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mgversion2>datura mgv2_57 | 04_07 Prick-Up Your Ears

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mgversion2>datura April 2007 Issue

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Prick-Up Your Ears

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Contents | Sommaire

Introduction – Walter Ruhlmann

Jérémy Bérenger

Thomas Vinau

Marie-Eve Guillon

Eric Rocard

Ludovic Kaspar

André Epervier

Helena de Angelis

Jean-Pierre Lesieur

Kelig N

Robert Serrano & Nelly Bridenne

Cathy Garcia

Pierre Guéry

Régis Belloeil

Denise Therriault-Ruest

Jean-Christophe Belleveaux

Denis Emorine

Yvette Vasseur

Thierry Piet

Eric Allard

Alexandra Bouge

Bruno Tomera

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Introduction – Walter Ruhlmann

Il faudrait mettre un peu d'ordre tout de même. Ces textes en vrac, placés là sans qu'on sache ni comment ni pourquoi.Il faudrait mettre de l'ordre, épousseter, expliquer, dire comment et pourquoi.Il faudrait ordonner, classer, ranger, dire aussi d'où ils viennent tous autant qu'ils sont.Il faudrait quand même dire que c'est un événement d'avoir réussi à réunir autant de plumes dans un seul numéro, autant de textes si variés, dire comment on a réussi à faire tout cela, dire pourquoi ils sont là.Il faudrait quand même...

TA GUEULE!

Je tiens juste à dire que je suis fier d'avoir réuni tant d'auteurs dans ce numéro, d'avoir retrouvé deux comparses de l'époque "papier", que ça commence en musique et ça se termine en fanfare, et qu'entre les deux c'est Mozart, ou le petit Jésus en culotte de velours, comme vous voudrez.

Bonne visite et bonne lecture.

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Jérémy Bérenger

Hank's Connection - Hardcore bukowskien

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Thomas Vinau

Mon camp

Je suis du gang de la miette, de la boulette et du caillou. Adepte de la

poussière. De ceux qui estiment les insectes. J’ai de l’amitié pour les plantes, les

bestioles et les escargots. Du respect pour la lumière. Une inaltérable admiration

pour les matins. Je suis de ces gens qui se sentent mieux vivre en regardant

brouter une vache. Je suis de ces gens persuadés qu’un oiseau connaît la

musique, donc la douceur, donc la grâce, donc la beauté, donc l’art, donc Dieu.

Chaque jour, le vent me recoiffe les yeux. Je suis l’amant discret des fossés, des

bords de route et des balcons. J’ai le culte des mauvaises herbes et de l’odeur de

la pluie au fond de la boue des chemins. Chez vous, je suis perdu, j’ai peur, j’ai

froid, j’ai honte. Chez eux, je suis en paix, j’apprends comme je respire, j’aime

comme je vois. Vos mots sont des carottes ou des battons. Les leurs sont des

couleurs ou des prairies. Je suis du gang des brindilles, des graines, des pétales.

Je me cache sous les ailes des hiboux lorsqu’ils chassent. Je sais que rien ne

pousse sur des billets, rien ne né, rien de vivant. Je sais que le béton n’est beau

que dans ses fissures. Je suis du parti des fissures. Je suis une liane sur les ruines.

Je me cache dans les taillis, je fais l’amour au dos des feuilles, je vois le ciel

dans une épine. J’attends l’effritement. J’attends que l’herbe me recouvre. J’ai

choisi mon camp. J’attends la révolte des arbres.

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Marie-Eve Guillon

Pucelle

De larges lèvresCharnues,Pulpeuses et entr'ouvertes,HumectéesDe mièvrerie. Sourire esquisséA demi froissé;Vulgaire papier glacé! Neiges éternellesA jamais oubliées,Souvenirs dérisoires,Avenir illusoire,

Qui croire?

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Marie-Eve Guillon

Encre de mer

Les beaux joursArrivent enfin.L’océan, de ses lèvresOurlées-nacréesSusurre de tendresMots ;Charmé par cesDouces paroles,Pressé de l’étreindre,Vous courrezLe rejoindre. Oh ! Mais c’estQu’il est salé !Plus que d’habitudeOn dirait… Depuis mi-novembre,La mer, sans cesse,CracheDe chaudes larmesAmèresEt cristallines. D’autres pleursPerlent et creusentCes profonds sillonsQui labourent les joues

Rebondies,Fraîches ou sèches. Des mortsPour ce paysSans pluie,Des morts,Recouverts parCet unique linceulDe sable. Ingrat,Le désert refuseLe Souvenir.De son souffle brûlant,Il balaie ses odieuxMacchabées. Chez les hommes,La mémoireEst tenace.Rien ne s’efface. Ils veillent, enterrentEt prientCes prochesQui, hier encoreSuçaient la vie. Qu’importe !

La douleur des hommes,La plainte murmuréeOu rugieDe l’océan souillé :La cause estAnalogue. Un mal sournoisEngendre le calvaire.Souffrance similairePour une mêmePIERRE. Semblable coupable :La roche molleDes manuels scolaires,L’huile de pierreDes LatinsOu l’or noirDe Tintin Une tâche indélébileS’épanouitDans mon cœurTandis que l’océanPleureSes perles pétrolines.

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Eric Rocard

Jesinguliersujetaux belles parolesdesmasculinspluriels

Homme papierparaphératuréfroisséjetéau panier

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Ludovic Kaspar

Buffalo-Choix, fouteur de merde.

Il y a des soirs puis des nuits, passés seul face à l’écran, les doigts scotchés au clavier comme une bouche d’enfant puni pour avoir trop parlé en classe. Tous ces temps ne se succèdent pas, je traie des pensées de crocodile sans la moindre trace humide, en me persuadant d’une sécheresse universelle. Alors qu’il s’accumule, le temps, pour distiller son énergie plus tard, après l’écran, la solitude des ressacs nocturnes. Rien n’est à point. Au point. Question de choix. Un savoir plus ou moins inné. Exemple chez Buffalo-Grillé :

- Quelle cuisson la côte, monsieur ?- Saignante.- Sauce au poivre ou béarnaise ?- Saignante.- Du vin ?- Saignante.- Espèces ou carte ?- Saignante.- Tout s’est bien passé ?- Alors bleue, béarnaise, carafe d’eau, resto-baskets. Sinon parfait, Madame la Marquise.Pas le temps de dire mon reste que ses frères se vautrent sur la table. Gerbe finale. Pas le choix, quand on l’a sur l’estomac. Trop tard et trop tôt.

On s’inquiète de ma santé en me poussant vers la sortie. Des artistes. Je réclame un médecin dans la salle, un pilote dans les cuisines. " Ca suffit là, tu veux les keufs c’est ça !? "Ok Ok, je paye et je m’en vais...

A point.

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Ludovic Kaspar

Civilités

Là où ailleursCa commence par une erreur.Jack et Lyn, mes créateurs, préparaient le rituel BBQ des dimanches estivaux et je révisais ma brasse dans la piscine peu profonde. Je portais mèche blonde de droite à gauche au gré des rafales du vent puant comme l’haleine d’un vieux dingo - des carcasses d’animaux en putréfaction jonchaient les pelouses du lotissement.

Jack me surnommait « Mein führer! » à tout bout de champ et Lyn renonçait à m’emmener chez le coiffeur depuis perpette car cette blague pressurisait ses zygomatiques dépressifs comme un rail de mauvaise coke. Grimaces et dentition refaite.

Les voisins ne tarderaient pas à rapporter la bidoche, un kangourou bien vivant à cramer à vif. Le cri du kangourou immolé, assez feutré, excitait ce petit monde de banlieue à l'Est de Sydney sans que personne ne s’offusque. Coutume.

Comme à son habitude, Jack tenait à organiser un pugilat à mains nues contre la bestiole avant de la trancher encore rose dans l’assiette. C’était l’occasion de parier et de s’amuser un peu, les dimanches sont plutôt creux en Australie, vaste désert insulaire. A chacun ses combats de coqs, sa pétanque, ses partouzes.

Seulement, ce jour-là, William, un anglais à peine emménagé, crut bon d’offrir son chat persan à bouffer ! Quel manque de tact!Manger du chat domestique est LE tabou de cette bonne société australe !Jack, Lyn et les autres devinrent blêmes, tombèrent dans les pommes comme l’aborigène ivre mort chute de son boomerang.

Au bord de la piscine, mes six ans murmurèrent : une bonne solution finale.

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André Epervier

Vieillerie

Assise, la vieille ruminant sa déchéance.Orgueil silencieux, la pénible incontinence.Un cœur tremblant, la souffrance.

Assise, le trône déchu, piètre insolence.La solitude des mots, l’insuffisance.Visage cicatrisé, affreuse pénitence.

Assis, des remords cachés, l’offense.L’esprit odieux, fausse cadence.Gestes désordonnés, lointaine enfance.

Assis, un parchemin, nulle magnificence.Désolation à la recherche d’une opulence.Refuser la vérité, pauvre médisance.

Assise, méchanceté avide, l’inconséquence.Triste longévité, sénescence.Le pas incertain, atroce cadence.

Assise pour l’instant dans l’indifférence.Le déclin assuré, l’obsolescence.Délire funeste, l’observance.

Assise dans une froideur, putrescence.Le départ souhaité, quelle chance!Assis, un linceul noir, sentence…

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Helena de Angelis

La taxe d'affliction

« Chers confrères, c’est avec plaisir que nous vous livrons la nouvelle

mouture du code bioéthique à peine concoctée par le conseil d’administration.

Les 7846 nouveaux impôts spéciaux seront perçus non pas au profit de la

masse travailleuse mais au profit des chairs mortes maintenues in extremis au

soufre d’une mécanique imposée génétiquement. Chaque impôt spécial sera

expressément établi d’après la chaleur locative cadastale et des portefeuilles des

chiens bien aux ordres du revenu et des régions. Le seuil d’implosion sera

maintenu fixe à chaque fièvre acheteuse par les collectivités fécales. Les recettes

salopiesques générées conflueront en financement de sévices perpétrés aux

usagers via des équipements collectifs de formatage. Les impôts mentionnés

seront principalement au nombre de trois : la taxe d’affliction, la taxe foncière

(sur les calvaires bâtis de plein gré ou subis), ainsi que la taxe protectionnelle

(qui vise à la sécurité individuelle).

Examinons tout d’abord la taxe d’affliction :

Elle est due par tout détenteur de vie et d’un logement meublé dénommé

« corps » au 1er janvier de l’année de sa naissance. Sont donc assujettis, tous

confondus, les propriétaires des corps, les locataires de ces mêmes corps

(locataires éphémères présents uniquement lors de relations sexuelles), ainsi que

les occupants à titre gratuit dans un laps de temps donné (fœtus occupant pour 9

mois), et ce pourvu que les occupés par la dite « vie » soient imposables et que

les occupants des sus-dits corps aient la jouissance exclusive ou la disposition à

titre privatif des locaux (autrement dit des enveloppes cutanées) conformément à

l’article 1408 du Code Bioéthique des Salauds. La loi précise que c’est l’occupant

du corps qui, au 1er janvier, doit régler cette taxe. Conséquence : si l’occupant

déménage de son corps en cours d’année, par exemple en hôpital psychiatrique

ou même au cimetière, il devra payer la totalité de la taxe au titre du logement

corporel qu’il quitte, mais n’acquittera aucune taxe au titre de sa nouvelle

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habitation.

Seront exonérés totalement de la taxe d’affliction afférente à leur

habitation corporelle principale : les titulaires de l’allocation supplémentaire

versée par le fond de solidarité « Privilège & Vieillesse » ou encore le fond spécial

d’invalidité sponsorisé par les mêmes nantis dotés de l’ « Allocation-Privilège »,

les personnes de plus de sept cent ans ainsi que les veuves quel que soit leur âge,

lorsque leurs notations comportementales de l’année précédente n’excèdent pas

les limites imposées par le régime de rendement (pour la taxe établie au titre de

3005 : 7286 pour la première part de quotient familial et 1946 pour chaque demi-

part supplémentaire).

Les personnes atteintes d’une invalidité ou d’une infirmité les empêchant

de subvenir par leur travail aux nécessités de l’existence, soit les titulaires d’une

abjection visible suite à manipulation génétique in utero, les adultes

endommagées par un cortex usé ainsi que les personnes non conformes aux codes

de réussite économique, se verront amputés d’une demi-part.

Aucun dégrèvement de la taxe d’affliction ne se verra attribué aux

conduites alternatives, aux attitudes déviantes comme aux corps dégénérés.

Lors de notre prochaine réunion, nous développerons la taxe foncière sur

les calvaires bâtis de plein gré ou subis.

A vendredi donc, et dans l'attente, travaillez bien! »

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Jean-Pierre Lesieur

Portrait du poète d'aujourd'hui

Le poète d’aujourd’hui est resté un grand jeune homme qui n’en finit pas de ne pas vouloir vieillir. Mais comme il n’y peut rien il écrit pour oublier.Le poète d’aujourd’hui n’a plus besoin de caresser sa muse d’autres s’en occupent pour lui en la coinçant dans les ruelles froides.Le poète d’aujourd’hui ne travaille pas dans l’usine du Parnasse mais a besoin d’avoir un métier solide et solvable pour arrondir les fins de mois de sa poésie.Le poète d’aujourd’hui s’il n’a pas dépassé la trentaine pointe dans un bureau de débauche.Le poète d’aujourd’hui s’il a dépassé la trentaine peut penser se goberger dans une activité secondaire qui ne lui laisse plus le temps d’écrire.Le poète d’aujourd’hui lime sa solitude sur les vers libres qu’il ne parvient plus à piéger dans son haveneau de pêcheur de lune.Le poète d’aujourd’hui se demande tous les soirs à quoi ça sert d’écrire de la poésie et voit son image se refléter dans le miroir du vide.Le poète d’aujourd’hui met sa production sur les pages d’Internet et espérant que quelqu’un saura déceler son talent entre trois cent quarante quatre mille poètes qui font comme lui.Le poète d’aujourd’hui ne se donne pas la peine de protéger ses écrits tout heureux quand quelqu’un veut bien lui piquer.Le poète d’aujourd’hui fait la gueule quand un autre poète parle de ses difficultés de vie.Le poète d’aujourd’hui a la sécurité sociale même sans avoir écrit un seul vers.Le poète d’aujourd’hui harangue des foules de trois auditeurs en espérant qu’un seul restera jusqu’au bout de son récital.Le poète d’aujourd’hui copie les américains en faisant des joutes oratoires avec vainqueur et vaincu comme dans l’ancienne Rome.Le poète d’aujourd’hui ne veut plus s’appeler poète mais slameur de fond.Le poète d’aujourd’hui photocopie ses textes en partant du clavier et n’use pas ses crayons dans des rimes absentes.Le poète d’aujourd’hui clame sa liberté de poète que personne ne lit.Le poète d’aujourd’hui dort dans des draps blancs et prend des congés payés comme tout un chacun sauf quelques uns.Le poète d’aujourd’hui connaît bien la poésie passée et beaucoup moins la présente qu’il ne lit pas beaucoup.Le poète d’aujourd’hui est amoureux des mots qui ne lui rendent pas comme un mari trompé par une noce sans dot.Le poète d’aujourd’hui avance courbé par la charge des aides qu’il réclame ici ou là et qu’on ne lui donne que rarement.Le poète d’aujourd’hui se fait aider pour éditer tant qu’il n’en ose plus écrire.Le poète d’aujourd’hui ne sait plus à quel sein se vouer ce qui le fait se retourner

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vers les saints qui lui balancent des coups de pieds dans les testicules pour le renvoyer d’où il vient.Le poète d’aujourd’hui a une place à part dans le monde des lettres le cul de basse fosse.Le poète d’aujourd’hui a son éditeur, sœur Anne, qui lui dit toujours qu’il attend les sous pour lui éditer son livre et qui ne voit rien venir.Le poète d’aujourd’hui n’ose plus mettre sur sa carte de visite que c’est là sa fonction tant il a peur qu’on lui jette des pierres.Le poète d’aujourd’hui triomphe de la vie en courant plus vite que ses créanciers.Le poète d’aujourd’hui peut crever dans la rue, dans une tente rouge, sans que jamais personne ne soulève l’auvent.Le poète d’aujourd’hui avale des couleuvres sur un champ de foire grand comme la terre dont il ne parvient jamais à faire le tour.Le poète d’aujourd’hui envoie ses poèmes à des revues qui se vantent d’avoir quatre cent lecteurs pour amortir leurs faux frais.Le poète d’aujourd’hui n’apparaît dans les journaux que dans les faits divers quand il a tué sa femme ou violé son teckel.Le poète d’aujourd’hui fait de la politique mais la politique ne lui demande rien.Le poète d’aujourd’hui est un citoyen qui ne comprend plus rien à la constitution.Le poète d’aujourd’hui traverse de longues plaines se prenant pour le corbeau d’Edgard Poe traduit pas Baudelaire en rongeant le frein de sa belle bagnole.Le poète d’aujourd’hui écrit des romans qui ne lui rapportent plus grand-chose s’il ne fait pas partie des peoples.Le poète d’aujourd’hui accroche sur son front un turban de papier quadrillé sur lequel il dessine des louanges à l’avance.Le poète d’aujourd’hui regarde avec de grands yeux ceux qui lui disent de ne pas charger la mule par des psaumes de dépit.Le poète d’aujourd’hui veut bien raser les murs si on lui fournit le savon à barbe.Le poète d’aujourd’hui dépave les rues avec son crayon gomme pour un salaire qu’il ne vient jamais chercher.Le poète d’aujourd’hui n’est jamais aussi bon que lorsqu’on lui fait croire qu’il est le plus mauvais.Le poète d’aujourd’hui ne se reconnaît pas dans ceux qui disent le représenter dans toutes les assemblées de poètes.Le poète d’aujourd’hui compose seul comme le veut le temps.Le poète d’aujourd’hui dépasse d’une rime le poète d’avant et le fait savoir par toutes les télés dont il ne dispose jamais.Le poète d’aujourd’hui n’a pas de fan club, comme on dit chez lestéléradioreporters.Le poète d’aujourd’hui vit avec une femme, en aime une autre et fait l’amour virtuel dans les marges du temps.Le poète d’aujourd’hui fait grincer les ressorts du lit des créateurs quand il invente un mot pour dire qui il aime.Le poète d’aujourd’hui ne crame pas de voitures mais il en aurait vachement

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envie.Le poète d’aujourd’hui possède un compte en banque une carte visa et quelques roubles en solde qu’on a bien voulu lui jeter.Le poète d’aujourd’hui sait que le désert avance sur cette planète et sait qu’il est mieux préparé que les autres depuis qu’il y prêche.

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Kelig N

Paris pieuvre

Paris devenue pieuvre avale dans sa bouche de métropolitaine l’humanité

par millions. Au petit matin, enveloppant les passants avec ses énormes

tentacules, elle les endort, les isole, guette à l’affût, tapie dans l’ombre… Elle

suce leurs esprits toute la journée, polluant de son encre gazeuse le ciel mauvis.

Le soir, elle se repaît parmi les ruelles noires des âmes vulnérables. Elle attire le

sans le sou dans le coin, parce qu’elle brille, qu’elle est chromée comme une tour

d’aluminium. Il faut la payer, de sang, d’effort, de sueur, de vie. Elle éjecte le

trop plein d’humanité, jeté tel un kleenex au bord des trottoirs.

Elle n’a plus qu’un nichon, la butte Montmartre, il n’a plus qu’un téton, la

Sacré-cœur.

Il faudrait foutre le camp tant qu’il est temps. Finalement on reste,

scotchés, collés, esclaves.

On peut devenir crapaud dans cette Paname. On peut devenir pêle-mêle

chauve souris, chien, loup garou, chat de gouttière, araignée de maison. Blatte,

cafard… Dans la misère.

L’homme est animal de cité de verre, ici, Exit la société.

La pieuvre… Jusqu’à Orléans s’étend. Là-bas, on sert une fois tous les dix

ans le plus mauvais chocolat du monde, au café de la gare. C’est là qu’on le boit,

un soir quand on s’égare : les blattes noyées dans le malt, le parisien déraciné

aura la nausée en rentrant aux aurores… La tête aux idées noires. La valse à mille

temps est bien finie. Voici venu le temps du périphérique à perpétuité. Les notes

se sont cassées en mille morceaux sur des menottes en acier, les petits papiers de

partition en perdition, sont déchirés.

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La loi du plus fort sonne faux, aujourd’hui Maldoror.

La pieuvre s’étend sur la ville, allonge ses tentacules en argent, se faufile

entre les ruelles… Elle les écartèle, en larges boulevards, en périphériques, en

autoroutes de l’information, elle circule tel un affreux lézard gris. Partout,

incrustée dans chacun des ports d’angoisse naviguant parmi les bateaux mouche.

Elle sommeille sous la Seine, vieille murène couverte de rimmel. On l’entend

ronger les caniveaux jusque sous le Muséum d’histoire naturelle, où elle fait ses

petits monstres.

On la sent, là, tout près. Si elle touche, c’est la fin. Paris boufferait la

langue de l’humain, déchiquetterait ses mots. Elle irait les recracher aux

incinérateurs d’Ivry.

La pieuvre, satisfaite, éructe à minuit.

Elle garde un œil ouvert, de cyclope allumé. Elle surveille, partout elle

tourne ses yeux de verre, chaque recoin est sous le contrôle de ses ventouses

électriques.

Un jour, ce sera New Paris Empire State building, ici. Un illuminé tentera

de mettre une bombe, soit disant pour faire éclater l'oeuvre. Il ne pensera pas à

moi, ni à toi, ni à rien. Ce sera l’apocalypse, comme on dit. Dérisoire histoire de

déboires. Un véritable feu d’artifice de calamars, et il n'y aura plus que le

désespoir pour y croire.

On sentira quelque chose de gluant couler à l’épaule. On rira jaune,

comme si on était le dernier, à six pieds sous la terre, tremblante de concert.

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Robert Serrano & Nelly Bridenne

Le con

Mais quel con !Faut y être con pour grimper sur un toit, en pleine tempête !Fernand ne décolère pas.Sa sœur Claudie vient de téléphoner pour lui apprendre la nouvelle :Une tornade a soufflé toute la nuit, jusqu'à 150 Kms/heure sur la Somme et ce con de Michel,le beau-frère, n'a rien trouvé de mieux que de monter sur sa toiture pour la calfeutrer, car quelques tuiles se sont envolées.Une bourrasque l'a rapidement délogé du faîte et envoyé quelques mètres plus bas.Total, non seulement la maison prend l'eau, mais Claudie a perdu son mari.Faut y être con ! -Quand même, c'est ta sœur – balance Linda - tu devrais aller voir.Fernand n'est pas chaud pour sortir la Twingo avec ce putain de vent. Même si ces deux cons n'habitent qu'à six bornes, manquerait plus qu'il prenne un arbre sur sa bagnole.-J'irais demain, j'vais au pieu, tu montes ?-Pas question, non mais ! T'es dégueulasse, Claudie est seule, sans électricité, si ça s' trouve ton beauf est cané. Si t'y va pas, j'chuis plus ta femme !C'est décidé ! Râleur mais bon cœur, le brave homme enfile son blouson, se coiffe d'un bonnet puis se dirige vers le garage.Sur l'étagère, planquée derrière la pile de rondins l'attend *Eve. Fernand s'en saisi, dévisse le bouchon et s'en glisse une double lampée pour se donner du courage.Sur la route, la visibilité est nulle. Le pare-brise est constellé de feuilles que les essuie-glaces n'arrivent plus à décoller.Fernand est mort de trouille. La tempête secoue la petite voiture. Des arbres cassés jonchent la chaussée.L'automobiliste ne voit plus rien. Une palissade sortie d'on ne sait où vient exploser le pare-brise.Coup de freins, coup de volant…La petite voiture quitte la route et va s'éclater sur un vieil ormeau.…- Je me suis chié dessus ! Pense Fernand en mourant.

*Eve : la femme du premier Rhum… une blague vaseuse dont raffolait ce pauvre Fernand.

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Cathy Garcia

Aliénée

Seule et froidedans la nuit cloîtrée,murs glacés qui brillent,miroirs où pleurentmes reflets. Comment tirer du puitsmon profond désespoir ? Mes pauvres mainsse tordent,se nouent,se dénouent, comme des cordesautour du couavec de tristes doigtsqui mordent...

Soumission

Et je vous tends ce sourirequi n'en est pas un,voilé de soupirs. Voyez, je retiens ma main,Chaude, innocentequi vous veut du bien...Je muselle mes motstrop désordonnés,trop tendus sous ma peau...Je baisse même mon regard,la pointe de ce dardqui vous perce à nu... Voyez, je ligote mon corpsqui a tant à dire,on lui a donné tortet dans la froide bulleoù mon âme évolue,je joue avec mes cellules.

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Pierre Guéry

Fenêtres

Je suis debout sous la fenêtre. Je joue de la mandoline, je fredonne O amore mio. J'ai seize ans je me sens fort et beau, mon talent est irrésistible: je fredonne l'amour comme personne, les belles se pâment quand je déclame, tous me demandent à la cour du Seigneur de Ferrare. Non. J'ai seize ans, un adolescent fragile jeté dans le jeu léger et piquant des petits mâles qui font de l'épate aux filles du lycée. Je suis debout sous une fausse fenêtre, je joue faux d'une fausse mandoline et je chante La belle si vous vouliezvendre à l'encan vos baisersEn achèterais volontierspar dizaines centaines ou paquets... mais je n'ai pas la chance que la belle me plaise. Cette belle n'est pas mienne, le texte est nul, je suis petit et ridicule. Je n'ai que trois poils au menton, une voix trop douce et les cheveux longs. Je n'achèterais rien à cette crétine aux dents plus longues que celles de mon cheval.

Je suis debout sous la fenêtre. Je ne joue pas de la mandoline c'est ringard la mandoline. Je joue de la guitare électrique et je gueule smoke on the water... en fumant mes premiers clopes de blanc-bec. Jamais je ne fredonnerais O amore mio sous la fenêtre d'une fille aux cheveux si filasses et au regard si bête. Tous les samedis après-midi quand il ne pleut pas je fais rugir ma mobylette, je chale ma belle à moi au galop du moteur, la chavire dans l'herbe des prés lui découvre les seins. Je l'aime et m'endors dans le parfum de sa crinière. Non. Quelquefois, quand j'ai fini ma dissertation et que ça me gonfle dans le pantalon, j'ai le droit de prendre mon vélo pour me taper sept lieues jusqu'au donjon perché où crèche ma belle. Je branche l'ampli chez les voisins dont le fils est mon copain, la rallonge est assez longue, je vais sous la fenêtre plaquer mes six accords et murmure que yesterday, all my troubles seem so far away... faux bien sûr.

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Je suis debout sous la fenêtre. C'est l'aube. Ils vont venir me chercher tout à l'heure. J'entendrai leurs pas résonner dans le long couloir froid. Ils seront deux plus un. Deux m'encadreront et l'un nous précèdera c'est ainsi que nous marchons ainsi marcherons nous, en silence je vous prie. La porte se sera refermée derrière moi j'aurai quitté ma fenêtre. Nous traverserons la grande cour intérieure, puis un autre bâtiment d'autres couloirs le long le long d'eux marcherons, en silence je vous prie. Par la fenêtre d'un de ces couloirs j'apercevrai l'alignement de fenêtres du quatrième étage de mon bâtiment, à la fenêtre suivante je me serai dit que je pourrais compter les fenêtres de mon couloir, à celle d'après j'aurai commencé à le faire. Je compterai les fenêtres, les barreaux de chacune, pour chercher ma fenêtre. Je découvre alors que je n'avais jamais fait ce calcul: au quatrième étage de mon bâtiment ma fenêtre commence au trente-huitième barreau dans un sens et au seizième dans l'autre, ce qui compte tenu du nombre de barreaux par fenêtre -- je m'arrêterai là le calcul toujours me fait tourner la tête et ne me suis jamais assez ennuyé pour y céder. Dès que je trouve ma fenêtre cesse de compter regarde un pilier regarde un pilier regarde un autre ma fenêtre entre gardes. Travelling. Focus. Je suis au cinéma avec ma belle (Nathalie Edith Yvette Muriel Nadine). Fenêtre sur cour de mon désir je la pelotte défais le fil des cheveux de ma belle (Grace Kelly Tippi Hedren Kim Novak-fausse-blonde-vraie-garce). Coeur qui bat slip élastique frottement. Suspense! Lundi matin je rate le bus mobylette en panne je hitchhike. Pouce tendu énervé je marche il s'arrête. Fouette cocher dépêche j'ai cours allez roule. Par la fenêtre je regarde, défiler les près entre les arbres. Je m'y roulais hier contre les seins d'Yvette (Karine Françoise Hélène).

Ainsi pour la première fois je verrai ma fenêtre du dehors. Mais alors au dedans je ne serai plus. Ne serai plus qu'en mémoire, qu'en gestes lents du corps, qu'en soif du palais où je voulais chanter, saliver -ma langue a soif de langues-, qu'en appétit de jeune sexe qui cherche, à manger à chanter, à tue-tête dans les corridors du château. Ne serai plus qu'en froid de la peau les samedis où il pleut, sueur de l'aine incertaine au matin, démangeaisons au cou de pied je gratte jusqu'à la plaie, murmure du robinet qui cassé goutte, mal aigu au pouce replié, brûlure de la pisse, poignet foulé de tracer chaque nuit ses regrets, laissant l'autre main la si gauche me délivrer à l'aube du souvenir de si beaux seins. Je m'éponge, last time for ever.

Ainsi première fois fenêtre dehors. A cet instant serai mort, dehors mes morts. Dedans vivant encore -quoi qu'est ce qu'encore? mais dehors mort. Je ne comprendrai plus rien. Nothing. Sauf que jamais n'ai compris les filles, et les hommes qui prennent les adolescents en stop pour les prendre --stop.

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Je dis ne me lâchez pas, pas une seule seconde. Que pas un instant je ne me croie vivant. Je vous en supplie, don't be cruel, me laissez pas rêver que je suis libre, tenez-moi serrez-moi, imposez-moi votre pas, cette cadence sûre de ceux qui n'ont jamais cessé de marcher dans la rue. Ne me lâchez pas --comment je vais faire, pas une seule seconde-chance. Je vous en prie. Please please please. Et laissez-moi juste, tourner la tête pour compter mes barreaux. Laissez-moi, regarder du dehors ma fenêtre.

Moi garder fenêtre. Imaginer ma belle, dans notre chambre sur un lit m'enrouler dans ses cheveux d'or. Mire, mire ma belle comme je t'aime. Tous les jours je t'écris. Des poèmes que je scande la nuit quand tu pries pour ma route par un signe de la main. Car partir je le dois, sur mon cheval au galop, la mandoline en bandoulière. Te chanter toi ma belle, à la cour du Seigneur de Ferrare. O amore mio.

Ou bien. Moi garder fenêtre. Y voir cette grande idiote qui n'a pas mais pas du tout le physique de l'emploi qui voudrait d'elle pour belle, et qui ne sait pas rien à faire, qui ne sait pas son texte elle ne le sait jamais quand j'ai fini de faire semblant la mandoline et fredonné O amore mio.

Ou peut-être. Moi garder fenêtre. Me colle contre quand l'homme avance sa main baguée chevalière argent pression légère sur le genou, puis remonte intérieur-cuisse il tâte et sourit dent en or j'ai peur et pâlis. Sens tout mon corps glisser de trouille vers la portière de la Ferrari rouge qui rugit dans le virage et s'engage sur le petit chemin dans les prés --j'y roulais hier chalant ma belle (mobylette avant la panne). Sens tout mon corps avoir peur mais aussi j'ai envie ça doit se voir à la braguette quand il dit souriant --reflet de mes yeux sur ses dents-- on va s'arrrrêter un instant ne crrrains rrrien amore mio.

Ou encore. Moi garder fenêtre. Entre deux barreaux caler mon front pour voir dehors lune et nuit pas striées. Me voir là un soir tard accoudé, les yeux levés sur un bout de ciel clair et fumer, cette dernière cigarette la foutue qui jusqu'au lendemain te sirène O amore mio.

Je pense tout ceci n'est pas vrai. Je n'ai jamais fredonné sérieusement O amore mio debout sous la fenêtre. C'était pour rire. Pour de faux on disait. Comme aujourd'hui tout est faux, je ne vais pas c'est impossible sortir pour de vrai --sortir et alors pour aller où raconter çà à qui? Ce n'est qu'un jeu, une histoire qu'on narre pour la marre, une rigole de mon ex-bout de trottoir. Je pense jeu triste je qu'il faut jouer, n'être qu'un faux troubadour de l'amour qui un jour de peur a tué le Seigneur de la cour. Jeu triste je qui m'a fait ma vie chanter faux pour de vrai, le jour où j'ai frappé en tenant par le manche ma guitare. Je

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pense dernière chance dernière manche aujourd'hui: chanter vrai pour de faux des notes de vie qui s'enfuient.

Et pleurer. Sur la guitare électrique que je n'ai jamais eue. Sur ma belle et douce aux yeux de velours, qui n'aimait pas le rock et les clopes, et préférait d'autres garçons aux cheveux moins longs. Les samedis de pluie où tout seul sur mon lit je m'essuie. Le donjon perché sur la colline. Le vélo sans freins alors freins-chaussures ça ratatine les semelles et maman gueule. Les ruines du château où on fume de la sauge dans les feuilles de tilleul. Marco qui fait voir son zizi quand il parle de Nathalie.

Ou pleurer. Sur cette mauvaise pièce de lycée, l'estrade vermoulue de ma carrière d'acteur de chanteur de danseur de cour. Sur ma vraie princesse qui même en pièces ne voulait pas de moi. L'autre la fausse qui ne savait même pas semblant --je la chasse du souvenir dès à présent qui est-elle?

Ou bien pleurer. Sur le bus loupé lundi, la mobylette en panne -la salope. Sur le capot de la Ferrari jean moulant sur les pieds, ventre plaqué sur le moteur encore chaud il me fend le bel Italo qui aimait les ados blonds aux cheveux longs. La dissertation ratée, les cours de maths séchés pour que depuis Rome et San Remo des machos s'en viennent en moi se la couler doucement, et me filer l'envie de lires par dizaines centaines et paquets.

Ou alors pleurer. Sur la grande solitude qui s'approche si je pense à dehors tout à l'heure devant le donjon sans belle qui fait signe. Sur l'horreur le malheur qui m'a pris dans ses crocs quand débridé je frappais je frappais mon Seigneur à la Ferrari couleur sang -fallait pas Italo fallait pas brader mon cul, paye maintenant demain ce sera moi, comme hier et les vingt ans d'avant. Sur les lèvres sèches et closes du secret qui ne fredonneront plus O amore mio sous la fenêtre du quatrième étage trente-huitième barreau par l'aile sud. Une fenêtre qui se referme. Le cheval fourbu de ma vie encore jeune et vieillie, les cordes cassées de la mandoline qui crie O amore mio.

O amore mio ! entends-tu que ça plaint par ma voix le soir quand tout est calme sous ta fenêtre? Entends-tu ce fantôme qui fredonne qu'en vingt ans il n'a foulé qu'une cour des couloirs, et qui fume en pleurant ? O Amore mio ! m'entends-tu, m'entendras-tu amore mio, glisser et tomber dans la rue sur une vie foutue qui m'attend en mourant, tout à l'heure là dehors ?

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Régis Belloeil

Différence

Ame faible,Dominée,Où est ta fierté ?Où est ta liberté ?

Toute ta vie, tu obéis aux ordresProgrammée pour travaillerPuis pour mourirMais incapable de vivre

Ame faible,Ta résignation me révolteMême quand je perds, je gagne quand mêmeMême quand je perds, je gagne quand même

La société n'accepte pas ma différenceOK pas de problèmeElle va la prendre en pleine gueuleAvec un maximum de violence

Je m'étonne d'être encore en vieLes hommes de mon espèceCrèvent à cinq heures du mat'La gueule dans un caniveau

Je sais que c'est mon destinC'est pour cette raison queJe crache mon veninJe gerbe ma haine

Sur tout ce qui bouge,Et plus encoreSur tout ce qui ne bouge pas…

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Régis Belloeil

La douceur assassine

La douceur assassineUn soir d’étéLe soleil saigne encoreAvec plus de tendresse

Chaque secondeChaque seconde compteChaque seconde passéeA se mirer dans l’egoInsalubre

Au paradis des enfersLe roi se prosternera

Prendre une chaiseLa poser sur une terreFraîchement labouréeEt s’asseoirAu milieu de nulle partAvec le ciel nuageuxPour seule compagnieC’est si simple d’être heureux

Le vice rêve à l’improbableVertuOu vice versa

Ce que l’homme a crééL’homme peut le détruirePortons à la lumièreCe jour de joie

Rejeton maladifD’une humanité chutée oùRégulièrementEn une célébration morbideLe corps égorge l’âme

Nulle vague ne s’avère assez puissantePour laver l’irrémédiable souillure

De la perte d’innocence.

ToujoursLe corps égorge l’âme

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Denise Therriault-Ruest

Clair-obscur

Eau trouble et saléede mes nuits blanches aux yeux mouillésvoile limpide sur d’obscurs désirsvague larmemarée et lame déferlantenoyez – noyez mes regretspour n’avoir pas autant aiméque je fus d’émoi renverséederrière un rideau

chemin de lumièresur le lit défaittrop d’amour conjugué au passési rare celui qui se souvientque sous la fenêtre fleurissait le rosiervivez votre dérive, aimez autre que moide moi, ne dites mot qu’en clair-obscurchuchotant pour vous seulderrière un rideau.

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Jean-Christophe Belleveaux

Faits divers

Dans les fermes, on se pend. La même année : le père, retrouvé se

balançant doucement au grenier ; Raymond, l’ouvrier agricole - on disait «garçon

de ferme» - dans l’étable ; et Marc, le fils aîné au chêne du champ Magne.

Bon dieu, à chaque fois, c’est le gamin qui les avait découverts.

Le père, c’était en avril. Jacob était monté jouer au grenier. Huit ans ! A

cet âge-là, on déniche des trésors dans ces endroits : des frusques pour se

déguiser, de vieilles montres, un planisphère... Et paf, sous le nez, le vieux

accroché à une poutre. Mince d’affaire.

Pas fâché le Jacob. Le père lui avait flanqué une volée le matin même

parce qu’il avait renversé un seau de lait. C’étaient à peu près les seules

relations qu’il avait avec son père, Eugène François, «enfant de l’Assistance»,

ivrogne septuagénaire qui était son géniteur par accident. Et c’est avec un

sourire aux lèvres qu’il redescendit aviser sa mère qui lui flanqua une maîtresse

gifle avant de se mettre à hurler. Jacob ne lui en voulut pas. Après tout, elle

avait passé presque trente ans de sa vie avec cette vieille carne.

Pour le garçon de ferme, ça attendit novembre, mais bon, on commença à

croire au mauvais oeil. Hé ! C’était le Berry ici et l’envoûtement, on connaît...

d’autant que trois semaines plus tard le Marc alla s’attacher sa dernière cravate à

une maîtresse branche du chêne Magne.

Du coup, on se mit à jaser. Et comme cette petite teigne de Jacob avait

été le premier à voir les suicidés à chaque fois, on commença de le regarder de

travers. Et on lui trouva un drôle d’air. Genre sournois. Pour sûr, c’était lui le

«jeteux de sorts» ou du moins il était aux mains du Malin.

Jacob, que ça amusait terriblement, en rajouta. Dès qu’il croisait le

regard soupçonneux d’un proche, il lui tirait la langue en disant : «langue de

vipère, langue de pendu». Invariablement, l’autre se signait et se détournait

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vivement.

Le lecteur un peu imaginatif a là suffisamment d’éléments de départ pour

bâtir son propre enchaînement à cette histoire, celui qui lui convient le mieux.

Moi, en tout cas, je n’aimerais pas être à la place du Jacob parce que connaissant

les Berrichons d’une part, et les raconteurs d’histoires d’autre part - surtout

quand c’est moi qui raconte - ben, le Jacob, je lui vois pas un bel avenir, tout

chiard qu’il est. Finirait pendu lui aussi, pour faire bonne mesure, que ça ne

m’étonnerait guère. Je sais, c’est vilain, surtout qu’il a pas dû être vraiment

d’accord, le petit Jacob, mais quoi, il avait qu’à pas faire l’andouille, la

sorcellerie c’est pas de la rigolade.

Evidemment, on pourrait aussi le noyer lâchement, en le poussant dans la

mare. Mais c’est pas mieux, et pour l’histoire, c’est moins symbolique. Alors, on

est un peu coincés. Déterminisme, fatalité et tout le tremblement.

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Denis Emorine

La parure

Pour nous

Venise enfin effleurait ses épaules, inondait son visage d'une fraîcheur

bienfaisante. Elle humait cette fragrance issue de la ville et du lourd silence des

canaux. Christine Delahaye se pénétra de la présence charnelle de Venise qu'elle

avait adorée en rêve, et dont le mythe s'offrait à elle.

La place Saint-Marc, immense abreuvoir où va se désaltérer le troupeau

humain, ne la retint pas. Christine n'ignorait pas pourtant qu'un privilège lui était

accordé.

La façade du café Florian l'attira. Le Florian dont l'intérieur la happa

soudainement. Prendre un espresso dans cet endroit relevait du rite quotidien...

Après l'afflux touristique dû aux vacances de Pâques, le reflux l'avait réconciliée

avec la ville un instant haïe.

Christine Delahaye s'était sentie trahie dans sa chair, dans sa passion pour

la Venise aux reflets du chagrin et de la mort qu'elle savait partager avec une

soeur de pierre et de liquide non moins vulnérable qu'elle.

Elle dégustait le café à petites gorgées; le verre d'eau traditionnel qui

accompagnait le breuvage ne la quittait guère des yeux. Elle souriait au décor

feutré dont le charme et la magie agissaient sur elle, irrésistiblement.

Du Florian, la Place Saint-Marc semblait une clairière immatérielle, égarée

dans un monde grouillant qui ne la méritait plus.

Combien de nonchalants Christine avait-elle vu défiler, affalés dans ces

noires et sveltes gondoles, le regard absent, comme si la beauté, enfin palpable,

n'avait plus aucune prise sur eux ?

Christine était submergée par ce rêve aux contours définis par l'humain,

entaché par lui.

En cette après-midi d'avril, l'air vibrait de bruits parasites, mais le Florian,

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à travers son voile magique, les absorbait, les estompait tous.

Et, même si se déroulaient inexorablement les jours, la pensée s'arrêtait

en ce lieu, figée dans la pierre et l'eau également dormantes, à la fois soeurs et

confidentes de l'hymen.

***

Déjà la nuit pénétrait Venise. Le mouvement et l'obscurité dansaient au

rythme de Venise alanguie et de Christine, étroitement mêlées.

La ville et la nuit la possédaient du même geste.

Elle sentait leur souffle retenu et caressant. Toutes trois allaient des

haleines différentes et complémentaires. Toutes trois s'inscrivaient dans le Récit

qui avait précédé le voyage et que Christine, nouvelle Pénélope, tissait le jour

pour le mieux défaire la nuit, afin de sauvegarder l'éternité du songe qui voilait la

réalité.

Cette réalité n'avait rien défloré cependant. La nuit eût pu ébaucher des

sensations contradictoires, Christine n'ignorait pas que la ville sait s'ouvrir à qui

sait s'ouvrir à elle...

***

Elle sortit enfin. Il était peut-être vingt-trois heures. Ses pas la

conduisaient vers le silence. Les ruelles frémissaient d'autres soupirs. Le mythe

s'était fait chair, avait épousé les émotions de Christine.

L'air vibrait d'une chaleur inhabituelle. Aurait-elle succombé à quelque

fièvre ? Elle ne grelottait pas pourtant, comme lorsque la fièvre vous livre au

délire des sens...

Soudain la parole retentit en elle... Elle devait se laisser porter par le

message dicté par sa volonté intérieure, hybride puisque Venise et Christine,

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dressées côte à côte, étaient une même chair.

Non... le pont de l'Académie assailli par la mouvance humaine ne la

retiendrait pas. Christine s'engagea dans une petite ruelle à droite, tituba un très

bref instant. En reprenant vers la gauche, elle parviendrait à un passage qui la

conduirait au bord du Grand Canal.

Là, elle ne songerait pas à revenir en arrière. Deux grands murs, à droite

et à gauche, livreraient un étroit passage à sa mesure.

La parole se fit pressante... Elle ôta la veste bleu-marine de ses épaules

de plomb. Quelle entrave encore... Son chemisier paraissait défier la nuit d'une

blancheur irréelle...

A sa gauche, elle pouvait distinguer le musée de l'Académie en sommeil.

La bouche brûlante et décidée de la nuit couvrit ses épaules, son haleine se

répandit dans le tissu fragile qui protégeait Christine. Elle comprit enfin...défit

un à un les boutons. Le souffle la cherchait toujours, l'engageant à poursuivre

l'ébauche. Le chemisier glissa dans l'eau qui se tendait vers elle.

Le buste marmoréen de la jeune femme illuminait la pierre. Christine se

blottit contre cette enveloppe effritée, rongée en maints endroits par la maladie

des siècle qui ne l'atteindrait plus.

Sa gorge s'ouvrait à l'étreinte de la nuit, s'abandonnait à un rythme

séculaire.

Les longs cheveux blonds de Christine se détendirent, roulèrent sur les

épaules. Elle haletait quelque peu. On eût dit la prêtresse de quelque culte

secret.

La parole ne la quitterait pas. Ses chaussures si fines la gênaient. Elle

défit la boucle. Le souffle s'engouffrait sous la jupe légère, révélant l'emprise

bondissante.

Christine se laissait vaincre par la loi de l'espace et du temps. La jupe

comprit l'appel de l'élément liquide qui s'ouvrait encore, prêt à la saisir. Elle glissa

soudain, abandonnée, aux pieds de la jeune femme.

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La nudité de Venise pressentie par Christine la débordait de toutes parts.

Elle participait du même souffle que l'Histoire. Christine se mêla à la pierre

révélée par le désir. L'entrave du tissu était défunte désormais; l'ombre riait sur

son corps multiple , ce corps mis à nu par la ville.

La voix se tut. Christine savait que sa nudité se révélait une conquête.

Restaient les flots dont la chanson retentit. Guidée par le rêve, guidée par

Venise au regard de pierre et d'eau, Christine descendit les degrés et lentement

pénétra dans l'onde sourde qui ne la quittait pas des yeux.

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Yvette Vasseur

En attendant le printemps

J’ai posé sur la tableDes fleurs pour appeler le printempsAppeler l’or du forsythiaLa flamme du crocusLa féérie des jonquillesLa grâce des tulipesLe tintinnabulement des jacinthes bleuesDu muguet blancLa danse des tulipesEt du moussant lilas…

J’ai posé sur la tableLes papillons fuchsias des orchidéesLes couleurs vives des primevèresDes roses jaunes dans un vase bleu Et dans la vérandaj’ai suspenduDes pensées tricoloresPour que le ciel n’oublie pas….

C’est ma prière à l’amourC’est ma prière au tempsMon offrande à la vieJ’attends des aubes plus doucesQuand ouvrir la fenêtre seraS’ouvrir aux chants des oiseaux

Je me souviens de ceux quiNe sont plusEt je leur fait la grâceDe ce qu’ils m’ont appris« Carpe Diem » :« Cueille le jour »

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Thierry Piet

Quai de gare16 janvier 2007

Mon tendre amour,

Un quart d’heure que tu es partie pour vivre ta semaine là-bas à 150 kms.

Cinq jours à t’attendre, à compter les heures, à regarder la chaise où tu t’es assise, les fleurs que tu as cueillies dans le jardin, le rideau que tu as tiré pour regarder le ciel ce matin.

Tu viens de partir et ton absence ressemble à cette page nue qu’il me faut habiller pour te rendre présente et vivante devant moi.

Les mots ne pourront rien ajouter à ce que tu es, ce mystère ébloui que mon cœur trop sombre et petit ne peut contenir.

Quand c’est l’heure du départ et que le train t’appelle et t’enlève, je vois bien la tristesse gagner ton regard, cet air de mélancolie qui n’appartient qu’aux oiseaux des ciels de pluie te fait ressembler encore plus à Françoise Hardy.

Mais quand nous nous retrouvons, le vendredi après-midi, dans cette même gare, ton sourire s’ajoute à mon sourire dans un « As-tu fait un bon voyage ? » et nous dissipons tous les nuages de la semaine pour voyager un long week-end.

Mon amour, aujourd’hui, je t’écris pour te demander… en voyage… celui de toute une vie.

Et si les mots sont de trop petits wagons pour tout l’amour qui déborde de nous, nos silences seront notre seule parole, l’unique titre de transport pour des horizons ensoleillés. Le veux-tu pour toi, pour moi, pour nous ?

A vendredi, mon cher et tendre amour.Je t’aime.TP (ton poète)

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Eric Allard

Politiquement correct

J’ai la nudité utile. Je me déshabille en guise de protestation contre les

inégalités, et toujours en faveur les grandes causes : la régularisation des sans

papiers, le réchauffement de la planète, l’annulation de la dette du tiers-monde,

l’impôt Attac, les abus de l’industrie pharmaceutique. Tout m’est bon, je le

reconnais, pour montrer mes fesses et le reste. Je me réjouis chaque jour de

l’injustice allant croissant dans le monde qui me promet de beaux jours de nudité

publique impunie. Quand j’imagine une société parfaite, j’ai des bouffées

intolérables de chaleur, je vois mon corps bâillonné de vêtements, aspirant de

tous ses pores à un dérèglement minuscule: licenciement abusif, bavure

policière, acte de harcèlement moral, action de fumer en public réprimée... qui

me permettra toujours de dévoiler un bout de chair obscène.

Artiste de la peau

J’expose régulièrement mes croûtes dans des galeries marchandes. Mes

bouts de peau crevassée attirent la pitié à défaut de l’admiration. Ça me

rapporte du blé. Au bout de la journée, j’ai de quoi me payer une séance de

solarium. Le lendemain, j’expose mes brûlures. Ça me rapporte de quoi béqueter,

picoler un peu. Parfois, pour un prix à convenir, je m’exhibe complètement. Je

pars au soleil, j’en reviens avec de nouvelles couleurs. La variété de ma palette

épidermique m’attire la reconnaissance des amateurs d’art dégénéré. Mes

reproductions se chiffrent à des sommes indues. Très tôt le matin, chez Christie,

une amie des faubourgs qui expose ses os sous le pont du canal, des

représentations de mon anatomie dégradée s’arrachent à prix d’aube.

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Le fouteur

J’ai une anomalie, disons une spécificité : je produis une quantité de

sperme au dessus de la moyenne. Disons, dix fois. J’ai des grosses couilles pour

un vit, disons, normal. Toutes les heures de veille, je dois foutre. Alors, je fous,

la plupart du temps, dans le vide, mais, pour une minorité de fois, je fous, je dois

dire, dans un con de femme de rencontre, à qui j’ai discrètement confié mon

anomalie (le temps de leur expliquer, il me faut parfois m’absenter pour aller

décharger) et qui compatissent, et offrent pour un temps bref, disons, une cible à

mes sécrétions excessives. A cause de cela, j’ai dû interrompre toute forme de

travail, ma propension au foutage pouvant à l’occasion en tenir lieu. Mes amantes

de passage se passent le mot de façon à ce que je foute le moins possible dans,

disons, la nature. Toute cette matière productrice d’énergie gaspillée, disent-

elles, et je les crois sincères dans leur appréciation, quasi scientifique, disons, du

phénomène. Parfois il m’arrive de tomber sur des nymphomanes mais leur

ténacité, disons, m’exaspère vite. Foutre dix fois dans la même femelle une

même journée finit par me donner, disons, une forme d’écœurement. Alors je

m’éparpille, dirons-nous. Je fous considérablement et à tout va. Mes amantes

régulières, vous l’aurez compris, m’appellent le fouteur.

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Alexandra Bouge

La ville

ma nuit de glacela nuit se barrepasse je s'séparela nuitla nuit s'élimine, (la nuit) part je ne sais rien je morfleje passe la mainla nuit s'séparela nuit vientmon cœur est éventréà la vue de tout ças'éclate dans les épinesla mort, la mort la ville de glace se brise la ville se brisela ville de glace la ville s'étalela vile est de glace, s'efface la ville s'étire,la ville est de glace, la ville passe, je regarde la ville se terrorise,la ville de passela ville de glacela ville de glace passela ville s'étale une ville de pollutionla ville elle secoue les cœurs, je m'rends malade ;la ville polluée,la ville maladeanémiéeville qui s'étaleville détruiteville malade,ville qui s'étaleville de pauvres,

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qui s’étale,étale,ville de glacesépulturedésosséevie de gens morts, ville vétuste étirée, éradiquée, ville polluée, éradiquéeveille de sang, ville polluée ville de pollution, ville de glace, villed'éclat, de glace, de pollution, d'éclat la ville est de glace,je passela ville de glacela ville s'éclate, la ville et de glacej'efface la ville est de glace, passepasse elle passe, passe, je passepasse la ville passes'effaceville de glace le ville se déplace ça passela ville se déplacela ville casse, la ville casse, ville passeça casseville de passela ville de passe, la ville qui passe,ville de passe la ville est de glace de glacela ville de glace, s'passela ville est de passes'étale, passepasses'enlacela ville passej'éclate la villedans le passage. ville de fumé, ville de feus'étale s'étale,s'arrime, se passes'passe, s'cassela ville s'éclate

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un homme regardedu haut des genssa tête,scrute les passants, les gens la foule des déshérités un homme dans la foule s'arrime, la foule guette un faux-pas, une petiteabsence pour le jeter, ne pas le voir mourirne pas voir mourir,l'homme regarde la foule, la foule de piétons, la foule de gens les gens regardent cet hommela foule se noieelle s'arrime, se noieon s'arrimeles gens s'arriment,les gens s'arrimentje m'arrimeun homme qui s'arrime un homme s'arrimeun homme s'arrimeun homme s'arrimeun homme qui s'arrime la ville est propre,ces hommes regardentl'hommedans cette ville qui se noie,un homme s'arrime un homme est là dans cette ville qui se noie, qui se noie je m'arrimehomme s'arrime, j'arrime homme qui vaun homme est làhomme qui s'arrimeun homme est làun homme est làhomme qui s'arrimehomme est làun homme un homme qui est làcet homme cet hommede là qui est là

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un homme est là, qui est làsur les bancs un homme est làun homme est làun homme est làun homme est làcet homme est làun hommesur les bancs on meurt,un homme un homme est làcet homme un homme est làhomme est làun hommehomme de là homme de là homme de làun homme, homme de là qui est làun homme est làun homme est làun homme qu'est làdans la villeun homme est là sur les bancs videssur les bancs des gensdes gensdes bancsun homme est làles gens, les gens,sur des bancs homme de là sur les bancs en pierre je regarde un homme qui meurtsur les bancs en pierre un homme meurtsur les bancs des hommes meurent sur les bancs en pierre de pierresur les bancs de pierre sur les bancs on meurtsur les bancs en pierre ça meurthomme est làsur les bancson meurton meurton meurt

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dans la ville sur les bancs en pierreon meurt

un homme chante, il chante, la lune crasse, des lunes encrasséespolluées, des lunes terrain vierge, par la route du son ; le son fait son touret s'arrime à mon oreille les sons défilent.par des sons nègres ils s'arriment au son de mes vertèbreson est làles sons défilentau coin de mes vertèbres,s'enfileparfois elle craque au son de sa langueau son des voix

des lunes terrain vierge, par la route du son ; les sons défilent.par des sons nègres ils s'arriment au son de mes vertèbreson est làles sons défilents'enfileparfois elle craque au son de sa langue

un homme chante, il chante, la lune crasse, des lunes encrasséespolluées, des lunes terrain vierge, par la route du son ; les sons défilent.par des sons nègres ils s'arriment au son de mes vertèbreson est làles sons défilents'enfileparfois elle craque au son de sa langueau son des voixdans les foyers

une femme si fraîchedes nuits calmes ombragéesdes gens de nuitl'homme véhicule les lignes s'écoulent douces.file

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dans l'ombre que sa main pose au sol de la nuitles gens passentla nuit est verte de nuit de nuitles oiseaux picorent ce qui reste de la nuit passe qui passeet avaleentre les lignes de la main qui filent s'échappe cet oiseau rapace dans la nuitqui passe, il picore des lignes de ma main il passeentrecoupées paase picore des restes à l'ombre des HLM.aux fenêtres ouvertes et sans portesaux fenêtres ouvertes sans portesaux fenêtres ouvertes sans portesaux fenêtres ouvertes un oiseau picore les restes d'humaindans la jardinière en bas de mon l'immeuble HLM gris, grisdes fenêtres fermées de la ville d'la ville des cités-HLM où les oiseauxpicorent au bas de l'immeuble gris des restes.les oiseaux rapaces disparaissent dans la nuitle matin tôt les oiseaux s'en vont rapacesles gens passentles HLM s'élèvent gris, grisles oiseaux s'en vontla nuit ils dévorent des gens des gens.des HLM s'élèvent tristes la nuit

la nuit se lève, la nuit se lève des gensles gens sans portes,la nuit

des lignes s'effacentles oiseaux picorent de l'humain des restespassentles gens passentnuit

la nuit se lève un voile la nuit passela nuit où les HLM se lèvent et passent

on grimace les gens grimacentsur toutes les lèvres s'instaure le chantdes lèvres qui chantentun sourire grimaçant qui bougeun entonnoir guêpier un entonnoir

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finaliste opérales gens grimacent.

un homme apparaît dans l'arène,on salueet finalement il tombe

le théâtre se taitils se lèventl'arène s'ouvrearène arèneles visages grimaçants de haine ;s'interpellent sur les lèvres se lit dans l'arène bondée se lisent sur lestoutes les lèvres le no gagnantapplaudit le rêve

dans l'arène vidée on sacrifie au taureau une danseon boit, on boiton perd les gens se morfondent dans le calvaire du quotidiendans le jougl'arène vidéedes chacalsle bœuf est mortl'arène vidée il reste un carnassier un homme s'apprête à le descendre d'un coupd’opinel. l'arène vidée deux morts dont l'un soufre encore il lâche du sangles gens s'étalentl'arène vide ils s'en vont des gens se lèventles gens se lèventles gens s'étalentun carnassier un couteau un carnassier un couteau l'arène vidée les deux étalés qui souffre ils partent et défilent ensanglantésdans la rueon s'en vaon vide carnea1

il grimace,c'est netil grimace

1 carnea : en roumain se prononce “ quarnéa ” : la viande

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vidée on s'en vadans l'arène de jeu espace catafîlc2

vidée videl'arène vide à la surface passedans l’arène en contre bas ils s’affrontent s’évitentl’arène est recouverteles gens se croisent se recroisent s’éloigne, la ville s’éloignedes villes qui passentville qui passe

ouvre la nuitpassagesteint matedes gensplastifié pété pain famine painpar-dessus le toitpardessus la faimpanséfellationpénisperdu les citéss'arrimentdes gens vaguentfellationpassefellation dans les citésentre politiqueles gens marchentlibrevaguentles HLM crépitent sous les ballesgris griss'arrimentpasséles trottoirs tumulte

2 catafîlc : en roumain se prononce “ catafileque ” : catafalque

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les rues"vidées de ses étrangers"par les toitss'arrimententre les toitsles gens passentles rues s'camentpar-dessusles bâtiments et le gris s'étale et le gris s'étaleentre les gensqui s'barrentchez euxentre les gensnoiresles gens parentles gens passentpassedes trottoirs grisles étages petitset la cage d'escalierles toits s'arrimentgens gensgriscité HLM se traîne en cavalevire au rougedans les toitspassétrottoirs grisrouge rougemon HLM brûle trottoirsrouge rougepasseblancsrouge ça flambele toit flambeles gens flambentsur ma citéle gris vire à l’écarlates'étire rouge dans la peauviré au rouge

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je m'arrimeépris de justiceécarlateje m'arrime aux gens et aux chosesgris gris grisentre les toitsles gens passentpasséma peau se fane sur les murs de ma cité les gensles gensles immeubles griss'arrimeles gensfétiche féticheles gens les gens les gens les immeubles passents'étale gris sur les toitsles immeubles grisles immeubles gris les gens marchentvire gensles gens là-hautles gens là-hautça vire là-hautles gensvire un homme est sa maisonentre les toits des maisonssur l'asphalte mouillé de ta salive mortdes gens ditsur l'asphalte grisde ta salive mouilléeentre les toitsentre deux toitssur l'asphalte mouillé de ta salive

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sur l'asphalte entre les toitsl'asphalte de ta salive mouillé de ta salivemort,le béton gris enduit de ta saliveje me meurssur ta salive. sur le trottoir entre les toits de ta saliveon meurt, on meurt, sur le trottoir de ta salive bavée je meurs dans tes bras ; les toits sont mamaison et la peau mon âmeentre les toits je dors le toit est ma maison et sur sa tête je dors entre les toitssur sa tête je m'appuie pour réfléchir entre les toits je dorsentre les toitsje dors le trottoir gris grisde ta salive mouillé bave bave bave entre les toits j'appuie ma frêle tête entre tes bras entre les toits je dors dans tes bras amaigris de fatigue et de faimsur le trottoir de ta salive mouillésur le trottoir de ta salive mouillée sur le trottoir de ta salive mouilléj'appuie ma tête hier le trottoir gris de ta salive mouilléde ta salive mouilléeentre tes bras chaleureux je passe ma têtedans tes bras chaleurje m'appuie. sur le trottoir gris de ta salive mouilléede ta salive mouillédans tes bras chaleureux je mets mon épaulela vie nous mènesur tes bras chaleureux j'appuie ma têtesur tes bras chaleureux

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un homme hier sur le trottoir de ta salive mouilléesur le trottoirhierentre les toits il marchetemps grisdans les toitso dîra lasata3 par les étoilesles HLM pe terenul în paragina4

le chemin désertles hlmle chemin grisîn paragina5

le chemin grisle terrain gris în paraginale ciel gris în paraginagristerrainun hlm un homme marche l'aire în paraginaîn hlmhlmsous le ciel vétusteîn hlmle ciel grisvétustessous le ciel gris le ciel grisun homme marche entre les toitsîn paragina vétustele ciel bleule ciel gris vétuste

3 o dîra lasata : en roumain se prononce “ o dîra lassata ” : un sillon laissé4 pe terenul în paragina : en roumain se prononce “ pé térénoule înne paratchina” : sur le

terrain à l’abandon5 în : en roumain se prononce “ înne ” : dans l’

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în paragina grisgrisgrisle corps vétusteentre les toits gris des hlmîn paraginahlmhlm gris vétustesgris vétusteshlm în paraginaun corps endolorizace6 dans les hlmdans l'air în paragina entre les baraquementssur les aires în paraginales aires entre les toitsentre les hlm sur les aires în paraginasur les immeublesun corps entre les hlmun corps zace entre les hlmun corpsentre les immeublesles hlmle hlmun corpssur les immeublesun corps zace entre les immeubles les toitsdans les immeubles et les toitsles immeubles les toitszac les corps endolorisles aires în paragina entre les immeublesles aires în paragina l'homme marche în paraginales hlmles corps vétustes le ciel grisdes corps, des corps, des corpsdes corps...în paragina gris

6 zac : en roumain se prononce “ zaque ” : gisent

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des corps grisles corps în paragina grisles corps grisîn paraginagrisles corps în paragina grisîn paraginacorps griscorps griscorps grisparagina griscorps corpshlm grisvétustebleuvétuste gris în paragina grisgris gris vétustele corps gris vétustecorps grisvétustegrisgris vert gris les hlm

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Bruno Tomera

Sans dessus dessous

Quand ça Big Bang de la poussièredans une guérilla de l'infinije cavale dans l'universavec pataphysique mon amieje suis un vieux caillou usécraché par les milles et une nuitsdans un endroits sans luneà l'envers d'une lacuneou à cloche pied je chemineaidé d'une canne et d'un melonentre le kid et Orionet la constellation de Charlot Chaplin.Tu vois la fête des sensc'est la voie du non-sens.Sur le banc des casse croûtesla graisse à la ferrailleassaisonne la pose de l'enferet digère les parts d'atmosphèreset rote l'ozone au détailles filles pistolets à la mainémaillent les jours diverspour assurer à la marmailledes lendemainsou la tendresse d'un soir d'étéou l'apparence d'avoir étél'espoir est une caresse de l'innocencepour ces Marie de grandes vertusles blouses en nylon sont si rêchesle fil de la vie si tenu.Tu vois la fête des sensc'est la voie du non-sens.Méli et méloc'est deux artistes de l'équilibreont dessoudé l'absurde au gros calibreet m'ont gelé dans le théâtre NOdans un rictus à vous glacer le dosen griffant les étoilesqui dégringolent en confettisles chats rentrent de ribouldingueet miaulent sur l'au revoir de la nuit

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Ding Dong les dinguesOrdonnent les cloches des cathédrales- J'ai besoin de votre travailRéveillez vous, bandes d'abrutis.On retournerait bien du coté de Morphéemais Cocteau lui fait un plantemps mort trop tardtrop tôt encorepour rouler une gamelle au néant.Tu vois la voie du non-sensest peuplée d'intransigeances.

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mgversion2>daturaISSN: 1365 5418

mgv2_57 | 04_07edited by: Walter Ruhlmann

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