NIZARD_1973_article_rfsp_0035-2950_1973_num_23_2_418128

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Monsieur Lucien Nizard Administration et société : planification et régulations bureaucratiques In: Revue française de science politique, 23e année, n°2, 1973. pp. 199-229. Citer ce document / Cite this document : Nizard Lucien. Administration et société : planification et régulations bureaucratiques. In: Revue française de science politique, 23e année, n°2, 1973. pp. 199-229. doi : 10.3406/rfsp.1973.418128 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsp_0035-2950_1973_num_23_2_418128

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Lucien Nizard e a planificação - França, 1970.

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  • Monsieur Lucien Nizard

    Administration et socit : planification et rgulationsbureaucratiquesIn: Revue franaise de science politique, 23e anne, n2, 1973. pp. 199-229.

    Citer ce document / Cite this document :

    Nizard Lucien. Administration et socit : planification et rgulations bureaucratiques. In: Revue franaise de science politique,23e anne, n2, 1973. pp. 199-229.

    doi : 10.3406/rfsp.1973.418128

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsp_0035-2950_1973_num_23_2_418128

  • RsumAdministration et socit : planification et rgulations dmocratiques, par Lucien NizardA la complexit des relations qui s'tablissent entre administration et socit correspond la multiplicitdes modles qui ambitionnent d'en rendre compte. L'analyse doit retenir cette complexit et en rvlerle mode d'organisation. Seule l'approche saisissant l'administration comme la fois close et ouverte,autonome et dpendante, moyen d'action sur les rapports sociaux et lieu de rfraction de ces rapports,instrument de transmission et dtentrice de pouvoir, parat approprie la richesse des relationsconstatables. Par ailleurs, l'administration, comme sous-systme des systmes politique, conomiqueet social assure des rles qui peuvent tre contradictoires ; la planification constitue historiquement unprojet de rsolution de ces incohrences. On peut faire l'hypothse que le relatif clatement del'appareil tatique, que la planification entend rduire, jouait une fonction essentielle de cohsionsociale en permettant pragmatiquement des alliances diverses, qui largissaient le soutien social etpolitique dont la classe dominante disposait. L'ventuelle prvalence d'une rgulation globale dominante conomique, en imposant la remise en cause de la diversit des rgulations spcifiques etdes alliances politiques travers une "rationalisation" de l'allocation des ressources, pourraitcompromettre le maintien de cette cohsion sociale.[Revue franaise de science politique XXIII (2), avril 1973, pp. 199-229.]

    AbstractAdministration and society: democratic planning and controls, by Lucine NizardThe complexity of the relationships existing between administration and society is matched by thenumber and variety of models which set out to describe them. The aim of analysis should be to note thiscomplexity and reveal its organisational structure. The only approach which appears capable ofincorporating this wealth of established relationships is one which sees administrations as being at thesame time closed and open, autonomous and dependent, a means of intervention in social relationsand an area through which these relations are refracted, a transmission channel and a source ofauthority. Apart from this, as a sub-system of the political, economic and social systems, theadministration fulfills roles which are sometimes contradictory; historically speaking, planning representsa possible means of solving these inconsistencies. It may be postulated that the relative breakdown ofthe state machinery, which it is the aim of planning to reduce, was essential to social cohesion in that itmade pragmatically possible various alliances which broadened the social and political support at thedisposal of the dominant class. If a predominantly economic overall management were to prevail, callinginto question the variety of specific controls and political alliances by "rationalizing" the allocation ofresources, the continued existence of this social cohesion could be endangered.[Revue franaise de science politique XXIII (2), avril 1973, pp. 199-229.]

  • ADMINISTRATION ET SOCI

    PLANIFICATION

    ET GULATIONS BUREAUCRATIQUES

    LUCIEN NIZARD

    Par tout ce elle implique la planification reprsente extrme action de la raison dans histoire John FRIEDMAN

    Toutes les conceptions de la planification qui ne la relient pas au dveloppement des mo nopoles sont entaches de subjectivisme Philippe HERZOG

    LES

    FINITIONS DE LA PLANIFICATION ABONDENT Les Unes formelles apprhendent celle-ci comme mthode de rationalisation de action4 aussi sont-elles avant tout sensibles homologie des processus de rationalisation dans quelque milieu ils se manifestent elles dbouchent souvent sur une rflexion consacre optimisation des dcisions Les autres historiques et concrtes entendent rendre compte de la spcificit de tel effort de planification appliqu telle poque tel ensemble social et remplissant telle fonction5 Le fond prend ici le pas sur la forme la fonction spcifique sur la fonction homothtique Ces dernires nous paraissent les plus fcondes Notre propos est en effet apprhender la planification comme rvlateur des relations complexes et contradictoires qui se nouent entre administration et socit Aussi est-ce le heurt de cet effort de rationalisation volontaire contre cheveau Introduction au numro spcial de la Revue internationale des sciences so ciales 1959 consacr la Planification Politique conomique et planification Paris Editions sociales 1971 15 Voir J.P DELILEZ La planification dans les pays conomie capitaliste Paris Mouton 1968 Voir par exemple J.B Mc LOSSGHLIN Planification urbaine et rgionale Paris Dunod 1972 Notamment HERZOG op cit 199

  • Luden Nizard

    une situation concrte enchevtrant de multiples rationalits qui pour nous doit-tre privilgi

    Encore convient-il de ne pas ignorer originalit de la planification par rapport autres modes intervention cueil est double en effet il agit la fois de ne pas idaliser cette originalit en autono- misant excs la mthode et ne pas gommer compltement origi- ginalit de la mthode sous prtexte de saisir la ralit elle recouvre

    Nous proposons de dfinir provisoirement la planification comme un effort de rgulation mthodique de tout ou partie un systme social6 sur lequel elle ne peut agir en le refltant Il est clair que ide de traiter une socit comme un systme correspond un certain stade de dveloppement social o la solidarit mcanique cde la place une solidarit organique o la communaut traditionnelle essentiellement auto-rgle se transforme en collectivit trs diffren cie exigeant un degr lev organisation sociale

    On ne saurait tonner ds lors en dpit des apparences Tugwell7 et Shonfield8 aient pu dmontrer une forme de plani fication existait dans toutes les socits occidentales modernes struc ture capitaliste

    Mais parce que ces socits sont conomiquement et culturellement diffrentes parce elles ont connu des volutions historiques diverses la planification revt des formes et des contenus partiellement dis tincts Si ces systmes sociaux sont tous trs diffrencis ils ne le sont pas de la mme fa on et leur rgulation moins tre aveugle doit tenir compte de cette spcificit une part les contradictions princi pales traiter taient pas les mmes ici et l dsquilibre rgional Italie) contraintes de revenus pesant sur une conomie exceptionnelle ment ouverte Hollande) obstacles la croissance France)9 autre part le degr de concentration des entreprises le style des rapports de classe et strates sociales les traditions intervention tatique ainsi que leur valorisation idologique variaient considrablement10 Ds lors mme si on per oit hui une tendance au rapprochement

    Nous employons ici les termes de rgulation et de social dans leur sens le moins restrictif

    R.G TUGWELL Th place of planning society Porto Rico San Juan 1954 SHONPIELD Le capitalisme aujourdhui Paris Gallimard 1967 avec une

    importante prface de Pierre Mass Bertram GROSS National planning finding and fallacies in Public Admi

    nistration Review XXV 263 Dans cet article qui expose les conclusions auxquelles est arriv lnterplan groupe international tude des planifications nationales) il est indiqu une des principales conditions apparition de la planification est la perception une crise imminente

    10 Sur tous ces points voir SHONFIELD op cit

    200

  • Administration et socit

    des expriences nationales de planification celles-ci continuent de mettre accent sur des problmes diffrents et appuient sur des institutions publiques ou prives elles aussi diffrentes

    exprience fran aise nous parat prsenter trois aspects princi paux elle est en effet la fois

    processus de production un cadre de rfrence unifi pour laboration de dcisions conomiques et sociales

    processus influence sur les principaux acteurs du systme rguler

    effort institutionalisation politique des deux processus prcdents Il convient cependant de ne pas se mprendre sur la porte de cette

    distinction ces trois processus sont la fois complmentaires et partiel lement contradictoires

    Ainsi insertion dans le processus politique qui est un des aspects les plus originaux du modle fran ais retentit la fois sur le processus prdcisionnel et sur le processus influence

    En tant que processus prdcisionnel la planification ras semble et tend centraliser information disponible sur le systme rguler elle provoque importantes qutes informations nouvelles

    Pour traiter celles-ci de fa on les rendre utilisables par le dcideur elle est cratrice fconde outils intellectuels modles indicateurs etc. Elles promeut enfin quelques valeurs essentielles qui se rflchissent dans ces outils croissance comptitivit adaptation au changement innovation ont t constamment valorises

    Ainsi est provoque cette transparence chre aux planificateurs fran ais ceux-ci font apparatre certaines relations essentielles et rendent videntes les implications et les effets de certains choix politiques Ds lors la dfinition du cadre de rfrence ils ont prpar sera achev par les dcisions claires du gouvernement sur les objectifs et sur les moyens

    Mais il ne faut pas trop se fier objectivit voque le terme de transparence Dans notre domaine elle est pas une qualit de objet

    mais effet un clairage Elle est donc fonction de la direction du pro jecteur braqu sur le systme rguler Elle laisse dans ombre ce qui sort du champ couvert dans celui-ci elle met surtout en lumire certaines relations privilgies

    Le cadre unifi ainsi construit est trop gnral pour prtendre orienter immdiatement la plupart des dcisions des acteurs il peut

    11 Voir sur ce point nos articles De la planification production de normes et concertation Revue fran aise de science politique XXII octobre 1972 et La planification simulation et socialisation Sociologie du Travail 1972

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  • Luden Nizard

    cependant tenter affecter la stratgie en fonction de laquelle ces d- sisions sont prises ou mme la rationalit qui la sous-tend est la fonc tion du processus influence que de faciliter une adhsion au modle ainsi propos

    Cette action de formation doit assurer la diffusion de effet clai- rement12 que provoque la mise en perspective ralise par les pla nificateurs

    Cette pdagogie qui tend raliser un apprentissage est appro fondie progressivement avec les reprsentants des forces conomiques et sociales et des diffrentes administrations dans une concertation large et continue dont les commissions de modernisation ne sont que un des lieux de manifestation 13

    On ne se contente pas expliquer la cohrence les contraintes des situations et des choix on tente initier utilisation des outils de plus en plus complexes qui les mettent en vidence Parce que ces derniers ne peuvent tre neutres cette pdagogie est aussi une sociali sation aux valeurs que ces instruments intgrent et la reprsentation sociale ils structurent14 Du mme coup ailleurs les rsistances ren contres dans ce milieu restreint offrent une image approche de celles que le Plan devra affronter dans le milieu social et administratif rel Les gouvernants pourront tenir compte de cet exercice de simulation

    La volont inscrire laboration du Plan dans le processus politique est continuellement affirme Elle marque premire vue une rupture avec une pratique qui remonte la Troisime Rpublique et qui tend dissocier la politique conomique la fois de initiative et du contrle parlementaire La ralit est moins simple et innovation plus limite les politiques conomiques et sociales chappaient de plus en plus au contrle parlementaire mais tait pour chercher un ncessaire soutien dans les milieux o ces interventions se situaient le dveloppement dj marqu au dbut du xxe sicle des instances consultatives auprs de chaque ministre rvlait le dplacement du centre de gravit du contrle politique hors des instances traditionnelles

    innovation est ici de prsenter en mme temps au dbat public ensemble des problmes essentiels lis la dfinition une politique conomique et sociale Elle est aussi de chercher la fois le soutien de la reprsentation politique traditionnelle et celui de la reprsentation cono-

    12 Pour les raisons indiques plus haut nous prfrons cette expression la notion de transparence

    13 Voir sur ce point WEBER administration consultative Paris L.G.D.J. 1969 et notre tude au Bulletin de Institut international administration publique oct.- dc 1972 Planification processus dcisionnel et changement le cas fran ais pp 8-43

    14 est-ce pas le cas de toute formation Voir infra tude de Seibel

    202

  • Administration et socit

    mique et sociale Il est pas sr que ces deux dmarches soient compatibles le recours officiel la seconde affirme-t-il pas une lgi timit concurrente de la lgitimit parlementaire traditionnelle et af- faiblit-il pas ncessairement cette dernire 15 Si malgr ces difficults la seconde dmarche est pleine intrt la premire est un chec manifeste 16

    Ce souci des planificateurs de jouer sur plusieurs registres simulta nment prouve la difficult ils rencontrent faire accepter leur cadre de rfrence

    Les pratiques planificatrices17 situent et relativisent le Plan Mais elles doivent tre elles-mmes situes dans le vaste et complexe champ des relations entre administration et socit Il est en effet manifeste que effort de Etat pour guider et orienter globalement le dvelop pement conomique et social le conduit tenter de se rorganiser lui- mme or son mode organisation reflte un certain mode interven tion sur ensemble social Ds lors les progressions et les reculs que connat entreprise doivent se lire dans administration aussi bien que dans environnement social il agit de guider Encore faut-il esquisser un modle de relation entre administration et socit pour pouvoir poser dans une optique large de sociologie politique des questions pertinentes des pratiques planificatrices qui paraissent marquer partout les Etats aujourdhui Car tudier la planification est toujours tudier autre chose que la planification ce donn elle rvle en prtendant organiser

    ADMINISTRATION ET SOCI DIALECTIQUE DE UNIT ET DE LA DIVERSIT

    II serait hors de notre porte de prtendre approfondir cet norme problme Il nous faut pourtant en esquisser analyse et avancer ici quelques hypothses elles conditionnent en effet la dfinition une dmarche permettant de saisir les pratiques planificatrices Ds lors mieux vaut asseoir celle-ci sur des hypothses explicites que prtendre avancer empiriquement en mettant en uvre des hypothses implicites donc obscures Il agit la fois de tenir compte de la richesse et de la

    15 La recherche une influence auprs des dcideurs conomiques et sociaux est si fondamentale elle fait apparatre comme formelle la qute de oint parlementaire

    16 Cf notre article Le plan rvlateur une dfinitive impuissance parle mentaire in Analyse et Prvision dcembre 1972 1489

    17 Voir infra notre deuxime partie

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  • Luden Niz.ard

    complexit des relations constitutives de cette articulation et viter la tentation de clectisme en montrant comment ces relations ne se juxtaposent pas mais se structurent

    Ainsi pourrons-nous entrevoir comment la planification qui est un effort conscient pour rorganiser partiellement ces relations rvle en racinement des structures elle prtend rformer

    Des relations complexes

    La plupart des modles plus ou moins explicites qui entendent situer administration par rapport la socit prsentent comme alternatifs des types de rapports qui dans la ralit ne excluent pas mais se combinent ces rductions paraissent souvent procder une reprsen tation trop cohrente et unilatrale une ralit riche de contradictions

    Ils sont souvent construits partir de quelques variables pri vilgies qui situent administration par rfrence son environnement social autonomie ou dpendance clture ou ouverture sur environ nement moteur du changement social ou frein au changement social

    1.1 autonomie de appareil administratif le constitue en centre de pouvoir et en force politique ou en couche sociale distincte sa d pendance en fait instrument passif d*un autre centre de pouvoir la simple courroie de transmission une force politique ou une couche sociale qui lui sont extrieures

    Autonome il secrte lui-mme ses valeurs et ses normes et mme il est pas libre de dfinir ses moyens action il peut en orienter la mise en uvre et matriser ainsi thoriquement au moins les rapports il entretient avec son environnement social

    Sa dpendance en fait instrument du pouvoir politique ou une classe sociale dont il traduit plus ou moins passivement les prfrences

    La conception jacobine de administration les thories weberienne et marxiste de la bureaucratie18 admettent avec des nuances19 cette image instrumentale alors que la plupart des thories modernes de la bureaucratie rejoignent la premire20 partir une rflexion sur les dysf onctions de celle-ci

    18 On sait que extension du concept de bureaucratie est plus grande pour Weber que pour Marx le premier tudie sous ce nom un phnomne concernant ensemble des institutions des socits occidentales modernes alors que le second voque ainsi administration Etat

    19 Cf infra 20 Voir notamment dans le numro spcial Arguments 17 I960 article

    de TOURAINE alination bureaucratique 21 et bien entendu MARCH et SIMON

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  • Administration et socit

    1.2 Clos appareil administratif se constitue en communaut ferme par le recours des rgles spcifiques de fonctionnement celles- ci le structurent si solidement elles admettent de communication en un point la tte pour ensemble de ses segments qui ont perdu toute autonomie On reconnat ici le trait le plus vigoureux du modle weberien la structure pyramidale et hirarchique des agents

    Ouvert sur environnement par une structuration interne souple lche ou amollie il baigne dans de multiples communications priph riques qui diversifient les relations de chacun de ses lments et fa cilitent sa pntration par les normes et valeurs de son environnement

    1.3 Moteur de changement administration pour les jacobins est grce cette clture est celle-ci qui stimule la nettet des concep tions et trempe nergie des interventions elle prserve instrument administratif des influences amollissantes du milieu transformer

    Au contraire pour Crozier appareil referm sur lui-mme voit ses rgles internes se dvoyer en routines et en rites aveugle son environnement il le devient lui-mme et son action est bientt plus agitation inefficace et circulaire car elle vise rpondre avant tout des problmes internes21

    Les plus cohrents de ces modles sont aussi sans doute les moins fconds Ainsi le modle jacobin largement accueilli par la grande ma jorit des administrativistes fran ais nous parat associer les dimensions suivantes pour dfinir la situation et le rle de administration elle est close moteur de changement et dpendante car son autonomie vis- -vis de environnement social est accompagne et rendue thorique ment possible par une allgeance totale vis--vis de la reprsentation poli tique sige du seul pouvoir lgitime22

    2.1 La plus grande richesse du modle weberien tient sans doute sa plus grande complexit et son ambigut la dpendance de la bu reaucratie exclut pas toute autonomie sa clture exclut pas toute ouverture

    Les Organisations Dunod 1954 ainsi que les ouvrages classiques de Merton et de Rizzi

    21 On reconnat le modle construit dans Le phnomne bureaucratique 22 Sur oe point les dveloppements de Carr de Malberg sur la signification de

    la distinction entre le reprsentant et le fonctionnaire sont exemplaires Mais cette dpendance totale aboutit presque une identification du fonctionnaire au repr sentant dont il est le bras et elle est fortement ambigu insistance mise sur spcificit des normes et valeurs proprement administratives sur la continuit des vues parat transfrer la lgitimit politique une administration dont elle sacralise impli citement les valeurs propres et partant autonomie normative

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  • Luden zard

    Weber on le sait traite de la bureaucratie et non de administra tion23 Dans son modle la bureaucratie parat close dans la mesure o elle est structure par ses rgles internes qui en dpersonnalisant ses membres en les organisant en fonction de leurs comptences acquises au cours une longue carrire fondent la prvisibilit de ses rsultats 24 Elle est dpendante prsente comme instrument de domination et non centre de pouvoir Elle est aussi instrument action le plus efficace

    un mcanisme bureaucratique pleinement dvelopp est exactement dans le mme rapport avec les autres types organisation une machine avec des moyens non mcaniques de production25 On ne saurait plus fortement souligner son caractre instrumental

    est pour cela elle est facteur de changement comme la machine elle multiplie avec une considrable efficacit ce que produit effort humain

    Mais ce schma simple et quasi taylorien est singulirement enrichi par la conception chre Weber suivant laquelle la bureaucratie est un aspect essentiel de cette progressive rationalisation qui gagne le monde et le dsenchante Ds lors elle contribue elle-mme diffuser une mentalit rationnelle26 et sort ainsi de son rle de simple machine De plus elle constitue une rponse une exigence sociale de rationali sation si donc elle est instrument du pouvoir politique elle est pas pure cration de celui-ci et il ne pourrait sans doute pas remettre en cause arbitrairement sa structure car ce type efficacit administrative est hui exige par conomie capitaliste de march28 est- ce pas dire que la bureaucratie est pas aussi dshumanise et instru mentale que Weber semble parfois le dire On ne saurait sans la d figurer ngliger son attachement au type de rationalit zweckrational elle sacralise l rapparat sous la machine une communaut humaine minimum et irrductible

    2.2 La conception marxiste est imprcise et lacunaire mais vigou reusement brosse Elle est construite contrairement aux prcdentes partir une rflexion sur la fonction du pouvoir politique et non sur la

    23 On trouvera dans le numro spcial Arguments prcit extrait Economie et Socit o Weber analyse les principaux caractres du modle bureaucratique Pp 9-12

    24 Weber insiste beaucoup sur ce point La spcificit de la culture moderne et plus spcialement de ses fondements technico-conomiques exige cette extrme calculabilit Ibid 11

    25 Ibid 11 26 Par rapport des buts et non des valeurs zweckrational voir sur ce point

    introduction de Eisenstadt une slection bibliographique consacre la bureau cratie in Current Sociology VII 1958

    27 WEBER op cit 11

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  • Administration et socit

    structure des institutions bureaucratiques ensemble du systme po litique identifi Etat est un instrument qui permet la classe conomiquement dominante de devenir aussi classe politiquement do minante 28 Ds lors au sein de Etat la bureaucratie prsente certains traits de idal-type weberien

    Elle est close elle est instrument au service du pouvoir politique et non centre de pouvoir on connat la boutade froce de Marx in versant propos de administration la formule hglienne Elle est pas esprit de Etat mais son absence esprit par contre elle apparat pas comme facteur de changement l o Weber parle de ra tionalisation et efficacit Marx emploie des termes qui voquent la paralysie et le parasitisme29 cette optique qualifie parfois de man- chestrienne30 voue Etat tout entier dont la bureaucratie est que le bras une tche essentiellement rpressive au service de la classe dominante

    Il est vrai que certaines analyses viennent nuancer ce que cette conception abrupt en notant que Etat cre un ordre qui affermit oppression en modrant le conflit de classes ou en indiquant comme au fil de la plume que ce pouvoir n de la socit mais qui se place au-dessus elle et lui devient de plus en plus tranger est Etat ou encore que celui-ci gre les intrts de la bourgeoisie toute entire chacune de ces apprciations contient amorce une autonomisation soit de Etat tout entier soit de la bureaucratie tatique con comme centre de pouvoir et non plus simple courroie de transmission mais ces remarques sont trop cursives pour on puisse en tirer une remise en cause fondamentale31 du schma initial elles permettent cepen dant de percevoir les origines de toute une descendance de Marx qui va diriger ses coups contre la bureaucratie32 faire de Etat articulation de la socit civile et de la socit politique et en fournir une analyse

    28 ENGELS origine de la famille de la proprit prive et de Etat Ed Costes 226 29 Boa-Constrictor avorton surnaturel Pourtant Engels admet que apparition

    des prmisses de Etat dans la socit sans classe est rendue ncessaire par la complexit croissante de la socit civile Anti-Diihring Editions sociales 211)

    30 Voir Kostas PAPA ANNO Marx et Etat in Le centenaire de Marx Paris Mouton 1969 153

    31 Cependant on trouvera une tentative systmatique et suggestive pour en tirer parti dans tude de Claude Berger Faut-il dtruire Etat in Politique aujour hui et 1971 Celui-ci en distinguant oppression tatique de la simple r pression en faisant de Etat le sige une oppression spcifique et non pas seule ment instrumentale lui accorde un statut fondamental dans analyse marxiste analyse parat proche de celle de Gramsci

    32 Sur ce point on trouvera des informations dans ouvrage de Pierre YILLE Le Nouveau Leviathan Anthropos

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  • Lucien Nizard

    plus complexe33 ou en tirer des consquences importantes du rle autonome de Etat au service de la classe dominante Il nous semble donc que le modle traditionnel garde les traits dominants noncs plus haut orientation de action de Etat est oeuvre de excutif pour le compte de la classe dominante elle est per ue comme consciente et unifie ce niveau politique cependant que la bureaucratie en constitue le bras sculier34

    On ne peut rver image plus oppose celle que rvle la mythologie jacobine frocement critique ailleurs par Marx travers sa transfi guration philosophique hglienne pourtant formellement ce modle est assez proche du schma jacobin par la place il attribue ad ministration instrumentante de celle-ci suppose elle chappe autres infiluences que celles qui lui sont transmises par excutif manation de la classe dirigeante elle implique donc la clture et au tonomie de la bureaucratie vis--vis de son environnement social celles- ci seules lui permettent de jouer son rle appareil excution de fa on massive et aveugle elle suppose enfin que la bureaucratie est inca pable elle-mme de se constituer en caste dtentrice un pouvoir

    Une telle conception suscite dans interprtation de la relation Etat-socit une double tentation permanente et alternative surestimer le rle de Etat dans une vision machiavlienne ou le rduire rien35

    2.3 Seule une approche saisissant administration comme la fois close et ouverte autonome et dpendante moyen action sur les rap ports sociaux et lieu de rfraction de ces rapports instrument de trans mission et dtentrice de pouvoir nous parat approprie la richesse des

    33 est le cas de Gramsci qui distingue la socit civile dont la fonction essen tielle est assurer la diffusion un systme de valeurs culturelles dominant de la socit politique fonction coercitive une et autre sont domines et articules par Etat leurs rapports voluent diffremment suivant les pays et les moments noter le rle essentiel il attribue aux intellectuels fonctionnaires de la superstruc ture dans explicitation idologique des intrts dominants et la gestion des contra dictions structurelles Voir la remarquable analyse de Hugues PORTELLI Gramsci et le bloc historique Paris Presses universitaires de France 1971 collection SUP.) et article de PIZZORNO propos de la mthode de Gramsci in homme et la socit 165-166

    34 Poulantzas qui tente de fonder autonomie de la science politique partir une conception althusserienne du marxisme ne remet pas rellement en cause cette instrumentalit de Etat Tout en affirmant autonomie relative de ce dernier il refuse Etat un statut susceptible de fonder celle-ci il le dfinit comme

    centre de pouvoir Cette expression re oit en effet dans le langage de cet auteur un sens trs prcis celui un cadre institutionnel dont appareil et les prrogatives sont appropris par la classe sociale qui le domine Cf Pouvoir politique et classe sociale Maspero Paris 1969

    35 On trouve tout naturellement dans le domaine de la conception marxiste du droit la transposition de la mme tentation alternative cf Nicos POULANTZAS propos de la thorie marxiste du droit in Archives de philosophie du droit 1966

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  • Administration et socit

    relations constatables Encore faut-il voquer un problme considrable sous-jacent aux analyses prcdentes

    Une question fondamentale est en effet souvent moins apparente peut-on tudier administration appareil la bureaucratie Etat ou existe-t-il que des administrations des appareils Etat dont les statuts et les fonctions sont trop diffrents pour tre ramens sans ar bitraire unit Question si considrable elle est gure explicite tant elle est prsente dans chacune des autres variables et notamment dans le couple clture-ouverture

    3.1 Une administration ouverte sur son environnement peut pouser ses contours reflter les micro-socits qui le constituent clater donc en administrations dont seule la mythologie juridique cre illusoire unit Au contraire des administrations bureaucratiques trouvent en elles- mmes leurs principes de fonctionnement constitues en communauts fermes elles peuvent si on nglige elles se structurent en fodalits distinctes affirmer leur commune exclusion des rgles du jeu social et leur possible soumission des rgles spcifiques tatiques Weber ou bien tre unifies par une commune domination Marx)

    3.2 L encore cette opposition est trop simpliste pour ne pas tre dpasse administration dont nous dfinissons la consistance non par rfrence au rgime juridique qui lui est applicable mais par le fait elle relve de la matrise de excutif doit tre saisie diffrents ni veaux ainsi pourra-t-on percevoir la fois les consquences de cette commune allgeance et au-del de celle-ci restituer la diversit des rapports sociaux dans lesquels chaque administration se trouve implique

    Entre opposition radicale de administration aux autres organisa tions et sa dislocation totale en une poussire organisations indpen dantes en tous points analogues celles qui chappent au contrle de Etat il place pour des perspectives plus fcondes parce que moins schmatiques

    3.3 Certes le statut36 des administrations les diffrencie significati- vement des autres organisations en en faisant des instruments au service de la fonction tatique37 mais les fonctions de rgulation qui leur sont imparties sont diverses maintien de ordre prestations cono miques rglementations etc. et spcifient les modalits et les milieux

    36 Rappelons il ne agit pas du statut juridique stricto sensu et donc de appli cation du droit public mais de ensemble des mcanismes qui peuvent tre juri diques ou financiers par lesquels Etat est en mesure de contrler aussi bien une entreprise publique un service concd ou un service ministriel

    37 Fonction de cohsion sociale Pour plus de prcision sur celle-ci voir infra

    209

  • Lucien Nizard

    intervention de chacune entre elles autre part ces fonctions leur sont rarement attribues de fa on exclusive autres organisations concourrent les accomplir Ainsi est-on souvent conduit saisir comme un seul ensemble significatif constitu par une participation rgulire

    une fonction commune une administration et des organisations pro fessionnelles ou syndicales38 le contrle rciproque auquel elles se soumettent conduit selon le cas assurer la prdominance de la pre mire ou des secondes Ainsi doit-on faire apparatre les communications significatives et les liens spcifiques qui articulent tel segment adminis tratif tel segment social et les changes rciproques information de valeurs influence ils permettent

    Fermer les yeux sur de tels phnomnes serait interdire de comprendre que si une administration peut tre dtentrice un pouvoir propre est en recherchant hors elle-mme une autre allgeance qui lui permette de diversifier ses sources de lgitimit et en se constituant elle-mme en communaut dote une existence sociale

    Une telle dmarche comporte deux types de consquences quant approche mettre en uvre une gnrale autre particulire

    4.1 Il parat fcond de faire hypothse que Etat intriorise une partie des contradictions de la socit il gre que ses fonctions les indiquent souvent que sa structure les reflte ou plutt les rfracte en les dformant39

    4.2 Nous poserons autre part en principe que les problmes consi drs souvent comme internes administration le sont rarement rellement et ne peuvent tre analyss et compris que ils sont saisis dans un champ plus large dont administration occupe une partie est ce que semblent ignorer la plupart des rflexions dveloppes sur

    la rationalisation de administration Celles-ci concernent parfois le perfectionnement des mthodes in

    troduction de la prvision pralable la dcision par exemple R.C.B.) parfois la rationalisation des structures problmes de la rforme admi-

    38 Sur ce point nous sommes nettement en dsaccord avec Poulantzas qui dans sa controverse avec Milliband nous parat surestimer unit ralise de Etat il crit ce est en tablissant la relation de la forme Etat dans son unit est--dire en tant que forme spcifique de appareil Etat dans son ensemble avec

    extrieur que on peut tablir le rle respectif et les relations internes entre les branches de cet appareil in Politique hui mars 1970

    39 Dformation qui est notamment imputable la tendance des structures admi nistratives se maintenir et se reproduire alors mme que les contradictions se dplacent Si bien que ces structures se superposent au lieu de se succder et le sociologue doit se faire archologue pour lire dans ces couches sdimentaires volution des contradictions traites

    210

  • Administration et socit

    nistrative et des structures de coordination ou plus simplement de or ganisation scientifique du travail

    Certes on pris conscience que on ne pouvait mettre en cause les mthodes sans poser le problme des structures 40 mais ces dernires sont encore tudies comme si administration tait un ensemble intgr et clos41 comme si enfin les problmes du pouvoir elles posent ne mettaient en cause que des rivalits internes entre directions ou entre corps Or nous faisons hypothse que administration est intgre ensemble social en ce sens que chacun de ses segments Ministres certes mais aussi Directions voire Services est articul un segment social un environnement spcifique Ce est pas un secret que le Ministre de industrie la structure un Ministre des industriels en fonction un tat bien dpass des branches de industrie regroupes)

    Aussi les checs des tentatives de rationalisation tmoignent-ils toujours autre chose que de inertie administrative ou de opacit bureaucratique ils sont aussi les signes opposition externes administration la remise en cause un certain quilibre socio-politique que la structure traditionnelle contribuait raliser

    Ds lors les russites des rformes de structure sont toujours plus prcaires que les rformateurs ne imaginent car il est rare ils d finissent des objectifs adquats leur projet et situent convenablement les enjeux stratgiques

    Des relations structures

    Un effort de hirarchisation est ncessaire si on veut viter tre purement descriptif

    Cette hirarchisation doit concerner la fois le systme politique lui- mme auquel administration est institutionnellement lie et son environ nement social Cette double structuration du systme politique et du sys tme social est ncessaire si on veut viter aboutir clectisme un modle de type eastonien o la bote noire tatique est une machine ca pable de transformer peu prs importe quelle demande sociale en dcision politique

    40 Ce qui entrane des effets anticipation importants et affecte la stratgie des administrations vis--vis de introduction de la R.C.B notamment 41 On en trouvera une bonne illustration dans introduction que Bloch-Lain

    consacre ouvrage sur La coordination administrative en matire conomique et sociale Institut fran ais des sciences administratives ditions Cujas 1967 analyse intressante que cet orfvre consacre aux besoins croissants de coordination achve de fa on dcevante par un appel aux techniques du management 10

    211

  • Lucien Nizard

    II est pas question ici de dvelopper une telle analyse mais plutt de suggrer quels types de structuration mriteraient tre approfondis

    On dfinira aprs bien autres le systme politique partir de sa fonction assurer le maintien de la cohsion sociale par le traitement de ceux des conflits qui la mettent en cause Prcisons cependant que la cohsion assurer est pas arbitraire elle doit respecter la hirarchie sociale42 et tre compatible avec intrt gnral de la classe ou fraction de classe dominante elle peut conduire aussi la cration de conflits pour modifier les conditions de rgulation des conflits existants

    Nous parlons de compatibilit et non de conformit l rside une part notable de la latitude action du politique le maintien de la cohsion globale implique des arbitrages avec autres intrts ils peuvent ne pas tre les plus conformes aux intrts de la classe domi nante ils ne sont pas incompatibles avec ceux-ci

    De mme intrt gnral de la classe dominante est une notion plus complexe que ses prfrences collectives Etat peut dans certains cas concevoir et construire cet intrt gnral

    2.1 Ainsi dfinie cette fonction est assure la fois par des m canismes de contrle social43 organisation allocations autoritaires de ressources et de socialisation mission de messages de valeur visant tre intriorises par les individus et groupes sociaux)

    2.2 Suivant les pays leurs traditions culturelles et historiques tat plus ou moins conflictuel des rapports de classe les phases historiques considres cette fonction est assume par des ensembles institutionnels diffrents o appareil Etat joue toujours un rle mais un rle qui est jamais exclusif Sa prminence apparente certains moments et en certains lieux renvoie soit absence de dominance nette une classe sociale soit absence organisation de la classe sociale dominante

    Si on veut restituer la double dimension de administration instrument de transmission et centre dtenteur de pouvoir il est essentiel de la situer dans une double perspective elle est partie du systme politique et se retrouve ainsi relie par intermdiaire de celui-ci au systme social elle est directement et sans intermdiaire elle-mme partie du systme social

    42 Cette condition est certes pas la seule dont il faille tenir compte dans une socit donne mais est la plus gnralement applicable

    43 Nous employons ici les termes de contrle social dans le sens restrictif que lui donnent certains auteurs Cf ROCHER Introduction la sociologie gnrale vol Paris Hachette coll Points 1970 Ensemble des sanctions positives et ngatives utilises par la socit pour assurer la conformit des conduites aux modles tablis

    69)

    272

  • Administration et socit

    3.1 De son appartenance au systme politique elle tire sa cohsion globale les principes de la division fonctionnelle du travail en son sein les ressources dont elle dispose les moyens action qui lui sont at tribus En somme tout ce qui la contraint tre le bras de excutif On peut faire hypothse que est initiative du pouvoir politique elle transmet au corps social les normes les plus adaptes la prennit de la domination sociale en place

    3.2 En se dveloppant se diffrenciant administration est seg mente Chacun de ses segments est autonomis tissant des relations spcifiques avec le secteur la micro-socit o il charge intervenir44 Cette situation en se gnralisant produit des effets multiples elle conduit chaque administration dfinir son systme de valeurs et les modalits concrtes utilisation de ses comptences45 autre part elle produit des effets en retour en affectant les demandes que les administrations adressent au systme politique quant allocation des ressources la modification des modalits intervention ou la rpartition des comptences

    3.3 Aussi toute conception machiavlienne et volontariste qui exagrant homognit de appareil Etat ferait de celui-ci un norme ordinateur Leviathan capable de se donner des fins compatibles entre elles et nettement hirarchises et de les poursuivre effectivement dans une pratique totalement cohrente mconnatrait gravement la ralit Elle commettrait erreur mme des jacobins et des juristes qui sures timent toujours la matrise de excutif sur administration4

    Il est certes pas ais orienter effectivement la reproduction un ensemble aussi complexe une formation conomique et sociale celle-ci se prsente comme un cheveau de reproductions obissant des logiques partiellement contradictoires et ayant des cycles temporels diffrents47 Ainsi les administrations sont-elles la fois instrument

    44 Sur ce point on se reportera avec profit article de Pierre Grmion .infra qui souligne de fa on lucide et fine propos de la planification rgionale impor tance de ces phnomnes et emploie les thoriser Cependant il largit de fa on fconde le champ tudi il continue le traiter comme un systme ferm et retrouve ainsi un autre niveau approche fonctionaliste

    45 Cf le modle dit de libre entreprise bureaucratique de Gordon Tulloch dont il nonce le principe ainsi Plus organisation est grande plus faible est le pourcentage de ses actions qui correspondent rellement la volont de son souverain suprme ou celle des agents les plus levs dans la hirarchie The politics of bureaucracy Washington Public Affairs Press 1965 167)

    46 Il est paradoxal que ce soit aussi erreur commise par bon nombre de thori ciens marxistes

    47 Sur la complexit et les contradictions internes de la reproduction un sys tme cf notre article Thorie des systmes reproduction et mutation Cahiers in ternationaux de sociologie dcembre 1972

    223

  • Luden Niz.a.rd

    excution centre autonome de pouvoir et systme de reprsentation de leur milieu intervention articulation entre ces rles variant en fonction de la place de administration considre dans Etat de la structure du milieu intervention48 de la situation plus ou moins stratgique de ce milieu dans une socit donne

    Mais le systme cependant ne tombe pas dans anarchie il fonctionne il mme une logique prevalente de fonctionnement est dans la structuration de la socit elle-mme que contrairement optique traditionnelle nous sommes tents de trouver le principe de cette relative cohrence que le pouvoir hirarchique ne saurait lui seul assurer peut tre fcond adopter deux structurations distinctes de environnement social du systme administratif une concrte autre abstraite la premire entend prendre en compte la ralit une socit hirarchise la seconde traduire le dcoupage du rel prdo minant dans les outils intellectuels actuellement utiliss par les planificateurs

    4.1 La construction concrte de environnement tablit en terme de hirarchie sociale et distingue fondamentalement des olasses et frac tions de classes ex industriels financiers propritaires fonciers promoteurs commer ants artisans il faut aussi tenir compte de la variable organisationnelle qui est fondamentale aptitude orga niser une couche sociale donne influe notablement sur les niveaux et les modalits de ces articulations appareil administratif

    4.2 Quant la construction abstraite de environnement elle le structurerait en systme politique systme conomique systme social49 en sorte que le systme politique producteur de cohsion sociale aurait en tenant compte de son propre tableau indicateur alerte

    ajuster les demandes ou besoins non exprims manant des autres systmes le systme conomique tant celui de la production des choses le systme social celui de production des hommes

    Dans cet ajustement-rgulation administration sous-systme la fois du systme politique du systme conomique et du systme social joue un rle fondamental mais tant distribue entre les trois systmes elle ne le joue pas de fa on cohrente ni homogne

    48 Voir article Annie JACOB-ORY Formes organisations patronales et limi tations la concurrence Revue fran aise de sociologie 1969 pp 631-643 qui tablit des corrlations significatives entre variables conomiques de branches et types de syndicats patronaux et en tire quelconques consquences quant aux modalits de rela tions avec Etat

    49 Ici entendu stricto sensu comme rsiduel

    214

  • Administration et socit

    La planification est essentiellement un moyen de ragir contre une telle situation et restructurer les ajustements impulsifs de Etat en tentant de mettre en cohrence les bureaucraties Elle est con ue en fonction de la prminence du systme conomique dont les instru ments intellectuels de mesure disponibles valorisent les outputs Ainsi apparat un premier grand clivage entre administrations de la production des choses et administrations de la production des hommes Mais au sein du systme de production des hommes certaines branches ou certains problmes sont privilgis en raison de leur relation parti culirement troite avec la croissance et la comptitivit ce qui dter mine autres clivages dans la socit et dans administration50

    intrt de cette dernire construction est malgr ses insuffi sances de mettre accent sur une contradiction actuellement aigu qui concerne la fois les principes allocation des ressources et de dtermination du contenu des normes de rgulation autre part elle renvoie des systmes de reprsentations de la socit qui existent un tat quasi achev autre tat balbutiant51 or ces systmes de reprsentation jouent un rle considrable dans la planification par intermdiaire des experts et techniciens En tentant de fournir un cadre de rfrence commun aux diffrentes administrations ainsi aux autres organisations la planification provoque des ractions des oppo sitions qui clairent un jour cru importance des clivages internes

    administration articulation de ces clivages internes avec la strati fication sociale et la relativit de opposition entre administration et secteur priv

    II LES PRATIQUES PLANIFICATRICES LA DIALECTIQUE DE LA PLANIFICATION

    ET DES GULATIONS SP CIFIQUES

    Face clatement de Etat et la dispersion des rgulations conduites par les diffrentes administrations la planification globale est une tentative de rponse dont il faut abord souligner originalit dans la pratique administrative nous nous efforcerons ensuite de

    50 On en trouve des illustrations in Projet janvier 1972 notamment La problmatique du 6e plan et La notion de fonction collective

    51 On trouvera sur ce point importants dveloppements dans le rapport de recherche de Bruno JOBERT et Bruno REVESZ Reprsentation sociale et planification CERAT Institut tudes politiques de Grenoble 1972

    215

  • Luden Niz.a.rd

    situer la planification global dans le champ plus vaste des pratiques planificatrices et de souligner quelques difficults approche

    Planification et coordination

    N en France occasion des besoins de la reconstruction effort de planification globale est poursuivi de mme il est instaur dans bien autres Etats sous des formes plus ou moins varies est au del des accidents diffrents qui ont t ici ou l occasion de son apparition cet effort rpond un dfi devenu permanent du systme conomique dont le dveloppement doit tre parfois stimul et toujours partiellement matris

    Il exigeait en France en raison du caractre archaque de la structure capitaliste et de la mentalit des organisations patronales une stimulation des entrepreneurs et une intervention notable de Etat Si la ralit administrative fran aise avait t conforme au modle weberien cette prise en charge et t aise la structure radicalement asymtrique que celui-ci impose aux chelons administratifs en fait le schma idal une organisation centrale Mais les relais adminis tratifs sont cartels entre plusieurs lgitimits leur fonction de transmission est inflchie par leur rle de reprsentant ainsi que par les pouvoirs propres ils parviennent dtenir Leur mise en uvre cohrente doit donc tre laborieusement organise

    agissant de mobiliser ensemble de appareil tatique en vue de orienter vers des fins communes et hirarchises il existait une tech nique qui avait dj t souvent utilise la coordination administra tive 52 Elle est pratique selon deux modes la coordination non hirarchise qui se borne imposer propos un problme commun change des informations et le contact rgulier entre administrations La coordination hirarchise qui dans un domaine dtermin opre transfert de tout ou partie du pouvoir des multiples centres de dci sions entre lesquels il se partageait un seul entre eux dont la prminence est ainsi affirme

    Ces deux formes ont en commun de ne mettre en rapport que des bureaucraties la seconde tablit une structure hirarchique entre elles En pratique on pu constater que la coordination non hirarchise

    52 Selon le Robert la coordination est agencement des parties un tout selon un plan logique pour une fin dtermine

    216

  • Administration et socit

    tourne souvent avantage du Ministre des finances qui est le mieux plac pour en tirer le plus grand parti53

    Il est vident que efficacit de la seconde formule dpend de la capacit de administration thoriquement prminente dfinir des objectifs pertinents et assurer le contrle des moyens excution

    Pour toute une srie de raisons ces techniques taient pas adaptes la situation laquelle il fallait faire face Il agissait un problme une telle ampleur la reconstruction

    il concernait toutes les administrations et au-del ensemble des forces conomiques et sociales une solution exclusivement bureaucra tique paraissait donc peu adapte la vrit tait plutt aux insti tutions politiques de mobiliser directement ensemble des producteurs sur des objectifs de -dveloppement Mais celles-ci en taient bien incapables54 abord parce il est toujours difficile dans un pays pratiquant le rgime reprsentatif de faire accepter par les lecteurs des objectifs moyen terme peu attrayants court terme ensuite parce que la socit fran aise tait trop conflictuelle pour que sa mobilisation pt tre totale sans tre antagoniste

    Quant aux solutions bureaucratiques il en apparaissait pas de valable car il existait pas administration capable de prendre en charge avec nergie et esprit de suite les problmes de dveloppement ni le Ministre des finances plus tourn vers les problmes financiers que vers les problmes conomiques ni le Ministre de industrie qui refltait esprit malthusien de la plupart des industriels taient des coordinateurs crdibles

    La solution retenue fut toute diffrente elle consiste confier un organisme ad hoc non bureaucratique quant ses modalits

    organisation et situ en dehors de la hirarchie administrative cette mission de groupe de pression pour la croissance voque Shonfield55

    Malgr sa faiblesse ce groupe devait disposer outre sa permanence de quelques atouts dans son effort pour coordonner incoordonnables bureaucraties la spcificit de sa mission abord qui faisant de lui le hraut du moyen terme le dotait progressivement des moyens techniques ncessaires laboration un systme intellectuel adapt

    cet horizon et un langage propre Pouvoir imposer autres de

    53 Cf Jacques LAUTMAN Prestige ingalit dans organisation bureaucratique Esprit janvier 1970

    54 Elles ont cependant russi le faire pendant la phase de reconstruction pro prement dite

    55 Op cit

    217

  • Luden Nizard

    parler langue est tre en situation de force permettant de contraindre les partenaires un apprentissage Pour viter cependant que les plani ficateurs apparaissent face aux bureaucrates comme des technocrates tombs du ciel des ides et pour compenser absence de la mobilisation sociale par le pouvoir politique on mettait cette organisation nouvelle en mesure de forger elle-mme sa propre lgitimit56 par le recours

    une concertation multilatrale qui ne ngligeait aucun groupe de quelque importance les techniciens entendaient se prsenter aux bu reaucrates qui appuyaient sur leur clientle comme les reprsentants intrts plus nombreux et moins particuliers Pour la premire fois en dehors du cadre de la reprsentation politique une structure de coordination recherchait oint une lgitimit nouvelle en recou rant un systme de reprsentation conomique et sociale qui tentait de battre les bureaucraties sur leur propre terrain57

    Mais la limite de ces innovations doit tre bien per ue le Commis sariat au Plan est une entreprise non bureaucratique qui ne peut se passer du concours des bureaucraties celles-ci sont des relais indis pensables pour agir sur une socit aussi pntre par les appareils tatiques que est la socit fran aise

    Le champ tude de la planification les pratiques planificatrices

    De mme que administration doit tre saisie comme motrice et mue ferme et ouverte tude de la planification doit dfinir son champ de telle fa on que celle-ci apparaisse dans une double dimension comme volont agir sur le systme trait pour rationaliser son fonctionnement et les comportements qui le conditionnent et comme reflet de tat actuel articulation imbrication de ces comporte ments comme action sur les bureaucraties et comme reflet des rgula tions exerces par celles-ci sur la socit est la prise en compte de cette double dimension entend suggrer le recours au concept de

    pratiques planificatrices 1.1 Les approches traditionnelles dfinissent plutt la planifi

    cation dans une perspective unilatrale qui ne retenant que la pre mire de ces dimensions en donnent une vision trop subjective et volontariste aussi basculent-elles parfois aisment dans le constat

    56 En inspirant expriences anglo-saxonnes Voir sur ce point Claude GRUSON Origines et espoirs de la planification fran aise

    57 Ce qui empchait pas en mme temps de stimuler les efforts de coordination plus limits ou plus traditionnels

    218

  • Administration et socit

    dsabus une dplanification est la seule manire pour elles apprhender autre dimension des pratiques planificatrices Ce fai sant elles dforment une et autre perspective en opposant fonda mentalement des aspects complmentaires qui dialectiquement lis ont de sens que saisis ensemble Identifiant planification et action rationnelle elles oublient que tout effort raliste de rationalisation un systme doit tenir compte de tat du systme planifier Elles ignorent que loin tre un sujet unique les administrations font partie du systme planifier car leur unit est pas donne mais construire

    1.2 Symtriquement une certaine approche inspiration marxiste58 voit dans la planification un pur discours idologique camouflant une pratique qui est le simple reflet de tat du rapport des forces entre les agents conomiques Ainsi conteste-t-on appareil Etat non seu lement son autonomie mais aussi tout rle actif dans le cadre du systme en place et situe-t-on en dehors de lui aussi bien le principe des changements sociaux que leurs modalits de ralisation

    Nous suggrons ici une dmarche moins abusivement rductrice

    La planification est un moment spcifique du processus de rationalisation tudi par Max Weber59 provoque notammentc0

    par la grande crise de 1929 elle traduit un effort conscient action sur le systme conomique et social national considr comme un ensemble relevant une politique intervention globale cet gard le New Deal comme la thorie keynesienne expriment le premier au niveau de la pratique politique la seconde au plan de la science appli que le mme type de proccupation encore approximative

    2.1 Mais cet effort conscient pour traiter comme un ensemble intgr le systme conomique national est un moment un processus de rationalisation qui le dpasse la planification est donc tributaire

    la fois du niveau interdpendance des activits sociales atteint dans

    une socit donne ou mieux des niveaux interdpendance atteints dans les diffrentes micro-socits qui constituent le tissu social des

    58 Qui est pas prcisons-le celle du Parti communiste et de ses thoriciens Voir intressant ouvrage de Philippe HERZOG Politique conomique et planification en rgime capitaliste Paris Editions sociales 1971

    59 On sait que Weber se gardait de valoriser ce terme aveuglment et em ployait pour rendre compte de effet sur organisation sociale par division et coordi nation du travail de la diffrenciation technique et sociale croissante propres selon lui la civilisation occidentale

    60 Celle-ci qui en t occasion historique est probablement pas la raison de leur maintien et de leur gnralisation

    219

  • Luden zard

    diffrents secteurs productifs il agit au premier chef du degr de socialisation des forces productives et plus largement du niveau de dpendance mutuelle de ensemble des pratiques sociales61

    de tat du dveloppement des contrles privatifs62 exercs sur les moyens de production et les activits sociales ces contrles qui tendent faire clater le processus de rationalisation/planification en exprimant la mme exigence leur niveau de fa on parcellaire et donc multiforme

    2.2 Aussi parlons-nous de pratiques planificatrices au pluriel parce que effort au singulier de certaines organisations tatiques et non tatiques63 pour faire prvaloir une rationalit dominante dans organisation consciente du systme conomique et social ne prend son sens que mis en relation avec la diversit des situations auxquelles il est confront

    Cet effort se dfinit en effet par rfrence une socit non homo gne o les contrles privatifs contre lesquels il entend ragir sont diversement dvelopps suivant les secteurs o le degr de socialisation des forces productives auquel il entend adapter organisation sociale est lui-mme diffrent une micro-socit autre un secteur autre

    Ds lors cet effort de rationalisation globale est contraint de se spcifier et se dmultiplier pour avoir prise sur une ralit dont il ne peut ignorer la complexit et certains gards miettement64

    Cette association permet de relativiser chacun de ces objets en montrant que est son rapport autre qui lui donne seul son sens

    61 Compte tenu de tat de la division du travail Bloch Laine op cit. note que le dveloppement des interdpendances multiplie les indivisions dans or ganisation des pouvoirs

    62 Ce terme plus extensif que ceux de proprit ou de pouvoir permet de dsigner des situations qui existent aussi dans le secteur public et qui dans le secteur priv sont de plus en plus indpendantes de la proprit des moyens de production

    63 Le thme de la dplanificaton est souvent inspir notamment chez les jacobins comme Pierre Mends-France par illusion que Etat seul doit et peut en rgime capitaliste porter la planification exprience fran aise comme les expriences tran gres montrent clairement elle est ncessairement produite et soutenue par un ap pareil mixte o patronat et reprsentants des grandes entreprises jouent un rle consi drable

    64 Cette dmultiplication opre surtout au niveau de ce on appelle excu tion du plan cf infra mais elle influence la consistance du plan lui-mme et Ulimo dans sa contribution infra montre que le Commissariat gnral au Plan malgr ses dimensions restreintes chappe pas ces effets et que la cohsion de cette quipe est bien moins complte on ne le dit habituellement Encore faut-il se garder de rduire cette dmultiplication qui est inscrite dans la ralit objective une volont consciente adaptation du planificateur elle le dpasse et le chercheur peut la lire

    travers ce que le planificateur lui-mme pourra considrer comme chec de son dessein

    220

  • Administration et socit

    Une telle conception globale et dialectique des pratiques plani ficatrices conduit situer dans un champ commun observation des aspects qui taient isolment tudis et de saisir la spcificit de la planification sans autonomiser excs

    La dcision-Plan dfinit ex ante un exemple cohrent de fins et moyens con us partir une information systmatique sur le sys tme planifier et son environnement Elle pose des problmes diffrents suivant elle entend ainsi rationaliser action un seul dcideur la firme par exemple ou ambitionne organiser ou orienter les comportements de divers acteurs plan national de dveloppement co nomique et social Elle est alors tentative de guidage global de en semble social mme si elle est essentiellement axe sur appareil productif

    La politique conomique et sociale effective tudie ex post par le praticien ou le chercheur en vue analyser la signification ou la cohrence interne de la politique une administration donne ou de celle de ensemble de appareil administratif Cette politique effec tive ne trouve que trs partiellement son principe explication dans la dcision-Plan il en existe une Aussi emploierons-nous pas le terme excution du Plan pour la caractriser car il fait illusion

    Des rgulations partielles ralisant intgration de processus dcisionnels appareils tatiques et privs une part ces rgulations refltent interdpendance des activits sociales en ralisant des coor dinations empiriques autre part elles rvlent les concurrences de certains contrles privatifs qui souhaitent conserver leur complte auto nomie parfois un seul contrle privatif de caractre monopoliste est assez puissant dans un secteur pour imposer la fois ses prfrences et une rgulation Telle administration sectorielle ralise une rgulation du milieu dans laquelle elle intervient en favorisant un certain type de hirarchisation des intrts en prsence les modalits de cette rgu lation dpendent de la structure du milieu La passionnante tude que Friedberg65 consacr la politique industrielle dmontre avec pr cision la logique respective de rgulations concurrentes mettant en cause

    propos une mme politique diffrents systmes acteurs

    Bien entendu chacun de ces aspects peut tre tudi par rfrence diffrents systmes planifier nation rgion agglomration

    firme etc. Si on les applique la socit globale nationale) on

    65 Analyse infra par Bruno Jobert Voir galement article prcit de Laut- man et les tudes du GSO notamment de Grmion Worms et Thoenig

    222

  • Lucien zard

    aper oit ils renvoient des points de vue diffrents sur la plani fication certes mais aussi sur la ralit tatique

    Face interrogation portant sur unit ou clatement de appareil tatique les deux premiers voquent significativement celui-ci au singu lier alors que le dernier implique le recours au pluriel est pourquoi

    mise en relation de ces diffrentes perspectives est fconde elle oblige penser Etat dans sa double dimension comme une commu naut organise et hirarchiquement ou idologiquement unifie une part et comme un ensemble de couches sdimentaires diffremment articules leur micro-socit autre part

    De plus il est essentiel de noter entre la dcision-Plan de Etat et les rgulations des diffrents segments de son appareil exp rimentent par ttonnement de multiples expriences de sophistication des rgulations partielles elles aboutissent souvent des dcisions- Plans sectorielles tentant de mettre en cohrence et en perpective ces rgulations concurrentes Ds lors se pose le problme de la prise en compte par le Plan national de ce plan sectoriel constituera-t-il un plan dans le Plan sera-t-il remis en cause On con oit que cette question alimente les rflexions administratives sur la stratgie adopter66

    mission formelle une dcision-Plan porte nationale est rare ment ralise dans un pays conomie capitaliste la France est effec tivement cet gard sinon un cas unique du moins un modle mais la plupart des autres pays ont mis en place quelques-uns des mcanismes qui permettent approcher de la situation sans produire explicitement de Plan systme global information mcanismes spontans ou organiss changes informations plus spcifiques et sectorielles appareils publics ou privs jouant spontanment un rle de coordination)

    Aussi convient-il de ne pas exagrer la distinction entre pays ayant une dcision-Plan explicite et ceux qui en produisent pasc7

    approche classique de la science politique fran aise applique la planification saisi essentiellement celle-ci comme un processus

    de dcision68 tude de cet effort de rationalisation dans la prise de dcision publique conduit interroger sur les temps forts et la

    66 Ulimo fournit sur ce point des prcisions intressantes dans sa contribution Voir infra

    67 En postulant souvent autonomie du dcideur 68 La planification comme processus de dcision Colloque de Grenoble Paris

    Armand Colin 1965

    222

  • Administration et socit

    consistance un processus dcisionnel de plus en plus diffus o commence o finit la dcision et sur identification de dcideurs dont le statut apparent de moins en moins de rapport avec le statut rel

    Une telle dmarche dpasse certes approche conomiste classique ou celle des spcialistes du management dont elle critique implicite ment certaines proccupations troitement normatives en interro geant sur le sens une rationalisation que celles-ci se contentent de poser comme un optimum raliser

    Mais elle ne saisit un objet trs limit dont elle ne per oit pour tant pas tout fait les limites elle ne peut gure dpasser les interro gations classiques que permet approche dcisionnelle Que dcide-t-on Qui dcide quoi et sous influence de qui En dpit ou grce quelles circonstances Encore ne peut-elle rpondre significativement

    condition de sortir un processus circonscrit pour saisir ce qui dans son environnement contribue orienter et en se dpassant elle-mme

    Certes un progrs sensible t ralis par 1e recours approche organisationnelle qui interroge sur impact des innovations sur les structures organisationnelles traditionnelles comment les modifie-t-il Comment inversement en est-il lui-mme affect

    6.1 Les limites de ces approches sont importantes les rsultats analyse approfondie de ce type sont prcieux mais leur interpr tation est sujette caution si on ne peut les resituer dans un champ plus vaste

    La premire risque de rduire la planification un processus organis Elle tend confondre planification et laboration du Plan le processus tudi est gnralement une squence arbitrairement iden tifie au temps de prparation un plan donn aussi ignore-t-elle souvent impact en longue priode du phnomne

    6.2 Dans la mesure o pour chapper ce risque elle tend la dfinition de son objet est pour le saisir de fa on tellement abstraite et floue processus de changement et obstacle au changement que sa spcificit parat chapper

    Dans ce dernier cas o approches organisationnelle et dcision nelle sont associes un progrs important est certes ralis par la mise en vidence de la fonction apprentissage joue par le processus dcisionnel69

    69 CROZIER Analyse sociologique de la planification fran aise in Revue fran aise de sociologie VI 1965 147

    223

  • Luden Nizard

    Pourtant abstraction de la terminologie employe ne peut dissimuler une conception normative de action sociale qui rduit au statut unidi- mensionnel obstacle au changement les diffrents phnomnes qui entrent pas dans ce moule evolutionniste et opposent leur paisseur aux volonts et procdures rformatrices

    De plus les concepts utiliss sont souvent emprunts la thorie des communications 70 comme il agissait essentiellement de structurer au mieux les relais vers les units priphriques mettre des messages cohrents et de rendre possible les rtroactions

    tude de la politique conomique et sociale effective chappe certains de ces dangers en effet si approche reste dcisionnelle la

    conception du processus de dcision est plus englobante elle couvre la phase excution Elle permet donc de confronter la dcision-Plan une pratique dont le dcryptage pose ailleurs de trs difficiles problmes71 elle relativise ainsi la premire en prenant en compte ce un ancien commissaire au Plan appel le contre-Plan effectif des faits 72

    Mais en opposant fortement les deux phases ex post en considrant la seconde comme une excution dforme et limite de la premire elle court aussi le risque de sombrer dans illusion volontariste et de voir un chec dans ce qui est ttonnement dans un long et lent pro cessus de changement

    De plus elle peut conduire rechercher dans Etat seul dont les comportements sont isols le principe explication des politiques effectives et de leur dcalage par rapport aux politiques envisages ou dcides Sans prcaution mthodologique elle peut conduire exa grer ou sous-estimer le rle un Etat dont les efforts propres sont objet une intense focalisation73

    tude des pratiques de rgulation spcifiques et partielles permet de saisir le contexte dans lequel inscrit effort volontaire de planification globale en soulignant la complexit structurelle du sys tme planifier Mais isole et conduite sans rfrence analyse des dcisions-Plans ou des politiques conomiques et sociales elle peut aboutir dnier toute signification et tout impact la planification

    70 Cf infra article de Pierre Grmion 71 Les travaux thoriques sont rares en ce domaine Voir cependant tude par

    Benard et le CEPREL sur excution du Troisime Plan 72 Ortoli la rencontre de Villemtrie octobre 1966 qui marqu le

    dmarrage du Sixime Plan 73 Les travaux des conomistes portant sur la dfinition une fonction de pr

    frence tatique nous paraissent malgr leur intrt prsenter ce danger

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  • Administration et socit

    On ne peut cependant refuser priori de tenir compte un effort conscient organisation de la socit globale qui se manifeste de fa on gnrale dans les socits capitalistes Ces risques ne constituent pas un obstacle tude de tel de ces objets fut-ce la dcision-Plan Mais leur prise en compte conduit situer objet tudi dans le champ plus large qui lui donne une partie de son sens en dessinant ses contours et ainsi mesurer avec prudence la porte des conclusions une telle recherche devrait permettre

    Planification apprentissage et domination

    Si impact dcisionnel immdiat de la planification sans tre ngligeable est pas trs important sous quel angle et quel niveau convient-il de saisir celle-ci On conviendra avec Michel Crozier74 que la focalisation doit se dplacer des dcisions elles-mmes aux moyens dont le planificateur peut disposer pour les influencer compte tenu du comportement des diffrents acteurs conomiques im pliqus On posera galement que comme le seul moyen influencer les dcisions est influencer les dcideurs importance du processus apprentissage de nouveaux types de raisonnement et de comporte ment est essentielle

    Ici un conflit trs rel peut apparatre dans la fa on dont le planificateur va hirarchiser ses deux fonctions apprentissage et influence sur les dcisions Car si thoriquement la premire est un moyen exercer la seconde en pratique elle relve un horizon temporel plus tendu que celui un seul plan o la seconde doit prouver son efficacit

    Affirmer la primaut de sa fonction dcisionnelle est pour le planifi cateur accepter de faire prvaloir son rle de ngociateur sur son rle de pdagogue et donc amender largement sa conception de la rationalit souhaitable par ide il se fait du niveau de rationalit praticable ou acceptable par les dcideurs Mais est-ce pas risquer dulcorer

    tel point son projet initial en prenant si largement en compte les contraintes du court terme que influence il aura gagne sera chre ment paye par la renonciation son rle spcifique de hraut du moyen terme

    En sens inverse affirmer avec intransigeance la primaut un mo dle dont la rationalit est vidence inacceptable par bon nombre

    74 Op cit

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  • Luden zard

    de dcideurs est-ce pas en renon ant toute fonction dcisionnelle renoncer du mme coup la fonction apprentissage pour assumer un rle ingrat de tmoignage Car une pdagogie qui ne tient pas compte de la rationalit de son destinataire risque tre illusoire

    En fait ce dilemme est moins crucial il ne parat si on tient compte de la rpartition des rles entre les planificateurs75 et si on raisonne sur une socit dont la structure rduit considrablement la nature des apprentissages possibles

    Il nous parat clair en effet que le processus de prparation du Plan juxtapose une phase laboration un modle rationnel jug souhaitable qui dbouche sur des projets orientations fondamentales et une phase de dfinition des choix dans la premire le Commissariat au Plan reconnat un rle considrable la division des programmes de INSEE dans la seconde le Commissariat joue un rle essentiel de ngociateur avec les dcideurs pour dterminer les carts ncessaires vis--vis des orientations initiales mais en appuyant constamment sur celles-ci apprentissage peut donc rsulter de cette constante itration entre le modle initial et les rationalits des dcideurs Il contraint notamment ceux-ci initier au langage des planificateurs

    est un second aspect qui mrite une mme analyse le modle initial est produit par les planificateurs non cr par eux il est labor et il ne peut en tre autrement partir un certain nombre de contraintes 76 conomiques qui refltent une organisation et une hirar chie sociale il appartient pas aux planificateurs de remettre en cause est ici apparaissent clairement les limites de approche psycho-sociologique de Michel Crozier car il nous parat fondamentale ment inexact de considrer que les nouveaux modles probabilistes beaucoup plus complexes permettent de faire leur place la libert de choix des diffrents acteurs conomiques 77

    La planification implique hirarchisation un ensemble de pro blmes et actions en fonction de clairage un point de vue dter min Elle implique donc la dfinition un cadre action pens comme un systme dont les lments sont interdpendants et doivent tre traits comme tels

    75 ils appartiennent appareil politique ou appareil productif 76 Que ce terme est ambigu Mais comment renoncer Il agit certainement

    de contraintes pour le planificateur thoriquement si on raisonne en juriste il agit moins de contraintes que objectifs statut privilgi pour le pouvoir politique mais est-ce pas surestimer son autonomie normative quand on adopte une approche socio- logique de la question

    77 CROZIER art cit

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  • Administration et socit

    5.1 Ds lors la dfinition du systme planifier est fondamentale Il est remarquable en dpit de volution thorique de cette dfi nition qui est largie progressivement systme productif abord puis systme conomique et actuellement ttonnements pour apprhender le systme social le point de vue dominant partir duquel ce systme est construit reste celui du sous-systme productif Les contraintes du sous-systme productif sont donc les super-objectifs implicites en fonction desquels les problmes retenir sont hirarchiss et donc les objectifs explicites dfinis

    5.2 Ainsi le modle construit par les planificateurs et les normes78 dont il permet la dfinition vont affecter diffremment les dcideurs et acteurs sociaux Pour des raisons structurelles sa rationalit sera compatible avec celle des entreprises ou plutt de certaines catgories entre elles et plus ou moins incompatible avec les modles implicites en fonction desquels les syndicats ou telle administration du secteur dit social orientent leurs pratiques

    Il ne agit en aucune fa on invoquer les pressions des groupes pour expliquer ces effets Les groupes les plus puissants sont plutt ceux qui ont pas besoin de recourir la pression parce que leur point de vue est normalement pris en compte pour doter le Plan un minimum de crdibilit est dans le cadre une telle analyse il faut replacer la fonction apprentissage pour interprter correctement Elle tend rduire htrognit des reprsentations de son insertion sociale que chaque groupe et chaque administration forge partir de sa propre pratique en assignant chacun une fonction prcisant univers unidimensionnel elle compose79 Elle ne se contente donc pas de raliser comme le pense Michel Crozier un apprentissage insti tutionnel mais aussi normatif et thique80

    78 Les normes ne sont pas des dcisions ni mme des objectifs du Plan mais des choix orientation prdcisionnels qui limitent thoriquement le champ des choix possibles Sur ce point cf notre article La planification production de normes et concertation Revue fran aise de science politique XXII octobre 1972

    79 gard des administrations sectorielles apprciation de la porte de cet apprentissage pose de multiples problmes importance de certains entre eux mrite tre souligns La diffusion des catgories et du langage de la comptabilit nationale est ralise par apparition de services tudes statistiques de prvision ou de planifica tion Ces services nouveaux se heurtent eux-mmes des difficults pour se faire admettre par leurs administrations respectives Sont-ils cantonns dans une tche assez formelle de relations avec les planificateurs sont-ils au contraire la mesure informer et de former rellement la politique de leur administration On peut faire penser que toute une gamme de relations trs diffrentes instaurent suivant le caractre plus ou moins archaque des administrations considres Une donne non ngligeable du problme rsidant dans la prsence ou absence de corps technique ou formation macro-conomique

    80 La contribution de Claude Seibel infra pose trs clairement le problme du langage et de son ingale acceptation et rception par les acteurs sociaux Il voit cependant un des moyens leur permettant de dfinir leurs propres stratgies est-ce

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  • Luden Nizard

    Les consquences long terme de la planification doivent tre mesures Nous faisons en effet hypothse que le relatif clatement de appareil tatique que la planification entend rduire jouait une fonction essentielle de cohsion sociale en permettant pragmatiquement des alliances diverses qui largissaient le soutien social et politique dont la classe dominante disposait Ainsi les diffrents segments de Etat ralisaient-ils travers leurs changes avec leurs clientles des socialisations diffrencies facilites par le fait ils acceptaient de reprsenter leur public et de dfendre ses intrts auprs du pouvoir politique81

    ventuelle prvalence sous la pression croissante de ouverture des frontires une rgulation globale dominante conomique per met peut-tre de faciliter la recherche de la cohsion conomique mais peut compromettre le maintien de la cohsion sociale elle impose en effet la remise en cause de la diversit des rgulations spcifiques et des alliances politiques travers une rationalisation de allocation des ressources

    Le plein succs vrai dire improbable une planification cono mique gnralise en assurant la complte cohsion de appareil ta tique marquerait du mme coup la fin des fonctions de reprsentation il assure depuis longtemps et que le Parlement est de moins en moins capable de remplir

    Il resterait tenter de dfinir en profondeur la fonction prcise joue depuis vingt-cinq ans par la planification dans la socit fran aise Tche immense dont on peut se demander si elle est pas trop ambitieuse pour la socit globale Henri Coing82 efforce trouver rponse au niveau plus aisment apprhendable du cadre urbain La tentative est passionnante mais elle est pas aise On peut tomber accord avec lui pour reconnatre que le volontarisme tatique ne vise pas contre carrer les orientations spontanes du dveloppement mais traiter activement les contradictions auxquelles elles donnent naissance on admettra aussi que ce volontarisme se meut toujours intrieur une formation sociale donne et dans sa logique Il reste que le cadre ainsi dfini est compatible avec plusieurs politiques appuyant sur des

    pas oublier que dans certains cas la stratgie inexprimable consiste faire exploser en contraintes du modle

    81 idologie du service public lgitimerait cette ralit segmente alors que celle de intrt gnral renvoie un ensemble hirarchis structure complexe Le dclin de la premire est significatif Voir sur ce point notre article Les idologies de Etat et leurs supports symboliques Projet avril 1973

    82 Cf infra sa contribution

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  • Administration et socit

    forces sociales diverses car on peut acclrer ou freiner les orienta tions spontanes du dveloppement et choisir de traiter les contradictions elles provoquent des niveaux diffrents Les limites structurelles impose de tels choix la logique du mode de production capitaliste sont certaines mais mal connues et un rapide retour sur le pass suffit rappeler que ses capacits adaptation ont toujours dfi les anticipations

    Quelle configuration complexe de facteurs fait choisir tel type de politique plutt que tel autre Comment expliquer partir de 1945 le pouvoir politique et une partie de administration aient voulu et pu imposer un patronat fran ais abord rticent une politique de crois sance il pleinement accepte et assume que bien plus tardivement

    Ces problmes difficiles ne sauraient tre exclus une sociologie politique de administration ncessaire tude de la planification ils impliquent des recherches la fois comparatives et interdisciplinaires qui sont hui encore balbutiantes

    InformationsAutres contributions de Monsieur Lucien NizardCet article est cit par :Bernard Bruneteau. Le mythe de Grenoble des annes 1960 et 1970 un usage politique de la modernit, Vingtime Sicle. Revue d'histoire, 1998, vol. 58, n 1, pp. 111-126.Friedberg Erhard. Insaisissable planification. Rflexions propos de quelques tudes sur la planification franaise. In: Revue franaise de sociologie. 1975, 16-1. pp. 605-623.Lucien Nizard. Ncessaires rgulations planificatrices de l'appareil d'Etat dans la France capitaliste d'aujourd'hui, Revue franaise de sociologie, 1975, vol. 16, n 1, pp. 625-652.Yohanan Manor. Administration et socit en Isral, Revue franaise de sociologie, 1975, vol. 16, n 1, pp. 653-683.

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    PlanI Administration et socit : dialectique de l'unit et de la diversitDes relations complexes Des relations structures

    II Les pratiques planificatrices : la dialectique de la planification et des rgulations spcifiquesPlanification et coordination Le champ d'tude de la planification : les pratiques planificatrices Planification, apprentissage et domination