New Europe College ûWHIDQ 2GREOHMD Program Yearbook...

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New Europe College ûWHIDQ 2GREOHMD Program Yearbook 2016-2017 1>4B551 389B9 ADRIAN GOR 41>1<5H1>4BE 9<95 MARIA IROD CLAUDIU OANCEA MIRCEA-LUCIAN SCROB TUDOR GHERASIM SMIRNA ADELA TOPLEAN RADU TUDORANCEA

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ISSN 1584-0298

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Yearbook 2016-2017

ADRIAN GOR

MARIA IROD CLAUDIU OANCEA

MIRCEA-LUCIAN SCROBTUDOR GHERASIM SMIRNA

ADELA TOPLEANRADU TUDORANCEA

Editor: Irina Vainovski-Mihai

This volume was published within the Human Resources Program – PN II, implemented with the support of the Ministry of National Education - The Executive Agency for Higher Education and Research Funding (MEN – UEFISCDI), project code PN–II– RU–BSO-2016

EDITORIAL BOARD

Dr. Dr. h.c. mult. Andrei PLEŞU, President of the New Europe Foundation, Professor of Philosophy of Religion, Bucharest; former Minister of Culture and former Minister of Foreign Affairs of Romania

Dr. Valentina SANDU-DEDIU, Rector, Professor of Musicology, National University of Music, Bucharest

Dr. Anca OROVEANU, Academic Coordinator, Professor of Art History, National University of Arts, Bucharest

Dr. Irina VAINOVSKI-MIHAI, Publications Coordinator, Professor of Arab Studies, “Dimitrie Cantemir” Christian University, Bucharest

Copyright – New Europe CollegeISSN 1584-0298

New Europe CollegeStr. Plantelor 21023971 BucharestRomaniawww.nec.ro; e-mail: [email protected]. (+4) 021.307.99.10, Fax (+4) 021. 327.07.74

DAN-ALEXANDRU ILIEŞ

Né en 1979 à Bistriţa

Doctorat en philosophie, cotutelle entre l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et l’Université Babeş-Bolyai (Cluj-Napoca)

Thèse : Sur le chemin du palais. Esotérisme, cosmologie et pensée politique dans l’introduction et la conclusion du Guide des égarés

Bourses et distinctions - 2000-2001 Erasmus-Socrates

- 2002-2003 - Bourse du gouvernement roumain - 2004-2007 - Bourse Allocation recherche A.U.F

(Agence Universitaire de la Francophonie) - 2013 - Bourses Albin Salton et Frances A. Yates

au Warburg Institute, Londres

Livre :Sur le chemin du palais. Réfexions autour de deux chapitres du « Guide des

égarés » de Maïmonide, Cerf, 2016, dans la collection « Patrimoines », avec une préface de Rémi Brague

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ACCÉDER À LA FELICITÉ QUELQUES REMARQUES PRÉLIMINAIRES SUR LES PENSÉES POLITIQUES DE FARABI

ET DE MAÏMONIDE

RésuméNotre étude se propose de discuter quelques points des doctrines politiques de deux des plus grands penseurs du Moyen Âge, Farabi et Maïmonide. La discussion de ces doctrines sera menée en suivant un problème précis, celui du lien qui existe entre politique et cosmologie. Pour ce faire, nous avons édifié notre démarche en suivant trois questions majeures, à savoir 1) les traditions intellectuelles dont les deux philosophes se considèrent les héritiers 2) l’importance décisive de la pensée politique dans l’ensemble des deux pensées, relevant de l’héritage platonicien de la philosophie politique dans l’Islam médiéval, ainsi que 3) l’importance de la cosmologie dans la conception de la communauté idéale. Sans prétendre d’épuiser la discussion des pensées politiques dans les deux cas, notre enquête se veut un point de départ d’une étude plus substantielle de philosophie comparée, ayant comme objet deux des repères les plus importants de la tradition philosophique méditerranéenne.

Mots-clés : philosophie médiévale, science politique, cosmologie, philosophie de l’Islam.

Introduction

L’influence1 que Farabi exerça sur Maïmonide est bien connue, et ce, depuis la vie même de Maïmonide, depuis sa fameuse lettre à son traducteur provençal du Guide des égarés, Samuel ibn Tibbon, dans laquelle le maître juif dit son admiration pour les écrits de Farabi2. Cette influence est encore discutée, se faisant sentir dans les détails les plus divers de l’œuvre de Maïmonide3. Ce pourquoi, il nous faudra préciser dès le début que notre étude ne se veut nullement une étude des sources, même si, au bout de notre courte démarche, nous espérons avoir montré

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au lecteur à quel point les deux pensées sont proches, et comment Maïmonide aurait pu faire usage, en les modifiant, de certains thèmes propres à Farabi. En revanche, notre étude vise à une mise en parallèle et à une comparaison des deux pensées, sur un point précis : la pensée politique. Mais même là, il nous faudra préciser que le sujet que nous allons traiter discute seulement un détail des deux doctrines politiques, à savoir, la question du lien existant entre la politique et la cosmologie, de la manière dont le domaine trans-politique de la cosmologie ordonne la conception de la politique, devenant son objet d’imitation. Nous ne traiterons, ni des ouvrages purement législatifs, comme par exemple le Mishneh Torah de Maïmonide ou le mystérieux résumé des Lois de Farabi, ni des ouvrages purement philosophiques (les commentaires de Farabi sur l’Organon, le long traitement de la question du statut du monde dans le Guide). Nous allons nous limiter aux seuls écrits et extraits où le lien entre cosmologie et politique apparaît avec évidence.

Pour mettre en évidence d’une manière aussi complète que possible ce lien, notre analyse va se déployer en trois étapes. 1) Dans un premier temps, nous allons traiter des deux traditions intellectuelles dont se revendiquent nos penseurs. 2) Ensuite, nous allons essayer de montrer à quel point le traitement de la politique, intégrée dans les deux traditions, n’est pas seulement une « branche » d’un système de pensée, mais se trouve au cœur même de chacune des deux démarches. 3) Nous allons également essayer de mettre en évidence le contexte cosmologique des deux approches du politique. Enfin, dans une brève discussion conclusive, nous allons rapidement esquisser la conception du destin posthume des âmes dans les deux pensées. Il nous faut cependant préciser qu’un sujet aussi vaste ne peut être traité à fond en quelques pages. Ce pourquoi, nous considérons notre démarche comme une série de remarques préliminaires d’une étude plus ample, qui reste à faire.

Notre présentation suit une tendance d’une partie de la recherche du domaine, qui envisage la pensée juive dans son contexte historique déterminé, celui de la pensée de l’Islam médiéval, où le terme « Islam » est à comprendre, non pas comme désignation de la religion musulmane, mais de l’aire de civilisation où cette religion était prépondérante. Cette pensée influence d’une façon décisive les approches des penseurs juifs (qui écrivent pour la plupart en judéo-arabe), avant l’avènement de la chrétienté sur la scène philosophique, qui entraîne un déplacement des penseurs et traducteurs juifs au nord de la Méditerranée, ainsi que la perte de l’arabe parmi les philosophes juifs4.

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Mentionnons en ce sens quelques-uns des détails de ce que notre étude ne pourra pas analyser, détails liés à la transmission de la philosophie grecque de l’Antiquité tardive à la civilisation de l’Islam naissant. Elle fut pour la plupart l’œuvre des syriaques, qui traduisirent des ouvrages grecs en arabe, parfois via le Syriaque5. Le centre des traductions était Bagdad, la nouvelle capitale abbaside. Pour ce qui est de la philosophie, la place éminente fut attribuée à Aristote (et à ses commentateurs), considéré, par la plupart des penseurs de l’Islam, comme le sommet de la philosophie6. Pour nous tenir aux seuls ouvrages politiques, nous disposons de la version arabe de l’Éthique à Nicomaque, qui contient cependant un faux « septième livre »7. En revanche, la Politique semble ne pas avoir été traduite, bien que des extraits de cet ouvrage aient bien pu être connus8. La Rhétorique et la Poétique furent traduites avec l’ensemble de l’Organon, dans lequel ces ouvrages étaient inclus depuis l’Antiquité tardive9. Platon bénéficia de moins d’attention de la part des traducteurs. On suppose que des commentaires importants des ouvrages platoniciens, comme le Résumé des Lois par Farabi, ou le commentaire d’Averroès sur la République (dont des fragments ont été cependant connus), se fondaient principalement sur des résumés de Galien10.

À partir du corpus des ouvrages grecs traduits, les Arabes construisirent une philosophie originale, qui comporta plusieurs étapes. Pour faire simple, nous allons partager la philosophie de l’Islam en quatre périodes, suivant Gerhard Endress. Dans cette perspective, Farabi appartient à la deuxième étape (post-kindienne), celle de l’école de Bagdad. Maïmonide appartient à la quatrième et dernière étape, celle andalouse, qui a comme figure tutélaire son presque contemporain et concitoyen, Averroès. Il s’inscrit dans le groupe de « disciples » andalous (indirects) de Farabi (comme Ibn Bāğğa ou Averroès)11.

I) Les traditions

Nous allons commencer notre étude par une comparaison des deux ensembles textuels, afin de mettre en évidence les traditions intellectuelles dont les deux penseurs se veulent être héritiers. Comme nous allons le constater, tandis que Farabi se considère l’héritier d’une tradition d’apprentissage philosophique tirant son origine de la pensée d’Aristote lui-même, Maïmonide se veut le restaurateur d’une tradition perdue d’exégèse philosophique de la Bible.

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1) Farabi : d’Alexandrie à Bagdad, la tradition transmise

La vie de Farabi (ca. 870-950) est peu connue. Probablement d’origine persane, il serait né dans un village de frontière du monde iranien (Fārāb) en Transoxiane, dans l’actuel Kazakhstan. Sa préparation en philosophie eut lieu principalement à Bagdad, où il suivit peut-être les cours des Aristotéliciens chrétiens. Il quitta la capitale abbasside en 942, pour des raisons inconnues, dues probablement à ses conflits avec le pouvoir politique. Il s’installa à Damas, jusqu’en 948, lorsqu’il entreprit un voyage en Égypte pour y retourner, à la fin de ses jours. Il y mourut en 95012. Son œuvre comprend, outre les écrits politiques dont nous allons nous occuper dans la présente étude, un grand ouvrage sur la musique, ainsi que de nombreux commentaires sur l’Organon aristotélicien13. Il aurait été probablement oublié, si Avicenne n’avait remis son nom « sur le marché philosophique », en avouant, dans son autobiographie, son admiration pour le penseur qui l’aurait aidé à comprendre les buts (aġrāḍ) de la Métaphysique d’Aristote14. Il lui fut donné le nom de « second maître », premier philosophe d’importance après le Stagirite.

Pour notre démarche, il est important d’apercevoir la manière dont Farabi se rapportait à la tradition philosophique. La réponse commence à s’esquisser partant d’une courte remarque sur le nom de la philosophie (ism al-falsafa). Il s’agit d’un nom étranger, introduit dans la langue arabe (daḫīl fī al-ʻarabiyya), dont l’origine est grecque-païenne (yunānī). La traduction appropriée de filosofi/a serait, par conséquent, « la prédilection pour la sagesse » (īṯār al-ḥikma)15. La philosophie (littéralement : « cette science », hāḏā al-ʻilm) aurait existé anciennement (fī al-qadīm) chez les Chaldéens, d’où elle passa, d’abord chez les Égyptiens, ensuite chez les Grecs anciens (al-yūnāniyyīn)16, ne cessant de se transmettre17 chez les Syriaques (al-siryāniyyīn), pour atteindre enfin les Arabes. Farabi esquisse ici un mouvement cyclique de la philosophie : apparue en Chaldée, la philosophie retournerait à son lieu d’origine, la Syrie-Iraq, chez les Arabes18.

La manière dont la philosophie serait passée des Grecs vers les Arabes ressort plus clairement d’un petit texte, devenu célèbre, qui nous a été transmis par le médecin Ibn Abi Usaybiʻa, dans son Histoire des médecins. Il s’agit d’un extrait qui traite « de l’apparition de la philosophie » (fī ẓuhūr al-falsafa), et qui a joui d’une attention particulière de la part de la recherche arabisante. Avant de le commenter, nous allons le résumer brièvement19.

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Selon Farabi, la transmission de la philosophie du monde grec aux Arabes, aurait suivi quatre étapes. 1) La philosophie20 se répandit aux temps des rois grecs (fī ayyām mulūk al-yunāniyyīn), après la mort d’Aristote à Alexandrie21, jusqu’à la fin des jours de « la femme » (al-mar’a), scil. Cléopâtre. Après la mort d’Aristote, l’enseignement (al-taʻlīm) demeura inchangé (bi-ḥāli-hi), pendant les règnes de treize rois ; durant cette période, douze enseignants se seraient succédés, dont le dernier22 fut Andronicos. 2) La deuxième phase commença avec la prise de l’Égypte par Auguste, « …le roi des Romains ; il la (scil. Cléopâtre) vainquit, la tua, et s’empara du règne ». Auguste entreprit également le premier travail d’édition des ouvrages d’Aristote. Andronicos fut employé pour mener à bien ce travail. Une partie de ces livres demeurèrent sur place, alors que d’autres furent amenés à Rome. Auguste prit Andronicos avec lui dans la capitale impériale, laissant un enseignant à Alexandrie. Ainsi « … l’enseignement se déroula en deux endroits ; il fut ainsi, jusqu’à ce qu’advint la chrétienté (al-naṣrāniyya). » 3) C’est alors que l’enseignement de Rūmiya cessa (baṭala)23. Il continua à Alexandrie, jusqu’à ce qu’il subît des restrictions, lorsque le roi de la chrétienté « se mit à considérer cela (naẓara…fī ḏālika) » :

Les évêques (al-asāqifa) se réunirent; ils s’entretinrent sur ce qu’il fallait laisser en place de cet enseignement, et sur ce qu’il fallait supprimer. Ils furent d’opinion que, des livres de logique, on enseignerait jusqu’à la fin des figures assertoriques (al-aškāl al-wuğūdiyya)24, mais non pas ce qui suit, car ils étaient d’opinion qu’il y avait là-dedans quelque chose de nuisible à la chrétienté, tandis que ce dont ils autorisaient l’enseignement était tel qu’il contribuerait à l’apologie de leur religion (ʻalā nuṣrat dīni-him). La partie publique de l’enseignement (al-ẓāhir min al-taʻlīm) resta dans ces limites, alors que le reste de ce qui était étudié (était enseigné) à l’abri des regards (mastūran) (notre trad.).

4) Les choses restèrent ainsi jusqu’à l’avènement de l’Islam, après une longue période de temps (bi-mudda ṭawīla). L’enseignement passa (intaqala) alors d’Alexandrie à Antioche, en y restant pendant longtemps (zamanan ṭawīlan), jusqu’à ce qu’il n’y eût qu’un seul enseignant. De lui apprirent deux hommes, l’un de Merv, l’autre de Harran, qui partirent d’Antioche, en prenant les livres avec eux. Chacun d’eux eut deux disciples : celui de Merv eut comme disciples Ibrahim al-Marwazi et Yuhanna ibn Haylan ; celui de Harran, Isra’il l’Évêque, et Quwaira25. Ces quatre allèrent à Bagdad. Deux d’entre eux se laissèrent accaparer

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par leur religion (à savoir, le christianisme)26, alors que les deux autres continuèrent l’enseignement. C’est l’enseignement de Marwazi que suivit Matta ibn Yunan. À cette époque, poursuit le récit, on apprenait jusqu’à la fin des figures assertoriques27. Farabi dit avoir « …appris avec Yuhanna ibn Haylan, jusqu’à la fin du Livre de la démonstration (Les Analytiques Secondes) ». Ce qui venait après les figures assertoriques, s’appelait

…la partie qui ne faisait pas l’objet d’une leçon publique, jusqu’à ce que cela fit l’objet d’une leçon publique. Lorsque la matière passa aux enseignants des musulmans (ilā muʻallimī al-muslimīn), il devint habituel d’étudier des figures assertoriques jusque-là où quelqu’un en était capable. Abu Nasr, finit le texte, a dit qu’il a étudié jusqu’à la fin du Livre de la Démonstration (notre trad.).

Nous pouvons à présent saisir les articulations essentielles de notre texte. Il fait partie du plus large complexe narratif « d’Alexandrie à Bagdad »28. L’écrit a été amplement traité par la recherche contemporaine, depuis son édition et sa traduction par Moritz Steinschneider29, et surtout depuis l’étude pionnière de Max Meyerhof30. Dans sa première partie, Farabi essaie de créer une chaîne de transmission de l’enseignement philosophique partant du Stagirite lui-même. Ce suite à quoi il fait Aristote mourir à Alexandrie, aux temps des rois ptolémaïques, ce qui pourrait rejoindre des légendes orientales sur Alexandre ; des restes de ces conceptions tardo-antiques seraient présentes dans le nombre des rois et des enseignants31. Il fait d’Auguste l’initiateur du premier travail de rédaction du corpus aristotélicien, opéré par Andronicos, ainsi que l’initiateur d’un deuxième endroit d’enseignement philosophique à Rome. L’idée d’une restriction de l’enseignement philosophique par les chrétiens, pourrait représenter une réminiscence de l’idéologie anti-byzantine des Abbasides, initié par le calife Ma’mun. Cette dernière consistait dans une dévalorisation des Byzantins, comme les représentants d’un empire obscurantiste, opposé à la transmission de l’héritage grec-païen, dont les vrais continuateurs auraient été les Abbasides32. La seconde partie du récit passe de l’étude de la philosophie en général, à la question de la transmission de l’Organon aristotélicien. Le philosophe fait, « entre les lignes », l’éloge de ses maîtres chrétiens, responsables pour la transmission privée des écrits logiques du Stagirite. En revanche, il ne mentionne le nom d’aucun calife abbasside, qui aurait aidé à la diffusion de cette tradition philosophique alexandrine.

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La véracité de ce récit a été mise en doute par la recherche, qui parle actuellement d’une tradition « fictive » (G. Strohmaier) ou « problématique » (Joep Lameer)33. Farabi exclut de son récit des philosophes importants, tels Razi ou Kindi. Il présente un héritage sur le point d’extinction, alors que les études logiques étaient répandues dans la région, grâce aux enseignements syriaques, sans qu’il y ait eu des interruptions dans cette transmission, se faisant parfois a)po\ fwnh=j (comme fut aussi le cas des œuvres de Farabi lui-même)34.

Farabi se présente comme le vrai héritier d’une tradition philosophique s’enracinant dans l’enseignement d’Aristote lui-même. De la vraie philosophie, à croire une autre de ses affirmations, où il ajoute Platon à Aristote. Il y affirme qu’il est question d’une philosophie unique transmise par les Grecs, et appartenant aux deux maîtres, ce qui pourrait constituer une allusion à la tradition tardo-antique de « l’harmonisation » des enseignements des deux fondateurs, dont il nous est resté un ouvrage, probablement de lui. Cette technique consistait à montrer, non pas l’identité des deux doctrines, mais leur concordance, face aux attaques des différents adversaires de la philosophie. Si pendant l’Antiquité tardive Platon jouissait d’une supériorité par rapport au Stagirite, dans la pensée farabienne le rapport entre les deux penseurs est bien moins clair35. Une remarque qui clôt l’Accession ajoute un détail important. Les deux fondateurs auraient présenté, non seulement des systèmes philosophiques, mais également la manière de rétablir la vraie philosophie une fois qu’elle serait corrompue ou qu’elle se serait éteinte36. Bref, Farabi se fais passer comme l’unique héritier dans une chaîne de transmission philosophique allant d’Alexandrie à Bagdad.

2) Maïmonide : de Jérusalem à Cordoue, la tradition disparue

Heureusement pour nous, la vie et l’activité de Maïmonide (1138-1204) sont mieux connues que celles de son prédécesseur. Né à Cordoue en 1138, Maïmonide appartenait à une importante famille juive de la capitale califale. En 1148, il y eut changement du régime, menant à la chute des Almoravides, et à la prise de Cordoue par les Almohades. C’est dans les circonstances troubles de cette époque que la famille quitta la ville. On les retrouve installés à Fez vers les débuts des années 1160. En 1165, la famille quitta le Maghreb pour se rendre en Terre Sainte, alors sous domination croisée. Après une visite aux lieux saints du judaïsme, la famille partit en Égypte, s’installant à Fustat, après un bref séjour à

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Alexandrie. Maïmonide mena une activité de cour importante, auprès des Ayyubides, qui remplacèrent les Fatimides en 1171. Il mourut en Égypte en 120437. Son œuvre comprend deux compilations de la Loi juive, de nombreuses lettres et traités sur différents aspects du judaïsme, ainsi que des traités de médecine. Elle porte la marque de son Andalousie natale, à laquelle il se réfère constamment avec fierté38. Le Guide des égarés, dont nous allons discuter quelques extraits, qui est considéré par une partie de la recherche comme son chef-d’œuvre, a été rédigé pendant la fin de la période égyptienne (ca. 1180-90). La langue de l’ouvrage est le judéo-arabe, le livre étant écrit en lettres hébraïques (ce qui suscita les remarques critiques d’ʻAbd al-Latif al Bagdadi39). Il est question d’un ouvrage d’une nature bien particulière, ce qui a amené Sh. Pinès à considérer qu’il s’agit d’un écrit unique, constituant à lui seul une espèce à part entière40. Pour faire simple, disons qu’il est question d’une œuvre d’exégèse biblique, qui se propose de déchiffrer le sens profond des deux principaux récits bibliques, Le Récit du Commencement (Genèse) et du Récit du Chariot (Ézéchiel I et X). Le sens profond de ces récits est censé être identique à la physique et à la métaphysique41.

Le point que nous allons traiter maintenant concerne la tradition exégétique dont Maïmonide se considère le dépositaire. Pour ce faire, nous allons nous rapporter à un ensemble narratif, que l’on pourrait appeler, par une analogie avec l’ensemble que nous venons de mentionner, « De Jérusalem à Cordoue ». Il s’agit d’une série d’extraits du Guide que nous avons discuté ailleurs42, qui traitent de la question de la transmission de cette tradition. Malheureusement, à la différence du complexe narratif « d’Alexandrie à Bagdad », nos passages n’ont pas bénéficié de la même attention de la part de la recherche spécialisée. Une mise en parallèle des deux ensembles nous semble pourtant d’une importance décisive, afin de mettre en évidence les ressemblances, mais aussi les différences, entre les perspectives de deux penseurs.

Nous allons commencer par quelques observations d’ordre historique, que Maïmonide fait à l’égard du kalām. Comme nous allons le constater, ces remarques peuvent bien avoir été inspirées par les idées que nous avons dégagées dans les extraits farabiens que nous venons de résumer43. Dans Guide, I, 7144, dans un contexte de discussions philosophiques que nous allons mettre en évidence par la suite, Maïmonides parle de la genèse du kalām. Le peu qui se trouve dans le kalām juif, nous dit-il, aussi bien des Guéonim que des karaïtes, au sujet de l’unité de Dieu aurait été emprunté aux mutakallimūn musulmans, surtout aux Mutazilites. Ceux-

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ci, à leur tour auraient suivi les Grecs et les Syriaques chrétiens, et plus précisément, leurs disputes contre les opinions des philosophes. Ceux-ci inventèrent le kalām, qui était une méthode purement apologétique de défense de la religion. Le kalām fut par la suite adopté par les Musulmans, qui s’inspirèrent des travaux des gens tels Yahya le Grammairien (scil. Jean Philopon) ou Yahya ibn ʻAdi. La principale critique que Maïmonide adresse aux partisans du kalām c’est de ne pas orienter leur pensée afin qu’elle s’accorde avec ce qui existe.

Sarah Stroumsa a rapproché nos extraits du texte de Farabi que nous venons de résumer, mais aussi des fameux passages de l’Énumération des sciences (chapitre 5) dans lesquels Farabi donne une description peu flatteuse des adeptes du kalām. Ces derniers auraient pour seul but la défense de leur religion par tous les moyens et au détriment de la vérité. Maïmonide aurait combine les deux textes : il suit Farabi45, aussi bien dans la perspective d’une restriction de la part des Chrétiens de l’étude de la philosophie pour des raisons apologétiques, que dans la description du kalām comme un système purement apologétique46. Il est tout à fait intéressant de remarquer que Maïmonide mentionne ici Jean Philopon comme un représentant typique du kalām chrétien. Il faut rappeler que Farabi réfute ce dernier dans un texte célèbre, précisant néanmoins que les intentions de Philopon auraient été différentes de ses prises de position. Son attitude aurait pu être justifiée par un souci de se soustraire au sort malheureux de Socrate et d’éviter un conflit avec sa communauté religieuse, sachant à quel point les opinions religieuses sont éloignées de la nature des choses (ṭibāʻ al-umūr)47. Quant à l’association de Yahya ibn ʻAdi (m. 974) avec les débuts de l’Islam, elle semble bien représenter une « erreur volontaire »48 de la part de notre auteur : Ibn ʻAdi vécut bien après les débuts du kalām.

Notre extrait fait partie d’un chapitre qui commence par quelques observations décisives. Après avoir traité, à travers l’explication du radical hébraïque RKB, d’un sujet de métaphysique, à savoir, la question du gouvernement du ciel par Dieu49, Maïmonide commence notre chapitre en affirmant que

… les nombreuses sciences que possédait notre nation pour l’établissement de la vérité50 dans ces matières se sont perdues, tant par la longueur du temps que par la domination que les nations ignorantes51 exerçaient sur nous, et aussi parce que ces sujets, ainsi que nous l’avons exposé, n’étaient point livrés à tout le monde…

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Puisque même le fiqh était soumis à des restrictions dans sa transmission, n’étant pas mis par écrit, à plus forte raison ne pouvait-on mettre par écrit ces secrets de la Loi, qui ne se transmettaient que « d’élite à élite ». C’est là la cause qui fit disparaître des grandes racines

…au sujet desquels on ne trouve que quelques légères remarques et indications52 dans le Talmud et les Midraschôth, et qui ne sont qu’un petit nombre de noyaux entourés de nombreuses écorces ; de sorte que les hommes se sont occupés de ces écorces, ne soupçonnant pas qu’il y eût quelque noyau caché dessous53.

Les sujets métaphysiques relevaient des « secrets de la Torah » (sitrê Tôrāh), dont une brève énumération nous est donnée auparavant dans le traité54. Ces secrets devenaient accessibles à l’aide d’une exégèse dont les contenus étaient transmis à l’intérieur d’une élite55. Or, la longueur des temps, ainsi que la domination de la part des communautés religieuses ignorantes, firent que ces grandes racines de la religion juive se soient perdues56. Il ne subsisterait d’eux que quelques « remarques et indications », expression qui reprend le titre d’un fameux ouvrage d’Avicenne. Chez ce dernier, les išārāt désignent une manière particulière de transmission, semblables aux « têtes des chapitres » de Maïmonide57. La discussion du kalām qui suit montre clairement que ces matières, relevant de la métaphysique, ne pourraient être redécouvertes à l’aide de la littérature théologique, à savoir le kalām juif. Là encore, Maïmonide pourrait suivre Farabi, qui a, le premier, nettement distingué entre kalām et métaphysique, contre ceux qui « se sont imaginés aussi que la science métaphysique et la science de l’unicité de Dieu (ʻilm al-tawḥīd, à savoir, le kalām) sont numériquement une seule et même chose. » Le passage vise peut-être Kindi, et un extrait, sans doute rhétorique, de sa Philosophie première, où ce dernier identifie l’objet de la philosophie première à la connaissance de l’unicité divine58.

Deux autres extraits du Guide viennent compléter cette perspective. Dans un premier, en parlant des sujets astronomiques, Maïmonide reprend ces idées : les méchants d’entre les nations ignorantes ont détruit les sciences des Juifs, de sorte que ces derniers sont retournés à l’ignorance. C’est à cause de cela que « ces matières philosophiques » parurent étrangères à la Loi juive, bien qu’il n’en soit pas ainsi59. Dans un second extrait, Maïmonide parle de nouveau de la science métaphysique. Celle-ci serait disparue, à cause de sa transmission orale d’un chef à l’autre.

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Une remarque de grande importance est faite ici : il s’agit cette fois, d’une extinction totale de ce savoir, car rien n’en a été transmis dans un livre. Le penseur aurait redécouvert ce savoir exégétique grâce à la seule lecture des textes prophétique, des discours des sages talmudiques, ainsi qu’au moyen de « ce que je possède des prémisses spéculatives (ma‛a mā ‛ind-ī min muqaddimāt naẓariyya) » ; nul maître ne lui aurait transmis ces idées, et nulle révélation ne serait descendue sur lui60. Les « prémisses spéculatives » dont parle Maïmonide appartiennent à la philosophie. Puisque le savoir ne peut venir des textes bibliques ou du Talmud, qui sont l’objet de l’exégèse, l’origine de la redécouverte ne peut appartenir qu’aux prémisses philosophiques, qui représentent la clé exégétique par excellence.

À bien analyser nos extraits, nous pouvons conclure que la transmission du savoir exégétique « de Jérusalem à Cordoue » a été totalement interrompue. À la différence de son prédécesseur, Maïmonide décrit ici un savoir entièrement perdu. Il n’est pas le dernier dépositaire d’une tradition, menacée de disparition, néanmoins continue, mais d’une tradition entièrement éteinte, à cause de l’Exile juif, ainsi que des conditions de sa diffusion. Dans ce contexte, il est intéressant de remarquer qu’ailleurs, en parlant d’une tradition orale sur la venue de Messie, le maître juif parle d’une transmission ininterrompue, tirant son origine dans les milieux du Second Temple61. Il y affirme avoir connaissance (ʻinda-nā) d’ « un récit étrange (riwāya ġarība) », dont la transmission irait jusqu’au début de la galuth de Jérusalem (ilā awwal gâlûṯi-nā min Yerûšalaîm), comme il fut dit: « …les exilés de Jérusalem répandus en “Espagne” » (we-gâluṯ Yerûšâlam ašer bi-Sfârad) (Obadia, I, 20). Sfârad indique en fait, non pas l’Espagne, comme le suppose Maïmonide, mais Sardes, même si le nom finit par désigner la péninsule ibérique. Mais le but de cette spéculation pourrait être politique : donner pour la venue du Messie « une date assez proche pour que le peuple ne perde pas courage. »62

La démarche de Maïmonide vise à légitimer son exégèse : étant donné son caractère inhabituel, qui repose dans sa nature philosophique, il lui faut, en même temps la faire passer comme l’interprétation par excellence de la Torah, et donner les raisons de son étrangeté (à savoir, qu’elle semble nouvelle, parce qu’en fait elle s’est perdue). Néanmoins, il ne dit rien sur la riche tradition philosophique de l’Islam, nullement disparue, dont il fait largement usage, bien au-delà de « quelques prémisses spéculatives », laquelle représente à la fois la clé exégétique, que le contenu caché des livres bibliques qu’il interprète.

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*Jusqu’ici nous avons discuté les rapports des deux penseurs par

rapport aux traditions dont ils se revendiquent. Elles représentent deux tentatives de légitimation, utilisant des démarches contraires. Farabi se veut l’héritier par excellence de la Philosophie, étant le dernier représentant d’une tradition qui mène au Stagirite lui-même. Il avance donc l’idée que « d’Alexandrie à Bagdad », la philosophie a été l’objet d’une transmission ininterrompue. Maïmonide se veut l’héritier d’une tradition d’exégèse biblique de nature philosophique, la tradition exégétique par excellence, fondée par les auteurs bibliques. Mais celle-ci se serait entièrement perdue, nulle chaîne de transmission ne subsistant à l’époque de Maïmonide. « De Jérusalem à Cordoue », il s’agit d’une tradition non-transmise, qui doit être redécouverte. Derrière le soi-disant « anhistorisme » du Moyen Âge, on peut déceler, dans les deux cas, une conscience aiguë de la situation historique propre au monde médiéval et de ses traditions intellectuelles63.

II) La félicité, finalité de la science politique

Dans la deuxième partie, nous allons analyser la manière dont les deux penseurs conçoivent le phénomène politique. Comme nous allons le constater, Farabi parle de « science politique », alors que Maïmonide édifie sa pensée politique à travers une analyse des buts de la Loi juive. Néanmoins, les deux insistent sur la finalité propre à la politique, qui est identique à l’acquisition de la félicité.

1) Farabi : définitions de la science politique. La politique comme voie vers la félicité

Nous allons à présent exposer quelques détails de la théorie politique de Farabi. Pour ce faire, nous allons essayer de saisir les traits spécifiques de la science politique qu’on trouve dans les différents ouvrages du philosophe. Et principalement, dans son Énumération des sciences (Iḥṣā’ al-ʻulūm), ouvrage dans lequel est percevable l’influence des écoles philosophiques de l’Antiquité tardive64. La description succincte de la science politique (al-ʻilm al-madanī) dans le fameux chapitre 565, concerne 1) l’investigation des actions (al-afʻāl) et des modes des vies66 volontaires, et des dispositions acquises (malakāt), des qualités morales (al-aḫlāq), des inclinaisons (al-sağāyā) et caractères (al-šiyam)67, qui

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mènent à la réalisation de ces actions et modes de vie. La description se poursuit par la distinction entre les buts (al-ġāyāt) des différentes actions et modes de vie. La science politique explique que parmi celles-ci, les unes représentent la vraie félicité (mā hiya fī (bi-) al-ḥaqīqa saʻāda), qui n’est pas réalisable dans cette vie68, les autres ce qui est présumé (maẓnūn) être la félicité, sans que ce soit le cas. Les actions et modes de vie vertueuses doivent nécessairement se réaliser dans les cités et les nations et être pratiquées en commun. Or, tout cela n’est possible que par une manière de gouvernement (bi-riyāsa) qui vise à ce qu’elles soient réalisées et préservées. Un métier/art royal (mihna malikiyya) est ainsi demandé pour les établir ; « et la politique (al-siyāsa), affirme Farabi, est l’opération de ce métier (fiʻl hāḏihi al-mihna) ». La manière de gouvernement suit la double description des félicités : soit elle vise la réalisation de la vraie félicité, soit elle s’emploie dans la réalisation des félicités présumées. L’art royal vertueux demande deux facultés : l’une qui vise les règles universelles (al-qawānīn al-kulliyya), l’autre qui vise les conditions particulières existant dans les différentes cités. De ce fait, cet art présuppose deux parties, étant analogue à la médecine, laquelle comprend à son tour, une connaissance théorique des universels, s’accompagnant d’expérience.

2) La philosophie politique (al-falsafa al-madaniyya) étudie les seules règles universelles. Car elle ne s’occupe pas de la réalisation effective des actions et de modes de vie, qui relèvent d’une autre faculté, puisque les états et les occurrences qui sont à déterminer sont, en elles-mêmes, indéfinies et illimités.

3) Farabi reprend ensuite la description de « cette science » (hāḏā al-ʻilm). Elle comporte deux parties, l’une consacrée à la connaissance de la félicité réelle dans sa différence avec les félicités présumées, qui détermine la manière dont les modes de vie, actions etc. doivent être distribuées dans les cités, l’autre consacrée à leur ordonnance et à leur réalisation et préservation. Elle offre aussi une description des arts royaux non-vertueux et de leur manière d’agir69. Elles sont comme des maladies pour l’art royal vertueux, tout comme les actions et modes de vie non-vertueux sont des maladies pour les cités vertueuses. La science politique explique aussi la façon dont les actions et modes des cités vertueuses risquent de dégénérer. L’art royal vertueux demande, à la fois la possession des sciences théoriques et pratiques (al-ʻulūm al-naẓariyya wa-l-ʻamaliyya) et la faculté qui dérive de l’expérience politique effective, laquelle a affaire aux conditions particulières existant dans chaque communauté, en rapport avec chaque circonstance et occurrence. Farabi ajoute que

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la cité vertueuse (al-madīna al-fāḍila) ne peut rester vertueuse que par une chaîne ininterrompue de rois ayant les mêmes qualifications, ce qui ne pourra se faire qu’au moyen d’une espèce particulière d’éducation politique70. L’extrait finit par une description de ceux dont la gouvernance est ignorante (ğāhiliyya). Ceux-ci ne possèdent ni les sciences théoriques, ni les sciences pratiques, mais seulement l’expérience requise dans la réalisation de leurs poursuites (plaisirs, honneurs, etc.).

Au bout du bref résumé de notre extrait, nous pouvons discuter les idées qui s’en dégagent. Il nous faudra tout d’abord constater que le texte contient deux descriptions presqu’identiques de la science politique. La première contient une description plutôt non-philosophique, tandis que la seconde est introduite juste après la mention de la philosophie politique. Le dernier traducteur en anglais laisse sans réponse la nécessité de cette répétition71. Remarquons seulement que « la technique des répétitions » représente un trait de l’écriture ésotérique de Maïmonide72. Elle se caractérise par les ajouts qu’elle suppose ; ce qui est « répété » dans la seconde occurrence n’est jamais identique avec l’affirmation première, de petits détails changeant souvent le sens de cette « répétition »73. La seconde énumération vient après l’établissement de la philosophie politique comme partie théorique de la science politique. Elle « ajoute » essentiellement l’idée de la dégradation du régime vertueux et de sa transformation selon des modes de vie et des actions « ignorantes », ainsi que celle de sa possible réinstauration. La description des rois non-vertueux à la fin de l’extrait doit être lue à la lumière de la petite remarque concernant la philosophie politique, qui comprend la partie théorique de la science politique. Les rois « ignorants » n’ont besoin ni de philosophie théorique, ni de celle pratique. Comme l’affirme le texte, ceux qui promeuvent de tels régimes ne peuvent aucunement être appelés rois. Une conclusion s’impose, plus ou moins « entre les lignes » : les vrais rois, en tant qu’hommes politiques, doivent nécessairement être des philosophes. Le seul régime politique vertueux est celui philosophique, ce qui ne ressortait nullement de la première description. Un dirigeant ne possédant pas de connaissances philosophiques fait partie du vulgaire, même si on peut se méprendre et considérer intelligent celui qui n’est, en fait, dans le meilleur des cas, que prudent. Ce qu’un extrait des Aphorismes choisis l’affirme explicitement : « La prudence est ce que le vulgaire appelle du nom d’ “intellect”. Lorsque cette faculté se trouve dans l’homme, celui-ci est appelé “intelligent”» (notre trad.)74.

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L’extrait décrit les divers régimes politiques comme résultat des actions et des modes de vie des citoyens. C’est là une caractéristique de la pensée politique classique, dans laquelle le gouvernement émane des modes de vie75 qui représentent ses buts, à la différence de la pensée politique moderne, ou les modes de vie se constituent à partir du gouvernement. La pensée politique classique s’enracine, et trouve son point de départ dans la vie effective des hommes76. Nous retrouvons aussi une distinction récurrente chez Farabi, à savoir celle entre les félicités présumées, et la vraie félicité, laquelle, selon C. Genequand, tire ses origines des premières lignes de l’Éthique à Nicomaque77. Nous apprenons ainsi que c’est seulement à l’aide d’un art royal vertueux que la vraie félicité s’accomplit. Le fait que le but de la politique soit la félicité commence à nous donner un aperçu de l’imbrication qui existe entre politique et métaphysique, étant donné que le but du politique semble bien consister en quelque chose de « trans-politique », la félicité étant l’expression la plus haute de la vertu intellectuelle78. Comme on le verra, ce lien s’établit à travers la cosmologie. L’allusion à la dégénérescence du régime vertueux pointe vers les considérations de Platon dans la République. Il est intéressant de remarquer également l’analogie qui est introduite entre la science politique et la médecine79. Comme cette dernière, la politique ne peut s’appuyer sur des principes exclusivement théoriques. Tout comme la médecine, qui suppose, outre la connaissance des principes généraux de la biologie humaine, un savoir fondé exclusivement sur les particularités de chaque cas, la politique aussi suppose une connaissance des circonstances singulières, des différents contextes de la vie politique. C’est là un des thèmes majeurs de la notion de prudence chez Aristote80 : le caractère indéterminé propre à ce savoir, thème qui a été magistralement traité dans le livre de Pierre Aubenque consacré à ce sujet81. Cette analogie sera reprise par d’autres penseurs, comme par exemple Averroès dans son commentaire de la République de Platon. Dans cet écrit, le philosophe cordouan considère que des livres comme l’Éthique à Nicomaque appartiennent à la première partie de la science politique, qui s’occupe des principes de l’action, tandis que des écrits comme la République relèvent de la seconde partie de cette science, laquelle prend en charge la réalisation effective de ces principes82. On remarquera enfin que le portrait d’un philosophe-roi dévoile une constante de la philosophie politique en Islam, dont Farabi fut le fondateur, à savoir, le platonisme politique83. Pour Farabi, ce fut bien Platon le vrai fondateur de la science politique, bien que ce fût Aristote qui accomplit ce que Platon n’a pas pu faire, à cause

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de son âme, trop portée sur la vie contemplative84. Le modèle holiste de la République et des Lois étant plus consonant avec l’idée d’une révélation-Loi, propre au judaïsme et à l’islam (à la différence d’une révélation-foi, comme c’est le cas dans le christianisme), ce « choix platonicien » a été considéré par Strauss comme délibéré quant à l’exclusion de la Politique d’Aristote des traductions arabes85. L’ouvrage d’Aristote est en revanche plus consonant avec l’idée chrétienne de la séparation entre politique et théologie, ce qui pourrait expliquer son adoption par les penseurs chrétiens d’avant la Renaissance, au détriment des ouvrages platoniciens86.

Notre discussion sur la question de la science politique chez Farabi devra s’arrêter ici. Faute d’espace, nous avons dû nous limiter à la seule description de notre extrait. Précisons néanmoins que d’autres discussions de la science politique se trouvent ailleurs dans l’œuvre de Farabi. Tel est le cas avec Le livre de la religion, qui comprend deux descriptions de la science politique, semblables à nos passages87. Tel est également le cas de La philosophie de Platon, texte qui contient une définition de « l’art pratique » qui met en place la conduite/ mode de vie recherché(e), aboutissant à la félicité ; cet art est l’art royal ou politique. Platon se serait occupé de la description de la cité menant ses habitants à la félicité (dans la République), et des conduites vertueuses que ces habitants devraient suivre (dans les Lois)88.

2) Maïmonide : de la science politique à la Loi divine

Dans son ouvrage de jeunesse, Le traité de logique, dont l’attribution à Maïmonide a fait l’objet de plusieurs prises de position de la part de la recherche89, l’auteur consacre le dernier chapitre (chap. 14) à la description du système des sciences. On y trouve une brève remarque sur la science politique. Après avoir introduit la distinction, d’origine aristotélicienne, entre philosophie théorique et philosophie pratique (qui s’appelle également philosophie humaine ou science politique90), Maïmonide offre, en fin de chapitre, une description des parties de la science politique (al-ʻilm al-madanī). Celle-ci comprend quatre divisions, à savoir, l’éthique, le gouvernement du ménage (l’économie), ainsi que la direction de la cité, suivies par la direction de la grande nation ou des nations91. Après une description de l’éthique et de l’économie, on trouve une discussion de la science politique, laquelle est

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…une science qui fournit aux habitants (de cette cité), la connaissance de la félicité véritable (maʻrifat al-saʻāda al-ḥaqīqiyya), en leur fournissant la démarche pour l’atteindre (al-saʻy fī taḥṣīli-hā)…

Cette science fait savoir aux habitants le malheur véritable, comment s’en garder, et comment, par l’exercice de leur mœurs, rejeter les félicités présumées (al-saʻādāt al-maẓnūna). De même, cette science fixe des règles (qawānīn) de justice, au moyen desquelles s’ordonnent les communautés humaines.

Les savants des communautés religieuses (milal) disparues, poursuit le texte, fabriquaient, en tenant compte de la perfection de chaque individu d’entre eux, des directions et des règles (tadābīr wa-qawānīn) par lesquelles leurs rois dirigeaient leurs sujets ; ils les appelaient lois (no/moi/nawāmīs), et les nations se dirigeaient selon ces lois. Les philosophes ont sur toutes ces choses de nombreux livres qui ont été publiés ; et peut-être ce qui n’a pas été publié est-il (encore) plus nombreux92. Mais en ces temps-ci, finit le texte, il n’y a pas besoin de toutes ces choses, je veux dire les gouvernements et les lois, et le gouvernement des hommes (se fait) par les commandements divins (bi-l-awāmir al-ilāhiyya)93.

Dans un premier temps, nous retrouvons la division tripartite, d’origine aristotélicienne, de la philosophie pratique, en éthique, économie et politique proprement dite, division qui sera reprise par d’autres penseurs de l’Islam médiéval94. À cette nuance près que la politique est à son tour divisée en gouverne de la cité, et de la grande nation et des nations. Ce dernier passage a suscité des discussions de la part de la recherche, comme ce fut le cas des études de H. A. Wolfson, ou L. Strauss, qui s’appuyaient, tous les deux, sur les traductions hébraïques de l’écrit. Depuis que la version originale a été retrouvée, cet extrait a reçu l’interprétation appropriée dans l’excellente étude de J. L. Kraemer, consacrée au chapitre 14 de notre traité95.

Comme nous pouvons le constater, notre passage suit en bonne partie les extraits de Farabi que nous venons de résumer. L’objet de la politique est la vraie félicité, que le penseur juif distingue des félicités présumées, en suivant son prédécesseur musulman. La finalité de la politique semble, une fois de plus, transcender le domaine politique. Maïmonide assigne, lui aussi, l’accession à la félicité à la science politique96.

La science politique décrit aussi bien la finalité de la politique, que les manières effectives par lesquelles on peut l’atteindre, ce qui correspond

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peut-être à la division de la science politique, en une partie consacrée aux règles générales, et une autre à leur réalisation effective. Mais la partie la plus intéressante consiste dans l’affirmation que l’on trouve dans la dernière partie de notre passage. Elle consiste dans l’opposition entre les nomoi des nations disparues, à savoir les nations païennes97, et leur remplacement par les commandements divins à l’époque des religions monothéistes. Il semble bien que désormais, la pensée politique se traduit dans des lois religieuses, censées remplir toutes les requis de la science politique.

C’est exactement la perspective que Maïmonide défend dans son Guide. Il parle, plusieurs fois, des buts de la Loi juive. De toutes les lois, elle seule est une loi parfaite, comme il fut dit : « La Loi de l’Éternel est parfaite (Tôrat YYY temîmāh) » (Psaumes, XIX, 8). Sa perfection dérive de son équité ; elle évite tous les excès qui pourraient nuire à la perfection de l’homme relativement aux mœurs et à la spéculation, à la différence des nomoi des communautés religieuses anciennes (nawāmīs al-milal al-sālifa). C’est la seule Loi qui peut s’appeler šarīʻa ilāhiyya ; tout ce qui est en dehors d’elle en fait des régimes politiques (al-tadbīrāt al-madaniyya) est l’œuvre de seuls gouvernants (mudabbirūn), et non pas de prophètes. Tel est le cas avec les nomoi des Grecs (nawāmīs al-yūnān), ainsi que des divagations des Sabiens (haḏayānāt al-ṣāba) et d’autres98.

L’analyse de la Loi se poursuit dans le chapitre suivant. Après avoir rappelé que l’homme est un être sociable par nature (al-insān madanī bi-l-ṭabʻ)99, qui doit se réunir avec ses semblables, la discussion se poursuit par une observation concernant la grande variété des individus humains, qui exige un gouvernant capable de rassembler les humains dans une seule société, selon un critère d’adaptation qui comprendrait tous les individus. Par conséquent, la Loi « …bien qu’elle ne soit pas naturelle, possède une entrée dans la (chose de) la nature »100. Le critère par lequel se distinguent les régimes se fondant sur les nomoi, et ceux qui émanent d’une loi divine, c’est que les premiers ont une visée strictement politique (bon ordre de l’État, éradication de l’injustice, etc.) sans égard aux matières spéculatives (umūr naẓariyya), au perfectionnement de la faculté spéculative (takmīl al-quwwa al-nāṭiqa), et aux opinions (al-ārā’), qu’elles soient saines ou malades101. Leur seul but est d’atteindre une quelconque félicité présumée (saʻāda mā maẓnūna). À la lumière de ce qui vient d’être dit, on peut bien conclure que la Loi divine est celle qui prend en charge la vraie félicité, dont le contenu est suggéré en passant : l’appropriation des matières spéculatives et le perfectionnement de la faculté rationnelle102.

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Ailleurs dans le Guide, la Loi juive est considérée comme ayant deux buts, à savoir, le bien-être de l’âme (ṣalāḥ al-nafs) et le bien-être du corps (ṣalāḥ al-badan). Le second vise l’accomplissement des nécessités vitales, qui ne peut se faire autrement que par l’association, car l’homme est un être sociable par nature. Le premier consiste dans l’acquisition des opinions saines (ārā’ ṣaḥīḥa) selon la faculté de chacun. La suite du texte identifie ce but (qui est maintenant appelé « perfection dernière ») au devenir rationnel en acte, à savoir la possession de l’intellect en acte (al-ʻaql bi-l-fiʻl). C’est par cette seule perfection qu’on obtient l’immortalité (al-baqā’ al-dā’im)103.

Comme nous venons de le constater, Maïmonide suit en partie les observations de Farabi. Sauf que dans son cas, il y a un changement de perspective. À la place de la science politique, c’est la Loi juive qui prend en charge l’accomplissement de la vraie félicité de l’homme. Elle est identique à l’accomplissement de la perfection théorique104. La perfection théorique est assignée au second but de la Loi. Dans cette perspective, la Loi divine dépasserait les nomoi, qui visent le seul bien-être social et corporel, c’est-à-dire l’une des félicités présumées105. Ce qui va dans le sens de la tradition dont Maïmonide se veut l’héritier : non pas une philosophie, mais un savoir exégétique, capable de percer le sens caché de la Loi, ou « la science de la Loi dans sa réalité ».

*Nous avons ainsi achevé notre deuxième partie. Au bout de nos

descriptions, nous commençons à comprendre les approches du phénomène politique par les deux penseurs. Farabi se conforme à la tradition dont il se veut l’héritier. Il s’agit de la philosophie transmise « d’Alexandrie à Bagdad ». Cette tradition contient une science politique de nature platonicienne, qui pose comme but du politique l’accession à la félicité. Cette dernière n’est pas assignée à la poursuite solitaire du philosophe, mais devient le but ultime de la communauté politique qui se fonde à travers l’art royal vertueux. Quel est le lien entre politique et félicité, nous allons le comprendre dans notre dernière partie.

Maïmonide définit le phénomène politique principalement à travers une description des visées de la Loi, suivant en cela la tradition de la pensée médiévale juive, dans laquelle la politique ne constitue pas un domaine indépendant du domaine de la Loi106. Il s’inscrit ainsi dans la supposée tradition exégétique qui, « de Jérusalem à Cordoue », se serait perdue. La Loi juive contient le savoir politique par excellence, lequel a comme but la réalisation de la félicité humaine à travers la perfection

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intellectuelle. Comme nous l’avons montré, il est question, là aussi, d’un lien entre politique et métaphysique. Mais là où le Musulman établit la philosophie tout court comme religion universelle de l’humanité, le Juif conçoit ce lien à l’intérieur du judaïsme, en consonance avec les objectifs plus limités de sa démarche107, qui se propose d’offrir une apologie de la religion juive.

III) Le contexte cosmologique du politique

Dans cette troisième partie, nous allons analyser brièvement le contexte cosmologique du politique. Comme nous allons le constater, les deux penseurs conçoivent le meilleur régime à travers une analogie avec le système cosmologique. C’est de là que provient la conception d’une religion-image de la philosophie chez Farabi, ou le partage du judaïsme entre une couche extérieure et un niveau ésotérique chez Maïmonide.

1) La cité cosmologique de Farabi. La religion comme image de la philosophie

Farabi est l’héritier des cosmologies de l’Antiquité tardive. Puisque ce n’est pas la cosmologie qui fait l’objet de notre étude, nous allons juste en rappeler quelques traits principaux. Nous allons nous rapporter principalement au Régime politique, qui en comprend les développements les plus subtiles. La Cité vertueuse, l’autre grand ouvrage « cosmologique » de Farabi, dont le Régime serait une « annexe », n’est pas, à ce qu’il semble, une œuvre purement philosophique, mais plutôt performative, consacrée au recrutement de l’élite philosophique, et remplie de lieux de contestation (mawāḍiʻ al-ʻinād), que les disciples éclairés sont censés percevoir108. Sa structure et son contenu pourraient se comprendre partant des discussions de la littérature théologique de son époque109.

La cosmologie de Farabi est structurée selon un processus d’émanation, qui part du Premier, pour s’achever avec la région sublunaire, processus qui comprend de différents degrés d’existants de dignités ontologiques différentes110. La structure de la cité se plie sur la structure de l’univers, ou chaque partie est liée à celle qui la précède et à celle qui la suit. C’est au chef de premier rang qu’incombe l’institution de cet arrangement analogique. Alors,

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Quand les choses se passent ainsi c’est que les parties qui composent la cité sont en état de cohésion, de composition harmonieuse et sont ordonnées hiérarchiquement selon l’antériorité des unes et à la postériorité des autres. <Ces parties> deviennent <alors> semblables aux étants naturels (taṣīru šabīha bi-l-mawğūdāt al-ṭabīʻiyya) et de leur hiérarchie (wa-marātibi-hā), semblable elle aussi à la hiérarchie des étants (šabīha ayḍan bi-marātib al-mawğūdāt) qui part du Premier (al-awwal) et se termine avec la matière première et les corps élémentaires111; leur cohésion et leur composition harmonieuse <deviennent> semblables à la cohésion et à la composition harmonieuse entre les différents étants ; et celui qui gouverne (wa-mudabbir) [ou « le roi (malik) de» selon un autre manuscrit], cette cité (tilka al-madīna) devient semblable à la Cause première (šabīhan bi-l-sabab al-awwal) en vertu de laquelle existe toute la série des étants (llaḏī bi-hi wuğūd sā’ir al-mawğūdāt) dont les rangs, ensuite, s’abaissent continûment, peu à peu, <parvenant ainsi à ceux qui> sont chacun <à la fois> dirigeant et dirigé (fa-yakūnu kull wāḥid min-hā ra’īsan wa-mar’ūsan), jusqu’à ce qu’on aboutisse à ces étants possibles (al-mawğūdāt al-mumkina), auxquels n’appartient aucune autorité (lā ri’āsa la-hā aṣlan), mais qui sont ancillaires et existent en vue d’autre chose : il s’agit de la matière élémentaire et des corps élémentaires112.

Nous n’avons pas à nous arrêter sur l’analogie qui existe entre la structure ontologique qui appartient à la Cause Première et selon laquelle se déploie l’univers113, tant à son niveau immatériel (la chaîne des intelligences séparées), qu’à son niveau matériel (les corps célestes et les corps sublunaires), et la structure de la cité produite par l’action volontaire du gouverneur, qui range les habitants de la cité d’une manière analogue aux hiérarchies cosmologiques. Mentionnons en passant des endroits où Farabi introduit une autre analogie, à savoir celle entre le corps humain et le corps politique. La communauté politique est conçue comme un ensemble intermédiaire entre le microcosme et le macrocosme114. La ri’āsa cosmologique et celle politique se rassemblent, nous faisant comprendre ainsi le lien entre cosmologie et politique.

Le but de la cité vertueuse est la félicité. La félicité doit se comprendre en termes intellectualistes. Elle consiste dans l’actualisation complète de l’intellect humain, qui atteint ainsi le degré de l’intellect acquis115. Rappelons dans ce sens que l’homme appartient à ces substances possibles qui ont besoin d’actualisation pour arriver à leur destination ultime, laquelle consiste, comme nous venons de le dire, dans la perfection intellectuelle116. À ce processus participent les corps célestes, mais surtout l’Intellect agent, l’intelligence séparée gouvernant le monde sublunaire.

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Il est cause efficiente et finale de l’intellect humain. Il attire ce dernier vers sa plénière actualisation. Le perfectionnement de l’homme est équivalent au perfectionnement de l’ensemble du monde sublunaire. Car l’homme (« l’animal rationnel ») est l’être le plus parfait dans la hiérarchie sublunaire, dont il fait partie. C’est pourquoi, pour comprendre le but de l’homme, il faut d’abord connaître celui du monde en son entier (al-ġaraḍ min kull al-ʻālam) : « il doit être une partie du monde, parce que son but est nécessaire à la réalisation du but ultime du monde entier (al-ġaraḍ al-aqṣā min kull al-ʻālam)117. Le monde sublunaire ne peut s’accomplir et atteindre sa perfection qu’à travers le perfectionnement complet de l’être humain, à travers la félicité intellectuelle.

Cette conception n’arrive pas cependant à répondre à une question qui nous vient à l’esprit dès qu’on analyse les extraits que nous avons discutés auparavant. Il y était dit, que la réalisation de la félicité relevait d’une visée communautaire, étant assignée à la science politique. Or, nous avons affaire ici à la description d’une activité contemplative qui transcende en quelque façon la cité. Elle peut être parfaitement accomplie en dehors de tout cadre communautaire. S’il s’agit de la réalisation des plus grandes possibilités de l’être humain, elle serait en consonance avec l’idée d’un sage autarcique, tel qu’il est présenté dans l’Éthique d’Aristote. Nous n’arrivons pas à déchiffrer la nécessité du « retour à la Caverne » du philosophe. Il faut donc se demander en quel sens la félicité ultime peut devenir, non pas l’œuvre du roi-philosophe et de ses égaux, mais le destin d’une communauté historique, étant l’objet, non pas d’une activité contemplative solitaire, mais d’une pratique de nature politique118.

Pour offrir une réponse à notre question, il nous faut discuter brièvement le concept de religion chez Farabi. Le perfectionnement intellectuel, qui comprend la connaissance de la totalité de l’univers doit être rendu accessible à l’ensemble du genre humain, afin que l’activité du roi vertueux puisse se ressembler parfaitement à celle du Premier, qui établit par l’effluve qui part de lui les structures ontologiques de l’univers. Or, ces connaissances que possède le roi ne peuvent être transmises en tant que telles à tous les citoyens. Les hommes ont des natures innées très différentes119. Peu d’entre eux seront capables de suivre une argumentation philosophique. Et c’est bien là qu’apparaît la nécessité de la religion.

La conception de la religion et de son lien avec la philosophie se fonde sur une théorie de l’imitation très complexe, qui ne pourra être exposée ici dans tous ses détails. Mentionnons seulement la reprise par Farabi de l’analogie à trois termes de Platon, dans un cadre de syllogistique

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aristotélicienne. Le terme moyen (B) assure la continuité entre sensible et intelligible, plus clairement, assure une participation du sensible à l’ordre intelligible120. Les matières philosophiques seront accessibles aux seuls gens qui pourront se les représenter d’une manière appropriée (taṣawwuru-hā), telles qu’elles sont, tandis que ceux qui n’en sont pas capables, auront à se les représenter (taḫyīlu-hā) par des « images » et par des imitations (ḫayālātu-hā wa-miṯālātu-hā). Ces imitations seront plus ou moins proches de l’objet imité, variant d’une classe d’hommes à l’autre, ainsi que d’une cité à l’autre121. Ce pourquoi, il peut y avoir une multitude de nations et de cités vertueuses, ayant des religions (milal) différentes, qui visent cependant à une seule et même félicité (saʻāda wāḥida bi-ʻayni-hā). Ceux qui peuvent percevoir les choses elles-mêmes sont appelés Sages (al-ḥukamā’) ; ceux qui les reçoivent par voie d’imagination, croyants (al-mu’minūn)122.

La religion est une imitation de la philosophie, comme l’affirme un extrait de l’Accession, dans lequel Farabi attribue cette conception aux Anciens (al-qudamā’). Ce qui est appréhendé par l’esprit tel qu’il est et par voie de démonstration certaine (‘an burhān yaqīnī) est appelé philosophie, alors que ce qui est appréhendé par voie de similitude (bi-miṯālāti-hā) est appelé religion, qui est une sorte de philosophie populaire, endoxale, ou extérieure (al-falsafa al-ḏā’iʻa al-mašhūra al-barrāniyya)123. La théorie de la nécessité d’une institution d’analogies sensibles pour la présentation aux masses des intelligibles sous forme d’images devint un lieu récurrent en philosophie arabe, étant reprise par des penseurs aussi différents qu’Avicenne ou Ibn Tufayl124.

La religion représente une institution symbolique qui doit s’adapter à chaque fois aux traits naturels et aux habitudes de chaque nation particulière dans laquelle elle est instituée. Ce pourquoi, la religion peut varier d’une nation à l’autre, alors que ce qu’elle représente au niveau des images, à savoir la philosophie, est unique. De là s’ensuivent deux conclusions. Premièrement, que la philosophie doit nécessairement précéder temporellement la religion. Il faut d’abord que la philosophie vraie soit établie et connue par le législateur, pour qu’ensuite il puisse instaurer la bonne religion, en choisissant le système approprié d’imitation125. Deuxièmement, que la religion est entièrement subordonnée à la philosophie, puisque c’est à partir de l’acquisition des intelligibles philosophiques que les images religieuses peuvent être instaurées de façon appropriée126. Ce système complexe de subordination ressort d’un passage des Lettres :

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Il faut que l’art du kalām et l’art du fiqh soient chronologiquement postérieurs à la religion (muta’aḫḫiratāni ʻan al-milla), que la religion soit chronologiquement postérieure à la philosophie (muta’aḫḫira ̒ an al-falsafa), que les facultés dialectique et sophistique viennent chronologiquement avant (tataqaddamāni) la philosophie, et que la philosophie dialectique et la philosophie sophistique précèdent la philosophie démonstrative. La philosophie, d’une façon générale, vient chronologiquement avant la religion, suivant l’exemple de l’utilisateur des instruments qui précède dans le temps les instruments. Et [les facultés] dialectique et sophistique viennent chronologiquement avant la philosophie, suivant l’exemple de la nourriture de l’arbre qui précède le fruit, ou suivant l’exemple de la fleur de l’arbre qui précède le fruit. La religion précède le kalām et le fiqh à la façon dont le maître qui fait usage du serviteur précède le serviteur, et l’utilisateur de l’instrument précède l’instrument (notre trad.)127.

Il est intéressant de remarquer comment ce rapport de précédence-subordination est conçu ici. Les facultés dialectique et sophistique précèdent la philosophie de la manière dont la nourriture nécessaire à l’arbre précède ses fruits, ou comme la fleur précède le fruit. L’exemple n’est pas choisi au hasard. La philosophie surgit « naturellement » d’un sol pré-philosophique qui la nourrit, elle n’est que le point final du développement des facultés humaines. Par contre, la relation entre philosophie et religion, et entre celle-ci et ses deux branches est définie en termes instrumentaux, étant semblable à la façon dont celui qui fait usage d’un instrument a la précédence sur l’instrument, ou à la façon dont le maître a la précédence sur le serviteur. Cette fois, il s’agit d’une institution politique, qui « ne va pas de soi », « naturellement », ne relevant en rien du hasard. La subordination de la religion à la philosophie ne surgit pas spontanément, étant le résultat d’un choix politique, relevant de l’art royal possédé par le philosophe128.

Nous pouvons à présent conclure notre très brève description de la façon dont Farabi conçoit la communauté humaine vertueuse129. La cité vertueuse doit imiter la hiérarchie cosmologique. La position du gouvernant de la cité est analogue à celle de la Cause Première. Le gouvernant est le philosophe-roi pouvant acquérir l’ensemble des intelligibles qui mènent au perfectionnement intellectuel. Il est également l’instituteur d’une religion imitative, qui offre des images de la vérité, en conformité avec les habitudes et les traits de chaque communauté humaine130. Ces images sont conçues elles aussi d’une manière platonicienne : loin d’être de simples simulacres, elles participent aussi à la réalité intelligible qu’elles

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décrivent, tout comme chacune des entités cosmologiques participe, selon son niveau, à la nécessité ontologique du Premier. Tout comme l’effluve partant du Premier parcourt la totalité de la hiérarchie cosmologique, la cité vertueuse sera parcourue elle aussi, par l’enseignement religieux instauré par son fondateur-philosophe. Nous pouvons ainsi répondre à la question que nous venons de poser plus haut. La félicité est incluse dans la science politique, moyennant l’instauration de la religion. Cette dernière représente l’activité politique par excellence, par laquelle la philosophie devient, non seulement une pratique contemplative solitaire, mais un système politique capable d’amener l’ensemble de l’humanité aussi proche que possible de sa destination finale. La philosophie devrait s’actualiser dans chaque être humain, selon la possibilité qui lui est propre131. Le but suprême du philosophe-roi, dont la domination devrait, dans l’idéal, s’éteindre à la terre entière132, consistera dans une conversion du sensible vers l’intelligible, ayant comme but d’amener l’humanité tout entière vers la félicité133, de la même façon que la Cause première gouverne l’ensemble de l’univers. Dans ce sens, la politique est l’instrument sotériologique par lequel l’humanité entière arrive à accomplir ses plus hautes possibilités.

2) Maïmonide : les voies divines d’un judaïsme cosmologique

Il n’y a pas, dans la pensée de Maïmonide, aucune description d’une quelconque « cité vertueuse », comme c’est le cas chez Farabi. Cela est tout à fait compréhensible : étant membre d’une religion sans cité134, Maïmonide n’avait pas de raisons pour concevoir la forme idéale d’un gouvernement à présenter comme alternative aux régimes politiques existants. On trouve néanmoins dans son ouvrage des descriptions d’une société juive idéale, ordonnée à l’intérieur de la « haie de la Torah ». Comme nous allons le constater, ces esquisses sont très semblables à celles de Farabi que nous venons de parcourir brièvement. Elles se fondent sur une approche cosmologique, que nous allons décrire brièvement sans avoir la prétention d’épuiser ce problème135. Un premier extrait se trouve dans Guide, II, 11, qui a comme intention de montrer que

…le régime (al-tadbīr) s’épanche (yafīḍu) de la divinité (min al-ilāh), qu’Elle soit exaltée, sur les intellects (al-‘uqūl), selon leur ordre successif, que les intellects, de ce qu’ils ont eux-mêmes reçus, épanchent des bienfaits et des lumières (ḫayrāt wa-anwār) sur les corps des sphères célestes, et que les sphères enfin épanchent des forces et des bienfaits (quwwā wa-ḫayrāt)136

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sur ce (bas) corps qui naît et périt, en leur communiquant ce qu’elles ont reçu de plus fort de leurs principes.

L’extrait se poursuit par quelques remarques supplémentaires. Celui qui communique un bien (le donneur- mufīd)137 ne le fait pas en vue de celui qui reçoit, car, dans ce cas, ce qui est inférieur serait le but de ce qui est supérieur. L’effluve cosmologique suit la façon de l’homme tellement riche qu’il peut enrichir d’autres, sans rien perdre de sa richesse138. Il en va de même pour l’univers, avec l’effluve qui part de l’être divin (al-fayḍ al-wāṣil min-hu taʻālā) pour produire (li-īğād) la chaîne des intelligences séparées, qui s’achève avec l’Intellect agent. Chaque intelligence produit une sphère ; la production finit dans le monde sublunaire, avec la matière première et les quatre éléments, qui reçoivent des forces venant des sphères célestes139.

Jusqu’ici, nous avons dégagé le portrait sommaire d’une cosmologie de l’émanation semblable au système de Farabi. Il nous faudra chercher à présent l’autre terme de l’analogie, à savoir le rangement hiérarchique de la société. Il se trouve dans les chapitres consacrés à la prophétie140, laquelle joue un rôle plus important que chez son prédécesseur musulman. Parlant du prophétisme, Maïmonide introduit une différence entre le prophète qui n’a pas la force de s’adresser aux gens après avoir eu la révélation (al-waḥy), et celui qui

…est inspiré de manière à être contraint (yağibu an) de faire un appel aux hommes, de les instruire, et répandre sur eux (une partie) de sa perfection (wa-yafīḍa ʻalay-him min kamāli-hi). Il t’est donc clair que, sans cette perfection surabondante, on n’aurait pas composé de livres sur les sciences, et les prophètes n’auraient pas appelé les hommes à la connaissance de la vérité/du Vrai (ilā ʻilm al-ḥaqq)141. En effet, un savant n’écrit rien pour lui-même, afin de s’enseigner à lui-même ce qu’il sait déjà ; mais il est dans la nature de cet intellect de s’épancher perpétuellement (tafīḍu abadan) et de s’étendre d’un (individu) qui reçoit cet épanchement (min qābil ḏālika al-fayḍ) à un autre qui le reçoit, jusqu’à ce qu’il arrive à un individu au-delà duquel son influence ne saurait se répandre, et qu’il ne fait que perfectionner…142

Nous retrouvons ici le second terme de notre analogie. Maïmonide parle de nouveau en termes émanationnistes : l’Intellect agent s’épanche sur l’intellect prophétique, lequel à son tour continue cet épanchement. Tout comme dans le cas de la perfection surabondante de l’être divin, le

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prophète crée une hiérarchie d’apprentissage qui part de lui, pour finir aux derniers degrés d’humains, incapables d’enseigner à d’autres. Ailleurs dans le Guide on trouve, comme chez Farabi, des analogies entre la hiérarchie sociale, le monde et le corps143.

Quant au phénomène prophétique, il est compris en termes intellectualistes : il s’agit de l’effluve (fayḍ) qui part de Dieu pour se répandre, au moyen de l’Intellect agent (bi-wisāṭa al-ʻaql al-faʻʻāl), d’abord sur la faculté rationnelle (ilā al-quwwa al-nāṭiqa awwalan), ensuite sur l’imagination (ṯumma ʻalā al-quwwa al-mutaḫayyila). C’est là, nous dit Maïmonide, le plus haut degré de perfection de l’espèce humaine, ainsi que la plus haute perfection de la faculté imaginative144. Le don de la prophétie nécessite des dispositions dans la personne du prophète, même s’il peut ne pas advenir, à cause de la volonté divine145.

Le fait que dans la prophétie soient en jeu à la fois la faculté rationnelle et l’imagination nous ouvre la voie de la compréhension de la doctrine de Maïmonide sur la structure de son judaïsme. Elle ressort le mieux de sa fameuse exégèse de Proverbes XXV, 11, sur « les pommes d’or dans des filets d’argent »146. Maïmonide explique que l’or représente le sens intérieur (bāṭin) du Livre Saint, tandis que les filets d’argent représentent le sens obvie (ẓāhir) des paroles bibliques. Cela est en consonance avec le début du traité, qui pose comme buts du traité l’explication des noms bibliques (qui sont des homonymes, des métaphores et des amphibologies), ainsi que l’élucidation du sens caché des allégories bibliques147. Mais le détail le plus important ressort de l’affirmation de Maïmonide, selon laquelle « …il faut aussi qu’il y ait dans son sens extérieur quelque chose qui puisse indiquer à celui qui l’examine ce qui est dans son intérieur, comme il en est de cette pomme d’or qui a été couverte d’un filet d’argent à mailles extrêmement fines… ». On voit bien se dessiner la théorie farabienne du rapport entre philosophie et religion comme image de la philosophie. Sauf que dans notre cas, la ligne de partage passe à l’intérieur du judaïsme, divisant celui-ci en une couche extérieure (le « filet d’argent »), qui s’adresse au lecteur non-philosophe, et en une couche intérieure (la « pomme d’or »), accessible aux seules élites philosophiques. Au même temps, le sens obvie du texte biblique se trouve dans une relation de ressemblance avec son sens caché.

Comme son prédécesseur musulman, Maïmonide partage ses coreligionnaires en élites et masses, à travers une exégèse de Psaumes, XLIX, 3 : « Aussi bien les hommes vulgaires que les hommes distingués (gam-bnê ādām gam-bnê-īš) », où il explique que le mot ādām est « un

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nom pour désigner « le vulgaire (li-l-ğumhūr), je veux dire la masse (aʻnī li-l-ʻāmma) à l’exclusion de l’élite (dūna al-ḫāṣṣa)… »148. Ce qui est attesté par la suite du texte, où Maïmonide affirme que le message extérieur de la Bible renferme des choses utiles à l’amélioration de l’état des sociétés, alors que le sens intérieur contient « les croyances ayant pour objet le vrai dans sa réalité » (ibid.) : alors que l’amélioration des sociétés relève de l’enseignement des masses par les images appropriées, représentant l’aspect politique des enseignements bibliques, l’appréhension du « vrai dans sa réalité » a affaire aux doctrines accessibles aux seules élites.

Les activités prophétiques imitent l’ensemble du monde, gouverné par Dieu. La conduite pratique de l’homme parfait comprend la connaissance du monde, qui conduit, par les signes qui y sont semés, à la connaissance du divin149, mais aussi l’imitation des actions par lesquelles Dieu se manifeste dans le monde150. Le prophète-philosophe est à la fois contemplatif et homme d’action. Cela ressort le plus clairement de sa géniale exégèse de l’échelle de Jacob (Genèse, XXVIII, 13 sq.), où il interprète les ascensions et les descentes des anges dans un sens platonicien : le prophète, « …après être monté et avoir atteint certains degrés de l’échelle, descend ensuite avec ce qu’il a appris pour gouverner les habitants de la terre et les instruire (li-tadbīr ahl al-arḍ wa-taʻlīmi-him) … »151.

Il y a cependant plusieurs différences entre les doctrines des deux penseurs.

1) D’abord, le « scepticisme » de Maïmonide, qui est devenu un sujet de recherche depuis les études que Sh. Pinès a consacré à ce problème. Suivant la crise andalouse des sciences, et le conflit sans issue entre astronomie ptoléméenne et physique aristotélicienne, Maïmonide considère que ce n’est que la partie sublunaire de l’univers que l’on peut connaître. Ainsi le monde de la physique sublunaire devient le seul objet sûr de l’imitation de l’activité pratique du prophète152.

2) Mais l’aspect le plus intéressant est représenté par le rapport entre philosophie et religion. Comme nous venons de le montrer, Farabi avance l’idée que la philosophie doit précéder la religion dans le temps. Néanmoins, se produisent des situations atypiques, comme lorsqu’une religion se fonde sur une philosophie corrompue, ou qu’une religion soit transférée d’une nation à une autre sans la philosophie, que la philosophie soit transmise après la religion, ou que la philosophie soit transférée dans une communauté dont la religion se fonde sur une philosophie corrompue153.

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Or, la situation du judaïsme selon Maïmonide semble présenter plus qu’une analogie à ce que décrit Farabi. Il avance l’idée d’une religion supposée vertueuse, dans laquelle cependant les traditions d’exégèse philosophique manquent154. Nous avons vu comment Maïmonide essaye de résoudre ce problème. Il suppose un judaïsme originaire de nature philosophique, qui se serait perdu à cause des catastrophes survenues dans l’histoire des Juifs. D’où le risque d’avoir affaire à une religion déstructurée, ayant perdu le lien avec la philosophie. Par conséquent, l’auteur doit « ouvrir les portes du ta’wīl » et monter sur les fils des allégories bibliques pour percer au sens ésotérique, de nature philosophique155. Une comparaison avec le Livre les lettres s’impose, afin de mettre en évidence la solution proposée par Maïmonide dans son explication de la situation de la religion juive, à la lumière de ce que Farabi décrit comme des rapports défectueux entre philosophie et religion.

Nous avons ainsi offert un bref résumé du contexte cosmologique du phénomène politique chez Maïmonide. Faute de place, nous devons arrêter ici notre présentation, sans pouvoir entrer dans d’autres aspects de la pensée politique de Maïmonide, le plus intéressant étant constitué par son explication de la fondation de la religion juive dans son conflit avec la religion originelle païenne de l’humanité, le « sabéisme ». D’autant plus que les Sabiens représentent un thème récurrent pour les penseurs, historiens et hérésiologues arabophones156.

*Comme nous venons de le constater, les deux penseurs ont une

approche similaire concernant le phénomène politique. Farabi avance la conception de la philosophie comme religion universelle de l’humanité. Les différentes religions vertueuses sont des copies plus ou moins fidèles de la philosophie unique. Cette philosophie-religion est fondée sur la cosmologie, la structure de la cité idéale étant analogue à la hiérarchie cosmologique. La présence d’une approche cosmologique de la politique a conduit D. Gutas à la thèse, discutable, de l’inexistence d’une philosophie authentiquement politique chez Farabi : suite à son approche, il décrit sa cité en termes naturalistes, sans offrir aucune description proprement politique (analyse des constitutions) dans ses ouvrages157. Maïmonide suit la conception de son maître, à cette différence près qu’il reste à l’intérieur du judaïsme. Son judaïsme est lui-aussi de nature cosmologique, le prophète ayant comme but l’imitation des actions par lesquelles Dieu se manifeste dans la création.

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Dans les deux cas, nous avons affaire à une perspective qui combine la cosmologie avec la pensée politique, la communauté politique étant analogue à l’univers dans lequel Dieu se manifeste à tous les niveaux en offrant une cohérence au tout. Dans le cas de la politique, cette cohérence est réalisée par l’instauration de la religion-image de la philosophie. Les deux penseurs dévoilent en même temps la conception d’une sagesse éternelle (philosophie, judaïsme cosmologique), mais également la façon dont cette sagesse doit s’accommoder aux circonstances changeantes de l’histoire humaine.

L’idée de l’analogie entre cosmologie et politique est refusée par l’école straussienne. Les auteurs de cette orientation semblent considérer que la cosmologie n’est qu’un « écran de fumée », une façon de faire passer une pensée simplement politique, une pensée dans laquelle la métaphysique n’a pas de place. Cela va dans le sens de Strauss, qui appelait la philosophie politique du nom de « philosophie première », le vrai substitut d’une métaphysique inexistante158. Elle reste l’apanage d’une communauté philosophique restreinte, vivant dans une « tiny city »159, n’ayant jamais un aspect communautaire, mais les traits d’une élite cachée, à la façon de celle décrite par Allan Bloom dans son interprétation du Marchand de Venise : Belmont et Portia y semblent représenter des métaphores pour l’endroit idéel patronné par la philosophie, où les élites de l’humanité se trouvent réconciliées par-delà les religions historiques160. Faute de place, nous nous contentons de la seule mention de cette approche. Sa discussion sera poursuivie dans des études futures.

Conclusion. La finalité trans-politique du politique chez Farabi et Maïmonide

Dans le but de finir notre enquête, nous allons mettre en évidence la finalité de la science politique, telle qu’elle est conçue par nos deux penseurs. Celle-ci peut être résumée par une seule formule, d’origine aristotélicienne : l’immortalisation de l’homme au moyen du perfectionnement intellectuel, menant à la félicité161. Chez Farabi, cette conception est présentée dans ses traités cosmologico-politiques, étant décrite comme une séparation de l’intellect par rapport à la matière. Les âmes séparées des vertueux se ressemblent à une âme unique, malgré le fait que ces hommes puissent être éloignés dans le temps et l’espace. Une fois séparées du corps par la mort, leurs âmes, désormais

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immatérielles, se conjoignent les unes aux autres, de telle façon que leur plaisir s’accroit par ces conjonctions. Nous avons ici comme un miroir transcendant et trans-politique de la cité vertueuse ; l’au-delà est conçu comme une conjonction des intellects séparés, résultat du dessein (providentiel) de l’Intellect agent162. Maïmonide suit la tendance moniste des Andalous, à commencer avec Ibn Bāğğa. Pour lui, l’âme séparée du corps après la mort matérielle est unique ; la multiplicité des âmes intellectuellement perfectionnées s’absorbe dans un intellect unique qui subsiste perpétuellement. Contrairement à son prédécesseur, la multiplicité (ou plutôt, « l’uni-pluralité » d’origine plotinienne) des âmes séparées semble exclue de la vie postérieure163. Cependant, dans les deux cas la finalité du perfectionnement intellectuel de l’homme est équivalente à l’acquisition de l’immortalité. À quel point cette poursuite de l’immortalité à travers la félicité est une tâche communautaire, relevant de la politique, nous venons de le constater dans les lignes qui précèdent.

La question de l’immortalité de nature intellectuelle inscrit les deux pensées dans une approche philosophique. Il était donc prévisible que cette perspective allait susciter l’opposition des penseurs religieux, comme ce fut le cas des attaques de Ghazali contre les philosophes, auxquels Averroès dut répondre, surtout en ce qui concerne l’épineux problème de la résurrection des morts. Ce fut aussi le cas de Maïmonide, qui eut à affronter les attaques du Gaon de Bagdad. Il répondit dans son Traité de la résurrection des morts. La conception farabienne de la philosophie comme religion ultime de l’humanité pose des problèmes en ce qui concerne ses rapports avec la religion islamique. Il en va de même avec la conception du judaïsme par Maïmonide, comme l’ont montré les deux controverses maïmonidiennes, concernant la légitimité des études philosophiques. Des soupçons concernant la nature réelle de son approche de la religion juive existaient dès la rédaction du Guide; elles peuvent expliquer l’étrange affirmation d’un musulman visitant le Caire et ayant connu Maïmonide, à savoir ʻAbd al-Latif al-Baghdadi, qui affirmait que Maïmonide « …composa un livre pour les Juifs qu’il intitula Kitāb al-Dalāla […] Je l’ai lu, et l’ai trouvé mauvais (sū’), car il corrompt jusque dans leurs fondements les lois révélées et les articles de foi, utilisant pour ce faire ce qu’il croyait apte à les améliorer. » (notre trad.)164 Cela pose le problème des relations tendues entre philosophie et religion dans le monde de l’Islam médiéval, qui mena à une certaine marginalisation des philosophes. Elle pose aussi le problème de la relation de nos philosophes avec les « libres

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penseurs » de l’Islam. Mais ce sont là des discussions qui dépassent le cadre de notre enquête165.

*Nous pouvons ainsi achever notre étude. Nous avons essayé de

mener une recherche comparée des deux pensées, ayant comme but de mettre en évidence le lien qui existe entre politique et cosmologie, entre la question de l’organisation de la société humaine et la félicité comme problème politique. L’enquête s’est construite en trois étapes, en suivant trois problématiques. Dans un premier temps, nous avons analysé les traditions intellectuelles dont les deux penseurs se considèrent les héritiers. Comme nous venons de le constater, Farabi se veut l’héritier de la philosophie du Stagirite, reprise des derniers Alexandrins. Maïmonide se veut le restaurateur d’une tradition d’exégèse biblique perdue, de nature philosophique. Dans le cadre des deux traditions, la pensée politique joue un rôle de première importance. Farabi conçoit la science politique comme la science qui offre à l’ensemble de l’humanité le chemin de la félicité. Maïmonide parle plutôt des visées de la Loi, sa démarche se situant à l’intérieur du judaïsme. Mais chez lui aussi il est question de guider ses coreligionnaires vers la destination de l’homme, équivalente à la perfection intellectuelle. Dans un troisième temps, nous avons montré l’enracinement cosmologique des deux pensées. C’est sur le modèle d’un Dieu gouvernant l’univers que la félicité devient l’enjeu d’un destin politique, et non pas la pratique privée d’une élite philosophique.

Les deux démarchent dévoilent des ressemblances structurales importantes. Maïmonide se situe dans le cadre tracé par la pensée de Farabi, suivant l’idée d’un lien entre politique et métaphysique-cosmologie. Mais il varie d’une manière géniale les approches de son génial maître. Là où le premier conçoit une tradition continue de la translatio studiorum, le second parle d’une tradition perdue. Là où le premier débat du rapport entre philosophie et religion, le second traite de la différence entre la couche extérieure et le message ésotérique du judaïsme. Là où Farabi traite des buts de la science politique, Maïmonide analyse les visées de la Loi. Là où le Musulman conçoit une cité encore à réaliser, le Juif traite de l’organisation idéale d’une « loi sans cité ». Enfin, là où le premier conçoit la vie postérieure comme identique à une conjonction des âmes vertueuses, le second considère l’immortalité d’une façon moniste.

En suivant une tradition classique de nature platonicienne, les deux penseurs offrent, chacun à sa façon, les descriptions du meilleur régime politique. En tant que telles, les deux démarches supposent cet effort

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extraordinaire de l’ensemble de la pensée politique antique et médiévale, qui vise à la réalisation de la meilleure vertu humaine dans un cadre communautaire. Que cette visée représente une tâche immense, peut-être irréalisable dans les circonstances politiques de toute époque historique, c’est une chose de laquelle tous les deux se rendaient parfaitement compte. On peut à cet égard songer aux affirmations pessimistes de Farabi sur les « étrangers », et sur l’exode qui s’impose aux sages résidant dans des cités corrompues, ou encore aux injonctions de Maïmonide à la solitude et l’isolement166. Dans cette perspective, nos démarchent dévoilent les traits de toute la pensée politique des Anciens, à la fois trop « idéaliste » et (néanmoins) noble dans ces aspirations. Car, comme l’affirmait Strauss : « In spite of its highness or nobility it [à savoir, la philosophie] could appear as Sisyphean or ugly, when one contrasts its achievement with its goal. Yet it is necessarily accompanied, sustained and elevated by eros. It is graced by nature’s grace. »167.

Ce que nous espérons au bout de notre parcours, c’est d’avoir mis en évidence les traits d’une tradition de pensée de philosophie politique qui trouve sa place parmi les acquis les plus nobles de la tradition méditerranéenne, de l’Antiquité au Moyen Âge. Que cette tradition n’ait qu’un intérêt « antiquaire », ou qu’elle présente encore des potentialités à réaliser, c’est une question qui va bien au-delà des enjeux de cette étude.

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Liste d’abréviations :

Littérature Primaire:

1. EN, ENar = Aristote, Éthique à Nicomaque, tr. fr. par J. Tricot, Paris, Vrin, 1997 (nouvelle édition) (=EN) ; The Arabic Version of the « Nicomachean Ethics », édité par Anna A. Akasoy et Alexander Fidora, traduit par Douglas M. Dunlop, Leyde-Boston, Brill, 2005 (=ENar).

2. Accession = FArAbi, L’accession à la félicité (Taḥṣīl al-sa‘āda), version arabe éditée par Jafar al-Yasin, dans Al-Farabi. Al-aʻmāl al-falsafiyya, Beyrouth, Dar al-manahel, 1992, p. 119-197; tr. anglaise par Muhsin Mahdi, The Attainment of Happiness, dans Alfarabi. Philosophy of Plato and Aristotle, New York, Cornell University Press, 20013, p. 13-50.

3. Armonia = FArAbi, L’armonia delle opinioni dei due sapienti, il divino Platone e Aristotele (Kitāb al-ğamʻ...), édition du texte arabe et traduction italienne par Cecilia Martini Bonadeo, Pise, Edizioni Plus, 2008.

4. Cité = FArAbi, La cité vertueuse (Mabādi’ ārā’ ahl al-madīna al-fāḍila), édition et tr. anglaise par Richard Walzer, Al-Farabi on the Perfect State, Oxford, Clarendon Press, 1985.

5. Lettres = FArAbi, Alfarabi’s Book of Letters (Kitāb al-ḥurūf), éd. M. Mahdi, Beyrouth, Dar al-Mashreq, 19902.

6. Religion = FArAbi, Livre de la religion (Kitāb al-milla), éd. du texte arabe par M. Mahdi, dans Book of Religion and Related Texts (Kitāb al-milla wa-nuṣūṣ uḫrā), Beyrouth, Dar al-mashreq, 1968, p. 41-66 ; tr. anglaise par Charles E. Butterworth, The Political Writings. « Selected Aphorisms » and Other Texts, Ithaca et Londres, Cornell University Press, 2001 p. 87-113.

7. Régime = FArAbi, Le Livre du régime politique (Kitāb al-siyāsa al-madaniyya), édité par F. M. Najjar, Beyrouth, 19932 ; tr. fr. par Philippe Vallat, Paris, Les Belles Lettres, 2012.

8. Histoire = ibn Abi UsAybi‘A, Histoire des médécins (ʻUyūn al-anbā’ fī ṭabaqāt al-aṭibbā’), éd. Nizar Rida’, Beyrouth, Dar maktabat al-haya, 1965.

9. Guide = MAïMonide, Le Guide des égarés (Dalālat al-ḥā’irīn), édition par I. Joël du texte de Munk, Jérusalem, Junovitch, 1931 (judéo-arabe); Le Guide des égarés, tr. fr. par Salomon Munk (1856-1866), Paris, G-P Maisonneuve et Larose, 1981, 3 volumes.

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10. Logique = MAïMonide, Traité de logique (Maqāla fī ṣināʻat al-manṭiq), texte judéo-arabe (éd. I. Efros), avec introduction et traduction par R. Brague, Paris, Desclée de Brouwer, 1996, collection « Midrash ».

11. TB = Talmud du Babylone, nombreuses éditions.

Littérature secondaire:

1. EI = The Encyclopaedia of Islam (New Edition), Leyde, Brill, 1986-2009.

2. IPhM = Heidrun Eichner, Matthias Perkams et Christian Schäfer (éd.), Islamische Philosophie im Mittelalter. Ein Handbuch, Darmstadt, WBG, 2013.

3. MUSJ = Mélanges de l’Université « Saint-Joseph ».4. SFIM = Cristina D’Ancona, (éd.), Storia della filosofia nell’islam

medievale, Torino, Einaudi, 2005, 2 vol. 5. HJPh = steven nAdler, et T. M. rUdAvsky, (éd.), The Cambridge

History of Jewish Philosophy. From Antiquity through the Seventeenth Century, Cambridge University Press, 2009.

6. « Complex » = Dimitri GUtAs, « The “Alexandria to Baghdad” Complex of Narratives. A Contribution to the Study of Philosophical and Medical Historiography among the Arabs », Documenti e studi sulla tradizione filosofica medievale, X, 1999, p. 155-93.

7. « Sources philosophiques» = Shlomo Pinès, « Les sources philosophiques du “Guide des Perplexes” », tr.fr. par R. Brague dans Shlomo Pinès, La liberté de philosopher. De Maïmonide à Spinoza, Paris, DDB, collection « Midrash », 1997.

8. « Literary Character » = Leo strAUss, « The Literary Character of the Guide of the Perplexed », dans Persecution and the Art of Writing (1952), Chicago et Londres, The University of Chicago Press, 19882, p. 38-94.

9. École = Philippe vAllAt, Farabi et l’école d’Alexandrie, Paris, Vrin, 2004.

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NOTES1 Pour les abréviations, voir « Liste des abréviations », à la fin de notre

étude. Nous citons toujours à partir des originaux arabes. Néanmoins, pour aider la lecture des non-spécialistes, nous indiquons ensuite les pages correspondantes des traductions fiables en langues européennes (ex. : Accession, p. 181(=arabe) / 43(=trad.)), et ce, même là où nous proposons nos traductions françaises des textes analysés. Nous nous sommes permis des simplifications dans l’utilisation des noms des auteurs étudiés (ex. : « Farabi », au lieu d’« Al-Fārābī »). Les translitérations de l’arabe sont parfois simplifiées, notre texte n’étant pas un texte d’analyse philologique. Notre traitement de Farabi (commentaires et traductions), doit beaucoup au savoir de Philippe Vallat, l’un des meilleurs spécialistes du domaine. Nous voudrions le remercier, tout en précisant que les limites de nos interprétations nous incombent. La finalisation de cette étude n’aurait pas été possible sans un stage (mai 2017) dans la bibliothèque de l’Institut Warburg de Londres. Nous remercions tout le personnel de l’Institut (surtout Charles Burnett) pour avoir aidé nos recherches.

2 Discutée par Shlomo Pinès « Sources philosophiques », p. 93-6. 3 À titre de seul exemple, voir Georges vAjdA, « À propos d’une citation non-

identifiée d’al-Fārābī dans “Le Guide des égarés” » (1965), repris dans D. Gimaret, M. Hayoun et J. Jolivet (éd.) Études de théologie et de philosophie arabo-islamique à l’époque classique, Variorum Reprints, Londres, 1986 sur Guide, II, 15, p. 203-4/126-7, discussion sur Aristote, Topiques, I, 11, 104b 15 sq. Le texte auquel fait référence Maïmonide a depuis été édité. Voir Kitāb al-ğadal, dans Al-manṭiq ‘inda al-Fārābī, III, Rafiq al-‘Ajam (éd.), Beyrouth, Dar al-mashreq, 1986, p. 81-2.

4 Pour des résumés en ce sens, voir Sarah stroUMsA, « The Muslim Context », HJPh, p. 39-59 ; Joel L. krAeMer, « The Islamic Context of Medieval Jewish Philosophy », dans Daniel H. Frank et Oliver Leaman (éd.), The Cambridge Companion to Medieval Jewish Philosophy, Cambridge University Press, 2003, p. 38-68. Pour des approches plus philosophiques, voir Rémi brAGUe, « Das gegenseitige Verhältnis von Philosophie und Islam », IPhM, p. 67-95 ; Leo strAUss, « How To Begin to Study Medieval Philosophy », dans The Rebirth of Classical Political Rationalism, Thomas L. Pangle (éd.), The University of Chicago Press, 1989, p. 207-226.

5 Pour un excellent aperçu d’ensemble, voir Matthias PerkAMs, « Die Übersetzung philosophischer Texte aus dem Griechischen ins Arabische und ihr geistesgeschichtlicher Hintergrund » IPhM, p. 115-42; Dimitri GUtAs, Pensée grecque, culture arabe (1998), tr. fr. par Abdesselam Cheddadi, Paris, Aubier, 2005 ; Cristina d’AnconA, « Le traduzioni di opere greche e la formazione del corpus filosofico arabo », SFIM, I, p. 180-252 ; « Gerhard endress, « The Circle of Al-Kindī. Early Arabic Translations from the Greek

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and the Rise of Islamic Philosophy », dans G. Endress et Remke Kruk (éd.), The Ancient Tradition in Christian and Islamic Hellenism…, Research School CNWS, School of Asian, African and Amerindian Studies, Leyde, 1997, p. 43-76; Cleophea FerrAri, « La scuola aristotelica di Bagdad », SFIM, I, p. 353-74.

6 Comme seuls exemples, voir kindi, Philosophie première, dans Œuvres philosophiques et scientifiques d’al- Kindî, Roshdi Rashed et Jean Jolivet (éd.), Leyde, Brill, 1998, p. 13 sur Mét. α 993a30 ; FArAbi, Lettres, § 143, p. 151-2 ; MAïMonide, Guide, I, 5, p. 19/46 ; Averroès, Grand Commentaire de la « Métaphysique », éd. par Maurice Bouyges, s.j., Beyrouth, Dar al-Mashreq, 19903, p. 9-10, Comm. 2 sur Mét. α 993a30 sq., avec l’excellente étude de David WirMer, « Ibn Rušds (Averroes’) Auffassung von Philosophie und ihre Kontexte », IPhM, p. 314-39. L’appréciation de la pensée du Stagirite est résumée par dAnte dans les fameux vers de la Divine comédie, où il appelle Aristote « (i)l maestro di color che sanno » (« Inferno », IV, 131).

7 Voir ENar, l’introduction de Douglas M. dUnloP, p. 1-109. 8 Sh. Pinès, « Aristotle’s Politics in Arabic Philosophy », Israel Oriental Studies,

V, 1975, p. 150-60, réimpr. The Collected Works II. Studies in Arabic Versions of Greek Texts and in Medieval Science, Jérusalem-Leyde, Magnes Press-Brill, 1986, p. 146-156; R. brAGUe, « Note sur la traduction arabe de la Politique d’Aristote. Derechef, qu’elle n’existe pas », dans Pierre Aubenque, (éd), Aristote politique, PUF, Paris, 1993, p. 423-433.

9 Henri HUGonnArd-rocHe, « Remarques sur la tradition arabe de l’Organon d’après le manuscrit Paris, Bibliothèque Nationale ar. 2346 », Glosses and Commentaries on Aristotelian Logical Texts. The Syriac, Arabic and Medieval Latin Traditions, Londres, The Warburg Institute, 1993, p. 19-28.

10 Sur les Lois, voir Steven HArvey, « Did Alfarabi Read Plato’s Laws? », Medioevo. Rivista di storia della filosofia medievale, XXVIII, 2003, p. 51-68. Sur la République, David C. reisMAn, « Plato’s Republic in Arabic. A Newly Discovered Passage », Arabic Sciences and Philosophy, 14/2004, p. 263-300. Le commentaire sur les Lois de Farabi a été édité par Thèrese-Anne Druart, « Le sommaire du livre des “Lois” de Platon (Ğawāmiʻ Kitāb al-Nawāmīs li-Aflāṭūn) par Abū Naṣr al-Fārābī » dans Bulletin d’Études Orientales, 50/1998, p. 109-55; trad. anglaise par Charles Butterworth, dans Alfarabi. The Political Writings, II, Ithaca et Londres, Cornell University Press, 2015, p. 129-73.

11 « L’Aristote Arabe. Réception, autorité et transformation du Premier Maître », Medioevo, 23/1997, p. 1-42.

12 Pour des présentations biographiques, voir Ph. vAllAt, École, 11-25 ; id., « Abū Naṣr al-Fārābī, portrait d’une époque », Épître sur l’intellect, tr. fr. par Philippe Vallat, Paris, Les Belles Lettres, 2012, p. I-Lii (introduction) ; Dimitri GUtAs, « Farabi I. Biography », Encyclopaedia Iranica, éd. en ligne : http : /www.iranicaonline.com/articles/farabi-i.

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13 Pour des présentations générales de ses œuvres, voir Muhsin MAHdi, article «Alfarabi», dans Leo Strauss et Joseph Cropsey (éd.), History of Political Philosophy, Chicago et Londres, The University of Chicago Press (1963), 19873, p. 206-227; Cleophea FerrAri, « Al-Fārābī und der arabische Aristotelismus », dans IPhM, p. 218-32 ; Cecilia MArtini bonAdeo et C. FerrAri, dans SFIM, I, « Al-Fārābī », p. 380-448 ; R. WAlzer, « Early Islamic Philosophy », The Cambridge History of Latter Greek and Early Islamic Philosophy, Cambridge University Press, 1967, p. 643-69.

14 The Life of Ibn Sina, éd. et trad. anglaise par William E. Gohlman, Albany, New York, SUNY Press, 1974, p. 32 sq. : « J’ai lu le livre de la Métaphysique, mais je n’ai pas compris ce qui s’y trouvait ; le propos de son auteur (ġaraḍu wāḍiʻi-hi) restait pour moi enveloppé d’obscurité ». Après avoir lu le traité de Farabi, « les buts de ce livre (aġrāḍ ḏālika al-kitāb) » lui seraient, « sur le coup (fī al-waqt) », devenus clairs. Voir D. GUtAs, Avicenna and the Aristotelian Tradition, Leyde, Brill, 1988, p. 238-54 (avec une trad. partielle du texte de Farabi, p. 240-2) ; FArAbi, Sur les buts d’Aristote dans chaque traité du livre caractérisé par les lettres (Fī-aġrāḍ al-ḥakīm fī kulli maqāla min al-kitāb al-mawsūm bi-l-ḥurūf), Rasā’il al-Fārābī, Damas, Dar-al-yanabia, p. 23-27 ; tr. fr. par Thérèse-Anne Druart, Bulletin de philosophie médiévale, 24/1982, p. 38-43 ; tr. it. par C. Martini-Bonadeo, SFIM, « Al-Fārābī », p. 440-3.

15 Voir ibn Abi UsAybiʻA, Histoire, p. 604. Sur le contexte plus large à l’intérieur duquel il faut inclure cet extrait, voir R. brAGUe, « Sens et valeur de la philosophie dans les trois cultures médiévales », Au moyen du Moyen Âge, Les Éditions de la Transparence, Chatou, 2006, 57-75.

16 À savoir, païens. Yūnān (« Ioniens ») rend d’habitude (/Ellhnej ; voir EI, s.v. « Yūnān », XI, 343-5 (Franz rosentHAl).

17 Wa-lam yazal ilā an intaqala. Sur l’utilisation de intaqala, voir École, p. 35-36; 40, n.1.

18 Accession, p. 181/43 ; voir Lettres, II, § 156, p. 159 : wa-l-falsafa al-mawğūda al-yawma ̒ inda al-ʻarab manqūla ilay-him min al-yūnāniyyīn. Voir aussi M. MAHdi, « La religion et la vision cyclique de l’histoire », dans La fondation de la philosophie politique en Islam. La cité vertueuse d’Alfarabi, tr. fr. par François Zabbal, Paris, Flammarion, 2000, p. 309-324.

19 L’original se trouve dans ibn Abi UsAybiʻA, Histoire, p. 604-5. Il y a plusieurs traductions modernes de ce texte, que nous avons consultées : Nicholas rescHer, « Al-Fârâbî on Logical Tradition », Studies in the History of Arabic Logic, University of Pittsburgh Press, 1963, p. 21-7 (traduction et commentaire) ; Franz rosentHAl, The Classical Heritage in Islam, trad. anglaise par Emile et Jenny Marmorstein, Berkeley- Los Angeles, University of California Press, 1975, p. 50-1 ; Gotthard stroHMAier, « “Von Alexandrien nach Bagdad”- eine fiktive Schultradition », dans Jürgen Wiesner (éd.), Aristoteles. Werk und Wirkung. Paul Moraux gewidmet, vol. II, Berlin-New York, Walter de Gruyter, 1987, p. 381-2 (tr. allemande); D. GUtAs, « Complex », p. 58-67 (tr. anglaise).

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20 Littéralement « la matière philosophique » (amr al-falsafa). GUtAs traduit par « philosophy as an academic subject », expliquant le choix de sa traduction ; « Complex », p. 158, n. 13.

21 Littéralement : « et après la mort d’Aristote, elle (s’est répandu) à Alexandrie (wa-baʻda wafāt Arisṭūṭālīs bi-l-Iskandariyya) ». GUtAs supprime le wa- ; le texte devient ainsi, « après la mort d’Aristote à Alexandrie » (« Complex », p. 159, note 16).

22 Le texte porte aḥadu-hum, « l’un d’entre eux ». G. stroHMAier corrige en āḫīru-hum, « le dernier d’entre eux » (« der letzte von ihnen »). Voir ibid., p. 381, n. 6.

23 Selon Sarah stroUMsA, cette affirmation représente en fait une allusion à la fermeture de l’école d’Athènes par Justinien en 529 ; Rūmiya, désignerait, non pas Rome, mais Constantinople. Voir « Al-Fārābī and Maimonides on The Christian Philosophical Tradition: a Re-Evaluation », Der Islam, 68/1991, p. 267-8. Voir EI, s.v. « Rūmiya », VIII, 612-3 (R. trAini) : souvent « Rome » représente plutôt la description de Constantinople.

24 C’est-à-dire, jusqu’au Premières Analytiques I, 7. Voir G. stroHMAier, ibid., p. 385-6. Pour la compréhension appropriée de cette restriction, voir « Complex », p. 181-7.

25 Sur ces personnages, tous associés à l’école des Aristotéliciens de Bagdad, voir Fritz W. ziMMerMAnn, Al-Farabi’s Commentary and Short Treatise on Aristotle’s « De Interpretatione », Londres, Oxford University Press, 1981, « Introduction », p. Cv-Cxii, ainsi que les renvois de l’article de Meyerhof, ci-dessous.

26 Tašāġala bi-l-dīn/ bi-dīni-hi (Histoire, p. 605, 1, 2 et 3). Pour la signification de cette expression, voir Ph. vAllAt, École, p. 371 ; id., Épître sur l’intellect, p. Xi, n. 5. Il s’agit d’Isra’il et de Yuhanna.

27 Sur la traduction de cet extrait, voir Ph. vAllAt, École, p. 17-8, n. 3, à comparer avec D. GUtAs, « Complex », p. 166.

28 Voir, e.g., Al-MAsʻUdi, Kitāb al-tanbīh wa-l-išrāf, M. J. de Goeje (éd.), Leyde, Brill, 1894, p. 121-2 ; trad. angl. par D. GUtAs, « Complex », p. 158-67. Gutas ajoute les récits sur le même sujet, du médecin musulman Ibn Ridwan et du médecin juif Ibn Ğumay‘.

29 Al-Farabi (Al-Farabius), des arabischen Philosophen Leben und Schriften, Académie Impériale des Sciences, Saint Pétersbourg, 1869, p. 86-8 (tr. all.) et 211-3 (éd.) [non vidi].

30 M. MeyerHoF, « Von Alexandrien nach Bagdad. Ein Beitrag zur Geschichte des philosophischen und medizinischen Unterrichts bei den Arabern », Sitzungsberichte der preussischen Akademie der Wissenschaften, Berlin, 1930, p. 389-429, surtout p. 394 et 405 (trad. de notre extrait), 407 (trad. de Mas’udi), p. 413-4 (sur Israʼil, Quawaira, Yuhanna ibn Haylan et Marwazi), ainsi que p. 416-9 (sur Farabi et Yahya ibn ̒ Adi), et généralement p. 413-26 (sur les grands Bagdadiens).

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31 G. stroHMAier, ibid., p. 382-4.32 D. GUtAs, Pensée grecque, culture arabe, p. 138-53, qui fait mention de

notre ensemble narratif. 33 G. stroHMAier, ibid., surtout les conclusions, p. 387-9 ; J. lAMeer, « From

Alexandria to Baghdad : Reflections on the Genesis of a Problematic Tradition », The Ancient Tradition in Christian and Islamic Hellenism…, p. 181-91 (qui insiste sur le récit de Mas‘udi).

34 D. GUtAs, « Aspects of Literary Form and Genre in Arabic Logical Works », dans Charles Burnett (éd.), Glosses and Commentaries …; N. rescHer, ibid., p. 25-6; Ph. vAllAt, École, p. 12.

35 Accession, p. 196-7, 49-50 ; Armonia, p. 36-7 (le but de l’ouvrage). Nous ne pouvons entrer dans le vaste thème concernant la technique de la concordance. Sur ce thème, dans l’ouvrage farabien et dans le monde tardo-antique, voir : C. MArtini-bonAdeo, « Introduzione », Armonia, p. 1-14 ; G. endress, « “La Concordance entre Platon et Aristote”, l’Aristote Arabe et l’émancipation de la philosophie en Islam médiéval », Burkhard Mojsich et Olaf Pluta (éd.), Historia Philosophiae Medii Aevi. Studien zur Geschichte des Mittelalters, I, Amsterdam-Philadelphia, R. B. Grüner, 1991, p. 237-57, surtout p. 249-54; Ilsetraut HAdot, Le néoplatonicien Simplicius à la lumière des recherches contemporaines. Un bilan critique. Avec deux contributions de Philippe Vallat, Sankt Augustin, Academia, 2014, p. 141-9.

36 Accession, p. 196-7/49-50. 37 Pour des ouvrages modernes traitant de la biographie et des travaux de

Maïmonide, voir Herbert Allan dAvidson, Moses Maimonides. The Man and his Works (2005), Oxford University Press, 20102, p. 3-121; J. L. krAeMer, Maimonides. The Life and the World of one of Civilization’s Greatest Minds, New York, Doubleday, 2008; id., « Moses Maimonides : An Intellectual Portrait », dans Kenneth Seeskin (éd.), The Cambridge Companion to Maimonides, Cambridge University Press, 2005, p. 10-57; id. « Maimonides’ Intellectual Milieu in Cairo », dans Tony Lévy et Roshdi Rashed (éd.), Maïmonide, philosophe et savant (1138-1204), Louvain, Peeters, 2004, p. 1-37 ; Shlomo Dov Goitein, « Moses Maimonides, Man of Action. A Revision of the Master’s Biography in Light of the Geniza Documents », dans Gérard Nahon et Charles Touati (éd.), Hommage à Georges Vajda, Louvain, Peeters, 1980, p. 155-67; Paul B. Fenton, « A Meeting with Maimonides », Bulletin of the School of Oriental Studies, XLV, 1982, p. 1-5; Mauro zontA, Maimonide, Rome, Carocci Editore, 2011, p. 15-29.

38 Voir, e.g., Guide, I, 71, p. 122/338. Pour un aperçu de la culture philosophique andalouse d’avant Averroès, voir Marc GeoFFroy, « La formazione della cultura filosofica dell’Occidente musulmano », SFIM, II, p. 671-721.

39 Voir Simon HoPkins, « The Languages of Maimonides », Georges Tamer (éd.), Die Trias des Maimonides. Jüdische, Arabische und Antike Wissenskultur,

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Berlin-New York, Walter de Gruyter, 2005, p. 85-106. Nous allons revenir à la remarque d’ʻAbd al-Latif al-Bagdadi en fin de notre étude.

40 Sh. Pinès, « Sources philosophiques », p. 128. Voir aussi L. strAUss, « Literary Character », p. 38-46.

41 Guide, I, Introd., p. 3/9 ; II, 2, p. 176/49-50 ; II, 29, p. 243/226-7 ; III, I, Introd., p. 297/3. Sur les buts de l’ouvrage, voir Steven HArvey, « Maimonides in the Sultan’s Palace », dans J. L. Kraemer (éd.) Perspectives on Maimonides. Philosophical and Historical Studies, Oxford University Press, 1991, p. 52-60.

42 Nous nous permettons de renvoyer le lecteur à nos brèves observations dans Sur le chemin du palais. Réflexions autour de deux chapitres du « Guide des égarés » de Maïmonide, Paris, Cerf, 2016, p. 131-7.

43 Pour cette mise en parallèle, voir S. stroUMsA, « Al-Fārābī and Maimonides on the Christian Philosophical Tradition… », p. 276-81et 284-6.

44 Guide, I, 71, p. 121-123/335-345. Sur le rapport de Maïmonide au kalām, voir Michael scHWArz, « Who Were Maimonides’ Mutakallimūn ? Some Remarks on Guide of the Perplexed, Part 1, chapter 73 » ; 1re partie dans Maimonidean Studies, 2/1991, p. 159-209 ; 2e partie, Maimonidean Studies, 3/1992-3, p. 143-172.

45 Contrairement à D. GUtAs, étant donné la manière extrêmement complexe dont Maïmonide traite ses sources, nous avons du mal à croire que notre extrait « …has nothing to do with the Complex (i.e. le complexe narratif “d’Alexandrie à Bagdad”) » (« Complex », p. 157, n. 6).

46 S. stroUMsA, ibid., p. 279-80. 47 Réfutation de Jean le Grammairien (Al-radd ʻalā Yaḥyā al-Naḥwī) texte ar.

éd. par M. Mahdi, dans Sami A. Hanna (éd.), Medieval and Middle Eastern Studies. In Honour of Aziz Suryal Atiya, Leyde, Brill, 1972, p. 271-84; trad. angl. et commentaire par M. Mahdi, Alfarabi against Philoponus, Journal of Near Eastern Studies, 26/1967, p. 233-60. Note passage se trouve § 8, p. 276-7/256-7.

48 S. stroUMsA, Maimonides in his World. Portrait of a Mediterranean Thinker, Princeton University Press, 2009, p. 29-31 (et généralement p. 26-28, consacrées à l’attitude de Maïmonide à l’égard du kalām).

49 Guide, I, 70 p. 118-21/ 323-32, principalement une exégèse de TB, Ḥagiga, 12b et Psaumes, LXVIII, 5 où Dieu est appelé rôḵeḇ bā-‘Arāḇôt ; voir Guide, III, 6, p. 307/ 34 (al-sulṭān ḥīna rukūbi-hi), sur TB, Ḥagiga, 13b.

50 Taḥqīq hāḏihi al-umūr. Sut taḥqīq comme méthode d’investigation opposée à ce qui est reçu par voie de tradition, voir D. GUtAs, Avicenna…, p. 187-94 ; Amélie-Marie GoicHon, Lexique de la langue philosophique d’Ibn Sinā, Paris, DDB, 1938, entrée 172, p. 84-5 (s.v.). C’était une méthode usuelle pour Maïmonide ; Guide, II, 24, p. 229/195 : « …le comble de ma prédilection pour l’établissement de la vérité (ġāyat ītār-ī li-l-taḥqīq) ».

51 L’expression utilise est al-milal al-ğāhiliyya. Normalement, ğāhiliyya désigne la période historique d’avant l’islam. Sur le lien entre gâlûṯ et ğāhiliyya, voir

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F. rosentHAl, Knowledge Triumphant. The Concept of Kowledge in Medieval Islam, Leyde, Brill, 20072, p. 32-5.

52 Tanbīhāt yasīra wa-išārāt. Il s’agit d’une citation approximative du fameux ouvrage avicennien ; voir L. strAUss, « Literary Character », p. 50, n. 46.

53 Guide, I, 71, p. 121/ 332-5.54 Guide, I, 35 p. 54 /132. 55 Sur la dualité élite-masse, voir Guide, I, 14, p. 27/ 64, sur Psaumes XLIX,

3 ; EI, s.v. « Al-ḫāṣṣa wa-l-ʻāmma », IV, 1098-1100 (M. A. J. beG).56 Soit-dit en passant, l’utilisation du terme ğāhiliyya devrait être rapproché

de l’utilisation qu’en fait Farabi, qui l’interprète dans un contexte politique comme désignant ceux qui sont étrangers, non pas à la révélation islamique, mais à la philosophie ; Régime, p. XVI-XVII ; p. 94/ 201-2, avec n. 642.

57 D. GUtAs, Avicenna and the Aristotelian Tradition, p. 307-11; id., «Aspects of Literary Form…», p. 52. Gutas envoie à FArAbi, Armonia, p. 43, sur la méthode ésotérique d’Aristote (Avicenna…, p. 308). Pour une mention des išārāt par Avicenne, voir e.g. Metafisica (Al-ilāhiyyāt), X, trad. it. avec textes arabes et version latine, par Olga Lizzini, Milan, Bompiani (2002), 20062, [p. 443 de l’éd. du Caire]= p. 1018. Sur la technique des « têtes des chapitres », voir Guide, I, Introd., p. 3/9-10.

58 Voir FArAbi, Sur les buts…, p. 23/ 40 (tr. fr.) ; p. 441 (tr.it.) ; p. 240 (tr. angl.) ; kindi, Philosophie première, p. 15 ; GUtAs, ibid., p. 243 sq., 249-54.

59 Guide, II, 11, p. 192/ 96-7. 60 Guide, III, Introd., p. 297-8/ 5-6. 61 Voir Épître à Yemen, éd. Isaac Shailat, Iggerot ha-RamBam, I, Maaleh Adumim,

1988, p. 105 ; tr. angl. par J. L. Kraemer, dans R lerner, Maimonides’ Empire of Light. Popular Enlightenment in an Age of Belief, Chicago et Londres, the Univ. of Chicago Press, 2000, p. 124-5. Voir Encyclopaedia Judaica, 2ème édition, Détroit, Thomson Gale et Jérusalem, Keter Publishing House, 1996, XIV, s.v. « Sepharad », p. 1164.

62 R. brAGUe, La Loi de Dieu. Histoire philosophique d’une alliance, Paris, Gallimard, 2005, p. 239.

63 Voir R. brAGUe, « Eorum praeclara ingenia. Conscience de la nouveauté et prétention de continuité chez Farabi et Maïmonide », Bulletin d’Études Orientales, n° 48, 1996, pp. 87-102.

64 Comme l’a montré D. GUtAs, « Paul the Persian on the Classification of the Parts of Aristotle’s Philosophy ; a Milestone Between Alexandria and Baġdâd», Der Islam, 60/1983, p. 231-67, surtout, p. 255-60 (sur les chapitres sur la logique de l’Énumération). Sur l’histoire de la transmission de cet ouvrage, voir M. zontA, La “Classificazione delle scienze” di Al-Fārābī nella tradizione ebraica, Torino, 1992, p. XIII-XXII (contient l’édition de la traduction hébraïque médiévale, avec une traduction italienne).

65 Voir, parmi les éditions de cet ouvrage, La Statistique des sciences, éd. Uthman Amin, Le Caire, Librairie anglo-égyptienne (1931), 19683, p. 124-

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30 ; Catálogo de las ciencias, éd. et trad. espagnole par Ángel Gonzáles Palencia (1931), Madrid, 19532, p. 91-9 (ar.). Pour les traductions : trad. anglaise par Fauzi Najjar, dans R. Lerner et M. Mahdi (éd.) Medieval Political Philosophy : A Sourcebook, The Free Press of Glencoe, 1963, p. 27-30; tr. angl. par Charles Butterworth, dans Alfarabi. The Political Writings, Ithaca et Londres, Cornell University Press, 2001, p. 76-80, dont nous allons suivre la division en trois parties de notre extrait.

66 U. Amin : sunan (p. 124) ; Á. Gonzáles Palencia : siyar (p. 91). Siyar représente la bonne variante.

67 Pour la transmission et la traduction de quelques-uns de ces termes dans les différentes terminologies philosophiques, on se rapportera à la très érudite étude de M. zontA sur ce sujet. Voir Saggio di lessicografia filosofica araba, Brescia, Paideia, 2014, article « Azione », p. 66-70; article « Possesso » p. 208-13.

68 Mais, poursuit le texte, « dans une autre vie, après cette vie, qui est la vie dernière (al-ḥayāt al-āḫira) » (U. Amin, p. 124 ; Á. Gonzáles Palencia, p. 92). Le même terme, « vie dernière », est utilisé dans l’Épître sur l’intellect, à l’instant où Farabi décrit l’avènement de l’intellect acquis. Voir Risāla fī l-ʻaql, éd. du texte arabe par Maurice Bouyges (1938), Beyrouth, Dar al-mashreq, 19832, p. 31; tr. fr. dans Épître sur l’intellect, p. 51.

69 À l’endroit où il est question de la manière dont se déploient les arts royaux non-vertueux, l’édition Á. Gonzáles Palencia a : « Cela se trouve dans le livre Būlīṭīqä, et dans (ou « qui est » (wa-huwa [fī]) le livre « La Politique » (ou « de la politique ») d’Aristote (kitāb al-siyāsa li-Arisṭūṭālīs), et aussi dans le livre de la politique (scil. La République) de Platon, et dans les livres de Platon et d’autres. » (p. 96 ; repris aussi par U. Amin, p. 128).

70 Idée qui est reprise par Averroès dans son important commentaire sur la République de Platon. Voir Averroes on Plato’s « Republic », trad. de la version hébraïque de Samuel ben Juda de Marseille par Ralph Lerner, Ithaca et Londres, Cornell University Press, 1974, 20052, 2ème traité, p. 102.

71 Voir l’introd. de Ch. bUtterWortH, dans The Political Writings, p. 73; Joshua PArens, Leo Strauss and the Recovery of Medieval Political Philosophy, University of Rochester Press, 2016, p. 77-8. Voir cependant Ch. bUtterWortH, « Al-Fārābī’s Introductory Sections to the Virtuous City », dans Y. T. Langermann et J. Stern (éd.), Adaptations and Innovations…, Peeters, 2007, p. 32-3; M. MAHdi, « Science, philosophie et religion », La foundation …, p. 116-24.

72 L. strAUss, « Literary Character », p. 62-64, et p. 64, n. 79, avec une référence explicite à Farabi.

73 À comparer Guide, III, 17 et III, 23 (les théories sur la Providence), Guide, III, 51, début, pour les deux énumérations des degrés d’hommes.

74 Voir Fuṣūl muntazaʻa, éd. F. M. Najjar, Beyrouth, Dar al-Mashreq, 1971 § 42, p. 58. Pour la trad. anglaise, de Charles Butterworth, voir Selected

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Aphorisms, dans Alfarabi. The Political Writings, Ithaca et Londres, Cornell University Press, p. 33.Voir aussi Lettres, § 139, p. 149 : wa-mulūk al-ğumhūr hum ayḍan min al-ğumhūr ; Épître sur l’intellect, p. 4-7/2-9, sur la confusion entre intelligent (ʻāqil) et prudent (mutaʻaqqil = fro/nimoj), avec les importantes explications de Ph. vAllAt, ibid., p. LV-LXIII. « Prudent » peut néanmoins être rendu par ʻāqil, voir e.g. ENar, II, 1107a2, p. 173.

75 Renvoyons à cet égard à l’étude de Charles GeneqUAnd, « Loi morale, loi politique : Al-Fārābī et Ibn Bāğğa », MUSJ, 61/2008, p. 491-514. Il y remarque, en se référant à la traduction arabe de l’Éthique à Nicomaque que sīra (« conduite », « mode de vie ») traduit politei/a, un concept relevant bien de la politique, plutôt que d’une morale « privée » (p. 499 sq.).

76 Thomas PAnGle, Montesquieu’s Philosophy of Liberalism. A Commentary on the « Spirit of Laws » (1973), Chicago et Londres, The University of Chicago Press, 19892, p. 48-9; L. strAUss, « On Classical Political Philosophy », The Rebirth of Classical Political Rationalism, p. 49-62.

77 Ibid, p. 496-7; voir EN, I, 1094a sq.; ENar, p. 113. Pour le même couple conceptuel, voir Religion, p. 43-4/ 93-4 ; 52/101 ; Accession, p. 185-6/45.

78 Voir EN, I, 13, 1103 a 3-7 ; ENar, p.153 (sur la différentiation entre vertus intellectuelles et morales), EN, II 1103a 15-20 ; ENar, p. 155 etc. On pourrait alors parler de la métaphysique comme « infrastructure du politique ». Voir Ph. vAllAt, Régime, p. XXI-XXV.

79 À laquelle fait aussi allusion Religion, 57-9/104-6. 80 Laquelle est nommé comme telle dans Religion 59/106 (taʻaqqul). Voir ENar,

p. 614 (fro/nhsij = taʻaqqul, mais aussi ḏihn, ʻaql, fahm). 81 La prudence chez Aristote (1963), Paris, PUF, 20095. 82 Voir Averroes on Plato’s « Republic », 1er traité, p. 4. 83 Qui a été déjà saisi par L. strAUss, dans les fameuses dernières lignes de

sa La Philosophie et la Loi, tr. fr. par R. Brague, dans Maïmonide, Paris, P.U.F., 1988, p. 141-2. Voir aussi Richard WAlzer, « Platonism in Islamic Philosophy », dans Greek into Arabic. Essays on Islamic Philosophy, Oxford, Bruno Cassirer, 1962, p. 243-8 (sur Farabi).

84 Armonia, p. 41-2, avec les riches commentaires de C. MArtini-bonAdeo, p. 99-104.

85 « Quelques remarques sur la science politique de Maïmonide et de Fârâbî » (1937), Maïmonide, p. 146-147 ; même idée chez Sh. Pinès, « Sources philosophiques », p. 141-2.

86 Pour un résumé de ces traits fondamentaux qui opposent islam et judaïsme d’une part, et christianisme, de l’autre, voir Abraham MelAMed « Politics and the State », HJPh, p. 771-7.

87 Voir Religion, 52-61/101-8 ; Ch. bUtterWortH, « Al-Fārābī’s Introductory Sections…», p. 35, n. 16.

88 Voir La philosophie de Platon (Falsafat Aflaṭūn…), édition et tr. latine par F. Rosenthal et R. Walzer, Londres, Warburg, 1943, p. 13, 20, 21 ; tr. anglaise

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DAN-ALEXANDRU ILIEŞ

par M. Mahdi, Philosophy of Plato, Philosophy of Plato and Aristotle (1962), Ithaca et New York, Cornell University Press, 20013, p. 60, 65, 66.

89 Voir H. A. dAvidson, Moses Maimonides, p. 313-22 ; id., « Ibn Al-Qifṭī’s Statement Regarding Maimonides’ Early Study of Science », Aleph, 14.1/2014, p. 245-58 sur Ta’rīḫ al-hukamā’, éd. J. Lippert, Leipzig, Dieterich’sche Verlagsbuchhandlungen, p. 317 (le début de l’entrée sur Maïmonide dirait que celui-ci aurait acquis juste quelques notions de logique, « a smattering of logic » - p. 256), contre l’acceptation de l’authenticité par S. Stroumsa, dans Maimonides in His World, p. 126-8. La réponse de S. stroUMsA se trouve juste après le texte de Davidson. Voir « On Maimonides and on Logic », Aleph, 14.1/2014, p. 259-63. Voir enfin, Ahmad HAsnAWi, « Réflexions sur la terminologie logique de Maïmonide et son contexte farabien. Le Guide des Perplexes et le Traité de logique », Maïmonide, philosophe et savant, p. 69-73 (contre Davidson).

90 Logique, XIV, p. 31/96. 91 Logique, XIV, p. 32/99. 92 Peut-être une allusion à la Politique d’Aristote (Logique, XIV, p. 102, note

229 de Brague). Voir Averroes on Plato’s « Republic », 1er traité, p. 4, où le philosophe explique son choix de commenter Platon par l’absence de la Politique dans l’Andalousie almohade.

93 Logique, XIV, p. 33/101-2.94 EN, VI, 9, 1142a9-10 ; H. A. WolFson, « The Classification of the Sciences in

Medieval Jewish Philosophy », dans Isadore Twersky and George H. Williams (éd.), Studies in the History of Philosophy and Religion, I, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 1973, p. 493. Voir Avicenne, Sur la division des sciences intellectuelles (Fī aqsām al-ʻulūm al-ʻaqliyya), dans Tisʻ Rasā’il, Le Caire, Dar al-‘arab, 2nde éd., s.d., p. 107-8 ; tr. fr. par G. W. Anawati, dans Mélanges de l’Institut dominicain d’études orientales, XIII/1977, p. 326-7.

95 Sans entrer en détail, voir H. A. WolFson, « The Classification of the Sciences…», p. 536-45; id., « Note on Maimonides Classification of the Sciences », ibid., p. 551-60; L. strAUss, « Maimonides’ Statement on Political Science », What is Political Philosophy? (1959), Chicago et Londres, Chicago University Press, 19882, p. 160-2; J. L. krAeMer, « Maimonides and the Philosophic Sciences in His Treatise on the Art of Logic », Perspectives on Maimonides, p. 90-101.

96 L’expression « la démarche pour l’(sc. la félicité) atteindre (al-sa‘y fī taḥṣīli-hā) » (Logique, XIV, p. 33, 5 ar.), représente une allusion explicite au titre de l’ouvrage farabien l’Accession à la félicité (Taḥṣīl al-saʻāda). Mentionnons que, contrairement à nos philosophes, Avicenne assigne la poursuite du bonheur à l’éthique, en distinguant nettement entre les finalités de la philosophie théorique et celles de la philosophie pratique : « le but de la (division) théorique est le vrai, le but de la (division) pratique est le bien ». Voir Divisions…, p. 105/325 ; p. 107/326 (c’est l’éthique qui apprend à

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l’homme comment doivent être ses mœurs et actions afin qu’il puisse rendre heureuses sa vie présente, ainsi que sa vie dernière).

97 Rappelons en passant la multiplicité des significations de ce calque du grec. Comme seul exemple, voir Avicenne, Divisions…, p. 108/326-7, où le mot nāmūs est considéré être l’équivalent de sunna, du modèle ferme et stable (al-miṯāl al-qā’im al-ṯābit), voire de la révélation (nuzūl al-waḥī), ou de l’ange de la révélation. Cette riche palette de significations est attestée ailleurs, voir EI, VII, s.v. « Nāmūs », p. 953-5 (M. Plessner).

98 Guide, II, 39, p. 268-70/301-6, résumé ici. Haḏayān représente un terme technique chez Maïmonide. Voir S. stroUMsA, Maimonides in His World…, p. 138-52, avec des riches exemples. Pour quelques-unes des occurrences, voir Traité d’éthique (« Huit chapitres »), VIII, tr. fr. par R. Brague, Paris, Desclée de Brouwer, 2001, p. 27/103 (sur l’astrologie) ; Guide, I, Introd., p. 9/22 (sur les excès de l’interprétation allégorique) ; II, 25, p. 229/197 (sur les excès des batinites) ; III, 12, p. 318/67 (sur Razi) ; III, 26, p. 370/209 (sur les détails des commandements) ; III, 29, p. 379/237, et 380/239 (les Sabiens, Casdéens et Chaldéens), etc.

99 EN, I, 1097b12 ; identique au texte arabe. Voir ENar : li-anna al-insāna madanī bi-l-ṭabʻ (p. 133).

100 Guide, II, 40, p. 308/270 : … al-šarīʻa wa-in lam takun ṭabīʻiyyatan fa-la-hā madḫal fī al-amr al-ṭabī‘ī. Sur cet extrait, voir R. brAGUe, « La porte de la nature », dans Maïmonide, philosophe et savant, p. 193-208.Voir Traité d’éthique, IV, p. 11/61.

101 Sur l’opposition entre les opinions/ croyances saines, et croyances nécessaires, voir Guide, III, 28, surtout la fin, p. 374/216 ; Charles toUAti, « Croyances vraies et croyances nécessaires (Platon, Averroès, philosophie juive et Spinoza) » dans Prophètes, talmudistes, philosophes, Paris, Cerf, 1990, p. 248-9.

102 Guide, II, 40, p. 270-2/ 306-13, que nous avons résumé très brièvement.103 Guide, III, 27, p. 371-2/ 210-12. 104 Comme le suggère Guide, III, 54, p. 466-9/457-63, explication de la

polysémie du mot ḥoḵmāh, et des quatre perfections ; avec comme parallèle, Accession, p. 119/13. Sur ces extraits, voir Alexander AltMAnn, « Maimonides’ “Four Perfections” », Essays in Jewish Intellectual History, New Hanover, Hampshire et Londres, University Press of England, 1981, p. 65-75 ; D.-A. IlIeş, Sur le chemin du palais, p. 226-9.

105 Voir R. lerner, article « Moses Maimonides », dans Leo Strauss et Joseph Cropsey (éd.), History of Political Thought, p. 231. Lerner considère néanmoins que l’affirmation de Logique XIV, selon laquelle le gouvernement par les nomoi a été remplacé par celui par les commandements divins, ne se réfère qu’à la partie des enseignements pratiques, non pas à l’ensemble des doctrines politiques, surtout en ce qui concerne les matières spéculatives (p. 239).

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106 R. lerner, « Moses Maimonides », p. 229-30; Abraham MelAMed, « Politics and the State », p. 768-771. Pour une description plus complète de la pensée politique de Maïmonide, voir R. brAGUe, La Loi de Dieu, p. 237-46.

107 Comme l’a déjà remarqué Sh. Pines, « Sources philosophiques », p. 151-2. 108 Voir Ph. vAllAt, Régime p. XXVII- XXIX. 109 Ulrich rUdolPH, « Reflections on al-Fārābī’s Mabādi’ ārā’ ahl al-madīna al-

fāḍila», dans Peter Adamson (éd.), In the Age of al-Fārābī. Arabic Philosophy in the Fourth/Tenth Century, Londres-Turin, The Warburg Institute-Nino Aragno Editore, 2008, p. 1-14. En outre, le texte et les commentaires de Richard Walzer à sa consistante édition et traduction de la Cité invitent à précaution. Voir le substantiel c.r. de Muhsin MAHdi, « Al-Fārābī’s Imperfect State », dans Journal of the American Oriental Society 110/1990, p. 691-726.

110 Régime, p. 31/ 1-3, en compte six : la Cause première, les (Causes) secondes, l’Intellect Agent, l’âme, la forme, la matière.

111 Al-mādda al-ūlā wa-l-usṭuqusāt. La matière première est aussi nommée al-hayūlā (u(/lh ; calque grec). Usṭuqus (stoicei=on ; calque grec)/usṭuqusāt, dénote les quatre éléments (terre, eau, air feu), qui représentent la toute première différenciation de la matière première. Pour la hiérarchie des formes qui se trouvent dans le monde sublunaire, voir Régime, p. 38/32-3 ; la matière des corps célestes n’est matière que par homonymie (ibid. 41/39). Sur la signification et l’histoire de la transmission de ces deux termes grecs via le syriaque, voir M. zontA, Saggio…, article « Elemento », p. 123-4 ; article « Materia », p. 185 ; A.- M. GoicHon, Lexique…, entrée 15, p. 5-6 ; entrée 736, p. 413-4. Farabi discute ces deux emprunts du grec en Lettres, § 156, p. 159. Dans l’Accession on lit, à propos de cette ressemblance, que « la cité contient des similitudes (naẓā’ir) de ce que contient la totalité du monde » (p. 143/25).

112 Régime, p. 84/ 170-2. Description semblable dans Cité, V, 15, §6, p. 236-9. 113 Régime, p. 47/60 sq. 114 Voir pour toutes ces ressemblances, Accession, p. 142-3/24-5, Cité, V, 15

§§ 4-6, p. 231-9 ; Aphorismes choisis, § 25, p. 41-2/p. 23-4 et partiellement § 61, p. 70-1/40 ; Religion, p. 65/112. Pour plus d’exemples, voir R. brAGUe, « Deux versions du microcosme. Être le monde en petit ou imiter le monde en grand », dans A. Hasnawi, A. Elamrani-Jamal, M. Aouad (éd.), Perspectives arabes et médiévales sur la tradition scientifique et philosophique grecque…, Leuven-Paris, Peeters et Institut du monde arabe, 1997, p.523-33.

115 Régime, p. 79/156, avec une référence au philosophe-roi ; Épître de l’intellect, p. 31/51.

116 Régime, 54-5/84-5. 117 La Philosophie d’Aristote, éd. M. Mahdi, Beyrouth, Dar Majallat Shi‘r, 1961,

p. 68-9 ; trad. anglaise dans Alfarabi. Philosophy of Plato and Aristotle, p. 79-80.

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118 Voir Accession, p.187-8/46 : un philosophe théorique doit absolument s’accompagner d’un législateur parfait.

119 Régime, p. 74-5/ 139-42. 120 Sur ce point, voir les développements de Ph. vAllAt, « Principles of the

Philosophy of the State », dans Richard C. Taylor et Luis Xavier López-Farjeat (éd.), The Routledge Companion to Islamic Philosophy, Routledge, 2016, p. 342-3; École, p. 297-346 (ch. IX). Nous résumons très brièvement, et sans entrer en détail, Régime, p. 85-6/175-82.

121 Régime, 85/175-7 utilise l’idée de la réflexion de la réalité intelligible dans le sensible (théorie tirée de la République 509e-510a et 516 a-b ; voir n. 561, p. 176). La métaphore de la réflexion (miroir, corps poli, etc.) se rencontre ailleurs chez les falāsifa. Sans entrer en détails, voir ibn bāğğA, Discours sur la conjonction de l’intellect avec l’homme (Fī ittiṣāl al-ʻaql bi-l-insān), La conduite de l’isolé et deux autres épîtres, introduction, édition critique du texte arabe, traduction et commentaires par Charles Genequand, Paris, Vrin, 2010, §§ 47-8, p. 198 (« gens de la caverne ») ; Guide, I, Introd., p. 4/11 (le corps poli et réfléchissant) ; ibn tUFAyl, Hayy ben Yaqdhân, éd. et trad. fr. par Léon Gauthier, Beyrouth, Imprimerie catholique, 19362, p. 28-9/24-5.

122 Distinction parallèle à celle entre ̒ āmma ou ğumhūr et ḫāṣṣa dans Accession, p. 178/ 41 sq. (voir Régime, p. 182, n. 576), qui se rencontre aussi chez Maïmonide.

123 Accession, p. 184-5/44. 124 Metafisica, X, [p. 443 de l’éd. du Caire]= p. 1018; Hayy ben Yaqdhân,

p. 106/144.125 Accession, p. 186/45 ; Lettres, §§ 108-110 p. 131-2, pour des développements

plus amples. 126 Religion, p. 47/97-8. Voir Nelly lAHoUd, « Al-Fārābī : On Religion and

Philosophy », dans MUSJ, 57/2004, qui fait une intéressante analogie entre le rapport logique-grammaire et philosophie-religion (p. 293-6), ainsi que Emma GAnnAGé « Y a-t-il une pensée politique dans le Kitāb al-ḥurūf d’al Fārābī ? », ibid., p. 253-6.

127 Lettres, § 110, p. 132. Notre extrait appartient à la section médiane du Livre des Lettres. Pour des résumés de cette section, voir M. MAHdi, « De la philosophie et de la religion », dans La fondation…, p. 281-308 et surtout l’excellent article de G. vAjdA, « Langage, philosophie, politique et religion d’après un traité récemment publié d’Abū Naṣr al-Fārābī » (1970) repris dans Études de théologie…, p. 247-60 (résume §§ 115-58).

128 Ayant achevé ce passage, nous nous sommes rendu compte qu’Emma GAnnAGé conçoit ces relations exactement de la même façon. Voir, ibid., p. 247, discussion du même extrait.

129 Nous ne pouvons pas discuter ici les remarques de nature platonicienne sur les régimes imparfaits, qui se trouvent dans plusieurs ouvrages de Farabi.

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Sur ce point, voir Patricia crone, « Al-Fārābī’s Imperfect Constitutions », MUSJ, 57/2004, p. 191-228.

130 Ce pourquoi, comme l’affirme FArAbi dans une phrase célèbre : « Il ressort clairement que la notion (ma‘nā) de philosophe (al-faylasūf), de prince premier (wa-l-ra’īs al-awwal ), d’instituteur des lois (wāḍiʻ al-nawāmīs) et d’imam (wa-l-imām) représente une notion unique » (Accession, p. 190/47).

131 La Philosophie d’Aristote, p. 133/130. 132 Il deviendrait alors ra’īs al-ma‘mūra kulli-hā (Cité, V, 15, § 11, p. 246). Sur

l’étendue de la communauté vertueuse, et de l’unicité des élites quant à leur idéologie philosophique, voir P. crone, Medieval Islamic Political Thought, Edinburgh, Edinburgh University Press, 2004, p. 178-9.

133 Ph. vAllAt, École, p. 345. 134 Ce qui ne veut nullement dire, d’une société apolitique. Sur les structures

d’organisation de la diaspora juive médiévale, on consultera avec intérêt Sh. D. Goitein, A Mediterranean Society. The Jewish Communities of the World as Portrayed in the Documents of the Cairo Geniza (1971), vol II : The Community, Berkeley-Los Angeles-Londres, University of California Press, 19992.

135 Pour une étude détaillée de l’ensemble des cosmologies chez les philosophes juifs, voir Gad FreUdentHAl, «Cosmology : the Heavenly Bodies », HJPh, p. 302-61. Nous avons mené une analyse plus complexe de nos deux passages ; voir D.-A. IlIeş, Sur le chemin du palais, p. 249-65 (ch. XIII).

136 Sur ces expressions bizarres (« biens », « lumières », « forces »), voir Y. Tzvi lAnGerMAnn, « Maimonides’ Repudiation of Astrology », Maimonidean Studies, 2/1991, p. 148-9.

137 Sur ce terme, voir A.-M. GoicHon, Lexique…, entrée 541, p. 288-9 (à ne pas confondre avec mufīḍ). Voir e.g., Avicenne, Metafisica, IX, 2, p. [390, éd. du Caire]= p. 896 ; où on trouve mufīd li-l-ḫayrāt, qui semble être une erreur du manuscrit, lequel aurait dû avoir mufīḍ li-l-ḫayrāt (note 97, p. 1234).

138 Une affirmation analogue, fortement avicennisante se trouve dans le Guide I, 58, p. 92/243-4.

139 Résumé de Guide, II, 11, p. 191-2/95-6, trad. légèrement modifiée.140 Un traitement de la question de la prophétie chez les philosophes juifs se

trouve dans l’étude de Barry S. koGAn « Understanding Prophecy : Four Traditions », HJPh, p. 481-523 ; voir également Howard kreisel, Prophecy. The History of an Idea in Medieval Jewish Philosophy, Dordrecht- Boston-New York, Kluwer, 2001, p. 148-315, consacrées à Maïmonide.

141 Al-ḥaqq peut également désigner l’un des noms de Dieu. Voir Daniel GiMAret, Les noms divins en islam. Exégèse lexicographique et théologique, Paris, Cerf, 1988, 138-42. Dans ce cas, « la science du Vrai », pourrait bien désigner la métaphysique, également appelée « science divine (al-‘ilm al-ilāhī) ».

142 Guide, II, 37, p. 265/293, trad. modifiée.

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143 Guide, I, 72 p. 127/354; Alexander AltMAnn, « The Delphic Maxim in Medieval Islam and Judaism », Studies in Religious Philosophy and Mysticism, Ithaca-New York, Cornell, p. 19-28.

144 Guide, II, 36, p. 260/281. À comparer avec la source farabienne : Cité V, 15, § 10, p. 244.

145 On a observé à cet égard que cette affirmation doit être comprise dans un cadre naturaliste : le « refus » de la prophétie est lié à des impédimentas d’ordre naturel. Voir Guide, II, 32, p. 254/262, avec les observations de B. koGAn, ibid., p. 508.

146 Guide, I, Introd., p. 7-8/18-9. 147 Guide, I, Introd., p. 2/ 6-8. Pour ces termes logiques, voir Logique, XIII,

p. 27-8/90 ; p. 29/92 ; 28/91. Pour la possible source, voir FArAbi, Petit commentaire sur « De l’Interprétation », dans Al-manṭiq ʻinda al-Fārābī, vol. I, éd. Rafiq al-ʻAjam, Dar al-mashreq, 1985 avec des discussions dans A. HAsnAWi, « Réflexions sur la terminologie logique de Maïmonide et son contexte farabien. Le Guide des Perplexes et le Traité de logique », p. 62-8. Pour le contexte exégétique juif, voir Frank Ephraim tAlMAGe, « Apples of Gold: The Inner Meaning of Sacred Texts in Medieval Judaism », dans Apples of Gold in Settings of Silver. Studies in Medieval Exegesis and Polemics, Toronto, Pontifical Institute of Medieval Studies, 1999, p. 108-150; pour un apercu general, Howard kreisel, «Philosophical Interpretations of the Bible», HJPh, p. 88-120.

148 Guide, I, 14, p. 27/64. Voir aussi Guide, I, Introd. p. 2/6 citation de Proverbes VIII, 4, « C’est vous, hommes que j’appelle, et ma voix s’adresse aux fils d’Adam » ; l’interprétation du fameux extrait talmudique :« La Torah a parlé la langue des fils de l’homme (Dibbrāh Tôrāh ki-lešôn bnê ādām) » (TB, Yebamoth, 71a ; Baba Meṣi‘a, 31b), commenté dans Guide, I, 26, p. 37-38/ 88-90 ; I, 46, p.68/ 162 ; I, 53, p. 81/ 206, etc.

149 Guide, III, 51, p. 456/436 ; à comparer avec Averroès, Discours décisif, trad.fr. Marc Geoffroy, § 2, p. 102-5. Voir D.-A. IlIeş, Sur le chemin du palais, p. 188-92 ; R. brAGUe, « La physique est-elle intéressante ? », Au moyen du Moyen Âge, p. 97-118.

150 Voir Guide, I, 54 et III, 54 (qui clôt le traité); Lawrence V. berMAn, « The Political Interpretation of the Maxim: the Purpose of Philosophy is the Imitation of God », Studia Islamica, XV/1961, p. 53-61.

151 Guide, I, 15, p. 28/65. 152 Voir Sh. Pinès, « The Limitations of Human Knowledge According to Al-

Fārābī, Ibn Bāğğa and Maimonides », W.-Z. Harvey et M. Idel (éd.), The Collected Works of Shlomo Pines V, Jérusalem, Magnes Press, 1997, p. 404-431; A. I. sAbrA, «The Andalusian Revolt against Ptolemaic Astronomy. Averroes and al-Biṭrūjī », dans Everett Mendelsohn (éd.), Transformation and Tradition in the Sciences. Essays in Honor of I. Bernard Cohen, Cambridge University Press, 1984, XIV, p. 133-153; Josef stern, The Matter and Form

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DAN-ALEXANDRU ILIEŞ

of Maimonides’ « Guide », Cambridge (Mass.)-Londres, Harvard University Press, 2013.

153 Voir Lettres, §§ 147-53, p. 153-58; L. V. berMAn, « Maimonides, the Disciple of Alfarabi », dans Joseph A. Buijs (éd.), Maimonides. A Collection of Critical Essays, University of Notre Dame Press, 1988, 199-200.

154 Comme l’a très justement observé L. V. berMAn, ibid., p. 201-3. 155 Voir Guide, II, 25, p. 229/ 196 : « …il n’y a pas non plus de porte du taʻwīl

fermée devant nous » (lā abwāb al-ta’wīl ayḍan masdūda fī wuğūhi-nā). Sur la question du ta’wīl dans l’œuvre de Maïmonide, voir Mordechai Z. coHen, Opening the Gates of Interpretation. Maimonides’ Biblical Hermeneutics in Light of His Geonic-Andalusian Heritage and Muslim Milieu, Leyde-Boston, Brill, 2011, p. 455-481.

156 S. stroUMsA, « Sabéens de Ḥarrān et sabéens de Maïmonide », dans Maïmonide, philosophe et savant, p. 335-352 ; id., Maimonides in His World, p. 84-105.

157 « The Meaning of madanī in al-Fārābī’s “Political” Philosophy », MUSJ, 57/ 2004, p. 259-82, qui part de la traduction de politei/a par sīra dans EN, 1181b 12-23=ENar, p. 151-3 La critique de cette perspective se trouve dans Charles GeneqUAnd, « Loi morale, loi politique : Al-Fārābī et Ibn Bāğğa », p. 499-503.

158 Ch. bUtterWortH, « Al-Fārābī’s Introductory Sections…», p. 33, 37, 40 (la « métaphysique » dans les ouvrages cosmologiques n’est qu’un set d’images rhétoriques), 38, 41 (l’approche cosmologique est consistant avec les préjugés religieux des lecteurs), p. 40 (la hiérarchie naturelle est employée dans le seul but de fonder une hiérarchie politique ); Joshua PArens, Leo Strauss and the Recovery… , p. 31-3, 45-9 (contre l’interprétation néo-platonicienne de Farabi ou Maïmonide), p. 76-9 (pas de fondement métaphysique de la politique) ; L. strAUss, The City and Man, Chicago et Londres, The University of Chicago Press, 1964, p. 20 : « In its original form political philosophy broadly understood is the core of philosophy or rather “the first philosophy” ».

159 Voir J. PArens, ibid., p. 53: « I don’t belabour the obvious point that the « state » [l’allemand Staat, une manière de traduire l’arabe madīna par les chercheurs germanophones de Farabi, e.g. Dieterici, qui rend madīna fāḍila par Der Musterstaat] referred to in Alfarabi’s writings is often not the Islamic nation but just as often Plato’s tiny city- which could never be confused with a “state” ».

160 « On Christian and Jew. The Merchant of Venice», Allan blooM avec Harry V. jAFFA, Shakespeare’s Politics (1961), Chicago et Londres, The University of Chicago Press, 19812, p. 30-31.

161 EN, X, 1177b31 sq. ; ENar , p. 561 : quant aux aspirations de l’homme (himam al-insān), celui-ci doit viser, dans la mesure du possible, à les rendre

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N.E.C. Ştefan Odobleja Program Yearbook 2016-2017

immortelles ([bal] yanbaġī an yuṣayyira-hā ʻādimata mawtin ʻalā qadr mā yumkin).

162 Régime, p. 80/162, 82/166-8 avec les commentaires de Ph. Vallat; avec des parallèles dans Cité V, 16, § 1, p. 260-1 ; § 4, p. 264-67.

163 Comme source, voir ibn bāğğA, Épître de l’adieu, dans La conduite de l’isolé et deux autres épîtres, introduction, édition critique du texte arabe, traduction et commentaires par Charles Genequand, Paris, Vrin, 2010, p. 117 ; Guide, I, 74, p. 434-5/155, ainsi que la discussion de la « mort par un baiser de Dieu » sur TB, Baba Bathra, 17a, à la fin du Guide III, 51.

164 Histoire, p. 687; traduit et discuté par J. L. krAeMer, Maimonides. The Life and World…., p. 209; id., « Maimonides’ Intellectual Milieu in Cairo », p. 33.

165 Sans entrer en détail, voir Averroès, L’Incohérence de l’incohérence (Tahāfut al-tahāfut), « Quatrième discussion », éd. M. Bouyges, s.j., Beyrouth 1930, p. 580-8 [non-vidi]; trad. angl. Simon Van den Bergh, Oxford, 1954, p. 359-363. Voir MAïMonide, Traité de la résurrection, éd. Shailat, dans Iggerot ha-RamBam, I, p. 319-338 (judéo-arabe); tr. anglaise par Hillel G. Fradkin, dans Ralph lerner, Maimonides’ Empire of Light, p. 154-177; S. stroUMsA, Maimonides in His World…, p. 165-83; J.-L. krAeMer, Maimonides…, p. 407-25. Sur les libres penseurs, voir S. stroUMsA, Freethinkers of Medieval Islam. Ibn al-Rawāndī, Abū Bakr al-Rāzī, and Their Impact on Islamic Thought, Brill, Leyde- Boston-Cologne, 1999.

166 Voir Aphorismes choisis, § 93, p. 95/60-1 ; Régime, p.80/158 ; Guide, II, 36, p. 262/ 286, avec une parallèle chez Averroès, Averroes on Plato’s « Republic », 2ème traité, p. 78, reprenant Rép. 496d-497a. Pour des parallèles tardo-antiques, voir Dominic J. o’MeArA, « Simplicius on the Place of the Philosopher in the City (In Epictetum chap. 32) », MUSJ, 57/ 2004, p. 89-98. Maïmonide utilise le syntagme « l’homme parfait et solitaire (al-kāmil al-mutawaḥḥid) », emprunté à Ibn Bāğğa. Chez ce dernier, la connotation n’est pas toujours « pessimiste », le terme pouvant être synonyme de « autonome » et « autarcique » ; voir Ch. GeneqUAnd, dans La conduite…, p. 40-1, qui renvoie aussi à EN, X, 7, 1177a 27-b1- sur « l’homme qui se suffit le plus pleinement à lui-même (au)tarke/statoj) » (tr. Tricot). =ENar, p. 558 (ḏū kifāyatin ğiddan), où au)ta/rkeia = kifāya.

167 « What is Political Philosophy ? » dans What Is Political Philosophy ?, p. 40.