MAURICE LEBLANC - Vilanova i la Geltrú1178 MAURICE LEBIANC 1179 long article, spécialement...

19
Jacques Derouard MAURICE LEBLANC (1864-1941)

Transcript of MAURICE LEBLANC - Vilanova i la Geltrú1178 MAURICE LEBIANC 1179 long article, spécialement...

Page 1: MAURICE LEBLANC - Vilanova i la Geltrú1178 MAURICE LEBIANC 1179 long article, spécialement chaleureux pour la nouvelle La Fon Monsieur Fouque: « Elleporte la griffe d'un homme de

Jacques Derouard

MAURICE LEBLANC(1864-1941)

Page 2: MAURICE LEBLANC - Vilanova i la Geltrú1178 MAURICE LEBIANC 1179 long article, spécialement chaleureux pour la nouvelle La Fon Monsieur Fouque: « Elleporte la griffe d'un homme de

Lanouvelle L'Arrestation d'Arséne Lupin paralt en juillet 1905dans lesais tout, mensuel illustré lancé par Pierre Lafitte, célebre éditeur de laBelleEpoque. Le magazine n'en est qu'a son síxierne numéro, mais sevend déja a pres de 200000 exemplaires. L'auteur de la nouvelle, Mau-rice Leblanc, est un écrivain distingué, auteur de contes et de romaospsychologiques tres fouillés, qui analysent avec finesse les méandres dusentiment. 11 est apprécié par beaucoup de ses confreres. 11 est parfaite-ment inconnu du graod publico

Quatre ans plus tard, lorsque L'Aiguille creuse paraít en librairie, Mau-rice Leblanc, devenu «le Conan Doyle francaís ». est connu du Tout-Paris,et Arsene Lupin célebre dans le monde entier.

Entre-temps, ily eut la publicité fracassante de Pierre Lafitte, qui mul-tiplia les «Concours Arsene Lupin », n y eut aussi une píece en quatreactes,écrite avec Francis de Croisset. Elle fit se déplacer en foule les Pari-siens, pour qui le gentleman-cambrioleur, pendant des décennies,devait avoir le visage romantique et la distinction native d'André Brulé,comédien aimé du grand publico

11 y eut surtout, ce qu'on oublie trop souvent, le talent de MauriceLeblanc.Un véritable écrivain qui a, plus qu'aucun autre, le sens de laclarté,le don de conter, l'art de décrire. Son ceuvre fourmille de portraitsteintés d'ironie, esquissés en quelques lignes suggestives. En veut-on unexemple?Voicil'émouvante héroíne du Mariage d'Arsene Lupin: «Angé-liqueétait longue et maigre comme son pere, osseuse et seche comme lui.Agéede trente-trois ans, toujours vétue de laine noire, tirnide, effacée, elleavaítune téte trop petite comprirnée a droite et a gauche, et d'oü le nezjaillissaitcomme une protestation contre une pareille exiguíté. »

N'est-ce point merveilleux ? L'on ne résistera pas au plaisir de citeraussi le portrait du notaire, maitre Audigat, daos La Femme aux deux~ourires,«un jeune homme pille, gauche d'aspect, phraseur et timide,epris de poésie et qui jetait négligemment daos la conversation des

EN ATIENDANT ARSENE LUPIN •..

Page 3: MAURICE LEBLANC - Vilanova i la Geltrú1178 MAURICE LEBIANC 1179 long article, spécialement chaleureux pour la nouvelle La Fon Monsieur Fouque: « Elleporte la griffe d'un homme de

1176 MAURICE LEBIANC MAURICE LEBIANC 1177

alexandrins spécialement fabriqués par lui, tout en ajoutant : COlllrn 'dit le poete ». ela

Et l'art de la mise en scene !Voyez maítre Audigat dans l'exercice dprafession: « (11) exhiba une boite d'allumettes, en prit une, la frottesaappracha la flarnme de la premiere des trois bougies; tout cela avecaletgestes d'un prestidigitateur qui va faire sortir une douzaine de lap.es

lnsd'un chapeau haut de forme. »

Cher Maurice Leblanc, qui eut le bon goüt de ne jamais ennuyer useul de ses innombrables lecteurs ! n

Et puis, surtout, avec Lupin, il eut le don, rare entre tous, de créerunmythe. n eut également celui de se renouveler, chose rare aussí dansledomaine du raman d'aventures; chacune de ses ceuvres baigne dansunclimat tout a fait différent des autres. Ce renouvellement, ille doít aufaitqu'il eut le génie d'utiliser l'histoire et la géographie non comme de sím,pIes éléments de décor, de « pittoresque ». mais cornme faisant partiedel'histoire. Songeons a L'Aiguille creuse! Comme avec les plus réussiesdes aventures de Lupín, La Comtesse de Cagliostro, L'Ile aux trentecerocueils, La Demoiselle aux yeux verts ou La Barre-y-va, Maurice Leblancécrit plus qu'un raman : il crée une légende.

Maurice Leblanc était né a Rouen, en 1864, dans une famiJIe aisée.Sonpere, négociant en charbon, avait fait, en épousant Blanche Brohyen1861, un beau mariage : Blanche appartenait a une famiJIe de riches tein-turiers, qui fréquentait les notables. L'une de ses tantes avait épouséuncousin d'AchiJIe Flaubert, chirurgien-chef a l'Hótel-Dieu ... ce qui per-mettra a la famiJIe d'entretenir quelques légendes sur ses relations avecl'auteur de Madame Bovary.

Iusqu'en 1888, date de son départ pour Paris, Maurice a vécu danslabelle demeure de la famille, dont les hautes fenétres moulurées donnen!sur les grands arbres du jardin Solférino, cadre de ses premiers jeux.n adeux sceurs, Iehanne, son ainée d'un peu plus d'un an, et Georgette,.sacadette de quatre ans. Elle devait, malgré l'opposition de sa famille.fatreune belle carríere de cantatrice.

Son oncle Achille Grandchamp, négociant lui aussi fortuné, possedeaIumieges, pres des ruines de la célebre abbaye, une maison de carnpagneoü le jeune Maurice passe ses vacances. nécrira : « Je n' ai pas, au pluspro-fond de ma sensibilité, d'image plus éblouissante et plus impérieu~eq~:celle des ruines de Iumieges.» C'est la qu'il prit goüt a «la beaute denature qui se méle aux ruines, et du passé qui s'entrelace au présent»·

, CorneiJIe de Rouen, Maurice fait d'excellentes études classi-}.U Iycee ,. I ..

Porte en 1881, époque de sa «rhétorique », e« prermer pnxes 11rem " dqu ~ et d'histoire littéraire », et en 1882, a la fin de son annee e

d'an yse hie » le « prix d'honneur de dissertatíon francaise ». Le 8 aoütPhilosoP , l« année-Ia, il passe l'oral du baccalauréat, est interragé sur a psy-

de cette , d . d . li. de la pensée et sur l'école d Alexan ne, et ort exp iquer unchOl~g¡deDe vita beata de Séneque . il est recu bachelier avec la mentíonextralt u '"assez bien».

f it rnieux au service militaire, au Xl" régiment d'artiJIerie de Ver-Il al l· ·1 bti 1 tsaiIles puisque, en 1884, nous apprend son ívret, l o tíent a no e

«bien'» aux examens de fin d'année ...

Il n'empeche: il ne conserva point un ~eilleur ~ouvenir ?~régimentque de l'école; c'est, écrira-t-i~ dan s L,Enthous~asme, « ~ epreuve e.nlaquelle se résume et s'acheve I ceuvre d oppression que Ion poursuít

tre nos jeunes années». C'est que, comme sa sceur Georgette, lecon . . , , tIíeune écrivain, dandy et volontíers anarchisant, Jugera severemen eJ ílíeu bourgeois rauennais oü il fut élevé: « Nous fürnes des enfantsmi bi hibien élevés», écrit-il dans L'Enthousiasme, un raman auto iograp ique.Maisil ajoute : « Ce qui ne signifie point des enfants en qui l'on a dé.v:-loppél'énergie, la volonté, la clairvoyance, l'espr~t d'e~amen, les qualitésd'initiatives, mais des enfants qui savent se terur, qui ne se permettentquedes gestes accoutumés, et qui ont déja l'intuition. de ce qui se fait etdece qui ne se fait paso » Il écrit aussi : « On nous enseigna que les usa~esles plus ineptes doivent etre acceptés comme des dogmes. Les corveesmondaines sont des religions. On met a les remplir autant de dévotionqu'a suivre la messe.»

Dans ses premiers livres, Maurice dépeint Rouen comme une ville«méfiante et mauvaise », soumise aux préjugés, incapable de généro-síté, Il vit son départ pour París, a la fin de 1888, comme une libéra-tíon. Il s'installe 6, rue de Calais, non loin du cabaret du Chat-noir. Ilépouse en 1889 Marie-Ernestine Lalanne. Un beau mariage qui luipermet de s'installer 18, rue Clapeyran, de passer quelques moisd'hiver a Nice et l'été sur la cóte normande, a Vaucottes, entre Yportet Etretat.

Et il écrit. Son nom apparait pour la premiere fois dans la luxueuseRevueillustrée de mars 1890, avec la nouvelle Le Sauvetage. Elle est carac-téristiquede ce que sera la « maniere » de Maurice Leblanc, par l'íroníe dulitre,la facon dont elle ménage l'intérét et son dénouement inattendu.

Ennovembre 1890, il fait éditer a compte d'auteur, chez Kolb, son pre-Illierlivre, Des couples, un recueil de contes dédié « au maítre Guy deMaupassant». Le 4 décembre, Le Voleur illustié consacre au livre un

Page 4: MAURICE LEBLANC - Vilanova i la Geltrú1178 MAURICE LEBIANC 1179 long article, spécialement chaleureux pour la nouvelle La Fon Monsieur Fouque: « Elleporte la griffe d'un homme de

1178 MAURICE LEBIANC

1179

long article, spécialement chaleureux pour la nouvelle La FonMonsieur Fouque: « Elle porte la griffe d'un homme de talent et d' une deEt, düt le mot paraítre bien gros, j'ai pensé en la lisant a l'iranie é~venir.du grand Flaubert. I'ai retrouvé dans Monsieur Fouque cette blaarmefroid, ce pince-sans-rire qui était resté a prendre dans l'hérita gueal'auteur de Bouvard et Pécuchet. » ge de

L'article est signé M. Champimont, pseudonyrne de René Morot l'd ill . du i M' ' Unes me eurs ami s u jeune aunce ...

Maurice passe l'été 1892 a Vaucottes. Il y fréquente le poete EdmondHaraucourt, auteur du fameux Rondel de l'adieu (<< Partir, e'est mourirunpeu ... ») et le dramaturge Maurice Donnay, avec qui il écrit une parodied'Aristophane, Lysistrata. A Etretat, il fréquente Marcel Prévost, roman_cier spécialiste du cceur féminin, qui écrivait alors ses Demi- Vierges.Gráce a ces relations, Maurice peut entrer au prestigieux GilBIas,auquelil donne, a partir d'octobre 1892, de nombreux contes, et OUil fait laconnaissance de nombreuses célébrités du temps.

Beaucoup de ces contes ne méritent sürement pas I'oubli dans lequelils sont tombés. Le jeune écrivain maitrise l'art de conter, et Lupin estengerme dans beaucoup de ces récits, teintés de l'anarchisme alors envogue dans les milieux littéraires. Le Conte de Noel que donne le GilBIasdu 25 décembre 1893 est significatif. Le pauvre qu'il met en scene estonne peut plus honnéte : « Depuis son enfance, entre le bien de ses sem-blables et lui, s'élevaient, sans qu'il songeát a en examiner la solidité,d'infranchissables barrieres. » Un vol qu'il commet presque malgré luí,celui d'une poupée, destiné e a la petite fille qui l'attend dans sa man-sarde, lui ouvre les yeux: « Il s'apercevait que les obstacles échafaudésentre la propriété des uns et les besoins des autres sont de purs menson-ges, de vaines menaces. »

C'est dans les colonnes du Gil BIas que Maurice publie son premierroman, Une femme, édité par Ollendorff en mai 1893. Suivront chez lemérne éditeur Ceux qui souffrent et Les Heures de mystére, recueils d~contes, puis L'CEuvre de mort et Armelle et Claude, deux romans qUlassoient sa réputation. Le Courrier francais du 2 mai 1897 écri~:«Armelle et Claude, le nouveau roman de Maurice Leblanc que pubheaujourd'hui Ollendorff, est un livre d'une intensité surprenante. Il fal-lait tout le souple talent et l'admirable langue du jeune écrivain de Unefemme pour rendre dans ses infimes nuances cette histoire d'un arnoursi particulier, si neuf, cette tentative de deux étres vers une communionplus complete, dans une harmonie absolue. L'ceuvre laisse une des plusfortes impressions que nous ayons rencontrées dans les romans de cesdernieres années et fera bientót l'objet de toutes les conversations.»

MAURICE LEBIANC

. I le Gil BIas donne en feuilleton en décembre 1.897,'voici des alles ., qu~ 1898 est un roman consacré tout entler au'OllendOrffpubh~ en mars 'aurice ratique depuis longtemps. n

~ qgloirede la divin~ bu:CYcCyl~~:ec{~~)~fOndé :uavril1896 par le journaliste••• . de 1'«ArtlS c '{ait parue futu éditeur de Lupin.sportifPierre ~afitte, M.rHumblot, directeur des éditi?~S Ollendorff,

Cette annee 1~98, 1 blicité de ses livres. de rédíger son auto-demande a Maunce, pou~ a pu oie cet « instantané » qui le définit assezportrait. Le jeune. r~m;:~~:u::t de Maupassant, dont les conseils luibien: «Compatno e hvsi d'épaules larges. de teint pille, de gestes{urent précieux. Au p y~lque, II fut un des premiers a lancer ces

'Iégance tres personne e, dlents. D'une ;830 dont on a tant abusé depuis. Sous cet. aspect e mo~-joliesmode~ . ant sortant peu, n'aimant París que comme edain, un sohtalre cepe~d '. sont pas assez tentantes pour rom-seu!endroit dont les dlst:a~tl~~s nedont il a besoin quand il se met au

Pre la vie réguliere et rnet o ique "1 le peut l'hiver dans les pays duV le plus souvent qu l' d .travail. oyage éte de vieilles villes murées, e vieux

soleil,l'été a travers la FranceUen qu . nné de sport et de tourisme. AvecchílteaUX,d'églises romanes .. n passm

lOeavec l'immense bicycle et la

'1 . ed de bois comI'antique ve ocrpe e , l routes de France et de Navarre.. 1 tt a roulé sur toutes esmoderne blCyc e e, d 1 vie libre dont la marque est

Ya pris un amour exalté de la nature et e avisibleen ses derniers livres. » Maurice adresse le 23 octobre

Egalement révélatrice, une lettre ~ue , lívre et demandé desf ' . lui avaít envoye un 1 ,

1898a un jeune con rer~ ~Ul., s donner de conseils que les deuxconseils littéraires: « [e n al pomt a vousuivants : d ' . . s ceux qui ont bien le génie. b P nos gran s ecnvam , 1« 1.Lisez eaucOU , 1 Voltaire des contes, Pau-francais. Montaigne, Pascal, La Bruyere, eLouisCourier, Flaubert, Re~an ... áchez de sentir beaucoup, d'aimer, de

«2.Vivez. Oui, surtout vivez, t~ ívre C'est notre premier. "h Nous vtvoris pour VI .souffnr, d etre eureux. d faí e de bonnes choses. Une

devoir. Et puis, e' est le meill~ur mo~e~on~é::ur la vie. Celui qui resteceuvre ne se soutient que SI elle es id Q nd 1'1 ya du soleil dans la. b't"tsurleVl e uaenfermé dans son cabmet a 1 l' he tre plume. n sera toujoursme ou une jolie femme quelque part, ac ez YO, . ez n' en sera que plus

d es et ce que vous ecnrtemps de la repren re, apres, ,imprégné de chaleur et de beaute. »

. vaille a un roman auquel il atta-Aux alentours de 1900, Maunc,e tra. C'est la seule de ses

che beaucoup d'importance, ~ Entho~s¡as~e. ule aussi dont il avait<l!Uvresqui soit vraiment autoblOgraphlque.- a se it e'norme avec

rit un manuscr 'Conservé précieusement le manusc ,

Page 5: MAURICE LEBLANC - Vilanova i la Geltrú1178 MAURICE LEBIANC 1179 long article, spécialement chaleureux pour la nouvelle La Fon Monsieur Fouque: « Elleporte la griffe d'un homme de

1180 MAURICE LEBLANC MAURICE LEBLANC 1181

d'innombrables corrections, qui témoignent d'un travail achar .janvier 1900, depuis Nice, il écrit a son ami René Boylesve' neoEn

. "Motableau de travail, le fameux tableau qui vous a fait rire, enregistre h ~heures d'efforts quotidiens. (...) Mes fins de romans détermine UI!. d .. d d' h . d nt tou_jours es peno es ac arnement exquises et ouloureuses, oü ilbeaucoup l'ardent désir d'en étre débarrassé. J'aurai fini dans laentremiere quinzaine de mars. Fini ! Entendons-nous. Car j'aurai beaucPre-a refaire, ce livre étant horriblement difficile. Il sera peut-etre tout a~U~raté, comme je l'ai toujours cru, mais sapristi, quelle conscienc ~,Itaurai mis! » e J y

Le livre paraít en février 1901. Il tombe dans l'indifférence généraiMaurice, que sa vive sensibilité et son extreme émotivité prédisposaie:;a la souffrance, est gagné par la neurasthénie.

Son ami Henri Desgrange lui propose de donner au joumal L'Autoquel,ques Contes sportifs. Maurice, cornme il le fera plus tard avec LafitteetLupin, regimbe un peu : il se croit davantage fait pour étudier la vie délicatedes ames que pour étre le champion de l'action. Mais il faut bien vivre...

Avec ces contes, Maurice est le premier écrivain a faire entrer l'auto.mobile dans la littérature. Mirbeau, que l'on cite souvent comme píon-nier dan s ce domaine, avec sa 628 E 8, viendra plus tard ... Ces contes,surtout, annoncent Lupin : Maurice glisse avec eux du conte psychologí-que au monde de l'aventure. Le héros du conte Un gentleman, qui paranen 1904, dans le volume Gueule-rouge 80-chevaux, semble un frered'Arsene Lupin.

Lorsque L'Arrestation d'Arsene Lupin parait dans fe sais tout, enjuillet 1905, Maurice ignore completernent qu'il deviendra « le pered'Arsene Lupin ». Il a bien d'autres projets en téte, et notamment pourle théátre. Mais la piece La Pitié, représentée en mai 1906 au ThécitreAntoine, ne connait que huit représentations ! Antoine se souviendraque le soir de la derníere, Maurice, « navré », lui a dit: « C'estbien, je vaisce qu'illeur faut, je renonce a faire du grand théátre et je vais fabriquerdes choses pour gagner de l'argent. » Et, déja, il a en chantier ce chef-d'ceuvre : L'Aiguille creuse.

11fréquente assidfunent les milieux littéraires. Il est souvent chez sasoeur Georgette, instaIlée a Paris avec Maeterlinck depuis 1897. On levoitaux réceptions données par Pierre Lafitte dans le luxueux hotel de se~tétages oü sa maison s'est installée, au 90 des Champs-Elysées. on le vo~taux conférences organisées par Le Censeur politique et littéraire. oo levoítsurtout a la prestigieuse Société des Gens de Lettres, cité Rougemont. n sst

. son comité en 1907, cornme secrétaire, avec Iules Bois etélu e Daniel Lesueur. C'est a cela, bien plus qu'aux succes de son Lupin,M;U doit d' etre fait, en j~vi~r 1908; ~hevalier de la ~~gi,ond' h~nneur. ,.q En mars 1909, il est elu vice-président ~e. la Soclet~, une tac~e qu u

Plit avec assiduité, dévouement et seneux. 11assíste aux dmers deaccom , d b ,..Société, prononce des discours, frequente e nom reux ecnvams.la ucoup regrettent qu'il s'adonne a son Arsene Lupin: ils pensent qu'ilBeat mieux que cela! lean Ernest-Charles écrit dans Le Censeur, envau . L bl .üt 1907: « 11ne faut pas perdre de vue que Maunce e anc est un tresaou

d' b " '1' '1b écrivain de notre temps. Conteur une so re et rorte e egance, I aéO~tdes nouvelles d'une psychologie profonde et il est capable d'écrirencore de tres beaux livres oü palpitera la vie. Ie ne m'irrite point contre

en .. d' A

I i s'il s'amuse a narrer les agitations fantastiques et cormques un mar-u 'il M'rre voleur, et me me son récit m'amuse autant qu amuse aunceLeblanc lui-rnéme ... Mais j'aimerais autant qu'il revint a son inspirationvéritable et qu'il laíssát écrire la suite des Aventures d'Arsene Lupin parson concierge ou par quelque Félicien Champsaur. »

Erreur de jugement, bien sur, comme il y en a mille autres dans l'his-toire des lettres! Le pire pour Maurice est qu'il partage I'opínion de sonami Emest-Charles. J.-H. Rosny ainé, tres mélé lui aussi a la vie littérairede ce temps, et dont la célebre Guerre du feu parut aussi en feuilletondans fe sais tout, écrit dans ses Mémoires de la vie littéraire :« On rencon-trait Maurice Leblanc promu au succes foudroyant par la gráce d'ArseneLupin - succes imprévisible, car Maurice Leblanc cultivait une littéra-ture sans analogie avec celle de Lupin. Ie n'ose dire qu'Arsene Lupin lerévéla a lui-méme et aux autres. Ie crains plutót que ce gentleman-cam-brioleur n'ait un peu bazardé la carriere de Leblanc. » Il écrit aussi: « Jene sais si Leblanc est ravi de son succes ... I'ai toujours pensé qu'il se pro-posait de suivre l' autre carriére, mais Lupin le tire par les pieds. »

J.-H.Rosny voyait juste, comme le montre une émouvante lettre queMaurice écrivait le 31 janvier 1913 a un confrere qui lui avait consacré unarticle chaleureux: « Mon cher ami, votre article m'a donné une grandejoíe... une grande joie melée d'un peu de larmes. Mon cher ami, je vaisvous dire une chose qui vous étonnera, une chose qui est tout de me meun peu attristante: votre étude est la premiere qui paraisse sur monO!uvrelittéraire. Avant Lupin, je défie qu'on trouve dans un seul joumalUn seul véritable article sur un seul de mes livres. Le titre méme deL'Enthousiasme n'a pas été cité une seule fois. Ie ne parle pas de lavente... 1000 ou 1200 exemplaires vendus ... mais enfin ce livre qui rn'aCouté deux ans d'effort et de réflexion méritait bien de la part de mesconfreres un peu d'attention, quelques lignes. Rien ... Ie n'en ai concu,bien entendu, aucune amertume, mais enfin j'ai passé a un autre genred'exercice ... le théátre d'abord ... puis Arsene Lupin, puisque l'occasions'offrait... Rien ne m'empéchera un jour de revenír a ce que je n'ai pas

Page 6: MAURICE LEBLANC - Vilanova i la Geltrú1178 MAURICE LEBIANC 1179 long article, spécialement chaleureux pour la nouvelle La Fon Monsieur Fouque: « Elleporte la griffe d'un homme de

lHl;¿MAURICE LEBLANC

cess~ d'aimer. Et croyez bien, mon cher ami, que votre affectueserait pour beaucoup dans ce retour. Ie vous en remercie d UX articlement, pour l' avenir et pour le passé. J' ai eu en le lisant la s on~ double_

, . enSatlOn d'reparatíon que me donnait la critique ... par la plume de s unetant .le.plus, libre, le plus indépendant et le plus conscienc~en rep~ésen_une joie qu on n'oublie paso » UX. e esr la

II

LA GRANDE GUERRE

Le Maurice Leblanc qui publie Le Bouchon de cristal en feuilleton dansLejournal, a l'automne de 1912, est certes tres différent du jeune écri-vaín sportif et dandy qui collaborait au Gil Blas et donnait a Ollendorffdes romans d'analyse psychologique. D'abord il a « réussi », et commeceux de ses confreres qui se sont acquis quelque célébrité, il a mainte-nant la Légion d'honneur et s'est installé dans un tres confortable hotelparticulier du XVIe arrondissement, situé au fond de la provincialeimpasse Herran. Il y vit avec sa seconde épouse, Marguerite, et son filsClaude. Il y recoit beaucoup de ses confreres : Rosny ainé, André Cou-vreur, Michel Corday ...

n passe une partie de l'hiver dans le Midi, de préférence a Nice, oü ilva voir sa sceur Georgette, qui demeure avec Maeterlinck (prix Nobeldepuis peu) dans la villa Les Abeilles, avenue des Baumettes. L' été, e' esta Saint-Wandrille qu'il va voir sa sceur. Elle a loué avec Maeterlinck lesvastes bátiments de l'abbaye retiré e aux moines a la suite des lois sur lescongrégations. Elle y a monté, pour quelques privilégiés, des représen-tations mémorables de Macbeth et de Pelléas et Mélisande.

Maurice séjourne aussi quelques semaines au cháteau de Tancarville,loué par sa grande sceur Jehanne. Elle y passe les mois d'été avec sonmarí, Fernand Prat, et ses deux filles, Fernande et Marcelle, cette dernierefuture épouse de Bertrand de Jouvenel. Le cháteau, sa falaise abrupte,Son vieux puits, ses arcades gothiques et son formidable donjon, vidé deses planchers et avec « quatre creux de cheminées qui se superposaientsous des manteaux de pierres sculptées », servira de modele a la plupartdes cháteaux évoqués dans les aventures d'Arsene Lupin. Ils présententsouvent comme lui une aile du XVlIIe siecle voisinant avec une partiemédiévale en ruin e : Volnic, dans La Femme aux deux sourires, Ornequindans L'Eclat d'obus, Montmaur dans Le Bouchon de cristal, Halingre dansL'AgenceBarnett et Cie, Formigny dans Les Dents du tigre...

A Paris, Maurice fréquente beaucoup de ses confreres, connus a laSociété des Gens de Lettres (oü il a siégé de Úl07 a 1910). On le voit sou-

Page 7: MAURICE LEBLANC - Vilanova i la Geltrú1178 MAURICE LEBIANC 1179 long article, spécialement chaleureux pour la nouvelle La Fon Monsieur Fouque: « Elleporte la griffe d'un homme de

MAURICE LEBlANC 1185

t au somptueux Pauillon des Muses de Neuilly, occupé jusqu'en 1909venRobert de Montesquiou et loué ensuite par sa sceur Iehanne, qui yrnne de grandes réceptions et y recoít de nombreux artistes et écri-o. s. Marcel L'Herbier rapporte dans Arts et Lettres y avoir souvent ren-

=ré, en 1913,«le subtil Maurice Leblanc, flaubertien de race pris auxpiegesdorés d'Arsene Lupin »,

Maurice fréquente souvent le milieu actif, débordant de vie, des nom-breuses publications de Pierre Lafitte. Lafitte a de quoi se frotter les4¡nainsdevant les succes remportés par le gentleman cambrioleur, tra-lluit un peu partout, publié dans de nombreux journaux, adapté avecBuceesau théátre, a l'Athénée et au Chátelet, et déja porté a l'écran, en:AInériqueet en Allemagne. Maurice tache de prafiter de ce succes pourfaire rééditer par Ollendorff ses romans « psychologiques », auxquels ilrenait tant. Il donne a la revue Le Liure a un sou, a la fin de 1912,sous letitre La Petite Pée, le raman Voici des ailes !, paru en 1898,tan dis qu'il faitéditer par Lafitte sa píece La Pitié.

CeMaurice Leblanc est-il parfaitement heureux?

Le 27janvier 1911, Paris-Iournal avait publié un conte, La DerniereVictime de Sosthéne Lapin, dans lequel Michel Psichari mettait en scenele pere de Lupin, sous le pseudonyrne de Fabrice Lenoir. A la fin duconte, le héras condamnait son historiographe au silence !Maurice écritau journal: «Non, non! Ie ne renonce pas du tout a pramener monArseneLupin par le monde et j'entends bien le ramener de temps a autredans la vie, toujours jeune et toujours ingénieux ... »

En fait, il se sent contraint de faire vivre son Lupin, mais il comptebien poursuivre parallelernent une carríere d'écrivain psychologue.Ainsi, tandis qu'il a écrit pour fe sais tout les nouvelles de la série LesConfidences d'Arséne Lupin, il donne au journal Excelsior, que vient delancer son ami Pierre Lafitte, quelques contes «sentímentaux . qui rap-pellent le style de Maupassant, et un grand roman d' amour, La Froruiére.Estrévélatrice de ce désir de mener de front deux «carríeres »une lettrequ'il écrit le 20 février 1912 a Henri de Régnier, directeur littéraire duJournal: ilveut bien lui livrer aussitót fini «un raman sur Lupin »intituléLe Bouchon de cristal, qui lui sera réglé au prix de deux francs la ligne,maís il y met deux conditions; d'abord que Le [ournal s'engage aPUblier,payés au mérne prix de deux francs la ligne, ses « trois prachainsromans sur Lupin»; ensuite et surtout qu'íl accepte de publier «unroman d'aventures amoureuses », intitulé Les Quatre Sceurs amoureuses,pou- lequel il se contentera d'un franc cinquante la ligne !

p ~'est évidemment a son Lupin qu'il doit d'étre une figure du Tout-ans, d'avoír son portrait dans le fameux Album Mariani de 1913 ou

Page 8: MAURICE LEBLANC - Vilanova i la Geltrú1178 MAURICE LEBIANC 1179 long article, spécialement chaleureux pour la nouvelle La Fon Monsieur Fouque: « Elleporte la griffe d'un homme de

1186 MAURICE LEBLANC

dans l'Album-Revue des Opinions de 1914.En décembre 1913, le Casinode Paris présente «en exclusivité absolue » le premier film francaísconsacré au gentleman cambrioleur: Arséne Lupin contre Ganimard,mis en scene par Michel Carré. Georges Tréville incarne Lupin. HarryBaur préte ses traits a l'inspecteur Ganimard.

Le 10juillet 1914, Arsene Lupin fait son entrée, avec les nouvellesd'Arsene Lupin, gentleman cambrioleur, dan s 1'«Idéal-Bibliotheque» dePierre Lafitte. La couverture en couleurs dessinée par Léo Fontan mon-tre Lupin tel que devaient le voir des générations de lecteurs, l'air mys-térieux et racé, avec un monocle, une canne a pommeau et un haut-de-forme luisant. Les éditions populaires a bon marché se développaientalors considérablement. Fayard avait donné le signal de départ en 1904.C'est avec ces éditions que Lupin devait connaítre de forts tirages, etMaurice Leblanc l'assurance de substantiels bénéfices ... Mais, comme lebonheur n'est jamais parfait, il yavait, malgré tout, la répugnance mani-festée par beaucoup de ses distingués confreres pour ces fascicules«populaires » devant lesquels les délicats se píncaíent le nez ...

Et puis il y eut la guerre ...

«Est-ce vrai que nous pourrions avoir la guerre?» se demande Gus-tave Téry, dans Le Iournal du 26 juillet 1914.Hélas oui. La nouvelle sur-prend Maurice a Tancarville, oü il pensait pouvoir passer des vacancessereines ... Il évoquera dans L'Eclat d'obus « les journées sinistres de lafin d'aoüt, les plus tragiques peut-étre que la France ait jamaisvécues », puis, du 6 au 11 décembre, la glorieuse bataille de la Marne.Comme tous ses confreres, il se montre patriote. Il a admiré «l'ordreparfait de la mobilisation, l'enthousiasme des soldats, le réveil de l'ámenationale ».

En novembre paraít le premier numéro du Bulletin des écrivains, quidonne la liste des dix-sept premiers écrivains tombés a l'ennemi. La«guerre de mouvement » terminé e, les adversaires, terrés dans la bouedes tranchées, vont rester de longs mois (quatre ans, mais ils ne lesavaient pas) face a face, se livrant réguliérernent a des offensives rui-neuses en vies humaines, tandis qu'á Paris l'on s'installe petit a petitdans la guerreo

Noe11914, 144e jour de la guerre, n'a rien de réjouissant. Pour le jourde l'an, on offre aux enfants comme livre d'étrennes Les Mémoires d'un75,«le canon merveilleux », d'André Tudesq ...

Un deuil déja est venu attrister la famille Leblanc: Maurice a perduson jeune cousin, le comédien Marcel Dufay, porté disparu et laissant lafarnille dans l'angoisse; il est difficile, malgré 1'«agence de recherche des

MAURICE LEBLANC 1187

prisonniers de guerre» créée par la Croix-Rouge, de savoir s'il est mortou prisonnier.

Cornrne pour la plupart des écrivains, 1914marque une nette cassuredans la production de Maurice Leblanc: ses romans nous plongentmaintenant dans une atrnosphere tourmentée, violente, marquée par laguerre, «époque de folie et d'égarement ».

De juillet a décembre 1914,toutes les publications avaient été suspen-dues, dans l'attente de la fin du conflit, que 1'0nespérait proche. Mauricene peut faire paraitre Les Dents du tigre, qui sort cependant aux Etats-Unis. Les romanciers sont aussi touchés par la réduction de la paginationdes journaux, dont les feuilletons sont réduits, tandis que ne cesse des'allonger la rubrique Morts au champ d'honneur.

Maurice, avec sa sensibilité aígué, semblait mal fait pour supporter detels bouleversements. Il souffrit sans aucun doute, mais déborda malgrétout d'activités. Trop ágé évidemment pour s'engager, il souhaite partous les moyens étre, a sa facon, utile a son pays. Il participe volontierssaux «ceuvres d'assistance ». aux «matinées de bienfaisance ». aux «con-férences patriotiques »et aux «ventes de charité » organisées pour veniren aide aux hópitaux militaires, aux soldats mutilés, a leurs famillesdémunies et aux nombreux «orphelins de guerre ». Pour les kermesse sanimées par la Croix-Rouge, il envoie des volumes dédicacés. Il fait par-tie du jury du «Concours des journaux du front ». lancé par Le Ioumalpour venir en aide aux innombrables publications qui fleurirent dans lestranchées.

Soucieux de se rendre utile chez les «gens de Lettres » (beaucoup sontau front), il assiste a l'assemblée générale de la Société, le 21 mars 1915.On y adopte «a l'unanimité . cet «ordre du jour » : «Rendant hornrnage aceux qui sont morts pour que l'esprit francais vive, la Société croit étreI'interprete de leurs dernieres volontés en affirmant que leur sacrificedicte a tous les écrivains qui restent le devoir d'associer leurs efforts pourmaintenir l'union des cceurs et des énergies. »

Au «Comité » de la Société, oü Maurice est élu pour trois ans, on litd'« admirables Iettres . envoyées du front par des écrivains, on féliciteceux qui sont cités « a l'ordre du jour . de l'armée, on envoie des condo-léances aux familles des hommes de lettres touchées par la guerre, onoffre des livres pour les prisonniers et les blessés, on organise des «con-férences patriotiques ».

Apartir d'octobre 1915,Maurice Leblanc, a la Société des Gens de Let-tres, s'occupe plus particulierernent de la «médaille cornmémorative .que Maurice Barres avait souhaité offrir aux écrivains «morts au champ

Page 9: MAURICE LEBLANC - Vilanova i la Geltrú1178 MAURICE LEBIANC 1179 long article, spécialement chaleureux pour la nouvelle La Fon Monsieur Fouque: « Elleporte la griffe d'un homme de

Maurice Leblanc vers 1900

MAURICE LEBLANC 1189

d'honneur ». n se dé mime beaucoup, enquétant sur ces écrivains (sou-nt fort obscurs), entrant en contact avec leurs familles, entretenant

vee correspondance suivie avec Barres, a qui iI envoie régulíerement des:hes concernant les écrivains qui doivent recevoir la médaille pos-thume ou figurer dans une Anthologie des Ecrivains [rancais morts pour

/apatrie.

Ala mérne époque, Mme Aurel, femme de Lettres alors célebre, orga-nisait dans son hotel particulier de la rue du Printemps des « jeudis » quifurent fameux. Elle y invitait des écrivains combattants perrníssíonnai-res, et rendait hommage aux poetes disparus. Maurice assista a quel-ques-uns de ces « jeudis », mais de maniere trop peu assidue au goütd'Aurel, qui le lui reproche gentiment. Maurice lui écrit assez seche-ment, le 2 février 1917: « Pourquoi me jetez-vous, avec une autoritédédaigneuse, dans la tourbe de ceux que les postes n'intéressent pas ?Lespoetes que vous glorifiez, je les ai honorés avant vous, en recher-ehant leurs noms, en étudiant leurs ceuvres, en correspondant avec leursfamilles, en les désignant pour la médaille Barres. Besogne obscure, etqui n'a certes pas le relief de la vótre. Mais peut-étre aí-je été plus presencore de leur ame secrete en lisant les lettres désespérées de leursmeres et de leurs veuves. »

Ce travail, Maurice Leblanc le fit en effet avec conscience, malgré sesproblernes de santé. Le 18 avril1916, il écrivait a Barres: « Bien qu'assezsouffrant, et prévoyant une période de plusieurs mois pendant laquellejevais étre obligé de renoncer a toute espece d'activité (épuisement ner-veux, angoisse de guerre, etc.), je désire cependant continuer l'ceuvreque j'ai commencée.»

Leplus étonnant est que cette période troublée fut aussi l'une des plusfécondes du romancier. Jamais iI n'aura tant écrit, et de longues ceuvrescomplexes, adroitement agencées, qui témoignent d'une imaginationpeu commune. On s'émerveille que les chefs-d'ceuvre que sont L'Eclatd:obus, Le Triangle d'or et L'Ile aux tren te cercueils aient pu étre menés abien par un écrivain si bouleversé par les horreurs de la guerreo D'autantplus qu'íl a donné aussi au [ournal une série de Cantes héroiques, quieXaltentla vaillance de nos combattants, et surtout le long roman Le Cer-c!e rouge, adaptation d'un film américain a épisodes. Il consacra plu-:Ie~rs mois a ce travail on ne peut plus difficile, qui consistait a écrire uneU~l1etoncalqué sur un film, en rendant cohérente une histoire pour lemoms décousue.

Page 10: MAURICE LEBLANC - Vilanova i la Geltrú1178 MAURICE LEBIANC 1179 long article, spécialement chaleureux pour la nouvelle La Fon Monsieur Fouque: « Elleporte la griffe d'un homme de

lVlAU1HLt LttlLl\I~L

Pendant toute la guerre, Maurice passe les mois d' été a Etretat, dla villa Le Sphinx, qu'illoue a Georges Leve!. Situé e a l'angle de la ru ansBec-Castel et de la route de Criquetot, non loin de la Guillette de GuedllMaupassant, c'est une belle villa normande a colombages, de:de

laquelle s'étend un beau jardin, agrémenté de pergolas sous lesqUelle~tromancier aime a s'installer pour écrire. Car il écrit autant a Etretat q ,eParis. ua

Malgré la guerre, la « saison d'été » de 1915 est assez vivante. Le Nor:mand de Paris écrit : « Presque toutes les villas ont été louées et les hóte~ont de nombreux clients. Cependant la saison n' est plus la meme, carony sent une pointe de mélancolie. On pense aux absents C .. ) Plus de balsme me d'enfants, ni de soirées mondaines.» '

Maurice assiste aux concerts et aux « séances récréatives » donnés auprofit de l'« hópital auxiliaire » d'Etretat, qui recoit de nombreux blessésévacués du front. Beaucoup de villas accueillent des « orphelins deguerre»: une « colonie des enfants de mobilisés orphelins de mere.avait été créée a Etretat par Emile Vitta des aoüt 1914. Le chansonnierXavier Privas fait partie de son administration.

Sur les terrasses du casino, Maurice fréquente quelques-uns de sesamis parisiens eux aussi en villégiature a Etretat : le journaliste GeorgesBourdon, le romancier Henri Duvernois, l'écrivain Léon Blum, quiséjourne en famille a l'hótel des Falaises ...

L'été 1916, le cimetiere militaire créé autour de l'église d'Etretat s'estcruellement agrandi. Louis Fabulet lui consacre un article érnu, dansleJournal de Rouen du 16 aoüt, L'été suivant, pour la premiere foís,unguide touristique décrivant les célebres falaises évoque Maurice Leblancet son Arsene Lupin. Les hotel s de la Plage et des Roches blanches son!transformés en hópitaux, Maurice y rend visite aux soldats blessés. leurdédícacant ses livres. Beaucoup de ces jeunes soldats sont des suppor-ters enthousiastes d'Arsene Lupin, dont les aventures sont largemen!diffusées par les collections populaires de Pierre Lafitte, « Les Romansd'aventure et d'action »,

Toutes les ceuvres de cette époque sont évidemment tres marquéeSpar la guerreo Le Triangle d'or décrit le Paris de 1915, un Paris oü lesm~ts« schrapnell », « taube » ou « zeppelin » sont entrés dans le vocabul~~quotidien, oü plusieurs hótels sont transformés en ambulances (aIl1SI

appelait-on les hópítaux improvisés), et oü l'on croise en grand nombredes mutilés et des ínfirmieres, vétues « d'un grand manteau bleUqu.egul-marquait la croix rouge». Dans ces livres, surtout, le « boche» san snaire, le « barbare », est présenté comme capable de toutes les h~rreure;el placé face a des soldats ou officiers francaís débordant d'héro1Sme

Maurice Leblanc en 1907.

Page 11: MAURICE LEBLANC - Vilanova i la Geltrú1178 MAURICE LEBIANC 1179 long article, spécialement chaleureux pour la nouvelle La Fon Monsieur Fouque: « Elleporte la griffe d'un homme de

de générosité. Les bruits les plus fous couraient sur I ' "bares» et expliquent le ton germanophobe des c:ea férocíta des « bar

tc.amPdosaa cette époque, ton que l'on retrouve dansu:~~e;uI e M.aUti~ions u temps. es Produe,

Certains, plus tard, et méme parmi les plus fervents lu . .la fine bouche devant ces romans oü Maurice se montrPI,nllens, Ontfaitpeu trop patri t 11 e a eur g ,10 e. s ne reconnaissent pas le dé I OUtunb

. Id' esmvo te gentlemno eur es premlers contes M . . . an ea••.. aIS ce patnotísme est luí d ~1I-

rom~ciers du temps. Citons, pour nous en tenir a de ce Ul e tou, les~a~nce, Arnould Galopin, avec Nos poilus de la e, e~p~~~~~ a~is de

oute du 75 et Femmes et gosses héroiques. VOl,avec

Et ~uis, mérne s'ils sont tres marqués par leur temMaunce Leblanc restent parfaitement lisibles On ,~s, ce~ reman, deteur refermer L'Ile aux trente cercueils avantl I d n ~ jamais VII un lec-ch it e ermer mot du d .

api re, et Le Iournal avait raison d'annonc .. d erruerla publication de L'Eclat d'obus : C' er ainsi ans ses colonnes, . . « est, en méme temmysteneuse et troublante aventure un d d . ps que la plus

II' rame e passion et d haí

auque a guerre ajoute un caractere de violence e ame« Ce roman est peut -étre l'ceuvre mai presque sauvage» (...)guerre évidemment, mais oü~~n~~I~:s~e de ~a~rice Lebl~nc. Récitdequ'il est presque impossible de song ~l mysteneuse est SI captivante

dger a autre chose qu'aux ,. ,.

u roman, aux personna es . l' . penpetíesangoisses, bref a toutes le; sce~~~ tr:n~ment, a, le~rs épreuves et a leurspeut créer l'imaginati .,. g ques, héroiques et terrifiantes que

ion inépuisable de l'auteur. »

III

LUPIN ET SES AVATARS

Avec le recueil de nouvelles des Huit Coups de l'horloge, MauriceLeblancrevient a une inspiration beaucoup plus sereine. Son gentlemanil est vrai a bien changé, laissant de cóté ses outils de cambrioleur pourse faire le défenseur de la veuve et de l'orphelin. Maurice lui fait dire:~Partout, si on le veut, il ya prétexte a s' émouvoir, a faire le bien, a sau-ver une victime, a mettre fin a une injustice. » Mais le romancier a maní-festement oublié les cauchemars qui hantaient les c:euvres du temps deguerreoCette nouvelle jeunesse se manifeste aussi avec le beau romanLa Comtesse de Cagliostro, qui raconte la premiere aventure - et le pre-mier amour _ d'Arsene Lupín. et avec La Demoiselle aux yeux uerts, unroman dans lequell' énigme baigne dans un climat de poésie tout a faitparticulier. Pour les beaux yeux d'Aurélie, Lupin-Leblanc retrouve lemerveilleux de ses visions d' enfant.

Le Maurice Leblanc de cette époque a abandonné toute activité ausein de la Société des Gens de Lettres, et ses problemes de santé, toutautant que son tempérament discret, le contraignent a une vie de plusen plus réguliere. n écrit a l'une de ses cousines de Rouen, en 1925 : « Cava toujours a peu pres, avec un systeme nerveux ultra-sensible et unestomac qui se contracte pour ríen, et, au fond. un tempérament plutótsolide, que je dois a des ancétres bien équilibrés qui, heureusement pourmoí, ont vécu bien sagement en dehors de ce diabolique et charmantParis. »

En vieillissant, il éprouve de plus en plus la nostalgie de son passé nor-mand que, jeune écrivain, il avait rejeté avec une certaine vigueur. Cettenostalgie se traduit, dans un roman comme La Comtesse de Cagliostropar l'évocation des lieux du pays de Caux les plus chers a son cc:eur~omm: l'abbaye de jumíeges. pres de laquelle il avait passé ses vacance~ae ~~ceen,Saint-Wandrille, oü il est souvencallé voir sa sc:eurGeorgette

I epoque oü elle y demeurait avec Maeterlinck, Gueures, pres di

Page 12: MAURICE LEBLANC - Vilanova i la Geltrú1178 MAURICE LEBIANC 1179 long article, spécialement chaleureux pour la nouvelle La Fon Monsieur Fouque: « Elleporte la griffe d'un homme de

1l~4 MAURICE LEBLANC

Dieppe, oü iI a passé les mois d'été, de 1900 a 1910, dans le cháteau louépar sa grande sceur Jehanne. Les Huit Coups de l'horloge décrivent «lescourbes majestueuses» de la Seine, et la forét de Brotonne, «toutepleine de souvenirs romains et de vestiges du Moyen Age ».

Maurice collectionne les cartes postales représentant les cháteaux etles manoirs de son cher pays de Caux dans un bel album qu'il évoquedans un texte écrit pour la petite revue fécampoise La Peuille en 4. Ilparle avec émotion du «triangle cauchois », cadre de beaucoup desaventures d'Arsens Lupin, «ce triangle sacré pour moi », écrit-il, « outoute ma vie heureuse, ma vie des jours d'été et d'automne, s'est écouléeautour de ces quelques villages dont les noms jalonnent la route de monpassé: Iumíeges et son abbaye, Saint-Wandrille et son cloitre, Tancar-ville et ses ruines, Etretat et son aiguille ... »

Son attachement pour sa province natal e se manifeste par son adhé-sion, en 1920, a l'association des «Normands de Paris ». qui organisaitexcursions et banquets, et par ses retours de plus en plus fréquents aRouen. Il y est le 25 janvier 1923, avec André Maurois, pour I'inaugura-tion du monument aux morts du lycée Corneille. Il assiste de plus enplus souvent aux réunions des anciens éleves, oü il retrouve avec plaisirdes visages depuis longtemps perdus de vue.

Il souhaite aussi renouer avec ses cousins rouennaís, qu'il voyait tresrarement, trop rarernent a son goüt, Il obtient qu'une féte de farnille, aRouen, en juin 1924, les réunisse tous. L'été 1925, avant de rejoindreEtretat, iI fait étape a Rouen ; il rend visite au grand « cimetíere monu-mental» oü, depuis l'inhumation de son pere, en 1905, il n'avait guereeu l'occasion de retourner. Voyant« avec tristesse l'état de délabrementoü se trouve la chapelle funéraire » de ses parents, il demande a l'une deses cousines rouennaises de lui trouver un artísan, qui n'aura qu'a luienvoyer sa facture.

Son attachement pour le pays de Caux explique aussi qu'il passe tousles mois d'été a Etretat. En février 1919, il a acheté la villa Le Sphinx, qu'illouait depuis quatre ans. Ill'a rebaptisée Le Clos-Lupin, a fait redessinerle jardin et fait rajeunir la facade a pans de bois. C'est a cette villa qu'ilsonge en évoquant Le Clos des Lupins dans lequel Arsene Lupin se retirea la fin des Dents du tigre: « En dehors de ses vieux livres de morale et dephilosophie, qu'il a retrouvés avec tant de plaisír, il cultive son jardin.Ses fleurs le passionnent. Il en est fier. »

Maurice reste souvent a Etretat jusqu'áu milieu d'octobre, pour goüteraux charmes de l'arríere-saíson, joliment évoqués dans Les Huit Coups

MAURICE LEBLANC 1195

de l'horloge: « Cette arríere-saíson fut si douce que le 2 octobre au matinplusieurs familles attardées dans leur villa d'Etretat étaient descenduesau bord de la mer. On eüt dit, entre les falaises et les nuages de l'horizon,un lac de montagnes assoupi au creux des roches qui l'ernprisonnent,s'il n'y avait eu dans l'air ce quelque chose de léger, et dans le ciel cescouleurs páles, tendres et indéfínies, qui donnent a certains jours de cepays un charme si particulier. »

A Etretat comme a Paris, les journées du romancier sont bien réglées.A onze heures, il est a « la Potiniere ». sur les terrasses du casino, oü ilconverse avec ses amis habitués de la station balnéaire: le journalisteGeorges Bourdon, les musiciens Henry Février et André Messager, lesauteurs dramatiques René Peter et Maurice Sergine, le peintre Iules Cay-ron, son beau-frere le sénateur René Renoult, qui passe l'été dans la villaHeurtevent.

Etretat a renoué avec son animation d'avant guerreo Animation spor-tíve, avec les «challenges» qu'organíse la «Jeunesse sportive étreta-taise », les compétitions de golf et le « tournoi international de tennis ».oü l'on put applaudir la célebre Suzanne Lenglen, a qui Maurice consa-cre un artic!e chaleureux, Championne du monde. ny a aussí, et surtout,une grande animation mondaine et artistique. Maurice participe abeaucoup des fétes organisées par les «Vieux Galets », associationd'habitués d'Etretat créée par Georges Bourdon et le poete-rnusicíenLouis de Morsier.

A la différence de celui d' avant guerre, le Maurice Leblanc des annéesvingt s'est résolu a étre devenu un romancier d'aventures. n souhaite néan-moins, pour que son Arsene Lupin lui fasse moins d'ombre, donner vie ad'autres héros. En février 1918, il écrivait a Hachette qu'il aimerait que lamaison accueille avec la méme faveur tous ses ouvrages, y compris ceux quiont peu de chance de connaitre le succes : « Il est tres possible que je donnea l'occasion un volume d'aventures plus sérieuses, ou un volume de contes,et je ne voudrais pas que la vente, inévitablement plus restreinte, de cevolume, parüt un insucces, un faux pas comme vous dites. »

A cette époque en effet, Maurice Leblanc est loin de ne travailler quepour son gentleman cambrioleur. Il donne a le sais tout deux « romansd'aventure a point de départ scientifique»: Les Trois Yeux et Le Formi-dable Evénement, qui occupent une place a part dans son ceuvre. Cesont, comme on dira plus tard, des romans d'« anticipation ». Ils perrnet-tent aussi de retrouver le passé, therne cher entre tous a Maurice : Le For-midable Evénement nous fait découvrir, dans les profondeurs de la

Page 13: MAURICE LEBLANC - Vilanova i la Geltrú1178 MAURICE LEBIANC 1179 long article, spécialement chaleureux pour la nouvelle La Fon Monsieur Fouque: « Elleporte la griffe d'un homme de

Maurice Leblanc vers 1910.

MAURlCE LEBIANC 1197

Manche, une civilisation disparue, et les Vénusiens des Trois Yeux nousenvoient d'étranges scenes filmées de l'histoire de notre planete. Dansce roman, Maurice réussit a mélanger adroitement une histoired'amour, une énigme políciere et une aventure mystérieuse.

L'été 1922, sous les pergolas de son Clos-Lupin d'Etretat, il commencea travailIer au roman La Vie extravagante de Balthazar, avec lequel ilsouhaite donner vie a un nouveau héros. Mais celui-ci, qu'il a voulupathétique, est plutót ridicule, et Maurice doit se rattraper avec le« príere d'insérer » qui accompagne en 1926 l'édition ilIustrée du livre :« Le pere d'Arsene Lupin a tenté la parodie du genre méme oü ilexcelle ».

C'est aussi un nouveau personnage qu'il veut créer avec la charmantehérome de Dorothée, danseuse de corde, un roman qui développe untheme qui lui est cher, celui d'une énigme venue jusqu'a nous d'un loin-tain passé, comme celle qu'il avait imaginé e dans la nouvelle Le Signe del'ombre, dan s Les Confidences d'Arséne Lupin. Mais, malgré la publicitéfaite par Le [ournal et les éditions Hachette autour du nom de Dorothée,le livre ne connait qu'un succes tres relatif.

Est aussi caractéristique de ce désir de ne pas étre considéré seule-ment comme le pere d'Arsene Lupin la préface, intitulée MauriceLeblanc et ses romans, que Maurice écrit en 1923 pour une édition ilIus-trée de La Frontiére : « Si Maurice Leblanc s'est acquis une réputationuniverselle en contant les Aventures extraordinaires d'Arsene Lupin (...),il n'en est pas moins avantageusement connu comme auteur de nom-breux contes et romans dans lesquels ne figure point le sympathiquegentleman cambrioleur C .. ) Maurice Leblanc ne dépense pas tout sontalent en faveur de son héros principal. Il sait nous émouvoir tout autanten narrant d'autres aventures.»

C'est aussi un autre personnage qu'il souhaite créer avec HerculePetitgris, un détective qu'il met en scene dans une longue nouvellepubliée en décembre 1924 dans Les CEuvres libres, dirigées par son amiHenri Duvernois. Mais, la encore, cette « nouvelle création » n'en est pasvraiment une, et Maurice songera méme a donner cette nouvelIe dansun recueil de contes consacrés a Arsene Lupin. Ill'aurait alors intituléeLe Pardessus d'Arséne Lupin. Un peu plus tard, il connaítra la mérnemésaventure avec Iim Barnett, dont il fera finalement un avatar d'ArseneLupin. Il se consolera en 1930, en constatant, a propos de Conan Doyle,créateur de Sherlock Holmes: « Créer l!n type, ne füt-ce qu'un seul, nepensez-vous pas que ce soit la marque de quelque souffle íntéríeur t »

Page 14: MAURICE LEBLANC - Vilanova i la Geltrú1178 MAURICE LEBIANC 1179 long article, spécialement chaleureux pour la nouvelle La Fon Monsieur Fouque: « Elleporte la griffe d'un homme de

1198 MAURICE LEBLANCMAURICE LEBLANC

Pourquoi done Dorothée, Balthazar, Hercule Petitgris, Iim Barnetplus tard le Gérard du roman De minuit el sept heures ou Le Prince~Iéricho, ressemblent-ils tous, tres curieusement, au gentleman cambr'

10-leur? Maurice Leblanc n'avait-il recu le don de ne créer qu'un seul « typelittéraire»? N'est-ce pas plutót que son Arsene Lupin, homme-protéepouvait revétir toutes les identités comme toutes les personnalités ? '

En tout cas, ce Lupin connaít toujours un succes extraordinairenotamment au théátre, La piece en quatre actes Arséne Lupin, écrit~avec Francis de Croisset et présentée pour la prerniere fois a I'Athénée le280ctobre 1908, est constamment reprise avec succes. André Brulé, SOninterprete principal, n'avait cessé d'étre identifié avec le gentlemancambrioleur. Comme il avait été victime d'un vol, Comoedia titrait, le29 octobre 1919: « Arsene Lupin n'a pas retrouvé son voleur». Il reprendle róle en juin 1920 au théátre des Galeries Saint-Hubert. Adolphe Bris-son, d'habitude sévere, écrit dans Le Temps : « Arsene Lupin est un cam.brioleur délicieux. Le public a eu grande joie a le revoir. »

La píece est reprise peu apres au Théátre de Paris (oü elle est jouée210 fois !), en juillet 1921 a l'Empire-Théátre, en mai 1922 a la PorteSaint-Martin, en juin au Nouvel-Ambigu, en 1924 a nouveau au Théátrede Paris ...

Devant ce succes d'Arsene Lupin, Maurice éprouve une légitime fierté.Dans une lettre a son éditeur, en 1921, il regrette qu'on n'ait pas profitéde l'extraordinaire succes de la píece Arsene Lupin au Théátre de Paris(plus de 200000 spectateurs!) pour faire de la publicité ases livres.Depuis que Bernard Grasset, pour imposer L'Atlantide de Pierre Benoit,en 1918, a utilisé la publicité, l'usage s'en répand dan s les Lettres. Mau-rice aimerait en profiter. Le 1er mars 1921, il écrit a Paul Calvin, direeteurde la librairie Hachette, pour demander un « budget de publicité»:« Mon livre est sorti. Qu'on le soutienne. I'ai mis dans les mains de lamaison Hachette une belle affaire. Qu'elle l'exploite, non pas commeune série de livres classiques, mais selon les procédés modernes. C'est aelle de décider: ou bien l'enterrement du catalogue, ou bien la vie enplein air, le tumulte, l'appel ininterrompu aux foules. Ou bien la mort deLupin, ou bien la continuation des succes qu'il a connus par fe sais toUr,par la librairie Lafitte, par Le [ournal. »

En mars 1923, preuve qu'il accorde beaucoup d'importance a son gent-leman cambrioleur, Maurice manifeste le désir que ceux de ses volumesde la collection in-16 qui lui sont consacrés portent désormais sur la eOU-

verture« le nom d'Arsene Lupin en grosses lettres noires et en travers"-

11::1::1

années d'apres guerre, l'édition connaít u~e g~ave crise,D~S ~e:a l'augmentation du prix du papier et de la m~-d c:uvre. Le

consecuu.v ente considérablement ... sans que puissent etre aug-priX d:s l1~es;~: droits d'auteur. Le 16 février 1925, Maurice. éc~it surmentes d aut t b lle lettre a son ami Pierre Lafitte: «Ie SUlSsur q~e

. t une longue e e , ' L nce sUJe h tt ( ) u'endra a honneur que l' auteur d Arsene upi. on Hac e e .,. d t lle

la mals. . d'un effort qu'il poursuit depuis vingt ans, et on e. le [uste pnx , .reC;:Olve é d 1 . de longues années encore apres moi, »i'ai la fierte e e croire, .profitera, J, íté a 1égitimé la fierté du pere d'Arsene Lupm! ,

La posten e . d ce nouve1 état d'esprit a l'égard du roman d aven-, 'gne aUSSl e '1 927 'TemOl . bl 1 1ettre qu'il envoie en avn 1 ah Maunce Le anc, a ill

tures, e ez d t I mari le célebre créateur de Rouletab e,Mme Gaston Leroux, on e , , d noms et nos deux

. dis araltre: « On a rapproche nos eux .venalt de p h dont je suis ñer.» Et aussi: « Ie sais trop par

C'est un onneur ,.reu~es: t ce ue vaut l'effort d'imaginer et tout ce qu il supposemOl-me~e tou. q de réverie acharnée, d'obsession méme. pour nede pensee consclen~e, personne la puissance de Gastan Leroux,

mprendre mieux que, 1 dpas co. ~inu de renouvellement, ses dons incomparab es eson besom ~~:lités merveilleuses de constructeur et d'animateur, toutcon~eu:l1~:~ement d'idées, d'inventions, de conceptions amusant~s et~e O:ll verve sa bonne humeur entralnante, son sens du traglquelmprevues, sa , '1et du mvstere, la conscience qu'il apportait a son travai . »

Page 15: MAURICE LEBLANC - Vilanova i la Geltrú1178 MAURICE LEBIANC 1179 long article, spécialement chaleureux pour la nouvelle La Fon Monsieur Fouque: « Elleporte la griffe d'un homme de

Maurice Leblanc dans les années tren te.

IV

LUPIN TIRE SA RÉVÉRENCE

Maurice Leblanc semble avoir connu, a la fin des années víngt, unepériode particulíerement heureuse, et un grand bonheur d'ínspíration,comme en témoignent les nouvelles alertes du recueil L'Agence Barnettet Cie, le charme du roman La Demeure mystérieuse, et surtout la parfaiteréussite qu'est La Barre-y-va, un roman qui, comme L'Aiguille creuse ouLa Comtesse de Cagliostro, s'enracine dans l'histoire et la géographie dupays de Caux: l'ingénieuse énigme qu'il propose s'explíque par le phé-nornene de la barre, ou du mascaret, alors bien connu dan s la vallée dela Seine, et partículíerement spectaculaire entre Caudebec et VilIequier.Par rapport a ces réussites, il faut bien convenir que les dernieres aven-tures d'Arsene Lupin, La Femme aux deux sourires, victor, de la brigademondaine et La Cagliostro se uenge, malgré un certain bonheur d'écri-ture, manquent un peu de souffle.

Le Maurice Leblanc de cette époque vit de plus en plus a l'écart dumonde des Lettres. Il écrit en mars 1934 a son confrere Michel Corday,qui venait de lui consacrer un articIe sympathique : «Le soin de monéquilibre nerveux, comme vous le savez, m'éloigne de plus en plus dusiecle et de mes anciens camarades. NuI que je regrette plus que le sym-pathique et loyal Michel Corday. »

Mauríce, romancier díscret, que ses contemporains ont décrit commemodeste et réservé, a aussi de plus en plus la nostalgie de son passé. Ilfait partie du «comité de rédaction » de Notre Vieux Lycée, organe deI'Association des anciens éleves du Lycée de Rouen. Il y publie en 1929une Lettre ouverte elAndré Maurois, qui venait de faire paraitre un petitlivre sur Rouen. Maurice évoque sa vilIe natale oü, dit-il, «j'ai tant erré,adolescent rornantique, et oü je retourne si souvent en pelerinpassionné ». En 1931, il donne a la méme revue un articIe significative-ment intitulé Le Mal du pays de Caux. Au début de 1933, c'est a la revueLesArtistes normands qu'il donne un article nostalgique sur I'époque oüil passait ses vacances pres de I'abbaye de Iumieges,

Page 16: MAURICE LEBLANC - Vilanova i la Geltrú1178 MAURICE LEBIANC 1179 long article, spécialement chaleureux pour la nouvelle La Fon Monsieur Fouque: « Elleporte la griffe d'un homme de

Le Clos-Lupin.

MAURICE LEBLANC 1203

Maurice, qui possede maintenant une automobile, va de plus en plusouvent a Etretat, dans sa belle villa du Clos-Lupin, « mon meilleur

~upin », dit-il a Georges Charenso!. 11y vient parfois pour les vacancesde Paques ou de la Pentec6te. 11y passe évidemment toute la « belle saí-son », et retrouve avec plaisir, au début de juillet, les « apérítifs-con-certs » de 11h 30, sur les terrasses du casino. 11participe volontiers auxnornbreuses fétes qui, chaque année, ponctuent l'été: la kermesse desAnciens Combattants, les soirées des « Vieux Galets » et le traditionnel« bal de bienfaisance » qui marque la fin de la « saison »,

Son jeune ami Rayrnond Lindon, qui passe l'été dans la grande villaLes Pelouses, route du Havre, est devenu maire d'Etretat. 11y multiplieles festivités, pour lesquelles Maurice Leblanc est souvent sollicité. 11fait partie du jury des « Grandes Fétes nautiques » de 1929. 11écrit pourles fétes de bienfaisance des articles imprimés sur feuilles volantes etvendus avec sa signature: en 1931, dans Les Bals costumés d'Etretat, ilévoque les personnalités habituées des terrasses du casino; en 1933,dans Vieille caloge, il raconte des souvenirs d'enfance ... En 1932, il corn-pose une « saynete a deux personnages », mettant en scene ArseneLupin, intitulée Cinq minutes montre en main. Elle est jouée par sesjeunes amis Michel Brindejont et Colette Bourdon lors de la féte don-née le 20 aoüt. Pour la « Grande Iournée normande» du 10septembre1933,on lui a demandé de faire partie du jury chargé de désigner, parmiles jolies filles qui défilent en maillot sur la scene du casino, celle quisera élue « Reine des plages normandes ». 11fait partie du « comité depatronage» des grandes fétes données le 24 aoüt 1935. Le Mémorialcauchois, qui rend compte des festivités et décrit longuement le casino,note: « Maurice Leblanc était la, et l'ombre d'Arsene Lupin planait surla salle. »

Comme lesannées précédentes, Maurice neveut pas se consacrer exclu-sivement a son gentleman cambrioleur. 11donne au [ournal, a partir dejuillet 1927,quelques contes sentimentaux avec lesquels il semble reveniraI'inspiration de ses débuts. 11bataille pour qu'Albin Michel, qui a rachetélefonds de lalibrairie Ollendorff, donne une nouvelle édition de L'Enthou-siasme, un roman qu'il continue a considérer comme son chef-d'ceuvre,et en février 1930il écrit a Hachette: « N'est-il pas pénible pour moi quela maison Hachette laisse tomber certains de mes volumes ? Sur les troiscents volumes d'Alexandre Dumas, l'éditeur n' en abandonne pas un seu!.Sans prétendre a la moindre comparaison, ne peut -on agir de méme avecles deux douzaines de livres que j'ai publiés et suivre ainsi jusqu'au boutla collection complete de mes ceuvres ? »

Page 17: MAURICE LEBLANC - Vilanova i la Geltrú1178 MAURICE LEBIANC 1179 long article, spécialement chaleureux pour la nouvelle La Fon Monsieur Fouque: « Elleporte la griffe d'un homme de

1204 MAURICE LEBlANC

A partir d'octobre 1927, Le Gaulois a donné Peau d'Ane et Don Qui-chotte, un roman d'aventures poétique, écrit avec André de Maricourt. Ilmet en scene un Petit Pierre sensible et imaginatif, projetant dans la réa-lité les aventures vécues par ses lectures.

Surtout, voulant tirer la lecon de l'échec qu'il avait connu avec La Vieextravagante de Balthazar, Maurice a tenté de donner vie a un nouveauhéros, Iim Barnett, personnage que, cette fois, il a voulu comique. Ill'amis en scene dans trois savoureuses nouvelles, parues a partir d'octo-bre 1927dans Lectures pour tous. Dans la publicité pour son numéro deNoél, la revue annonce la publication des Douze Africaines de Béchoux,« oü reparait la nouvelle création du grand romancier d'aventures poli-cíeres ». En fait, cette « nouvelle création» n'en est pas vraiment une, etdans la préface au volume L'Agence Barnett et Cie, Maurice fait de IimBarnett l'un des avatars d'Arsene Lupin ...

L'été 1929 paraissent dans Le [ournal les aventures du Prince deIéricho, avec lequel Maurice a une nouvelle fois tenté de créer un nou-veau « type littéraire ».En 1931, Le Iournal donne De minuit a sept heu-res, un roman dont le héros, Gérard, ressemble beaucoup lui aussi aLupin: « Il aimait les sensations fortes, l'action, le risque. »

Pierre Lafitte, plus tard les éditions Hachette, furent toujours intransi-geants sur un point : que leurs publications puissent « étre mises entretoutes les mains ». Cela explique que, méme si les jolies femmes peu-plent les aventures d'Arsene Lupin, l'amour y est toujours tres éthéré ...Nous sommes tres loin des contes un peu grivois dont le Gil BIas s'étaitfait une spécialité. Cela chagrine un peu Maurice, qui aurait souhaitédonner ases ceuvres un caractere moins sage, mais, retenu par le contratqui le liait a son éditeur, il ne le pouvait guere, Il se voit refuser, en 1930,une série de contes consacrés a Arsene Lupin, qu'il espérait voir paraitresous le titre Le Cabochon d'émeraude. Certains de ces contes ne parais-sant pas assez « convenables » a Hachette, il songe a les donner a AlbinMichel, qui continue a publier, sans grand succes, les romans psycholo-giques de ses débuts. Mais Hachette a l'exclusivité des Lupin... Mauricen'avait pu ainsi donner suite, en 1922, a l'offre que lui faisaient Alex etMax Fischer, directeurs littéraires chez Flammarion, de publier quelquesaventures de son gentleman cambrioleur ...

C'est chez Flammarion que Maurice publie, en 1934 et 1935, deux« romans d'amour », L'Image de la femme nue et Le Scandale du gazonbleu, romans d'aventures un peu « osés », Hachette ne voit pas la chosed'un bon oeíl,et lui écrit : « Il peut y avoir un tres grave inconvénient delaisser penser aux lecteurs de ces deux ouvrages publiés en dehors de

MAURICE LEBlANC 1205

chez nous que toutes vos eeuvres précédentes ont le meme caractere,c'est-a-dire qu'elles ne peuvent étre mises entre toutes les rnains.» EtHachette demande que la publicité faite pour ces deux livres évite defaire mention des « romans antérieurs publiés chez nous et notammentdu nom d'Arsene Lupin ».

Malgré ces petits désagréments, Maurice, s'agissant de son Lupin, nepouvait qu' étre fier. Il ne se passe plus de mois sans qu' on lui transmettede nouvelles demandes d'autarisation de traduction de ses livres, depublication en revue, d'adaptation a la scene, a la radio ou a l'écran ...Depuis le milieu des années vingt, les Etats-Unis et l'Angleterre ont sou-vent demandé l'autorisation de donner des éditions en francaís de quel-ques-uns de ses romans, avec notes en anglais, a l'intention des lycéenset étudiants. Un de leurs préfaciers américains décrivait les aventuresd'Arsene Lupin comme idéales pour apprendre le francais car, écrivait-il, outre qu'elles sont bien écrites, on a envie de les lire [usqu'au bout.Est-il, pour un romancier, meilleur compliment?

Et puis la piece Arslme Lupin, qui fut pour beaucoup dans le succesdes romans, continue une carriere éblouissante. Le jeune MarcelAchard, dont la Comédie des Champs- Elysées venait de présenter avecsucces lean de la Lune, déclare, apres étre alié voir Arsene Lupin enavril1929 au théátre Sarah-Bernhardt: « C'est plus jeune que n'importequoi!» La piece est reprise en juin de la meme année au théátreEdouard-VIl. Antoine écrit dans L'Information: « L'intérét ne languitpas, chaque scene amene une surprise et un rebondissement de l'actionet la curiosité du public reste constamment surexcitée. »

Arsene Lupin aurait sürement connu aussi le succes au cinéma, siMaurice Leblanc n'avait point été entravé par un contrat signé en 1913avec le studio Eclair-Menchen d'Epinay-sur-Seine, contrat non honorépar Menchen, qui ne produisit qu'un film (Arsene Lupin contre Gani-mard, en 1913), mais ernpécha longtemps Maurice de donner d'autresautorisations. Ce n'est qu'en 1931 qu'il peut vendre les droits sur cer-tains de ses romans a la Metro Goldwyn Mayer.

Un hornme aussi moderne que le gentleman cambrioleur devait toutnaturellement faire aussi carriere a la radio. Il fait ses débuts dans cedomaine au Canada et aux Etats-Unis. En France, ses aventures sont dif-fusées sur Radio-Cité a partir du 28 février 1936.

Le nouveau regard porté par Maurice Leblanc sur ses aventuresd'Arsene Lupin résulte sans doute d'un changement de mentalité. Le

Page 18: MAURICE LEBLANC - Vilanova i la Geltrú1178 MAURICE LEBIANC 1179 long article, spécialement chaleureux pour la nouvelle La Fon Monsieur Fouque: « Elleporte la griffe d'un homme de

1206 MAURICE LEBlANC MAURICE LEBlANC

roman d'aventures conquiert alors ses lettres de noblesse La v l.. . ou~neuse these que Régis Messac fait paraitre en 1929 sur Le Detective N -montre que le genre n'est plus aussi dé crié que par le passé. Des ,ov:lai d al ,., ecn_v ms e v. eur s y mteressent: Georges Simenon, Marcel Ayrné, Pa

Morand, Píerre Nord, Claude Aveline... ul

Pierre Mac Orlan, Francis Careo, Ioseph Kessel ou Pierre Ben .déd . ... oa ne

e aígnent pas de faire partie du JUry du « Grand Prix du Rornan d'" aven_tures », cree en 1930. De grands écrivains (y compris le délicat et

ulai J G' d peupop aire ean irau oux!) font partie du « comité de direction» de larevue Le Club des Masques. On y lit aussi le nom de Maurice Lebl« l'immortel auteur d'Arsene Lupin ». Pierre Mille écrit dans les No:~'les littéraires du 21 mai 1932: « Il n'y a aucun motif raisonnable ou-q , " licier" . P uru un roman po icier ne soít pas un cheí-d'eeuvre aussi bien q,. ~n Importe quel autre romano » Les remarques de ce genre se multiplied l

' ntans es annees trente.

Et puis, surtout, Maurice, qui fait dans ce domaine figure de pionniera des admirateurs de poids. Ioseph Kessel écrit dans Gringoire, le 10 rnaí1929, avoir « lu et relu» ses romans : « Il y a dans ces pages une inven-tion, une verve, un don de conteur qui me ravissent. » Et encore : « Il fautune certaine force intérieure et des moyens rares de l'imposer - c'est-á-dire du talent - pour créer un type. Arsene Lupin n'en est-il pas un?»

Le tres sérieux hebdomadaire Les Feuillets bleus donne en mai 1931 lan.ouvelle La Dent d'Hercule Petitgris. Il prévient certes que le genre poli-cier n'est point celui qu'il préfere, mais ajoute : « Maurice Leblanc n'enpossede pas moins des qualités remarquables de style et de constructionqui donnent ases écrits un indéniable intérét, un réel pouvoir attractif.:Le 1er aoüt de la rnéme année, Frédéric Lefevre écrit dans La République:« I'ai relu cette année a peu pres tous les livres de Maurice Leblanc. Celam'arrive de temps en temps. Ie ne connais pas de meilleure distraction.»Et il condut son artide en écrivant (ce qui eüt paru inconcevable vingtans plus tót) qu'il verrait bien le pere d' Arsene Lupin représenter a l'Aca-démie francaise la « littérature romanesque »,

Vous voulez mieux encore? Le 10 mars 1932, Benjamin Crémieux faitparaitre dans Candide un artide dans lequel il défend « l'école fran-caise » du roman policier : « Oü trouver par exemple dans Conan DoyleI'équivalent de ce chef-d'ceuvre du genre : L'Aiguille creuse?»

Cela explique que, le temps passant, Maurice parle de son Lupin avecde plus en plus de sympathie. L'été 1927, déja, il avait eu une grandejoie.Un groupe d'étudiants de l'université de Philadelphie séjournait a Etre,tat. Passionnés par les aventures du gentleman cambrioleur, íls étaient

venus avec L'Aiguille creuse pour suivre les traces d'Isidore Beautrelet.

lZUf

. a raconté l'anecdote a un journaliste du Figaro: « Ils venaientMaun,c~ en partie de plaisir pour vérifier I'itinéraíre quí, a travers lesd'Arnenque ". , . .. d'un petit chiHeau fort et dans 1 epaisseur d une muraille, avaít[Ulndes. Arsene Lupin jusqu'aux cavernes oü les maitres de la France,con Ult . Q 11 '. J les César, gardaíent jalousement leurs tresors. »« ue e emo-depUlS u . al' . M' . l ., d. vous! » fait remarquer le journ íste a aunce, qUl Ul repon :non pour ' . incid '1

Lupin done 1 Lorsque je lui eus raconte ce petít mci ent, 1 a« Et pour ' .

leuré de [oie ! »P Voulant défendre son Lupin, Maurice se pla~nt s~uv~nt: d~,n~ ses let.-

a son éditeur, qu'il soit insuffisamment diffusé. Ainsi, 1ete 1928, iltres libraí d'E d '1 d

tt de voir chez les deux 1 raires tretat es « pl es» e romansregre e .de Clément Vautel et de Maurice Dekobra, « mais pa~ une ~gence Bar-nett». L'année suivante, a l'inverse, il se félicite de « l'ímpulsion . que la

ublicité a donnée ases livres : « Il y a la un rajeunissement dont nous~vons le droít de nous réjouir et de nous féliciter. »

Il est aussi de plus en plus soucieux de la qualité des adaptations deson ceuvre. En juin 1929, a propos de l'opérette Arséne Lupin banquier,qu'Yves Mirande et Albert Willemetz ont écrite pour les Bouffes-Pari-siens, il avertit la Société des Auteurs qu'il tient a conserver tous s~sdroits d'autorisation d'adaptation de cette ceuvre : « Il y a un tel "emmé-lement" dans la cinquantaine d'aventures écrites par moi sur ArseneLupin que je ne puis disposer du nom méme d'Arsene Lupin, dans uncas isolé, sans me faire du tort pour le reste. »

L'article que Maurice écrit, « A propos de Conan Doyle », pour lesAnnales politiques et littéraires du 1er aoüt 1930, montre son souci dedéfendre le roman d'aventures: « Celui qui vient de mourir n'est paspres de mourir dans la mémoire des hommes.» L'auteur de romansd'aventures, écrit Maurice, « émeut, captive, inquiete, bouleverse.Autant de qualités qui sont celles d'un véritable écrivain ». Enjuillet 1931, il écrit pour un admirateur japonais : « Arsene Lupin! Ie neme permettrais pas de faire l'éloge des livres que j'ai consacrés a l'exis-tence de cet illustre aventurier. Mais n'ai-je pas le droit de dire, sans qu'ily ait la moindre prétention de ma part, combien j'éprouve de sympathiepour le personnage mérne qui a bien voulu m'honorer de son amitié etde ses confidences ? »

En février 1932, alors qu'il séjourne dans le Midi, Maurice lit dansL'Eclaireur de Nice un artide de Georges Avril sur Georges Simenon. Arti-de chaleureux pour le genre policier, et se moquant des « écrivains aprétentions » et des « lecteurs pervers qui jugent la valeur d'un ouvrage~ la somme d'ennui qu'il dégage ». L'article donne envie a Maurice dehre Le Charretier de la Providence. Il écrit a Georges Avril : « C'est rude-

Page 19: MAURICE LEBLANC - Vilanova i la Geltrú1178 MAURICE LEBIANC 1179 long article, spécialement chaleureux pour la nouvelle La Fon Monsieur Fouque: « Elleporte la griffe d'un homme de

1208 MAURICE LEBlANC MAURICE LEBlANC 1209

ment bien. Et combien vous avez eu raison d'insister plus particuliement sur cette faculté, si rare parmi les romanciers d'aventures, de cr~:-une atmosphere et d'établir des caracteres. On n'a pas le temps des'attarder. L'action vous presse. La moindre digression ralentit le mou,vement ... Et Georges Simenon, par je ne sais quel sortilege, décrit etapprofondit sans que l'on s'en apercoíve.»

L'été 1932, a un journaliste anglais venu le voir a Etretat, Mauriceconfie: «Bien qu'Arsene Lupin füt un accident dans ma carriere, ildevint le début de ma gloire. Un heureux accident en fait : il fut pour moiun excellent ami, cet Arsene. »

On pourrait multiplier les citations. Une seule pour finir : le 11 novem_bre 1933, Maurice donne au Petit Var un article intitulé « Qui est ArseneLupin ? ». Apres avoir souligné l'intérét que présente dans ses aventures« la liaison du présent dans ce qu'il a de plus moderne avec le passé, sur-tout historique ou me me légendaire », il conclut: «Etablir un remand'aventures polícíeres sur de telles données éleve forcément le sujet; etc'est une des raisons, j'imagine, qui ont concouru a rendre populaire etattachante la personnalité de ce Don Quichotte sans vergogne qu'estArsene Lupin. »

lean Cabanel, qui consacre un article a Maurice Leblanc dans la revueTriptyque de mars 1939, constate qu'il est le «prisonnier d'ArseneLupin ». Il y songea en effet jusqu'a ses derniers jours, malgré la maladiequi, a partir de 1937, assombrit ses demíeres années. En 1937, il avaitterminé le roman Les Milliards d'Arsene Lupin, donné dans L'Auto enjanvier 1939. Il parait chez Hachette en novembre 1941, le mois mémeoü disparait Maurice Leblanc.

Le romancier laissait quelques manuscrits et les dactylographies cor-rigées d'une adaptation théátrale de L'Aiguille creuse, d'une píece en unacte, Un quart d'heure avec Arséne Lupin, d'un «roman historique », LaGuerre de mille ans, et de deux romans consacrés au gentleman cam-brioleur: Quatre Filles et trois garcons et La Derniére Aventure (ou LeDernier Amour) d'Arsene Lupin. Ces deux romans consistent en deuxversions de la méme aventure. Dans le premier, Lupin a l'identité du«capitaine Raoul d'Argery, officier de réserve, instructeur bénévole desgroupes scolaires de la banlieue nord de Paris, connu sous le norn deCapitaine Cocorico ». La donnée de ce roman non achevé est reprisedan s La Derniere Aventure d'Arséne Lupin, qui emprunte aussi quelqueSéléments a La Guerre de mille ans. Le prologue, Un ancétre d'ArseneLupin, met en scene le grand-pere d'Arsene, le général Lupin, vaínque-"

lé n de la bataille de Montmirail !Le gentleman cambrioleurous Napo eo ., d é d Ss .' 1 dans ce roman sous le nom de capítaine An re e avery,

dlss1rnu e 1 h fse . t de verve d'imprévu de fantaisie ». Illutte contre e e e'tourdlssan ' , . . A

« e 11' nce Service et place tres haut ses ambítíons : « le ne reve »,d l'Inte Ige, ."e . d' íder a l'établissement du regne de la paix universelle »!au-n «que al _l '. . a toujours varié les décors et l'atmosphere de ses romans,Maunce, qUl . , blltirne aventure de Lupin dans la «Zone » la plus rrusera e,situe cette u l 1 1

autour de pantin ... oü son héros joue, aupres des enfants du peup e, eróle d'éducateur!