Pompéi : Un art de vivre exceptionnel

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ARCHIVES NATIONALES LA GRANDE HISTOIRE DES PETITS PAPIERS UN MINISTRE VICTIME DE LA CALOMNIE ROGER SALENGRO ALL 6,90 €/BEL 6,30 €/CAN 9,50 $CAN/DOM 6,50 €/ESP 6,50 €/GR 6,50€/ITA 6,50 €/PORT-CONT 6,50 €/LUX 6,50 €/MAR 58,00 DH/MAY 7,90 €/CH 11 FS/TOM AVION 1550,00 XPF/TOM SURFACE 880 XPF/TUN 6,50 TND OCTOBRE 2011 - N° 778 POMPEI 3:HIKPKG=\UZZU[:?a@h@h@s@k; M 05067 - 778 - F: 5,50 E VISITE GUIDÉE D’UNE VILLA Un art de vivre exceptionnel Un art de vivre exceptionnel

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Vous cherchez une villa luxueuse et spacieuse avec spa, jardins et fontaines ? Historia vous fait visiter une maison-témoin du 1er siècle de notre ère à Pompéi.

Transcript of Pompéi : Un art de vivre exceptionnel

archives nationales la grande histoire des petits papiers

un ministre victime de la calomnieroger salengro

ALL 6,90 €/BEL 6,30 €/CAN 9,50 $CAN/DOM 6,50 €/ESP 6,50 €/GR 6,50€/ITA 6,50 €/PORT-CONT 6,50 €/LUX 6,50 €/MAR 58,00 DH/MAY 7,90 €/CH 11 FS/TOM AVION 1550,00 XPF/TOM SURFACE 880 XPF/TUN 6,50 TND

octobre 2011 - n° 778

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Èva Dubois-PèlerinChercheur au CNRS, spécialiste de la peinture murale dans le monde gréco-romain. Auteur du Luxe privé à Rome et en Italie au Ier s. apr. J.-C. (Jean Bérard, 2008).

anne LogeayMaître de conférences à l’Université de Rouen, elle enseigne la littérature latine et l’histoire des idées.

alexandre GrandazziSpécialiste de la civilisation romaine, professeur à Paris IV-Sorbonne. Dernier ouvrage paru : Alba Longa, histoire d’une légende (2 vol., éditions De Boccard, 2009).

catherine sallesAgrégée de lettres classiques, docteur d’État, maître de conférences à Paris X-Nanterre. Elle vient de publier L’Amour au temps des Romains (First, 2011).

sommaire Octobre 2011

6 actuaLité

15 DossierPompéi : quel art de vivre !Les fouilles entreprises sur le site campanien ont révélé

tout le raffinement, le confort, le luxe des maisons ro-

maines, juste avant que le Vésuve ne les ensevelisse en

quelques heures. Depuis l’an 79, tout est resté en l’état,

permettant de connaître la vie quotidienne de ses habi-

tants, que le musée Maillol, à Paris, nous fait découvrir

dans une magnifique exposition. De la salle de bain à

la suite parentale, en passant par les jardins – avec leur

pavillon secret et ses fresques coquines – et la salle à

manger, visite d’une villa type. Tout cela sous la houlette

d’un agent immobilier… virtuel !

MoMents D’histoire46 Du Guesclin, le baroudeur fait connétable

En reconnaissance de sa fidélité au royaume de France,

mais aussi pour redonner du courage à une population

désespérée devant l’avancée anglaise, Charles V décide,

en 1370, d’octroyer à l’ancien chef de bande breton, de-

venu chevalier, un titre réservé aux princes du sang.

50 Roger Salengro victime de la calomnieEn 1936, le ministre de l’Intérieur du Front populaire,

maire de Lille, est pris pour cible par la presse d’extrême

droite, qui lui reproche d’avoir déserté devant l’en-

nemi en 1915. L’homme, intègre, n’y survivra pas. Mais

à travers lui, c’est la République – la « Gueuse », comme

l’appellent les nationalistes – et le nouveau chef du gou-

vernement, Léon Blum, qui sont visés… Révélations.

58 sPéciaL viLLeBlois, l’écrin royal du Val de LoireSon château a abrité sept rois et dix reines de France.

Ce n’est pas pour rien que Gaston d’Orléans se retire

– un peu contraint – dans ce berceau de la civilité en

1634. (faire rentrer la date)

68 À L’afficheExpositions, théâtre, cinéma, DVD et télévision.

74 L’art De L’histoireJ.-A. Rixens : L’Égypte façon péplum

78 LivresLes Prix HistoriaPour la deuxième année, Historia honore les ouvrages

historiques et leurs auteurs dans quatre genres popu-

laires : le roman, le roman policier, la bande dessinée, la

biographie. Sans oublier le Prix spécial du Jury.

91 L’inéDit Du MoisOn s’arrache les reliques de Voltaire

93 Mots croisés

95 noMs De noMs !Sanchez

97 un iLLustre inconnuSorbon

98 L’iDée reçueAu Moyen Âge, on croit la Terre plate

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Laurent VissièreAncien élève de l’École nationale des chartes, maître de conférences à Paris-IV Sorbonne, il est spécialiste de l’histoire de la France de la fin du Moyen Âge.

Denis LefèvreJournaliste, historien du socialisme, il vient de sortir aux éditions du Lombard une BD, coscénarisée avec Jean-Pierre Pécau, et dessinée par Tibéry : L’Or de la France.

agnès WalchMaître de conférences à l’université d’Artois, elle est l’auteur de La Marquise de Brinvilliers (Perrin, 2010).

Pascal Marchetti-LeccaChargé de cours à l’université de Corse, à Corte, il est notamment coauteur de Voleurs de feu : moment de grâce dans la littérature française (Flammarion, 2007).

Spécial ville : Blois, p.58L’écrin royal du Val de Loire

Dossier : Pompéi, p.15Quel art de vivre !

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en un clin d’œil leS BienFAiTS du VÉSuVe Les contemporains d’Auguste sont conscients de la nature volcanique du Vésuve mais ignorants de ses dangers. Sensibles aux bienfaits qu’apporte la fertilité due au volcan, ils le croient éteint pour toujours. Les pentes du massif sont alors couvertes de vignes, des cépages d’abondance, d’une qualité moyenne,

mais aussi un vin noble, que chantera le poète Martial. Cette production considérable fait la prospérité de Pompéi. Une fresque de la maison du Centenaire montre le Vésuve, couvert d’échalas et, devant, le dieu Bacchus, entièrement revêtu de grappes de raisins. La catastrophe est proche : l’analyse nouvelle de restes

végétaux ainsi que des documents épigraphiques permettent désormais d’en fixer la date, non pas au 24 août 79, mais durant l’automne qui suivit. En quelques heures, les pluies de pierres, de cendres et les nuées ardentes submergent la cité, tuant des milliers d’habitants. Pendant plus d’un millénaire et demi,

La maison-témoin pompéienne avec ses meu bles, ses fresques, ses jardins et ses commerces

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la nature reprendra ses droits sur le site devenu agreste, le souvenir de la ville disparue ne subsistant que par un lieu-dit. Puis, à partir du XVIIIe, c’est la redécouverte, qui, au XIXe siècle, se fera au rythme d’une exploration méthodique. De son linceul de cendres, Pompéi émerge, parfaitement conservée, révélant à

l’Europe émerveillée le quotidien d’une ville antique. Une nouvelle science, l’archéologie, va naître. Que connaîtrions-nous d’elle, si le Vésuve ne l’avait pas ensevelie ? Rien, ou presque : quelques mentions dans les textes, quelques pans de murs. Grâce à la catastrophe, Pompéi nous est beaucoup mieux connue que

Rome, Athènes, Constantinople ou Alexandrie. S’il a tué ses habitants, le volcan a conservé ses maisons, leurs murs et leurs fresques, et jusqu’aux plus modestes objets. C’est le dernier bienfait du Vésuve : avoir donné à la cité une mort qui était en même temps promesse d’immortalité… LAlexandre Grandazzi

VIE PRIVÉE, VIE PUBLIQUE. Toutes les villae de Pompéi que vous pourrez visiter sont toujours divisées en trois parties bien distinc-tes. L’atrium et ses pièces annexes sont destinés à vos activités officielles. Le péristyle est consacré à votre intimité et à vos loisirs. Le quartier réservé à la cuisine et à l’hygiène est soigneu-sement séparé du reste de l’habitation. Ainsi, le monde des af-faires est indépendant de la famille. Vous avez pu constater que l’imagination des architectes s’est donnée libre cours pour varier la disposition des pièces autour d’un plan en lui-même très fixe.

La maison-témoin pompéienne avec ses meu bles, ses fresques, ses jardins et ses commerces

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Dossier pompéi

Pascal Marchetti-Lecca« De tout temps et quelles qu’en aient pu être les lois, on a sacrifié aux canons de la beauté. Pour le seul souci de paraître et de se rassurer. »

face à face Un esprit sain dans un corps sain… et beau. Les Romains ont vu juste. Mais que faire quand se laver est un péché ?

Pourquoi le bain devient-il tabou ?

Des civilisations les plus anciennes à nos fringants contemporains qui se laissent volontiers happer par la fièvre du jeunisme,

toutes les sociétés ont subi les diktats de la beauté, « fleur passagère » !.. Au fil des siècles, bien sûr, les codes ont souvent changé mais – qu’il ait été moyen-oriental, africain ou occidental – différents modèles ont tour à tour fini par imposer leurs contraintes. La mode et le goût, c’est connu, se plaisent à tourner casaque. Ainsi, au prix de mille et une mortifications, a-t-on pu se damner, çà et là, pour un petit pied, un long cou, une opulente chevelure… et continue-t-on de le faire encore pour sacrifier au culte très actuel du « ventre plat » ! Les canons les plus contraignants ne sont pas forcément ceux qui tonnent. De tout temps et quelles qu’en aient pu être les lois, on a sacrifié à ceux de la beauté. Pour le seul souci de paraître et, par là même, disons-le, de se rassurer. Car, enfin, Émile Durkheim, l’un des pères fondateurs de la sociologie moderne, n’envisage-t-il point le corps comme un facteur d’individualisation socioculturelle ? Et, hanté par les mécanismes de reproduction des hiérarchies sociales, Pierre Bourdieu (1930-2002) de lui emboîter le pas : « L’expérience du corps – et corrélativement de sa beauté – serait foncièrement liée à [des] catégorisations et à l’inculcation d’un certain habitus [de classe]. Le modèle esthétique du corps concerne tout un ensemble de sentiments et de jugements de la beauté. » Le contrôle de l’apparence, effectivement, s’impose comme un critère de socialisation déterminant. Rien d’étonnant alors à ce que, dans toute société, il échoie aux plus nantis de valoriser la prestance, le maintien et la forme

physiques. Les Grecs, du reste, avaient leur idée sur la question. Déjà, ils avaient leurs modèles – les athlètes, les guerriers – qui, mieux que quiconque, excellaient à sculpter leur corps et portaient haut les couleurs d’une cité. Archétypes parfaits de la mâle vigueur et de la beauté, ces héros, assurément, savaient se faire entendre des dieux. Aussi s’en approchait-on volontiers. D’une certaine façon, par le biais de ses sportifs et de ses top-modèles, la société moderne a conservé ce schéma héroïque. Seulement voilà, les rapports sont quelque peu chamboulés. Les gloires du moment sont souvent hissées au rang des dieux et, confit en un même rituel corporel, le commun des terriens n’envisage le surpassement que dans une frénésie de la ressemblance. Ce qui, d’ailleurs, porte le philosophe Bernard Andrieu à écourter : « La majorité des individus […] vivent ensemble les mêmes émotions, bien que chacun dans son corps. Ce partage… permet de créer des structures transversales qui, contrairement aux églises ou aux partis politiques, n’ont pas un caractère hiérarchique. » Dans les années 1980, le culte de la beauté a ainsi cédé le pas au culte du corps. Du fond des âges, saint Paul a beau jeu de fulminer : « Ne savez-vous pas que votre corps est le temple du Saint-Esprit qui est en vous, que vous avez reçu de Dieu, et que vous ne vous appartenez point à vous-même ? » (Corinthiens 6, 19) L’Olympe et le Sinaï ont bel et bien perdu de leur crédit. Idolâtre à souhait, le citoyen, qui éprouve tant de mal à devenir homme, préfère aujourd’hui cousiner avec les dieux. Incorrigiblement fashion, il n’honore plus que la mythologie qu’il s’est forgé. Sans doute parce qu’il le vaut bien. LPascal Marchetti Lecca, professeur à l’université de Corse.

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La chute de l’Empire romain n’entraîne pas d’un seul coup la disparition de l’hygiène. Durant le Moyen Âge, on ne renonce pas à la propreté,

mais les réactions vis-à-vis de l’eau et de ses vertus se modifient, de sorte que le lavage perd en intensité et en fréquence. Les Barbares, qui déferlent des contrées septentrionales, sont peu enclins à se laver et ignorent les installations thermales dont profitent les populations de l’Empire. Le christianisme rend méfiant à l’égard de l’eau, symbole de purification : le baptême ne lave-t-il pas l’homme du péché originel ? Enfin, l’eau est perçue comme un vecteur d’entrée des maladies dans le corps. Autant de raisons qui font reculer la propreté. La civilisation urbaine a fait la gloire de Rome. Sa chute entraîne le déclin rapide des infrastructures qui permettaient le transport de l’eau avec une grande efficacité. Les règles d’hygiène établies par les édiles, tel l’aménagement d’égouts enterrés, de fosses d’aisance et d’équipements hydrauliques, ne sont plus respectées. Durant tout le Moyen Âge, la vie quotidienne est hantée par la quête de l’eau. Dès la fin de l’Empire romain, les bains publics, lieux de promiscuité des corps, ont été dénoncés par les chrétiens qui les suspectaient de favoriser la prostitution et les maladies. Se nettoyer, c’est s’exposer, se regarder, se toucher, généralement en public car l’espace individuel dévolu à la propreté est une notion très récente. Raison prophylactique et raison morale se sont donc conjuguées pour faire triompher la crainte de la nudité et, avec elle, le recul du lavage à grande eau. Tabou sexuel et moral du péché empêchent d’être propre. Les prostituées — oh ! scandale — sont les seules à procéder à des ablutions. Enfin, à l’aube

de la Renaissance, le renouveau de la médecine et la redécouverte de la conception « humorale » du corps, élaborée par les médecins grecs et insistant sur le rôle de la peau comme intermédiaire entre l’intérieur et l’extérieur, renforcent la vision négative de l’eau : le ramollissement de la peau par le lavage est soupçonné de favoriser l’infiltration des maladies dans l’organisme. S’y ajoute le traumatisme de la Grande Peste qui a fait disparaître le quart de la population européenne au XIVe siècle. La crasse, susceptible de faire barrière à la maladie, est perçue comme un facteur de conservation de la santé. Dans les campagnes, on évite de laver les nouveau-nés. Les riches optent pour la « toilette sèche » qui consiste à changer souvent de linge de corps. Seuls le visage et les mains sont régulièrement nettoyés. On utilise les parfums pour masquer les odeurs. Un premier changement a lieu au XVIIIe siècle lorsque les médecins stigmatisent les « miasmes ». Le meilleur moyen de les contrer est de désinfecter l’air par la ventilation. L’usage de l’eau curative fait son retour : Louis XIV n’a pris que deux bains dans sa vie lorsqu’il meurt en 1715, tandis qu’à la fin du même siècle Marat est assassiné dans sa baignoire. Ce n’est toutefois qu’au XIXe siècle que les privilégiés commencent à installer l’eau courante chez eux. Cette conquête est lente. Elle nécessite des investissements coûteux. En outre, les réticences morales vis-à-vis du bain ne sont vaincues que par un long travail d’éducation morale et sanitaire, mené par les hygiénistes et par l’école, puis fortifié par la révolution pasteurienne. En 1962, 29 % des foyers avaient une douche. Aujourd’hui, 85 % en sont équipés. LAgnès Walch, maître de conférence à l’université d’Artois.

Agnès Walch« Il faut attendre le XVIIIe siècle pour que l’usage de l’eau curative fasse son retour. Et le XIXe siècle pour que les privilégiés installent l’eau courante. »

face à face Un esprit sain dans un corps sain… et beau. Les Romains ont vu juste. Mais que faire quand se laver est un péché ?

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En partenariat avec les Archives nationales, Historia propose chaque mois un document jamais publié dans la presse grand public commenté par son conservateur.l’inédit du mois

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Autopsie. Certificat d’embaumement du corps de Voltaire après son décès, 15 juin 1778. Cote Archives nationales (Paris) ET/CVIII/680.

On s’arrache les reliques de Voltaire

Peu de nos contem-p o r a i n s s a v e n t qu’aujourd’hui en-core le cœur de Vol-taire n’est pas réuni à l a dép ou i l le de l’homme de lettres

dans son tombeau du Panthéon, mais se trouve sur l’autre rive de la Seine, à la Bibliothèque nationale de France (site Richelieu). C’est dans le socle du plâtre original du célèbre Voltaire as-sis sculpté par Houdon qu’a été scellé, en 1864, l’urne contenant le précieux organe. L’origine de ce dépôt se trouve dans une déclaration passée devant notaire, le 15 juin 1778, par laquelle Madame Denis et l’abbé Mignot, ses nièce et neveu, refusent le dépôt du cœur de Voltaire dans la chapelle privée de Charles de Villette, autre proche du patriarche de Ferney ; y est annexé un procès-verbal d’ouverture et d’embaumement de son corps.

Mais revenons au mois de mars 1778. Voltaire rentre à Paris après de longues années d’absence et la foule porte en triomphe celui dont la santé avait déjà suscité de nombreu-ses rumeurs. Il ne lui reste que deux mois à vivre, qu’il passera dans l’hôtel du marquis de Villette qu’il avait ac-cueilli comme un fils à Ferney. Après son décès, le 30 mai, le marquis tient à conserver son cœur et en demande l’autorisation à sa nièce, Madame Denis. « Toute entière à sa juste dou-leur », et alors que l’abbé Mignot et d’Hornoy, petit-neveu de Voltaire, préparent les obsèques, elle accepte : les consentements formels de tous les héritiers n’étant pas réunis et l’inhu-mation du cœur dans une chapelle domestique étant interdite, les trois neveux et nièce procèdent donc à cette

déclaration mais ne vont pas jusqu’à « l’instance en justice réglée » vue « l’amitié qu’ils auront toujours pour monsieur et madame de Villette, et le tribut de reconnaissance qu’ils ne cesseront jamais de payer à l’un et à l’autre pour tous les bons soins qu’ils ont rendus constamment à leur oncle, tant en santé qu’en maladie ». Cette déclaration ressemble donc à un acte « pour la forme » et, d’ailleurs, le cœur sera conservé au château de Villette, dans l’Oise, jusqu’à sa translation à la Bibliothèque nationale en 1864. Lors du transport des cendres de Vol-taire au Panthéon, le 11 juillet 1791, le convoi s’arrêtera devant l’hôtel où il mourut, sur le quai encore dénommé des Théatins, que Villette rebaptisera de sa propre initiative quai Voltaire…

Le procès-verbal d’ouverture et d’embaumement du corps, annexé à la déclaration, confirme encore, bien qu’indirectement, l’intérêt pour le

corps du grand homme. Sans entrer dans le sordide, il convient de noter que, « le crâne ouvert », rien n’a été observé « d’extraordinaire, le cer-veau et le cervelet très sains », mais a contrario le médecin s’attarde sur la vessie, « décomposée », « semblable à du lard », pleine de « tubercules qui étoient en supuration ». Mitouart, qui avait procédé à l’embaumement, jettera son dévolu sur le cervelet et se l’octroiera, avant que son fils ne l’offre en cadeau à la République en 1799.

Double ironie donc que ce si-nistre commerce de reliques autour d’un homme ayant si souvent attaqué le christianisme et qui mourut dans le ressort de la paroisse Saint-Sulpice, surtout autour de son cœur, dont ses ennemis mettaient en doute l’exis-tence. Nul doute que Voltaire aurait été le premier à en rire… LVincent Bouat, Minutier central des notaires de Paris

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Portrait d’un(e) inconnu(e) célèbre dont la postérité a retenu le nom…sans vraiment savoir de qui il s’agissait ! Ce mois-ci :un illustre inconnu

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nNé à Sorbon près de Rethel le 9 oc-tobre 1201, Ro-bert de Sorbon, g e n t i l h o m m e sans fortune, a d’abord été l’un

de ces « pauvres escholiers » du Quar-tier latin, à Paris, vivant quasiment de charité. Il fréquentait notamment, au sommet de la montagne Sainte-Geneviève, le collège de Montaigu que Rabelais surnommait « le collège de pouillerie ». Il se fait prêtre, reçoit le bonnet de docteur et devient chanoine du chapitre de Cambrai. Ses sermons pleins de bonhomie et ses conférences lui attirent une réputation telle que, grâce au comte d’Artois, le roi Louis IX le choisit pour être son chapelain or-dinaire puis l’un de ses confesseurs. Sa piété, sa simplicité, sa sagesse, lui valent de devenir l’un des familiers du roi. Joinville, compagnon de croi-sade, conseiller et ami de Saint Louis, compose à la mort de celui-ci et à la demande de la reine mère, Le Livre des saintes paroles et des bons faits de notre roi Louis (1309). Il dépeint Robert de Sorbon comme un proche du roi. « Il faisait manger à sa table maître Ro-bert de Sorbon, pour la grande renom-mée qu’il avait d’être prud’homme ».

Robert de Sorbon se souvient de sa dure jeunesse et cherche les moyens d’améliorer la condition des étudiants. Il s’associe pour cela à des gens de bien tels que le chanoine et médecin de la reine, l’archidiacre de Reims, ou encore Guillaume de Chartres, l’un des aumôniers du roi. L’idée est de donner une instruction

gratuite et des secours à la jeunesse famélique qui peuple le Quartier latin. Pendant la Croisade où est parti Saint Louis, la régente, Blanche, cède par acte du 21 octobre 1250 « une maison à maître Robert de Sorbon, pour la demeure des pauvres escholiers, et des écuries contiguës situées dans la rue Coupe-Gueule, devant le palais des Thermes ». Cette rue, que d’autres sources nomment Coupe-Gorge, est aujourd’hui la rue de la Sorbonne.

C’est ainsi qu’est fondée en 1253 la Communauté des pauvres maî-tres étudiant en théologie, que le roi confirme en 1257. Sorbon s’emploie à acquérir d’autres maisons mitoyen-nes. Des docteurs réputés se chargent de l’enseignement. Dès cette époque, on dit « le collège de Sorbonne » puis très vite « la Sorbonne ». Après appro-bation par le pape en 1259 du collège de théologie, Sorbon y ajoute en 1271 un second établissement pour les hu-manités et la philosophie. Ce n’est d’ailleurs ni une université au sens classique du terme, ni une congréga-tion religieuse, mais une communau-té avec sa maison d’étude et son hôtel. On y distingue, outre les étudiants pauvres, des bacheliers boursiers et des bacheliers non boursiers qui paient une pension modeste (on dit parfois « les pauvres de Sorbonne »). Les cadres comprennent les bénéfi-ciaires, les hôtes et les associés, les-quels ne résident pas forcément dans la maison. Hôtes et associés ne sont reçus qu’après enquête, examen et vote à bulletin secret. Les officiers : proviseur, prieur, procureur, biblio-thécaire, conseillers sont tous élus.

Pour obtenir le titre de docteur de Sorbonne, il faut avoir accompli ses études dans ledit collège, c’est-à-dire, pendant dix ans, avoir argumen-té diverses thèses dites « mineure, majeure, sabbatine, tentative, petite sorbonique, grande sorbonique ». La « grande sorbonique », l’ultime épreu-ve, est la plus terrible. De six heures du matin à six heures du soir, l’impétrant doit sans quitter sa place, sans boire et sans manger, soutenir l’offensive dia-lectique et féroce de vingt « ergoteurs » qui se relayent de demi-heure en demi-heure. Quand on sort victorieux de ce marathon, on devient docteur après avoir été coiffé du bonnet par le chan-celier de Notre-Dame.

Quand Robert de Solon meurt à Paris, le 15 août 1274, la Sorbonne est connue dans toute l’Europe chrétien-ne. Pour la petite histoire, on signa-lera cette expression d’argot à propos de quelqu’un d’instruit, qui en a dans la tête : « En v’là un qu’a une sacrée Sorbonne ». LClaude Quétel, historien

Ce familier de Saint Louis se souvient de ses années de vaches maigres quand il crée son collège pour “pauvres escholiers”.

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98 historia octobre 2011

Historia rétablit chaque mois une vérité historique, en allant à l’encontre d’une notion aussi communément admise qu’erronée.l’idée reçue

un jeu d’enfants. Coucou ! Il suffit de passer la tête à travers la Terre pour se retrouver de l’autre côté, dans un autre monde, sous d’autres cieux. •Gravure sur bois du XIVe siècle.

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Un disque, une crêpe, un tambour… c’est ainsi que les savants des plus grandes universités d’Europe se représentent notre planète : faux

Au Moyen Âge, on croit la Terre plate

On savait dès l’Anti-quité que la terre était ronde. Au début de la civi-lisation grecque c er t ai ns l ’i ma-ginaient comme

un tambour ou un disque plat posé sur l’eau dont les mouvements expli-queraient les tremblements de terre. Anaximandre (610-547 av. J.-C.), sup-posa une terre cylindrique. C’est l’éco-le pythagoricienne et surtout le phi-losophe Parménide qui affirmèrent au Ve siècle av. J.-C. la sphéricité de la terre. Platon, Aristote et la plupart des grands philosophes grecs adoptèrent cette représentation sphérique du monde qui devint le postulat de base de toute recherche scientifique.

Avec la chute de l’Empire ro-main et les grandes invasions, l’étude des sciences recula. Les penseurs chrétiens ne donnèrent plus crédit aux « théories païennes » et les pre-miers d’entre eux revinrent à une re-présentation plate. Un moine byzan-tin du VIe siècle, Cosmas d’Alexandrie alla même jusqu’à affirmer que la terre était terminée par des murailles derrière lesquelles se couchait le so-leil. L’image obscurantiste que l’on donna plus tard de l’époque médiévale y trouva matière à accréditer ses thè-ses. Cependant la plupart des théolo-giens du haut Moyen Âge continuent à privilégier la vision sphérique de notre planète. Dans ses Étymologies, Isidore de Séville (530-636) compare la

terre à une balle. En Orient, Byzance mais aussi des communautés juives de Mésopotamie ainsi que les Perses conservent les enseignements scien-tifiques des Anciens. La conquête musulmane à partir du VIIe siècle ne remet pas cela en cause. En Occident, le retour à l’étude des sciences initié par le moine Bède le Vénérable au VIIIe siècle ne cessa de prendre de l’ampleur dès lors.

Au XIIIe siècle, sous l’impul-sion du dominicain Albert le Grand et du franciscain anglais Roger Bacon, les universités occidentales s’ouvrent aux sciences arabes et grecques ainsi

qu’aux philosophes Aristote et Platon. L’image de la terre comme sphère n’est plus sérieusement remise en cause. Dès le XIVe siècle l’intuition et le désir de pouvoir en faire le tour mûrit. Le Livre des merveilles du monde écrit entre 1355-1357 par l’explorateur Jean de Mandeville après un voyage de trente-quatre ans en Extrême-Orient, laissait entendre la possibilité d’une circumnavigation. Dès cette époque, des missions dominicaines et francis-caines atteignent l’Orient, des mar-chands l’Afrique, et Marco Polo la Chine en 1275. Le temps des découver-tes débute. Le premier globe terrestre est réalisé par le navigateur allemand Martin Behaim en 1491. Vasco de Ga-ma, Christophe Colomb et Magellan n’ont plus qu’à lancer l’exploration de la Terre et à en faire le tour. LOlivier Tosseri