Oeuvre poétique d'Ibn 'Arabi (D. Addas)

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Maisonneuve & Larose L'œuvre poétique d'Ibn 'Arabî et sa réception Author(s): C. Addas Reviewed work(s): Source: Studia Islamica, No. 91 (2000), pp. 23-38 Published by: Maisonneuve & Larose Stable URL: http://www.jstor.org/stable/1596267 . Accessed: 28/03/2012 05:39 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. Maisonneuve & Larose is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Studia Islamica. http://www.jstor.org

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Maisonneuve & Larose

L'œuvre poétique d'Ibn 'Arabî et sa réceptionAuthor(s): C. AddasReviewed work(s):Source: Studia Islamica, No. 91 (2000), pp. 23-38Published by: Maisonneuve & LaroseStable URL: http://www.jstor.org/stable/1596267 .Accessed: 28/03/2012 05:39

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Studia Islamica, 2000

L'oeuvre po6tique d'Ibn 'Arabi et sa reception

De l'ceuvre d'Ibn 'Arabi, les Occidentaux ont initialement connu le ver- sant poetique. C'est, en effet, a travers un recueil de poemes - le Tarjumin al-ashwaq - dont Nicholson publie l'edition et la traduction en 1911 qu'ils decouvrent le grand spirituel andalou ('). Cette premiere approche de son heritage mystique par le biais d'une ceuvre poetique va orienter de maniere decisive l'interpretation de sa doctrine en Occident: livres sans mode d'em- ploi - des axes principaux de l'enseignement initiatique et metaphysique du Shaykh al-akbar on ignorait encore un peu pres tout -, les poemes du Tar- juman, qu'ordonne le registre de 1' < amour courtois >, etaient susceptibles de biens des lectures...

Reste que la publication du Tarjumdn al-ashwaq inaugure une longue serie de travaux universitaires sur le maitre andalou. Au cours des decennies suivantes, de multiples recherches sur Ibn 'Arabi et son < ecole > sont entre- prises. Des textes majeurs, notamment les Fusus al-hikam, sont edites et tra- duits. Aux Etats-Unis, en Europe comme au Japon, des chercheurs entre- prennent d'analyser la doctrine du Shaykh al-akbar, etudient son rayonnement dans le temps et l'espace. Bien qu'Ibn 'Arabi demeure, dans les pays musulmans, un auteur controverse, plusieurs universitaires arabes ont apporte a cet effort une contribution significative.

Force est de constater, cependant, que ces nombreuses investigations ont essentiellement explore l'autre versant du corpus akbarien, celui, colossal, qui rassemble les innombrables ecrits en prose d'Ibn 'Arabi. Son ceuvre en vers, aux dimensions imposantes elle aussi, est restee en friche. En redi- geant, il y a pres de quarante ans de cela, la notice du Repertoire General consacree au Diwdn al-Shaykh al-akbar (n? 102), 0. Yahia formulait le souhait qu'une edition critique de cette oeuvre majeure voie le jour sur la base des nombreux manuscrits existants (2). Deux nouvelles editions de ce

(1) The Tarjumfn al-ashwdq. A Collection of mystical odes, 6d. R. Nicholson, R.A.S., Londres, 1911. La publication du K. istilaiht al-sufiyya, un bref opuscule d'Ibn 'Arabi que Fliigel edita en annexe des Ta'rifdt de Jurjani des 1845 - donc avant le Tarjumdn - n'avait guere retenu l'attention.

(2) Histoire et classification de l'oeuvre d'lbn 'Arabi, I.F.D., Damas, 1964, R.G. 102.

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recueil ont recemment fait leur apparition chez les libraires (3) : elles ne sont, l'une et l'autre, que la simple transcription de l'edition de Bulaq (4)

(1855), agrementee de quelques notes explicatives. Non moins decevante est la publication d'une edition partielle, intitulee Tuhfat al-adwar, otu sont reunis tous les poemes strophiques (28 muwashshahat et 1 zajal) du Diwdn (5). Curieusement, l'editeur a choisi de presenter chacune des strophes qui composent ces poemes - rappelons que les muwashshahat sont generale- ment constituees de cinq strophes, d'un refrain initial (matla') et d'un refrain final (kharja) (6) - comme une entite autonome...

Le Tarjuman al-ashwaq a beneficie, il est vrai, de plus d'attention : plu- sieurs traductions ont vu le jour ces dernieres annees (7). Mais, a l'echelle du << Grand Diwan > - cette somme poetique en laquelle Ibn 'Arabi a voulu, j'y reviendrai, consigner l'integralite de sa production en vers -, ce recueil n'est jamais qu'un echantillon du langage poetique d'Ibn 'Arabi. Pour remar- quable qu'il soit, il ne rend compte ni de la richesse des motifs, ni de la diversite des styles qu'embrasse le corpus poetique akbarien. De meme, et quoiqu'elles aient le merite de defricher le terrain, les etudes succinctes parues ces dernieres annees - portant tant6t sur le Diwdn de Builaq, tantot sur le Dwadn al-ma'arif, inedit quant a lui - ne suffisent pas a compenser l'ab- sence d'une etude d'ensemble sur la poesie d'Ibn 'Arabi (8).

Quand on songe aux debuts prometteurs de la carriere d'Ibn 'Arabi en Europe en tant que poete, ce peu d'attention portee a son oeuvre en vers est pour le moins singulier. Etant donne, par ailleurs, le reel interet que susci- tent ses ecrits en Occident et la competence des arabisants qui s'efforcent de

(3) Le Caire, 1994, edite par M. Rikabi al-Rashidi; Beyrouth,1996, edite par A. Hasan Basaj. (4) Pour une description detaillee de l'edition de Bflaq, cf. G. Elmore, < The Bulaq Diwan of Ibn al-

'Arabi: addenda to a tentative description > in Journal of Arabic Literature, XXIX, p. 136-166. (5) Tuhfat al-adwdr, ed. Abd al-Nasir Abi Harfn, Damas, 1996. On relive ici et la quelques variantes

dans les vers qui n'ont de correspondance dans aucune des trois editions (voir, par exemple, p. 91, 3' vers, << yaluh > au lieu de << yh >>, terme que l'on rencontre frequemment dans les vers d'Ibn 'Arabi et qui designe

la demeure d'Idris, le soleil ; ou encore, p. Ill, < la-qatlu >> au lieu de l'imperatif < uqtul >> (tue!) dans une strophe qui refere aux trois episodes qui scandent le compagnonnage de Moise avec Khadir); a noter, d'autre part, que la demiere strophe du dernier poeme de cette serie de 28 muwashshahtat (Beyrouth, p. 422) est absente dans ce recueil.

(6) Sur la structure des poemes strophiques, cf. ElI, << zadjal >>, < musammat >> et < muwashshah >>; voir aussi, J. Monroe, << Zajal and Muwashshaha: Hispano- Arabic Poetry and the Romance Tradition >> in The Legacy of Muslim Spain, Leiden, 1992, pp. 398-419.

(7) Voir la bibliographie in fine. (8) P. Bachmann a consacre de nombreux articles au Diwdn de Bfilaq (voir la liste dans la bibliographie

in fine); ce chercheur allemand est le premier, et le seul a ma connaissance, a avoir tente une etude stylis- tique et philologique approfondie de la poesie d'Ibn 'Arabi; ses investigations en ce domaine, meme si elles ne portent necessairement que sur un petit nombre de poemes, sont done fort precieuses. Voir en particulier: << A propos de quelques poemes mystiques du treiZieme siecle. Essai de rapprochement au Diwan d'Ibn al- 'Arabi >> in Actas del XII congresso de la U.E.A.I, Madrid, 1986, p. 95-122. Voir aussi, Deladriere, << The Diwan of Ibn 'Arabi >, Journal of the Muhyiddin Ibn 'Arabi Society, n? 15, Oxford, 1994, p. 50-57 ; R.W.J. Austin, << Ibn 'Arabi, Poet of Divine Realities >, Muhyiddin Ibn 'Arabi: A Commemorative Volume, ed. par S. Hirstentein et M. Tiernan, Shatesbury, 1993, p. 328-339 ; G. Elmore, << The Bflaq Diwan... >>op. cit C. Addas, << A Propos du Diwdn al-ma'arifd'Ibn 'Arabi >, Studia Islamica, n? 81, 1995, p.187-195 et id. << Le Vaisseau de pierre >, Connaissances des Religions, n? 49-50,1997, p. 7-21.

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la faire connaitre, il vaut la peine de s'interroger sur les motifs possibles de ce desinteret. Avant d'aborder ce probleme, et pour en mesurer veritable- ment l'ampleur, rappelons quelques donnees generales sur le corpus poe- tique d'Ibn 'Arabi, lequel, on 1' aura compris, ne se ramene pas au Tarjumdn al-ashwaq.

Le Repertoire General d'Osman Yahia recense trente ouvrages en vers attribues a Ibn 'Arabi (9), auxquels sont consacrees les notices suivantes: 63; 74; 100; 101; 102; 103; 211; 295; 412a; 463; 465; 484; 517; 542; 564a; 565a; 565b ; 566 ; 567 ; 567a; 568 ; 569 ; 582a; 688 ;748; 749; 757 ; 763a; 767 ; 837. Les ouvrages correspondants aux numeros 63, 688 et 749 sont a rayer de la liste puisque, de toute evidence, ils sont apocry- phes (10). Par ailleurs, pour ceux qui sont repertories aux numeros 74 (al- Bddirat al-'ayniyya), 295 (Inzal al-ghuyub 'ala maratib al-qulub, men- tionne par Ibn 'Arabi dans son Fihris mais qui semble perdu), 582a (Qurd- dat al-'asjad ) et 837 (Juz' al-Zaynabiyyat) (") aucune copie n'a ete recensee, ce qui n'implique pas qu'ils soient definitivement perdus. Enfin, la notice 767 est consacree au Tarjuman al-ashwaq, ouvrage connu de chacun et sur lequel, par consequent, je ne reviendrai pas.

Qu'en est-il des vingt-deux oeuvres restantes pour lesquelles il existe, selon les cas, un ou plusieurs manuscrits ? Celles qui correspondent aux numeros 564a, 565a, 565b, 567, 567a, 568, 569, 763a sont de courtes qastda-s et n'occupent, d'apres la description des manuscrits, que quelques folios (12). C'est egalement le cas du n? 748 qui correspond a un takhmis par Ibn 'Arabi d'une qasida d'Abu Madyan (13). Le n? 412a, al-Manzumadt, se rapporte a un petit recueil de poemes extraits des Futuhat, tandis que le n? 465 se presente comme une anthologie ou sont rassembles des vers et des sentences du Shaykh al-akbar (14). Quant au n? 517, il correspond a un recueil de poemes strophiques, dont 0. Yahia signale une seule copie, eta-

(9) Histoire et classification ..., la liste recapitulative des oeuvres en vers d'Ibn 'Arabi figurant p. 111 du volume I est incomplete et erronee.

(10) Dans le premier cas, il s'agit d'un commentaire anonyme d'un poeme du Tarjumdn; le n? 688 cor- respond a un commentaire par le shaykh Abd Allah Bosnavi (m. 1054/1644) d'une Td'iyya (recens6e au n? 757) attribuee a Ibn 'Arabi et le n? 749 a un takhmis d'une autre Td'iyya (recens6e au n? 566 et 211) 6ga- lement attribuee a Ibn 'Arabi; sur ce sujet voir infra p. 26-28.

(11) Ce Juz' est mentionn6 dans Fut., III, p. 119 oi0 Ibn 'Arabi en reproduit un vers qui figure dans D.M. (ms. B.N. 2348, f. 230) ; par ailleurs, Qinawi cite ce Juz' al-zaynabiydt dans la liste des ouvrages qu'Ibn 'Arabi lui a transmis comme un fragment du o Diwdn , , cf. G. Elmore, << Sadr al-Din al-Qunawi's personal study-list of books by Ibn al-'Arabi >>in Near Eastern Studies, vol. 56, n?3, juillet 1997, p. 173; h ce sujet, voir infra p. 30.

(12) Reste a verifier si tous ces poemes sont bien de la plume d'Ibn 'Arabi, ce qui suppose un examen minutieux des copies existantes.

(13) Cette qasida a 6et publi6e avec le takhmis d'Ibn 'Arabi et le commentaire d'Ibn Ata allah en annexe du Burhdn al-mu'ayyad, un recueil de poemes attribues a A. Rifa'i, Alep, 1962, pp. 146-166. Voir aussi G. Elmore, < Ibn al-'Arabi's << cinquain >> (takhmis) on a poem by Abi Madyan >, Arabica, n? 46, 1998, p. 62-96.

(14) 0. Yahia ne precise pas si cette compilation est veritablement l'oeuvre du Shaykh al-akbar ; le titre, Min kaldm al-shaykh, suggere que tel n'est pas le cas. La meme remarque s'applique au recueil pr6ecdent, R.G., 412a.

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blie d'apres un manuscrit autographe. D'apres les recherches effectuees par G. Elmore (15), cette copie, datee de 892/1487, contient les 20 premieres muwashshahdt du Diwdn, lequel en compte 28 outre un zajal egalement reproduit dans ce petit recueil (16). F. Corriente a souligne, a la suite de Stem, l'importance de ce zajal qui fait d'Ibn 'Arabi un precurseur de Shushtar ; il serait donc opportun, comme il le suggere tres justement, d'entreprendre une etude de la poesie strophique chez Ibn 'Arabi ('7).

Le Repertoire General fait egalement apparaitre 1'existence de trois longues qasida- s. Au n? 463 du R.G. est recense le Minhdj al- 'arif al-muttaql dont il existe de nombreux manuscrits et qui retrace le parcours initiatique en 1007 vers, rimes en < q >>. Mais le style du poeme interdit de penser qu'Ibn 'Arabi

puisse en etre 1'auteur (18). Du reste, selon les indications figurant dans le colo-

phon de la copie de la B.N. de Paris, cette epopee est l'oeuvre du shaykh 'Alwan al-Hamawi (ob. 936/1530) (19) qui en acheva la redaction < dans la nuit du 12 shawwal 931 > (20). En tout etat de cause, et contrairement a l'hypothese emise par G. Elmore (21), ces poemes ne correspondent pas a ceux qui figurent dans le Diwdn, aux pages 60-69 de l'edition de Bulaq.

D'autre part, une Tc 'iyya de plus de 400 vers, en metre tawil, est egale- ment attribuee a Ibn 'Arabi au n? 757 du R.G. Mais les manuscrits dont on

dispose sont tous tardifs (debut du XPe/XVIIe) et l'examen extere de ces

copies ne permet pas de trancher la question de l'attribution. Quant au

poeme lui-meme, il porte indiscutablement l'empreinte de la doctrine akba- rienne, ce qui est aussi le cas, est-il besoin de le souligner, de nombreux ecrits dont Ibn 'Arabi... n'est pas l'auteur. I1 est certain que la premiere par- tie de cette longue qasida, qui decrit le voyage du verus propheta de siecle en siecle jusqu'a sa manifestation pleniere dans la personne du Prophete Muhammad, est ordonnee par une thematique presente chez Ibn 'Arabi, mais qui ne lui est pas propre (22). On la trouve notamment formulee chez All

(15) < The Bulaq Diwan... >, p. 146. (16) Ces 29 poemes strophiques figurent dans l'edition de Beyrouth, 1996, p. 81-89; 105-108; 110-111;

115-119; 124-125; 184-190; 198-203 (le zajal figure p. 202-203); 363-366; 385-387; 415-418 ; 421-422. Soit dit en passant, ce nombre de 28+1 est interessant puisqu'il correspond aux 28 lettres de l'alphabet plus le dlm-alif, que certains auteurs, dont Ibn 'Arabi, considerent comme une lettre a part entiere (a ce sujet, cf. Emir Abd el-Kader, Ecrits spirituels, pr6sent6 et traduit par M. Chodkiewicz, Paris, 1982, chap. 22, note 97). De meme, le Diwdn al-mu'ashshardt comprend 29 poemes correspondant successivement aux 29 lettres de l'alphabet ( voir infra ); rappelons que le nombre 29 est aussi celui des sourates commencant par les < lettres lumineuses >.

(17) < La poesia estrofica de Ibn al-'Arabi de Murcia >>, Sharq al-Andalus, vol. 3, 1986, pp. 19-24. (18) Je remercie D. Gril d'avoir attir6 mon attention sur le caractere apocryphe de cette ceuvre et de

m'avoir procur6 une copie du Vatican (ms. 294, f. 241 b-277). (19) Sur ce personnage, cf. Zirikli, al-A'ldm, IV, p. 312 ; Ibn al-Imad, Shadhardt al-dhahab, Beyrouth,

1979, VIII, p. 217-218 ; E. Geoffroy, La soufisme en Syrie et en Egypte, Damas, 1995, s.v., index. (20) Ms. 4719, f. 105b. (21) Cf. , << The Bilaq Diwan >, p. 146. (22) Voir en particulier, Futuhdt, ed. Bulaq, 1329h., 1II, p. 142 ; sur le theme du verus propheta, cf.

M. Chodkiewicz, Le Sceau des saints, Paris, 1986, chap. IV ; voir aussi, Ibn Qasi, K. khal al-na'layn. edite et presente par M. Al-Amrani, p. 151 sqq.

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Wafa (23) (m. 807/1404) dont l'enseignement etait fortement marque par l'influence d'Ibn 'Arabi et qui fut poete a ses heures (24) ; Sha'rani indique, en outre, que son pere, le shaykh Muhammad Wafa, est l'auteur d'une Ta'iyya (25). L'attribution de cette Tti'iyya a l'un des deux Wafa constitue done, me semble-t-il, une hypothese qu'il vaut la peine d'explorer (26). Tou- jours est-il que la khamriyya qui succede a ce theme du verus propheta est d'une tonalite tres etrangere a l'oeuvre poetique du Shaykh al-akbar, lequel n'a recours au symbolisme du vin que de fagon tres ponctuelle (27). Par ailleurs, les termes dans lesquels l'auteur de la Tad'iyya denonce le dogme chretien relatif a la nature divine de Jesus et a sa crucifixion (28) ne me paraissent pas correspondre aux traits caracteristiques de la christologie akbarienne (29). Autre indice plus decisif encore, l'allusion, dans le demiers vers, au sarab, ce < mirage > dont il est question dans la sourate 24:39: l'in- terpretation que donne 1'auteur de la Ta'iyya de ce verset coranique, si elle est conforme a celle des commentaires classiques, contredit radicalement la lecture qu'Ibn 'Arabi fait de ce verset (30).

Enfin, une autre Ti'iyya, intitulee tantot al-Hajj al-akbar, tantot al- Qasida al-mawsuma bi-kitab al-tawhidfi sifat al-majid (R.G. 566 et R.G. 211), est egalement attribuee a Ibn 'Arabi, notamment par Hajji Khalifa (31).

Beaucoup plus longue que la precedente puisqu'elle compte mille vers (32),

cette Tca'iyya - en metre tawil egalement - presente des consonnances akba- riennes plus marquees encore, en particulier dans la terminologie. Les termes de barzakh, tajallt, lahut, nasut, par exemple, y apparaissent a de nombreuses reprises. Mais, comme l'a montre M. Chodkiewicz, ces vocables et bien d'autres qui appartiennent au lexique d'Ibn 'Arabi ont rapidement infiltre toute la litterature du tasawwuf (33) ; leur occurence dans un texte n'implique donc pas necessairement qu'il soit de la plume du Shaykh al-akbar. Pareillement, les allusions qu'on releve ici et la a la notion de wirdtha et a celle, qui n'apparait qu'en filigrane dans le poeme, de

(23) Cf. Sha'ran, al-Tabaqdt al-kubrd, Le Caire, 1954, II, p. 21. (24) Sur Ali Wafa, cf. la longue notice que lui consacre Sha'rani dans les T. Kubrd, II, p. 22-65 ; Ibn al-

Imad, Shadharat al-dhahab, Beyrouth, 1979, VII, p. 70-72 ; E. Geoffroy, Le Soufisme en Egypte et en Syrie, s.v. index.

(25) T.K., II, p. 21. (26) Les recherches de R. Atlagh qui pr6pare une edition critique de cette Td 'iyya apporteront sans doute

la lumiere sur ce probleme d'attribution. (27) On releve, par exemple, quelques apparitions fugaces de ce theme dans quelques vers du Tarjumdn

al-ashwdq, Beyrouth, 1966, p. 55,67, 114, 175. (28) Ms Nafiz Pacha 685, p. 545 ; Je remercie M. Tahrali de m'avoir procur6 une copie de ce manuscrit. (29) Parmi les textes sur lesquels devrait se fonder une analyse de cette christologie signalons, inter alia

les chapitres 20 et 37 des Futuhat ainsi que le paragraphe du chapitre 559 (IV, p. 332) qui r6sume les << secrets >> du chapitre 20 ; voir aussi le chapitre 15 des Fusiis et le r6cit de la visite au 2d ciel dans le Kitdb al-isra'. D'autres indications sont a relever dans le K. al 'abtdila, dans les Tanazzuldt mawsiliyya, dans le Diwdn, etc.

(30) A ce sujet, voir M. Chodkiewicz, Un Ocean sans rivage, Paris, 1992, p. 61-62. (31) Kashf al-zunun, Beyrouth, s.d., I, p. 632. (32) Ms. Carullah 2111, f.189b. oi l'auteur pr6cise qu'il s'agit d'une alfiyya; la racine << a.l.f. > apparait

d'ailleurs, avec des sens divers, h de nombreuses reprises tout au long du poeme. (33) Un Ocean sans rivage, introduction.

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<< sceau de la saintet >> - << Tout saint, declare le poete, qui fut ou sera est sous ma juridiction ou le substitut de ma saintete (34) > - ne constituent pas des indices pertinents dans la mesure ou on les releve aussi chez des auteurs posterieurs a Ibn 'Arabi. Notons, a ce propos, que le shaykh Ali Wafa assi- gnait a son pere, Muhammad Wafa, la fonction de < Sceau des saints > (35). Or, d'apres les indications figurant dans l'incipit de la copie Carullah 2111 (36), Muhammad Wafa serait 1'auteur de cette qasida de mille vers et intitulee ici al-Hajj al-akbar. Mais deux autre copies attribuent la paternite de ce poeme, fort beau au demeurant, a Ibn 'Arabl. L'une, appartenant a ce meme fond Carullah 2111 (37), reproduit un takhmis inacheve de cette T 'iyya- alfiyya ; le copiste la designe sous le nom de al-Qasida al-maw- suma bi kitdb al-tawhid fi sifdt al-majid et precise que son auteur, Ibn 'Arabi, avait entrepris d'en faire un takhmis jamais acheve (38). Quant a la seconde, elle figure en tete du < Diwan >> attribue a Ibn 'Arabi au n? 100 du R.G et sur lequel je vais revenir. En l'absence d'elements plus solides, on ne peut donc se prononcer sur 1'attribution de cette seconde Ti iyya (la pre- miere n'etant certainement pas, a mon avis, d'Ibn 'Arabi). I1 est remar- quable a tout le moins qu'aucune mention d'une T 'iyya de mille vers ecrite par Ibn 'Arabi n'a ete relevee a ce jour - a ma connaissance - dans ses oeuvres ou celles de ses disciples (39).

Comme les cinq autres recueils qu'il me reste a examiner, le ? Dwan >> recense au n? 100 du R.G. est beaucoup plus volumineux que les ouvrages precedents ; il n'occupe pas moins de 60 folios dans le manuscrit - appa- remment unique - conserve au British Museum (ms. 614). I1 s'avere toute- fois a la lecture du document qu'il ne s'agit pas d'une oeuvre en propre d'Ibn 'Arabi, mais d'un florilege, compile par quelque admirateur du Shaykh. On y trouve pele-mele, outre la Td iyya susdite, des poemes provenant du Tar- juman, des Fusus, des Mawaqi' al-nujum et du Diwan al-mu'ashsharait, lequel fait l'objet de la notice 484 de l'inventaire d'O. Yahia.

Aux indications que donne celui-ci, ajoutons que chacun des 29 poemes de ce Diwan est en correspondance avec l'une des 29 lettres de l'alphabet arabe- lettre par laquelle debute et se termine chacun des vers d'une piece; par ailleurs, chaque poeme comporte dix vers (a l'exception du poeme 20 qui en compte 11), d'oui le titre de < mu 'ashshardt >. Relativement court, ce

(34) Ms Carullah 2111, f. 180. (35) Sha'rim, T. kubri, II, p. 21. (36) Ms. Carullah 2111, f. 163-189b, dat6 du 16 shawwdl 1001/15 juillet 1593 et en parfait etat ;je remer-

cie M. Tahrali de m'en avoir procur6 une copie. (37) Ms Carullah 2111, f. 156-158. (38) La copie est non dat6e mais elle est apparemment du meme scribe que celui qui, dans les folios pre-

cedents (f155-155b), a transcrit le K. al-mim wa l-nun ... (R.G. 462), en 915H, selon le colophon; le takhmis ne concere que les 45 premiers vers de la Td'iyya-alfiyya.

(39) Notons que Mu'ayyad al-Din Jandi est, lui, l'auteur d'une Ta'iyya de mille vers, <<fi 'ilm al-haqiqa >, precise-t-il ( cf., Sharh fusus al-hikam, ed. Ashtiyani, Meshhed, 1982, p. 468) ; Jami en cite deux vers dans les Nafahdt al-uns, ed Teheran, 1337, p. 559.

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L'CEUVRE POETIQUE D'IBN 'ARABI ET SA RECEPTION

recueil est integralement reproduit dans le Dwain, aux pages 218-232 de l'edition de Bulaq (40).

La notice 542 du R.G. consacree au Nazm al-futuh al-makkt, est pour le moins laconique ; O. Yahia omet d'indiquer que les innombrables pieces de ce volumineux recueil proviennent en fait des Futuhat (sont ici retranscrits tous les vers depuis le prologue jusqu'au chapitre 320 inclus), ce que sug- gere explicitement le titre (41). Du moins ce recueil est-il authentique ; plu- sieurs certificats de lecture - dont l'un, date de 630 h., ecrit de la main d'Ibn 'Arabi (42) - attestent que ce dernier est bien a l'origine de cette somme poe- tique des Futuiht. Il n'en va pas de meme pour le Diwan ishraq al-bahd' attribue a Ibn 'Arabi dans la notice 103 du R.G. Des les premieres lignes de l'introduction, le redacteur specifie qu'il a reproduit dans ce recueil divers poemes d'Ibn 'Arabi qu'il a choisi de presenter en ordre alphabetique (43) de rime. I1 s'agit donc, de toute evidence, d'un ouvrage apocryphe, redige, selon une indication figurant in fine, en dhu l-hijja 1011/1603.

Venons-en aux deux oeuvres majeures du corpus poetique akbarien, Le Diwan al-ma 'drif (desormais D.M.) (44) et le Dfwan al-Shaykh al-akbar (ie le Diwan imprime a Bulaq) etudies respectivement dans les notices 101 et 102 du Repertoire General. Rappelons que D.M. est mentionne a la fois dans le Fihris (45), sous le titre de K. al-ma'arif al-ilahiyya wa l-lata'if al- rabbaniyya, et dans l'lIjaza au prince Muzaffar (46), ou il est intitule sim-

plement: al-Ma 'arif al-ildhiyya. Dans la longue et riche preface qui inau- gure D.M. (47), le Shaykh al-akbar indique qu'il a tente de consigner dans

(40) Pour plus de d6tails sur ces mu'ashshardt, cf. P. Bachmann, << De l'invective contre la fatalite a 1'amour du destin : une ligne de d6veloppement dans la po6sie arabe ? A propos d'un poeme du Diwan d'Ibn al-'Arabi >, Q.S.A., 5-6, p. 76s.; << A propos de quelques poemes mystiques du treizieme siecle. Essai de rap- prochement au Diwan d'Ibn al-'Arabi > in Actas del XII congresso de la U.E.A.I, Madrid, 1986, p. 95-122; dans la note 16 de cet article P. Bachmann signale l'existence d'une Qasidat al-mu'ashshardt, comprenant donc 290 vers (10 vers pour chacune des 29 lettres de l'alphabet qui, successivement, d6butent et terminent les vers du poeme) attribu6e a Ibn 'Arabi.

(41) Je remercie M. Bakri Aladdin et M. Riyad al-Maleh de m'avoir procure une copie du manuscrit d'Alep, Ahmadiyye, 774, f.1-120.

(42) Parmi les personnes mentionnees dans ce samd', on releve le nom de Maryam bint Ibn Abdun, l'une des 6pouses d'Ibn 'Arabi (f. 120).

(43) Ms. Carullah, 1654, f.lb. (44) Le titre complet de l'ouvrage, tel qu'Ibn 'Arabi le mentionne dans le prologue, est: Diwdn al-

ma'drif al-ildhiyya wa l-latd'if al-rabbdniyya ; cependant, dans cette meme preface, l'auteur lui donne aussi- et meme d'abord- le titre de K. tanazzul al-arwdh bi l-rawh wa l-rayhdn... etc.; si le premier titre (Diwin al-ma'drif...) r6efre au contenu du recueil, le second- qui n'est pas sans rappeler celui des Tanaz- zuldt mawsiliyya (sur le titre complet de cet ouvrage, voir l'edition du Caire, 1986, p. 113 et R.G. n? 762)- se rapporte a la modalit6 de sa < descente >> sur l'auteur. Cf. C. Addas, << A propos du Diwan al-ma'arif d'Ibn 'Arabi >, p. 188.

(45) Ed. Afifi, in Revue de lafaculte des lettres d'Alexandrie, 8, 1954, p. 200, n? 72. (46) Ed. Badawi, in Quelques figures et themes de la philosophie islamique, Paris, 1979, p.184. Dans

l'Ijdza decefn6e a Qfinawi, on trouve simplement la mention << Diwdn > ; cf. G. Elmore, < Sadr al-Din al- Qfinawi's personal study-list ... >, p. 173.

(47) Ms B.N. Paris, 2348 f.35b-38 ; ms Fatih, 5322, f. 213-214b.

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ce recueil l'ensemble de sa production poetique (48). D'ou le titre de << Grand recueil >, al-Diwan al-kabir, que lui adjoint le Shaykh dans son Ijaiza et qui figure egalement a la fin du Diwan de Bulaq lequel est, selon toute vraisemblance, l'un des membra disjecta de cette vaste somme poe- tique dont la redaction s'est etendue sur plusieurs annees (49). La mention dans le chapitre 332 des Futuhat d'un vers dont Ibn 'Arabi precise qu'il provient du Juz' al-zaynabiyyat corrobore cette hypothese (50). En effet, dans l'Ijaza qui lui a ete octroyee par le Shaykh al-akbar, Qufnawl cite ce Juz' al-zaynabiyyat- dont 0. Yahia n'a recense aucune copie- en specifiant qu'il fait partie du ? Diwan ? (51). Or ce vers ne figure pas dans le Diwan de Bulaq; il apparait, en revanche, avec le poeme dans lequel il s'inscrit dans le Diwan al-ma'arif non pas, soulignons-le, dans la portion de D.M. qui recense les vers contenus dans les Futuhat (52) mais dans une serie de courtes sections qu'ordonne le registre de 1'amour (53). Ibn 'Arabi indique d'autre part, a propos des poemes du chapitre 178 des Futuhat qui porte sur 1'Amour que plusieurs d'entre eux ont ete reportes dans la section des << zaynabiyyat wa l-ghazaliyyadt > de D.M (54). Les poemes manquants appa- raissent, de fait, dans cette meme serie de poemes d'amour ou figure le vers du chapitre 332 susmentionne et ou l'on releve a plusieurs reprises la men- tion de << Zaynab > (55). I1 est donc vraisemblable que cette partie du Diwdn al-ma 'arif soit la reproduction - partielle ou integrale ? - du Juz' al-zay- nabiyydt, encore que le copiste ne donne aucune indication a ce sujet. Il importe de souligner a ce propos que le texte de D.M. - tel, du moins, qu'il nous est conserve dans le manuscrit de Paris - fait apparaitre l'intervention d'un redacteur, ce qui est aussi le cas, au demeurant, du Diwan de Bulaq (56). Dans l'un et 1'autre recueil en effet, chaque poeme est precede de la formule < wa qala aydan >> qui ne peut evidemment etre le fait d'Ibn 'Arabi. Mais on observe egalement que de nombreux poemes sont prece- des ou suivis d'indications biographiques, voire auto-biographiques puis- qu'enoncees a la premiere personne, donnant des informations singuliere- ment precises et detaillees sur les circonstances qui ont entoure la

(48) Une reconstitution tributaire de sa memoire- car il n'avait pas toujours les manuscrits a sa disposi- tion (a ce sujet, voir, << A propos du Diwan... >, p. 194-195) - et, partant, incomplete ; le shaykh affirme a ce sujet: << ceux [des vers] que j'ai oubli6s sont plus nombreux que ceux dont je me souviens > (Ms. B.N. f.37).

(49) Cf. << A propos du Diwan... >>, p. 194. (50) Fut., II, p. 119.

(51) Cf. G. Elmore, < Sadr al-Din al-Qfnawi's personal study-list of books by Ibn al-'Arabi >> in Near Eastern Studies, vol. 56, n? 3, juillet 1997, p. 173.

(52) Sur le recensement des vers des Futuhdt dans D.M., cf., << A propos du Diwan... >, p. 190. (53) Ms. B.N. 2348, f. 230 ; rappelons que D.M., dans la copie de la B.N. que nous avons consultee, est

subdivise en sections assez courtes: 2 a 3 folios parjuz'; d'apres le copiste (f. 139b) les 45 premieres sec- tions constituent le premier tome (egalement appele juz. ) - la fin de la 45' section coincidant avec les der- niers vers du derier chapitre des Futuhdt - les autres tomes ne sont malheureusement pas indiques.

(54) Cf. f. 92. (55) Les poemes manquants figurent f. 228, 229b, 230b, 232. (56) A ce sujet voir I'hypothese emise par G. Elmore dans << The Bulaq Diwan... >>, p. 152-153.

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naissance de ces vers ; ce qui suggere-que le redacteur, quel qu'il fut, s'est appuye sur le texte original.

En tout etat de cause, un nombre important de pieces en vers provenant de divers ecrits d'Ibn 'ArabT sont reproduits tantot dans D.M., tant6t dans le Diwan de Builaq (57); c'est notamment le cas des vers figurant dans les Futu- hdt, les Fusus, les Tanazzuldt mawsiliyya et le Tarjumacn al-ashwaq, qui sont integralement retranscrits dans D.M (58). Restent cependant des centaines de pieces dont nous ignorons la provenance ; sans doute ont-elles en partie leur source dans le < Inzdl al-ghuyub >, ce recueil de poesie qu'Ibn 'Arabi men- tionne dans le Fihris parmi ses ouvrages perdus (59) ?

Fastidieux mais necessaire, l'etat des lieux - encore provisoire - que j'ai succinctement dresse demontre amplement que, contrairement a une opinion couramment admise, Ibn 'Arabi n'est pas l'auteur d' < un petit nombre de poemes > (60) ; il a donne le jour a un vaste corpus poetique qui attend patiemment que quelques vaillants chercheurs veuillent bien l'exhumer. Minimiser l'importance quantitative de l'oeuvre poetique d'Ibn 'Arabi est, de toute evidence, une erreur; sous-estimer la valeur didactique du message qu'elle vehicule ne le serait pas moins : << Sache, declare Ibn 'Arabi a pro- pos de la qasida qui ouvre le chapitre 293 des Futuhat, que ce poeme - et cela est vrai de chacun des poemes qui inaugurent les chapitres de ce livre - ne vise pas a resumer ce que detaillerait l'expose du chapitre ou a le com- menter. La poesie [qui figure en prelude a chaque chapitre] fait partie inte- grante de l'explication du sujet debattu dans le chapitre. En consequence, ce qui s'y trouve enonce n'est pas repete au cours de l'expose. Ii convient d'examiner ces poemes en tant qu'ils apportent une explication au sujet du chapitre, au meme titre qu'il faut examiner l'expose en prose. Ces poemes contiennent des donnees relatives au sujet etudie qui ne se trouvent pas for- mulees dans l'expose du chapitre... > (61) Cette affirmation - reiteree a la fin du chapitre 415 (62) _ suggere l'une des voies d'approche qui conduiraient a une analyse en profondeur de la poesie akbarienne: elle consisterait a operer une comparaison methodique, parmi quelques chapitres des Futuhdt choisis comme exemples, entre le contenu du poeme liminaire et celui du discours

(57) Pour plus de details sur les poemes identifies dans le Diwdn de Bfulq, cf. R. Deladriere, < The Diwan of Ibn 'Arabi >> et G. Elmore, << The Bfulq Diwan... >.

(58) Sur les poemes du Diwdn al-ma'drif, cf. << A propos du Diwdn al-ma'drif... >, p.190 ; aux indica- tions qui y figurent, ajoutons que les poemes contenus dans la Risala ild Abi M. al-Ghazzdl (R.G. 611) sont reproduits f. 65,65b.,92b. ;de meme les poemes du K. manzil al-mandzil (R.G. 412) sont reproduits avec les

poemes des Futniht - ils figurent en effet dans le chapitre 22- f. 76b.-77b. (59) Notons a ce sujet que trois des poemes du Ruh al-quds proviennent du Inzdl al-ghuyib ; Ibn 'Arabi

precise a ce propos qu'il les cite de memoire et de faqon incomplete (Ruh, ed. Damas, 1970, p. 82, 91, 92); l'un de ces poemes (p.92) est reproduit dans le K. al-lsrd' (ed. Su'ad Hakim, Beyrouth, 1988, p. 102-103) et dans D.M., f. 248b.; un second poeme (Ruih p. 91) est egalement pr6sent dans D.M., f. 235.

(60) Annemarie Schimmel, Le Soufisme ou les dimensions mystiques de l'Islam, p. 340, Paris, 1996. (61) Fut., II, p.665. (62) Fut., IV, p. 21.

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en prose qui lui fait suite. Nous nous proposons d'entreprendre une etude de ce genre.

Qu'il faille etendre a l'ensemble de sa production poetique ce qu'Ibn 'Arabi enonce ici a propos des poemes liminaires des Futuhat - a savoir que sa poesie ne merite pas moins d'attention que sa prose -, c'est d'ailleurs ce que laissent pressentir d'autres textes dans lesquels il evoque la fonction proprement initiatrice qu'il assigne a l'ecriture poetique en general et a la sienne en particulier dont il ne cesse de proclamer le caractere inspire (63).

Cette invitation a penetrer son univers poetique n'a cependant guere ete entendue des chercheurs (64) et ce versant du patrimoine akbarien demeure, pour une large part, terra incognita. II est certain que la poesie, et singuliere- ment la poesie mystique, se prete difficilement a la traduction et aux gloses erudites. La Ta'iyya d'Ibn al-Farid, le Mathnawi de Rumi ont neanmoins fait l'objet de nombreuses recherches et sont depuis longtemps accessibles en langues occidentales. D'autre part, il est souvent malaise de se procurer les manuscrits (ils existent nous l'avons vu, et meme en grand nombre s'agissant du Diwan) mais les ecrits en vers d'Ibn 'Arabi ne sont pas moins accessibles que ses textes en prose dont beaucoup, la tenacite aidant, ont ete exhumes des fonds de bibliotheques ou ils sommeillaient. Ceci n'explique donc pas cela et c'est ailleurs qu'il faut chercher les raisons de ce desinteret pour le patrimoine poetique que nous a legue Ibn 'Arabi. Hasardons quelques hypotheses.

Comme d'autres auteurs arabes, Ibn 'Arabi a vraisemblablement pati du vieux prejuge - auquel se rallie d'emblee Nicholson dans l'introduction de son dtude sur le Tarjuman al-ashwdq - selon lequel la poesie persane ne sau- rait etre egalee : les Arabes, s'ils excellent dans l'art de la rhetorique, seraient d'une gaucherie consternante quand ils se risquent a versifier. Dans la preface qu'il a redigee pour la seconde edition de la traduction anglaise du Tarjumdn al-ashwaq, Martin Lings s'est insurge - encore que tres courtoi- sement - contre cette idee recue. II est en effet quelque peu absurde de vou- loir comparer avec des criteres identiques deux traditions poetiques foncie- rement differentes.

Cet a priori tenace, aujourd'hui encore frequemment formule par d'emi- nents specialistes du soufisme - lesquels, le plus souvent, connaissent bien mieux la poesie persane que la poesie arabe qui, pour etre appreciee, exige de vastes competences en linguistique et en metrique - a certainement contribuea e carter toute velleite d'explorer le champ poetique akbarien au dela des limites tracees par Nicholson et que circonscrivent les poemes du Tarjuman al-ashwdq. II me semble cependant que le facteur le plus decisif

(63) A ce sujet voir, C. Addas, < Le Vaisseau de pierre >. (64) Notons toutefois que quelques auteurs arabes contemporains ont publie des etudes relatives a la poe-

sie akbarienne. Signalons l'article du Dr. Zaki Najib Mahmfd, << Tariqat al-ramz inda Ibn 'Arabi > in Ibn 'Arabt, al-kitab al-tidhkdri, Le Caire, 1969, pp. 70-104; l'ouvrage de Abd al-Aziz Sayyid al-Ahl, Muhyx 1- din b. Arabi, nin sli'rihi, Beyrouth, 1970 celui du Dr. Sulayman al-Attar. Al-khayal wa I-shi'r fi tasawwluf al-andaluls, Le Caire, 1981.

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a 6et la decouverte des theses majeures de la doctrine d'Ibn 'Arabi, telles qu'elles sont notamment exposees dans les Fusus al-hikam. La publication du Tarjuman a ete suivie de pres, ne l'oublions pas, par celle des travaux de Nyberg et d'Asin Palacios qui revelaient en la personne d'Ibn 'Arabi un << docteur mystique > - un saint Thomas d'Aquin et un Maitre Eckhart rolled into one -, elargissant de maniere considerable le champ des investigations. De nouvelles perspectives s'ouvraient aux chercheurs et le brillant meta- physicien des Fusus a rapidement eclipse le chantre de l'amour du Tarju- man. En d'autres termes, Ibn 'Arabi poete, a ete victime de la fascination qu'a exercee et exerce encore l'autre versant de son ceuvre, celui qui embrasse ses innombrables traites.

Au vrai, on observe un phenomene analogue au sein meme de 1'<< ecole >> akbarienne, y compris dans sa branche qu'on peut designer comme < ira- nienne >> lato sensu. Un simple coup d'oeil au Repertoire General suffit a constater que si les ecrits en prose d'Ibn 'Arabi, en particulier les Fusus, ont genere une multitude de commentaires dans toutes les langues vemaculaires de l'islam, il n'en va pas de meme de ses ecrits en vers. Cinq seulement des trente ouvrages de poesie attribues a Ibn 'Arabi dans le R.G. sont connus comme ayant fait l'objet de commentaires : la Qastdat al-mu'ashsharait (et non le Diwan al-mu'ashshardt, comme l'indique 0. Yahia) (65) commentee par un auteur contemporain ; le Tarjuman, dont trois poemes seulement ont ete commentes ; la Td 'iyya recensee au n? 757 et attribuee, a tort me semble- t-il, a Ibn 'Arabi, commentee par un auteur turc (66) ; la qasida 'ishqiyya (R.G.565b) et, enfin, le Diwan de Bulaq dont on possede un commentaire anonyme inacheve. En sus de ces ouvrages, 0. Yahia signale l'existence de plusieurs commentaires - parmi lesquels deux sont attribues a Nabulusi - portant chacun sur quelques vers extraits d'oeuvres diverses d'Ibn 'Arabi (67), notamment un distique fameux (Nous etions des lettre sublimes...) dont la source est incertaine (68) et qui a inspire de nombreux auteurs (69).

Meme en supposant que cette liste ne soit pas exhaustive, ce qui est sans aucun doute le cas, il est manifeste que l'oeuvre poetique d'Ibn 'Arabi a fait couler beaucoup moins d'encre que son oeuvre en prose. Non qu'il n'y ait eu des poetes parmi les disciples proches et lointains du Shaykh al-akbar ; Iraqi (m. 1289), Jami (m. 1492), pour ne citer qu'eux, sont les illustres represen- tants d'une tradition poetique d'inspiration akbarienne et de langue persane ; 'Afif al-Din Tilimsani est egalement l'auteur d'un Dtwdn de grand renom.

(65) A ce sujet, cf. P. Bachmann,< A propos de quelques poemes mystiques du treizieme siecle. Essai de rapprochement au Diwan d'Ibn al-'Arabi > in Actas del XII congresso de la U.E.A.I, Madrid, 1986, p. 95- 122, note 16.

(66) Voir R.G. n? 688. (67) Cf., R.G., Addenda A, II, p. 532-538. (68) Selon les Lata'ifal-i'ldm (Le Caire, 1996, I, p. 407, et II, p. 389) ces vers seraient extraits du Kitdb

al-mandzil al-insdniyya (R.G. 406 a), ouvrage dont 0. Yahia n'a trouv6 aucun manuscrit. (69) Cf. R.G., Addenda A, n? 1, 4, 6, 8, 18, 19, 20.

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Qui plus est, le premier commentaire de la fameuse Td'iyya d'Ibn al-Farid est l'ceuvre d'un akbarien, Sa'd al-Din Farghani (m. 1300) lequel s'est ins- pire pour le rediger des remarques verbales de Sadr al-Din Qunawi, disciple majeur du Shaykh al-akbar. Qashani, Tilimsani, Qaysari et, beaucoup plus tard, Nabulusi, lui emboiteront le pas. Ce n'est donc pas faute d'apprecier la poesie que les representants de l'ecole akbarienne ont privilegie l'oeuvre en prose d'Ibn 'Arabi par rapport a son oeuvre en vers dont ils n'ignoraient pourtant pas l'existence: Nabulusi, par exemple, outre les deux commen- taires susmentionnes, se refere au Dlwan al-mu'ashshardt dont il reproduit un extrait (70) tandis que Sadr al-Din Qunawi cite ici et la des vers de son maitre (71). Qu'ils aient ete eblouis, a l'instar des Occidentaux, par la richesse vertigineuse de la metaphysique akbarienne telle qu'elle se deploie dans les Fusus al-hikam, cela ne fait aucun doute. Ii est significatif d'ailleurs que, pour une large majorite, les interpretes d'Ibn 'Arabi - notamment ceux qui se rattachent au courant < iranien > - ont centre leur reflexion sur les Fusus que, tour a tour, ils n'ont cesse de commenter jusqu'a nos jours (Khomeyni etant, a cet egard, l'exemple contemporain le plus notoire). I1 se peut, d'autre part, que le commentaire du Tarjuman al-ashwdq qu'Ibn 'Arabi a lui-meme redige (72) ait dissuade ses disciples immediats et posterieurs d'entreprendre une demarche similaire. L'interpretation extremement complexe, voire sophistiquee, au sens noble du terme, que le Shaykh donne de ses propres vers ne laisse pas de deconcerter celui qui en entreprend la lecture.

Le langage poetique revet en effet chez Ibn 'Arabi un caractere delibere- ment hermetique et presente comme tel par l'auteur du Diwain al-ma'drif qui, dans le prologue, indique qu'il use dans ses vers d'un langage code (73) et qu'il ne convient pas, en consequence, de s'en tenir au sens obvie: quelque symbole qu'il emploie, il n'a jamais en vue < que des sciences divines et des secrets seigneuriaux >> (74). C'est cela, au demeurant, qui dif- ferencie la poesie profane - celle des poetes < egares > que stigmatise la sou- rate 26 - de la poesie mystique, celles des << hommes de Dieu >. Les seconds, comme les premiers, chantent l'amour qui les consume et en des termes sou- vent identiques ; mais, par-dela les visages multiples qu'ils lui pretent et les noms qu'ils lui donnent, c'est l'Eternel - et lui seul - que celebre leur hymne. Entre < poesie blamable >> (shi'r madhmum) et < poesie louable >> (shi'r mahmud), la diff6rence de statut, constate Ibn 'Arabi, ne tient qu'a l'intention qui la feconde (75).

(70) al-Radd al-matin, ms. Zahiriyya, 9872, f.32b ; Jawdhir al-nusis fi hall kalimdt al-fusus, Istambul, 1304h., p.14; G. Elmore, << The Bflaq DTiwn... >, p. 150.

(71) Voir, par exemple, al-Nafahat al-ildhiyya, ed.1417h., p. 74, 215; al-Murdsalat bayna Sadr al-Din Qunawi wa Nasir al-Din Tiisi, ed. Gudrun Schubert, Beyrouth, 1995, p. 41;

(72) Cf. R.G. n? 116. (73) Ms. B.N., 2348, f. 36b. (74) Cf. f. 37b. (75) Sur ce point, cf. Fut. II, p.562, IV, p.51-52 et le poeme liminaire du chapitre 358 lequel correspond

au manzil de la sourate al-shu 'ard.

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Ainsi, a la question dogmatique qui sous-tend ce discours - si Dieu a pros- crit au Prophete l'usage du langage poetique, ne faut-il pas en ddduire que ce mode d'expression est par nature mauvais et, partant, blamable dans tous les cas ? - le shaykh al-akbar repond, cela va sans dire, par la negative. Les envoyes de Dieu, souligne-t-il a ce propos, se doivent d'exposer la veritd en un langage clair et accessible a l'entendement de tout un chacun (76). Le discours en prose satisfait a cette exigence en ce qu'il autorise des formulations expli- cites et ddtaillees ; il constitue de la sorte le vecteur ad6quat d'une connaissance distinctive des mysteres divins. Le langage poetique en revanche, tisse d'allu- sions (ishdrat) et de symboles (rumuz) que seuls les inities sont en mesure de dechiffrer, n'offre qu'une expression synthetique et intuitive des realites sub- tiles (haqd 'iq). La poesie, precise Ibn 'Arabi a ce sujet, ne participe pas du 'ilm, la connaissance, mais du shu'uar, 1'<< intuition >> (77), autrement dit la perception globale et immediate des haqa'iq dont elle rend compte par des symboles qu'elle puise dans le barzakh, ce monde intermediaire oiu les intelligibles reve- tent une forme. La distinction qu'etablit ainsi Ibn 'Arabi entre poesie et prose n'est pas sans presenter une relation d'analogie avec celle qu'il mentionne a diverses reprises entre la Revelation comme qur'an (re9ue en mode synthe- tique) et commefurqan (reque en mode distinctif), la premiere etant immddiate et instantande, la seconde mediate et ddployee dans le temps.

Quoi qu'il en soit, la poesie d'Ibn 'Arabi est d'un abord difficile et son inter- pretation un exercice d'autant plus perilleux qu'il ne suffit pas de maitriser la grammaire et la mdtrique arabe. Du reste, Ibn 'Arabi ne se considere pas comme 1' << auteur >> stricto sensu de ses vers ; il n'est, dit-il, qu' << un scribe (kdtib) qui transcrit (muqayyid) ce que lui dicte l'inspiration divine (78) >. Bien des affirmations similaires scandent le prologue du Diwan al-ma'adrif: << Tout ce que contient ce Diwdan est dict6e divine, sainte insufflation de l'Esprit, heri- tage sublime et bon... > (79) ; ou, encore: << Je mentionnerai dans ce livre que j'ai intitule Le Recueil des connaissances divines et des subtilites seigneuriales une partie de ce que Dieu a place sur ma langue {... } et en cela je n'ai aucune- ment fait usage de la reflexion, mais tout ceci procede d'inspirations seigneu- riales, d'insufflations de l'Esprit... > (80). De fa,on plus solennelle, il proclame au terme de l'introduction: << Dans tout ce que j'enonce, que ce soit en prose ou en vers, il n'y a pas un waw, un fd ou une particule de trop, ni jamais la moindre redondance > (81). Or n'est-ce pas la, en definitive, le propre de l'in-

(76) Cf. D.M., f. 37. (77) Fut., II, p. 143, 274, III, 458 ; si, dans ces passages, Ibn 'Arabi evoque la solidarit6 entre shi'r et

shu'ur, dans d'autres textes il etablit un parallele entre le shu'ufr et le magistere du sceau de la saintete muhammadienne - symbolise par un cheveu (sha'ra) - qui s'exerce necessairement de maniere subtile et

intangible ; le r6cit qui relate la vision au cours de laquelle il aborbe la sourate 26 donne tout son sens a ce

complexe reseau de relations entre shi'r, shu'ur et sha'ra ; ce sujet cf. Le Vaisseau de pierre, p. 15-19. (78) D.M., ms B.N., f.37 (79) Ibid, f. 37. (80) Ibid, f. 35b. (81) Ibid., f. 37b.

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imitable Revelation divine ? Rappelons que selon l'auteur des Futuihdt, le dis- cours divin etant necessairement exempt de toute imperfection, l'occurrence d'un mot dans le Coran, voire d'une simple particule - comme aussi sa repeti- tion ou son omission - repond a une necessite et n'est donc jamais insignifiant. Ii n'en demeure pas moins qu'entre < des revelations > et < la Revelation > il existe une distinction qu'Ibn 'Arabi n'entend pas obliterer, affirmant aussi a

propos de sa poesie :

<< Et ce n'est pas un Coran ni un Livre r6evel Mais un secret qui transperce mon coeur. > (82)

S'il n'assigne pas a son oeuvre poetique le statut d'une revelation propre- ment dite, un recit autobiographique suggere qu'Ibn 'Arabi etablit en revanche un lien de filiation entre cette oeuvre et le Livre sacre. II s'agit de cette etrange vision qu'il relate dans la preface du Dlwan al-ma'arif et au cours de laquelle un ange lui apporte une sourate du Coran - la vingt- sixieme, celle qui s'intitule precisement < Les Poetes > - que le Shaykh absorbe. De cette communion avec le Coran est nee, nous dit-il, son oeuvre

poetique tout entiere (83).

C. ADDAS (Paris)

(82) D.M. ms. B.N., f. 161b. (83) A ce sujet,cf. C. Addas, << Le Vaisseau de pierre >. Cet episode presente une analogie evidente avec

le theme biblique de la manducation du Livre tel qu'il apparait dans l'Apocalypse (Ap. 10, 8-11) en echo a Ez. 3, 1-3 et Jr. 15,16.

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L'(EUVRE POETIQUE D'IBN 'ARABI ET SA RECEPTION

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