, « Junichirô Koizumi, un premier ministre atypique et populaire », vendredi 9 septembre 2005 : http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/portfolio/2005/09/09/junichiro-koizumi-atypique-et-populaire_686736_3216.html

49

2. La sincérité par le facteur privé : « charisme populiste »

2.1 Désacraliser la politique : une sincérité fabriquée

* Un chef qui ressemble à son peuple

« La parole charismatique est ressentie comme d’autant plus vraie qu’elle puise

dans l’expérience personnelle de la vie et de la souffrance populaire »160. Koizumi est

apparu proche des électeurs en diffusant dans les médias des éléments de sa vie privée.

Ils ont par exemple été avides de savoir qu’il était divorcé assumé, qu’il avait des goûts

« jeunes » pour la musique techno, le jazz, le métal, la mode… Koizumi a fait jouer le

contraste entre personne publique et personne privée en abordant son travail de tous

les jours sous un angle très personnel. Il a par exemple beaucoup décrit dans sa

newsletter comment fonctionne son Cabinet de l’intérieur. Dans l’« interview du lion »

datée du 23 juin 2005, il explique ainsi que sa résidence fonctionne à l’énergie solaire,

que pour se relaxer il lui arrive de prendre des bains en écoutant de la musique

classique, que le jardin a été refait et qu’il aime beaucoup s’y balader…161. Le style

d’écriture très simple et toutes ces anecdotes permettent au lecteur de s’identifier au

personnage vivant dans le Palais ministériel qui, tel un citoyen ordinaire, possède ses

passions, ses coups de cœurs, est capable de s’émerveiller comme un enfant. Cette

identification contribue à donner l’illusion d’un lien intime, indirectement personnel.

Koizumi a joué sur cette proximité lors de ses apparitions télévisées. Le

dimanche 7 avril 2002, il est par exemple l’invité de l’émission culinaire « un repas au

Refuge » (kakurega gohan) sur TV Asahi, diffusée en fin d’après-midi162. D’emblée il

met tout le monde à l’aise par son contact rapide, simple et chaleureux. Lorsque

l’animatrice, gênée, lui demande comment il faut l’appeler, celui-ci répond « Jun-

chan » (petit Jun chéri) car Jun est la partie de son prénom qu’il préfère. Koizumi se

montre en personnage familier, n’hésitant pas à se servir lui-même dans le plat au

milieu de la table (son statut de Premier ministre aurait dû l’en dispenser) ou

s’exclamer « c’est trop bon ! » (umai kore !) après avoir goûté un steak de thon, ce qui

étonne ses partenaires gastronomiques. Il désacralise sa fonction en expliquant

notamment que, comme il n’est pas au travail, il peut se permettre de boire du saké. Il

étonne par ailleurs par son humilité, en servant lui-même le saké à tout le monde, ou

en demandant à remercier personnellement le chef cuisiner.

160 DORNA Alexandre, Le leadership charismatique, op.cit, 1998, p30 161 Lion Heart, op.cit, jeudi 23 juin 2005, n°193, « Interview du Lion – fin » (「らいおんインタビュー」(後

編)) 162 Koizumi invité de l’émission culinaire « un repas au Refuge », le dimanche 7 avril 2002 (2002 年 4 月 7 日に放

送された、小泉純一郎総理ゲ ストの「隠れ家ごはん」です。): Partie 1 : http://www.youtube.com/watch?v=-rJqRvCyjrQetfeature=related Partie 2 : http://www.youtube.com/watch?v=k4nq4PL6pvketfeature=related Partie 3 : http://www.youtube.com/watch?v=0GDlBX1wngYetfeature=related

50

Koizumi a dans le même registre joué sur un antiélitisme en soulignant

notamment sa préférence pour la musique populaire plutôt que pour la littérature. Sa

personnalité authentique, et sympathique, a porté un message politique au moins aussi

fort que les idées qu’il défendait. Son mandat a été l’occasion d’une « densification de

l’image dans laquelle le message spécifiquement politique est dilué par une

communication ciblée sur la valorisation de la personnalité de l’homme politique »163.

Koizumi est ainsi devenu figure d’identification, tel qu’expliqué par Ruth et Bernard

Bass, en incarnant lui-même un projet auquel ses suiveurs adhèrent car ils se sentent

proches de leur chef164.

* La newsletter « Lion Heart »

Si Koizumi n’a pas été le premier homme politique japonais à avoir utilisé

Internet, il a été le premier chef de gouvernement à y avoir créé une newsletter

régulière. Il lance son « mail magazine »165 le 29 mai 2001 - en début de mandat - et le

continue jusqu’à son départ – la dernière chronique ayant été publiée le 21 septembre

2006. Il y a au total eu 250 chroniques en 1942 jours, environ une par semaine. Les

abonnés ont été très nombreux, leur nombre ayant atteint les 2,2 millions peu après

son inauguration 166. Lors de l’ « interview du lion » de juin 2006, le journaliste

interrogeant Koizumi explique que les abonnés sont au nombre de 1,6 million167.

Comme expliqué en page 46, le nom de cette chronique, « Lion Heart, un message du

Premier ministre », illustre de manière capilotractée la volonté réformiste de Koizumi

par la métaphore du lion. Dans la plupart de ses écrits, il s’applique à montrer le

bienfait de ses réformes et la détermination qu’il emploie à les concrétiser.

Au lancement officiel de sa newsletter, le 29 mai 2001168, Koizumi explique le

double rôle qu’elle est chargée de tenir. Il faut dans un premier temps « aider à faire

comprendre le Cabinet Koizumi tel qu’il est vraiment », à savoir tourné vers la réforme.

Le Premier ministre affiche un souci de transparence et souhaite – deuxième rôle –

créer un dialogue intime avec les lecteurs. Il prétend que « le dialogue (…) est vital pour

le succès des réformes » et que le peuple doit donc se sentir associé. Aussi veut-il le

convier à un échange gagnant-gagnant. D’un côté les lecteurs peuvent « entrer dans les

pensées de son Cabinet », de l’autre le Premier ministre peut en savoir plus sur ce qu’ils

pensent. Il y a ainsi mise en scène d’une dépendance mutuelle entre le chef et son

peuple, orientée vers la réforme. Koizumi se positionne donc d’emblée comme l’agent 163 SEIZELET Eric, « Koizumi Junichirô, superstar de la vie politique japonaise », op.cit, p121 164 BASS Bernard et BASS Ruth, op.cit 165 En japonais, 小泉内閣メールマガジン, soit « le mail magazine du Cabinet Koizumi ». 166 GAUNDER Alisa, Political Reform in Japan, op.cit, p126 167 Lion Heart, op.cit, jeudi 15 juin 2006, n°238, « Interview du lion, première partie » (「らいおんインタビュ

ー」(前編)) 168 Lion Heart, op.cit, mardi 29 mai 2001, n°1, « Le lancement d’un mail magazine » (メールマガジンの創刊に

あたって)

51

dévoué et désintéressé des volontés du peuple. Il est parvenu à créer une illusion de

lien direct avec lui par deux biais :

1) La plupart des chroniques sont présentées comme des lettres et respectent les

canons du genre épistolaire japonais. Il s’agit de faire croire au moyen d’Internet que le

lecteur reçoit une lettre indirectement personnelle. Le style d’écriture employé est

« poli » (les verbes terminent en forme masu) – à l’inverse des écrits officiels qui sont

rédigés en style « neutre ». Cela témoigne du respect et de la gratitude envers le lecteur,

mais donne un caractère plus oral au texte. Le style « poli » est en effet principalement

employé lors des discours, aussi le voir écrit et adressé personnellement peut

permettre l’illusion de proximité. Comme le veut le genre, les chroniques commencent

fréquemment par une brève ouverture sur la saison ou le climat. Il débute par exemple

celle du 4 août 2005 par une référence au chant des cigales : « nous sommes

maintenant en août et pouvons entendre le chant des cigales. Depuis le jardin du palais

nous pouvons l’entendre, et en cherchant un peu, j’ai fini par trouver des petits trous

autour des racines des arbres desquels des larves sortaient en rampant » 169 . Les

chroniques se terminent très souvent par une formule impersonnelle (étant adressée à

un large nombre de personnes, cela ne pouvait être autrement) mais liante. Il s’agit

principalement d’encouragements sur la détermination de Koizumi à poursuivre,

souvent avec l’aide du lecteur, le processus de réforme – comme s’il fallait sans cesse

rappeler au peuple le pacte qui l’avait uni à son chef lors du lancement de la newsletter

du lion. Pour reprendre le même exemple, il termine sa chronique par un proverbe :

« ‘Ceux qui voyagent 100 lieues pensent que 90 est la moitié’. Nous sommes entrés dans

les dernières délibérations et je ferai tout mon possible pour faire passer la loi (sur la

privatisation de la poste) ».

2) Koizumi parle quasi exclusivement de son point de vue personnel. Le lecteur

est invité à partager ses pensées intimes, jouant sur le décalage entre personne

publique et personne privée. S’il parle beaucoup de lui, Koizumi reste humble et

n’utilise le « je » (watashi) qu’avec beaucoup de parcimonie, à l’inverse de ce qu’il fait

lors de ses discours170. Koizumi aborde des sujets de la vie courante, propices à

l’empathie et l’identification. De ses sujets, il tire toujours des leçons de vie, des

moments de sagesse, qu’il fait partager à ses lecteurs. Il cumule à la fois la posture du

serviteur et celle du sage171. Le 30 juin 2005, il raconte son passage au mémorial

d’Okinawa, conçu en mémoire des victimes de la fameuse bataille de la Seconde

Guerre mondiale172. Sa démonstration se fait en trois temps. Il plante d’abord le décor :

169 Lion Heart, op.cit, jeudi 4 août 2005, n°199, « S’asperger d’eau pour rester frais » (「打ち水」で涼しく) 170 La traduction anglaise est trompeuse sur ce point, ajoutant des « I » là où il n’y en a pas en japonais 171 Comme le chanteur Mori Shinichi dans sa newsletter : YANO Christine, “Charisma’s Realm: fandom in Japan”, in Ethnology, vol.36, n°4, automne 1997 172 Lion Heart, op.cit, jeudi 30 juin 2005, n°194, « Construire une communauté rassurante » (安全で安心な街づ

くり)

52

« la semaine dernière, le 23 juin, j’ai participé à la cérémonie commémorative du 60ème

anniversaire de la fin de la bataille d’Okinawa. C’était la quatrième fois que je participais

à la cérémonie depuis que je suis devenu Premier ministre. Comme toujours, le soleil

brillait ». Il donne ensuite son sentiment personnel à l’aide d’un exemple larmoyant :

« après la cérémonie, j’ai visité le musée mémoriel Tsushima-maru. Dans les derniers

jours de la guerre du Pacifique, un bateau transportant des enfants évacués de l’île fut

torpillé par un sous-marin. La plupart des victimes étaient des écoliers. Sur les photos et

portraits du musée, les regards de ses enfants révèlent leur innocence et naïveté. Je me

sens étrangement lié au Tsushima-maru ». Finalement, il en tire une leçon de vie

personnelle : « nous devrions tous être reconnaissants et pleinement conscients de la

chance que nous avons à présent de vivre en paix. Nous ne devrions jamais oublier que

nous qui avons survécu ou n'avons jamais connu la guerre, n'avons pas construit cette

paix seuls, mais qu'elle a été fondée sur les sacrifices de nombreuses personnes qui ont

perdu la vie pendant la guerre ». La leçon de vie se situe toujours dans le bon axe de la

morale et ne peut jamais être contredite. Koizumi témoigne ainsi ses sentiments

personnels, profonds, et dans le même temps ouvre son intimité au lecteur.

2.2 Sacraliser le chef : l’idole et ses avatars

* L’idole des jeunes, et des femmes

Le leadership charismatique possède en Occident une histoire sombre et la

méfiance est grande lorsqu’il s’agit de traiter du fanatisme en politique. Le « charisme »

peut renvoyer à de mauvais souvenirs, on se rend compte que l’on identifie des

hommes tels qu’Hitler ou Staline à des personnages exceptionnels. L’admiration pour

un leader est souvent synonyme de manipulation ou de troubles psychologiques. Or, si

« la diabolisation du charisme est une attitude contemporaine et plutôt occidentale »173,

celui-ci est à l’inverse valorisé au Japon, et fait partie intégrante des relations sociales.

Dans la « culture de l’empathie » (voir page 56), la « dépendance » n’est pas perçue

comme une privation d’autonomie mais comme la preuve d’une grande intégration

sociale174. L’anthropologue Christine Yano indique que la position de « fan » est

culturellement valorisée sur l’Archipel : « être fan signifie intensifier les valeurs de

loyauté et de dévouement, de service envers un public supérieur »175.

Koizumi s’est fabriqué une image d’idole plutôt que de politicien classique. Il a,

comme l’a montré Eric Seizelet, pratiqué une « peopolisation indirecte » en adoptant

des codes issus de la Jet set176. Premièrement, il s’est attaché à entretenir de bonnes

relations avec les médias afin d’y être présent bien plus souvent que ses prédécesseurs.

173 DORNA Alexandre, Le leadership charismatique, op.cit, p8 174 SUGIYAMA LEBRA Takie, Japanese Patterns of Behavior, University of Hawai Press, 1976 175 YANO Christine, op.cit, p336 176 SEIZELET Eric, « Koizumi Junichirô, superstar de la vie politique japonaise », op.cit, p124

53

Lorsqu’il arrive au pouvoir en mai 2001, il décide d’organiser une conférence de presse

par jour. Grâce à son charisme audiovisuel, « les audiences des programmes télévisés en

direct augmentent à chacune de ses apparitions »177. Sa relation aux médias a été de

l’ordre du « gagnant gagnant » : ceux-ci ont gagné de l’audience en faisant la publicité

du Premier ministre. Koizumi a été omniprésent à la télévision. On l’a vu donner le

coup d’envoi d’un match de football, jouer de la guitare en compagnie de George

W.Bush, participer à une émission culinaire, jouer du violon, visiter une PME, faire du

vélo, venir à la Diète sur un segway… les exemples sont très nombreux et forment un

ensemble baptisé le « théâtre Koizumi » (Koizumi gekijô)178. Il a varié les supports

médiatiques, n’hésitant pas à donner des interviews à des magazines féminins ou

sportifs179.

Il a souhaité instaurer avec ses électeurs le même rapport qu’il existe entre une

idole et son public, à la fois proche mais inaccessible, quelqu’un qui engendre un

mimétisme émotionnel. Il est mince et célibataire divorcé (ce qui a positivement joué

sur son image d’homme déterminé), sa coiffure « à la lion » lui donne un air branché

apprécié des jeunes des grandes villes. Durant ses meetings de nombreux « fans », des

femmes majoritairement, le surnommaient « Jun-chan ! », petit Jun chéri, référence à

son aspect chétif180. Koizumi maîtrise à la fois le charisme « audiovisuel » et le

charisme « direct ». Il a par ailleurs été l’un des seuls politiciens japonais à pratiquer le

bain de foule181. Il a aussi été très présent dans le haut monde du spectacle, aimant se

rendre à des défilés de mode, médiatisant ses rencontres avec des acteurs américains,

proposant par exemple en octobre 2005 un poste ministériel au cinéaste Kitano

Takeshi. Koizumi a aussi utilisé l’humour dans ses apparitions médiatiques, chose que

les politiciens ne font généralement pas mais que les stars du showbiz font

couramment. « Koizumi illustre souvent ses discours par des blagues sur ses rivaux ou

des membres de son parti »182. Il a ainsi été source d’inspiration au sens de Ruth et

Bernard Bass en incarnant un idéal extraordinaire, incitant ses « fans » à se dépasser

pour leur idole183.

* Les alliés charismatiques

Comme enseigné par Max Weber, le leader charismatique choisit

subjectivement son entourage en fonction de la « mission » qu’il souhaite remplir. Il

attend de ses disciples qu’ils l’aident à atteindre ses objectifs, dans la plus grande

177 FELDMAN Ofer, “Personality and leadership”, op.cit, p31 178 Pour l’URL des vidéos mentionnées, voir en bibliographie page 118. 179 INOGUCHI Takashi, « The Personalization of Politics: Koizumi and Japanese Politics », Forthcoming in The Personalization of Politics, BLONDEL Jean et THIEBAULT Jean-Louis (dir.), Routledge, 2009, p18 180 BOUISSOU Jean-Marie, « Les mutations de la démocratie japonaise (1980-2007) », in BOUISSOU Jean-Marie (dir.), Le Japon contemporain, Editions Fayard/CERI, 2007, p158 181 SEIZELET Eric, « Koizumi Junichirô, superstar de la vie politique japonaise », op.cit, p120 182 FELDMAN Ofer, “Personality and leadership”, op.cit, p31 183 BASS Bernard et BASS Ruth, op.cit

54

rationalité possible, car « la reconnaissance est conforme au devoir »184. De nos jours,

ceux-ci doivent parvenir à former une « chaîne de représentation » en diffusant, tels

des avatars du héros, sa bonne parole dans les médias. Nicolas Sarkozy a par exemple

abondamment utilisé des « alliés charismatiques » durant son ascension politique. Lors

de sa cérémonie de prise de pouvoir à l’UMP en 2004, « il se paye le luxe, au travers d’un

clip, du soutien massif de vedettes, d’ordinaire méfiantes envers la politique, a fortiori

envers la droite. Parmi elles, les vieux amis de Neuilly, Christian Clavier, Jean Reno ou

Didier Barbelivien, qui sont de toutes les fêtes chez les Sarkozy. Mais aussi des fans plus

inattendus : Bertrand Tavernier, Mimie Mathy, Pierre Palmade, Faudel, Bernard Laporte,

Fabrice Santoro, Richard Virenque, ou encore Elie Wiesel »185. Ces nouveaux venus de la

politique ont appuyé l’image du « changement » ; plusieurs d’entre eux ont par la suite

occupé des fonctions importantes au sein du parti.

Koizumi est parvenu à construire une « chaîne de représentation » médiatique

en arrêtant la pratique qui consistait à répartir les sièges ministériels en fonction des

équilibres factionnels et de l’avancement à l’ancienneté. Une fois devenu Premier

ministre, il s’en est pris à la puissante faction du PLD dirigée par l’apparatchik

Hashimoto Ryûtarô186, en ne nommant ministre aucun de ses membres. A l’inverse, il

s’est entouré de collaborateurs en adéquation avec sa volonté de réforme et l’idée du

« changement ». En donnant l’impression qu’il savait s’entourer des personnes les plus

compétentes, Koizumi a à travers eux mis en scène sa détermination dans les médias. Il

a associé à chacune de ses réformes un personnage à la fois expert et populaire, deux

qualités rares dans la politique japonaise. Pour accomplir la réforme des autoroutes, il

a nommé conseiller le célèbre écrivain Inose Naoki, opposant affirmé de l’immobilisme

bureaucratique 187 . Pour accomplir la privatisation de la poste, il a choisi le

charismatique professeur d’économie de l’université Keio, Takenaka Heizo. Il a ensuite

nommé des personnalités charismatiques à d’autres postes clés. L’exemple le plus

remarquable est la ministre des Affaires étrangères d’avril 2001 à janvier 2002, Tanaka

Makiko, dont la popularité s’est fondée en grande partie sur son franc-parler et ses

phrases assassines. Ikuko Toyonaga de l’université de Kyûshû l’a comparé à Margaret

Thatcher dans la mesure où elle incarnait une forme de résistance à la droite

« traditionnelle » et qu’elle était perçue comme déterminée et proche des citoyens188.

Koizumi a aussi nommé en 2001 un « vieux sage », Shiokawa Masajurô, ministre des

finances. « Le plus vieux (79 ans) des 17 ministres du Cabinet Koizumi a aussi surfé sur

184 WEBER Max, op.cit, p323 185 PUISNEY Cédric, Le marketing crée-t-il l’home politique ?, Mémoire de recherche, Université de Strasbourg, 2005, p75 186 REED Steven, « The Next Party System », in Asia Program Special Report, n°101, février 2002 187 Japan Times, “Follow the truth and not bureaucrats: Inose”, samedi 20 juillet 2002 : http://search.japantimes.co.jp/cgi-bin/nb20020720a4.html 188 TOYONAGA Ikuko, “The Rise of Thatcherism? The Koizumi phenomenon in comparative perspective”, in Asia Program Special Report, n°101, février 2002

55

une popularité chez les jeunes, qui se réfèrent à lui affectueusement comme « shio-jii »

(papy Shio) »189.

* Les produits dérivés

Koizumi est également le premier politicien japonais à avoir lancé des produits

dérivés sur sa personne. Cette pratique est sans doute très spécifique au Japon, où le

produit dérivé occupe une place importance dans les relations sociales. Une fois au

pouvoir il met en effet sur le marché toute une gamme de produits à son image, la

plupart reprenant la métaphore du lion. Le plus emblématique est sans conteste la

peluche nommée « shishirô », jeu de mot associant le prénom du Premier ministre

(Junichirô) et le lion (shishi). Elle est le fruit d’un concours organisé par le PLD en juin

2001 et montre le visage du Premier ministre posé sur le corps d’un lion humanoïde190.

Ce produit n’insiste pas sur la détermination mais sur la fragilité. « Shishirô » est

souriant, a un petit corps tout rond, les yeux fermés et un cœur rouge sur la poitrine.

D’autres produits ont également été commercialisés. Il a par exemple publié un

« Lion man calendar » chaque année durant son mandat191. Mais « on peut également y

trouver des serviettes, des chopes, des breloques pour téléphone portable, des chemises,

des tee-shirts, des assiettes assorties d’une calligraphie du Premier ministre, des porte-

clefs, des cartes téléphoniques, des calendriers, le tout compacté dans des « dream packs

» pour toutes les bourses, allant de 200 à 4200 yens »192. Ces objets sont devenus

« tendance » chez les jeunes filles et se sont intégrés dans les foyers, relayant l’image

idéalisée du Premier ministre jusque dans les sphères de l’intime. Le succès a été

fulgurant : « en cinq jours, au début du mois de mai 2001, 235 000 posters sont ainsi

vendus – à perte d’ailleurs – au QG du PLD, pour atteindre un million d’exemplaires un

an plus tard »193. Malgré tout, il semblerait que les ventes se soient effondrées au bout

d’une année seulement194. Koizumi a parallèlement sorti deux CD de compilation de

ses musiques préférées d’Elvis Presley – « Junichiro Koizumi Presents My Favourite Elvis

Songs » (2001) - et d’Ennio Morricone – « My Favourite Ennio Morricone Music

presented by Junichiro Koizumi » (2005) – (annexe n°5 page 125).

189 FELDMAN Ofer, “Personality and leadership”, op.cit, p31 190 Shishirô est visible sur la première page de ce mémoire. 191 PARRY Richard Lloyd, “One year on, the 'Lion Man' is busy fighting off the wolves”, in The Independent, 24 avril 2002 : http://www.independent.co.uk/news/world/asia/one-year-on-the-lion-man-is-busy-fighting-off-the-wolves-657971.html 192 SEIZELET Eric, « Koizumi Junichirô, superstar de la vie politique japonaise », op.cit, p121 193 Ibidem, p122 194 PARRY Richard Lloyd, op.cit

56

2.3 Susciter l’empathie : l’enfant Koizumi Junichirô

Le « sauveur » japonais des années 1990 se devait d’être « hors système » et

d’adopter la posture de l’amateur aux mains propres. Iwasaki Daisuke a montré qu’au

Japon le succès des personnalités politiques atypiques a en grande partie résidé dans

leur marginalité vis-à-vis des appareils traditionnels et dans une image « propre »

(kurîn), non concernée par les scandales195. Koizumi s’est ainsi construit une image

« pure », en contraste avec son statut d’héritier politique ; le premier caractère de son

prénom, Jun, ayant d’ailleurs le sens de « pur » en japonais196. Cet idéal de chef à la

patte blanche n’est pas nouveau dans le charisme en politique. Hitler avait par exemple

établi son image comme étant celle d’un « führer sans péché »197. En 2007 Nicolas

Sarkozy est parvenu à faire oublier ses années passées au gouvernement et à véhiculer

une image épurée de son parcours politique, non souillée par les échecs au pouvoir.

Koizumi est allé cependant plus loin dans la pureté en se forgeant une image de

politicien fragile et mignon. Il s’est en effet adapté à la sensibilité japonaise en

cherchant à susciter l’empathie et un désir de protection chez les électeurs, et

particulièrement les électrices. Il charmait par sa délicatesse198 plutôt que sa virilité. Le

surnom « Jun-chan » donné par nombre de ses fans insistait plus sur sa fragilité que sur

sa virilité. La peluche « shishirô », bien qu’elle représente un lion, était avant tout

ronde et douce, « kawaii » (mignonne) comme le disent les jeunes japonaises. Elle a

semble-t-il été conçu pour être câlinée.

Le Japon a souvent été décrit comme possédant une « culture de l’empathie »199,

tant l’empathie (amae) y semble fondamentale dans les relations sociales. L’amae

désigne la dépendance des individus vis-à-vis de ce que les autres ressentent. Takie

Sugiyama Lebra a distingué deux idéaltypes pour aider à comprendre les spécificités

japonaises par rapport à l’individu de type occidental200. Le premier, dit « déterminisme

unilatéral » (affinité occidentale), estime que l’individu tire le sens de ses actes et

pensées d’un premier moteur (Dieu, la loi, l’idée, la nature, l’esprit, le pouvoir,

l’individu…) et qu’il est par conséquent pleinement responsable de sa personne. A

l’inverse, dans le second modèle, dit « relativisme interactionnel » (affinité japonaise),

l’individu n’est pas capable d’identifier ce premier moteur mais a en contrepartie

pleinement conscience des flux qui interagissent entre lui et le corps social. Sur le plan

émotionnel, les inclinaisons japonaises pour le compromis, la tolérance et le pli face à

195 IWASAKI Daisuke, op.cit, p15 196 純 197 KERSHAW Ian, Le mythe Hitler, Editions Flammarion, Collection Champs histoire, 2008, p109 198 Comme l’enseigne la définition de « mignon » sur le Trésor de la Langue Française : http://atilf.atilf.fr/tlf.htm 199 Voir par exemple : DOI Takeo, Le jeu de l’indulgence, Editions L’Asiathèque, 1988 200 SUGIYAMA LEBRA Takie, op.cit

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l’autre sont censés s’opposer à la sévérité, l’intensité et l’intolérance des émotions

occidentales. Ce système d’empathie fonctionne sur une grande vulnérabilité

sentimentale. Le psychologue Doi Takeo associe le concept d’amae à la figure de

l’enfant ayant besoin de la protection de sa mère. Il donne l’exemple de nombreux

jeunes japonais qui manifestent le désir d’avoir l’air « mignon »201.

Koizumi a suscité un désir de protection de différentes manières. Il s’est par

exemple donné un aspect chétif en s’habillant volontairement avec des costumes trop

grands202. Comme le chanteur de enka Mori Shinichi, il a pris la posture de l’enfant,

« soigné, sérieux plus que frivole, et toujours dévoué pour sa mère. De plus, à la différence

des enfants qui quittent la maison, il est toujours présent via les médias »203. Ses

apparitions dans les émissions télévisées non politiques ont été l’occasion pour lui de

montrer son émerveillement devant les choses simples de la vie. Koizumi s’amuse

devant les caméras, notamment le jour où il donne le coup d’envoi d’un match de

football ou arrive à la Diète sur un segway. Comme de nombreux politiciens japonais,

Koizumi a pleuré devant les caméras à plusieurs reprises, notamment lors de sa visite

au musée des kamikazes204. Sauf qu’à la différence du politicien traditionnel, ça n’était

pas pour demander pardon à l’opinion après un scandale, mais pour se positionner en

personnage souffrant. Sa fragilité s’est également manifestée dans le ton de sa voix.

Lors de ses meetings, il a joué sur son caractère rauque, donnant l’impression

constante de manquer d’eau, donc de souffrir, donc d’avoir besoin d’être protégé. Des

chanteurs nippons comme BORO (dont Koizumi aime les chansons205) et Mori

Shinichi possèdent les mêmes attributs vocaux. En effet, « le mystère de la voix rauque

de Mori réside dans sa capacité à véhiculer des émotions fortes dans les cœurs

japonais »206. En un mot, Koizumi a suscité l’empathie de ses fans – et un sentiment

maternel – en se positionnant comme personnage souffrant. Il a à la fois été profond et

mignon, fort mais fragile, tragique (incarnant le sérieux des adultes et de l’agon

politique) mais naïf (incarnant la légèreté de l’enfance).

201 DOI Takeo, op.cit, p119 202 BOUISSOU Jean-Marie, « Les mutations de la démocratie japonaise (1980-2007) », in BOUISSOU Jean-Marie (dir.), Le Japon contemporain, Editions Fayard/CERI, 2007, p157 203 YANO Christine, op.cit, p339 204 PONS Philippe, « Le ‘théâtre Koizumi’ » op.cit, p45 et 46 205 Asahi shimbun, « Un amour partagé pour Nobunaga, deux leaders différents » (信長好 2 人の差), vendredi 2 septembre 2005. Pour écouter la chanson de BORO que Koizumi apprécie spécifiquement, « la femme née à Osaka » (Osaka de umareta onna), voir : http://www.youtube.com/watch?v=V-XEroHRc_w 206 YANO Christine, op.cit, p339

58

B – Ethologie du leader charismatique – idéologie,

discours et mise en scène

1. La légende du leader charismatique

1.1 Des discours simples et authentiques

* Des discours simples

La première faculté que doit posséder un bon orateur est d’être compris par

ceux qui l’écoutent. Surtout lorsqu’il s’agit de politique où le contraste est grand entre

la complexité technique des dossiers et les problèmes simples auxquels les citoyens

veulent des réponses. Il y a en effet, comme le note Jacques Julliard, un double divorce

dans nos sociétés occidentales du 21ème siècle : « entre le peuple et les élites d’une part,

entre le peuple et le progrès de l’autre. Nous voilà en proie à deux chancres rivaux qui se

nourrissent l’un de l’autre : l’élitisme, c’est-à-dire la démocratie sans le peuple, et le

populisme, c’est-à-dire le peuple sans la démocratie »207. Le populisme, par ses discours

simplistes et clairs, agit comme un antidote à l’élitisme. Nicolas Sarkozy a eu coutume

dans ses meetings de campagne de ne prononcer que des phrases courtes et répétitives.

Par exemple, lors de son meeting à Villebon-sur-Yvette le 20 mars 2007, les expressions

« vous en avez assez de… » et « vous êtes là parce que… » reviennent à intervalles

réguliers208. Koizumi Junichirô a fait vibrer la corde antiélitiste en devenant le maitre

japonais des discours simples et compréhensibles du grand public. Il a par exemple

limité la longueur de ses discours à 6500 mots en moyenne, soit environ deux fois

moins que l’ancien Premier ministre Mori Yoshirô en janvier 2001209. Il s’est contenté

de faire des phrases courtes et accrocheuses, des « catch-phrases » équivalentes à des

slogans publicitaires. « Il fait de la politique comme une entreprise vend ses produits »210.

Le politiste Inoguchi Takashi a assimilé les phrases de Koizumi à des haiku, poèmes

japonais qui transmettent beaucoup de sens en quelques caractères211.

* L’authenticité par le syllogisme

Une fois qu’il est sûr d’être compris, l’orateur doit pour seconde qualité savoir

montrer à son public à quel point ce qu’il dit est vrai, juste, correct, qu’il a raison de le

dire et, ainsi, parce qu’il a raison, est digne de confiance. Il manipule par la rhétorique.

207 JULLIARD Jacques, La faute aux élites, Editions Gallimard, 1997, p232 208 LEDROIT Orianne, op.cit, Annexe n°3 : discours de Nicolas Sarkozy à Villebon-sur-Yvette le 20 mars 2007, p90 209 FELDMAN Ofer, “Personality and leadership”, op.cit, p32 210 PONS Philippe, « Le ‘théâtre Koizumi’ », op.cit, p42 211 INOGUCHI Takashi, op.cit, p7

59

Pour Maurice Halbwachs, « tout l'art de l'orateur consiste peut-être à donner à ceux qui

l'entendent l'illusion que les convictions et les sentiments qu'il éveille en eux ne leur ont

pas été suggérés du dehors, qu'ils s'y sont élevés d'eux-mêmes, qu'il a seulement deviné ce

qui s'élaborait dans le secret de leur conscience et ne leur a prêté que sa voix »212. Le

discours du leader charismatique présente ainsi un caractère syllogistique, « c’est une

dialectique dans laquelle l’interlocuteur est invité à suivre une logique où tout s’enchaine

avec simplicité, humour plus qu’ironie et surtout conviction. Ouvert et clair dans ses

opinions, l’homme charismatique peut en changer diamétralement, mais avec la même

assurance, provocant toujours la même impression : la sincérité »213. Le chef doit ainsi

mystifier celui qui l’écoute en montrant sa détermination à travers la rhétorique. Il

forme un « raisonnement formel fonctionnant sur lui-même mais sans lien avec le

réel »214. Le syllogisme a été une grande arme utilisée par Koizumi dans ses discours.

Celui-ci sait prendre par la main son auditoire en le faisant participer à sa logique,

ponctuant souvent ses propos d’un questionnement rhétorique, ou lui demandant de

choisir entre une normalité qu’il incarne et une déviance qu’il dénonce. Lors de son

discours du 21 août 2005 à Nagoya215, il a par exemple dit à plusieurs reprises que « tout

le monde est d’accord n’est-ce pas ? » (minna ha sansei deshô) avec ce qu’il préconise, et

à l’inverse que « tout le monde est contre n’est-ce pas ? » (minna ha hantai deshô) ou

qu’il ne « comprend pas » (watashi ga wakaranai) les motivations absurdes de ses

adversaires, insistant sur son point de vue personnel. Nicolas Sarkozy a de la même

façon fait participer son public en lui demandant souvent « vous trouvez ça normal,

vous ? », avant d’énoncer un argument supposé être défendu par l’opposition216.

1.2 Les vertus du manichéisme

* La politique comme discrimination de l’ami et de l’ennemi ?

Le manichéisme est une recette magique utilisée par tous les populismes. Il

consiste à réduire le champ politique à deux camps, celui des bons – dirigé par le

leader charismatique – et celui des méchants, l’élite en place, l’étranger… Il fonctionne

sur la question rhétorique : le chef charismatique propose un choix, et laisse donc a

priori pleine liberté à ceux qui l’écoutent, alors qu’en réalité la réponse est déterminée

d’avance217. Le psychologue Daniel Goleman a expliqué que le leader charismatique est

212 HALBWAHCS Maurice, La mémoire collective, 1950, Les classiques en sciences sociales, chapitre premier : http://classiques.uqac.ca/classiques/Halbwachs_maurice/memoire_collective/memoire_collective.html 213 DORNA Alexandre, Le leadership charismatique, op.cit, 1998, p27 214 Voilà comment le Trésor de la Langue Française définit le terme « syllogisme » : http://atilf.atilf.fr/tlf.htm 215 Meeting de Koizumi Junichirô à Nagoya le 21 août 2005 (小泉首相 05 年 8 月 21 日 街頭演説) : Partie 1 : http://www.youtube.com/watch?v=bPZ6l5a8maQetNR=1 Partie 2 : http://www.youtube.com/watch?v=CWW8F7j7Xe8etfeature=related 216 MUSSO Pierre, Le Sarkoberlusconisme, Editions de l’Aube, 2008, p39 et 40 217 Ainsi faut-il toujours sous-estimer son libre-arbitre pour ne pas être trompé par cette technique toute classique de manipulation : JOULE Vincent et BEAUVOIS Jean-Louis, Petit traité de manipulation à l'usage des honnêtes gens, Presses Universitaires de Grenoble, 2002

60

celui qui révèle la vérité cachée à l’aide d’une « intelligence émotionnelle » : il donne

une version accessible au citoyen ordinaire de problèmes politiques complexes218. Il a

un « parlé vrai » apparemment sincère qui contraste avec la langue de bois du

politicien classique. Alexandra Dorna dit que « c’est un scalpel manié avec adresse qui

tranche avec assurance les ambigüités idéologiques et les nuances coupables des uns et

des autres. Etonnamment, il parle avec une distanciation simulée de ses propres

hésitations et de ses erreurs, permettant ainsi d’associer aisément l’acuité de son

raisonnement au bon sens. L’interlocuteur est ainsi saisi (l’attirance est là) d’une

manière directe par un sentiment d’authenticité »219.

Le philosophe allemand Carl Schmitt avait fait de la distinction entre l’ami et

l’ennemi l’essence même de la politique. Celle-ci « fournit un principe d’identification

qui a valeur de critère, et non une définition exhaustive ou compréhensive »220. Peu

importe ses qualités, l’ennemi n’est que selon Schmitt « celui qui vous est hostile »221. Le

manichéisme est une condition intrinsèque au populisme, l’ennemi en est un besoin

mécanique, une donnée empirique et non théorique. En cela nous supposons que Carl

Schmitt peut avant tout être entendu comme le théoricien d’une façon particulière de

faire de la politique qui tendrait vers le populisme. Comme Jacques Derrida nous

pouvons par ailleurs affirmer que « ce qui se dit de l’ennemi ne peut être indifférent de ce

qui se dit de l’ami, dès lors que ces deux concepts se co-déterminent »222. Les ennemis

définis par Koizumi nous renseignent-ils donc sur le leader lui-même.

* L’ennemi comme reflet du pouvoir du chef : les « forces de la résistance »

L’ami et l’ennemi se déterminent, aussi les ennemis construits par Koizumi

mettent en lumière ses caractéristiques personnelles, notamment sa détermination. Il a

pratiqué le « coup de scalpel » en stigmatisant à son profit les « forces de la résistance »

(teikô seiryoku), soit tous les « groupes fournis de notables du parti et de parlementaires

du PLD élus de circonscriptions rurales, proches alliés des groupes de défense d’intérêts

catégoriels qui soutiennent traditionnellement le PLD (agriculteurs, commerçants,

directeurs de bureaux de poste, petites entreprises, sociétés immobilières et BTP,

pêcheurs, etc.) »223. Il est toutefois resté vague sur cet ennemi et s’est contenté de

proposer au peuple de choisir entre deux camps, un bon et un mauvais, de façon à

capter l’électorat par la négative – promettant la « réforme », autrement dit la 218 GOLEMAN Daniel, L’Intelligence émotionnelle. Comment transformer ses émotions en intelligence, Editions Robert Laffont, 1997 219 DORNA Alexandre, Le leadership charismatique, op.cit, p26 220 SCHMITT Carl, La notion du politique, Editions Flammarion, Collection Champs, 1992, p64 : « La distinction spécifique du politique, à laquelle peuvent se ramener les actes et les mobiles politiques, c’est la discrimination de l’ami et de l’ennemi. Celle-ci fournit un principe d’identification qui a valeur de critère, et non une définition exhaustive ou compréhensive ». 221 COLAS Dominique, op.cit, p83 222 DERRIDA Jacques, Politiques de l’amitié, Editions Galilée, Collection La philosophie en effet, 1994, p143 223 TIBERGHIEN Yves, « Idéologie néolibérale et entreprenariat politique au Japon », in Critique Internationale, n°32, juillet-septembre 2006, p167

61

« punition » contre ceux qui ont fait tomber l’honneur du pays. Il a fait ce qu’Otake

Hideo a qualifié de « populisme négatif », consistant à diaboliser ses ennemis pour en

retour incarner l’espoir de changement224. Il a ainsi pu exploiter le ressentiment d’une

population déçue par la politique dans les années 1990 en s’attaquant à ceux dont

l’image a été le plus ternie par les scandales.

Or, contrairement à Silvio Berlusconi qui avait trouvé son ennemi dans le

communisme italien ou Nicolas Sarkozy dans les valeurs de mai 68225, Koizumi a

déterminé un ennemi au sein de son propre camp, révélant ainsi les disparités du

grand « parti attrape-tout ». Si l’on ne devait retenir qu’un seul personnage

emblématique des « anti-Koizumi », ce serait sans nul doute Kamei Shizuka. Celui-ci

est une caricature de politicien traditionnel japonais : adepte expérimenté du

clientélisme local et très peu communicant, il a largement échoué à battre Koizumi en

2003 lors des primaires pour la présidence du PLD et a été son ennemi emblématique

lors de la campagne de 2005.

1.3 La centralité du chef

* Le populiste médiatique ne laisse personne indifférent

Comme tous les leaders populistes médiatiques contemporains, Koizumi a pris

la posture du « héros » qui crée un clivage dans l’opinion. Pour être au cœur du débat

public et de l’agenda médiatique, le héros doit être passionnément aimé ou détesté.

Par exemple, Silvio Berlusconi a multiplié les provocations : « il lui faut produire une

provocation par jour, la plus inconcevable et inacceptable possible. Il peut ainsi occuper

les premières pages des quotidiens, faire l’ouverture des journaux télévisés, et être

toujours au centre de l’attention. La provocation sera telle que l’opposition ne pourra

l’ignorer et sera contrainte de réagir énergiquement »226. Nicolas Sarkozy en a fait de

même, permettant à l’opposition de gauche de s’engouffrer dans le piège de le placer

au centre de sa communication. Selon Pierre Musso, la gauche, en faisant du « tout

sauf lui », a contribué à désigner le « sarkoberlusconien » comme le centre du débat

public. Car l’important est que le héros soit au centre et que le débat politique se

structure de manière manichéenne à son profit. Il faut « être vu à la télévision (ou

momentanément « caché »), afin de créer un jeu permanent de mise en

visibilité/invisibilité du président qui doit se faire désirer, attendre ou deviner »227.

Koizumi est parvenu à focaliser l’attention des médias sur sa personne, il a eu un

224 OTAKE Hideo, Etude du populisme de Koizumi Junichirô, op.cit. Koizumi a participé à une tendance générale au renforcement de la part d’arguments critiquant l’Autre dans le discours politique. Pierre Rosanvallon note que la « politique négative » a connu un essor significatif ces dix dernières années, notamment aux Etats-Unis. ROSANVALLON Pierre, op.cit, p175 à 180 225 MUSSO Pierre, Le Sarkoberlusconisme, op.cit, p98 226 ECO Umberto, A reculons, comme une écrevisse, Editions Grasset, 2006, p163 227 MUSSO Pierre, Le Sarkoberlusconisme, op.cit, p40 à 42

62

comportement original qui force au jugement et l’affrontement des opinions. Uesugi

Takashi a montré que par ce biais les discours des opposants devenaient inaudibles, les

fans ne comprenant pas comment il était possible de critiquer leur idole228. Au cours

de la campagne de 2005 Koizumi a créé un clivage fort au sein même de son parti, en

faisant refuser l’investiture à ceux qui avaient voté contre son projet de privatiser la

poste. Le journal Nikkei a ainsi expliqué au lendemain de la dissolution de l’Assemblée,

le 8 août 2005, que c’était le sentiment « anti Koizumi » qui avait brisé le PLD229.

* Koizumi Junichirô en héros de fiction

Le populisme utilise, pour concevoir ces récits, des ressorts émotionnels que

l’on peut qualifier de « classiques » car utilisés depuis l’Antiquité. Aristote a défini dans

le chapitre 14 de la Poétique le concept de « catharsis » par lequel le spectateur se vide

émotionnellement en regardant une histoire ou en participant à une activité230.

Koizumi a mis en application cette vieille technique expliquée par Aristote : il a en effet

utilisé les deux ressorts classiques de la catharsis, la « terreur » et la « pitié ». Terreur, il

a promis lors de son investiture des réformes « sans vaches sacrées », assurant que

« tout le monde allait souffrir »231. En 2005 il a expliqué qu’il serait « sans pitié » avec les

opposants à sa loi de privatisation… Pitié, il s’est construit une posture de personnage

souffrant, suscitant l’empathie des électeurs.

Philippe Pons a expliqué, dans son analyse des élections de 2005, que le

« théâtre Koizumi » s’était fondé sur le registre du « giri-ninjô », équivalent du

dilemme cornélien – l’individu est tiraillé entre ce qu’il ressent au fond de lui (ninjô,

nature humaine) et ce qu’il a le devoir d’accomplir (giri, obligation sociale). Par ailleurs,

le journal Asahi a noté que Koizumi avait utilisé le potentiel émotionnel et symbolique

du double-suicide du théâtre kabuki au cours de la campagne de 2005232. Or, le giri-

ninjô et l’image du double-suicide ne semblent pas spécifiquement japonais (voir Le

Cid de Corneille ou Roméo et Juliette de Shakespeare) et Koizumi n’utilise là encore

que des recettes classiques de mise en scène du politique. Toutefois, ces deux

références culturelles ont sans doute eu beaucoup d’impact sur des japonais habitués à

les voir mises en scène dans leurs récits traditionnels.

Jean-Marie Bouissou a perçu dans la politique théâtrale du Premier ministre

l’influence directe du manga233. Celle-ci s’observe sur deux plans. D’abord, les traits du

228 UESUGI Takashi, Victoire de Koizumi défaite des médias, op.cit 229 Nihon Keizai shimbun, Le sentiment « anti Koizumi » brise le PLD, mardi 9 août 2005 230 ARISTOTE, Poétique, Editions Mille et une nuits, 2006, p17 231 TIBERGHIEN Yves, « Idéologie néolibérale et entreprenariat politique au Japon », op.cit, p167 232 Asahi Evening News, “Koizumi's twist on the Kabuki double-suicide”, samedi 20 août 2005 233 BOUISSOU Jean-Marie, « Le manga et la démocratie, une étude de trois best-sellers de politique fiction des années 1990 », Communication au 20ème Congrès de l’Association Internationale de Science Politique (Fukuoka, Japon, 9-13 juillet 2006), publié dans le Bulletin de la Société Française de Science Politique, Tôkyô, Maison Franco-Japonaise, hiver 2006-2007

63

personnage charismatique Koizumi, héros dont les cheveux ondulent pendant ses

meetings, sont partagés avec des personnages de manga. « Il opère à l’intérieur du PLD ;

il bouscule les hiérarchies en combinant charisme et habileté médiatique ; charmeur, il

sait aussi être impitoyable ; il bâtit sa communication sur sa volonté de « se jeter dans le

feu » pour faire advenir le changement ; comme Asami (héros du manga politique

Sanctuary), c’est un nationaliste affirmé ; comme lui, il se débarrasse de la vieille

génération (…), et mobilise le vote flottant pour une victoire politique éclatante en

septembre 2005 »234. Ensuite, Koizumi a voulu instaurer un rythme haletant dans

l’agenda politique, tout comme le rythme du manga se doit d’être continuellement

animé. La temporalité joue un rôle clé dans le contrôle de l’agenda médiatique et la

captation des publics, les mangas sont souvent publiés à des intervalles réguliers et se

doivent de maintenir un suspense pour fidéliser le lecteur d’une semaine sur l’autre. Le

manga donne « à la masse de ses lecteurs une vision de la vie politique répondant aux

contraintes éditoriales d’un média qui a besoin de héros archétypaux et de

rebondissements constants, au rythme hebdomadaire ou bi-hebdomadaire de sa parution

en feuilleton »235. Koizumi a mis en scène des héros archétypaux par le manichéisme et

la simplification des enjeux politiques, et a abondamment nourri les médias de

« rebondissements » en tout genre (voir partie 3).

2. L’idéologie au service du populisme : nationalisme et

néolibéralisme

2.1 Le nationalisme d’un homme déterminé

Koizumi a ostensiblement affiché son nationalisme dans sa pratique des

relations internationales pour illustrer sa détermination. Le recours au nationalisme

est tout à fait classique dans le populisme, y compris dans sa version médiatique. « Le

style populiste est inséparable de l’orientation ethno-nationaliste » 236 , et le chef

charismatique doit son succès à sa capacité à réinvestir symboliquement la question

identitaire. Il y a une dimension mythologique du populisme, la thèse selon laquelle

« le « peuple » existe et qu’il est doté d’une unité, laquelle lui donne son identité (…) face

aux élites ou aux puissances menaçantes et contre elles »237. Nation et peuple semblent

ici synonymes, liés par « l’identité nationale ». Ce nationalisme du 21ème siècle, souvent

associé aux libéraux-populistes de droite, consiste principalement à valoriser la place

de la Nation, donc de son peuple, au sein d’une mondialisation chaotique brouillant les

234 Ibidem, p12 235 Ibidem, loc.cit 236 TAGUIEFF Pierre-André, L’illusion populiste, op.cit, p32 237 Ibidem, loc.cit

64

repères238. Nationalisme et identité ne sont que deux faces d’une même médaille visant

à redonner de la fierté et de la confiance à un peuple en proie au doute.

Le nationalisme de Berlusconi est bien connu ; n’a-t-il pas nommé son parti

« Forza Italia » en référence directe aux encouragements des supporters de football

pour la Squadra Azura, l’équipe nationale italienne. Nicolas Sarkozy a largement

siphonné l’électorat du Front National sur un thème qu’il a voulu central, l’ « identité

nationale ». Un autre exemple est celui de Thaksin Shinawatra en Thaïlande. Son

nationalisme a principalement été de nature économique, par opposition au

programme de rigueur imposé par le FMI après la crise asiatique de 1997. Thaksin a

modestement expliqué qu’il n’appelait pas « le peuple à devenir nationaliste, mais à

avoir un sens de la Nation »239. Le nom de son parti, « Thai Rak Thai » (les thaïs qui

aiment les thaïs), fait référence au protectionnisme national contre les puissances

occidentales. Le politologue Kasian Tejapira a distingué deux sortes de nationalisme

thaï que Thaksin a su exploiter : celui du riche monde des affaires (« copinage entre

capitalisme et nationalisme ») et celui des masses pauvres (« nationalisme radical

populiste »)240. A partir de 2004, après une perte de popularité dans les grandes villes, il

a radicalisé son message national-populiste, passant du slogan « penser nouveau, agir

nouveau » (2001) à « le cœur du Thai Rak Thai, c’est le peuple »241. Son nationalisme s’est

mû en paternalisme, proclamant protéger la ruralité contre l’étranger et recyclant

l’idée rousseauiste de contrat social en l’associant au thème de l’harmonie

bouddhiste242.

Le nationalisme de Koizumi s’est principalement manifesté dans les problèmes

de politique étrangère et de défense. Classique sur le plan doctrinal243, le Premier

ministre a voulu montrer que sur le plan diplomatique il n’était pas prompt à céder

devant l’adversité. De 2001 à 2005 il s’est rendu cinq fois au sanctuaire Yasukuni, lieu

où ont été déposées les « âmes » de quatorze criminels de guerre de classe A244. S’il a 238 HERMET Guy, « Populisme et nationalisme », in ROUX Jean-Pierre (dir.), Les populismes, Editions Perrin, Collection Tempus, 2007, p82 239 McCARGO Duncan et PATHMANAND Ukrist, The Thaksinization of Thailand, NIAS Press, 2005, p180 240 Ibidem, loc.cit 241 PHONGPAICHIT Pasuk et BAKER Chris, “Thaksin’s Populism”, in Journal of Contemporary Asia, vol.38, n°1, février 2008, p67 242 Idem, “Pluto-Populism in Thailand: business remaking politics”, to appear in: LOTTA Eva, et SIDEL John (dir.), Populism and Reformism in Southeast Asia: The Threat and Promise of New Politics, Yale University Council on Southeast Asia Studies Monograph Series , p14 : « La politique, c’est organiser les masses du peuple dans la société pour vivre en paix, sans crime. C’est la même chose que la théorie du contrat social défendue par les anciens philosophes tels que Montesquieu, Rousseau, John Locke et Thomas Hobbes, qui consiste vraiment à organiser le peuple pour vivre tous ensemble pacifiquement ». http://pioneer.netserv.chula.ac.th/~ppasuk/plutopopulism.pdf 243 Koizumi est nationaliste de la même façon que l’est une large partie de la droite conservatrice japonaise. La doctrine a par exemple été expliquée par Ozawa Ichirô dans Blueprint for a new Japan, livre dans lequel il souhaite faire du Japon un « Etat normal » (futsu no kuni) : « normal » signifiant « libre » de la domination américaine, spécifiquement dans les affaires militaires. 244 L’association des familles des morts à la guerre est parvenue en 1978 à faire intégrer au sanctuaire Yasukuni les âmes des criminels de guerre de classe A, dont celle de l’Amiral Tôjô, faisant de l’endroit un point de

65

provoqué la colère des chinois et des coréens à chacune de ses visites, sa popularité au

Japon en a toujours été renforcée. En 2001, profitant des attentats du 11 septembre, il

fait voter une « loi antiterroriste » controversée autorisant les Forces d’Auto-Défense

(FAD) à participer à des opérations militaires avec les Etats-Unis dans l’Océan Indien.

Il les a par la suite envoyé en Irak et au Cambodge, et fait participer à des opérations

humanitaires durant le tsunami sud-est asiatique et le conflit d’Aceh en 2004.

Controversées à leurs débuts, ces opérations sont désormais plébiscitées par l’opinion

publique245. Jean-Marie Bouissou a également montré que, comme George W.Bush et

Tony Blair en Irak, Koizumi a usé du manichéisme en politique étrangère246. En 2002, il

a par exemple effectué une visite très médiatisée à Pyongyang - « l’Axe du Mal » - pour

rétablir les relations diplomatiques avec la Corée du Nord. Comme pour les deux

autres chefs d’Etat, le bilan s’est avéré insuffisant en termes de politique étrangère

(échec en Irak et tensions en Asie) mais bon en termes de popularité.

Dans le même temps Koizumi a incarné, notamment à travers son amitié mise

en scène avec George W.Bush, une relation bilatérale forte avec les Etats-Unis, au sein

de laquelle il a prétendu négocier d’égal à égal et non comme le partenaire soumis tels

que perçu par ses voisins asiatiques. Il a insisté sur sa relation personnelle avec le

président américain, au point que la presse a parlé du couple « Koizumi-Bush » comme

équivalent à l’emblématique couple « Ron-Yasu » (pour Ronald Reagan et Nakasone

Yasuhirô) des années 1980247. Koizumi a par exemple médiatisé son pèlerinage effectué

avec la famille Bush dans la demeure d’Elvis Presley à Graceland, et n’a jamais tari

d’éloges pour son ami248. A l’évidence ces couples ne sont pas que de simples relations

personnelles mais le fruit d’un contexte politique particulier dans lequel l’image sert la

politique étrangère et de défense. Ainsi, pour Régine Serra, « la personnalité du Premier

ministre Koizumi et sa relation d’amitié avec le Président Bush ont permis une

accélération des mouvements politiques vers la définition d’une nouvelle stratégie de

crispation dans les relations du Japon avec les pays asiatiques anciennement colonisés. Le but de cette association a été de « porter au temple des esprits héroïques de tous ceux qui étaient morts pour le pays pendant la guerre de la grande Asie » : ROUILLERE Claire, La mémoire de la Seconde Guerre mondiale au Japon, éditions L’Harmattan, 2004, p73 245 Pour plus de détails, voir : SERRA Régine et SEIZELET Eric, Le pacifisme à l’épreuve. Le Japon et son armée, Editions Les Belles lettres, Collection Japon, 2009 246 BOUISSOU Jean-Marie, Cinq ans de "Koizumisme" : La mue de la Démocratie Japonaise, septembre 2006 : http://www.ceri-sciencespo.com/archive/sept06/artjmb.pdf 247 La Tribune, « Le Premier ministre japonais fait ses adieux à son grand allié américain », jeudi 29 juin 2006 : Ce dernier tandem a ainsi éclipsé « le duo « Ron-Yasu », autre couple mythique de la fin de la guerre froide formé par Ronald Reagan et Yasuhiro Nakasone ». 248 Opening Statements by Prime Minister Junichiro Koizumi and the U.S. President George W. Bush at the Joint Press Conference, lundi 18 février 2002 : « Et le Japon, grâce à mon ami, le Premier ministre, est sur la voie des réformes. J’apprécie beaucoup mes relations avec le Premier ministre. C’est un dirigeant qui incarne l’énergie et la détermination de son pays. Nous avons eu d’excellents entretiens. J’ai confiance en lui. J’apprécie son sens de l’humour. Je le considère comme un ami proche » : http://www.mofa.go.jp/region/n-america/us/pv0202/press.html

66

défense pour le Japon »249. On peut cependant constater un décalage entre cette grande

amitié et le renforcement concret des relations bilatérales. Nakasone a été impuissant à

lutter contre le Japan bashing dans les années 1980, malgré le soutien de son ami

Reagan250 ; alors que Koizumi « n’aura guère – voire pas du tout – influé sur les

orientations américaines »251. Malgré l’activisme diplomatique, le japonologue Gavan

McCormack a résumé le nationalisme de Koizumi comme étant de belles paroles

plutôt que des actes : « fidèle à Washington sur à peu près toutes les questions – avec

une possible différence sur la Corée du Nord – il a cherché à se donner un fort accent

japonais. Plus il servait les intérêts de l’étranger, plus important était le sentiment qu’il

apparaissait nationaliste »252.

2.2 Koizumi Junichirô dans la famille des néolibéraux-populistes Koizumi Junichirô, par son idéologie mais aussi son style politique, trouve

parfaitement sa place dans la catégorie contemporaine des « néolibéraux-populistes ».

Celle-ci associe un populisme médiatique à une idéologie économique, le

néolibéralisme, qui a connu son heure de gloire durant les années 1980 en étant

notamment incarné par Margaret Thatcher, Ronald Reagan, Ross Perot, Fernando

Collor, Alberto Fujimori ou encore Nakasone Yasuhiro253. Koizumi Junichirô partage

ainsi de nombreux points communs avec des leaders tels que Nicolas Sarkozy, Silvio

Berlusconi ou encore Thaksin Shinawatra. Comme eux, son discours comprend trois

types de « cultes » qui, même s’ils s’expriment différemment selon les cas, structurent

leur message politique.

* Le culte de l’efficacité

Dans un contexte de crise politique et économique, les néolibéraux-populistes

proposent la solution – idéologique - de l’efficacité. Dans son livre Dominium mundi,

Pierre Legendre explique que l’« évangile de l’efficacité » est une vision du monde issue

management privé ayant migré vers la politique254. Ceux-ci voient en l’Etat, force

d’inertie, l’origine de tous les maux ; par opposition ils font triompher la figure

dynamique de l’entreprise. Thaksin Shinawatra s’était désigné « PDG de la Thaïlande »,

dont la mission était de ranimer l’économie du pays. Pierre Musso a décrit le

« sarkoberlusconisme » comme grand porte-parole de l’« Etat-entreprise », stipulant

249 SERRA Régine, L’évolution stratégique du Japon, un enjeu pour l’Union, Institut d’Etudes de Sécurité de l’Union européenne, Occasional Paper n°59, juin 2005, p30 250 PONS Philippe, « M.Nakasone s’efforce d’enrayer la crise avec les Etats-Unis », in Le Monde, 30 avril 1987 251 SERRA Régine, Après Koizumi : redonner sens à la politique étrangère du Japon – septembre 2006, p3 : http://www.ceri-sciencespo.com/archive/sept06/artrs.pdf 252 McCORMACK Gavan, “Remilitarizing Japan”, in New Left Review n°29, sept-oct 2004 : http://newleftreview.org/A2525 253 OTAKE Hideo, Un style japonais de populisme ?, op.cit, p115 à 123 : l’auteur assimile le néolibéral-populisme de Koizumi à celui de Ronald Reagan. 254 LEGENDRE Pierre, Dominium Mundi. L’Empire du Management, Editions Mille et une nuits, 2007, p33

67

que les deux leaders partagent le fait d’appartenir à une droite « décomplexée »,

néolibérale sur le plan économique et conservatrice voire autoritaire sur le plan

politique 255 . Ils parviennent à articuler la liberté d’entreprendre avec l’idée de

refondation politique256, les deux étant en substance une force libératrice. Koizumi a

incarné au Japon un courant idéologique de longue durée au sein du PLD, devenu fort

à partir des années 1980. Celui-ci est favorable à l’ « Etat modeste », donc aux

privatisations. Il a défendu le néolibéralisme dans plusieurs ouvrages parus entre 1994

et 2007257, « ce qui n’est guère surprenant quand on sait que l’ancien Premier ministre

était issu de la « clique du ministère des Finances » (Ôkura zoku) »258. Lorsqu’il est arrivé

au pouvoir en 2001, il s’est par exemple donné trois ambitions économiques : l’arrêt des

emprunts non performants dans les deux ans, la création d’un système économique

compétitif, et l’accomplissement d’une réforme fiscale259.

* Le culte de l’effort

Pour résoudre la crise chacun doit être efficace, donc faire des efforts, dans une

union sacrée autour du chef. Koizumi a longuement indiqué lors de sa campagne pour

la présidence du PLD que les réformes structurelles ne se feraient pas sans souffrances.

« Il a promis ‘des réformes sans vaches sacrées’ et annoncé que tout le monde allait

souffrir »260. L’un de ses slogans de campagne a été « pas de réforme sans souffrance »

(itaminakushite kaikaku nashi) 261 . Il a également indiqué à plusieurs reprises,

notamment dans sa newsletter, que la rénovation du pays ne se ferait pas sans l’aide du

peuple, insistant sur un effort de groupe plutôt que sur l’effort de tout un chacun262.

« J’attends que nous travaillions tous ensemble pour la réalisation des réformes, fondées

sur les principes de base : ‘laissons au secteur privé faire ce dont il est capable’ et ‘laissons

aux localités faire ce dont elles sont capables’ »263. Dans une logique rappelant le

« enrichissez-vous » de Guizot, Thaksin Shinawatra a voulu encourager la création

d’une nouvelle classe d’entrepreneurs et promis de « revitaliser l’économie en stimulant

255 MUSSO Pierre, Le Sarkoberlusconisme, op.cit, p26 256 SUREL Yves, « Berlusconi, leader populiste ? », in La tentation populisme au cœur de l’Europe, IHL Olivier, CHENE Janine, VIAL Eric et WATERLOT Ghislain (dir.), Editions La Découverte, Collection « Recherches », 2003, p120 257 Voici la liste des ouvrages qu’il a fait publier : KOIZUMI Junichirô, Réformer le ministère des postes et des télécommunications (郵政省解体論), Kôbunsha, 1994 Idem, Réformer le royaume des bureaucrates (官僚王国解体論), Kôbunsha, 1996 Idem, La vérité sur ce qu’ils appellent un débat irréaliste (小泉純一郎の暴論・青論), Shûeisha, 1997 Idem, Koizumisme (コイズム), Media rebu, 1999 Idem, Privatiser les services postaux (郵政民営化論), PHP, 1999 258 UNO Shigeki, “Les héritages de Koizumi”, in La vie des idées, n°20, mars 2007, p1 et 2 259 GAUNDER Alisa, Political Reform in Japan, op.cit, p131 260 TIBERGHIEN Yves, « Idéologie néolibérale et entreprenariat politique au Japon », op.cit, p167 261 SHIBUICHI Daiki, op.cit, p210 262 UNO Shigeki, op.cit, p2 263 Lion Heart, op.cit : jeudi 30 septembre 2004, n°136, « Interview du Lion – fin » (「らいおんインタビュー」

(後編))

68

l’entreprenariat local à travers un modèle italien de génie local combiné à la haute

technologie »264. Dans un autre genre, Nicolas Sarkozy a promu l’idée d’effort en

focalisant son message sur la valeur travail et en affichant son corps souffrant, sur un

mode christique, notamment en s’entourant de journalistes lors de son jogging.

* Le culte de la réussite personnelle

Pour mobiliser le peuple dans l’effort, le chef montre l’exemple en incarnant lui-

même cet idéal de réussite, par le biais du storytelling. Il raconte des histoires aux

électeurs pour occuper leurs esprits et les faire adhérer à son image de héros

charismatique265. En 2007, Henri Guaino, conseiller de campagne de Nicolas Sarkozy,

confessait au journal Le Monde que « la politique, c'est écrire une histoire partagée par

ceux qui la font et ceux à qui elle destinée »266. Celle-ci fait ainsi appel aux sentiments

plutôt qu’à la raison, en donnant corps à des émotions par nature ineffables. Le chef

offre aux électeurs son histoire personnelle sous forme de conte merveilleux ; en

insistant sur sa singularité et sa vocation de servir le peuple. Thaksin s’est décrit

comme le self-made man qui, comme Berlusconi, a voulu faire pour son pays ce qu’il

avait fait pour lui-même, apporter la richesse. Il a romancé sa vie comme s’il s’agissait

d’une légende politique thaïe (tamnan). Il a insisté sur son origine sociale précaire et

son accession au pouvoir par sa seule volonté267, mis en valeur les principes de pureté

morale et de modestie, expliquant par exemple qu’il avait fait banqueroute trois fois

avant de devenir riche. « Les messages politiques doivent être dits sous forme de contes

didactiques, qui insistent sur l’exemple moral offert par les leaders à la population. Dans

une société aussi conservatrice que la société thaïe, le succès des leaders dépend

beaucoup du storytelling »268. Koizumi a romancé sa vocation à servir le peuple en

affirmant sa différence. Il s’est décrit comme un loup solitaire (ippiki ôkami) et n’a eu

de cesse de vouloir montrer l’authenticité de sa détermination et de ses qualités

personnelles269. Il a par exemple élevé ses deux enfants seuls, cas peu habituel au Japon,

et raconté avoir eu sa vocation pour la politique dés l’âge de 20 ans270.

264 PHONGPAICHIT Pasuk et BAKER Chris, “Pluto-Populism in Thailand”, op.cit, p5 265 Sur le sujet, voir : SALMON Christian, Storytelling, la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, Editions La Découverte, Collection « Cahiers libres », 2007 266 JAKUBYSZIN Christophe et LEPARMENTIER Arnaud, « Henri Guaino plaide pour un pouvoir visible et responsable », in Le Monde, samedi 21 juillet 2007 267 PHONGPAICHIT Pasuk et BAKER Chris, “Pluto-Populism in Thailand”, op.cit, p5 et 6 268 McCARGO Duncan et PATHMANAND Ukrist, The Thaksinization of Thailand, NIAS Press, 2005, p175 269 IWASAKI Daisuke, op.cit, p18 : l’auteur explique que Koizumi s’est mis en scène comme un « self product » (serufupurodyûsu). 270 Koizumi invité de « un repas au Refuge », op.cit Partie 2 : http://www.youtube.com/watch?v=k4nq4PL6pvketfeature=related

69

2.3 Le bon usage politique de la privatisation

Le contexte politique japonais impose une coloration particulière au néolibéral-

populisme de Koizumi. La « réforme administrative » qu’il défend a souvent été

invoquée comme arme face aux partisans de la politique conservatrice et clientéliste.

En raison de l’héritage politique si particulier du « système de 1955 », ce type de

populisme, construit en opposition à ce système, possède des caractéristiques qui lui

sont propres. Il ne trouve pas sa plus grande opposition dans les partis de gauche mais

dans la droite conservatrice et la haute fonction publique. Le thème de la

« déréglementation » (kiseikenwa) est devenu populaire dans les années 1990,

permettant au néolibéralisme de s’avancer « derrière la rhétorique

antibureaucratique »271. Koizumi en a été l’aboutissement. « Ce qui frappe dans la

rhétorique néolibérale de Koizumi, c’est précisément sa violente aversion envers les

fonctionnaires et l’appareil bureaucratique ; si elle contribua à sa popularité, c’est que les

Japonais n’avaient jamais perçu l’Etat comme il l’est encore souvent en Europe : le garant

de la redistribution sociale »272.

Les privatisations ont ainsi moins été pour lui un moyen d’assurer la domination

d’un modèle économique qu’un outil utilisé à des fins politiques. Otake Hideo a estimé

que les connaissances économiques de Koizumi n’étaient que superficielles, ce qui l’a

par conséquent rendu dépendant d’experts à qui il a laissé beaucoup de marges de

manœuvres, notamment Takenaka Heizô273. Avant lui, Nakasone Yasuhiro avait déjà

utilisé cette arme pour écarter ses adversaires politiques274. La privatisation des Japan

National Railways avait par exemple été un champ de bataille décisif lui permettant

d’avoir le contrôle de l’agenda politique, d’affaiblir la haute administration, d’abattre

les syndicats et le Parti Socialiste, et d’acquérir une position personnelle dominante au

sein du PLD. Or, si Nakasone y était parvenu, personne ne donnait Koizumi gagnant

en début de mandat. « Dès le début du mandat de Koizumi, les commentateurs

politiques ont émis des pronostics plutôt pessimistes sur ses possibilités de mener à bien

les réformes. En fait, ni l’idéologie libérale ni le groupe des partisans de Koizumi ne

paraissaient assez puissants pour promouvoir des réformes de grande ampleur275. Avant

la privatisation de la poste en 2005, Koizumi éprouvait effectivement des difficultés à

faire passer ses réformes. Le 8 août, jour où le Sénat a rejeté son projet de privatisation

de la poste, Koizumi semblait avoir définitivement perdu la bataille276. Au final, preuve

en est que la mise en avant dans les médias de la privatisation de la poste avait avant

271 BOUISSOU Jean-Marie, Le Japon depuis 1945, op.cit, p159 272 UNO Shigeki, op.cit, p2 273 OTAKE Hideo, Etude du populisme de Koizumi Junichirô, op.cit, p80 et 81 274 TIBERGHIEN Yves, « Idéologie néolibérale et entreprenariat politique au Japon », op.cit, p155 et 156 275 Ibidem, p168 276 MACLACHLAN Patricia, “Storming the Castle: The Battle for Postal Reform in Japan”, in Social Science Japan Journal, Vol.9, n°1, 2006, p12 et 13

70

tout un objectif politique, celle-ci s’est achevée sous forme de compromis mollasson277.

Il a en effet été convenu que l’épargne postale, cœur du problème, ne soit privatisée

qu’en 2017. En résumé, « la privatisation, sous Nakasone et Koizumi, n’a pas été une fin

en soi. Elle leur a permis de prendre le contrôle de l’agenda politique et de donner une

tournure nouvelle à la gestion des affaires intérieures. Cela explique en partie qu’elle ait

eu, sous Koizumi, une portée économique effective si limitée. Ce qui comptait, pour le

Premier ministre, était moins le résultat concret de la privatisation de la Poste que l’effet

symbolique de l’opération, qui lui a par ailleurs apporté une victoire politique

écrasante »278.

277 HIWATARI Nobuhiro, « Japan in 2005: Koizumi’s finest hour », in Asian survey, 2006/46, n°1, p32 278 TIBERGHIEN Yves, « Idéologie néolibérale et entreprenariat politique au Japon », op.cit, p156

71

03 La campagne électorale

de 2005 : victoire du

marketing politique

« Kit Ikea de l’élection » et

« démocratie plébiscitaire »

appliqués au Japon

72

L’élection législative japonaise du 11 septembre 2005 a été mise en scène par

Koizumi autour de sa volonté de privatiser la poste. Le 8 août, son projet de loi est

rejeté par le Sénat par 125 voix contre 108, alors qu’il avait été approuvé par l’Assemblée

à une petite majorité en juin, malgré les 37 défections de députés PLD. N’ayant pas le

pouvoir de dissoudre le Sénat, Koizumi choisit de dissoudre l’Assemblée (ce qui

provoque les élections), et fait refuser l’investiture PLD à tous les députés ayant voté

contre son projet. Il leur oppose ce que les médias nommeront « assassins » (shikaku),

des personnalités médiatiques issues de la « société civile » plutôt que des politiciens

classiques. Son ambition était officiellement de faire passer en force la privatisation de

la poste.

La particularité de l’élection réside dans le risque pris par Koizumi. Alisa

Gaunder l’a opposé à l’ancien Premier ministre Kaifu Toshiki qui, au début des années

1990, malgré sa volonté de dissoudre, n’avait pas osé s’imposer contre l’appareil du

PLD279. A l’inverse, Koizumi a imposé sa volonté à son parti si bien que certains ont pu

défendre l’idée qu’il n’était pas populiste, car il ne suivait pas l’opinion dictée par les

sondages mais sa volonté personnelle280. La détermination de Koizumi peut ainsi

s’opposer à la fluctuation « opiniomane » de Ségolène Royal, qui selon Pierre-André

Taguieff a construit son message électoral à partir de l’évolution des sondages281.

Tous les indices nous montrent que Koizumi s’était parfaitement préparé et que

la dissolution de la Chambre basse avait été planifiée à l’avance. Il « voulait aller à

l'affrontement : il aurait pu accepter des amendements proposés par les sénateurs ou

repousser le vote à une prochaine session » 282 , mais il ne l’a pas fait et a

« immédiatement »283 dissous. Selon Yves Tiberghien, « Koizumi avait prévu, dès le

début de son mandat, d’utiliser la privatisation de la Poste comme l’outil qui lui

permettrait de discréditer ses opposants et d’apparaître aux yeux de l’opinion publique

comme un homme moderne, tourné vers l’avenir, libre de toute allégeance à l’égard des

groupes d’intérêt »284. Otake Hideo raconte qu’environ dix jours avant le rejet de la loi

par le Sénat, Koizumi avait personnellement rencontré le politologue Gerard Curtis

pour lui demander conseil. Celui-ci lui avait expliqué : « si tu dissous, et que le PLD

perd, le PDJ ne pourra pas prendre le pouvoir, et le Japon deviendra plus intéressant ; si tu

gagnes, tu seras plus puissant. Il n’y a pas de quoi avoir peur »285.

279 GAUNDER Alisa, Political Reform in Japan, op.cit, chapitre 3, Kaifu Toshiki: Mr. Clean Plays It Safe, p42 à 64 280 PLANEL Niels, « La réforme au Japon est possible ! Comment Koizumi a transformé le Japon en cinq ans », in Sens Public, Revue électronique internationale, juillet 2007 : http://www.sens-public.org/IMG/pdf/SensPublic_NPlanel_Japon.pdf 281 TAGUIEFF Pierre-André, L’illusion populiste, op.cit, p51 à 65 282 PONS Philippe, « La crise politique déclenchée par le premier ministre, Junichiro Koizumi, sème la confusion au Japon », in Le Monde, 10 août 2005 283 INOGUCHI Takashi, op.cit, p10 284 TIBERGHIEN Yves, « Idéologie néolibérale et entreprenariat politique au Japon », op.cit, p170 285 OTAKE Hideo, Etude du populisme de Koizumi Junichirô, op.cit, p246

73

Pourquoi avoir focalisé tant d’énergie sur la seule question de l’avenir de la

poste ? Vouloir insister sur ce sujet peut paraître paradoxal à au moins deux titres.

Tout d’abord, il s’agit d’une question technique, touchant à des problèmes bancaires et

financiers, peu compréhensibles pour l’électeur moyen. Ensuite, le sujet n’était pas

perçu comme le plus important par l’opinion publique. Un sondage du quotidien

Yomiuri a révélé le manque d’intérêt accordé par les électeurs à la question postale,

malgré un mois de pilonnage médiatique. A la question « Quel sujet considérez-vous

important dans votre choix électoral ? », la privatisation de la poste est restée tout au

long de la campagne le second choix avec environ 30%, loin derrière la réforme des

retraites (ou de la sécurité sociale) qui est passée de 39% le 19 août à 43,3% le 9

septembre286 (annexe n° 3, page 122).

Grâce à la privatisation de la poste, Koizumi a néanmoins donné corps à ce que

Max Weber a nommé la « démocratie plébiscitaire », une interprétation démocratique

de la légitimité charismatique. « La « démocratie plébiscitaire » - principal type de

démocratie dirigée par des chefs – est, sous son aspect authentique, une espèce de

domination charismatique qui se cache sous la forme d’une légitimité issue de la volonté

de ceux qui sont dominés et qui n’existe que par elle ». Il existe la « domination

plébiscitaire » « partout où le détenteur du pouvoir s’est légitimé lui-même en tant

qu’homme de confiance des masses et où il est reconnu comme tel »287. Koizumi a basé

l’intégralité de la campagne sur une seule question, le plébiscite étant une

« consultation directe du corps électoral sur une résolution avec simple réponse par oui

ou par non »288. Il a ainsi formellement demandé aux électeurs s’ils étaient pour ou

contre la privatisation de la poste, mais en réalité il leur a demandé s’ils étaient prêts

ou non à le soutenir personnellement289.

Le Premier ministre est parvenu à faire de la question postale le sujet le plus

important dans les médias en appliquant un ensemble de techniques marketing ayant

déjà fait leurs preuves à l’étranger, surtout aux Etats-Unis. Il s’agit d’un « kit Ikea de

l’élection » (en référence au « Système Ikea » de la Nation décrit par Anne-Marie

Thiesse290) qui vise à associer le chef à un message publicitaire simple et percutant

(« proposition de vente unique »), diffusé massivement dans les médias (théorie de

l’« effet d’agenda »).

286 Yomiuri shimbun, « Bataille au sein du PLD, un intérêt croissant pour l’élection » (自民堅調な戦い、選挙へ

の関心高まる/読売新聞社継続世論調査), vendredi 9 septembre 2005 287 WEBER Max, op.cit, p350 et 351 288 Trésor de la Langue Française : http://atilf.atilf.fr/tlf.htm 289 Le journal Yomiuri donne l’exemple d’un meeting de Koizumi à la gare d’Hikarigaoka où il explique que l’on peut textuellement être « anti-Koizumi » ou « pro-Koizumi » sur la question postale : Yomiuri shimbun, « ‘Indépendants’ et ‘affiliés’, réduction de l’écart ? Une fin d’élection théâtrale » (「無党派」「政党」距離縮

む? 劇場型選挙あすフィナーレ), samedi 10 septembre 2005 290 THIESSE Anne-Marie, La création des identités nationales, Editions du Seuil, Collection Points, 2001, p13 et 14

74

A - La « démocratie plébiscitaire » : exigence du

marketing ?

1. Une élection originale

1.1 L’intérêt pour le scrutin converti en sièges

* Un niveau d’intérêt très élevé

La première caractéristique qui distingue cette élection des précédents scrutins

est le grand engouement qu’elle a suscité. L’abstention électorale avait depuis une

quinzaine d’années connu une augmentation drastique, témoignant un rejet de la

classe politique. Lors des élections générales de 1996, 2000 et 2003, le taux de

participation n’avait été que d’environ 60%291. Or, celui-ci a atteint les 67,5% en 2005292.

Les grands journaux japonais ont abondamment documenté ce sursaut politique. Par

exemple, le Yomiuri a réalisé pendant la campagne quatre sondages successifs

demandant aux électeurs à la fois leur intérêt pour l’élection et leur motivation à aller

voter. La réponse « forte motivation » a gagné 6,9 points entre le 17 août et le 10

septembre, alors que le « fort intérêt » a augmenté de 9,8 points293 (voir annexe n°3

page 122). Le Nikkei a pareillement montré que l’intérêt pour le scrutin atteignait un

record absolu, 78% de répondants indiquant avoir « beaucoup d’intérêt » alors qu’ils

n’étaient que 59,86% en 2003 et 74,57% en 1980, précédent record294. Cet intérêt

nouveau est principalement dû à la grande médiatisation de la campagne voulue et

provoquée par Koizumi 295 . En mettant son poste en jeu et promouvant des

personnalités du monde du spectacle, il a incontestablement suscité l’intérêt d’un

électorat habituellement éloigné de la politique. « Même si cette hausse générale de la

participation n’a pas d’effets directs mesurables sur la victoire du PLD, la mobilisation

291 Asahi shimbun, « Une hausse de la participation électorale » (関心高まり、投票率が上昇 現行制度では最

高 ), lundi 12 septembre 2005 : http://www2.asahi.com/senkyo2005/news/TKY200509120022.html 292 NOHARA Hiroatsu, « Victoire électorale de Koizumi et évolution de l’économie politique au Japon ; d’une social-démocratie souterraine à une social-démocratie citoyenne », in Revue de la régulation, n°1, juin 2007, p4 : http://regulation.revues.org/index406.html?file=1 293 Yomiuri shimbun, « La bataille au sein du PLD, l’intérêt croissant pour l’élection » (自民堅調な戦い、選挙へ

の関心高まる/読売新聞社継続世論調査), vendredi 9 septembre 2005 294 Nihon Keizai shimbun, « 78% ont un intérêt fort pour le scrutin » (「とても関心ある」78%), vendredi 9 septembre 2005 295 Le philosophe Michel Serres a lié l’intérêt populaire pour l’élection présidentielle française de 2007 à son haut degré de « spectacle ». Cette corrélation est semble-t-il applicable pour l’élection japonaise de 2005 : « Election américaine », chronique de Michel Serres Le sens de l’info, 23 mars 2008 : http://www.france-info.com/chroniques-le-sens-de-l-info-2008-03-23-election-americaine-109163-81-173.html

75

plus forte des jeunes électeurs urbains a clairement fait pencher la balance en sa

faveur »296.

* La victoire mécanique du mode de scrutin

Tous les analystes s’accordent pour signaler que la grande victoire du PLD est

pour l’essentiel un effet d’optique dû au « nouveau » mode de scrutin instauré en 1994.

On a vu que ce mode de scrutin majoritaire à un tour, calqué sur le modèle anglais,

favorise les raz-de-marée électoraux. Ainsi, en n’ayant obtenu « que » 47,8% des

suffrages dans les 300 circonscriptions locales, le PLD a raflé 73% des sièges (219). 32,5

millions d’électeurs ont choisi le PLD, contre 24,8 millions pour le PDJ. Si l’écart en

termes de voix n’a pas été extraordinairement large, nous partageons la conclusion du

politiste Io Jun expliquant au Yomiuri que le mode de scrutin ne peut expliquer à lui

seul l’ampleur de la victoire 297 . Ce score a révélé le succès d’une stratégie de

communication singulière.

1.2 Une victoire « à l’extérieur » pour le PLD

Le PLD doit en grande partie sa victoire de 2005 au soutien d’un type d’électorat

qui habituellement vote contre lui. Il est allé chercher son succès sur le terrain de son

adversaire démocrate, preuve que le style personnel du Premier ministre est parvenu à

influencer significativement le résultat du scrutin298.

* Victoire dans les villes, défaite dans les campagnes

Le succès du PLD semble en grande partie dû à un soutien massif des électeurs

des grandes métropoles. Cela peut paraître étonnant pour un parti dont le bastion

électoral s’est toujours situé, depuis sa création en 1955, dans les campagnes. Le PLD a

tout au long de son histoire gagné en moyenne la moitié des sièges dans les grandes

villes299 ; en 2005 cet état de chose a fondamentalement été bouleversé. Pour les 25

circonscriptions de Tôkyô, alors que le rapport majorité/opposition était de 12 sièges

partout en 2003, la majorité PLD/Kômeito remporte cette fois-ci 23 sièges contre un

seul pour le PDJ. Un sondage proposé par le Nikkei nous montre que la région de

Tôkyô a été celle où le vote a le plus basculé300. A Osaka, la majorité remporte 17 sièges

sur 19 alors que deux ans plutôt elle n’en avait que 10.

On constate parallèlement un faible recul dans les campagnes. Par rapport à

2003, le nombre de votes accordés au PLD a augmenté de 7,7 points sur l’ensemble des

296 NOHARA Hiroatsu, op.cit, p4 297 Yomiuru shimbun, « Victoire écrasante du PLD, vision d’observateurs » (自民圧勝、識者こう見る), lundi 12 septembre 2005 298 Asahi shimbun, « Une victoire personnelle de Koizumi », (「主役小泉」一人勝ち), lundi 12 septembre 2005 299 CHRISTENSEN Ray, op.cit, p514 300 Nihon Keizai shimbun, « Champ de bataille, guerre totale » (激戦区 総力戦), mardi 6 septembre 2005

76

circonscriptions urbaines et baissé de 1,3 point dans les circonscriptions rurales

(annexe n°2, page 121). Gavan McCormack a montré que dans la région de Kyûshû les

« rebelles » ont eu plus de facilité à se faire élire dans les circonscriptions rurales,

tandis que le PLD a remporté 10 sièges sur 11 dans la grande ville de Fukuoka301. Bien

entendu, la perte de confiance dans les campagnes a été plus que compensée par le

succès dans les villes.

* La progression chez les électeurs flottants

Le succès semble également s’expliquer par l’afflux massif d’électeurs définis

comme « flottants », « indécis » ou « indépendants », vers le PLD. Ceux-ci ont, depuis

les années 1990, eu tendance à voter pour les démocrates plutôt que pour les libéraux-

démocrates. En 2002, Tanaka Aiji avait noté que « chaque fois que les nouveaux

indépendants (jeunes citadins anti-establishment) vont voter, ils déjouent les prédictions

des leaders PLD vieux jeu »302. Il semble y avoir eu un basculement entre 2003 et 2005.

« En 2003, la moitié d’entre eux ont voté pour le PD, ce qui a permis à ce dernier de faire

un bond, en obtenant 177 sièges. En 2005, il est estimé qu’un peu moins de 50% ont voté

pour le PLD et seulement 25% en faveur du PD. Ce basculement a départagé

définitivement le sort des deux partis politiques »303. Le calcul du vote des électeurs

flottants étant difficile, les chiffres avancés par Nohara Hiroatsu diffèrent grandement

de ceux proposés par le Yomiuri au lendemain des résultats. Le quotidien a estimé que

le vote indépendant était allé à 32% au PLD et à 38% au PDJ, ce qui de toute façon

indique une réduction de l’écart ; en 2003 il avait été de 56% pour le PDJ contre 21%

pour le PLD304 (annexe n°4, page 124).

* La conquête in extremis des indécis

Le PLD semble avoir en partie gagné en persuadant les indécis lors de la

dernière semaine du scrutin. Les deux quotidiens Asahi et Yomiuri ont procédé durant

la campagne à une série de sondages, 8 pour le premier et 4 pour le second305 (annexe

n°3, page 122). Leurs observations ont été globalement similaires. Il y a tout d’abord eu

un recul progressif de la part des électeurs se disant « indécis » sur toute la période.

Selon le Yomiuri par exemple, ceux-ci étaient 30,6% le 19 août, 27,7% le 26 août, 26,7%

le 2 septembre et finalement 23,7% le 8 septembre. L’érosion a été d’environ trois

301 McCORMACK Gavan, "Koizumi's coup", in New Left Review, n°35, sept-oct 2005, p14 302 TANAKA Aiji, « The Rise of the Independent Voter », op.cit, p21 303 NOHARA Hiroatsu, op.cit, p4 304 Yomiuri shimbun, « Le vote indépendant à 32% PLD et 38% PDJ, l’écart se rétrécie » (無党派の32%、自民

へ 民主38%、差縮まる/出口調査), lundi 12 septembre 2005 305 Yomiuri shimbun : 19 août, 26 août, 2 septembre et 8 septembre 2005. Voir : Yomiuri shimbun, « La bataille au sein du PLD, l’intérêt croissant pour l’élection » (自民堅調な戦い、選挙への関心高まる/読売新聞社継続

世論調査), vendredi 9 septembre 2005 Asahi shimbun : 16 août, 19 août, 23 août, 26 août, 30 août, 2 septembre, 6 septembre et 9 septembre 2005. Voir : Asahi shimbun, « Intentions de vote dans les circonscriptions » (比例区で投票したい政党), samedi 10 septembre 2005

77

points tous les cinq jours. Le journal Asahi a quant à lui mis en évidence une baisse

plus forte des indécis à partir du début du mois de septembre. En effet, le taux était

resté stable à environ 40% jusqu’au 30 août, mais a terminé le 9 septembre à 28%.

Difficile de savoir réellement qui a bénéficié de cette baisse rapide sur la fin, très

probablement le PLD. Pour l’enquête du Yomiuri, le soutien accordé au parti de

Koizumi a augmenté de 1,9 point entre le 2 et le 8 septembre alors qu’il a diminué de

1,2 point pour le PDJ sur la même période. Pour l’enquête Asahi le soutien au PLD est

monté de 7 points entre le 2 et le 9 septembre, contre une hausse de 3 points

seulement pour le PDJ. La bataille a dans l’ensemble été équilibrée, les intentions de

vote PLD sont restées stables voire en légère diminution, pendant une large partie de la

campagne, passant par exemple de 37,4 points le 19 août à 34 points le 2 septembre

selon le Yomiuri. Ainsi, le parti du Premier ministre n’a gagné les électeurs indécis qu’à

la toute fin de la campagne, montrant l’influence décisive des passages télévisés en

septembre, notamment le « last Sunday » (dimanche 4 septembre) où Koizumi avait

affronté Okada, chef du PDJ, à trois reprises.

2. Le marketing politique au service du chef

2.1 Le « kit Ikea de l’élection »

Koizumi a remporté personnellement l’élection en appliquant dans son pays un

« kit Ikea de l’élection » divisé en deux composantes, un message simple ou

« proposition de vente unique », et sa diffusion dans les médias.

* La « proposition de vente unique » : une nécessité électorale

La « proposition de vente unique » (ou « Unique Selling Proposition », USP) est

une nécessité pour toute campagne électorale à l’échelle nationale. Le concept, issu du

marketing commercial, consiste à n’associer à chaque support (affiche, discours…)

qu’une seule idée, de façon à ce qu’elle fasse corps avec le produit et lui confère une

valeur ajoutée sur le marché. Le consommateur est en confiance devant un message

facilement accessible. Un exemple souvent cité est le célèbre slogan de Dominos Pizza,

« votre pizza en 30 minutes ou elle est offerte ». La « proposition de vente unique » est

ainsi un slogan, ou « catch phrase », adapté à un support de communication rapide. Au

regard de l’évolution historique, on peut la considérer comme la base du succès

électoral. C’est aux Etats-Unis que l’USP a été utilisée pour la première fois, lors de

l’élection présidentielle de 1952306. L’équipe de communication de Dwight Eisenhower

a fait appel à l’agence de publicité Batten, Barton, Durstin et Osbourne (BBDO) et à un

spécialiste du marketing commercial audiovisuel, Thomas Rosser Reeves Junior de

306 MAAREK Philippe, op.cit, p15

78

l’agence Ted Bates307. Celui-ci a commandé 49 spots publicitaires, un pour chaque Etat,

dont le contenu a été déterminé à l’aide d’enquêtes d’opinions, une première en

politique. Il a imposé une simplification drastique du discours, centré sur le slogan « I

like Ike », vide de contenu mais dont la sonorité a été efficace pour capter l’attention

des publics308. A partir de là, l’USP est devenue systématique aux Etats-Unis. « Plus le

message est simple, plus il a de chances d’être transmis avec efficacité »309. C’est en 1995

que cette technique marketing a atteint la France, Jacques Chirac remportant l’élection

présidentielle en grignotant à gauche grâce à son fameux thème de la « fracture

sociale »310. L’USP est par conséquent non seulement une formule choc, mais peut

également être un thème de prédilection associé à cette formule. L’USP de Nicolas

Sarkozy en 2007, « travailler plus pour gagner plus », était par exemple associée au

thème du « travail », qui le distinguait des adversaires et dont il a essayé de faire le

sujet central de la campagne – pour forcer les autres candidats à jouer sur son terrain.

Koizumi Junichirô a utilisé la privatisation de la poste comme USP et thème de

distinction sur ses adversaires politiques durant la campagne de 2005.

* L’« effet d’agenda » : faire danser les médias

Si le message doit être clair et percutant, il faut évidemment qu’il soit

majoritaire dans les médias de façon à ce que son empreinte sur l’électeur soit la plus

forte possible. Maxwell McCombs et Donald Shaw ont théorisé « l’effet d’agenda » des

médias de masse 311 . Il s’agit d’une « redondance décalée » de la hiérarchie de

l’information dans les différents médias312. Par exemple, David Paletz et Robert Entman

ont montré que, pour l’année 1981, 70% des sujets vus aux journaux télévisés

américains étaient les mêmes d’une journée sur l’autre313. Les médias, par la hiérarchie

de l’information qu’ils proposent à leurs spectateurs, n’indiquent pas ce qu’il faut

penser – quelles opinions seraient bonnes ou mauvaises – mais ce à quoi il faut penser,

quels sont les sujets les plus importants dans l’actualité314. Cela fonctionne avec tous les

médias de masse : la télévision, la radio, la presse écrite et Internet. En résumé, pour

un homme politique « l'objectif stratégique premier demeure, en campagne électorale, de

307 Celui-ci était déjà à l’origine de nombreuses USP dans le monde économique, notamment le fameux « ça fond dans la bouche, pas dans la main » utilisé par M&M’s. 308 Pour visionner certaines publicités de Thomas Rosser Reeves Junior pour Eisenhower, voir ce site Internet : http://www.pbs.org/30secondcandidate/from_idea_to_ad/collection/31.html 309 MAAREK Philippe, op.cit, p82 310 Sur le sujet, lire l’introduction de : EMMANUELLI Xavier et FREMONTIER Clémentine, La fracture sociale, Presses Universitaires de France, Collection « Que sais-je ? », 2002 311 McCOMBS Maxwell et SHAW Donald, “The agenda-setting function of mass media”, in Public Opinion Quarterly, vol.36, 1972 312 MAAREK Philippe, op.cit, p200 313 PALETZ David et ENTMAN Robert, Media, Power, Politics, Free Press, 1981 314 McCOMBS Maxwell, Media Agenda Setting in a Presidential Election, Praeger, 1981

79

garder l'initiative du débat. Et, plus précisément, de définir, sans en avoir l'air, le champ

des questions dignes d'attention »315.

Un homme politique, s’il parvient à intéresser les médias, peut ainsi créer un

« effet boule de neige » à son profit, ce que tous essaient de faire lors d’élections

nationales. « Malgré son « indépendance » théorique, la presse non partisane est donc

tout de même relativement influençable »316. Philippe Maarek a identifié trois façons

pour un politicien d’accéder à la presse « non partisane » : 1) Faire une conférence de

presse 2) Entretenir des relations « privilégiées » avec les journalistes (connaître leurs

noms, avoir un calendrier de déjeuners…) 3) Créer un événement dont la presse ne

pourra pas ne pas parler (réunion avec des célébrités, manifestation, prise de position,

interview…). Avec du savoir-faire il est possible de souffler indirectement aux

journalistes quels éléments dans un discours sont importants ou quels « pseudo-

événements » doivent être suivis. Un « pseudo-événement » est un événement dont la

principale utilité pour l’homme politique est d’occuper l’espace médiatique à son profit

pendant une période donnée317. Compte tenu de « l’effet d’agenda », un pseudo-

événement de grande ampleur peut occuper les médias nationaux pendant plusieurs

jours. Plus encore, ils peuvent s’additionner jusqu’à former une chaîne continuelle

saturant l’espace médiatique, un « feuilleton » ou un « théâtre » plaçant le héros

charismatique en son centre. Cela permet de rendre les adversaires inaudibles, donc

inexistants : « l’événement important est ce qui fait les gros titres ; l’événement non

rapporté est un non-événement »318. L’efficacité de la stratégie de communication de

Koizumi est par conséquent mesurable par l’observation des gros titres des quotidiens

japonais durant la campagne. Celui-ci a fait de la bataille opposant les « assassins » aux

« rebelles » une chaîne de pseudo-événements qui a inondé les médias (voir page 89).

2.2 La « team Koizumi » et ses priorités

* La « team Koizumi » : des experts motivés par le charisme du chef

Koizumi s’est doté pour la campagne de 2005 d’une équipe de communication

experte. Il a d’abord mobilisé ses fidèles lieutenants, Iijima Isao et Takebe Tsutomu. Ce

premier, bras droit de Koizumi depuis 1972319 et surnommé le « Raspoutine de la

résidence du Premier ministre » par les médias 320 , a été chargé de recruter les

« assassins ». Le second, qui ne l’a rejoint qu’à la fin des années 1990, a été chargé des

relations avec les membres du parti. Le futur Premier ministre Abe Shinzô a également

315 BELANGER André-Jean, « La communication politique, ou le jeu du théâtre des arènes », in Hermès, n°17/18, 1995, p132 316 MAAREK Philippe, op.cit, p179 317 Ibidem, p335 318 BRAUD Philippe, Sociologie politique, LGDJ, 7ème édition, 2004, p372 319 ASAKAWA Hirotada, Qui est Koizumi Junichirô ? (小泉純一郎とは何者だったのか), Kodansha, 2006 320 SEIZELET Eric, « Koizumi Junichirô, superstar de la vie politique japonaise », op.cit, p118 et 119

80

assisté l’équipe et distribué ses ordres à la hiérarchie du PLD. Koizumi a ensuite

nommé des experts en communication. Seko Hiroshige, diplômé dans ce domaine,

ainsi qu’en économie, membre du parti depuis 1998, a été nommé directeur de la

communication et, à ce titre, chargé de composer l’équipe de communicants et

d’appliquer la stratégie. Il explique avoir formé une équipe de 15 membres qu’il installa

dans un « bureau » au sein du siège du parti. De ce lieu celle-ci a mis en page le

manifeste, les affiches et les tracts, assuré un lien avec les journalistes ou encore scruté

chaque jour les livrets de sondages d’opinion321 (pour une image de ces livrets, voir

annexe n°6 page 126). L’économiste Takenaka Heizô, ami du Premier ministre depuis

dix ans, a été nommé porte-parole du parti dans les médias, notamment sur les

questions économiques322. Celui-ci a joué le rôle de l’expert capable de pédagogie323 et

doté d’un grand charisme audiovisuel.

Les témoignages de membres de la « team Koizumi »324 s’accordent tous à dire

que Koizumi était le commandant en chef. C’est lui qui donnait les ordres et établissait

les principes généraux de la stratégie. Il a par exemple demandé à Seko Hiroshige de ne

focaliser la communication que sur la question postale et de proposer un message qui

soit le plus simple possible. « Koizumi nous l’a dit, il faut transmettre ‘un message

simple à comprendre’ »325. Le Premier ministre était « le pilier de la communication »326.

Il a pareillement suggéré des noms d’assassins potentiels à Iijima Isao et les a

personnellement rencontrés avant que ceux-ci ne soient officiellement désignés

candidats du parti327.

* La priorité à la médiatisation

La « team Koizumi » a focalisé sa campagne sur la médiatisation à l’échelle

nationale plutôt que sur le clientélisme local, notamment en faisant appel à une

entreprise experte en media-training.

Pour muscler le message de la privatisation de la poste, Seko Hiroshige a

confessé avoir fait appel au cabinet de relations publiques PRAP Japan. Celui-ci a pour

spécialité le media-training ; il propose par exemple des simulations d’émissions

321 SEKO Hiroshige, 650 jours de remaniement du projet du PLD, op.cit, p98. Sur son blog, Seko Hiroshige raconte que l’équipe se réunissait dans ce but tous les matins à 10h, du lundi au vendredi : « Un blog pour raconter la vie et les pensées du député Seko Hiroshige », 参議院議員 世耕弘成(せこう ひろしげ)の活動を

日記形式と雑感、主張を交えお伝えするブログです! : http://blog.goo.ne.jp/newseko/m/200508/1 322 OTAKE Hideo, Etude du populisme de Koizumi Junichirô, op.cit, p105 à 111 323 PLANEL Niels, « La réforme au Japon est possible ! », op.cit, p7 324 IIJIMA Isao, Les documents secrets du palais Koizumi (小泉官邸秘録), Nikkei-book, 2006 : c’est ainsi qu’Iijima Isao nomme l’équipe de communication de Koizumi. 325 SEKO Hiroshige, Stratégies de communication professionnelles (プロフェッショナル広報戦略), Goma Books, 2005, p94 326 SEKO Hiroshige, 650 jours de remaniement du projet du PLD, op.cit, p109 327 IIJIMA Isao, op.cit, p271 à 275

81

télévisées et conseille de construire son charisme audiovisuel328. Faire appel à une

entreprise privée pour mettre en forme la communication électorale est chose banale,

Nicolas Sarkozy a par exemple fait appel en 2007 au Boston Consulting Group329. PRAP

Japan a accompagné l’équipe en y intégrant notamment deux membres. Ce cabinet a

aidé à élaborer les communiqués de presse, le media-training des intervenants et les

synthèses du contenu de la communication. Il a aussi apporté son expertise technique

au quotidien lors de l’étude des sondages d’opinion330.

Seko Hiroshige a estimé qu’il avait innové en matière de stratégie de

communication au PLD. Auparavant, pour choisir les intervenants lors des émissions

de télévision, il suffisait aux grands cadres de demander l’autorisation au bureau

politique du parti. Cela n’était pas « stratégique ». Seko a organisé un « combat au

corps à corps » favorable au PLD en observant quel intervenant le PDJ avait choisi pour

lui opposer un intervenant meilleur sur les points qui risquaient d’être débattus.

« Nous avons varié en fonction de la nature du programme et de ce que nous savions de

l’opposition »331. Ainsi, Takenaka Heizô, parce qu’il possédait à la fois un charisme

audiovisuel et un charisme d’expertise en économie, a contribué à faire de la poste une

priorité dans les médias. Il a été très précieux, notamment contre le redoutable Kan

Naoto, porte-parole du PDJ qui visiblement a beaucoup préoccupé les communicants

du PLD. Takenaka a été chargé de le surveiller. Abe Shinzô lui a par exemple donné un

précieux conseil : « Kan est irritable, face à lui il faut rester souriant, froid, à l’aise… »332.

Cela semble avoir été si efficace que « Kan fronça les sourcils »333.

Les statistiques montrent par ailleurs que les « assassins » ont été

significativement désavantagés sur le plan financier face à des « rebelles » bien en

place dans leurs circonscriptions. Koizumi a préféré une médiatisation nationale peu

coûteuse à la création de groupes de soutien locaux, marque du système ancien qu’il se

disait combattre. Aussi, pour assurer l’élection de femmes médiatiques, le PLD les a

placées en bonne position sur les listes proportionnelles. Cela leur permettait de ne pas

avoir à solliciter autant de fonds que les rebelles334 et dans le même temps de ne pas

décrédibiliser le conflit médiatique.

* La priorité aux abstentionnistes des villes

Une étude marketing commandée par Koizumi, et que Seko Hiroshige ne

semble pas mentionner dans ses livres, lui a indiqué de concentrer sa campagne sur les

328 Leurs activités sont variées, à en croire leur site Internet : http://www.prap.co.jp/english/ 329 MUSSO Pierre, Le Sarkoberlusconisme, op.cit, p106 et 107 330 SEKO Hiroshige, 650 jours de remaniement du projet du PLD, op.cit, p94, 99 et 108 331 Ibidem, p127 332 Ibidem, p102 et 103 333 SEKO Hiroshige, Stratégies de communication professionnelles, op.cit, p127 334 CARLSON Matthew, “Japan’s Postal Privatization Battle, the Continuing Reverberations for the Liberal Democratic Party of Rebels-Assassins Conflicts”, in Asian Survey, 2008/48, n°4, p618 à 621

82

indécis des grandes villes, soit des personnes a priori peu intéressées par la politique335.

Contrairement au PDJ qui a joué la carte d’une campagne sérieuse censée convaincre

ces indécis de le rejoindre rationnellement336, Koizumi a compris que, pour intéresser

une population habituellement inintéressée par la politique, il était nécessaire de faire

de l’« antipolitique » en simplifiant drastiquement les enjeux électoraux. Il a préféré le

contrôle des médias au contact direct avec l’électorat. Un tableau proposé par le Nikkei

indique que le Premier ministre a effectué un nombre plus faible de discours et

parcouru moins de kilomètres à travers le pays que son rival démocrate. Alors que le

chef de l’opposition a parcouru 8939 kilomètres et effectué 73 discours durant les 12

jours de campagne officielle, Koizumi n’a effectué que 42 discours et parcouru 8146

kilomètres337. Seko Hiroshige indique que la campagne s’était concentrée sur les villes,

avec Tôkyô pour priorité338. Il a été difficile selon lui de justifier ce choix à des députés

de provinces qui réclamaient la venue du Premier ministre.

3. La privatisation de la poste comme « proposition de

vente unique »

3.1 L’ouverture du « théâtre Koizumi » : la dissolution de

l’Assemblée

La dissolution du 8 août 2005 a sans doute été la scène la plus importante de la

campagne. Pour Koizumi, c’était l’ouverture de son « théâtre », le premier moteur de

sa « proposition de vente unique », l’introduction durant laquelle il a marqué le scrutin

de son empreinte. De nombreux articles ont montré que la popularité du Premier

ministre, ainsi que la bourse japonaise, étaient montées en flèche après l’annonce de

nouvelles élections339, qui s’est déroulée en deux parties.

335 PONS Philippe, « Le ‘théâtre Koizumi’ », op.cit, p46 336 Le manifeste du PDJ a insisté sur huit propositions : voir annexe n°8 page 128. 337 Nihon Keizai shimbun, « Plus qu’une journée, maintenir le leadership » (あと 1 日 党首踏ん張る), samedi 10 septembre 2005 338 SEKO Hiroshige, Stratégies de communication professionnelles, op.cit, p111 339 Agence France Presse, « Elections anticipées au Japon : la cote de Koizumi et la bourse s'envolent », jeudi 11 août 2005 : l’article fait le lien entre l’annonce d’élections anticipées et la bonne confiance de marchés financiers pariant sur un maintien de Koizumi au pouvoir. Cela a été souligné par d’autres articles, notamment l’agence de presse britannique : MAGGI Roberti, « Japan: stock market, Koizumi happy ahead of elections », English Media Service, jeudi 11 août 2005 Un article a résumé l’ensemble des sondages tenus par les journaux nippons qui montrent une hausse du soutien au Cabinet après une semaine de campagne : Market News International, « Japan Election: Koizumi Picks Celebrities to Push for Reform », vendredi 19 août 2005

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* Une dissolution théâtrale

A 13h44340, la « loi postale » tant voulue par Koizumi est rejetée par la Chambre

haute à 125 voix contre 108. Le Premier ministre avait promis avant le vote que si cela

arrivait il dissoudrait la Chambre basse et provoquerait des élections. L’événement

était attendu par les politiciens et les médias341, mais le suspense a permis de mettre les

téléspectateurs en d’alerte.

La scène a incontestablement été mise en scène pour la télévision342. La théorie

de la communication oppose le direct « non préparé » (attentats du 11 septembre 2001,

mort de François Mitterrand…) au direct « préparé » (match de football, cérémonies

officielles, émissions en prime time…)343. Ici, la « préparation » a à la fois concerné les

politiciens et les journalistes qui, par leurs commentaires, ont donné une couleur

subjective au spectacle. Koizumi a tout fait pour donner un ton dramatique à

l’événement. Il apprend le rejet de sa loi par la télévision depuis la résidence du

Premier ministre puis entre en scène après avoir consulté le chef du PLD. Il affiche

volontairement un visage sombre et visiblement inquiet, soulignant la gravité de la

situation. En réalité, et cela se remarque sur la vidéo, Koizumi rit intérieurement car

tout se passe comme il l’avait prévu344. Son jeu d’acteur lui permet de cacher son

sentiment profond de satisfaction au profit d’une dramatisation théâtrale. Il écoute

calmement le speaker lire la lettre annonçant la dissolution de l’Assemblée avant de se

lever et de quitter la pièce d’un pas énergique, prenant la posture théâtrale de victime

déterminée.

Les journalistes de la NHK qui filment et commentent l’événement

entretiennent un faux suspense. Lors d’un événement retransmis à la télévision sont

utilisées deux médiations intrinsèquement subjectives, l’image et le commentaire345.

Les mouvements de caméra indiquent ce qu’il faut retenir de la scène. L’image

commence par décrire trois lignes de forces en zoomant d’abord sur Koizumi, puis sur

Okada (chef de l’opposition), puis sur la lettre annonçant la dissolution de l’Assemblée.

La caméra suit ensuite la scène en se focalisant sur la personne de Koizumi. Le

commentaire des journalistes joue pour beaucoup sur la temporalité. Il consiste à créer

340 UESUGI Takashi, op.cit, p219 341 Asahi shimbun, « A la résidence du Premier ministre, on s’attend à dissoudre le jour même » (官邸, 即日解散

を想定), samedi 6 aout 2005 + Pour avoir une chronologie rapide des événements intervenus au sein du PLD sur la question postale avant la dissolution, voir : ITO Takuya, « Structural Ambiguity of the Liberal Democratic Party, The Dissolution of the Diet in 2005 and the Reinstatement Problem », in Electronic journal of contemporary japanese studies, jeudi 15 octobre 2009 : http://www.japanesestudies.org.uk/discussionpapers/2009/Ito.html 342 « Vers la dissolution de l’assemblée » (衆議院解散へ), émission NHK du lundi 8 août 2005, visible sur le site youtube : http://www.youtube.com/watch?v=tsEzsLFUPfo 343 JOST François, Introduction à l’analyse de la télévision, Editions Ellipses, Collection Infocom, 2007, p61 à 65 344 UESUGI Takashi, op.cit, p220 345 JOST François, op.cit, p61 à 65

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une attente chez le spectateur (se demandant à plusieurs reprises ce qui va se passer

dans un futur proche), afin que celui-ci demeure scotché devant une scène pourtant

longue et ennuyeuse.

* Koizumi Junichirô dans la peau de Galilée

A 20h Koizumi donne une conférence de presse télévisée pour expliquer son

choix346. Douze minutes de discours puis douze minutes de questions de journalistes.

A en croire Seko Hiroshige, le taux d’audience de cette conférence de presse a été

exceptionnel (28%)347. Koizumi insiste sur son désarroi, la gravité de l’événement et sa

détermination à y faire face. Le caractère dramatique de l’événement est montré par la

fragilité mise en scène d’un personnage qui parle doucement, cherche ses mots la voix

un peu rauque, comme si due à une gorge sèche. Koizumi effectue régulièrement des

pauses de plusieurs secondes pour insister sur les mots importants, mais aussi pour

que les téléspectateurs le regardent plus qu’ils ne l’écoutent. Chaque proposition est

énoncée d’un ton sec, renforcé par le temps de pause qui la suit.

Le contenu est exclusivement consacré à la privatisation de la poste. Koizumi

s’est servi de cette formidable ouverture médiatique pour donner l’impulsion première

à la façon dont il voulait que l’élection soit perçue par l’opinion et les médias : comme

un plébiscite. Après avoir décrit rapidement sa défaite d’un ton solennel – en

expliquant que le rejet de son projet était un rejet de sa propre personne – il fait en

début de discours la demande effective à son peuple : « vous pouvez même dire que ma

dissolution est une ‘dissolution postale’. Etes-vous favorables à la privatisation de la

poste ? Ou y êtes-vous opposés ? Je voudrais clairement poser cette question au

peuple »348. Il se définit alors comme le réformateur déterminé qui met à exécution une

promesse qu’il avait faite en début de mandat, celle de « détruire le PLD » pour

accomplir les réformes. Il décrit les opposants à sa privatisation de la poste comme des

personnes opposées dans l’absolu aux réformes : « au pire j’estimais que le PDJ, qui a agi

sous la bannière de promotion de la réforme, aurait proposé sa propre loi alternative de

privatisation. Mais malheureusement, même le PDJ était opposé à la privatisation. Ils

n’ont même pas voulu promouvoir de loi alternative ». Il explique que la privatisation de

la poste est un progrès nécessaire pour le pays et que tous doivent le comprendre. Il

indique que les électeurs ont le « choix » entre le progrès et l’archaïsme, se comparant

pour cela à Galilée. « Il y a environ 400 ans, dans une époque où le monde était

convaincu par la théorie géocentrique du système solaire, Galilée a annoncé que ‘la Terre

tournait’, selon la théorie héliocentrique. Il est dit que, même après avoir été jugé

coupable d’hérésie, il affirmait que ‘la Terre tournait quand même’ ». Cette métaphore a

abondamment été reprise par les médias. 346 Press Conference by Prime Minister Junichiro Koizumi, lundi 8 août 2005 : http://www.kantei.go.jp/foreign/koizumispeech/2005/08/08kaiken_e.html 347 SEKO Hiroshige, Stratégies de communication professionnelles, op.cit, p98 348 Press Conference by Prime Minister Junichiro Koizumi, lundi 8 août 2005, op.cit

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3.2 La poste, rien que la poste…

* Un discours ultra polarisé

Durant la campagne Koizumi n’a quasiment parlé que de la privatisation de la

poste lors de ses interventions et de ses meetings, laissant à ses assistants spécialisés la

tâche de « répondre » aux attaques sur d’autres sujets. Le Asahi a publié le 28 août le

temps consacré par chaque candidat aux thèmes de la campagne durant un meeting. Il

a à cette occasion montré que Koizumi, lors d’un discours à Shizuoka le 27 août, avait

parlé de la poste à 96% et a consacré les 4% restants à présenter les candidats, alors

que le chef de l’opposition a abordé de manière équilibrée un large panel de thèmes

lors d’un discours à Hiroshima349. Ce qui a été vrai pour les réunions avec les

sympathisants l’a aussi été concernant les débats télévisés de grande écoute. Lors de la

réunion télévisée au « club de presse japonais » (Japan National Presse Club ou nihon

kisha kurabu) le 29 août, rassemblant tous les candidats dans un événement fortement

médiatisé, Koizumi a consacré 81% de son temps à parler de la poste, 12% au style

vestimentaire cool-biz (voir page 101), puis le reste à présenter les candidats. A l’inverse,

Okada a été bien plus varié et équilibré, n’abordant la privatisation de la poste que

durant 6% de son temps350.

* Eadem sed aliter351 : le même sujet mais toujours d’une autre manière

Comment Koizumi a-t-il fait pour parler aussi longtemps d’un seul et même

sujet ? Il a utilisé les deux recettes qui forment la base de son charisme verbal, la

simplicité et l’analogie, sans avoir peur de se répéter. Lors de sa conférence de presse

du 8 août, il prononce quatre fois son slogan « laissons le secteur privé faire ce qu’il

peut », cinq fois « la Diète a décidé qu’il n’y avait pas besoin de privatiser les services

postaux », trois fois « j’ai indiqué le besoin qu’il y avait de privatiser », et effectue son

« appel au peuple » à six reprises. Koizumi fait durer son propos en ayant recours à une

grande quantité de questions rhétoriques. Durant son meeting du 21 août à Nagoya352,

cheveux ondulants dans le vent tel un héros de manga, il se demande plusieurs fois

d’un ton martial « pourquoi » (naze) – en insistant bien sur ce mot – sont-« ils » contre

sa privatisation. Il associe l’auditoire à son raisonnement logique en ponctuant ses

propos de formules telles que « tout le monde est d’accord n’est-ce pas ? » (minna ha

349 Asahi shimbun, « Les sujets des discours de campagne » (街頭演説 力点は), dimanche 28 août 2005 350 Asahi shimbun, « Discours du parti majoritaire, gagner par la personnalité » (党首訴え 個性で勝負), mercredi 31 août 2005 351 La formule nous vient du philosophe Arthur Schopenhauer qui qualifiait l’histoire comme la répétition des mêmes phénomènes mais toujours sous de nouvelles formes : SCHOPENHAUER Arthur, Le monde comme volonté et comme représentation, Presses Universitaires de France, 2004, supplément au livre III, chapitre 38 352 Meeting de Koizumi Junichirô à Nagoya le 21 août 2005 (小泉首相 05 年 8 月 21 日 街頭演説) : Partie 1 : http://www.youtube.com/watch?v=bPZ6l5a8maQetNR=1 Partie 2 : http://www.youtube.com/watch?v=CWW8F7j7Xe8etfeature=related

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sansei deshô), lorsqu’il s’agit d’énoncer un argument positif, ou « tout le monde est

contre n’est-ce pas ? » (minna ha hantai deshô), lorsqu’il s’agit d’énoncer un argument

supposé être défendu par l’autre camp. Il fait du scrutin une affaire personnelle en

utilisant le « je » (watashi) avec insistance353, et fustige ses adversaires en expliquant

qu’il « ne comprend pas » leurs raisonnements. Il invoque dans le même temps le sens

du devoir, en finissant beaucoup de phrases par des formules telles que « il est

nécessaire de » (ikenai) ou « il faudrait faire » (shinasai). Pour ne pas ennuyer son

auditoire tout en se répétant, Koizumi varie les exemples de personnes opposées à son

projet, et de bienfaits de sa privatisation, tout en finissant par se poser en victime, en

se demandant « pourquoi » y sont-ils malgré tout opposés.

3.3 La « démocratie plébiscitaire » dans les publicités

Durant la campagne officielle de douze jours, les partis politiques ont eu droit à

un nombre déterminé de publicités dans les journaux. La « team Koizumi » les a toutes

consacrées à sa « proposition de vente unique » postale. Sur les images proposées,

beaucoup ont présenté des candidats de régions mais deux d’entre elles n’ont montré

que le Premier ministre. L’art de l’affiche politique est très codifié au Japon : très

souvent, le visage du politicien en gros plan est accompagné d’une petite légende et du

nom du parti. Koizumi n’y a pas échappé. Les deux encarts publicitaires ont montré

son visage en gros plan, costume noir sur fond bleu foncé, la peau nette, un sourire

léger et le regard sûr tourné vers l’avenir. D’une affiche à l’autre, seuls la légende et le

zoom ont changé. Cette image figurait déjà sur le manifeste PLD publié le 26 août

(annexe n°8 page 128). En début de campagne officielle, à partir du 30 août, l’équipe de

communication a diffusé une première publicité insistant sur la nécessité de privatiser

la poste car il s’agit du « cœur des réformes » (image 1, page 88). Le spectateur a ainsi

pu y lire, à côté du visage de Koizumi, le slogan « n’arrêtons pas les réformes », puis au

bas de l’image en plus petit, « essayons à nouveau de privatiser la poste ! » et « la

privatisation de la poste est le cœur des réformes ». Le message a donc insisté sur le

caractère supérieurement important de la « mission » de privatiser la poste.

Après le « last Sunday » et les trois débats télévisés ayant opposé Koizumi à

Okada, Seko Hiroshige indique que l’équipe de communication, et Koizumi lui-même,

ont souhaité radicaliser le message « unique ». Ils ont donc lancé une nouvelle série de

publicités dans les journaux, dont une faisant un gros plan sur le visage de Koizumi

(image 2 page 88). Celle-ci a pleinement illustré le renforcement souhaité de la

« démocratie plébiscitaire ». En effet, ce n’était désormais plus la nécessité de privatiser

la poste qui occupait le premier plan mais l’ « appel au peuple » fait par le leader sur

une seule question rhétorique. A côté du visage de Koizumi le lecteur ne lisait plus

« n’arrêtons pas les réformes », mais la simple phrase « je vous le demande ». Un autre

353 La particule « が» (ga) insiste sur la première personne du singulier.

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texte, plus gros que précédemment, détaillait LA question rhétorique à laquelle le

peuple devait répondre : « pour la privatisation de la poste ? Ou contre ? », puis, « pour

la poursuite des réformes ? Ou le retour en arrière ? ». Une dernière phrase, « n’arrêtons

pas les réformes », achevait de montrer que l’électorat avait à choisir le camp des

modernes incarné par le Premier ministre. D’une déclaration se voulant objective et

centrée sur la réforme, le message avait évolué pour se focaliser sur l’appel personnel

du chef à son peuple.

La « démocratie plébiscitaire » a également été déclinée en version vidéo.

L’équipe de communication a réalisé deux spots de campagne pour le PLD dans

lesquels Koizumi apparaît seul sur fond rouge, et invite le peuple d’un ton martial à

faire son choix sur la poste354. Les spots publicitaires destinés à la télévision se doivent

d’être très courts, 14 secondes maximum. Dans le premier, Koizumi fait le lien entre sa

promesse faite il y a quatre ans de « détruire le PLD » si les réformes n’advenaient pas,

et la privatisation de la poste qu’il propose. Il explique qu’il s’agit d’un « rendez-vous »

(yakusoku) avec le peuple. Dans le second, il commence par dire que la privatisation de

la poste est le cœur des réformes, puis indique qu’il faut faire le bon choix et accomplir

cette réforme. Au ton martial et déterminé de Koizumi s’est opposé le visage « mou »

d’Okada355 ; dans le spot du PDJ celui-ci est assis sur un canapé blanc, attendant

quelques secondes pour ensuite se lever et marcher. Il ne prononce aucune parole, sauf

pour dire « n’abandonnons pas le Japon ! » (nihon wo akuramenai !), slogan de

campagne de son parti. Contrairement aux spots PLD qui ont insisté sur une idée forte,

le spot PDJ était vide de contenu.

354 Les spots télévisés de Koizumi son sur le site Internet youtube : spot 1 : http://www.youtube.com/watch?v=WaH7Gs9_44setNR=1 et spot 2 : http://www.youtube.com/watch?v=dcYKUl3xp1Aetfeature=related 355 Le seul spot du PDJ est également visible sur le site Internet youtube : http://www.youtube.com/watch?v=UOhENSpe3pIetfeature=related

88

Image 1

Source : SEKO Hiroshige, Stratégies de communication professionnelles, op.cit, p78 (image 1) et 107 (image 2).

Image 2

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B – L’ubiquité médiatique du « théâtre Koizumi »

1. Victoire de Koizumi, complicité des médias

Koizumi est parvenu à imposer aux médias japonais la façon dont il fallait

raconter la campagne de 2005. Sa chaîne de pseudo-événements, centrée sur la bataille

opposant « assassins » et « rebelles », a occupé les gros titres de la presse, tout comme

la privatisation de la poste a été considérée comme le sujet principal. Les médias ont

été complices du Premier ministre dans sa large victoire.

1.1 « Assassins » contre « rebelles » : un scénario idéal

* Le succès d’une chaîne de « pseudo-événements »

L’affrontement opposant les « assassins » et les « rebelles » a été une chaîne de

pseudo-événements réussie dans la mesure où les médias lui ont accordé beaucoup

d’importance. Les histogrammes visibles aux pages suivantes 356 nous montrent que les

articles portant sur cette bataille ont été très nombreux dans les journaux Nikkei et

Asahi, bien que le phénomène n’ait concrètement concerné que 37 circonscriptions sur

300. En 35 jours de campagne, 12 articles lui ont été consacrés en une du Asahi et 7 en

une du Nikkei. De la deuxième à la quatrième page, il y a eu 19 articles sur le sujet dans

le Asahi et 28 dans le Nikkei. Ceux-ci ont fait la part belle à l’« antipolitique » en se

focalisant sur des enjeux locaux opposants des personnalités médiatiques telle que

Koike Yuriko, ancienne présentatrice de télévision et ministre de l’environnement, au

microcosme des « anti-poste ». Ce dernier a pareillement été omniprésent dans la

presse. La création du « Nouveau Parti du Peuple » par cinq de leurs membres a par

exemple été considérée comme un événement politique majeur et a fait la une des

deux quotidiens357.

356 Méthodologie d’élaboration des tableaux : Notre ambition était de mesurer le contrôle de l’agenda médiatique par Koizumi. Nous avons, sur une période allant du 9 août au 11 septembre 2005, référencé tous les articles politiques présents sur les quatre premières pages des éditions matinales des journaux Asahi et Nikkei. Les archives étaient disponibles sous forme d’annuaires à la Maison de la Culture du Japon pour le premier, et au bureau parisien du journal pour le second. Notre étude n’a pas inclue le Yomiuri dans la mesure où nous n’avons eu accès qu’à leurs archives numérisées. Nous avons classé les articles en fonction des sujets qu’ils traitaient pour mesurer la focalisation médiatique sur l’affrontement « assassins » contre « rebelles ». 357 Asahi shimbun, « Avec 5 députés, le ‘Nouveau Parti du Peuple’ » (衆参 5 人で「国民新党」), jeudi 18 août 2005 + Nihon Keizai shimbun, « La révolte du ‘Nouveau Parti du Peuple’ » (「国民新党」旗揚げ), jeudi 18 août 2005

90

* Campagne officielle et campagne « non officielle »

Cette grande focalisation sur l’affrontement entre « rebelles » et « assassins » se

constate principalement en début de campagne. Du 8 (date de la dissolution) au 20

août (lendemain de la visite de l’« assassin » Horie Takafumi au siège du PLD), le sujet

a fait 6 fois la une du Nikkei et 8 fois celle du Asahi. De la deuxième à la quatrième

page le Asahi lui a consacré 10 articles, le Nikkei 17. Le 21 août, prévoyant l’accalmie, le

Asahi a estimé que le vacarme des « assassins » était fini358. La campagne officielle,

allant du 31 août au 11 septembre, s’est en effet moins focalisée sur ces pseudo-

événements. Aucune première page pour le Nikkei, une seule pour le Asahi. Les

quotidiens ont respectivement consacré 5 et 6 articles au phénomène dans leurs pages

deux à quatre. Ces statistiques montrent le décalage entre campagne « officielle » et

« non officielle ». Si cette première ne dure que douze jours, durant lesquels les

journaux se concentrent sur les manifestes des partis, la seconde, plus longue et moins

réglementée, a été la période où les médias ont le plus véhiculé le « théâtre Koizumi ».

358 Asahi shimbun, « PLD/PDJ, le ‘vacarme des assassins’ est fini » (自.民「刺客騒ぎ」は終り), dimanche 21 août 2005

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1.2 La privatisation de la poste au centre de tout

La privatisation de la poste n’a jamais été considérée par l’électorat comme le

thème majeur de la campagne ; un sondage réalisé par le Yomiuri nous prouve qu’elle a

été perçue comme bien moins importante que le problème des retraites (annexe n°3

page 122)359. Un sondage du Asahi le 22 août montre que 52% des interrogés ont

répondu « non » à la question, « pensez-vous que la poste est un sujet important ? »360.

Il semblerait pourtant que la presse ait suivi les recommandations de Koizumi en

considérant la poste comme le thème le plus important, et en lui consacrant le plus

d’articles. 3 unes pour le Asahi, 5 pour le Nikkei. De la deuxième à la quatrième page, 10

articles pour le Asahi et 8 pour le Nikkei. A contrario, le thème des retraites n’a

quasiment pas été traité. Sur toute la campagne, le Asahi ne lui a consacré qu’un seul

article dans ses quatre premières pages361, contre 3 pour le Nikkei. Les quotidiens ont

semble-t-il accordé plus d’importance à des sujets tels la diplomatie ou la fiscalité,

pourtant considérés comme peu importants par l’opinion publique.

359 Yomiuri shimbun, « La bataille au sein du PLD, l’intérêt croissant pour l’élection » (自民堅調な戦い、選挙へ

の関心高まる/読売新聞社継続世論調査), samedi 9 septembre 2005 360 Asahi shimbun, « Kamei Shizuka vers la formation d’un nouveau parti » (亀井静ら新党結成へ), mercredi 17 août 2005 361 Asahi shimbun, « Les retraites, conflit à l’entrée » (年金, 入り口で対立), lundi 5 septembre 2005

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Il faut néanmoins signaler que la question des retraites a largement été abordée

au sein d’articles généraux visant à comparer les positions des partis sur plusieurs

thèmes. De nombreux tableaux ont été proposés, plaçant d’un côté les différents partis,

de l’autre les différents sujets de la campagne. Il est intéressant de noter l’évolution du

positionnement des thèmes au sein de ces tableaux. Le Nikkei a choisi de toujours

placer la poste en premier thème de la campagne, à l’inverse le Asahi a toujours placé

les retraites en premier. Ce dernier succombe cependant au pilonnage médiatique le 9

septembre, en plaçant la poste en premier thème dans son dernier tableau général362.

Le caractère répétitif de la presse japonaise a parallèlement beaucoup aidé ce

pilonnage médiatique de la « proposition de vente unique » postale. Les journaux ont

souvent répété les mêmes informations, notamment lorsqu’il s’agissait de résumer les

manifestes de chaque parti. Il leur est arrivé d’utiliser des citations d’hommes

politiques pour nommer leurs articles généraux. Si le Nikkei s’y est adonné plus

facilement que le Asahi, les deux quotidiens ont très fréquemment relayé les slogans de

Koizumi, portant toujours sur la privatisation de la poste : « le point important c’est la

poste »363, « la poste est le point central »364, « poste, le futur est aussi dans la

privatisation »365, « je demande confiance sur la poste »366, « faites confiance à la

majorité sur la poste »367… Le Premier ministre a pu donner le sentiment au lecteur

qu’il s’agissait du sujet central.

1.3 L’élection vue de l’étranger : le « jeu » et la « guerre »

Le « théâtre Koizumi » a également été adopté par les médias étrangers. La

« réforme Koizumi » présentait à l’Occident une version « facile à comprendre » (wakari

yasui) des problèmes internes au Japon, comme l’a expliqué le journal Nikkei le 30 août

2005368. La presse internationale s’est globalement appuyée sur deux métaphores, le

« jeu » et la « guerre », avec pour point commun de mettre en valeur le personnage

Koizumi comme élément moteur de la campagne. Si ces métaphores ont également été

362 Asahi shimbun, « Intentions de vote avant l’élection, revendications de chaque parti » (総選挙投票目前 各党

の主張.政策は), vendredi 9 septembre 2005 363 Nihon Keizai shimbun, « ‘Le point important c’est la poste’, chaque parti dans la bataille » (争点は郵政, 各党

参戦), lundi 15 août 2005 364 Asahi shimbun, « Koizumi, ‘la poste est le point central’, Okada, ‘ayons un débat politique’ » (首相「郵成が

最大争点」 岡田氏「政権論争する」), dimanche 21 août 2005 et Nihon Keizai shimbun, « Koizumi, ‘la poste est le point central’ » (首相, 「郵政が焦点」), dimanche 21 août 2005 365 Nihon Keizai shimbun, « ‘Poste, le futur est aussi dans la privatisation’ » (「郵政, 将来は民営化も」), lundi 29 août 2005 366 Nihon Keizai shimbun, « Koizumi ‘je demande confiance sur la poste’, Okada ‘les retraites doivent aussi être un point central’ » (小泉首相, 「郵政で信問う」 岡田代表, 「年金も争点に」), mardi 30 août 2005 367 Nihon Keizai shimbun, « Koizumi, ‘faites confiance à la majorité sur la poste’, Okada, ‘l’heure de l’alternance politique a sonné’ » (小泉, 「郵政で自公信任を」岡田, 「政権交代を実現」), mercredi 31 août 2005 368 Nihon Keizai shimbun, « Les médias étrangers portent aussi intérêt pour ce cas exceptionnel » (海外メディ

アも異例の注目ぶり), mardi 30 août 2005

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utilisées par les médias japonais, c’est à un degré moindre compte tenu de la manière

plus « neutre » de présenter l’information et, à l’inverse, de la large tendance des

médias occidentaux à personnaliser la politique.

L’image du « jeu » ou du « pari » a principalement été employée pour décrire la

décision extraordinaire de Koizumi de convoquer des élections anticipées, et évoquer

les hypothèses d’avenir. Déjà au début du mois d’août, en cherchant à faire passer sa

réforme postale, le Premier ministre « jouait son avenir »369 « à quitte ou double »370, en

n’ayant « rien à perdre »371 . De nombreux médias ont souligné la prise de risque du

héros par cette image binaire du tout ou rien. Toutefois, cette métaphore est

principalement restée cantonnée au rôle de simple accroche, sans être filée dans le

contenu des articles372. Certains journalistes ont préféré ne pas l’utiliser, notamment le

correspondant du Monde, Philippe Pons, qui a insisté sur le caractère cynique de la

décision, plutôt que le pari d’un entrepreneur politique373. Malgré cela, il s’est, comme

les autres, focalisé sur le héros Koizumi.

Plus que le jeu ou le pari, c’est la métaphore de la guerre qui a été la plus

souvent employée. Cette image a également été prétexte à accrocher le lecteur plutôt

que décrire les événements. Koizumi a ainsi mené une « bataille postale »374, une

« attaque »375, un « assaut »376, un « coup de force »377 ; le quotidien The Australian a

même parlé de « guerre civile »378. Le Premier ministre a été décrit comme un

« samouraï » 379 susceptible de « gagner la bataille mais perdre la guerre » 380 .

L’affrontement mis en scène par Koizumi entre « assassins » et « rebelles » a à

l’évidence facilité l’emploi par la presse de cette métaphore qui, là encore, était surtout

prétexte à accrocher le lecteur. Le « théâtre » a été adopté pour son utilité économique.

Koizumi a ainsi mis son parti en « ordre de bataille »381 et préparé ses troupes à la

369 BOURDILLON Yves, « Koizumi joue son avenir, aujourd'hui sur la privatisation de la Poste », in Les Echos, lundi 8 août 2005. Autre exemple : Inter Press Service, “Japan : Koizumi gambles on future with early elections”, lundi 15 août 2005 370 La Tribune.fr, « Le Premier ministre japonais joue sa réforme postale à quitte ou double », mercredi 3 août 2005 371 South China Morning Post, “Koizumi has nothing to lose with reform drive”, mercredi 10 août 2005 372 CROUIGNEAU Françoise, « Le quitte ou double de Koizumi », in Les Echos, mardi 9 août 2005. Autre exemple : REYNOLDS Isabel, « Le quitte ou double de Koizumi peut-être payant », Agence Reuters, mercredi 10 août 2005 373 PONS Philippe, « La crise politique déclenchée par le premier ministre, Junichiro Koizumi, sème la confusion au Japon », in Le Monde, mercredi 10 août 2005 374 Agence France Presse, « Postal battle may put stamp on Koizumi’s defeat », mardi 9 août 2005 375 DUFOUR Léon, « Koizumi s’attaque au lobby des postiers », in Le Figaro, 30 août 2005 376 McNEILL David, “Koizumi’s assault on ‘Japan Inc’ sends Liberals soaring”, in The Independent, vendredi 2 septembre 2005 377 WEBER Olivier, « Le coup de force de Koizumi », in Le Point, jeudi 11 août 2005 378 The Australian, « Koizumi’s civil war », samedi 13 août 2005 379 PILLING David, “Koizumi’s update of a samurai classic”, in Financial Times, lundi 5 septembre 2005 380 ROWLEY Antony, “Koizumi may win battle but lose war”, in Business Times Singapore, vendredi 9 septembre 2005 381 DE GRANDI Michel, « Koizumi met le PLD en ordre de bataille », in Les Echos, lundi 22 août 2005

94

« lutte à mort » 382 . L’usage seul des mots « assassins » et « rebelles » a plus

généralement suffi à donner un caractère épique à la campagne.

La métaphore de la guerre a eu dans la presse nippone plus de succès que celle

du pari, bien que dans l’ensemble le phénomène soit plus mesuré que dans les médias

occidentaux. Dans ses gros titres, certains mots du champ lexical de la guerre ont été

mentionnés à plusieurs reprises : « bataille », « rivalité », « trouble », « révolte »,

« choc »… Les grands journaux ont de plus eu l’habitude de publier des séries d’articles

analytiques sur les événements importants en les rassemblant sous un sigle unique. Si

le Nikkei a fait suivre une série d’articles accompagnés du sigle « trouble postal » (yûsei

tairan), le Asahi a utilisé des sigles tels que « au delà du duel postal » (9.11 senkyô no

mukô ni) ou « bouleversements » (gekidô).

1.4 L’opposition réduite au silence

Koizumi est parvenu à rendre l’opposition

démocrate – son véritable ennemi – inaudible dans

les médias. Si la presse avait déjà constaté le silence

forcé du PDJ en début de campagne (la caricature

ci-contre, datant du 13 août, a par exemple décrit

Okada en personnage que personne ne veut

écouter383), elle a pourtant été complice du Premier

ministre en ne consacrant à l’opposition que peu d’articles. A l’inverse des « assassins »

ou des « rebelles », le PDJ n’a jamais fait la une, ni du Nikkei ni du Asahi, ou seulement

dans des comparaisons avec le PLD. Pendant les 35 jours de campagne, le Asahi n’a

publié que 8 articles sur l’opposition dans ses quatre premières pages, le Nikkei 9.

Le PDJ, notamment à travers son président, Okada Katsuya, avait pourtant

condamné le pilonnage médiatique de son adversaire384 et proposé d’avoir un « débat

politique » sur de nombreux sujets, notamment celui des retraites. Celui-ci était son

cheval de bataille 385 et le thème ayant posé le plus de problèmes à la « team

Koizumi »386. La campagne démocrate a été plus sérieuse dans son contenu, faisant très

souvent appel à des statistiques, cependant le message n’a pas été aussi clairement

affirmé que celui du PLD. Le PDJ a voulu jouer sur plusieurs tableaux, sans se doter

382 Sunday Business Post, “Koizumi’s ‘assassins’ prepare for war to death”, dimanche 21 août 2005 383 Asahi shimbun, « L’impatience du PDJ » (民主党の焦り), samedi 13 août 2005 : Okada demande au lecteur d’un journal affichant les visages de Koizumi et Kamei de ne pas l’oublier (「私を忘れなく」). 384 Masangkay May, “Opposition slams Koizumi for focusing on postal privatization”, Kyodo News, mardi 30 août 2005 385 Asahi shimbun, « Les retraites, conflit à l’entrée » (年金, 入り口で対立), lundi 5 septembre 2005 386 Seko Hiroshige a expliqué que son équipe de communication avait abondamment surveillé les sondages sur la question du « sujet le plus important » entre la « poste » et les « retraites », notant une progression du premier au dépend du second : SEKO Hiroshige, 650 jours de remaniement du projet du PLD, op.cit, p107 à 111

95

d’une « proposition de vente unique » percutante. « Le leadership d’Okada était trop

centré sur les équilibres internes et n’a pas proposé d’alternative drastique à la

privatisation de la poste »387. Koizumi est ainsi parvenu à le forcer à jouer sur son

terrain, si bien qu’après de longues hésitations388 le PDJ a décidé de rejoindre la vieille

garde du PLD et proposé une alternative à la privatisation de la poste389.

De plus, les styles personnels des deux chefs de partis étaient en totale

opposition, au grand désavantage d’Okada. Dans son édition du 2 septembre, le Asahi

a consacré un article à la description des loisirs des deux leaders, ce qui était chose rare

dans la presse japonaise390. Il en a publié un tableau comparatif (voir annexe n°11

page 130). Le chef du PDJ est apparu bien terne par rapport à un Koizumi moins

intellectuel et plus proche des jeunes citadins branchés. Ce dernier était un « loup

solitaire » aimant errer seul dans sa résidence et lire des romans historiques. Okada

semblait à l’inverse être quelqu’un de réservé et élitiste, amateur de Dostoïevski et de

films méconnus des années 1930. « Okada (…) était la quintessence du salaryman et ses

discours étaient sérieux et ennuyeux. Quand on lui a demandé quelle était sa chanson

préférée au karaoké, il a répondu qu’il n’en faisait pas, ce qui revenait à avouer qu’il était

un extraterrestre »391.

2. 35 jours de « théâtre Koizumi »

2.1 Un scénario bien ficelé du début à la fin

Koizumi est parvenu à structurer la campagne comme un feuilleton de type

manga, possédant un rythme rapide et des rebondissements très fréquents. Durant 35

jours, les médias se sont focalisés non seulement sur les événements « prévus » tels que

les débats télévisés et réunions officielles, mais aussi sur les événements « fabriqués »,

principalement l’affrontement « assassins » contre « rebelles ». Le spectacle a

visiblement intéressé l’électorat, en témoignent les statistiques sur le taux d’abstention

et l’intérêt porté au scrutin.

387 Analyse du politiste Io Jun de l’Institut d’Etudes Politiques national : Yomiuru shimbun, « Victoire écrasante du PLD, vision d’observateurs » (自民圧勝、識者こう見る), 12 septembre 2005 388 Les démocrates ne souhaitaient pas avoir à traiter avec les « rebelles » : Nihon Keizai shimbun, « Union avec le PDJ, un pacte politique » (民主と連合 政策協定), samedi 13 août 2005 389 HIWATARI Nobuhiro, « Japan in 2005: Koizumi’s finest hour », in Asian survey, 2006/46, n°1, p32 390 Asahi shimbun, « Un amour partagé pour Nobunaga, deux leaders différents » (信長好 2 人の差), vendredi 2 septembre 2005 391 McCORMACK Gavan, “Koizumi’s kingdom of illusion”, in The Asia-Pacific Journal: Japan focus : http://www.japanfocus.org/-Gavan-McCormack/1924

96

* La revanche de Nobunaga

Résumer les événements de la campagne de 2005 revient

à raconter un scénario de film d’action392. Tout commence le 8

août, date à laquelle le chef de guerre Koizumi, assimilé à Oda

Nobunaga, apprend que son salutaire projet de privatiser la

poste est rejeté de peu par le Sénat, car ses ennemis jurés, les

« forces de la résistance », ont accompagné le PDJ dans

l’opposition. Déshonoré, le chef avoue lucidement sa défaite

devant les caméras de télévision, mais promet la revanche par

les urnes en dissolvant l’Assemblée. Cette décision fracassante

provoque stupeur et tremblements. Il avait pourtant expliqué ô

combien cette loi était nécessaire pour l’avenir du pays, mais ces

« rebelles » n’ont rien voulu entendre. Il décide donc de les punir

en leur faisant refuser l’investiture de son parti, et en affirmant

vouloir les écraser « sans pitié »393 sur le champ de bataille

électoral.

Une fois le conflit annoncé, les deux camps mobilisent

leurs troupes en parallèle. Du côté des « rebelles » on ne

souhaite pas, dans un premier temps, former un parti politique

autonome394. Pourtant, après moult hésitations, le 18 août voit la

naissance du « Nouveau parti du peuple » (kokumin shintô),

composé de cinq députés mais présenté comme un acte

fondateur d’un renouveau politique395. De son côté, le chef

Koizumi prépare sa revanche en faisant appel au peuple pour

venir l’aider à faire passer son projet en force. Il propose

publiquement à quiconque est motivé de chercher à faire partie des « assassins »,

personnalités charismatiques et médiatiques chargées d’aller terrasser les « rebelles »

sur leurs propres territoires. Dés le 10 août, il rencontre Koike Yuriko396, ancienne

392 La première caricature sur cette page représente par exemple le Premier ministre terrassant ses ennemis à coups d’une épée reprenant le sigle de la poste japonaise (〒〒〒〒). Asahi shimbun, « Résurrection ou suicide ? La légende a commencé » (復活か自滅か.今伝説「切り切り舞い」 が始まった), mardi 16 août 2005 393 Asahi shimbun, « Un écrasement ‘sans pitié’ de la révolte » (首相「非情」の造反つぶし), jeudi 11 août 2005 394 Asahi shimbun, « Watanuki, ‘on ne veut pas construire de nouveau parti’ » (綿貫し, 「新党作らぬ」), mercredi 10 août 2005 et Asahi shimbun, « ‘On ne fait pas de politique pour construire des partis’ » (「党つく

るために成治やってない」), samedi 13 août 2005 395 Nihon Keizai shimbun, « ‘Le moment nécessaire est arrivé’ » (「来るべき時が来た」), jeudi 18 août 2005. L’événement a fait la une des quotidiens Nikkei et Asahi : Asahi shimbun, « Avec 5 députés, le ‘Nouveau Parti du Peuple’ » (衆参 5 人で「国民新党」), jeudi 18 août 2005 + Nihon Keizai shimbun, « La révolte du ‘Nouveau Parti du Peuple’ » (「国民新党」旗揚げ), jeudi 18 août 2005 396 L’image ci-dessus nous montre « le ministre de l’environnement Koike Yuriko » en assassin sautant sur son adversaire de la 10ème circonscription de Tôkyô, Kobayashi Kôki. Ce dernier s’exclame, « assassin ! » en

97

présentatrice de télévision et ministre de l’environnement, qui devient « l’assassin

n°1 »397, candidate dans la dixième circonscription de Tôkyô. Le chef et son bras droit,

Iijima Isao, saluent publiquement son courage… et son charme398. Le lendemain,

Nobunaga rencontre Katayama Satsuki, ancien top model, qui devient candidate dans

la 7ème circonscription de Shizuoka. Chaque jour voit la venue de nouvelles

personnalités dans l’armée du chef, jusqu’au 19 août où celui-ci rencontre le très

« bling bling » Horie Takafumi 399 . L’opposition démocrate lui avait proposé un

ralliement mais celui-ci avait affirmé son approbation au projet de privatiser la poste,

rendant tout rapprochement impossible400. Koizumi parvient à le convaincre de

devenir candidat « indépendant » contre le chef des « rebelles », le puissant baron de la

circonscription d’Hiroshima 6, Kamei Shizuka, faisant de l’endroit le « symbole de

l’élection »401.

L’opposition démocrate n’a pas pris part à la bataille, affichant un regard

critique et distant sur la nécessité de privatiser les services postaux. Pourtant, quand le

rideau de fumée s’est dissipé, c’est elle qui s’est retrouvée défaite, les rebelles ayant

pour beaucoup réussi à maintenir leurs sièges. Le chef Koizumi a ainsi pu célébrer sa

victoire personnelle contre un PDJ dépassé par le théâtre des pseudo-événements.

* La « non visite » au sanctuaire Yasukuni

Chaque année depuis 2001, pour l’anniversaire de la capitulation du Japon lors

de la Seconde Guerre mondiale, le 15 août, Koizumi s’est rendu publiquement au

sanctuaire Yasukuni, stimulant la haine antijaponaise des voisins coréens et chinois.

Cette fois-ci, pour le 60ème anniversaire, il avait promis de ne pas faire de ce rendez-

vous un enjeu de campagne, aussi ne s’y est-il pas rendu. Cela lui a été utile sur trois

plans : 1) Il a renforcé la crédibilité d’un affrontement centré la réforme postale. 2) Son

sens des responsabilités a été apprécié par l’opinion publique et sa popularité en a été

augmentée402. 3) Les électeurs conservateurs ont été satisfaits de voir que tous ses alliés

se sont rendus ensemble au sanctuaire, accompagnés des grands médias403. Le 29 août,

désignant Koike Yuriko du doigt. Asahi shimbun, « Bouleversements dans la 10ème circonscription de Tôkyô » (東京 10 の「現境」ガラリと変わる), jeudi 11 août 2005 397 Yomiuri shimbun, « Le ‘théâtre Koizumi’ capte toute l’attention, ‘recul politique’ pour Okada et le PDJ » (「小泉劇場」独り舞台 岡田民主は「政権後退」), lundi 12 septembre 2005. Ce « pseudo-événement » a fait la une du Nikkei le 10 août : Nihon Keizai shimbun, « La ministre de l’environnement Koike en soutien » (小池

環境相を擁立), mercredi 10 août 2005 398 IIJIMA Isao, Les documents secrets du palais Koizumi, op.cit, p277 399 Fondateur du site Internet Livedoor, ce personnage haut en couleurs était l’incarnation nippone de la richesse décomplexée. Les médias, notamment la presse, le surnommaient « Horiemon » en raison de sa ressemblance physique avec le célèbre personnage de dessin animé « Doraemon ». 400 Asahi shimbun, « Horie, le PDJ aussi lui a demandé, ‘je suis pour la poste’, Okada a abandonné » (堀江氏, 民主とも接触「郵成賛成です」... 岡田氏, 断念), samedi 20 août 2005 401 Yomiuri shimbun, « Théâtre Koizumi, le discours d’un ‘PLD nouveau renaissant’. Le vent postal a avalé le PDJ » (小泉劇場、演出満点「自民党生まれ変わった」 郵政の嵐が民主のむ), lundi 12 septembre 2005 402 Xinhua News Agency, “Koizumi's skip of Yasukuni visit ‘good’: survey”, mercredi 17 août 2005 403 Asahi shimbun, « 8.15, le jour fort du courant Koizumi » (8.15 したたか小泉流), mardi 16 août 2005

98

Koizumi a de plus annoncé son intention de s’y rendre après l’élection en cas de

victoire404.

* L’importance des débats télévisés

Si l’on ne peut parler de « débat décisif » comme lors des élections américaines,

les chefs de partis ont dû livrer deux batailles médiatiques qui ont sensiblement

influencées l’issue du scrutin. Premièrement, le 29 août une grande rencontre télévisée

a eu lieu à 20h au centre national de presse, diffusée sur la chaîne NHK. Les chefs de

chaque parti étaient rassemblés sur une scène, chacun étant assis à un bureau

individuel. Cela a été l’occasion pour Koizumi de répondre à des questions portant sur

d’autres sujets que la privatisation de la poste. A en croire Seko Hiroshige, cette soirée

a été positive pour la popularité du Premier ministre405. Son style a été bien plus

dynamique que celui de son adversaire démocrate (Koizumi était vêtu de blanc

contrairement à tous ses adversaires excepté la présidente du Parti Social-Démocrate

Fukushima Mizuho, seule femme alors présente), alors que ce dernier a été plus précis

dans son contenu406. Deuxièmement, la plus importante journée de débats a eu lieu le

dimanche 4 septembre ou « last Sunday », car une semaine avant le jour du vote.

Chaque formation politique était libre de choisir un nombre limité d’interventions

télévisées (voir page 27) ; cette journée a été choisie par les deux grands partis.

Koizumi a affronté Okada à trois reprises : le matin sur Fuji TV dans « Hôjô 2001 », puis

l’après-midi au « Débat du dimanche » sur NHK et au « Sunday project » sur TVAsahi.

Afin d’éviter de se retrouver coincés par l’argumentaire d’Okada, il semblerait que

Koizumi et Seko se soient mis d’accord la veille pour assouplir le discours et admettre

qu’il « n’y avait pas que la poste »407. Cela a visiblement été utile tant, d’après les

sondages, Koizumi a battu Okada dans les trois émissions – au point que Seko

Hiroshige a considéré que la victoire était acquise à partir de ce jour408. Les électeurs,

et particulièrement les indécis, ont en effet trouvé dans l’ensemble que « les paroles de

Koizumi étaient faciles à comprendre à la télévision »409. Une fois le « last Sunday »

remporté, la « team Koizumi » a décidé de se focaliser à nouveau sur la « proposition

de vente unique »410.

404 Agence France Presse, “Koizumi signals new visit to war shrine after election”, lundi 29 août 2005 405 SEKO Hiroshige, Stratégies de communication professionnelles, op.cit, p102 406 Nihon Keizai shimbun, « Résumé du débat » (党首討論の要旨), mardi 30 août 2005 407 SEKO Hiroshige, Stratégies de communication professionnelles, op.cit, p103 408 Ibidem, p106 409 Yomiuri shimbun, « ‘Indépendants’ et ‘affiliés’, réduction de l’écart ? Une fin d’élection théâtrale » (「無党

派」「政党」距離縮む? 劇場型選挙あすフィナーレ), samedi 10 septembre 2005 410 SEKO Hiroshige, Stratégies de communication professionnelles, op.cit, p106

99

2.2 « Assassins » contre « rebelles » : épiphénomène utile

La bataille opposant les « assassins » aux « rebelles » a été le pseudo-événement

principal de la stratégie de communication de Koizumi en raison du grand nombre de

rebondissements qu’il rendait possible. Il a été un épiphénomène utile, ne concernant

qu’environ 10% des circonscriptions mais occupant massivement les médias. Dans

l’ensemble Koizumi n’a changé que superficiellement la manière dont le PLD

sélectionne ses candidats411, pourtant cet affrontement manichéen a été d’une grande

efficacité en termes de populisme. Koizumi a en effet non seulement créé une illusion

d’« appel au peuple », mais il a dans le même temps illustré sa « détermination » en

renforçant le contraste entre anciens et modernes.

* Un appel au peuple en trompe-l’œil

La « team Koizumi » a mis en scène en début de campagne une forme d’« appel

au peuple » en invitant tous ceux qui étaient en faveur de la privatisation de la poste et

possédaient du talent et de la motivation à se proposer pour devenir candidat contre

les « rebelles ». Aussi l’équipe a lancé des messages invitant les « vrais gens » à se

proposer candidats. Plusieurs affiches ont été diffusées (voir annexe n° 10 page 129) ;

l’une d’entre elles était un « appel au peuple » invitant les challengers à « s’avancer »

(kitare), alors que d’autres ont insisté sur le sens de la « mission » de réformer le pays :

« le sang de la politique, avec facilité » (seiji no ketsueki, sarasara ni), ou « supprimer le

jiban, kanban et kaban, maintenant il faut de la volonté » (jiban, kanban, kaban, ima

hitsuyô na no ni, kokorozashi desu). Il semblerait qu’en seulement deux jours 868

personnes aient afflué grâce à cette campagne412. A l’évidence cet appel a surtout servi

à créer une illusion d’authenticité et placer le Premier ministre en posture d’« agent du

peuple ».

Car, en réalité, les candidats se devaient d’être médiatiques, peu importe leur

talent. Il fallait des personnalités de « fort impact »413 dont le visage donnait une

certaine influence dans les médias414. Iijima Isao, chargé de choisir les candidats, a

cherché des femmes capables d’incarner modernité et jeunesse et de contraster

fortement avec les vieux barons du PLD. Uesugi Takashi raconte qu’Iijima Isao a

répondu brutalement que « n’importe quelle autre femme ferait l’affaire », à une

candidate potentielle ayant refusé l’offre415. L’intéressé explique quant à lui que les

candidats devaient avoir des « compétences en communication » et que, par la juste

compétition, certaines personnes comme Katayama Satsuki – ex top model – ont

411 CHRISTENSEN Ray, op.cit, p498 412 SEKO Hiroshige, Stratégies de communication professionnelles, op.cit, p119 413 CARLSON Matthew, “Japan’s Postal Privatization Battle, the Continuing Reverberations for the Liberal Democratic Party of Rebels-Assassins Conflicts”, in Asian Survey, 2008/48, n°4, p605 414 UESUGI Takashi, Victoire de Koizumi défaite des medias, op.cit p221 415 Ibidem, loc.cit

100

gagné416. Koizumi lui aurait indiqué, lors de leur rencontre le 11 août, qu’elle pouvait

être candidate où elle le voulait417.

* Quand le manichéisme se fait chair

Les « rebelles » ont par leur grande exposition médiatique contribué à la

simplification des enjeux politiques souhaitée par Koizumi. Ces reliques du « système

de 1955 » dotées de très peu de charisme audiovisuel, n’étaient pas habituées à se

battre dans les médias pour remporter leur siège. Leur inexpérience en communication

politique a été flagrante418. Ils n’ont pas eu suffisamment de poids pour faire barrage à

Koizumi et se sont contentés d’occuper l’espace médiatique aux dépens du PDJ. En

faisant campagne pour eux-mêmes, les rebelles ont finalement fait indirectement

campagne pour le Premier ministre. La presse a insisté sur deux personnalités, Kamei

Shizuka et Watanuki Tamisuke, toutes deux parmi les plus réactionnaires. Le contraste

dans le style a été prononcé, montrant que Koizumi avait su se choisir des ennemis

clairement identifiables voire caricaturaux. Le 30 août 2005, Kamei Shizuka a par

exemple accusé Koizumi d’être « pire qu’Hitler »419 et focalisé ainsi l’attention du public

sur sa circonscription d’Hiroshima 6, où il était opposé à Horie Takafumi. Watanuki

Tamisuke s’est pareillement plaint de l’ambition destructrice de son adversaire en

expliquant aux médias qu’il avait « incendier le Enryaku-ji », diffusant à son tour la

métaphore du chef de guerre Oda Nobunaga pour caractériser le Premier ministre

(voir page 42)420.

A contrario, les « assassins » ont constitué une « chaîne de représentation » très

visible. La plupart des candidats a été choisie pour des qualités charismatiques et un

capital symbolique de jeunesse et de dynamisme. Ils ont ainsi fonctionné comme des

avatars de Koizumi, diffusant partout son message de réforme et de renouveau. A ce

titre le rôle des femmes a été déterminant. Le nombre de députés de sexe féminin est

historiquement faible au Japon, plus encore qu’en France, aussi une promotion, même

minime, a pris une envergure très grande421. Il n’y avait concrètement que 10 femmes

sur les 37 assassins choisis par l’équipe Koizumi, pourtant celles-ci ont donné au

Premier ministre une image moderne et lui ont permis d’engranger des voix –

notamment auprès de l’électorat féminin qui a eu tendance à s’identifier à ces idoles

416 IIJIMA Isao, Les documents secrets du palais Koizumi, op.cit, p276 417 Ibidem, loc.cit 418 Nihon Keizai shimbun, « Des candidats peu habitués aux élections » (慣れぬ小選区苦闘), mardi 23 août 2005 419 Agence France Presse, « Japon : Koizumi est ‘pire qu'Hitler’, le ton de la campagne monte », mercredi 31 août 2005 420 Asahi shimbun, « ‘La technique de Koizumi consiste à incendier le Enryaku-ji’ » (「小泉さんの手法 延暦寺焼

き打ち」), dimanche 14 août 2005 421 LIX Capucine, op.cit, p24 : « Le PLD qui comptait en 2003 seulement 9 femmes élues à la Chambre basse, en compte 26 en 2005. En revanche, le PDJ qui comptait 15 femmes députées en 2003, n’en compte plus que 7 en 2005 ».

101

glamours et médiatiques422. L’usage de femmes dans la communication politique

n’avait rien de nouveau à l’échelle mondiale, Silvio Berlusconi utilise par exemple des

top models, tout comme Vladimir Poutine ; Koizumi n’a cependant pas joué sur le

fantasme masculin mais bien sur le principe d’identification et le merveilleux offerts

par la célébrité. Le « charme » des femmes doit être compris comme la capacité à

étendre la « chaîne de représentation » vers les électeurs flottants.

2.3 Le « cool-biz » : paternalisme du chef et différence motrice

Durant la campagne Koizumi a lancé le style vestimentaire « cool-biz » (kuru

bizu pour cool business), supposé « combattre le réchauffement climatique en

promouvant la manière informelle de se vêtir (sans veste ni cravate) durant l'été 2005.

Concrètement, il s'agit de réduire l'usage de l'air conditionné dans les bureaux (ou

maisons privées) : si les appareils d'air conditionné fonctionnent moins, ils contribuent

moins à la consommation énergétique, donc à l'effet de serre »423. C’est devenu vers la fin

du mois d’août le second thème que Koizumi a le plus souvent abordé dans ses

meetings 424 . Ce style vestimentaire a d’abord permis d’affirmer la « différence

motrice » du Premier ministre par rapport à son rival démocrate. Par opposition au

classicisme d’Okada, Koizumi est apparu détendu et radieux, l’absence de veste et de

cravate l’a différencié de l’image du politicien traditionnel. Les journaux ont

abondamment pris note des tenues vestimentaires des deux principaux rivaux,

« chemise à col ouvert (cool biz), coiffure bouffante et sentences monosyllabiques

passionnées forment la substance de la campagne de fin août »425. Par exemple le

Yomiuri, dans un article décrivant les réactions des principaux candidats après

l’annonce des résultats, a décrit un Koizumi « vêtu en cool-biz » par opposition à un

Okada « vêtu d'une chemise blanche et cravate, costume bleu marine »426. Ce contraste

vestimentaire a été relayé par les médias tout au long de la campagne. A un autre

niveau, Koizumi a affiché une posture paternaliste proche des petites gens, déclarant

vouloir les protéger en leur donnant un conseil pratique très concret. Dans un de ses

discours de campagne, il explique à des policiers que le cool-biz est une attention de sa

part visant à améliorer leurs conditions de travail. Par analogie, il explique qu’il veut

protéger de la même façon d’autres corps de métiers, y compris bien sûr les

fonctionnaires des services postaux427.

422 Asahi shimbun, « Premier ministre, ‘obtenir des voix grâce aux femmes’ » (首相「女性枠で票上積み」), samedi 27 août 2005 423 Cette définition est visible sur le site Internet français consacré au « cool-biz » : http://www.coolbiz.fr/ 424 Asahi shimbun, « Discours du parti majoritaire, gagner par la personnalité » (党首訴え 個性で勝負), mercredi 31 août 2005 425 McCORMACK Gavan, "Koizumi's coup", in New Left Review, n°35, sept-oct 2005, p6 426 Yomiuri shimbun, « Le ‘théâtre Koizumi’ capte toute l’attention, ‘recul politique’ pour Okada et le PDJ » (「小泉劇場」独り舞台 岡田民主は“政権後退”), lundi 12 septembre 2005 427 UESUGI Takashi, Victoire de Koizumi défaite des medias, op.cit, p222

102

103

- CONCLUSION -

Un Populisme médiatique made for Japan

Les transformations des années 1990 ont permis l’émergence du populisme

médiatique sur la scène politique japonaise. Après plusieurs tentatives infructueuses

d’entrepreneurs, Koizumi Junichirô est le seul à avoir réussi à s’imposer durablement à

l’échelle nationale. C’est pourquoi Otake Hideo le considère comme le seul exemple de

populisme japonais428. Son succès a été tout à fait exceptionnel. Sur le plan électoral, il

est non seulement resté populaire du début à la fin de son mandat, mais il est

également parvenu à offrir à son parti en 2005 l’une des plus belles victoires de toute

son histoire. Sur le plan économique, la longue période de croissance allant de 2002 à

2007, bien qu’elle ait été obtenue au prix de lourds sacrifices, a donné à ses réformes

une légitimité « statistique » indéniable. Enfin, en quittant son poste quand il l’avait

personnellement décidé – sans avoir été épuisé par le pouvoir – il a laissé derrière lui

une très forte nostalgie de son style politique. Koizumi Junichirô a ainsi prouvé que le

populisme pouvait être adapté avec beaucoup de succès dans une culture politique qui,

contrairement à celle de l’Occident, ne fait pas la part belle aux leaders charismatiques.

Le rôle des médias, qui se nourrissent de « théâtre », s’est avéré fondamental.

Nous pouvons estimer que le phénomène Koizumi est le symptôme d’une

occidentalisation de la vie politique japonaise. Koizumi Junichirô a été le premier

à importer les techniques occidentales de mise en scène de sa personnalité dans les

médias, qui en ont fait le Premier ministre le plus durablement populaire de l’après-

guerre. Le Japon, souvent décrit avant lui comme une « démocratie anormale », s’est

rapproché des grandes démocraties contemporaines dans lesquelles le pouvoir est

incarné par des personnalités charismatiques. Le populisme de Koizumi a, comme

dans la recette du « Big Mac », consisté à adapter une recette universelle à un goût

« local ». Aussi, plutôt que de parler d’un populisme médiatique made in Japan,

caractérisé avant tout par ce qu’il a de spécifiquement japonais, il apparaît préférable

de parler d’un populisme médiatique made for Japan, caractérisé avant tout par ce qu’il

partage avec d’autres exemples contemporains. La « recette Koizumi » semble avoir été

ce « Big Mac » sauce japonaise pour trois raisons.

1) Le phénomène Koizumi n’aurait pas été possible sans des changements

intervenus dans les années 1990. Premièrement, la réforme électorale de 1994 a fait

passer le Japon d’un « système de 1955 » dans lequel la concurrence était limitée, à un

marché ouvert de type britannique, maximisant l’effet des chavirements de l’opinion 428 OTAKE Hideo, Etude du populisme de Koizumi Junichirô, op.cit, Introduction

104

dans les résultats électoraux. Le Premier ministre est devenu, grâce à quatre réformes

votées entre 1999 et 2001, la vitrine médiatique de son parti plutôt qu’un coordinateur

discret des demandes internes. Il a dès lors disposé de suffisamment d’autonomie

politico-stratégique pour fixer son propre agenda, non inféodé aux intérêts factionnels.

Deuxièmement, les transformations des médias ont fait basculer la politique dans le

domaine du divertissement. L’avènement de la « peopolisation » a fait de l’image des

politiciens un atout ou une faiblesse dans l’affrontement politique : le « darwinisme

charismatique » a remplacé la « neutralité conservatrice ». Enfin, la perte de confiance

en la classe politique a rendu populaires les politiciens qui s’opposaient à

l’establishment. La « décennie perdue » l’a donc été pour les élites en place mais pas

pour les entrepreneurs qui, tel Koizumi, ont su faire vibrer les cordes

antibureaucratique et antipartis.

2) Koizumi est le premier entrepreneur politique à avoir appliqué au

Japon les règles canoniques du marketing politique. En jouant, lors de l’élection

de 2005, sur les deux leviers du « kit Ikea de l’élection » (« proposition de vente

unique » et « effet d’agenda »), il a donné à la démocratie une coloration plébiscitaire,

adaptée au temps court des médias et au besoin de simplification d’une population en

perte de repères. Les médias se sont largement accommodés du « théâtre Koizumi »

dans la mesure où ils y ont trouvé leur compte. Contrairement aux populistes

médiatiques occidentaux qui ne peuvent que s’appuyer sur des médias partisans lus par

des personnes politiquement acquises, Koizumi se devait d’intéresser des médias à la

fois « neutres » et sacralisés par l’ensemble de la population. Il leur a ainsi proposé un

« théâtre » non fondé sur les différences politiques mais sur les canons de fictions tel le

manga. Attirés naturellement par le spectacle, ils ont trouvé dans ces scénarios –

élaborés spécialement pour eux – le contenu idéal pour intéresser leurs lecteurs ou

spectateurs. Tout en restant « neutres », les médias ont donc tous joué dans le camp de

Koizumi en rassemblant la nation autour d’un seul et même récit. Son projet de

privatiser la poste a non seulement été le prétexte de l’élection, il en a aussi fait sa

« proposition de vente unique », un rouleau compresseur écrasant tout sur son passage.

Il a nourri les médias de « pseudo-événements », comme l’affrontement entre des

partisans glamours (ses « assassins ») et les « rebelles » opposés à son projet. Sans que

ce soit volontaire, les médias ont ainsi contribué de facto à réduire l’opposition au

silence.

3) Koizumi est l’adaptation japonaise d’une formule universelle de

leadership charismatique. Il a été le premier à mettre en scène au Japon un

« charisme populiste » fait de proximité construite avec le peuple, par opposition à

l’austérité des barons traditionnels. Son charisme était adapté aux demandes d’un

électorat « post-moderne » : le messianisme de la réforme et le césarisme de la

détermination ont visé à calmer les peurs de l’avenir, le nationalisme a contribué à

105

rassembler la population, et le discours néolibéral l’a orientée contre les « forces de la

résistance » hostiles aux réformes. Koizumi a utilisé les techniques classiques de mise

en scène du populisme : un manichéisme et une rhétorique reposant sur l’analogie qui

simplifie les enjeux politiques au sein d’une fiction héroïque et archétypale. Si la part

des éléments universels dans son charisme a été forte, Koizumi s’est également adapté

à la sensibilité japonaise. Paradoxalement, le politicien déterminé et péremptoire a

charmé l’électorat par son côté « kawaii ». Il s’est montré en personnage chétif, fragile

comme un enfant ayant besoin d’être protégé, se trouvant sur ce point à des années

lumières des populistes médiatiques occidentaux. Imagine-t-on la virilité d’un Nicolas

Sarkozy ou d’un Silvio Berlusconi réduite à la fragilité d’une peluche destinée à être

câlinée ?

Quel rôle pour le facteur humain dans le populisme ?

En quittant le pouvoir, Koizumi a laissé derrière lui un terrain plus que

favorable à la continuation du populisme médiatique. Ses quatre successeurs, Abe

Shinzô, Fukuda Yasuo, Aso Tarô et même Hatoyama Yukio, ont eu toutes les cartes en

mains pour assurer leur popularité par ce biais. Ils ont d’abord disposé d’une majorité

parlementaire confortable, leur assurant une bonne autonomie politico-stratégique. Ils

ont ensuite bénéficié d’un contexte, toujours présent, de crise et de désarroi,

traditionnellement fertile pour le populisme. Enfin, les électeurs, pour la plupart

nostalgiques du style politique de celui que l’on assimilait à Oda Nobunaga,

s’attendaient à le voir réincarné dans les nouvelles figures du pouvoir.

Pourtant, si Koizumi est parvenu à semer les graines du populisme au

Japon, celles-ci n’ont plus germé depuis son départ. Tous les Premiers ministres

ont vu leur taux de soutien fondre rapidement. D’un côté, Abe Shinzô, Aso Tarô et

Hatoyama Yukio ont échoué à utiliser des ressorts populistes ; de l’autre Fukuda Yasuo

a tout autant échoué en jouant sur le registre inverse. Abe Shinzô, successeur choisi

par Koizumi en personne, jouissait lors de sa prise de fonction d’une popularité forte

tant il apparaissait nationaliste et déterminé. Cependant, en bon politicien traditionnel,

il n’a pas su proposer aux médias un « théâtre » susceptible de les intéresser. Dix mois

seulement après son entrée en fonction, le PLD perd les élections sénatoriales, ce qui le

contraint à démissionner. Dans un autre registre, Aso Tarô n’est pas parvenu à imposer

son image d’amoureux du manga proche du peuple. Son taux de soutien connaît une

chute vertigineuse quelques semaines seulement après son entrée en fonction. Le cas

d’Hatoyama Yukio est toutefois le plus impressionnant. Bien qu’initialement porté par

un soutien quasi unanime de l’opinion et le prestige d’avoir réalisé l’alternance

106

politique, il voit au bout de huit mois sa cote de popularité tomber à un niveau plus

bas que la moins bonne cote de Koizumi en cinq ans de pouvoir429.

Le populisme ne serait donc pas cet irrésistible rouleau compresseur que

l’on décrit souvent, mais dépendrait pour beaucoup des facteurs humains. En

décidant de ne pas chercher, malgré un taux de soutien élevé, à briguer un troisième

mandat à la tête du PLD en 2006, Koizumi a illustré l’importance de la perception

intime du pouvoir dans la construction du populisme. Ce dernier ne semble pas

supporter un déficit de personnalité. Les stratégies de communication cherchent

toujours à adapter habilement une image de politicien « idéal » à la personnalité

« réelle » d’un candidat. Lorsque le décalage est trop grand, on parle de « syndrome

Ottinger », du nom d’un député américain que l’on avait voulu transformer en jeune

manager dynamique alors qu’il était concrètement incapable de s’exprimer en public430.

Le Japon est un cas d’école dans lequel l’incompétence personnelle des politiciens a

ruiné des stratégies de communication reposant sur le populisme. Aucun des quatre

Premiers ministres qui ont succédé à Koizumi ne possédait son « specific knowledge »

et son sens des médias. Nous pouvons ainsi nous demander si l’étude des échecs

de certains populismes, auquel les chercheurs se sont peu consacrés, ne nous

en apprendrait pas autant sur la culture politique et les ressorts du populisme

que l’étude de ses succès.

429 The Mainichi Daily News, “Approval rating for Hatoyama Cabinet plummets to 23 percent”, lundi 17 mai 2010 : http://mdn.mainichi.jp/mdnnews/news/20100517p2a00m0na011000c.html 430 MAAREK Philippe, op.cit, p83 et 84

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PONS Philippe, « La crise politique déclenchée par le premier ministre, Junichiro Koizumi, sème la confusion au Japon », in Le Monde, mercredi 10 août 2005

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REYNOLDS Isabel, « Le quitte ou double de Koizumi peut-être payant », Agence Reuters, mercredi 10 août 2005

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DE GRANDI Michel, « Koizumi met le PLD en ordre de bataille », in Les Echos, lundi 22 août 2005

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Masangkay May, “Opposition slams Koizumi for focusing on postal privatization”, Kyodo News, mardi 30 août 2005

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McNEILL David, “Koizumi’s assault on ‘Japan Inc’ sends Liberals soaring”, in The Independent, vendredi 2 septembre 2005

PILLING David, “Koizumi’s update of a samurai classic”, in Financial Times, lundi 5 septembre 2005

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ROWLEY Antony, “Koizumi may win battle but lose war”, in Business Times Singapore, vendredi 9 septembre 2005

Le Monde, « Junichirô Koizumi, un premier ministre atypique et populaire », vendredi 9 septembre 2005 : http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/portfolio/2005/09/09/junichiro-koizumi-atypique-et-populaire_686736_3216.html

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GALLOT Clementine, “Eccentric obsessions: Elvis and Koizumi (and other passions of the world's leaders)”, in The Independent, jeudi 29 juin 2006 : http://www.independent.co.uk/news/world/politics/eccentric-obsessions-elvis-and-koizumi-and-other-passions-of-the-worlds-leaders-405945.html

JAKUBYSZIN Christophe et LEPARMENTIER Arnaud, « Henri Guaino plaide pour un pouvoir visible et responsable », in Le Monde, samedi 21 juillet 2007

Hérodote, « Nicolas Sarkozy : l’année de toutes les réformes », mardi 6 mai 2008 : http://www.herodote.net/articles/article.php?ID=247

MASTERS Coco, “Japan's Former PM Koizumi Lends His Voice to Ultraman”, in Time, jeudi 15 octobre 2009: http://www.time.com/time/world/article/0,8599,1930115,00.html#ixzz0jApJQqVb

Les Echos, « Sarkozy prêt à une crise en Europe pour défendre la PAC », mercredi 24 mars 2010 : http://www.lesechos.fr/info/france/reuters_00240121-sarkozy-pret-a-une-crise-en-europe-pour-defendre-la-pac.htm

The Mainichi Daily News, “Approval rating for Hatoyama Cabinet plummets to 23 percent”, lundi 17 mai 2010 : http://mdn.mainichi.jp/mdnnews/news/20100517p2a00m0na011000c.html

Articles de presse japonaise Les articles sont classés par journal puis par ordre chronologie : du plus ancien au plus récent.

Asahi shimbun, « A la résidence du Premier ministre, on s’attend à dissoudre le jour même » (官邸, 即日解散を想定), samedi 6 aout 2005

_, « Rejet de la loi postale, vers la dissolution de l’assemblée » (郵政法案否決, 衆院解散へ), lundi 8 août 2005

_, « Watanuki, ‘on ne veut pas construire de nouveau parti’ » (綿貫し, 「新党作らぬ」), mercredi 10 août 2005

_, « Un écrasement ‘sans pitié’ de la révolte » (首相「非情」の造反つぶし), jeudi 11 août 2005

_, « ‘On ne fait pas de politique pour construire des partis’ » (「党つくるために成治やってない」), samedi 13 août 2005

_, « L’impatience du PDJ » (民主党の焦り), samedi 13 août 2005

_, « ‘La technique de Koizumi consiste à incendier le Enryaku-ji’ » (「小泉さんの手法 延暦寺焼き打

ち」), dimanche 14 août 2005

_, « 8.15, le jour fort du courant Koizumi » (8.15 したたか小泉流), mardi 16 août 2005

_, « Résurrection ou suicide ? La légende a commencé » (復活か自滅か.今伝説「切り切り舞い」 が始まった), mardi 16 août 2005

116

_, « Kamei Shizuka vers la formation d’un nouveau parti » (亀井静ら新党結成へ), mercredi 17 août 2005

_, « Avec 5 députés, le ‘Nouveau Parti du Peuple’ » (衆参 5 人で「国民新党」), jeudi 18 août 2005

_, « Horie, le PDJ aussi lui a demandé, ‘je suis pour la poste’, Okada a abandonné » (堀江氏, 民主とも

接触「郵成賛成です」... 岡田氏, 断念), samedi 20 août 2005

_, « Koizumi ‘la poste est le point central’, Okada, ‘ayons un débat politique’ » (首相「郵成が最大争

点」 岡田氏「政権論争する」), dimanche 21 août 2005

_, « PLD/PDJ, le ‘vacarme des assassins’ est fini » (自.民「刺客騒ぎ」は終り), dimanche 21 août 2005

_, « Premier ministre, ‘obtenir des voix grâce aux femmes’ » (首相「女性枠で票上積み」), samedi 27 août 2005

_, « Les sujets des discours de campagne » (街頭演説 力点は), dimanche 28 août 2005

_, « Discours du parti majoritaire, gagner par la personnalité » (党首訴え 個性で勝負), mercredi 31 août 2005

_, « Un amour partagé pour Nobunaga, deux leaders différents » (信長好 2 人の差), vendredi 2 septembre 2005

_, « Les retraites, conflit à l’entrée » (年金, 入り口で対立), lundi 5 septembre 2005

_, « Intentions de vote avant l’élection, revendications de chaque parti » (総選挙投票目前 各党の主張.政策は), vendredi 9 septembre 2005

_, « Intentions de vote dans les circonscriptions » (比例区で投票したい政党), samedi 10 septembre 2005

_, « Une victoire personnelle de Koizumi », (「主役小泉」一人勝ち), lundi 12 septembre 2005

_, « Une hausse de la participation électorale », lundi 12 septembre 2005, (関心高まり、投票率が上

昇 現行制度では最高 ) : http://www2.asahi.com/senkyo2005/news/TKY200509120022.html

_, « Le PDJ, défaite dans la zone métropolitaine de Tôkyô, zéro à Kanagawa » (民主、 首都圏は壊滅

的敗北 東京1議席、神奈川ゼロ), lundi 12 septembre 2005 : http://www2.asahi.com/senkyo2005/news/TKY200509120021.html

Nihon Keizai shimbun, « Le sentiment « anti Koizumi » brise le PLD » (「反小泉」感情 自艮割る), mardi 9 août 2005

_, « La ministre de l’environnement Koike en soutien » (小池環境相を擁立), mercredi 10 août 2005

_, « Bouleversements dans la 10ème circonscription de Tôkyô » (東京 10 の「現境」ガラリと変わる), jeudi 11 août 2005

_, « Union avec le PDJ, un pacte politique » (民主と連合 政策協定), samedi 13 août 2005

_, « ‘Le point important c’est la poste’, chaque parti dans la bataille » (争点は郵政, 各党参戦), lundi 15 août 2005

_, « La révolte du ‘Nouveau Parti du Peuple’ » (「国民新党」旗揚げ), jeudi 18 août 2005

_, « ‘Le moment nécessaire est arrivé’ » (「来るべき時が来た」), jeudi 18 août 2005

_, « Koizumi, ‘la poste est le point central’ » (首相, 「郵政が焦点」), dimanche 21 août 2005

_, « Des candidats peu habitués aux élections » (慣れぬ小選区苦闘), mardi 23 août 2005

_, « ‘Poste, le futur est aussi dans la privatisation’ » (「郵政, 将来は民営化も」), lundi 29 août 2005

117

_, « Koizumi ‘je demande confiance sur la poste’, Okada ‘les retraites doivent aussi être un point central’ » (小泉首相, 「郵政で信問う」 岡田代表, 「年金も争点に」), mardi 30 août 2005

_, « Résumé du débat » (党首討論の要旨), mardi 30 août 2005

_, « Les médias étrangers portent aussi intérêt pour ce cas exceptionnel » (海外メディアも異例の注

目ぶり), mardi 30 août 2005

_, « Koizumi, ‘faites confiance à la majorité sur la poste’, Okada, ‘l’heure de l’alternance politique a sonné’ » (小泉, 「郵政で自公信任を」 岡田, 「政権交代を実現」), mercredi 31 août 2005

_, « Champ de bataille, guerre totale » (激戦区 総力戦), mardi 6 septembre 2005

_, « 78% ont un intérêt fort pour le scrutin » (「とても関心ある」78%), vendredi 9 septembre 2005

_, « Plus qu’une journée, maintenir le leadership » (あと 1 日 党首踏ん張る), samedi 10 septembre 2005

Yomiuri shimbun, « La bataille au sein du PLD, l’intérêt croissant pour l’élection » (自民堅調な戦い、

選挙への関心高まる/読売新聞社継続世論調査), vendredi 9 septembre 2005

_, « ‘Indépendants’ et ‘affiliés’, réduction de l’écart ? Une fin d’élection théâtrale » (「無党派」「政

党」距離縮む? 劇場型選挙あすフィナーレ), samedi 10 septembre 2005

_, « Théâtre Koizumi, le discours d’un ‘PLD nouveau renaissant’. Le vent postal a avalé le PDJ » (小泉

劇場、演出満点「自民党生まれ変わった」 郵政の嵐が民主のむ), lundi 12 septembre 2005

_, « Le vote indépendant à 32% PLD et 38% PDJ, l’écart se rétrécie » (無党派の32%、自民へ 民主

38%、差縮まる/出口調査), lundi 12 septembre 2005

_, « Victoire écrasante du PLD, vision d’observateurs » (自民圧勝、識者こう見る), lundi 12 septembre 2005

_, « Le ‘théâtre Koizumi’ capte toute l’attention, ‘recul politique’ pour Okada et le PDJ » (「小泉劇

場」独り舞台 岡田民主は“政権後退”), lundi 12 septembre 2005 Documents Internet Ces documents sont classés selon leur ordre d’apparition dans ce mémoire.

Emission C dans l’air sur France 5, « Vous avez dit populisme… ? », lundi 13 novembre 2006 : http://www.dailymotion.com/video/xn1re_c-dans-l-air-le-populisme_news

Ambassade de France au Japon, « Panorama de la presse japonaise », (dernière mise à jour : mercredi 3 octobre 2007) : http://www.ambafrance-jp.org/IMG/pdf/Panorama-Presse-ecrite.pdf

The Constitution of Japan: http://www.ndl.go.jp/constitution/e/etc/c01.html#s3

Classement Liberté de la Presse 2009 (Reporter Sans Frontières): http://www.webchercheurs.com/14/1574-fr-classement-liberte-de-la-presse-2009-rsf.html

Loi électorale japonaise (公職選挙法) : http://www.houko.com/00/01/S25/100.HTM

« Déterminer son charisme » (カリスマ判定) : http://noby.akira.ne.jp/karisuma/mondai.cgi

Résultats de la primaire PLD de 2001 (総裁選挙情報) : http://www.jimin.jp/jimin/jimin/sousai01/

Trésor de la Langue Française : http://atilf.atilf.fr/tlf.htm

118

Paroles de la chanson « Lion heart » de SMAP (traduction en anglais) : http://www.lyricstime.com/smap-lion-heart-translation-lyrics.html Newsletter de Koizumi Junichirô : Lion Heart - un message du Premier ministre (らいおんはーと

~ 小泉総理のメッセージ) : http://www.kantei.go.jp/jp/m-magazine/backnumber/koizumi.html (en japonais) http://www.kantei.go.jp/foreign/m-magazine/backnumber/koizumi.html (en anglais)

Press Conference by Prime Minister Junichiro Koizumi (8 août 2005) : http://www.kantei.go.jp/foreign/koizumispeech/2005/08/08kaiken_e.html

PRAP Japan Inc : http://www.prap.co.jp/english/

Opening Statements by Prime Minister Junichiro Koizumi and the U.S. President George W. Bush at the Joint Press Conference, 18 février 2002 : http://www.mofa.go.jp/region/n-america/us/pv0202/press.html

Chronique de Michel Serres, Le sens de l’info, sur France info : http://www.france-info.com/

Publicités électorales d’Eisenhower (The : 30 secondes Candidate : Rosser Reeves collection): http://www.pbs.org/30secondcandidate/from_idea_to_ad/collection/31.html

Blog de Seko Hiroshige : « Un blog pour raconter la vie et les pensées du député Seko Hiroshige » (参議院議員 世耕弘成(せこう ひろしげ)の活動を日記形式と雑感、主張を交えお伝えするブロ

グです!) : http://blog.goo.ne.jp/newseko/m/200508/1 Vidéos de Koizumi Ces vidéos sont classées selon leur ordre d’apparition dans ce mémoire.

Rencontre internationale des flottes militaires le dimanche 13 octobre 2002 (国際観艦式) : http://www.kantei.go.jp/jp/koizumiphoto/2002/10/13kankansiki.html

Koizumi invité de l’émission culinaire « un repas au Refuge », le dimanche 7 avril 2002 (2002 年 4 月 7日に放送された、小泉純一郎総理ゲ ストの「隠れ家ごはん」です。): Partie 1 : http://www.youtube.com/watch?v=-rJqRvCyjrQetfeature=related Partie 2 : http://www.youtube.com/watch?v=k4nq4PL6pvketfeature=related Partie 3 : http://www.youtube.com/watch?v=0GDlBX1wngYetfeature=related Koizumi arrive à la Diète sur un segway (koizumi rides on a Segway) : http://www.youtube.com/watch?v=HtQYDlh7Tt8

Koizumi visite une PME le mercredi 17 avril 2002 (中小企業の視察) : http://www.kantei.go.jp/jp/koizumiphoto/2002/04/17sisatu.html

Koizumi assiste à une réunion sur la sécurité routière le dimanche 9 avril 2002 (交通安全運動中央大

会への出席) : http://www.kantei.go.jp/jp/koizumiphoto/2002/04/09anzen.html

Koizumi donne le coup d’envoi du match de football Japon-Costa Rica le mercredi 17 avril 2002 (サッ

カー日本対コスタリカ戦で始球式) : http://www.kantei.go.jp/jp/koizumiphoto/2002/04/17sikyusiki.html

Chanson préférée de Koizumi, « la femme née à Osaka » (Osaka de umareta onna) du chanteur BORO (BORO 大阪で生まれた女) : http://www.youtube.com/watch?v=V-XEroHRc_w

119

Meeting de Koizumi Junichirô à Nagoya le dimanche 21 août 2005 (小泉首相 05 年 8 月 21 日 街頭

演説) : Partie 1 : http://www.youtube.com/watch?v=bPZ6l5a8maQetNR=1 Partie 2 : http://www.youtube.com/watch?v=CWW8F7j7Xe8etfeature=related

« Vers la dissolution de l’assemblée » (衆議院解散へ), émission NHK du lundi 8 août 2005, visible sur le site youtube : http://www.youtube.com/watch?v=tsEzsLFUPfo

Conférence de presse de Koizumi lors de la dissolution de l’Assemblée le lundi 8 août 2005 (小泉内閣

総理大臣記者会見) : http://www.kantei.go.jp/jp/koizumispeech/2005/08/08kaiken.html

120

121

ANNEXES

01 – Les élections législatives de 2000, 2003 et 2005

Source : NOHARA Hiroatsu, « Victoire électorale de Koizumi et évolution de

l’économie politique au Japon ; d’une social-démocratie souterraine à une social-démocratie citoyenne », in Revue de la régulation, n°1, juin 2007 : http://regulation.revues.org/index406.html?file=1

02 – Le vote proportionnel à l’élection de 2005 selon le type de circonscription

Source : NOHARA Hiroatsu, « Victoire électorale de Koizumi et évolution de

l’économie politique au Japon ; d’une social-démocratie souterraine à une social-démocratie citoyenne », in Revue de la régulation, n°1, juin 2007 : http://regulation.revues.org/index406.html?file=1

122

03 – Evolution des intentions de vote au cours de la campagne de 2005

Source (ci-dessus) : Asahi shimbun, « Intentions de vote dans les circonscriptions » (比例区で

投票したい政党), samedi 10 septembre 2005 Source (page suivante) : Yomiuri shimbun, « La bataille au sein du PLD, l’intérêt croissant pour l’élection » (自民堅調な戦い、選挙への関心高まる/読売新聞社継続世論調査), vendredi 9 septembre 2005

123

17-19 août 24-26 août 31-2 sept 6-8 sept

Oui 53,2 53,1 50,8 52,6Non 34,1 34,5 36,7 34,7Autre 6,1 4 4,5 5,3Sans réponse 6,6 8,4 8 7,4

Très fort 53,5 57 60,2 63,2Assez fort 29,1 27,5 27,5 26,4Plutôt faible 12,4 10,8 8,6 6,8Faible 3,9 3,8 2,5 2,5Sans réponse 1 0,9 1,2 1,1

Forte 70,8 71,8 76,6 77,7Assez forte 22 22,7 19 18,5Plutôt faible 4,2 3,1 2,4 1,9Faible 2,3 2,2 1,7 1,8Sans réponse 0,7 0,3 0,3 0,1

PLD 39,2 38 37,9 42,4PDJ 14,1 16,3 19,2 19,5Komeito 2,5 2,3 2,2 2,3PC 2,1 2,6 2,7 2,6PDS 1,1 1,4 1,1 1,2NPP 0,8 0,5 0,5 0,4NPJ 0,3 0,3 0,2Autre 0,1 0,1 0,1Indépendant 0,9 0,8 1,5 1,4Pas décidé 33,8 31,4 28,4 23,3Sans réponse 5,3 6,5 6,1 6,7

PLD 37,4 36 34 35,9PDJ 15,8 17,9 19,1 17,9Komeito 4 5,5 6,3 7,2PC 2,6 3 3,2 3,9PDS 1,8 1,8 2,3 2,9NPP 1,1 0,8 0,7 1,1NPJ 0,5 0,5 0,9Autre 0,1 0,2 0Pas décidé 30,6 27,7 26,7 23,7Sans réponse 6,7 6,7 6,9 6,4

Réforme de la sécurité sociale 39 40,4 40,6 43,3Privatisation de la poste 30,2 30,9 28,4 30,2Budget, réforme fiscale 11,8 10,6 12,4 9,8Economie, emploi 10,7 8,5 10,7 8,8Politique étrangère et de défense 3,9 4,2 3,9 3,7Autre 0,7 1 0,9 0,8Rien en particulier 1,7 1,7 1 1,5Sans réponse 2 2,9 2,2 2

今回の選挙で投票する候補

者や政党を決めるとき、最

も重視したい政策や争点を

、1つ選んで下さい。

Thème le plus important de l'élection

Soutien au Cabinet Koizumi

Intérêt pour l'élection

Motivation pour aller voter

Intention de vote dans les circonscriptions

Intention de vote à la proportionnelle

あなたは、小泉内閣を、支持

しますか、支持しませんか。

投票日は11日ですが、投票に行く

かどうか、今の気持ちに最も近いも

のを、1つ選んで下さい。

あなたは、今回の衆議院選

挙に、関心がありますか、

ありませんか。

今回の衆議院選挙のうち、

小選挙区では、どの政党の

候補者に投票しようと思い

ますか。1つだけあげて下

さい。

比例代表では、どの政党に

投票しようと思いますか。

1つだけあげて下さい。

124

04 – L’évolution du vote des électeurs « indécis »

Le journal Yomiuri a publié ce graphique sur son site Internet. Celui-ci synthétise les votes des électeurs indécis au scrutin proportionnel durant les élections sénatoriales de 2001 et 2004, et législatives de 2003 et 2005. Elles mettent en valeur la remontée du PLD (en rose) par rapport au PDJ (en bleu) sur cette tranche de l’électorat en 2005. Source : http://www.yomiuri.co.jp/election2005/img/el_im_050912_03l.htm

125

05 – Jaquette des CDs « best of Koizumi » : Elvis Presley et Ennio Morricone

“Junichiro Koizumi Presents My Favourite Elvis Songs” Koizumi a fait éditer ce CD de 25 titres d’Elvis Presley au début de son mandat (22 août 2001). Il serait parvenu à en vendre environ 200 000 exemplaires (GALLOT Clementine, “Eccentric obsessions: Elvis and Koizumi (and other passions of the world's leaders)”, in The Independent, jeudi 29 juin 2006 : http://www.independent.co.uk/news/world/politics/eccent

ric-obsessions-elvis-and-koizumi-and-other-passions-of-the-worlds-leaders-405945.html ).

“My Favorites ENNIO MORRICONE Music Presented by JUNICHIRO KOIZUMI“ Koizumi a fait éditer ce CD de 21 titres d’Ennio Morricone en fin de mandat (5 octobre 2005). Nous n’avons pas d’information quant au nombre d’exemplaires vendus.

126

06 – Livrets d’enquêtes d’opinion utilisés par la « team Koizumi »

L’image de gauche présente les livrets synthétisants les sondages d’opinion qu’ont lu chaque matin les membres de l’équipe de communication de Koizumi pendant la campagne de 2005. L’image de droite montre les fiches synthétisant les informations concernant l’opposition démocrate. Source : SEKO Hiroshige, Stratégies de communication professionnelle (プロフェッショナル広

報戦略), Goma Books, 2005, p100 (image de gauche) et 131 (image de droite)

127

07 – Publicité PLD pour la région de Tôkyô

Le Premier ministre présente son équipe de candidats comme faisant partie du « clan de la réforme ».

Source : Asahi shimbun, vendredi 9 septembre 2005

128

08 – Page de couverture des manifestes du PLD et PDJ La première page du manifeste PLD s’est focalisée sur une seule idée forte. On peut y lire « Pour la privatisation de la poste, le cœur de toutes les réformes ». Celle du manifeste PDJ a de son côté détaillée huit propositions. Sources : Pour le manifeste PLD : SEKO Hiroshige, Stratégies de communication professionnelle (プロフ

ェッショナル広報戦略), Goma Books, 2005, p95 Pour le manifeste PDJ : Asahi shimbun, mardi 30 août 2005

09 – Une caricature du journal Asahi (10 août 2005) L’image montre Koizumi en train de livrer le combat électoral en se frappant lui-même. Okada attend en sautillant sur son siège, et se dit « je vais peut-être gagner ! » (texte au bas de l’image).

129

10 – Publicités PLD pour recruter des candidats Sur la première image nous pouvons lire : « le sang de la politique, avec facilité » (seiji no ketsueki, sarasara ni). Sur la deuxième les mots « jiban, kanban et kaban » sont barrés à droite (pour le sens de ces mots, voir page 19), et l’on peut lire à gauche « maintenant il faut de la volonté » (ima hitsuyô na no ha, kokorozashi desu). Sur la troisième image on peut lire « camarades de la réforme, venez ! » (kaikaku no dôshi yo, kitare). Les deux caractères affichés en grande taille forment le mot « réforme » (kaikaku). Source : SEKO Hiroshige, Stratégies de communication professionnelle (プロフェッショナル広

報戦略), Goma Books, 2005, p118

130

11 – Tableau comparatif des centres d’intérêts d’Okada Katsuya et Koizumi Junichirô

Koizumi Junichirô Okada Katsuya

Façon de passer ses vacances 休日の過ごし方

Ecouter de la musique classique à la résidence du Premier ministre 首相官邸クラシクを聴く

En famille, jouer au ping-pong avec les enfants 地元に帰って,自宅で家族だん

らん.子供と卓球 Livres préférés 愛読書

Kunitori monogatari de Shibari Ryôtarô et Fûrin kazan d’Inôe Yasushi. (deux romans historiques sur les guerres du Japon médiéval) 司馬 遼太郎「国盗り物語」 井上靖「風村火山」

Les frères Karamazov de Dostoïevski ドストエフスキー「カラマー

ゾフの兄弟」

Chansons préférées au karaoke カラオケでうたう歌

X-JAPAN, Elvss Presley, « la femme née à Osaka » (BORO, chanson romantique des années 1970) X-JAPAN, プレスリ-, 「大坂で生まれた女」

Ne chante pas 歌わない

Centre d’intérêt 趣味

L’opéra オペラ鑑賞

Les DVD DVD 鑑賞

Famille 家族構成

Deux fils 長男,次男

Marié, une fille et deux garçons 妻と 1 女 2 男

Films préférés 好きな映画

Le parrain, Le train sifflera trois fois, Les évadés 「ゴッドファーザー」, 「真昼の決

闘」,「ショーシャンクの空に」

Philadelphia, A l’ouest rien de nouveau 「フィラデルフィア」, 「西部戦泉異状なし」

Devise favorite 座右の銘

« Les incroyants ne peuvent rester debout (on ne réussit pas sans y croire) » (Confucius) 「無信不立 (信なくば立たず) 」

« Les grands talents murissent tard » 「大器晩成」

Personnalités préférées 尊敬する人

Winston Churchill, Yoshida Shōin (intellectuel de l’ère Edo ayant voulu apprendre de l’Occident), Oda Nobunaga チャーチル, 吉田 松陰, 織田信長

Oda Nobunaga 織田信長

Source : Asahi shimbun, « Un amour partagé pour Nobunaga, deux leaders différents » (信長好

2 人の差), vendredi 2 septembre 2005