Mouterde_Quelques mots de la langue chrétienne

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MÉLANGES DE L'UNIVERSITÉ SAINT JOSEPH TOME XXXVIII (offert au Père RENE MOUTERDE) FASC. 7 PAUL MOUTERDE, S.j. QUELQUES MOTS DE LA LANGUE CHRtTIENNE II BEYROUTH IMPR-IMERIE CATHOLIQUE 1962

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MÉLANGES DE L'UNIVERSITÉ SAINT JOSEPH TOME XXXVIII (offert au Père RENE MOUTERDE) FASC. 7

PAUL MOUTERDE, S.j.

QUELQUES MOTS

DE LA LANGUE CHRtTIENNE

II

BEYROUTH IMPR-IMERIE CATHOLIQUE

1962

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QUELQUES MOTS

DE LA LANGUE CHRÉTIENNE

PAR

PAUL MOUTERDE, S.J.

Lorsqu'à Antioche un administrateur romain ou quelque Grec bon

observateur lança le mot XPLO''tuvoi pour désigner un groupe religieux

qui venait de se constituer dans la cité, il forgea ainsi un nom appelé à un

durable avenir. Mais ce groupe allait être lui-même grand créateur de

vocables nouveaux.

Le christianisme naissant apportait en effet au monde tout un en­

semble d'idées et d'institutions qui allaient exiger, pour les exprimer ou

les désigner, tout un vocabulaire. Ce vocabulaire, cette langue chrétienne,

comme les créations de ce genre, ne s'enfermerait pas dans un seul idiome,

mais passerait, avec les progrès de l'Évangile, du grec de la prédication

apostolique au latin, au syriaque, au copte, à l'arménien. Les transpositions

se feraient, comme toujours en pareil cas, tantôt par voie d'emprunt pro­

prement dit, l7tLO'X07CO~ du grec, par exemple, passant à peu près tel quel

en latin, en syriaque et en copte, tantôt par voie de décalque, 0so"6xo~

devenant en latin Dei Genitrix ou Deipara, en syriaque 1~i L~, en

copte ..U...tC JlOTTJ.

Mais cette langue chrétienne devait, au cours du Moyen Age et depuis,

subir de nombreuses modifications. Aussi une des tâches du théologien et

de l'exégète, est-elle souvent de procéder à une enquête sur la valeur an­

cienne des termes intervenant dans les textes qui font l'objet de leur étude.

Nous n'entreprendrons pas ici une recherche aussi profonde que les

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leurs, et nos lecteurs voudront bien trouver dans les lignes qui vont suivre

des essais à caractère proprement linguistique, sans prétention à aborder

et à résoudre tous les problèmes. A elle seule, la nécessité de ne pas dépasser

certaines limites nous aurait interdit de rouvrir des dossiers trop volumineux.

Le latin connaît deux mots, sacerdos et presbyter, correspondant respec­

tivement à Lspsu~ et '"PsO'punpo~ du grec ecclésiastique, et aussi à des

paires équivalentes en syriaque, en copte, en arménien, voire en arabe.

Mais nos langues modernes n'y opposent qu'un seul mot, dérivé en

anglais et en allemand comme dans les langues romanes, du latin presbyter,

tandis que les chrétiens orientaux de langue arabe y substituent un doublet

d'origine récente, celui qui oppose dans le langage parlé le ~JJ,;.. ou

prêtre séculier, au ..,..; ou prêtre régulier, hiéromoine.

De là vient que le syriaque ~. décalque du grec '"PsO'pu'C'spoç, est souvent compris à tort par maints orientaux et arabisants d'origine

occidentale, comme spécifiant, lui aussi, le hiéromoine. De leur côté, peu

de latinistes, même initiés plus ou moins au grec, sentent bien que presbyter

et sacerdos ne sont pas de purs synonymes, et surtout seraient en mesure

d'expliquer correctement ce par quoi ils diffèrent.

Plusieurs de nos lecteurs, sans doute, mieux avertis, connaissent bien

la nuance qui les sépare. Celle-ci est indiquée dans certains lexiques, en

pàrticulier le précieux Dictionnaire latin-fran;ais des auteurs chrétiens de

M. Albert Blaise. Il en a été traité aussi, bien entendu, à maintes reprises,

dans les travaux consacrés ces dernières années à l'importante question des

origines du sacerdoce chrétien.

Nous n'avons donc pas ici à donner une réponse nouvelle à un problème

encore mal résolu, mais nous avons pensé faire œuvre utile, de vulgarisation,

en présentant à nouveau, à grands traits, l'histoire de ces deux mots.

Le doublet n'aurait-il pas pu être évité?

Il y avait, depuis toujours, dansles religions antiques, toutes d'accord

à pratiquer le culte sacrificiel, un mandaté pour ce culte, et pour le désigner,

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5] Q.UELQ.UES MOTS DE LA LANGUE CHRÉTIENNE 165

des mots sans ambiguïté, sacerdos en latin, bp::u; en grec. Ce grec ~spsu;

avait été accepté sans difficulté par les Juifs comme traduction du mot 1M~ de leurs Livres Saints, du mot ~~t~·n::~ de leur langage araméen usuel.

L'Église chrétienne n'allait pas suivre cet exemple et resterait long­

temps avant de donner à (s?sÛ; droit de cité, surtout pour l'appliquer, à son tour, d'une façon ferme et officielle, à ses propres ministres sacrés. Ce

fait, à première vue un peu singulier, se laisse fort bien expliquer par les

circonstances de la primitive Église.

Tout un ensemble de raisons diverses durent jouer, durant ces toutes

premières années, pour faire écarter un tel usage.

Avant sa Passion, durant la Vie Publique, Jésus et ses Apôtres, obser­

vateurs du culte mosaïque, s'y comportaient, très évidemment, en simples

fidèles, sans aucune tentative pour empiéter sur les droits des prêtres des­

cendants d'Aaron. Appartenant à la tribu de Juda, Jésus n'était pas de

leur nombre, ni la très grande majorité au moins de ses Apôtres et de ses

autres disciples.

Après la Pentecôte, durant ces années où les premiers fidèles, tous

juifs de race, étaient parmi les assistants les plus fervents des cérémonies

du Temple (Act.II,46), il en allait forcément de même et l'idée ne pouvait venir de s'attribuer ni les fonctions des prêtres de l'Ancienne Alliance, ni

leur nom, à moins d'y avoir droit, à titre héréditaire, comme ce fut le cas

d'un groupe appréciable de néophytes (Act.VI,7).

Aux cérémonies du Temple on ajoutait, entre disciples du Christ, des

réunions intimes (Act.II,46). Les Apôtres, sans doute, les présidaient et on

y célébrait les rites d'une liturgie encore embryonnaire. Il n'y avait rien

là qui ressemblât de près, extérieurement surtout, aux solennités du culte

mosaïque, à ses encensements, à ses offrandes, à ses sacrifices sanglants qui

faisaient du prêtre juif, en même temps qu'un personnage sacré, l'exécutant

d'un vrai travail.

D'emblée aussi, la hiérarchie de la Nouvelle Alliance allait se distin­

guer du sacerdoce mosaïque par un caractère de grande importance. Ses

premiers titulaires, les Apôtres, portant un titre donné à eux par le Christ,

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166 MÉLANGES DE L'UNIVERSITÉ SAINT JOSEPH [6

auquel on ne pouvait rien substituer ni ajouter, étaient des ministres sacrés,

mais aussi, avec éclat, des chefs spirituels, des pasteurs, ce que le prêtre

israélite du commun n'était pas, alors que tout prêtre chrétien, à la suite

des Apôtres, serait appelé à l'être.

Dans ces conditions il n'est pas surprenant que le christianisme nais­

sant, ainsi engagé en milieu israélite, ait laissé se rompre la continuité

verbale entre les deux Sacerdoces, laissé s'établir une Église apparemment

dépourvue du bpsuç des autres communautés religieuses.

La hiérarchie allait pourtant, bientôt, prendre corps, mais sous d'au­

tres noms.

Les Actes des Apôtres nous relatent l'institution même de son degré

inférieur, apparemment centré sur des soins d'administration temporelle.

Les Apôtres choisissent sept d'entre les disciples pour servir ('8Locx.ovs1'v)

les tables, c'est-à-dire s'acquitter des services de l'assistance aux indigents

(Act.VI,l-6). Leur office était cependant d'un caractère religieux, voire

sacerdotal, certain, puisqu'ils le recevaient au cours d'une cérémonie et de

prières, par une imposition des mains. L'activité de deux d'entre eux,

Étienne et Philippe, montre, au surplus, qu'ils avaient dû être habilités

ainsi, d'une façon spéciale, à prêcher et à conférer le baptême (Act.VI­

VIII). Mais d'autres auxiliaires, voire des remplaçants, allaient être néces­

saires, du fait du développement de la communauté et des déplacements

des Douze. Dès le temps de l'empereur Claude et du roi Hérode Agrippa

(vers 48), Barnabé et Saul, montant d'Antioche à Jérusalem, y rencontrent

des dirigeants autres que les Apôtres, des 1Cpscr~unpoL (Act.XI,30), qu'on

retrouvera peu après aux côtés des Apôtres (Act.XV,4,6).

Ce mot 1Cpscr~6-,opoç, assurément, était apte à porter bien des accep­

tions diverses. Comparatif du mot 1Cpécr~IJç, il s'appliquait ainsi de façon

étymologique aux personnes ou aux choses plus vieilles ou plus anciennes

que d'autres (Jo.VIII,9). Bien souvent aussi, et depuis longtemps, c'était

le nom d'une fonction, celle de ces «Anciens», dont les sociétés antiques ne

pouvaient guère se passer. En Israël, aux temps du Christ et de ses Apôtres,

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7] QUELQUES MOTS DE LA LANGUE CHRÉTIENNE 167

ces Anciens constituaient. un des trois ordres du Sanhédrin (Mt.XXVI,

57; Act.IV,5).

Les 7epscr~6,..spot de Jérusalem auraient-ils été seulement les continua­

teurs, en milieu chrétien, de cette institution antique, d'ordre purement

civil et national? Les Actes ne faisant que les mentionner, ne répondent

pas à cette question. Il semblerait cependant indiqué qu'ils aient déjà été

élevés plus haut, puisqu'ils se connaissaient une autorité suffisante pour se

joindre aux Apôtres dans le règlement d'un grand problème de foi (Act.

XV,23,24).

Il en va autrement dans les Églises pauliniennes. Dès la première

Mission, Paul et Barnabé se gardent de laisser derrière eux des chrétientés

désorganisées et installent partout des 7epscr~6npot. Il ne s'agit pas de

simples Anciens, comme ceux du Sanhédrin, car leur promotion est mar­

quée très fortement d'un cérémonial religieux et rituel (1): XstpoTov~crOGvn~

oè IXÙTOL~ XIXT' tXX)."I]O'LIXV 7Cpscr~odpo0~ 1 7Cf>OO'W~Iip.svot p.sTOC V"I]O'TStiliV

(Act.XIV,23). Cette imposition des mains, entourée de prières et prépa­

rée par un jeûne, est bien autre chose que la désignation de simples gérants. Plus évident encore est le cas de leurs collègues d'Éphèse, convoqués par

l'Apôtre à Milet (XX,17). Saint Paul leur dit en effet: (Act.XX,28):

Ilpocréx.sn ~IXO'C'O!~ XIXL 7COGV'C'L Têi) 7COLp.vLtr, èv cp ôp.ii~ 1'0 7CVSUp.OG 1'0 ocytov Mno

è7CLO"XÔ7COU~, 7Cotp.1X(Vstv -.~v txX.Â"IJO'LOGV ToU 0soU, ~v 7espts7CoL~ran otoc TÔU

rHp.IXn~ -.oU ~o(ou. «Veillez sur vous-mêmes et sur tout le troupeau, où

l'Esprit Saint vous a placés comme è7CCcrx.o7Cot pour être les pasteurs de

l'Église de Dieu, qu'il s'est acquise par son propre sang.» Il est impossi­

ble de se méprendre sur le caractère d'une telle charge: elle est très cer­

tainement d'ordre spirituel, et il est marqué explicitement qu'ils ne la

tiennent pas, avec l'autorité qui y est attachée, des suffrages des fidèles, ni

de la volonté de saint Paul, mais de l'Esprit Saint lui-même. On aura no­

té aussi l'emploi du mot è7C(crx.o7Cot ~adressé à ces 7epscr~6npot venus de la

(1) Il y a lieu de comprendre ici le mot X.Etpo-rov~crocv-re:ç d'une imposition des mains, puisqu'il s'agit d'une action accomplie par les apôtres pour la communauté, non d'un vote à mains levées émis par celle-ci.

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168 MÉLANGES DE L'UNIVERSITÉ SAINT JOSEPH [8

ville voisine. Les deux termes n'avaient donc pas encore été différenciés.

Tout semblables devaient être ces l~(crïtO~OL que, dans l'intitulé de son Épî­

tre aux Philippiens, saint Paul salue avant les diacres (Phil.I, 1).

Les mêmes réapparaissent dans les Épîtres Pastorales (I Tim., Tit.),

où il est longuement parlé de leur institution et des qualités requises pour

leur charge. Ils font figure, comme à Éphèse et dans les autres églises pau­

liniennes, de pasteurs subalternes, dirigés par Paul et ses collaborateurs.

Saint Pierre, de son côté, salue les ~pscr~unpoL en se déclarant leur

collègue, auv~pscr~u"C'spo~ et en les invitant à exercer leur fonction avec

zèle et désintéressement (I Pet.V,1), tandis que Jacques recommande de

les appeler au chevet des malades pour prier et oindre (Jac.V,14).

Après saint Clément de Rome, qui exalte leur rôle, et rattache leur

établissement aux Apôtres et à d'autres hommes considérables hé?oov

~ÂÂoy(p.Loo'l &v'8pliiv (I Clem., XLIV,2; Funk, Patres Apostolici, 1901, p. 156)

(collaborateurs des Apôtres comme Tite et Timothée?), nous arrivons

à saint Ignace d'Antioche, à partir duquel la hiérarchie chrétienne se

présente définitivement en ses trois degrés, l'évêque l~€axo~o~ de chaque

église, distinct des ~.;scr~u"C'spoL qui l'assistent et de ses autres auxiliaires

les diacres.

Ces mots ont désormais un sens précis dans le christianisme, auquel,

sous leur signification sacrée, ils appartiennent en propre. Au contraire de

~spsu~, il ne saurait y avoir, en Israël ni chez les païens, de ministres sacrés

appelés b€crxo~oL ni ~p>a~u"C'spoL ni même 'l>LxxovoL. Entre b(axor.o~

et r.psa~unpo~, jadis synonymes, la démarc<ttion s'est faite et on ne sau­

rait déroger à l'honneur dû à un episcopus en le qualifiant de presbyter, ni

à l'inverse donner à celui-ci le titre auquel il n'a pas droit. D'ailleurs le titre

même de presbyter et aussi celui de diaconus sont de grande valeur et il con­

vient de ne pas les omettre devant le nom de ceux qui ont été élevés à de

tels degrés dans l'Église.

Cependant on ne pouvait pas ne pas sentir que le sacerdoce, b?hsup.oc,

et la présence du sacerdos, Espsu~, étaient nécessaires à une religion vraiment

organisée et que l'Église ne pouvait, indéfiniment, faute de donner . une

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9] Q.UELQ.UES MOTS DE LA LANGUE CHRÉTIENNE 169

place à ces vocables, sembler dépourvue de l'auguste réalité qu'ils expriment.

La Bible, en réservant le sacerdoce proprement dit aux seuls fils

d'Aaron, avait toutefois proclamé un sacerdoce plus étendu, celui du peu­

ple élu dans son ensemble: «Vous deviendrez un royaume de prêtres et

une nation sainte» (Ex.XIX,6). Saint Pierre répéterait ces expressions en

les appliquant aux élus du Nouveau Testament (I Pet.II,9) qualifiés aussi

par lui de «sacerdoce saint>> (II,5). Cette doctrine, sans être très souvent

reprise au cours des âges, ne devait pas non plus s'oblitérer et, de nos jours,

reprend une place assez marquée dans la prédication et les œuvres d'action

catholique. S'avise-t-on, en citant l'Épître du Prince des Apôtres, qu'elle

n'invitait, et pour cause, à aucune comparaison, à l'intérieur du corps

mystique, entre laïcs et clercs?

Le sacerdoce était aussi, dans la perspective de l'Apocalypse, parmi

les dignités réunies sur la tête des élus du ciel (Apoc.I,6; V,IO; XX,6).

Plus important allait être le pas franchi par l'Épître aux Hébreux.

Elle fut adressée aux membres d'une communauté de judéo-chrétiens très

attachés aux splendeurs du culte mosaïque et en grand péril de renoncer

à leur foi au Christ, apostasie publique sans laquelle, apparemment, ils

étaient au moins menacés de ne plus pouvoir paraître au Temple. Pour

les amener à persévérer et à se résigner à «sortir du camp» avec Jésus

crucifié hors de la cité (Hebr.XIII, 12-13), quel lnoyen meilleur que de

leur montrer, sous l'ignominie même de la Croix, un Sacrifice de bien

autre valeur que tous ceux de l'Ancienne Loi, le seul vrai Sacrifice, et un

Grand Prêtre, &pxLspsu~, d'une dignité suréminente, officiant et victime

à la fois, Jésus, supérieur aux Anges et à Moïse, assis comme Fils à la droite

de la Majesté divine?

Le Nouveau Testament s'achevait ainsi, ayant proclamé deux aspects

du Sacerdoce, de la tspxTs(x dans l'Église, celui d'une participation de

tout le Corps mystique à cette institution, celui de l'exercice éminent et

décisif de ses fonctions salvatrices par le Divin Fondateur.

Une troisième application du mot Espsu~ et du mot sacerdos, la plus

naturelle, serait celle qui les emploierait pour nommer ceux qui, dans

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170 MÉLANGES DE L'UNIVERSITÉ SAINT JOSEPH [10

l'Église, jouent vraiment un rôle sacré comparable à celui des prêtres de

l'Ancienne Alliance, le ~psll'~6npo~ et l'l~(ax.o~o~, le presbyter et l'episcopus.

On y vint probablement surtout sous l'influence des textes bibliques,

si lus et si actuels pour le christianisme antique. Dès Clément de Rome

la comparaison entre Ancienne Loi et Nouvelle se faisait transparente

en ce sens, par une idéalisation de la société religieuse juive. On connaît

le texte:

Tl!> yèt..p &?x~spsi L''8~x~ Às~n:.Jpyb:~ '8&'8op.ÉV:X~ &tQ'LV' x.x~ ni~ LSpSU!l'~V r-a~o~

0 't'O~O~ ~poll''t'S't'\Xx't'C(~, x.:;Ù À&tJ't't'C(~~ r'8 ~C(L '8 ~C(X.O'ILOCL l1tLX.&LV't'OCL ' 0 )..oc;',x.o~

&YSpw~o~ ni~ Àoc',x.oi~ ~po!l'T6:yp.x!l'L'I '8é'8s-.ocL.

«Au Grand-Prêtre reviennent ses propres fonctions, aux Prêtres leur place

propre, aux Lévites leurs propres services (diaconies), et le laïc est astreint

aux prescriptions des laïcs» (1 Clementis ad Cor. XL,5; Funk, Patres Apos­

tolici, vol. 1, 1901, p. 150). J

Saint Irénée, commentant l'incident des épis froissés un jour de sabbat,

fait valoir le titre des Apôtres à se prévaloir des privilèges du sacerdoce

juif: «Sacerdotes autem sunt omnes Domini Apostoli, qui neque agros, neque domos

hereditant hic sed semper altari et Deo serviunt» (Adv. Haer. IV,17, .Harvey

vol. II, p. 167/68).

Ces insinuations iront en se précisant. L'évêque surtout, ministre par excellence des fonctions sacrées, vénéré de ses clercs et· du peuple, évoquait

le Grand Prêtre de l'Ancienne Loi dans toute sa majesté. C'est ainsi que

déj.à Tertullien, dans son De Baptismo, écrit: «Dandi quidem potestatem habet

ius summus Sacerdos, qui est Episcopus» (De Bapt. XVII, Migne P.L.I, col.

1326; cité dans Blaise, Dictionnaire latin-français, p. 728).

Appliqué surtout à l'évêque, le titre sacré devait plus tard être étendu

au prêtre. Saint Augustin en témoigne, tout en ayant encore besoin de

préciser: «De solis episcopis et presbyteris, qui proprie vocantur in Ecclesia Dei

sacerdotes» (De civitate Dei XX, 10; Blaise, ibidem).

L'adoption défimtive du mot sacerdos et de ses équivalents aboutissait

donc à lui laisser une ampleur plus large que celles des mots episcopus

et de presbyter, sans parler de l'aptitude qu'il gardait à désigner des

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11] QUELQUES MOTS DE LA LANGUE CHRÉTIENNE 171

prêtres d'autres religions, et à s'appliquer d'une façon toute spéciale au

Christ.

Tel quel, l'emploi de ce titre correspondait, au surplus, à un besoin

de la langue chrétienne. Les deux autres mots étaient devenus dans cer­tains cas trop précis, et l'évêque Decentius d'Eugubium, soumettant au

Pape Innocent Jer ses incertitudes concernant l'Extrême-Onction, semble

s'être sérieusement demandé si lui, episcopus, pouvait l'administrer, puisque

les ministres nommés par Jacques étaient les presbyteri (Migne XX, Coll.

559-561, cité dans D. T.C. V, 1952). Pour parler de l'administration des

rites sacrés non réservés à l'évêque, mais accomplis par lui comme par les

simples prêtres, le mot sacerdos était l'expression convenable. Cela se per­

pétue jusqu'à nos jours, où les rubriques des Missels ou des Rituels des

divers rites observent fidèlement cette règle, par l'emploi exclusif, pour

désigner l'officiant, des vocables Espsuç, sacerdos, en syriaque 1;~, en

arabe ~~ en copte Jepe-rc, O'rHS., en arménien oll'ur.u.'it"'J. Cela, tandis

qu'à ~pscr~unpoç du grec correspondent presbyter du latin, ~ (arabe

.... ~) du syriaque, npecS.<rTepoc du copte, bph de l'arménien.

Israël n'avait pas, d'ailleurs, que de simples prêtres. A la tête de son

Sacerdoce se trouvait le Grand-Prêtre, qui seul, au jour de l'Expiation,

pénétrait dans le Saint des Saints. L'auteur de l'Épître aux Hébreux y

avait vu une figure du Christ, vraiment &?x~epsuç. On connaît ce texte:

«Le Christ, lui, survenu comme Grand-Prêtre des biens à venir ... entra

une fois pour toutes dans le Sanctuaire, non pas avec le sang des boucs

et des taureaux, mais avec son propre sang» (Hebr.IX, 11,12).

On songerait vite à utiliser ce solennel &?x~;psuç pour rehausser la

titulature de l'évêque, surtout occupant un siège particulièrement impor­

tant, comme Alexandrie ou Antioche. De ce terme, le syriaque fit un dé­

calque exact et bien entré dans l'usage 1;~ .... j. Il n'en fut pas de

même en latin, où archisacerdos ne fut qu'un mot tardif, fort peu employé

et de sens indécis. Summus sacerdos, connu dès Tertullien, devait être proscrit

par un Concile de Carthage (Blaise, loc. cit.). Les versions latines du Nouveau

Testament avaient d'ailleurs, on ne sait pourquoi, rendu &px~spsuç par

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172 MÉLANGES DE L'UNIVERSITÉ' SAINT JOSEPH [12

le vieux mot romain Pontifex. Ce terme pouvait cependant paraître forte­

ment entaché de paganisme, et Tertullien, irrité par la mansuétude du

Pape Calliste, en fit une insulte: «Pontijex maximus, quod est episcopus episco­

porum» (De pudicitia !,6). C'est qu'on était encore alors au temps de la

Rome païenne, avec son Collège des Pontifes en exercice. Dans la suite,

après Constantin, les mêmes scrupules ne paraîtraient plus de mise, et

puisque le Nouveau Testament appelait Pontijex le Grand-Prêtre, il parut

normal de s'en autoriser pour honorer de ce titre la dignité épiscopale ( 1).

II. A 6y L 0 v

Que n'a-t-on pas imaginé et imprimé sur les logia, à partir de la courte

notice consacrée à Papias par Eusèbe de Césarée? On y lit, en effet que, selon cet écrivain, saint Matthieu rédigeant en

hébreu son Évangile avait ainsi mis en ordre ces logia: ..-& ÂoyL~ auvs..-&~~..-0 ,

tandis que saint Marc avait négligé de faire une auv..-~~Lv Tw'l l!.tJpL~l!.wv

Âoyiwv et que Papias lui-même composa un ouvrage en cinq livres

sous le titre de ÂoyCwv W.lpL~l!.wv ~;"l)y~crea~. L'Évangile hébreu (ou araméen), de saint Matthieu et l'ouvrage de

Papias étant tous deux entièrement disparus, le champ était libre pour

échafauder des hypothèses sur leur contenu. Le mot ÂoyLov ressemblait de

près à ).6yo~, et il était aisé de les confondre ou du moins de leur supposer,

sans plus amples recherches, des sens très voisins. De la sorte les ).6yL~

l!.tJ,:JLXl!.X auraient été des paroles attribuées au Christ, et le Matthieu

primitif araméen un recueil de ces paroles. Papias aurait, dans son œuvre,

consacré ses ressources intellectuelles, modiques au dire d'Eusèbe, à essayer

de les expliquer. Un certain accord s'est fait, un temps du moins, sur ce

(1) Le mot pontiftx fait penser presque irrésistiblement à pons, pontis. Dès l'antiqui­té, Varron avait admis cette étymologie. Depuis lors, l'imagination des latinistes a eu de quoi s'occuper! Malgré Varron, on ne peut que souscrire à la suggestion de Alois Walde (Lateinisches etymologisches Worterbuch, Heidelberg, 1916), qui fait état d'un mot des Tables Eugubines, puntis, imparfaitement expliqué, mais de sens certainement rituel.

C'est plus satisfaisant, si c'est moins pittoresque.

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13] Q.UELQ.UES MOTS DE LA LANGUE CHRÉTIENNE 173

point, entre exégètes de toutes nuances. Les tenants radicaux de la théorie

des Deux Sources en confectionnaient un proto-Matthieu araméen limité aux seuls discours, tandis que les conservateurs plaidaient pour l'au­thenticité substantielle du Matthieu grec, en faisant valoir qu'il est assez

fourni de discours du Christ pour pouvoir être nommé logia.

A ces vues, au système des Deux Sources notamment, une découverte

de papyrus sur l'ancien site d'Oxyrrhynque, au Sud du Caire, parut donner une éclatante confirmation. Ils contenaient précisément des paroles attri­

buées au Christ, non enrobées, comme dans nos Évangiles canoniques,

par une partie narrative. Les éditeurs, Bernard P. Grenfell et Arthur S.

Hunt, les publiaient en 1897 sous le titre, ajouté par eux, de /..6yLœ 'IYJvo'ü.

Depuis lors l'usage est bien établi d'appeler logion toute parole attribuée

au Christ, qu'elle soit ou non tirée des Évangiles. Comme si telle avait été

l'acception de ce mot dans l'antiquité, ce que personne, en fait, n'avait pris

la peine de démontrer.

Cependant, quand les Pères et les autres écrivains ecclésiastiques de

langue grecque employaient l'expression "t"!X ÀO"(LX "t"OÜ 030Ü 1 "t"!X estee ÀoyLIX

(chez les Pères latins: divinum eloquium, sacrum eloquium, jusqu'à S. Gré­goire le Grand), ils ne se référaient certainement pas à des recueils de

discours et de sentences, et ne faisaient qu'utiliser une des locutions reçues

de leur temps pour désigner la Bible. Ainsi, entre autres, en agissent à maintes reprises saint Basile et Eusèbe de Césarée.

Même ailleurs, les latins traduisaient habituellement /..6yLov par

eloquium, et non, comme ils l'auraient fait pour /..6yo(; par verbum ou sermo.

On constate enfin que, dans le grec de la LXX, ).oyLov n'est pas, comme /..6yo(; , l'équivalent de l'usuel "'1~'1, mais correspond, à de très

rares exceptions près, à un autre terme plus solennel M"'~~ ('imra) (variante:

"'''C~) (' emer), Tous ces faits concordent mal avec l'interprétation devenue courante

du mot /,6yLov et cela exige une étude plus attentive des origines et de

l'histoire de ce terme.

A6yLov était, dès la langue classique, différent de /..6yo(; et, d'après ce

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174 MÉLANGES DE L'UNIVERSITÉ SAINT JOSEPH [14

que nous révèlent des dictionnaires faciles à consulter, spécialisé au sens

de «réponse d'oracle, prédiction».

Plus conscients que certains de leurs devanciers, d'une confusion à

éviter, les traducteurs actuels de textes bibliques et les auteurs d'ouvrages

sur la formation des Évangiles, rendent volontiers J..6yLoc par «ora­

cles».

Cet usage est heureux, car il pourrait bien être impossible de trouver

une traduction plus approchée, mais il ne faut tout de même pas chercher

dans Hérodote ou Plutarque la valeur exacte des mots de la langue chré­

tienne ! Cela surtout si, comme c'est le cas, ces mots sont fortement enracinés dans la Bible. Tout comme il faut demander au ~LXXLouv de la Bible

grecque, et, à travers lui, au ?'~1:li:M de l'hébreu, des lumières sur l'usage

que saint Paul fait de ce mot, sur ce qu'il entend par <~ustifier», c'est

aux exemples assez nombreux de J..6yLov et J..6yLx dans la LXX et à M.,'C~,

.,'C~ du texte original, qu'il faut remonter, pour expliquer J..6yLov dans

le Nouveau Testament et la littérature chrétienne.

De façon assez étrange, l"''.,'C~ apparaît une première et unique fois

dans un sens entièrement profane. Il s'agit des menaces grandiloquentes

proférées par l'impie Lamech (Gen. IV,23). Ce texte isolé suggère un tout

premier emploi du mot au sens relativement étendu, celui de «déclaration

solennelle» faite pour être retenue. Les traducteurs de la LXX se sont

abstenu, ici, d'employer J..6yLov. Ils n'ont pas dû agir ainsi par inadver­

tance, mais ont vraisemblablement craint de profaner dans un tel contexte

un mot devenu sacré.

Plus loin, sous la forme masculine .,'C~, le Livre des Nombres entend

les oracles (le mot est ici à sa place) du devin Balaam (Num.XXIV 4,16).

Ensuite, et à de nombreuses reprises dans le Livre des Psaumes, il

s'agit exclusivement, au singulier ou au pluriel, de «locutions» attribuées

à Dieu lui-même. Ce ne sont pas, comme il arrive souvent pour l'expression

t:I'~M'.:i~ .,:l1, des communications peqonnelles faites par Dieu à ses ser­

viteurs, par exemple pour leur annoncer un avenir proche (1 Sam. III, 17),

mais des paroles fixées, retenues dans les mémoires ou même déjà écrites,

Page 15: Mouterde_Quelques mots de la langue chrétienne

15] Q.UELQ.UES MOTS DE LA LANGUE CHRÉTŒNNE 175

et qui doivent être révérées et observées. Dans la plupart des Psaumes,

sinon tous, il s'agit clairement de la Loi de Moïse.

On est loin, par ces textes, de simples «dits>>, plus ou moins occasion­

nels, et l'idée de «locution» sous-jacente aux deux mots, en hébreu comme

en grec, pourrait bien avoir été, dès l'Ancien Testament, oblitérée par la

fréquence de l'usage, et moins sentie que ne le suggère la traduction:

«oracles».

Quatre textes néo-testamentaires contiennent le mot ÂoyLov: Act.VII,38

(Moïse recevant les ÂoyLct ~wv't"ct pour les donner à Israël). - Rom.III,2

(C'est aux Juifs qu'ont été confiés les logia de Dieu). - Heb.V,l2 (Les

destinataires auraient besoin de rapprendre les éléments 't"WV Âoyt(J)V 't"OU

0sou). - I Pet. IV, 10 (Invitation à parler entre chrétiens 6Jç :MyLct

0sou). Dans ces quatre textes, on n'arrive à rien de naturel si l'on y

cherche, au sens fort, l'idée d'oracles divins. Chez tous, surtout les trois

premiers, il est question, en fait, de l'Écriture, venue de Dieu et règle de

la vie humaine, ou, du moins, si ce sens ne s'impose pas à première lecture,

est-il partout en situation. Le verset de l'Épitre aux Romains, en particu­

lier, pourrait bien avoir été, dans la suite, à l'origine de l'expression pa­

tristique ,...èc; ÂÔyLct 't"OU 0sotî signalée ci-dessus.

La logique de notre enquête demande maintenant que nous recher­

chions si cette locution patristique, si souvent constatée à partir du IVe

siècle, est attestée ou non à date plus ancienne et plus proche, par consé­

quent, du texte litigieux de Papias.

Nous devons au R.P. Fernand de Lanversin, Professeur de Patrologie

au Séminaire Oriental, une précieuse indication sur ce point. Il nous a,

en effet, signalé, un exemple caractéristique de l'expression 't"oc ÂoyLct nu

0sotî appliquée à l'ensemble de l'Écriture Sainte, dans un fragment du

Contra Noetum d'Hippolyte, ce qui nous fait remonter aux alentours de

l'an 200. Voici ce texte:

"OcroL Ssocré~sLOGV &mtsiv ~OIJÂ.Ôp.s6ct, où>t &Â.Â.o6sv &'l'>t~üop.sv ~ l>t 't"WV

Âoyt(J)V 't"OU 0sotî. "OcrOG 't"OLVIJ'I X1JpUûO"OIJCl'LV od 0siOGL rp:xcpctl., f'8(J)p .. sv, )f.()tL OO":X

'8 L '8ci:O">tOIJO"LV bLyVillp.sV.

Page 16: Mouterde_Quelques mots de la langue chrétienne

176 MÉLANGES DE L'UNIVERSITÉ SAINT JOSEPH [16

«Nous tous qui voulons pratiquer la «piété envers Dieu» (c'est-à­

dire: la vraie religion), nous ne la pratiquerons qu'à partir des logia de

Dieu. Aussi examinons tout ce que les divines Écritures annoncent, et ap­

prenons à fond tout ce qu'elles enseignent» (Contra Noetum. Migne X,

col. 366). On ne peut vraiment pas rapprocher davantage les logia de Dieu des

Écritures qui les contiennent.

Nous arrivons aux temps mêmes de Papias avec deux exemples de son

expression elle-même "t'èt Âoy~x "t'OÜ xup(ou, l'une chez saint Irénée,

l'autre chez saint Polycarpe.

Aux premières lignes de son grand ouvrage Adversus Haereses conservées

en grec, l'évêque de Lyon accuse les gnostiques d'être des falsificateurs,

traitant de manière fantaisiste, px'8wupyoüv•sç, les Âoy~x xup,ou (Adv. Haer. I, 1. Édition Harvey, Vol. 1, p. 2).

De son côté, écrivant aux Philippiens, Polycarpe, qui vient de citer la

la Johannis (IV,2,3), s'élève aussi contre une mauvaise exégèse des logia:

Koci. 5ç &v p.s~o'8su'(l "t'tX J.6y~oc 't'oü xuptou ~pàç 't'éX.Ç ~'8,xç b~6up.hç xcà Âé"frr

p.~n &·1-iO'"t'CX:ü~v p.~n 'l..ptO'~'I, ooToç ~pw"t'6Tox6ç tün nü üX":CX:VéX..

«Et quiconque détourne les logia du Seigneur dans le sens de ses

propres désirs, et dit qu'il n'y a ni résurrection ni jugement, est le pre­

mier-né de Satan» (Polyc. ad Philipp. VII; Funk, ed 2a, 1901, p. 305).

Gérard Kittel, qui mentionne ces deux textes, déclare que «l'expres­

sion 't'tX Âoy~x ":.ü X!Jptou y apparaît en des conditions telles qu'il n'y a pas lieu d'y voir des propos isolés du Christ, mais bien la somme de son ensei­

gnement» (Th.Wort.z.N. T., article A6y~ov, Tome IV, pp. 140-142) (1).

On ne saurait, sans doute, presser davantage le sens de ces deux textes,

et reconstituer l'ensemble de ce que saint Irénée et saint Polycarpe ont pu

mettre sous le terme de logia. Il est ÇJ.U moins hautement vraisemblable qu'ils

(1) Les lecteurs qui prendraient la peine de se reporter à cet important article pourraient constater que les positions prises dans notre étude sont sensiblement les mê­mes que celles de G. Kittel.

Page 17: Mouterde_Quelques mots de la langue chrétienne

17] Q.UELQ.UES MOTS DE LA LANGUE CHRÉTIENNE 177

n'en excluaient ni le contexte évangélique des discours du Christ, ni même

le reste du Nouveau Testament, Actes des Apôtres et Épîtres. Aussi bien

ceux qu'ils dénoncent avaient-ils sûrement cherché partout où ils croyaient

pouvoir en trouver des bases pour leurs constructions hasardées.

Il est opportun, du moins, de citer encore un curieux passage de

l'Histoire ecclésiastique d'Eusèbe, certainement passé inaperçu pour beau­

coup de ceux qui se sont préoccupés des logia:

'Qç 1} 'rWV Ilpx~swv La''t'Opsi rpxq>~, opp.~a'IX'I't'OG p.èv ~"i. 'r~V Kcw:r&ps~xv' ~v

~"~cr~p.cr ~ 'èv't'œua"' éop't'~ç ~p.ép~ ""'P."P~ x:.ù ~oc.cr~À~x~ xocrp.lJcr&p.svov ~o-G'ij'rL

54'tJÀO'I ":'e: "Pà ~~p.oc.'t'OÇ ~'tJP.'tJYOp~o-x·r;oc.. Tou yxp 'rOL ~~p.ou "a.v'ràç è"sUq>'t)p.~­

O'OGVTOç èJti. 'r~ ~'t)p.'t]yOpLq GlÇ ~"t a sou q>WV~ ')trt..t OÙX &vapfimoU 1 "XPXXp'fip.OG 't'à

AoyLov "x"x~oc.~ oc.O..à1 &.yys/..ov xu~(ou Lo-;opsï, ysv6p.svov ~è crxwÀ't]~6~pw'roV

èx~û~oc.~.

«Comme le dit l'Écriture», (Hérode) «alla à Césarée, et là, durant

un grand jour de fête, paré d'un magnifique vêtement royal, d'une tribune

élevée, il harangua la foule. Comme le peuple entier acclamait cette ha­

rangue, disant que c'était la voix d'un dieu et non d'un homme, le logion

rapporte qu'aussitôt un ange de Dieu le frappa et qu'il expira dévoré par

les vers» (H.E.II, 10, Corpus Bero1.2,1, p. 126, lignes 10/15).

Le récit des Actes des Apôtres (Act.XII,20 à 24), paraphrasé dans

ces lignes, y est traité d'abord de y:)a.'f~, puis appelé /..oyLov. Ce mot, d'ailleurs, se rapporte vraisemblablement moins à la section citée qu'au

Livre même des Actes en son entier, partie des /..oyLoc. comme de la ypocq>~.

Pourrait-on, en tout cas, avoir une meilleure preuve de l'extension du

terme de logion à des textes scripturaires de caractère narratif, irréductibles

au concept de «dits», voire de «oracles» au sens normal des mots?

Et, précisément, n'y a-t-il pas lieu de croire que si, pour Eusèbe, le

Livre des Actes était, tout comme les chapitres du Discours sur la Mon­

tagne dans saint Matthieu, au nombre des logia, il en avait déjà été de

même pour Papias en personne? Du très peu qui nous est dit de ses /..oy€w·1

xoptocxwv èÇ't]y~crsLç il surnage du moins qu'il y avait introduit des

MJl., t. XXXVIII- 12

Page 18: Mouterde_Quelques mots de la langue chrétienne

178 MÉLANGES DE L'UNIVERSITÉ SAINT JOSEPH [18

traditions, fondées ou non, sur un miracle de Joseph Barsabas, nommé le

Juste, personnage nommé par le seul Livre des Actes (H.E. 39,9,10).

De tout ce qui vient d'être consigné dans les pages qui précèdent se

dégage suffisamment, nous semble-t-il, que, dans la langue de l'antiquité

chrétienne, héritière d'une longue tradition, le mot Àoytov était un de

ceux par lesquels on désignait les textes scripturaires, et que l'on pouvait

faire alterner avec ypcxtp~·

Dans les anciens temps d'Israël, l'emploi du mot h"'~lit avait dû

correspondre au besoin de marquer une nuance importante. Un "':l"i

entendu par un prophète n'était pas nécessairement au nombre des décla­

rations adressées à tout le peuple, et destinées à être conservées par lui

dans les mémoires ou par écrit. L'emploi de l'écriture s'étant bien installé,

et un corps de prêtres, de scribes et d'autres Israélites instruits étant en

mesure de recourir à ce moyen de transmission, autrement sûr que tout

récitateur, l'M"'~lit-Àoytov à conserver se fit écrit, et surtout thora.

Matériellement écrit, ypiXtp~, le texte sacré, formellement, était, quel

que soit son contenu, une sorte de parole ou d'oracle Àoytov, puisque par

lui Dieu nous parle.

Ce ne doit pas être pour une raison fortuite que nous n'avons ren­

contré, au cours de notre enquête la locution TiX Àoytcx: Tot.i Kup(ou qu'au

temps même de Papias ou fort peu après. Dès Hippolyte, qui place, nous

l'avons vu, la règle de la foi et des mœurs dans les 'MytiX nt.i E>sot.i, on

entendait évidemment sous ce nom le Nouveau Testament comme l'Ancien.

Dans une période antérieure, tâtonnante, la conscience de posséder, dans

les Évangiles, les Épîtres de saint Paul, de saint Jacques, de saint Pierre, de saint Jean, la source où l'on avait à puiser les richesses d'une révélation

venue de Dieu, était déjà vivante, mais il n'est pas étonnant que ce dépôt,

encore imparfaitement inventorié et fixé, n'ait pas été d'emblée, comme-il

se ferait plus tard, versé à côté des Psaumes, de la Loi et des Prophètes,

dans le majestueux ensemble des À6ytcx Tot.i E>sot.i. De manière transitoire,

ces nouveaux logia, dont la personne du Christ est le centre, furent ainsi

Àoytcx 'KUptCX'lt~.

Page 19: Mouterde_Quelques mots de la langue chrétienne

19] Q.UELQ.UES MOTS DE LA LANGUE CHRÉTIENNE 179

Selon cette vue, non seulement dans l'intitulé de son livre, qui débor­

derait le cadre d'une explication de paroles attribuées au Christ, mais

même en parlant des logia maniés par Matthieu et Marc, Papias aurait eu

en vue des rédactions méritant ce nom par leur valeur d'expression authen­

tique de la vérité révélée, on pourrait dire d' M.,~~ adressée à l'Israël

nouveau. Cela, croyons-nous pouvoir le dire, indépendamment du fait

que, dans les Évangiles, cette vérité révélée s'identifie pour une large part

aux paroles mêmes du Christ qui y sont rapportées.

Il est facile, d'ailleurs, de constater que les discours du Christ, dans

tout le Nouveau Testament, sont appelées des ).6yoL ou des p~p,IX't'IX,

jamais des ).6yLIX (cf. par exemple Mt.VII,28, XXVI,l; Jo.VI,68;

Act.XX,35).

Nous ne pouvons finir sans signaler, à la suite du R.P. Joseph A.

Fitzmyer, S.J. (1), un récent progrès de la question des soi-disant logia

d'Oxyrhynque. Il s'agit, comme on le sait, de deux séries, publiées en

1897, puis en 1904, de fragments en langue grecque, sur papyrus, où on

lisait des paroles attribuées à Jésus. Cette compilation différait de nos

Évangiles, même du premier, par l'absence de toute partie narrative, pour

ne rien dire du caractère au moins énigmatique de plusieurs de ces

agrapha (2). En tête de leur première publication, celle de 1897, les deux

éditeurs, Bernard P. Grenfell et Arthur S. Hunt, crurent pouvoir mettre,

conformément à l'interprétation courante du texte de Papias, deux mots

à effet: ÀoyLx 'l"t)O'oiJ • Mais ils ne les avaient pas trouvés dans leur texte,

et, lors de leur seconde publication, une circonstance s'était produite qui

pouvait les inviter à reconsidérer leur emploi du mot logia. Avec des frag­

ments pareils aux premiers, un autre, le Papyrus Oxy P 654, qui leur

ressemblait fort, commençait par un titre. Tout mutilé et mal copié qu'il

(1) Joseph A. Fitzmyer, S.J., «The Oxyrhynchus Logoî of Jesus and the coptic Gos­pel according to Thomas)), dans Theological Studies, 20, N° 4, December 1959, pp. 505-560.

(2) Bernard P. Grenfell and Arthur S. Hunt, Sayings of our Lord from an early greek

papyrus (New York 1897). -New sqyings of Jesus and fragment if alost Gospel (London 1904).

Page 20: Mouterde_Quelques mots de la langue chrétienne

180 MÉLANGES DE L'UNIVERSITÉ SAINT JOSEPH [20

fût, ce titre contenait indubitablement, pour désigner les pièces de la com­

pilation, le mot ÀoyoL et, au prix d'une correction obvie, les trois premiers

mots étaient à restituer: ÜÙTOL o~ '-6yoL «Telles sont les paroles», et

nullement: TocuT.x Toc J..6yL.x.

Toutefois une légère divergence opposait cet incipit aux autres frag­

ments. On y relevait, en effet, mêlé aux paroles du Christ, un rudiment

de contexte, constitué par une question des disciples. Les éditeurs crurent

donc pouvoir le mettre à part, sous le nom de «Fragment of a lost Gospel».

Cette disjonction n'est plus soutenable depuis les sensationnelles dé­

couvertes de Nag'-Hammadi, et la publication d'un des documents les

plus importants de celles-ci, l'Évangile selon Thomas, en dialecte copte

sahidique. Au début de cette œuvre correspond précisément le texte grec

Oxy P 654, tandis que tous les autres fragments sans exception trouvent

place dans la suite de l'ouvrage.

Celui-ci s'avère être un écrit hétérodoxe, connu et dénoncé comme

d'origine gnostique par saint Hippolyte, mentionné aussi, dans la suite,

par Origène, saint Jérôme et probablement saint Cyrille de Jérusalem.

Nous sommes donc loin de l'Évangile araméen, avec ces pièces désor­mais portées au compte de l'hérésiologie et non de l'histoire des origines

du christianisme.

Ce serait sans doute trop demander aux exégètes et aux théologiens

contemporains que de les inviter à s'abstenir d'un terme entré dans leur

vocabulaire, et à ne plus parler d'un logion de l'Évangile ou d'Oxyrhynque.

Du moins serait-il souhaitable qu'ils aient conscience que cette manière

de s'exprimer ne remonte nullement à l'antiquité chrétienne.

III. CONFITEOR

Le français actuel n'admet pour le verbe «confesser>> et le substantif

«confession>>, surtout dans la langue courante, qu'un petit nombre d'ac­

ceptions, simples nuances de l'idée d'avouer et d'aveu, l'objet de cet aveu

pouvant, suivant les cas, être une faute proprement dite, une erreur, ou

seulement une manière de penser ou d'agir supposée mal vue de celui à

Page 21: Mouterde_Quelques mots de la langue chrétienne

21] Q.UELQ.UES MOTS DE LA LANGUE CHRÉTIENNE 181

qui l'on s'adresse. Le nom de confesseur, malgré le sens encore senti de

l'expression «confesseur de la foi», n'est plus guère compris que du prêtre

écoutant ses pénitents.

Tout autre est la gamme de sens divers qui se rencontrent, dans le

latin ecclésiastique sous les deux mots de confiteor et confessio.

Au Confiteor du début de la Messe, aveu des péchés, s'oppose, dans le

chant du Credo le très discordant: Confiteor unum baptisma, qui est procla­

mation, profession d'un article de foi. A plusieurs reprises cependant, au cours

de l'année, l'Évangile de la Messe répète une parole du Christ: Confiteor

tibi, Pater, Domine caeli et terrae, quia abscondisti haec a sapientibus et prudentibus

et revelasti ea parvulis (Mt.XI,25). C'est tout à fait irréductible aux deux

sens précédents, pourtant disparates. Il faut comprendre: Je te loue, ou

Je te bénis, voire Je te rends grâces, sans que l'on devine aisément pourquoi

d'autres mots comme laudo, benedico, gratias ago n'auraient pas été aptes à

exprimer la même idée d'une façon plus obvie.

Cette phrase de l'Évangile fait elle-même écho à nombre de versets

du Psautier latin de la Vulgate, où, pareillement, le verbe Confiteor n'est

ni l'aveu d'une faute, ni la proclamation d'une foi, mais une expression

de louange, telle cette belle acclamation par laquelle commence la Messe

du rite lyonnais: Confitemini Domino, quoniam bonus, quoniam in aeternum mise­

ricordia ejus (Ps.CV,l, CVI,l).

Comme on pouvait s'y attendre, la même polyvalence se rencontre

en grec, SOUS les mots ~~op.oÂoysia9ocL 1 op.oÂoyûv, et en syriaque SOUS

1 ~ , e mot Ytol·

La place prise par les textes bibliques de l'Ancien Testament dans les

exemples cités plus haut laisse apparaître que, pour une part au moins,

l'histoire du mot latin confiteor et de ses équivalents remonte à l'hébreu.

La langue syriaque d'ailleurs prolonge justement par son verbe de forme Af'el .. !ozl'hiph'il hébreu M.,,M (1).

(1) La voix simple M.,, n'existe pas en hébreu ni son équivalent en syriaque, mais est représentée en arabe par la forme .;~J. Celle-ci est d'emploi trop restreint et de sens

Page 22: Mouterde_Quelques mots de la langue chrétienne

182 MÉLANGES DE L'UNIVERSITÉ SAINT JOSEPH [22

Ce mot pourrait avoir eu, primitivement, une acception profane, de

valeur plus ou moins juridique. Non peut-être sans quelque allusion au

nom de Juda M"'l,li., : (cf. Gen.XXIX,35), ses frères sont invités à lui

rendre hommage, i,"'li\ et à se prosterner devant lui (Gen.XLIX;8).

Mais partout ailleurs c'est à Dieu que va, soulignée ou non d'un sacri­

fice, la M"'l,n ou confession. Acte individuel ou collectif, elle fait partie du

culte qui lui revient et que seuls les vivants peuvent lui rendre (Isaïe

XXVIII 18,19). Ce culte, après des fautes d'Israël, généralement entachées

d'idolâtrie, constituait implicitement un retour à une fidélité plus ferme,

un acte d'adoration et de reconnaissance du domaine exclusif de Yahwé

sur son peuple, selon le schème du Livre des Juges (Jud.III,ll-18) (cf.

l'épisode d'Élie au Carmel, 1 Reg. XVIII,20-40).

La grande prière dédicatoire de Salomon (1 Reg. VIII, 33-35), fait

sienne cette philosophie de l'histoire. De nouvelles fautes risquent d'attirer

encore les châtiments divins, guerres ou famines. Il faudra alors venir au

Temple «confesser» Yahwé. Un tel culte de louange, dans ces conditions,

est une amende honorable, et aussi une action de grâces au moins implicite

pour avoir été relativement épargnés.

La liturgie du Temple exprimée par les Psaumes s'établirait sur ces

bases. On n'attendrait pas de nouvelles et décisives catastrophes pour

venir dans la demeure de Yahwé et lui rendre l'hommage de la «con­

fession». Peuple en corps ou chaque Israélite en particulier, n'avait-on

pas, que l'on en eût ou non une claire conscience, surtout après des épreuves

ou des dangers, à remercier Dieu de ses bienfaits et se reconnaître coupable

devant Lui?

Action de grâces ou aveu, les deux ensemble, la M"'!it"l constituait aussi

l'expression solennelle de la soumission et de la louange fervente. Au temps

d'Esdras et Néhémie en particulier on se plut à joindre les deux mots M"'!,M et ':l1:lli comme pour exprimer le suprême effort d'Israël pour

honorer son Dieu.

trop spécialisé pour éclairer le problème. Du moins permet-elle d'écarter toute idée d'un rapport avec le motyad <<main», où le y est primitif.

Page 23: Mouterde_Quelques mots de la langue chrétienne

23] QUELQUES MOTS DE LA LANGUE CHRÉTIENNE 183

Cette longue tradition épénétique résonne encore d'une façon émou­

vante dans les hymnes ou Hodayyot de Qumran.

Si, pour Israël, la confession solennelle au Temple était un devoir de

soumission et d'amende honorable après des écarts, elle prenait, pour les

particuliers, clairement la valeur d'un aveu, après certaines fautes, pour

l'expiation desquelles le rituel prévoyait un «sacrifice pour le péché».

«<l aura à confesser les péchés commis, puis il amènera à Yahwé à titre

de sacrifice une réparation ... » (Lévitique V,5).

Le Livre des Proverbes invite, lui aussi, à un aveu: «Qui masque ses

fautes, point ne réussira; qui, les avouant, y renonce, obtiendra merci»

(Prov. XXVIII, 13).

Plus tragique est la confession imposée par Josué au malheureux

Achan, auteur d'une faute dont tout Israël a pâti. «Mon fils, donne gloire

('1i::l!:!) à Yahwé Dieu d'Israël, rends-lui l'hommage ("'1iM), déclare­

moi ce que tu as fait et ne me cache rien» (Jos.VII,19).

Ce texte est remarquable par la liaison étroite qu'il établit entre la gloire de Dieu et l'aveu par l'homme de ses fautes.

Sous le concept hébraïque de confession, M1iM s'exprimait donc l'idée

d'un hommage, d'une louange adressée à Dieu, que cet hommage

fût l'acclamation collective d'un peuple en fête ou l'expression de la piété

personnelle, notamment après quelque épreuve. L'aveu des fautes commises

en était une des formes, éminemment propre à exalter la gloire divine.

C'était là, somme toute, une idée une et suffisamment cohérente,

encore que d'origine sémitique et ancienne, devenue par suite difficile à

restituer de façon précise et totalement claire.

Sans les avatars de la traduction de l'hébreu en grec, et du grec en

latin, il ne serait pas sorti de ces termes liturgiques d'Israël, l'ensemble

déroutant des sens disparates du mot Confiteor signalé au début de ces lignes

et tenu par S.E. le Cardinal Bea pour une difficulté spéciale de l'entre­

prise du Nouveau Psautier (1).

(1) A. Bea, Le Nouveau Psautier, Desclée de Brouwer, 1947, pp. 153-154.

Page 24: Mouterde_Quelques mots de la langue chrétienne

184 MÉLANGES DE L'UNIVERSITÉ SAINT JOSEPH [24

Dans la LXX on rendit, de façon suffisamment constante l1"1~M

et M"1~n par ~Ç'lp.oÀoyaïcre:x~ et ~Çop.oÀ6y't)O"~~; mais on recourut parfois à deux

mots bien voisins, op.oÀoysïv, op.oÀoyLOG pour rendre d'autres vocables hébreux,

dépourvus de rapports étroits avec M"1~ii, ceux de ~"1~, (nadar) «vouer», "1"1~

(neder) «vœu», M~,~ «offrande volontaire», 1~'1V~, «s'engager par serment».

Au surplus OiJ.OÀoysïv, d'étymologie claire, était un mot bien vivant

dans toute la langue grecque et singulièrement apte à exprimer les diverses

manières de «dire oui», en réponse à une question, en acquiescement à

une demande. C'était donc le mot de l'aveu des fautes, de la déclaration

sincère d'une nationalité, d'une foi, ou de toute autre circonstance, de la

promesse, de la concession, suivant les contextes.

Par là entrait dans la Bible grecque, avec les deutéro-canoniques,

l'expression, non hébraïque d'origine, de «confesser» une vérité ou sa foi

religieuse. Par la mort de leurs premiers-nés, les Égyptiens en vinrent à

confesser wp.oÀ6y't)crctv que le peuple d'Israël était Fils de Dieu (Sag.

XLIII,13). Au fort de la persécution d'Antiochus Épiphane, on ne pou­

vait, sans danger, confesser, op.oÀoysïv, qu'on était juif (II Mach.V,6).

Le Nouveau Testament grec allait utiliser, à son tour, les deux séries

de mots: 'EÇop.oÀoy;ïcreet~ et op.oÀoysïv. A eux deux, ils recouvrent, suivant

les cas, cinq significations discernables:

1° Une fois seulement, par une parole du Christ, il est fait écho au

,.,.,N des Psaumes, si souvent répété à Qumran. C'est le texte bien connu,

cité plus haut: Je te bénis 'EÇop.oÀoyoüp.x~, Père ... (Mt.XI,25; Lc.X,21).

(Dans Rom.XIV,ll et XV,9, il s'agit de simples citations de l'Ancien

Testament.)

2° Sous ~Ç'lp.oÀoys!crex~ prédomine déjà l'idée de l'aveu des péchés,

par trois textes distincts (Mt.III,6 = Mc.I,5; Act.XIX,l8; Jacques V,l6).

<Op.oÀoysl~ apparai:t une fois dans ce même sens (I Jo.I,9).

3° La signification ordinaire de <Op.oÀoylii est: convenir de quelque

chose, l'admettre, notamment en matière de foi. Ainsi en agissent les Pha­

risiens, confessant l'existence de la résurrection à venir, des anges et des

Page 25: Mouterde_Quelques mots de la langue chrétienne

25] Q.UELQ.UES MOTS DE LA LANGUE CHRÉTIENNE 185

esprits (Act.XXIII,8), de Jean Baptiste déclarant qu'il n'est pas le Christ

(Jo.I,20), de Timothée émettant sa profession de foi (1 Tim.V,l2).

Mais ~~op.oÂoysî.'0"6C(~ a aussi cette valeur dans Phil. II, 11: «Pour

que toute langue confesse que Jésus-Christ est Seigneur» . . 4° En un sens voisin du précédent le mot bp.oÂoyw porte sur les

personnes elles-mêmes. C'est le texte qu'allait illustrer toute l'histoire des

martyrs: «Quiconque me confessera (se déclarera mien), devant les

hommes, à mon tour je le confesserai (le déclarerai des miens) devant mon

Père qui est dans les cieux» (Mt.X,32 = Lc.XII,8).

5° De façon plus étendue op.oÂoyoo est le verbe des déclarations

solennelles, proclamation du Souverain Juge (Mt.VII,23), promesse divine

à Abraham (Act.VII,l7), serment téméraire d'Hérode Antipas à la dan­

seuse Salomé (Mt.XIV,7).

Un cas tout à fait à part est celui de Lc.XXII,6. Il s'agit de Judas

concluant son odieux marché: «Il se dit d'accord (pour la somme); et il

cherchait une occasion favorable ... » Nous ne rencontrons pas ailleurs

dans les textes bibliques cette nuance de sens, et, ce qui est plus curieux,

la forme grammaticale, aoriste de forme active, ~~(Ùp.oÂ6yYJO"sv, paraît

isolée, à tel point que les dictionnaires de la langue classique, même tar­

dive, n'en signalent aucun autre exemple.

La langue chrétienne disposera donc, en grec, à la suite du Nouveau

Testament, de deux termes distincts, quoique étroitement apparentés et

parfois employés l'un pour l'autre. Le verbe ~~op.oÂoysî.'0"6C(~ doublé du

substantif ~~op.oÂ6yYJO"~ç allait exprimer l'aveu des fautes et bp.oÂoysî.'v la

profession de la foi.

A ces deux termes du grec, le latin n'avait à opposer que le seul

Confiteor, chargé ainsi à lui seul de ces deux sens. Ainsi arriverait-il, bien

avant l'institution des confessionnaux, que l'on saluerait du titre de con­

fesseurs non, comme de nos jours, des prêtres exerçant le ministère des

confessions, mais les chrétiens qui, sans avoir subi la mort des martyrs,

avaient du moins souffert pour leur foi.

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186 MÉLANGES DE L'UNIVERSITÉ SAINT JOSEPH [26

Dès les premiers débuts de l'Église, on dirait bien que l'emploi de

l~o;J..oÀoysrcra~L grec comme de confiteor latin au sens proprement biblique,

pour exprimer l'acte de louer Dieu, avait perdu toute actualité. Seule

une parole du Christ le prolonge dans le Nouveau Testament, sans qu'il

y soit fait écho dans le vocabulaire de la prière des Apôtres ou des premiers

chrétiens ( 1).

Il est remarquable que cet usage se soit, sous la transposition .. !o/, doublée du substantif 16-.!oL, maintenu au contraire très vivant dans

les liturgies en langue syriaque.

Mais si l'Église latine s'abstenait, dans ses propres compositions litur­

giques, d'utiliser pour bénir Dieu le mot Confiteor, sa grande dévotion aux

Psaumes lui faisait du moins répéter sans cesse cette acclamation héritée

de l'Ancienne Alliance.

Accoutumée, des siècles durant, à tout ce que le Psautier de la Vulgate

contenait d'obscurités, la piété de nos ancêtres ne devait pas trouver là·une

difficulté spéciale.

Mais il en allait autrement du jour où était adopté le principe d'une

nouvelle version, nécessaire à tout le moins pour éliminer de la prière

officielle des contresens trop flagrants transposés en phrases inintelligibles.

A Confiteor, confitemini devenus énigmatiques, il parut souhaitable de subs­

tituer des équivalents mieux compris, comme celebro. A l'appui de cette

modification le Cardinal Bea (loc. cit) s'est plu à citer un pittoresque pas­

sage de saint Augustin, rapportant que ses auditeurs se frappaient la poi­

trine toutes les fois qu'ils entendaient prononcer confiteor, et concluant:

«Non solent homines intelligere confissionem esse nisi peccatorum. »

Est-ce aussi vrai des fidèles instruits et surtout des prêtres même non

savants de l'Église contemporaine que des rudes Africains auxquels devait

s'adresser le grand Docteur? On peut en douter, et même se demander

si un essai de rapprocher à nouveau les deux acceptions: Confiteor... quia

(1) Sur ce point l'écart entre la communauté de la primitive Église et l'Essénisme, auteur des Hodayyot, est grand.

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27] Q.UELQ.UES MOTS DE LA LANGUE CHilÉTIENNE 187

peccavi et Confitemini Domino quoniam bonus ne serait pas utile à notre piété

et à notre pensée religieuse. On remettrait ainsi en lumière ce qu'appa­remment les frustes combattants de l'armée de Josué savaient au moins

sentir, qu'il y a grande louange de Dieu quand le pécheur avoue sa faute. Un texte bien connu du même saint Augustin ne va-t-il pas dans ce sens:

«Accus at Deus peccata tua : si et tu accusas, conjungeris Deo... DeZe quod fecisti,

ut Deus salvet quod fecit» ? (In Joannem XII, 13. Migne 35, col. 1491).

Beyrouth Paul MouTERDE, S.J.