Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

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HAL Id: tel-01968051 https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01968051 Submitted on 2 Jan 2019 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Management de la reprise par un tiers : le cas des TPE saines Karim Mouhli To cite this version: Karim Mouhli. Management de la reprise par un tiers : le cas des TPE saines. Gestion et management. Université de Bretagne occidentale - Brest, 2016. Français. NNT: 2016BRES0064. tel-01968051

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Submitted on 2 Jan 2019

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Management de la reprise par un tiers : le cas des TPEsaines

Karim Mouhli

To cite this version:Karim Mouhli. Management de la reprise par un tiers : le cas des TPE saines. Gestion et management.Université de Bretagne occidentale - Brest, 2016. Français. �NNT : 2016BRES0064�. �tel-01968051�

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Management de la reprise par un tiers : le cas des TPE

saines

Thèse soutenue le 7 Octobre 2016 devant le jury composé de :

Boualem ALIOUAT, Professeur, Université de Nice

Sophia Antipolis / Rapporteur

Thierry LEVY, Maître de Conférences H.D.R.,

Université de Paris 8 / Suffragant

Caroline MOTHE, Professeur, Université Savoie

Mont-Blanc / Suffragant

Robert PATUREL, Professeur Emérite, Université de

Bretagne Occidentale / Directeur de thèse

Katia RICHOMME-HUET, Professeur associé

H.D.R., KEDGE Business School / Rapporteur

Eric SEVERIN, Professeur, Université de Lille 1 /

Suffragant

THÈSE / UNIVERSITÉ DE BRETAGNE OCCIDENTALE sous le sceau de l’Université européenne de Bretagne

pour obtenir le titre de

DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ DE BRETAGNE OCCIDENTALE

Mention : Sciences de Gestion

Ecole Doctorale Sciences de l’Homme, des Organisations et de la Société (SHOS)

Présentée par

Karim MOUHLI

Préparée au Laboratoire ICI

Equipe « Entrepreneuriat - TPE/PME »

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L’université n’entend donner aucune approbation ni

improbation aux opinions émises dans cette thèse ; ces

opinions doivent être considérées comme propres à leur

auteur.

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Remerciements

Je tiens à remercier tous ceux qui, par leur soutien, leurs conseils, ou tout simplement leur présence, ont contribué à l’aboutissement de ce travail doctoral.

Mes remerciements s’adressent en premier lieu à mon directeur de thèse, le Professeur Robert Paturel. Je tiens à lui témoigner toute ma gratitude pour la confiance qu’il m’a accordée tout au long de ce travail. Il m’a permis de m’inscrire en thèse et d’intégrer son équipe alors que ma vie professionnelle m’avait éloigné quelque peu du monde de la recherche. Sa disponibilité, ses conseils et sa bienveillance à des moments difficiles de ma thèse m’ont permis de mener ce projet à son terme.

Mes remerciements s’adressent également aux membres du jury qui ont accepté d’évaluer cette thèse. Merci à Katia Richomme-Huet et Boualem Aliouat qui me font l’honneur d’évaluer mon travail en qualité de rapporteurs ; qu’ils soient assurés de ma profonde reconnaissance pour le temps investi en lecture et évaluation. Un grand merci à Caroline Mothe, Eric Severin et Thierry Levy pour l’honneur qu’ils me font de faire partie de mon jury et pour leur lecture attentive de mon travail.

Je remercie également le personnel administratif de l’Université de Bretagne Occidentale, ainsi que les membres du laboratoire ICI pour leur accueil et leur assistance. Je pense tout particulièrement à Véronique Ziegler, Cécile Morinière et Eric Rouzeau.

Mes remerciements vont bien sûr aux repreneurs ainsi qu’aux salariés qui ont bien voulu participer à cette recherche. Sans eux rien n’aurait été possible. Les échanges que j’ai pu avoir avec eux ont été passionnants et source de nombreuses réflexions.

Merci aussi à toutes les personnes qui ont contribué à la réalisation de cette thèse : Bernard, Lyes, Stéphane et tout particulièrement Mohamed pour son travail d’assistance. Je remercie également ceux qui n’ont jamais cessé de me soutenir et de m’encourager tout au long de ces années : Olivier, Claude, Juliette, Mouss, Françoise, Mahmoud, Younes, Sophie.

Un grand merci plein de tendresse et d’amour adressé à mon épouse Djamila ainsi qu’à mes deux enfants : Kyllian et Nael pour leur soutien sans faille. Ma famille m’a été d’une aide précieuse dans les moments difficiles. Merci à mes deux frères Sophien et Essaïd pour leurs encouragements et leur aide logistique.

Pour clore ces remerciements, mes dernières pensées vont à mes parents Salah et Oumessad qui m’ont toujours témoigné leur affection, incité à acquérir du savoir et à faire preuve de persévérance.

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Sommaire

Introduction générale……………………………………………………………………….... 7

Partie 1- Le cadre conceptuel de la reprise de TPE saines…………………………………. 27

Chapitre 1- La reprise d’une TPE par une personne physique : singularités et enjeux du changement de dirigeant………………………………………………………………….... 30

Section 1- La TPE : des spécificités impactant l’opération……………………….... 31

Section 2 - Un processus entrepreneurial protéiforme et contingent à forts enjeux.. 59

Chapitre 2 - Le rôle du repreneur en contexte de changement organisationnel…………..... 121

Section 1- Le management post-reprise ou la conduite d’un changement organisationnel majeur……………………………………………………. 122

Section 2- (Re)construire collectivement du sens pour réussir le changement…...... 193

Partie 2 - Modélisation du processus de reconstruction collective de sens post-reprise et de ses facteurs d’influence………………………………………………....................... 221 Chapitre 1 - Méthodologie de la recherche et description du processus de reconstruction collective de sens post-reprise……………….…………………………………………….. 223

Section 1- Fondements épistémologiques et méthodologiques de la recherche…… 224

Section 2- Analyse des données et évaluation de la recherche…………………….. 258

Section 3- Le processus de reconstruction collective de sens post-reprise……….. 271

Chapitre 2 – Un processus sous influences…….…………………………………………... 291

Section 1- Les facteurs et éléments influençant le processus……………………... 292

Section 2- Discussion des résultats et recommandations managériales…………... 368

Conclusion générale……………………………………………………………………..... 393

Bibliographie…………………………………………………………………………….... 405

Table des tableaux…………………………………………………………………………. 436

Table des figures…………………………………………………………………………… 437

Annexes………………………………………………………………………………….... 439

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Introduction générale

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Introduction générale

es Très Petites Entreprises sont des acteurs de poids dans le dynamisme

économique d’un pays. Souvent peu visibles dans le paysage économique

français, elles représentent pourtant 65,5 % des entreprises en activité,

emploient environ 18,8 % des salariés du secteur concurrentiel et réalisent 17,1 % de la valeur

ajoutée totale du pays (Insee, 20151). Chaque année, des milliers d’entre elles sont transmises.

Ce phénomène n’est pas en soi nouveau, mais l’évolution démographique des dirigeants

d’entreprises françaises aspire à en faire une préoccupation de premier plan pour les décideurs

politiques et économiques. Différentes études et rapports se succèdent (Commission

européenne, 2013 ; Dombre-Coste, 2015) pour souligner l’importance et la complexité du

phénomène ainsi que les difficultés rencontrées par les cédants et repreneurs tout au long du

processus de transmission-reprise.

Parmi les 60 000 entreprises transmises chaque année en France, 50 000 sont des TPE

de moins de 10 salariés. La majorité d’entre elles sont reprises par des repreneurs personnes

physiques externes sans aucun lien avec l’entreprise. Compte tenu d’une désaffection de plus

en plus prononcée pour la transmission familiale, la reprise externe est une pratique qui tend à

progresser. Or, le développement de la transmission à des tiers, hors du cadre familial, n’est

pas sans poser de problèmes. La méconnaissance de l’entreprise, de son environnement par le

repreneur accentue les difficultés déjà grandes de la reprise (Deschamps et Paturel, 2009).

Cela se traduit concrètement dans les chiffres puisque les transmissions à des tiers connaissent

un taux d’échec deux fois supérieur à celui d’une transmission aux salariés et plus de trois fois

supérieur lorsque le repreneur est un membre de la famille (BDPME, 2004).

La reprise externe d’une entreprise est une pratique longue et risquée. Conscients des

innombrables difficultés auxquelles ils devront faire face, les candidats à la reprise recourent

souvent à l’expertise de praticiens susceptibles de les accompagner et de les guider dans leur

démarche. Ces derniers s’attardent fréquemment sur la partie amont du processus de reprise, à

savoir les difficultés à identifier la cible, à mesurer le potentiel de l’entreprise, à la valoriser

correctement, à obtenir les financements, etc. Tous ces éléments peuvent venir perturber le

1 Source Insee focus N°24. Chiffres donnés pour l’année 2012, hors agriculture et services financiers. Ces

chiffres ne tiennent pas compte des micro-entreprises qui relèvent du statut d’auto-entrepreneur et du régime fiscal de la micro-entreprise. L’emploi est exprimé en équivalent temps plein.

L

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processus et/ou empêcher la vente de se concrétiser. Les conseils et dispositifs qu’ils

proposent s’articulent autour des questions administratives, comptables, juridiques, fiscales et

commerciales de la transmission-reprise. L’opération est considérée, pour beaucoup, comme

un succès, dès lors que la vente arrive à son terme.

Si, globalement, les difficultés financières et techniques de l’opération semblent bien

identifiées et préparées par les repreneurs aidés de leurs accompagnants, les problématiques

humaines sont, à l’inverse, fréquemment sous-estimées, voire négligées. Ceci semble

paradoxal dans la mesure où l’aspect humain demeure la clé d’une reprise réussie

(Boussaguet, 2005). Insuffisamment informés et préparés, les repreneurs se trouvent surpris et

désarmés au moment de leur arrivée dans l’entreprise, face à l’ampleur des difficultés,

notamment humaines, provoquées par le changement (adaptation à leur nouvelle vie, attitudes

des salariés face au nouveau dirigeant).

Concernant la littérature, celle-ci perçoit le transfert de direction comme un événement

important dans la vie de toute organisation. Il s’agit d’un changement majeur (Donckels,

1995 ; Haddadj et D’andria, 2001 ; Boussaguet, 2005), d’un tournant dans la vie des salariés

et des dirigeants qu’il faut savoir négocier. Pour de nombreux auteurs, l’entrée en fonction du

repreneur, ultime étape du processus repreneurial (Deschamps, 2000), revêt une importance

capitale dans la réussite entière du projet (Boussaguet, 2005 ; Picard et Thévenard-Puthod,

20102 ; Berger-Douce et Dechamps, 20103). Elle concentre et condense, dans un minimum de

temps, tout un ensemble de problématiques fondamentales du management d’une organisation

(Rollin, 2006). Curieusement, bien que de plus en plus reconnue comme décisive, cette

période demeure encore et toujours peu étudiée sur le plan scientifique. Nous relevons que

cette insuffisance apparaît d’autant plus manifeste lorsqu’il s’agit des TPE.

Pourtant, pour de nombreux auteurs, ce type d’entreprise « à taille humaine » présente

un certain nombre de spécificités susceptibles d’impacter lourdement le déroulement de

l’entrée en fonction du repreneur. Beaucoup d’entre elles se mutent en « effet complexifiant »

(De Freyman, 2009, p.59) compliquant d’autant sa prise de fonction. Bien qu’il n’existe pas

2 Picard et Thévenard-Puthod (2010) soulignent le nombre élevé d’échecs de reprise survenant durant les

premières années consécutivement à l’arrivée d’un nouveau dirigeant. Les auteurs expliquent ce phénomène par l’importance des difficultés auxquelles sont confrontés les repreneurs durant la phase de management post-reprise. 3 Berger-Douce et Deschamps (2010) mettent en avant l’enjeu de cette période tant pour le repreneur que

pour l’organisation. Selon ces auteurs, elle « conditionne le bien-être du repreneur dans son entreprise, sa

manière d’assumer son nouveau rôle et le succès de l’opération ».

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de définition arrêtée et suffisamment complète des TPE et en nous basant sur de nombreux

travaux consacrés à la PME, nous les caractériserons de la manière suivante : un effectif

réduit, un rôle central du dirigeant-propriétaire, une relation d’interdépendance voire

fusionnelle entre le dirigeant et son entreprise, un système d’information simple et peu

structuré. La TPE s’organise également au travers de relations interpersonnelles fortes,

ancrées dans un environnement structuré selon un principe de proximité (Torrès, 2003). Pour

Mahe De Boislandelle (1996), la taille de l’entreprise a incontestablement des répercussions

sur l’intensité des problématiques organisationnelles. L’effet de grossissement » qu’il décrit,

affecte les relations humaines, les comportements et donne de l’importance à chaque

changement (Torrès, 2003). Ainsi, chaque événement, chaque problème, revêt un caractère

important, voire stratégique, au sein des plus petites entreprises. Ceci revient à affirmer

que, bien plus que dans une structure de grande taille, l’arrivée d’un nouveau dirigeant sera

vécue comme un événement éminemment important et que toute action ou attitude du

repreneur peut être cause de déséquilibre pour l’organisation.

Notre avons opté pour la structuration de notre introduction en trois points. Tout

d’abord, nous définirons le contexte général de la recherche (I.1.). Ensuite, nous discuterons

de l’entrée du repreneur au sein d’une TPE en tant que thème de recherche. Nous exposerons

brièvement les principaux travaux réalisés dans le domaine, puis nous expliquerons en quoi

une approche interactionniste, plus particulièrement une approche centrée sur les théories du

sensemaking est éclairante et fertile pour mieux comprendre le processus. Nous exposerons

pour finir les questions et intérêts de la recherche (I.2.). Enfin, la troisième et dernière section

de cette introduction sera consacrée à la présentation de l’architecture de ce travail, à partir de

notre positionnement épistémologique et méthodologique, avant de décrire la démarche

générale et le plan de recherche retenu (I.3.).

I.1.) Le contexte général de la recherche

Dans son rapport « Faciliter la transmission d’entreprise » (2013, p. 1) la Commission

Européenne désigne par transmission d’entreprise, «le transfert de la propriété d’une

entreprise à une autre personne ou entreprise qui assure la continuité de l’existence et de

l’activité commerciale de l’entreprise reprise. Cette transmission peut s’effectuer entre

parents d’une même famille, par rachat de l’entreprise par les employés (cession à des

dirigeants/employés n’appartenant pas à la famille de l’entrepreneur) ou par cession à des

personnes extérieures ou des sociétés existantes, y compris dans le cas d’une prise de

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contrôle ou d’une fusion». Deschamps (2000, p. 421) la définit comme un processus, qui par

une opération de rachat, aboutit « à la continuation de la vie de la cible, en difficulté ou non »,

et de tout ce qu’elle contient (structure, ressources humaines, financières, techniques,

commerciales, etc.). Il s’agit d’une opération qui débute au moment où le dirigeant d’une

entreprise décide de céder son affaire et qui se poursuit au moment de l’entrée en fonction du

repreneur. Ce phénomène peut être analysé sous différents angles, ce qui explique qu’on le

retrouve sous diverses appellations. Le terme « transmission » est utilisé lorsque l’on envisage

l’opération du point de vue du cédant. Il s’agit donc de vendre l’entreprise pour en assurer sa

continuité. Quant au terme de reprise, il évoque l’arrivée d’un nouveau dirigeant, le repreneur

s’engageant dans l’organisation pour en assurer la continuité. En réalité, les deux expressions

évoquent la même opération, seule l’optique diffère (Siegel, 1989). Nous plaçant dans la

perspective du repreneur qui entre dans une entreprise en fonctionnement, nous adopterons le

terme de reprise pour analyser le phénomène.

Compte tenu des estimations sur le nombre d’entreprises à céder dans les dix

prochaines années en France (environ 630 000 entreprises, Pinel, 2013), la reprise

d’entreprise apparaît de plus en plus comme un sujet politique et économique de premier plan.

Le phénomène est important et il est amené à durer, voire à s’amplifier dans les prochaines

années, comme le souligne la députée de l’Hérault Dombre-Coste dans son rapport remis au

gouvernement (rapport Dombre-Coste, 2015). De nombreux observateurs mettent en avant les

enjeux en termes d’emploi et de préservation de la vitalité économique des territoires. Les

perspectives sont alarmantes. Premièrement, faute de repreneurs, des milliers d’entreprises

fermeront dans un futur proche. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE,

2013)4 évalue ainsi à environ 120 000 entreprises (soit 22% des entreprises commerciales) le

nombre d’entreprises susceptibles de fermer en France dans les dix ans à venir, en raison du

départ à la retraite de leur dirigeant. Autre élément d’importance à prendre en considération

une fois l’entreprise reprise : rien ne garantit sa continuité, le taux d’échec demeurant

relativement élevé5.

Pourtant alerter à de nombreuses reprises, dès le début des années 1990, par la

Commission européenne qui voit dans la reprise « l’un des dossiers clés de la politique de la

Commission européenne en faveur des entreprises » (Commission européenne, 2013), la

4 Chiffres cités dans le « Plan d’action pour le commerce et les commerçants » du 19 juin 2013.

5 Environ 20 % des entreprises transmises échouent dans les 5 premières années et 30 % dans les 7 années

suivant l’opération (Haddadj et D’andria, 2001, p. 11).

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France n’a saisi que tardivement l’importance du phénomène. Les décideurs politiques de ce

pays ont été davantage focalisés sur l’incitation à la création d’entreprises ou préoccupés par

la sauvegarde d’entreprises en difficulté. Toutefois, cette tendance s’est inversée au début des

années 2000. Le constat d’un faible nombre de transactions enregistrées et d’un vieillissement

effectif des dirigeants d’entreprises suscite inquiétudes et réactions. Les chambres consulaires

se saisissent également du problème et initient à leur tour différentes actions : sensibilisation à

la transmission et à la reprise, bourses d’opportunités, sites Internet, etc.

Concernant la communauté scientifique francophone, la reprise d’entreprise reconnue

dorénavant comme un acte entrepreneurial à part entière, au même titre que la création ex-

nihilo (Paturel, 2007), demeure encore un sujet peu traité en dépit d’un nombre croissant de

chercheurs intéressés par la question (De Freyman, 2010). Compte tenu de l’ampleur du

phénomène, des conséquences sur l’équilibre socioéconomique du pays, des attentes

exprimées par les repreneurs eux-mêmes, les besoins en termes de connaissances sont

pourtant de plus en plus criants.

I.2.) La construction de l’objet de la recherche

D’abord, pour une meilleure compréhension de ce travail par le lecteur, il nous semble

opportun d’en décrire brièvement ses origines et ses fondements. La construction de notre

objet de recherche est, en effet, le résultat d’un processus long et non linéaire, relativement

marqué par notre expérience professionnelle.

L’idée de débuter un travail sur la reprise d’entreprise a germé il y a quelques années,

lorsque dirigeant d’une TPE du secteur commercial, nous avons eu l’occasion de côtoyer

régulièrement (quelquefois quotidiennement) un repreneur emprunt à d’importantes

difficultés, particulièrement avec son personnel, dès son arrivée dans l’entreprise. Les raisons

invoquées par ce dirigeant, déjà rompu à la reprise d’entreprise, étaient qu’il n’avait pas pu

établir un climat de travail serein avec les salariés déjà présents dans l’organisation. Ces

derniers manifestaient à son égard une attitude hostile et semblaient ne pas accepter le

changement de dirigeant. Malheureusement, nous avons pu observer le désarroi de ce

repreneur et la fermeture définitive de l’établissement moins de trois ans après sa reprise.

Quelques années plus tard, ayant vendu cette TPE, nous songions à une reconversion

professionnelle, notamment dans l’enseignement supérieur. Intervenant auprès de plusieurs

centres de formation et d’une Université, nous avons eu l’occasion de consulter différents

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écrits sur l’entrepreneuriat et d’affiner un peu plus ce qui allait devenir notre sujet de

recherche. Début 2013, nous avons eu l’opportunité d’échanger avec le Professeur Robert

Paturel, spécialiste de l’entrepreneuriat ayant dirigé les thèses de Doctorat de plusieurs

chercheurs sur le sujet. Suite à nos échanges, l’intérêt d’une recherche sur cette thématique fut

conforté et une collaboration envisagée.

Au fil de nos lectures, nous avons constaté assez rapidement le manque de

connaissances théoriques concernant la reprise d’entreprise, plus particulièrement celles

portant sur l’entrée en fonction du repreneur TPE. Les travaux consacrés à la fois sur la TPE

et sur la reprise sont, en effet, très rares. Cette situation nous a semblé paradoxale dans la

mesure où il s’agit d’une problématique concernant des milliers d’organisations et d’un

phénomène appelé à se développer dans les prochaines années. Parallèlement, nous avons

relevé qu’il n’est mis à la disposition des repreneurs de TPE que peu d’outils opérationnels

pour expliquer et faciliter leur entrée en fonction dans l’entreprise. La plupart des instruments

qui leur sont proposés concernent l’aspect financier et « technique » de la reprise

(Boussaguet, 2005) et ne se focalisent que sur les « différents blocages » pouvant survenir

avant la vente.

I.2.1.) L’entrée en fonction du repreneur de TPE : émergence d’une thématique de recherche

Scientifiquement, la reprise d’entreprise a été décrite pour la première fois par

Deschamps (2000) dans sa thèse de doctorat, sous la forme d’un processus en trois actes : le

processus relatif à la décision de reprendre, le processus qui conduit l’individu au rachat

d’une entreprise, et l’entrée en fonction du repreneur dans l’entreprise rachetée qui lui confère

son rôle de nouveau propriétaire-dirigeant. La période d’entrée en fonction est scindée en

deux phases distinctes : la période de transition entre le cédant et le repreneur (si elle a lieu),

puis l’intégration du nouveau propriétaire dans l’entreprise, désignée sous le terme de

«management de la reprise ». La dernière étape du processus repreneurial est celle qui nous

intéresse pour cette recherche : la prise de fonction du repreneur apparaissant comme un

événement déstabilisant pour tous les acteurs du processus.

A ce stade du processus repreneurial, le repreneur se retrouve dans une position

délicate. Il doit, en même temps, découvrir le fonctionnement de l’entreprise, manager puis

affirmer son leadership devant une équipe qu’il ne connaît pas et assurer la continuité des

relations avec des partenaires extérieurs, également méconnus. Cela s’apparente à un exercice

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d’équilibriste et consiste à prendre pied au sein d’une structure déjà formée sans trop la

perturber, à s’insérer dans un tissu d’interactions pour en comprendre le fonctionnement, tout

en expliquant le changement. Vivant lui-même un changement personnel et professionnel

émotionnellement intense, il se trouve en position de gérer l’un des plus gros changements, si

ce n’est le plus gros changement, vécu par l’organisation.

L’arrivée d’un nouveau dirigeant est également fortement déséquilibrante pour

l’organisation. Pour Boussaguet (2005, p. 81), il s’agit d’un changement majeur pour deux

principales raisons : « premièrement parce qu’il touche aux fondements de l’organisation et

qu’il s’attaque simultanément à tous les éléments au cœur de l’organisation (…),

deuxièmement parce que ses effets sur les membres de l’organisation sont alors profonds et

déstabilisants ». Deschamps et Paturel (2009) évoquent quant à eux un changement

organisationnel ambivalent, le changement de dirigeant créant à la fois une « rupture » dans la

gestion et une «continuité » dans la poursuite de l’activité. Ces auteurs relèvent une difficulté

accrue pour le repreneur d’une entreprise saine dans la mesure où les réactions des salariés

face à ce changement peuvent être négatives. Ces derniers peuvent légitimement se poser la

question du pourquoi changer lorsque tout fonctionne bien et depuis longtemps.

Le changement apparaît être un thème important lorsque l’on aborde le sujet de la

reprise d’entreprise et l’entrée en fonction du repreneur (Donckels, 1995 ; Deschamps et

Paturel, 2005 ; Boussaguet, 2005). Il est de surcroît largement évoqué par les repreneurs et les

praticiens eux-mêmes, pour expliquer les difficultés rencontrées au cours de cette période.

Paradoxalement, le changement dans le cadre repreneurial, puis son impact sur les relations

entre acteurs, n’ont que peu fait l’objet de travaux académiques. Cette carence semble

d’autant plus vraie lorsqu’il s’agit des TPE. Les spécificités caractérisant la TPE rendent

pourtant l’événement particulièrement intense sur le plan émotionnel et relationnel. Très

souvent, dans ce type d’entreprise et pour ne pas faire achopper la vente, le changement

imminent de dirigeant n’est pas annoncé. Il est alors vécu comme une surprise, une

nouveauté, une interruption (Boussaguet, 2005) dans le flux courant des activités. A ce stade

du processus repreneurial, la confusion est souvent présente. De multiples questions assaillent

à la fois le repreneur et les salariés. L’ambiguïté de l’événement bouscule les repères habituels

des individus. Il n’est pas rare de constater des réactions de stupéfaction, de dépit et même de

mécontentement s’exprimer. Les relations qui s’installent entre acteurs organisationnels

conditionnent la poursuite de l’activité.

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Le sujet central de cette thèse porte sur les interprétations et les interrelations qui se

développent entre les salariés et les repreneurs de TPE durant la période de management de la

reprise, période de changement intense. Nous souhaitons focaliser notre attention sur les

multiples interactions développées, puis entretenues, par les acteurs qu’ils soient anciens ou

nouveau dans l’organisation, de manière à rendre intelligible la situation et reconstituer un

système d’actions coordonnées. Pour analyser en profondeur cette période charnière de la vie

d’une organisation, nous avons recours principalement aux théories du sensemaking (Weick,

1979 ; Gioia et Chittipeddi, 1991). Nous pensons que cette approche interprétative du

changement, ancrée dans le courant interactionniste, devrait nous aider à mieux comprendre

ce qui se passe lors de l’entrée en fonction du repreneur. Peu utilisées en France,

particulièrement dans les sciences de gestion, les théories du sensemaking permettent

d’appréhender « en gros plan » les mécanismes en jeux au cours de la période du management

post-reprise. Elles fournissent une grille de lecture innovante et originale quant à la manière

dont ceux qui sont confrontés à un changement répondent à la question : « Que se passe-t-

il ? » ou encore «comment faire sens dans une situation donnée ou face à un événement

impromptu, déstabilisant ? » (Giroux, 2006, p. 27).

Basée sur l’étude des interactions entre acteurs, l’approche par le sensemaking

décortique, puis explique, la construction ou la déconstruction du sens au sein d’une

organisation en perpétuel mouvement. Elle nous éclaire sur les dynamiques organisationnelles

à l’oeuvre. Comprendre comment les individus parviennent à s’entendre, à coordonner leurs

actions, afin de développer et maintenir un système d’actions organisées, tel est le fil

conducteur des travaux sur le sensemaking. Au sein de ce cadre conceptuel, la thématique du

changement est placée au centre du raisonnement. Le changement crée des situations de

« microstabilités » (consensus transitoires) et doit déboucher sur une adaptation des individus

à leur environnement.

Face à une interruption du flux d’actions routinier et à l’équivocité provoquée par

l’arrivée du repreneur, la construction collective de sens apparaît être la solution. Via un

processus dénommé « double interact », les différents acteurs organisationnels (salariés et

repreneur) partagent leurs représentations du réel afin de se mettre d’accord sur les actions à

entreprendre et les comportements à adopter (Allard-Poesi, 2003). Il appartient au repreneur,

en tant que nouveau leader, d’engager, puis de maintenir le processus de construction

collective de sens.

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A travers ce cadre théorique, nous envisageons d’apporter un éclairage supplémentaire

et inédit sur la dimension humaine du management post-reprise d’une TPE, afin d’en

améliorer la compréhension et gestion par les repreneurs.

I.2.2.) Questions et intérêts de la recherche

L’objet d’une recherche est la « question générale (ou encore la problématique) que la

recherche s’efforce de satisfaire, l’objectif que l’on cherche à atteindre. C’est en quelque

sorte la réponse à la question : « Qu’est-ce que je cherche ?» (Allard-Poesi et Maréchal,

2014, p. 48). La question générale qui nous a servi de fil conducteur tout au long de cette

recherche est la suivante :

Comment se déroule l’entrée en fonction du repreneur au sein d’une TPE ?

La revue de la littérature nous a permis d’insérer le phénomène étudié dans un cadre

d’analyse. Les travaux portant sur la spécificité des TPE, les théories du sensemaking et du

leadership se sont révélés particulièrement féconds pour obtenir des éléments de réponses aux

nombreuses questions que nous nous sommes posées. Ils nous permettent d’appréhender

l’arrivée d’un nouveau dirigeant au sein d’une petite structure comme un changement majeur,

générateur d’équivocité, nécessitant une activité de reconstruction collective de sens dirigée

par le repreneur. Elle soulève de nombreuses incompréhensions, modifie les rapports entre

individus, la répartition des rôles et des responsabilités au sein du système d’actions

organisées. Néanmoins, la connaissance des mécanismes et des facteurs qui influencent la

construction de sens au sein d’une TPE, nous a semblé encore largement insuffisante. Pareil

constat nous a amené à investiguer rapidement le terrain. Au cours de notre approche

empirique, nous avons pu confirmer l’importance du changement dans l’esprit des acteurs et

le rôle de premier plan joué par le repreneur dans le processus de reconstruction collective de

sens.

Page 19: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

18

Ceci nous a conduit à formuler la question de recherche principale :

Comment le repreneur de TPE saines peut-il, durant la période de management

de la reprise, mieux réussir le changement ?

De cette question principale de recherche découlent quatre questions subsidiaires :

Question de recherche 1 : L’arrivée dans la TPE du repreneur engendre-t-elle de

l’équivocité ; si oui, comment est-elle exprimée ?

Question de recherche 2 : Peut-on décrire le processus de reconstruction collective de

sens post-reprise, et si oui, quelles en sont ses étapes ?

Question de recherche 3 : Quels sont les facteurs influençant la création ou la perte de

sens pendant la période de management post-reprise d’une TPE ?

Question de recherche 4 : Comment un repreneur de TPE, en tant que nouveau leader de

l’entreprise, peut-il favoriser la création collective de sens ?

Afin de répondre à ces interrogations, nous nous sommes assigné plusieurs objectifs :

Objectif n°1 : Décrire le processus de reconstruction collective de sens post-reprise

consécutif au changement de dirigeant et en offrir une modélisation.

Nous souhaitons mettre en lumière les dynamiques interactionnelles consécutives à l’entrée

en fonction du repreneur et la manière dont elles s’articulent pour construire collectivement

du sens et donner naissance à un nouveau système d’actions organisées.

Objectif n°2 : Définir quels sont les facteurs de création et de perte de sens pouvant être

rencontrés lors de cette étape.

Nous souhaitons identifier les facteurs et éléments exerçant une influence sur le processus de

reconstruction collective de sens post-reprise.

Objectif n°3 : Montrer comment le repreneur de TPE en tant que nouveau leader peut

influer sur le processus de sensemaking.

Nous souhaitons mettre en évidence les effets du comportement et des actions du

repreneur sur l’émergence, puis le maintien, du processus.

Page 20: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

19

Afin de répondre aux questions et objectifs de recherche, nous proposons une étude

empirique menée auprès d’une population de repreneurs et de salariés de TPE récemment

reprises. L’intérêt de cette recherche se situe à différents niveaux : théorique, méthodologique

et pratique.

Intérêt théorique

Ayant constaté le faible nombre de travaux académiques consacrés à la reprise de

TPE, particulièrement en ce qui concerne la période du management post-reprise, il nous a

semblé judicieux d’entreprendre une recherche dans ce domaine. A travers cette démarche,

nous répondons à un intérêt de plus en plus prononcé des chercheurs quant à l’éclaircissement

des phénomènes se produisant au cours de chacune des étapes du processus repreneurial.

Nous pensons qu’apporter une description nouvelle du fonctionnement des entreprises en

situation inhabituelle, contribue à mieux comprendre l’objet « organisation » et, par la même,

à faire progresser les sciences de gestion.

Les travaux sur la TPE et sur la construction de sens ont été mobilisés pour notre

recherche. L’utilisation des théories du sensemaking est, à notre connaissance, inédite dans

les travaux sur la reprise et s’avère particulièrement fertile pour comprendre les perceptions

qu’ont les acteurs de l’événement et les dynamiques interactionnelles qui s’enclenchent pour

donner naissance à l’action organisée.

Intérêt méthodologique

Pour étudier en profondeur l’entrée en fonction du repreneur, nous avons opté pour

une approche multi-acteurs. Nous avons souhaité enrichir l’analyse de cette période en nous

appuyant à la fois sur les interprétations des repreneurs et des salariés. En procédant de la

sorte, nous pensons avoir permis une triangulation des sources des données nécessaire pour

s’extraire, en partie, des représentations individuelles purement subjectives, et obtenir notre

propre interprétation du processus étudié.

En outre, en complément à une lecture interprétative du changement telle que

préconisée par les théories du sensemaking, nous avons eu recours à l’analyse contextualiste

mise au point par Pettigrew (1985). La combinaison de ces deux approches s’est révélée

particulièrement efficace puisqu’elle nous a permis d’identifier de manière plus précise les

facteurs qui influencent le processus.

Page 21: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

20

Intérêt pratique

A travers cette recherche, nous souhaitons apporter aux futurs repreneurs de TPE ainsi

qu’à leurs accompagnants, une meilleure compréhension des phénomènes humains et sociaux

au moment de la reprise. Notre ambition est de proposer un cadre réflexif plus global,

dépassant la simple vision purement comptable et fonctionnelle généralement retenue. Nous

désirons attirer l’attention des praticiens sur la période de l’après reprise, cruciale dans la

poursuite de l’activité, et les sensibiliser sur son impact au sujet de la vie des acteurs et sur

leurs rapports.

La préoccupation pratique qui nous guide, consiste à offrir aux praticiens une

modélisation des mécanismes qui génèrent l’action organisée et des facteurs qui l’influencent.

Il s’agira d’insister sur l’importance de la dimension humaine et sur le rôle et la responsabilité

de l’ensemble des acteurs, en premier lieu ceux du repreneur dans la réussite ou l’échec de

l’entrée dans l’entreprise d’un nouveau dirigeant.

I.3.) Le design de la recherche

Royer et Zarlowski (2014, p. 169) définissent le design ou l’architecture de la

recherche comme « la trame qui permet d’articuler les différents éléments d’une recherche :

problématique, littérature, données, analyse et résultats ». Chaque recherche étant unique, il

s’agit ici d’expliquer au lecteur la logique de l’ensemble de notre démarche et la cohérence de

tous les éléments qui la composent. Nous présentons, dans les sous-sections suivantes, le

positionnement épistémologique de notre recherche, les choix méthodologiques qui ont été

faits pour générer des connaissances ainsi que la démarche générale et le plan de notre thèse.

I.3.1.) Le positionnement épistémologique

Définie par Piaget (1967, p. 6) comme « l’étude de la constitution des connaissances

valables », l’épistémologie s’intéresse principalement aux questions « Qu’est-ce que la

connaissance ? Comment est-elle élaborée ? Quelle est sa valeur ? » (Gavard-Perret et al.,

2008, p. 7). Toute démarche de recherche s’appuie sur une certaine vision du monde, utilise

une méthodologie, propose des résultats visant à comprendre, expliquer, prédire ou

transformer (Allard-Poesi et Perret, 2014). Quelle que soit la finalité retenue, il apparaît

essentiel au chercheur de s’interroger et d’expliciter ses présupposés épistémologiques. Pareil

exercice confère une légitimité à son travail et aux choix qui en découlent.

Page 22: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

21

Préalablement à l’explicitation de notre positionnement épistémologique, il nous

semble important de nous attarder un moment sur la nature de la réalité que nous pensons

appréhender, ainsi que sur le statut de la connaissance que nous voudrions produire. Dans

notre conception ontologique des choses, nous n’abordons pas les phénomènes sociaux

comme composante d’une réalité indépendante de l’esprit et des descriptions qui en sont

faites, mais plutôt comme une réalité construite et tributaire des contingences normatives,

conventionnelles et idéologiques, qui président aux modalités de son existence. Telle que

nous la concevons, la réalité est un construit résultant des interprétations et échanges

intersubjectifs entre acteurs. De la même manière, la connaissance que nous souhaitons

produire résulte des interactions entre acteurs organisationnels auditionnés et le chercheur.

Elle passe par la compréhension d’une situation à partir du sens que les individus donnent à la

réalité et de notre propre compréhension et interprétation de la réalité telle qu’elle est décrite

pas les acteurs.

Notre recherche vise à comprendre les phénomènes en jeu lors de l’entrée en fonction

du repreneur au sein d’une TPE et la manière dont se (re)crée l’action organisée. Nous

accèderons à ces phénomènes par le biais des interprétations des acteurs (repreneurs et

salariés). Ces interprétations résultent elles-mêmes des échanges intersubjectifs qu’ils

entretiennent. Il ne s’agit pas d’expliquer, mais de comprendre l’entrée en fonction du

repreneur et la constitution d’un nouveau système d’actions organisées à travers la

signification donnée à l’événement, puis à travers les dynamiques interactionnelles qui se

créent. Par le biais d’échanges avec les repreneurs et salariés, nous essaierons de construire

une réalité sociale. Cet exercice devra aboutir, à terme, à une modélisation circonstanciée du

processus de reconstruction collective de sens post-reprise et de ses facteurs d’influence.

Comme nous venons de le voir, la réalité objective, universelle et disposant d’une

essence propre telle que définie dans le paradigme épistémologique positiviste, semble assez

éloignée de notre vision du monde et des objectifs de notre recherche. L’inscription dans un

paradigme constructiviste ne semble pas non plus nous convenir. Nous ne cherchons pas à

inscrire la connaissance produite dans une orientation pragmatique et dans une finalité à visée

transformative (Thietart, 1999). Bien qu’ayant multiplié les interactions avec les repreneurs et

les salariés dans leur environnement et sollicité leur concours, notamment lors de la

présentation des résultats, nous ne prétendrons pas avoir influencé significativement et

durablement leurs actions. Le paradigme épistémologique interprétativiste semble le plus

Page 23: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

22

approprié pour caractériser notre conception du réel et la nature de la relation que nous

entretenons avec l’objet.

I.3.2.) Les choix méthodologiques

Le raisonnement qui sous-tend une démarche de recherche peut être de type déductif,

inductif ou abductif (figure 1).

La logique déductive permet de démontrer, de générer des conséquences (David,

1999). Elle se caractérise par le fait que si les hypothèses formulées initialement (prémisses)

sont vraies, alors la conclusion doit nécessairement être vraie. La logique inductive permet de

passer du particulier au général, de la constatation de certains faits aux lois, des effets à la

cause, et des conséquences aux principes (Charreire Petit et Durieux, 2014). Enfin, la logique

abductive a été expliquée par Koenig (1993b) de la manière suivante : « l’abduction est

l’opération qui, n’appartenant pas à la logique, permet d’échapper à la perception chaotique

que l’on a du monde réel par un essai de conjecture sur les relations qu’entretiennent

effectivement les choses (…). L’abduction consiste à tirer de l’observation des conjectures

qu’il convient ensuite de tester et de discuter».

Figure 1 - Modes de raisonnement et connaissance scientifique

Source : Charreire-Petit et Durieux (2014, p. 82).

Lois et théories

Logique inductive

Logique déductive

Conceptualisations (hypothèses, modèles,

théories)

Démarche abductive

Démarche hypothético-

déductive

Faits établis par

l’observation

Explications et prédictions

Page 24: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

23

La relation entre la théorie et les observations empiriques conditionne le mode de

raisonnement choisi (figure 2). Dans un cas, la connaissance précède l’expérience empirique

(démarche hypothético-déductive). Dans l’autre, l’expérience empirique précède la

connaissance (démarche inductive). Entre les deux, la connaissance se construit par

interaction entre la théorie et les données empiriques (Mbengue et Vandangeon-Derumez,

1999).

Figure 2 - La relation entre la théorie et les observations empiriques

Source : Mbengue et Vandangeon-Derumez (1999, p. 6).

La démarche d’induction non démonstrative (ou abduction) correspond à celle que

nous avons adoptée au cours de cette recherche. Nous avons choisi de procéder par des allers

et retours successifs entre observations empiriques et théories (sensemaking, leadership,

spécificité de la TPE) afin d’appréhender l’entrée en fonction du repreneur, et en construire

une représentation intelligible. Par un tel procédé, nous souhaitons édifier progressivement

des connaissances en relation avec les savoirs existants (Gavard-Perret, Gotteland, Haon et

Jolibert, 2012).

La recherche en sciences de gestion se caractérise par deux grandes orientations :

l’exploration ou le test d’un objet théorique (Baumard et Ibert, 2014). Dans la première, le

chercheur élabore des propositions de résultats théoriques novateurs. Il s’agit de découvrir ou

L’expérience empirique précède la connaissance

La connaissance précède l’expérience empirique

La connaissance

se construit

Démarche hypothético-déductive de vérification : la recherche consiste à s’enquérir des observations qui se soumettent à la théorie.

Démarche hypothético-déductive de falsification : la recherche consiste à s’enquérir des observations qui ne se soumettent pas à la théorie (Popper, 1984).

Démarche hypothético-inductive : la recherche consiste à alterner ou superposer la déduction et l’induction (Crozier et Friedberg, 1977, Miles et Huberman, 1991, Glaser et Strauss, 1967, Pettigrew, 1985).

Démarche constructive : la recherche consiste à fabriquer des construits pour rendre compte d’un processus de construction (Le Moigne, 1985).

Démarche

d’induction non

démonstrative:

la recherche

consiste à

émettre à partir

des observations

des conjectures

qu’il convient de

tester par la

suite (abduction

selon Koenig,

1993 ou

adduction selon

Blaug, 1982).

Démarche inductive démonstrative: la recherche consiste à observer librement et sans préjugés, et à tirer de cette observation des lois universelles.

Page 25: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

24

d’approfondir une structure ou un fonctionnement à la recherche d’explication et de

compréhension. Dans la seconde, le chercheur confronte à la réalité un ou des objets

théoriques ou méthodologiques (Charreire Petit et Durieux, 2014). Compte tenu du peu de

littérature concernant la reprise d’entreprise, particulièrement sur la période d’entrée en

fonction du repreneur, ainsi que de la complexité des phénomènes marquant cette étape du

processus repreneurial, nous avons choisi la voie de l’exploration. Malgré les réels apports

des travaux antérieurs, nous pensons qu’il subsiste encore un réel besoin de construction

théorique quant aux processus en jeu durant la période du management post-reprise.

Nous avons opté pour une démarche qualitative. Une telle approche présente l’intérêt

de se rapprocher au plus près des interprétations des acteurs et offre l’opportunité d’une

confrontation avec des réalités multiples (Baumard et Ibert, 2014). Elle sert principalement à

construire, enrichir ou développer des théories et peut prendre la forme d’étude de cas unique

ou multiples (Royer et Zarlowski, 2014). La méthode que nous avons retenue est la méthode

de cas multiples dans la mesure où elle permet d’expliquer un phénomène dans son

environnement naturel et d’identifier des invariants parmi les cas étudiés. La collecte des

données s’est principalement faite par entretiens semi-directifs (31 au total) auprès d’une

population de repreneurs et de salariés de 10 TPE de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Nous

avons également eu recours à l’observation et à l’analyse documentaire. L’intégralité des

données a fait l’objet d’un traitement par analyse de contenu à l’aide d’un logiciel d’analyse

qualitative (NVivo-10©) et d’outils recommandés par Miles et Huberman (2003).

I.3.3.) L’architecture de la recherche

Notre recherche doctorale est structurée en deux grandes parties.

Ø Partie 1: le cadre conceptuel de la reprise de TPE saines.

La première partie de notre travail est consacrée au cadre théorique de la recherche et

se compose de deux chapitres. Dans le premier chapitre, nous tenterons de définir l’objet TPE

en discernant ses spécificités, puis nous observerons l’impact de ces dernières sur la reprise.

Après avoir situé le processus repreneurial au sein du champ de l’entrepreneuriat, nous nous

interrogerons sur les difficultés internes au moment de l’entrée en fonction du repreneur

personne physique au sein de la TPE saine. Nous montrerons que l’essentiel des difficultés est

lié aux réactions humaines face au changement. Dans le second chapitre, nous examinerons le

rôle du repreneur en contexte de changement organisationnel majeur à travers les théories du

Page 26: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

25

sensemaking et du leadership choisies en tant que cadre d’analyse. Le concept de

reconstruction collective de sens post-reprise sera défini, puis inscrit dans la question générale

de recherche.

Ø Partie 2 : vers une modélisation du processus de reconstruction collective de sens

post-reprise et de ses facteurs d’influence.

La deuxième partie de notre travail est consacrée à l’étude empirique. Dans le premier

chapitre, nous exposerons la méthodologie de la recherche. L’utilisation d’une étude

qualitative, puis d’une étude de cas multiples, comme moyen d’accès au réel est justifiée. Le

protocole d’analyse des données sera ensuite exposé. Dans le second chapitre, nous

présenterons les résultats de la recherche. Le processus de reconstruction collective de sens

post-reprise y sera décrit, ainsi que les facteurs qui l’influencent. Nous terminerons par une

discussion sur les résultats de la recherche et par l’émission de propositions.

Nos principaux résultats nous amènent à défendre la thèse suivante :

La conclusion générale reprendra la logique de construction de notre travail et

abordera les principaux apports ainsi que les limites de notre recherche. Les perspectives de

recherches futures seront ensuite évoquées.

La réussite de la reprise d’une TPE saine par un repreneur externe passe par un

processus de reconstruction de sens post-reprise influencé par des facteurs

individuels, organisationnels et contextuels.

Page 27: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

26

Page 28: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

27

Première partie :

Le cadre conceptuel de la reprise de TPE saines

Page 29: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

28

En raison des enjeux économiques et sociaux qu’elle soulève, la transmission-reprise

d’entreprise et les problématiques qui y sont associées, constituent aujourd'hui un sujet

majeur, tant sur le plan politique que scientifique. Les études récentes (Direction Générale du

Trésor, 2013 ; Banque Populaire Caisse Epargne, 2015) révèlent qu’un nombre considérable

d’entreprises sont ou seront concernées par une telle opération dans les prochaines années.

Beaucoup d’entre elles, faute de repreneurs, sont condamnées à la fermeture, entraînant dans

leur sillage la disparition de milliers d’emplois (environ 30 000 entreprises cessent leur

activité chaque année provoquant la suppression de 37 000 emplois ; BPCE, 2011 ; Rapport

Dombre-Coste, 2015). D’autres, en raison de difficultés importantes rencontrées après la prise

de fonction du repreneur, ne résistent pas au changement de leur dirigeant et cessent

définitivement leur activité, avec pour conséquence, là aussi, une perte massive d’emplois.

C’est ce second cas de figure qui nous intéresse particulièrement et c’est là, plus précisément,

au moment où le repreneur prend seul les rênes de l’entreprise, que nous inscrivons notre

recherche doctorale, bien que, de plus en plus reconnue comme une étape déterminante du

processus (Boussaguet, 2005 ; Deschamps et Geindre, 20096), la littérature demeure encore

relativement discrète à son sujet (Picard, 2009). Ainsi, à travers ce travail, nous nous

évertuons à apporter notre contribution aux besoins de connaissances scientifiques

supplémentaires, notamment en termes de conceptualisation (Paturel, De Freyman et

Richomme-Huet, 2008), sur les phénomènes à l’œuvre lors de l’entrée en fonction du

nouveau dirigeant.

La première partie de ce travail vise à déterminer le cadre conceptuel de la reprise de

TPE saines. Nous consacrerons le premier chapitre à l’étude de l’objet TPE en dépassant les

seuls critères quantitatifs généralement utilisés. Nous mettrons en exergue les spécificités de

ce type d’entreprise et étudierons les impacts que ces dernières peuvent avoir sur la reprise.

Nous présenterons ensuite la reprise d’entreprise, ses enjeux économiques et sociaux, puis

l’inscrirons dans le champ de l’entrepreneuriat. Après avoir défini les trois grandes étapes du

processus repreneurial pour une personne physique externe, nous positionnerons notre

recherche sur la dernière d’entre elle, à savoir le management de la reprise. Pour finir, nous

entreprendrons une réflexion sur les différentes difficultés susceptibles d’être rencontrées à ce

moment précis du processus repreneurial.

6 Pour les auteurs, la reprise est un processus risqué, « l’arrivée d’un nouveau dirigeant est (…) de nature à

déstabiliser une organisation, parfois au point de la détruire » (p. 1).

Page 30: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

29

Le second chapitre sera consacré au rôle du dirigeant en contexte de changement

organisationnel. Après examen des différentes typologies et des modèles de gestion du

changement, nous appréhenderons la RPP d’une TPE saine comme un changement

organisationnel majeur. Nous verrons en quoi une approche interprétative du changement,

plus exactement une approche prenant racine dans les théories du sensemaking, constitue un

cadre théorique particulièrement riche et adapté à l’objet de notre recherche. Une revue de

littérature portant sur les principales approches du leadership viendra compléter notre analyse.

Le changement de dirigeant apparaîtra alors comme un changement écologique, appelant une

reconstruction collective de sens de la part de tous les individus afin de mieux le réussir. Dans

ce cas précis, nous verrons en quoi le repreneur de TPE, en tant que nouveau leader disposant

d’un pouvoir d’action supérieur aux autres acteurs, constitue un élément déterminant dans

l’émergence d’un nouveau système d’actions organisées.

Page 31: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

30

Chapitre 1 - La reprise d’une TPE : caractéristiques et particularités

Parmi toutes les entreprises reprises ou qui le seront à l’avenir, beaucoup sont des

TPE. En France, ce genre d’entreprise demeure effectivement très largement majoritaire,

environ 7 entreprises sur 10 en activité étant des entreprises de moins de 10 salariés (INSEE,

2015). Ce premier chapitre vise à étudier les caractéristiques et particularités de la reprise

d’une TPE par un repreneur externe.

Dans une première section, nous tenterons de définir le concept de TPE en dépassant

la seule lecture quantitative habituellement retenue. Nous remarquerons l’utilité d’une

approche complémentaire de nature qualitative pour mieux cerner le fonctionnement

particulier de ce type d’entreprise. Bien que ne présentant pas tout à fait les mêmes

caractéristiques et compte tenu du peu de littérature à son sujet, un détour par les nombreux

travaux portant sur la PME s’avérera fécond. Nous verrons en quoi la TPE est spécifique et

que ses singularités, notamment celles ayant trait à l’importance des relations

interpersonnelles (Dandridge, 1979) et au rôle central du dirigeant, rendent complexe et

spécifique leur reprise.

Dans une seconde section, nous définirons ce qu’est la reprise d’entreprise, ce qu’elle

représente à travers son appartenance au champ disciplinaire entrepreneurial. Les enjeux liés

au facteur humain durant la période de prise en main de l’entreprise par le repreneur, seront

ensuite abordés et précisés.

Page 32: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

31

Section 1 - La TPE : des spécificités impactant la reprise

Les très petites entreprises (TPE) sont unanimement reconnues, tant par les pouvoirs

publics que par la communauté scientifique, pour leur poids considérable dans l’économie.

Leur pérennité, leur développement et le bon déroulement de leur transmission constituent un

enjeu majeur pour l’emploi et la vitalité économique et social du pays. Toutefois, ces

entreprises sont confrontées à de nombreuses difficultés avec le poids des charges sociales

jugées élevées7, les obstacles pour recruter et fidéliser le personnel, mais aussi pour obtenir

des financements, trouver un repreneur, etc. Le maintien et le développement d’un tissu

important de TPE dans le pays semble néanmoins devenir une préoccupation, aussi bien pour

les autorités gouvernementales que pour les acteurs économiques locaux. Malgré le récent

intérêt porté à la TPE par de nombreux acteurs économiques et politiques 8 et par une partie

de la communauté scientifique9, il n’en demeure pas moins qu’elles restent relativement peu

connues. Au niveau académique, de profondes lacunes concernant la TPE en tant qu’objet de

recherche sont dénoncées par plusieurs auteurs (Ferrier, 2002 ; Pacitto, Julien et Meier, 2002 ;

Marchesnay, 2003 ; Foliard, 2008 ; Jaouen et Torres, 2008, Mallard, 2011). Certains

attribuent le faible engouement des chercheurs à la forte complexité les caractérisant (Foliard,

2010). Pour Marchesnay (2011, p. 7), les entreprises de petites tailles auraient été victime

d’un « double ostracisme » lié à leur faible compétitivité économique, qualifiée par l’auteur

de « sous-dimension », et à leur « médiocre légitimité sociale (les « classes moyennes

inférieures») ». Le constat d’une faible connaissance de la TPE au regard de leur importance

économique et sociale a conduit certains auteurs à entreprendre des recherches qui leur sont

entièrement dédiées. C’est avec cette même volonté d’une meilleure compréhension du

fonctionnement de la TPE que nous conduisons cette recherche.

7 Ce constat, très largement exprimé par les patrons de TPE rencontrés au cour de notre recherche, trouve son

incarnation dans la marche de l’association « Sauvons nos entreprises » (créée en Janvier 2011) entre NIORT et PARIS au mois de février 2014. Le but de cette action était de sensibiliser les élus et le grand public à la situation des TPE-PME, notamment en matière de taxes sociales jugées « écrasantes ». www.sauvonsnosentreprises.fr 8 Collectivités locales, régionales, Etat… Cet intérêt se manifeste par l’organisation de plus en plus fréquente

d’événements tels que dernièrement le séminaire gouvernemental « tout pour l’emploi dans les TPE et PME » du 9 Juin 2015. 9 Comme nous le rappelle Marchesnay (2003, p. 110), à propos du livre d’Olivier Ferrier, « il a fallu attendre

2002 pour qu’un ouvrage exclusivement consacré aux TPE sorte en français ».

Page 33: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

32

Cette section est composée de trois paragraphes. Le premier vise à mieux comprendre la

complexité liée à l’établissement d’une définition précise de la TPE en France comme à

l’étranger. La nécessité d’avoir recours à une approche qualitative sera développée dans un

deuxième paragraphe. Le troisième sera consacré au rôle central du dirigeant ainsi qu’à la

notion de proximité, spécificités de ce type d’entreprise ayant des répercussions sur le

déroulement de leur transmission.

1.1.) Mieux définir la TPE pour mieux la comprendre

Entreprendre une recherche consacrée à la TPE nécessite, en premier lieu, de définir le

plus précisément possible ce type d’entreprise. Si l’expression TPE est très largement

répandue dans le langage courant, il n’en demeure pas moins qu’elle cache une multitude de

réalités différentes. La simple observation d’une rue d’un centre-ville où se côtoient un

commerce de fruits et légumes, un cabinet d’infirmier, un cabinet de conseil ou un

établissement hôtelier, laisse entrevoir de multiples possibilités s’offrant au vocable. Cette

extrême hétérogénéité constitue, pour de nombreux auteurs, le principal frein à une étude

pertinente de leur fonctionnement. Ferrier (2002), dans son ouvrage dédié à la TPE10, souligne

la difficulté qui existe à en donner une définition et avance deux principales raisons. La

première réside dans la connaissance (ou plutôt la méconniassance) de celle-ci. La deuxième

renvoie à un « cercle vicieux ». L’auteur s’interroge alors : « est-ce qu’une entreprise est une

TPE parce qu’elle présente certaines caractéristiques ou bien est-ce parce qu’elle présente

certaines caractéristiques qu’elle est une TPE ? ».

1.1.1.) Un intérêt grandissant pour la Petite Entreprise

En France, on assiste actuellement à une prise de conscience généralisée du rôle

économique, social, et dans la préservation de la vitalité des territoires, des entreprises de

petites tailles. Pour de nombreux acteurs politiques et économiques, il s’agit d’un socle sur

lequel peut solidement s’appuyer le pays pour développer son économie. Le plan pour

l’emploi dans les TPE-PME11, présenté le 9 Juin 2015 par le Premier Ministre Manuel Valls,

est une preuve parmi tant d’autres du nouvel intérêt porté par les autorités politiques. A 10

Les très petites entreprises, paru chez De Boeck , 2002. 11

D’après le Premier Ministre, il s’agit d’un « Small Business act à la française » qui doit générer « plusieurs

dizaines de milliers d’emplois » dans les petites et moyennes entreprises. 18 mesures sont présentées pour encourager les TPE et PME à embaucher et inverser la courbe du chômage (prime de 4 000€ à la première embauche, gel des seuils fiscaux, prolongement des CDD facilité, plafonnement des indemnités prud’homales…).

Page 34: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

33

l’heure de la mondialisation, d’Internet et de l’adaptabilité, beaucoup redécouvrent le

formidable potentiel et le dynamisme de ces petites entreprises. Celles-ci créent des emplois12,

sont fortement ancrées dans leur territoire et, pour les plus petites, sont peu sujettes à la

délocalisation. Mais quelles sont les raisons de ce regain d’intérêt des décideurs politiques et

des différents acteurs économiques ? Marchesnay (2011, p. 7) nous donne quelques

explications. Selon lui, au cours de la dernière décennie, « l’intérêt pour ces millions d’unités,

recensées ou non, n’a cessé de croître en France, pour des raisons bien connues telles que la

crise de la société salariale, la disqualification de la doxa managériale, la montée d’une

économie de l’immatériel, ou l’avènement d’une société qualifiée d’ « hypermoderne », axée

sur la singularité et les réseaux ». Cet engouement prononcé pour la Petite Entreprise n’est

pas spécifiquement français et semble également partagé au niveau européen et

international13 . De plus en plus conscients des enjeux, certaines organisations telles que

l’OCDE, publient à présent de nombreuses études à leur sujet, via un nouvel outil : l’Institut

International d’Etudes Sociales du Bureau International du Travail.

La communauté scientifique francophone n’est pas en reste. Elle aussi s’intéresse depuis

peu au fonctionnement et aux particularités de ce type d’entreprise. Plusieurs domaines

disciplinaires tentent d’apporter leurs éclairages sur la question. C’est le cas, par exemple, de

la sociologie avec les travaux de Letowski et Trouve (2004), et Mallard (2011), de l’économie

(Delattre, 1982 ; Julien, 1990, Julien et Carriere, 1994, Ferrier, 2002), et, dans une autre

mesure, des sciences de gestion (Mahe de Boislandelle, 1988 ; Sammut, 1995 ; Torrès, 1997 ;

Richomme, 2000 ; Marchesnay, 2003 ; Guegen, 2004 ; Jaouen, 2006 ; Paturel et Richomme-

Huet, 2007 ; Foliard, 2008 ; De Freyman, 2010 ; Filion et Lima, 2012). Ferrier (2002)

confirme ce regain d’intérêt de la communauté scientifique pour les petites entreprises et

s’appuie pour cela sur plusieurs observations : (1) la création de revues scientifiques dédiées

spécifiquement aux PME ; (2) le développement par les universités de programmes

spécifiques portant sur l’étude des entreprises de petites tailles ; (3) la prise en compte

grandissante des petites structures sur le plan statistique par certains organismes tels l’INSEE,

l’OCDE, DARES14 (ceci permettant d’ailleurs d’alimenter avec des données plus fiables les

12

D’après les chiffres publiés par la Commission Européenne, les TPE-PME ont assuré 85% des créations nettes d’emplois dans l’Union de 2002 à 2010. 13

La préservation de ce type d’entreprise est essentielle au développement des Pays en Développement, car ces petites unités représentent parfois l’unique source d’emplois et de renouvellement de l’économie (Julien et Marchesnay, 1988). 14

Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques.

Page 35: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

34

recherches sur la petite entreprise) ; (4) l’organisation de manifestations consacrées à la petite

entreprise.

En ce qui concerne les sciences de gestion, la recherche sur la petite entreprise semble se

structurer de mieux en mieux, notamment par l’intermédiaire de laboratoires de recherche

étudiant spécifiquement ce type d’entité et par l’organisation de colloques qui y sont

entièrement dédiés. Particulièrement investi sur la question, Torrès (1997) a entrepris une

réflexion sur les raisons qui ont poussé les chercheurs à s’intéresser exclusivement à la PME.

Trois justifications sont retenues par l’auteur ; (1) la justification empirique renvoie à la place

importante occupée par les PME dans la majorité des économies ; (2) la justification

méthodologique fait référence à l’identification plus aisée des phénomènes s’y produisant du

fait de sa petite dimension ; (3) la justification théorique : l’auteur cite Julien (1993) pour qui,

d’un point de vue strictement économique, plusieurs théories 15 justifient la présence des

petites entreprises. A partir d’une approche historique de la recherche en PME, Torrès (1997)

met en évidence le développement simultané, dès la fin des années 70, de deux grands

courants distincts intéressés aux problématiques de la petite entreprise : le courant de la

spécificité et le courant de la diversité.

Ø Le courant de la spécificité considère la PME comme un objet spécifique de recherche

(Gervais, 1978, Marchesnay, 1982). L’objectif clairement affiché est de faire reconnaître les

particularités de la PME en élaborant de nouvelles théories et de nouveaux cadres d’analyse

(Gervais, 1978). Julien et Marchesnay (1988) ont la volonté de ne plus faire de ces structures

un modèle réduit de la grande entreprise, mais d’en extraire au contraire des particularités, des

constantes à la base même de leur spécificité. Ils ont ainsi posé les fondations de « la thèse de

la spécificité au rang de paradigme dominant et structurant de la pensée orthodoxe de la

communauté scientifique en PME » (Torrès, 1997).

Ø Le courant de la diversité revendique la nécessité d’adopter une approche contingente,

chaque entreprise étant considérée comme unique (Torrès, 1997). L’objectif consiste alors à

établir une typologie des Petites Entreprises à partir de l’identification des facteurs influençant

leurs natures.

15

La théorie des interstices de PENROSE (1959) est notamment citée. Cette dernière justifie l’existence de petits marchés soit très spécialisés, soit correspondant à une zone géographique délimitée où les acteurs en présence sont proches les uns des autres. Le rôle de l’entrepreneuriat est également noté.

Page 36: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

35

Ces deux courants ont dû affronter de nombreuses critiques. Un risque de dérive

dogmatique pour le courant de la spécificité, l’approche se voulant universelle, a été relevé.

D’ailleurs selon Wtterwulghe (1998), cette volonté d’universalité conduit à sacrifier la

richesse et la diversité des PME. Un risque de dérive casuistique a été avancé pour le courant

de la diversité : chaque entreprise étant un cas unique, il n’est alors plus possible d’opérer une

généralisation et, donc, de proposer une théorie de la PME (Torrès, 1997). Afin de prendre en

compte les divergences des deux approches et de faciliter le travail du chercheur confronté au

choix de l’une ou l’autre, de nouveaux courants se sont développés dès le milieu des années

80 : le courant de la synthèse et le courant de la dénaturation.

Ø Le courant de la synthèse. Pour les partisans de ce courant, il est nécessaire

d’introduire de la modularité dans la spécificité du concept PME. Est ainsi intégrée de la

diversité au sein de la spécificité. L’objectif ne réside plus dans l’élaboration d’un profil type

de TPE-PME, mais dans la recherche de cadres d’analyse ou de modèles heuristiques

représentant leur complexité (Torrès, 1999).

Ø Le courant de la dénaturation. Pour déterminer si une petite entreprise est toujours

conforme à la norme PME, il s’appuie sur une question simple : quels sont les contextes

dénaturant la PME ? (Torrès, 1997). Dans ce cadre d’analyse, plusieurs travaux ont mis en

évidence l’existence de facteurs dénaturants tels que l’autonomie de gestion ou encore

l’indépendance financière. L’avantage de ce dernier courant est de s’affranchir de la référence

à la grande entreprise pour étudier la PME en analysant ses caractéristiques propres (Guilhon

et al., 1993 cités par Torrès, 1997).

Bien que circonstancié à la PME, il nous paraît important d’utiliser ce travail de

définition afin de le transposer à la TPE et ainsi mieux situer notre approche. Par le passé, il a

été nécessaire d’extraire la PME de l’étude de la grande entreprise. Certains auteurs appellent

le même travail entre la PME et la TPE (Foliard, 2008). La question est de savoir si la TPE

présente des particularités nécessitant une approche entièrement dédiée. Sans entrer dans le

débat, nous jugeons l’apport des courants spécialisés dans l’analyse des PME essentiel à

l’étude de la TPE. En ce qui nous concerne, et à partir de tout ce qui vient d’être dit, nous

nous situons plutôt dans le courant de la spécificité. A travers notre recherche doctorale, nous

souhaitons mettre en évidence des particularités, des constantes qui font que nous considérons

Page 37: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

36

la TPE comme une entité différente des autres. A l’instar d’autres auteurs avant nous, nous

pensons que la petite taille, le rôle central du dirigeant, la proximité des relations entre acteurs

sont des éléments spécifiant ce type d’organisation. La figure ci-dessous résume la succession

des courants de recherche sur la PME observés depuis le début des années 60.

Figure 3 - Évolution historique de la recherche en PME

Source : Torrès (1997).

Les années 90 ont vu paraître un nombre croissant de travaux scientifiques consacrés à la

petite entreprise au sein de revues spécialisées en PME et en entrepreneuriat 16 . Pour

Marchesnay, la recherche en PME s’est développée à un point tel que l’on pourrait parler

d’une mode. Malgré ce réel engouement et l’avancée incontestable apportée par ces travaux, il

demeure nécessaire de s’interroger davantage sur l’identité profonde de la TPE, sur ce

16

Nous pouvons citer les nombreuses thèses, articles scientifiques publiés fréquemment par les revues des

deux grandes associations francophones que sont l’AIREPME et l’Académie de l’entrepreneuriat.

ANNEES 60/70 LES PREMICES

ANNEES 70/80

MILIEU 70 LES FONDEMENTS

MILIEU 70

DEBUT 90 LES PROLONGEMENTS

MILIEU 90

COURANT DE LA

SPECIFICITE

EFFET-TAILLE

UNIVERSEL

PHASE DE GENERALISATION THEORIQUE PHASE D’EXAMEN CRITIQUE EMPIRIQUE

COURANT DE LA DIVERSITE

COURANT DE LA SYNTHESE COURANT DE LA

DENATURATION

MODELE DE

METAMORPHOSES

UNIVERSEL

MODELE DE

METAMORPHOSES

CONTINGENT

EFFET-TAILLE

CONTINGENT

Page 38: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

37

qu’elles sont et ce qu’elles font (Marchesnay, 2003, p. 11017). Tout chercheur désirant mener

une étude sur la TPE en France, se trouve confronté à la nécessité d’en donner une définition

ou tout au moins d’en apprécier clairement les contours18. La tâche s’avère d’emblée délicate,

car il n’existe pas de critères de définition unique de la TPE. La faible littérature académique

lui étant consacrée constitue un obstacle supplémentaire. Ces raisons font que de nombreux

auteurs recherchent, dans les travaux consacrés à la PME, des éléments de réponses

susceptibles d’éclairer leur questionnement. Il est un fait que, pour une partie de la

communauté scientifique, la TPE n’est qu’une entreprise moyenne en devenir.

1.1.2.) La TPE : une Moyenne Entreprise plus petite ?

Si la recherche sur la PME a le vent en poupe, la littérature consacrée à la TPE demeure

largement insuffisante19. Nous avons pu constater, au cours de nos revues de littérature, la

faiblesse des écrits lui étant spécialement réservés. Le plus souvent, les recherches en PME et

en entrepreneuriat ne traitent pas spécifiquement de cette entité comme un objet de recherche

en soi, mais comme un simple champ au regard de leur objet principal (Marchesnay, 2003).

Pour de nombreux auteurs, la TPE n’est qu’un état transitoire vers l’émergence d’une entité

réellement observable, ou encore, ne peut être dissociée de l’étude de la PME, car ne

présentant pas de traits spécifiques. Confrontés à la carence de travaux académiques et

statistiques sur la TPE, des chercheurs se détournent de son étude ou choisissent tout

simplement de l’inclure dans une approche plus générale de la PME (Marchesnay, 2003 ;

Foliard, 2008). Pour Mallard (2011), les recherches menées se contentent de décliner et de

confronter au contexte de la TPE des questions et des problématiques traditionnellement

réservées à l’étude des modes de gestion de la PME. Cette approche méthodologique

contribue certainement au maintien d’un certain amalgame. Marchesnay (2003, p. 108)

résume la situation de la manière suivante : « En forçant le trait, on a le sentiment que, pour

bien des chercheurs, la TPE, et a fortiori la PE [petite entreprise], n’est qu’une ME

[moyenne entreprise] plus petite (voire appelée à grandir),(…).La réalité est infiniment plus

17

L’auteur nous interpelle : « Faut-il rappeler que ces « illustres inconnues » sont omniprésentes dans toutes les

sphères de l’économie et de la société ? Faut-il rappeler que leur poids est d’autant plus important que celle-ci

sont évoluées ? Faut-il rappeler que les activités émergentes de ce siècle exigeront avant tout des unités de

petites dimensions (le savoir, la santé, la communication, les loisirs, la culture) ». 18

Nous garderons à l’esprit tout au long de ce travail qu’il n’existe pas véritablement de moyen complètement satisfaisant de faire le tour des connaissances constituées autour de l’objet TPE (Mallard, 2011). 19

Marchesnay (2003, p. 109) écrit à ce sujet : « l’inventaire des publications les plus diverses au cours de ces dix

dernières années (ouvrages, articles, communications, etc.) décourage le lecteur le mieux disposé ! Mais, dans

cette somme impressionnante, les TPE, voire les PE, sont réduites à la portion congrue ».

Page 39: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

38

complexe ! ». Pour Foliard (2008), la TPE est longtemps restée « dans l’ombre de la PME »

à laquelle de nombreuses démarches tant universitaires qu’émanant d’instances

gouvernementales, l’ont associée. Nous relevons néanmoins que des efforts de recherches ont

été réalisés, notamment à travers la publication d’ouvrages (Ferrier, 2002 ; Jaouen et Torrès,

2008 ; Mallard, 2011), d’articles ou bien encore la tenue de congrès lui étant entièrement

consacrés20. Dès la fin des années 80, afin d’avoir une meilleure compréhension de la TPE,

quelques auteurs (Julien et Marchesnay, 1988 ; Julien, 1990) ont tenté d’en établir une

typologie. Deux grandes orientations se sont révélées. Une approche plus fonctionnelle, basée

sur des données quantitatives (effectif, chiffre d’affaires, etc.), guide l’observateur à travers

des ordres de grandeur aisément mesurables et vérifiables. Une deuxième approche s’appuie,

quant à elle, sur d’autres critères de type qualitatif tels que l’indépendance de l’entreprise, le

rôle du dirigeant, la spécialisation, la stratégie adoptée, la distance hiérarchique, etc. Nous

allons, dans les points suivants, examiner les critères de définition proposés, en distinguant

l’approche quantitative de l’approche qualitative.

1.1.3.) Une première approche quantitative

L’approche quantitative est basée sur l’emploi de variables pouvant être mesurées

pour définir une TPE. Il s’agit de critères tels que l’effectif, le chiffre d’affaires ou encore le

total du bilan annuel. Cette méthode est facilement utilisable : elle est la plus intuitive et la

plus fréquemment retenue (Ferrier, 2002). Afin de clarifier et d’harmoniser l’utilisation du

terme « petites entreprises » au niveau communautaire, la Commission européenne a décidé

d’en établir une définition autour d’un référentiel commun de variables quantifiables21. Cette

démarche est également destinée à faciliter la mise en place de dispositions législatives

spécifiques aux PME et à permettre une politique de soutien adaptée (Wtterwulghe, 1998).

Deux recommandations se succèdent. Une première datée du 3 Avril 1996 (recommandation

96/280/CE) définit les petites et moyennes entreprises en termes d’effectifs salariés, de chiffre

d’affaires ou de total du bilan. Malgré son apparente simplicité opérationnelle, de nombreuses

20

Nous pourrions citer les travaux publiés dans la RIPME, le dossier consacré uniquement à la TPE réalisé en 2003 par la Revue française de gestion ou encore le congrès du CIFEPME de 2004 organisé autour de la petite entreprise. 21

Dès 1992, dans un rapport présenté au conseil européen et à la demande du conseil "industrie" du 28 mai 1990, la Commission préconisait déjà de limiter la prolifération des définitions des petites et moyennes entreprises en usage au niveau communautaire. Aussi, dans un souci d’harmonisation et dans une logique de marché commun, les entreprises doivent « faire l'objet d'un traitement fondé sur un socle de règles

communes», recommandation du 6 Mai 2003 (2003/361/CE) concernant la définition des micro, petites et moyennes entreprises, [notifiée sous le numéro C(2003) 1422].

Page 40: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

39

difficultés d’interprétations sont apparues au moment de son application. La Commission

européenne a donc décidé de remplacer cette dernière par une nouvelle recommandation

censée apporter plus de clarté. Des modifications sont ainsi portées dans une seconde

recommandation en date du 6 Mai 2003. Elles concernent, en premier lieu, les plafonds de

chiffre d’affaires et du total du bilan annuel qui sont largement revus à la hausse. La notion de

microentreprise est également précisée et son importance en matière de création d’emplois

reconnue22. Dans son article premier, cette seconde recommandation23, définit d’abord les

entreprises de la manière suivante :

« Est considérée comme entreprise toute entité, indépendamment de sa forme juridique, exerçant une activité économique. Sont notamment considérées comme telles les entités exerçant une activité artisanale ou d'autres activités à titre individuel ou familial, les sociétés de personnes ou les associations qui exercent régulièrement une activité économique ».

Les critères retenus pour définir les catégories d'entreprises sont les suivants (article 2

de la recommandation) :

« 1. La catégorie des micro, petites et moyennes entreprises (PME) est constituée des

entreprises qui occupent moins de 250 personnes et dont le chiffre d'affaires annuel

n'excède pas 50 millions d'euros ou dont le total du bilan annuel n'excède pas 43 millions

d'euros.

2. Dans la catégorie des PME, une petite entreprise est définie comme une entreprise qui

occupe moins de 50 personnes et dont le chiffre d'affaires annuel ou le total du bilan

annuel n'excède pas 10 millions d'euros.

3. Dans la catégorie des PME, une microentreprise est définie comme une entreprise qui

occupe moins de 10 personnes et dont le chiffre d'affaires annuel ou le total du bilan

annuel n'excède pas 2 millions d'euros. »

Cette nouvelle définition relève amplement les plafonds des seuils pris en

considération (chiffre d’affaires, total du bilan). La Commission apporte également une

distinction supplémentaire concernant la nature des relations que les entreprises entretiennent

avec d’autres entreprises afin d’exclure celles qui ne sont pas véritablement des PME. Dans

cette perspective, l’article 3 de la recommandation distingue plusieurs types d’entreprises

devant être pris en considération dans les modalités de calcul de l’effectif et des montants 22

Considération 8 de la Recommandation (2003/361/CE) : « À la suite de l'approbation en juin 2000 par le Conseil européen de Santa Maria da Feira de la charte européenne des petites entreprises, il y a lieu, en outre, de mieux définir les microentreprises, qui constituent une catégorie de petites entreprises particulièrement importante pour le développement de l'esprit d'entreprise et pour la création d'emplois ». 23

Recommandation 2003/361/CE [Journal officiel L 124 du 20.05.2003].

Page 41: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

40

financiers. (1) Les entreprises « autonomes » sont totalement indépendantes ou ont conclu un

ou plusieurs partenariats mineurs avec d’autres entreprises (être détenu et/ou détenir moins de

25% du capital ou des droits de vote). (2) Les entreprises « partenaires » sont celles dont la

participation ne dépasse pas le seuil des 50% mais n’exerçant aucun contrôle direct ou

indirect l’une sur l’autre. (3) Si la participation excède les 50%, la Commission considère les

entreprises comme étant « liées ». Cette délimitation permet de soustraire à l’appellation PME

les groupes d’entreprises et, par voie de conséquence, favorise un meilleur ciblage des

politiques de soutien. Au cours de notre travail doctoral, nous désignerons par TPE, les

entreprises répondant aux critères européens de la microentreprise, c'est-à-dire celles réalisant

moins de 2 millions de chiffre d’affaires (ou du total du bilan annuel), qui emploie moins de

10 salariés et qui sont autonomes.

Tableau 1 - Les critères européens de définition des entreprises (recommandation 2003/361/CE)

Critères Microentreprises Petites entreprises

(PE)

Petites et moyennes entreprises

(PME)

Effectif salarié < 10 < 50 < 250

Chiffre d’affaires ≤ 2 millions € ≤ 10 millions € ≤ 50 millions €

Total du bilan

annuel

≤ 2 millions € ≤ 10 millions € ≤ 43 millions €

En France, en réponse aux recommandations européennes, une nouvelle classification

des entreprises a été instituée par décret en 200824. Elle reprend les critères de l’effectif, du

chiffre d’affaires, du total du bilan établis par la Commission européenne (y est également

ajouté le degré d’autonomie de décision). Nous relevons, toutefois, que les seuils officiels de

définition ne sont pas les seuls encore utilisés par la puissance publique. D’autres seuils basés

sur l’effectif ou le chiffre d’affaires sont employés pour déterminer ce qu’est une TPE

(Ferrier, 2002). Ainsi, en droit du travail français, le seuil des 10 salariés oblige l’entreprise à

mettre en place un ou plusieurs délégués du personnel25 ou encore à verser au titre de la

24

Décret n° 2008-1354 du 18 décembre 2008, pris en application de l’article 51 de la loi 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie. 25

Art. L. 421-1 du Code du travail.

Page 42: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

41

formation continue non plus 0,15% de la masse salariale, mais 1,5% ; le seuil des 20 salariés

impose une obligation d’emploi concernant les handicapés26, l’établissement d’un règlement

intérieur, etc. De la même manière, si le code général des impôts reprend la définition établie

par la Commission européenne concernant la moyenne entreprise (article 44 septies), le

document budgétaire 27 annexé chaque année au projet de loi de finances et consacré à

« l’effort financier de l’Etat en faveur des petites et moyennes entreprises », ajoute la notion

de très petites entreprises pour les entreprises employant de 0 à 19 salariés. Sur le plan fiscal,

l’administration en charge de la collecte de l’impôt a défini des seuils différents et basés en

premier lieu sur le chiffre d’affaires réalisé. Ainsi, ne sont considérées comme

«microentreprises » que les entreprises dont le chiffre d’affaires ne dépasse pas 82 200 euros

hors taxes pour les activités de ventes de marchandises (BIC) et 32 900 euros hors taxes pour

les activités de prestations de services et les professions libérales (BNC). Les entreprises

dépassant ces seuils sont donc soumises au régime simplifié ou au régime normal28.

1.1.4.) D’une approche quantitative à une approche qualitative

En nous basant sur les critères quantitatifs tels que définis par la loi de modernisation

(LME) de 2008, nous observons que la France compte 2 148 900 entreprises de très petites

tailles sur un nombre total de 3,3 millions d’unités légales (Insee, 2015)29. On s’aperçoit que

les TPE ont un poids considérable dans l’économie puisqu’elles constituent 65,5% des

entreprises recensées et emploient 18.8% des salariés du secteur concurrentiel 30 , soit

approximativement 2,3 millions de personnes en équivalent temps plein. Elles réalisent 477

milliards d’euros de chiffre d’affaires, génèrent 168 milliards d’euros de valeur ajoutée et près

de 29 milliards d’euros d’investissements (Insee, 2015). Les TPE occupent en moyenne trois

personnes, mais plus de la moitié déclare en employer seulement une ou deux (respectivement

35% et 21%)31.

26

Art. L. 323-1 du Code du travail. 27

L’article 106 de la loi de finances pour 1996 stipule l’obligation faite au Gouvernement de présenter chaque année, en annexe au projet de loi de finances, un rapport rendant compte de l’ensemble de l’effort financier de l’État à destination des petites et moyennes entreprises (PME). 28

Ne sont concernées par le régime simplifié que les entreprises industrielles, commerciales et artisanales dont le chiffre d’affaires est compris entre 82 200 euros et 783 000 euros pour la vente de marchandises et entre 32 900 et 236 000 euros pour les activités de prestations de services. 29

Chiffres arrêtés à 2012. Unités exerçant une activité dans les secteurs principalement marchands, hors agriculture et services financiers. Ces chiffres ne tiennent pas compte des microentreprises qui relèvent du statut d’auto-entrepreneur et du régime fiscal de la microentreprise. 30

Hors agriculture, intérimaires et stagiaires (Insee, 2015). 31

Chiffres arrêtés au 31 décembre 2011, publication de DARES ANALYSES, N°96, Décembre 2012.

Page 43: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

42

Tableau 2 – Les TPE françaises en chiffres

Unités

légales

Salariés en

ETP

Chiffre

d’affaires

Valeur

ajoutée

Investissements

En nombre En nombre En millions

d’€

En millions

d’€

En millions d’€

Très petites

entreprises (TPE) 2 148 900 2 266 800 476 800 168 400 28 800

Part en % (total des

unités légales) 65.5 18.8 12.8 17.1 15.6

ETP : Equivalent Temps Plein. En France, secteurs principalement marchands hors agriculture et services financiers. TPE au sens de la LME, hors auto-entrepreneurs et microentreprises au sens fiscal (en 2012). Source : Insee Focus (2015).

Les TPE sont peu tournées vers l’export. Elles réalisent seulement 17 milliards d’euros

de chiffre d’affaires à l’export, soit moins de 3% du total des exportations. Leur activité est

davantage orientée vers l’économie locale avec une sur-représentation dans le secteur du

commerce, des services et de la construction. Le tableau suivant dresse un panorama des TPE

françaises en fonction du secteur d’activité.

Tableau 3 – Les TPE en fonction du secteur d’activité TPE Salariés en ETP Valeur ajoutée

Nombre (en

milliers)

Poids (en %)

Nombre (en milliers)

Poids (en %)

Valeur (en millions d’€)

Poids (en %)

Industrie 157 7.3 258 11.4 16 220 9.6 Construction 369 17.2 460 20.3 31 309 18.6 Commerce 475 22.1 588 26.0 39 878 23.7 Transport et Entreposage

77 3.6 71 3.1 5 340 3.2

Hébergement et restauration

199 9.3 297 13.1 15 210 9.0

Information et communication

76 3.5 56 2.5 5 473 3.2

Immobilier 186 8.7 56 2.5 8 470 5.0 Services aux entreprises

427 19.9 338 14.9 38 575 22.9

Services aux particuliers

183 8.5 144 6.4 7 956 4.7

Total 2 149 100.0 2 267 100.0 168 430 100.0 ETP : Equivalent Temps Plein. En France, secteurs principalement marchands hors agriculture et services financiers. TPE au sens de la LME, hors auto-entrepreneurs et microentreprises au sens fiscal. Chiffres donnés pour l’année 2012. Source : Insee, Esane 2012, Fare 2012.

Page 44: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

43

Concernant les chiffres à l’international, ils dépendent de la définition formulée par le

pays étudié. D’une manière générale, le critère de définition le plus souvent retenu est celui de

l’effectif32. Ainsi, selon le pays concerné, une TPE sera une entreprise de moins de 5, 10,

voire 20 salariés, rarement plus. Dans son étude sur « Les PME et la mondialisation »33

l’OCDE dresse, pour la première fois, un état des lieux de l’activité des petites entreprises et,

par voie de conséquence, en élabore une typologie. L’organisation opère une distinction selon

l’effectif présent dans l’entreprise. Sont ainsi considérées comme microentreprises, les

entreprises composées de 1 à 4 salariés ; les TPE sont celles ayant de 5 à 19 salariés ; les

petites entreprises ont de 20 à 99 salariés ; les moyennes de 100 à 500 et les grandes plus de

500. Plus récemment, dans son ouvrage « Panorama de l’entrepreneuriat 2013 »34, l’OCDE

rectifie les seuils précédents et retient les suivants : 1 à 9 salariés, 10 à 19, 20 à 49, 50 à 249 et

250 salariés et plus. Cette ventilation présente l’intérêt d’une « comparabilité optimale »35,

étant donné les pratiques propres à chaque pays. Grâce à cette classification, on observe

statistiquement que, dans la plupart des pays de l’OCDE, les TPE de 1 à 9 salariés

rassemblent plus de 80 % des entreprises36. La Suisse présente le plus faible pourcentage de

TPE par rapport à l’ensemble des entreprises avec un taux de seulement 69% alors que pour

de nombreux pays, ce taux avoisine les 95% (Turquie : 98% ; Corée, République Tchèque,

République Slovaque : 96% ; Italie, Hongrie, Portugal et Pologne : environ 95%).

32

Néanmoins, dans certains pays, la définition de la TPE variera en fonction du secteur d’activité. 33

Rapport en deux volumes, « PME et mondialisation, rapport de synthèse » et « PME et mondialisation, études par pays », vol 1 et 2, 1997, OCDE, Paris. 34

OCDE (2013), « Entreprises par classe de taille », dans Panorama de l'entrepreneuriat 2013, Éditions OCDE. 35

OCDE (2013), op.cit. 36

OCDE (2011), « Taille et dynamique des entreprises », dans Science, technologie et industrie : Tableau de

bord de l'OCDE 2011, Édition OCDE.

Page 45: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

44

Tableau 4 - Ventilation des entreprises par classe de taille dans les pays de l’OCDE

EFFECTIF salarié

PAYS 1-9 10-19 20-49 50-249 250+ Suisse 69,18 17,07 8,95 4,08 0,72 Fédération de Russie 72,83 11,92 8,97 5,23 1,05 Nouvelle-Zélande 75,25 12,08 6,05 5,58 1,04 Brésil 79,93 10,72 5,88 2,85 0,62 Canada (2009) 80,72 10,22 6,22 2,59 0,26 Allemagne 82,27 9,85 4,86 2,55 0,47 Israël (2009) 84,07 8,34 4,95 2,24 0,40 Autriche 87,43 6,95 3,68 1,60 0,33 Luxembourg 87,76 5,95 3,78 2,03 0,48 Estonie 88,88 5,49 3,53 1,85 0,25 Roumanie 89,00 5,56 3,40 1,71 0,33 Lituanie 89,02 5,59 3,38 1,77 0,25 Lettonie 89,23 5,66 3,26 1,64 0,23 Royaume-Uni 89,36 5,74 3,00 1,55 0,35 Danemark 89,36 5,56 3,32 1,48 0,28 Bulgarie 90,93 4,65 2,80 1,40 0,22 Finlande 92,07 4,17 2,41 1,08 0,27 Pays-Bas 93,56 3,15 2,01 1,08 0,20 Slovénie 93,60 3,34 1,80 1,06 0,20 Espagne 93,79 3,56 1,85 0,68 0,12 Belgique 93,98 3,15 1,92 0,78 0,16 France 94,21 2,92 1,90 0,80 0,17 Mexique (2008) 94,42 - 4,20 0,65 0,12 Suède 94,48 2,91 1,67 0,79 0,16 Italie 94,63 3,46 1,32 0,50 0,08 Hongrie 94,69 3,03 1,41 0,73 0,14 Portugal 94,92 2,87 1,49 0,63 0,09 Pologne 95,38 1,81 1,56 1,04 0,21 République slovaque 95,68 2,68 0,95 0,57 0,12 République tchèque 95,73 2,18 1,27 0,68 0,14 Corée 96,44 3,01 0,30 0,18 0,06 Japon (2009) 78,86 15,52 2,78 0,18 2,44 États-Unis 93,52 3,09 2,51 0,56 0,32 Australie 95,32 - 4,36 - 0,32 Turquie (2009) 98,45 - 0,89 0,54 0,12 Pourcentage, 2010 ou dernière année disponible. Source OCDE 2013. Panorama de l’entrepreneuriat 2013.

Page 46: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

45

A partir du critère de l’effectif, nous pouvons voir que les TPE représentent la forme

d’organisation la plus répandue dans la quasi-totalité des économies des pays développés. Les

critères quantitatifs ont un intérêt pratique indiscutable pour définir les contours de la TPE et

appréhender leur poids dans l’économie. Ils sont aisément identifiables, simples d’accès et

permettent de cordonner à partir de valeurs mesurables, notamment au niveau européen, des

politiques visant à soutenir les petites entreprises. Toutefois, cette approche présente

rapidement des limites dès lors que l’on s’interroge sur la nature et la représentativité des

critères retenus. Par exemple, pour Marchesnay (2003), le critère de l’effectif n’est pas

caractéristique de la réalité des petites organisations d’aujourd’hui. Pour l’auteur, ce critère

explose littéralement au sein de ce type d’entreprise, notamment à cause de la diversification

du statut des salariés (intérimaires, saisonniers, apprentis) et de l’emploi de personnels non

enregistrés (essentiellement familiaux). On s’interroge également sur la pertinence

d’appliquer le critère de l’effectif indépendamment du secteur d’activité. La question est de

savoir si on peut comparer, par exemple, sur ce même critère, des TPE du secteur des services

avec des TPE du secteur industriel37. Le second critère, celui du « total du bilan », peut lui

aussi faire l’objet de vives critiques. Etant basé sur les actifs de l’entreprise, beaucoup

s’interroge sur l’impartialité de leur évaluation : cette dernière demeurant toujours délicate.

Pour dépasser les nombreuses limites liées à l’utilisation d’une approche quantitative,

de nouveaux critères de type qualitatif ont été introduits. Là encore, le peu de littérature

consacrée à la TPE nous oblige à explorer les travaux consacrés initialement à la PME.

L’approche qualitative se veut plus précise, car elle prend en considération des

caractéristiques internes à l’entreprise telles que, par exemple, le mode de management ou le

fonctionnement du système d’information. A l’instar de nombreux auteurs (Torrès, 2002 ;

Ferrier, 2002 ; Foliard, 2008), nous utiliserons les travaux du GREPME (1994, 1997)38, initiés

par Julien (1990), pour tenter de définir la TPE. Les recherches menées par cette équipe nous

invitent à retenir six critères39 :

37

Une TPE de 10 salariés appartenant au secteur des services peut apparaître importante au regard des autres entreprises travaillant dans la branche, alors qu’une TPE industrielle avec le même effectif est une entreprise de petite taille par rapport aux autres firmes présentes sur le marché. Ce phénomène peut s’expliquer par la réalisation de lourds investissements et la recherche d’économies d’échelles nécessaires pour survivre dans le milieu industriel, ce qui induit de fait un nombre de salariés plus important. A l’inverse, dans le secteur du service, il est tout à fait possible d’exercer seul ou en petit nombre, sans avoir recours à de lourds investissements. 38

Groupe de recherche sur la petite et moyenne entreprise, équipe de recherche à l’origine de la RIPME et de l’AIREPME. 39

Ces critères ont par la suite été identifiés sur le terrain par Pacito, Julien et Meier en 2002.

Page 47: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

46

- la dimension : la TPE doit être de petite taille et définie par pondération selon les

secteurs (Ferrier, 2002) ; le dirigeant a tendance à privilégier une organisation simple

et facilement contrôlable ; cette démarche correspond au choix de l’hypofirme

(Marchesnay, 1997) de ne pas dépasser certains seuils (effectifs, CA…) ;

- la gestion : elle est centralisée autour de la personnalité du propriétaire-dirigeant. Ce

dernier assure directement la gestion de l’entreprise ;

- la stratégie : elle est intuitive et peu formalisée ; il ne s’agit pas réellement de stratégie

(impliquant une réflexion à long terme) comme on pourrait l’entendre au sein d’une

grande entreprise mais plutôt de tactique (réflexion à court terme) ;

- la spécialisation : dans les TPE, la spécialisation des employés est plutôt faible ; la

règle prédominante est la polyvalence du personnel ;

- le système d’information interne : il est simple et peu organisé, le contact direct et le

dialogue entre salariés assure la circulation de l’information ;

- le système d’information externe : il est lui aussi simple et peu organisé, le

propriétaire dirigeant obtient une partie des informations nécessaires à son activité

directement auprès de ses clients, fournisseurs et concurrents.

Ces critères de définition supplémentaires sont des outils pour mieux circonscrire ce que

sont réellement les TPE. Même s’ils ne permettent toujours pas d’établir une définition

complète de ce type d’entreprise, le fait de les combiner aux critères d’ordre quantitatif nous

en donne une première représentation. On retiendra, dans un premier temps, que les TPE sont

des entreprises de petites tailles, juridiquement indépendantes, opérant dans différents

secteurs d’activités et dont la direction est concentrée dans les mains d’un ou plusieurs

propriétaires dirigeants40. Contrairement à la grande entreprise, le dirigeant de la TPE est

omniprésent, concentre tous les pouvoirs et prend toutes les décisions importantes. Les TPE

sont donc spécifiques de par leur nature, leur fonctionnement et leur mode de gestion. Torrès

(1999, 2003) préconise d’approfondir le travail de recherche sur la petite entreprise en passant

d’une approche descriptive à une approche explicative regroupant les caractéristiques de la

petite entreprise autour d’un principe central et multidimensionnel de proximité41. La TPE

40

La direction de l’entreprise est assurée le plus souvent par une personne et quelquefois 2 ou 3, rarement plus. 41

Selon cet auteur, la proximité doit être appréhendée comme « un mécanisme de hiérarchisation qui crée les

conditions nécessaires à l’action et à la réflexion dans une organisation centralisée, faiblement spécialisée,

dotée de systèmes d’information interne et externe simples et privilégiant des stratégies intuitives et peu

formalisées».

Page 48: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

47

s’apparente alors à un mix de proximité (tableau 5) (hiérarchique, spatiale, temporelle,

fonctionnelle, etc.), ensemble cohérent permettant « d’articuler les spécificités des TPE dans

un cadre unitaire et plus précis » (Torres, 2007) comme le montre le tableau suivant.

Tableau 5 - La petitesse des entreprises conçue comme un mix de proximité

Caractéristiques de la petitesse des

entreprises

Types de proximité

Rôle prépondérant du dirigeant, personnalisation de la gestion.

Proximité hiérarchique

Faible spécialisation des tâches. Proximité fonctionnelle

Stratégie informelle et de court terme. Proximité temporelle

Système d’information simple et direct

(oralité). Système d’information de proximité

Contact direct avec le client. Marketing de proximité

Forte concentration du capital entre les mains du dirigeant. Confusion entre le patrimoine de l’entreprise et du dirigeant.

Finance de proximité

Forte insertion territoriale. Proximité spatiale

Source : Torrès (2007).

Tous les auteurs qui se sont penchés sur la question s’accordent sur le fait qu’on ne gère

pas une TPE comme on dirige une grande entreprise. Si l’on admet que la TPE et sa gestion

sont empreintes de spécificité, la reprise d’une TPE doit également être considérée comme

spécifique. La section suivante s’attache à étudier l’effet complexifiant des particularités de la

TPE sur le processus de reprise.

1.2.) Des spécificités à l’origine d’une transmission-reprise complexe

Les TPE présentent des caractéristiques qui leur sont propres avec une petite taille, un

système de gestion ainsi qu’un système d’information simples et centralisés, et par-dessus

tout un dirigeant propriétaire omniprésent régnant en maître sur son entreprise. Selon

Marchesnay (1991, p. 13), dire que le propriétaire-dirigeant joue un rôle essentiel dans la

Page 49: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

48

gestion de son affaire, « c’est asséner un truisme ». Pour de nombreux auteurs, il est évident

que le dirigeant de TPE est l’élément central de l’entreprise. Toute l’activité s’articule autour

de lui, il est à la fois l’initiateur, le commercial, l’administratif et le coordinateur. Les

relations avec l’extérieur sont également assurées en grande partie par cet homme orchestre.

Cette forte implication se traduit par des emplois du temps surchargés malgré un nombre

d’heures de travail conséquent, comme pour la majorité des dirigeants de PME (Bruyat,

1993 p. 126 ; Drucker-Godard, 2000). Le dirigeant de TPE, par manque de temps et de recul,

a tendance à considérer l’ensemble des actions à mener comme étant stratégiques (Mahé de

Boislandelle, 1996). Pour Torrès (2003, p. 125), « la petite taille expose (…) plus facilement

le propriétaire-dirigeant aux perturbations quotidiennes et en cela l’empêche de consacrer du

temps à la réflexion stratégique et de prendre du recul ». Pour tenter d’appréhender la

spécificité de la TPE et son impact sur la transmission, nous aborderons, dans un premier

temps, le rôle central du dirigeant propriétaire, puis nous relèverons les difficultés

susceptibles d’être rencontrées par tout repreneur souhaitant occuper cette place. Dans un

second temps, nous aurons recours au concept d’effet de grossissement énoncé par Mahé de

Boislandelle (1996) pour mieux cerner le fonctionnement des TPE et expliquer l’impact de ce

dernier sur leur transmission. Nous partageons ainsi l’analyse de De Freyman (2009, p. 55),

pour qui l’effet de grossissement, s’attachant à démontrer que le critère de la taille a des

incidences sur l’intensité des problématiques organisationnelles, se mute lors d’une

transmission en effet complexifiant.

1.2.1.) Le rôle central du dirigeant

De nombreuses études concernant le fonctionnement des petites entreprises révèlent

que le système de gestion est caractérisable par l’importance de la figure du « dirigeant

propriétaire ». Contrairement aux grandes entreprises, la même personne occupe en même

temps le rôle de l’entrepreneur, du manager, de l’organisateur et du propriétaire (Mallard,

2011, p. 23). La TPE est « un tout petit monde » dont l’élément central est le dirigeant

propriétaire. Ce dernier vit une relation particulière avec son entreprise marquée par une

affectivité éminemment plus importante que celle du manager ou du salarié (Fonrouge, 2002).

Pour certains, l’entreprise qu’il a créée est parfois perçue comme un prolongement de leur

personnalité (Levy, 1988 ; Duchénaut, 1996). Il s’identifie étroitement à sa firme (Pailot,

1998), se substitue souvent à toute forme d’organigramme et incarne la structure

(Johannisson, Ramirez-Pazillas, Karlsson, 2002 cités par Schmitt, 2008). Etant au cœur de

Page 50: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

49

toutes les activités, le dirigeant propriétaire constitue fréquemment le principal lien entre

l’entreprise et son environnement (Bayad, Boughattas et Schmitt, 2006). Il joue « un rôle-clef

au travers de ses participations publiques professionnelles, sociales ou politiques » (Torrès,

2003, p. 127). En tant que manager, il est perçu comme un centre névralgique (Mintzberg,

1984) observant, puis communicant aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’organisation.

Etudier le fonctionnement, puis la transmission d’une entreprise de petite taille, demande une

meilleure compréhension de la relation nouée entre le dirigeant et son entreprise et son

rapport à l’environnement.

1.2.1.1.) Dirigeant et entreprise, une relation faite d’interdépendance

La structure organisationnelle simple de la TPE confère au dirigeant-propriétaire un rôle

central. Pour Candau (1981), il semble même inconcevable d’étudier la petite entreprise sans

faire référence à son dirigeant. Ce dernier a fréquemment la volonté de tout contrôler et le

désir de centraliser auprès de lui la gestion de son entreprise (Filion, 1991). La TPE se

caractérise par une gestion basée sur les relations interpersonnelles (Dandridge, 1979) souvent

informelles, support d’un lien fort entre ses membres. Le dirigeant de TPE accumule toutes

les responsabilités, les pouvoirs et doit veiller au bon fonctionnement de son affaire. Cette

concentration des pouvoirs rend l’entreprise dépendante de son dirigeant. L’influence de ce

dernier se fait fortement ressentir sur son organisation et sa gestion (Bayad, Boughattas et

Schmitt, 2006). La petite taille induit une proximité forte entre l’ensemble du personnel,

permettant au dirigeant d’accroître sa domination hiérarchique. Il peut imposer ses vues

(Marchesnay, 1991) ainsi que ses décisions42, d’autant plus qu’il n’existe souvent aucun

contre-pouvoir dans ce type de structures. La légitimité dans la prise de décision trouve son

essence dans la propriété du capital. La TPE ayant été fondée, au départ, pour répondre aux

objectifs personnels de l’entrepreneur, la volonté de tout contrôler s’en trouve renforcée. Le

dirigeant-propriétaire se servira de l’entreprise comme d’un outil au service de ses priorités

propres. L’entreprise devient alors la traduction directe de ses aspirations personnelles

(Jaouen et Tessier, 2008). En fonction du profil du dirigeant, plusieurs stratégies seront mises

en place sur le plan patrimonial, de l’indépendance, de la prise de risque, etc.

42

Cela ne signifie pas que le dirigeant propriétaire décide seul. Marchesnay (2003) souligne le fait que plus une entreprise est de petite taille, plus l’entrepreneur aura tendance à solliciter des avis extérieurs afin de consolider sa prise de décision.

Page 51: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

50

De nombreuses classifications caractérisant les types d’entrepreneurs ont été

élaborées43. Celle de Julien et Marchesnay (1996) présente l’avantage d’être relativement

simple. Ces auteurs ont effectué un classement des entrepreneurs selon deux « types idéaux »

répartis en fonction de leurs priorités. L’entrepreneur PIC (Pérennité, Indépendance,

Croissance) est avant tout concentré sur la pérennité de son affaire. Il souhaite conserver son

indépendance et, pour cela, n’acceptera pas l’arrivée de financeurs externes. Pour ce type

d’entrepreneur, la croissance de l’entreprise n’est pas une fin en soi. Son comportement est

fondamentalement paternaliste, voire égocentrique, ce qui constitue un risque majeur lors de

la transmission de pouvoir (Marchesnay, 1991). L’entrepreneur CAP (Croissance,

Autonomie, Pérennité) présente, quant à lui, des caractéristiques diamétralement opposées.

Son objectif, c’est la croissance que ce soit « par les activités en croissance, sinon par la

croissance de ses activités… » (Marchesnay, 1991, p. 15). Il est plus mobile, n’hésite pas à

avoir recours à l’endettement, et est motivé par les « coups » lui permettant d’obtenir des

revenus maximisés. La pérennisation de son entreprise ne l’intéresse que si celle-ci lui permet

d’obtenir des revenus optimisés.

De par son attitude, le dirigeant de TPE se rend indispensable à son entreprise. Il se

confond avec (Bouchikhi et Kimberly, 1996), entretient une relation symbiotique (Verstraete,

2001), à tel point qu’il peut ne pas se faire à l’idée d’un départ à la retraite (Deschamps et

Paturel, 2005), d’une transmission, ou tout simplement d’une existence sans elle (Bah, 2006).

Selon Pailot (1998), une transmission « correspond le plus souvent au dénouement d'une

histoire de vie qui s'accompagne d'une perte d'identité, d'un amoindrissement de la

reconnaissance sociale s'exprimant parfois dans une expérience de crise douloureuse ». Le

lien entre le dirigeant et son entreprise est encore plus prononcé lorsqu’il est le seul créateur

ou repreneur. L’entreprise, quant à elle, est fortement dépendante de ce personnage au centre

de toute son activité. Cette relation de dépendance pose inévitablement le problème de la

continuité et du développement de l’entreprise après son départ. En effet, comment concevoir

l’avenir de l’entreprise sans cet individu connaissant son fonctionnement « sur le bout des

doigts ». Pailot (1998) souligne l’importance du lien dirigeant-entreprise et émet l’hypothèse

selon laquelle la théorie de la transmission doit partiellement reposer sur une théorie du lien 43

De nombreuses typologies ont été élaborées à la suite de l’approche par les traits, parmi lesquelles celles de : Litzinger (1965) et le besoin d’autonomie et de leadership, Laufer (1975) et le besoin d’autonomie, de réalisation de soi et de pouvoir, Fayolle (1996) et le besoin d’autonomie et la propension au changement, Filion (1997) et le besoin d’autonomie, de réalisation de soi, de recherche de profit et d’engagement personnel, Jaouen (2008) et le besoin de reconnaissance sociale et professionnelle, de qualité de vie, de pérennité et de survie.

Page 52: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

51

dirigeant-firme. L’arrivée d’un repreneur brisera ce lien, ce qui constituera de fait une forte

source d’instabilité, voire un véritable choc. Certains auteurs évoquent l’idée d’une

expérience poly-traumatisante (Boussaguet, 2005, p. 23)44.

1.2.1.2.) La relation spécifique du dirigeant de TPE à son environnement

Nous avons observé, dans le paragraphe précédent, la relation particulièrement forte

entretenue par le dirigeant de TPE avec son entreprise. Il s’agit d’une spécificité de la TPE

tout comme la relation qu’il noue avec son environnement. Le dirigeant d’entreprise de petite

taille y est étroitement lié à tel point qu’il semble utopique à de nombreux auteurs de

comprendre son mode de fonctionnement sans étudier cette relation.

1.2.1.2.1.) L’importance du réseau relationnel

Les clients, fournisseurs, banquiers, expert-comptable, institutions locales,

associations et autres parties prenantes font partie de la vie du dirigeant de TPE. Ils

constituent un réseau d’acteurs poursuivant un objectif commun de coopération et d’échange

d’informations fondé sur la confiance interindividuelle (Boutary, 2008). Un réseau peut être

analysé comme un ensemble de nœuds (personnes, entreprises ou autres entités sociales) avec

des connexions plus ou moins denses 45(Granovetter, 2006) reliés entre eux par des relations

sociales d’un type spécifique (Laumann et al., 1978, cités par Richomme-Huet et De

Freyman, 2008). Il est fréquent d’observer l’existence de liens très forts entre le dirigeant de

TPE et certains membres de son réseau relationnel, ce qui n’est pas sans poser de problèmes.

En effet, pour certains auteurs, la qualité des informations échangées varie significativement

suivant la force des liens. Ainsi, d’après Granovetter (1985, 2006), il y a davantage

d’informations circulant entre les individus à travers des liens faibles qu’à travers des liens

forts. Cet auteur démontre, à partir d’une étude consacrée à la recherche d’emploi d’une

population de cadres résidant dans la région de Boston, l’importance de l’information par

44 Boussaguet (2005) utilise l’expression « polytraumatisée », car, selon elle, le traumatisme peut intervenir à différents niveaux de l’entreprise (que ce soit au niveau individuel, collectif et/ou organisationnel). 45 La densité est définie par Granovetter (2006) comme la proportion de connexions existantes entre les nœuds (n) par rapport aux connexions possibles n (n-1)/2 entre ces nœuds. L’auteur souligne que « toutes choses étant égales par ailleurs, les groupes les plus larges auront une densité plus faible car les individus ont des limites

cognitives, émotionnelles, spatiales et temporelles concernant le nombre de liens sociaux qu’ils peuvent

entretenir ».

Page 53: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

52

relation ; celle-ci apparaît de meilleure qualité, plus pertinente46 et moins coûteuse. Ainsi, le

repreneur de TPE centré sur son réseau proche percevra mal les opportunités dissimulées

derrière les informations pouvant être apportées par son réseau relationnel plus éloigné.

Pour Marchesnay et Julien (1990), l’entreprise de petite taille est assimilable à un

espace ouvert prenant place dans un espace plus grand de relations : le réseau organisationnel

(Granovetter, 1985) comme le montre la figure suivante. En utilisant sa compétence sociale47,

le dirigeant de TPE construit patiemment ce réseau et l’utilise pour assurer la pérennité ainsi

que la profitabilité de son entreprise. Geindre (2009) remarque que plus l’entreprise est de

petite taille, plus le dirigeant a tendance à confondre son réseau personnel avec celui de son

entreprise. Dans la mesure où le réseau social du dirigeant est un des vecteurs de

performances de la TPE (De Freyman, 2009), se pose naturellement le problème du transfert

de cette ressource intangible (Hall, 1992) lors d’une opération de reprise. En d’autres termes,

le repreneur peut-il se voir transmettre, au moins partiellement, cette ressource essentielle

mais totalement dépendante de son instigateur ?

Figure 4 - Le réseau organisationnel imbriqué dans un environnement

Source : Auteur.

46

Cette information est, en règle générale, peu diffusée et transite par un nombre limité d’intermédiaires. Ceci aboutit à des emplois correspondant davantage aux attentes des demandeurs d’emploi, ainsi qu’à une meilleure rémunération. 47

Geindre (2009) la définit comme « l’efficacité globale du processus d’interaction avec les autres et, par

conséquent, dépend de la capacité à créer et à étendre son réseau, à se positionner pour ensuite le mobiliser ». Selon cet auteur, il s’agit d’une qualité du dirigeant.

Environnement

Dirigeant-TPE

Champ d’action

Champ d’action

Réseau organisationnel

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53

1.2.1.2.2.) Un mode de raisonnement marqué par la proximité

Le dirigeant de TPE possède une vision de son environnement que l’on pourrait

qualifiée de « biaisée ». Il a tendance à privilégier les événements ou l’environnement proches

au détriment de ce qui est lointain. Pour Torrès (2007), la gestion spécifique de la petite

entreprise semble obéir à un principe de proximité. Celle-ci apparaît comme « un construit

stratégique et organisationnel qui permet au dirigeant de la petite entreprise de maintenir son

emprise sur l’entreprise et son évolution » (Torrès, 2002, p. 1). Afin d’étayer sa

démonstration, Torrès (2003) s’appuie sur le principe de centralité développé par Moles et

Rohmer (1978). Il s’agit d’une conception égocentrée de la réalité éprouvée par un individu

placé dans un environnement, dont le point de référence unique est « le Moi, ici et

maintenant ». L’individu se considère comme le centre du monde et celui-ci s’étend autour de

lui. L’importance des êtres, des choses et des événements diminue avec la distance à mesure

que décroît leur perception elle-même (Moles et Rohmer, 1978, cités par Torrès, 2003).

L’environnement, les êtres et les événements proches sont donc privilégiés par le dirigeant

propriétaire et sont perçus en fonction de son propre point de vue. Toute l’organisation de la

TPE s’articule en fonction de ce Moi et des dimensions qui l’interpellent48. Le dirigeant de

TPE aura tendance à n’accorder que peu d’importance à ce qui est loin et inversement,

énormément d’importance à ce qui est proche (figure 5). Pour compléter leur démonstration,

Moles et Rohmer introduisent le phénomène de paroi compris comme une séparation

affaiblissant l’extérieur par rapport à l’intérieur (figure 6). Les murs de la TPE peuvent

constituer cette paroi permettant au dirigeant propriétaire de focaliser son attention sur ce qui

est proche et sur les éléments sur lesquels il pense avoir un pouvoir, au détriment de ce qui est

ailleurs. Pour Torrès (2003), cet effet de paroi est essentiel pour comprendre le concept de

proximité. Ainsi, pour l’auteur, « on peut considérer qu’il n’y a pas de proximité sans paroi ».

Dans notre sujet de recherche, il devient nécessaire de prendre en compte les effets de

proxémie et de paroi sur la transmission-reprise49 de la TPE afin de mieux comprendre ses

mécanismes et la dépendance de l’organisation envers son dirigeant. Nous relevons, d’une

part, que le dirigeant qui cède son entreprise peut, en étant concentré sur son environnement

proche, négliger (volontairement ou involontairement) des actions importantes pour le futur

de l’organisation. D’autre part, l’accès par le repreneur aux informations essentielles dépend

48

La philosophie de la centralité est une conception égocentrée de l’espace « Ici » et du temps «maintenant ». 49

Ainsi, selon Torrès (2008), le modèle des transmissions concentriques développé par Bah (2006) caractérise les effets de proxémie dans le domaine de la transmission, et la théorie du deuil, mobilisée par Pailot (2000), les effets de paroi.

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54

totalement du bon vouloir du cédant, personnage central ayant une emprise totale sur

l’entreprise, ce qui ne va pas sans compliquer les conditions de transmission (De Freyman,

2009). Les figures ci-dessous illustrent la loi proxémique et le phénomène de paroi mis en

évidence par Moles et Rohmer (1978) dans leurs travaux.

Figure 5 - La loi proxémique Figure 6 - Le phénomène de paroi

Source : Moles et Rohmer (1978).

1.2.2.) L’effet de grossissement et son impact sur la transmission-reprise

L’ « effet de grossissement », mis en évidence par Mahé de Boislandelle (1996),

découle de l’action combinée de facteurs objectifs et subjectifs agissant sur le dirigeant chargé

de décider dans son organisation. Ce concept tend à démontrer que l’intensité des problèmes

rencontrés n’est pas la même dans une petite entreprise que dans une grande. Chaque

événement, chaque problème, revêt un caractère important, voire stratégique, au sein des plus

petites entreprises. Cela revient à interpréter la reprise d’une TPE comme un événement

stratégique susceptible de perturber durablement son fonctionnement. L’utilisation du concept

d’effet de grossissement permet de mieux appréhender les difficultés auxquelles peuvent être

confrontées les TPE en situation de transmission-reprise. Selon Mahé de Boislandelle (1996),

l’effet de grossissement peut être décomposé en trois effets distincts : l’effet de nombre,

l’effet de proportion et l’effet de microcosme. Afin de compléter cette déclinaison, Torrès

(1999) en ajoute un quatrième, l’effet d’égotrophie.

Importance relative des êtres et des phénomènes

Moi Ici et maintenant

Moi Ici et maintenant

Distance Distance

x x

Importance relative des êtres et des phénomènes

Phénomène de paroi

Discontinuité de l’importance des

phénomènes par une paroi

Page 56: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

55

1.2.2.1.) L’effet de nombre

L’effet de nombre correspond aux processus de distanciation ou de rapprochement

résultant du nombre de relations d’un individu avec son entourage de travail. A mesure que le

nombre de relations professionnelles augmente, le dirigeant, limité comme tout individu dans

ses capacités cognitives, aura une connaissance individualisée moins approfondie de chacun

(et inversement). Le dirigeant de TPE a tendance à privilégier le contrôle direct, ce qui induit

une attention plus poussée à l’égard des membres de son entourage. Mahé de Boislandelle

relève également une augmentation du poids relatif de chacun au sein des petites structures.

Chaque individu aura un poids variable selon son caractère stratégique, sa fonction ou son

poste. Plus la fonction est considérée comme essentielle, ce qui est le cas de celle du dirigeant

de TPE, plus la place de l’individu est stratégique. Le repreneur de TPE devra s’inscrire dans

un espace déjà structuré d’individus réunis autour du propriétaire-dirigeant, véritable colonne

vertébrale de l’entreprise, auquel il devra se substituer.

1.2.2.2.) L’effet de proportion

L’effet de proportion renvoie au principe selon lequel plus l’effectif pris en

considération est restreint, plus la place d’un élément est proportionnellement élevée. Dans

une TPE, le poids de chaque individu est inversement proportionnel au nombre des acteurs.

Ceci est illustré par l’exemple suivant: « Si à une équipe de deux on adjoint un collaborateur,

c’est 50% d’augmentation de l’effectif, soit 33% du nouveau total. Si sur 4 équipiers il y a un

absent cela représente un absentéisme de 25% » (Mahé de Boislandelle, 1996, p. 6). L’effet

de proportion affecte également la perception des éléments extérieurs à l’entreprise. Chaque

événement (perte ou insolvabilité d’un client important, changement de fournisseur, etc.),

pouvant être considéré comme mineur dans une grande entreprise, prend rapidement la

tournure d’une véritable crise au sein d’une petite entreprise. La reprise d’une TPE constitue

un événement majeur puisqu’elle implique le remplacement d’une pièce centrale au sein d’un

effectif restreint. La petite taille de l’entreprise contraint le repreneur à maîtriser de

nombreuses variables (fonctionnement de l’entreprise, gestion des ressources humaines,

gestion des relations à l’environnement) afin d’éviter tout soubresaut pouvant lui être fatal.

Page 57: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

56

1.2.2.3.) L’effet de microcosme

Selon Mahé de Boislandelle (1996, p. 7), l’effet de microcosme n’est pas « de même

nature que le précédent ». La fonction dominante n’est pas le petit nombre, mais « la

focalisation de l’attention, de l’énergie réflexive d’un sujet sur l’immédiat, de deux manières :

l’immédiat dans le temps (le terme le plus rapproché, c'est-à-dire le court terme…),

l’immédiat dans l’espace ou par l’esprit (le plus proche physiquement ou

psychologiquement) ». L’effet de microcosme résulte d’une combinaison entre une

implication importante du dirigeant, l’intensité affective de ses relations, les urgences

ressenties et le nombre de tâches qui lui incombent. Pour Torrès (2003), l’effet de

microcosme est également impliqué dans les relations nouées par l’entreprise avec son

environnement. Le dirigeant de TPE dépensant son énergie en focalisations de proximité,

dispose de moins de disponibilité pour regarder à l’extérieur et au loin. Sa vision est altérée,

son esprit critique réduit et son rapport à l’environnement modifié, générant ainsi des

hypertrophies (figure 7). Il y a exagération du point « ici » par rapport à « ailleurs ». Tout

ceci peut mener à une « proxémique aiguë » dont les effets sont expliqués par Torrès (2003, p.

131) de la manière suivante : « La « proxémique aiguë » se traduit par une réduction du

champ de vision du dirigeant en raison d’une tendance du dirigeant à systématiquement

surévaluer ce qui est proche et sous-évaluer tout ce qui est lointain ». Le déroulement de la

transmission-reprise d’une entreprise peut être affecté par l’effet de microcosme à travers le

comportement des deux principaux protagonistes que sont le cédant et le repreneur. Le

premier fonctionnant « la tête dans le guidon » peut négliger la phase préparatoire à toute

transmission, à savoir la planification des opérations, le réajustement des commandes et des

stocks50, la mise en relation du repreneur avec les partenaires et les salariés de l’entreprise,

etc. Ces derniers ont souvent le sentiment d’être placés devant le fait accompli. L’effet de

microcosme peut également affecter le repreneur qui, une fois seul aux commandes, peut

focaliser son attention sur les événements et/ou les personnes proches, négligeant ainsi une

partie significative de l’environnement de l’entreprise.

50

De nombreux repreneurs émettent des conditions drastiques concernant l’importance du stock à reprendre (ancienneté, obsolescence, montant…).

Page 58: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

57

1.2.2.4.) L’effet d’égotrophie

L’effet d’égotrophie, mis en évidence par Torrès (2003), renvoie à la position centrale

du dirigeant dans son entreprise. La gestion de la TPE a tendance à être centrée sur le

dirigeant qui rapporte tout à lui. « Les affaires de l’entreprise sont d’abord et avant tout une

affaire personnelle » (Torrès, 2003, p. 127). L’effet d’égotrophie caractérisable par un

grossissement de l’égo (ou du Moi) peut mener le dirigeant à une absence de lucidité et le

conduire à adopter une attitude nombriliste, nuisible à la bonne gestion de son affaire. Selon

Torrès (2003), cet effet explique en partie les difficultés rencontrées par certains dirigeants

lorsqu’ils souhaitent transmettre une entité qu’ils ont en grande partie façonnée. S’étant

rendus indispensables grâce à leur expérience et à leur profonde connaissance de l’entreprise,

il leur est parfois impossible d’envisager la poursuite de l’activité sans eux. Cela s’exprime

par des attitudes de retrait ou des comportements négatifs pendant la phase de transition avec

le repreneur.

Page 59: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

58

Conclusion Section 1

Cette première section a permis de constater la difficulté consubstantielle à

l’élaboration d’une définition précise et complète de la TPE. L’approche quantitative,

habituellement retenue, doit être complétée avec des approches basées sur des

caractéristiques intrinsèques de la TPE. La combinaison des approches quantitatives et

qualitatives tout comme l’apport des nombreux travaux consacrés à la PME, permet

d’entrevoir plus précisément les particularités de ce type d’entreprise et procure

corollairement un point d’ancrage satisfaisant pour notre recherche.

Nous définissons donc la TPE à partir des critères européens de la micro-entreprise.

Nous ajoutons que ce type d’organisation est caractérisable par une taille réduite, un rôle

central du dirigeant-propriétaire, une relation d’interdépendance, voire fusionnelle, entre le

dirigeant et son entreprise, un système d’information simple et peu structuré. Elle s’organise

également au travers de relations interpersonnelles fortes, ancrées dans un environnement

structuré selon un principe de proximité.

Nous inscrivons notre travail dans une lecture de la TPE trouvant ses fondements au

sein du courant paradigmatique de la spécificité, considéré comme « un point de doctrine

établi » par Torrès (1997). La thèse de la spécificité permet d’identifier les éléments rendant

complexe la transmission-reprise d’entreprises de petites tailles. Nous avons relevé que les

effets de nombre, de proportion et de microcosme, regroupés par Mahé de Boislandelle

(1996) sous le terme d’effet de grossissement, ainsi que l’effet d’égotrophie peuvent

expliquer, en partie, les difficultés observables lors d’une opération de transmission-reprise.

L’intérêt de cette approche réside dans le fait de démontrer que l’intensité des problèmes

rencontrés n’est pas la même dans une petite entreprise que dans une grande. Toutefois,

même si en contexte d’étude de la transmission-reprise des TPE, l’intérêt du courant de la

spécificité est important, nous veillons à ne pas tomber dans le piège d’une dérive

dogmatique en négligeant une autre caractéristique fondamentale de ce type d’entreprises, à

savoir leur extrême diversité.

Page 60: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

59

Section 2 - Un processus entrepreneurial protéiforme et contingent à forts enjeux

Reprendre une petite entreprise est le souhait de milliers de français51. Cette opération

paraît, d’un premier abord, souvent moins risquée que la création pure (Deschamps et Paturel,

2009)52. Pourtant, les témoignages de nombreux repreneurs ayant franchi le pas évoquent, au

contraire, un parcours long et difficile, tant au début qu’à la fin du processus. Il est rare

qu’une opération de reprise se déroule sans difficultés aussi bien au niveau humain

(Boussaguet, 2005) qu’au niveau organisationnel et financier. L’enjeu du bon déroulement

des opérations de reprise apparaît pourtant crucial pour l’économie française 53 . De

nombreuses statistiques nous alertent sur la configuration actuelle de la pyramide des âges des

dirigeants français et, en particulier, de celle des dirigeants de TPE. Ces indicateurs laissent

présager, dans les années à venir, une forte vague de transmissions d’entreprises. L’ampleur

du phénomène ainsi qu’une conjoncture économique marquée par une croissance atone et un

niveau de chômage durablement élevé54, imposent aux autorités publiques, tout comme à la

communauté scientifique, de mieux s’interroger sur le déroulement de ces transmissions. En

France, le sujet de la reprise d’entreprise semble devenir une préoccupation de premier plan

pour les décideurs politiques et économiques. La communauté scientifique manifeste

également un intérêt grandissant pour les problématiques qui y sont associées. Nous

inscrivons notre travail de recherche dans cette dynamique. Dans un premier temps, nous

commencerons par dresser un état des lieux de la reprise en France et relèverons ses enjeux

pour l’équilibre économique et social du pays. La question de l’intégration de la reprise

d’entreprise au sein du champ de l’entrepreneuriat sera également abordée, puis nous

procèderons à un examen des modalités de transmission identifiables. Les trois étapes du

51

D’après le baromètre IFOP 2011, « L’envie d’entreprendre des français », 7 % d’entre eux souhaiteraient reprendre une entreprise existante. 52

Les auteurs relèvent que pour trois quarts des repreneurs interrogés, l’achat d’une entreprise existante est privilégié à la création ex nihilo parce que cette opération « leur semble plus facile, moins risquée et qu’elle

valorise une expérience de management ». 53

La plupart des auteurs s’accordent sur l’importance économique de la réussite des transmissions d’entreprises et sur l’idée que les reprises réussies procurent, à moyen et à long terme, des avantages économiques qui vont au-delà de la seule pérennité de l’entreprise (Cadieux et Brouard, 2009). La banque publique d’investissement française indique, en outre, qu’une transmission réussie permet en moyenne de créer ou de préserver quatre emplois (Source BPI France : www.bpifrance.fr). 54

Le taux de chômage en France au sens du BIT est de 10,3% de la population active pour le quatrième trimestre 2015, soit 2.9 millions de personnes (France métropolitaine) (Source INSEE, 2016).

Page 61: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

60

processus de reprise seront définies, puis notre intérêt pour la dernière étape (le management

de la reprise) précisé dans un second temps.

2.1.) La reprise d’entreprise : situation actuelle

La reprise peut être définie théoriquement comme un processus qui, par une opération

de rachat, aboutit « à la continuation de la vie de la cible, en difficulté ou non », et de tout ce

qu’elle contient (structure, ressources humaines, financières, techniques, commerciales…)

(Deschamps, 2000, p. 421). Il ne s’agit pas, en soi, d’un phénomène nouveau, mais la

démographie des entreprises françaises55 et européennes tend à en faire, de plus en plus, un

sujet majeur. En France, de très nombreuses entreprises sont concernées par la reprise. Au

sein de l’Union Européenne, le nombre d’entreprises transmises chaque année est estimé à

450 000, celles-ci représentant près de 2 millions d’emplois (Commission européenne, 2013).

Une autre étude menée en 2011, intitulée « Business Dynamics », démontre l’importance

d’encourager la transmission. Elle conclut à la perte de 150 000 sociétés par an, lesquelles

représentent 600 000 emplois du seul fait du manque d’efficience du processus de

transmission d’entreprise (Commission européenne, 2011). Les chiffres qui viennent d’être

exposés, montrent que nous sommes bien là, en présence d’un phénomène de grande ampleur

qui pose clairement la question du maintien de l’emploi et de la vitalité économique des

territoires. Que faire pour éviter la fermeture de ces entreprises viables et ainsi éviter la perte

de nombreux emplois et de valeur économique pour leurs parties prenantes ?

La reprise constitue logiquement une réponse aux problèmes de transmission des

entreprises. Chaque entreprise reprise donne la possibilité de préserver un ou plusieurs

emplois56 et, parallèlement, d’éviter une déperdition de valeur économique pour l’ensemble

de ses parties prenantes. Si la solution paraît pertinente, il faut néanmoins être prudent. Dans

la pratique, tout n’est cependant pas si simple : une fois le repreneur choisi et l’entreprise

transmise, rien ne garantit la réussite de l’opération. Les statistiques sont là pour le prouver.

Environ 20 % des entreprises transmises échouent dans les 5 premières années et 30% dans

les 7 années suivant l’opération (Haddadj et D’Andria, 2001, p. 11 57 ). Représentant la

majorité des entreprises en activité, les TPE sont concernées en premier lieu par ce vaste

55

La configuration de la pyramide des âges des dirigeants d’entreprises françaises laisse présager un accroissement notable du nombre de départs en retraite dans les prochaines années. 56

D’après la Commission européenne (2013, p. 11), la reprise d’entreprise permet de préserver, en moyenne, cinq emplois, alors que la création d’une nouvelle entreprise n’en génère que deux. 57

Pourcentages issus d’une étude réalisée en France sur une population de 1 472 entreprises entre 1993 et 1997.

Page 62: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

61

mouvement de transmission-reprise, ce qui n’est pas sans poser de problèmes. En effet, selon

l’avis de la Commission européenne elle-même : « une transmission est plus difficile quand il

s’agit d’une petite entreprise ou quand l’entreprise est fortement incarnée par son dirigeant »

(Commission européenne, 2013, p. 10).

2.1.1.) Etat des lieux de la transmission-reprise en France

La principale difficulté lorsque l’on aborde le sujet de la reprise d’entreprise en

France, réside dans l’obtention de statistiques récentes et précises concernant le nombre et le

type d’entreprises transmises chaque année. Les études menées par différents organismes

(OSEO-BDPME, 2005 ; BPCE, 2011, 2014 ; CRA58, 2013), ou par des rapporteurs œuvrant

pour le compte du gouvernement (Rapport Mellerio, 2009 ; Rapport Dombre-Coste, 2015)

parviennent toutes à des chiffres différents59 et ne se concentrent pas, à chaque fois, sur les

mêmes catégories d’entreprises ou modalités de rachat. Parallèlement, chacune d’entre elles

présente des limites ; celle OSEO-BDPME est une étude déjà ancienne datant de 2005, quant

aux études BPCE, elles ne prennent pas en considération les entreprises de moins de 10

salariés, soit la majorité des cessions. Le rapport Mellerio, remis en 2009 au secrétaire d’Etat

Hervé Novelli, ne concerne que les transmissions d’entreprises familiales. Enfin, le dernier

rapport en date, le rapport Dombre-Coste (2015) n’avance pas de statistiques précises, se

contentant de faire des estimations en croisant des données d’enquêtes menées

indépendamment ou collectées par différents organismes (BODACC, BPCE, APCMA60).

Face à ce manque de visibilité concernant la situation et son évolution, nous ne

pouvons que déplorer l’arrêt des publications de statistiques par l’INSEE61. Les derniers

chiffres révélés par cet institut, bien qu’anciens (les dernières informations datent de 2006),

58

Cédants et repreneurs d’affaires, association nationale créée en 1985, à l’origine de l’observatoire de la transmission des TPE-PME. 59

Par exemple, pour OSEO, il y aurait 60 000 reprises par an, dont 50 000 microentreprises alors que le rapport Mellerio en répertorie 40 000, dont 6 400 PME. Le rapport Dombre-Coste (2015) reprend le chiffre de 60 000 reprises par an tout en estimant à 70 000 le nombre d’entreprises susceptibles d’être reprises chaque année, soit 700 000 sur 10 ans. Ce dernier chiffre laisse entendre que le nombre de cessions réelles « pourrait être

sensiblement plus élevé » (p. 16). Ce document, remis par la députée de l’Hérault au ministre de l’économie Emmanuel Macron, reconnaît néanmoins l’inexactitude des données proposées et déplore l’absence d’une « vision suffisamment fine de la situation et de son évolution », en raison de « données chiffrées incomplètes et

contrastées » (p.15). 60

Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC). Banque populaire et caisse d’épargne (BPCE). Assemblée permanente des chambres de métiers et de l’artisanat (APCMA). 61

L’INSEE ne publie plus de statistiques concernant le nombre de transmissions-reprises depuis 2006. Suite à un mail que nous leur avons adressé pour une demande d’explications à ce sujet, il nous a tout simplement été signifié que le nombre de reprises d’entreprises « n’est plus estimé depuis 2006 à cause d’un manque de

fiabilité et de complétude ».

Page 63: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

62

nous fournissent néanmoins une première vue d’ensemble du phénomène. L’étude fait état de

38 774 transmissions sur l’année 2006 et d’une diminution de 5,04% de leur nombre par

rapport à 2005. Elle conclut sur une tendance baissière du nombre de transmissions depuis

plus d’une décennie (Tableau 6). Le départ à la retraite constituerait la principale cause de

transmission d’une entreprise, un dirigeant sur trois (soit l’équivalent de 700 000 personnes)

serait âgé de plus de 60 ans.

Tableau 6 - Tableau des chiffres de la transmission d’entreprises en France de 1997 à 2006

ANNEE 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006

REPRISES 46385 44480 43159 41652 41560 40124 39983 42228 40832 38774

EVOLUTION

N-1

+0,7% -4,10% -2,97% -3,49% -0,21% -3,43% -0,21% + 5,06% -2,95 % -5,04%

Source : INSEE- base de données Sirène, APCE, 2007.

En l’absence de statistiques nationales officielles, les données concernant le

vieillissement des dirigeants d’entreprises sont fréquemment utilisées pour approcher le

volume des transmissions. La pyramide des âges des dirigeants français est l’outil le plus

souvent exploité pour proposer une estimation du phénomène et de son évolution. Usant en

partie de cette méthodologie, le ministère de l’artisanat, du commerce et du tourisme avance

de nouveaux chiffres. Près de 630 000 entreprises seront en situation d’être transmises dans

les 10 prochaines années, dont 300 000 en raison du départ à la retraite de leur dirigeant

(Pinel, 201362). L’âge du dirigeant serait ainsi, là encore, la principale cause à la cession

d’entreprise. Selon l’ex ministre de l’artisanat, du commerce et du tourisme, Sylvia Pinel, lors

de son discours inaugural pour le lancement du kit « transmission d’entreprise », il est

impératif de se préoccuper du sort de ces entreprises, et de s’engager fortement « au service

de l’accompagnement des dirigeants dans la transmission des entreprises » (Pinel, 2013, p.

1). Les actions choisies visent prioritairement les futurs cédants, ceux âgés de plus de 57 ans,

afin de leur permettre d’anticiper l’opération, « condition nécessaire pour la réussite du projet

et éviter la fermeture de l’entreprise » (p. 2).

62

Discours de Sylvia PINEL, Bercy, 19 décembre 2013.

Page 64: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

63

Si l’âge du dirigeant peut être retenu, à juste titre, comme une variable permettant

d’approcher le nombre de transmissions, elle n’est pas la seule. D’autres facteurs sont

également tout à fait pertinents pour l’estimer. C’est le cas du changement de profession du

dirigeant, de la maladie, du divorce, du décès, de la fatigue, etc. A l’évidence, le phénomène

est pluriel. Cette multitude de situations fait que les chiffres qui nous sont proposés, paraissent

biens inférieurs au nombre d’entreprises réellement reprises chaque année. Les données

seraient donc non seulement floues et imprécises, mais également, passablement incomplètes.

Certains observateurs n’hésitent pas à remettre en cause les chiffres de reprises « officiels »

avancés par l’INSEE (2006). Ils pointent du doigt des lacunes dans la méthodologie utilisée

par l’institut pour estimer le nombre de transmissions. Ils citent, par exemple, la non

comptabilisation des cessions de parts sociales ou les changements de dirigeant au sein d’une

holding. La prise en compte de l’ensemble de ces éléments fait dire à quelques analystes

français (Ferrero et Loubens, 2013 ; Dombre-Coste, 2015) que le nombre de transmissions-

reprises est, d’une manière générale, largement sous-estimé.

Au terme de nos différentes tentatives pour obtenir des statistiques utilisables

scientifiquement à propos du phénomène, nous n’en obtenons que des données imprécises et

incomplètes. Les études proposent des chiffres différents, utilisent des méthodes d’estimations

variées, ne se concentrent pas sur les mêmes catégories d’entreprises. Néanmoins, elles

s’accordent toutes sur l’importance du phénomène. Ce dernier n’est pas quantifiable

précisément, mais il concerne plusieurs dizaines de milliers d’entreprises chaque année. La

lecture de nombreux ouvrages et publications à destination des praticiens et des scientifiques,

nous révèle qu’un consensus s’est établi en France autour du nombre de reprises annoncé par

l’étude OSEO-BDPME (2005), soit environ 60 000 par an. Cette étude, également ancienne,

permet d’avoir des renseignements quant aux entreprises qui sont transmises. Ainsi, sur les

60 000 transmissions annoncées, 91,7% concernent les TPE (moins de 10 salariés), soit 55

000 unités. Le reste étant de respectivement 5 000 pour les petites entreprises (de 10 à 49

salariés) et de 500 pour les entreprises de tailles moyennes (50 à 249 salariés). Nous

remarquons, dès à présent, que les TPE constituent la part la plus significative des

transmissions. Ceci semble corroborer les statistiques publiées par l’INSEE (2012) sur la

proportion significativement plus importante des TPE parmi toutes les autres entreprises

œuvrant sur le territoire français. Cette situation justifie, presque à elle seule, l’intérêt d’axer

nos travaux de recherche sur la transmission de ce type d’entreprises. L’importance de leur

Page 65: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

64

poids économique et social dans l’économie française, faisant de leur transmission, un enjeu

crucial pour l’équilibre économique et social du pays.

2.1.2.) Des enjeux économiques et sociaux unanimement reconnus.

En France, comme nous venons de le voir, faute de statistiques officielles adéquates, il

est très difficile d’obtenir une représentation précise du nombre de transmissions d’entreprises

et de son évolution. Cependant, une chose paraît communément acceptée, le phénomène est

important et il est amené à durer, voire à s’amplifier dans les prochaines années (Dombre-

Coste, 2015). Pour certains observateurs et décideurs politiques (Mellerio, 2009 ; Pinel,

201363 ; Dombre-Coste, 2015), cette situation devient même préoccupante pour l’emploi et la

vitalité économique des territoires, tant les entreprises en situations potentielles d’être

reprises, particulièrement les TPE, sont nombreuses. Pour de multiples raisons, toutes ne

trouveront pas preneur et cesseront complètement leur activité. Le Conseil économique, social

et environnemental (CESE, 2013)64 est le premier à s’en alarmer. Il estime à environ 120 000

entreprises, soit 22% des entreprises commerciales, le nombre d’entreprises susceptibles de

fermer en France dans les dix ans à venir.

Les enjeux socioéconomiques sont bel et bien énormes. Il apparaît primordial de

préserver ce tissu d’entreprises en favorisant leur transmission. Chaque disparition

d’entreprise entraîne dans son sillage des pertes économiques réelles et un potentiel de

croissance pour l’ensemble des parties prenantes (fournisseurs, prestataires de services,

collectivités locales, Etat, etc.). Elle conduit à un véritable processus de destruction de valeur

dont les premières et principales victimes sont les employés. Il s’en suit une dégradation

généralisée de la situation de l’emploi, une fragilisation des territoires conséquente à un

appauvrissement du tissu économique et une perte de savoir-faire difficilement récupérable.

Dans son intervention lors du lancement du « Kit transmission d’entreprise » le jeudi 19

décembre 2013 (op.cit.), Sylvia Pinel, ministre de l’artisanat du commerce et du tourisme de

l’époque, semble en avoir pris pleinement conscience. Elle justifie son engagement en faveur

de la transmission des entreprises de la manière suivante : « La transmission, c’est un thème

crucial pour notre pays et nos entreprises. Elles ont des acquis, des savoir-faire, des emplois,

une clientèle qu’il ne faut pas abandonner. Ce sont des entreprises de proximité qui, partout

en France, assurent le dynamisme de notre tissu social et c’est pour cela que des événements 63

Sylvia Pinel, Ministre de l’artisanat, du commerce et du tourisme de 2012 à 2014, discours sur la transmission d’entreprises du 19 décembre 2013. 64

Chiffres cités dans le « Plan d’action pour le commerce et les commerçants » du 19 juin 2013.

Page 66: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

65

seront organisés au niveau régional et départemental, en liaison avec l’ensemble des acteurs

pour faire la promotion de la transmission des entreprises et la nécessité de l’anticiper. Et

puis, à l’heure où le Gouvernement mène une véritable bataille pour l’emploi, il ne faut pas

laisser fermer des entreprises qui fonctionnent bien, qui emploient et qui forment des

jeunes ! » (p. 7).

Plus récemment, Fanny Dombre-Coste, députée de l’Hérault, écrit : « L’engagement de

l’exécutif coïncide (…) avec les besoins de l’économie réelle en matière de transmission

d’entreprise. Comprendre les défaillances du marché de la reprise d’entreprise et y répondre

est crucial, car la fluidité des transmissions participe de la dynamique économique générale.

Bien transmettre nos entreprises, c’est sauvegarder 750 000 emplois, et potentiellement en

créer des dizaines de milliers d’autres » (p. 6). Cette prise de conscience du monde politique

français semble effectivement exister. Néanmoins, elle s’est faite progressivement et

relativement tardivement, malgré la publication, dès le début des années 1990, par la

Commission européenne de chiffres éloquents sur l’ampleur du phénomène et ses

conséquences en termes d’emplois.

2.1.2.1.) Une première prise de conscience au niveau européen

La transmission des petites et moyennes entreprises a fait l’objet, dès le début des

années 1990, d’une attention toute particulière de la part de la Commission européenne65. Des

premières recommandations à destination des Etats membres sont émises le 7 décembre 1994,

partant du constat selon lequel, chaque année, des milliers d’entreprises disparaissaient en

raison de difficultés insurmontables inhérentes à leur transmission. Les répercussions

négatives considérables sur les économies nationales, puis corollairement sur l’économie de

l’union, sont soulignées. Dans ce qui peut s’apparenter à un premier état des lieux européen

de la transmission, l’accent est d’abord mis sur l’impact financier du paiement de droits de

mutation sur la santé économique de l’entreprise et son effet sur la compétitivité des

entreprises reprises, eu égard à la concurrence mondiale. Chaque pays est invité à prendre des

mesures pour ne pas se laisser submerger par l’ampleur du phénomène. Ces premières

recommandations sont appuyées par une nouvelle communication de la Commission

européenne, datant du 28 Mars 1998, présentant le sujet de la transmission comme « l’un des

dossiers clés de la politique d’entreprise de la Commission européenne ». Il s’agit là d’un

rappel, demandant aux différents pays d’accentuer leurs efforts. Nous relevons que la

65

Nous précisons qu’au départ, l’attention était portée sur les transmissions successorales.

Page 67: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

66

principale lacune des recommandations de 1994 ou de la communication de 1998, réside dans

leur focalisation sur les transmissions familiales, les autres types de transmissions étant

délaissés.

En décembre 2000, un projet intitulé « procédure BEST » axée sur la transmission

d’entreprises a été lancé par la direction générale des entreprises de la Commission

européenne. Son objectif principal est de suivre l’application des recommandations de 1994

sur la transmission, « de définir des mesures de soutien à la transmission d’entreprise et de

proposer des domaines d’actions prioritaires pour l’avenir » (Rapport de la Commission,

2013, p. 18). A cette occasion, est mis en place un groupe d’experts chargés d’aider la

commission à mener à bien ce projet. Quelques années plus tard, est une nouvelle fois pointée

du doigt, l’insuffisante prise de conscience, par l’ensemble des acteurs concernés, des

problèmes liés à la préparation des transmissions d’entreprises66 . La Commission européenne

(2003) estime que plus de 5 millions d’entreprises européennes seront confrontées au

problème de la transmission dans les dix années à venir. Le nombre d’emplois perdus, faute

de préparation à la transmission, est évalué, quant à lui, à 6,5 millions. En 2006, elle publie un

nouveau communiqué intitulé « La transmission d’entreprise - La continuité grâce à un

nouveau départ ». Il s’agit d’une énième « piqûre de rappel » aux Etats membres à des fins de

favoriser l’émergence d’un climat propice aux transmissions d’entreprises.

Régulièrement, la Commission européenne publie des études et des guides67 relatant

l’importance des transmissions d’entreprises sur l’économie des Etats. A chaque fois, est

souligné le manque d’attention et d’actions concrètes de la part des décideurs politiques, des

parties prenantes concernées et des autorités de gestion agissant à l’échelle régionale pour

améliorer le soutien à la transmission d’entreprises. La dernière étude en date, intitulée

« Faciliter la transmission d’entreprise » (Commission européenne, 2013), dresse un état

récapitulatif des mesures déjà prises et énumère les actions devant être menées pour aller plus

loin. Cinq mesures sont proposées que nous reprenons ci-dessous.

66

La Commission européenne (2003) évoque 3 catégories de problèmes liés à la préparation des transmissions d’entreprises : la réticence des dirigeants fondateurs à l’idée de quitter leur entreprise, l’impréparation et l’inexpérience du dirigeant face à la complexité du processus de transmission, et les problèmes liés aux législations nationales en vigueur dans chaque pays (obligations fiscales, administratives). 67

Nous pouvons citer les derniers en date, « Business Dynamics : Start-ups, business transfers and

bankruptcy », Commission européenne, 2011 ; « Faciliter la transmission d’entreprise », Direction générale des entreprises et de l’industrie, Commission européenne, 2013.

Page 68: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

67

- Le soutien et la sensibilisation : le principal objectif de la Commission consiste à

sensibiliser les décideurs politiques et les parties prenantes concernées des Etats

membres « aux pièges liés à la préparation insuffisante de nombreux entrepreneurs

prenant leur retraite ». Est également souligné l’intérêt d’intensifier les actions visant

à « conscientiser les chefs d’entreprise à la nécessité de planifier la transmission de

leur société suffisamment longtemps à l’avance ».

- L’instauration d’un cadre réglementaire favorable à la transmission

d’entreprise : chaque Etat membre doit systématiquement encourager l’acquisition

d’entreprise « comme solution alternative » à la création ex nihilo. Cela peut passer par

la mise en place de règles juridiques favorables à la transmission ou par une politique

d’exonérations fiscales au profit du cédant (exonérations de l’impôt sur le revenu du

produit de la vente de l’entreprise) ou du repreneur (exonérations fiscales pour les

investissements des salariés dans leur entreprise).

- La mise en place de facilités financières spécifiques à la reprise d’une entreprise :

partant du constat que l’acquisition d’une entreprise nécessite davantage de capitaux

que la création d’une nouvelle, le rapport suggère l’instauration de différents outils tels

des prêts à taux préférentiels ou encore des aides à la reprise de petites entreprises.

- La sensibilisation et l’assistance aux entrepreneurs : sensibiliser, via les chambres

consulaires par exemple, les dirigeants les plus âgés sur la nécessité d’une préparation

précoce de la transmission est une priorité. Cette première étape franchie, le dirigeant

doit être accompagné dans sa démarche par des spécialistes de la transmission.

L’instauration de cours dédiés à la transmission pour les cédants et les repreneurs est

également préconisée.

- La mise en relation des vendeurs et des acquéreurs potentiels via des bourses

d’opportunités de qualité (fiables, précises et anonymes) doit être facilitée.

Dans ce dernier rapport, les insuffisances d’une grande majorité des Etats de l’Union en ce

qui concerne l’établissement de données statistiques sur les transmissions d’entreprises sont

également pointées du doigt. Selon les propres termes de la Commission, cela a pour

conséquences de « priver les gouvernements des éléments nécessaires pour étayer

Page 69: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

68

l’élaboration et l’application de politiques spécifiques destinées à faciliter la transmission

d’entreprise » (p. 13)68.

2.1.2.2.) En France : une action tardive des pouvoirs publics largement orientée sur la « transmission-continuité » effectuée par la famille ou les salariés

Si la transmission d’entreprises69 est apparue, dès le début des années 1990, comme

« l’un des dossiers clés de la politique de la Commission européenne en faveur des

entreprises » (Commission européenne, 2013), la France n’a saisi que tardivement

l’importance du phénomène. Les décideurs politiques français ont été davantage focalisés sur

l’incitation à la création d’entreprises ou préoccupés par la sauvegarde d’entreprises en

difficultés. Toutefois, cette tendance s’est inversée au début des années 2000. Le double

constat d’une baisse du nombre de reprises d’entreprises enregistré depuis plus de dix ans et

d’un vieillissement effectif des dirigeants d’entreprises, suscite inquiétudes et réactions. En

premier lieu, l’objectif des pouvoirs publics a été de créer un climat incitatif à la transmission

d’entreprises via, notamment, une réduction du coût fiscal des cessions. Une succession de

lois, reprises ci-dessous, portant directement sur la transmission d’entreprises ont ainsi été

votées.

- La loi sur l’initiative économique (loi Dutreil) du 22 Juillet 2003. Cette loi comporte

plusieurs volets, dont le principal concerne l’allègement des droits de succession et

donation imputables à la transmission d’entreprises.

- La loi pour le soutien à la consommation et à l’investissement (loi Sarkozy) du 9 Août

2004. Des possibilités d’exonérations70 de plus-values de cession (lorsque la valeur de

l’activité cédée n’excède pas 300K€) ou des droits de mutations, sont offertes pour la

transmission de fonds de commerce ou de clientèle.

- La loi (Dutreil 2) en faveur des PME, du 2 Août 2005. L’objectif de cette loi est

d’encourager la transmission d’entreprises via une série de dispositifs tels que

l’exonération des dons d’argent destinés à financer une reprise d’entreprise (Article 6),

l’instauration d’un dispositif de tutorat destiné au repreneur d’entreprise (Article 24),

68

« Faciliter la transmission d’entreprise », Commission européenne, Direction générale des entreprises et de l’industrie, 2013. 69

Elle est définie en France par l’article L.1234-7 du code du travail, comme la poursuite de l’activité d’une entreprise juridiquement autonome par un autre chef d’entreprise. 70

Il s’agit d’un dispositif temporaire ne concernant que les cessions intervenues entre le 16 Juin 2004 et le 31 décembre 2005.

Page 70: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

69

la création d’une prime à la transmission accompagnée (Article 25) ou encore

l’application d’abattements fiscaux supplémentaires (Article 28).

- La loi TEPA en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat du 21 août 2007.

Cette loi apporte des simplifications et des assouplissements pour la transmission

d’une entreprise : exonération de droits de succession pour le conjoint survivant,

augmentation de l’abattement pour les enfants…

- La loi de modernisation de l’économie (LME) du 4 Août 2008 comprend plusieurs

mesures devant favoriser la transmission d’entreprises (abattements pour la

transmission aux salariés ou à des proches, diminution du taux des droits

d’enregistrement applicables aux ventes de droits sociaux71, réduction d’impôt sur les

revenus accordée aux repreneurs).

- La loi du 1er Mars 2013 portant création du contrat de génération. Celle-ci offre la

possibilité aux dirigeants d’entreprises de moins de 300 salariés et âgés de plus de 57

ans, de recruter un repreneur de moins de 30 ans et de bénéficier d’une aide annuelle

de 4000 € pendant 3 ans.

- La loi sur l’économie sociale et solidaire du 31 juillet 2014, dite « loi Hamon », vise à

encourager la reprise d’entreprises par les salariés, en les informant au préalable à tout

projet de cession72.

Un premier regard sur l’ensemble des différentes lois qui viennent d’être présentées,

montre que la transmission à la famille et/ou aux salariés est celle qui préoccupe en premier

lieu le législateur. L’objectif est d’inciter la famille ou les salariés à reprendre en leur offrant

des avantages fiscaux. Cette série de textes législatifs s’accompagne quelquefois d’actions

ponctuelles. Ainsi, le ministère de l’artisanat, du commerce et du tourisme, suivant certaines

préconisations de la Commission européenne, a mis à la disposition des entrepreneurs

« proches de la retraite », plusieurs outils censés les aider à mieux appréhender le problème.

71

Pour les mutations à titre onéreux, ce dernier passe de 5 à 3 %. 72

Le titre II de cette loi (n° 2014-856) comporte des dispositions « facilitant la transmission d’entreprises à leurs

salariés ». Le futur cédant de fonds de commerce ou d’entreprise de moins de 250 salariés doit informer tous ses salariés de son intention de vendre « par tout moyen, précisé par voie réglementaire, de nature à rendre

certaine la date de sa réception par ces derniers » (art L.141-25) et ceci, deux mois avant la cession effective. L’objectif de cette loi est de « permettre à un ou plusieurs salariés de l’entreprise de présenter une offre pour

l’acquisition du fonds » (art L.141-23). La loi Macron (6 Août 2015) revoit à la baisse le champ d’application de l’obligation d’information des salariés en cas de cession. Elle limite cette obligation au seul cas de vente de l’entreprise, et dispense le dirigeant de cette obligation, si dans les douze mois précédant la vente, il a déjà informé les salariés sur les possibilités de reprise dans le cadre de son obligation triennale. Est également modifiée la sanction encourue en cas de défaut d’information (indemnité plafonnée à 2% du montant de la vente).

Page 71: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

70

Ces derniers sont répertoriés dans une brochure intitulée : « Transmettre votre entreprise, une

opportunité à saisir », adressée par le RSI73, le 15 décembre 2013, à 200 000 indépendants

âgés de plus de 57 ans. La mise en place de ce prospectus, accompagné d’un site Internet

rassemblant les informations utiles aux futurs cédants, reflète une certaine prise de conscience

de la part des autorités politiques. La publication du rapport Dombre-Coste (2015) vient

confirmer cette prise de conscience. L’enjeu principal pour les pouvoirs publics est de faciliter

la transmission d’entreprises. A ce titre, les actions préconisées se concentrent sur la

transparence et la fluidité du marché, et sur la sensibilisation et la préparation des futurs

cédants. Bien qu’il soit souligné le manque de formation et d’accompagnement des

repreneurs, très peu de mesures, autres que fiscales, ne les concernent directement.

2.1.2.3.) Une action relayée en région Auvergne-Rhône-Alpes

Issue de la fusion récente des deux anciennes régions « Auvergne » et « Rhône-

Alpes », la nouvelle région « Auvergne-Rhône-Alpes » est un acteur de poids dans le paysage

économique européen. Avec une population de 7.8 millions d’habitants, un PIB de 242.5

milliards d'euros (INSEE, 2013) et un nombre d’entreprises tous secteurs confondus de 550

179 74 , elle représente la deuxième région française et la huitième région de l’Union

européenne en termes de PIB (Source : CCI Auvergne-Rhône-Alpes, 2016). L’analyse

statistique nous indique que les petites entreprises (1 à 49 salariés) y sont très largement

majoritaires puisqu’elles constituent 98,9 % des entreprises régionales. 93,5 % d’entre elles

sont des TPE de moins de 10 salariés, et une large majorité (66.6 %) sont des entreprises sans

aucun salarié (INSEE, 201475).

L’importance du poids des TPE en Auvergne-Rhône-Alpes, analysée au regard des

statistiques démographiques régionales concernant le vieillissement des dirigeants76, donne à

la transmission de ce type d’entreprises au sein de cette région, un caractère prioritaire. Dans

certains secteurs, la situation paraît préoccupante. C’est le cas des secteurs de l’industrie, des

73

Régime Social des Indépendants. 74

Chiffres provenant de l’INSEE, Répertoire des Entreprises et des Etablissements, activités marchandes hors secteur agricole, 1-01-2014, données semi-définitives. 75

Répertoire des Entreprises et des Etablissements, activités marchandes hors secteur agricole, 1-01-2014, données semi-définitives. 76

Ce sujet concerne directement par exemple les 46 130 entreprises implantées dans l’ex-région Rhône-Alpes dont le dirigeant est âgé de plus de 55 ans (Observatoire BASECO, CCI Rhône-Alpes, chiffres arrêtés au 31 décembre 2008). Nous ne disposons pas, au moment où nous rédigeons, des chiffres concernant la nouvelle région.

Page 72: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

71

services et du commerce77. A l’instar de ce qui se passe au niveau national, les acteurs

politiques et économiques régionaux semblent avoir pris conscience des enjeux de la

transmission d’entreprises sur le maintien de l’emploi et la vitalité des tissus économiques

locaux. Jean-Jack Queyranne, ex-président du conseil régional de Rhône-Alpes, déclarait dans

un éditorial publié à l’occasion du lancement du portail internet « reprendre en Rhône-

Alpes » 78 , dédié uniquement à la reprise d’entreprise : « Avec 36 % des entreprises

rhônalpines à reprendre dans les dix prochaines années, la Région fait de l’accompagnement

de la transmission une de ses priorités ».

Plusieurs programmes ont ainsi été lancés par l’ancien conseil régional Rhône-Alpes :

le fonds de garantie « iDéclic Transmission »79 dont le but est d’accroître la garantie sur les

concours bancaires et faciliter le bouclage financier des projets de reprise de TPE ;

« Transméa » dont l’objectif est d’apporter un accompagnement et un financement adaptés

aux salariés qui souhaitent reprendre leur entreprise (relayant ainsi les dispositifs nationaux) ;

le portail Internet « Reprendre en Rhône-Alpes » pour accompagner les futurs acquéreurs

dans leur démarche. L’ancienne région Auvergne a, elle aussi, mise en place un dispositif

« Auvergne Transmission » dans l’objet est de proposer aux repreneurs d’entreprises un prêt

sans intérêts (plafonné à 50 000€80) et sans garantie personnelle, pour leur permettre de

renforcer leurs fonds propres et obtenir plus facilement un prêt bancaire. Le bénéficiaire doit

être une personne physique reprenant une entreprise d’au moins 5 salariés située en Auvergne,

avoir des besoins financiers importants et des perspectives de développement de l’activité

existante.

Les Chambres de métiers et consulaires semblent également se saisir du problème.

L’ex-Chambre Régionale de métiers Rhône-Alpes a ainsi initié plusieurs actions telles que la

sensibilisation des chefs d’entreprises à la reprise, un partenariat avec les IUT81, la réalisation

de diagnostics des entreprises à céder, l’organisation de la mise en relation entre cédants et

77

L’Observatoire BASECO-CCI Rhône-Alpes estime que 30 % des responsables d’entreprises industrielles sont âgés de 55 ans ou plus, 24% dans les entreprises de services, 23% dans le secteur du commerce et 18% dans le secteur de la construction (chiffres arrêtés au 31 décembre 2008). 78

Site dédié à la reprise d’entreprise lancé en 2006 par le conseil régional de Rhône-Alpes. 79

IDÉCLIC TRANSMISSION est un fonds de garantie pour la reprise d’entreprises (TPE-PME), développé en partenariat avec OSÉO, et destiné aux projets de reprises dans le secteur de l’artisanat, du commerce, de l’industrie, du tourisme et des services. La région évalue à 200 le nombre de projets accompagnés par ce dispositif chaque année (www.rhonealpes.fr). 80

Le prêt est remboursable mensuellement sur une durée de cinq ans. 81

En juin 2006, les Chambres de métiers et de l’artisanat de Rhône-Alpes et l’Association Régionale des I.U.T. Rhône-Alpes ont signé une convention de partenariat visant à sensibiliser les étudiants à la reprise d’une entreprise artisanale.

Page 73: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

72

repreneurs via la Bourse Régionale d’Opportunités Artisanales (BROA) 82 , et

l’accompagnement des repreneurs (CRMRA, 2006). La CCI Rhône-Alpes met à la disposition

des repreneurs une bourse d’opportunités d’entreprises à reprendre « transentreprise83

», un

guide « reprendre mode d’emploi » et un site internet « les-aides.fr » compilant toutes les

informations relatives aux aides aux entreprises. La CCI Auvergne offre aux cédants et

repreneurs « une palette d’outils » leur permettant de faciliter la transmission des entreprises

(diagnostics personnalisés, « diffusion d’annonces, pré-rapprochement cédant/repreneur, aide

à la concrétisation »84). Nous constatons, là encore, qu’au niveau des Chambres consulaires et

de métiers, peu d’actions mises en place concernent directement les repreneurs, une fois qu’ils

prennent possession de l’entreprise. L’arrivée du repreneur dans l’entreprise laisse penser que

l’opération est un succès.

Ces dix dernières années, en France, nous relevons donc que, sous l’impulsion de la

Commission européenne, diverses mesures ont été prises pour faciliter la transmission-reprise

d’entreprises. Ceci peut être interprété comme une réelle prise de conscience par l’ensemble

des acteurs politiques et économiques de l’étendue des problématiques liées à la reprise

d’entreprises et de ses conséquences en termes d’emploi et de croissance économique. Le

législateur s’est penché sur la question. Toutefois, un examen plus approfondi des différentes

lois votées permet d’affirmer qu’il s’est, avant tout, focalisé sur la transmission à la famille

et/ou aux salariés. Or, il est important de préciser que la reprise par les salariés ou par un

héritier naturel ne sont que deux des trois modalités de transmission existantes, la troisième

étant la reprise par un tiers extérieur (nous développerons ce point, plus en détail, dans une

prochaine section). Pour certains (Ferrero et Loubens, 2013), de tels agissements ne sont pas

sans poser de problèmes. L’orientation des mesures fiscales sur les transmissions familiales et

aux salariés se fait inévitablement au détriment des reprises par un tiers. Ces auteurs

s’inquiètent de la persistance de telles pratiques et des conséquences possiblement néfastes

sur l’économie. Ils citent, par exemple, dans leur rapport élaboré pour le compte de la

Direction générale du Trésor 85 , les conclusions des travaux de Bach (2009) pour qui

82

Base de données créée en 1993, utilisée par les spécialistes de la transmission-reprise au sein des 11 Chambres de métiers et de l’artisanat. 83

www.transenteprise.com. Ce dispositif d’aide à la transmission d’entreprises géré, en partenariat avec les Chambres de métiers et de l’Artisanat, concerne également la région Auvergne ainsi que 9 autres régions (Bourgogne, Centre, Limousin, Nord-Pas de Calais, Basse et Haute Normandie, PACA, Pays de la Loire, Poitou-Charentes). 84

Source : www.auvergne.cci.fr 85

« Faut-il favoriser la transmission d’entreprise à la famille ou aux salariés ? », Documents de travail de la DG Trésor, Numéro 2013/06, Novembre 2013.

Page 74: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

73

transmettre une entreprise à un descendant plutôt qu’à un tiers est préjudiciable à la fois en

termes de profitabilité et de pérennité de l’entreprise.

Si, comme nous venons de le voir, la reprise d’entreprises est un sujet dont les acteurs

politiques et économiques régionaux et nationaux ont tardé à saisir l’importance, qu’en est-il

sur le plan académique ? Une revue de littérature permet d’établir à ce sujet un double constat.

D’abord, elle met en évidence une relative discrétion en la matière. Nous avons dénombré peu

de travaux traitant du sujet, même si l’on observe depuis quelques années une mobilisation

croissante des chercheurs français (De Freyman, 2010). Ensuite, elle met au jour une question

récurrente, celle de l’intégration de la reprise d’entreprises au sein du champ disciplinaire de

l’entrepreneuriat. D’Andria (2008, p. 3) résume cette problématique de la manière

suivante : « Peut-on considérer la reprise d’une entreprise comme un acte d’entrepreneuriat

et le repreneur comme un entrepreneur ? ».

2.1.3.) La reprise d’entreprise au sein du champ de l’entrepreneuriat

La question de l’appartenance de la reprise d’entreprise au champ de l’entrepreneuriat

a longtemps donné lieu à profusion de débats au sein de la communauté scientifique. A

l’heure actuelle, un certain consensus semble néanmoins se dégager. En effet, les auteurs sont

de plus en plus nombreux à voir dans l’étude de cette pratique une partie intégrante de la

recherche en entrepreneuriat (Cooper et Dunkelberg, 1986, cités par Deschamps 2000 ;

Fayolle, 1996 ; Deschamps, 2000). Pour Julien et Marchesnay (2011, p. 51, p. 63)

l’entrepreneur, « essence ou (le) cœur même de l’entrepreneuriat » est reconnu comme tel que

lorsqu’il « crée ou reprend une entreprise à partir d’une idée ». Pour Paturel (2007), le débat

n’est plus possible, tant il paraît évident que la reprise d’entreprises constitue l’une des deux

seules pratiques possibles relevant de l’entrepreneuriat, l’autre étant la création ex-nihilo86.

Depuis de nombreuses années, différentes disciplines s’intéressent aux problématiques

liées à l’entrepreneuriat. La transversalité du champ de recherche (Verstraete, 2002) permet à

des chercheurs en économie, en sociologie, en psychologie, en sciences de gestion, en

sciences du comportement (Filion, 1997) de s’y investir et d’apporter leur contribution à la

compréhension du phénomène. Au sein même des disciplines recensées, de multiples

approches, orientations et caractéristiques méthodologiques se sont révélées (Fayolle, 2004),

86

Paturel (2007) déplore néanmoins la forte tendance des chercheurs à investir essentiellement la création ex nihilo et à délaisser la reprise d’organisations existantes, malgré l’enjeu considérable sur l’économie et l’emploi en France comme en Europe (300 000 emplois par an sont concernés ne serait-ce qu’en France selon le rapport OSEO-BDPME, 2005).

Page 75: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

74

concourant ainsi à une fragmentation et à un manque de consensus sur ce qu’est réellement

l’entrepreneuriat (Gartner, 1990). Verstraete (2001) déplore l’existence de trop nombreuses

acceptions et d’une « profusion de thématiques » supports de notions ou concepts entravant la

conception d’une spécificité propre à l’entrepreneuriat. In fine, l’absence évidente de

consensus retarde l’avènement d’un cadre unique de développement (De Freyman, 2009).

Si l’entrepreneuriat est un domaine de recherche multidisciplinaire complexe (Bruyat

et Julien, 2001 ; Julien et Marchesnay, 2011), il rencontre néanmoins un véritable engouement

de la part de la communauté scientifique relevant des sciences de gestion, notamment de la

part des jeunes chercheurs87 (Messeghem et Verstraete, 2009). Cet enthousiasme, largement

partagé, a conduit les chercheurs à emprunter différentes voies, laissant progressivement

émerger de nouveaux paradigmes88 (au sens de Kuhn, 1983, cité par Savall et Zardet, 2004).

Ce phénomène a conduit quelques auteurs (Verstraete, 1999 ; Messeghem, 2006) à

s’interroger sur la nécessité d’avoir recours à un seul paradigme ou à une lecture

multiparadigmatique afin d’apporter un meilleur ancrage théorique et épistémologique à

l’entrepreneuriat. La complexité du domaine de recherche semble jouer en faveur de la

seconde option (Verstraete, 1999, 2001, 2008 ; Verstraete et Fayolle, 2004 ; Paturel, 2005,

2011 ; Jaziri, 2009 ; Levy-Tadjine et Paturel, 2009). L’étude de la reprise d’entreprises en tant

qu’événement entrepreneurial, nécessite un examen approfondi à la lumière des différents

paradigmes les plus couramment retenus. Une justification du choix du (ou des) paradigmes

dans lesquels nous inscrivons notre recherche pourra alors être réalisée.

2.1.3.1.) Les paradigmes de l’entrepreneuriat

(Paturel, 2011, p. 16) définit l’entrepreneuriat de la manière suivante :

« L’entrepreneuriat est, sur la base d’une idée, l’exploitation d’une opportunité dans une

organisation (entreprise, association, etc.) impulsée, créée de toute pièce (nécessairement de

dimension réduite le plus souvent) ou reprise (avec une possibilité de bénéficier d’une taille

conséquente immédiatement), par une personne physique seule ou par une équipe (on parle

alors « d’équipreneuriat ») qui subit un changement plus ou moins intense dans sa vie, selon

un processus qui génère une valeur ». Nous observons dans un premier temps que cette

définition permet d’appréhender la reprise d’entreprises comme un événement entrepreneurial 87

Messeghem et Verstraete (2009) constatent, par exemple, que sur 46 thèses en entrepreneuriat soutenues entre 2004 à 2007, 28 relèvent des sciences de gestion. 88

Selon Kuhn (1983), « Les paradigmes fournissent une loi, une théorie, une application et un dispositif

expérimental, bref un modèle qui donne naissance à des traditions particulières et cohérentes de recherche

scientifique ».

Page 76: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

75

à part entière, au même titre que la création ex nihilo. Ensuite, l’auteur recense et prend appui

sur sept approches ou paradigmes (Paturel, 2007) qui constituent autant de clés d’entrée dans

le domaine de recherche. Nous reprenons ci-dessous les différents paradigmes présentés par

l’auteur dans un ordre d’importance croissant, bien qu’il soit tout à fait possible, selon lui, de

les combiner.

Ø L’approche par les traits individuels.

Ce paradigme tend à apporter une réponse à la question : qui est l’entrepreneur ? Cela

suppose un ensemble de caractéristiques personnelles (expériences, niveau d’instruction,

compétences, motivations, origine sociale, etc.) que l’on retrouverait régulièrement chez lui.

Le principal apport de ce paradigme concerne la mise en corrélation de l’action

entrepreneuriale avec l’environnement immédiat, notamment familial, de l’individu. Ce

dernier semble jouer en faveur de l’intention entrepreneuriale (Matthews et Moser, 1995 ;

Bayad et Garand, 1998), du passage à l’acte (Gasse et D’Amours, 2000) et du maintien d’un

certain dynamisme entrepreneurial. Krueger (2007) relève à son tour l’importance du milieu

familial dans l’influence du comportement, de l’esprit et de l’identité entrepreneuriale89. De

nombreuses recherches relevant de ce paradigme ont tenté d’établir un profil type de

l’entrepreneur (Bayad, Boughattas, Schmitt, 2006) même si, in fine, force est de constater

qu’il n’existe pas de modèle absolu de ce qu’il est (Filion, 1997). Julien et Marchesnay (2011,

p. 10) vont plus loin ; pour ces auteurs, cet « être mythique » n’existe pas. Il y a des types

d’entrepreneurs, c’est-à-dire des « propriétaires-dirigeants ayant plus ou moins l’esprit

d’entreprise, certains cherchant à minimiser l’incertitude ou à l’aménager le mieux possible

alors que d’autres préféreront l’affronter avec toutes sortes d’innovations ». Selon Paturel

(2007, p. 32), l’intérêt de cette approche pour la recherche en entrepreneuriat demeure limité

« sauf à caractériser l’entrepreneur par rapport au changement plus ou moins intense que

son entrée dans les affaires lui fait subir ou bénéficier ».

Ø L’approche par les faits.

Il s’agit d’une approche très descriptive également centrée sur l’individu. Si le

paradigme par les traits cherche une réponse à « Qui » est entrepreneur, le paradigme par les

faits cherche, quant à lui, à apporter une réponse à la question « Quoi ». La démarche consiste

à analyser les parcours et les comportements des entrepreneurs. Selon Paturel (2007), cette

89

Cet auteur s’appuie sur les travaux de Iannarelli (1992) mettant en évidence l’esprit entrepreneurial plus développé des femmes issues d’une famille d’entrepreneurs.

Page 77: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

76

approche revêt un « grand danger », car elle pourrait faire croire « à l’universalité des

parcours de réussite rapportés ». Concernant notre sujet de recherche, la grande diversité des

parcours de repreneurs ainsi que l’extrême variété observée dans leurs comportements rend le

choix de cette approche délicat.

Ø L’approche par l’impulsion d’une organisation.

Gartner (1985, 1995) a été le premier à voir dans l’entrepreneuriat un phénomène

aboutissant à la création d’une organisation. Le concept d’émergence organisationnelle sur

lequel il s’appuie traduit l’interaction de différents stimuli tels que l’expérience, les images ou

les idées, prenant sens dans une combinaison nouvelle (Verstraete et Fayolle, 2005). La

compréhension du phénomène passe par un examen approfondi du processus à partir duquel

des organisations apparaissent. Dans la lignée des travaux de Gartner (1985, 1995), Verstraete

(2000, 2003) étudie le phénomène entrepreneurial et propose le concept d’impulsion d’une

organisation90 : « l’entrepreneuriat est vu comme un phénomène conduisant à la création

d’une organisation impulsée par un ou plusieurs individus s’étant associés pour l’occasion »

(Verstraete, 2003, p.13). Paturel (2007), bien que se posant la question de l’originalité et de

l’apport réel d’une telle approche91, rappelle la nécessité de ne pas la limiter à la création

d’une organisation ex nihilo, mais d’y associer la reprise d’entité existante, « trop souvent

oubliée… ». Dans le cadre de notre recherche, ce paradigme est intéressant dans la mesure où

il permet d’étudier et d’expliquer le comportement d’un repreneur qui apporte des

modifications à l’organisation afin de lui donner un « second souffle ».

Ø L’approche par les opportunités.

Ce paradigme appréhende l’environnement comme un théâtre d’opportunités offertes à

l’entrepreneur qui doit les saisir. L’entrepreneur est assimilé par certains auteurs à un individu

créant une organisation afin de poursuivre des opportunités perçues (Bygrave et Hofer, 1991).

Venkataraman (1997) et Shane et Venkataraman (2000) sont considérés comme les

précurseurs d’une approche définissant la recherche en entrepreneuriat comme « l’examen

détaillé du comment, par qui et avec quelles finalités les opportunités sont elles découvertes,

évaluées et exploitées pour la création de biens et services futurs ». Deux éléments sont mis

en avant, l’information et l’individu. Pour Venkataraman (1997), l’étude de l’opportunité doit

90

Verstraete et Fayolle (2005) soulignent la polysémie et l’ambivalence du terme organisation. Ce dernier pouvant correspondre à la fois à « l’action d’organiser » et à son résultat. 91

Il paraît évident à l’auteur qu’on impulse une organisation lorsqu’on se met à son compte.

Page 78: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

77

s’articuler autour des informations détenues par les individus et prendre en compte la manière

dont ils les traitent et les exploitent. Stevenson et Jarillo (1990) s’appuient également sur le

paradigme de l’opportunité, cette dernière n’aboutissant pas forcément à la création d’une

nouvelle organisation. De fait, ils mettent en avant le rôle central joué par l’individu dans la

découverte et l’exploitation d’opportunités, que ce soit en son nom ou au sein d’organisations

existantes 92 . Dans tous les cas, selon Paturel, (2007, p. 34) l’entrepreneuriat revient à

« organiser de façon originale, nouvelle, si possible difficilement imitable et peu substituable,

des ressources possédées, en vue de saisir une opportunité d’affaires ». Le paradigme de

l’opportunité nous permet d’appréhender le repreneur d’entreprise en tant qu’individu

possédant des informations au sujet de la vente d’une affaire et qui saisit cette opportunité

pour l’exploiter.

Ø L’approche par les processus.

Notre revue de littérature laisse apparaître une forte mobilisation du paradigme du

processus de la part des chercheurs en entrepreneuriat, notamment depuis le début des années

1990. C’est le cas, par exemple, de Gartner (1993) qui définit l’entrepreneuriat comme « un

processus d’organisation conduisant à la création d’une nouvelle organisation ». Stevenson

et Jarillo (1990) voient dans l’entrepreneuriat « un processus par lequel des individus, que ce

soit en leur nom ou à l’intérieur d’organisations, poursuivent des opportunités sans tenir

compte des ressources couramment contrôlées ». Pour Shane et Venkataraman (2001), il

s’agit d’un « processus par lequel des opportunités à créer des produits et des services futurs

sont découvertes, évaluées et exploitées » (2001). L’approche par les processus consiste à

décrire et à analyser les étapes de la création ex nihilo (Bruyat, 1993) ou de la reprise

(Deschamps, 2000). Elle est d’un grand intérêt, car elle permet de mieux comprendre les

difficultés rencontrées et d’y apporter des solutions performantes (Paturel, 2007). L’approche

par les processus fournit un cadre d’analyse pertinent pour notre travail de recherche. Elle

inscrit l’action du repreneur dans une temporalité et permet de mesurer l’évolution des

interactions entre les différentes parties prenantes de l’entreprise reprise et, plus

particulièrement, celles du repreneur avec ses salariés lors de son entrée dans l’entreprise.

92

Les auteurs, s’appuyant sur le modèle de Stevenson (2000), mettent en évidence l’existence de deux formes extrêmes d’organisation. L’organisation à orientation entrepreneuriale, terrain favorisant le comportement entrepreneurial, et l’organisation à orientation administrative qui, au contraire, le freine.

Page 79: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

78

Ø L’approche par l’innovation.

L’approche par l’innovation trouve son origine dans la pensée économique

schumpétérienne. Celle-ci attribue à l’entrepreneur une place singulière et centrale dans

l’évolution du système économique libéral. L’entrepreneur est un innovateur qui inscrit

l’économie dans le mouvement et dans une dynamique de croissance. Schumpeter (1935)

comptabilise cinq types d’innovation ; l’élaboration d'un bien nouveau, l'introduction d'une

nouvelle méthode de production, l'ouverture d'un débouché nouveau, la conquête d'une

nouvelle source de matières premières, et la réalisation d'une nouvelle organisation. Pour cet

auteur, l'innovation n'est donc pas irréductiblement liée à une découverte scientifique

nouvelle. Julien et Marchesnay (2011) voient dans l’innovation 93 et dans les multiples

opportunités, les fondements de l’entrepreneuriat. Ces dernières supposent des idées nouvelles

pour élaborer de nouveaux produits ou services ou encore, pour réorganiser l’entreprise. Selon

Paturel (2007, p. 35), à ce niveau, on perçoit déjà « le lien avec l’idée de création de valeur

nouvelle provenant de l’exploitation de ces types d’innovation applicables aussi bien dans

une organisation nouvelle que reprise ». Ce paradigme nous permet d’approcher le

comportement d’un repreneur « innovant », c'est-à-dire apportant des modifications ou des

améliorations à l’organisation reprise.

Ø L’approche par la création de valeur nouvelle ou par l’obtention de valeur nouvelle ou existante.

Cette approche trouve ses fondements dans le paradigme de l’innovation auquel on a

associé des problématiques relevant du champ de l’entrepreneuriat. L’innovation appliquée

dans une organisation nouvelle ou reprise, crée de la valeur ou tout au moins permet

d’économiser de la disparition ou du gaspillage de valeur existante (Paturel, 2007). Gartner

(1990) relève, dans ses travaux consacrés à l’entrepreneuriat, l’importance de la création de

valeur en tant que clé d’entrée à la compréhension du phénomène. Constatant un déficit de

réflexion épistémologique et de modèles théoriques précisant l’action entrepreneuriale ainsi

qu’une insuffisante compréhension du phénomène de la création d’entreprise, Bruyat (1993)

entreprit un travail de modélisation. L’auteur aboutit à la conclusion selon laquelle l’objet

étudié dans le champ de l’entrepreneuriat se résume à la relation entre un individu et la valeur

93

Les auteurs répertorient différents types d’innovation en fonction du genre (innovation de produit, de procédés, d’organisation, de distribution…), du rythme (innovation progressive, radicale, systématique, sporadique ou ad hoc) et de sa diffusion (l’innovation globale ou diffuse correspond à de petites modifications apportées par l’entrepreneur afin de ne pas être imitée facilement par la concurrence).

Page 80: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

79

nouvelle qu’il crée ou peut créer, qu’il désigne sous le terme de « dialogique

individu/création de valeur ». Cette dialogique constitue pour lui un « point d’ancrage » à

l’entrepreneuriat et fait l’objet d’une représentation sous la forme d’une matrice (figure 7).

L’auteur édifie son raisonnement, puis son modèle, à partir de l’observation

suivante : « l'entrepreneur ne peut se définir qu'en référence à un objet (création de valeur),

objet dont il fait partie, dont il est lui-même la source ou le créateur et dont il est également le

résultat » (1993, p. 55). La dialogique peut alors être définie de la manière suivante :

- « l'individu est une condition nécessaire pour la création de valeur, il en détermine

les modalités de production, l'ampleur... Il en est l'acteur principal. Le support de la création

de valeur, une entreprise par exemple, est la "chose" de l'individu, nous avons :

Individu création de valeur

- la création de valeur, par l'intermédiaire de son support, investit l'individu qui se

définit, pour une large part, par rapport à lui. Elle occupe une part prépondérante dans sa

vie (son activité, ses buts, ses moyens, son statut social...), elle est susceptible de modifier ses

caractéristiques (savoir-faire, valeurs, attitudes...), nous avons :

Création de valeur individu » (Bruyat, 1993, p. 57).

Si Bruyat (1993, p. 61) situe la dialogique individu/création de valeur au cœur de

l’entrepreneuriat, il reconnaît néanmoins l’utilité de prendre en compte la notion de

changement « qui en complète le sens et en fait la diversité ». Le changement pour l’individu

concerne les modifications que la création de valeur, par l’intermédiaire de son support, peut

opérer sur lui. La création de valeur nouvelle telle que définit par Bruyat se résume à un

changement plus ou moins intense dans l’environnement directement concerné par le

processus (Verstraete et Fayolle, 2005).

Page 81: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

80

Figure 7 - La dialogique individu / création de valeur

Source : Bruyat (1993, p. 62).

Le modèle de Bruyat (1993) et, plus particulièrement, l’utilisation du paradigme de la

création de valeur souffre d’un manque de précision sur ce que représente réellement cette

création de valeur. D’un point de vue pratique, et si nous l’utilisons pour notre travail de

recherche sur la reprise d’entreprises, se pose concrètement la question de la mesure de la

création de valeur ? D’autres questions se posent également comme, la différence entre la

création de valeur et la création de valeur nouvelle dans le cadre d’une telle opération. Ou

encore, pour qui et pourquoi cette valeur est-elle créée ? Afin de compléter cette approche,

Paturel (2006, 2007, 2011) propose d’élargir le modèle et de substituer à l’expression

« création de valeur éventuellement nouvelle » celle « d’obtention de valeur existante ou

nouvelle ». Cette expression paraît plus appropriée pour appréhender au mieux les deux seules

pratiques entrepreneuriales que sont la création ex nihilo et la reprise d’organisation.

L’obtention de valeur nouvelle est un fait caractérisant essentiellement la création ex nihilo

alors que l’obtention de valeur existante concerne davantage les situations de reprise94. Le

94

Paturel (2011) précise que l’obtention de valeur existante est d’autant plus forte que l’organisation reprise est saine.

Pro

cess

us d

e ch

ange

men

t po

ur

l’in

divi

du

-

Création de valeur

Imp

ort

ance

du

ch

ange

me

nt

Importance de la valeur nouvelle créée

IND

IVID

U

Pas de création de valeur nouvelle

Pas de changement pour l’individu

Intensité de l’innovation -

-

+

+

+

Page 82: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

81

paradigme de l’obtention de valeur nous paraît tout à fait adéquat pour caractériser la reprise

d’entreprises ainsi que le repreneur. Ce dernier obtient de la valeur existante plus ou moins

forte en reprenant une organisation, l’état de santé de celle-ci déterminera l’intensité de cette

valeur. Il peut également obtenir de la valeur nouvelle en apportant des modifications à

l’organisation au moment de sa prise de fonction (modifications techniques, commerciales,

organisationnelles, etc.).

Ø Un paradigme supplémentaire : le paradigme de projet.

Selon Paturel (2007), l’entrepreneuriat ne peut être dissocié de l’idée de projet. Mais

qu’entendons-nous par projet ? Si nous retenons la définition de l'Organisation Mondiale de

Normalisation (norme ISO 10006, 2003) « Un projet est un processus unique qui consiste

en un ensemble d'activités coordonnées et maîtrisées, comportant des dates de début et de

fin, entrepris dans le but d'atteindre un objectif conforme à des exigences spécifiques,

incluant des contraintes de délais, de coûts et de ressources ». La reprise d’entreprises peut,

dans ce cadre, être assimilée à un projet, c'est-à-dire à l’intention d’un individu (ou d’un

groupe) qui, tenant compte de ses ressources et des possibilités offertes par son

environnement, se lance dans le rachat d’une organisation à un moment donné. Le modèle des

« 3 E » (figure 8), développé par Paturel (1997, 2007), permet d’avoir une représentation

simplifiée de la relation entrepreneur-projet selon trois dimensions irréductibles et

indissociables (Levy-Tadjine et Paturel, 2009). Il permet, en outre, à tout porteur de projet de

mesurer ses chances de succès.

Figure 8 - le modèle des 3 E

Source : Paturel, (1997, p. 15).

E 1 E 3

E 2

A

Page 83: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

82

L’intersection des 3 E (E 1 : représente l’intention entrepreneuriale constatée du

porteur de projet, E 2 : représente les compétences devant être mobilisées pour réaliser ce

projet, et E 3 : correspond aux possibilités offertes par l’environnement global, spécifique et

de proximité) laisse apparaître une zone de cohérence (Zone A). Seuls les projets se situant

dans cette zone de cohérence sont susceptibles de réussir, les autres devront faire l’objet d’un

accompagnement spécifique pour intégrer cette zone A, si possible.

Le champ de recherche en entrepreneuriat est traversé par de multiples approches qui,

prises dans leur globalité et avec leurs multiples interactions, fournissent une vision

suffisamment puissante de ce que représente l’entrepreneuriat. Toutefois, nous relevons un

caractère de pertinence plus ou moins fort de chaque paradigme pris isolément pour

consolider notre travail de recherche. La reprise d’entreprise, appréhendée comme un

événement entrepreneurial à part entière, doit, en ce qui nous concerne, relever d’une lecture

multiparadigmatique ne retenant que les approches les plus discriminantes.

2.1.3.2.) Pour une lecture multiparadigmatique de l’acte

Progressivement, la reprise d’entreprises s’est imposée au sein de la communauté

scientifique comme une pratique entrepreneuriale à part entière, mais qui soulève des défis

particuliers (Cadieux et Deschamps, 2009). L’examen des différents paradigmes de

l’entrepreneuriat témoigne encore de la forte considération accordée par la recherche à la

création ex-nihilo, laissant la reprise d’entreprises à la « marge de travaux typiquement

entrepreneuriaux » (De Freyman, 2010). Dans notre quête d’une approche de

l’entrepreneuriat pouvant eclairer l’entrée dans l’entreprise du repreneur, nous relevons

l’intérêt d’associer trois paradigmes : le paradigme du processus, le paradigme de l’obtention

de valeur auquel nous associons celui de l’innovation. Nous rejoignons alors les conclusions

de nombreux auteurs (Verstraete, 1999 ; Messeghem, 2006 ; Paturel, 2007) pour qui la

complexité du phénomène entrepreneurial ne peut se résumer à un seul paradigme, si l’on

souhaite véritablement en cerner toutes les subtilités.

Le paradigme du processus permet de percevoir la complexité des multiples étapes

caractérisant la vie d’un repreneur, de l’envie de reprendre à son entrée en fonction. L’accent

peut être mis sur différentes phases sensibles du processus pouvant conduire à la réussite ou à

Page 84: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

83

l’échec de l’opération 95 . Le processus entrepreneurial représente un thème complexe et

multidimensionnel (Bruyat et Julien, 2001) nourrissant de nombreux travaux de recherche,

mais ne faisant pas encore l’objet d’une définition faisant l’unanimité96. Généralement, ce

processus n’est pas linéaire et est présenté comme une succession d’étapes plus ou moins

longues. Schématiquement, il est possible de relever trois grandes étapes illustrant une

progression de la pensée et de l’action : la formation de l’intention entrepreneuriale,

l’initiation du projet et le démarrage. Chaque étape peut également être subdivisée en sous-

étapes afin d’identifier au mieux les différentes séquences d’activités (Van de Ven, 1992) et

de tenter de les modéliser97. L’approche processuelle est très pertinente pour notre recherche,

car elle permet d’inscrire l’action du repreneur dans une temporalité et de visualiser, puis

séquencer, l’évolution des interactions entre les différentes parties prenantes de l’entreprise.

Ceci s’avère d’autant plus utile lorsqu’il s’agit d’observer les multiples réactions et échanges

entre salariés, puis entre salariés et repreneurs, suite au changement de dirigeant.

En complément à notre lecture processuelle du « phénomène repreneurial », nous

retenons également pour notre travail doctoral le paradigme de l’obtention de valeur (Paturel,

2011). La notion de valeur est fortement répandue et communément utilisée en sciences de

gestion, bien que teintée d’ambiguïté et théoriquement instable (De Freyman, 2009). Celle–ci

peut concerner en même temps le nouvel entrepreneur, les parties prenantes directement

affectées (salariés, clients, fournisseurs, etc.), les collectivités territoriales, l’Etat, les autres

partenaires (banques, assurances, etc.), en somme « la Société toute entière » (Paturel, 2011).

Lorsque l’on aborde le sujet de la reprise, l’utilisation de la notion de valeur soulève de

multiples questions. Y a-t-il réellement une valeur créée lorsque l’on reprend une entreprise ?

Si oui, comment se crée-t-elle ? Pour qui ? Tous les acteurs concernés en bénéficient-ils de la

même manière? C’est là que le paradigme de l’obtention de valeur (Paturel, 2011) démontre

toute son utilité. Ce dernier permet d’appréhender le repreneur de TPE comme un individu

obtenant de la valeur par rachat d’une entreprise existante. L’importance de cette valeur

dépend de différents facteurs tels que l’état de santé de la firme rachetée, ou encore des

95

A cet égard d’ailleurs, nombreux sont les auteurs à regretter la relative discrétion de la littérature en matière de conceptualisation des phénomènes à l’œuvre lors des différentes étapes du processus de reprise. C’est le cas par exemple de Paturel, Richomme-Huet et de Freyman (2008) et de Picard (2009). 96

Bruyat (1993, p.39) relève que le terme même d’entrepreneur « n’a pas réussi à réunir un consensus quant à

sa définition ». 97

De Freyman (2009) propose une modélisation de la transition successorale à travers quatre étapes (les phases d’observation du repreneur, de bascule, d’émancipation et de régulation). Rollin (2006) représente, quant à lui, la phase d’entrée dans l’entreprise du repreneur comme un processus se déroulant en trois temps (immersion, entrée dans la décision et dans l’action, et autonomie).

Page 85: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

84

changements mis en œuvre par le repreneur dans l’organisation lors de son entrée en fonction.

L’obtention de valeur existante sera d’autant plus forte que l’organisation reprise sera saine

alors que l’obtention de valeur nouvelle, fait beaucoup plus rare, pourra provenir d’une

modification issue de l’exploitation d’une innovation 98 (commerciale, organisationnelle,

technologique, etc.). Le paradigme de l’obtention de valeur proposé par Paturel (2011) est

incorporé, en tant que variable principale, dans une grille de positionnement des différentes

pratiques entrepreneuriales (figure 9). Celle-ci intègre et combine, d’après l’auteur, les

approches les plus significatives et les plus discriminantes du champ de l’entrepreneuriat, à

savoir le changement entraîné par l’entrepreneuriat sur l’individu (axe des ordonnées) et, bien

entendu, l’obtention de valeur nouvelle ou existante (axe des abscisses). A travers cet outil,

Paturel (2006, 2011) met en évidence l’existence de cinq types de changement (le changement

de statut, de fonction, de métier, d’organisation et de localisation géographique) qui

détermineront l’intensité du changement auquel peut être confronté le futur entrepreneur.

L’intensité est maximale lorsque tous ces changements doivent être gérés en même temps99.

Cette grille nous offre la possibilité de mesurer le changement vécu par l’entrepreneur, suite à

son entrée dans les affaires par rachat d’une entreprise existante. Le changement sera d’autant

plus fort si le repreneur change à la fois de statut (par exemple de salarié à chef d’entreprise)

de métier, voire de localisation géographique et d’organisation. Un repreneur possédant déjà

une expérience de la reprise vivra à l’inverse une situation de changement plus faible et se

situera sur la partie basse de la grille, s’il reprend l’organisation qui l’emploie jusqu’ici. En ce

qui concerne l’obtention de valeur, son caractère nouveau ou existant dépendra en grande

partie de l’état de santé de la firme reprise et des innovations mises en place par le nouvel

entrepreneur. La reprise d’une TPE en difficultés permettra d’obtenir une valeur existante plus

ou moins forte. En revanche, le repreneur d’une TPE en bon état de fonctionnement obtiendra

le plus souvent une valeur nouvelle relativement faible : pourquoi, dès l’entrée dans

l’organisation, changer ce qui fonctionne correctement au risque de subir les foudres des

salariés en place ?

98

Comme nous l’avons expliqué dans la section précédente, nous estimons qu’il est nécessaire de relier ce paradigme à celui de l’innovation. 99

Préalablement à l’utilisation de cet outil et afin d’affiner la mesure du changement, l’auteur suggère l’emploi d’une grille de mesure du risque personnel du futur entrepreneur. Cette grille (dont l’intensité est mesurée de 1, pour très faible, à 9 pour très fort) est obtenue en croisant l’importance du changement de statut et le niveau de changement de métier, notamment.

Page 86: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

85

Figure 9 - Grille de positionnement des pratiques de l’entrepreneuriat

Source : d’après Paturel (2006, 2011).

- - + +

Importance du changement de

statut pour l’individu

Pas de changement

de statut

Forte Faible Faible Moyenne Moyenne Forte

1

2

3

4

5

6

8

7

9

Reprise de TPE en

difficultés

Reprise d’entreprises en difficultés

Reprise d’entreprises saines

Création ex nihilo

Obtention de valeur existante

Pas de

création de

valeur

Obtention de valeur nouvelle

INNOVATION INNOVATION

1

2

3

4

Approche par les traits (en partie)

Paradigme de l’innovation

Paradigme de l’obtention de valeur

nouvelle ou existante

Paradigme de l’organisation créée ou reprise

1

4 4

2

3

Reprise

de TPE

saines

Création ex-nihilo

3

Page 87: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

86

En conclusion, l’examen de la littérature entrepreneuriale nous permet de situer la

reprise d’entreprises dans ce champ disciplinaire. Nous avons pu relever l’intérêt des

paradigmes du processus (Gartner, 1993, Bruyat, 1993), de l’obtention de valeur (Paturel,

2011), de l’innovation (Julien et Marchesnay, 2011), puis nous avons pris conscience de la

portée de l’intensité du changement vécu par le repreneur pour appréhender la reprise de TPE

et pour mieux la définir. A travers ces principaux paradigmes, nous définissons le

repreneur comme un individu saisissant l’opportunité de racheter une entreprise existante

dans le but d’obtenir de la valeur et qui s’engage dans un processus engendrant un

changement plus ou moins fort dans sa vie. La qualité et l’intensité de la valeur créée ou

obtenue dépendront de l’état de santé de l’entreprise reprise et des choix du repreneur,

notamment en termes d’innovation. Nouveau dirigeant de l’entreprise, le repreneur de TPE se

trouve dans une situation le reliant fortement à un projet et/ou à une organisation utilisé(s)

comme support d’obtention de valeur. Néanmoins, doit-on le considérer comme un

entrepreneur pour autant ? Paturel (2007, p. 30) nous rappelle, en effet que, « tout dirigeant

d’entreprise n’est pas entrepreneur » et que « dans le concept d’entrepreneur, figure

clairement l’idée de projet, de nouveauté, d’innovation dans son sens le plus large ». Nous

pensons qu’un repreneur vivant un changement important et se saisissant d’une innovation

pour améliorer le fonctionnement de l’organisation reprise ou pour conquérir de nouveaux

marchés obtiendra de la valeur (nouvelle) et il n’y a aucun doute quant à son statut

d’entrepreneur. A l’inverse, un repreneur ne subissant pas de véritable changement ni de prise

de risque importante, se contentant de prendre les rênes de l’entreprise sans y insuffler le

moindre changement ni la moindre amélioration, obtiendra, certes de la valeur existante, mais

se posera de toute évidence la question quant à son appartenance à la sphère entrepreneuriale.

Nous considérons le repreneur comme un entrepreneur s’il est positionné sur la grille élaborée

par Paturel au moment où il reprend l’entreprise, et il continuera à l’être s’il persiste à être

présent sur cette même grille. Une fois le repreneur défini, voyons à présent quelles peuvent

être les différentes modalités de transmission.

2.1.4.) Les différentes modalités de la transmission

Transmettre son entreprise est un événement important, la plupart du temps, lourd de

sens, dans la vie de tout chef d’entreprise confronté à pareille situation. Une série de décisions

plus ou moins contraintes jalonnent généralement ce parcours. Le futur cédant doit d’abord se

résoudre à quitter son entreprise pour, ensuite, accomplir une succession de démarches

aboutissant au choix d’un repreneur. Plusieurs possibilités vont se présenter à lui, la

Page 88: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

87

transmission d’entreprise pouvant revêtir différentes formes. L’entreprise peut être transmise

au profit d’une personne morale ou d’une personne physique. En France, la transmission à

une personne morale est une opération minoritaire mais qui progresse régulièrement100. Il

s’agit d’une opération de croissance externe pour l’acquéreur, opération à la logique

singulière dans laquelle nous n’inscrirons pas nos travaux de recherche. En ce qui concerne la

transmission à un particulier, une étude publiée conjointement par le cabinet KPMG et la

CGPME (2012) démontre que les personnes physiques représentent deux tiers des repreneurs

en 2011 (OSEO BDPME, 2004) 101. La littérature relative à la transmission d’entreprises

révèle une pratique commune des chercheurs, consistant à scinder la transmission à des

personnes physiques en trois catégories biens distinctes : la transmission familiale, la

transmission à un ou des salariés (RES) et la transmission à un repreneur personne physique

externe qu’il soit en relation commerciale ou autre avec l’entreprise ou totalement étranger

(RPP). Ce sont les trois seules possibilités qui s’offrent à tout chef d’entreprise à la recherche

d’un repreneur qui ne soit pas une personne morale. Même s’il n’y a pas d’exclusivité dans

les diverses solutions (Torrès et Gueguen, 2008, p. 98) ni d’ordre immuable dans l’esprit des

dirigeants102, le dirigeant de petite entreprise est souvent soumis à une hiérarchisation dans ses

choix successoraux avec dans l’ordre, une « préférence pour la famille, puis les salariés, les

clients ou les fournisseurs et, enfin, les tiers ». Le tableau ci-après indique la répartition des

transmissions de TPE/PME selon le type de repreneur.

Tableau 7 - Répartition des transmissions de TPE-PME selon le type de repreneur

Personne physique Entreprise/ groupe

Descendant Salarié Personne extérieure

10% 23.5% 42,5% 24%

Source : OSEO-BDPME (2004).

100

D’après le rapport KPMG-CGPME (2012), le taux de personnes morales qui rachètent des entreprises progressent significativement puisqu’il passe de 25% en 2005 à un tiers en 2011. Cette stratégie aboutit à l’apparition de micro-groupes. 101

La majorité d’entre elles sont extérieures à l’entreprise. Ce constat justifie notre volonté de concentrer nos recherches sur la transmission à des personnes physiques extérieures à l’organisation. 102

Les auteurs font ici référence aux travaux d’Haddadj et D’Andria (2001).

Page 89: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

88

2.1.4.1.) La transmission familiale

Le dirigeant d’entreprise souhaitant céder son affaire se tournera tout naturellement

vers un (ou des) membre(s) de sa famille et, particulièrement ses enfants (Hirigoyen, 1987).

Traditionnellement, dans une société prônant un capitalisme d’héritiers (De Freyman et

Richomme-Huet, 2012), cette solution constitue une réponse aux problèmes de transmission.

Par le passé, il s’agissait de la solution la plus courante aux problèmes de la transmission

« dans la mesure où le contexte familial, le cadre relationnel existant, la confiance et le

partage des informations sur l’entreprise elle-même facilitaient, en principe, le transfert

économique des actifs, des informations, des connaissances, des relations commerciales,

etc. » (Commission européenne, 2013, p. 13). Nombreux sont les entrepreneurs français qui

continuent à exprimer aujourd’hui le souhait, via cette opération de transmission successorale,

de conserver au sein de la famille le fruit de plusieurs années de travail. Ils semblent en cela

encouragés par les pouvoirs publics. L’examen des différents textes de lois nous révèle, en

effet, un appui non négligeable des gouvernements successifs à la transmission familiale via

notamment une politique fiscale avantageuse. Cette dernière réduit de manière significative le

coût fiscal des cessions 103 . Sur le plan académique, la transmission familiale semble

également faire l’objet d’un traitement privilégié. Elle suscite de nombreuses recherches

(Ambrose, 1983 ; Hirigoyen, 1987 ; Handler, 1990 ; Barbot et Bayad, 2002 ; Cadieux et

Lorrain, 2002 ; Cadieux, 2005…) au point de générer de « gros déséquilibres » dans l’étude

des différentes modalités de transmission (De Freyman, 2010). Malgré tous les efforts pour

l’encourager et mieux la comprendre, la transmission familiale demeure minoritaire en

France. Elle ne concerne que 10 à 30 % des opérations de reprise d’entreprise de petite

taille104 et continue même à régresser (Transregio, 2005)105. Plusieurs raisons sont invoquées :

103

Le législateur, jugeant le nombre de transmission-reprise à la famille trop faible, a souhaité dès 2003 encourager ce modèle de transmission par le biais de nombreux allègements fiscaux. A tel point que pour le Conseil des Prélèvements Obligatoires (CPO, 2009), la fiscalité « n’apparaît plus être un frein à la transmission

d’entreprise ». 104

Le rapport OSEO-BDPME (2005) annonce que, tout secteur d’activité confondu, moins de 10% des entreprises transmises le sont à destination de la famille. Pour l’INSEE, ce chiffre est plus élevé puisqu’il peut représenter environ 30% des transmissions de TPE dans les secteurs de l’industrie, de la construction, du commerce de gros et du service aux entreprises. Cette estimation provient d’une enquête dénommée SINE (Système d’information sur les Nouvelles Entreprises) ; il s’agit d’un dispositif mis en place depuis 1994 par l’INSEE. L’objectif est de suivre, pendant une durée de 5 ans, une génération d’entreprises créées ou reprises et de les interroger à intervalles réguliers (une première interrogation dans les premiers mois, une deuxième au bout de 3 ans, et une dernière après 5 ans) sur des thématiques telles que le financement du projet, les conditions de la création ou de la reprise, les problèmes rencontrés, etc. 105

C’est le cas en France comme dans de nombreux pays européens. Transregio est un projet initié par la CRCI Rhône-Alpes avec pour objectif de mieux connaître la situation et les pratiques relatives à la transmission

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89

l’absence de repreneur au sein de la famille (consécutive à un manque de compétence ou tout

simplement par désintérêt des héritiers à reprendre, CNCFA-EPSILON, 2013), la baisse du

taux de natalité ou bien encore la hausse du niveau de formation scolaire des successeurs

potentiels leur ouvrant des perspectives de carrière plus grande (Cadieux et Brouard, 2009).

Les statistiques concernant le faible taux de survie des entreprises transmises au sein de la

famille (De Freyman et Richomme-Huet, 2012) 106 ne sont également pas de nature à

encourager les futurs cédants. Une autre possibilité s’offre alors à eux, la transmission à un

(ou des) salarié(s) de l’entreprise.

2.1.4.2.) La transmission à un (ou des) salarié(s) de l’entreprise (RES ou reprise de l’entreprise par les salariés)

La transmission à un ou plusieurs salariés de l’entreprise (RES)107 constitue une autre

solution. Depuis quelques années, une succession de lois108 ont été votées pour encourager la

reprise par les salariés : la loi de modernisation de l’économie (LME) du 4 Août 2008 (qui

prévoit des abattements pour la transmission aux salariés), la loi 1er Mars 2013 instaurant le

contrat de génération (possibilité offerte aux dirigeants d’entreprises de moins de 300 salariés

et âgés de plus de 57 ans, de recruter un repreneur salarié ou extérieur de moins de 30 ans et

de bénéficier d’une aide annuelle de 4000 € pendant 3 ans), la loi sur l’économie sociale et

solidaire (loi Hamon) du 31 Juillet 2014 vise à encourager la reprise d’entreprise par les

salariés en les informant au préalable à tout projet de cession, et la formation de SCOP 109.

Malgré l’importance des avantages fiscaux accordés aux salariés, cette politique ne semble

d’entreprises dans 7 pays européens : la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Autriche, la Lituanie, la Pologne et la Slovénie. 106

Les auteurs relèvent qu’un tiers seulement des entreprises transmises dans le giron familial survivent à la deuxième génération et 10 à 15% à la troisième. 107

Ce type de transmission est également dénommé LMBO (leverage management buy out), pratique inspirée de la technique du LBO (leverage buy out). Elle peut être réalisée par des salariés ayant le statut de cadre ou non. 108

Nous remarquons qu’une loi datant du 9 Juillet 1984, portant sur le développement de l’initiative économique, faisait déjà mention de ce type de reprise qu’il fallait encourager via l’actionnariat salarié. Les conditions d’applications de cette loi furent ensuite modifiées par la loi du 17 Juin 1987. Cette dernière octroie des avantages fiscaux supplémentaires à la création de holding par les salariés. 109

L'article 16 de la loi de finances rectificative pour 2013, entrée en vigueur le 1er

Janvier 2014 (anticipant ainsi ce même dispositif prévu dans la loi Hamon), vise à étendre le régime fiscal avantageux des Scop "classiques" (dont les salariés associés sont majoritaires) aux Scop dont les associés coopérateurs ne détiennent pas encore 50% du capital au démarrage. Pour financer l’acquisition par les salariés, l’apport de fonds extérieurs est parfois nécessaire (particulièrement pour les entreprises de grande taille). La SCOP d’amorçage permet de faire appel à des investisseurs externes offrant ainsi aux salariés de renforcer, année après année, leur part au capital de la SCOP. Ce statut permet de dissocier, pour une période transitoire de 7 ans, la majorité en capital de la majorité en voix. Le ou les investisseurs extérieurs interviennent dès le départ avec la volonté de devenir minoritaire à l’issue des 7 ans et de recevoir une juste rémunération pour le portage du capital qu’ils ont réalisé pendant la période.

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pas réellement produire l’effet escompté. En effet, la RES ne progresse pas significativement

en France et continue à ne représenter que 32% des transmissions de PME (OSEO-BDPME,

2005). Lorsque la transmission à un membre de la famille ou à un (ou des) salarié(s) de

l’entreprise n’est pas envisageable, la transmission à un repreneur externe devient l’unique

solution possible pour assurer la continuité de l’entreprise.

2.1.4.3.) La transmission à un repreneur personne physique externe (RPP)

La transmission à un repreneur externe (RPP), qualifiée également de reprise par un

tiers, correspond à la cession de l’entreprise au profit d’une personne sans liens de

subordination ou familiaux avec l’entreprise et l’entrepreneur. Dans notre démarche, il est

nécessaire de différencier les tiers repreneurs ayant été en relation d’affaires avec l’entreprise

(clients, fournisseurs, voire banquiers, etc.) et les autres, sans aucun lien avec elle

(Deschamps et Paturel, 2009110 ; Cadieux et Brouard, 2009). D’après l’étude OSEO–BDPME

(2004), la transmission à un repreneur externe constitue la modalité la plus couramment

utilisée en France, puisqu’elle représente 42.5% du total des cessions d’entreprises. Les TPE

sont concernées en premier lieu par ce phénomène. Les chiffres parlent d’eux même : 91,7%

des entreprises rachetées en France ont moins de 10 salariés (OSEO-BDPME, 2005). La

plupart le sont par des tiers sans aucun lien avec l’entreprise (à 60% d’après l’INSEE, 2007)

et parfois même avec son métier. Ce type d’opération, déjà majoritaire, est amené à se

développer dans les prochaines années (Rapport Dombre-Coste, 2015 ; De Freyman, 2010111).

La progression prévisible du nombre de RPP en France rassure autant qu’elle suscite

questions et appréhensions. Et pour cause ! L’ensemble des observateurs, notamment dans le

milieu académique, s’accorde sur le caractère plus risqué de ce type de reprise. Des

statistiques tendent à le confirmer puisque le nombre de dépôts de bilan est deux fois plus

élevé que pour une reprise par des salariés et plus de trois fois supérieur à une transmission

familiale (BDPME, 2004). Comment expliquer une telle situation ? Pourquoi un tel écart ?

Existe-t-il des moyens d’améliorer le taux de survie des RPP ? Pour de nombreux auteurs, la

méconnaissance de l’entreprise, de sa structure et de son fonctionnement constituent des

risques supplémentaires par rapport aux transmissions à la famille ou aux salariés (Hirigoyen,

1987 ; Deschamps et Paturel, 2005 ; Paturel, Richomme-Huet et De Freyman, 2008). Pour 110

Ces auteurs expliquent que le repreneur qui n’a pas de lien, ne connait pas la cible au préalable. Il rencontre donc plus de difficultés que les autres types de repreneur, car il n’a ni le lien familial, ni le lien hiérarchique ou commercial pour le guider dans ses démarches. 111

De Freyman (2010, pp. 3-4) relève à ce sujet que « de plus en plus de TPE sont actuellement proposées à des

repreneurs hors métier, souvent obligés de réinvestir leurs indemnités de départ dans une entreprise (faute

d’opportunités de carrières et/ou de propositions satisfaisantes suite à des plans de restructuration) ».

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d’autres, l’opération est plus difficile car plus complexe. Cette complexité tient pour

beaucoup au « dosage permanent entre l’existant à préserver et le nouveau à intégrer, entre

ce que l’on peut conserver et ce qu’il est nécessaire de changer » (Dokou et Gourdon-

Cabaret, 2006, p. 4). Dans tous les cas, mieux connaître la RPP et comprendre sa dynamique

permettrait d’en établir plus finement les sources de succès et d’échec (Picard, 2009). Dans le

cadre de notre travail, nous axons notre recherche sur la transmission des TPE à un tiers,

personne physique externe à l’entreprise, plus connu dans la littérature sous l’abréviation

RPP. Nous travaillons sur les RPP pour lesquelles le repreneur n’a pas de lien avec la TPE,

c’est-à-dire qui n’a pas de relation d’affaires avec elle, comme le montre le tableau suivant.

Tableau 8 - Notre positionnement parmi les différents types de transmission

CHOIX N°1 CHOIX N°2

Modes SUCCESSION CESSION

Transmission Interne à la famille

Externe à la famille

Interne ou Externe à l’entreprise

Interne à l’entreprise

Externe à l’entreprise

A qui ? A un héritier A un ou plusieurs salariés

A un tiers, personne physique

A un tiers, personne morale

Littérature Succession RES RPP Croissance Externe

Relation d’affaires avec la TPE

Avec Sans

Notre positionnement

X

Source : d’après De Freyman et Richomme-Huet (2012).

Nous constatons qu’il s’agit de la modalité de transmission d’entreprises, de loin, la plus

répandue et retenons son caractère plus fortement risqué. Nous avons bien conscience de

l’ampleur et de la difficulté de la tâche. Il s’agit, en effet, d’une pratique complexe (Cadieux

et Deschamps, 2009), et difficilement appréhendable compte tenu de l’absence de statistiques

officielles la concernant. Nous disposons, en outre, de peu de références académiques sur

lesquelles nous appuyer. Les sous-sections suivantes visent à examiner qui sont les repreneurs

externes de TPE et à relever les principales caractéristiques des entreprises à reprendre. Pour

Page 93: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

92

Picard et Thévenard-Puthod (2006), il s’agit des deux principaux facteurs ayant un pouvoir

explicatif quant aux difficultés rencontrées lors ce type de transmission112.

2.1.4.3.1.) Des repreneurs externes de TPE très hétérogènes

La plupart des auteurs s’accordent sur l’existence de profils très variés de repreneurs aux

motivations113 toutes aussi variées (Deschamps, 2000). De multiples critères peuvent être

retenus pour les étudier tels que l’âge, l’environnement familial (entrepreneurial ou non), les

motivations, la stratégie, la formation, l’expérience professionnelle, ou encore l’aversion pour

le risque. L’hétérogénéité des critères aboutit à une grande diversité de profils de repreneur

rendant leur taxonomie difficile et complexe. Nous pouvons à cet égard transposer aux cas

des repreneurs, la remarque de Gartner (1985) pour qui les différences entre entrepreneurs

sont si fortes, qu’il est pour certains, quelquefois plus aisé de les comparer à des non-

entrepreneurs. Deschamps (2000, p. 349) va plus loin. Pour elle, « la diversité des repreneurs,

de leurs buts, de leurs projets, des environnements particuliers et des entreprises reprises

rend vaine la recherche d’un modèle général ». Notre volonté d’identification des principales

caractéristiques des repreneurs de TPE se heurte à un obstacle de taille. Il n’existe pas, en

France, d’organismes publics publiant des statistiques officielles sur lesquelles nous appuyer.

Bien que nous inscrivant dans une lecture spécifique et différenciée de la TPE par rapport à

l’objet PME (Torrès, 1999 ; Marchesnay, 2003) et, à défaut, d’autres sources documentaires

disponibles, nous nous référerons donc à l’étude de l’observatoire CRA114 (2014) sur la

transmission de TPE-PME. Il s’agit, à notre connaissance, de la seule étude statistique

relativement fiable menée à grande échelle. Cette dernière établit un portrait robot du

repreneur potentiel d’entreprises de 5 à 100 salariés115. Il s’agirait d’un homme à 93%, âgé de

46 ans en moyenne, diplômé de l’enseignement supérieur, et disposant d’un apport personnel

compris entre 150 000€ et 300 000€. L’étude nous apprend également que 77% d’entre eux

112

Leur analyse de 70 processus de RPP aboutit à la conclusion selon laquelle les difficultés rencontrées par les repreneurs « sont dépendantes de deux facteurs : le type d’entreprise repris et le profil du repreneur ». 113

Dans sa recherche doctorale, Deschamps (2000) met en relief l’existence de 5 types de motivations «repreneuriales» orientant les entrepreneurs personnes physiques vers une opération de reprise : les déterminés, les non motivés, les sociaux, les contraints et les investisseurs. 114

Observatoire cédants et repreneurs d’affaires ; chiffres issus d’une base de données établie depuis 1995 jusqu’à 2013, soit plus de 14 000 repreneurs et 8500 affaires à céder. 115

Bien que méritante, nous pouvons formuler à l’égard de cette enquête deux principales critiques. D’abord, elle se concentre sur une catégorie d’entreprises déterminée arbitrairement (de 5 à 100 salariés) ne reposant sur aucune classification justifiée. Ensuite, ce balisage ne représente qu’un pourcentage peu significatif des transmissions d’entreprises françaises (seulement 32%, soit 228000 sur 700000 transmissions de TPE/PME relevées en 2013).

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93

reprennent une entreprise dans leur région. Les travaux académiques portant sur la reprise de

TPE, en dépit d’un nombre relativement faible, nous fournissent également quelques

informations supplémentaires. Il semble que ce type d’entreprises soit davantage repris par

des salariés n’ayant jamais exercé la fonction de dirigeant, contrairement aux PME, reprises

prioritairement par les cadres (Counot et Mulic, 2004, cités par Cadieux et Brouard, 2009).

L’étude de Géraudel, Jaouen, Missonier et Salvetat (2009, p. 23) met en avant l’impact du

niveau de formation du repreneur sur le type d’entreprises reprises. Plus précisément, elle

parvient à mettre en évidence un lien de corrélation entre le niveau de formation du repreneur

et la taille de l’organisation reprise. Ainsi, « quand l’individu est faiblement diplômé, il

préférera s’orienter vers la reprise de TPE (…) alors qu’un individu plus diplômé n’est pas

intéressé par la très petite structure ».

Malgré la pluralité des profils et à l’instar des travaux de Picard et Thévenard-Puthod

(2006) 116, nous rassemblerons les différentes catégories de repreneurs dans les trois grands

types suivants. (1) L’individu souhaitant créer son emploi : il s’agit d’une personne se

trouvant dans une situation précaire et à la recherche d’une source de revenu. Ses principales

difficultés résident dans le financement du projet de reprise et le maintien sur le long terme

d’une trésorerie suffisante à l’exercice de l’activité. La taille des entreprises reprises est

généralement plus petite. (2) Le salarié désirant obtenir une meilleure position

économique et sociale : il recherche en premier lieu dans l’entreprise reprise, une rentabilité

suffisante lui permettant de dégager un revenu au minimum équivalent à ce qu’il détenait

auparavant. (3) Le dirigeant d’entreprise voulant développer une autre structure : celui-ci

est prompt à prendre plus de risque, maîtrise mieux les rouages de l’entreprise et dispose

généralement d’un accès plus aisé au financement. Ceci se traduit, en règle générale, par

l’acquisition d’entreprise de plus grande taille.

2.1.4.3.2.) Les caractéristiques de la TPE

Le deuxième facteur pouvant avoir une influence sur la reprise concerne le type

d’entreprise, à savoir : sa taille, son ancienneté et son secteur d’activité (Gasse, Theberge et

Naud, 1988). L’effet taille semble être déterminant. Pour Picard et Thévenard-Puthod (2006,

p.5), il est « légitime de penser que plus la cible est de taille importante (nombre de salariés,

chiffre d’affaires, actifs immobilisés…), plus certaines étapes dans le processus de reprise

116

Ces travaux s’appuient eux-mêmes sur le classement opéré par l’Agence Nationale pour la Création d’Entreprise (1992 et 2004), devenue Agence France Entrepreneur depuis le 13 avril 2016.

Page 95: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

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vont être difficiles à franchir pour un repreneur externe (…), plus il y aura de salariés ou de

clients, plus le repreneur devra convaincre pour éviter le rejet ». A contrario, les effets de

grossissement (Mahé de Boislandelle, 1996) et d’égotrophie (Torrès, 2003) tendent à

démontrer le contraire. Les difficultés observables lors d’une opération de reprise sont plus

importantes dans une structure de petite taille. Comme nous l’avons développé dans la

première section de ce chapitre, nous nous inscrivons clairement dans cette deuxième

approche considérant la reprise de TPE comme plus complexe en raison des traits spécifiques

propres à ce type de structure. Pour un tableau tout à fait complet des entreprises pouvant être

reprises, nous ajoutons aux caractéristiques mentionnées ci-dessus, la situation économique.

Cette variable constitue, selon nous, un facteur explicatif supplémentaire indispensable à une

meilleure compréhension du déroulement de la transmission. En fonction de la situation

économique et financière de l’entreprise reprise, des problématiques différentes vont se

manifester, notamment en ce qui concerne les réactions des parties prenantes, particulièrement

des salariés. Plusieurs situations sont envisageables : la reprise d’entreprises saines,

d’entreprises avec des germes de difficultés et d’entreprises avec des difficultés avérées

(Deschamps et Paturel, 2009).

Ø La reprise externe de TPE saines

Il s’agit d’entreprises en « bon état de fonctionnement » jouissant d’une bonne

réputation auprès de leurs différents partenaires. Une croissance soutenue de l’activité, des

investissements continus, des marges et une trésorerie confortables ainsi qu’un endettement

limité, laissent augurer d’un avenir plutôt favorable. Dans ce contexte, la principale difficulté

pour le nouveau dirigeant sera de « prendre la place » d’un ancien patron dont l’action a

permis cette situation, de maintenir les relations privilégiées avec les clients et les

fournisseurs (Julien et Marchesnay, 1988), et surtout de se faire accepter par les salariés en

place. La situation initiale avantageuse dans laquelle se trouve l’entreprise rend généralement

difficile l’acceptation du changement pour l’ensemble des parties prenantes. C’est

précisément dans ce cadre que s’inscrivent nos travaux.

Ø La reprise externe de TPE avec des germes de difficultés

Plusieurs raisons peuvent expliquer le désir du cédant de vendre une entreprise de ce

type : la difficulté d’accès à de nouveaux marchés, le manque de fonds propres, l’arrivée

prochaine d’un nouveau concurrent ou d’un produit plus performant, de futures normes plus

Page 96: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

95

contraignantes encadrant l’activité117, un marché de plus en plus restreint, etc. Le repreneur se

trouve ici dans une situation complexe, car il doit prendre les mesures nécessaires pour

redynamiser l’entreprise. Ceci passe généralement par la mise en place de changements

stratégiques et/ou organisationnels. La difficulté sera de faire accepter ces transformations,

notamment auprès des salariés dans une entreprise où, en apparence, tout va bien.

Ø La reprise externe de TPE avec des difficultés avérées

Les difficultés d’une entreprise peuvent être exprimées en fonction de différents

critères juridique, stratégique, financier, économique et social (Deschamps et Paturel, 2005).

D’un point de vue juridique, l’article L.631-1 du code de commerce, définissant la procédure

de redressement judiciaire 118 , stipule qu’une entreprise peut être considérée comme en

difficulté dès lors que le débiteur « justifie des difficultés qu’il n’est pas en mesure de

surmonter, de nature à le conduire à la cessation de paiements ». L’entreprise en difficultés

peut être reprise selon deux modalités : la reprise avant dépôt de bilan et la reprise après le

dépôt de bilan. Il s’agit d’un pari financier risqué pour le repreneur. Ce dernier ne bénéficie

pas toujours de toutes les informations sur l’état réel de l’entreprise. Pour Géraudel, Jaouen,

Missonier et Salvetat (2009), les repreneurs d’entreprises en difficultés sont caractérisés par

une aversion pour le risque plus faible que les autres repreneurs, le risque étant en général

plus grand pour ce type de reprise. Ils devront affronter une situation souvent critique et

apporter des solutions rapides et concrètes. Le témoignage de ce repreneur d’une PME en

difficultés résume assez bien la situation : « Les premiers mois ont été difficiles. Il a fallu

resserrer les boulons, changer de fournisseurs, augmenter nos prix et recréer la confiance

auprès du personnel et des clients. Nous perdions à l’époque 100 000 euros par mois et tout

l’argent dépensé était le mien et celui de l’associé qui me suit, car les banques ne nous

prêtaient rien » (Jean-Marie Jacquet, repreneur de la PME Mecanat, L’Express, 2014). Le

plus souvent, le changement à la tête de l’entreprise est bien accepté. Le nouveau dirigeant

venant de l’extérieur est perçu comme un sauveur (Deschamps et Paturel, 2005).

Comme pour les repreneurs, on ne peut que constater la grande variété des entreprises

à reprendre. Ceci rend l’approche complexe et chaque cas particulier (Deschamps, 2000).

117

Nous pensons à un entrepreneur de la région stéphanoise possédant une laverie automatique qui, anticipant une future obligation de mise aux normes de ses machines imposée par le législateur, a souhaité vendre son entreprise. 118

La procédure de redressement judiciaire est destinée à permettre la poursuite de l'activité de l'entreprise, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif.

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96

Quelle que soit la situation dans laquelle l’entreprise se trouve, plusieurs facteurs expliquent

la réussite d’une RPP : la motivation du repreneur (Chalus-Sauvannet, 2009), ses

compétences managériales (Picard et Thévenard-Puthod, 2004), ses qualités personnelles

(humilité, rigueur, patience), sa capacité à organiser et à expliquer le changement aux

collaborateurs tout en offrant une vision « attractive et motivante pour l’avenir » (Rollin,

2006). En France, comme en Europe, des dizaines de milliers d’entreprises changeront de

propriétaires dans les prochaines années. Les TPE seront les premières impactées par ce vaste

mouvement. Nombre d’entre elles seront reprises par des repreneurs n’ayant aucun lien avec

l’entreprise et parfois même, avec son métier. Etant donné leur nombre croissant et les

problématiques spécifiques s’y afférant, nous avons décidé de concentrer notre recherche sur

les reprises de TPE. Plus précisément, nous étudions les reprises d’entreprises saines

réalisées par des personnes physiques externes sans lien avec leur cible. Pour de

nombreux auteurs, il s’agit d’un processus pouvant être représenté en une série d’étapes.

2.2.) Le processus repreneurial pour une personne physique externe

« Et pourquoi pas reprendre une entreprise plutôt que la créer ? Cela peut sembler

plus facile, plus rapide et plus sûr. Mais attention, le parcours reste délicat et le facteur

humain décisif » (L’Express-L’Entreprise, n°13/2014). Comme le laisse entendre le titre de

cet article d’un magazine à grand tirage, dont un numéro complet est consacré aux

entrepreneurs, la reprise d’une entreprise paraît, au premier abord, plus facile et plus sûre que

la création pure. Dans la réalité, il n’en est rien. Il s’agit, le plus souvent, d’une opération

longue et délicate. Pour la majorité des praticiens et des scientifiques, elle s’apparente même à

un parcours d’obstacles au cours duquel le candidat à la reprise éprouvera sa résistance et sa

motivation. La quasi-totalité des articles de presse que nous avons consultés, tout comme les

brochures et sites internet des organismes travaillant sur le sujet, insistent sur le caractère

séquentiel de l’opération. Il s’agit d’un processus scindé en une série d’étapes (variant

généralement de 5 à 9)119 qu’il faut suivre pour mener à bien son projet. Obéissant à ces

recommandations, le candidat-repreneur augmente ses chances de voir aboutir l’opération. Si

le caractère pratique et facilement transposable de ces approches « clés en mains » est réel, de

nombreuses critiques peuvent néanmoins être proférées à leur encontre. La première concerne

le caractère trop général (universel) des conseils offerts aux futurs repreneurs. Ainsi, un

119

Le nombre d’étapes varie en fonction de l’organisme concerné ; ainsi, 9 étapes sont identifiées par l’ordre des experts-comptables, 7 pour l’APCE, 6 pour le site « lesechosdelafranchise.com » ou encore 5 pour la Banque Populaire (banquepopulaire.fr).

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97

premier regard indique que les spécificités des entreprises liées à leur taille, à leur situation

économique ou au secteur d’activité, ne sont pas ou peu prises en considération. Plus

surprenant encore, ces approches à visées pratiques tendent, pour la plupart, à considérer

l’opération de reprise comme un processus rationnel qui se termine à la signature de l’acte de

vente120. Sont ainsi négligés, voire entièrement occultés, l’entrée en fonction du nouveau

dirigeant dans l’entreprise, mais, plus grave encore, tout l’aspect humain de la reprise121.

Pourtant, il s’agit là d’éléments décisifs dans la réussite du processus de reprise. La prise de

fonction du nouveau dirigeant est jugée par de nombreux observateurs, qu’ils soient praticiens

ou chercheurs, comme essentielle dans la réussite du projet. Elle se caractérise généralement

par l’émergence de nombreuses problématiques liées au facteur humain (résistances au

changement, émotions négatives, etc.).

Les travaux de Deschamps (2000) permettent de dépasser les limites des approches

pratiques. Son modèle de « processus repreneurial » représente l’intégralité du processus de

reprise d’une manière beaucoup plus fine et exhaustive. Trois étapes sont mises en évidence :

la décision de reprendre, la reprise proprement dite et l’entrée du nouveau dirigeant dans

l’entreprise. Nous remarquons que, par la suite, d’autres auteurs ont procédé à un découpage

légèrement différent du processus, en lui reconnaissant quatre grandes étapes122 (Picard et

Thévenard-Puthod, 2004 ; Cadieux et Brouard, 2009). Ces divergences sont néanmoins

nuancées par Barbot et Richomme-Huet (2007) puisque « les auteurs s’accordent sur

l’ensemble du processus, seuls les découpages de ce dernier diffèrent d’une recherche à

l’autre ». Le modèle de Deschamps (2000) est celui que nous avons choisi en tant que support

théorique nécessaire à une meilleure compréhension de l’opération de reprise. Nous axerons

nos travaux de recherche sur le management de la reprise, dernière étape du processus.

120

Ainsi, le site des Banques Populaires rives de Paris, intitule la dernière des 5 étapes de la reprise : « Négocier

et conclure la transaction». 121

Appliquées à la lettre, ces « méthodologies » peuvent même s’avérer dangereuses pour la continuité de l’entreprise. Elles peuvent conduire le futur repreneur à ne pas se préparer ou à complètement négliger des éléments primordiaux du processus. Pour Bah (2006, p. 91), « Cette sous-estimation des questions humaines,

managériales, relationnelles et émotionnelles compliquent le déroulement du passage de relais, ce qui risque au

final de compromettre le succès de la transmission ». 122

Ce processus peut être découpé en quatre grandes étapes : la préparation (ou réflexion personnelle), l’accord (mise en œuvre), la transition et le management de la reprise (Picard et Thévenard-Puthod, 2004 ; Cadieux et Brouard, 2009).

Page 99: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

98

2.2.1.) Les trois grandes étapes de la reprise

Partant du constat selon lequel il existait peu de connaissances académiques propres

au processus de reprise, Deschamps (2000) entreprit de décrire le phénomène et de mettre au

point une modélisation. Tout en admettant la pluralité et le caractère contingent des opérations

de reprise, l’auteure décèle trois grandes phases constituantes du processus, comme le montre

la figure suivante.

Figure 10 - La représentation succincte du processus repreneurial

Source : Deschamps (2000, p.380).

L’auteure précise toutefois que ces trois grandes étapes « ne sont pas suivies par tous

les types de repreneurs de manière linéaire » (Deschamps, 2000, p. 297). Picard et

Thévenard-Puthod (2006) parviennent à la même conclusion. Selon eux, on assiste très

souvent à des itérations, le processus se stoppant en cas de trop grande difficulté pour revenir

à l’étape précédente.

2.2.1.1.) L’étape relative à la décision d’entreprendre du repreneur

Reprendre une entreprise est une décision importante qui impactera lourdement la vie

du repreneur et celle de son entourage123. Pour Deschamps et Geindre (2009, p. 4), la décision

suit un processus qui débute « lorsque le futur repreneur réfléchit aux perspectives qui

s’offrent à lui en termes de changement professionnel ». La décision est le fruit d’un

cheminement personnel plus ou moins long correspondant à une phase d’élaboration et de

maturation du projet. Le futur repreneur mène généralement un véritable travail

d’introspection lui permettant de clarifier ses objectifs, ses attentes et d’identifier ses capacités

personnelles (forces et faiblesses). Le processus de décision est également influencé par un

123

De nombreux témoignages de repreneurs se rejoignent quant à l’effet de la reprise sur la vie de famille (moins de disponibilité du repreneur, peu de congés, amplitude des horaires de travail importante, etc.).

Processus relatif à la

décision

Processus de reprise Processus d’entrée

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99

autre facteur que Deschamps (2000) désigne sous le terme « d’élément déclencheur ». Il s’agit

d’un événement dans la vie personnelle ou professionnelle du futur repreneur, indépendant de

sa volonté, mais qui va s’imposer à lui (divorce, licenciement, opportunité de reprise, etc.). La

particularité de cet événement perçu comme « un signal pour passer à l’acte » est qu’il peut

survenir trop tôt impactant négativement la reprise de l’entreprise. La figure suivante illustre

la logique globale du processus de prise de décision du repreneur.

Figure 11 - Processus de décision de reprendre

Source : Deschamps (2000, p. 287).

2.2.1.2.) L’étape de la reprise

L’individu convaincu du bien-fondé de la reprise comme projet de carrière entre dans

une deuxième phase du processus repreneurial. Il se lance à la recherche d’une entreprise

susceptible de lui convenir pour, une fois découverte, l’étudier en profondeur. Arrivent

ensuite la phase de négociation puis celle de la signature.

ELE

ME

NT

DE

CLE

NC

HE

UR

Processus relatif à la décision de reprendre

Histoire

Aptitudes

Besoins Motivations

« repreneuriales » Processus de reprise

Repreneur potentiel Repreneur révélé

PROCESSUS ENTREPRENEURIAL

Page 101: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

100

2.2.1.2.1.) A la recherche de « L’ » entreprise

Lors de cette étape, le candidat repreneur peut se heurter à plusieurs difficultés. La

première renvoie à la qualité des critères de ciblage. Ces derniers doivent être cohérents,

précis et correspondre à la réalité du marché, des critères trop « fermés » étant nuisibles à la

poursuite du processus de reprise124. La seconde est liée au caractère opaque du marché de la

transmission. Bien que ce dernier représente un volume important d’entreprises, il n’existe

aucune liste exhaustive suffisamment détaillée pouvant faciliter la recherche du repreneur125.

Une fois le secteur d’activité plus ou moins décidé, il est nécessaire de faire appel aux

interlocuteurs adéquats 126 , de solliciter et questionner son propre réseau personnel et

professionnel127 et de faire connaître ses intentions aux différents intermédiaires (agences

spécialisées en transaction d’entreprises, experts-comptables, avocats, banques, etc.).

Deschamps et Barbot (2006, p. 8) constatent à cet égard que, dans les faits, « la détection

d’une cible potentielle passe essentiellement (deux tiers des cas) par le propre réseau du

repreneur ». L’usage d’Internet semble également s’intensifier et constitue un outil très

apprécié pour le gain de temps qu’il procure128. Une fois la cible détectée, le repreneur va

procéder à son diagnostic.

2.2.1.2.2.) L’analyse approfondie

La volonté de tout candidat à la reprise d’une entreprise saine est de s’emparer d’un

outil économique en bon état de fonctionnement, lui permettant de disposer de revenus

réguliers et d’une accumulation de capital à long terme (APCE, 2010). La démarche de

recherche se traduit généralement par la sélection de quelques entreprises pouvant

124

Deschamps et Geindre (2009) soulignent que les critères doivent être précis mais, en aucun cas, fermés « au

risque d’une recherche longue à l’issue incertaine ou dans le cas de la découverte de la cible « idéale », de ne

pas être capable de prise de recul au moment de la négociation ». 125

Source : CCI de France, 2013. 126

Des acteurs sectoriels, « partenaires » de l’entreprise, disposent généralement d’informations sur les entreprises susceptibles d’être reprises. La CCI de France précise ainsi que les meuniers sont quasi incontournables en boulangerie, les brasseurs essentiels pour les brasseries. Nous pouvons ajouter le rôle des messageries dans la transmission de magasin de presse. 127

Le réseau personnel du repreneur est privilégié. D’après une enquête publiée par l'IFOP, intitulée « Les

reprises et cessions d’entreprises », menée en Mai 2007 pour CCI Entreprendre et l’ordre des experts-comptables, 61 % des dirigeants qui ont repris une entreprise l’ont trouvée grâce à des proches ou des relations professionnelles. De la même manière, 50% des dirigeants futurs cédants envisagent de trouver le repreneur de leur entreprise par des proches ou des relations professionnelles. 128

De nombreux repreneurs nous ont expliqué avoir consulté régulièrement Internet pour « dénicher » leur entreprise. Constatant cette évolution, des agences spécialisées ont dressé, puis publié des listes d’entreprises à reprendre sur leur site Internet (c’est le cas, par exemple, du cabinet Michel Simond). De plus, des bourses d’opportunités d’affaires (bourses CCI) existent tout comme la possibilité de s’inscrire à des alertes mails (« alerte nouvelles affaires BPI France »).

Page 102: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

101

correspondre à ses attentes, pour finalement ne retenir que la plus intéressante. Le choix

entériné, il est temps de procéder à un diagnostic précis de l’entreprise, mais aussi de son

environnement. Il s’agit d’un véritable travail d’analyse comportant de nombreux risques

(Deschamps et Geindre, 2009). Le risque peut émaner d’une mauvaise évaluation par le

repreneur de la situation réelle de l’entreprise129, mais également du cédant qui, bénéficiant

d’une asymétrie d’information (Akerlof, 1970), peut être tenté d’en dissimuler quelques-unes.

De nombreuses méthodes pratiques de diagnostic sont mises à la disposition des futurs

repreneurs par divers organismes spécialisés (APCE, cabinets de conseils, chambres de

commerce130, etc.). De Freyman (2009) nuance l’intérêt de ces outils. L’auteur admet leur

pertinence mais, selon lui, l’accessibilité au savoir-faire n’induit pas forcément son

appropriation par le candidat repreneur. Pour l’aider dans son étude, le candidat repreneur

peut néanmoins solliciter l’avis de professionnels réglementés (experts-comptables, avocats,

notaires) ou qualifiés (consultants, banquiers, clubs de reprise, etc.). Une fois tous les

éléments en mains, si l’entreprise convient, le repreneur doit déterminer le mode juridique de

la reprise, puis vient l’étape de la négociation et de la signature.

2.2.1.2.3.) La négociation et la signature

L’entreprise correspondant aux attentes du repreneur, il reste maintenant à négocier

avec le cédant un prix et des conditions131 conformes au projet de reprise. La fixation d’un

prix est un exercice délicat dans la mesure où les estimations du repreneur correspondent

rarement avec celles du cédant. Comme dans toute négociation, le premier a tendance à

vouloir sous-estimer la valeur de l’entreprise pour en obtenir un prix moins élevé alors que le

second a tendance à la surévaluer (CNCFA EPSILON, 2013)132. L’objectif est de parvenir à

un compromis se matérialisant par la rédaction d’un document officiel : le protocole d’accord

129

Deschamps et Geindre (2009) identifient plusieurs risques. Le risque de « myopie repreneuriale » voire pour les cas les plus sévères « d’aveuglement » : le repreneur, trop pressé ou par excès de confiance, se focalise sur la vision à court terme de l’entreprise (le Ici et Maintenant, diraient Moles et Rohmer) négligeant ainsi les perspectives d’évolution futures. Le risque d’ « hypermétropie repreneuriale » : le repreneur minimise la situation actuelle de l’entreprise, trop obnubilé par les perspectives de croissance. 130

La CCI de France (2014) préconise, par exemple, d’élaborer son diagnostic sur la base de 6 thèmes précis : le thème «produits, marché, concurrence, stratégie de l’entreprise » ; le thème « ressources humaines » ; le thème « comptable » ; le thème « juridique » ; le thème « moyens de production » et, pour finir, le thème « qualité-sécurité-environnement ». 131

Accompagnement du repreneur, clauses de non-concurrence, valorisation du stock, etc. 132

Les sociétés de conseils spécialisées dans la transmission d’entreprises interrogées en 2013 estiment que les dirigeants recourent à « une surestimation quasi-systématique de la valeur de leur entreprise (…), qui se

confirme chaque année » (CNCFA EPSILON, 2013, p. 22).

Page 103: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

102

ou le compromis de vente 133 . Cette étape franchie, la vente peut être effective après

rassemblement des montants nécessaires, levée des conditions suspensives et signature de

l’acte de vente.

2.2.1.3.) L’étape de l’entrée dans l’entreprise

L’acte de vente signé, le processus d’entrée dans l’entreprise peut commencer. Rollin

(2006, p. 17) qualifie cette période d’ « entrée opérationnelle », le repreneur entrant dans « le

vif du sujet ». Ce dernier passe maintenant d’une position d’observateur relativement lointain

à une position d’acteur principal. A partir de cet instant, ses gestes, attitudes et décisions

seront scrutés afin de présager des conditions de collaboration futures. Deschamps (2000,

2005) dissocie deux étapes lors de ce processus : la période de transition entre le cédant et le

repreneur, puis l’intégration du nouveau propriétaire dans l’entreprise désignée sous le terme

de « management de la reprise ».

2.2.1.3.1.) La période de transition

Il s’agit d’une période charnière durant laquelle le cédant et le repreneur sont

conjointement présents dans l’enceinte de l’entreprise. L’intérêt de cette pratique est double.

D’abord, la période de transition permet d’assurer un « passage de relais » (Boussaguet,

2005) en douceur entre les deux protagonistes. Ensuite, elle permet l’initiation du nouveau

dirigeant à ses nouvelles fonctions en le rendant plus autonome. Le repreneur prend

progressivement connaissance des dossiers et bénéficie des conseils issus de l’expérience du

cédant. En outre, la transition permet de tranquilliser l’entourage de l’entreprise (interne et

externe) et d’afficher aux salariés ainsi qu’aux partenaires commerciaux, une franche

coopération présageant d’une continuité dans les relations.

Néanmoins, d’après Deschamps et Paturel (2005, p. 200) « toutes les opérations de

reprise n’exigent pas une transition entre le cédant et le repreneur ». Si la transition présente

des avantages indéniables, elle a également des inconvénients. Transmettre son entreprise,

c’est transmettre un pouvoir patiemment construit, et, pour les dirigeants n’ayant pas d’autres

entreprises, une identité de chef d’entreprise, un statut et une reconnaissance sociale. Il s’agit

d’une réelle perte requérant, pour de nombreux intéressés, un véritable travail de deuil (Pailot,

1998 ; Bah, 2006). Le ressenti face à l’importance de la perte peut troubler le cédant à tel 133

Nombreux sont les experts insistant sur le soin apporté à la rédaction de ces documents, car, sur un plan législatif, une vente pouvant être réputée faite, si il y a accord sur la chose et sur le prix (Article 1583 du Code civil).

Page 104: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

103

point qu’il ne parvienne pas à céder son autorité et son pouvoir. Kittel (1996) explique les

réticences du dirigeant à lâcher prise par le difficile renoncement au plaisir d’exercer ce

pouvoir, ainsi que par l’envie de conserver son statut de chef d’entreprise. Ce dernier se

raccroche à l’entreprise en s’y impliquant positivement ou négativement jusqu’à « la dernière

minute ». Le fonctionnement de l’entreprise à ce stade de la reprise peut se trouver perturbé

soit par une trop grande implication du cédant, laissant peu de place au nouveau dirigeant et à

son plan de reprise, soit à l’inverse par une attitude de retrait, de regard critique, voire

d’hostilité envers le repreneur134. Dans les deux cas, la légitimité du nouveau dirigeant se

trouve remise en cause. Afin de ne pas devoir supporter ces risques, de nombreux chercheurs

et praticiens préconisent de ne pas mettre en œuvre une phase de transition trop longue

(Deschamps et Paturel, 2005 ; Rollin, 2006).

2.2.1.3.2.) Le management de la reprise

Cette dernière étape du processus de reprise débute lorsque le cédant quitte

l’entreprise, laissant le repreneur seul aux commandes. De nombreuses recherches soulignent

l’importance des difficultés auxquelles se heurte le repreneur pendant le management de la

reprise (Deschamps, 2000 ; Deschamps et Paturel, 2005 ; Boussaguet, 2006 ; Picard et

Thevenard-Puthod, 2006 ; Picard, 2009 ; Deschamps et Geindre, 2009). Pour Rollin (2006, p.

67), il s’agit d’une période intense qu’il ne faut surtout pas négliger. Elle « concentre et

condense (…) dans un minimum de temps tout un ensemble de problématiques fondamentales

du management d’une organisation au sens large ». Pour Deschamps et Paturel (2005, p.

199), c’est une étape délicate dans la mesure où « le repreneur prend les rênes d’une

entreprise qu’il ne connaît pas (…), manage un personnel qui est habitué à un autre dirigeant

et gère de manière à ce que l’entourage perçoive une transition en douceur ». S’installant aux

commandes de l’entreprise, il découvre l’inconfort et l’ambiguïté de la situation. Un

sentiment d’« extranéité » (Chabert, 2005) peut le submerger. A cet instant, de multiples

questions l’assaillent : comment gérer efficacement l’entreprise ? Comment se faire accepter

par l’ensemble des parties prenantes ? Et, surtout, comment construire sa légitimité de

« patron » auprès des salariés et susciter leur engagement ? La qualité des réponses apportées

impactera directement le futur de l’entreprise.

Nous pouvons résumer le processus repreneurial de la façon suivante.

134

Picard et Thévenard-Puthod (2006) soulignent que certains cédants, percevant le repreneur comme un potentiel rival, peuvent aller jusqu’à « saborder » la reprise.

Page 105: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

Figure 12 – Synthèse du processus repreneurial

Notre processus repreneurial présenté, nous allons à présent montrer que le

management de la reprise est une étape capitale pour réussir le projet de reprise.

2.2.2.) Le management de la reprise

L’entrée dans l’entreprise,

importance primordiale dans la

Puthod (2006) relèvent le nombre élevé

années consécutivement à l’arr

phénomène par l’importance de

la phase de management post-

multiples obstacles pouvant attendre

défaillante, inadaptation des appareils productifs,

d’un partenaire important (fournisseur ou client),

fonctionnement interne de l’entreprise,

L’Agence Pour la Création d’Entreprises

leur rôle à ce stade du processus de reprise

104

du processus repreneurial

Source : d’après Deschamps (2009).

repreneurial présenté, nous allons à présent montrer que le

gement de la reprise est une étape capitale pour réussir le projet de reprise.

agement de la reprise : une étape capitale dans la réussit

L’entrée dans l’entreprise, ultime étape du processus repreneurial

dans la réussite du projet. Dans leurs travaux, Picard et Thé

) relèvent le nombre élevé d’échecs de reprise survenant duran

l’arrivée d’un nouveau dirigeant. Les auteurs expliq

des difficultés auxquelles sont confrontés les repreneurs

-reprise. Déjà en 2005, le rapport OSEO mettait

vant attendre les futurs repreneurs après la reprise

illante, inadaptation des appareils productifs, problèmes d’adaptation du repreneur,

ant (fournisseur ou client), informations insuffisantes

ionnement interne de l’entreprise, difficultés relationnelles avec les salariés, etc.

L’Agence Pour la Création d’Entreprises prévient les futurs candidats à la reprise du poids de

à ce stade du processus de reprise : « Une reprise est plus complexe qu'une création

ès Deschamps (2009).

repreneurial présenté, nous allons à présent montrer que le

gement de la reprise est une étape capitale pour réussir le projet de reprise.

dans la réussite du projet

e du processus repreneurial, revêt une

Picard et Thévenard-

durant les premières

. Les auteurs expliquent ce

ntés les repreneurs durant

OSEO mettait en garde sur les

futurs repreneurs après la reprise : trésorerie

d’adaptation du repreneur, perte

ions insuffisantes sur le

ionnelles avec les salariés, etc.

à la reprise du poids de

Une reprise est plus complexe qu'une création

Page 106: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

105

et il faut être un bon professionnel dès l'entrée en fonction : le repreneur n'a pas le temps de

"se roder" comme dans un projet de création » (site internet : APCE.com). Il devient alors

essentiel pour tout repreneur de bien se préparer à répondre à toutes les éventualités avant

même son investiture (Geindre, 2009), d’autant plus s’il est extérieur à l’entreprise. Berger-

Douce et Deschamps (2010, p. 5) mettent en avant l’enjeu de cette période tant pour le

repreneur que pour l’organisation. Selon ces auteurs, elle « conditionne le bien-être du

repreneur dans son entreprise, sa manière d’assumer son nouveau rôle et le succès de

l’opération ».

2.2.2.1.) Une étape importante pour le repreneur

L’entrée opérationnelle marque un tournant dans la vie du repreneur. Seul aux

commandes de l’entreprise, il prend, à cet instant, réellement conscience de l’ampleur de la

tâche. A la logique comptable et financière prégnante durant les premières étapes du

processus repreneurial, se substitue un raisonnement incorporant la dimension humaine. Le

repreneur passe d’un travail abstrait d’analyse d’outils comptables (tableaux de bord,

prévisionnels, mesures de la rentabilité financière, etc.) à la gestion quotidienne de l’activité

d’hommes et de femmes avec toute la complexité que cela suppose. L’importance du facteur

humain, bien que souvent négligée dans les plans de reprise, apparaît alors soudainement. Les

qualités humaines du nouveau dirigeant135 sont largement sollicitées, les niveaux d’incertitude

et d’anxiété au sein de l’organisation et dans son environnement étant généralement élevés.

Le moment est important et intense pour le repreneur. Il doit s’intégrer dans une

structure qu’il ne connaît que superficiellement et prendre des décisions dont la pertinence

sera jugée par l’ensemble des parties prenantes de l’organisation et, plus particulièrement, ses

salariés. L’interaction avec ces derniers, considérés comme des agents socialisateurs,

constitue une source d’apprentissage fondamentale de son nouveau rôle. Il entre dans un

processus de socialisation repreneuriale, processus bilatéral de changement et d’adaptation

mutuelle, durant lequel « il a besoin d’acquérir la compréhension, les relations et l’autorité

qui lui sont nécessaires pour assumer son rôle efficacement » (Boussaguet, 2005, p. 297). La

proximité hiérarchique propre à la TPE complexifie l’activité du nouveau dirigeant. Ses

paroles, attitudes et actions seront aussitôt interprétées par les salariés et risquent de ne pas

135

Berger-Douce et Deschamps (2010) soulignent le rôle de la capacité d’apprentissage et de l’humilité dans la réussite de l’adaptation du repreneur. Pour Rollin (2006), ce dernier doit faire preuve de patience, d’objectivité et de pédagogie. Geindre (2009) évoque, quant à lui, la compétence sociale en tant que capacité à créer et à étendre son réseau relationnel.

Page 107: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

106

susciter leur adhésion. Le faible nombre de personnel d’encadrement au sein des TPE, voire

son absence totale, appelle une vigilance toute particulière de sa part. A cet instant, la pression

pesant sur les épaules du repreneur est forte. Ses éventuelles premières erreurs d’appréciation

ou de gestion ne seront ni filtrées ni corrigées par un quelconque encadrement et apparaîtront

directement aux yeux des salariés, sa qualité de nouveau leader risquent alors d’être

grandement compromise.

2.2.2.2.) Une période de fragilité pour l’organisation

Dans la vie de l’entreprise, le changement de dirigeant constitue un événement de toute

première importance. Il revêt un caractère stratégique (Haddadj et D’Andria, 2001). Selon

Boussaguet (2010), il touche aux fondements même de l’organisation et ses effets sur les

membres de l’organisation sont « profonds et déstabilisateurs ». A l’instar de certains auteurs

avant nous (Donckels, 1995 ; Haddadj et D’Andria, 2001 ; Boussaguet, 2005), nous

considérons le changement de direction comme un événement majeur, un

« macrochangement » diraient Mintzberg et al. (1999), souvent à l’origine de multiples autres

changements au sein de l’organisation. Pour Deschamps (2000), il est le point de départ d’une

dynamique du changement comme le montre la figure ci-après.

Figure 13 - La dynamique du changement dans une opération de reprise par un particulier

Source : Deschamps (2000, p. 367).

Changement de dirigeant

Changement de gestion

Changement pour les salariés

Changement de culture

Choc culturel

Résistance au changement

REPRISE CESSION

CHANGEMENT

Page 108: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

107

L’entrée en fonction d’un nouveau dirigeant impacte l’entreprise dans toutes ses

dimensions (humaines, organisationnelles, stratégiques, etc.). Pour Deschamps et Paturel

(2005, p. 216), le simple fait que l’organisation change de dirigeant « implique que des

modifications vont se produire dans l’organisation et dans la gestion ». Boussaguet (2005)

rappelle l’importance de cette dernière étape du processus de reprise et met en avant le risque

de déstabilisation, voire de destruction de l’organisation dans les cas extrêmes où les

différentes parties prenantes refusent de coopérer. La principale préoccupation pour le

repreneur intégrant l’entreprise concernera la gestion du changement, activité visant

principalement à éviter les phénomènes de résistance émanant des salariés (Deschamps et

Paturel, 2009). Le management du repreneur, sa capacité à inspirer confiance ainsi que son

leadership doivent permettre de lever les craintes liées au changement et amener les salariés à

s’engager, à leur tour, dans la reprise. De la même manière, les partenaires de l’entreprise

attendent des réponses sur l’intention du repreneur et sur les perspectives de collaboration

futures.

2.2.3.) Les enjeux liés au changement de dirigeant

La littérature s’accorde sur le fait que l’opération de reprise induit inévitablement des

modifications au sein de l’entreprise à différents niveaux : priorités des objectifs, méthode de

gestion et de management, organisation du travail, etc. Pour Donckels (1995), l‘arrivée du

repreneur constitue en soi une source de changement au sein de l’organisation. Il incarne

l’objet du changement (Conner et Patterson, 1982) aux yeux des salariés. En outre, le fait que

le repreneur ait souvent besoin d’une pratique pour se démarquer de son prédécesseur,

engendre naturellement du changement organisationnel (Berger-Douce et Deschamps, 2010).

Les relations à l’environnement extérieur à l’entreprise sont également impactées par l’arrivée

d’un nouveau dirigeant. Les différents partenaires de l’organisation sont placés devant

l’obligation de collaborer avec un nouvel acteur qu’ils ne connaissent généralement pas, ce

qui n’est pas sans causer de nombreuses difficultés. L’APCE opère une distinction avec la

création d’entreprise et met en avant le poids plus élevé des rapports humains dans les

opérations de reprise. La gestion de la problématique humaine doit être placée au centre des

préoccupations de tout repreneur intégrant son nouveau poste. Ainsi, selon l’Agence, « les

problèmes de relations humaines sont bien plus lourds qu'en création. En effet, les contrats de

travail des salariés se poursuivant, une adaptation leur sera nécessaire après le changement

Page 109: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

108

de direction. (…). De même, les relations avec les fournisseurs ou les clients peuvent évoluer

défavorablement du fait du changement d'interlocuteur » (apce.com, 2013).

2.2.3.1.) Les difficultés liées à l’appropriation des relations à l’environnement

La TPE est caractérisable par une relation étroite entre le dirigeant et son

environnement. Les clients, fournisseurs, institutions locales, associations, banques, etc.

constituent un véritable réseau d’acteurs poursuivant un même objectif de collaboration et

d’échange d’informations. L’arrivée aux commandes d’un repreneur suscitera de nombreuses

interrogations quant à son positionnement par rapport à l’ancien dirigeant et à la prolongation

du travail commun136. En d’autres termes, se poseront les questions de la possibilité et de

l’intérêt (ou non) de poursuivre la coopération. Dans ses recherches, Geindre (2009) souligne

la difficulté pour le nouveau dirigeant à identifier137 la ressource réseau, son importance et le

poids des réactions de l’environnement dans la réussite de la reprise. Pour de nombreux

auteurs (Portes, 1998, cité par Arrègle et al., 2004 ; Baron et Markman, 2000 ; Davidson et

Honig, 2003 ; Geindre, 2009) le réseau constitue un capital social (Bourdieu, 1980 138 )

prépondérant dans la réussite d’une entreprise, puisque source d’avantage concurrentiel

(Porter, 1986). Le principal enjeu pour le repreneur d’une TPE réside dans la captation, puis

la conservation de cette ressource après le départ du cédant. La petite taille de l’organisation

accentue la difficulté, car « plus l’entreprise est petite et plus la confusion entre le réseau du

dirigeant et celui de son entreprise sera grande » (Geindre, 2009, p. 112). Arrègle et

al. (2004, p. 17) conditionnent le bénéfice d’un capital social pour un individu à trois

facteurs : « il doit disposer de l’opportunité d’entrer dans des transactions sociales (les

connexions du réseau social) ; les membres du réseau social doivent être motivés pour agir

en faveur de l’acteur ; et ils doivent avoir la capacité de le faire ». En ce qui concerne la RPP,

ceci implique deux choses : d’abord, une volonté de l’ancien dirigeant de fournir « les clés »

de son réseau au nouveau dirigeant, ensuite une bienveillance des membres du réseau à

136

Selon Norburn et Schoenberg (1994, cités par Picard et Thévenard-Puthod 2006), le départ de l’ancien dirigeant entraîne en premier lieu une suspicion émanant de l’environnement, plus particulièrement de la part des fournisseurs et des clients. 137

L’auteur pointe du doigt l’absence de « mémoire organisationnelle » et l’absence de « quelconques fichiers » pour répertorier la ressource réseau. Nous pensons que ceci est d’autant plus vrai au sein des TPE où les relations interpersonnelles (Dandridge, 1979) informelles sont nombreuses et privilégiées. 138

Bourdieu (1980) le définit de la manière suivante : « le capital social est l’ensemble des ressources actuelles

ou potentielles qui sont liées à la possession d’un réseau durable de relations plus ou moins institutionnalisées

d’interconnaissance et d’inter-reconnaissance ; ou, en d’autres termes, à l’appartenance à un groupe, comme

ensemble d’agents qui ne sont pas seulement dotés de propriétés communes (susceptibles d’être perçues par

l’observateur, par les autres ou par eux-mêmes) mais sont aussi unis par des liaisons permanentes et utiles ».

Page 110: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

109

l’égard d’une personne qu’ils ne connaissent pas. Geindre (2009, p. 113) résume la situation

ainsi : « dans le cadre d’une reprise, le transfert du réseau ne dépend donc pas uniquement de

la (bonne) volonté du cédant mais aussi de la réaction de l’environnement ». L’identification,

puis l’appropriation des relations de l’ancien dirigeant deviennent une préoccupation

supplémentaire pour le repreneur. De nombreuses reprises échouent du fait de la détérioration

ou de la perte de tout ou partie des relations à l’environnement après le départ du cédant (perte

de clients, déperdition de capital social, apparition de tensions avec les fournisseurs, etc.).

Mais outre les difficultés liées à l’appropriation des relations à l’environnement, il y a des

difficultés internes à l’organisation.

2.2.3.2.) Les difficultés internes à l’organisation

La phase de management post-reprise constitue une période de travail relativement

difficile et intense pour le nouveau dirigeant. De multiples témoignages de repreneurs tout

comme les conclusions de recherches scientifiques (Deschamps et Paturel, 2005 ; Rollin,

2006 ; Boussaguet, 2006 ; Picard et Thévenard-Puthod, 2006) le confirment. Pour beaucoup,

de nombreuses difficultés découlent de facteurs internes à l’organisation. Le changement à la

tête de l’entreprise cristallise l’attention des salariés et suscite de nombreuses réactions et

interprétations (Demers, 1993). Il s’agit d’un événement majeur susceptible de déstabiliser, en

profondeur, le fonctionnement habituel de l’organisation tout comme ses caractéristiques

culturelles et identitaires. Pour Giroux (1993), le changement dans l’organisation induit

inéluctablement un changement dans les comportements des personnes et dans leurs relations

entre elles. La prise en compte du facteur humain est essentielle dans la réussite d’une reprise,

ce dernier représentant le principal frein au changement (Henriet, 1999). Confrontés à une

nouvelle situation, les salariés peuvent avoir des réactions multiples allant du rejet total à,

dans le meilleur des cas, une acceptation clairement exprimée139. Une bonne compréhension

de ces réactions par le repreneur apparaît comme un élément fondamental dans la réussite de

la reprise. Le rôle du nouveau dirigeant consiste à gérer le changement afin d’éviter les

phénomènes de choc culturel et de résistance au changement, manifestation comportementale

représentant le principal obstacle à toute reprise (Deschamps, 2002).

139

Coetsee (1999, cité par Paille, 2012) propose une échelle graduée explicative des réactions au changement. Ces dernières oscillent selon un continuum ayant pour extrémités l’engagement (synonyme d’acceptation) et la résistance au changement (marquant le rejet des personnes pour le changement).

Page 111: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

110

2.2.3.2.1.) Un bouleversement organisationnel

Le changement de dirigeant implique que des modifications vont se produire au sein

de l’organisation et dans sa gestion (Deschamps et Paturel, 2005). Boussaguet (2005)

mentionne qu’il s’agit d’une expérience polytraumatisante aussi bien au niveau individuel que

collectif et organisationnel. A ce stade, de nombreuses complications organisationnelles

peuvent survenir. Celles-ci sont souvent occasionnées par l’inefficacité des mécanismes

d’ajustements rendus indispensables par le remplacement d’un acteur placé au centre du

système de gestion de l’entreprise.

Il paraît, en effet, fort peu probable de voir une substitution parfaite des rôles et des

attentes du repreneur à ceux et celles de l’ancien dirigeant. Ceci semble encore plus vrai au

sein des TPE généralement créées, puis modelées, pour répondre aux aspirations personnelles

de leur propriétaire-dirigeant (Marchesnay, 1991). L’imbrication des rôles cédant-repreneur et

l’établissement de nouveaux modes de coordination entre acteurs paraissent d’autant plus

compliquées que, sur le plan fonctionnel, il est très difficile de différencier les tâches entre

acteurs (Marchesnay, 1990). L’organisation étant préalablement configurée selon la volonté

du cédant, il en ressort une réévaluation, puis une probabilité accrue de redéfinition du rôle de

chacun au sein de la structure. L’effet de proportion, décrit par Mahé de Boislandelle (1996),

nous permet également d’entrevoir la petite taille de l’entreprise comme un facteur amplifiant

les conséquences d’un changement de dirigeant, celui-ci occupant une place

proportionnellement plus élevée que dans une entreprise de grande taille. Le remplacement

d’un personnage central assumant conjointement différents rôles 140 (Mintzberg, 1989)

impactera alors lourdement l’organisation de l’entreprise ainsi que sa gestion (Bayad,

Boughattas, Schmitt, 2006).

La prise en main d’une TPE par un repreneur modifiera une situation d’équilibre,

parfois en place depuis de nombreuses années. Elle influera sur le fonctionnement habituel de

l’organisation, la répartition des rôles et des tâches, ainsi que sur les jeux de pouvoir entre

acteurs (Crozier et Friedberg, 1977). Le nouveau dirigeant doit combler une large place

laissée vacante par l’ancien dirigeant et peut décider d’apporter des évolutions à la structure.

Cela passe par un nouveau partage de responsabilités, une nouvelle répartition des rôles, ou

encore par de nouvelles procédures et méthodes de travail (organisation du temps de travail, 140

Selon l’auteur, le manager assume trois types de rôles : des rôles interpersonnels (leadership, représentation de l’entreprise, etc.), des rôles informationnels (porte parole, diffusion d’informations, etc.) et des rôles décisionnels (négociation, répartition des ressources, régulation, etc.)

Page 112: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

111

apport d’une technologie nouvelle, etc.). Quelle que soit la solution retenue, le repreneur doit

garder à l’esprit que de trop nombreux changements, trop rapides ou mal maitrisés auront un

impact considérable sur les salariés.

2.2.3.2.2.) Le poids du facteur humain

Maîtriser le processus de changement organisationnel requiert une attention fine portée

aux éventuelles réactions d’individus confrontés à l’édiction de nouveaux rapports humains et

à une modification des jeux de pouvoir (Crozier et Friedberg, 1977). Pour Sainsaulieu (1977),

l’entreprise est bien plus qu’un lieu de production ou de lutte sociale, mais constitue une

véritable institution, un lieu de construction identitaire. La spécificité de la TPE confère à

l’étape de l’entrée en fonction du repreneur un caractère encore plus complexe. Les

principaux traits caractéristiques de la TPE (petite taille, poids important du dirigeant, relation

de proximité) expliquent en partie les difficultés généralement rencontrées. Au moins trois

paramètres dont les effets impactent considérablement le fonctionnement de l’organisation

sont à prendre en considération.

(1) La culture et l’identité : le changement de dirigeant au sein d’une entreprise de petite

taille est un événement susceptible de déstabiliser ses caractéristiques culturelles et

identitaires. Pour Deschamps (2000, p. 366), c’est surtout le management initié par le

repreneur qui conduit indubitablement à des modifications de la culture organisationnelle

avec des répercussions sur les membres de l’organisation. Bien que les notions de culture et

d’identité soient souvent confondues au sein de nombreux écrits ou discours, il semble

néanmoins nécessaire de les différencier. Selon Hofstede (2007, p. 1), l’identité est « quelque

chose de conscient », alors que la culture est de l’ordre du « préconscient ». L’auteur ajoute :

« une équipe de travail pourrait avoir des identités de sous-groupe sans différences de

culture, ou bien une identité jointe sans être de culture homogène ». La notion d’identité est

sollicitée par de nombreux champs disciplinaires, parmi lesquels figurent la sociologie141, la

psychologie142, la philosophie143 et, bien entendu, les sciences de gestion. Pour ces dernières,

l’identité constitue une dimension fondamentale de l’organisation. Ainsi, selon Picard (2009),

l’identité est un facteur essentiel de cohésion interne et, en même temps, de différenciation du

141

Par exemple, Sainsaulieu (1977) s’intéresse à l’identité professionnelle, définie comme la « façon dont les

différents groupes au travail s’identifient aux pairs, aux chefs, aux autres groupes », l’identité se construisant par « l’expérience relationnelle et sociale du pouvoir ». 142

Nous pensons aux travaux d’Erikson (1968) portant sur l’identité individuelle. 143

Selon Levi-Strauss (1977), « L’identité est une sorte de foyer virtuel auquel il nous est indispensable de nous

référer pour expliquer un certain nombre de choses, mais sans qu’il n’ait jamais d’existence réelle ».

Page 113: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

112

comportement de l’entreprise dans son environnement. Rollin (2006, p. 92) voit dans le

système identitaire l’expression des « caractéristiques sociales objectives de l’entreprise,

mais aussi l’image qu’elle veut donner d’elle-même et qu’elle reçoit en retour ». Le concept

d’identité organisationnelle développé par Albert et Whetten (1985) apporte un éclairage

intéressant à la question du comment les composantes humaines internes entrevoient

l’organisation. Selon ces auteurs, l’identité organisationnelle se définit comme l’ensemble des

perceptions partagées des membres de l’organisation des caractéristiques centrales,

distinctives et stables d’une organisation. Le caractère invariable et persistant dans le temps

de l’identité organisationnelle semble néanmoins largement contesté (Gioia, Schultz et

Corley, 2000144). Quelle que soit l’approche retenue145, un large consensus se dégage sur le

fait que l’identité organisationnelle joue un rôle crucial. Elle permet de répondre à la question

« Qui sommes-nous ? », notamment lorsque surviennent des changements importants (Ghadiri

Djahanchah, 2014). Au sein des TPE, le système identitaire se confond généralement avec

l’identité du dirigeant (Picard, 2009). Le départ de l’ancien dirigeant, assimilable à un

changement, est susceptible d’affecter profondément et durablement les composantes

identitaires de l’organisation. Le risque existe de voir les salariés ne pas se « retrouver » dans

la nouvelle configuration identitaire. L’attachement au patron, l’habitude et le travail

quotidien au sein d’une équipe restreinte, renforcent le sentiment d’une véritable rupture

familiale (Picard, 2009). Parallèlement, l’arrivée d’un repreneur au sein de l’organisation est

susceptible de produire un véritable choc entre deux cultures obligées de se rapprocher : la

culture du repreneur et celle de l’entreprise146. Eviter le choc culturel (Deschamps et Paturel,

2005), générateur de dysfonctionnements (accroissement du stress, baisse du niveau de

motivation, attitudes de retrait, etc.), nécessite un travail d’adaptation147 et de compréhension

de la part du repreneur et la volonté de ne pas « imposer son propre modèle culturel à la

communauté de l’entreprise qui existe depuis des années sur de solides fondamentaux »

144

Selon ces auteurs, l‘identité organisationnelle est plutôt fluide et instable. L’instabilité constituant même une condition d‘accomplissement du changement. 145

Deux courants analytiques ont marqué la recherche sur l‘identité organisationnelle. Il s’agit de l‘approche essentialiste (les caractéristiques identitaires sont stables dans le temps) et de l‘approche anti-essentialiste (l‘identité organisationnelle, au lieu d‘être persistante dans le temps, est plutôt fluide et instable) (Gagne, 2010). 146

Pour Pettigrew (1977), la culture d’une entreprise (son système de valeurs) se manifeste à travers des symboles tels que le langage, les rituels, mythes, histoires, etc. Thevenet (1993) la définit comme un ensemble d’hypothèses de base et d’évidences partagées par les membres d’une organisation opérant parfois de façon inconsciente et construites au cours de l’histoire pour affronter les problèmes rencontrés dans l’organisation. 147

Boussaguet et al. (2004) différencient l’acculturation (adaptation plus ou moins forte de sa culture à celle du territoire d’accueil) de l’inculturation (soumission complète au territoire d’accueil).

Page 114: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

113

(Rollin, 2006, p. 94). Ceci est d’autant plus vrai que l’entreprise est en bon état de

fonctionnement au moment de la vente, ce qui est le cas des entreprises que nous étudions.

(2) La psychologie des salariés : face à cette nouvelle situation imposée par la direction,

les salariés peuvent être sujets à des troubles émotionnels liés à la perte d’une situation

antérieure jugée satisfaisante : « perte de sécurité, de pouvoir, d’utilité, de compétence, de

relations sociales, du sens de la direction ou de territoire » (Bareil et Savoie, 1999). Comme

le rappelle Ghadiri-Djahanchah (2014), les changements peuvent être vécus par les membres

de l’organisation comme de véritables menaces identitaires et occasionner un sentiment

d’insécurité148. L’identité organisationnelle porteuse de sens (Weick, 1995) se trouve alors

menacée. A ce climat d’insécurité, peut s’ajouter l’émotion provoquée par une perte de

repères relationnels intenses149 (perte de liens avec l’ancien dirigeant) et organisationnels

puissamment ancrés. Pour Boussaguet (2005), si la perte d’une relation privilégiée avec

l’ancien dirigeant marque l’esprit des salariés, c’est surtout la perspective d’une nouvelle

dynamique et d’un nouvel équilibre à trouver qui est génératrice de stress et d’anxiété. La

spécificité de la TPE exacerbe ces sentiments : d’une part, en raison de la proximité

relationnelle forte entre l’ancien dirigeant et ses salariés, et, d’autre part, en raison de la

disparition d’un point de repère central (l’ancien patron) autour duquel toute l’activité s’est

jusque-là organisée. Installés dans une routine et un confort relatif de travail, les employés

voyant un nouveau dirigeant prendre possession des lieux, ressentent de la méfiance et

perçoivent la possibilité de tout perdre. Une remarque d’une salariée interviewée résume assez

bien l’ambiguïté de la situation : « on sait ce qu’on perd mais on ne sait pas ce qu’on va

retrouver ! » (Salarié HPC). La peur du changement s’installe alors progressivement.

(3) Les résistances au changement : tout repreneur entrant pour la première fois dans sa

nouvelle entreprise doit garder à l’esprit qu’il incarne le changement aux yeux des salariés.

Son arrivée est très souvent perçue par les membres de l’organisation pour ce qu’elle est, à

savoir une modification majeure en soi (Fiegener, Brown, Prine et File, 1994 ; Donckels,

1995), une rupture et une intrusion (Boussaguet, 2005). L’entreprise de petite taille est très

sensible au changement de dirigeant et il est très probable que ce nouvel acteur éveille un

sentiment de rejet (Donckels, 1995). Les réactions des salariés « contraints » au changement

148

L’auteur distingue l’insécurité existentielle (le changement menace l’identité considérée comme une source de sens et de stabilité), l’insécurité morale et l’insécurité relationnelle. 149

Dans son ouvrage consacré aux petites et moyennes entreprises, Bizaguet (1991) souligne l’attachement affectif des salariés à leur dirigeant.

Page 115: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

114

peuvent être multiples. Certaines attitudes et réactions peuvent être positives et se manifester

par une remotivation, une confiance en l’avenir, de l’ardeur au travail, etc. (Deschamps et

Paturel, 2005). A l’inverse, de nombreuses réactions négatives, voire hostiles, peuvent se

révéler et venir perturber fortement la gestion de l’entreprise. Picard et Thévenard-Puthod,

2006, p. 7) relèvent ainsi que : « les salariés peuvent (…) mal réagir au contrôle exercé par

ce nouveau dirigeant (absentéisme, baisse de la performance, colère, rejet, sabotage…), voire

même décider de quitter l’entreprise ».

Ces manifestations négatives s’expliquent le plus souvent par une seule et même

raison, la résistance au changement. Collerette, Delisle et Perron (1997, p. 94) définissent

cette notion comme « l’expression implicite ou explicite de réactions de défense à l’endroit de

l’intention de changement ». Anzieu et Martin (2000 150 ) donnent une dimension

psychologique au phénomène qu’ils expliquent de la manière suivante : « Toute modification

apportée à l’équilibre d’un système entraîne, au sein de celui-ci, l’apparition de phénomènes

qui tendent à s’opposer à cette modification et à en annuler les effets ». Selon ces auteurs, les

résistances au changement ont pour origine la collectivité, les individus eux-mêmes ou les

multiples interactions au sein du groupe. L’objectif assigné au nouveau dirigeant dans le cadre

d’une reprise consiste à minimiser les forces d’opposition au changement et à établir un

nouveau consensus. La résistance au changement est un concept complexe151 déjà ancien152,

mais incontournable lorsque l’on souhaite étudier les réactions humaines au changement

(Bareil, 2004). Carton (1997, cité par Vas et Vande Velde, 2000) met en évidence quatre

formes principales de résistance au changement :

- l’inertie : le changement semble accepté par les individus, mais ceux-ci tentent de

différer son application ; la résistance est exprimée par « non-dit » ;

- l’argumentation : elle se caractérise par des discussions, des négociations portant sur

le fond et la forme du changement ; selon Vas et Vande Velde (2000, p. 6), elle constitue « la

voie royale d’accès à l’intégration du changement » et « obéit à un besoin naturel des

individus d’influencer la réalité extérieure pour la rapprocher de sa réalité intérieure » ;

150

Les auteurs empruntent à Le Chatelier l’explication du phénomène qui s’applique en biologie pour l’appliquer à la psychologie et à la psychologie sociale afin d’expliquer l’inertie des individus et des groupes. 151

Vas et Vande Velde (2000) expliquent que le concept de résistance englobe à la fois des réalités psychologiques, sociologiques, politiques, économiques, culturelles… 152

Ce phénomène a été étudié dès les années 40 par Coch et French (1948) auprès d’employés exerçant au sein d’une manufacture.

Page 116: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

115

- la révolte : les individus concernés par le changement s’opposent à celui-ci de

différentes manières (grève, action syndicale, tensions avec la hiérarchie, etc.) ;

- le sabotage : cette dernière forme de résistance tend à prouver l’ineptie du

changement. D’après Vas et Vande Velde (2000, p. 6), le sabotage diffère de la révolte, car il

est plus « pernicieux et manipulateur ».

D’après Bareil (2004), six catégories de causes de résistance au changement peuvent

être mises en évidence : les causes individuelles, collectives, politiques, liées à la qualité de sa

mise en œuvre, en relation au système organisationnel et au changement lui-même (tableau

9).

Tableau 9 - Les causes multiples de la résistance au changement

Individu Collectif/Culturel Politique Qualité de mise en œuvre

Système organisationnel

Changement

Dispositions psychologiques : traits, personnalité : préférence pour la stabilité

Perte de droits acquis

Enjeux de pouvoir

Mode d’introduction

du changement. Scénario de

mise en œuvre

Structure Complexité du changement

Causes psychanalytiques: mécanismes de défenses

Système social systémique

Perte d’autorité,

de ressources

Orientation Intégration interne

Sens accordé au changement

Incompréhension du changement

Normes sociales Soutien des groupes d’intérêt

Sensibilisation/ communication

Culture et valeurs

Cohérence du changement avec

les valeurs organisationnelles

Caractéristiques personnelles : âge, antécédents

Caractéristiques culturelles

Coalition dominante

Habilitation et formation

Inertie organisationnelle

Légitimité du changement

Vécu antérieur et expériences de vie

Valeurs, rites et histoire

Influence des sous-groupes

Consultation Implication

Participation

Leadership : haute direction et

cadres

Type de changement radical : ex. downsizing

Peurs (de perdre des acquis et de ne pas être capable)

Influence des

personnes valorisées

Temps d’adaptation

Contexte et environnement

Syndrome du changement

répétitif

Pertes : sécurité, pouvoir, utilité, compétences, relations, territoire, repères

Pouvoir du syndicat

Disponibilité des ressources

Capacité à changer

Ratio coûts/ bénéfices

Approche du

changement

Source : Bareil (2004, p. 6).

Page 117: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

116

Tout changement suscite des réactions de la part de ceux qui le subissent. La RPP n’y

échappe pas. L’arrivée d’un nouveau dirigeant au sein d’une TPE qui fonctionne bien et

depuis longtemps est susceptible d’engendrer de nombreuses réactions, parfois très négatives

de la part des salariés. Le repreneur devra consacrer une partie de son temps à gérer les effets

du changement et adopter un style de management, une méthodologie et des outils adaptés.

Manager au mieux les réactions des membres de l’organisation devient primordial. Pour

Esteve (1997), cette activité représente le principal facteur de succès du rachat. Le leadership

du dirigeant semble alors déterminant pour mener à bien le changement (Nadler et Tushman,

1989).

Page 118: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

117

Conclusion section 2

Cette seconde section avait pour objectif de préciser le cadre d’analyse de notre

recherche. Nous avons d’abord cherché à obtenir une cartographie plus précise de la

reprise d’entreprises à partir d’éléments de quantification statistiques. Les enjeux

économiques et sociaux, particulièrement en termes d’emplois, pour la France et

l’Europe, ont été abordés. Après examen des principales études et recommandations

européennes publiées depuis une vingtaine d’années et à partir d’une recension et d’une

analyse des principaux textes de lois votés en France sur le sujet, nous avons relevé une

prise de conscience progressive, mais néanmoins insuffisante, des différents enjeux de la

part des pouvoirs publics.

En nous appuyant sur une définition de l’entrepreneuriat proposée par Paturel

(2011), nous avons situé la reprise de TPE dans ce champ disciplinaire, puis nous avons

justifié notre choix d’embrasser une lecture multiparadigmatique de l’acte. Nous avons

retenu le paradigme du processus, de l’obtention de valeur, de l’innovation et de

l’intensité du changement vécu par le dirigeant pour expliquer l’entrée en fonction du

repreneur. La définition du repreneur que nous retenons est la suivante : c’est un individu

saisissant l’opportunité de racheter une entreprise existante dans le but d’obtenir de la

valeur, qui s’engage dans un processus engendrant un changement plus ou moins fort

dans sa vie. Après avoir décrit les différentes modalités de transmissions possibles, nous

avons choisi de focaliser notre recherche sur la reprise par un repreneur externe (RPP)

d’une TPE saine.

Pour une meilleure compréhension de l’opération de reprise, nous avons adopté

comme support théorique le processus repreneurial de Deschamps (2000). Ce processus

est caractérisé par trois phases : la prise de décision ; la reprise qui comporte la recherche

d’une entreprise, le diagnostic, la négociation et la signature ; et la phase d’entrée qui est

caractérisée (ou non) par une période de transition et le management de la reprise.

L’étape qui nous intéresse se situe plus particulièrement au moment de l’entrée en

Page 119: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

118

fonction du repreneur, période désignée par la littérature sous l’appellation de

« management post-reprise ». Cette dernière période où le repreneur se retrouve seul aux

commandes de l’entreprise, nous semble, à l’instar de nombreux auteurs, être une étape

déterminante dans la réussite du projet repreneurial.

Nous avons montré que cette phase va occasionner des difficultés liées à

l’environnement, mais aussi des problèmes internes à l’organisation. Ces derniers

renvoient pour la majorité d’entre eux, à la culture et à l’identité, à la psychologie des

salariés et aux phénomènes de résistance au changement. Le leadership du dirigeant

semble alors déterminant pour mener à bien le changement (Nadler et Tushman, 1989).

Page 120: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

119

Conclusion chapitre 1

A travers ce premier chapitre, nous avons souhaité mettre en évidence les

spécificités propres à la gestion et à la reprise d’une TPE. Nous avons commencé par

définir la TPE à partir d’une revue de littérature consacrée aux PME et TPE. L’approche

quantitative, très souvent utilisée pour délimiter ce type d’entreprises, s’est avérée être

insuffisamment solide pour y ancrer notre travail de recherche. Nous avons donc choisi

d’utiliser en complément une approche qualitative, pour en préciser les caractéristiques et

les particularités.

A partir d’une revue des différents courants paradigmatiques mis en évidence par

Torrès (1997), nous nous sommes situé dans le courant paradigmatique de la spécificité.

Ce courant nous a permis de relever le caractère spécifique de la reprise d’une TPE. Cette

spécificité, incarnée par le rôle central du dirigeant et des relations de proximités

fortement marquées, s’est avérée être un phénomène complexifiant l’opération de reprise

et la gestion du repreneur au moment où il prend ses fonctions.

Après avoir défini la reprise, dressé un panorama chiffré de ce qu’elle représente

en Europe, en France et en région Auvergne-Rhône-Alpes, nous en avons signalé les

enjeux économiques et sociaux. En nous appuyant sur une définition de l’entrepreneuriat

développée par Paturel (2011), nous inscrivons clairement cette opération dans ce champ

disciplinaire, puis retenons les paradigmes du processus (Gartner, 1993 ; Bruyat, 1993),

de l’innovation (Julien et Marchesnay, 2011), de l’obtention de valeur (Paturel, 2011) et

de l’intensité du changement vécu par le repreneur, pour expliquer le phénomène. Les

différentes modalités de reprise par des personnes physiques (reprise par la famille, RES,

RPP) ont été exposées. Puis, nous nous sommes positionné sur la pratique la plus

répandue à ce jour, à savoir la RPP.

Le modèle de processus repreneurial pour une personne physique seule, établi par

Deschamps (2000), a ensuite été utilisé. La dernière étape du modèle, appelée

« management post-reprise », nous est apparue, à l’instar de nombreux auteurs, être une

période capitale dans la réussite du projet. Nous avons appréhendé les nombreuses

difficultés susceptibles de parasiter une gestion sereine de cette période de changement.

Elles ont, pour la plupart, trait à l’appropriation des relations à l’environnement par le

repreneur et, dans une plus grande mesure, à la gestion du facteur humain au sein de la

structure.

Page 121: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

120

Page 122: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

121

Chapitre 2 - Le rôle du repreneur en contexte de changement

organisationnel

Lorsqu’il se prépare à la reprise d’une TPE, le repreneur fixe prioritairement son

attention sur la valeur de l’entreprise ainsi que sur les relations avec les parties prenantes

externes (clients, fournisseurs, etc.) alors que les facteurs humains et organisationnels

apparaissent, au fil des expériences, comme des sources importantes d’échec.

Dans le précédent chapitre, nous avons montré à quel point la gestion des relations

humaines dans une période de changement constitue un défi important à relever par le

repreneur au moment de son entrée en fonction. A travers ce second chapitre, nous allons

tenter d’analyser la RPP des TPE à la lumière des différentes typologies du changement et des

modèles de conduite proposés par la littérature. Pareil exercice doit nous permettre de mieux

explorer et comprendre le phénomène.

Dans une première section, nous observerons en quoi l’arrivée d’un nouveau dirigeant

au sein d’une TPE constitue un changement organisationnel majeur. Nous justifierons

l’adoption d’une lecture interprétativiste de l’événement, plus particulièrement, notre

inscription dans une approche par les théories du sensemaking. Cette lecture nous amène à

percevoir la RPP comme un changement écologique de nature à perturber un environnement

enacté dans l’esprit des individus. Le rôle primordial du repreneur, en tant que nouveau leader

façonnant l’environnement pour maintenir ses partenaires dans l’action, sera ensuite abordé.

Dans une seconde section, nous verrons dans quelle mesure et par quels moyens,

reconstruire collectivement du sens apparaît être une solution efficace pour mieux réussir le

changement. A partir de ce cadre théorique, nous poserons nos questions et objectifs de

recherche.

Page 123: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

122

Section 1- Le management de la reprise ou la conduite d’un changement organisationnel majeur

Devenir propriétaire d’une entreprise est l’aboutissement d’un processus long et

complexe nécessitant une grande motivation et des efforts sans cesse renouvelés. Néanmoins,

la tâche du repreneur ne s’arrête pas à la signature de l’acte de vente. La prise en mains

effective de l’entreprise, également appelée « entrée opérationnelle », constitue le point de

départ d’un nouveau challenge pour le repreneur. A ce stade de la reprise, il devient le seul et

unique patron. Pour de nombreux repreneurs externes, d’autant plus lorsqu’ils sont habitués

au statut de salarié, il s’agit d’une situation nouvelle, un véritable changement nécessitant de

nombreux efforts d’adaptation. Si le repreneur, de par son arrivée dans l’entreprise, est à

l’origine du changement, il en subit également les effets153, comme le montre le témoignage

suivant : « L’arrivée dans l’entreprise était difficile, on est complètement déséquilibré, je me

posais plein de questions : comment je vais m’y prendre? Qu’est-ce que je vais faire ? Quel

est mon rôle de tous les jours dans l’entreprise ? En fait, personne n’est là pour nous dire ce

qu’on doit faire ! » (repreneur HPC).

A ce moment de la reprise, le repreneur est confronté à de nombreuses appréhensions

concernant sa place dans la structure et un sentiment de solitude est également largement

décrit par les nombreux repreneurs rencontrés. L’inquiétude provoquée par le changement à la

tête de l’entreprise est également partagée par ses salariés. L’arrivée d’un nouveau dirigeant

est vécue à la fois comme une rupture (Deschamps et Paturel, 2005) et une intrusion

(Boussaguet, 2005). Cette incursion constitue en soi une source de changement au sein de

l’organisation (Donckels, 1995). La « reprise en mains » de la TPE est susceptible de

bouleverser l’organisation initiale. Elle est fréquemment à l’origine d’une cascade de

changements (Schmit, Vas et D’Hoore, 2008) au niveau structurel, identitaire,

comportemental et culturel. Il appartient à chaque repreneur de gérer au mieux ces

bouleversements afin d’assurer la pérennité de l’entreprise reprise. Pour de nombreux auteurs

(Giroux, 1991 ; Simons, 1994 ; Mintzberg et al., 1999), aider les gestionnaires d’organisations

dans l’élaboration de réponses adaptées au changement suppose, en premier lieu, de mieux

caractériser les différentes formes de changement. La littérature permet en conséquence de 153

L’entrée dans l’entreprise génère un changement impactant à la fois la vie du repreneur (il s’agit d’un changement individuel), mais aussi l’organisation (on évoque alors le phénomène de changement collectif ou organisationnel).

Page 124: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

123

discerner plusieurs types de changement en fonction de leur rythme, leur ampleur et leur

profondeur (Commeiras, 1999, cité par Soparnot, 2004).

Dans un premier temps, nous exposerons les principales typologies couramment utilisées

dans la littérature pour expliquer le changement. L’examen de celles-ci doit permettre de

mieux qualifier le changement provoqué par la reprise de l’entreprise. Nous verrons pour

quelles raisons la reprise d’une TPE constitue un changement organisationnel majeur doté

d’une coloration spécifique. Nous observerons ensuite l’évolution de la notion de changement

au fil du temps à travers les apports successifs des principaux modèles, puis justifierons

l’approche retenue pour notre recherche. L’approche par le sensemaking apparaîtra comme un

cadre théorique particulièrement riche pour explorer et mieux comprendre la période d’entrée

dans l’entreprise du repreneur. Enfin, nous présenterons le rôle du leadership dans le

management de la reprise.

1.1.) Le changement : typologies et modèles de gestion

La littérature reconnaît une grande diversité de changements en fonction de leur

contenu, de leur progressivité et de leurs conséquences sur l’organisation. Cette pluralité rend

l’analyse scientifique difficile et complique le choix des outils à mettre en place par le

gestionnaire pour mieux appréhender le changement. Pour Soparnot (2004), la diversité est si

forte qu’elle rend improbable la mise au point d’un mode de gestion générique. A l’instar de

Simons (1994,154), de nombreux auteurs (Giroux, 1991 ; Touchais et Herriau, 2009) ont

montré que la manière dont pouvait être contrôlé le changement diffèrait selon le type de

changement se présentant à l’organisation. Tenter de déterminer comment mieux réussir le

changement à la tête d’une TPE nécessite, dès lors, de le spécifier. Nous commencerons donc

par caractériser la RPP d’une TPE à partir des principales typologies du changement, puis

nous sélectionnerons parmi les principaux modèles de gestion du changement, celui qui nous

paraît être le plus approprié pour notre recherche.

1.1.1.) Les principaux types de changements organisationnels

Le changement peut prendre différents aspects ; il peut être incrémental (Weick et

Quinn, 1999, Orlikowski, 2000) ou radical (Miller, 1982 ; Allaire et Firsirotu, 1988 ; Hafsi et

Demers ,1989), marginal ou majeur (Mintzberg et al., 1999 ; Rondeau et Bareil, 2009),

154

L’auteur démontre que les leviers de gestion du changement ne sont pas les mêmes lorsqu’il s’agit d’un changement évolutif ou révolutionnaire.

Page 125: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

124

prescrit ou construit (Vandangeon-Derumez, 1998). L’examen des différentes typologies nous

conduit naturellement à s’interroger sur la manière dont doit être appréhendée la RPP de TPE

en tant qu’événement générateur de changement pour l’organisation.

1.1.1.1.) Un changement incrémental ou radical

Le changement fait l’objet de deux conceptions biens distinctes concernant son

caractère évolutif ou non. Dans la vie de l’entreprise, le changement incrémental (ou graduel)

correspond à une succession de périodes de stabilité entrecoupées par des changements opérés

de manière graduelle. Le changement se fait progressivement, sans « à-coup », quelquefois de

manière imperceptible, par accumulation de petites modifications et progrès réguliers

(Mintzberg et Westley, 1992). La progressivité dans la mise en place des modifications

apportées à l’organisation favorise l’acceptation, puis l’appropriation du changement par ses

membres. L’objectif n’est pas une remise en cause profonde du fonctionnement de

l’organisation, mais son amélioration progressive. L’approche incrémentaliste (Quinn, 1980)

entrevoit dans cette succession de petites étapes un vecteur de stabilité et d’efficacité pour

l’organisation, celles-ci ne bouleversant pas l’équilibre organisationnel présent et générant

moins de phénomènes d’incertitudes auprès des salariés. Le changement apparaît comme une

construction lente et permanente, validée par expérimentation. Senior (1996, cité par Coram et

Burns, 2001) souligne qu’il est possible de distinguer deux types de changement incrémental :

le changement incrémental en douceur (smooth incremental) correspondant à un changement

lent, continu et systématique, et le changement incrémental ébranlant (bumpy incremental)

correspondant à une période d’accélération du changement, ce dernier devenant alors

discontinu.

Le changement radical (ou de rupture) bouleverse la phase d’exploitation habituelle de

l’entreprise. Il conduit à des transformations importantes dans l’organisation tant au niveau

stratégique que structurel et culturel (Giroux, 1991 ; Demers, 1999). Selon Allaire et Firsirotu

(1989), peuvent être différenciés quatre types de changement radical ; la transformation dont

l’objectif consiste à adapter l’organisation à des circonstances radicalement changées, la

réorientation représentant une réallocation générale des ressources de l’entreprise confrontée à

des marchés saturés ou stagnants, la revitalisation dont l’objectif est d’apporter des

améliorations au fonctionnement de l’organisation et, pour finir, le redressement qui vise à

améliorer la performance de l’organisation ou à assurer sa survie. Certains auteurs (Simons,

1994 ; Demers, 1999) rappellent la prééminence du rôle joué par les dirigeants dans le cadre

Page 126: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

125

d’un changement radical. Ces derniers procèdent à une transformation du système de valeurs

de l’organisation afin de modifier les représentations des acteurs (croyances, valeurs), la

finalité principale étant d’influencer les actions dans une direction souhaitée. Les

modifications comportementales et l’adhésion des membres de l’organisation résultent d’un

système de rémunération renouvelé (établissement de primes, promotions, etc.) récompensant

davantage l’engagement dans le déploiement du changement.

1.1.1.2.) Microchangement et macrochangement

Mintzberg et al. (1999) opèrent une distinction entre deux types de changement : les

microchangements et les macrochangements. Les premiers ne portent que sur une partie

limitée de l’organisation (recrutement de nouveaux membres, redéfinition des tâches,

développement d’un nouveau produit, etc.) alors que les seconds la concernent dans toutes ses

dimensions (réaffectation de moyens physiques, repositionnement stratégique sur le marché,

opération de fusion ou d’acquisition, etc.). Les microchangements, même s’ils peuvent avoir

des conséquences majeures sur l’entreprise, sont assez facilement contrôlables par les

différentes unités155composant l’organisation (Barabel et Meier, 2006). A l’inverse, la portée

multidimensionnelle des macrochangements requiert, de la part de la direction de l’entreprise

qui en est la principale responsable, une gestion attentive. Pour Mintzberg et al. (1999), ce qui

différencie les microchangements des macrochangements, c’est leur degré d’abstraction, les

premiers sont concrets et palpables alors que les seconds sont abstraits (conceptuels). Afin de

compléter leur démonstration, les auteurs ont élaboré une cartographie des processus de

changement articulée autour de trois axes (vertical, horizontal et en relief) et de deux grandes

dimensions : la stratégie et l’organisation. Les changements sont classés en fonction de leur

importance (sur l’axe vertical : du microchangement au macrochangement) et des dimensions

concernées (sur l’axe horizontal : changement de stratégie ou changement concernant

l’organisation de l’entreprise). Le caractère formel ou informel du changement fait l’objet du

troisième axe. Il ressort de cet outil que les changements les plus vastes (macrochangements)

et abstraits (conceptuels) concernant l’organisation sont ceux ayant trait à la structure et à la

culture de l’entreprise. Dans la dimension stratégique, les changements de produits et de

programmes sont, quant à eux, considérés comme des microchangements concrets et locaux.

Cette cartographie est présentée par la figure suivante.

155

L’unité pouvant être l’individu, l’équipe de travail ou le service.

Page 127: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

126

Figure 14 - Le cube du changement

Source : (Mintzberg, Ahlstrand et Lampel, 1999).

Rondeau et Bareil (2009) rajoutent que l’instauration d’un changement de forte importance

(changement majeur) au sein d’une organisation dépend de trois «enjeux clés» : sa

légitimation (nécessité d’établir auprès des personnes concernées une communication, puis

une discussion sur l’intérêt du changement 156 ), sa réalisation et son appropriation (le

changement devient partie intégrante du mode de fonctionnement ordinaire de l’organisation).

1.1.1.3.) Un changement prescrit ou construit

Selon Cordelier et Montagnac-Marie (2008), la littérature reconnaît aujourd’hui deux

façons d’initier l’innovation organisationnelle : le changement prescrit et le changement

construit. Le premier est à l’initiative du manager chargé de l’implémenter dans l’organisation

selon un « cahier des charges » précis qu’il aura préalablement défini. Dans le cadre d’un tel

changement, les objectifs sont imposés par la direction à l’ensemble de l’organisation

(Vandangeon-Derumez, 1998) sous la forme d’un programme généralement intensif. Celle-ci,

après avoir planifié le changement, le présente, l’explique et le justifie afin d’obtenir

l’adhésion des différents acteurs. Cette vision du changement s’inscrit dans la lignée du

schéma retenu par les théoriciens classiques de l’organisation (Taylor, Fayol), les acteurs

exécutant ce que la direction leur a prescrit. Dans le cadre d’un changement construit,

156

Ce type de management du changement fondé sur l’information et faisant appel à la capacité de raisonnement des personnes concernées, correspond à la stratégie empirico-rationnelle définie par Chin et Benne (1969, cités par Bayad et Delobel, 2002).

Stratégie Organisation

Vision Culture

Positions Structure

Programmes Systèmes

Produits Personnels

Formel

Informel

CONCRET

CONCEPTUEL

Page 128: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

127

l’ensemble des acteurs de l’entreprise participe à la structuration du changement. Le

changement se fait progressivement et s’articule autour d’une vision floue de l’avenir

émanant de la direction. Le projet de changement est peu formalisé afin de faciliter

l’initiative, le dialogue et la confrontation des points de vue. L’implication des subordonnés

accentue l’appropriation et l’implantation du changement. Dans cette approche du

changement, le leadership du gestionnaire joue un rôle fondamental dans la création d’un

contexte favorable au changement. Le dirigeant est perçu comme un accompagnateur, un

facilitateur chargé d’instaurer les conditions pour que le changement émerge de l’action

collective (Demers, 1999).

Vandangeon-Derumez (1998) nuance néanmoins cette vision trop dichotomique du

changement. Cette auteure constate que, dans la réalité, les organisations voient se succéder

les deux logiques au sein d’un seul et même processus. Le changement prescrit requiert

quelquefois l’utilisation du dialogue pour faciliter son appropriation, alors que le changement

construit doit, pour se figer un peu plus dans l’organisation, recourir à la programmation et à

la standardisation. Les travaux de Van de Ven et Poole (1995, 2005) semblent confirmer cette

idée et arrivent à la conclusion que des moteurs du changement prescrits et construits peuvent

intervenir en même temps. Ces auteurs soulignent, en outre, l’importance de ne pas considérer

le changement comme un phénomène unidimensionnel. Le changement doit ainsi être abordé

en tant que phénomène complexe unissant des moteurs prescrit et construit au sein des

différentes dimensions concernées par le changement, à savoir des dimensions individuelles,

collectives et organisationnelles. Autissier et Moutot (2003) établissent, quant à eux, une

typologie des changements en combinant les critères d’intentionnalité (changement imposé ou

volontaire) avec les critères de temporalité (changement progressif ou brutal). Il en ressort une

matrice (tableau 10) composée de quatre types de changement présentant chacun une durée

variable : changement prescrit, construit, de crise et adaptatif.

Page 129: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

Tableau 10 - Typologie des ch

Plus récemment, Autissier,

éparpillement des travaux consacrés au changement

important de typologies, ont décidé

classer chaque auteur traitant (ou aya

prendre en compte les principales interrogations des dirigean

(figure 15) sur laquelle viennent se positionner quatre types de changements

(1)Le changement continu

non organisée ou à la suite d’un év

quant aux méthodes et moyens à utiliser et en termes de planning à respecter.

(2)Le changement proposé

acteurs les résultats escomptés ainsi que les échéances à respecter. Il appartient à ces derniers

le libre choix des moyens et des méthodes à utiliser afin de réaliser le changement.

128

ie des changements

Source : Autissier et Moutot (2003)

Autissier, Vandangeon-Derumez, et Vas (2010), déploran

ement des travaux consacrés au changement, conséquent à un nombre sans cesse plus

, ont décidé de les regrouper dans une synthèse. Leur travail

ser chaque auteur traitant (ou ayant traité) de près ou de loin ce sujet

en compte les principales interrogations des dirigeants. Il en résulte

r laquelle viennent se positionner quatre types de changements

ment continu : le changement apparaît au sein de l’organisation de manière

isée ou à la suite d’un événement interne et/ou externe. Il existe un certain flou

x méthodes et moyens à utiliser et en termes de planning à respecter.

ment proposé : la direction propose le changement et fixe aux différents

résultats escomptés ainsi que les échéances à respecter. Il appartient à ces derniers

yens et des méthodes à utiliser afin de réaliser le changement.

r et Moutot (2003).

déplorant un certain

à un nombre sans cesse plus

Leur travail permet de

sujet, tout en tentant de

Il en résulte une matrice

r laquelle viennent se positionner quatre types de changements.

nt apparaît au sein de l’organisation de manière

ent interne et/ou externe. Il existe un certain flou

x méthodes et moyens à utiliser et en termes de planning à respecter.

ent et fixe aux différents

résultats escomptés ainsi que les échéances à respecter. Il appartient à ces derniers

yens et des méthodes à utiliser afin de réaliser le changement.

Page 130: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

129

(3)Le changement dirigé : le changement est « impulsé » par la direction de

l’organisation sous la forme d’une injonction plaçant les acteurs devant une marge de

négociation assez faible et une obligation de réalisation élevée.

(4)Le changement organisé : la direction propose de nouvelles méthodes de travail ainsi

que des échéances permettant aux différents acteurs de trouver « par eux-mêmes des objectifs

par lesquels se réalisera une dynamique de changement ».

Figure 15 - La matrice des changements

Source : Autissier, Vandangeon-Derumez et Vas (2010).

L’examen des principales typologies du changement fait ressortir une grande diversité des

approches et permet de relever son caractère multidimensionnel. Plusieurs aspects du

changement sont abordés dans le but de mieux décrire et appréhender la complexité du

phénomène pris dans son intégralité. Malgré le grand intérêt de chacune des approches

développées au cours du temps et les avancées significatives qu’elles incarnent, il semble,

pour Miller et al. (1999, cités par Soparnot, 2004), qu’il n’y en ait pas une qui soit meilleure

qu’une autre. Les analyses et points de vue développés semblent plutôt se compléter que

s’infirmer (Mintzberg et al., 1999). De surcroît, le changement est un phénomène tellement

complexe et évolutif que s’appuyer sur une vision binaire pour le définir semble voué à

l’échec. Le changement peut, en effet, être tout à la fois prescrit et construit (Van de Ven et

Poole, 1995, 2005), incrémental et radical (Soparnot, 2004). Au terme de notre recensement

des principales typologies du changement, il nous apparaît difficile de positionner le

Négocié

Imposé

Rupture Permanent

Changement

proposé

Changement

continu

Changement

organisé

Changement

dirigé

Page 131: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

130

changement provoqué par une RPP puisqu’aucune typologie n’envisage explicitement la

reprise d’entreprise. Celle-ci reste donc la grande « oubliée » des travaux portant sur le

changement. Toutefois, dans le cadre de notre recherche, et en nous appuyant sur une revue

de littérature consacrée à la fois à la RPP et à la TPE, nous situerons le changement de

dirigeant au sein d’une petite organisation dans la catégorie des changements organisationnel

de forte ampleur, des macrochangements157 à l’instar de Mintzberg et al. (1999). Il s’agit d’un

changement majeur qui touche aux fondements de la structure, remet en question

l’organisation du travail, les rôles et les jeux de pouvoir. L’arrivée dans l’entreprise du

repreneur est, très souvent, perçue par les membres de l’organisation pour ce qu’elle est, à

savoir une modification majeure en soi (Fiegener, Brown, Prine et File, 1994 ; Donckels,

1995). De nombreux témoignages évoquent un choc émotionnel, un phénomène déstabilisant

ou bien encore une rupture et une intrusion (Boussaguet, 2005). Le ressenti des salariés face

aux modifications organisationnelles provoquées par l’arrivée d’un nouveau dirigeant, peut

compliquer l’intervention du repreneur au moment de sa prise de fonction. Les spécificités de

la TPE ont également un impact qu’il faut prendre en considération.

1.1.2.) La RPP d’une TPE saine : un changement organisationnel majeur et spécifique

Considérer la RPP comme un élément générateur de changement organisationnel

semble faire l’unanimité parmi les auteurs travaillant sur la problématique des transmissions-

reprises. Selon Donckels (1995), l‘arrivée du repreneur constitue en soi une source de

changement au sein de l’organisation. Ce dernier incarne l’objet du changement (Conner et

Patterson, 1982) et en est son principal vecteur (Picard, 2009). Pour Boussaguet (2005, p. 81),

l’arrivée d’un nouveau dirigeant est déstabilisatrice pour l’organisation ; il s’agit d’un

changement majeur pour deux principales raisons : « premièrement parce qu’il touche aux

fondements de l’organisation et qu’il s’attaque simultanément à tous les éléments au cœur de

l’organisation (…), deuxièmement parce que ses effets sur les membres de l’organisation sont

alors profonds et déstabilisants ». Deschamps et Paturel (2009) évoquent un changement

organisationnel ambivalent, le changement de dirigeant créant à la fois une « rupture » dans la

gestion de celle-ci et une «continuité » dans la poursuite de l’activité. Ces auteurs relèvent une

difficulté accrue pour le repreneur d’une entreprise saine, dans la mesure où les réactions des

salariés face à ce changement peuvent être négatives. En effet, ces derniers peuvent

157

Nous prenons néanmoins nos distances avec Mintzberg et al. (1999) en ce qui concerne le caractère abstrait de ce type de changement. Selon nous, bien que touchant à toutes les dimensions de l’organisation, y compris sa structure, sa culture et son identité, le changement de dirigeant est tout à fait « palpable» par les salariés.

Page 132: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

131

légitimement se poser la question du pourquoi changer lorsque tout fonctionne bien et depuis

longtemps.

La littérature reconnaît un certain nombre de traits spécifiques à la TPE, en particulier

un rôle central joué par le dirigeant (Marchesnay, 1991) ainsi qu’un mode de fonctionnement

marqué par la proximité (Torrès, 2007). Nous inscrivons notre travail de recherche dans une

approche de la TPE trouvant ses fondements au sein du courant paradigmatique de la

spécificité (Torrès, 1997). La thèse défendue tient en l’idée que la petite entreprise est une

entité spécifique et que plus sa taille est petite, « plus ses spécificités sont fortes » (Jaouen et

Torrès, 2008, p. 28). Ce type d’organisation enjoint une gestion spécifique, un management

de proximité (Jaouen et Torrès, 2008) tenant compte des particularités de la TPE : poids du

dirigeant, fortes relations interpersonnelles, proximité hiérarchique, spatiale, temporelle,

fonctionnelle, etc. Toute la gestion de l’organisation se construit autour d’une hiérarchisation

des choix du dirigeant, opérée selon un principe de proximité158. Notre inscription dans une

telle lecture de la TPE nous amène à penser que la gestion du changement, lors d’une

transmission de ce type d’entreprise, doit elle aussi être spécifique. Si les particularités de la

TPE influencent la phase amont du processus de reprise, par exemple dans le choix du

repreneur (Torrès, 2006), nous pensons qu’elle influence également sa phase ultime, c’est-à-

dire l’entrée dans l’entreprise du repreneur. La conduite du changement provoqué par

l’arrivée d’un nouveau dirigeant au sein d’une organisation de petite taille nécessite alors des

outils adaptés à la spécificité de l’action. Plusieurs traits caractéristiques de la TPE rendent le

changement organisationnel provoqué par l’arrivée d’un repreneur, à bien des égards

spécifique.

1.1.2.1.) Le rôle central du repreneur et la gestion du changement

Le rôle central du dirigeant en tant que principal trait caractéristique de la TPE

constitue une variable explicative de la forte implication du repreneur dans la gestion du

changement. Contrairement aux entreprises de plus grande taille disposant d’une structure

organisationnelle plus complexe, le repreneur de TPE assume souvent seul la responsabilité

de son action. Il ne peut compter sur la présence de managers intermédiaires (Balogun, 2003)

pour opérationnaliser le changement. Le repreneur en tant que nouveau dirigeant dispose des

pleins pouvoirs, accumule toutes les responsabilités, notamment celles liées aux décisions

158

Selon Torrès et Jaouen (2008), la proximité constitue « le noyau dur du paradigme de la spécificité de

gestion des entreprises de toute petite taille ».

Page 133: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

132

prises pour insuffler des changements à l’organisation et lui donner de nouvelles orientations

stratégiques (Deschamps et Paturel, 2005). Cette concentration des pouvoirs interfère sur les

mécanismes de prise de décision et, par là même, sur les caractéristiques des changements

introduits. La TPE demeure fortement dépendante des actions de son nouveau dirigeant qui

peut être tenté de planifier unilatéralement le changement, puis imposer ses vues

(Marchesnay, 1991). Il peut, par exemple, durant la phase de management de la reprise, initié

des changements de fortes intensités, sans tenir compte de la volonté des différents acteurs.

1.1.2.2.) Proxémie, phénomène de paroi et gestion du changement

La loi proxémique (Moles et Rohmer, 1978) traduisant la propension du dirigeant de

petite entreprise à surévaluer ce qui est proche et à sous-évaluer ce qui est lointain, fournit des

éléments de réponse, quant aux facteurs influençant la gestion du changement. Ce courant

permet non seulement d’identifier les éléments rendant complexe la transmission d’entreprise

durant les toutes premières étapes du processus de transmission-reprise159 , mais apporte

également un éclairage sur les difficultés survenant pendant la phase finale du processus, celle

du management de la reprise. Plusieurs éléments puisés dans cette approche nous éclairent.

Ainsi, selon le principe de proximité, le dirigeant de TPE possède une vision de son

environnement que l’on pourrait qualifier de « biaisée ». Cette altération de la vision peut

l’affecter au moment de son entrée dans l’entreprise et provoquer une détérioration de la

qualité de ses choix. Il peut ainsi être amené à concentrer son attention, ses efforts et son

action sur les événements, les relations, les clients, les salariés les plus proches et négliger les

autres. De la même manière, le phénomène de paroi tel que défini par Moles et Rohmer

(1978, cités par Torrès, 2003) constitue un facteur explicatif du comportement de certains

repreneurs de TPE à n’accorder que peu d’importance, une fois entrée dans l’entreprise, à ce

qui se passe à l’extérieur de ses murs. L’attention et l’action de ces derniers peuvent être

fortement tournées vers l’intérieur de l’organisation160. Ainsi, certains repreneurs obnubilés

par le fonctionnement interne de l’organisation, ne s’aperçoivent que trop tard de

modifications environnementales quelquefois importantes (arrivée d’un nouveau concurrent,

modifications dans les attentes des clients, difficultés d’un fournisseur pour approvisionner,

etc.).

159

Nous faisons référence ici au mécanisme de hiérarchisation des préférences auquel est fréquemment soumis le cédant dans le choix de son successeur, mis en évidence par Bah (2006) dans son modèle des transmissions concentriques. 160

Les murs de la TPE, compris comme une séparation affaiblissant l’extérieur par rapport à l’intérieur, constituent alors cette paroi.

Page 134: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

133

1.1.2.3.) L’effet de grossissement comme variable explicative du changement

Le concept d’effet de grossissement161, développé par Mahé de Boislandelle (1996),

apporte également un éclairage pertinent quant à la gestion spécifique d’une TPE durant la

période post-reprise. Cet effet traduit l’action combinée de facteurs objectifs et subjectifs

agissant sur le dirigeant chargé de décider dans son organisation. La démonstration tend à

prouver que l’intensité des problèmes rencontrés n’est pas la même dans une petite entreprise

que dans une grande. Ainsi, chaque événement, chaque problème, revêt un caractère

important, voire stratégique, au sein des plus petites entreprises. Appliqué à la période de

management de la reprise et subséquemment à la gestion du changement qui en découle, ce

concept nous permet de relever la plus grande difficulté pour le repreneur à instaurer, puis

gérer un nouvel ordre au sein de la petite entreprise. Quatre effets interfèrent sur la gestion du

changement.

(1) L’effet de nombre : appliqué au cas du repreneur de TPE entrant dans

l’organisation, l’effet de nombre conduit ce dernier à porter une attention plus forte à l’égard

des membres de son entourage. Chaque individu au sein de la petite structure est important,

d’autant plus s’il se confond avec une fonction essentielle (Mahé de Boislandelle, 1996). Le

poids relatif élevé de chacun au sein de la TPE (Torrès, 2003) interfèrera sur les prises de

décision du nouveau dirigeant, notamment au moment de son entrée en fonction. Chaque

salarié au sein de la TPE étant important, son consentement constitue un préambule à toute

action.

(2) L’effet de proportion : si l’effet de proportion permet de comprendre que le poids

de chaque membre de l’organisation est inversement proportionnel au nombre des acteurs, il

peut également être mobilisé pour assimiler la manière dont les changements impactent les

petites entreprises. Ainsi, selon Torrès (2003, p. 128), l’effet de proportion introduit l’idée que

« les changements mineurs peuvent occasionner des variations de plus fortes amplitudes ».

Chaque changement introduit par le repreneur, chaque évolution de situation même minime,

peut prendre la forme d’un événement majeur et une tournure stratégique, bouleversant ainsi

un équilibre précaire. Le nouveau dirigeant de TPE doit composer avec cet effet dans sa

gestion quotidienne de l’entreprise et dans sa volonté d’y apporter des améliorations, suite à

sa prise de fonction. 161

Comme nous l’avons vu dans le chapitre premier, l’effet de grossissement est lui-même composé de trois effets distincts : l’effet de nombre, l’effet de proportion et l’effet de microcosme. Torrès (2003) en ajoute un quatrième, l’effet d’égotrophie.

Page 135: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

134

(3) L’effet de microcosme traduit la manière dont le dirigeant de petite entreprise

construit sa réflexion et ses schémas d’actions. Le dirigeant de petite entreprise focalise

généralement son attention sur l’immédiateté dans le temps (le court terme) et dans l’espace

(ou par l’esprit, le plus proche physiquement ou psychologiquement). S’appuyant sur un

principe d’énergie limitée chez l’individu, Mahé de Boislandelle (1996, p. 7) arrive à la

conclusion que « plus un sujet dépense son énergie en focalisations de proximité, moins il

reste vigilant et disponible pour voir et regarder à l’extérieur et au loin ». Ceci conduit à une

diminution de l’esprit critique et une « cécité relative » par rapport à l’environnement. Les

biais interprétatifs provoqués peuvent alors affecter le repreneur pendant la phase de

management de la reprise et interférer dans la construction de ses choix et dans sa prise de

décision. Le fait que le repreneur de TPE ait investi une partie importante de son patrimoine

accentue généralement son implication, sa focalisation et sa volonté de contrôle sur son

champ d’action le plus proche.

(4) L’effet d’égotrophie mis en évidence par Torrès (2003) se caractérise par un

grossissement de l’égo (ou du Moi) pouvant mener le dirigeant à une absence de lucidité et le

conduire à adopter une attitude nombriliste, nuisible à la bonne gestion de son entreprise. Si

cet effet explique en partie les difficultés rencontrées par les dirigeants lorsqu’ils souhaitent

transmettre leur affaire, il peut également affecter le repreneur au moment de sa prise de

fonction. Ce dernier, accrédité de la qualité de nouveau dirigeant, grâce à l’apport de capitaux,

peut être tenté d’imposer ses propres opinions sans aucune concertation avec les membres de

l’entreprise. Ceci est d’autant plus vrai que, dans les TPE, il y a une centralisation de la prise

de décision et une absence totale de contre-pouvoir (Torres, 2003).

Notre revue de littérature consacrée à la reprise d’entreprise permet d’appréhender

l’arrivée d’un repreneur à la tête d’une organisation comme une source de changement

organisationnel. L’examen des principales typologies du changement la situerait plutôt dans la

catégorie des changements majeurs. Nous avons également pu constater que plusieurs traits

caractéristiques de la TPE confèrent à ce changement organisationnel une coloration

spécifique. Nous allons à présent répertorier les principaux modèles de gestion du

changement, puis analyser leurs apports dans la compréhension du changement provoqué par

une RPP. L’objectif est d’en extraire un ensemble d’explications utiles aux repreneurs en tant

que nouveaux gestionnaires du changement.

Page 136: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

135

1.1.3.) De la notion de gestion du changement à la notion de capacité de changement : l’évolution des modèles de gestion du changement

Le changement est une notion qui a fait l’objet de nombreux travaux et suscité de

nombreux débats au sein de la communauté scientifique. Parmi les travaux précurseurs, nous

distinguons ceux initiés par Lewin (1952) portant sur le changement des habitudes de

consommation alimentaire. Le modèle de changement développé par cet auteur met en

évidence l’existence de trois phases plus ou moins longues inhérentes à tout processus de

changement d’attitude ou de comportement : la décristallisation ou dégel (période pendant

laquelle les individus ou le groupe remettent en question leurs perceptions, habitudes ou

conduites), la transition (période d’initiation et d’expérimentation au nouveau mode de

fonctionnement), la recristallisation ou regel (période pendant laquelle les nouveaux

comportements s’enracinent et les positions de chacun se stabilisent). A la suite de ces

travaux, la volonté d’une compréhension plus poussée du phénomène a engendré de multiples

recherches empruntant chacune des approches théoriques très hétérogènes. Malgré

l’abondance des recherches, la compréhension du phénomène dans sa totalité ne paraît pas

encore satisfaisante. Pour Van de Ven et Poole (1995), l’explication est à rechercher dans la

complexité inhérente à cette notion, le changement représentant un des phénomènes le plus

difficile à étudier162. La variété des modèles ainsi que l’emploi d’un vocabulaire diversifié

contribuent certainement à donner le sentiment d’une véritable fragmentation (Demers, 2003).

En outre, les modèles d’analyse développés ne sont pas suffisamment sophistiqués pour

appréhender conjointement les diverses modalités de gestion du changement et l’évolution

des processus qui sont en jeu.

Concernant le changement organisationnel, celui-ci a préalablement été abordé par la

littérature comme un événement de la vie d’une organisation correspondant au passage d’une

situation primaire à une situation secondaire distincte de la première. L’organisation touchée

par le changement subit une transformation notable à différents niveaux qu’ils soient

technologique, dans les modes opératoires, dans les activités ou humain. Au court du temps,

la littérature sur le changement organisationnel et sa gestion a évolué. S’appuyant

principalement sur la grille de lecture élaborée par Demers (1999, 2003), Barabel et Meier

(2006, 2010) ont identifié quatre grands modèles du changement organisationnel

correspondant chacun à quatre grandes périodes historiques et à leur contexte

162

Les trois dimensions concernées par le changement (dimension individuelle, collective et organisationnelle) participent à rendre la compréhension du phénomène plus difficile.

Page 137: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

136

socioéconomique. Nous reprendrons, puis adapterons cette classification (tableau 11) afin de

mieux entrevoir l’évolution de la notion de changement au fil du temps et passer en revue les

apports et les limites des principaux modèles pour notre recherche. A la suite de cet exercice,

nous justifierons le choix de l’approche retenue pour mener notre étude.

Page 138: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

137

Tableau 11 - Les principales théories du changement

Source : adapté de Barabel et Meier (2010, pp. 370-373).

Théories et Auteurs Perception du changement

Les premières approches du changement.

La dynamique de groupe (LEWIN, 1952). Théories de la croissance (PENROSE, 1959). Théories de la contingence (BURNS et STALKER, 1961 ; CHANDLER, 1962). Théories du cycle de vie (WHYTE, 1961). Théories du développement organisationnel (BECKHARD, 1969 ; BENNIS, 1969 et BEER, 1976 ; FRENCH et BELL, 1973). Théories comportementales de la firme (CYERT et MARCH, 1963).

Le changement est perturbateur mais constitue une opportunité de croissance, une réponse aux évolutions de l’environnement.

Le changement comme adaptation des organisations aux pressions de l’environnement.

Théories de l’écologie des populations (HANNAN et FREEMAN, 1984). L’approche configurationnelle (MILLER et FRIESEN, 1984). La théorie culturelle (SCHEIN, 1985 ; HATCH, 1993) La théorie ponctuationniste (TUSHMAN et ROMANELLI, 1985). L’approche contextualiste (PETTIGREW, 1977). L’approche stratégique (ALLAIRE et FIRSIROTU, 1988 ; BURGELMAN, 1983 ; GIROUX, 1991).

Le changement est vécu comme une crise pour l’organisation placée devant l’obligation d’adapter ses structures aux contraintes d’un environnement peu propice.

Le changement : un processus dynamique et permanent.

Le modèle de l’organisation innovante (ALTER, 1990). Les théories de l’apprentissage (MARCH, 1991 ; ARGYRIS, 1995 ; NONAKA et TAKEUCHI, 1997). Les théories structurationnistes (ORLIKOWSKI, 1996). Les théories évolutionnistes (NELSON et WINTER, 1982). Le courant interprétativiste (WEICK, 1993 ; GREENWOOD et HININGS, 1988 ; GIOIA et CHITTIPEDDI, 1991).

Le changement est un processus continu, prévisible, en réponse aux incessantes modifications de l’environnement socio-économique et technologique dans lequel évolue l’organisation.

Une évolution paradigmatique : le changement vu sous l’angle de la capacité à changer.

Approches sur la capacité de changement (DEMERS, 1993 ; DUMAS et GIROUX, 1996 ; PERRET, 1996). Le concept de capacités dynamiques (TEECE et al., 1997).

Le changement n’est ni positif, ni négatif. C’est un état permanent et toute l’organisation doit y être perméable. L’avenir est par nature imprévisible.

Page 139: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

138

1.1.3.1.) Une première approche : le changement en tant que modèle d’organisation et de croissance

Les premières théories du changement perçoivent ce dernier d’une manière positive. Il

constitue une réponse à une demande sans cesse plus importante de produits et de services. Il

est synonyme de progrès et de croissance pour les entreprises devant changer pour

s’améliorer. L’organisation est pensée comme un système en équilibre évoluant dans un

environnement favorable, stable et relativement prévisible (Demers, 2003). Dans ce contexte,

les managers, via leur position d’autorité, leur rationalité et la maîtrise des principaux aspects

du changement, jouent un rôle clé dans la réussite du changement (Penrose, 1959 ; Burns et

Stalker, 1961 ; Whyte, 1961). Les courants caractérisant le mieux cette première période sont

les théories de la croissance, la théorie du cycle de vie et la théorie de la contingence. Le

modèle du développement organisationnel (D.O.) défini par Beckhard (1969), Bennis (1969)

et Beer (1976), peut également être évoqué. Celui-ci accorde une large place aux

gestionnaires considérés comme étant au cœur du processus de changement. Ainsi, le

développement organisationnel correspond à une action planifiée de changement défini depuis

le sommet hiérarchique, concernant le système dans sa globalité afin d’améliorer l’efficacité

de l’organisation (Beckhard, 1969). Si les managers doivent communiquer et expliquer le

changement, sonder les perceptions et réactions des employés, il est aussi de leur

responsabilité de programmer des actions visant à obtenir une forte participation et un large

consensus. Le gestionnaire doit veiller à ne pas perdre de vue l’objectif du changement, à

savoir la maximisation du profit. D’autres auteurs ont apporté leurs contributions à la

compréhension du changement au sein des organisations (Chandler, 1962 ; Cyert et March,

1963) en introduisant un caractère processuel et graduel au phénomène.

Les premières théories du changement présentent comme principal point commun

d’avoir été élaborées dans un contexte de forte croissance économique, période de prospérité

caractérisant les « 30 glorieuses ». Ceci semble expliquer, en partie, le fait que le changement

soit le plus souvent perçu comme une réponse apportée par l’organisation aux évolutions

favorables de l’environnement. Concernant notre sujet de recherche, le principal intérêt de ces

premières approches du changement réside dans la prise en compte du poids de l’action

managériale dans la mise en œuvre du changement. Les managers sont à l’origine de l’action

et en ont la charge jusqu’à sa mise en oeuvre. D’un point de vue théorique et pratique,

plusieurs aspects sont néanmoins critiquables. La principale critique que nous émettrons à

leur encontre réside précisément dans leur focalisation sur l’action du ou des manager(s) en

Page 140: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

139

tant que vecteur du changement, ces derniers étant imprégnés d’une volonté d’adaptation

structurelle et de construction stratégique. Pour ces premières théories constituant ce qui a été

appelé plus tard le courant structuro-fonctionnaliste, l’organisation est perçue comme un

instrument malléable et maîtrisable permettant l’exécution d’une stratégie préalablement

définie par les managers dans un contexte de modification de l’environnement. Les évolutions

de la structure constituent une réponse aux changements de variables externes telles que

l’évolution technologique ou la croissance des marchés. Nous observons qu’à l’intérieur de

ces approches pionnières, les multiples interactions entre acteurs organisationnels, leurs effets

sur la mise en œuvre du changement ainsi que l’évolution des pratiques individuelles et

collectives, ne sont pas réellement pris en compte. Le caractère processuel et la propriété

dynamique en tant que principales caractéristiques du phénomène de changement sont

également insuffisamment considérés.

1.1.3.2.) Le changement comme adaptation des organisations aux pressions de l’environnement

La perception du changement a évolué. Il est dorénavant considéré comme une menace,

une crise pour l’organisation placée devant l’obligation d’adapter ses structures aux

contraintes d’un environnement peu propice. Ce modèle est le reflet du contexte socio-

économique de crise observé au cours du milieu des années 70 et du début des années 80

(Barabel et Meier, 2006). Le changement est perçu comme un processus douloureux mené au

sein d’organisations qui y sont réfractaires163 (Hannan et Freeman, 1977) et dotées d’une

grande force de résistance (Miller et Friesen, 1982,1984). Selon Miller (1982), l’organisation

traverse de longues périodes stationnaires pendant lesquelles sa configuration reste inchangée,

entrecoupées par des transformations brutales redessinant sa stratégie et sa forme. Les

pressions de l’environnement (les facteurs externes) sont considérées comme le principal

moteur des transformations organisationnelles (Aldrich, 1979). Parmi les principaux courants

constituant ce deuxième grand modèle du changement organisationnel, figurent l’approche

stratégique (Allaire et Firsirotu, 1988 ; Giroux, 1991), l’approche contextualiste et politique

(Pettigrew, 1977, 1987 ; Pfeffer, 1981) ou encore la théorie de l’équilibre ponctué (Tushman

et Romanelli, 1985). Toutes ces approches ambitionnent d’aboutir à une meilleure

compréhension de la nature même du changement et de ses conséquences sur l’organisation.

163

La théorie de l’écologie des populations (Hannan et Freeman, 1977) explique la préférence des organisations pour la stabilité par leur faible capacité d’adaptation en raison de fortes contraintes internes et externes.

Page 141: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

140

1.1.3.2.1.) L’approche stratégique du changement

Selon Allaire et Firsirotu (1989), le changement constitue pour l’organisation le moyen

de s’adapter aux évolutions de l’environnement, permettant ainsi sa pérennité et sa croissance.

Il ne s’agit pas d’une affaire aisée dans la mesure où l’adaptation doit s’accompagner d’une

importante modification de la culture organisationnelle profondément ancrée dans

l’organisation. En préalable à tout projet de changement, Allaire et Firsirotu (1988)

préconisent l’élaboration d’un diagnostic précis portant sur la situation de l’entreprise et, plus

précisément, sur le degré d’adaptation de cette dernière à son environnement présent ou futur.

En cas d’inadaptation, les auteurs répertorient quatre types de changements radicaux induisant

des efforts de changement d’une grande intensité : (1) la transformation dont l’objectif est

d’adapter l’organisation à une évolution importante de l’environnement, (2) la réorientation

qui se matérialise par des investissements dans de nouvelles activités jugées plus lucratives,

(3) la revitalisation destinée à sauvegarder une organisation inadaptée à son contexte actuel et

futur, et (4) le redressement correspondant à une situation de crise où l’organisation doit, pour

éviter la faillite, redéfinir une stratégie concurrentielle plus adaptée. Chacun de ces

changements modifiera indéniablement plusieurs constantes au sein de l’organisation dont sa

propre culture (Allaire et Firsirotu, 1988164). La variable culturelle impacte directement le

processus de changement et demeure, selon les auteurs, difficilement contrôlable par le ou les

dirigeant(s) de l’organisation.

L’intérêt principal de cette approche réside dans la prise en compte dans l’analyse du

changement, non seulement de la dimension structurelle et stratégique, mais également de la

dimension symbolique liée aux composantes culturelles et aux comportements individuels

dans l’organisation. Elle offre des outils et une perspective d’analyse intéressante pour la

compréhension de la RPP. Toutefois, on ne peut que déplorer le fait que les changements

soient toujours perçus comme le résultat de décisions d’ordre stratégique contraintes par

l’environnement de l’organisation. Le changement de dirigeant induit par la reprise et ses

conséquences sur l’organisation ont très peu été envisagés lors de la construction des modèles.

Les auteurs fournissent un plan pour conduire le changement et mener la « révolution

culturelle » pour des dirigeants souvent à l’origine du processus, ce qui n’est bien

évidemment pas le cas d’un repreneur externe à l’entreprise.

164

Les auteurs soulignent les effets de changements radicaux sur l’attitude des individus, les traditions et les valeurs ainsi que sur les croyances collectives.

Page 142: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

141

1.1.3.2.2.) L’analyse contextualiste du changement

Partant d’une analyse critique du modèle du Développement Organisationnel, Pettigrew

(1977, 1985, 1987) souligne l’intérêt d’adopter une lecture multidimensionnelle du

changement pour véritablement le comprendre. L’auteur regrette que la majorité des études

portant sur le changement soient sans lien avec l’histoire, le contexte et les processus de

l’entreprise. L’analyse contextualiste de nature descriptive s’attache à replacer dans leurs

contextes les informations recueillies au cours de toute investigation. Pettigrew suggère une

meilleure appréhension de la pluralité du changement, à partir d’un nouveau cadre théorique

prenant appui sur trois notions devant faire l’objet d’une analyse minutieuse : le contenu (ce

qui change), le contexte (pourquoi cela change)165, les processus (comment cela change). Ces

trois variables doivent permettent d’appréhender toute la complexité et la dynamique,

caractéristiques du changement, et « se définissent mutuellement dans une série

d’interrelations (actions, réactions et interactions) » (Soparnot, 2009, p. 106). Pettigrew

(1985) qualifie l’analyse processuelle d’analyse horizontale et l’analyse multi-niveau

(contexte interne et interne) de verticale. La première prend en compte la dimension

temporelle du phénomène et l’interconnexion des différentes séquences, la seconde porte sur

les interdépendances entre les différents niveaux d’analyse. Ainsi, pour l’auteur, « une

approche qui offre à la fois l’analyse multiniveau ou verticale, et l’analyse processuelle ou

horizontale, est dite de caractère contextualiste”166 (Pettigrew, 1985, p. 36). Toujours selon

cet auteur, une analyse contextualiste convenablement menée nécessite quatre prérequis. (1) Il

doit s’agir d’un ensemble clairement représenté, théoriquement et empiriquement

« raccordable » à tous les niveaux de l’analyse. (2) Elle doit clairement décrire le ou les

processus examinés. L’auteur insiste sur la nécessité d’incorporer la dimension temporelle :

« Ce qui est essentiel à la notion d’analyse processuelle c’est qu’une organisation ou tout

autre système social peuvent être utilement explorés comme un système continu, avec un

passé, un présent et un avenir »167 (Pettigrew, 1985, p. 36). (3) L’analyse contextualiste doit

se pencher sur l’aspect humain et, plus particulièrement, sur les relations de pouvoir à

165 La notion de contexte est déterminée suivant un double niveau d’analyse : les contextes internes

comprenant les dimensions structurelles, culturelles et politiques, et les contextes externes comprenant

l’environnement socioéconomique, technologique, concurrentiel et politique de l’organisation. 166

« an approach which offers both multilevel or vertical analysis, and processual or horizontal analysis, is said

to be contextualist in character », traduit de l’anglais par nos soins. 167

« Basic to the notion of a processual analysis is that an organization or any other social system may

profitably be explored as a continuing system, with a past, a present, and a future », traduit de l’anglais par nos soins.

Page 143: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

142

l’origine des processus et de leur développement. « (…) l’accent sera porté à la fois sur la

capacité et le désir de l’homme à ajuster les conditions sociales à ses finalités, et le rôle joué

par les relations de pouvoir dans l’émergence et le développement continu des processus en

cours d’examen”168 (Pettigrew, 1985, p. 36). (4) L’approche doit s’attacher à examiner les

liens entre les processus verticaux et horizontaux, sans quoi l’étude ne se limiterait qu’à une

simple approche descriptive « ou bien à une liste éclectique des antécédents qui forment en

quelque sorte le processus » 169 (Pettigrew, 1985, p. 36). Selon Brouwers et al. (1997),

l’approche contextualiste présente l’intérêt d’outrepasser la simple description des

phénomènes et de mieux appréhender la dynamique du changement. A partir d’une première

représentation triangulaire de l’approche contextualiste élaborée par Pettigrew (1987, p. 657),

ces auteurs l’ont schématisée de la manière suivante (figure 16).

Figure 16- Le schéma de l’analyse contextualiste

Source : Brouwers et al. (1997).

L’approche contextualiste pour ce qui concerne notre sujet de recherche présente

l’intérêt de faire apparaître distinctement la chronologie des événements ainsi que leurs

conséquences sur le fonctionnement de l’organisation. Elle offre également l’avantage de

168

« (…) strong emphasis will be given both to man’s capacity and desire to adjust social conditions to meets his

ends, and the part played by power relationships in the emergence and ongoing development of the processes

being examined », traduit de l’anglais par nos soins. 169

« or as an eclectic list of antecedents which somehow shape the process », traduit de l’anglais par nos soins.

Contenu

Domaines soumis à la transformation

Contexte Processus

Interne : structure, culture organisationnelle et configuration des pouvoirs.

Externe : Environnement social, économique, commercial et politique dans lequel l’entreprise opère.

Actions, réactions et interactions entre les différentes parties concernées par la transformation de l’entreprise.

Page 144: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

143

fournir les outils pour appréhender le changement de « l’intérieur » et sa pluralité. Toutefois,

le cadre théorique contextualiste présente des limites. La principale réside dans son

opérationnalisation par le réformateur (Soparnot, 2004) ou le chercheur, les multiples

variables devant être intégrées et le strict respect des conditions d’analyse telles que définies

par Pettigrew (1985) rendant l’approche très longue et complexe.

1.1.3.2.3.) La conception ponctuationniste

D’après Tushman et Romanelli (1985), les organisations connaissent de longues

périodes de relative stabilité (appelées périodes de convergences) pendant lesquelles des

changements de faibles ampleurs sont opérés de manière incrémentale, entrecoupées de

courtes périodes de changements majeurs, rapides et brutaux (dénommés réorientations ou

recréation). Le modèle de l’équilibre ponctué ou théorie de l’équilibre provisoire explique en

partie le passage d’une période de convergence à une période de transformation par un

mécanisme d’adaptation aux évolutions des caractéristiques de l’environnement (changement

législatif, émergence d’une technologie nouvelle ou de nouveaux produits de substitution).

D’autres facteurs provoquent une transformation organisationnelle parmi lesquels une

détérioration significative de la performance à court terme ou une détérioration progressive à

moyen et long terme, ou encore l’arrivée d’un nouveau dirigeant. Tushman et Romanelli

(1985) précisent également que seul le dirigeant ou l’équipe de direction de l’entreprise est à

même de diriger le changement radical. Selon Vas (2000, p. 91), le modèle de l’équilibre

ponctué présente un double avantage. Dans un premier temps, il permet de « réconcilier la

vision adaptative et inflexible de l’évolution des organisations en intégrant les perspectives de

changement volontaire et déterministe ». Ensuite, l’inscription du changement dans un cycle

continu alternant des périodes de convergence et des périodes de changements radicaux,

« permet de réconcilier les conceptions incrémentales et radicales du changement

organisationnel ».

À propos de notre sujet de recherche, la théorie ponctuationniste permet d’éclairer notre

compréhension des phénomènes liés au changement de plusieurs manières. D’abord, ce

modèle considère l’arrivée d’un nouveau dirigeant comme un élément déclencheur d’une

transformation organisationnelle. La RPP peut alors être analysée comme un changement

radical faisant suite à une longue période de convergence. Selon cette théorie, le nouveau

dirigeant (ou la nouvelle équipe de direction) que nous assimilerons au repreneur, joue un

rôle déterminant pendant la phase de réorientation. Nous pouvons superposer cette dernière à

Page 145: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

144

la période de management de la reprise telle que décrite dans le modèle de Deschamps (2000)

(figure 17).

Figure 17 - Le processus d’entrée dans l’entreprise à la lumière de la théorie ponctuationniste

Source : Auteur.

Ensuite, ce modèle permet d’incorporer la taille de l’organisation en tant que variable

explicative du changement. Une place importante est accordée à la complexité

organisationnelle en tant que vecteur d’adaptation de l’entreprise à son environnement. Celle-

ci augmente à mesure que l’entreprise grandit et devient alors un facteur de convergence

(Tushman et Romanelli, 1985). Inversement, une diminution de la complexité

organisationnelle favoriserait les périodes de réorientations. Notre sujet de recherche étant

centré sur la reprise de TPE, on en déduit que plus l’entreprise est de petite taille, donc dotée

d’une complexité organisationnelle faible, plus il est possible d’opérer des changements

radicaux. La principale limite de ce modèle est qu’il considère le changement (ou

réorientation) comme une période courte de bouleversements imposés par les contraintes de

l’environnement. Le changement n’est perçu que comme un événement négatif venant

perturber une situation d’équilibre considérée comme la norme.

Pour toutes ces approches appartenant à la deuxième grande période, le changement

radical et rapide est souvent présenté comme une condition de survie, un nécessaire

repositionnement pour l’organisation évoluant dans un environnement changeant (Autissier et

Vandangeon-Derumez, 2010). Pour ces nombreux courants, le rôle du manager est limité, ses

actions étant contraintes par l’inertie des organisations (Singh, House et Tucker, 1986). Les

Etape Initiale. Entreprise non

transmise.

Management de la reprise. Transition

Phase de convergence Phase de réorientation

Processus d’entrée dans l’entreprise

Reprise

Page 146: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

145

théories développées à cette époque enrichissent indéniablement la compréhension du

changement et visent principalement à apporter des éléments de réponse à la question du

comment adapter l’organisation à son environnement. Néanmoins, l’importance des

interrelations entre acteurs, de leurs actions individuelles qu’elles soient volontaires,

conscientes ou non, dans un schéma de construction collective du changement, n’est pas

suffisamment prise en compte.

1.1.3.3.) Le changement : un processus dynamique et permanent

Dans ce troisième grand modèle du changement organisationnel (Barabel et Meier,

2010), le changement devient un processus continu, prévisible et inévitable pour toute

entreprise souhaitant pérenniser son activité. Afin de mieux dépeindre la dynamique et la

fluidité caractérisant le phénomène, Alter (1996) préconise de remplacer le terme de

« changement » par l’expression « processus de changement » plus appropriée. Selon cet

auteur (Alter, 2005), il ne convient plus de considérer le changement en tant que phénomène

borné disposant d’un terme, l’organisation devant apporter continuellement des réponses aux

transformations de son environnement socioéconomique et technologique notamment. Les

modifications du contexte économique des années 90, marquées par l’intensification de la

mondialisation, l’accélération des innovations technologiques et la montée en puissance des

technologies de l’information et de la communication, sont autant de causes qui acculent

l’entreprise au changement. Dans ce contexte, les managers ont un rôle important à jouer : ils

programment le changement (Nelson et Winter, 1982), le contrôlent170 et le régulent (Alter,

1990). Ils opérationnalisent le processus en y intégrant les autres membres de l’organisation

afin d’en susciter son appropriation. L’organisation devient un lieu d’interaction où les

acteurs modifient et adaptent quotidiennement leurs pratiques. Selon Orlikowski (1996,

2000), il est essentiel d’envisager le changement comme un processus graduel et continu, sans

commencement ni fin, relayé par l’action des acteurs présents dans l’organisation. La

modification des pratiques de ces derniers, imputable dans le cas étudié par Orlikowski (2000)

à l’instauration d’une nouvelle technologie, est à l’origine de changements futurs qui

entraîneront eux-mêmes de nouvelles modifications des pratiques. De la sorte, les acteurs de

l’organisation sont contraints par les nouvelles conditions organisationnelles issues de la

modification de leurs propres pratiques (Autissier, Vandangeon-Derumez et Vas, 2010).

Parmi les principales théories développées à cette époque, figurent celles s’inscrivant dans 170

Le processus de changement est néanmoins considéré comme complexe et difficilement contrôlable dans son intégralité par la direction ou le manager.

Page 147: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

146

une approche interprétativiste (Weick, 1993, 1995 ; Greenwood et Hinings, 1988 ; Gioia et

Chittipeddi, 1991) ainsi que les théories de l’apprentissage (March, 1991 ; Argyris, 1995 ;

Nonaka et Takeuchi, 1997).

1.1.3.3.1.) L’approche interprétativiste

Soparnot (2004, p. 37) explique les fondements de ce courant de la manière suivante :

«Le modèle interprétatif met l’accent sur l’attribution de sens qu’accordent les acteurs au

projet de changement et sur la perception qu’ils en ont. La conduite du changement est

fondée sur la production de sens par les dirigeants. La signification qu’ils donneront au

changement conditionnera les réactions des salariés et leur propre interprétation ». Selon

Weick (1979), il existe au sein de chaque organisation un processus continu d’interactions

entre ses différents membres, laissant émerger de nouvelles solutions au changement. Dans

cette perspective interactionniste 171 , l’individu est placé au centre d’un processus de

construction collective de sens (collective sensemaking ; Weick, 1995, p. 27). L’activité

continue de communication interpersonnelle sert alors de matériau à la construction d’un sens

partiellement partagé. La théorie du sensemaking développée par Weick envisage le

changement comme le produit d’interactions incessantes entre individus construisant du sens

dans un processus récursif liant pensée et action.

S’inscrivant également dans le courant interprétativiste, Greenwood et Hinings (1988)

développent une lecture du changement basée sur la compréhension du « schéma

interprétatif» de l’organisation. Ce dernier correspond à un ensemble d’idées, de croyances et

de valeurs partagées par ses membres et procurant du sens aux multiples actions et

interactions au sein de l’organisation. Selon ces auteurs, l’organisation se structure suivant

une dynamique liant trois composantes : la répartition du pouvoir, le schéma interprétatif et

l’influence de l’environnement, formant un schéma général dénommé archétype (Autissier,

Vandangeon-Derumez et Vas, 2010). Le changement est interprété comme le passage d’un

archétype à un autre, qu’il soit linéaire ou non. Plusieurs situations pouvant aboutir chacune à

un changement d’ordre structurel sont évoquées : la modification des schémas interprétatifs

des membres de l’organisation, une divergence entre les valeurs de l’organisation et les

intérêts d’une nouvelle stratégie, une modification dans la répartition du pouvoir à l’intérieur

de l’organisation (l’arrivée d’un nouveau dirigeant par exemple), une modification de

171

Selon Koenig (1996), l’approche par le sensemaking puise incontestablement sa source dans le courant interactionniste.

Page 148: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

147

l’environnement socio-économique, législatif ou technologique, et une structure

organisationnelle inadaptée aux caractéristiques de l’environnement technologique et

concurrentiel. L’intérêt de cette approche réside dans la prise en compte du rôle important de

l’individu et de son action dans la dynamique de structuration organisationnelle, tout en

incorporant à l’analyse le contexte externe de l’entreprise (les facteurs de contingence).

Gioia et Chittipeddi (1991) s’intéressent également au processus de changement décrit

comme un processus de création de sens résultant des multiples interactions entre les parties

prenantes de l’organisation. Le concept de sensemaking (Weick, 1979) est mobilisé pour

comprendre l’évolution du processus de changement au sein de l’organisation. Le processus

de création de sens « sensemaking », combiné au processus de diffusion de sens

« sensegiving », permettent au dirigeant de comprendre, puis de faire comprendre et partager

aux autres membres de l’organisation une nouvelle vision. Selon ces auteurs, le dirigeant (ou

l’équipe dirigeante) joue un rôle prépondérant dans la construction du changement : “ Le

dirigeant (et finalement l’équipe de direction) peuvent être considérés comme les architectes,

les assimilateurs et les facilitateurs du changement stratégique. Les actes de créer du sens, de

donner un sens à ce qui se passe, l’interprétation d’une nouvelle vision de l’institution

constituent les processus clés impliqués dans l’instigation et la gestion du changement “ 172

(Gioia et Chittipeddi (1991, p. 446). La réussite de l’instauration d’une situation nouvelle

pour l’organisation reposera sur la capacité du ou des manager(s) à créer continuellement du

sens et à remporter l’adhésion des membres de l’organisation, ces derniers jouant un rôle actif

dans le processus de création de sens. Le dirigeant est celui qui donne du sens et le diffuse.

Selon Barabel et Meier (2010, p. 404), donner du sens au changement, c’est admettre « que

les individus ne soient pas passifs face au changement mais en soient les vecteurs principaux

par leurs capacités à interpréter et à agir sur les situations ».

L’approche par la construction de sens apparaît clairement être un cadre d’analyse

particulièrement riche et pertinent pour appréhender les multiples interactions entre acteurs et

les phénomènes rencontrés par le repreneur au cours de l’étape de management de la reprise

(résistances, non engagement des salariés, etc.). Nous reviendrons plus longuement sur

l’intérêt de cette approche dans une prochaine section.

172

« The CEO (and ultimately the top management team) can be seen as architects, assimilators, and

facilitators of strategic change. The acts of making sense of, and giving sense about, the interpretation of a new

vision for the institution constitute key processes involved in instigating and managing change », traduit de l’anglais par nos soins.

Page 149: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

148

1.1.3.3.2.) Les théories de l’apprentissage

A travers leurs célèbres travaux consacrés à l’apprentissage organisationnel, Argyris et

Schön (1978, 2002) s’intéressent à ses conséquences sur le changement. Ils décrivent

l’apprentissage organisationnel comme une mise en œuvre de la pensée et de l’action, un

processus par lequel les acteurs détectent des erreurs et les corrigent en reconsidérant les

théories d’usage. Une brève revue de la littérature fait apparaître un nombre important de

définitions. Ainsi, pour Fiol et Lyles (1985), il s’agit d’un processus d’amélioration des

réponses organisationnelles par une meilleure connaissance et compréhension des

phénomènes. Pour Koenig (2006, p. 293), il s’apparente à « un phénomène collectif

d’acquisition et d’élaboration de compétences qui, plus ou moins profondément, plus ou

moins durablement, modifie la gestion des situations et les situations elles-mêmes ». Argyris

(1995) insiste sur l’importance pour une organisation, de développer sa capacité

d’apprentissage, faculté lui permettant d’appréhender les changements auxquels elle sera

continuellement confrontée. Le principal enjeu consiste à dépasser les « routines défensives »

construites par l’organisation et par ses membres, fortement défavorables à l’élaboration de

solutions nouvelles face aux grandes mutations de l’environnement. Ces routines défensives

sont « surprotectrices » (Argyris, 1995) et génèrent des conséquences impactant négativement

le fonctionnement de l’organisation. L’apprentissage organisationnel devient un moyen pour

l’organisation, non seulement d’assurer sa survie, mais également d’accroître ses

performances via une meilleure réponse aux changements de l’environnement (Fiol et Lyles,

1985).

Argyris et Schön (2002) mettent en évidence deux niveaux d’apprentissage avec

l’apprentissage en simple boucle et l’apprentissage en double boucle. Le premier relève d’une

modification mineure des règles existantes (Pesqueux, 2013), de correction d’erreurs dans des

schémas organisationnels établis et dont les valeurs ne seront pas remises en cause. Le second

correspond, quant à lui, à un processus cognitif, de réexamen des représentations mentales

débouchant sur un bouleversement des normes et valeurs de l’individu et de l’organisation,

puis sur l’adoption de nouveaux schémas de connaissance, de pensée et d’action. Selon

Argyris (1995), l’apprentissage en simple boucle, bien que souvent pratiqué au sein des

organisations, ne permet que de fournir, pour un temps, des réponses à des problèmes

récurrents. L’apprentissage en double boucle, moins présent, autorise de profonds

changements, aussi bien dans le comportement des individus qu’au niveau de l’organisation.

Page 150: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

149

Pour toutes les approches développées durant cette troisième grande période historique,

le changement est vu comme un processus continu, une réponse aux incessantes modifications

de l’environnement socioéconomique et technologique notamment, dans lequel évolue

l’organisation. L’intérêt principal de ces théories, plus particulièrement celles ayant trait au

sensemaking, réside dans la prise en compte des multiples interactions entre les individus

composant l’organisation ; ces derniers participant activement à une construction collective et

ininterrompue du changement. L’objectif assigné au manager est de mobiliser le plus

d’acteurs, plus particulièrement les groupes les plus influents, afin qu’ils s’engagent en faveur

du changement (Bonis, 1988). Pour cela, le manager doit utiliser tous les instruments de

communication favorables à l’instauration d’un climat interactif.

1.1.3.4.) Une évolution paradigmatique : le changement vu sous l’angle de la capacité à changer

On assiste, au cours de cette dernière grande période, coïncidant au contexte

socioéconomique du milieu des années 90, à un changement de perspective, à une évolution

paradigmatique (Hafsi, 1999 ; Rondeau, 2003). Perret (1996) souligne que le changement

organisationnel ne constitue une réponse aux modifications de l’environnement externe que

dans la mesure où l’organisation dispose d’une réelle capacité de changement. L’accent est

mis non pas sur la gestion du changement, mais sur la mise en place de nouvelles capacités

opérationnelles permettant la performance de l’organisation sur le long terme (Meyer et

Stensaker, 2006). Selon Soparnot (2009, p. 106), la capacité organisationnelle de changement

se définit comme « l’aptitude de l’entreprise à produire des réponses concordantes (contenu)

à des évolutions environnementales (contexte externe) et/ou organisationnelles (contexte

interne) et à rendre effective au sein de l’entreprise la transition induite par ces dernières

(processus) ». L’organisation doit répondre à un environnement en perpétuelle mutation en se

mettant elle-même continuellement en mouvement. L’avenir ne doit plus être considéré

comme une variable prévisible et continue.

D’après certains auteurs (Demers, 1999 ; Hafsi, 1999 ; Mintzberg et al., 1999 ;

Soparnot, 2004, 2009), la capacité organisationnelle de changement prend appui sur deux

corpus théoriques principaux, aboutissant à des conclusions divergentes : le paradigme

gestionnaire et le paradigme complexe de la gestion du changement. Ces deux logiques

reflètent deux manières diamétralement opposées d’appréhender la capacité de changement.

Pour le paradigme gestionnaire, le processus de changement est programmé et maîtrisable par

l’individu qui en a la charge. L’action calculée de ce dernier permet toujours, in fine, de

Page 151: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

150

changer la situation de l’organisation. Pour y parvenir, le paradigme gestionnaire incite

néanmoins l’organisation à acquérir et maîtriser une capacité de gestion du changement. Cette

première approche conceptuelle a été ouvertement critiquée par certains auteurs (Thietart et

Forgues, 1993, cités par Soparnot, 2009 ; Vas, 2005), car ne prenant nullement en

considération l’incertitude et l’imprévisibilité des conséquences des actions. Le paradigme

complexe suggère de prendre en compte l’influence de ces phénomènes dans la construction

du changement. Ce dernier n’est plus observé comme un processus maîtrisable puisqu’il est

impacté par des distorsions modifiant sa trajectoire et le rendant aléatoire (Soparnot, 2009).

Cette approche préconise de construire, au sein de l’organisation, les conditions des

changements ultérieurs afin de faciliter leur implémentation. Le changement devient un état

permanent et toute l’organisation doit y être perméable, la flexibilité étant la norme.

Pour Autissier et Vandangeon-Derumez (2010), la capacité des organisations à changer

est fondamentale et peut être perçue comme une source d’avantage concurrentiel. Pour créer

ou sauvegarder son avantage, l’organisation inscrit son action dans un processus dynamique

et continu de création et de renouvellement de ressource. Afin de mieux rendre compte de la

propriété dynamique du processus de renouvellement de ressources, Teece et al. (1997, cités

par Soparnot, 2004) ont développé le concept de capacités dynamiques173, compris comme

une aptitude à reconfigurer, transformer ses compétences pour affronter les changements

rapides de l’environnement ou pour les instituer. L’avantage compétitif provient non

seulement de l’utilisation d’une capacité existante dans l’organisation, mais également de

l’utilisation de capacités nouvelles. Dans ce dernier grand modèle du changement, l’attention

est une nouvelle fois portée sur le rôle du manager. Celui-ci est perçu comme un animateur du

changement, son action devant permettre de préparer, structurer le contexte organisationnel

afin de mieux le transformer.

En ce qui concerne notre étude, cette dernière approche présente l’intérêt de mettre en

lumière la manière dont le dirigeant (ou l’équipe dirigeante) de l’entreprise participe, en

amont du processus, à l’acceptation collective ou non d’une situation de changement. Le

paradigme gestionnaire, tout comme le paradigme complexe, confère à l’individu en charge

du changement un rôle déterminant dans sa préparation. Associé à la notion de proximité

173

Une distinction est opérée entre les capacités proactives reflétant un comportement « pionnier » et les capacités réactives illustrant la rapidité de réaction à une offensive émanant de la concurrence par exemple.

Page 152: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

151

hiérarchique174 en tant que principal trait caractéristique de la TPE (Torrès, 2007), le dirigeant

constitue l’élément décisif dans la mise en œuvre d’une situation de changement. Il est placé

au centre du jeu, accumule toutes les responsabilités et les pouvoirs, et est le seul capable de

faire émerger la capacité de changement au sein de l’entreprise. Si cette approche nous

procure des indications claires et pertinentes sur la manière dont le dirigeant peut et doit

prendre en mains le changement, elle suscite de nombreuses interrogations lorsqu’il s’agit de

l’appliquer à un repreneur pénétrant dans l’organisation. Nous avons pu relever que les

tenants de ce paradigme nouveau (Hafsi, 1999) recommandent de construire au sein de

l’organisation les conditions des changements ultérieurs, en développant de nouvelles

capacités opérationnelles (Meyer et Stensaker, 2006), ou organisationnelles (Soparnot, 2009),

afin de faciliter l’implémentation du changement et favoriser ainsi la performance de

l’organisation sur le long terme. Or, nous percevons à ce stade un problème de temporalité

quant à l’action du repreneur et à ses conséquences sur l’organisation. En effet, on ne peut que

se questionner sur la manière dont le repreneur influe sur la capacité de changement de

l’organisation, prépare cette dernière au changement provoqué par la RPP et ainsi le gére

avant même son arrivée dans l’entreprise. On en déduit que l’impact du changement provoqué

par son entrée en fonction ne dépendra pas de son action, mais en grande partie de l’activité

de préparation antérieure du cédant. Celle-ci a lieu en amont du processus de transmission

(voire avant la décision de transmettre) ou au cours de la période de transition, s’il y en a une.

La principale limite de cette dernière approche réside dans le fait qu’elle n’attribue au

nouveau dirigeant que peu de marge de manœuvre dans la gestion du changement, tout au

moins dans les premiers moments de sa prise de fonction. Le repreneur se contente

uniquement de gérer les effets provoqués par son arrivée, ne pouvant préparer et structurer

l’organisation, ou véritablement influer sur sa capacité de changement que pour des

modifications ultérieures.

L’étude de la littérature relative au changement organisationnel démontre que cette

notion a été influencée par l’évolution du contexte économique général. Au cours du temps,

de multiples recherches et modélisations se sont succédées avec, pour principal objectif,

d’apporter des réponses au pourquoi et au comment du changement, chacune ambitionnant

plus ou moins implicitement d’édifier une théorie « principale » du changement. Malgré les

efforts conceptuels et expérimentaux déployés depuis plusieurs décennies, d’importantes

174

D’après ce principe, le dirigeant de TPE joue un rôle central et jouit d’une position unique au sein de son entreprise, la gestion de cette dernière étant fortement personnalisée.

Page 153: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

152

zones d’ombres subsistent. Si l’éclairage apporté par ces nombreux modèles est souvent

incontestable, force est de constater qu’ils ont tendance à s’appuyer sur une vision trop

réductrice des phénomènes organisationnels, rendant leur portée opérationnelle limitée. Ainsi,

nous sommes-nous demandé, tout au long de notre revue de littérature, comment positionner

et analyser la RPP en tant que changement pour l’organisation, au sein des différents modèles

proposés. Arrivé au terme de l’exercice, nous ne discernons pas d’approche suffisamment

complète pour caractériser, à elle seule, le processus repreneurial et sa complexité. Dans le

cadre de notre recherche, nous optons pour une approche processuelle du changement

organisationnel. Plus précisément, nous avons choisi un cadre d’analyse mettant l’accent sur

les multiples interactions entre acteurs organisationnels. Parmi le courant interactionniste,

l’approche par le sensemaking nous paraît particulièrement pertinente pour examiner le

processus d’entrée dans l’entreprise d’un nouveau dirigeant. Celle-ci semble, en effet, fournir

une grille de lecture originale, décrivant puis expliquant les actions et les comportements des

différents acteurs au sein d’organisations de petite taille au cœur même d’un processus de

changement organisationnel. Ce cadre d’analyse exhorte à nous questionner sur la manière

dont les différents acteurs de l’entreprise construisent du sens et sur la manière dont les

repreneurs peuvent s’y prendre pour initier ce processus et gérer au mieux le changement. En

complément à cette lecture du changement, nous aurons également recours à l’approche

contextualiste.

1.2.) L’approche par le sensemaking : un cadre théorique interprétatif adapté à la compréhension du management de la reprise

L’arrivée d’un nouveau dirigeant constitue un événement de toute première

importance pour la TPE et pour ses salariés. Il s’agit d’un changement organisationnel majeur

(Boussaguet, 2005), générateur d’ambiguïté 175 pour les individus. La perception de cette

nouvelle situation, très souvent inattendue, engendre de multiples interprétations de la part des

acteurs. Ces derniers vont chercher, dans l’interaction avec les autres, à comprendre ce qui se

passe autour d’eux (Weick, 1995). Ils expérimentent une remise en question de leurs schémas

de pensée (Guilmot et Vas, 2011) et tentent de donner du sens à ce qu’ils sont en train de

vivre. De ce processus, apparaît un sens partiellement partagé, conduisant les individus à

s’engager ou non de nouveau dans l’action (Vandangeon-Derumez et Autissier, 2006). Weick

175

Le changement de dirigeant fait naître de nombreuses questions chez les salariés : pourquoi change-t-on de dirigeant ? Pourquoi a-t-il racheté cette entreprise en particulier? Vais-je continuer à travailler dans les mêmes conditions ? Quelles sont les intentions du nouveau dirigeant ? Va-t-on pouvoir continuer à travailler ensemble, si oui, dans quelles conditions ? De ces questions, découlent de multiples réponses et interprétations.

Page 154: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

153

(1993) décrit le changement176 comme un événement survenant dans l’environnement des

individus. Il remet en cause la répartition des tâches, des responsabilités et de l’autorité au

sein de l’organisation et requiert pour les individus de reconstruire mentalement un système

de rôles adapté à la situation (Autissier, Vandangeon-Derumez et Vas, 2010). Les interactions

entre individus présentent un caractère essentiel pour l’auteur. Associées à l’interrelation des

comportements individuels, elles sont le lieu privilégié d’élaboration du sens. Les interactions

deviennent plus qu’un simple partage ou échanges d’informations, « elles construisent,

génèrent « quelque chose » d’autre que ce qui était présent avant l’échange : des

significations, des actions coordonnées » (Allard-Poesi, 2003, p. 94). L’organisation est

conçue comme « un ensemble d’occasions d’interactions dans lesquelles les individus sont

projetés et qui participent simultanément à la réalisation de l’individu et d’un collectif »

(Autissier, Guillard, Moutot, 2010).

Nous avons souhaité mobiliser les travaux de Weick portant sur la création de sens

afin de mieux comprendre le processus d’entrée dans l’entreprise du repreneur. Cette

approche sociopsychologique de l’organisation (Vidaillet, 2003) s’appuie clairement sur les

concepts fondamentaux de l’interactionnisme symbolique dont elle partage les préoccupations

et la visée (Koenig, 1996, 2003). Elle amène à se questionner sur la manière dont les acteurs

principaux de la reprise donnent du sens au changement et à leurs actions, de telle sorte que

puisse se développer et se maintenir un système d’actions collectives. Pour Demers (1993, p.

23), il s’agit là d’un point essentiel, la conduite d’un changement réussi passant par « un

processus d’interprétation, c’est-à-dire un processus interactif de création de sens » entre les

différents membres de l’organisation. Nous présentons, dans un premier temps, les

fondements de la théorie du sensemaking, puis ses principaux apports pour notre recherche.

Nous examinons, ensuite, l’étape du management de la reprise sous l’angle inédit de la

construction de sens. Les limites de cette approche sont exposées dans un troisième temps.

1.2.1.) Présentation de l’approche

Le concept de sensemaking développé par le psychosociologue américain Karl

E.Weick permet d’examiner les phénomènes liés au sens au sein des organisations. Dès la fin

des années 60, l’auteur publie un ouvrage faisant clairement apparaître son intérêt pour le

processus organisationnel qualifié d’organizing (The Social Psychology of Organizing, 1969,

1979). Ce premier livre sera suivi de plusieurs autres ouvrages parmi lesquels : Sensemaking

176

L’auteur utilise l’expression de « changement écologique » pour décrire le phénomène.

Page 155: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

154

in organizations (1995) ou encore Making Sense of the organization (2001). La question de

l’élaboration du sens au sein des organisations revêt une importance capitale dans ses

recherches. Elle vise à analyser la manière dont les membres d’une organisation confrontés à

une situation équivoque177 tentent de comprendre ce qui se passe autour d’eux de manière à

pouvoir mener une action adéquate. Pour Weick (1979, 1993), l’individu qui crée du sens

structure l’inconnu de manière à le rendre plus intelligible.

L’impressionnante œuvre de Weick178 s’inscrit fondamentalement dans la tradition de

l’interactionnisme symbolique, approche initiée au sein de l’université de Chicago par deux

générations de sociologues dans les années 1920-1940, puis 1950-1960. Les auteurs

s’associant à cette tradition de recherche examinent les phénomènes sociaux sous l’angle des

interactions quotidiennes entre acteurs, afin de rendre compte des significations engagées179.

L’interactionnisme symbolique explique l’action à partir du sens, lui-même fruit de

l’interaction sociale que chacun a avec autrui. L’individu-acteur transforme constamment les

significations des objets et contrôle ses actions en agissant sur lui-même en fonction des

circonstances et du contexte. L’individu produit son environnement autant qu’il est produit

par celui-ci (Vidaillet, 2003). La vie en société devient un processus de création permanent

durant lequel les individus ajustent continuellement leurs actions, indiquent aux autres ce

qu’il faut faire, tout en interprétant en retour les indications fournies par les autres (Blumer,

1969, cité par Koenig, 2003). L’interaction constitue un ordre négocié, temporaire et fragile

qu’il est nécessaire de reconstruire en permanence (Koenig, 1996).

Weick développe une approche processuelle de l’organisation qui se construit, selon lui,

dans l’interaction entre les individus la composant. Il s’oppose au paradigme de la théorie des

organisations en vigueur dans les années 60, « d’une organisation statique qui impose un

changement planifié fondé sur un sens prospectif », pour retenir le modèle « d’un processus

organisant, au design improvisé, au sens rétrospectif qui vise l’ordre tout en changeant de

manière continue » (Giroux, 2006, p. 25). Le terme organizing est préféré à celui

177

Weick (1979, 1995) emploie la notion d’équivocité (equivocality), très souvent traduite en français par ambiguïté pour exprimer la multiplicité des interprétations possibles pour une même situation. Ainsi, un événement peut être qualifié d’équivoque lorsque plusieurs facteurs sont susceptibles de l’avoir provoqué et qu’on ne peut déterminer lequel de ces facteurs fut déterminant pour cette situation. 178

L’auteur publie depuis plus de quarante ans, d’où un nombre élevé d’articles, d’ouvrages, de chapitres d’ouvrages ou encore de présentations dans des colloques ou conférences. Vidaillet (2003) relève, en outre, la grande variété des thèmes abordés par Weick : « dissonance cognitive, leadership, gestion de carrière,

cognition organisationnelle, gestion de crise, décision, apprentissage, improvisation, design organisationnel,

fiabilité, etc ». 179

D’où l’utilisation du qualificatif « symbolique ».

Page 156: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

155

d’organisation par l’auteur, pour souligner que l’organisation est en perpétuel déploiement.

Weick s’affranchit du concept même d’organisation, jugé trop rigide et non suffisamment

pertinent pour exprimer le caractère processuel des phénomènes organisationnels (Koenig,

1996).

Comprendre comment les individus parviennent à s’entendre, à coordonner leurs

actions, afin de développer et maintenir un système d’actions organisées, tel est le fil

conducteur des recherches menées par Weick. La thématique du changement est placée au

centre de son raisonnement, notamment à travers les concepts de sensemaking et

d’organizing. Contrairement au courant de l’OD de Beckhard (1969) et Bennis (1969), ce qui

l’intéresse n’est pas le résultat du changement, mais le processus fluide d’interactions qui

s’entre-suscitent (Weick, 1979, cité par Koenig, 2003). Ce dernier crée des situations de

« microstabilités » (consensus transitoires) et doit déboucher sur une adaptation des individus

à leur environnement. La théorie du sensemaking procure une grille de lecture innovante

quant à la manière dont ceux qui sont confrontés à un changement répondent à la question :

« Que se passe t-il ? » ou encore « comment faire sens dans une situation donnée ou face à un

événement impromptu, déstabilisant ? » (Giroux, 2006, p. 27). Les paragraphes suivants

visent à détailler les propriétés du processus de sensemaking, puis à examiner ses apports

pour notre recherche.

1.2.1.1.) Le processus de sensemaking

Bien qu’ancrée dans la discipline sociopsychologique, l’œuvre de Weick a produit un

corpus théorique (le sensemaking) pouvant être utile au développement et à l’enrichissement

des sciences de gestion (Autissier, Bensebaa, 2006). Koenig (2003) évoque une pensée

stimulante et féconde. Avant d’étudier plus en détails quels peuvent être ses apports pour

notre recherche (2), nous allons relever ses propriétés, puis examiner la modélisation proposée

par Weick (1).

1.2.1.1.1.) Ses propriétés

Selon Weick (1995), il existe des situations favorables à l’élaboration de sens.

L’interruption, l’inattendu 180 , l’incertitude ou encore un choc émotionnel, poussent les

individus à tenter de comprendre ce qui se passe autour d’eux. Cette situation non familière

génère de l’équivocité et nécessite un travail de (re)construction de sens de leur part. Il s’agit

180

Pour Weick (1995, p. 100), l’inattendu provient soit d’un nouvel événement qui n’est pas attendu, soit du non-avènement d’un événement attendu.

Page 157: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

156

d’un processus individuel, ancré dans la construction identitaire, mais en même temps

fondamentalement collectif, prenant appui sur l’interaction avec autrui. Le sensemaking peut

être défini comme un « processus par lequel chaque individu essaie de construire sa zone de

sens, sa « réalité », en extrayant des configurations signifiantes à partir des expériences et

des situations vécues » (Vidaillet, 2003, p. 177). Face à un monde qui le dépasse, l’individu

puise dans un flux d’indices181, et tente d’élaborer des réponses aux questions « Que se passe-

t-il ? » et « Que dois-je faire ? » (Weick, Sutcliffe et Obstfeld, 2005), en établissant des

liens182.

Si le caractère personnel du sensemaking est indéniable, pour Weick (1979), il s’agit

avant tout et surtout d’un processus collectif reposant sur l’action coordonnée d’au moins

deux personnes. La présence des autres, « réelle » ou « imaginée » (Weick, 1995), intervient

dans la manière dont chacun donne du sens à une situation (Vidaillet, 2003, p. 119). Chaque

individu recherche dans l’interrelation et l’interaction avec autrui un accord sur les éléments à

retenir de la situation, afin de stabiliser suffisamment ses représentations pour pouvoir agir.

Le processus de construction de sens se fait à trois niveaux : individuel, collectif et

organisationnel 183 et comprend cinq phases observables : la prise de connaissance

(effectuating), la triangulation des informations, l’affiliation, la délibération et, pour finir, la

consolidation (Weick, 1985). En outre, Weick, (1995, p. 17) attribue sept propriétés au

processus de construction de sens que nous détaillons ci-dessous.

1) Il est fondé sur la construction de l’identité. La création de sens suppose, au

préalable, une personne qui « donne » du sens (« Sensemaking begins with a sensemaker »,

Weick, 1995, p. 18). Le processus de sensemaking a pour principale fonction de maintenir

chez l’individu « un sentiment de continuité identitaire, malgré un environnement mouvant et

susceptible d’évoluer très fortement ». L’identité individuelle, définie comme une multiplicité

de soi184 (Weick, 1995, p. 18 ; Koenig, 1996), est le résultat des processus d’interactions de la

181

Cette opération présente un caractère largement subjectif laissant une grande place aux émotions et aux intuitions. 182

Il s’agit d’interpréter les faits perçus, mais aussi de les modéliser (Weick, 1995). 183

L’organisation fonctionne via un processus incessant de construction et de destruction de sens, opéré par des individus impliqués dans un ensemble d’interactions sociales. L’organizing est composée de séquences de comportements interreliés, nommés « double interact », s’agrégeant pour former un processus plus large (Koenig, 1996 ; Giordano, 2006). 184

Weick (1995) utilise l’expression « a parliament of selves » (un parlement de soi) pour caractériser cette pluralité. Koenig (1996, p. 59) souligne que « le nombre de « soi » auxquels l’individu a accès conditionne sa

capacité à donner du sens aux situations » et que, finalement, « plus grande est la variété de « soi » et moins

l’individu court le risque de se trouver déconcerté ».

Page 158: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

157

personne avec son environnement. Dans l’interaction, se produit une représentation de

l’environnement conforme à ce que la personne souhaite être ou paraître (Vidaillet, 2006,

p.100). L’individu entretient ainsi une relation d’interdépendance avec son environnement, le

subissant et le façonnant à la fois (Weick, 1995).

2) Il est rétrospectif. Weick s’oppose à la position conventionnelle en théorie des

organisations qui envisage la création de sens dans une logique prospective. Il emprunte à la

théorie de la dissonance cognitive ainsi qu’à l’ethnométhodologie développée par Garfinkel

(1967, cité par Koenig, 1996) le concept de rétrospection pour expliquer le sens de l’action.

Le processus de création de sens est appréhendé comme « un processus d’attention, dirigé

vers ce qui s’est déjà produit, et fortement influencé par le moment présent, du fait de la non-

détermination a priori des éléments mémorisés » (Vidaillet, 2003, p. 122).

3) C’est un « Enactment ». Il s’agit là d’un concept central pour Weick. La réalité est

envisagée comme un processus de construction sociale. Via le processus de sensemaking, les

individus contribuent à « activer » l’environnement (Koenig, 1996) dans lequel ils évoluent,

et parallèlement, sont influencés par ce dernier dans leurs créations de sens et leurs actions.

Vus sous cet angle, la réalité et l’environnement ne sont pas acquis une fois pour toutes, mais

font l’objet de constantes redéfinitions (Maurel, 2010). Etant donné son importance dans la

compréhension de la pensée Weickienne, ce concept fera l’objet d’un développement

spécifique dans le paragraphe suivant.

4) Il est social. L’activité de création de sens n’est jamais solitaire, elle implique

toujours plusieurs individus. Weick (1995, p. 40) est, à ce sujet, très clair : “ La construction

de sens n’est jamais solitaire parce que ce que fait une personne intérieurement dépend des

autres ” 185. Par le jeu des interactions, les individus vont confronter leurs différents points de

vue et articuler des compréhensions partielles de la réalité (Karsenty et Quillaud, 2011) afin

de créer du sens. La coordination des actions au sein de l’organisation et, donc, la capacité

collective à agir deviennent possibles (Vidaillet, 2003).

5) Il est continu (« Ongoing »). Cette propriété tient au fait que le processus de

sensemaking ne peut être daté. Il n’a pas de début ni même de fin. “ Les gens sont toujours au

milieu des choses, lesquelles deviennent choses, que lorsque ces mêmes personnes se

185

“Sensemaking is never solitary because what a person does internally in contingent on others”, traduit de l’anglais par nos soins.

Page 159: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

158

concentrent sur le passé à partir d’un point postérieur ” 186 (Weick, 1995, p. 43). L’individu

puise en permanence dans un flux informationnel et expérientiel continu, dynamique et

complexe (Vidaillet, 2003), pour donner du sens aux situations. Il est plongé dans un courant

d’ « événements en cours 187 » auquel il ne peut s’abstraire, s’arrêter pour analyser, ou

réfléchir. Celui-ci « ne s’interrompt jamais » (Rojot et Wacheux, 2006, p. 132). Comme nous

le rappelle Koenig (2003, p. 19), on retrouve dans cette propriété, l’idée chère aux

interactionnistes, à savoir la présence d’une « vie sociale » devant se comprendre « comme un

processus continu de communication, d’interprétation et d’adaptations mutuelles ».

6) Il est sélectif. Pour créer du sens, les individus commencent par choisir dans leur

environnement des indices188. Ces derniers sont isolés des autres par l’attention qui leur est

portée et leur sélection est opérée de manière largement subjective (Laroche et Steyer, 2012).

Ces « points de repères » extraits d’un volume considérable d’informations, d’un monde

« inconnaissable », « imprédictible » (Rojot et Wacheux, 2006), alimentent « de manière

sélective leurs processus de compréhension » (Vidaillet, 2003, p. 123) et guident leurs

actions. Chaque individu dresse un tableau de la réalité qui lui est propre.

7) Il poursuit la plausibilité plutôt que l’exactitude. Cette dernière propriété renvoie

au fait que, dans l’exercice du sensemaking, l’individu « est plus guidé par la recherche de

cohérence, de satisfaction, et de plausibilité de ce qui est élaboré, que celle de précision,

d’optimalité et d’exactitude » (Vidaillet, 2003, p. 123). Koenig (2003, p. 20) souligne que

seule une « réduction simplificatrice » permet à l’individu d’éviter d’être submergé par le flux

des données. De cette manière, l’action ne se trouve pas bloquée dans la tentative d’une

représentation qui, « pour être précise, ne peut être qu’obsolète ».

Ces sept propriétés dessinent les contours du processus de sensemaking. Elles ont le

mérite de mieux le faire comprendre, tout en respectant sa complexité (Vidaillet, 2003). Une

fois ces propriétés définies et leurs interdépendances soulignées, Weick (1979, 1993) suggère

d’approcher ce processus à travers un modèle en trois phases : « Enactment, Selection,

Retention ».

186

« People are always in the middle of things, which become things, only when those same people focus on the

past from some point beyond it », traduit de l’anglais par nos soins. 187

Rojot et Wacheux (2006) insistent sur le fait que ce courant d’événements constitue le monde de l’individu, mais que ce dernier ne peut le maîtriser, ou tout simplement le comprendre, en raison de sa trop grande complexité, d’où le recours à l’interaction en face à face avec les autres pour tenter de rester « en contact » avec ce « monde » (Laroche et Steyer, 2012). 188

Weick dénomme cette action « bracketing » que l’on peut traduire par « mise entre parenthèses ».

Page 160: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

159

1.2.1.1.2.) Le modèle E-S-R.

A partir des différents éléments caractérisant initialement le processus d’organizing,

Weick (2001) développe le modèle E-S-R : « Enactment-Selection-Retention » pour expliquer

le processus de sensemaking. S’inspirant volontairement de l’approche Darwinienne, l’auteur

propose une modélisation sous les traits de la sélection naturelle 189 (Koenig, 1996). A

l’origine du processus de sensemaking, se trouve le changement écologique. Ce dernier

génère de l’équivocité chez les acteurs qui vont chercher dans des cycles d’interactions à

mieux comprendre ce qui se passe autour d’eux. Plus les individus sont déconcertés par la

situation, plus les cycles d’interactions sont nombreux, car les règles de fonctionnement

habituelles ne s’appliquent pas. Le niveau d’équivocité perçue, le nombre de règles existantes

utilisées et le nombre de cycles d’interactions nécessaires pour donner du sens entretiennent

des relations inverses. Lorsque l’équivocité perçue d’un phénomène est peu importante, les

individus emploient largement les règles existantes (ou d’assemblage du processus190), ce qui

induit un nombre d’interactions faible. A l’inverse, lorsque l’équivocité perçue est importante,

les règles existantes ne suffisent plus pour interpréter la situation, les individus recourent aux

interactions avec les autres pour créer du sens et réduire l’équivocité. La dynamique du

processus de construction de sens est présentée par la figure suivante.

Figure 18 - Dynamique du processus de construction de sens

Source : d’après Weick (1979, p. 117).

189

Weick conditionne la pérennité de l’organisation à son adaptation constante et répétée. 190

Allard-Poesi (2003, p. 101) définit les règles d’assemblage comme « des procédures ou instructions utilisées

couramment dans l’organisation pour sélectionner les cycles d’interactions pertinents pour traiter l’information

et, par ce biais, créer un processus ».

Equivocité perçue

Règles existantes Nombre d’interactions

- -

-

Page 161: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

160

Weick développe une conception singulière du changement, s’inscrivant encore une fois

à contre-pied de la pensée traditionnelle191. La théorie du sensemaking, d’ailleurs de plus en

plus sollicitée dans les études sur le changement organisationnel (Rouleau, 2005), envisage ce

dernier non pas comme un accident, mais comme étant continuellement présent dans la vie

des organisations. Le changement est quotidien, omniprésent, prenant la forme d’adaptations

et d’ajustements aboutissant à des situations de « microstabilités ». Néanmoins, certains

changements vont davantage retenir l’attention des individus et susciter la volonté de réduire

l’équivocité perçue. Ces « occasions », propices à l’élaboration de sens, sont généralement

issues de l’interruption, d’un choc émotionnel ou encore de l’arrivée d’un élément nouveau

(Weick, 1995). Un événement extérieur (changement écologique) provoquera le phénomène

d’Enactment, lui-même suivi d’une phase de Selection, puis de Retention. La boucle de

rétroaction entre Changement écologique et Enactement illustre l’action de ce dernier sur

l’environnement. Les boucles de rétroaction positives et négatives provenant de la phase de

Retention expliquent, quant à elles, les effets possibles de cette dernière étape sur les

précédentes. Le modèle E-S-R. est présenté par la figure suivante.

Figure 19 - Le modèle E-S-R.

Source : Weick (1979, p. 132).

1.2.1.1.2.1.) Enactment

L’individu, confronté à une situation équivoque, cherchera à donner du sens au contexte

dans lequel il évolue. Weick utilise le terme d’« Enactment » 192 pour caractériser cette

activité. Il se justifie de la manière suivante : “ J’utilise le mot enactement pour préserver le

191

Nous renvoyons le lecteur à notre tableau sur les différentes approches du changement développées précédemment. 192

Différentes traductions françaises sont apparues au cours du temps avec : « activation », « mise en scène », « mise en acte », « promulgation ».

(+,-)

Changement

écologique

Enactment Selection Retention + + +

(+,-)

+

Page 162: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

161

fait que, dans la vie organisationnelle, les gens produisent une partie de l’environnement

auquel ils font face (…). J’aime le mot, car il suggère qu’il existe des parallèles étroits entre

ce que les législateurs font et ce que font les gestionnaires. Les deux groupes construisent la

réalité par des actes d’autorité ” 193 (Weick, 1995, p. 31). Ou encore : “ Le terme

“enactment” est utilisé pour conserver le point central que lorsque les gens agissent, ils

apportent des événements et des structures à l’existant et les mettent en mouvement ”194

(Weick, 1988, p. 306). Pour Orton (2000, p. 231), l’enactment doit être vu comme « le

processus par lequel des membres de l’organisation créent un flux d’événements et focalisent

l’attention dessus». L’auteur poursuit : l’enactment « brouille les traditionnelles distinctions

entre les environnements et les organisations ». En effet, les membres de l’organisation sont

constamment en train de « traduire des morceaux de l’environnement dans l’organisation et

d’injecter des mesures organisationnelles au sein de l’environnement » 195 . Dans cette

perspective, l’environnement n’apparaît pas comme “donné”, mais “construit” par l’acteur.

L’enactment désigne tout à la fois, le processus de création des idées, des structures et de

l’environnement devenant réel à travers l’action et, en même temps le résultat de ce

processus, c'est-à-dire un environnement « enacté ». Pour Koenig (1996, p. 65), cette activité

revient « soit à délimiter une fraction du flux d’expériences que connaît l’organisation et à

attirer l’attention dessus, soit à entreprendre une action qui provoque un changement

écologique de nature à contraindre l’activité ultérieure de l’acteur ». L’enactment est donc

assimilable à un « processus en boucle ». L’individu percevant une variation dans son

environnement, sélectionne des indices, les interprète individuellement, puis confronte ses

interprétations au collectif. Les actions ensuite engagées modifient l’environnement,

« influençant ainsi indirectement la conduite ultérieure de l’organisation » (Autissier,

Vandangeon-Derumez et Vas, 2010).

193

« I use the word enactment to preserve the fact that, in organizational life, people often produce part of the

environment they face (…). I like the word because it suggests that there are close parallels between what

legislators do and what managers do. Both groups construct reality through authoritative acts », traduit de l’anglais par nos soins. 194

« The term “enactment” is used to preserve the central point that when people act, they bring events and

structures into existence and set them in motion », traduit de l’anglais par nos soins. 195

Traduit par nous-même de l’anglais : « Enactement is defined (…) as the process in which organization

members create a stream of events that they pay attention to. Enactement blurs the traditional distinctions

between environments and organizations. Organization members are constantly translating pieces of the

environment into the organization and injecting organizational actions into the environment » (Orton, 2000, p. 231).

Page 163: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

162

1.2.1.1.2.2.) Selection

Les multiples indices extraits de l’environnement génèrent de l’équivocité. La sélection

consiste pour l’individu à choisir, parmi toutes les interprétations possibles, celles justifiant au

mieux des actions à privilégier. L’individu puise dans son vécu et ses expériences passées afin

d’appliquer des schémas explicatifs (Weick, 1995 ; Koenig, 1996) réduisant provisoirement

cette équivocité. Weick, Sutcliffe et Obstfeld (2005, p. 414), tout en rappelant le caractère

incertain et provisoire de l’opération, résument le processus de sélection ainsi : « Le nombre

de significations possibles se réduit dans le processus organisant de la sélection. Ici une

combinaison d’attention rétrospective, de modèles mentaux, et leur articulation réalise une

réduction de la matière narrative mise entre parenthèses et génère une histoire localement

plausible. Quoique plausible, l’histoire qui est choisie est aussi expérimentale et provisoire » 196. Citant les travaux de Weick (1990) sur l’analyse d’une collision entre deux avions à

Tenerife en 1977197, Laroche et Steyer (2012, p. 7) relèvent le caractère faillible du processus

de sélection. L’individu peut ne pas repérer un indice décisif ou, au contraire, attacher trop

d’importance à un autre le menant ainsi « à lire la situation à travers un « guide » inadéquat,

lui faisant perdre le contact avec le « monde » ». Malgré les caractères incertain, faillible,

relatif et plausible des éléments retenus, l’individu les considère comme réels et existants en

soi et agit en fonction de cette réalité (Vidaillet, 2003).

1.2.1.1.2.3.) Retention

La rétention consiste à retenir, mémoriser les solutions efficaces qui résultent de la

création de sens. « Une fois activé et interprété, un segment d’expérience peut être stocké et

servir pour des actions et des interprétations ultérieures » (Koenig, 1996, p. 65). Les

différents segments ainsi stockés participent à l’enrichissement des cartes cognitives et à

l’élargissement des répertoires de connaissances (Maurel, 2010). Si le processus de rétention

est nécessaire, Koenig (1996, p. 66) met en garde contre un « mauvais dosage » dans

l’opération. Ainsi, une trop grande mémorisation freine la prise en considération des

variations de l’environnement, alors qu’une trop faible rétention, c’est-à-dire une trop forte 196

« The number of possible meanings gets reduced in the organizing process of selection. Here a combination

of retrospective attention, mental models, and articulation perform a narrative reduction of the bracketed

material and generate a locally plausible story. Though plausible, the story that is selected is also tentative and

provisional ”, traduit de l’anglais par nos soins. 197

Le 27 Mars 1977, deux gros porteurs sont détournés de leur destination finale (l’aéroport de Las Palmas- Canaries) pour cause d’alerte à la bombe. Ils atterrissent tous les deux, pour quelques heures, à l’aéroport de Ténérife. Au moment du décollage et malgré les recommandations de la tour de contrôle, les avions entrent en collision provoquant la mort de 583 passagers et membres d’équipage.

Page 164: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

163

capacité à repérer les modifications et à s’y adapter, « menace l’identité et la continuité de

l’organisation ».

Le modèle E-S-R. est fondamental à la théorie de l’organizing et du sensemaking. Il

présente la vie sociale comme un processus ininterrompu d’échanges, d’interprétations et

d’ajustements dans les actions entre individus. Il fait comprendre le changement comme un

construit collectif opéré par les différents acteurs dans une logique de fabrication inductive

(Autissier, Vandangeon-Derumez et Vas, 2010). Il arrive cependant que la construction se

bloque, de telle sorte que l’action devienne impossible. Un changement mal maîtrisé conduit à

un effondrement de sens et, dans certains cas, à une disparition pure et simple de

l’organisation. Divers travaux entrepris par Weick (1993, 2010)198 mettent effectivement en

évidence la grande vulnérabilité des organisations. Dans son célèbre article portant sur la

catastrophe de Mann Gulch, l’auteur écrit à ce sujet : « ce qui maintient en place une

organisation est peut-être plus ténu que ce que nous pensons » (Weick, 1993, traduit par

Laroche, 2003). Il suffit « de presque rien pour qu’une interaction se rompe, pour qu’une

organisation se défasse » (Koenig, 2003, p. 33).

1.2.1.2.) D’une situation de changement à la constitution et au maintien d’un système d’actions organisées

Le changement écologique est donc à l’origine du processus de sensemaking (Weick,

1979). Certains événements surprennent les acteurs organisationnels et retiennent leur

attention. A travers des flux d’interactions, ces derniers cherchent à réduire l’équivocité

causée par la nouvelle situation. La surprise, l’interruption, un choc émotionnel, l’arrivée d’un

élément nouveau, sont autant d’occasions pour une organisation de recréer ou de perdre du

sens. Afin que le changement ne conduise à une érosion (Weick, 1993) ou, pire encore, à un

effondrement de sens, il faut veiller à maintenir, puis développer un système d’actions

organisées et s’assurer que les moyens permettant de reconstruire du sens soient toujours

opérationnels (Autissier, 2008). Plusieurs facteurs favorisant la résilience de l’organisation

sont à prendre en considération.

198

Nous pensons ici à l’article de 1993 portant sur l’incident de Mann Gulch (Etats-Unis, 5 Août 1949) où 13 pompiers complètement désorganisés périrent dans un violent incendie, ou encore à l’article de 2010 consacré à l’incident de Bhopal (Inde, 3 décembre 1984) où un état de confusion entre opérateurs provoqua une explosion dans une usine de pesticides et la mort de 3500 à 25000 personnes selon les estimations.

Page 165: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

164

1.2.1.2.1.) Surprise, nouveauté et équivocité

L’enactement est un processus de construction sociale de la réalité. La complexité de

l’environnement contraint l’individu à ne retenir qu’une version simplifiée, compréhensible

de la réalité. L’environnement « énacté » est le seul connu, le seul plausible, et dans lequel il

devient possible d’agir, d’où le sentiment de surprise lorsque ce monde se révèle différent du

monde réel (Laroche et Steyer, 2012). Plus la situation se montre nouvelle, moins les

solutions connues sont efficaces et plus l’engagement dans un processus de sensemaking est

important. Cette règle semble s’appliquer fréquemment au sein des organisations de petites

tailles199. Pour Weick (1993, p. 633), celles-ci sont enclines à de soudaines pertes de sens, à

« des surprises fondamentales (Reason, 1990), des événements inconcevables (Lanir, 1989),

cachés (Westrum, 1982) ou incompréhensibles (Perrow, 1984) ». Pour lui, il ne fait aucun

doute, la cause de l’absence de signification de l’événement est à rechercher dans sa faible

probabilité d’occurrence. Ce qui est important, c’est qu’une telle période de la vie de

l’organisation ne se transforme pas en « épisode cosmologique ». Celui-ci survient lorsque les

individus prennent soudainement conscience que l’univers dans lequel ils évoluent, n’est plus

un système rationnel et ordonné. Dans cette situation extrême, l’événement devient

dramatique, car « le sens de ce qui se passe s’effondre en même temps que les moyens de

reconstruire ce sens » (Weick, 1993, p. 633).

La surprise et la nouveauté rendent donc la situation équivoque. Ce qui conduit à cette

situation délicate et inconfortable, c’est que les cadres de lectures (ou règles de

fonctionnement) habituels des individus ne suffisent plus à expliquer ce qui se passe. La

situation devient confuse. Les individus vont chercher, à travers l’interaction, à réduire leurs

multiples interprétations. Pareille pratique permet aux membres de l’organisation « de se

mettre d’accord sur les éléments qu’ils retiennent de la situation et sur les liens qu’ils font

entre ces éléments » (Vidaillet, 2003, p. 43). L’objectif est d’obtenir une représentation

suffisamment stable de la situation propice à la coordination de l’action. L’équivoque fait

naître un besoin individuel, puis collectif 200 , de donner du sens à la situation vécue.

L’important n’est pas de construire un sens commun, parfaitement partagé (Laroche et Steyer,

199

L’auteur utilise le terme « minimal organizations » pour qualifier l’équipe de 16 pompiers intervenant lors de l’incendie de Mann Gulch (Weick, 1993, p. 633). 200

L’élaboration de sens est avant tout une manifestation collective reposant sur la participation coordonnée d’au moins deux personnes (Koenig, 1996).

Page 166: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

165

2012), mais d’articuler les sens construits individuellement pour coordonner l’action et

maintenir un système d’actions organisées.

1.2.1.2.2.) Construction collective de sens et maintien d’un système d’actions organisées

La construction collective de sens (collective sensemaking) est analysée par Weick

(1979) à partir de séquences d’interactions entre deux personnes ou plus. Deux niveaux

d’analyse sont retenus : au niveau dyadique et/ou du groupe. L’auteur structure son

raisonnement à partir de la description de deux types de structures de comportements

interreliés.

(1) La structure d’équivalence mutuelle (mutual equivalence structure201) (figure 20)

traduit l’échange d’actions au niveau dyadique et se manifeste « lorsqu’une action de

consommation d’un individu dépend d’un acte instrumental d’un autre individu, dont l’acte

de consommation dépend lui-même de l’acte instrumental du premier » (Vidaillet, 2003, p.

181). Pour Weick, dès lors que les deux protagonistes ont conscience que leurs actes

instrumentaux sont la cause des actes consommatoires de l’autre, l’interaction double entre a1

et b1 suffit à la création d’une structure d’équivalence mutuelle. La prévision de l’action de

l’autre devient suffisante au maintien d’un système d’actions collectives ; « si je fais a1, B

fera b1, si je fais b1, A fera a1 » (Allard-Poesi, 2003, p. 96).

Figure 20 - Structure d’équivalence mutuelle

1) Actes instrumentaux

2) Actes consommatoires

Source : Allard-Poesi (2003, p.95, tiré de Weick, 1979, p. 98).

201

Weick utilise cette notion préalablement définie par Wallace dont il cite les travaux.

Individu A Individu B

a1

a2 b2

b1

Page 167: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

166

(2) La structure collective (collective structure 202 ) constitue une modélisation du

processus de construction de l’action au niveau du groupe. Weick (1979) utilise la notion de

structure collective pour expliquer la formation du groupe. Ce dernier est composé

d’individus agissant ensemble non pas « parce qu‘ils ont des besoins, des valeurs ou des

objectifs communs, mais parce que chacun croit qu’il peut tirer un bénéfice de l’autre et a

une vision similaire de celle des autres membres des moyens pour y parvenir » (Allard-Poesi,

2003, p. 96). Dans cette perspective, le groupe n’existe que parce qu’il y a convergence

d’intérêts se traduisant « par une convergence des visions des moyens à mettre en œuvre »

(Vidaillet, 2003, p. 181).

Les deux types de structures retenues par Weick pour son analyse induisent que même

si les acteurs organisationnels entretiennent des liens minimaux et disposent de

représentations individualisées et différenciées de la réalité, l’action organisée est possible dès

lors qu’ils possèdent une vision commune des moyens à mobiliser en vue de satisfaire leurs

intérêts personnels (Allard-Poesi, 2003, p. 97). La construction collective de sens prend forme

progressivement à travers l’interaction entre individus. Même s’il s’agit d’un processus

collectif, il n’est pas question de construire un sens commun, parfaitement partagé par les

membres de l’organisation203, mais d’arriver à articuler les constructions individuelles pour

réussir à coordonner les actions (Laroche et Steyer, 2012). De cette manière, peut se

constituer et se maintenir « un système d’actions organisées » (Allard-Poesi, 2003, p. 100).

Face à un changement écologique, fortement équivoque, les exemples tirés des travaux de

Weick démontrent le caractère fragile du processus de construction collective de sens. Les

organisations sont vulnérables, la désorganisation n’étant pas si rare dans la vie quotidienne

d’un groupe (Weick, 1993). L’auteur préconise de développer quatre sources de résilience que

nous présentons ci-dessous (point 1.2.1.2.3.1.).

1.2.1.2.3.) La résilience des organisations à favoriser

Pris dans son acception première, la résilience fait référence à la capacité d’un matériau

à résister et à absorber un choc élevé. Sur un plan psychologique, il s’agit de « la capacité

d’une personne ou d’un groupe à bien se développer, à continuer à se projeter dans l’avenir

en dépit d’événements déstabilisants, de conditions de vie difficiles, de traumatismes parfois

sévères » (Cyrulnik, Manciaux, Vanistendael, Lecompte, 2001, p. 17). Au niveau 202

Cette notion est, quant à elle, tirée des travaux d’Allport (1962). 203

Weick (1979) insiste sur le fait que le partage d’une vision, d’aspiration ou d’intention n’est pas nécessaire à l’action collective.

Page 168: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

167

organisationnel, on peut la concevoir comme : « la capacité d’un groupe à éviter des chocs

organisationnels en construisant des systèmes d’action et d’interaction continus destinés à

préserver les anticipations des différents individus les uns par rapport aux autres » (Vidaillet,

2003, p. 180). De son analyse concernant l’incendie de Mann Gulch, Weick (1993) retient

quatre sources de résilience organisationnelle. Pour l’auteur, augmenter le niveau de cette

résilience permettrait d’éviter la désintégration du groupe et l’effondrement conjoint du sens

et de la structure lors d’un changement écologique.

1.2.1.2.3.1.) Les quatre facteurs pour une organisation résiliente

Ø L’improvisation et le bricolage : les individus confrontés à une situation inhabituelle,

qui s’embrouille (Weick, 1993), tendent paradoxalement à se replier sur des solutions

déjà connues. Les réponses comportementales acquises par le passé sont mobilisées alors

que la nouvelle situation exige, le plus souvent, des agissements nouveaux. Pour Weick

(1993, p. 639), les « bricoleurs » sont ceux qui, face à ce type de situation, restent

créatifs, capables d’improviser de nouvelles solutions avec les moyens à leur disposition,

même sous la pression ; « les bricoleurs restent créatifs sous la pression, précisément

parce qu’ils agissent régulièrement dans des conditions chaotiques et tirent l’ordre

d’eux-mêmes » 204. Les capacités d’improvisation et de bricolage qu’ils ont développées

leur permettent de se servir des matériaux qu’ils ont sous la main, de les assembler

différemment pour apporter des solutions inédites.

Ø Les systèmes de rôles virtuels : ce deuxième facteur de résilience renvoie à la

construction de l’identité individuelle, processus sur lequel repose le sensemaking. Pour

se connaître, les individus ont besoin de projeter leur identité dans un environnement

afin d’en observer les conséquences (Roux-Dufort, 2003). Fidèle à ses inspirations

interactionnistes, Weick (1995) conçoit l’identité individuelle comme le fruit des

processus d’interaction. Celle-ci n’est pas unique, intégrative, mais « faite d’une

multiplicité de soi » entre lesquels les individus circulent en fonction des interactions

auxquelles ils participent (Koenig, 1996, p. 59). Pour Weick, plus grande est la variété

des rôles auxquels les individus ont accès, meilleure sera leur capacité à donner du sens

et leur adaptation à l’environnement. De ce fait, si la survenue d’un événement fortement

équivoque vient ébranler le système de rôles réels, un système de rôles virtuels (virtual

role systems) peut néanmoins continuer à « faire fonctionner le groupe » dans l’esprit 204

« Bricoleurs remain creative under pressure, precisely because they routinely act in chaotic conditions and

pull order out of them », traduit de l’anglais par nos soins.

Page 169: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

168

des individus et guider leurs actions. Chaque personne prend en charge mentalement les

différents rôles et devient à elle seule un groupe (Weick, 1993, p. 640).

Ø La sagesse comme attitude : il s’agit de la troisième source de résilience définie par

Weick (1993, p. 641). Ce dernier emprunte à Meacham (1983, p. 187) la définition

suivante : « Etre sage, ce n’est pas savoir certains faits mais savoir sans confiance ni

prudence excessives. Ainsi, la sagesse n’est pas une croyance, une valeur, un ensemble

de faits, un corps de connaissance ou d’informations dans quelque domaine spécialisé,

pas plus qu’un ensemble de capacités ou de compétences spéciales. La sagesse est une

attitude que certaines personnes adoptent envers les croyances, valeurs, connaissances,

informations, capacités et compétences admises, c’est une tendance à douter que celles-

ci soient nécessairement vraies ou valides, et à douter qu’il y ait un ensemble complet de

ces choses qu’on puisse connaître » (Weick, 1993, p. 641, traduit par Laroche, 2003, p.

73). Ainsi, une confiance ou une prudence excessive est néfaste à la curiosité, à

l’ouverture et au discernement complexe, éléments dont les organisations ont le plus

besoin en période de changement (Weick, 1993).

Ø L’interaction respectueuse : l’interaction est l’élément de base du processus de

sensemaking. Elle permet aux individus de se mettre d’accord, de stabiliser leurs

représentations, puis d’agir même lorsque la situation se trouble. Si l’interaction permet

l’échange de subjectivité, elle n’est pas, à elle seule, suffisante à l’action coordonnée.

Quelques qualités doivent lui être adjointes. Weick lui associe, en effet, le qualificatif de

« respectueuse » pour souligner l’importance de la confiance, de l’honnêteté et du

respect de soi comme ingrédients supplémentaires (Roux-Dufort, 2003) pour

reconstruire des liens cohérents dans « une vie harmonieuse avec autrui » (Weick, 1993,

p. 634). L’interaction respectueuse dépend de l’intersubjectivité (Wiley, 1988, p. 258,

cité par Weick, 1993, p. 642), elle-même définie par deux caractéristiques : « (1)

l’intersubjectivité émerge de l’échange et de la synthèse des interprétations entre deux

entités communicantes (communicating selves) ou plus, et (2) l’entité ou le sujet est

transformé pendant l’interaction de sorte que se développe une subjectivité conjointe ou

fusionnée » (Weick, 1993, traduit par Laroche, 2003, p. 74). L’auteur insiste sur

l’importance des interactions en « face à face » comme unique solution pour s’adapter à

un changement rapide. Dans des situations fortement équivoques, lorsque la structure

formelle s’effondre, additionnées à la confiance, au respect et à l’honnêteté, elles

favorisent le maintien ou le renouvellement du système de rôles.

Page 170: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

169

1.2.1.2.3.2.) L’influence du processus de structuration

En situation de changement, la capacité de résilience d’une organisation dépendra du

processus de structuration. S’appuyant sur les travaux de Giddens (1984), Weick (1993)

perçoit la structuration comme un « dispositif complexe » composé de deux éléments et de

leurs relations : la structure informelle (sens) et le cadre formel (configuration ou cadre). Le

premier est constitué « de formes d’interaction qui stabilisent la signification (meaning) en

créant des schèmes d’interprétations partagés » (Weick, 1993, traduit par Laroche, 2003, p.

77). Les différents mécanismes d’interactions permettent le partage des interprétations et la

stabilisation du sens (Koenig, 2003). Le second renvoie à un cadre composé de rôles, règles,

procédures, activités configurées et relations d’autorité qui reflètent et facilitent les

significations (Weick, 1993). Celui-ci, également désigné sous le terme de cadres structurels

de contraintes (structural frameworks of contraints), procure aux individus un cadre de

référence pour mener leurs actions. Le cadre donne ainsi corps aux manières de penser

dominantes et permet d’épargner beaucoup d’efforts d’interprétation (Koenig, 2003). Ce qui

est important pour Weick, c’est que ces deux éléments (cadre et sens) s’influencent

mutuellement à travers des boucles de rétroactions positives qui peuvent être vertueuses ou,

au contraire, désastreuses. Ainsi, si plus de significations aboutissent à un cadre plus adapté

duquel découle plus de sens, la relation inverse est aussi vraie : « moins de significations

partagées conduisent à des cadres moins élaborés, puis à moins de sens, puis à des cadres

moins élaborés, et ainsi de suite » (Weick, 1993, p. 645).

Afin d’éviter que le processus de structuration liant cadres et sens ne se détruisent l’un

l’autre, Weick (1993, p. 645) préconise, tout en conservant une relation directe entre les deux

éléments, de créer une relation inverse : « moins de sens, plus de structure, et vice versa ».

Ainsi, « quand le sens devient problématique et s’affaiblit, cela fonctionne comme un signal

adressé aux hommes pour qu’ils allouent plus d’attention à leurs liens sociaux formels et

informels et pour qu’ils les réaffirment et/ou les reconstruisent. Ces actions produisent plus

de structure, ce qui renforce le sens, ce qui allège alors l’attention allouée à la structure. La

perplexité intensifie l’attention au social, ce qui réduit la perplexité » (Weick, 1993, traduit

par Laroche, 2003, p. 79). Lorsqu’il s’agit d’un changement au niveau de la structure, moins

de structure conduit à plus de sens, et plus de sens génère alors plus de structure. L’auteur

fournit l’explication suivante : « quand les liens sociaux se détériorent, les gens font des

efforts pour comprendre par eux-mêmes ce qui se passe, à la fois au niveau social et dans le

Page 171: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

170

monde matériel. Ces opérations augmentent le sens, ainsi que la tendance à mettre la

structure en cohérence avec une signification affinée. L’isolement intensifie l’attention à la

signification, qui réduit l’isolement » (Ibid., p. 79). Dans les deux cas, ce qui favorise la

résilience de l’organisation, c’est l’oscillation entre l’attention portée aux cadres et l’attention

portée aux significations comme le montre la figure suivante.

Figure 21 - L’oscillation entre attention portée aux cadres et attention portée aux significations

Source : d’après Weick (1993).

1.2.2.) La RPP d’une TPE vue comme un changement écologique

L’arrivée d’un nouveau dirigeant constitue un véritable choc pour l’organisation, un

changement organisationnel majeur (Boussaguet, 2005). Les salariés, habitués à agir dans un

environnement « énacté », seul connu et possible, sont confrontés à une interruption, à un

élément nouveau qu’il faut interpréter pour agir de manière opportune. La théorie du

sensemaking apporte un éclairage orignal sur les conséquences de ce type de changement sur

le processus organisationnel. Elle constitue également un cadre d’analyse particulièrement

riche pour appréhender les spécificités des TPE, et le fonctionnement d’un petit groupe

d’individus confrontés à une situation inhabituelle. Cette approche invite à concevoir l’arrivée

d’un nouveau dirigeant comme un « changement écologique » propice à la (re)construction de

sens.

1.2.2.1.) Les apports du sensemaking à notre recherche

La théorie du sensemaking permet d’entrevoir sous un angle nouveau les effets du

changement de dirigeant sur l’organisation (1). Elle donne également des pistes pour mieux

Sens

Attention aux cadres

Attention aux sens

Structure Attention aux sens

Attention aux cadres

Attention aux cadres

Attention aux sens Structure

Sens

Attention aux cadres

Attention aux sens

Page 172: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

171

comprendre le fonctionnement des TPE, en tant que petits groupes d’individus, face à une

situation fortement déstabilisante (2).

1.2.2.1.1.) Des explications aux effets du changement de dirigeant sur l’organisation

1.2.2.1.1.1.) Une situation nouvelle et fortement équivoque

« Dès qu’on a su, on s’est tout de suite demandé pourquoi ils [les cédants] avaient

vendu. On ne savait rien de Mr P. [Repreneur]! Est-ce qu’il voulait changer quelque chose ?

On était super inquiets, surtout, on se demandait s’il allait garder notre fonctionnement et si

on n’allait pas changer de poste ? (…) On s’est dit qu’en principe, quand il y a un nouveau

patron, il aime bien organiser les choses à sa façon. Là, pendant un moment, c’est quand

même difficile à vivre, on est vraiment dans le flou !» (Salariée P.P.). Comme nous le montre

cet extrait d’un témoignage d’un salarié « repris », l’arrivée d’un nouveau dirigeant, même

lorsqu’elle est annoncée, suscite au sein de l’organisation de nombreuses questions auxquelles

il est difficile de répondre. La nouveauté de la situation ainsi que les intentions de cet inconnu

font l’objet de vives inquiétudes, de spéculations, de multiples interprétations que les

individus vont chercher à préciser dans l’interaction. Ainsi, au même titre que la catastrophe

de Mann Gulch, nous considérons qu’il s’agit d’un événement déstabilisant, un « changement

écologique » générateur d’équivocité. Il impacte la vie des individus, particulièrement des

salariés, leurs relations et révèle la vulnérabilité des organisations. L’organisation s’enfonce

dans une période faite d’inattendu, d’incertitude, de transition de rôles, contexte généralement

très favorable à l’avènement d’un processus de sensemaking (Louis, 1980). Dans pareille

situation, des actions sont généralement entreprises pour éviter tout effondrement de sens.

Ceci prend la forme d’un véritable travail de (re)construction de sens de la part des acteurs. Si

l’arrivée d’un repreneur constitue une situation inconfortable pour les salariés, elle l’est tout

autant pour le repreneur qui, à ce stade, se pose lui aussi beaucoup de questions. Pour tous, il

s’agit d’une situation angoissante, déstabilisante, émotionnellement intense, requérant de

s’investir dans un travail d’éclaircissement. L’objectif consiste à ne pas perdre les repères

nécessaires à la coordination et à l’action. Placés devant cet événement qui les dépasse, les

membres de l’organisation (anciens et nouveaux) vont puiser dans des flux d’indices, et tenter

d’élaborer des réponses aux questions : « Que se passe-t-il ? » et « Que dois-je faire ? »

(Weick, Sutcliffe et Obstfeld, 2005). La qualité des réponses apportées favorisera ou non la

résilience de l’organisation. En ce qu’elle permet d’expliquer l’effet perturbateur du

changement sur l’organisation, la théorie du sensemaking est très utile à notre recherche. Le

Page 173: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

172

changement de dirigeant est un événement inhabituel qui vient bousculer un environnement

enacté dans l’esprit des individus. La multiplicité des interprétations rend la situation

équivoque. Plus la situation est nouvelle et inattendue, ce qui est généralement le cas d’une

reprise, plus le choc sera important. Elle nécessitera, de ce fait, une remise en cause profonde

des solutions déjà connues et la mise en place d’actions pour reprendre contact avec le monde

(Laroche et Steyer, 2012).

1.2.2.1.1.2.) Un impact sur le processus de structuration

Dans la perspective Weickienne, la structuration est composée de deux éléments et de

leurs relations : la structure informelle (sens) et le cadre formel (cadre). Si le premier joue le

rôle de stabilisateur dans les significations par la création de schèmes d’interprétations

partagés, le second, composé de rôles, règles, procédures, activités configurées et relations

d’autorité, procure aux individus un cadre de référence pour mener leurs actions. Vue sous cet

angle, l’entrée en fonction d’un nouveau dirigeant déstabilise le processus de structuration.

Elle agit à la fois sur le sens, en perturbant les significations partagées, et sur le cadre formel

par une redéfinition des rôles, des activités et des liens d’autorités entre acteurs. Le fait que

l’élément nouveau (le repreneur) se substitue à une pièce centrale de l’organisation, affaiblit,

plus encore le cadre de référence des individus qui y sont présents. Ceci peut se comprendre

par le fait que la personne ayant le plus influencé son édification n’est plus présente dans

l’organisation. Weick (1993) ayant démontré l’influence réciproque du cadre et du sens, il

devient impératif pour l’organisation, face à un changement affaiblissant la structure,

d’engager un travail sur les significations pour éviter que cadre et sens ne se détruisent l’un

l’autre. Parallèlement, l’analyse faite par Weick de la collision de Tenerife205 met en garde

contre une tentative d’un trop grand retour en force de la structure lors d’une situation de

changement. Dans une telle situation, le recours à plus de cadre formel (relations d’autorité,

procédures, règles, etc.) est susceptible d’étouffer l’organisant (Koenig, 1996, p.69). Toute

tentative pour un repreneur d’imposer un cadre formel d’une manière trop prégnante lors de

son entrée en fonction apparaît, dans cette perspective, périlleuse. Si cadre et sens présentent 205

L’accident mettant en cause deux avions de la PAN AM et de la KLM en 1977 (op.cit) est expliqué par Weick par un effondrement des dispositifs de coordination entre les acteurs, de nombreuses incompréhensions et une grande difficulté à maintenir des interactions, support d’une meilleure interprétation. L’importance du stress, juste avant l’accident, conduit à des comportements régressifs de la part des acteurs, chacun ayant tendance à se replier sur des attitudes et des cadres connus, mais inadaptés à la situation. Chose étonnante, dans le cockpit du Boeing de la KLM, le copilote avait le sentiment très fort qu’un autre avion était sur la piste. Mais adoptant un comportement de soumission, il décida de ne rien dire au commandant, ni de ses doutes ni du danger de la manœuvre (Weick, 1993). Dans ce cas précis, la structure reprend le dessus alors que l’interaction respectueuse, la critique égalitaire aurait été salutaire (Giordano, 2006).

Page 174: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

173

des caractéristiques différentes (stable, transférable, amplement partagé pour le premier,

émergent, unique pour le second), ils ne peuvent être séparés (Allard-Poesi, 2003). Resituée

dans notre cadre de recherche, l’approche développée par Weick aboutit à une forte

recommandation à destination du repreneur. Ce dernier doit veiller à maintenir une « tension

dynamique et continue », une relation de complémentarité entre ces deux répertoires de

construction de sens de manière à réduire l’équivocité perçue de la situation et permettre la

coordination des comportements (Allard-Poesi, 2003). Koenig (1996, p. 69) voit dans cette

pratique un élément fondamental de la gestion des organisations206.

1.2.2.1.2.) Une compréhension du fonctionnement spécifique des TPE lors du changement de dirigeant

Dans ses nombreuses recherches, Weick privilégie l’étude en « gros plan » (Koenig,

2003, p. 20) de structures organisationnelles simples (Mintzberg, 1983, cité par, Weick, 1993,

p. 632) pour démontrer la vulnérabilité des organisations. Il nous gratifie, par la même

occasion, d’éléments de compréhension sur le fonctionnement spécifique des petites

structures (minimal organizations) en situation inhabituelle. L’analyse d’un incident mettant

en péril un petit groupe de pompiers (Mann Gulch), considéré par Weick comme une petite

organisation, est riche d’enseignement pour notre sujet de recherche. Si elle permet

d’entrevoir avec acuité le fonctionnement d’une structure simple en situation équivoque, elle

fournit de surcroît des explications quant à l’incidence de la petite taille sur des possibles

« soudaines pertes de significations » (Weick, 1993). L’importance du maintien de la

communication directe, de l’échange ininterrompu, aussi bien verbal que non verbal, en tant

que source capitale de coordination d’une équipe de taille réduite confrontée à un événement

complexe, ainsi que la fragilité des petites organisations y sont démontrées. L’analyse de

Weick met en évidence que les petites unités sont plus enclines à des soudaines pertes de sens

lors d’un changement majeur en raison de la « faible probabilité d’occurrence de

l’événement » (Weick, 1993). Au même titre que la petite équipe de pompiers, nous relevons

que la TPE se caractérise par une structure de rôles et un effectif limités. Elle se compose

généralement de deux à trois niveaux hiérarchiques ou « rôles »207 (Weick, 1993) et d’un

nombre maximal de dix personnes. En plus des incidences de la petite taille sur la réaction à

l’événement, illustrées par Weick, nous pensons que le faible nombre de participants induit un

nombre de cycles d’interactions permettant aux individus de « rétrécir le champ des

206

« Un aspect important du management consiste assurément dans la gestion constructive des exigences contradictoires qui sous-tendent la viabilité de nos systèmes organisationnels ». 207

Le dirigeant, un ou plusieurs éventuels responsables et les autres membres de l’équipe.

Page 175: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

174

interprétations possibles d’un événement » (Allard-Poesi, 2003, p. 101) plus restreint qu’au

sein d’une entreprise de plus grande taille. Nous en concluons que le processus organisant,

duquel découlent une réduction de l’équivocité, puis le maintien d’un système d’actions

organisées, est plus impacté par un événement déstabilisant. Sortir de l’équivocité

situationnelle prend alors plus de temps.

1.2.2.2.) L’arrivée d’un nouveau dirigeant : un « changement écologique » propice à la (re)construction de sens

Si l’arrivée du repreneur à la tête de l’entreprise représente un risque pour l’entreprise

de voir se produire un effondrement de sens, elle constitue, par la même occasion, un

événement propice à la (re)construction de sens. La surprise et la nouveauté portées par

l’arrivée d’un nouveau dirigeant, rendent la situation équivoque. Un tel changement brise les

routines, bouscule un environnement enacté dans l’esprit des salariés. Ce qui rend cette

situation si difficile, c’est que les cadres de lectures, les règles de fonctionnement habituels ne

sont plus suffisants pour expliquer ce qui se passe. Voyant le nouveau dirigeant arriver et/ou

agir pour la première fois, les salariés de l’entreprise prennent conscience du caractère

nouveau de la situation. Ils se retrouvent face à une interruption, à l’ignorance (manque

d’interprétations) ou à la confusion (trop d’interprétations), une situation s’accompagnant

généralement d’émotions intenses (Laroche et Steyer, 2012). Au cours de la période post-

reprise, ils vont multiplier les interactions de manière à réduire l’équivocité de la situation.

L’échange et l’entrée en relation avec autrui permettent de clarifier, confirmer, amender leurs

interprétations (Giordano, 2006). Les différents cycles d’interactions donnent la possibilité

aux salariés d’assigner un sens à l’événement. Parallèlement, le repreneur cherchera à

comprendre son nouvel environnement via un processus identique. Une nouvelle construction

collective de sens prend forme dans l’interaction entre tous les membres de la TPE. Même s’il

s’agit d’un processus collectif, l’objectif ne consiste pas à construire un sens commun,

parfaitement partagé par tous les acteurs, mais d’arriver à articuler les constructions

individuelles pour réussir à coordonner les actions (Laroche et Steyer, 2012). A travers

l’interaction réciproque, un système d’actions organisées (Allard-Poesi, 2003, p. 100) prend

progressivement forme. L’équivocité provoquée par l’entrée en fonction du repreneur

s’affaiblit en même temps que l’action s’organise.

Dans notre travail, nous considérons l’arrivée dans l’entreprise du repreneur comme une

interruption, un changement écologique dirait Weick, obligeant les acteurs à entreprendre un

travail actif pour (re)construire du sens (Giordano, 2006). Un tel événement sert de matière

Page 176: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

175

première à la création de sens (Koenig, 1996). Nous relevons que cette approche présente

l’intérêt d’accorder une importance à tous les individus impactés par le changement. Face à

une telle situation, aucun n’est passif. Par les mécanismes d’interactions, chacun joue ainsi un

rôle influent dans la résilience ou non de l’organisation. Le processus de sensemaking traduit

la volonté des individus, face à une interruption, à un changement majeur, d’agir pour

comprendre ce qui se passe autour d’eux. De cette action émerge un sens partiellement

partagé, conduisant les individus à s’engager ou non, à nouveau, dans l’action. Vandangeon-

Derumez et Autissier (2006) proposent une modélisation du processus de sensemaking en

situation de changement. Cette représentation nous paraît très utile à la compréhension de ce

qui se produit lors de l’entrée en fonction du repreneur.

1.2.2.3.) Une modélisation de la construction du sens en situation de changement

A partir d’un inventaire des principaux concepts proposés par Weick, Vandangeon-

Derumez et Autissier (2006) ont entrepris un travail d’identification des différentes variables

constituant « le processus d’engagement dans l’action ». Les notions d’équivocité,

d’ambiguïté, d’interaction, d’organisation, d’enactement, de réification, de communication,

d’entente, de plausibilité, d’engagement, de bricolage, d’action et de résilience, sont

rassemblées, puis mobilisées, pour caractériser, puis schématiser ce processus comme le

montre la figure suivante.

Figure 22 - Le processus d’engagement vers l’action

Source : Vandangeon-Derumez et Autissier (2006, p. 171).

Ce premier travail de modélisation précise les mécanismes de création de sens. Il rend

compte du caractère séquentiel des événements, « mais renseigne peu sur les ressources et

moyens nécessaires à ces mêmes mécanismes » (Vandangeon-Derumez et Autissier, 2006, p.

173). Les auteurs décident alors d’enrichir leur modèle. Ils s’appuient sur l’analyse faite par

Ambiguïté/

équivocité

Interaction/

organizing

Enactement/

réification

Communication

/ entente

Plausibilité/

engagement

Résilience

Bricolage/

action

Page 177: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

176

Weick de la catastrophe de Mann Gulch (WEICK, 1993), puis sur une analyse plus large de la

littérature organisationnelle pour identifier les différents moyens pouvant être utilisés par les

organisations pour augmenter leur propre résilience. Aux quatre facteurs de résilience retenus

par Weick (1993), lesquels s’appuient sur des capacités individuelles208, les auteurs proposent

d’adjoindre trois autres moyens, cette fois-ci utilisables à l’échelle de l’organisation.

(1) La culture : dans la perspective retenue par Vandangeon-Derumez et Autissier

(2006), elle fait référence aux valeurs dont tout le monde reconnaît qu’elles appartiennent à

l’organisation. Ces dernières sont susceptibles d’un partage, d’une adhésion par les différents

membres de l’organisation. Selon ces auteurs, la culture intervient dans le processus de

sensemaking à plusieurs niveaux. Par exemple, au moment de l’activation, en rassemblant

l’expérience collective accumulée par les différents membres de l’organisation, ou encore,

lors du choix de l’individu de s’engager ou non dans l’action : « un individu est en mesure de

se demander s’il a intérêt à s’exposer et à s’investir pour une cause qui ne correspond peut-

être pas complètement à ses valeurs » (Vandangeon-Derumez et Autissier, 2006, p. 175).

(2) La stratégie : elle est aussi considérée comme un « élément essentiel » du processus

de sensemaking. Elle prend la forme d’un discours prévisionnel209 et requiert au préalable un

travail de formalisation des différentes contributions et rétributions de chacun (Vandangeon-

Derumez et Autissier, 2006). Dans l’esprit de Weick, la stratégie ne doit être appréhendée que

comme un moyen rétrospectif de générer de l’action, de stimuler le travail interprétatif et de

favoriser l’apprentissage (Koenig, 2003). Une fois prononcée, elle procure de la lisibilité aux

acteurs, donne une route à suivre, et favorise l’engagement vers l’action. Les individus

disposent, dès le départ, d’une idée plus précise210 de l’objectif fixé, du poids de leurs actions

et de la rétribution qui en découle. L’action organisée devient possible dès lors qu’ils

partagent une vision commune des moyens à entreprendre en vue de satisfaire leurs intérêts

personnels (Allard-Poesi, 2003, p. 97).

208

Nous avons exposé ces facteurs dans la section précédente. 209

Pour Weick (1995, p. 55), c’est aux managers qu’il appartient de formuler des plans stratégiques. Il explique l’utilité de ces derniers ainsi : « Les plans stratégiques sont un peu comme des cartes. Ils animent et orientent

les gens. Une fois que les gens commencent à agir (enactement), ils génèrent des résultats tangibles (cues) dans

un certain contexte (social), ce qui les aide à découvrir (rétrospectivement) ce qui se produit (en cours), ce qui

doit être expliqué (plausibilité), et ce qui devrait être fait par la suite (identity enhancement). Les managers

continuent à oublier que c’est ce qu’ils font, non pas ce qu’ils planifient, qui explique leur succès”. 210

Même si pour Weick, un plan stratégique ne doit pas être trop précis afin de stimuler l’interaction et le travail d’interprétation des individus.

Page 178: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

177

(3) La structure ou, plus exactement, le processus de structuration : si l’on s’en tient à la

définition qu’en donne Weick (1993), elle est « le lieu d’institutionnalisation d’une action

collective (…). Elle est (donc) constituée et constituante en même temps (…) a un rôle

ontologique pour les individus en leur permettant d’occuper des rôles qui leur précisent des

cadres d’intervention et un positionnement social en relation avec les valeurs culturelles de

cette même structure » (Vandangeon-Derumez et Autissier, 2006, p. 175). Son rôle est

également essentiel au processus de sensemaking. Elle clarifie la situation et rend plausible

l’engagement de l’individu dans l’action. S’appuyant sur ces trois sources de résilience

organisationnelle et sur leur travail de description du processus d’engagement vers l’action,

les auteurs établissent une modélisation du processus de sensemaking (figure 23). Cette

dernière représente de « façon transversale »211 les interactions entre les variables de création

de sens et les étapes constituantes du processus d’engagement. De ce processus émerge (ou

non) la résilience de l’organisation.

Figure 23 - Une modélisation du sensemaking en situation de changement

Source : Vandangeon-Derumez et Autissier (2006, p. 176).

211

Ce modèle se lit de la manière suivante : la culture interagit avec l’ambiguïté/équivocité et l’interaction/organizing (la culture s’enrichit des nouvelles interprétations causées par une situation ambiguë. Parallèlement, elle facilite le processus de sensemaking, et permet l’interaction en procurant à tous les individus des cadres facilitant leurs actions) ; la stratégie interagit avec l’enactement/réification et la communication/entente (l’enactement, moyen qui permet de se construire une réalité, est indispensable au processus d’élaboration stratégique de l’entreprise. A son tour, la stratégie favorise les interactions en donnant aux individus une vision des moyens à mettre en œuvre et un accord sur ces même moyens) ; la structure interagit avec la plausibilité/engagement et le bricolage/action (elle rend plausible l’engagement de l’individu dans une action en donnant aux bricoleurs les moyens de cet engagement).

Bricolage/action

Plausibilité/engagement

Communication/entente

Réification/enactement

Interactions/organizing

Ambiguïté/équivocité

Structures (rôles)

Stratégie (contrats)

Culture (valeurs)

Processus Variables

Résilience

Sensemaking

Page 179: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

178

D’après David (2006), la création de sens est un processus que l’on peut observer et

décrire. Les travaux de Vandangeon-Derumez et Autissier (2006) répondent à cet objectif.

Ces auteurs proposent une représentation crédible de ce processus complexe en situation de

changement. La réussite ou l’échec d’une situation de changement sont expliqués à partir de

concepts introduits par Weick et de variables nouvelles considérées comme constitutives de

sens. Etant donné la complexité des concepts et la difficulté à les articuler, il s’agit à coup sûr

d’un exercice périlleux (Autissier et Bensebaa, 2006). Ces travaux nous fournissent, par la

même occasion, une grille descriptive opérationnelle de la création ou de la perte de sens dans

une situation de changement.

L’approche par le sensemaking présente de nombreux avantages pour appréhender les

mécanismes en jeux lors d’une situation de changement. Basée sur l’étude des interactions

entre acteurs, celle-ci décortique, puis explique, la construction ou la déconstruction du sens

au sein d’une organisation en perpétuel mouvement. Si les contributions de Weick à la théorie

des organisations sont considérables (Gioia, 2006), si elles nous fournissent un éclairage plus

que pertinent sur les dynamiques organisationnelles en jeux lors de l’entrée en fonction du

repreneur, quelques critiques peuvent néanmoins leur être adressées.

1.2.3.) L’approche par le sensemaking : la nécessité de surmonter certaines limites

Les travaux de Weick ont été repris par de nombreux chercheurs en sciences des

organisations, particulièrement dans les pays anglo-saxons. Les concepts qu’il propose

permettent d’aborder sous un angle différent la complexité des phénomènes organisationnels.

Toutefois, nous avons relevé quelques limites. En dehors de certaines critiques d’ordre

général telles que l’insuffisante scientificité de la démarche (Pfeffer, 1995)212 ou encore la

non définition du mot sens (Garreau, 2009), nous relèverons trois limites importantes qu’il

semble indispensable de surmonter pour pouvoir adapter cette approche à notre recherche.

1.2.3.1.) Les dimensions contextuelles et historiques largement sous-estimées

Si Weick, dans son approche, notamment à travers la notion d’environnement, semble

bien prendre en considération les dimensions (externe et interne) de l’organisation, l’aspect

proprement organisationnel, c’est-à-dire « politico-bureaucratique », n’a que faiblement été

212

L’auteur reproche à Weick l’utilisation d’une technique disparate et floue, notamment dans le recueil et l’analyse des données.

Page 180: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

179

étudié (Laroche, 2006)213. De la même manière, il apparaît que Weick s’intéresse moins au

fait que l’ambiguïté puisse être au moins autant liée au contexte interne qu’au contexte

externe ; « l’ambiguïté interne n’est pas envisagée comme un problème en elle-même, sinon

ponctuellement à travers les erreurs que révèlent les accidents » (Laroche, 2006, p. 100).

Ceci pose naturellement problème lorsqu’il s’agit d’appliquer cette approche dans des

organisations sujettes à une forte ambiguïté interne comme peut l’être, par exemple, la

TPE214. La configuration organisationnelle particulière de la TPE, avec un dirigeant jouissant

d’un pouvoir inégalé, influe indéniablement sur les mécanismes de la création de sens. En

fait, on peut reprocher à Weick de ne pas accorder suffisamment d’importance au pouvoir

exercé par l’individu ou le groupe dominant sur la création et la diffusion des valeurs et des

significations partagées (Maurel, 2010). D’un point de vue théorique et pour répondre aux

préoccupations soulevées par une approche managériale, un travail visant à approfondir

l’influence du contexte interne semble nécessaire. Ceci passe inévitablement par une

meilleure prise en compte des aspects politiques, de l’évolution des relations de pouvoir, ainsi

que des jeux d’influence entre acteurs à l’origine des processus et de leur développement215.

La dimension historique doit également être mieux intégrée. Analyser ce qui s’est passé avant

la reprise, les événements marquants vécus par l’organisation et ses salariés, l’histoire du

repreneur, permettent sans doute de mieux comprendre les actions et réactions de chacun

durant le management post-reprise. Dans cette optique, le recours à la démarche proposée par

l’approche contextualiste (Pettigrew, 1985) peut aider à combler ce déficit.

213

Laroche (2006) relève la présence de seulement deux études abordant cette dimension : l’article sur les organisations faiblement couplées (Weick, 1976, puis Orton et Weick, 1990) et l’article portant sur la catastrophe de Mann Gulch (Weick, 1993). 214

Le dirigeant de la TPE, élément central de l’organisation, peut lui-même avoir des exigences ambiguës et quelquefois contradictoires. Dans le cas d’un repreneur, cela peut conduire à des situations comme celles-ci : « je veux que vous continuiez à travailler, à prendre des décisions, comme avant (…) il faut me solliciter pour

régler les problèmes », ou encore « je ne toucherais rien à l’organisation (…) les salariés doivent mieux organiser

leur travail ». 215

Dans un article plus récent, Weick reconnaît l’importance que l’on peut accorder à la question du pouvoir dans l’organisation ; « Les améliorations du sensemaking prêtent plus attention au pouvoir et ont tendance à

aborder des questions telles que comment le pouvoir s’exprime, augmente, diminue, et influence les autres ?

Des réponses préliminaires sont que le pouvoir est exprimé par des actes qui façonnent ce que les gens

acceptent, prennent pour acquis, et rejettent (Pfeffer, 1981). Comment une telle formation se produit ?” (Weick, Sutcliffe et Obstfeld, 2005, p. 418). Pour Maitlis (2005), afin de mieux prendre en compte cette dimension, un deuxième courant s’est développé dans le champ du sensemaking. Ce dernier s’intéresse à l’influence jouée par certains groupes dans la compréhension des événements par d’autres groupes. C’est le cas, par exemple, de l’approche développée par Gioia et Chittipeddi (1991) à travers la notion de sensegiving qu’ils définissent comme le « processus visant à influencer la construction de sens et le sens construit par d’autres vers une

redéfinition préférée de la réalité organisationnelle » (Gioia et Chittipeddi, 1991, p. 442).

Page 181: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

180

1.2.3.2.) Les émotions sous-estimées

Autre critique que l’on peut émettre au sujet de l’approche développée par Weick, le

traitement limité qu’elle accorde aux émotions dans le processus organisant. Dès le milieu des

années 1990, certains auteurs tels que Magala (1997, cité par Weick, Sutcliffe et Obstfeld,

2005), déploraient déjà cet état de fait. Giroux (2006, p. 45) souligne que, tout au long de ses

travaux, Weick, lui-même, reconnaît l’importance de la dimension émotionnelle et ajoute

« qu’il faut s’y intéresser ». Cette auteure explique l’attention quasi exclusive portée à

l’aspect cognitif au détriment d’une approche s’intéressant à la fois aux émotions et à la

cognition, du fait de l’utilisation par Weick de données secondaires et un traitement à distance

des événements. Une telle méthodologie éloigne le chercheur du contact direct avec les

individus et rend tout retour sur le vécu émotionnel moins intense. Plus récemment, c’est au

tour de Maitlis et Sonenshein (2010) ou encore de Garreau (2009) de souligner l’intérêt

d’infuser plus d’émotion au concept de sensemaking. Ce dernier va jusqu’à redéfinir le

sensemaking comme : « le résultat de l’activité d’un individu qui se saisit de la réalité externe

au travers d’éléments cognitifs, des finalités de l’individu et des émotions et sensations qu’il

ressent » (Garreau, 2009, p. 180). Dans le cadre de notre recherche, il paraît évident que les

émotions jouent un rôle déterminant lors d’une reprise de TPE. L’arrivée d’un repreneur vient

briser un lien puissamment établi et ancien entre salariés et cédant. Celle-ci génère une

émotion intense chez les salariés, généralement provoquée par un sentiment de perte ou

encore par l’impression d’une véritable rupture familiale (Picard, 2009). Le repreneur entre

également dans une période émotionnellement intense où se mêlent enthousiasme,

appréhensions et doutes. Le vécu et le ressenti du nouveau dirigeant ont un impact sur la

manière dont il gère la situation et les interactions. L’émotion gagne ainsi tous les acteurs et

trouve son apogée lors de cette étape du processus de reprise. Prendre en compte cette

dimension dans notre étude des dynamiques organisationnelles devient, dans ces conditions,

plus que nécessaire.

1.2.3.3.) Le rôle du leadership à mieux définir dans une situation de changement

Parce qu’il remet en question la répartition des tâches, des responsabilités, de l’autorité

au sein de l’organisation (Guilmot et Vas, 2011), le changement écologique appelle des actes

de leadership (Weick, 1993). Pareil événement requiert l’intervention d’un personnage clé, le

leader, pour créer du sens et lever l’état de confusion. Le dirigeant de l’organisation dispose

d’une vision transversale de l’activité et d’une variété d’informations plus importante que ses

Page 182: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

181

subordonnés (Daft et Weick, 1984). Cela lui permet d’apporter des significations différentes

de la situation, puis de les diffuser216 . Dans les situations d’incertitude, le leader donne

confiance à ses collaborateurs et veille à leur procurer les moyens de développer

l’interprétation qu’ils font de la situation (Koenig, 2003). S’appuyant sur les travaux de

Ginett217, Weick explique que le bon leader (dans l’exemple, il s’agit de commandants de

bord) consacre davantage de temps au développement de son équipe lors de sa première

constitution, passe peu de temps sur les tâches « routinisées », et donne des consignes claires

sur « la tâche, la répartition des responsabilités (…), les standards et les comportements

attendus (les normes), et les relations d’autorité » (Weick, 1993, traduit par Laroche, 2003, p.

82). On apprend également que les bons dirigeants n’hésitent pas à ouvrir le groupe à des

personnes ayant une influence sur son résultat. Ils définissent des normes montrant clairement

que la sécurité, une communication efficace et la coopération sont attendues de la part de tous.

Pour finir, Weick souligne que les très bons leaders doivent savoir passer d’un registre de

leadership à un autre, tantôt autoritaire, tantôt démocratique en fonction des événements qu’ils

ont à gérer218. Ils doivent également faire preuve d’humilité et ne pas hésiter à exprimer leur

doute devant une situation inédite pour favoriser l’émergence de solutions nouvelles (Weick,

2009).

Si Weick fournit quelques indications sur la manière dont le leader peut agir de manière

à façonner les situations (Koenig, 2003), il reste relativement évasif sur l’usage qui doit être

fait du leadership dans la conduite d’une situation de changement. Certes, pour Weick, le

leader est celui qui construit son équipe, qui lui « donne le tempo », mais, en même temps, il

se doit de mesurer ses interventions. S’il joue effectivement un rôle majeur dans le processus

de reconstruction collective de sens, s’il influence le comportement de l’équipe,

paradoxalement, le leader ne doit pas être trop « présent », c'est-à-dire exercer une pression

trop prégnante sur ses subordonnés (Garreau, 2006) et pratiquer le sur-management, sous

peine d’entraver le processus de sensemaking (Weick, 1993). Avec de telles explications, on

ne que peut se demander où et comment placer le curseur. En d’autres termes, comment

savoir à quel moment le leadership du repreneur devient intrusif et néfaste au sensemaking ?

D’autre part, ce qui est frappant dans l’analyse faite par l’auteur des situations de rupture

216

« Un leader est celui qui donne aux autres un sens différent à la signification de ce qu’ils font en recréant un

visage différent (…). Le leader est un sense-giver » (Weick, 1995, p. 10). 217

Ginett (1993, cité par Weick, 1993). 218

Ainsi, les très bons dirigeants « sont capables de passer de la démocratie totale à l’autocratie totale, ce qui

signifie clairement qu’ils sont susceptibles d’adopter tout un éventail de styles différents » (Weick, 1993, traduit par Laroche, 2003, p. 83).

Page 183: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

182

entraînant des échecs du leadership, c’est l’absence d’explications claires et non équivoques

sur les causes réelles de ces échecs. Weick (1993, p. 650) se contente d’avancer quelques

pistes (« formation insuffisante », « mauvaise compréhension des processus de leadership »,

etc.), laissant chaque lecteur, le libre choix dans son interprétation. Dans la conclusion de son

article consacré à l’étude de la catastrophe de Mann Gulch, Weick (1993) semble même

accepter l’idée selon laquelle, dans certaines situations, même les meilleurs leaders demeurent

impuissants. L’échec du leadership est quelquefois inéluctable219.

Se pose alors inéluctablement la question de l’adaptation de cette conception complexe,

ambivalente et non aboutie du leadership à notre sujet de recherche. La liste des tâches à

accomplir et des comportements à adopter par le leader, proposée par Weick, donne quelques

pistes intéressantes, mais semble insuffisante pour comprendre en profondeur quel doit être le

rôle du repreneur lors de son entrée en fonction au sein d’une TPE. De surcroît, contrairement

au leader « formel », « établi » tel que perçu par Weick (1993) dans son article sur la

catastrophe de Mann Gulch, le repreneur ne peut prétendre d’emblée à ce statut. Nouvel

entrant dans l’organisation, il ne connaît qu’imparfaitement son fonctionnement et même

parfois son métier. Sa seule source de légitimité auprès des salariés demeure le titre de

propriété qu’il détient entre ses mains. Autre particularité du repreneur par rapport au leader

déjà « installé » : il ne peut véritablement agir et créer du sens dans l’organisation, qu’après

son arrivée dans l’entreprise, c'est-à-dire au moment où l’équivocité est la plus forte. Pour

tenter de surmonter cette dernière grande limite et y voir plus clair, nous avons donc complété

notre approche par les théories du leadership.

1.3.) Leadership et management de la reprise

Si l’acquisition de l’entreprise confère au repreneur un pouvoir légal de direction et

d’engagement auprès des différentes parties prenantes, cette dernière ne lui offre pas « de

facto » de véritable légitimité aux yeux des salariés. Pour faciliter son intégration, puis son

action, le repreneur doit parvenir à faire accepter son projet et son autorité par les salariés. La

conduite d’un changement organisationnel aussi important que l’arrivée d’un nouveau

dirigeant au sein d’une TPE, nécessite plus que la simple qualité de manager. Dans un

219

« Ces multiples défaillances du leadership peuvent être le résultat d’une formation insuffisante, d’une

mauvaise compréhension des processus de leadership à la fin des années 40, ou peuvent être attribuables à une

culture mettant l’accent sur le travail individuel plutôt que sur le travail de groupe. Ou ces échecs du leadership

peuvent refléter le fait que même les meilleurs leaders et les membres qui ont le plus conscience de l’équipe

peuvent souffrir lorsque les structures commencent à se disloquer, les laissant dans leur indétermination, la

panique et des questions cosmologiques” (Weick, 1993, p. 650). (Traduit par nos soins).

Page 184: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

183

contexte aussi troublé, le repreneur doit parvenir à faire accepter son nouveau pouvoir, à

affirmer son leadership auprès du personnel. Pour Boussaguet (2005, p. 69), il s’agit d’une

action essentielle «sous peine d’être remis en cause tôt ou tard ou de générer des difficultés

relationnelles ». Si, pour de nombreux auteurs, notamment ceux travaillant sur le phénomène

repreneurial, il apparaît évident qu’un dirigeant (manager) doit posséder les qualités d’un

leader pour gérer au mieux son organisation et améliorer ses performances, nous nous

interrogeons sur ce qui caractérise et différencie le leader du manager.

La littérature managériale donne certaines pistes. Elle reconnaît des différences notables

entre le manager et le leader 220 . Si le premier peut être imposé au groupe par la voie

hiérarchique au cours du processus de structuration de l’organisation, le second émane du

groupe et tire son pouvoir (informel) des relations qu’il tisse avec les autres membres de

l’équipe (Barabel et Meier, 2010). Pour Zaleznik (1977), le manager est passif et se contente

d’organiser, de planifier, de gérer les problèmes et ses relations aux autres, selon des règles

du jeu établies. Le leader est, quant à lui, un individu actif, ouvert sur les autres, et n’hésite

pas à bousculer les cadres pour parvenir à ses fins. Kotter (2003) complète le portrait du

leader en ajoutant qu’il gère le changement, donne une vision, motive et développe un

véritable sentiment d’appartenance et d’estime de soi auprès des individus. Selon Petit (2013),

le manager a pour objectif de maintenir les standards et d’assurer la continuité de l’activité

alors que le leader suscite l’engagement et transforme l’activité. La différence entre les deux

est résumée dans le tableau suivant.

220

Nous citerons ici, à titre non exhaustif, les travaux de Zaleznik (1977), Schein (1997), Kotter (2003), Daft (2005), Barabel et Meier (2010) ou encore Petit (2013).

Page 185: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

184

Tableau 12 - Manager vs leader

MANAGER Maintient les standards et assure la

continuité de l’activité

LEADER Suscite l’engagement et transforme

l’activité.

Planifier et budgéter Définit l’agenda Fixe les deadlines/actions Alloue les ressources

Etablir la direction Crée une vision Explique le projet/sens Fixe la stratégie

Organiser et recruter Structure les tâches Recrute et intègre Fixe et fait respecter les règles/procédures

Aligner les équipes Communique les buts Suscite l’engagement Bâtit des équipes et des alliances

Contrôler et résoudre les problèmes Met en place des systèmes d’incitations Génère des solutions créatives Prend des actions correctives

Motiver et inspirer Inspire et entraîne, donne de l’énergie Empowerment des équipes Satisfait des nouveaux besoins

Comment ? Quand ? Où ? Objectifs, moyens

Quoi ? Pourquoi ? Qui ? Valeurs, hommes

Source : Petit (2013, p. 133).

Barabel et Meier (2010) introduisent également des éléments de différenciation à partir

des caractéristiques de la légitimité attachée aux deux rôles et à la relation de cette dernière au

contexte. Ainsi, la légitimité du manager acquise par le statut hiérarchique semble invariante

et indépendante du contexte, contrairement à celle du leader qui dépend fortement du

contexte, de ses qualités intrinsèques et qui s’opère sur une période limitée221.

Des différences existent entre le leader et le manager, même si ces deux rôles ne sont

pas mutuellement exclusifs (Kotter, 2003). Le leader possède des aptitudes et des

compétences supplémentaires se traduisant par l’adhésion de son entourage au projet qu’il

mène222. Il semble exercer un effet d’entraînement sur les membres du groupe, ce qui nous

221

Barabel et Meier (2010, pp. 590-591) rappellent l’importance du contexte, de la situation dans l’action du leader : « le leader a donc un rôle de situation et s’exerce dans un cadre temporel délimité : il ne s’inscrit pas

dans un rapport séquentiel avec la structure mais plutôt dans un rapport dialectique. Il agit en fonction de la

situation (…), sa capacité d’influence pouvant varier selon l’évolution du problème, la nature des changements

au sein du groupe (composition, taille) ou l’apparition de nouvelles règles ». 222

Pour Bennis et Namus (1985), quatre compétences peuvent être identifiées chez lui. (1) Il sait communiquer et transmettre des directives, fixer un objectif, et donner du sens à l’action. (2) Il crée et maintient un sentiment de confiance de par son attitude et en préservant de véritables relations personnelles avec les membres du groupe. (3) Il connaît ses propres ressources, est attentif à son environnement et est orienté vers

Page 186: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

185

paraît déterminant dans une situation empreinte d’incertitude comme peut l’être la période

post-reprise. Les salariés, encore perturbés par le départ de leur ancien patron, ont besoin

d’une nouvelle direction, d’une vision de l’avenir qui les anime, les inspire et les rassure. S’il

semble maintenant possible de discerner un peu plus formellement ces deux rôles et de

percevoir l’importance du leadership dans un contexte de changement, il reste à établir la

définition que nous retenons pour notre recherche et à déterminer comment le repreneur peut

mettre en œuvre son leadership auprès des salariés. Dans les paragraphes suivants, nous

commencerons par un examen du concept de leadership et des approches qui le caractérisent.

Nous insisterons ensuite sur les approches récentes (leadership transactionnel et

transformationnel). Pour finir, nous relevons les principaux défis qui attendent le repreneur

durant la période de management de la reprise.

1.3.1.) Les théories du leadership

Depuis le début du XXeme siècle, le leadership fait l’objet d’un véritable engouement de

la part de la communauté scientifique. De nombreux travaux ont été menés afin de mieux

comprendre les processus d’influence entre individus. Des approches dissemblables du

leadership se sont succédées donnant lieu à un nombre considérable de définitions223. Cette

situation rend le concept de leadership pas tout à fait arrêté, et sa mesure, vague et imprécise.

Les principales approches du leadership sont reprises ci-après.

Ø L’approche centrée sur les traits

Cette première approche, largement portée par des psychologues, tend à démontrer

que les leaders possèdent des qualités innées qu’on ne retrouve pas chez tous les individus.

Ainsi, le leader est un individu ambitieux, intelligent, honnête, énergique et disposant d’une

faculté à influencer les autres. Relativement populaire en son temps, cette approche devait

permettre d’identifier les caractéristiques d’un bon leader224. Dans les années 50, suite aux

l’action et la prise de risque. (4) Il suscite l’espoir, l’optimisme et une énergie psychologique qui génère la performance et l’envie de se dépasser. 223

Dans nos investigations, nous en avons relevé des dizaines, et il en existe bien plus encore. Bennis et Namus (1985) en recensent plus de 300. Nous citerons, par exemple, celles de Burns (1978) : « Le leadership est exercé

quand des personnes mobilisent des ressources institutionnelle, politique, psychologique et autres afin de

susciter, d’engager et de satisfaire les motivations de followers » ; de Collerette (1991, p. 156) « c’est la

capacité d’influencer dans le sens que l’on désire, sans avoir à recourir aux sanctions formelles, c’est-à-dire aux

punitions et récompenses institutionnelles » ; ou encore de House et al. (1999, p. 184) : il s’agit de « la capacité

d’un individu à influencer, motiver et permettre aux autres de contribuer à l’efficacité et à la réussite de

l’organisation ». 224

Ceci était particulièrement utile, notamment à la veille de la Première Guerre mondiale, pour désigner les combattants chargés de motiver les troupes (Petit, 2013).

Page 187: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

186

difficultés à obtenir un profil type communément admis de ce qu’est un leader, d’autres

scientifiques ont engagé leurs recherches sur le chemin de la description des habitudes

comportementales des leaders et sur leur efficacité selon la situation.

Ø L’approche comportementale

Cette deuxième approche portée par deux équipes de scientifiques (l’équipe de

l’Université d’Etat de l’Ohio dirigée par Stogdill et l’équipe de l’Université du Michigan)

avance que le leadership ne trouve pas de justification dans les traits innés du leader, mais

qu’il se reflète dans ses comportements. Les chercheurs s’attachent à décrire les différents

styles de leaders et leur efficacité selon les situations. De ces travaux vont émerger de

nombreuses typologies distinguant (presque toutes) deux grands types de comportements ;

ceux axés sur les travailleurs (respect des collaborateurs, écoute, considération, etc.) et ceux

axés sur l’exécution de la tâche et la structuration (mise en place d’objectifs, planification,

etc.). La typologie la plus connue est sans nul doute celle de Blake et Mouton (1964, cité par

Dejoux, 2014) qui répertorie cinq styles de leadership (de compromis, social, intégrateur,

autocrate, laisser-faire) définis en fonction de l’orientation du dirigeant sur l’une ou l’autre

des deux dimensions du management (intérêt pour la production, intérêt pour les personnes).

Bien que plus avancée que la précédente, cette approche présente encore l’inconvénient de

vouloir proposer un style de leadership performant quelles que soient les situations

rencontrées. Cette perspective n’est évidemment pas partagée par d’autres chercheurs qui ont

voulu intégrer à l’analyse, les variations du contexte.

Ø L’approche situationnelle

Les partisans de cette approche qui connaît un véritable succès dans les années 70,

arrivent à la conclusion qu’un leader doit adopter le style le plus adapté à la situation. Nous

pouvons citer les trois principaux modèles ayant marqué cette approche tels qu’ils sont

répertoriés par Petit (2013).

(1) La grille d’analyse proposée par Blanchard (Hersey, Blanchard et Johnson, 2008)

identifie quatre styles de leadership (supporter, délégatif, coach, directif) définis en fonction

des attentes des collaborateurs. Ce modèle indique que le leader doit adapter ses

comportements en tenant compte du degré de maturité des subordonnés.

Page 188: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

187

(2) Le modèle de Fiedler (1967, ou modèle LPC : « Last Prefered Coworker225 ») intègre

à l’analyse trois facteurs situationnels : la nature de la relation « leader-followers 226», le type

de tâches à accomplir et, pour finir, le pouvoir du leader. Cette approche aboutit à la

conclusion qu’il n’existe pas de style idéal de leadership, mais un style adapté aux exigences

de chaque situation.

(3) Le modèle LMX (Leader-Member eXchange theory) développé par Graen et Uhl-Bien

(1995) : l’étude ne se concentre plus sur les acteurs, mais sur leurs relations, l’évolution de

celles-ci et son impact sur la satisfaction et la réussite des équipes. Chaque acteur (leader ou

subordonné) est doté de ressources qui lui sont propres et est en négociation permanente, ce

qui définit la maturité de la relation. Dès la fin des années 70, d’autres approches se sont

développées, ouvrant ainsi la voie à de nouvelles perspectives dans l’étude du leadership.

Ø Les nouvelles approches

Les dernières approches du leadership ont émergé à la fin des années 70 et ont connu leur

apogée dans les années 80 et 90. Des théories telles que le leadership charismatique (House,

1977 ; Conger, 1998), le leadership politique (Burns, 1978), le leadership visionnaire

(Sashkin, 1988 ; Westley et Mintzberg, 1989), le leadership transformationnel (Bass, 1985,

1999 ; Bass et Avolio, 1994), l’intelligence émotionnelle (Salovey et Mayer, 1990), se sont

développées à cette époque. A partir des années 90, la gestion du changement devenant une

préoccupation majeure à la fois pour les entreprises et les scientifiques, on assiste à un

« renouveau paradigmatique » autour de la notion de leadership (Petit, 2013). Daft (2005)

constate le déplacement d’une approche rationnelle du leadership préoccupée par le contrôle,

le maintien de la stabilité, la compétition, vers une approche valorisant le changement, la

responsabilisation, la communication et l’humilité. Reprenant les travaux de Burns (1978) qui

a mis en relief la différence entre deux types de leader politique (le leader de type

transformatif et le leader de type transactionnel), Bass (1985) développe un modèle, le « Full

Range Leadership Model », centré sur les comportements du leader en contexte

organisationnel. L’auteur s’intéresse au processus par lequel les leaders font appel aux valeurs

et aux émotions des subordonnés pour favoriser leur engagement. Ces derniers travaux sont à

l’origine de deux approches à la fois indépendantes et complémentaires qui vont retenir

225

Il s’agit d’une échelle de mesure appelée « Collaborateur le moins préféré ». Son principe est simple : on demande au leader de penser aux personnes avec lesquelles il/elle a déjà travaillé et de décrire la personne avec laquelle il/elle a moins bien collaboré. 226

En français: suiveurs.

Page 189: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

188

l’attention des chercheurs jusqu’à nos jours : le leadership transactionnel et le leadership

transformationnel. Nous les développons plus en détail dans le point suivant.

1.3.2.) Leadership transactionnel et transformationnel

La théorie du leadership transformationnel fait l’objet de nombreuses études depuis ces

trois dernières décennies. Les travaux de James McGregor Burns (1978) sont à l’origine de

cette approche différenciant deux types de leadership ; le leadership transactionnel et le

leadership transformationnel. Le premier est basé sur un échange entre le leader et ses

subordonnés sous une forme proprement contractuelle, les promesses de sanctions et de

récompenses servant à influencer le comportement des individus. Le second, plus efficace

selon Burns, vise à obtenir l’engagement des subordonnés en faisant appel à leurs valeurs

morales. Le leader transformationnel cherche à élever les consciences des individus sur des

valeurs éthiques et mobilise leur énergie en vue de dépasser leurs intérêts personnels. Ces

deux types de leadership sous-entendent des comportements différents émanant des leaders

pour favoriser l’action des subordonnés.

Au milieu des années 80, Bass (1985) prolonge l’analyse initiée par Burns (1978) et la

resitue dans le contexte organisationnel. L’auteur insiste sur la capacité du leader à motiver

ses subordonnés, à les inciter à travailler dans le sens d’objectifs qui transcendent leurs

intérêts et stratégies personnels. A l’opposé du leader transactionnel, préoccupé par la gestion

des processus, utilisant la manipulation, les sanctions et les récompenses pour arriver à ses

fins, Bass (1985) dresse le profil d’un leader transformationnel intelligent, réactif, innovateur,

faisant preuve de créativité cognitive (« cognitive creativity ») et capable d’une forte

mobilisation des énergies et compétences des subordonnés, notamment dans les périodes de

changement. Le leadership transformationnel s’appuie sur la capacité des dirigeants à

reconnaître les individus, les valoriser, prêter attention à leurs préoccupations et à leur

transmettre une motivation et une vision claire des objectifs.

Le leader transformationnel « transforme » et motive ses subordonnés à travers un

ensemble de comportements qu’il met en œuvre :

Page 190: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

189

(1) le charisme227 par rapport aux attributs et au comportement : le leader est un

exemple qui suscite la confiance et le respect des subordonnés ;

(2) l’inspiration : le leader a une vision qu’il explique avec détermination et confiance,

fixe des objectifs ambitieux, puis motive ses collaborateurs pour les atteindre ;

(3) la stimulation intellectuelle : l’innovation et la création sont encouragées, ce qui

permet à chacun de s’engager hors des cadres établis ;

(4) la bienveillance : le leader donne de l’importance à chacun de ses collaborateurs

via une action d’écoute et n’hésite pas à les soutenir et les encourager si nécessaire (Bass et

Avolio, 1994).

Notons que ce qui différencie l’œuvre de Bass (1985) de celle de son prédécesseur,

c’est que pour Bass, les deux styles de leadership ne sont pas antagonistes. Ainsi, un même

individu peut être à la fois un leader transformationnel et un leader transactionnel. Un

leadership efficace passe par une mobilisation d’un certain degré de combinaison des deux

styles. Bass ajoute également un troisième type de leadership, le « laisser-faire »,

correspondant, quant à lui, à une absence de leadership. Ceci lui permet de peaufiner son

modèle qui s’articule autour d’un continuum allant du style de leadership laisser-faire au

leadership transformationnel, en passant par le leadership transactionnel.

La théorie du leadership transformationnel dresse le portrait de deux types de leader. L’un

transactionnel s’apparente au manager tel que nous l’avons décrit dans les paragraphes

précédents, se contentant de gérer l’existant via un système de sanctions-récompenses.

L’autre, transformationnel, élève le niveau des consciences, des besoins, des attitudes et des

comportements de ses collaborateurs, rendant leur niveau d’engagement plus important. Un

processus de changement aussi complexe que la reprise d’une TPE nécessite certainement de

la part du repreneur de jouer ces deux rôles. Le leadership transformationnel permet

néanmoins de motiver les salariés à travailler dans le sens d’objectifs communs dépassant

leurs propres intérêts. Il donne la possibilité de faire évoluer les valeurs établies ainsi que les

comportements individuels et collectifs. Le leader transformationnel, contrairement au

manager, crée un climat de confiance, suscite l’engagement des collaborateurs et ceci même

au cœur d’une situation incertaine de changement. Pour notre recherche, nous définirons le 227

Bass (1985, p. 39) définit le charisme comme : « une dotation de très haut degré d’estime, de valeur, de

popularité, et/ou de statut de célébrité attribuée par les autres… Elle atteint une influence généralisée qui est

transformationnelle ”. Traduit par nos soins.

Page 191: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

190

leadership comme un processus par lequel un individu doté de charisme, à l’écoute des autres,

exerce une influence positive à un niveau individuel ou du groupe, permettant à chacun de

dépasser, via un engagement supérieur, des objectifs clairement définis. Nous estimons, en

outre, que le leader doit être en mesure de donner un sens à la situation, d’expliquer et faciliter

le changement en favorisant l’interaction individuelle et collective. Nous n’occultons pas que

le leadership est avant tout un phénomène social, attribut confié par le groupe à un individu

choisi parmi ses membres. Il reste maintenant à définir quelles actions le repreneur de TPE

peut mettre en œuvre pour passer du simple statut d’acheteur d’entreprise, à celui de manager

pour, enfin, endosser le costume de leader reconnu et accepté de tous. En d’autres termes,

comment peut-il asseoir son leadership durant la période post-reprise ?

1.3.3.) Le repreneur de TPE : les défis de la prise de leadership en contexte de changement majeur

De nombreux auteurs (Fiegener et al., 1994 ; Donckels, 1995 ; Esteve, 1997 ; Haddadj

et D’Andria, 2001 ; Boussaguet, 2005 ; Deschamps et Paturel, 2009) rappellent l’importance

du transfert de direction dans la vie d’une organisation. La passation de pouvoir et d’autorité

entre deux dirigeants est à même de déstabiliser profondément et durablement le

fonctionnement de l’entreprise. Il s’agit d’un changement organisationnel majeur nécessitant

une gestion attentive. Nous avons également pu constater que les spécificités de la TPE

(Torrès, 1997) accentuent les difficultés liées au changement. Dans un contexte aussi troublé,

plusieurs défis d’ampleurs et largement imbriqués, attendent le repreneur lors de son entrée en

fonction. Si l’acte d’achat officiel lui confère de plein droit le pouvoir de direction de

l’entreprise, le statut de manager « officiel » des salariés, il ne lui attribue pas, auprès d’eux,

une quelconque qualité de leader. Afin d’assurer un niveau de fonctionnement « normal » à

l’entreprise, il doit assez vite entrer dans la peau du dirigeant et se faire accepter par

l’ensemble des membres de sa nouvelle équipe. Pour Boussaguet (2005, p. 312), cela passe

par un processus de socialisation émanant à la fois du repreneur et des salariés et appelé

processus de socialisation repreneuriale. Cette auteure le définit comme « un véritable

processus d’influence mutuelle par lequel le repreneur parvient à « changer » sous

l’influence d’agents socialisateurs et en retour à « transformer » l’organisation sous sa

propre influence d’agent socialisateur pour se faire reconnaître comme le leader à part

entière ». Ce qui est intéressant à relever dans cette définition, c’est que même s’il est

constaté une interaction et une réciprocité entre les acteurs dans le processus, celui-ci relève

avant tout et surtout du nouveau dirigeant. Le repreneur joue ainsi un rôle central dans la

Page 192: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

191

reconnaissance de son propre statut de leader. Son action s’inscrivant dans le cadre d’un

changement majeur, il doit apporter rapidement des réponses aux nombreuses interrogations

soulevées. Pour cela, il doit, d’abord, dès sa prise de fonction, devenir aux yeux des salariés

un véritable manager, en organisant, gérant les problèmes, et en veillant au fonctionnement

« normal » de l’organisation (Zaleznik, 1977 ; Petit, 2013). Ceci n’est pas chose aisée étant

donné les fortes répercussions du changement sur l’organisation (Donckels, 1995 ;

Deschamps et Paturel, 2005). Afin de faciliter le bon déroulement de cette période, le

repreneur doit adopter un comportement d’ouverture, d’écoute attentive et une posture de bon

communiquant. L’obtention d’un engagement supérieur de la part des collaborateurs passe par

une reconnaissance par le groupe de son statut de membre à part entière, à une place

également reconnue, celle de manager. L’action et le comportement du repreneur doivent

éveiller en eux le désir qu’il devienne progressivement leur leader.

Dans le cadre de notre recherche, nous estimons qu’un repreneur peut prétendre au

statut de leader s’il réussit à faire évoluer les valeurs établies ainsi que les comportements

individuels et collectifs, à créer un climat de confiance dans l’entreprise et à inciter les

équipes à s’engager, puis à converger dans la même direction (Blake et Mouton, 1985, cité

par Barabel et Meier, 2010). Dans notre approche, la prise en compte de tous les individus

formant le groupe est essentielle. Nous entrevoyons ainsi le leadership non seulement au

travers du prisme des actions et des comportements du repreneur, mais également par le biais

des multiples interactions entre les différents membres de l’organisation. Dans un contexte

équivoque, incertain, émotionnellement fort, tel que celui de la période post-reprise, et à

l’instar de Boussaguet (2005), nous considérons que le repreneur est amené à exercer un rôle

majeur dans son acceptation par les autres membres du groupe. C’est par l’intermédiaire de

son action et par son comportement qu’il gagne progressivement son statut de leader.

L’obtention de ce rôle lui permet d’influencer les autres dans la direction souhaitée, de leur

redonner confiance, de les transformer en produisant du sens dans une période intense de

changement (Barabel et Meier, 2010, p. 401).

Page 193: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

192

Conclusion Section 1

Dans cette section, nous avons défini, à partir des principales typologies du

changement, la reprise de la TPE comme un changement organisationnel majeur. Nous

avons relevé plusieurs traits caractéristiques de la TPE conférant à ce changement un

caractère spécifique. Afin de mieux comprendre la manière dont pouvait se gérer un tel

événement, nous avons passé en revue les principales approches de la gestion du

changement. Suite à cette recension, nous avons préféré une approche processuelle du

phénomène pour l’analyser en profondeur et dans toute sa dynamique.

Plus précisément, nous avons opté pour un cadre d’analyse focalisant son attention sur

les multiples interactions entre acteurs organisationnels. Appartenant au courant

interactionniste, l’approche par le sensemaking (Weick) nous est apparue comme

particulièrement pertinente pour examiner le processus d’entrée dans l’entreprise d’un

nouveau dirigeant. Cette théorie fournit une grille de lecture originale permettant de décrire,

puis de comprendre, les actions et les comportements des différents acteurs au sein d’une

organisation de petite taille, au cœur même d’un processus de changement. Nous avons pu

assimiler l’arrivée dans l’entreprise du repreneur à un changement écologique, source

d’équivocité et, en même temps, à une occasion particulière de construire collectivement du

sens.

L’examen approfondi de cette approche faisait néanmoins ressortir quelques limites

qu’il nous semblait nécessaire de dépasser. Nous avons, à cet effet, sollicité l’approche

contextualiste (Pettigrew) en tant que source d’analyse complémentaire. Cette dernière nous

exhorte à prendre davantage en considération, lors du travail d’analyse, le contexte interne

de l’organisation, notamment les processus d’influence et les jeux de pouvoir entre acteurs,

ainsi que la dimension historique de l’entreprise. Nous avons également pu relever

l’importance des émotions dans l’évolution d’une situation de changement. L’examen des

théories du leadership nous a enfin permis d’établir une définition du leadership pour notre

recherche et de mieux comprendre quel pouvait être le rôle des acteurs et, plus

particulièrement, celui du repreneur, en contexte de changement organisationnel majeur.

Page 194: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

193

Section 2 - (Re)construire collectivement du sens pour réussir le changement

La section précédente nous a permis d’appréhender l’arrivée d’un repreneur dans une

TPE comme un changement majeur pour l’organisation. Nous avons relevé qu’il s’agissait

d’un événement équivoque, de toute première importance, venant perturber un environnement

enacté dans l’esprit des individus. Il provoque de nombreuses réactions de la part des acteurs

présents dans l’organisation. Cet événement est de nature à déstabiliser l’organisation

(Deschamps et Geindre, 2011), son identité et à fragiliser son système d’actions. La question

qui se pose pour tout repreneur concerne la manière de gérer pour le mieux cette situation.

Pour Demers (1993), conduire le changement et, surtout, le réussir, passe inéluctablement par

un processus d’interprétation, c’est-à-dire un processus interactif de création de sens.

Dans la perspective weickienne, la construction d’un sens collectif au sein d’une

organisation trouve ses origines dans une problématique ayant trait à la construction d’un

système d’actions organisées. Comme nous le rappelle Allard-Poesi (2003, p. 93), ce cadre

théorique cherche à répondre à la question : « comment les individus parviennent-ils à

coordonner leurs actions de sorte qu’un système d’actions organisées se développe et se

maintienne ? ». La construction collective de sens est présentée comme la réponse à cette

question. Celle-ci est décrite comme un processus prenant place dans l’interaction, ayant pour

but de réduire collectivement l’équivocité perçue d’une situation, et par là de clarifier les

actions de chacun pour constituer un système d’actions organisées (Allard-Poesi, 2003).

Surmonter les difficultés liées au changement de dirigeant requiert de construire

collectivement du sens afin que chacun trouve sa place dans l’organisation.

Pour Weick (1979), l’élaboration collective de sens résulte des multiples interactions

entre acteurs qu’ils soient deux ou plusieurs. L’organisation ou, plus exactement, le processus

organisant, est entendu comme une somme de comportements interreliés. L’engagement de

chacun dans l’action constitue la base du processus organisant et favorise la résilience de

l’organisation lorsque survient un changement important. Adopter une lecture

« sensemaking », c’est considérer les différents membres de l’organisation comme acteurs du

changement, et non plus comme des individus passifs. Cette perspective rejoint celle de

Crozier et Friedberg (1977) qui soulignent que tout changement, en tant qu’édification de

Page 195: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

194

nouveaux rapports humains et de nouvelles formes de contrôle social, ne peut être qu’un

processus collectif et qu’à ce titre, tous les individus présents dans l’organisation y

participent.

Pour notre recherche, nous retenons que, face à un événement aussi déstabilisant que le

changement de dirigeant au sein d’une TPE, c’est dans les multiples interactions entre

salariés, et entre salariés et repreneur, que se lève l’équivocité, se constitue la nouvelle

organisation et se renouvelle le système d’actions organisées. Le repreneur étant nouveau

dans l’organisation, nous utilisons le terme de reconstruction collective de sens. En nous

appuyant sur la définition de l’élaboration collective de sens proposée par Weick (1995), nous

définissons la reconstruction collective de sens post-reprise comme un processus qui

s’inscrit dans l’interaction entre les membres anciens et le nouveau dirigeant de

l’organisation et qui vise à réduire l’équivocité perçue de la situation, de manière à

rétablir une action coordonnée et ainsi reconstituer un système d’actions organisées.

Dans les paragraphes suivants, nous relèverons en quoi, durant la période post-reprise,

la participation de tous dans un processus de reconstruction collective de sens permet

l’émergence d’un nouveau système d’actions organisées. Ensuite, nous examinerons le rôle

spécifique incombant au repreneur durant cette étape. Pour finir, nous exposerons nos

questions et les objectifs de notre recherche.

2.1.) L’émergence d’un nouveau système d’actions organisées

Nous avons situé le changement de dirigeant dans une TPE dans la catégorie des

changements organisationnels majeurs (Tushman et Romanelli, 1985 ; Mintzberg et al.,

1999 ; Rondeau et Bareil, 2009). A ce titre, il touche aux fondements de la structure, remet en

question l’organisation du travail, les rôles, les responsabilités et les jeux de pouvoir. Le

repreneur doit tout faire pour déployer une organisation dans laquelle il prend pleinement sa

place. Le processus de reconstruction collective de sens fait émerger un nouveau système

d’actions organisées dans lequel tous les acteurs, y compris lui-même, situent leurs actions

dans un nouvel espace d’actions cohérentes avec leurs propres buts (Karsenty et Quillaud,

2011).

Page 196: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

195

2.1.1.) Un environnement perturbé

L’entrée dans l’entreprise du repreneur entraîne inévitablement des modifications dans

l’identité de la firme (Deschamps, 2000 ; Picard, 2009), dans son organisation et dans les

relations entre acteurs (Giroux, 1993). Pour Tushman et Romanelli (1985), l’arrivée d’un

nouveau dirigeant provoque une transformation organisationnelle que seul le dirigeant (ou

l’équipe de direction) de l’entreprise est à même de gérer. Dans un tel contexte, le système

d’actions organisées se trouve modifié et peut même être fortement endommagé par le

changement. Pour Weick (1993), le changement (écologique) est un événement remettant en

cause la répartition des tâches, des responsabilités et de l’autorité au sein de l’organisation.

Cet événement amène les individus à reconstruire mentalement un système de rôles adapté à

la situation (Autissier, Vandangeon-Derumez et Vas, 2010). L’auteur présente le

fonctionnement des organisations comme un processus sans cesse renouvelé de construction

de sens, réalisé par des individus impliqués dans des interactions sociales. Le changement est

une donnée permanente : il se construit via l’interaction et place les individus devant une

contrainte d’adaptation.

Face à une interruption du flux d’actions routinier et pour lever l’équivocité provoquée

par l’arrivée du repreneur, la reconstruction collective de sens constitue la solution. Via un

processus de double interact, les différents membres de l’organisation (salariés et repreneur)

partagent leurs représentations du réel afin de se mettre d’accord sur les actions à entreprendre

et les comportements à adopter (Allard-Poesi, 2003). Un tel processus implique tous les

acteurs. Louis (1980) insiste sur la dimension sociale du phénomène : « lorsqu’une personne

est confrontée à quelque chose qui suscite une réflexion, la personne connaît toujours

d’autres personnes avec qui comparer perceptions et interprétations ». Starbuck et Milliken

(1988, cité par Ben Fredj Ben Alaya, 2007, p. 102) soulignent, eux aussi, l’importance des

représentations collectives dans la gestion du changement : « la création de sens implique de

rendre visibles les perceptions des informations et des situations nouvelles concernant

l’environnement et de les intégrer dans des représentations collectives en vue de mieux

comprendre et de mieux prévoir les changements de l’environnement ». Ce n’est qu’une fois

ces actions individuelles et collectives amorcées, et même si n’est pas partagée une vision

commune entre les acteurs, que l’engagement dans l’organisation devient possible.

Page 197: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

196

2.1.2.) Des salariés impliqués

Les interactions entre salariés et repreneur débutent au moment de la première prise de

contact et s’intensifient au fur et à mesure de l’entrée en fonction du nouveau dirigeant. A ce

stade du processus repreneurial, les salariés sont de puissants vecteurs pour faciliter la

compréhension du fonctionnement de l’entreprise par le repreneur. Certains d’entre eux, grâce

à une connaissance poussée de l’organisation et de son environnement, sont de véritables

guides informationnels (Louis, 1980). Ils concourent pleinement à la socialisation du dirigeant

(Boussaguet, 2005). S’ils éclaircissent le chemin du repreneur, ils ont également besoin d’être

rassurés, d’obtenir des réponses aux nombreuses questions qu’ils se posent. Confrontés à une

modification forte de leur environnement, ils ne restent pas inactifs. Ils sélectionnent des

indices, les interprètent individuellement, puis comparent ces interprétations au collectif. Ils

entrent à ce moment-là dans un processus d’enactement (Weick, 1995). Les interactions qui

suivent permettent aux salariés de donner un sens à la situation vécue. Ce qui importe, à ce

stade, n’est pas la construction de significations communes, parfaitement partagées par tous,

mais d’articuler les sens construits individuellement pour réussir à coordonner les actions

(Laroche et Steyer, 2012). Il s’agit de s’accorder temporairement sur des interprétations

équivalentes de la situation en reconstruisant collectivement du sens. Weick (1995) rappelle

que la construction collective de sens s’appuie sur deux mécanismes à la fois différents et

complémentaires : la construction intersubjective et la construction générique. La première

renvoie à la mise en commun de pensées, d’intentions et de sentiments individuels à travers

une activité de communication entre deux personnes ou plus. La seconde fait référence aux

répertoires d’actions et de règles développées par l’expérience, transférables d’un individu à

l’autre, qui sont intégrées dans les routines et schémas d’actions en vigueur dans

l’organisation (Allard-Poesi, 2003)228. Cette analyse montre l’importance des échanges, du

partage et, corollairement, que le repreneur ne peut, à lui seul, construire du sens. Ce n’est

qu’à travers une activité de communication incessante avec les salariés que les interprétations

intersubjectives et les compréhensions partagées se développent et se maintiennent. La

coordination des comportements repose à son tour sur le développement ininterrompu de

compréhensions équivalentes autour de questions d’intérêts communs. L’action individuelle

228

Construire collectivement du sens s’appréhende alors comme « une tension dynamique et continue mettant

à la fois en œuvre des processus d’émergence, d’innovation et de renouvellement des significations et

interprétations dans des dynamiques intersubjectives, des mécanismes de transfert et de maintien de

significations plus stables et partagées, mécanismes relevant de processus de construction générique) » (Allard-Poesi, 2003, p. 103).

Page 198: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

197

et collective des salariés conjuguée à celle du repreneur, fait naître un nouveau système

d’actions organisées.

Nous retenons pour notre recherche que les salariés participent pleinement au processus

de reconstruction collective de sens post-reprise. Un nouveau système d’actions organisées ne

peut émerger sans leur participation. Leur rôle est fondamental. D’une part, grâce aux

échanges qu’ils concèdent, le repreneur bénéficie d’une meilleure représentation de ce qu’est

l’entreprise. La prise de décision et l’action de ce dernier s’en trouvent facilitées et bonifiées.

D’autre part, les processus de fabrication de sens engagés par les salariés, leur articulation à

travers des cycles d’interaction double (double interact) participent pleinement à la

coordination des actions au moment de l’entrée en fonction du dirigeant. Via les multiples

actions des salariés combinés à celles du repreneur, le processus organisant prend forme et

l’organisation se reconstruit.

2.1.3.) Un repreneur actif

La construction collective de sens permet aux acteurs organisationnels d’établir des

priorités et préférences quant aux actions à entreprendre (Weick, 1995). Une fois un accord

(temporaire) obtenu sur les moyens à mettre en œuvre, les individus s’engagent fermement

dans l’action et la préservation de la vie du groupe. Ce processus dynamique et permanent

surmonte les difficultés liées au changement et contribue à rendre l’organisation résiliente.

L’émergence d’une action coordonnée, donnant naissance à un système d’actions organisées,

dépend en grande partie de l’action du repreneur. En tant que nouveau dirigeant, nous

estimons que c’est à lui qu’il revient d’initier, puis de maintenir le processus. Son statut et la

concentration des pouvoirs entre ses mains, lui procurent une position centrale dans la gestion

et l’acceptation du changement. Durant la période post-reprise, pour tenter de réduire

l’équivocité de la situation, il est primordial qu’il interagisse avec les salariés. La

confrontation des subjectivités permet de relever des incompréhensions, de créer, par le

dialogue, une interruption du flux de l’activité pour reconsidérer l’action. Barabel et Meier

(2010, pp. 401-402) soulignent à leur tour le rôle actif du dirigeant dans un contexte de

changement. En tant qu’« architecte social » et « producteur de sens » du changement, il doit

être un véritable leader capable d’inspirer la transformation à un groupe, de redonner

confiance, de compenser les perturbations internes et externes et d’insérer les actions de

chacun dans « une démarche concertée et harmonieuse au service de l’organisation ». En

outre, il doit véhiculer auprès de toutes les parties prenantes de l’organisation des actions

Page 199: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

198

symboliques, afin de légitimer la nécessité et la signification qu’il entend donner au

changement. Etant donné son importance dans le processus de changement, nous examinerons

son rôle, plus en détail, dans le point suivant.

2.2.) Le repreneur-leader de la TPE en tant qu’agent principal du changement

L’entrée dans l’entreprise du repreneur de la TPE l’installe dans une situation

inconfortable et cruciale pour son avenir et celui de l’organisation. La tâche s’avère ardue.

Non seulement, il se substitue à un individu occupant une position centrale dans l’entreprise

mais, plus encore, il doit convaincre un personnel qu’il n’a pas recruté de le suivre dans son

projet. Tout l’enjeu consiste à acquérir une légitimité en tant que patron, c’est-à-dire un droit

de diriger l’organisation. Cette prérogative n’est conférée par les salariés que s’ils estiment

que le dirigeant satisfera, dans l’avenir, leurs attentes (Bayad et Barbot, 2002). Si le

changement est difficile pour le repreneur, il l’est tout autant pour les salariés. Il génère des

doutes, des incompréhensions et des interprétations divergentes. Le changement fait peur, car

il est fréquemment synonyme de remise en cause personnelle. Il constitue une menace quant

au devenir de l’individu au sein de l’organisation et une remise en cause de ce que celle-ci

peut lui apporter (Perret, 1996). La prise de conscience individuelle d’une réalité devenue trop

complexe « peut générer des représentations ambivalentes et dilemmatiques qui rendent

difficiles la prise de décision et l’engagement dans l’action » (Perret, 1996, p. 18).

L’équivocité, corollaire du changement, peut dans ces conditions devenir paralysante pour

l’organisation. C’est là que le rôle du nouveau dirigeant prend, selon nous, toute sa mesure.

La confusion induite par l’événement réclame un travail cognitif d’attribution de

significations qui n’est initié, puis dirigé, que par le repreneur de l’entreprise lui-même. En

tant que nouveau leader, c’est à lui qu’il revient de donner du sens au changement, de

s’impliquer dans la formation d’un processus dynamique d’interactions interindividuelles,

support d’un cadre interprétatif équifinal. Au départ, lui seul connaît les projets qu’il formule

pour l’organisation. Les salariés, bien conscients de cet état de fait, font face à une asymétrie

informationnelle qui leur est défavorable. Ils attendent donc des actions de sa part pour tenter

d’y voir plus clair et s’inscrire à nouveau dans l’action. Les interventions initiées par le

repreneur sont indispensables dans la mesure où elles structurent l’inconnu. Le leadership du

repreneur, sa capacité d’influence, son aptitude à orienter les perceptions constituent la clé de

de l’engagement des salariés dans un nouveau système d’actions organisées et,

corollairement, de la résilience organisationnelle.

Page 200: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

199

2.2.1.) Du statut de manager au statut de leader

2.2.1.1.) Manager le changement post-reprise : une action suffisante ?

A l’instar de Zaleznik (1977) et de Petit (2013), de nombreux auteurs décrivent le

manager comme un individu relativement passif dont la principale préoccupation consiste à

maintenir les standards et à assurer la continuité de l’organisation. Il planifie, organise et tente

de résoudre les différents problèmes en fonction de règles du jeu déjà établies. Mais qu’en est-

il lorsque ces mêmes règles sont modifiées, que les cartes sont rebattues, que les rapports

humains entre acteurs sont redéfinis par le changement (Crozier et Friedberg, 1977) ? Au sein

d’une entreprise de petite taille où les relations interindividuelles sont fortes et où le

changement de dirigeant constitue une expérience inhabituelle et douloureuse, le repreneur

peut-il se contenter du rôle de manager ? La littérature managériale apporte quelques éléments

de réponse. Elle enseigne que le dépassement d’une situation difficile ou la réussite d’un

changement organisationnel nécessite, le plus souvent, des « qualités supplémentaires » de la

part de celui qui en a la charge. Pour Robbins, Decenzo, Coulter et Rüling (2011, p. 347), « Il

est devenu essentiel, pour tout manager, d’être vu comme un leader. Pourquoi cette

dimension est-elle si importante ? Sans doute parce que au sein d’une organisation, et dans

des contextes parfois critiques ou dramatiques, les leaders demeurent ceux qui provoquent les

choses et fédèrent les énergies autour d’eux, créant et entretenant au quotidien confiance et

mobilisation ». Pour Vandangeon-Derumez et Autissier (2006, p. 170), le management ne

peut plus seulement se circonscrire à la contractualisation et au contrôle, « il doit également

animer avec une logique de création de sens sans cesse à renouveler, au risque de ne pas

pouvoir répondre à une situation nouvelle détruisant l’identité et l’intégrité de

l’organisation ». Dans un contexte de reprise, le manager doit parvenir à faire accepter à ses

différents collaborateurs une transformation de l’organisation. Ceci n’est pas chose aisée. Les

spécificités de la TPE sont à même de lui compliquer la tâche. Le départ de l’ancien dirigeant

est perçu par les salariés comme un événement fortement perturbant, et le changement généré

par l’entrée en action du repreneur apparaît comme plus impactant. Les réactions des salariés

s’en trouvent amplifiées. La petite taille de l’entreprise agit comme un effet complexifiant (De

Freyman, 2009, p. 55) qu’il faut gérer, puis dépasser. Nous en déduisons qu’un changement

organisationnel aussi impactant nécessite plus qu’une simple action de gérer et de contrôler le

changement. Dans un contexte aussi troublé, où les préoccupations individuelles sont à leur

comble et la motivation et l’engagement à leur point le plus bas, il devient essentiel de

Page 201: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

200

redonner confiance, puis de remobiliser les énergies autour d’une vision. Il s’agit là

d’aptitudes que l’on attribue généralement au leader (Zaleznik, 1977 ; Kotter, 2003 ; Petit,

2013).

2.2.1.2.) Le repreneur-leader : un donneur de sens au changement

« Le leader est celui qui sait raconter la « bonne » histoire, celle qui donne un sens

approprié à la situation du moins pour ceux et celles qui l’écoutent » (Mongeau et Saint-

Charles, 2004). La littérature attribue au leader et, plus particulièrement, au leader

transformationnel, des capacités supplémentaires par rapport au manager (Bass, 1985). Il

dispose surtout de la faculté à motiver les salariés à travailler dans le sens d’objectifs

communs et à s’engager individuellement et collectivement dans l’action, même si

l’environnement est instable. Cette capacité d’influence semble très utile dans une situation

comme celle de la RPP d’une TPE où le changement bouleverse la position de chacun et le

fonctionnement habituel de l’organisation. Le leader transformationnel permet de faire

évoluer les valeurs établies ainsi que les comportements individuels et collectifs. Plus qu’un

simple gestionnaire d’organisation, il crée un climat de confiance propice à la communication,

suscite la participation et l’engagement de tous et donne un sens au changement. En reprenant

les caractéristiques du leader que nous avons listées précédemment, nous pouvons maintenant

avancer que le repreneur-leader dispose de plusieurs aptitudes : il s’agit d’un individu

charismatique à l’écoute des salariés et des autres parties prenantes qui influence positivement

ses collaborateurs et les aide à dépasser leurs objectifs. Durant la période post-reprise, il

communique clairement et régulièrement avec le groupe, il favorise l’interaction et la

participation de tous et, pour finir, donne un sens au changement que les individus sont en

train de vivre.

Ø Communiquer pour créer du sens et l’organisation

« Le sens est engendré par les mots (…). Les conversations (…) sont les briques de

l’ordre et du désordre, empreintes de l’action organisée. Les organisations sont construites,

maintenues et activées par le médium de la communication » (Weick, 1995, p. 106, traduit par

Giordano, 2006, p. 163). « Ce n’est qu’en vertu d’une communication continue que les

échanges et interprétations relevant de l’intersubjectivité, et les compréhensions partagées

relevant d’une subjectivité générique, se développent et se maintiennent229. » (Weick, 1995, p.

229

« Only by virtue of continuous communication are the exchanges and interpretations of intersubjectivity, and

the shared understandings of generic subjectivity, developed and maintained ». (Traduit par nous même).

Page 202: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

201

75). Comme le montrent ces deux extraits, la communication constitue, dans l’esprit de

Weick, un élément fondamental du processus organisant. Le langage représente une ressource

cruciale dans le processus de sensemaking. Qu’il soit individuel ou collectif, il en est la

substance même (Vidaillet, 2003). Nous considérons que favoriser la pratique

communicationnelle s’avère encore plus fondamental dans un contexte où l’arrivée d’un

nouveau dirigeant fragilise un système d’actions organisées tout entier. Dès le commencement

de la période post-reprise, les salariés et le repreneur vont entrer en communication et

multiplier les interactions pour tenter de réduire l’équivocité de la situation. A ce moment

précis, le repreneur joue un rôle clé. Les doutes, les inquiétudes provoquées par son entrée en

fonction nécessitent de rétablir un certain niveau de confiance et d’apporter des éléments de

réponses aux nombreuses questions qui sont posées230. La communication en face à face

constitue une ressource essentielle pour lever la confusion et l’équivocité engendrée par la

situation (Weick, 1995, p. 107). Cette confrontation entre salariés et repreneur est

fondamentale dans la réussite du processus de reprise puisqu’elle permet de relever et

solutionner les doutes et les incompréhensions. Faciliter la communication entre tous les

membres de l’organisation constitue une priorité pour tout repreneur. Ce dernier doit

néanmoins éviter plusieurs écueils susceptibles d’amoindrir la qualité de la communication

interpersonnelle et, finalement la construction collective de sens. Laroche et Steyer (2012) en

ont dénombré six.

(1) Les conditions matérielles : elles relèvent de conditions techniques ou encore

d’incompréhensions dans le langage (support de communication, utilisation d’un langage

différent, etc).

(2) La hiérarchie et les statuts symboliques : si la structure de rôles de l’organisation

permet de coordonner l’action en cas de changement écologique, elle peut avoir des

conséquences néfastes en termes de communication. Des liens hiérarchiques trop forts ainsi

qu’une centralisation de l’autorité peut restreindre la communication. Les individus

déresponsabilisés sont moins autonomes et, de ce fait, moins impliqués dans l’action. Cette

situation appauvrit nettement le processus de sensemaking.

230

Nous relevons que, dans la perspective weickienne, il n’est pas question pour les managers de chercher à clarifier les objectifs des décisions qui sont prises, mais, au contraire, de maintenir une certaine ambiguïté concernant les missions et objectifs poursuivis. Cette pratique évite les conflits, permet la coexistence d’interprétations divergentes et la réalisation du travail collectif (Allard-Poesi, 2003).

Page 203: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

202

(3) L’absence de variété : une culture, des identités sociales, des origines, des

personnalités insuffisamment variées diminuent la qualité de la communication

interpersonnelle, la capacité de perception des événements et le répertoire des actions au sein

de l’équipe.

(4) Les dangers d’une étiquette trop vite apposée : elle renvoie à un phénomène de

normalisation des perceptions et des discours.

(5) La cohérence attentionnelle : il s’agit de coordonner l’attention des membres de

l’organisation sur un événement de manière à les impliquer dans la recherche, le partage et

l’interprétation d’indices. S’il n’y a pas de cohérence attentionnelle, la communication ne se

développera pas.

(6) Les effets d’engagement comportemental : une fois engagée dans l’action, l’individu a

tendance, plus ou moins consciemment, à adapter son discours pour justifier son action. Des

indices favorables à la construction collective de sens peuvent ne pas être communiqués. En

outre, pour conserver un niveau de communication interpersonnelle satisfaisant, Weick (2009)

suggère au leader aux prises avec une situation qu’il ne maîtrise pas, d’exprimer clairement

ses doutes. Cette pratique encourage l’expression individuelle, le débat et, in fine, la

construction collective de sens. Le repreneur, empêtré dans une situation complexe, peut

reconnaître publiquement qu’il ne maîtrise pas encore la situation, laissant émerger un climat

favorable au partage d’idées et à l’interaction.

S’il existe des obstacles à la communication, il est néanmoins possible de l’encourager. Se

basant principalement sur les écrits de Weick, Giordano (2006, p. 165) dresse une liste de

points favorisant une communication harmonieuse231. Il s’agit : de prendre les conversations

au sérieux (Weick et Browning, 1986), de favoriser les échanges conversationnels, la

conversation respectueuse (Weick, 1995) et le contact en face à face pour faciliter la

construction de la confiance (Weick, 1987), de savoir écouter les autres (Weick, 1995), de

mettre en place des réunions (Weick, 1995), et de favoriser l’interaction respectueuse

(Vidaillet, 2003). Toutes ces dispositions favorisent le processus organisant et la résilience de

l’organisation. Elles doivent, bien entendu, faire l’objet d’une attention toute particulière de la

part du repreneur.

231

Ces recommandations s’adressent au dirigeant de l’organisation ainsi qu’à tous ses membres.

Page 204: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

203

Ø Donner aux salariés la possibilité d’interagir et d’être acteurs du changement

« Qu’il prédise le redressement ou la conquête, l’essentiel est que le leader produise ce

mélange d’optimisme et d’action qui va permettre aux membres de sortir de la confusion et

d’imaginer de nouvelles voies » (Koenig, 2003, p. 27). Le repreneur doit permettre aux

salariés d’interagir et d’être acteurs du changement. Pour Boussaguet (2010, p. 100), il est

nécessaire de « leur donner la possibilité de s’approprier du projet de reprise et d’étudier les

opportunités pour devenir acteur dans ce dernier ». Cela passe par un apport d’informations

claires sur ce qui les concerne directement et par des explications sur les stratégies

d’évolutions futures portées par le nouveau dirigeant. Pour Colson (2005), un projet de

changement correctement mené ne doit pas laisser de place à l’ambiguïté. Il doit se baser

avant tout sur une vision claire, c’est-à-dire des objectifs bien définis, partagés par toutes les

parties prenantes, et donner une place au dialogue social. Selon Gioia et Chittipeddi (1991),

tous les membres de l’organisation doivent pouvoir se représenter le changement, le

comprendre de façon à ce que ce dernier fasse sens. Pour ces auteurs, le processus de

sensemaking précède toujours un processus de sensegiving232. C’est par ce double processus,

complètement imbriqué, que le dirigeant influence les actions des différentes parties

prenantes, notamment des salariés, et obtient leur action et leur engagement dans le

changement. Via une communication et des interactions permanentes, une vision du

changement préalablement initiée par le dirigeant va se développer, être révisée, puis

progressivement partagée par les autres membres de l’organisation. Ce processus favorise

l’appropriation du changement et un large engagement dans l’action de la part des parties

prenantes (Autissier, Vandangeon-Derumez et Vas, 2010). Dans cette perspective, il

appartient au dirigeant, ici le repreneur, d’animer le changement en inventant une nouvelle

vision et de donner la possibilité aux membres de l’organisation d’être acteurs du changement

pour réussir son entrée en fonction. Nous notons, cependant, que les caractéristiques de la

TPE constituent un obstacle obstruant le processus d’interaction et l’engagement des acteurs

durant la phase de management de la reprise. Un repreneur trop présent, disposant de tout

pouvoir, est un frein à la construction collective de sens. En intervenant sans cesse, en

centralisant trop fortement les décisions et en restreignant l’autonomie des salariés, il risque

de limiter l’interprétation et l’interaction, éléments essentiels au processus de sensemaking.

Pour Garreau (2006, p. 12), ce risque est élevé dans les entreprises de petites tailles, le 232

Le sensegiving est défini comme un « processus qui vise à influencer la construction de sens et le sens

construit par les autres vers une redéfinition préférée de la réalité organisationnelle » (Gioia et Chittipeddi, 1991, p. 442, cités par Autissier, Vandangeon-Derumez et Vas, 2010, p. 92).

Page 205: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

204

dirigeant étant tenté de faire face lui-même à toutes les situations. Empiétant sur les zones

d’influence des acteurs (Crozier et Friedberg, 1977), il déresponsabilise les individus, les

prive de la possibilité d’être acteurs du changement et de se contraindre à créer du sens. Le

repreneur doit, en tout état de cause, veiller à ne pas tomber dans le « sur-management », au

risque « de contrarier les mécanismes de régulation déjà en place au sein de l’organisation »

(Koenig, 2003, p. 24). A défaut, il sera à la fois un vecteur de création et de perte de sens.

Nous retenons donc que tout dirigeant d’entreprise, même petite, ne peut à lui tout seul faire

le changement. Il a besoin de la coopération des autres membres de l’organisation qui, certes,

ne possèdent pas autant de ressources que lui, mais bénéficient d’une marge de manœuvre,

d’une capacité à agir, à construire du sens et à communiquer (Giroux, 1993). Les salariés, de

par leur position d’acteurs du quotidien, doivent être considérés par le repreneur comme de

véritables agents du changement et non plus comme de simples destinataires de ce

changement (Soparnot, 2009).

Ø Donner du sens au changement

« Si l’équipe en place comprend le sens de l’ « évolution », elle se mobilisera pour

réussir ; dans le cas contraire, elle risque de s’exclure du changement » (Boussaguet, 2010,

p. 100). Crozier et Friedberg (1977, p. 334) rappellent que tous les membres d’une

organisation ne sont pas attachés de manière passive et bornée à leurs routines, ils sont tout à

fait prêts à changer s’ils sont capables de trouver un intérêt dans les jeux qu’on leur propose.

Les salariés doivent savoir où on les mène et quel peut être leur intérêt à changer. Le

repreneur doit en tenir compte. Pour réussir la période de management de la reprise, il lui faut

proposer une nouvelle vision aux salariés afin d’obtenir leur participation et engagement dans

un nouvel environnement. Le repreneur endosse le rôle de donneur de sens du changement.

Pour Weick (1993, p. 14, traduit par Giroux, 2006), le travail d’un créateur de sens, « c’est de

transformer un univers d’expérience en un monde intelligible ». Ceci est d’autant plus

indispensable que la situation se brouille, qu’elle devient équivoque consécutivement à un

changement important. Le repreneur, bénéficiant d’une asymétrie informationnelle, doit être

celui qui explique ce qui se passe. Il doit rendre le changement compréhensible et tout mettre

en œuvre pour faciliter le processus d’élaboration d’une représentation partiellement partagée

de la situation. Pour Rollin (2006, p. 75), cela paraît indispensable, le repreneur ne pouvant

être «le vrai patron qu’à partir du moment où il a expliqué le sens de son projet et de son

action ». La conduite du changement, l’explication des événements ainsi que l’action

Page 206: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

205

d’organiser la création d’un schéma d’interprétations partagées, incombent directement au

repreneur. Nous rejoignons les conclusions de nombreux auteurs (tableau 13) lorsqu’ils

mettent en exergue le rôle déterminant des responsables de l’organisation dans la mise en

place d’interprétations signifiantes au sein d’un environnement difficilement compréhensible.

La gestion d’une entreprise en contexte de changement requiert, avant tout, de clarifier une

situation brouillée dans l’esprit des individus en donnant du sens à un environnement

complexe dans lequel ils évoluent.

Page 207: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

206

Tableau 13 - Le manager : un donneur de sens

FIOL et

HUFF

(1992)

« Les managers doivent donner du sens aux environnements changeants et

mettre à jour le contexte dans lequel les décisions devront être prises, avant

même que le changement ne paraisse évident ».

SHOTTER

(1993)

« Le rôle du manager n’est pas de … mais de créer à partir d’un ensemble

d’événements incohérents et désordonnés une « structure » cohérente à

travers laquelle les actions en cours et les possibilités futures pourraient

avoir du sens ».

THOMAS et

al. (1993)

« Parce que les environnements organisationnels modernes sont complexes

et dynamiques, l’un des rôles clés de la direction aujourd’hui consiste à

donner des interprétations signifiantes à des informations ambiguës ».

HUBER et

DAFT

(1987)

« Lorsque les managers sont confrontés à un événement équivoque (ambigu,

prêtant à confusion), ils utilisent un langage pour partager les perceptions

parmi eux et créent progressivement le sens à travers la discussion, le

tâtonnement, l’essai et l’erreur et le sondage ».

HENRIET

(1993)

« Donner un sens, c’est d’abord donner une direction, un but à atteindre.

C’est aussi donner une signification à l’action quotidienne, faire en sorte que

les individus aient un projet, puissent jeter un pont entre le présent et

l’avenir. Le leader voit et permet de voir plus loin ».

BARABEL

et MEIER

(2010)

« Les dirigeants jouent un rôle central dans la redéfinition identitaire des

entreprises, en permettant de construire la base politique et symbolique

nécessaire aux changements et de redonner la confiance à des collaborateurs

souvent démunis. Ils jouent en effet le rôle de « producteur de sens » du

changement, en véhiculant auprès de tous les acteurs de l’organisation des

actions symboliques, afin de légitimer la nécessité et la signification qu’ils

entendent donner au changement ».

Source : adapté de Ben Fredj Ben Alaya (2007).

Page 208: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

207

Le repreneur, en tant que nouveau dirigeant de l’organisation, joue un rôle clé dans la

définition du sens à donner au changement. Mais comment peut-il faire ? Quelles actions met-

il en œuvre pour réaliser cette mission ? Bartunek, Krim, Necochea et Humphries (1999, pp.

61-62) préconisent aux leaders certaines pratiques. Ils suggèrent de recourir aux

stratégies suivantes : « créer des messages qui apparaissent logiques et raisonnables, utiliser

des sanctions et des récompenses, faire appel aux valeurs et aux normes du récepteur, et

démontrer sa crédibilité 233 ». Leur analyse d’un changement stratégique au sein d’une grande

administration américaine (la ville de Boston) confirme, en effet, l’usage intensif par le(s)

leader(s) de ces différentes activités en tant que mode de persuasion durant tout le processus

de sensegiving.

La prééminence du rôle joué par le repreneur dans l’émergence et le développement du

processus de reconstruction collective de sens post-reprise souligné, nous allons, dans le

paragraphe suivant, étudier les différentes actions qui lui sont possibles en fonction des

variables de la construction de sens telles qu’elles sont décrites par le modèle de Vandangeon-

Derumez et Autissier (2006). La question est de savoir comment le repreneur favorise (ou

non) la reconstruction de sens et, finalement, la résilience de l’organisation, en agissant sur les

trois variables du modèle (culture, stratégie et structure).

2.2.2.) Une action sur les variables de la construction de sens

Vandangeon-Derumez et Autissier (2006) ont composé un modèle du processus de

sensemaking234 en situation de changement. Pour arriver à ce résultat, ils ont commencé par

définir, à partir des écrits de Weick, ce qu’ils ont appelé « le processus d’engagement dans

l’action ». En se basant sur une littérature managériale plus large, ils ont ensuite mis au jour

trois variables constitutives de sens au sein des organisations : la culture, la stratégie et la

structure. Ils ont relié ces trois « ressources » au processus d’engagement dans l’action pour

finaliser leur modèle. A partir de cette modélisation, nous cherchons maintenant à comprendre

comment le repreneur agit, durant la période de management de la reprise, en s’appuyant sur

ces différentes variables pour (re)construire du sens et engager les individus dans l’action. Ses

interventions portent sur la culture, la stratégie et la structure.

233

« Making messages appear logical and reasonable, use of sanctions and rewards, appeals to the values and the norms of the receiver, demonstrate the credibility of the sender”. Traduit par nous même. 234

Pour une description détaillée du modèle, nous renvoyons le lecteur au point précédent.

Page 209: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

208

2.2.2.1.) Une action sur l’évolution de la culture

Schein (1992) définit la culture comme « un modèle d’assomptions de base, qu’un

groupe donné a découvert, inventé et développé, en apprenant à faire face aux problèmes

d’adaptation externe et d’intégration interne, qui ont été suffisamment éprouvés pour être

considérés comme valides et donc être enseignés aux membres comme étant la manière la

plus juste de percevoir, de penser en relation à ses problèmes ». Il s’agit d’un ensemble

d’évidences, de préférences collectives, de croyances, de valeurs, de rites et de normes

partagées entre les différents membres de l’organisation. La culture d’entreprise remplit

plusieurs objectifs. Elle assure une certaine cohérence au niveau du groupe, via le partage de

valeurs. Elle améliore également l’adaptation de ce dernier aux variations de l’environnement.

La culture favorise la constitution d’un groupe plus soudé disposant d’une vision relativement

commune de l’avenir. Elle occupe une place importante dans le fonctionnement d’une

organisation puisqu’elle « donne envie aux individus de s’investir dans l’action »

(Vandangeon-Derumez et Autissier, 2006, p. 177) et constitue un point de repère mobilisable

face à une situation ambiguë. Elle crée des repères « idéologiques, philosophiques ou de

valorisation sociale » (Vandangeon-Derumez et Autissier, 2006, p. 175) et alimente le

processus de sensemaking, en rassemblant l’expérience collective cumulée, et en permettant

de comprendre comment les stratégies des organisations se développent. La culture génère

ainsi un mouvement d’organizing par lequel les individus se construisent le cadre de leur

activité en y participant. Nous pensons que l’arrivée dans l’entreprise du repreneur est une

situation susceptible de modifier et enrichir la culture d’entreprise et, par la même,

d’interférer sur la construction de sens. La position centrale qu’il occupe désormais au sein de

la TPE accroît son influence. Le repreneur apporte avec lui des éléments nouveaux comme

une identité, des valeurs, une expérience. Sa manière d’être, la façon dont il travaille (seul ou

en équipe), la mission qu’il se donne et qu’il donne à l’entreprise, les actions qu’il mène pour

installer et entretenir le dialogue social, ont des répercussions immédiates sur la culture de

l’organisation. Nous rejoignons les conclusions de Deschamps (2000, p. 366) pour qui, le

simple fait de manager, dès l’entrée en fonction du repreneur, conduit inévitablement à des

modifications de la culture organisationnelle, avec des répercussions sur l’ensemble des

acteurs.

Page 210: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

209

2.2.2.2.) La formulation d’une stratégie

Selon Chandler (1962), « la stratégie consiste en la détermination des buts et des

objectifs à long terme d’une entreprise, l’adoption des moyens d’action et d’allocation des

ressources nécessaires pour atteindre ces objectifs ». Barabel et Meier (2010) la définissent,

quant à eux, comme «l’ensemble des décisions et actions qui orientent de façon déterminante

et sur le long terme, la mission, les métiers et activités de l’entreprise, ainsi que son mode

d’organisation et de fonctionnement ». Nous retenons de ces deux définitions que la stratégie

correspond à un choix, à une orientation sur le long terme. Elle détermine les moyens

d’action, les ressources allouées ainsi que le mode d’organisation de l’entreprise en vue

d’atteindre les objectifs fixés. La formulation d’une stratégie structure l’environnement des

individus et clarifie leurs intentions et actions. Pour Green (1988, cité par Desreumaux, 1993),

élaborer une stratégie, « c’est engendrer des significations sur la nature, l’objet, la direction

de l’entreprise qui permettent aux acteurs de rendre leur monde organisationnel intelligible

et d’expliquer aux autres que ce qu’ils font a un sens ». Ceci s’avère encore plus utile en

période de changement où l’équivocité est à son paroxysme. Dumoulin, Guieu, Meschi et

Tannery (2010, p. 35) relèvent que la construction de sens, démarche nécessaire à une

meilleure coordination des actions, passe notamment par la formulation d’une vision

stratégique au sujet des évolutions futures. Il s’agit d’intervenir sur le processus

d’interprétation de la réalité en « permettant aux acteurs de donner forme à une vision de la

dynamique actuelle et future ». On recourt à des « énoncés (dits stratégiques) » ou à « des

mises en images » qui précisent « les sensations et les orientations générales portées par la

stratégie ». Ces signaux et indications confortent les individus dans leurs interprétations et les

projets stratégiques qu’ils peuvent ou doivent mettre en place (Dumoulin, Guieu, Meschi et

Tannery, 2010, p. 35). Pour Filion et Lima (2011), dans une TPE, il appartient au dirigeant de

communiquer continuellement et de partager ses valeurs, ce qu’il est, ce qu’il fait, ce qu’il

veut faire, sa vision avec l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise et en particulier ses

salariés. Ces auteurs définissent la vision comme « une projection ou une image d’un état

futur désiré entretenu par un dirigeant à propos de la place qu’il veut voir occupée par ses

produits/ services sur le marché et de la configuration souhaitée pour son organisation afin

d’y parvenir ». Le dirigeant doit partager cette vision avec les salariés afin de faciliter la

coordination, la gestion et la prise de décision dans l’organisation. Ceci ne peut se faire que

par une « conversation stratégique » entre au moins deux personnes. L’interaction continue

est perçue comme un moyen d’amélioration de la vision, de sa faisabilité et de sa mise en

Page 211: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

210

œuvre. Un tel processus permet à chacun de situer son rôle dans un processus cohérent et de

« comprendre la logique de progression de l’ensemble » (Filion et Lima, 2011, p. 9).

Pour de nombreux auteurs, il n’y a aucun doute sur la prépondérance du rôle joué par le

dirigeant de TPE dans la formulation d’une stratégie pour l’entreprise. Mais qu’en est-il

lorsque ce dernier est nouveau venu dans l’affaire ? Grazzini, Boissin et Malsch (2009)

s’intéressent précisément à ce cas de figure. Pour eux, le repreneur externe, en tant que

nouveau dirigeant, occupe un « rôle clé » dans le processus de formation de la stratégie.

Néanmoins, ils relèvent que deux interférences risquent de se produire dans le déroulement du

processus. Premièrement, il faut que le repreneur acquière les valeurs, les connaissances et

une légitimité nécessaires à l’action. Il doit franchir une à une les étapes du processus de

socialisation repreneuriale (Boussaguet, 2005). Deuxièmement, le repreneur peut éprouver, en

raison de son arrivée récente dans l’entreprise, des difficultés à se constituer une vision

stratégique adéquate. Ainsi, « n’ayant pas encore en mains toutes les clés d’analyse et de

compréhension nécessaires, il lui est très difficile d’acquérir aussi rapidement qu’il le

faudrait un bon niveau d’acuité stratégique, c’est-à-dire un degré de finesse suffisant du point

de vue de la vision stratégique » (Grazzini, Boissin et Malsch, 2009, p. 156). En plus des

difficultés qui viennent d’être soulignées, nous considérons que les spécificités de la TPE ont

également un impact fort sur le processus de formulation stratégique du repreneur. Notre

revue de littérature a montré que le dirigeant au sein de ce type d’organisation, souvent par

manque de temps et de recul, avait tendance à considérer l’ensemble des actions à mener

comme stratégique (Mahé de Boislandelle, 1996). La petite taille de l’entreprise confronte le

propriétaire-dirigeant aux aléas de la gestion quotidienne d’une activité et, en cela, l’empêche

de consacrer du temps « à la réflexion stratégique et de prendre du recul » (Torrès, 2003). La

centralisation des décisions auprès de lui est également susceptible d’apporter de la confusion

entre des questions d’ordre stratégique et des questions opérationnelles.

Elaborer une stratégie sous-entend systématiquement la présence d’un ou de plusieurs

stratèges. Au sein d’une TPE, nous venons de le voir, il s’agit d’une fonction dévolue quasi

systématiquement au dirigeant, ce dernier prenant généralement toutes les décisions

importantes (Marchesnay, 1991 ; Filion, 1991). Dans le cadre d’une RPP, nous estimons que

la formulation d’une stratégie par le repreneur est essentielle. Elle favorise l’orientation des

actions et stimule les interactions au sein de l’organisation. Parce qu’elle permet le

développement de significations équivalentes (Vandangeon-Derumez et Autissier, 2006), les

Page 212: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

211

individus se mettent progressivement d’accord sur les actions à entreprendre et s’impliquent

dans la construction d’un système d’actions organisées.

2.2.2.3.) Une intervention sur le processus de structuration

Pour Shotter (1993, cité par Ben Fredj Ben Alaya, 2007), le rôle du manager consiste à

« créer à partir d’un ensemble d’événements incohérents et désordonnés une « structure »

cohérente à travers laquelle les actions en cours et les possibilités futures pourraient avoir du

sens ». Mais que sous-entend exactement cette notion de structure ? Il existe dans la littérature

de nombreuses définitions de ce que représente la structure d’une organisation. Sans revenir

en détail sur l’évolution de cette notion au cours du temps, nous relèverons deux grandes

approches antagonistes, l’une s’inscrivant dans le paradigme positiviste et l’autre

d’inspiration constructiviste. La théorie de la contingence structurelle (Burns et Stalker,

1961 ; Emery et Trist, 1963 ; Lawrence et Lorsch, 1967 ; Mintzberg, 1982), développée dès

les années 1960 à partir des écrits de Joan Woodward, explique les mécanismes de

structuration d’une organisation à partir des paramètres caractéristiques de son contexte

externe et de différents facteurs tels que la taille, la technologie ou le pouvoir par exemple. Un

de ses éminents représentants, Mintzberg (1982, p. 18), définit la structure comme « la somme

totale des moyens employés pour diviser le travail entre tâches distinctes et pour ensuite

assurer la coordination nécessaire entre ces tâches ». Dans ses travaux, l’auteur met en

évidence qu’une structure peut se caractériser selon cinq critères de base : la spécialisation du

travail, la coordination, le degré de formalisation, la standardisation et la centralisation du

pouvoir de décision. Ce sont ces différents critères qui vont orienter la nature et le

fonctionnement de l’organisation (Barabel et Meier, 2010). Une des principales limites de

cette approche tient au fait qu’elle ne prend pas suffisamment en compte le comportement des

acteurs et leur influence dans le processus de structuration. On lui reproche également son

caractère déterministe, positiviste et nomothétique (Rojot, 2003). Adoptant une perspective

constructiviste, Weick (1993) considère que la structure ou, plus exactement, le processus de

structuration, est composée de deux éléments et de leurs relations (la structure formelle : le

cadre, et la structure informelle : le sens). L’un ne va pas sans l’autre. Le cadre formel

« valide, codifie et institutionnalise les rôles, règles, procédures, activités configurées et

relations d’autorité qui donnent les clés de la signification », alors que la structure informelle

représente « la capacité de la structure formelle à créer les occasions d’interaction au cours

desquelles les individus échangent et créent un sens partagé » (Vandangeon-Derumez et

Page 213: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

212

Autissier, 2006, p. 175). Grâce à ce processus de structuration, chaque individu trouve sa

place dans l’organisation et connaît son cadre d’intervention. Cela lui permet d’interagir plus

facilement avec les autres et de stabiliser la représentation qu’il se fait de son environnement.

Cette seconde approche fournit un cadre d’analyse particulièrement riche pour comprendre le

comportement des acteurs suite à l’arrivée d’un nouveau dirigeant. En adoptant une grille de

lecture interactionniste, nous percevons l’arrivée dans l’entreprise du repreneur comme un

changement venant bousculer le processus de structuration de l’organisation, aussi bien au

niveau formel, c’est-à-dire au niveau du cadre, qu’au niveau informel (niveau du sens). Face à

un événement de ce genre, le nouveau dirigeant doit agir. Afin d’éviter que le processus de

structuration liant cadre et sens ne se détruisent l’un l’autre, consécutivement à un

changement écologique, Weick (1993, p. 645) préconise, tout en conservant une relation

directe entre les deux éléments, de créer une relation inverse avec « moins de sens, plus de

structure, et vice versa ». Dans le cadre d’une RPP de TPE, nous considérons que c’est au

repreneur, en tant que nouveau dirigeant, qu’il revient d’intervenir sur le processus de

structuration. Celui-ci peut agir à la fois sur le cadre formel en redéfinissant, par exemple, les

rôles de chacun et les relations d’autorité, et sur le sens en créant, par exemple, des occasions

d’interaction entre les différents membres de l’organisation. La structure prendra forme et sera

en mesure de « rendre plausible l’engagement de l’individu dans l’action » (Vandangeon-

Derumez et Autissier, 2006, p. 177).

Les développements précédents avaient pour objectif de définir un cadre d’analyse

pertinent pour appréhender l’entrée en fonction du repreneur au sein d’une TPE. Nous avons

pu assimiler cet événement à un changement organisationnel majeur devant être conduit par le

nouveau dirigeant. Reconstruire du sens apparaît comme une solution efficace pour réduire

l’équivocité, recréer un nouveau système d’actions organisées et favoriser la résilience de

l’organisation. A présent, nous pouvons formuler les questions et les objectifs de notre

recherche.

2.3.) Questions et objectifs de la recherche

Mieux comprendre le processus d’entrée dans une TPE d’un repreneur externe constitue

l’objectif principal de notre travail doctoral. Le repreneur se heurte durant cette période à de

nombreux problèmes humains entravant à la fois son intégration au sein de la structure et le

fonctionnement habituel de l’organisation. Les effets du changement vécu par les uns et les

autres expliquent en grande partie les réactions. Nous estimons que la théorie du sensemaking

Page 214: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

213

est à même de nous apporter des éléments pour mieux comprendre ce qui se passe au moment

de l’arrivée du repreneur. Avant d’exposer plus en détail nos questionnements et objectifs de

recherche, un bref retour sur le cheminement de notre recherche s’avère nécessaire.

En ce qui nous concerne, la reprise d’entreprise en tant que thème de recherche trouve

son origine dans les nombreuses interrogations survenues lors de notre expérience

professionnelle de dirigeant-propriétaire d’une petite entreprise du secteur de la

distribution235. Nous avons pu notamment côtoyer, sur notre chemin, un repreneur de TPE236

saine en train de se démener, au moment même de sa prise de fonction, avec des problèmes

auxquels il n’était pas suffisamment préparé. Les difficultés rencontrées incombaient, selon

ses propres dires, aux mauvaises relations (ou plus exactement à l’absence de relations) avec

le personnel déjà en place dans la structure. Au cours d’une de nos nombreuses rencontres, ce

repreneur nous a confié qu’il était confronté, dès son arrivée dans l’entreprise, à des

difficultés relationnelles avec ses salariés. Ces derniers exprimaient volontairement leur

mécontentement par des arrêts maladies en série, des accidents du travail et, pour deux d’entre

eux, par la remise de leur démission quelques semaines après son arrivée. Ancien repreneur

avec succès d’une TPE sans salariés237, il nous a confié ne pas comprendre où était son échec.

Malheureusement, nous n’avons pu que constater l’évolution de son parcours chaotique,

puisqu’il a été contraint de déposer le bilan trois ans après sa reprise. A partir de ce premier

constat issu du terrain, nous nous sommes donc naturellement posé les questions suivantes :

Quelles sont les causes des difficultés rencontrées par les repreneurs de TPE saines

au moment de leur entrée en fonction ? Pourquoi le fait de reprendre une entreprise en

bonne santé n’assure pas forcément sa continuité ?

De nombreux auteurs (Donckels, 1995 ; Deschamps et Paturel, 2005 ; Boussaguet,

2005) voient dans l’arrivée d’un nouveau dirigeant dans l’entreprise, un changement

organisationnel majeur. Les caractéristiques de la TPE semblent avoir un impact sur le

phénomène, le rendant spécifique. Le repreneur se retrouve, au moment même de son entrée

en fonction, dans l’obligation de gérer un changement très important pour l’entreprise (sans

235

Nous avons repris « à la barre » du tribunal de commerce de St-Etienne, une entreprise de petite taille (en grande difficulté) en janvier 2005. Nous l’avons conservée puis revendue en bon état de fonctionnement au bout de 5 ans. 236

Le repreneur en question avait racheté en 2009, une brasserie restaurant réputée sur Saint-Etienne. Cette dernière, en bon état de fonctionnement apparent, employait 7 personnes et existait depuis plusieurs décennies. 237

Ce repreneur avait repris un bar tabac en 2005 et l’avait revendu avec profit en 2009.

Page 215: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

214

doute l’un des plus importants de son histoire), alors qu’il ne connaît encore que très peu de

choses sur elle et sur son fonctionnement. Il apparaît clairement que l’organisation toute

entière entre dans une période faite d’inattendu, d’incertitude et de transition de rôles.

Généralement, le repreneur poursuit, dans un premier temps, l’objectif de réussir le

changement en maintenant « à flot » l’entreprise. Ceci passe nécessairement par le maintien

d’un certain niveau de coordination entre acteurs et par un engagement renouvelé de chacun.

Pour de nombreux auteurs (Fiol et Huff, 1992, cités par Ben Fredj Ben Alaya, 2007 ;

Vandangeon-Derumez et Autissier, 2006 ; Barabel et Meier, 2010 ; Brun, 2012), un processus

de changement ne réussit que si les acteurs qui le mettent en œuvre lui donnent un sens. Pour

Gioia et Chittipeddi (1991), le dirigeant d’entreprise joue un rôle prépondérant dans la

réussite d’un tel processus. Son statut lui confère une place centrale dans la gestion,

l’interprétation et l’acceptation du changement (Daft et Weick, 1984). De nos différentes

revues de littérature portant à la fois sur la gestion du changement et le leadership, nous

retenons que le dirigeant ne doit plus se contenter de contractualiser et contrôler le

changement. Il doit également l’animer avec une logique de construction de sens sans cesse

renouvelée, au risque de ne pas être en mesure de répondre à une situation nouvelle détruisant

l’identité et l’intégrité de l’organisation (Autissier, Vandangeon-Derumez et Vas, 2010). Ceci

semble encore plus vrai au sein des TPE.

Si le dirigeant d’entreprise semble constituer l’élément central, il ne faut pas pour autant

négliger le rôle des salariés dans la réussite du changement. Ces derniers doivent être

appréhendés comme de véritables agents du changement, et non plus comme ses simples

destinataires (Soparnot, 2009). La réussite d’un changement implique tous les acteurs. Elle

s’appuie sur deux piliers : « un leader déterminé qui incarne le changement à mener et des

salariés ayant le pouvoir d’agir dans leur domaine pour faire avancer les choses » (Le Saget,

2009, cité par Brun, 2012). Demers (1993, p. 23) rappelle également qu’une telle réussite

passe avant tout par « un processus d’interprétation, c’est-à-dire un processus interactif de

création de sens » entre les différents membres de l’organisation. A travers ses travaux,

Weick a montré l’importance de la construction de sens dans l’évolution et le dénouement des

situations « brouillées » ou « interrompues » au sein des organisations. Nous avons pu

observer l’arrivée dans l’entreprise du repreneur comme un événement venant perturber un

environnement enacté dans l’esprit des individus. Face à un événement aussi traumatisant

(Boussaguet, 2005) et déstabilisant pour l’organisation (Deschamps et Geindre, 2011), les

Page 216: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

215

salariés ont besoin que l’équivocité soit, au moins partiellement, levée pour clarifier les

actions de chacun. Cette démarche permet aux différents membres de l’organisation d’établir

des priorités et préférences quant aux actions à entreprendre et, par là, de constituer un

système d’actions organisées (Vidaillet, 2003, p. 178). Surmonter les difficultés liées au

changement de dirigeant nécessite de reconstruire collectivement du sens afin que chacun

trouve sa place dans l’organisation. Encourager ce processus constitue un moyen de susciter

l’engagement des individus dans l’action, de réduire l’équivocité de la situation et

d’augmenter ainsi la résilience de l’organisation. En tant que nouveau dirigeant, c’est bien

évidemment au repreneur qu’il appartient de développer et d’entretenir le processus. Partant

de là, nous posons notre question principale de recherche :

Comment le repreneur de TPE saine peut-il, durant la période de management de

la reprise, mieux réussir le changement ?

De cette question principale de recherche, découlent quatre questions de recherche

subsidiaires :

Question de recherche 1 : L’arrivée dans l’entreprise du nouveau dirigeant engendre-t-

elle de l’équivocité, si oui, comment est-elle exprimée ?

Question de recherche 2 : Peut-on décrire le processus de reconstruction collective de

sens post-reprise ? Quelles sont les étapes de ce processus ?

Question de recherche 3 : Quels sont les facteurs influençant la création/perte de sens

pendant la période de management post-reprise d’une TPE ?

Question de recherche 4 : Comment un repreneur de TPE, en tant que nouveau leader

de l’entreprise, peut-il favoriser la création collective de sens ?

Nous poursuivons plusieurs objectifs durant cette recherche :

Objectif n°1 : Décrire le processus de reconstruction collective de sens post-reprise

consécutif au changement de dirigeant et en offrir une modélisation.

Objectif n°2 : Identifier les facteurs de création/perte de sens durant l’étape du

management post-reprise.

Objectif n°3 : Montrer comment le repreneur de TPE, en tant que nouveau leader, peut

influer sur le processus de sensemaking.

Page 217: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

216

Conclusion section 2

Dans cette seconde section, nous avons démontré l’importance des interactions entre

acteurs pour faire émerger un nouveau système d’actions organisées dans lequel chacun

imagine sa place et situe son action. Face à un changement fortement déstabilisateur et

créateur d’équivocité comme la RPP, nous avons pu percevoir la nécessité pour chacun de

rendre intelligible l’événement. Chaque acteur, qu’il soit salarié ou repreneur, participe, à

travers ses interactions, à la mise en œuvre du processus de reconstruction collective de

sens. Nous avons néanmoins constaté théoriquement l’influence prépondérante du nouveau

dirigeant en tant que nouveau leader dans son déroulement.

Durant la période post-reprise, reconstruire collectivement du sens s’est révélé

indispensable à la poursuite de l’action et au maintien d’une action coordonnée entre tous les

acteurs. La manière dont sera géré individuellement, puis collectivement l’événement,

constitue un enjeu majeur dans la gestion et la réussite du changement. Nous avons

également pu appréhender le repreneur comme un donneur de sens, ayant pouvoir d’agir sur

différentes variables organisationnelles telles que la culture, la stratégie et la structure.

Notre cadre théorique posé, nous avons formulé notre question de recherche

principale et les questions de recherches subsidiaires.

Page 218: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

217

Conclusion chapitre 2

L’objet de ce deuxième chapitre était de préciser notre cadre d’analyse et d’expliciter

nos questions de recherche. A partir d’une revue de littérature concernant les principaux types

de changement, nous considérons l’arrivée d’un repreneur dans une TPE comme un

changement organisationnel majeur et spécifique.

Un examen des différents modèles de gestion du changement qui se sont succédés au

cours du temps, nous a fait pencher pour une lecture processuelle du phénomène. Un cadre

d’analyse mettant l’accent sur les nombreuses interactions entre acteurs, support d’une

construction individuelle et collective de sens, nous est apparu comme particulièrement

pertinent pour notre recherche. Les théories du sensemaking, approche interprétative

originale, que nous considérons comme dotée d’un fort pouvoir explicatif, nous font entrevoir

l’événement comme un changement écologique équivoque et une interruption fortement

déstabilisante, qui nécessite de la part des acteurs un travail de redéfinition de leur propre

réalité via la multiplication d’échanges intersubjectifs.

La reconstruction collective de sens engagée par l’ensemble des acteurs permet à

chacun de rendre l’événement compréhensible et, par la même, de situer son action dans un

système d’actions organisées en train de se renouveler. Pour dépasser certaines limites

inhérentes à l’utilisation de ce cadre théorique, nous avons eu recours aux théories du

leadership. Celles-ci confortent l’idée selon laquelle le repreneur, en tant que nouveau leader

de l’organisation, se doit d’être un donneur de sens au changement. Dans cette perspective, il

constitue un élément essentiel de l’engagement de chaque individu au sein d’un nouveau

système d’actions coordonnées et dans la réussite du processus de reprise. Plus que tout autre,

il dispose d’un pouvoir d’action inégalé sur les variables organisationnelles culturelles,

stratégiques et structurelles.

Après cela, nous avons défini nos questions et objectifs de recherche auxquels notre

partie empirique est chargée de répondre.

Page 219: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

218

Conclusion partie 1

La première partie nous a permis de définir le cadre conceptuel de notre recherche.

Nous avons, dans un premier temps, sur la base de critères quantitatifs et qualitatifs

et puisant dans l’abondante littérature concernant la PME, tenté de définir et caractériser la

TPE. Nous constatons des spécificités importantes, notamment celles ayant trait au rôle

central du dirigeant, à la proximité en tant que mécanisme de hiérarchisation, ainsi qu’à

l’effet de grossissement, qui impactent directement sa reprise et la complexifie. A partir des

travaux de Deschamps (2000), nous avons défini la reprise d’une TPE comme un processus,

qui par une opération de rachat, aboutit à la continuation de la vie de l’entreprise et de tout

ce qu’elle contient (structure, ressources humaines, financières, techniques, commerciales,

etc.). Nous avons tenté de dresser un état des lieux chiffré du phénomène repreneurial en

France puis nous avons choisi de l’inclure, à l’instar de nombreux auteurs, dans le champ

disciplinaire entrepreneurial. Nous avons justifié notre choix de focaliser notre recherche sur

la reprise de TPE saines, c’est-à-dire en bon état de fonctionnement (croissance soutenue de

l’activité, marges et trésorerie confortables, jouissant d’une bonne réputation auprès de leurs

différents partenaires). Notre recherche porte plus précisément sur les reprises effectuées par

des personnes physiques seules (RPP) sans lien (commercial et/ou financier) avec

l’entreprise. Nous avons vu qu’il s’agissait d’un processus composé de trois grandes étapes.

Le management post-reprise, dernière étape de l’opération, nous est apparu comme étant un

moment particulièrement important dans la réussite du projet. Les multiples problématiques

humaines et organisationnelles rencontrées durant cette période de changement sont à même

de perturber fortement les interactions entre acteurs.

Dans le deuxième chapitre, nous avons cherché à appréhender le rôle du repreneur en

contexte de changement organisationnel. D’abord, à partir d’une analyse des principales

typologies du changement, nous avons choisi de considérer la RPP comme un changement

organisationnel majeur. L’examen des principaux modèles de gestion du changement

développés au cours du temps, nous a fait opter pour une approche processuelle de

l’événement. Au sein du courant interprétativiste, les théories du sensemaking sont apparues

comme particulièrement riches et originales pour décrire et comprendre ce qui se passe au

moment où le repreneur prend « en mains » l’entreprise. Cette approche psychosociale fait

percevoir l’arrivée d’un nouveau dirigeant dans un petit groupe d’individus comme un

changement écologique, une interruption du flux courant d’activité et une perturbation de

Page 220: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

219

nature à déstabiliser sérieusement la perception que chacun des acteurs a de son

environnement. L’équivocité produite par l’événement bouscule le système de rôle en

vigueur dans l’organisation et perturbe grandement l’action coordonnée. Il appartient au

repreneur, en tant que nouveau leader, d’aider les individus à donner un sens à un

environnement changeant et confus. A travers ses actions, il exerce une influence

prépondérante sur le processus de reconstruction collective de sens nécessaire à

l’émergence d’un nouveau système d’actions organisées. Il dispose pour cela de variables

d’actions culturelles, stratégiques et structurelles.

Tout ceci posé, nous nous sommes interrogé sur la manière dont le repreneur,

nouveau venu dans l’organisation, pouvait influencer positivement le processus de

reconstruction collective de sens afin de réduire l’équivocité provoquée par son arrivée dans

la structure et générer, puis maintenir, l’engagement des collaborateurs dans un nouveau

systèmes d’actions organisées.

Dans la deuxième partie, nous présentons les dispositifs méthodologiques déployés

pour éclairer notre raisonnement théorique. L’aspect technique de l’analyse des données

collectées ainsi que les résultats issus de nos investigations auprès d’une population de

repreneurs et de salariés de TPE saines récemment reprises, sont exposés.

Page 221: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

220

Page 222: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

221

Deuxième partie :

Modélisation du processus de reconstruction collective de sens post-reprise et de ses facteurs d’influence

Page 223: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

222

La première partie de notre travail de recherche, de nature conceptuelle, a permis

d’aboutir à une représentation plus précise des difficultés auxquelles sont confrontés les

repreneurs externes de TPE saines au moment de leur entrée en fonction. L’analyse de la

littérature nous a donné la possibilité d’appréhender le phénomène comme un changement

organisationnel majeur, fortement déstabilisant pour l’ensemble des acteurs et produisant de

l’équivocité. Dans un contexte aussi troublé, il convient de reconstruire collectivement du

sens pour favoriser l’émergence d’un nouveau système d’actions organisées et ainsi mieux

réussir le changement. Ce travail de réflexion amène à s’interroger sur la possibilité de décrire

le processus, sur ses propriétés et mécanismes, sur la manière dont il se déroule et peut être

déclenché et influencé.

Nous consacrerons cette seconde partie à la présentation de la méthodologie de

recherche et à la présentation des résultats obtenus. Sa finalité réside dans l’exploration de

l’entrée en fonction du repreneur à travers l’interprétation qui en est faite par les différents

acteurs, dans la description du processus de reconstruction collective de sens post-reprise et

dans la définition des différentes variables qui l’influencent.

Dans un premier chapitre, nous exposerons le cheminement méthodologique de la

recherche en précisant notre positionnement épistémologique, et en justifiant le choix de

l’étude de cas multiples pour répondre à notre question principale de recherche. Nous

décrirons ensuite le processus de reconstruction collective de sens post-reprise. Le chapitre 2

sera consacré à l’analyse des différents facteurs et éléments qui influencent le processus. Nous

terminerons par une discussion portant sur les résultats et par l’émission de recommandations.

Page 224: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

223

Chapitre 1 : Méthodologie de la recherche et description du processus de reconstruction collective de sens post-reprise

Dans la première partie de ce travail, nous avons pu mettre en évidence la nécessité de

comprendre plus en profondeur la période d’entrée dans l’entreprise du repreneur. La

faiblesse des écrits consacrés à la RPP d’une TPE et, plus particulièrement, concernant la

période de management de la reprise nous a orienté vers une démarche de nature qualitative.

Ce chapitre est dédié à la présentation de la méthodologie utilisée pour conduire notre

recherche et à la description du processus de reconstruction collective de sens post-reprise. La

première section présentera le positionnement épistémologique et méthodologique retenu

pour répondre à notre problématique. Nous exposerons notre choix d’utiliser la méthode des

cas comme moyen d’accès au réel, après avoir analysé les intérêts et les limites inhérents à

cette méthode. La deuxième section sera consacrée à l’analyse des données et à l’évaluation

de la recherche. La troisième section évoquera le processus de reconstruction de sens post-

reprise à travers ses mécanismes et ses propriétés. Nous verrons en quoi l’équivocité perçue

puis l’inconfort qu’elle génère constitue le point de départ du phénomène.

Page 225: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

224

Section 1- Fondements épistémologiques et méthodologiques de la recherche

Tout travail de recherche prend appui sur une vision du monde, fait appel à une

méthodologie et propose des résultats pour repérer, comprendre et expliquer les faits sociaux

totaux dans leur contexte (Wacheux, 1996). Afin d’asseoir la validité et la légitimité d’une

recherche (Perret et Seville, 2003), une réflexion épistémologique et méthodologique s’avère

nécessaire. Pour un chercheur, préciser sa posture épistémologique, celle à laquelle il se réfère

dans sa recherche, c’est définir les hypothèses fondamentales sur lesquelles se fonde le

processus d’élaboration et de justification des connaissances du projet considéré (Avenier,

2011). Cet exercice influence considérablement l’ensemble de la recherche, plus

particulièrement le processus d’élaboration des connaissances, leur nature et leur statut. Cette

section vise donc à expliquer et justifier les choix méthodologiques opérés en vue de répondre

à nos questions de recherche. Nous présentons, dans un premier temps, les motifs qui nous ont

conduit à adopter une démarche de recherche qualitative. L’utilisation de l’étude de cas

multiples comme modalité d’accès au réel sera expliquée dans un second temps.

1.1.) Démarche générale de la recherche.

1.1.1.) Le positionnement épistémologique

L’épistémologie a pour objet l’étude des sciences et vise à questionner la science au

travers de la nature, de la méthode et de la valeur de la connaissance (Perret et Seville, 2003,

p. 13). Expliciter ses présupposés épistémologiques est essentiel à tout chercheur pour

« contrôler la démarche de recherche », « accroître la valeur de la connaissance qui en est

issue » et mieux appréhender les nombreux débats entre courants théoriques (Allard-Poesi et

Perret, 2014, p. 14). Pour Gavard-Perret, Gotteland, Haon et Jolibert (2012), il s’agit d’un acte

fondateur qui portera à conséquence sur l’ensemble de la recherche, notamment sur le

déroulement du processus, la nature des savoirs élaborés et sur le statut qui leur sera attribué.

Mbengue et Vandangeon-Derumez (1999) soulignent également l’importance de la démarche

d’explicitation du positionnement épistémologique. Selon eux, tout chercheur, où qu’il se

situe dans un processus de recherche, est amené à se poser des questions portant autant sur les

données elles-mêmes que sur la valeur scientifique des résultats attendus ou obtenus. Ce

constat peut suffire, à lui tout seul, à justifier la pertinence et l’importance de l’exercice. La

Page 226: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

225

conduite d’une activité de cette nature doit permettre d’accroître la validité et la fiabilité de

notre travail et nous guider tout au long de notre démarche.

1.1.1.1.) Un positionnement épistémologique interprétativiste

Au cours de leur histoire, les sciences de gestion ont principalement été influencées

par deux grands « paradigmes épistémologiques » (Avenier et Thomas, 2012) : le positivisme

et le constructivisme. Entre ces deux paradigmes dominants et opposés, vient s’intercaler une

troisième approche, l’interprétativisme 238 . Nous allons brièvement exposer ces trois

paradigmes et justifier de celui dans lequel nous inscrivons notre recherche.

Le paradigme positiviste défend l’idée d’un réel existant en soi et possédant une

ontologie. La réalité détient une essence propre, objective et guidée par des lois naturelles et

des mécanismes immuables dans le temps et dans l’espace (Hannan et Freeman, 1977, cités

par Mbengue et Vandangeon-Derumez, 1999, p. 4). Un des postulats de cette approche est de

considérer le chercheur comme un individu pouvant être en mesure de connaître cette réalité

externe. L’objet attribué à la science consiste à découvrir ces lois (Koenig, 1993). Le

positivisme est fondé sur l’extériorité du chercheur à la situation qu’il décrit, l’objet étudié

étant indépendant du sujet qui l’observe. Cette indépendance de l’objet au sujet est

notamment énoncée par Popper (1991, p. 185, cité et traduit par Allard-Poesi et Perret,

2014) pour qui « la connaissance en ce sens objectif est totalement indépendante de la

prétention de quiconque à la connaissance ; elle est aussi indépendante de la croyance ou de

la disposition à l’assentiment (ou à l’affirmation, à l’action) de qui que ce soit ». Selon

Girod-Seville et Perret (1999, p. 17), cette indépendance de l’objet et du sujet permet aux

positivistes « de poser le principe selon lequel l’observation de l’objet extérieur par un sujet

ne doit pas modifier la nature de cet objet ». La science permettrait d’observer la réalité,

c’est-à-dire « une réalité indépendante du regard que lui porte l’observateur et réduite aux

faits observables et mesurables » (Allard-Poesi et Perret, 2014, p. 23). Le chercheur

positiviste admet l’existence d’une réalité indépendante et sait qu’il dispose de quelques

méthodes « lui permettant d’apprécier s’il se rapproche (vérifiabilité) ou s’éloigne

238

Nous avons relevé l’existence de nombreuses classifications en ce qui concerne les paradigmes épistémologiques et autant de définitions les concernant. Ainsi, Burrell et Morgan (1979) retiennent quatre paradigmes (interprétatif, fonctionnaliste, structuraliste radical et humaniste radical), Wacheux (1996, p. 38) liste, quant à lui, quatre épistémologies possibles en recherche (le positivisme, la sociologie compréhensive, le fonctionnalisme et le constructivisme), enfin, Perret et Seville (2003), tout comme Giordano (2003) différencient trois grands paradigmes (le positivisme, l’interprétativisme et le constructivisme). C’est cette dernière classification que nous avons retenue.

Page 227: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

226

(falsifiabilité) de cette asymptote qu’il n’atteindra peut-être jamais » (Ben Aissa, 2001, p.

11). Une telle approche se traduit par un travail de recherche hypothético-déductif s’appuyant

sur la formulation d’hypothèses qu’il faut ensuite vérifier. Les outils méthodologiques

déployés doivent permettre de découvrir des lois universelles et sont généralement ceux des

sciences exactes (Mucchielli, 2004).

Contrairement au positivisme, le constructivisme n’admet pas l’existence d’une seule

réalité, mais de réalités multiples et évolutives issues de constructions mentales individuelles

et/ou collectives. Les réalités humaines et sociales sont nombreuses et spécifiques, car

animées de dimensions intentionnelles, signifiantes et symboliques. La dimension

intentionnelle traduit l’aspect intentionnel et conscient des actions humaines. Les dimensions

signifiantes et symboliques soulignent la subjectivité des individus et le rôle prépondérant des

représentations et du langage dans le processus de création de sens et dans la représentation de

ce que se font les acteurs de la réalité sociale (Lyotard, 1995, cité par Allard-Poesi et Perret,

2014). L’objet de la recherche dépend du regard du chercheur et des acteurs qui interprètent et

construisent la réalité avec lui (Girod-Seville et Perret, 2002). Objet et sujet sont dépendants

l’un de l’autre. Le monde est perçu comme un construit social, le produit des intuitions et du

« feeling » déterminés par les individus (Ben Aissa, 2001). Pour le chercheur en gestion, la

réalité est faite d’artefacts et d’acteurs qui élaborent, utilisent et s’incluent dans ces artefacts

(David, 1999). Ceci sous-tend la production d’explications qui ne sont pas la réalité, mais un

construit sur une réalité susceptible de l’expliquer. S’inscrivant dans ce paradigme

épistémologique, le chercheur focalise son attention sur l’explication des phénomènes et non

sur leur prédiction.

L’interprétativisme, souvent présenté comme un des nombreux courants constituant la

« galaxie constructiviste » (David, 1999), entrevoit la réalité sociale comme le produit

d’expériences individuelles. Pour Girod-Seville et Perret (1999), il s’agit d’un paradigme

épistémologique à part entière, même s’il partage avec le constructivisme des hypothèses

fondatrices communes sur le statut de la connaissance (subjective et contextuelle) et la nature

de la réalité (hypothèse phénoménologique). La distinction entre les deux approches porte sur

la manière dont la connaissance est engendrée ; elle est construite pour l’une et interprétée

pour l’autre. Pour les chercheurs interprétativistes, la réalité sociale est subjective et

essentiellement mentale. Berger et Luckmann (1966) décrivent ce principe comme étant une

hypothèse phénoménologique : un phénomène n’apparaissant que lorsqu’il prend sens pour le

Page 228: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

227

sujet. La réalité est fondée, pour un contexte et une période donnée, par et dans les pratiques

sociales d’actions et d’interprétations. Les interactions entre acteurs vont générer des

interprétations qui, lorsqu’elles font l’objet d’un consensus au sein d’un groupe social,

peuvent être considérées « comme aussi réels que des objets matériels » (Allard-Poesi et

Perret, 2014, pp. 26-27). L’objectif du chercheur n’est pas d’intervenir, mais de comprendre

de l’intérieur les significations que les individus attachent à la réalité sociale, leurs

motivations et intentions par immersion et observation dans le phénomène étudié (Allard-

Poesi et Maréchal, 2014239). La production d’une connaissance idiographique est préférée à

une approche proprement nomothétique. Les trois principaux paradigmes présentés se

démarquent essentiellement par la position du chercheur vis-à-vis de son objet d’étude,

l’objectif qu’il assigne à la recherche, ainsi que la nature de l’objet de recherche.

Le tableau suivant synthétise les principes fondateurs sur lesquels s’appuient ces

différentes approches.

239

Les auteurs donnent, à titre d’exemple, l’étude du changement organisationnel.

Page 229: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

228

Tableau 14 - Les positions épistémologiques des paradigmes positiviste, interprétativiste et constructiviste

Les paradigmes

Les questions

épistémologiques

Le positivisme L’interprétativisme Le constructivisme

Quel est le statut de la

connaissance ?

- Hypothèse réaliste

- Il existe une essence propre à l’objet de connaissance

- Hypothèse relativiste

- L’essence de l’objet ne peut être atteinte

(constructivisme modéré ou interprétativisme) ou

n’existe pas (constructivisme radical)

La nature de la « réalité » - Indépendance du

sujet et de l’objet

- Hypothèse

déterministe

- Le monde est fait

de nécessité

- Dépendance du sujet et de l’objet

- Hypothèse intentionnaliste

- Le monde est fait de possibilités

Comment la connaissance

est-elle engendrée ?

Le chemin de la

connaissance scientifique

- La découverte

- Recherche

formulée en termes

de « pour quelles

causes… »

- Statut privilégié de

l’explication

- L’interprétation

- Recherche formulée

en termes de « pour

quelles motivations des

acteurs… »

- Statut privilégié de la

compréhension

- La construction

- Recherche formulée

en termes de « pour

quelles finalités… »

- Statut privilégié de la

construction

Quelle est la valeur de la

connaissance ?

Les critères de validité

- Vérifiabilité

- Confirmabilité

- Réfutabilité

- Idiographie

- Empathie (révélatrice

de l’expérience vécue

par les acteurs)

- Adéquation

- Enseignabilité

Source : Perret et Seville (2003, pp. 14-15).

Si la position épistémologique ne détermine pas le chercheur, « elle lui facilite le

travail de formulation de ses projets » (Wacheux, 1996, p. 36). Celle-ci se concrétise

généralement par une prise de position sur l’une des grandes familles de paradigmes

épistémologiques existantes.

Il nous semble que le paradigme positiviste ne satisfait pas à notre recherche, car nous

estimons la réalité comme un construit non totalement objectif et indépendant des sujets qui

l’observent. Les individus interrogés dans le cadre d’une recherche formulent des réponses

Page 230: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

229

qui ne sont que des interprétations de la réalité. D’ailleurs, le simple fait de questionner un

individu peut susciter chez lui des idées ou opinions dont il était auparavant dépourvu

(Pourtois et Desmet, 1988, cité par Mbengue et Vandangeon-Derumez, 1999, p. 11). Nous

pensons que cette réalité que nous nous attachons à décrire, n’est qu’une interprétation

influencée par notre propre activité et liée aux représentations que se font les différents

acteurs interrogés de l’objet de notre recherche. Giordano (2003) explique ce phénomène par

une relation d’empathie : « le chercheur interprète ce que les acteurs disent ou font qui, eux-

mêmes interprètent l’objet de la recherche ». Nous estimons donc, à l’instar d’autres auteurs

avant nous (Gioia et Chittipeddi, 1991 ; Schwandt, 1994, cité par Allard-Poesi et Marechal,

2014, p. 57), que chercheur et objet de recherche sont liés par une relation d’interdépendance.

Le paradigme constructiviste ne semble également pas convenir à notre recherche dans

la mesure où nous ne cherchons pas à inscrire la connaissance produite dans une orientation

pragmatique et dans une finalité à visée transformative (Thietart, 1999). En effet, bien

qu’ayant multiplié les interactions avec les repreneurs et les salariés dans leur environnement

et sollicité leur concours, notamment lors de la présentation des résultats, nous ne pouvons

prétendre avoir influencé significativement et durablement leurs actions.

Notre positionnement épistémologique semble s’inscrire dans le paradigme

interprétativiste. L’objectif que l’on s’assigne dans ce travail, concerne la compréhension du

sens que les différents acteurs de la reprise (salariés et repreneur) attachent à la réalité sociale,

à leurs motivations ainsi qu’à leurs intentions. Il ne s’agit pas d’expliquer, mais de

comprendre l’entrée en fonction du repreneur à travers le sens qui est donné à l’événement. A

l’instar de Mucchielli (2009, p. 205), nous considérons les phénomènes humains comme des

« phénomènes de sens » pouvant être compris par « un effort spécifique tenant à la fois à la

nature humaine du chercheur et à la nature de ces phénomènes de sens ». Nous appréhendons

la réalité comme un construit, fait de plusieurs vérités qui ne sont ni pures ni absolues

(Thietart, 1999). Les interactions, le langage et les significations des différents acteurs

constituent une source d’accès privilégiée au phénomène étudié. L’empathie dont nous

souhaitons faire preuve à travers notre observation participative (Gagnon, 2012) doit

permettre de révéler l’expérience vécue par les acteurs (Perret et Seville, 2003).

Se positionner dans un tel paradigme épistémologique a nécessairement des

répercussions sur le mode de raisonnement adopté.

Page 231: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

230

1.1.1.2.) Une recherche abductive

La littérature reconnaît trois formes de raisonnement aboutissant chacun à la production

de connaissances scientifiques : la déduction, l’induction et l’abduction. Pour David (1999),

en fonction de l’état d’avancement des connaissances sur l’objet étudié et de l’objectif qu’on

assigne au travail, une recherche peut adopter chacune de ces logiques, voire les trois à la fois.

David (1999, p. 3) définit ces différentes approches de la manière suivante : « La déduction

consiste à tirer une conséquence à partir d’une règle générale et d’une observation

empirique. L’induction (…) consiste à trouver une règle générale qui pourrait rendre compte

de la conséquence si l’observation empirique était vraie. L’abduction (…) consiste à élaborer

une observation empirique qui relie une règle générale à une conséquence, c’est-à-dire qui

permette de retrouver la conséquence si la règle générale est vraie ». Parmi ces différentes

méthodes, l’abduction nous paraît particulièrement adaptée au développement de

connaissances concernant l’entrée en fonction du repreneur au sein d’une TPE. Nous avons

choisi de procéder par des allers et retours successifs entre travail empirique et théories

mobilisées afin d’appréhender les situations empiriques étudiées et en construire des

représentations intelligibles. De cette manière, nous souhaitons édifier progressivement des

connaissances en relation avec les savoirs existants (Gavard-Perret, Gotteland, Haon et

Jolibert, 2012). Adopter ce mode de raisonnement permet d’aborder le terrain avec un

minimum d’a priori. Il autorise, en outre, une certaine souplesse quant à la définition du

canevas de la recherche. Plusieurs possibilités sont offertes : adaptation des guides

d’entretiens, affinement de la question centrale, voire changement de cadre théorique si

nécessaire (Gavard-Perret, Gotteland, Haon, et Jolibert, 2012).

Nous souhaitons apporter, dans le cadre de notre recherche, une contribution à la

compréhension d’un événement déstabilisant qui marque la vie de nombreuses TPE, soit

l’entrée dans l’entreprise d’un nouveau dirigeant. Nous ne souhaitons pas vérifier des

hypothèses ou théories existantes, mais explorer une situation complexe par une contribution

à la construction (avec les différents acteurs concernés par l’opération) du sens qui est attaché

à la réalité sociale. Après un premier travail de réflexion théorique, nous avons alterné

successivement les phases d’observations sur le terrain et d’approfondissements théoriques.

Nous nous sommes très vite confronté à la faiblesse de la littérature concernant notre objet de

recherche. Le peu de travaux scientifiques consacrés à la TPE (Marchesnay, 2003 ; Jaouen et

Torrès, 2008, Mallard, 2011) ainsi que la relative nouveauté du sujet de la RPP au sein du

Page 232: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

231

champ de l’entrepreneuriat (Boussaguet, 2005), nous ont contraint à entreprendre une

recherche de nature exploratoire. Parmi les trois voies d’explorations possibles, théorique,

empirique et hybride (Charreire Petit et Durieux, 2014, p. 93), nous avons opté pour une

démarche hybride. Cette dernière consiste à procéder par des allers et retours entre des

observations sur le terrain et des connaissances théoriques tout au long de la recherche. Elle

offre l’avantage au chercheur, ayant initialement mobilisé des concepts et intégré la littérature

concernant son objet de recherche, de s’appuyer sur cette connaissance « pour donner du sens

à ses observations empiriques ».

Notre positionnement épistémologique et notre mode de raisonnement précisés, nous

pouvons maintenant présenter la méthodologie utilisée.

1.1.2.) Le choix d’une approche qualitative

Tout chercheur se trouve confronté à un moment de sa recherche au choix de

l’approche qu’il va mettre en œuvre pour collecter et analyser les données. La méthodologie

revient à établir la « façon dont on va analyser, découvrir, décrypter un phénomène » (Hlady

Rispal, 2002, p. 26), que ce soit par le biais d’une démarche quantitative ou qualitative.

Différents critères sont couramment utilisés pour différencier ces deux démarches : méthode

de collecte de l’information, types de variables, traitements statistiques ou non, types

d’approches…

Brabet (1988) met en évidence quatre critères principaux permettant de distinguer la

méthodologie qualitative de la méthodologie quantitative, que nous reprenons ci-dessous.

Ø La nature de la donnée : la donnée est nominale dans une approche qualitative et

ordinale et/ou métrique dans une approche quantitative. La nature de la donnée est

donc facilement différenciable. Ainsi, « les données qualitatives (…) se présentent

sous forme de mots plutôt que de chiffres » (Miles et Huberman, 2003, p. 11), alors

que « les données quantitatives sont collectées avec des échelles d’intervalles et de

proportion » (Evrard et al., 2009, p. 28).

Ø L’orientation de la recherche : deux grandes orientations caractérisent la recherche en

sciences de gestion : la construction ou le test théorique. Brabet (1988) met en

évidence le lien associant l’exploration à l’étude qualitative et la vérification à l’étude

quantitative.

Page 233: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

232

Ø L’objectivité ou la subjectivité des résultats : on reconnaît généralement une meilleure

garantie d’objectivité à l’approche quantitative par rapport à l’approche qualitative, en

raison des impératifs de rigueur et de précision caractérisant les techniques

statistiques utilisées.

Ø La flexibilité de la recherche : l’approche qualitative offre au chercheur une meilleure

flexibilité pour mener le travail de recherche à son terme. Avec une telle approche, la

question de recherche, le programme de recherche ou encore la méthode de recueil

des données peuvent être modifiés à mi-chemin, afin de garantir des résultats

véritablement issus du terrain. Pareilles modifications sont très difficiles à opérer dans

une démarche quantitative plus structurée au départ, en raison du coût qu’elle

entraînerait (Baumard et Ibert, 2014).

La méthodologie quantitative aboutit à formuler des hypothèses qui sont ensuite testées

afin de proposer une explication ou une prédiction de phénomènes constatés. Cette approche

s’inscrit généralement dans une posture positiviste. La démarche qualitative correspond, quant

à elle, à une « démarche discursive de reformulation, d’explication ou de théorisation d’un

témoignage, d’une expérience ou d’un phénomène ». Il s’agit d’« un travail complexe qui

consiste, à l’aide des seules ressources de la langue, à porter un matériau qualitatif dense et

plus ou moins explicite à un niveau de compréhension ou de théorisation satisfaisant »

(Paillé, 1996).

Etant donné l’objet de notre recherche, sa finalité ainsi que le positionnement

épistémologique retenu240, nous nous sommes dirigé vers une démarche qualitative. Pour

Wacheux (1996, p. 15), s’inscrire dans un tel processus, « c’est avant tout vouloir comprendre

le pourquoi et le comment des événements dans des situations concrètes ». A travers cette

démarche, nous souhaitons approcher au mieux les représentations et le vécu des acteurs,

ainsi que leurs interactions. Pour Mucchielli (1996), l’utilisation d’une démarche qualitative

est parfaitement justifiée pour expliquer et comprendre « un phénomène humain ou social ».

Ce choix semble en cohérence avec notre objet de recherche, l’entrée d’un repreneur dans une

entreprise existante constituant effectivement un phénomène humain (Boussaguet, 2005).

Miles et Huberman (2003) relèvent aussi l’intérêt d’une telle approche, celle-ci facilitant la

description de la « réalité » perçue par les différents acteurs ainsi que la compréhension de

l’objet de recherche. 240

Perret et Seville (2003) suggèrent, par exemple, lorsque l’on se situe dans une recherche interprétativiste, d’utiliser une approche qualitative pour la validité des connaissances produites.

Page 234: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

233

Nous souhaitons comprendre « de l’intérieur » le processus d’entrée dans l’entreprise du

repreneur et ses effets sur l’organisation et ses différents acteurs. Ce qui nous intéresse, c’est

le dépassement d’une approche portant uniquement sur les aspects techniques241 et financiers

de l’opération pour centrer notre attention sur les problématiques humaines liées à cet

événement circonscrit et mal connu. Pareil exercice requiert, selon nous, la collecte

d’informations directement auprès des personnes impactées par le phénomène. A travers les

discours tenus et les observations relevées, nous souhaitons « intercepter», puis comprendre,

les significations que les salariés et le repreneur attachent à la réalité sociale, leurs motivations

et intentions. Le ressenti des individus, leurs relations ainsi que les interprétations

personnelles des événements prennent toute leur importance.

Dans une démarche qualitative, l’essentiel du travail porte sur des données qualitatives, à

savoir des traces matérielles, principalement des représentations sociales, conçues et

exprimées par des expressions écrites et/ou orales et par des actions. Les données qualitatives

sont, par essence, complexes et ouvertes et donnent lieu à de multiples interprétations. La

nature de ces données appelle donc une grande vigilance en ce qui concerne leurs

manipulations. Nous y veillerons dans le cadre de ce travail.

Notre choix d’opérer une recherche qualitative présenté et argumenté, nous pouvons

maintenant expliciter notre méthode d’accès au terrain.

1.2.) L’étude de cas : une méthode privilégiée pour étudier le pourquoi et le comment d’un phénomène

Comme nous venons de le voir, notre objectif étant de comprendre en profondeur un

phénomène humain fortement complexe à travers les impressions, interprétations et

comportements des différents acteurs (salariés et repreneurs), nous nous sommes dirigé vers

une collecte de données qualitatives. Ce type de données est, selon Miles et Huberman (2003,

p. 28), tout à fait adapté à « la localisation des significations que les individus ont des

événements, des processus et des structures de leur vie »242 . Pour explorer cette période

troublée et peu connue du management de la reprise et accéder aux interprétations des

différents acteurs, nous avons fait le choix d’utiliser l’étude de cas.

241

Boussaguet (2005) regrette à cet effet que la RPP soit « trop souvent mise en avant sous ses seuls aspects

techniques ». 242

En outre, ces auteurs estiment que les données qualitatives sont davantage susceptibles « de mener à

«d’heureuses trouvailles» et à de nouvelles intégrations théoriques » (Miles et Huberman, 2003, p. 11).

Page 235: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

234

Dans les sous-sections suivantes, nous relèverons succinctement les avantages et les

limites de cette méthode, puis nous expliquerons pourquoi une étude de cas multiples a été

préférée pour répondre aux objectifs de notre recherche. Nous découvrirons, enfin, les terrains

de recherche retenus.

1.2.1.) Intérêts et limites de l’approche

L’étude de cas est une méthode de recherche qualitative particulièrement prisée en

théorie des organisations (Stake, 2005), notamment parce qu’elle est adaptée à l’objet qu’est

l’organisation dans sa globalité ou dans ses composantes. Elle est également appréciée, car

elle offre au chercheur la possibilité de mobiliser différentes techniques de recueil et de

production des données (Eisenhardt, 1989). Avant d’examiner plus dans le détail les

avantages et limites inhérentes à cette méthode, commençons par la définir. Pour Yin (1984,

p. 23), l’étude de cas est « une enquête empirique qui explore un phénomène contemporain

dans son contexte de vie réelle, où les limites entre le phénomène et le contexte ne sont pas

clairement établies, et dans laquelle des sources multiples de preuves sont utilisées ».

Wacheux (1996, p. 89) définit cette méthode comme « une analyse spatiale et temporelle

d’un phénomène complexe par les conditions, les événements, les acteurs et les

implications ». Il s’agit d’un dispositif méthodologique particulièrement adapté à l’étude de

champs nouveaux peu abordés par la littérature et lorsqu’il s’agit de répondre à la question du

« pourquoi » ou du « comment » d’un phénomène. L’étude de cas est utile dans les situations

où le chercheur dispose de peu de contrôle sur les événements étudiés, et dans celles où

l’attention est dirigée vers des phénomènes contemporains dans un contexte de vie réelle

(Yin, 1984 ; Eisenhardt, 1989). Elle se révèle efficace pour appréhender la réalité des

structures organisationnelles, le style de management et les changements qui s’y déroulent

(Wacheux, 1996, p. 93). Elle autorise, enfin, l’analyse en profondeur d’un phénomène, les

autres méthodes de recherche n’étant « pas capables de fournir les riches descriptions ou les

explications pertinentes qui peuvent émerger d’une étude de cas » (Yin, 2014, p. 18).

Pour Gagnon (2012, pp. 2-3), l’étude de cas est appropriée pour la description,

l’explication, la prédiction et le contrôle de processus inhérents à divers phénomènes,

individuels ou collectifs. L’auteur relève plusieurs « grandes forces » et différentes

« faiblesses » inhérentes à cette méthode de recherche. Ainsi, elle fournit une analyse en

profondeur des phénomènes dans leur contexte, offre la possibilité de développer des

paramètres historiques, et assure une forte validité interne, « les phénomènes relevés étant des

Page 236: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

235

représentations authentiques de la réalité étudiée ». Néanmoins, cette méthode est « onéreuse

en temps » pour le chercheur comme pour les participants, et pose un problème de validité

externe principalement en raison des difficultés de généralisation des résultats.

D’autres critiques sont souvent formulées à son encontre. Elles concernent

principalement le volume et le caractère des données à gérer. L’abondance des données peut,

en effet, nuire au résultat et à la clarté de la théorie. Le chercheur doit faire preuve d’une

grande vigilance et tout mettre en œuvre pour percevoir les informations utiles, les relations

importantes noyées dans la masse des relations idiosyncrasiques, non corrélées aux

fondements de la science (Foliard, 2008). Le chercheur doit, en outre, travailler avec des

données issues de sources différentes aboutissant fréquemment à des contradictions internes

(Wacheux, 1996).

1.2.2.) Sa justification dans le cadre de notre recherche

D’après la littérature, le choix de la méthode des cas dépendrait notamment des

théories existantes sur le sujet, de la complexité du phénomène étudié, du positionnement

épistémologique du chercheur ainsi que de la problématique de recherche. Ainsi, pour

Eisenhardt (1989), l’étude de cas est particulièrement adaptée lorsqu’un objet de recherche a

peu ou pas été étudié. Dans notre cas, comme nous l’avons observé dans la première partie de

ce travail, force est de constater que la littérature est insignifiante lorsqu’il s’agit de décrire

l’entrée en fonction d’un repreneur de TPE et la gestion du changement qui en découle. Nous

cherchons donc à travers cette recherche à étendre le cadre théorique portant sur le

management de la reprise du repreneur externe. La visée exploratoire de notre recherche

autorise, en effet, l’élaboration d’un cadre théorique nouveau ou la modification d’un cadre

théorique ancien (Dumez, 2012, p. 8).

Wacheux (1996) plaide à son tour en faveur d’une telle méthode lorsque le chercheur

se trouve en présence d’un phénomène complexe, difficilement appréhendable dans sa

totalité. A l’évidence, dans le cadre de cette recherche, nous nous trouvons précisément dans

ce cas de figure. La multiplicité des acteurs (salariés et repreneur) et leurs interactions dans un

contexte marqué par le changement rendent l’approche complexe. Pour Mucchielli (1996),

c’est justement dans une telle situation que la méthode des cas prend tout son sens. Pour cet

auteur, le recours à une telle méthode permet d’ « observer le jeu d’un grand nombre de

facteurs interagissant ensemble, permettant ainsi de rendre justice à la complexité et à la

Page 237: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

236

richesse des situations sociales ». Les données qualitatives issues de la méthode des cas

présentent un caractère riche et englobant « avec un potentiel fort de décryptage de la

complexité ; de telles données produisent des descriptions denses et pénétrantes, nichées dans

un contexte réel et qui ont une résonnance de vérité ayant un fort impact sur le lecteur »

(Miles et Huberman, 2003, p. 27). Recourir à la méthode des cas doit permettre un accès

direct sur les interprétations des acteurs, conformément à notre positionnement

épistémologique interprétativiste.

D’après la littérature, la problématique de recherche influe également sur le choix de

la méthodologie utilisée. Afin d’aider les chercheurs à établir la pertinence de l’étude de cas

comme méthode de recherche, Benbasat et al. (1983, p. 372, cités par Gagnon, 2012, pp. 16-

17) ont élaboré une série de quatre questions auxquelles toute problématique de recherche doit

pouvoir répondre par l’affirmative pour justifier de son utilisation :

1. « Le phénomène qui est l’objet d’intérêt doit-il être étudié dans son contexte naturel

pour être vraiment compris ?

2. Faut-il mettre l’accent sur les événements contemporains dans l’étude de cette

problématique ?

3. La connaissance du phénomène peut-elle être acquise sans avoir à contrôler ou à

manipuler les sujets ou les événements en cause ?

4. La base théorique qui existe au sujet de la problématique sous étude comporte-t-elle

des éléments inexpliqués ? »

Dans le cadre de notre recherche et si l’on s’en remet aux critères qui viennent d’être

définis, l’étude de cas apparaît totalement appropriée. En effet, notre problématique de

recherche permet de répondre positivement aux quatre questions posées. Ainsi, comprendre le

comportement des salariés et du repreneur ne peut se faire que dans le contexte de l’entreprise

reprise, notamment en prenant en compte les spécificités de la TPE. L’examen des

événements contemporains, notamment les différentes interactions entre acteurs au moment

de l’entrée en fonction du repreneur, est indispensable pour mieux comprendre le déroulement

de la reprise. Nous n’avons pas non plus besoin de recourir au contrôle ou à la manipulation

des sujets pour comprendre le phénomène étudié. Pour finir, et comme nous l’avons stipulé

plus haut, l’entrée dans une TPE d’un repreneur externe n’a que très peu été abordée par la

littérature académique.

Page 238: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

237

La littérature recommande l’étude de cas comme stratégie de recherche pour les

travaux à visée exploratoire. Dans le cadre de ce travail, c’est précisément cette méthode

d’« enquête empirique » (pour reprendre les termes utilisés par Yin, 1984) que nous avons

retenue. Après avoir expliqué et justifié l’utilisation de cette méthode dans les paragraphes

précédents, il reste maintenant à choisir entre deux types d’études de cas : l’étude de cas

unique et l’étude de cas multiples. La première méthode est surtout conseillée pour « tester

une théorie bien formulée » (Yin, 1984, p. 43) alors que la seconde vise essentiellement à tirer

des conclusions d’un ensemble de cas.

1.2.3.) Le choix d’une étude de cas multiples

Pour Yin (cité par Royer et Zarlowski, 2014), l’étude de cas unique peut être assimilée

à une expérimentation et peut se justifier dans cinq situations : le test d’une ou plusieurs

théories existantes, l’étude d’une situation inhabituelle extrême ou unique, l’identification des

circonstances et des conditions d’une situation ordinaire, l’étude d’un phénomène jusqu’alors

inaccessible à la communauté scientifique et, pour finir, dans le cadre d’une étude

longitudinale. Nous observons qu’aucune de ces situations ne correspond aux objectifs et aux

caractéristiques de notre recherche.

Favorisant une description riche du contexte dans lequel les événements ont lieu,

l’étude de cas multiples est « surtout utile lorsqu’un phénomène est susceptible de se produire

dans une variété de situations » (Gagnon, 2012, p. 41). Chaque situation de reprise étant

unique, mais pouvant présenter des régularités (Boussaguet, 2005), l’utilisation d’une

méthode de cas multiples nous paraît indispensable pour faire ressortir les variables

récurrentes (Eisenhardt, 1989).

Pour notre étude empirique, nous avons choisi l’étude de cas multiple : (1) l’entrée

dans une TPE d’un repreneur externe est très peu abordée par la littérature ; (2) nous optons

pour une étude en profondeur du processus d’entrée dans l’entreprise du repreneur à travers

l’examen de plusieurs cas. Ce mode opératoire doit nous permettre d’augmenter la variété des

situations étudiées et de dégager, à travers une comparaison, des régularités ou des différences

contextuelles.

Pour mettre en œuvre notre étude de cas multiples, nous nous sommes appuyé sur la

méthode préconisée par Yin (1984). Trois grandes étapes sont repérables dans la production

d’une étude de cas : l’élaboration du cadre général de la recherche, la cueillette des

Page 239: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

238

informations et la mise en forme du cas et son analyse243. En ce qui concerne le cadre général,

le plan de recherche doit comporter cinq composantes indispensables, soit une question de

recherche, ses propositions (s’il en est), son (ses) unité(s) d’analyse, la logique qui relie les

données aux propositions, et les critères pour interpréter les observations (Yin, 1984, p.29).

La cueillette d’informations peut émaner de six sources : des documents, des archives, des

entrevues, de l’observation directe, de l’observation participative et des objets physiques. Yin

recommande au chercheur l’utilisation de plusieurs sources d’informations pour s’assurer

d’avoir couvert l’objet d’analyse sous différents angles (Collerette, 1997). Pour finir,

l’analyse du cas peut se faire dans une logique inductive ou déductive en fonction de la

stratégie de recherche mise en œuvre par le chercheur. Une fois l’analyse et un rapport de

recherche effectués pour chaque cas, le chercheur est invité à réaliser une analyse croisée des

différents cas afin d’en tirer des conclusions et les exposer dans un rapport de recherche

multi-cas. Nous détaillerons les méthodes employées pour mettre en œuvre l’étude de cas

multiples dans un prochain point.

La méthode des cas multiples choisie, nous devons à présent délimiter la taille de la

population permettant d’obtenir un niveau de confiance satisfaisant, puis déterminer les

moyens utilisés pour collecter les données.

1.3.) Construction et description des données

1.3.1.) Démarche de construction de notre population

Dans le paragraphe précédent, nous avons opté pour l’étude de cas multiple. Quel est

le nombre de cas à sélectionner ? Selon Hlady Rispal (2002, p. 87), la question du nombre de

cas à sélectionner « est souvent délicate (…). L’idée fortement ancrée d’un lien étroit entre

scientificité de l’étude et nombre élevé de cas est encore très répandue ». Gagnon (2012)

rappelle les contraintes d’une étude d’un nombre de cas trop important. Plus le nombre de cas

est élevé, plus la collecte de données sera onéreuse à tous les points de vue. Tout chercheur

ayant recours à une étude de cas multiple est donc placé face à deux contraintes antagonistes

et doit faire un choix. Deux principes généraux peuvent lui servir de guide pour résoudre le

problème du nombre de cas : la réplication et la saturation. Concernant le premier, le nombre

de cas d’une recherche dépend du degré de certitude souhaité et de l’ampleur des différences

constatées (Yin, 2014). Chaque cas est sélectionné « soit parce qu’on suppose trouver des

243

Celles-ci sont clairement détaillées par Collerette (1997).

Page 240: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

239

résultats similaires (cas de réplication littérale) soit parce que, selon la théorie, il devrait

conduire à des résultats différents (cas de réplication théorique) » (Royer et Zarlowski, 2014,

p. 251). En ce qui concerne le principe de saturation, on considère la taille d’un échantillon

suffisante lorsque le recueil de données supplémentaires n’apporte plus d’informations

significatives aux cadres de références établis (Glaser et Strauss, 1967). La taille de notre

population n’étant pas définie en amont, elle se fixera à mesure de l’avancement de la

recherche jusqu’à atteindre un certain seuil où toute information supplémentaire semble être

inutile et n’apporter aucun nouvel éclairage théorique, ce qui se justifie par le principe de

saturation théorique. Nous avons conscience de la difficulté à mettre rigoureusement en

œuvre un tel principe dans la mesure où « on ne peut jamais avoir la certitude qu’il n’existe

plus d’information supplémentaire capable d’enrichir la théorie » (Royer et Zarlowski, 2014,

p. 252). Dans un tel contexte, il revient au chercheur d’estimer par lui-même s’il est parvenu

ou non au stade de saturation.

Dans la pratique, nous observons qu’il n’existe pas réellement de consensus sur le

nombre de cas à étudier. Généralement, le nombre recommandé se situe entre quatre et dix

(Eisenhardt, 1989). Au-delà, il devient difficile de faire face à la complexité et au nombre

considérable de données engendrées. A tire indicatif, Hlady Rispal, (2002, p. 26) relève que

les exemples de recherches fournis par YIN n’excèdent pas les douze cas.

Selon Eisenhardt (1989), la sélection des cas, matériau empirique de la recherche,

représente une étape fondamentale. Afin de répondre aux objectifs d’une recherche à visée

exploratoire telle que la nôtre, il est important que les entreprises sélectionnées soient en

nombre suffisant et les plus représentatives de la population des entreprises étudiées. Il s’agit

de conditions indispensables pour répondre aux critères de généralisation et de réplication

possibles de la recherche (Eisenhardt, 1989 ; Yin, 2014). Nous devons donc veiller à

sélectionner des entreprises présentant des caractéristiques communes mais qui s’inscrivent

également dans des situations variées (Gagnon, 2012). Comme énoncé précédemment, les

TPE constituent la population cible de notre recherche. Par commodité et afin de partir sur

une base commune potentiellement admise par nos différents interlocuteurs, nous avons fait le

choix de retenir les critères de la microentreprise tels qu’ils sont définis par l’Union

européenne (recommandation 2003/361/CE244). Bien que présentant certaines limites (Julien,

244

Nous rappelons brièvement ces critères bien que nous les ayons déjà exposés dans le chapitre premier : effectif inférieur à 10 ; chiffre d’affaires inférieur ou égal à 2 millions d’euros et total du bilan inférieur ou égal à 2 millions d’Euros.

Page 241: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

240

1994 ; Ferrier, 2002 ; Marchesnay, 2003), ils nous permettent, dans un premier temps, de

recenser rapidement, avec des variables quantitatives, les entreprises susceptibles d’être

retenues. A ce propos, nous avons pu observer que, dans la pratique, parmi tous les

intervenants avec qui nous étions en contact, ces critères étaient ceux effectivement utilisés.

Une fois ce premier critère de taille entériné, nous avons recherché, dans la région

Auvergne-Rhône-Alpes 245 , des entreprises reprises répondant plus spécifiquement aux

objectifs de notre étude. Nous avons sélectionné les entreprises en fonction des critères

suivants :

· l’acquisition de l’entreprise est réalisée par un repreneur personne physique externe

sans lien avec elle ;

· l’activité appartient au secteur privé marchand, l’entreprise œuvrant principalement

dans le secteur du commerce (commerce de gros /détail, transports, hébergement et

restauration) tel qu’il est répertorié par l’INSEE ; comme nous l’avons vu dans notre

premier chapitre, il s’agit du secteur d’activité le plus important en nombre

d’entreprises, d’emplois et de création de valeur (Insee LIFI 2011 et ESANE 2011) ;

· l’entreprise rachetée est saine au moment de la transaction ;

· l’entreprise est totalement indépendante et autonome au moment de son rachat ;

· il n’y a pas eu de phase de transition entre cédant et repreneur ;

· le rachat de l’entreprise n’excède pas cinq ans afin de ne pas risquer une quelconque

déperdition d’informations sur les événements vécus (Boussaguet, 2005).

A ce stade, nous devons préciser que l’accès au terrain fut particulièrement long et

éprouvant. Plusieurs chercheurs (Haddadj et D’Andria, 1998 ; Deschamps, 2000 ;

Boussaguet, 2005) avaient déjà constaté la difficulté à obtenir des informations sur les

transmissions d’entreprise. Nous l’avons relevée à notre tour. Non seulement, il était difficile

d’obtenir des données générales sur les transmissions d’entreprises pour le territoire concerné

(nombre, effectifs, activités exercées, etc.), mais nous étions, en plus, confronté à l’absence

d’un fichier reprenant les noms et coordonnées des entreprises que nous aurions pu contacter.

Dès le début de notre recherche, nous avons sollicité les présidents des chambres de

commerce de Lyon, St-Etienne et Roanne afin d’obtenir une liste d’entreprises concernées par

la reprise. Nous avons été redirigé vers de nouveaux interlocuteurs, responsables des

245

Plus exactement, les recherches se sont concentrées sur l’ex- région Rhône-Alpes.

Page 242: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

241

opérations de transmission-reprise246, qui nous ont confié ne tenir à jour aucune base de

données. Après plusieurs relances téléphoniques et par Email, un seul d’entre eux, Carole

Polycarpo, nous a aiguillé sur le nom de trois entreprises dont elle se souvenait la

transmission. Nous avons également multiplié les contacts avec Daniel Villareale, patron de la

CGPME Loire et élu chargé de la transmission reprise au sein de la CCI de St-Etienne, en vue

d’obtenir des contacts potentiels supplémentaires. Ce dernier, très intéressé par notre

démarche, nous a proposé d’entrer en relation avec certains repreneurs.

Pour compléter notre population d’entreprises, nous avons également dressé une liste

d’intermédiaires potentiellement en contact avec ce type d’opérations. Nous avons entrepris

de contacter par Email, puis par téléphone, tour à tour plusieurs sociétés de conseils et des

agences spécialisées dans la transmission d’entreprise, plusieurs cabinets d’expertises

comptables et des directeurs d’agences bancaires. Etant ancien repreneur et créateur

d’entreprises, nous avons également sollicité notre réseau personnel de dirigeants en activité

afin d’obtenir ces précieuses informations. Grâce à l’intervention de plusieurs informateurs et

au terme d’un processus de recherche relativement long, nous avons pu sélectionner 10

entreprises 247 répondant aux critères préalablement définis. Nous les présentons dans les

paragraphes suivants.

En préambule, nous signalons au lecteur qu’afin d’honorer notre engagement auprès des

dirigeants d’entreprises, les noms des entreprises ne seront pas communiqués. Dans le but de

respecter le plus possible le sens des observations qui nous furent faites, nous intégrerons

entre guillemets les expressions des personnes interrogées.

Ø 1- L’entreprise HPC :

HPC est une entreprise existante depuis 1988, située en plein centre ville de

Montbrison (Loire). Son activité principale s’articule autour de la distribution d’articles de

papeterie, d’équipement de bureaux et de librairie à destination d’une clientèle professionnelle

et particulière. Au cours de son histoire, HPC a été reprise trois fois. L’avant-dernière reprise

246

Il s’agissait de Frédéric Delos (CCI LYON), Carole Polycarpo (CCI de SAINT-ETIENNE) et Norbert Gayte (CCI ROANNE. 247

Nous avions sélectionné au préalable 11 entreprises. Néanmoins, suite à notre premier entretien, le dirigeant de l’une d’entre elles ne souhaitait plus donner d’informations supplémentaires ni même continuer à participer à cette recherche. Il refusait également que l’on établisse tout contact avec le personnel «repris » encore présent dans l’entreprise.

Page 243: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

242

a été particulièrement marquante pour les employés. La jeune repreneuse décède brutalement

trois ans seulement après sa prise de fonction, laissant la gestion de cette TPE de neuf

personnes aux mains de son père. Entrepreneur (industriel) expérimenté toujours en activité

dans un autre département, ce dernier assure l’intérim en attendant de trouver un repreneur. Il

« navigue » entre les deux structures pourtant distantes de plusieurs dizaines de kilomètres

tout en confiant progressivement la gestion de l’entreprise aux bons soins des salariés. Le

décès de la jeune dirigeante semble avoir particulièrement marqué les salariés et souder leurs

relations. Trois ans plus tard, début 2014, l’entreprise trouve enfin preneur en la personne de

ID. Cette dernière connaît également un parcours « accidenté » puisque l’entreprise dont elle

était codirigeante a dû faire face à un accident du travail mortel impliquant directement sa

responsabilité et celle de son mari. Fortement impacté par cet événement, le couple décide de

vendre l’entreprise au plus vite pour « passer à autre chose ». Après quelques mois de

recherche, ID reprend seule l’entreprise HPC, son mari ne souhaitant plus s’investir dans une

quelconque activité.

Ø 2- L’entreprise PP :

MP a repris l’entreprise PP, TPE stéphanoise de 5 personnes, en 2010. Créée en 1968,

PP distribue des produits et articles médicaux auprès d’une clientèle fidèle de professionnels

et de particuliers. Bien implantée localement, l’entreprise jouit d’une excellente réputation et

de la confiance de ses clients. Les salariés de l’entreprise ont été particulièrement affectés par

la transmission de l’affaire. Les cédants ayant « caché » jusqu’à la « dernière minute » la

vente de l’entreprise, les salariés ont le sentiment d’avoir été « vendus avec le fonds ». Ce

sentiment est exacerbé par l’attitude des dirigeants qui, pour leur dernier jour (jour de

l’inventaire et de la transmission officielle), n’ont pas exprimé la moindre émotion ni « même

un remerciement » à leur égard. Le repreneur avait beaucoup d’appréhension à reprendre. Ce

dernier qui en est à sa quatrième reprise, est encore marqué par la reprise précédente qui s’est

très mal déroulée, à tel point que cette entreprise de onze salariés fut revendue seulement

quatorze mois après son arrivée. Après une analyse rétrospective, MP explique les raisons de

son échec par une « impossibilité de travailler avec des salariés présents depuis longtemps

dans l’entreprise ». Ces derniers ne l’ayant « pas accepté ». Il souhaite tout mettre en œuvre

pour que cette fois-ci, cette reprise, probablement la dernière de sa carrière, se passe bien.

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243

Ø 3- L’entreprise ICV :

Créée en 2005, l’entreprise ICV commercialise principalement des produits

alimentaires à une clientèle particulière résidant à proximité. Seule surface commerciale dans

le secteur, ICV bénéficie naturellement d’une « clientèle captive » qui fait l’essentiel de son

chiffre d’affaires. Cinq ans seulement après avoir lancé cette activité, le dirigeant a souhaité

vendre pour cause de fatigue et de lassitude. Les relations avec les salariés n’étaient pas non

plus au beau fixe, ces derniers ayant le sentiment d’« être constamment surveillés par la

direction ». C’est dans ce contexte tendu que RC arrive dans l’entreprise. Ancien directeur

non propriétaire d’une entreprise de même type, le nouveau dirigeant s’insère rapidement

dans son milieu et parvient à développer fortement le chiffre d’affaires.

Ø 4- L’entreprise SJA :

Créée et dirigée depuis les années 1980 par un entrepreneur autodidacte,

charismatique et omniprésent, SJA est le spécialiste local de la vente de produits pour

concevoir et entretenir des espaces verts. Début des années 2000, l’entreprise s’est dotée d’un

nouveau service dont le rôle est d’imaginer et d’offrir à des clients exigeants des solutions

clés en mains pour embellir leur extérieur. En 2012, en raison du départ en retraite de son

dirigeant, l’entreprise SJA est revendue à un jeune entrepreneur dynamique et ambitieux.

Fraîchement diplômé d’une école de commerce, le repreneur s’attache à bien appliquer à la

gestion de son entreprise, les « techniques apprises » durant sa formation. Croissance du

profit et respect du cadre de vie des salariés sont les maîtres mots de ce jeune entrepreneur.

L’implication de ces derniers dans son projet est une priorité qu’il n’hésite pas à afficher.

Prolongeant son raisonnement, il compte prochainement transmettre une partie du capital de

cette entreprise aux salariés intéressés afin de « grandir ensemble ». L’objectif qu’il s’assigne

est de confier en partie les rênes de son entreprise pour « se dégager du temps » et reprendre

une nouvelle entreprise de taille plus conséquente dans les prochains mois.

Ø 5- L’entreprise MC :

MC est une TPE qui commercialise des produits de boulangerie, de pâtisserie et de

petite restauration dans une rue idéalement située et très fréquentée de l’agglomération

stéphanoise. Créée en 2000, puis revendue en 2010, elle compte dans son effectif 10 salariés

et réalise un chiffre d’affaires de 1 063 000 Euros. Le repreneur, MC., âgé de 37 ans, est ce

que l’on peut appeler un entrepreneur dans l’âme. Il a déjà, à son actif, trois rachats, puis

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244

reventes d’entreprises « avec profits » et possède actuellement en parallèle, une autre petite

structure spécialisée dans la conception de solutions Internet à destination des professionnels.

Cette dernière activité le contraint à être de moins en moins présent dans l’entreprise M.C., ce

que déplorent certains membres du personnel. Depuis sa reprise, l’entreprise a adopté une

stratégie de « montée en gamme et en qualité des produits » et connaît une croissance

régulière et conséquente de son activité et de son chiffre d’affaires. Elle est néanmoins

confrontée à un turn-over relativement élevé et peu de personnel ayant vécu la vente sont

encore présents au moment où nous réalisons les entretiens.

Ø 6- L’entreprise EMB :

L’entreprise EMB est une TPE de 6 salariées créée en 2005, puis revendue en 2013.

Son activité principale consiste à commercialiser des produits esthétiques de différentes

marques et à assurer une prestation de conseil auprès d’une clientèle essentiellement féminine.

En complément de cette activité principale, EMB dispose également de

« cabines individuelles » lui permettant de prodiguer des soins sur place. La repreneuse âgée

de 35 ans connaît ici sa première expérience de dirigeante d’entreprise. C’est avec beaucoup

d’appréhensions qu’elle entre dans cette « nouvelle aventure ». Depuis son arrivée, la jeune

femme est « sur tous les fronts » et passe énormément de temps dans l’entreprise au point

d’avoir « l’impression de sacrifier sa vie de mère de famille ». L’entreprise connaît une

croissance quasi nulle de son chiffre d’affaires depuis la reprise malgré, la mise en place de

challenges et d’actions de formation pour encourager le personnel à vendre mieux et plus.

Ø 7- L’entreprise MF :

Maison centenaire située dans une ville cossue de l’agglomération stéphanoise, MF

jouit d’une excellente réputation auprès d’une clientèle composée principalement de

particuliers. En 2013, cette TPE de 4 salariés est reprise par un jeune pâtissier extérieur à la

région, qui, à 27 ans, se « lance pour la première fois dans les affaires ». Deux mois

seulement après son arrivée, il doit faire face à un premier départ, celui de la principale

vendeuse. Neuf mois plus tard, plus aucun employé présent dans l’entreprise au moment de

son rachat ne fait partie de l’effectif. Cette situation place l’entreprise dans de grandes

difficultés d’organisation. Le dernier départ en date est celui du boulanger, pourtant présent

dans l’entreprise depuis plus d’une décennie. Cela complique encore un peu plus la situation.

Le remplacement de ce dernier s’avère à l’évidence plus compliqué que prévu. Recruter un

Page 246: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

245

« bon boulanger » dans la région s’apparente à un « véritable casse-tête ». Le repreneur pallie

tant que possible ces « gros problèmes de personnel » en s’investissant lui-même, durant de

nombreuses semaines, dans les différents postes laissés vacants et en sollicitant l’aide

familiale. Il se retrouve rapidement « épuisé » par les nombreuses heures de travail effectuées

et cela se ressent à présent « sur le moral ». Des recrutements ont lieu par la suite, mais aucun

ne semble véritablement donner satisfaction. La clientèle perçoit tous les mouvements du

personnel ainsi qu’une variation dans la qualité des produits proposés. Elle commence à

interroger ouvertement le repreneur sur les motifs de tous ces changements.

Ø 8- L’entreprise LPC :

Idéalement située à proximité de la principale gare de Saint-Etienne, LPC exerce une

activité de brasserie-hôtel-restauration depuis plusieurs décennies248 . En 2013, l’ancienne

dirigeante, après une bonne partie de sa carrière exercée dans l’établissement, décide de

prendre sa retraite et de vendre. L’entreprise de neuf salariés « vivote tranquillement » et la

dirigeante semble se satisfaire de la situation. En 2014, elle trouve enfin un repreneur en la

personne de J., jeune entrepreneur de 38 ans déjà propriétaire d’une grande brasserie en centre

ville et d’un établissement de restauration à emporter (snacking). Homme d’affaires avisé à

l’emploi du temps chargé249, il a déjà multiplié les expériences de reprise, mais n’a jamais

encore racheté ce type d’établissement. Dès son arrivée dans l’entreprise, il décide seul de

renouveler la carte, d’entreprendre des travaux importants pour rénover les chambres et

modifie les méthodes de travail. Il souhaite avant tout « dynamiser les lieux (…) et rajeunir

l’affaire» afin de rentabiliser rapidement son investissement. Il compte bénéficier du

dynamisme du quartier d’affaires en construction, raison qui l’ont poussé à racheter

l’entreprise. Le repreneur investit des sommes importantes dans une action de communication

publicitaire d’envergure en vue de faire connaître l’établissement dans la ville et conquérir

une nouvelle clientèle de salariés présents dans la zone. Il entreprend également de nouer des

partenariats avec de grandes entreprises installées à proximité250. Trois mois seulement après

son entrée en fonction, 6 des neufs salariés « repris » ne sont plus présents dans l’entreprise et

248

Le repreneur ainsi que les salariés interrogés n’étaient pas en mesure de nous donner la date exacte de la création de l’établissement. 249

Nous avons eu beaucoup de mal à interviewer ce repreneur. Dans un premier temps et malgré son accord et une promesse de revenir vers nous, aucune proposition de rendez-vous ne nous fut faite durant plusieurs mois. Après insistance, nous avons pu obtenir un rendez-vous d’une heure, mais annulé et décalé à trois reprises. 250

Deux mois après son arrivée, il réussit à faire référencer son établissement comme « établissement hôte » pour les conducteurs de trains de la SNCF. D’autres entreprises environnantes organisent maintenant régulièrement des repas d’affaires au sein de l’établissement.

Page 247: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

246

ont été remplacés. Il ne reste que le chef cuisinier, un cuisinier et un employé de l’hôtel en

arrêt maladie depuis neuf mois. Malgré les « problèmes de gestion du personnel importants »,

un an après sa reprise, l’entreprise a vu son chiffre d’affaires bondir.

Ø 9- L’entreprise FRT :

FRT, TPE créée dans les années 70, figure parmi les rares spécialistes européens de la

distribution de matériel d’imagerie à usage professionnel. FRT opère sur un marché de niche,

mais doit constamment adapté ses produits pour répondre aux demandes d’une clientèle

fortement exigeante. Elle s’appuie pour cela sur un personnel très qualifié et réactif. FRT

compte parmi l’essentiel de ses clients, des grands noms de l’aéronautique, de l’industrie, des

travaux publics ou bien encore de la sécurité nationale. En 2012, cette entreprise de neuf

personnes est cédée à un ancien cadre supérieur plutôt « habitué au fonctionnement des

grands groupes » dans des secteurs complètement différents (banque, télécom, santé). Agé de

40 ans, JM a souhaité reprendre cette TPE à « fort potentiel » afin de la dynamiser et

d’apporter ses compétences, notamment à l’international, pour augmenter son chiffre

d’affaires et rentabiliser rapidement son investissement. Malgré le caractère hautement

technique des produits commercialisés et la spécificité du marché sur lequel opère

l’entreprise, il parvient en quelques mois seulement à « s’imposer en tant qu’interlocuteur

crédible aussi bien auprès du personnel qu’auprès des fournisseurs et des clients ». Depuis sa

reprise, FRT connaît une croissance soutenue de son chiffre d’affaires et de son résultat.

Symbole de cette réussite et d’une nouvelle dynamique, un nouveau bâtiment a été pensé et

conçu pour accueillir tout le personnel et les clients dans une ambiance plus moderne.

Ø 10- L’entreprise SAG :

En 2011, IG, alors âgée de 59 ans, reprend SAG. Cette TPE de 4 salariés, créée dans les

années 60, exerce une activité de commerce multiservices (alimentation générale,

boulangerie, épicerie, confiserie, alcools, jeux, etc.). Située à proximité d’un quartier sensible

de Saint-Etienne, l’entreprise est encore marquée par le récent vol à main armé dont elle a fait

l’objet, lorsqu’elle est reprise par IG. Un salarié ayant été au contact d’un des malfaiteurs est

d’ailleurs toujours en arrêt maladie au moment de la prise de fonction de la nouvelle

dirigeante. Avant la reprise, l’ambiance de travail n’était pas bonne, pire encore, elle semblait

se dégrader de mois en mois. L’ancienne dirigeante, lassée par des conditions de travail

difficiles, était de moins en moins présente dans l’entreprise et donnait le sentiment aux

Page 248: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

247

salariés « d’être abandonnés » et de « se débrouiller tout seul ». La démotivation générale

gagnait du terrain et les chiffres des ventes ne progressaient plus. C’est dans ce climat difficile

que IG, toute satisfaite d’avoir trouvé une entreprise dans sa ville natale, entreprend de

« rebooster les salariés de l’entreprise et son chiffre d’affaires ». En peu de temps, elle

parvient à s’intégrer dans l’équipe, à la remotiver, puis à développer la clientèle.

Le tableau ci-après offre une présentation synthétique de notre population d’entreprise.

Tableau 15 - Présentation synthétique de la population d’entreprises sélectionnées

Entreprise Activité principale Effectif Chiffre d’affaires

Date de cession

Raison de la cession

1-HPC Distribution articles et fournitures de bureaux, librairie, papèterie.

9 1,2 million d’Euros

2014 Décès de l’ancienne dirigeante.

2-PP Commercialisation d’articles médicaux / matériel pour le maintien à domicile.

5 800 K€ 2010 Reprise d’une autre affaire par les anciens dirigeants.

3-ICV Distribution à dominante alimentaire.

7 1,95 million d’€

2010 Lassitude de l’ancien dirigeant.

4-SJA Vente de produits végétaux et d’arboriculture/création d’espaces verts.

8 590 K€ 2012 Retraite du cédant.

5-MC Boulangerie/pâtisserie/ petite restauration.

10 1,063 million d’€

2012 Divorce du couple de cédants.

6-EMB Commercialisation de produits esthétiques/ prestations de services esthétiques.

6 930 K€ 2013 Volonté de la cédante de consacrer plus de temps à son enfant malade.

7-MF Boulangerie/pâtisserie/ chocolaterie. Glacier/confiseur.

4 250K€ 2013 Retraite de l’ancien dirigeant.

8-LPC Hôtellerie/ Restauration/ Brasserie.

9 435 K€ 2014 Retraite de l’ancienne dirigeante.

9-FRT Distribution professionnelle/ Matériel d’imagerie.

9 1,4 million d’€

2012 Cession pour rachat d’une autre entreprise.

10-SAG Commerce multiservices. 4 340 K€ 2011 Reconversion professionnelle.

Page 249: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

248

Notre population définie, il nous faut maintenant présenter la manière dont ont été récupérées

les données.

1.3.2.) La collecte des données

Elément « crucial du processus de recherche en management », la collecte de données

qualitatives ne doit pas être considérée comme « une simple étape discrète d’un programme

de recherche ». Cette action est fondamentale dans la mesure où elle permet au chercheur de

« rassembler le matériel empirique » sur lequel il va concevoir sa recherche (Baumard,

Donada, Ibert et Xuereb, 2014, pp. 262-273). Au préalable, une réflexion portant sur la

méthode à utiliser pour conduire la recherche doit être menée. Celle-ci se traduit par la mise

en place d’un protocole de collecte corollaire d’un choix entre différentes méthodes de recueil

sélectionnées pour servir au mieux la résolution de la problématique (Mucchielli, 1996,

2009). La finalité de l’exercice consiste à recueillir des données qui soient les plus riches, les

plus représentatives et les plus fiables possibles des événements perçus. Afin de rendre ces

informations crédibles et exploitables dans le cadre d’une recherche, Yin (2009, cité par

Gagnon, 2012, p. 57) émet des recommandations. Pour l’auteur, toute collecte de données

repose fondamentalement sur trois « assises » :

(1) des sources multiples afin de permettre l’analyse d’une variété de données, de tracer des

lignes de convergence et de renforcer la validité du construit ;

(2) la création d’une base formelle de données pour les rendre accessibles à tout chercheur

désirant vérifier les analyses et les résultats de l’étude ;

(3) le maintien d’une chaîne d’évidences pour assurer la cohérence et démontrer la fiabilité

des données.

Wacheux (1996, p. 192) insiste à son tour sur l’importance de la multiplication des

sources afin de rendre « utilisables » les données collectées, la triangulation étant une

« exigence de la recherche qualitative ».

Les sections suivantes visent à apporter des précisions quant à la manière dont nous

avons organisé la collecte des données dans le cadre de cette recherche, en insistant plus

particulièrement sur les choix relatifs au statut des données recueillies et sur les outils de

collecte mobilisés.

Page 250: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

249

1.3.2.1.) Le statut des données recueillies

La littérature reconnaît deux grandes catégories de données avec les données primaires

(ou de première main) et les données secondaires (ou de seconde main). Dans son projet, le

chercheur doit d’abord déterminer « la nature exacte » des données nécessaires à la validation

de son modèle théorique pour ensuite considérer les instruments utilisables pour collecter les

informations (Baumard et al., 2014). Nous allons voir que l’utilisation de données de telle ou

telle nature présente des avantages et des inconvénients.

Ø Les données primaires : elles sont directement collectées sur le terrain par le

chercheur. Ceci leur confère un caractère de validité interne important. L’utilisation de

données de cette nature est très répandue en sciences de gestion et continue à l’être

bien que d’importants écueils aient été signalés. De nombreux auteurs mettent en

garde leurs collègues novices contre l’existence de « biais » provenant principalement

de l’interaction entre l’enquêteur et le répondant. De cette rencontre ressort une

information « reconstruite » par le répondant sur un sujet défini en amont par le

chercheur. Les données ainsi collectées sont donc en réalité « coproduites » (Gavard-

Perret et al., 2008). Toute la difficulté pour le chercheur consiste, non à faire

abstraction de soi-même, mais à qualifier et à maitriser sa présence dans le dispositif

de collecte (Baumard et al., 2014).

Ø Les données secondaires : elles sont des informations déjà produites pour les besoins

d’autres enquêtes et disponibles immédiatement et souvent à peu de frais. Elles sont

« déjà assemblées et ne nécessitent pas forcément un accès aux personnes qui les ont

fournies » (Baumard et al., 2014, p. 290). On leur attribue généralement une valeur

historique dans la mesure où elles ont déjà fait l’objet d’une formalisation et d’une

publication. Néanmoins, ces données peuvent souffrir de nombreuses insuffisances,

car elles peuvent n’être que partielles, obsolètes et, surtout, subjectives à l’enquêteur

qui les a produites. Ceci rend difficile, voire quelquefois impossible, leur exploitation

par un autre chercheur.

Etant donné notre problématique de recherche et notre posture interprétativiste, nous

avons souhaité privilégier le recueil de données directement auprès des acteurs concernés par

le management de la reprise, à savoir les salariés « repris » et le repreneur. En collectant

principalement des données primaires, nous cherchons à obtenir des informations sur la

perception des acteurs, leur vécu, leurs émotions, leurs comportements et leurs interprétations

Page 251: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

250

des situations. Par ce biais, nous pensons mieux accéder à la réalité telle qu’ils la perçoivent et

la décrivent. Nous réitérons ici notre objectif de ne pas intervenir, mais de comprendre de

l’intérieur les significations que les individus attachent à la réalité sociale, à leurs motivations

et intentions.

Notre choix de privilégier ce type de données, en tant que mode de collecte principal,

a également été guidé par le peu de données secondaires internes pouvant être exploitées dans

le cadre de notre recherche251. Nous l’avons vu précédemment, la gestion informelle de la

TPE semble en être la principale cause. Nous avons néanmoins pu compléter nos données

primaires par quelques données secondaires, principalement des livrets d’accueil et de

présentation de l’entreprise. Nous détaillerons ces documents dans le point suivant.

Lors de la mise en œuvre de notre principal outil de collecte, nous veillerons à faire

preuve de vigilance. L’utilisation de données primaires requiert, en effet, une forte attention

pour tenter de réduire au mieux les différents écueils qui y sont associés. Nous gardons à

l’esprit que nos choix théoriques et méthodologiques influencent nécessairement les données

collectées, notamment au travers des acteurs interrogés et de la manière dont sont conduits

nos entretiens, puis nos analyses.

1.3.2.2.) Les méthodes déployées

Dans le cadre d’une recherche qualitative, différents modes de collecte s’offrent au

chercheur : entretien individuel, entretien de groupe, observation participante ou non

participante. Nous présentons ci-dessous les techniques utilisées pour collecter les données

pour notre recherche. Nous verrons que l’entretien individuel constitue notre principale source

de données, complétée par d’autres méthodes, notamment l’observation non participante et

l’analyse documentaire.

1.3.2.2.1.) L’entretien

Baumard et al. (2014, p. 274) définissent l’entretien comme « une technique destinée à

collecter, dans la perspective de leur analyse, des données discursives reflétant notamment

l’univers mental conscient ou inconscient des individus ». Cette méthode qualitative figure

parmi les plus utilisées en sciences de gestion. Elle consiste à mener « une conversation avec

un objectif » (Kahn et Cannell, 1957, cités par Gavard-Perret et al., 2008, p. 88). Deux formes 251

Pour chaque TPE étudiée, nous avons demandé des documents pouvant constitués de véritables sources de données secondaires ; comptes rendus de réunions, rapports, procédures écrites, notes de services, archives…).

Page 252: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

251

d’entretien que nous reprenons ci-après, sont discernables en fonction du nombre de

répondants en interaction avec le chercheur.

Ø L’entretien individuel : il est particulièrement adapté lorsqu’on cherche à explorer des

processus individuels complexes, des sujets confidentiels ou à mettre en évidence des

différences individuelles (Gavard-Perret et al., 2008). Il s’agit d’une situation de face à

face entre un investigateur et un sujet. Le niveau de structuration de l’interaction entre

l’animateur et l’interrogé déterminera la forme de l’entretien individuel, à savoir

directif, non directif ou semi-directif. L’entretien directif est assimilé par de nombreux

chercheurs à un questionnaire et son usage renvoie donc plus à une méthodologie

quantitative. Concernant l’entretien non directif, l’investigateur définit un thème

général qu’il propose au répondant sans intervenir dans l’orientation du discours.

L’entretien semi-directif est, quant à lui, mené à l’aide d’un guide structuré pour

aborder une série de thèmes préalablement définis. C’est une pratique relativement

souple autorisant des modifications dans l’ordre des questions ou encore l’abandon de

certaines (Baumard et al., 2014).

Ø L’entretien de groupe : il consiste à réunir, autour d’un ou plusieurs animateurs, un

ensemble de personnes pour les amener à interagir. Reposant sur la théorie de la

dynamique des groupes restreints de Lewin (1952), ce mode de collecte est utile pour

susciter des idées ou hypothèses, affiner un diagnostic ou la définition d’un problème,

explorer des opinions, attitudes, perceptions ou représentations (Gavard-Perret et al.,

2008) ou encore identifier des informateurs clés. L’utilisation d’une telle technique de

collecte est conditionnée au savoir-faire et à l’expérience du chercheur, les biais étant

nombreux. L’enquêteur doit faire preuve d’empathie, de flexibilité et de sagacité

(Baumard et al., 2014) pour dépasser les possibles discours faussés par l’expression

des jeux de pouvoir ou encore par les enjeux liés au devenir au sein de l’organisation

des sujets interrogés.

Dans le cadre de notre recherche, nous avons opté pour des entretiens individuels conduits

de manière semi-directive réalisés sur le lieu de travail. L’entretien individuel nous a paru

particulièrement adapté à notre sujet de recherche. Il est, en effet, souvent réservé aux sujets

complexes et faisant appel aux vécus et aux interprétations des individus. Cette technique

consiste à collecter des données discursives reflétant l’univers mental conscient ou

inconscient des individus (Baumard, Donada, Ibert, Xuereb, 2014). D’après Pettigrew (1987),

Page 253: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

252

il s’agit d’une technique de recueil des données tout à fait appropriée à l’étude de phénomènes

sociaux : « A travers les entretiens, on recueille des données sur la façon dont les individus ou

groupes perçoivent et vivent leurs situations, sur leurs activités, leurs relations les uns avec

les autres, l’évaluation qu’ils font de leurs activités, la façon dont ils voient leurs possibilités

d’action » (cité et traduit par Vas et Vande Velde, 2000, p. 8). En interviewant les individus

dans leur milieu, nous avons souhaité obtenir des réponses naturelles et spontanées, puis

écouter et observer le type d’interactions que le répondant noue avec le personnel et/ou avec

ses partenaires extérieurs (clients, fournisseurs, etc.) (Hlady-Rispal, 2002, p. 125). Notre

volonté d’accéder au vécu (ou plus exactement aux interprétations) de chacun des acteurs sur

un phénomène précis (le management de la reprise) étant précisée, nous avons laissé

l’interviewé s’exprimer librement tout en orientant la discussion via des approfondissements

et des relances (Romelaer, 2005) sur des thèmes précis252. En agissant de la sorte, nous

laissons le répondant exprimer son point de vue avec ses propres mots sur les expériences

vécues (Eriksson et Kovalainen, 2008, p. 216), tout en évitant une surcharge de données

nuisibles à l’efficacité de l’analyse.

Comme spécifié dans la première partie de ce travail, notre étude porte sur le management

de la reprise réalisé par des repreneurs personnes physiques de TPE sans lien avec la cible.

C’est précisément ce type de personnes que nous avons souhaité entendre lors de nos

investigations sur le terrain. La reprise d’une TPE ne concernant pas uniquement le dirigeant,

nous avons également interrogé des salariés présents dans l’entreprise au moment du

changement de direction. Le choix des personnes à interviewer a été établi en concertation

avec chaque repreneur. Nous nous sommes fixé pour contrainte de diversifier au maximum

les profils afin notamment de limiter le plus possible le « biais d’élite » (Miles et Huberman,

2003, p. 478). Par exemple, s’il existait dans l’entreprise une ligne hiérarchique, nous

demandions systématiquement à interroger un responsable et un employé. De plus, s’il

existait différents services, nous sollicitions des personnes travaillant dans des services

différents. En aucun cas des noms de salariés nous ont été imposés.

A travers ce mode opératoire, nous avons souhaité circonscrire au mieux les différentes

perturbations pouvant impacter l’étude. Notre principale crainte était d’interroger uniquement

des personnes satisfaites par la reprise. Il nous faut néanmoins reconnaître qu’étant donné le

peu d’effectif et le nombre de départs constatés dans certaines entreprises, plusieurs salariés 252

Soulignons ici que les thèmes préalablement rassemblés dans un guide d’entretien (Annexes N°3 et 4) ont été enrichis au fur et à mesure du déroulement des interviews.

Page 254: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

253

n’ont pas été choisis mais s’imposaient à nous, de fait, par la situation. Nous pensons à une

entreprise en particulier, l’entreprise LPC, pour laquelle il ne restait, au moment de nos

investigations, que 2 salariés ayant vécu la reprise dans l’effectif total.

L’adoption de cette approche multi-acteurs, outre l’apport de données supplémentaires

considérables qu’elle génère, nous a permis de trianguler les points de vue et de mettre en

évidence des divergences ou des similitudes. Pour limiter les biais et maximiser la qualité de

la collecte, un guide d’entretien (annexe 3 et 4) a été élaboré, puis administré auprès des

repreneurs et des salariés. Ce dernier comporte trois volets :

- une introduction dans laquelle nous nous présentons, expliquons le thème général de

notre recherche, son intérêt pratique pour les futurs entreprises reprises ; nous

rassurons également notre interlocuteur quant à l’anonymat des informations qui

seront données et sollicitons son autorisation pour enregistrer l’entretien sur

dictaphone ;

- un approfondissement des thèmes au cœur de la recherche via des questions ; les

thèmes devant absolument être abordés sont : (1) le déroulement de l’entrée en

fonction du repreneur dans l’entreprise, (2) la gestion du changement par le repreneur,

(3) les déterminants de l’action organisée ;

- une conclusion dans laquelle nous récapitulons les principales idées émises par la

personne interrogée lors de l’entretien. Après lui avoir demandé si elle n’a rien à

ajouter, nous demandons systématiquement au répondant quels conseils il donnerait à

un futur repreneur pour qu’il réussisse pleinement sa reprise. Pour clore l’entretien,

nous ne manquons pas de le remercier pour le temps et l’aide qu’il nous a accordés.

Les personnes interrogées, les dates et les durées des entretiens sont présentées dans le

tableau suivant.

Page 255: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

254

Tableau 16 – Synthèse des entretiens réalisés

Entreprise Personnes interviewées

Poste occupé dans l’entreprise

Dates Durée des entretiens

1- HPC 1. RID 2. SPD 3. SNM 4. SAA

1. Repreneuse 2. Commercial 3. Employée 4. Responsable de

rayon

1. 5 Mars 2014 – 23 Oct 2014 et 12 Mars 2015

2. 8 Avril 2014 3. 24 Octobre 2014 4. 13 Mars 2015

1. 1h18m - 1h05m -1h38m

2. 0h52m 3. 0h51m 4. 1h02m

2- PP 1. RMP 2. SAJ 3. SSB

1. Repreneur 2. Employée 3. Employée

1. 4 Mars 2015 – 9 Mars 2015

2. 4 Mars 2015 3. 9 Mars 2015

1. 1h 17 m – 0h46m

2. 0h58 m 3. 0h59 m

3- ICV 1. RRC 2. SCL 3. SAS

1. Repreneur 2. Responsable

adjoint 3. Employé

polyvalent

1. 3 Avril 2015 2. 8 Avril 2015 3. 30 Avril 2015

1. 1h19m 2. 0h47m 3. 0h44 m

4- SJA 1. RJB 2. SBB 3. SAP

1. Repreneur 2. Responsable

adjoint 3. Employé

1. 16 Avril 2015 2. 21 Avril 2015 3. 24 Avril 2015

1. 1h22 m 2. 0h54 m 3. 1h10 m

5- MC 1. RMC 2. SEM

1. Repreneur 2. Employée

caisse

1. 17 Avril 2015 2. 29 Avril 2015

1. 1h07 m 2. 0h46 m

6- EMB 1. RCB 2. SM 3. SMM

1. Repreneuse 2. Vendeuse 3. Esthéticienne

1. 27 Avril 2015 2. 27 Avril 2015 3. 4 Mai 2015

1. 1h06m 2. 0h45 m 3. 1h01m

7- MF 1. RSF 1. Repreneur 1. 29 Avril 2015 - 24 Juin 2015

1. 1h07m - 0h49m

8- LPC 1. RJJR 2. SDC 3. SKC

1. Repreneur 2. Chef cuisinier 3. Cuisinier

1. 28 Mai 2015 2. 13 Avril 2015 3. 13 Avril 2015

1. 0h59 m 2. 0h52 m 3. 0h47 m

9- FRT 1. RJM 2. SSR

1. Repreneur 2. Directeur

technique

1. 5 Juin 2015 2. 12 Juin 2015

1. 0h58 m 2. 1h07m

10- SAG 1. RIG 2. SAB 3. SFK

1. Repreneuse 2. Vendeur 3. Caissier

1. 24 Juillet 2015 2. 30 Juillet 2015 3. 4 Août 2015

1. 1h44 m 2. 0h59 m 3. 1h15 m

Page 256: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

255

Au total, sur une période allant du 5 Mars 2014 au 4 Août 2015, 31 entretiens (14

concernent les repreneurs et 17 les salariés) ont été réalisés auprès de 10 entreprises

différentes. Cela représente un volume de près de 33 heures d’entretiens enregistrés sur

dictaphone. La retranscription des enregistrements représente 457 pages253 de traitement de

texte sous format Word. Tous les entretiens ont également fait l’objet de prises de notes

consignées dans un cahier dédié à la recherche.

Les entretiens en face à face ont constitué notre principale méthode de production de

données. Néanmoins, d’autres méthodes complémentaires ont été utilisées, principalement

l’observation et l’analyse documentaire.

1.3.2.2.2.) L’observation et les documents internes

L’observation peut être définie, au sens étroit du terme, comme un mode de collecte de

données primaires par lequel le chercheur observe de lui-même, « de visu », des processus ou

des comportements se déroulant dans une organisation, durant une période de temps donnée

(Baumard et al., 2014, p. 277). Elle peut également faire l’objet d’une définition plus large la

représentant comme une stratégie particulière d’interaction avec le terrain où tous les sens du

chercheur sont sollicités, y compris ses émotions pour accéder aux situations réellement

vécues par les acteurs (Gavard-Perret et al., 2008).

Les entretiens étant réalisés en milieu formel, c'est-à-dire au sein de l’entreprise, nous

avons pu visiter chacune d’entre elles et observer ce qu’il s’y passait. En raison de la faiblesse

de l’effectif au sein de chaque TPE, il nous a fréquemment été demandé d’espacer les

entretiens sur plusieurs jours afin de ne pas perturber le fonctionnement « normal » de

l’entreprise254. Ce qui apparaît de prime abord comme une contrainte, nous a au contraire

permis de multiplier les visites sur chaque site, à des périodes d’activité différentes. Grâce à

ces visites espacées, nous avons pu mieux comprendre le fonctionnement de l’entreprise et

observer les relations entre individus et leurs interactions en conditions réelles et différentes

de travail.

Nous avons également sollicité chaque repreneur afin qu’il nous fournisse des documents

provenant de l’entreprise ou qui en parlent. Comme nous l’avons stipulé précédemment, peu 253

Format A4, Times New Roman, taille de police 12. La retranscription des enregistrements est disponible sur demande. Nous avons fait le choix de ne pas joindre ces retranscriptions à ce document, vu leur volume. 254

Les entreprises exerçant dans une activité de commerce et recevant des clients sur de larges amplitudes horaires, les horaires du personnel sont aménagés en conséquence. Pour chacune d’entre elles, les plannings prévoyaient le nombre exact de personnes nécessaires pour « faire tourner la boutique ».

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256

de documents nous furent finalement remis. Néanmoins, ceux qui nous ont été donnés, ont

apporté des informations précieuses. Il s’agissait précisément de livrets d’accueil pour les

entreprises PP, SJA, LPC, EMB, de livrets de présentation de l’entreprise pour les entreprises

FRT, EMB, SJA, LPC, ainsi que des bilans comptables pour LPC et HPC. En complément,

nous avons également pu collecter des renseignements directement sur les sites Internet des

entreprises HPC, PP, MC, FRT et LPC.

Tous ces documents, bien que peu nombreux au regard du volume des données primaires

récoltées, représentent un apport tout à fait significatif pour notre recherche. Les données ainsi

recueillies sont très utiles pour découvrir davantage l’entreprise, son fonctionnement ainsi que

le contexte dans lequel elle évolue. Wacheux (1996, p. 192) souligne à ce propos, qu’au

même titre que les entretiens, la documentation est une source incontournable lorsque l’on

s’intéresse à la vie des acteurs, à leurs comportements ainsi qu’à l’organisation. Elle est « la

source essentielle de la chronologie » et doit « être systématiquement rapprochée du

discours des acteurs ». L’analyse documentaire nous a effectivement permis de corroborer

des renseignements provenant d’autres sources (Yin, 2014), principalement des entretiens.

La multiplication des sources de données a été essentielle pour mieux appréhender la

complexité du contexte (Benbasat et al., 1987). S’inscrivant dans une démarche

interprétativiste, un tel procédé a permis d’entrevoir les différentes facettes sous lesquelles se

manifeste un même phénomène (Usunier et al., 2000). Parallèlement, la multiplication des

sources a donné la possibilité de mener le processus de triangulation et de comparaison qui

sont particulièrement recommandés lors de l’analyse des études de cas (Stake, 2005).

Page 258: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

257

Conclusion section 1

Cette section avait pour objectif d’expliquer les fondements épistémologiques et

méthodologiques sur lesquels s’est construit progressivement ce travail.

Nous avons commencé par exposer nos réflexions quant à l’orientation générale de

la recherche. Après examen des différents paradigmes épistémologiques, un positionnement

interprétativiste nous a semblé correspondre le mieux aux objectifs que l’on assigne à cette

étude. Un tel positionnement apparaît, en effet, particulièrement adapté à la compréhension

du sens que les différents acteurs concernés par un événement, ici les salariés et repreneurs

suite à la RPP, attachent à la réalité sociale, à leurs motivations et intentions. Nous avons

ensuite expliqué l’intérêt d’un mode de raisonnement abductif.

Dans un deuxième temps, nous avons justifié l’utilisation d’une approche

qualitative. Pour Mucchielli (1996), l’utilisation d’une telle démarche est parfaitement

justifiée pour expliquer et comprendre « un phénomène humain ou social ». Ce choix

semble en cohérence avec notre objet de recherche, l’entrée d’un repreneur dans une

entreprise existante constituant effectivement un phénomène humain (Boussaguet, 2005).

Cette méthodologie de recherche qualitative se révèle également particulièrement efficace

lorsqu’on cherche à appréhender un phénomène peu connu. Dans la mesure où elle permet

d’explorer et de comprendre des phénomènes complexes et de dégager des invariants, la

méthode des cas multiples est apparue appropriée.

Enfin, après présentation des critères de sélection et des 10 terrains de recherche

retenus, nous avons dévoilé les techniques utilisées pour collecter les données

indispensables à notre étude.

Une fois tous ces éléments précisés, nous pouvons à présent, dans une deuxième section,

expliquer la manière dont nous avons procédé pour analyser les données et aborder la

question de l’évaluation de cette recherche.

Page 259: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

258

Section 2 - Analyse des données et évaluation de la recherche

Cette section vise à expliciter la démarche utilisée pour analyser et interpréter les

données recueillies en vue d’en établir des conclusions scientifiquement présentables. Il s’agit

là d’une démarche quasi obligatoire pour tout chercheur qualitativiste. En effet, comme nous

le rappelle Wacheux (1996, p. 227), même si les techniques d’analyses de données

qualitatives n’ont pas besoin d’une certification procédurale, contrairement aux démarches

quantitatives, il demeure néanmoins impératif pour le chercheur de démontrer la « valeur

philosophique logique » de son travail. Nous tenons à signaler dès à présent que bien que

l’étape d’analyse soit exposée à la suite de la collecte de données, nous avons réalisé les deux

sur un mode itératif. Nous suivons en cela les préconisations de Miles et Huberman (2003, p.

101) pour qui il est fortement recommandé de procéder à une analyse en cours de recueil de

données, car le « chercheur peut alterner un travail de réflexion sur les données déjà

collectées et une mise au point de nouvelles stratégies pour en collecter d’autres, souvent de

meilleure qualité ». Cette démarche nous condamne alors à osciller entre réel et irréel,

intuition et contradictions, incompréhensions et interprétations (Hlady Rispal, 2002). Pour

mener à bien son travail d’analyse, le chercheur est tenu de respecter différentes phases. Miles

et Huberman (2003) décomposent ainsi l’analyse qualitative en trois flux concourant

d’activités : la condensation des données, la présentation des données, et

l’élaboration/vérification des conclusions, comme le montre la figure suivante.

Figure 24 - Composantes de l’analyse des données : modèle de flux

Source : Miles et Huberman (2003, p. 28).

Après

Après

Après

Pendant

Pendant

Période de recueil de données

CONDENSATION DES DONNEES

PRESENTATION DES DONNEES

ELABORATION/VERIFICATION DES DONNEES

Pendant

Anticipée

= ANALYSE

Page 260: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

259

Pour ces auteurs, ces trois courants sont « parallèles », et s’entrelacent pendant et après

la collecte des données. Pour la suite de notre travail, nous nous sommes appuyé sur cette

conception de l’analyse qualitative et de différents outils déjà éprouvés pour réduire le

volume d’informations collectées, catégoriser et mettre en relation ces mêmes informations

avant d’aboutir à des résultats pertinents.

Nous exposerons dans les points suivants les méthodes et instruments utilisés pour

l’analyse qualitative de nos données, puis procèderons à l’évaluation de cette recherche.

2.1.) La condensation des données

Réalisé à partir d’entretiens, d’observations et de lectures documentaires, notre travail

sur le terrain a permis de recueillir un volume important de données qualitatives. Nous

disposons maintenant d’un matériau brut relativement riche, mais ne permettant néanmoins

pas de produire directement une analyse. A ce stade, il convient donc de trouver un fil

conducteur dans cette masse d’informations (Hlady Rispal, 2002). Le processus de

condensation des données vise justement à obtenir un matériau utilisable à partir d’une

multiplicité de sources et de données. Selon Miles et Huberman (2003, p. 29), il renvoie à

« l’ensemble des processus de sélection, centration, simplification, abstraction et

transformation des données « brutes » figurant dans les transcriptions des notes de terrain ».

Il s’agit là d’une forme d’analyse qui consiste à « élaguer, trier, distinguer, rejeter et

organiser les données de telle sorte qu’on puisse en tirer des conclusions « finales » et les

vérifier ».

En ce qui nous concerne, la condensation des données a été menée tout au long de la

recherche. Nous avons ainsi pu traiter les données au « fil de l’eau » et procéder à des

réajustements pour les collectes suivantes lorsque nous constations des informations

manquantes, approximatives ou équivoques. Des fiches de synthèse d’entretiens ont été

élaborées pour chaque interview 255 . Il s’agit, selon Miles et Huberman (2003, p. 108),

d’une façon « rapide et pratique d’opérer une première condensation des données, sans rien

perdre des informations de base (la transcription) auxquelles elle se réfère ». Ensuite, chaque

255

A la fin de chaque entretien, après avoir revu et corrigé nos transcriptions de notes de terrain, nous remplissions une fiche de synthèse sur laquelle étaient portées les informations essentielles ainsi que nos éléments de réflexions.

Page 261: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

260

entretien a été intégralement retranscrit puis soumis à une analyse de contenu (Bardin,

2003,256).

Plus précisément, nous avons opté pour la méthode d’analyse thématique afin de

coder, analyser et interpréter nos données. Pratiquer une analyse de ce genre revient à repérer

des « noyaux de sens » qui composent la communication et dont « la présence ou la fréquence

d’apparition pourront signifier quelque chose pour l’objectif analytique choisi » (Bardin,

2003, p. 137). Selon Gavard-Perret et al. (2008, p. 261), l’objectif de cette méthode est de

trouver, « les thèmes récurrents entre les différents documents ou entretiens du corpus et les

contenus qui s’y rattachent ». Pour ces auteurs, deux approches du corpus sont possibles et

complémentaires. D’une part, l’approche « verticale » consiste à analyser chaque document et

repérer les mots et les thèmes qui lui sont propres et, d’autre part, l’approche « horizontale »

cherche, quant à elle, à repérer des récurrences et des régularités d’un document à l’autre.

Nous avons fait le choix de combiner ces deux méthodes. Ainsi, nous avons d’abord soumis

nos documents à une analyse verticale, puis, dans un second temps, à une analyse horizontale.

Un tel procédé a permis d’appréhender chaque logique individuelle dans son contexte, tout en

laissant apparaître des récurrences ou des dissemblances au sein de notre matériau empirique.

Afin de rendre l’analyse plus rapide et plus puissante (Miles et Huberman, 2003, p. 128), nous

avons eu recours au codage comme outil de traitement des données.

2.1.1.) Les solutions de codification retenues

Selon Miles et Huberman (2003, p. 112), la codification relève de l’analyse. Elle

consiste à « examiner une série de notes de terrain, transcrites ou synthétisées, et les

disséquer avec intelligence, tout en préservant intactes les relations entre les segments de

données ». Un tel processus revient à identifier et à coder des passages de textes évoquant les

catégories ou les concepts en lien avec le phénomène étudié. La finalité poursuivie est

d’organiser et de trier les données pour rendre l’analyse plus facile (Gagnon, 2012).

Notre analyse a débuté par plusieurs lectures « flottantes »257 de chaque texte (Bardin,

2003) afin de nous familiariser avec son contenu et prendre progressivement connaissance du

256

Cette auteure désigne par analyse de contenu « un ensemble de techniques d’analyse des communications

visant, par des procédures systématiques et objectives de description du contenu des messages, à obtenir des

indicateurs (quantitatifs ou non) permettant l’inférence de connaissances relatives aux conditions de

production/réception (variables inférées) de ces messages » (Bardin, 2003, p. 47). 257

Selon Bardin (2003, p. 126), la lecture « flottante » marque le point de départ de l’analyse de contenu. A ce stade, le chercheur se trouve encore dans la phase de « préanalyse ». L’auteure définit la lecture flottante

Page 262: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

261

sens global (Aktouf, 1987). Suite à ces lectures, nous avons procédé au travail de codification.

Pour ne pas dénaturer le sens des informations qui étaient présentées, nous avons choisi

d’attribuer des codes à des phrases ou des groupes de phrases et non à des mots seuls.

Progressivement, à partir de ces unités de sens, nous avons construit un dictionnaire des

thèmes258. L’élaboration de ce dictionnaire s’est faite à la fois de manière inductive en laissant

émerger directement du terrain des codes et leurs relations (Glaser et Strauss, 1967), et

déductive, en établissant avant même d’aller sur le terrain une première liste de codes en

fonction de nos centres d’intérêt conceptuels.

Tout au long du processus, nous avons veillé à respecter le plus possible certaines

suggestions comme celles avancées par Miles et Huberman (2003, p. 128). Ainsi,

· nous nous sommes assuré que tous les codes s’inséraient bien dans une structure,

qu’ils étaient « reliés à d’autres codes ou s’en distinguent de façon significative et

déterminante pour l’étude en cours » ;

· les codes qui ont été retenus sont relativement proches sémantiquement des termes

qu’ils représentent ;

· nous avons défini les codes de manière opérationnelle et nous avons veillé à ce que

tous les analystes puissent comprendre ces définitions et soient capables d’identifier

rapidement un segment répondant à une définition.

Que les codes soient préétablis ou construits en cours d’étude, ils ont évolué tout au

long de notre recherche jusqu’à ce que l’analyse arrive elle-même à saturation. Un tel

phénomène se produit généralement lorsque « tous les faits nouveaux peuvent être

immédiatement classifiés, les catégories sont « saturées » et un nombre suffisant de

« régularités » émergent » (Lincoln et Guba, cités par Miles et Huberman, 2003, p. 121).

Pour nous aider à réaliser ce travail de codification long et parfois fastidieux (Bardin,

2003 ; Gagnon, 2012), nous avons choisi d’utiliser le logiciel NVivo-10©259 . Ce logiciel

dispose d’atouts non négligeables pour optimiser le temps d’analyse et faciliter le travail du

chercheur.

comme « la première activité » qui « consiste à se mettre en contact avec les documents d’analyse, à faire

connaissance en laissant venir à soi des impressions, des orientations ». 258

Pour Wacheux (1996, p. 233), il s’agit là d’un « instrument systématique et puissant pour réduire les

données ». 259

La société éditrice de ce logiciel est QSR International ; www.qsrinternational.com. Nous nous sommes procuré une version de ce logiciel via un distributeur français, la société RITME informatique ; www.ritme.com.

Page 263: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

262

2.1.2.) L’utilisation du logiciel de codage : NVivo-10©

NVivo© appartient à la famille des logiciels d’Analyse de Données Qualitatives

Assistées par Ordinateur (ADQAO). Il s’agit d’un outil de traitement informatique des

données dont l’intérêt principal est d’épargner au chercheur la gestion manuelle des

informations. Gavard-Perret et al. (2008, p. 266) le décrivent comme faisant partie de ce

groupe de logiciels servant « à synthétiser rapidement de grandes masses de données, à en

extraire facilement les thèmes essentiels ou des données particulières et à en faire émerger

des structures et des enchaînements possibles »260. Grâce au gain de temps qu’il procure, le

chercheur peut se consacrer davantage à une analyse plus approfondie des données.

Différentes fonctionnalités propres au logiciel sont très utiles pour réaliser l’analyse. De La

Rupelle et Mouricou (2008) ont recensé les plus importantes. NVivo© permet ainsi de

centraliser l’ensemble des données, de rattacher des segments de texte à des codes, puis de

manipuler librement ces codes (rajout, regroupement, fusion de certains codes, changement

des catégories de rattachement, etc.), d’élaborer des matrices afin d’établir des recoupements

et des associations (le chercheur peut analyser ces matrices, mesurer les occurrences, appuyer

ses propositions, voire tester ses hypothèses), et enfin de regrouper tous les éléments ayant

servi à l’analyse dans un « model » faisant apparaître des relations.

Dans le cadre d’une approche exploratoire telle que la nôtre, cet outil a été d’un grand

secours pour affiner notre liste de codes, les stabiliser, puis établir progressivement notre

dictionnaire des thèmes. Sa flexibilité d’utilisation a, en effet, permis de créer et de modifier

autant que nous le souhaitions des codes en fonction des avancées de la recherche et de

mesurer instantanément les répercussions de nos actions sur l’ensemble des éléments261.

Ce logiciel a également permis de structurer l’activité d’analyse des données en deux

temps. Dans un premier temps, nous avons procédé au codage des données en nommant et

catégorisant les phénomènes observés indépendamment du contexte. Il s’agit d’une première

phase de décontextualisation (Tesch, 1990, cité par Gavard-Perret, 2008) permettant de

détacher certains éléments de leur contexte, de les isoler des autres éléments du corpus. Dans

un deuxième temps, via un regroupement en catégories et par des mises en relation, nous

avons procédé à un travail de recontextualisation. Celle-ci s’obtient en amalgamant les codes

260

Les auteurs citent d’autres logiciels comme Wordmapper, Sampler, Semiomap, SDOC, UMAP, NUD’IST, etc. 261

NVivo10 autorise l’ajout ou la modification de codes « à volonté » et répercute automatiquement l’effet de ces actions sur l’ensemble des données. Ce traitement automatique des informations contribue certainement à améliorer la qualité du processus de codage.

Page 264: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

263

ou les catégories préalablement décontextualisés pour en faire un tout intelligible et porteur de

sens (Deschenaux, 2007). Ce mouvement de décontextualisation-recontextualisation a donné

la possibilité d’approfondir considérablement l’analyse et de définir des concepts plus

généraux, conformément à notre démarche d’abstraction.

A partir de notre cadre conceptuel et de nos questions de recherches, nous avons

dressé une liste de départ de 54 codes. Cette première liste de codes a été retranscrite

intégralement dans le logiciel NVivo-10©. Les 31 entretiens ont ensuite été analysés, ce qui

nous a permis d’affiner les codes, d’en créer de nouveaux, de générer des sous-catégories et

de supprimer des codes au fur et à mesure de l’analyse. Au total, 87 codes (nœuds) ont été

identifiés lors de ce codage de premier niveau. Nous sommes ensuite passé à un deuxième

niveau d’analyse (codage thématique) afin de regrouper les codes de premier niveau en un

nombre plus restreint de thèmes. Sept métas-codes ont alors émergé à la fin du processus

d’analyse. Il s’agit des comportements des acteurs, des communications interpersonnelles, des

éléments contextuels, de la coordination, de l’engagement, des interactions, et du processus

organisant. Ces thèmes ont constitué une grille d’analyse stable de tous les entretiens réalisés.

Un extrait de la grille thématique que nous avons construite, est présenté en annexe 6.

Figure 25 - Codage de premier niveau sur le logiciel NVivo-10©

Page 265: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

264

Le travail de condensation réalisé, il nous reste maintenant à voir comment les

différents composants mis en relief s’interconnectent (Miles et Huberman, 2003). Ceci

requiert l’établissement de formats de représentations visuelles des données.

2.2.) La présentation des données

L’objectif de cette deuxième étape est d’obtenir une vue d’ensemble des données afin

d’en tirer des conclusions valides. Différents « formats de présentations » de données peuvent

être exploités par le chercheur pour arriver à une analyse qualitative rigoureuse et

scientifiquement recevable. Ces formats sont entendus comme « un assemblage organisé

d’informations qui permet de tirer des conclusions et de passer à l’action » (Miles et

Huberman, 2003, p. 29). Quels que soient les formats sélectionnés, ils doivent présenter de

manière lisible et compréhensible262 les variables importantes étudiées, leurs relations, aussi

bien au niveau d’un cas unique qu’au niveau d’une étude de cas multiples. Miles et Huberman

(2003) proposent un grand nombre de formats de présentation de données qualitatives. Ces

derniers peuvent être regroupés en quatre grandes familles : les matrices, les diagrammes, les

graphiques et les tableaux. Dans les faits, il n’existe pas de canons méthodologiques arrêtés en

matière de conception d’outils. Chaque chercheur est libre de choisir et d’adapter les

instruments qui conviennent le mieux à sa recherche. L’essentiel est qu’ils soient fonctionnels

pour apporter des réponses plausibles aux questions soulevées. L’inventivité et la créativité

dans le domaine sont donc vivement conseillées (Wacheux, 1996 ; Miles et Huberman, 2003).

Pour ce travail doctoral, nous avons fait le choix d’utiliser plusieurs outils. Nous avons eu

recours à des diagrammes contextuels afin de dépeindre les relations entre individus au sein

de chaque TPE (histoire de leurs relations, événements marquants, nature de la relation, etc.)

ainsi qu’à des matrices (rôles/chronologie, effets), identiques pour chaque cas étudié afin de

faciliter les comparaisons inter-cas.

L’intérêt du diagramme contextuel est de représenter le contexte social d’actions

individuelles de manière suffisamment précise, sans être submergé par une multitude de

détails. Il s’agit là d’un acte essentiel. Pour Miles et Huberman (2003, p. 190), « la

compréhension des contextes est cruciale » puisque ne pas s’en préoccuper peut engendrer

une mauvaise interprétation de la signification des événements. Pour expliquer la manière

dont les contextes influent sur nos interprétations des événements, ces auteurs citent Mishler

262

Selon les auteurs, Ils doivent être conçus pour que l’analyste puisse « embrasser d’un seul coup d’œil la

situation » (Miles et Huberman, 2003, p. 29).

Page 266: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

265

(1979) : « le sens existe toujours au sein d’un contexte et les contextes intègrent le sens ».

Nous avons construit les diagrammes en fonction des relations entre individus (autorité,

répartition des tâches, qualité des relations), de leurs comportements durant la période de

management de la reprise et, pour finir, de l’environnement social immédiat de l’organisation.

La matrice rôles/chronologie présente les données de façon systématique pour

permettre une comparaison inter-rôles et/ou vérifier si les personnes occupant le même rôle

voient effectivement la vie de la même façon (Miles et Huberman, p. 223). L’objectif est de

représenter les interprétations des différents acteurs en fonction du rôle occupé (salariés,

salariés « responsables » et repreneurs) et, en corollaire, leurs comportements durant la

période du management de la reprise263. L’outil autorise également la prise en compte du

paramètre « temps » pour situer le « moment » de l’action des uns et des autres.

La matrice des effets permet de présenter les effets du changement de dirigeant sur

l’organisation. Il s’agit d’un outil particulièrement adapté à l’observation des réactions de

l’organisation ou des structures (Wacheux, 1996). En ordonnées, nous avons inscrit les

différents thèmes s’intégrant dans un « résultat » (Miles et Huberman, 2003, p. 246) intitulé :

« nouveau système d’actions organisées ». Il s’agit des thèmes suivants : « structuration,

coordination des activités, communications interpersonnelles, environnement relationnel».

Nous avons finalisé la construction de la matrice en distinguant, en abscisses, les

étapes principales telles que celles décrites par les différents acteurs.

Nous avons également choisi d’utiliser le modèle de Vandangeon-Derumez et Autissier

(2006) préalablement décrit en première partie de notre travail. Pour rappel, ce dernier

représente de manière transversale le processus de sensemaking en liant les variables de la

création de sens au niveau organisationnel (culture, stratégie, structure) au processus

d’engagement individuel dans l’action. Prendre en considération à la fois ces trois variables

organisationnelles et les composantes du sensemaking telles qu’elles sont identifiées par

Weick (1979), nous paraît indispensable pour bien appréhender le processus de construction

de sens à l’œuvre après l’arrivée du repreneur. Cette modélisation fournit par la même

occasion une grille d’analyse opérationnelle tout à fait pertinente pour expliquer la réussite ou

l’échec d’un processus de changement dans une entreprise (Autissier et Bensebaa, 2006).

Notre objectif n’est pas de tester ce modèle, mais de l’utiliser comme une grille de lecture du

263

Certaines matrices intègrent en première période l’annonce de l’arrivée du repreneur par le cédant jusqu’au moment de son entrée effective en fonction.

Page 267: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

266

processus de sensemaking afin d’en extraire une première analyse essentielle à la

compréhension. Nous avons donc élaboré une grille descriptive de la création de sens pour les

deux catégories d’acteurs (repreneur, salariés) pour chacune des 10 TPE analysées. Au total,

pas moins de 19 grilles descriptives ont été conçues 264 . La synthèse de ces 19 grilles

descriptives a permis d’élaborer un tableau général des facteurs organisationnels de

création/destruction de sens au cours de la période du management de la reprise d’une TPE

(ce tableau sera présenté dans le prochain chapitre).

La condensation et la présentation des données étant réalisées, il nous reste maintenant à

élaborer, puis vérifier nos conclusions. Ceci fait l’objet du point suivant.

2.3.) L’élaboration et la vérification des conclusions

Troisième et dernier courant de l’analyse qualitative, l’élaboration/vérification des

conclusions débutent en même temps que la phase de collecte des données. En effet, dès cette

période, l’analyste qualitatif « commence à décider du sens des choses, il note les régularités,

les « patterns », les explications, les configurations possibles, les flux de causalité et les

propositions » (Miles et Huberman, 2003, p. 30). Le processus d’élaboration de propositions

théoriques est un processus généralement long et itératif. Il s’appuie sur une démarche de

description, de comparaison et de vérification et se conclut par l’atteinte d’une saturation

empirique et théorique satisfaisante (Hlady Rispal, 2002). Durant tout le processus, il est

recommandé au chercheur de garder un esprit ouvert et critique (Miles et Huberman, 2003, p.

30) afin de ne pas s’enfermer trop hâtivement dans des conclusions insuffisamment

représentatives ou infondées. Pour ce qui nous concerne, nous avons extrait des premières

conclusions dès le début du processus de collecte, puis nous les avons actualisées

progressivement jusqu’à la fin. Au fur et à mesure de l’avancement de l’analyse, nous avons

vérifié puis affermi nos résultats 265 jusqu’à l’obtention de conclusions finales

scientifiquement recevables.

264

Un extrait est présenté dans le chapitre 2 de la deuxième partie. 265

Miles et Huberman (2003, p. 473) suggèrent, par exemple, de ne pas hésiter à opérer un retour aux notes de terrain en cas de besoin ou encore de faire appel à des collègues (par exemple, d’autres chercheurs) pour développer un consensus intersubjectif sur les résultats. Ils proposent également treize « tactiques » suivantes pour vérifier ou confirmer ses conclusions. Il s’agit de contrôler la représentativité, les effets du chercheur, de trianguler les sources et les méthodes, de pondérer les données, de vérifier la signification des cas atypiques, d’utiliser les cas extrêmes, de traquer les faits surprenants, de rechercher les preuves contraires, de réaliser des tests si-alors, d’écarter les relations fallacieuses, de reproduire un résultat, de vérifier les explications rivales, et pour finir de solliciter les réactions des informateurs.

Page 268: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

267

Maintenant se pose la question fondamentale de la valeur scientifique des résultats

obtenus. Celle-ci est généralement exprimée en termes de validité et de fiabilité de la

recherche. Selon Piaget (1970, cité par Mbengue et Vandangeon-Derumez, 1999, p. 8), les

interrogations portant sur la validité d’une recherche sont un des deux éléments permettant

d’évaluer le progrès du savoir scientifique (l’autre élément étant le passage d’un niveau

déterminé de la connaissance à un autre niveau). Ainsi, c’est par l’estimation de la validité de

sa recherche que le scientifique est en mesure d’évaluer les connaissances produites.

L’évaluation de la fiabilité d’une recherche revient à établir et vérifier que les différentes

actions entreprises par le chercheur pourront être répétées avec des résultats identiques par

d’autres chercheurs et/ou à des moments différents (Drucker-Godard, Ehlinger et Grenier,

2014).

Les différentes actions entreprises pour répondre au mieux à ces exigences et à nos

propres interrogations feront l’objet du paragraphe suivant.

2.4.) L’évaluation de la recherche

Pour Drucker-Godard et al. (2014), tout chercheur est tenu de réfléchir, au cours et à

l’issue de son travail de recherche, aux questions de validité et de fiabilité de sa production.

Savoir dans quelles mesures les conclusions auxquelles nous arrivons peuvent apporter une

contribution (même mineure) à la connaissance scientifique est une préoccupation qui nous a

guidée tout au long de cette recherche. Dans les points précédents, nous avons expliqué notre

choix d’appréhender l’entrée dans l’entreprise du repreneur à travers une démarche de

recherche qualitative. Nous avons également pu relever qu’une telle approche s’inscrivait

dans une logique de découverte et de construction de sens à travers des mots qui, finalement,

« ne sont jamais analysés que par d’autres mots » (Hlady Rispal, 2002, p. 36). S’il est

facilement admis que les outils analytiques quantitatifs garantissent la valeur de la

connaissance et la généralisation des résultats (Mbengue et Vanadangeon-Derumez, 1999), la

méthodologie qualitative fait, a contrario, l’objet de vives critiques de la part de pans entiers

de la communauté scientifique. On lui reproche principalement son manque d’objectivité, de

rigueur, de pertinence dans ses critères d’échantillonnage ou encore un trop fort ancrage dans

le contexte d’étude (Yin, 2014). Malgré des progrès significatifs dans « le savoir-faire

partagé en matière d’analyse qualitative », les résultats découlant d’une telle approche

souffrent encore d’un problème de confiance (Miles et Huberman, 2003, p. 13).

Page 269: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

268

Pour Mucchielli (2009), les méthodes qualitatives débouchent avant tout sur

l’explicitation des significations et du «sens » donnés aux choses de la vie. Les conclusions

s’apparentent donc plus à une interprétation finale qui se doit de répondre à des critères de

validation précis. Il revient au chercheur interprétatif d’expliquer la manière dont cette

dernière a été construite. C’est par ce moyen qu’il gagnera la « respectabilité sociale et

scientifique ». Appréhender la validité globale d’une recherche qualitative revient à s’assurer

de la pertinence et de la rigueur des conclusions et à évaluer leur niveau de généralisation.

Deux critères sont mobilisables par le chercheur. Il s’agit du critère d’acceptation interne et du

critère d’acceptation externe. Reprenons-les successivement ci-dessous.

(1) L’acceptation interne est la validation des explications proposées par les différents

acteurs impliqués dans le processus de recherche. Ce critère désigne le degré de concordance

et d’assentiment qui s’établit entre le sens que le chercheur attribue aux données recueillies et

sa plausibilité telle qu’elle est perçue par les participants à l’étude (Mucchielli, 2009). Nos

multiples échanges avec les repreneurs (par entretiens téléphoniques et en face à face) et les

salariés durant tout le processus de recherche, nous ont permis de vérifier partiellement la

validité de nos conclusions. D’un point de vue méthodologique, nous avons réalisé des

synthèses lors de chaque entretien afin de rendre compte de notre compréhension de ce qui a

été dit. A chaque fois que cela était possible, nous avons cherché à vérifier directement auprès

des acteurs les explications trouvées afin de limiter le plus possible le biais interprétatif. Pour

apporter une garantie de validité interne supplémentaire, nous avons remis un compte rendu

final à chaque repreneur et solliciter leur avis. Les commentaires qui nous ont été faits en

retour ont servi à affiner nos conclusions.

(2) L’acceptation externe est attribuée par des individus qui n’ont pas pris part à

l’étude, en règle générale, des membres de la communauté scientifique. Au moment de la

communication des résultats, ces derniers évaluent l’intérêt et la pertinence du travail de

recherche. Pour ce qui nous concerne, nous avons présenté l’état d’avancement de nos

travaux, puis nos conclusions, aux membres de notre laboratoire de recherche. Nous avons

également exposé nos résultats à des chercheurs spécialisés dans l’étude sur la transmission

d’entreprises et à des professionnels accompagnant les repreneurs. Là encore, les observations

qui nous ont été faites nous ont aidé à progresser dans notre recherche.

En ce qui concerne la fiabilité, celle-ci est exprimée à travers les notions de

complétude (ou cohérence interne) et de saturation du terrain. Le critère de complétude (ou

Page 270: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

269

cohérence interne) est un des critères de validité proposés par Glaser et Strauss (1967). Pour

ces auteurs, tout travail de recherche se doit d’être cohérent, complet et convaincant. Les

explications proposées par le chercheur doivent donc être exemptes de contradictions internes

et ne pas s’opposer avec les faits (Wacheux, 1996). Ceci revient à accentuer le degré de

plausibilité et de réalisme du travail à travers la mise en place d’actions. En ce qui nous

concerne, nous avons essayé de décrire le plus précisément possible (et en toute transparence),

notre parcours de recherche, en particulier les phases de collecte et de traitement des données

collectées.

La saturation du terrain est également un critère de validité proposé par Glaser et Strauss

(1967). C’est l’équivalent du critère de représentativité propre aux recherches quantitatives

(Wacheux, 1996). La saturation s’obtient lorsque le recueil de données supplémentaires

n’apporte plus aucune information significative aux cadres de références établis. Notre

recours à l’ étude de cas multiples (10 TPE analysées) a permis d’extraire un matériau

suffisant (31 entretiens) pour observer des convergences dans les interprétations des acteurs.

Les entretiens ont fait ressortir assez rapidement des résultats invariants. Ces redondances

nous ont laissé penser que nous avions atteint un niveau de saturation satisfaisant.

Les critères de validité et de fiabilité permettent d’évaluer la véracité et l’authenticité

des résultats d’une recherche. Afin de répondre à ces deux nécessités, nous avons accordé un

soin tout particulier à l’élaboration de notre protocole de recherche. Nous avons

continuellement gardé à l’esprit l’ensemble des critères précédemment évoqués (acceptation

interne, externe, complétude et saturation) afin de garantir un niveau de validité et de fiabilité

acceptable. Tout au long de notre recherche, nous avons tenté de porter un « œil critique » sur

nos propres interprétations. Néanmoins, et malgré tous les efforts que nous avons consentis,

nous avons conscience que cela peut encore demeurer insuffisant, la « validité parfaite »

d’une recherche n’existant pas (Drucker-Godard, Ehlinger et Grenier, 2014).

Page 271: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

270

Conclusion section 2

L’objectif de cette deuxième section était de présenter la méthodologie déployée

pour analyser et interpréter les données issues de nos 31 entretiens semi-directifs menés

auprès de repreneurs et de salariés au sein de 10 TPE saines récemment reprises. Nous

avons détaillé le processus d’analyse des données suivi lors de cette recherche, ce dernier

étant fortement inspiré de la méthode mise au point par Miles et Huberman (2003). Nous

avons débuté la phase de condensation des données par la rédaction de fiches de synthèse

d’entretiens pour chaque interview réalisée. Ensuite, chaque entretien a été intégralement

retranscrit, puis soumis à une analyse de contenu, via la méthode d’analyse thématique.

Pour nous aider dans le travail de codage, nous avons eu recours à un logiciel

spécialement conçu pour cette tâche : il s’agit du logiciel NVivo-10©. Nous avons, enfin,

expliqué notre choix du recours à différents formats de présentation des données

(diagrammes contextuels, matrices rôles/chronologie, matrices des effets) pour en obtenir

une vue d’ensemble et en tirer des conclusions valides. Nous avons terminé cette section

par une discussion portant sur l’évaluation de notre recherche à travers les critères de

validité et de fiabilité. Pour la validité, nous avons mobilisé deux critères : (1)

l’acceptation interne et (2) l’acceptation externe. En ce qui concerne la fiabilité, nous

avons essayé de décrire, le plus précisément possible, notre parcours de recherche pour

satisfaire au mieux le critère de complétude, sans oublier de vérifier le second critère qui

est la saturation du terrain.

Page 272: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

271

Section 3- Le processus de reconstruction collective de sens post-reprise

L’arrivée d’un nouveau dirigeant au sein d’une TPE est un événement puissant,

fortement déstabilisant, avec de nombreuses incidences sur la vie des différents acteurs

concernés, particulièrement pour le repreneur et les salariés. Ces derniers se retrouvent face à

une situation équivoque, instable et peu confortable dans laquelle il va falloir agir. Dans cette

section, nous présentons le processus de reconstruction collective de sens post-reprise à

travers ses mécanismes, ses propriétés, et ses acteurs. Nous terminons par une modélisation

du processus à la lumière du modèle E-S-R.

3.1.) L’équivocité perçue comme point de départ du processus

Notre revue de la littérature a révélé que l’entrée en fonction d’un nouveau dirigeant

au sein d’une entreprise de petite taille constituait une interruption et un changement

organisationnel majeur déstabilisant. L’interprétation de nos résultats le confirme pour toutes

les TPE étudiées. Elle montre également que cet événement produit de l’équivocité que les

différents individus concernés vont chercher à lever au moins partiellement en interagissant.

Par le jeu de séquences d’interactions, va se reconstruire progressivement un nouveau

système d’actions organisées dans lequel chaque individu pourra se situer et situera son

action.

3.1.1.) Les manifestations de l’équivocité

L’équivoque, dans sa définition la plus large, renvoie à la « possibilité d’interpréter

diversement un énoncé, un mot ; ambiguïté » ou bien encore à « ce qui manque de clarté » et

qui « est susceptible d’appréciations diverses, de créer la confusion » 266 . Pour Weick,

l’équivocité267 constitue le point de départ du processus de sensemaking. Elle en est la matière

première (Autissier et Bensebaa, 2006). Nous avons pu observer l’équivocité provoquée par

l’arrivée d’un nouveau dirigeant à travers différentes manifestations reprises ci-dessous.

(1) Une forte perturbation émotionnelle : l’équivocité s’accompagne généralement

d’émotions intenses (Laroche et Steyer, 2012). Selon Weick (1995, p. 46), les émotions sont

fortement liées aux interruptions ; « l’émotion est ce qui arrive entre le moment où une

266

Larousse, 2015. 267

Pour l’auteur, l’équivocité doit être envisagée ainsi : « l’équivoque est la mesure à laquelle les données sont

peu claires et suggèrent des interprétations multiples de l’environnement » (Weick, 2001, p. 251).

Page 273: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

272

séquence organisée est interrompue et le moment où l’interruption est supprimée, ou une

réponse de substitution est trouvée permettant à la séquence d’être complétée (…) » 268. Nos

observations sur le terrain ont révélé que l’annonce de l’arrivée du repreneur ou son entrée en

fonction (si elle n’a pas été annoncée) génère une perturbation émotionnelle forte auprès des

membres du collectif de travail. Différentes émotions sont évoquées par les personnes

interrogées comme l’anxiété, la peur, le doute, la méfiance et l’incompréhension. L’anxiété

apparaît comme un ressenti largement partagé par les différents acteurs. Les craintes sont

diverses et variées, mais renvoient, pour la plupart, à la place de l’individu dans la nouvelle

structure. Elles portent sur l’organisation en tant que telle (stratégie du repreneur, avenir de

l’organisation, etc.) et sur le devenir de l’individu lui-même (risque de perte d’emploi,

redéfinition dans les conditions de travail, remise en cause des acquis salariaux, etc.).

« Je pense qu’on n’a pas forcément bien accueilli Isabelle. On a essayé de faire

de notre mieux mais, au fond de nous, on était un peu froid quand même. On était

un peu sur la réserve, c’est quand même toujours un peu stressant, on ne sait

jamais qui on aura en face. En plus, c’est toujours difficile de quitter quelqu’un

avec qui on a eu de belles années, des souvenirs, enfin un vécu quoi… donc, là

c’est émotionnel, on ne contrôle pas vraiment ses réactions dans ces moments-là.

Malgré tout, on s’était dit qu’on l’accueillerait très bien, mais je pense que ça a

été plus fort que nous » (Salariée HPC).

Les émotions sont fortes, notamment lorsque le personnel a le sentiment d’être surpris,

comme le reconnaît ce salarié :

« Moi, contrairement aux autres, je ne m’attendais pas à ce qu’il y ait un

changement de propriétaire. Ça m’a fait un choc. Quand, je l’ai su, j’ai eu plein

de doutes en fait. On ne sait pas qui va venir, ce qu’il va faire, pourquoi elle

rachète… Est-ce qu’elle va tout changer. Mais ça, c’est normal, on vous met

presque du jour au lendemain face à un type ou à une dame que vous ne

connaissez pas et … c’est lui qui va vous diriger. Il y a de quoi se poser plein de

questions. Ça peut très vite mal tourner… si notre tête ne lui revient pas… »

(Salarié SAG).

268

« Emotion is what happens between the time that an organized sequence is interrupted and the time at

which the interruption is removed, or a substitute response is found that allows the sequence to be completed

(…), traduction libre.

Page 274: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

273

Du côté des repreneurs, les émotions, à ce stade du processus repreneurial, sont

nombreuses. Tout comme les salariés, leur entrée en fonction crée une turbulence, génère une

instabilité émotionnelle forte :

« Bon, émotionnellement, quand je suis arrivée dans l’entreprise, ça a été difficile

parce qu’on ne sait pas si on va y arriver ; déjà on se pose énormément de

questions surtout quand c’est... Quand vous êtes toujours dans votre corps de

métier, c’est pas grave, mais quand vous n’êtes pas dans votre corps de métier, il

faut apprendre le métier déjà, puis vous ne savez pas si ça va être viable ou pas.

Donc c’est stressant, c’est beaucoup de soucis. Et comme moi déjà, je suis à un

âge, voilà ; je vais avoir 47 ans, on est à un tournant de sa vie aussi parce que ça

remet en cause toute la vie familiale, c’est une organisation à prendre qu’on n’a

pas au départ, qu’on a au bout d’un an. Ça, y a pas de souci, c’est comme dans

un cirque où y a l’équilibriste, on est sur le fil en fait, y a des moments où ça

penche plus d’un côté, le côté qui est bon, par moment ça penche plus du côté qui

n’est pas bon, et là, on se sent pas bien, voilà » (Repreneuse HPC).

Certains évoquent une pression forte, difficile à gérer:

« Quand je suis arrivé, j’avais beaucoup de pression ; il faut rien rater en

arrivant. Pour moi, j’avais vraiment peur du premier jour. C’était plus fort que

moi, je n’en ai pas dormi de la nuit. En fait, faut rien rater et donner de bonnes

impressions tout de suite » (Repreneur MF).

Enfin, pour la majorité de personnes interrogées, l’arrivée dans l’entreprise d’un

repreneur fait naître un sentiment de confusion :

« On ne sait pas trop quoi en penser en fait, c’est bien, c’est pas bien, on n’en

sait rien, ça peut toujours être pire que l’ancien, mais ça peut aussi être

meilleur. Ça, on peut le savoir qu’après » (Salarié PP).

Ou bien encore :

« C’était une période super difficile, super déstabilisante. On est dans le flou

parce qu’en fait, on ne sait pas trop ce que ça va donner, si c’est bien pour nous

ou pas » (Salarié EMB).

Page 275: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

274

Le repreneur lui-même peut se sentir désorienté :

« Moi, j’avais une peur lors de la reprise, ça c’est sûr. Ce qui me faisait le plus

peur, c’était le management. Quand on a fait le chèque, c’est notre entreprise,

mais on n’est pas chez nous. Du coup, quand on arrive, on ne sait pas quoi faire,

vers qui s’appuyer et là c’est l’angoisse. Voilà, j’angoissais beaucoup sur le

comment ça allait se passer, je me suis même demandé si j’avais eu raison de

reprendre plutôt que de rester salarié. (…) Je me suis posé plein de questions

sur la rentabilité, si j’allais être à la hauteur, j’avais plein d’angoisses, je

naviguais dans le brouillard, mais je pense que j’ai eu de la chance. Je suis

tombé sur une très bonne équipe, avec des gens bien, vraiment bien, ils sont

polis, serviables, sérieux… qui ne demandaient en fait qu’à s’exprimer »

(Repreneur SJA).

Le changement de dirigeant, comme tout changement organisationnel, est un

événement intrinsèquement ambigu générant de la confusion, qui apparaît souvent comme

une menace aux yeux des individus (Maitlis et Sonenshein, 2010). Il crée, la plupart du temps,

une désorientation, un sentiment de peur et d’anxiété (Weick, 1993) poussant les membres de

l’organisation à entreprendre un travail de clarification et de mise à jour majeure par

l’extraction et l’interprétation d’indices dans leur environnement

(2) Des interprétations multiples : les salariés confrontés à l’arrivée d’un nouveau

dirigeant sont enclins à se poser de nombreuses questions ; pourquoi l’entreprise a-t-elle été

vendue ? Que veut faire le repreneur ? Pourquoi a-t-il repris cette entreprise ? Va-t-il

conserver l’organisation en l’état ? Qu’est-ce qui va changer pour nous ? Les interrogations

sont également fortes du côté des repreneurs : les salariés vont-ils bien m’accueillir ?

Comment va-t-on s’organiser dorénavant ? Quelle va être ma place dans le groupe ? Quels

sont les salariés sur lesquels je peux m’appuyer ? Ce que m’a « vendu » le cédant,

correspond-il à la réalité ? Chacun cherche à y voir plus clair. La multiplicité des explications

et réponses possibles rend cette situation équivoque. Plusieurs schémas interprétatifs sont

valables et participent à une difficulté de lisibilité de cette même situation (Vandangeon-

Derumez et Autissier, 2006). L’analyse des entretiens révèle que les interprétations émises par

les salariés concernent la manière dont va évoluer l’organisation :

Page 276: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

275

« Moi quand j’ai su que nous avions été vendus, j’ai tout de suite pensé que nous

l’avions été à un groupe, parce que nous sommes la dernière petite boîte dans ce

secteur d’activité. Et là, je me suis dit que cela ne serait pas la même histoire,

que l’organisation allait changer et qu’il ne garderait pas forcément tout le

personnel. Moi, je suis ingénieur, je suis le directeur technique et ils ont déjà ce

type de profil en interne dans les groupes » (salarié FRT).

Ou bien encore :

« Oui, nous on s’est posé des questions, à savoir le type de gestion et

d’organisation, parce que chaque patron a sa façon de gérer son magasin...

donc comment ça allait se passer, voir s’il y aurait des modifications. On a

entendu dire qu'il venait de Paris, donc on s'est dit ... j'espère qu'il ne va pas

faire comme là-bas avec des horaires d'ouvertures tardives, des choses comme

ça quoi.... » (Salarié ICV).

Mais les questions concernent également le repreneur, sa formation et ses ambitions :

« Avec mon collègue, en cuisine, on discute beaucoup, on travaille toute la

journée dans 30 m2, donc on échange. On s’est dit : « ce gars est super jeune »,

on a su après qu’il avait une ou deux autres grosses affaires et on a cherché à en

savoir un peu plus. Après, on s’est demandé pourquoi il avait choisi cette boîte,

qu’est-ce qu’il voulait faire comme restauration parce que là-bas, on n’était pas

tout à fait sur les mêmes menus (…) Moi j’ai 51 ans, lui il est jeune, il va

vouloir peut-être mettre des jeunes comme dans ses autres restaurants » (Salarié

LPC).

Ou bien :

« La question qu’on se pose tous, je pense, c’est où on va ? De toute manière,

dès qu’on parle changement, il y a une crainte, c’est tout de suite, où on va ?

Comme on dit, dans toute situation, on sait ce qu’on a, on ne sait pas ce qu’on

trouve, et là, encore plus. Et puis, aujourd’hui, il y a des nouvelles méthodes,

c’est plus la même formation pour les dirigeants, donc forcément… nous on

aime bien les méthodes de gestion à l’ancienne. On ne veut pas se transformer

en employés de Mac Do. Dans ce qui est ancien, il ne faut pas tout jeter. Nous,

Page 277: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

276

nos anciennes méthodes ont fait leurs preuves, on a quand même une clientèle

qui est fidèle, alors… ça ne doit pas être si mauvais que ça ! » (Salariée HPC).

Le repreneur peut quelquefois être surpris par l’interprétation qui est faite de

l’événement, comme le reconnaît ce dirigeant :

« Certains salariés sont venus me voire après quelque temps pour me demander

si j’allais conserver l’entreprise à Montbrison. En fait, quand ils ont su que

j’achetais, certains pensaient que, comme je suis originaire de Lyon, que je fais

les trajets tous les jours, ben, que j’allais sûrement déménager l’entreprise là-

bas. Je ne m’attendais pas du tout à ça !» (Repreneur FRT).

Nous avons relevé que de nombreux repreneurs se posent, à leur tour, beaucoup de

questions. Certains puisent dans les indices fournis par le cédant des éléments pour interpréter

la nouvelle situation, comme le montre le témoignage suivant :

« Au départ, on ne sait jamais si ça va marcher, est-ce que les clients vont

continuer à venir ? Est-ce que ça va bien se passer avec les salariés, est-ce

qu’ils vont bien m’accueillir ? Bon, Mme G…[le cédant] m’avait dit qu’il y avait

une bonne équipe, je l’ai vu dès le départ, ils sont ouverts, il n’y a pas eu de

réactions trop négatives. Mais bon, elle, elle voulait partir, elle n’allait pas me

dire, c’est tout beau tout rose, donc pendant un certain temps, on est dans

l’expectative » (Repreneur EMB).

Les différents groupes d’acteurs n’ayant pas de réponses immédiates et claires à toutes

leurs interrogations, vont se lancer à la recherche d’explications. L’objectif est d’obtenir une

compréhension plausible de la situation pour pouvoir agir de manière appropriée.

3.1.2.) La recherche d’explications

Confrontés à la nouveauté, à une interruption du flux de l’action, les salariés vont se

retrouver face à un grand nombre d’interprétations, parfois contradictoires (Weick, 1995). Ils

chercheront individuellement et collectivement à atteindre un certain niveau de

compréhension de la situation, à donner du sens au contexte dans lequel ils évoluent. Ils vont,

pour ce faire, s’engager dans un processus visant à réduire l’équivocité. Nous avons pu

relever deux pratiques mises en œuvre par les acteurs pour répondre à cet objectif : la

recherche d’explication dans le passé et l’interaction avec autrui.

Page 278: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

277

Ø La recherche d’explications dans le passé : réduire l’équivocité perçue d’une situation

requiert la sélection d’une interprétation particulière parmi celles dont on dispose.

Chaque individu tente de construire sa zone de sens, sa « réalité », en extrayant des

configurations signifiantes à partir des expériences et des situations vécues (Vidaillet,

2003). Le recours aux cadres cognitifs issus des expériences passées permet

d’examiner la situation et de rechercher des solutions. Nous avons relevé ce

phénomène à travers plusieurs cas, notamment lorsque le salarié a déjà connu une

situation de reprise par le passé :

« J’ai connu 3 reprises : j'avais une première patronne puis ça a été repris par

Christelle, puis par Clothilde. Donc ça fait 3 reprises ! C’est dur dur ! Mais bon,

je me suis dit : c’est souvent pareil, elles arrivent, elles prennent leurs marques,

elles changent des petites choses et, finalement, c’est pas une révolution»

(Salariée EMB).

Ø L’interaction avec autrui : l’activité individuelle de recherche de sens dans une

situation ambiguë demeurant généralement insuffisante pour aboutir à la confirmation

que la réalité promulguée existe bien, les individus vont solliciter la contribution

d’autrui :

« Moi, je pensais que le fait que ce soit un gars du coin, déjà expérimenté, ça

serait super pour le magasin ; j’en ai parlé avec mes collègues, certains

pensaient comme moi, ça nous a un peu réconfortés » (Salarié ICV).

Ou bien encore :

« Au début, j’ai vu qu’il était jeune, qu’il voulait mettre en place plein de choses,

qu’il rénovait l’établissement, je trouvais ça plutôt bien, mais bon, les autres ne

pensaient pas comme moi, ils m’ont dit que c’était pas bon signe et qu’il allait

faire le ménage… surtout chez les vieux » (Salarié LPC).

L’analyse des entretiens a permis d’observer l’équivocité provoquée par l’arrivée d’un

nouveau dirigeant au sein de l’entreprise. L’événement est perçu par tous comme un

changement majeur. Il génère du stress, de l’anxiété, de la confusion et fait prendre

conscience du caractère instable et fragile de la réalité. Il conduit les individus à s’engager

dans un travail de redéfinition de leur environnement, puis dans une recherche d’explications

Page 279: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

278

à travers l’interaction. Vérifions à présent si les mécanismes de la construction de sens tels

qu’ils ont été répertoriés par Weick, sont observables dans les cas étudiés.

3.2.) Les mécanismes du processus dans les cas étudiés

Notre revue de littérature a montré que la construction de sens trouve ses fondements

dans la construction identitaire de l’individu. S’il s’agit d’un processus individuel, l’activité

de création de sens n’est jamais solitaire et implique toujours plusieurs individus.

L’organisation prend naissance dans un processus incessant de construction et de destruction

de sens, opéré par des acteurs impliqués dans un ensemble d’interactions sociales. Il ressort

que la construction de sens se fait aux trois niveaux individuel, intersubjectif et

organisationnel.

Voyons maintenant s’il est possible d’observer le processus de construction de sens

pour chacun de ces trois niveaux.

3.2.1.) Au niveau individuel

L’élaboration du sens débute lorsque l’individu prend conscience que la réalité connue

lui échappe. Il tente d’apporter ses propres réponses aux questions : « Que se passe-t-il ici ? »

et « Que dois-je-faire ? ». Nous observons pour chaque reprise (excepté les salariés pour le

cas MF 269 ) que les personnes concernées tentent de construire du sens en assemblant

différents indices qu’elles perçoivent. En s’appuyant sur des cadres hérités du passé, des

« réservoirs de sens » (Laroche et Steyer, 2012) (expérience de la reprise, événements

marquants, systèmes de croyances, traditions, histoires) et en les confrontant aux indices

recueillis dans les événements perçus, les individus construisent le sens qu’ils donnent à la

situation. Les extraits suivants montrent, en outre, le caractère rétrospectif de la construction

de sens ;

« Au début, je me suis demandée pourquoi elle vendait ; j’avais peur qu’elle

vende parce que les résultats du magasin n’étaient pas bons, c’est vrai que les

chiffres à la fin c’était pas trop ça ! Après, je me suis rappelée d’une discussion

où elle m’avait fait part de ses problèmes personnels avec son enfant handicapé.

Tout ça, ça faisait lourd à gérer » (Salariée EMB).

269

Pour ce cas, nous n’avons pas eu la possibilité d’interroger des salariés « repris » dans la mesure où tous ont quitté l’entreprise dans les mois qui ont suivi l’entrée en fonction du dirigeant. Nous avions pourtant convenu avec le repreneur d’en rencontrer deux, un vendeur et un producteur.

Page 280: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

279

Ou bien encore :

« Moi, ça fait 27 ans que je suis là, j’ai changé plusieurs fois de patron et à

chaque fois c’est différent. Elle [la repreneuse], comme tous les autres, nous a

dit des choses et elle avait l’air honnête, mais bon, c’était plus fort que moi, je

me suis dit qu’à chaque fois, il y a eu des promesses et qu’elles n’ont pas toutes

été tenues. Y en a même qui ont fait l’inverse de ce qu’ils ont dit » (Salarié

HPC).

Ce phénomène concerne également les repreneurs, comme le confirme le témoignage

suivant :

« C’est pas ma première reprise ; moi, la dernière j’avais tout de suite senti que

ça allait mal se passer et je me suis pas trompé ; quand les gens ne veulent pas

travailler avec vous, ils vous le font sentir. Ici, je n’ai pas ressenti ça, au

premier abord, elles n’avaient pas l’air trop récalcitrantes, mais au final, on est

quand même sûr de rien, il faut quand même du temps pour voir si ça peut bien

marcher » (Repreneur PP).

Le processus de construction de sens est une activité mentale individuelle qui vise à

rendre le monde intelligible. Via une exploration parcellaire et subjective de leur

environnement, les individus (salariés ou repreneurs) tentent de structurer l’inconnu (Rojot et

Wacheux, 2006). Les émotions, les sentiments, l’intuition, voire l’imagination, identifiées

comme propices à l’apprentissage, prennent pleinement place dans le processus (Garreau,

2006). C’est à partir des informations extraites, des liens réalisés (Vidaillet, 2003), puis

modélisés dans des schémas cognitifs personnels, que chaque individu construit sa réalité.

3.2.2.) Au niveau intersubjectif

Les individus recherchent dans l’interrelation et l’interaction, un accord sur les

éléments à retenir de la situation afin de stabiliser suffisamment leurs représentations pour

pouvoir agir. C’est par le biais d’échanges, de prises de positions, de révisions graduelles de

ces dernières que les membres de l’organisation tentent de se mettre d’accord sur les

interprétations à retenir, donnant ainsi, petit à petit, du sens à la situation. Nous avons pu

observer différentes pratiques utilisées par les individus pour arriver à cette fin.

Page 281: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

280

Ø L’échange entre salariés : Nous avons pu relever, pour chaque TPE concernée270, une

tentative par les salariés de rechercher des explications, d’enrichir l’information sur la

situation en multipliant les interactions entre eux :

« Au départ, on en discutait un peu tous ensemble, on se disait juste bon…

savoir comment ça va être, et tout, on voulait se rassurer parce que, c’est vrai

qu’il avait pas l’air commode » (Salariée M.C.).

Ou bien encore :

« Dès qu’on a su, on en a beaucoup parlé avec les collègues, surtout quand

nous étions à l’extérieur. Bien, on avait tous un peu d'appréhension de savoir

est-ce qu'il allait s'en sortir, sachant qu'il n'était pas du métier, et c'était la

principale question du moment. Après, question gestion d'entreprise, on ne

savait pas trop ce qui se passerait, les chiffres, les devis, comment il allait s’en

sortir. Après, on s’est dit que c’était un gars qui avait un poste important dans

une grosse boîte et qu’il devait savoir ce qu’il faisait » (Salarié FRT).

Ø L’échange « salariés-cédant » : les membres de l’organisation ont également

quelquefois recours, en amont du processus de reconstruction collective de sens, à

l’interprétation et au schéma explicatif du cédant :

« Nous, on avait peur, quand on a su qu’il allait y avoir un repreneur, qu’il

chamboule tout. L’entreprise marchait mais… on ne sait pas, ce qu’il veut en

faire, s’il a des gens qui viennent avec lui, une équipe qu’il souhaite mettre en

place dans le magasin. Au départ, on n’en sait rien. Ça nous a tous un peu

perturbés. En fait, qui nous dit qu’on garderait notre travail… Il y a plein

d’incertitudes, des questions sans réponse. Alors, on a questionné Mr T. [le

cédant] sur les grandes lignes… mais bon, il n’allait pas nous dire, je vends, le

gars qui reprend va tout changer… » (Salariée HPC).

270

Excepté l’entreprise MF.

Page 282: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

281

Ou encore :

« On est allés le voir [le cédant], on lui a même demandé si ça venait de nous, il

nous a rassurés et affirmé que c'était à cause de son souhait de partir s’installer

dans le sud ; du coup, on s'est demandé : oui vous vendez, et nous ? Qu'est-ce

qu'on devient ? Est-ce que le repreneur va nous garder ? Et il nous a dit qu'il n'y

avait pas de souci de ce côté, et qu'il était au courant qu'il y avait des personnes

qui faisaient du bon boulot. C’est vrai qu'on a eu une grosse appréhension, mais

après les 3 derniers mois qu'on a vécus, on s'est dit que ça pourrait pas être pire.

Il paraît que ça ne se fait pas de dire trop longtemps à l’avance qu’on vend »

(Salariée PP).

Ø L’échange « salariés-repreneur » : Une fois le repreneur entré dans l’entreprise, les

salariés tentent d’en savoir un peu plus, de confronter leur point de vue au sien afin

d’éclaircir la situation, comme le prouve le témoignage de ce repreneur :

« Oui, oui, oui, ils m’ont posé des questions. Très rapidement, j’ai eu des

questions très concrètes, très pratiques, très pragmatiques puisque les gens ne

me connaissaient pas. Ils ne savaient pas où j’habitais, ce que je faisais… J’ai

fait une réunion d’ensemble pour me présenter et une fois que la réunion était

terminée, y a eu d’autres réactions, plus d’interrogations sur le long terme, donc

voilà, on a pris le temps de discuter avec certains salariés, notamment avec les

cadres. Ils m’ont fait part de leurs souhaits, de leurs problèmes, bref de tout ce

qui les impacte au quotidien. Je pense qu’ils voulaient savoir comment je

concevais les choses » (Repreneur FRT).

Les repreneurs tentent également de récolter un maximum d’indices sur leur nouvel

environnement, en observant et en multipliant les questions aux salariés :

« Ce qui était bizarre, c’est que… Donc, c’est moi la patronne, mais au départ les

salariés étaient les patrons. Moi, je l’ai vécu comme ça. Etant donné qu’on arrive

de l’extérieur et qu’on ne connaît rien au métier et que y a tout à apprendre et que

c’est difficile de se positionner. Je me souviens le premier jour, quand je suis

arrivé dans mon bureau, ben je fais quoi maintenant ; il faut commencer par où

et, en fait, on se toise un peu tous et on ne sait pas vraiment vers qui il faut aller

Page 283: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

282

au départ et quoi faire… donc je pense qu’ils attendaient énormément de moi,

mais moi j’attendais aussi énormément d’eux. Je n’ai pas arrêté de les

questionner parce que je n’avais pas le choix et, heureusement pour moi, ils ont

joué le jeu ! Maintenant, c’est plus tout à fait pareil, ils m’apprennent moins de

choses, mais c’est normal… » (Repreneur HPC).

Nos analyses montrent que les échanges entre salariés et repreneurs sont très fréquents

les premiers jours suivant la prise de fonction. Ils tendent néanmoins à s’amenuiser pour

atteindre un rythme « de croisière » par la suite. Lors de ces échanges, décrits comme

émotionnellement intenses, les différents acteurs tentent de prendre connaissance du schéma

d’actions dans lequel ils pourraient s’inscrire. Les repreneurs prennent le pouls de l’entreprise,

précisent leur vision de ce qu’elle est réellement. Les salariés jaugent le repreneur et tentent

de capter des indices pour se construire une représentation affinée de la situation et de son

évolution. Ils essaient, en outre, de projeter et de mesurer l’influence de leurs propres actions

sur le comportement et l’action de leur nouveau patron. On retrouve ici les mécanismes

représentatifs de la structure d’équivalence mutuelle, telle qu’elle est décrite par Weick

(empruntée à Wallace) et qu’Allard-Poesi (2003, p. 96) résume ainsi ; « si je fais a1, B fera

b1, si je fais b1, A fera a1 ». Le témoignage de ce salarié est assez représentatif de ces idées :

« Moi, je me suis bien comporté, elle aussi, alors pourquoi voulez-vous que ça se

passe mal ? Faut juste se mettre d’accord dès le départ sur ce qu’on va faire. En

plus, il y a des principes de base… le respect des salariés, les conditions de

travail, tout ça, c’est important ! On ne peut pas être respectés par les salariés si

on ne les respecte pas, c’est comme dans la vie. Moi, je me suis dit, je bosse

comme avant et je verrai après si elle joue le jeu. Elle m’a prouvé assez vite

qu’elle ferait tout pour que cela se passe bien, qu’elle comprenait notre

fonctionnement ici avec nos horaires en une fois, et moi j’ai fait ce que je pouvais

pour l’aider » (Salarié SAG).

L’interaction entre acteurs permet de réunir, puis d’enrichir l’information de manière à

aboutir à une certaine compréhension de la situation et à diminuer le volume d’interprétations

possibles. Les échanges de significations personnelles entre membres de l’organisation

modifient les schémas mentaux des individus par une convergence des interprétations

(Garreau, 2006). Il s’agit non pas de développer une vision commune de la situation, mais de

choisir entre les différentes significations, de s’accorder, au moins temporairement, sur des

Page 284: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

283

interprétations équivalentes (Allard-Poesi, 2003). Nos observations montrent qu’une fois

l’entrée en fonction bien entamée, les échanges intersubjectifs se poursuivent continuellement

d’une manière plus ou moins intensive selon les cas, donnant ainsi du sens aux situations

vécues.

3.2.3.) Au niveau organisationnel

Nous avons vu que, pour Weick, l’organisation (organizing) était constituée de

séquences de comportements interreliés, nommés « double interacts », s’additionnant pour

former un processus plus large (Koenig, 1996 ; Giordano, 2006). L’arrivée dans l’entreprise

du repreneur, en modifiant le cadre structurel 271 (rôles, règles, procédures, activités

configurées, relations d’autorités) servant de référence aux salariés pour mener leurs actions,

déclenche un travail de redéfinition collectif du processus organisant. Nous avons observé

l’émergence, puis l’agglomération progressive des différentes séquences de comportements

interreliés pour l’ensemble des cas (à l’exception des cas MF et LPC). La confrontation des

subjectivités, l’argumentation, le débat donnent la possibilité aux salariés de parvenir

collectivement à un sens de la situation. Les mécanismes d’interactions observés aboutissent

effectivement au partage des interprétations, au développement d’attentes compatibles portant

sur des intérêts communs et, in fine, à la stabilisation du sens. Les différents acteurs

coordonnent progressivement leurs actions, laissant ainsi apparaître un nouveau système

d’actions organisées.

Deux cas semblent néanmoins se distinguer, il s’agit du cas MF et du cas LPC. Pour

ces deux TPE, le processus de création de sens se bloque au niveau interindividuel. Au sein de

ces deux entreprises, les salariés paraissent ouvertement ne pas vouloir (ou ne plus vouloir)

s’impliquer dans un travail de redéfinition collectif de l’existant. Ceci semble corroborer par

le témoignage du repreneur de MF :

« Ils m’ont dit qu’ils ne s’attendaient pas à être repris, l’ancien dirigeant avait

gardé le secret jusqu’au bout. Pourtant, ils n’ont pas cherché à savoir quoi que ce

soit, ni sur ce que je voulais faire, ni qui j’étais » (Repreneur MF).

Pour le cas LPC, les salariés se sont bien engagés dans un cycle d’échange « salarié-

salarié », mais n’ont pas persévéré en ce qui concerne l’échange « salarié-repreneur ». Les

271

Celui-ci est également désigné par Weick : cadres structurels de contraintes (structural frameworks of contraints).

Page 285: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

284

deux seuls salariés restant dans l’entreprise depuis l’arrivée du repreneur expliquent avoir

tenté d’établir le dialogue, puis d’interagir avec lui, mais se sont heurtés à une absence totale

de réaction de sa part. Les interactions entre les deux groupes d’acteurs s’établissent à un

niveau très faible. S’apercevant d’une « communication à sens unique » (Salarié LPC), les

salariés décident de ne plus s’impliquer « plus que ça » dans l’entreprise et s’en remettent aux

décisions du dirigeant, qu’elles soient bonnes ou mauvaises.

Les extraits suivants sont tout à fait explicites :

« Moi, en fait, il fait ce qu’il veut, c’est son affaire. J’ai essayé de lui dire des

choses, comme de mettre des menus comme ça, ça ne marcherait pas ici, mais bon

tout ce qu’on lui dit, il s’en fout » (Salarié 1 LPC).

Ou bien encore :

« J’ai voulu jouer le jeu au début, de m’intéresser à ce qu’il voulait faire. J’ai

essayé de mettre en place des choses, mais bon, j’ai vite compris que cela ne

servait à rien, qu’il voulait seulement que je fasse mon boulot et puis basta. Que

lui ayant d’autres restaurants qui marchaient bien, il n’avait pas besoin de mon

avis » (Salarié 2 LPC).

L’arrivée du repreneur dans la TPE apparaît clairement être un changement important

dans la vie des acteurs, plus particulièrement du repreneur et des salariés. Cette arrivée du

repreneur fait prendre conscience à ces derniers que la réalité, dans laquelle ils évoluent, a

changé et qu’elle doit faire l’objet d’une redéfinition. Pour lever l’état de confusion dans

lequel ils se trouvent, les membres de l’organisation s’engagent individuellement, puis

collectivement, dans des cycles d’interactions aboutissant à la création de sens.

Certains éléments semblent néanmoins venir entraver l’exécution du processus,

notamment au niveau organisationnel. L’absence d’échange continu entre les salariés et le

repreneur en constitue la principale cause. Nos observations laissent apparaître une attente

forte de la part des salariés au moment de l’entrée en fonction du repreneur. Les salariés

interrogés ont tous exprimé le besoin de voir le repreneur expliquer la situation ou tout au

moins de pouvoir confronter leurs interprétations aux siennes, dès son entrée en fonction. Le

repreneur, en tant que nouvel homme fort de l’entreprise et « porteur du changement », est

explicitement désigné comme celui devant expliquer et conduire le changement. Nous

retrouvons ici les conclusions de nombreux travaux (Fiol et Huff, 1992 ; Thomas et al., 1993 ;

Page 286: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

285

Krasensky et Zimmer, 2006 ; Barabel et Meier, 2010) qui attribuent au dirigeant un rôle clé

dans la conduite du changement. On attend du repreneur qu’il transforme « un univers

d’expérience en un monde intelligible » (Weick, 1993, p. 14, traduit par Giroux, 2006). Dans

cette perspective, il doit expliquer ce qui se passe de façon compréhensible et faciliter le

processus d’élaboration d’une représentation plus ou moins partagée de la situation.

Les résultats de notre enquête empirique montrent qu’il existe différents niveaux à la

construction de sens. Nous avons également pu observer que dans certains cas (MF et LPC),

le processus est freiné au niveau intersubjectif. Le principal élément venant entraver le

processus de reconstruction de sens au niveau collectif concerne l’inexistence de « débats

contradictoires » (Karsenty et Quillaud, 2011) entre repreneurs et salariés. Ne disposant que

d’un faible niveau d’interactions avec le repreneur, les salariés n’obtiennent que peu de

matière leur permettant d’interpréter la situation. L’équivocité n’est que très partiellement

levée, d’où la persévérance d’émotions désagréables telles que le stress, la peur et

l’incompréhension.

Après avoir relevé les différents niveaux de construction de sens dans le phénomène

étudié, vérifions à présent si les sept propriétés de la construction de sens, mises en évidence

par Weick (1995), sont effectivement observables dans le processus que nous décrivons.

3.3.) Les propriétés du processus

Comme nous l’avons relevé précédemment, Weick (1995, p. 17) attribue sept

dimensions au sensemaking qui influencent la manière dont les différents acteurs trouvent

leurs repères. Nous les reprenons succinctement ci-dessous.

Ø Il s’agit d’un processus fondé sur la construction de l’identité ; le processus de

construction de sens post-reprise émane d’une personne qui tente, via le jeu des

interactions, de maintenir un sentiment de continuité identitaire, malgré son immersion

dans un contexte troublé. Ainsi, le salarié confronté à l’avènement d’un élément

nouveau, en l’occurrence l’arrivée du repreneur, s’engage dans l’interaction avec

autrui pour donner corps aux événements et aux actions qui l’entourent et aboutir à

une représentation conforme à ce qu’il souhaite être ou paraître.

Ø C’est un processus rétrospectif : les différents membres de l’organisation (salariés et

repreneurs) focalisent leur attention sur ce qui s’est déjà passé pour comprendre

Page 287: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

286

l’évolution du monde qui les entoure. Ils reconstruisent ainsi « après-coup » le sens à

donner à la situation en fonction des événements vécus.

Ø L’Enactement : en multipliant les interactions (salarié(s)-salarié(s), salarié(s)-cédant,

salarié(s)-repreneur), les individus façonnent l’environnement dans lequel ils évoluent.

Ce dernier leur renvoie en retour des stimuli comme résultat de leur propre activité. En

engageant des actions, l’environnement est modifié et les changements ainsi introduits

influenceront les membres de l’organisation et leurs comportements.

Ø Il s’agit d’un processus social : comprendre ce qui se passe dans l’environnement

nécessite de confronter ses interprétations à celles des autres. Les salariés vont, par

exemple, s’engager dans des cycles d’interactions afin d’affiner leur point de vue,

relevé des indices manqués et des erreurs d’appréciation et obtenir une compréhension

plus ou moins partagée de l’environnement. Cette dernière leur permet par la suite

d’agir et de coordonner leurs actions.

Ø C’est un processus continu : l’individu cherche en permanence à interpréter la

situation. Si l’arrivée du repreneur a engendré de l’équivocité que les salariés et/ou le

repreneur tentent de lever en interagissant, ils continueront indéfiniment, comme ils

l’ont fait auparavant d’ailleurs, à puiser dans un flux informationnel et expérientiel

afin de donner du sens au contexte dans lequel ils évoluent.

Ø C’est un processus sélectif : les membres de l’organisation puisent dans un

environnement complexe des informations qui sont autant d’indices leur permettant de

comprendre la situation. L’âge du repreneur, sa formation, son expérience de la reprise

sont autant de points de repères fréquemment sélectionnés par les salariés interrogés

pour alimenter leur processus de compréhension. De la même manière, l’ancienneté

des salariés, leur diplôme, l’avis des cédants à leur égard, sont fréquemment utilisés

par les repreneurs.

Ø Le processus poursuit la plausibilité plutôt que l’exactitude : ce qui importe n’est

pas d’obtenir une information la plus exacte possible, mais qu’elle soit cohérente,

plausible, suffisante pour s’engager dans l’action. Ainsi, les salariés ne cherchent pas à

connaître avec exactitude tous les motifs qui ont poussé le repreneur à se porter

acquéreur de l’entreprise et ce qu’il souhaite en faire.

Nos observations confirment donc que le processus de reconstruction collective de

sens post-reprise répond bien aux 7 propriétés du sensemaking telles qu’elles sont définies par

Weick. Nous souhaitons à présent analyser l’entrée du repreneur dans l’entreprise, puis

Page 288: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

287

proposer une première modélisation du processus de reconstruction collective de sens post-

reprise, en nous appuyant sur le modèle E-S-R.

3.4.) La reconstruction collective de sens post-reprise à travers le modèle E-S-R.

Notre étude empirique, centrée sur l’entrée en fonction du nouveau dirigeant, a permis

de visualiser les interactions à différents niveaux et d’entrevoir la construction de sens qui en

résulte. Nous avons également observé que les propriétés théoriques de la construction de

sens caractérisaient effectivement le processus étudié. C’est, en effet, lors « d’occasions » de

ce genre, dans l’irruption de la nouveauté, dans l’interruption du flux d’actions routinier, que

la construction collective de sens se perçoit (Weick, 1995).

Rapprochons maintenant nos données du modèle E-S-R mis au point par Weick

(1979). Cette représentation prend appui sur les quatre éléments principaux rappelés ci-

dessous.

Ø Le changement écologique : l’arrivée d’un nouveau dirigeant au sein d’une TPE

apparaît comme un changement écologique provoquant une équivocité importante

chez les différents acteurs et, en particulier, les salariés.

Ø L’enactement : les membres de l’organisation percevant une variation dans leur

environnement, sélectionnent des indices, les interprètent individuellement, puis

confrontent leurs interprétations au collectif. Les salariés repris ont effectivement tenté

de redéfinir la situation en multipliant les interactions entre eux, quelquefois avec le

cédant, puis à chaque fois avec le repreneur. Les repreneurs ont cherché également à

se représenter le nouvel environnement dans lequel ils se trouvent en observant et en

initiant des actions.

Ø La sélection : les individus choisissent parmi toutes les interprétations possibles,

celles qui pourront justifier au mieux les actions à privilégier. Nous avons pu observer

l’activité des salariés et des repreneurs qui consistait à repérer, dans l’action et le

comportement des autres membres de l’organisation, des indices leur permettant de

retenir une lecture plausible de cette nouvelle situation.

Ø La rétention : les différents acteurs se mettent d’accord sur l’interprétation à donner à

la situation, sur les moyens à mobiliser et les actions à entreprendre. Un nouveau

système d’actions organisées prend alors forme.

La figure suivante illustre le processus de reconstruction collective de sens post-

reprise.

Page 289: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

Figure 26 - La reconstruction collective de sens post

travers le modèle E-S-R (Weick

288

reconstruction collective de sens post-reprise au sein d’une

Weick, 1979)

Source : Aute

sein d’une TPE saine à

: Auteur

Page 290: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

289

Conclusion section 3

L’objectif de cette troisième section était de présenter le processus de reconstruction

collective de sens post-reprise à travers ses mécanismes et ses propriétés.

Nous avons vu que le changement de dirigeant engendre une interruption, de

l’inattendu, de l’incertitude. La situation est nouvelle et souvent inédite. L’événement crée

dans tous les cas une prise de conscience chez les individus, ces derniers s’apercevant qu’il est

temps de redéfinir leurs cadres de compréhensions habituels. Il s’apparente alors à un

changement écologique (Weick, 1993), occasion particulière de créer des parenthèses de sens

(Vidaillet, 2003) dans le flux expérientiel continu des individus.

L’arrivée d’un nouveau dirigeant produit de l’équivocité. Celle-ci se manifeste à

travers une perturbation émotionnelle intense et un sentiment de confusion (Maitlis et

Christianson, 2014) prenant naissance dans la multiplicité des interprétations possibles. La

majorité d’entre elles concerne les raisons de la reprise et son déroulement. Les

incompréhensions provoquées par cette situation nouvelle poussent les individus à puiser dans

leur environnement des indices, à remettre en cause leurs schémas de pensée, puis à s’engager

dans de nombreux cycles d’interactions. Les multiples interactions avec les autres membres de

l’organisation sont utilisées pour réduire collectivement l’équivocité perçue de la situation.

Pour la majorité des TPE étudiées, nous retrouvons les trois niveaux de création de

sens (individuel, intersubjectif et organisationnel) ainsi que la dynamique d’interactions

caractérisant généralement tout processus de sensemaking. Nous observons que le processus

semble se bloquer au niveau intersubjectif dans deux entreprises (cas MF et LPC). Plusieurs

facteurs expliquent le bon déroulement (ou non) du processus de reconstruction collective de

sens parmi lesquels figurent le comportement des acteurs (salariés ou repreneur) et la qualité

des interactions entre eux.

Après avoir vérifié que le processus de construction de sens post-reprise répond bien

aux 7 propriétés du sensemaking définies par Weick, nous avons élaboré sa première

modélisation en nous appuyant sur le modèle E-S-R (Weick, 1979).

Page 291: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

290

Conclusion chapitre 1

Ce premier chapitre avait un double objectif. D’une part, il visait à préciser nos choix

épistémologiques et méthodologiques. Ce choix influence considérablement l’ensemble de la

recherche, plus particulièrement le processus d’élaboration des connaissances, la nature et le

statut des connaissances produites. En outre, la restitution du cheminement intellectuel

emprunté par le chercheur procure au lecteur des éléments lui permettant d’apprécier les

atouts et les limites de la recherche. D’autre part, ce chapitre nous a permis de décrire puis de

modéliser le processus de reconstruction collective de sens post-reprise.

Dans la première section, nous avons justifié l’emploi d’une méthode de recherche

qualitative exploratoire pour répondre au mieux aux objectifs fixés. L’intérêt d’une étude de

cas multiples pour étudier la période de management post-reprise a ensuite été expliqué. Nous

sommes également revenu sur les difficultés rencontrées pour obtenir notre matériau

empirique, puis nous avons présenté les 10 TPE retenues pour cette recherche. Le protocole

de recueil des données a ensuite été présenté. L’emploi de l’entretien semi-directif (14

entretiens de repreneurs et 17 entretiens de salariés), de l’observation et de l’étude

documentaire comme mode de production de données, a aussi été argumenté.

Dans la deuxième section, nous avons exposé la méthodologie suivie pour analyser les

données issues du terrain. Le processus suivi s’inscrit ouvertement dans la lignée de la

méthodologie en trois flux de Miles et Huberman (2003). Pour la condensation des données,

nous avons combiné l’approche verticale et horizontale pour appréhender chaque logique

individuelle dans son contexte, tout en laissant apparaître des récurrences ou des

dissemblances au sein de notre matériau empirique. Nous avons choisi de procéder à une

analyse de contenu thématique en nous aidant du logiciel NVivo-10©, puis nous avons eu

recours à des diagrammes contextuels ainsi qu’à des matrices pour présenter nos données.

Enfin, nous avons abordé la question de validité à travers l’acceptation interne et externe ainsi

que la fiabilité en utilisant les critères de complétude et de saturation du terrain.

Dans la troisième section, nous avons observé puis défini un processus destiné à

réduire l’équivocité provoquée par l’arrivée d’un nouveau dirigeant et à favoriser l’émergence

d’un nouveau système d’actions organisées. Nous avons dénommé ce phénomène processus

de reconstruction collective de sens post-reprise.

Page 292: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

291

Chapitre 2 – Un processus sous influences

« Quand tu veux construire un bateau, ne commence pas par rassembler du bois, couper des planches et distribuer du travail, mais réveille au sein des hommes le désir de la mer grande et belle »

Antoine de Saint-Exupéry, Citadelle.

Dans le précédent chapitre, nous avons décrit, puis proposé une modélisation du

processus de reconstruction collective de sens post-reprise. A travers ce deuxième et dernier

chapitre, nous souhaitons mettre en relief les facteurs et éléments qui l’influencent.

Dans une première section, nous tenterons de déterminer quels sont ces facteurs. Nous

distinguerons deux types de facteurs, les facteurs individuels et les facteurs organisationnels.

Nous examinerons les premiers à travers le rôle et l’action de chacun des groupes d’acteurs

concernés par le processus repreneurial (cédants, salariés et repreneur), puis les seconds à

partir des trois sources de résilience organisationnelle mises au jour lors de notre revue de

littérature : la culture, la stratégie et la structure. L’influence du contexte sur le processus de

sensemaking sera ensuite abordée.

Dans une deuxième et dernière section, nous discuterons des principaux résultats de

cette recherche puis aborderons la question des implications managériales à travers l’exposé

de recommandations.

Page 293: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

292

Section 1 - Les facteurs et éléments influençant le processus

A partir des résultats des entretiens menés auprès de salariés et repreneurs

d’entreprises, nous allons mettre en évidence les différents facteurs influençant le processus

de reconstruction collective de sens et, par conséquent, l’émergence d’un nouveau système

d’actions organisées. Notre travail d’analyse a permis d’identifier trois facteurs et éléments

interférant sur le processus de sensemaking : les facteurs individuels, les facteurs

organisationnels et le contexte interne et externe à l’organisation.

1.1.) Les facteurs individuels

Les théories du sensemaking voient dans l’équivocité provoquée par le changement

écologique, le point de départ de la construction du sens. L’individu confronté au changement

s’interroge sur ce qui se passe autour de lui et cherche à lever les ambiguïtés en interagissant

avec les autres. Plus la situation est déconcertante, ce que nous avons effectivement constaté

pour toutes les reprises étudiées, plus les individus vont s’engager dans des cycles

d’interactions pour tenter de comprendre où ils se trouvent et quel sont les rôles qu’ils ont ou

auront à jouer dans l’avenir.

Notre étude empirique révèle le rôle déterminant des deux grands groupes d’acteurs

(salariés, repreneurs) dans le déroulement du processus de reconstruction collective de sens

post-reprise. Pris individuellement, chacun des membres de l’organisation, à travers son

comportement et son action, interfère sur la quantité et la qualité des interactions

indispensables au bon déroulement du processus. Nos observations révèlent également la

mobilisation des interprétations du cédant par les deux principaux groupes d’acteurs en amont

du processus. Les salariés y ont surtout recours lorsque l’arrivée imminente d’un nouveau

dirigeant a été annoncée272. Examinons, à présent, le rôle de chacun de ces groupes et leur

influence respective sur le phénomène étudié.

1.1.1.) Le cédant : une influence limitée en amont du processus

La littérature accorde une place importante au cédant dans le déroulement de la

transmission-reprise. L’apport d’informations qu’il consent ainsi que son comportement

bienveillant, constituent une aide précieuse pour le repreneur et son action. Ceci semble

d’autant plus vrai lorsqu’il est convenu d’une période de transition entre ancien et futur

272

Il s’agit des entreprises PP, HPC et FRT.

Page 294: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

293

dirigeant. Même si ce n’est pas le cas à chaque fois, il n’est pas rare d’observer de l’entraide,

voire un comportement paternaliste de l’ancien dirigeant, prenant le repreneur sous son aile et

lui permettant de se former progressivement à son nouveau rôle (De Freyman, 2009). Les

différents travaux font également état d’un niveau d’influence sur l’organisation diminuant

jusqu’à s’éteindre avec le départ du cédant et la prise en mains définitive du repreneur. Nos

recherches portant exclusivement sur les reprises faites sans transition et sur la période de

management post-reprise du repreneur, nous devons reconnaître que le rôle joué par le cédant

sur le processus que nous décrivons, ne nous paraissait pas évident au départ. Au fur et à

mesure des entretiens, nous avons néanmoins été amené à nous interroger sur son rôle et son

influence dans la formation du cadre interprétatif des différents acteurs.

Les résultats de notre recherche permettent d’affirmer que même si une transition n’a

pas eu lieu, cet acteur participe au moins partiellement à l’édification d’un futur schéma

d’interprétations partagées. Nous avons effectivement pu observer que le cédant, par ses

interactions avec le repreneur et les salariés, pouvait, dans certains cas, influencer le processus

de reconstruction collective de sens post-reprise. A travers les échanges intersubjectifs menés

successivement avec le repreneur et les salariés, il participe à la construction de

représentations individuelles, préalables à une construction d’un ordre plus général. Nous

avons situé cette influence en amont du processus c’est-à-dire dès les premiers échanges avec

le repreneur et, pour les salariés, lors de l’annonce du changement de dirigeant. Nos analyses

mettent en évidence deux grandes actions ayant une influence sur le processus d’enactement

engagé par chaque individu et, donc, par répercussion, sur le processus de reconstruction

collective de sens post-reprise. Elles ont, toutes les deux un rôle informationnel.

1.1.1.1.) La fourniture d’informations au repreneur

Nous avons relevé, qu’encore fortement préoccupés par la finalisation de leur projet de

reprise, tous les repreneurs interrogés ont très largement échangé avec le cédant afin d’obtenir

le plus de renseignements possibles sur le fonctionnement de l’organisation. Les informations

fournies par l’ancien dirigeant permettent de se faire une première idée, d’éclaircir certains

points, notamment en ce qui concerne les problématiques organisationnelles et humaines.

« Je l’ai beaucoup questionné sur le fonctionnement de l’entreprise. Je voulais

savoir qui faisait quoi, comment les salariés se comportaient et ce qu’il en

pensait. Ça me donnait une idée de qui j’avais à faire. Voilà, j’angoissais

Page 295: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

294

beaucoup sur le comment cela allait se passer. Mais bon, j’ai des gens qui sont

très bien, qui sont supers. Et puis l’ancien dirigeant m’avait donné les noms de

ceux sur lesquels je pouvais m’appuyer, les alliances, les opposants. Tout cela,

je l’ai vérifié très vite » (Repreneur SJA).

Ou encore :

« Moi, je voulais qu’elle m’explique comment elle gérait le personnel, les

emplois du temps, les congés. En fait, ce genre de choses, par expérience, ce

sont des trucs qui peuvent vite mal tourner. Je voulais qu’elle me donne des

infos, des tuyaux pour ne pas me planter dès le départ » (Repreneur EMB).

Les attentes du repreneur sont toujours fortes. Elles concernent aussi bien la

connaissance du métier du cédant que le fonctionnement général de l’organisation et sa

culture. Les nombreuses questions qu’il soulève, les réponses qui lui sont données en retour

par le cédant, enrichissent sa compréhension de la situation. Les informations échangées

contribuent à façonner l’image que le repreneur a de l’entreprise.

« Il m’avait dit que c’était un fonctionnement plutôt familial, et qu’il fallait faire

attention à ça, que les salariés aimaient bien qu’on boive le café tous ensemble

le matin, qu’on fêtait les anniversaires, des trucs comme ça quoi » (Repreneur

FRT).

En formulant ses réponses, en prodiguant des conseils, le cédant influence plus ou

moins fortement le repreneur dans la sélection et l’interprétation d’indices déterminants pour

la compréhension de la situation. L’interaction débouche généralement sur un cadre de lecture

particulier et temporaire sur les éléments à retenir. Une telle pratique participe à la

stabilisation des représentations nécessaires à l’action. Elle donne peu à peu du sens à la

situation et permet au nouveau dirigeant d’établir des priorités et préférences, quant aux

actions à entreprendre. Une fois aux commandes de l’entreprise, le repreneur se référera aux

premières significations données par le cédant et les confrontera à la réalité perçue. Le

processus de reconstruction individuelle, puis collective, de sens est ainsi amorcé.

1.1.1.2.) La fourniture d’indices aux salariés

Nous avons pu relever que, pour la plupart des entreprises étudiées, les salariés n’ont

pas été informés du changement prochain de dirigeant. Des travaux antérieurs l’avaient déjà

Page 296: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

295

constaté. Le cédant n’annonce que très rarement à son personnel l’arrivée du repreneur

(Boussaguet, 2005), notamment pour ne pas générer d’inquiétudes. Quelques cédants

(entreprises HPC, PP et FRT) ont néanmoins préféré prévenir les salariés de la reprise lorsque

la vente était quasiment finalisée, soit quelques semaines seulement avant l’arrivée du

nouveau dirigeant.

« Il nous a dit ça comme ça, un matin au café, qu’il était en train de vendre et

qu’il lui restait quelques semaines à passer dans l’entreprise » (Salarié PP).

Dans ce cas de figure, nous avons pu remarquer la multiplication des interrogations

chez les salariés et une ambiguïté qui s’installe. Les inquiétudes induites par cette information

inattendue ont poussé de nombreux salariés à tenter d’éclaircir la situation en interagissant

notamment avec le cédant, comme le prouve le témoignage suivant :

« Dès que Mr T[le cédant]…. nous a dit qu’on allait changer de patron, on était

toutes super inquiètes : on ne s’y attendait pas. On lui a tout de suite posé plein

de questions sur le repreneur : d’où il venait ? Ce qu’il voulait faire ? Qu’est-ce

qu’il voulait faire avec nous ? S’il allait changer notre méthode de travail ?

Enfin des trucs comme ça quoi, parce qu’à ce moment-là, c’est plein de

questions qui arrivent et on n’a pas les réponses. Lui, au moins, il peut déjà

nous dire ce qu’il en était, il l’avait déjà rencontré, il savait qui c’était » (Salarié

HPC).

Face à un sentiment de doute, accentué par une accumulation d’éléments abstraits

voire incohérents, les salariés se font à l’idée d’un nécessaire réexamen des données

disponibles, d’un changement de cadre explicatif global (Karsenty et Quillaud, 2011). A ce

stade du processus de reprise, le cédant constitue aux yeux des salariés le seul et unique

acteur susceptible de fournir plus d’explications, de donner une représentation acceptable de

la situation. De par ses rencontres avec le repreneur, il a généralement accumulé quantité

d’informations qui sont autant d’éléments pouvant être éclairants pour la suite des

événements. En communicant les informations à sa disposition, le cédant permet aux

salariés de s’engager individuellement dans un processus d’attribution de sens.

« Il nous a dit que c’était un ancien cadre supérieur qui habitait à Lyon, que

c’était sa première affaire mais qu’il avait pas mal d’expérience dans la gestion

d’équipes. On a aussi appris qu’il maîtrisait très bien l’anglais. Moi quand j’ai

Page 297: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

296

su ça, je me suis dit qu’il allait vouloir travailler à l’international, chose qu’on

avait voulu faire, mais qu’on n’avait jamais pu mettre en place » (salarié FRT).

Les échanges avec le cédant constituent également l’occasion de sélectionner des éléments

rassurants, comme le reconnaît le salarié suivant :

« Moi, je suis monté le voir pendant ma pause pour discuter. Là, on a parlé

simplement sur ce qui allait se passer, qui était le repreneur ? Comment il

pensait que le magasin allait évoluer ? Ce qui me préoccupait, il s’agissait des

horaires par rapport à mes enfants, mais là, il m’a dit que le repreneur ne

souhaitait rien changer à notre fonctionnement. Que tant que ça marcherait

bien, ça continuerait. Du coup, ça m’a un peu rassuré ! » (Salarié HPC).

Nous avons pu observer que le fait d’annoncer aux salariés l’arrivée imminente d’un

nouveau dirigeant, amortit quelque peu le choc lié à la reprise. Les salariés sont moins

« surpris » de voir arriver le repreneur dans l’entreprise. Néanmoins, dès l’annonce faite, les

salariés des trois entreprises concernées ont tous exprimé de fortes inquiétudes et se sont

tournés vers le cédant pour tenter d’en atténuer les effets.

Les informations qui sont données par le cédant permettent aux salariés de

commencer à s’engager dans un processus de redéfinition individuelle de la réalité.

Agrémentés de nouvelles « toutes fraîches » et de « sources apparemment sûres » (salarié

FRT), les schémas de pensées individuels évoluent progressivement de manière à atteindre un

niveau de compréhension partiel des événements. Les indices récoltés procurent un premier

cadre de lecture. Ils permettent de commencer à mettre de l’ordre dans cet environnement

troublé. Malgré tout, à ce stade du processus de reprise, une interprétation satisfaisante de la

situation par les salariés ne peut être qu’imparfaitement stabilisée, car de nombreuses

questions restent encore en suspens. Les réponses attendues ne peuvent émaner que de

l’observation du comportement du repreneur ou du repreneur lui-même, comme le montre le

témoignage suivant :

« En fait, il [le cédant] nous a dit qui elle [la repreneuse] était. Quelle était sa

profession avant. Que son mari et elle avaient une entreprise avant dans le

bâtiment, mais qu’ils l’avaient vendue. Euh… qu’elle ne voulait pas tout

changer parce qu’elle ne connaissait pas grand-chose au métier. Mais bon, ça,

Page 298: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

297

c’est lui qui le dit ; moi, j’attendais de voir sur place, comment elle allait se

comporter avec nous » (Salarié HPC).

1.1.2.) Le rôle actif des salariés

Il apparaît dans la littérature que le rachat d’une entreprise comprenant des salariés

nécessite de porter une attention toute particulière aux comportements de ces derniers, plus

particulièrement lors de la phase d’entrée dans l’entreprise du repreneur. Les salariés y sont

perçus comme une pièce maîtresse d’une organisation en train de se redessiner. Ils peuvent

favoriser ou non la réussite de la reprise (Deschamps et Paturel, 2009 ; Picard et Thévenard-

Puthod, 2006). La littérature nous apprend également que face à un changement important

dans l’organisation, singulièrement dans un petit groupe d’individus, chaque personne est

concernée par l’événement et joue un rôle actif dans l’instauration d’un nouvel ordre à travers

ses interactions avec les autres (Gioia et Chittipeddi, 1991 ; Weick, 1993). Non seulement les

salariés ne sont pas passifs face au changement qui se présente, mais ils y occupent un rôle

substantiel : celui d’agents du changement (Soparnot, 2009). L’analyse de notre matériau

empirique a permis de vérifier, puis de confirmer le rôle actif des salariés lors du processus

d’entrée du repreneur. Nous avons pu, en outre, relever trois comportements ayant des

incidences directes sur le processus de reconstruction collective de sens post reprise, que nous

reprenons ci-dessous.

1.1.2.1.) L’engagement dans un effort d’interaction

L’arrivée dans l’entreprise du repreneur provoque un état de confusion et de

nombreuses appréhensions que les salariés vont devoir dépasser. Attentifs aux moindres

indices, ils s’engagent dans un travail d’interprétation via des cycles d’interactions devant leur

permettre de mieux décrypter l’évolution de l’environnement, et de situer leur rôle dans le

nouveau contexte organisationnel. Certains salariés adoptent, au départ, une attitude de retrait

et justifient l’adoption, consciente ou non, d’une telle posture par de la méfiance, ou encore

par la volonté de se préserver des conséquences du changement :

« Au tout début, on était toutes un peu sur la réserve, on voulait voir ce que ça

allait donner. Donc c’est vrai que si c’était à refaire, je serais un peu plus

ouverte. On aurait pu toutes l’être un peu plus. Mais bon, c’est normal, moi

j’avais passé presque 7 ans avec les mêmes responsables. Passer à quelqu’un de

nouveau, on est un peu sur la réserve, ce qui est normal. On se protège un petit

Page 299: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

298

peu, et finalement avec le recul, on se dit, finalement y avait pas lieu d’être un

peu en retrait. Je pense qu’elle a dû le ressentir. Ce n’est pas qu’on voulait

qu’elle se sente mal mais bon, on avait du mal à aller vers elle » (Salariée HPC).

Ou bien :

« Oui voilà, c’est l’appréhension avant de savoir à qui on a affaire. C’est vrai

que le premier jour, on a un aperçu mais faut attendre de voir comment ça se

passe après. Les premiers temps, on a toujours une appréhension, on a un

aperçu mais on ne peut pas encore juger. Au niveau des contacts humains, ça

peut bien se passer au début et vite mal tourner. Moi, je suis pas allé vers lui

tout de suite, c’est après quelque temps que j’ai cherché réellement à savoir qui

il était » (Salarié ICV).

Parallèlement à leurs observations, les salariés commencent à se projeter dans la

situation afin d’imaginer quel peut être leur rôle dans la nouvelle organisation :

« Pour nous, son arrivée était bizarre. Pour moi personnellement, c’était la

première fois que je changeais de responsable. Donc d’avoir une nouvelle

personne dans l’entreprise qu’on ne connaissait pas, c’était très difficile à gérer,

c’était… enfin bizarre. Je me suis dit, va falloir prendre de nouvelles marques

avec cette nouvelle personne qui aura sa propre idée des choses. J’avais

remarqué qu’elle nous parlait beaucoup du secteur papeterie et je me suis dit

qu’elle allait vouloir l’agrandir et que, dans ce cas-là, vu que je suis la plus

récente, il faudrait peut être que j’apprenne à faire autre chose si elle me

changeait de poste » (Salariée HPC).

Ou bien encore :

« Moi, au départ, j'étais assez prudente. J’étais curieuse de voir ce

qu’elle voulait faire et comment elle voyait les choses avec nous. Ensuite, j'ai

compris assez vite qu'elle avait envie vraiment de développer au maximum. Elle

mettait plein plein de choses en place pour déclencher plus de ventes. Elle a fait

des challenges au tout début qui ont fait que c'était pour développer l'entreprise,

pour booster, pour donner de l'énergie. Moi, ça m’allait, j’étais prête à l’aider

surtout si ça me faisait progresser et me permettait de gagner mieux ma vie »

(Salariée EMB).

Page 300: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

299

Les salariés font la démarche d’interagir entre eux, puis avec le repreneur, en vue

d’éclaircir au mieux la situation par la confrontation des différentes interprétations. A travers

l’effort d’interaction consenti, ils construisent leur zone de sens, leur réalité (Vidaillet, 2003)

en s’appuyant non seulement sur des expériences et des situations vécues, mais également sur

les cadres interprétatifs des différents partenaires. La démarche répond, en outre, aux besoins

des salariés de projeter leurs identités dans un environnement pour observer les conséquences

et ainsi mieux se connaître (Weick, 1995). L’effort d’interaction a pour but de clarifier les

intentions et rôles de chacun et doit permettre d’agir de la manière la mieux adaptée, en

accord avec ses propres buts et intérêts. Le processus de sensemaking visant

fondamentalement à (re)trouver des capacités d’action (Karsenty et Quillaud, 2011) lorsque

l’environnement évolue et la situation devient équivoque.

Un tel engagement dans l’interaction notamment avec le repreneur est essentiel. Il

dénote le refus du salarié de s’enfermer dans une attitude de retrait comme le déplore, dans

l’exemple ci-dessous, le repreneur de l’entreprise MF au sujet de l’un de ses salariés :

« Il y a une personne, j’ai pas compris ce qu’elle voulait, elle ne m’a

jamais rien demandé. C’était tout juste, comme si elle n’avait pas changé de

patron. Elle ne s’intéressait à rien ! Ça a duré quand même un moment. Au final,

la plus longue discussion que j’ai eu avec elle, c’était six mois après, au sujet de

sa demande de rupture conventionnelle » (Repreneur MF).

Il paraît clair que le processus de reconstruction collective de sens post-reprise ne peut

s’enclencher que si les salariés s’ouvrent à la discussion avec le nouveau dirigeant. Nous

avons pu observer cette intention à de nombreuses reprises :

«La repreneuse a réussi tout ça, parce qu’elle nous a beaucoup parlé et

beaucoup rassuré… parce qu’on a fait plusieurs réunions quand même après la

reprise. Elle en a fait une le premier mois, enfin non, la première réunion,

c’était plutôt des entretiens individuels. Moi, j’ai trouvé ça super ! Et je lui ai

dit : « faudrait qu’on en fasse plus souvent parce que ça permet de mettre les

choses à plat, de s’écouter, … de se dire les choses un peu en dehors »… enfin

on est dans une pièce. Moi, depuis le début, je n’hésite pas à aller la voir dans

son bureau, parce que se dire les choses en plein milieu du magasin, ce n’est pas

Page 301: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

300

forcément pareil… Là, on prend le temps de s’écouter mutuellement et de

discuter tout simplement » (Salarié HPC).

Certains salariés n’hésitent pas à aller plus loin et à faire une démonstration, in situ, de

leur manière de travailler. Ils en profitent alors pour exposer concrètement au nouveau

dirigeant les difficultés rencontrées :

« La veille où je suis arrivée, il y avait un inventaire au magasin et à la fin de

celui-ci, j'ai fait une petite réunion. Donc du coup voilà, elles ont commencé à

venir me poser des questions et puis des questions sont venues au fur et à

mesure. Elles sont super demandeuses. Elles veulent constamment savoir ce qui

se passe et elles n’attendent pas que je fasse une réunion pour ça. Bon, ce qui

est bien c’est qu’on arrive à se voir entre 2 clientes, quand y a pas beaucoup de

monde au magasin. Tout ça, ça m’a aussi aidé à comprendre ce qu’elles

voulaient et comment elles fonctionnaient. Elles m’ont montré concrètement

comment elles géraient le flux de clientes au niveau des cabines et les problèmes

qu’elles avaient » (Repreneure EMB).

Face à une interruption, à l’équivocité, les interactions et l’interrelation des

comportements individuels sont le moment privilégié de l’élaboration du sens (Allard-Poesi,

2003). Nos observations montrent que les salariés, de par les interactions qu’ils décident

d’entretenir avec les autres, particulièrement avec le repreneur, jouent un rôle actif dans le

processus de reconstruction collective de sens post-reprise. L’élaboration du sens prend racine

dans l’extraction individuelle de configurations signifiantes, mais elle est, avant tout et

surtout, une manifestation collective reposant sur la participation coordonnée d’au moins deux

personnes (Koenig, 1996). Pareil processus ne prend forme que si différents groupes d’acteurs

décident d’interagir. Le repreneur ou les salariés ne peuvent, à eux seuls, donner sens à la

situation. Lorsqu’il est question d’attribuer des significations à un environnement inconnu, le

partenaire, fut-il subalterne, constitue un élément essentiel dans la mesure où il représente une

seconde source d’idées (Autissier, Vandangeon-Derumez et Vas, 2010). Nous constatons que

lorsqu’elle est mise en œuvre, l’interaction voulue par les salariés augmente l’éventail des

informations. Il en résulte qu’à chaque séquence d’interaction initiée, le sens donné à la

situation et à l’action se développe, les comportements individuels se coordonnent et

l’organisation se redessine.

Page 302: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

301

La littérature sur le sensemaking conditionne le démarrage du processus à une part

d’activité individuelle d’interprétation que chaque membre de l’organisation confronte à celle

des autres. Nous avons pu relever que chaque salarié, malgré sa compréhension partielle de la

réalité, participe à l’ « agglomération » des significations nécessaires à un accord sur les

moyens à mettre en œuvre. En multipliant les échanges avec les autres salariés et avec le

repreneur, en s’engageant dans l’action, pour peu que son action soit visible et difficilement

réversible, il s’attache à ses choix, les défend et contribue ainsi de manière fondamentale au

processus organisant (Vidaillet, 2003). Encore faut-il qu’il se sente concerné par le devenir de

l’organisation. Attitude non systématique chez les salariés des entreprises étudiées.

1.1.2.2.) L’apport d’informations concernant la situation de l’entreprise

Etant présents dans l’entreprise avant l’arrivée du repreneur, les salariés bénéficient

généralement d’une compréhension opérationnelle de l’environnement externe et interne

supérieure à ce dernier. Ils connaissent l’entreprise, ses clients, ses fournisseurs, ainsi que les

problèmes les plus courants et la manière de les gérer. La transmission de cette expérience, de

ce savoir est fondamentale pour la réussite de l’opération de reprise, d’autant plus lorsqu’il

n’y a pas eu de transition avec le cédant.

Notre revue de littérature a mis en lumière les difficultés pour le nouveau dirigeant à

identifier la ressource réseau, son importance et le poids des réactions de l’environnement

dans la réussite de la reprise (Geindre, 2009). Nous avons également pu noter l’absence de

mémoire organisationnelle formelle pour répertorier cette ressource, particulièrement au sein

des TPE. Notre étude empirique permet à son tour de relever que l’absence de formalisation

touche également aux affaires internes à l’organisation. Il s’agit d’une lacune dont les

repreneurs de notre population ont, pour la majorité d’entre eux273, pleinement conscience. Il

ressort de l’analyse de nos différents entretiens que les salariés constituent souvent la seule et

unique source pour transmettre des informations pertinentes au nouveau dirigeant. Ils jouent

en quelque sorte le rôle de courroie de transmission entre l’environnement de l’organisation et

le repreneur. Certains salariés semblent conscients de cet état de fait, comme le reconnaissent

les individus suivants :

« Etant donné que l’ancien propriétaire n’est pas resté en magasin après la

vente, c’était plutôt notre rôle à nous que d’expliquer le fonctionnement du

273

7 repreneurs sur les 10 interrogés.

Page 303: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

302

magasin, les habitudes des clients surtout quand ce sont de gros clients qu’il

faut pas perdre ! » (Salariée HPC).

Ou encore :

« Moi, sans prétention, je pense qu’on y a contribué. On était en place, les gens

nous aiment bien, on l’a présenté à la clientèle… Ça, ça aide le repreneur à être

dans le bain. On lui a tout montré… on était content de le faire, tout ce qui est

caisse, client, technique… on lui a tout montré » (Salarié SAG).

Certains salariés acceptent même de le faire bénévolement, en dehors de leurs

heures de travail :

« Ben, je me suis quand même un petit peu investi les soirs de donner des

heures, parce que J [le repreneur] me l'avait demandé. J’ai fait ça

bénévolement, pour qu'il remette ses tarifs à jour, essayer de discuter comment

les choses vont aller et tout. J’ai toujours essayé de pas mettre les bâtons dans

les roues, que tout le monde tire dans le même sens si on peut dire » (Salarié

SJA).

La totalité des repreneurs rencontrés ont exprimé le besoin d’obtenir des informations

supplémentaires sur la situation de l’entreprise dès leur entrée en fonction. Ceci leur permet

de mettre à jour leur connaissance du milieu, de réduire le niveau d’incertitude et de prendre

les décisions en s’appuyant sur des schémas d’interprétations variés. Tous mettent en avant le

rôle prépondérant des salariés :

« Moi, j’attendais beaucoup des salariés. On est comme des stagiaires au début,

et ils jouent le rôle de tuteurs. Ils nous apprennent plein de choses sur le

magasin, les clients et ça, ça nous évite de faire des bêtises. En fait, les rôles

sont un peu renversés, puis la situation revient progressivement à la normale au

fur et à mesure qu’on avance dans le temps » (Repreneur SAG).

Ou encore :

« A vrai dire, j’attendais beaucoup d’eux, qu’ils m’aiguillent, qu’ils me disent…

et souvent je suis obligée d’aller chercher des informations. C’est une perte de

temps énorme. En plus, les informations ne sont pas toujours les mêmes selon la

personne parce qu’ils le ressentent pas de la même façon. Au final, ils veulent

Page 304: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

303

nous dire la même chose, mais ce n’est pas les mêmes termes, et il y a des

moments, on est perdus. En tout cas, dans l’ensemble, tous les salariés ont joué

le jeu, ils m’ont aidée…ça m’a fait gagner du temps… franchement, c’était

super… » (Repreneure HPC).

Nous avons également pu relever que les informations transmises par les salariés

sont quelquefois utilisées pour orienter le processus interprétatif du repreneur et visent à lui

suggérer, plus ou moins directement, d’intervenir pour résoudre une situation vécue comme

une injustice.

« Au départ, on sait pas trop pourquoi les choses sont comme elles sont, eux

savent. Nous, on connaît que les chiffres, c’est tout. Moi, j’ai su après qu’il y a

eu des histoires un peu bizarres entre le patron et certaines salariées, où on

mélangeait un peu vie privée et vie professionnelle. Il y a eu du favoritisme et

c’était malsain. Ça a plombé l’ambiance et il valait mieux essayer de remettre à

plat les choses. Heureusement qu’ils sont venus me le dire, j’aurais pas

forcément percuté. Après j'ai compris qu'il y avait des emplois du temps faits à

la tête du client, des choses comme ça quoi et fallait que ça change. A partir de

là, on a reconstruit ensemble quelque chose sur de bonnes bases, il fallait qu’on

se mette d'accord » (Repreneur MC).

Les travaux sur le sensemaking soulignent le caractère faillible du processus de

sélection. Il arrive parfois qu’un individu ne repère pas un indice décisif ou alors qu’il accorde

trop d’importance à un autre qui le conduira à lire la situation à travers un guide inadéquat, ce

qui lui fera perdre le contact avec le monde (Laroche et Steyer, 2012). En véhiculant des

informations pertinentes, les salariés permettent au repreneur de collecter, repérer,

sélectionner des indices déterminants pour la compréhension de la situation. Les différents

cadres interprétatifs et les clés de lecture ainsi apportés vont servir de support au repreneur

pour interpréter la situation, mieux définir son environnement d’action, agir et ainsi créer du

sens. Cela lui évite, en outre, d’être noyé sous un flot informationnel confus et de sélectionner

des indices erronés. A partir de ces informations, l’échange, le débat entre tous peuvent se

développer, favorisant ainsi la reconstruction collective de sens.

Page 305: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

304

1.1.2.3.) La proposition d’améliorations

Pour de nombreux salariés rencontrés, l’entrée en fonction du nouveau dirigeant

constitue l’occasion de faire un point sur la situation dans laquelle ils évoluent, de prendre de

la hauteur, de réfléchir à leur manière de travailler. Il s’agit parfois de trouver de nouvelles

idées et de formuler des propositions à la nouvelle direction. Parmi tous les cas étudiés, les

propositions d’amélioration sont fréquentes et paraissent d’autant plus nombreuses que

l’ancien dirigeant n’accordait pas ou peu d’importance aux suggestions faites antérieurement.

Les témoignages suivants sont assez explicites :

« I. [la repreneure] est plus jeune donc elle est plus à l’écoute de nos attentes à

nous, elle comprend plus les choses que le cédant. Elle reste en magasin, donc

elle voit les choses. Par exemple, pour Noël, je lui avais dit que ça serait bien de

fermer plus tôt ce jour-là. D’habitude, on ferme à 19 h et les dernières heures, il

y a des gens qui viennent que pour se balader. On l’a vu depuis plusieurs

années, mais on continuait à ouvrir. Nous aussi, on a des familles et on attend

pour rien puisqu’il y a quasiment pas de ventes. I. [la repreneure] m’avait dit

non au départ, puis elle a réfléchi et au final on a fermé plus tôt. Même pour cet

été, on va travailler intelligemment. On va faire des horaires aménagés pour

l’été, le matin quand c’est de 9 à 10, en vacances, les gens, ils sont dans leur lit

ou ils profitent de leurs enfants et… nous on est ouvert. Alors, je lui ai dit : je

pense que ça serait bien de décaler cette heure-là ou même une demi-heure du

temps de midi. Quand on lui en parle, il n’y a pas de souci, elle est prête à

écouter. Avec T. [le cédant], on n’aurait pas osé, il était de l’ancienne

génération puis lui, c’était toujours du chiffre, du chiffre, du chiffre ». (Salariée

HPC).

Ou encore :

« Maintenant, je n'hésite pas à faire des propositions pour améliorer les choses.

Par exemple... là, je n’ai pas les… bah par exemple, pour la fête des mères qui

arrive, mettre… faire des coffrets avec un soin institut et des produits. Parce que

la fête des mères, souvent… surtout quand c’est les hommes, ils ne savent pas

quoi acheter…Donc il y a des choses toutes prêtes pour eux, c’est facile, ils

prennent et ça marche, dès qu’il y a un soin institut, ça plait. Donc ça, elle [la

repreneure] l’a pris en compte, donc on va regarder ensemble ce qu’on pourrait

Page 306: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

305

faire comme coffrets pour que ce soit abordable aussi au niveau du prix »

(Salariée EMB).

Certaines propositions concernent directement l’orientation stratégique de l’entreprise

et s’avèrent être tout à fait pertinentes, comme le reconnaît ce repreneur :

« Il y a des choses qu’ils m’ont dites, je n’y avais même pas pensé avant. En fait,

comme s’intéresser à certains types de marchés dans lesquels on n’était pas

présents. Par la suite, on a pu creuser un peu plus cette solution qui a de

l’avenir (…) il y aura des parts de marché à prendre ! » (Repreneur FRT).

En proposant de nouvelles idées au repreneur, les salariés contribuent et influencent

fortement le processus de reconstruction collectif de sens. Agissant de la sorte, ils permettent

à ce dernier d’enrichir son champ de vision, de le rendre attentif au contexte, de développer

son interprétation et le sens qu’il donne à la situation. De la même manière, en exprimant leur

point de vue publiquement, en l’argumentant et en le confrontant aux autres, ils font évoluer

leur schéma de pensée individuel jusqu’à atteindre un certain niveau de compréhension

partagée du changement.

Nos résultats confirment le rôle actif joué par les salariés durant la période d’entrée

dans l’entreprise du repreneur. Leurs comportements, leurs efforts d’interactions entre eux

puis avec le repreneur, les informations et propositions qu’ils décident d’offrir (ou non) à leur

nouveau dirigeant influencent considérablement le processus de reconstruction collective de

sens post-reprise. La multiplication des échanges permet à chaque acteur de se créer un

nouvel environnement d’actions et de communiquer aux autres ses intentions et procédés. De

là, naît un nouveau système d’actions organisées dans lequel chaque individu tente de prendre

une place.

Voyons, à présent, quelles peuvent être les responsabilités du repreneur dans le

déroulement de ce même processus.

1.1.3.) Le rôle déterminant du repreneur

Notre analyse combinée des travaux portant sur le repreneuriat, la TPE et le

changement nous a fortement éclairé sur la déstabilisation organisationnelle pouvant être

provoquée par l’arrivée d’un nouveau dirigeant, particulièrement lorsque ce dernier est

externe à l’entreprise. Nous avons pu observer concrètement auprès des organisations étudiées

Page 307: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

306

qu’il s’agissait d’un changement majeur ayant de forts impacts sur le fonctionnement d’un

petit groupe d’individus. Ce changement cristallise l’attention des salariés et suscite de

nombreuses réactions et interprétations (Demers, 1993), et, en corollaire, de l’équivocité.

L’entrée en fonction d’un nouveau dirigeant induit inéluctablement un changement dans les

comportements des personnes et dans leurs relations entre elles (Giroux, 1993). C’est dans un

contexte aussi troublé que va s’inscrire l’action du repreneur. En tant que nouveau leader,

disposant d’une autorité légale, c’est à lui que revient de piloter le processus de reconstruction

collective de sens indispensable à une redéfinition du système d’actions organisées de

l’entreprise. Il se doit de donner un sens à l’action collective. Henriet (1993) rappelle que le

leader « voit et permet de voir plus loin » ; il doit donner un sens à la situation, c’est-à-dire «

d’abord donner une direction, un but à atteindre. C’est aussi donner une signification à

l’action quotidienne, faire en sorte que les individus aient un projet, puissent jeter un pont

entre le présent et l’avenir ». Ce n’est que par de tels agissements qu’il emportera l’adhésion

de ses équipiers. A partir de nos analyses de terrain, nous avons pu identifier trois grandes

responsabilités lui incombant que nous détaillons ci-après. Celles-ci ont des répercussions

directes sur le processus de reconstruction collective de sens post-reprise.

1.1.3.1.) L’animation du collectif

Nos observations confirment les nombreuses émotions provoquées par le changement

de dirigeant au sein de petites organisations. Les craintes liées au changement, l’équivocité, la

confusion s’installent brutalement dans l’esprit des salariés pour atteindre leur paroxysme au

moment de l’entrée en fonction du nouveau dirigeant. A ce moment-là, tous les regards se

portent sur lui, sur son attitude, son comportement et les premières décisions qu’il initie.

Certains repreneurs semblent avoir pleinement conscience de l’incidence de ce changement

sur la vie des salariés :

« Je pense qu’il faut bien comprendre où on met les pieds, ça fait des années

qu’ils bossent avec quelqu’un et, quasiment du jour au lendemain, on leur dit tu

vas bosser pour un inconnu. C’est un truc, c’est hyper déstabilisant, faut se

mettre à leur place ! » (Repreneur ICV).

Ou bien encore :

« C’est sûr, faut pas arriver en disant « je change tout ! ». Déjà, quand on

arrive, c’est un gros changement pour eux. Ils nous connaissent pas, ils ne

Page 308: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

307

savent pas ce qu’on veut faire ni comment. Certains étaient là, avec le patron,

quasiment à l’ouverture, faut quand même le prendre en compte quand on

démarre » (Repreneur SJA).

Alors que d’autres, au contraire, ne semblent pas en prendre toute la mesure :

« En fait, on n’a même pas trop parlé de l’organisation, moi ce qui m’intéressait

c’était que les clients perçoivent la montée en gamme des produits. En plus, j’ai

ajouté la chocolaterie, la confiserie et les glaces et c’est moi personnellement

qui allait m’en occuper. C’est ça le véritable changement. Pour les salariés, y a

rien qui change, ils avaient qu’à continuer à travailler comme avant, c’est tout »

(Repreneur MF).

La prise en compte du changement vécu par les salariés permet d’engager la

discussion autour de l’événement. La moitié des repreneurs rencontrés ont voulu se présenter,

expliquer ce qui les a poussés à reprendre et la manière dont il voyait l’avenir de l’entreprise

(cas HPC, PP, SJA, EMB et FRT). Pour beaucoup, un discours au cours d’une première

réunion a permis de clarifier un peu les intentions et les doutes de chacun. Ceci semble

d’autant plus important que les présentations n’ont pas été faites avant l’entrée en fonction du

nouveau dirigeant, ce qui est le cas pour la majorité des entreprises étudiées. L’ordre du jour

de ces premières réunions est sensiblement le même, une entrée en matière dans laquelle le

repreneur se présente, vient ensuite, une présentation des salariés, puis une explication sur le

projet de reprise du repreneur et, pour finir, un temps de discussion autour des principales

questions liées au changement. Le témoignage de ce repreneur est assez représentatif :

« En fait, c’est surtout une première prise de contact. Moi, j’ai commencé à me

présenter, présenter mon mari aussi puisqu’il allait nous donner un coup de

main de temps en temps. Je leur ai dit tout de suite que je n’étais pas du métier

mais qu’on avait une entreprise avant pendant 15 ans, comment on avait

rencontré l’ancien patron et pourquoi j’avais décidé de reprendre cette

entreprise plutôt qu’une autre. Je leur ai aussi dit que j’étais originaire de la

ville et que je connaissais un peu le magasin, car j’y étais venue faire deux trois

achats avant. Que le magasin avait une excellente réputation grâce à leur

professionnalisme et que je ne voulais pas tout changer. A la fin, j’ai laissé un

moment à chacun pour se présenter et chacun était libre de poser des questions.

Page 309: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

308

J’ai répondu à toutes les questions qu’ils m’ont posées et je pense que ça les a

un peu rassurés » (Repreneur HPC).

La première réunion semble avoir un effet bénéfique auprès des salariés qui arrivent

à mieux se représenter le changement qu’ils sont en train de vivre. Le fait de se retrouver

face à un repreneur qui explique qui il est, ce qu’il veut faire, comment il veut le faire à

travers les grandes lignes de son projet, contribue à les rassurer. Les échanges, les premières

prises de position sont éclairantes et permettent à tous de lever certaines ambiguïtés.

« Elle nous a expliqué un petit peu comment elle… elle voulait fonctionner.

Alors, (…). Bah ! déjà que ça avait rien à voir avec notre ancienne patronne.

C’était pas du tout le même mode de fonctionnement. Elle, elle était là tous les

jours donc s’il y a le moindre souci, on pouvait la voir. Après, par rapport au

fonctionnement, nous, nous voulions savoir comment ça allait se passer.

Pendant cette réunion, là, on lui a posé des questions...comment ça allait se

passer... qu’est-ce qu'elle comptait faire, comment elle s'organiserait...Alors,

bah ! quel… Moi, je lui ai demandé par rapport à mon jour de repos fixe, je lui

ai demandé s’il allait rester comme il était ou pas, parce que j’ai un petit

garçon, c'est important pour prévoir la garde. Voilà... Les horaires, comment ça

allait se passer. Elle a été très claire, comme toujours, dans ce qu’elle veut

faire » (Salariée EMB).

D’autres repreneurs ont préféré se présenter directement au contact du « terrain » et

rencontrer au fur et à mesure les salariés lors de discussions informelles. Ce type de relations

interpersonnelles est très fréquent au sein des TPE caractérisées par un système d’information

interne simple et peu organisé. Le contact direct et le dialogue entre membres de

l’organisation assurent la circulation de l’information (Julien, 1990 ; Torrès, 2007).

« Je me suis présenté, j’ai expliqué qui j’étais, ce que je faisais déjà. Ça n'a pas

été des entretiens individuels très formels comme on aurait pu voir dans d’autres

entreprises. Je suis surtout venu les voir pendant leur temps de travail, ou j’ai

échangé, essayé de savoir à qui j’allais avoir à faire plutôt que … déjà je les

sentais très stressés, alors je n’allais pas encore leur envoyer une convocation

sur laquelle j’aurais encore des gens bloqués. Ils fonctionnaient à l’ancienne

aussi bien sur la partie Relationship qu’administrative » (Repreneur LPC).

Page 310: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

309

En plus de cette première présentation, certains repreneurs ont décidé de rencontrer

individuellement chaque salarié au cours d’un entretien formel « en face à face » pour leur

expliquer la situation et tenter de nouer une relation plus personnalisée avec eux.

« Moi, j’ai pris le temps de les recevoir un par un, je trouve que c’est plus

judicieux. Ils peuvent vraiment parler de tout ce qui les touche, de leurs

problèmes perso s‘il y en a, de tout ça quoi ! Ça peut m’éviter de prendre des

mauvaises décisions sur leur emploi du temps par exemple, s’ils ont des gamins

à charge ou des choses comme ça quoi ! » (Repreneur ICV).

Qu’ils aient lieu au travers d’une réunion ou lors de discussions plus personnelles, ces

premiers échanges sont l’occasion pour chacun de récolter de nombreuses informations utiles

à la compréhension du changement. Les salariés tentent de percevoir les intentions du

dirigeant notamment pour ce qui concerne leur emploi, et le repreneur essaie de découvrir le

profil de ses nouveaux collaborateurs ainsi que les problèmes rencontrés. Les interactions

initiées par le repreneur sont un premier pas vers la création de nouvelles représentations qui

seront collectivement partagées par les membres de l’organisation, ce qui constitue, à coup

sûr, le principal défi dans la gestion du changement organisationnel majeur.

Notre analyse a aussi permis de relever, à l’instar de certains auteurs avant nous

(Abolafia, 2010 ; Munir et Phillips, 2005, cités par Brown, Colville et Pye, 2015),

l’importance et l’influence des discours, notamment ceux formulés par le repreneur, sur le

processus de construction collective de sens engagé. Plus tard, en assurant la fluidité des

échanges puis le partage d’expériences par le biais de réunions régulières, le repreneur fournit

un cadre où tous les membres de l’organisation pourront argumenter en utilisant de nouvelles

données émanant de plusieurs sources, afin de construire de nouveaux cadres impliquant des

liens entre des actions et des résultats, qui comprennent leurs interprétations multiples

(Weick, 1995). Ayant plus d’informations en leur possession, les repreneurs rencontrés ont

tous souhaité initier des changements de plus ou moins grande importance selon les cas. Les

premières actions sont fondamentales pour le nouveau dirigeant dans la mesure où elles

génèrent davantage « d’ingrédients bruts » pour le sensemaking. Via les stimuli ou indices

engendrés, les repreneurs peuvent rapidement en apprendre plus sur la situation et prendre des

mesures appropriées en prêtant attention aux signaux générés par cette action (Weick, 1988).

Page 311: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

310

Néanmoins, un temps d’observation a été parfois respecté avant de prendre des

décisions, comme le reconnaît le repreneur suivant :

« Moi, j’ai attendu de bien connaître la situation ; il faut un temps d’adaptation

où on observe ce qui ce passe, où on apprend à connaître les gens, la clientèle.

Ce n’est qu’une fois qu’on a fait ça, qu’on peut agir en connaissance de cause »

(Repreneur SAG).

Les premières décisions portent souvent sur ce que le nouveau dirigeant pense être une

amélioration pour l’entreprise et/ou pour les salariés. Tous les repreneurs rencontrés ont

conscience qu’ils apportent un regard neuf à la situation et souhaitent le faire savoir. Ainsi,

une simplification des procédures, une amélioration des conditions de travail, un

réaménagement des locaux sont autant de « petites décisions » qui marquent les esprits et

montrent qu’un nouveau dirigeant est en place.

« En fait, en y regardant bien, au début, je n’ai pas opéré de réels changements,

c’est plus des aménagements, il a fallu qu’on fasse une cloison au bout de la

grande réserve parce qu’on n’était pas en conformité. Si on ne faisait pas ça, on

risquait la fermeture administrative. Bon, c’est l’ancien propriétaire qui aurait

dû le faire mais… On a aussi amélioré leurs conditions de travail. Par exemple,

j’ai aménagé cette nouvelle salle en salle de réunion et en salle de repas. Avant,

elles mangeaient sur le bureau d’Odile. Le but, c’est encore une fois, de créer un

endroit calme, une salle où elles peuvent vraiment se détendre. J’ai aussi changé

les rayonnages de manière où d’un seul coup d’œil, elles sachent tout de suite ce

qu’il y a en stock. J’ai fait installer des portes automatiques, comme ça elles

n’auront pas froid en hiver » (Repreneur HPC).

Ou bien encore :

« J'ai simplifié certaines choses dès le début. Par exemple, la comptable avait la

possibilité de faire des virements seule sans que ce soit signé par le patron.

Donc on en a discuté et, d’elle-même d’ailleurs, elle me l’a proposé, et le

lendemain on a arrêté ça. C’était une grosse responsabilité et j’ai compris que

ça l’angoissait. Tous les fichiers financiers sont maintenant validés par moi-

même, cela me permet aussi de me mettre au courant de tout ce qui se passe,

tout ce qui est règlement, tout ça quoi ! » (Repreneur FRT).

Page 312: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

311

Certains repreneurs pensent qu’il s’agit de faire de petites choses « toutes simples » pour

améliorer fortement l’environnement de travail :

« Quand je suis arrivé, j’ai pu voir qu’elles avaient quelques motifs

d’insatisfaction. Par exemple, Andrée m’a dit une fois : « enfin ! il y a de la

monnaie dans le tiroir ! ». J’imagine que mon prédécesseur ne le faisait pas tout

le temps. Il n’y avait pas assez de monnaie, c’est un point de détail, mais qui les

agaçait vraiment. Quand vous êtes quotidiennement face à des clients et que

vous n’avez pas de quoi rendre la monnaie, c’est agaçant ! Elles ont aussi dit,

« tiens maintenant on aura du stock !», sous-entendu qu’avant il y en avait pas

assez. Moi je considère qu’il faut fournir des conditions de travail relativement

aisées quand on peut. Pas un sou de monnaie dans la caisse, il faut sans arrêt

pleurer les petites pièces auprès des clients. Pareil pour le stock, il en faut !

Alors il ne faut pas exagérer sur le volume, mais il faut pouvoir satisfaire la

clientèle et c’est plus facile pour le salarié de gérer le contact avec la clientèle.

Pour lui, c’est mieux de dire, j’ai tous les produits, plutôt que de lui dire de

repasser plus tard pour récupérer un manquant » (Repreneur PP).

Il s’agit parfois de décisions symboliques dont l’objectif est d’installer un climat de confiance

avec les salariés :

« Après, moi, je leur ai apporté de bonnes conditions de travail. Avant,

l’ancienne patronne n’était jamais là… Ils n’avaient pas le droit au café par

exemple. Ils n’avaient pas le droit au pain ; le soir, ils devaient les compter pour

les jeter le lendemain. Moi, je leur laisse les emmener. De toute manière, ça part

à la poubelle. Et je n’ai pas vu d’explosion des invendus. Ils ne vont pas manger

10 baguettes de pain chacun. Ça, c’est un détail mais ça marque le coup. Ils se

disent, tiens elle a confiance en nous » (Repreneur SAG).

Nos observations soulignent que des décisions de plus grande ampleur ont également

été prises par certains repreneurs. Ce type de décisions prouve aux salariés que le repreneur

assume son nouveau rôle de leader et qu’un projet de reprise est en train de s’appliquer.

Page 313: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

312

Ainsi, il apparaît parfois indispensable pour certains repreneurs de remettre à plat les

horaires :

« Il a changé les plannings, il y en a qui avait toujours l’habitude d’être du

matin. Et il y en avait, c’était toujours les mêmes, du soir. Là, maintenant, c’est

plus pareil. Là, ça a été dur pour certains…mais bon c’est pas normal que ce

soit toujours les mêmes qui se tapent les fermetures » (Salarié MC).

Resituer les rôles de chacun dans l’organisation, en imposant un cadre plus rigoureux,

a aussi été décidé dans l’entreprise EMB.

« Elle a mis en place des changements dès le départ. Par contre, c'est très carré,

elle aime que les choses soient bien claires. Autant avec C. [la cédante], c’était

le bazar, autant avec C [la repreneure] non, c'est très carré ! Chacun à sa

place ! C’est-à-dire qu'il faut faire telle chose et ne pas faire telle chose, elle

tient à ce que chaque fille ait son travail...et...euh...comment dire ?....alors.

Quand c'était C [la cédante], comme elle était tout le temps absente, elle nous

laissait libres de nous organiser comme on voulait en fait, c'est-à-dire que

chaque fille faisait son travail, mais un peu à sa manière. Quand C. [la

repreneure] est arrivée, au contraire : c'était toi tu fais ça, toi tu fais ça ...enfin

chaque fille avait une catégorie de choses à faire et pas d'autres -voilà des

règles et un cadre très précis, très droit, très carré...» (Salariée EMB).

Certains repreneurs font le point sur les rémunérations et concèdent une augmentation

en tant que signe de reconnaissance pour le travail déjà effectué.

« Oui voila, il a trouvé… ben… dès le premier mois de son arrivée, il nous a

augmenté. Oui parce qu’il a considéré que ça faisait longtemps qu’on n’avait

pas été augmentés et vu le travail qu’on faisait, il était satisfait de notre travail

et il nous l’a dit. Donc, ça aussi, ça nous a changés parce que c’était la

première fois qu’un employeur récompensait aussi bien verbalement que

financièrement » (Salarié PP).

Page 314: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

313

Certains repreneurs ont même pris des sanctions :

« Moi, je ne peux pas avoir de « bloquants » c’est pas possible et je vais faire en

sorte qu’il y en ai plus. C’est malheureux, mais il y a eu une personne comme

ça, on dirait qu’elle voulait semer la zizanie, rien n’allait jamais, elle donnait de

la mauvaise humeur, elle critiquait tout. Ben, des gens comme ça, il faut qu’ils

sachent à qui ils ont affaire. Faut savoir faire partir des courriers s’il le faut.

C’est ce que j’ai fait avec elle et elle s’est tout de suite calmée » (Repreneur

ICV).

Les mesures disciplinaires peuvent parfois être très lourdes :

« En fait, je parle là du principal opposant. Il y avait un gros problème avec lui.

Il ne s’entendait pas avec le groupe et, au bout d’un an, un an et demi, je suis

arrivé à une rupture conventionnelle qui arrangeait tout le monde. J’ai quand

même eu deux plaintes de harcèlement à cause de lui sur des stagiaires, …

vraiment, c’était un cas ! Il était insupportable ! » (Repreneur SJA).

Les décisions portent également sur les relations avec les parties prenantes de

l’entreprise, comme dans cet exemple, les fournisseurs :

« Là où il y a eu un grand changement, c’est dans les relations qu’on pouvait

avoir avec certains fournisseurs. Là je pense qu’ils [les salariés] se sont dit oh

là là tiens ! Voilà il y a des trucs qui changent là. Parce que je pense que j’ai

été beaucoup plus direct avec des fournisseurs, notamment les fournisseurs

stratégiques pour l’entreprise, beaucoup plus direct et beaucoup plus dur, ferme

en mettant la pression, en demandant des comptes, choses qui n’étaient pas

forcément, peut-être moins faites avant ou faites de manière différente, ça je

pense que ça les a intéressés [les salariés] en tout cas » (Repreneur FRT).

Nos observations montrent que les décisions et actions initiées par le repreneur ne sont

pas forcément mal perçues des salariés. Dans plusieurs entreprises, certaines d’entre elles

furent même attendues. Pour de nombreux salariés rencontrés, ce qui importe avant tout, c’est

que les décisions prises et les actions qui sont menées, paraissent justes et équitables, comme

le prouve le témoignage suivant :

Page 315: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

314

« Maintenant, il n'y a plus de différences entre les personnes. Il y a une certaine

justice quand même. Avant les plannings, c'était un peu bizarre. On avait

l'impression que certaines étaient plutôt privilégiées... » (Salarié EMB).

Weick affirme que l'action est une partie intégrante de la construction de sens. Dans

cette perspective où la « cognition réside dans la voie de l’action » (Weick, 1988, p. 307), les

individus connaissent le monde en prenant des mesures et en voyant ce qu’il advient ensuite.

Durant la période de management post-reprise, la mise en place de règles concrètes, l’action

visible du repreneur offrent un cadre de compréhension, une grille de lecture sur ce qui est en

train de se passer. Si l’action engagée avec fermeté, dans un tel climat d’incertitude, engendre

la compréhension (Rojot et Wacheux, 2006) chez les salariés, elle produit en même temps,

des incompréhensions, des doutes, desquels s’engageront des confrontations d’interprétations

qui aboutiront, elles aussi, à terme, à une compréhension nouvelle de la situation.

La littérature reconnaît le rôle prépondérant du dirigeant dans la conduite et dans

l’explication du changement. Ce dernier se doit d’être un véritable leader aidant les individus

à mettre à jour les contextes dans lesquels les décisions devront être prises (Fiol et Huff,

1992) et à donner progressivement du sens au changement (Barabel et Meier, 2010). Son

action contribue pour une bonne part à fournir des interprétations signifiantes à des

informations ambiguës (Thomas et al., 1993). Nos observations font apparaître que le

repreneur joue, effectivement, un rôle central dans la dynamique de compréhension

individuelle et collective et dans l’évolution de l’attitude de chacun des acteurs face au

changement. Son action s’inscrivant dans le cadre d’un événement majeur générateur

d’équivocité, il se doit d’expliquer le changement et d’apporter des réponses aux nombreuses

interrogations soulevées. Néanmoins, nous remarquons qu’expliquer le changement ne suffit

pas, il faut également l’animer continuellement. En encourageant l’interaction, en mettant en

mouvement et en rendant attentifs les salariés à ce qu’il advient (Koenig, 2003), en restant

ouvert aux questionnements de ces derniers, en générant lui-même des questionnements, il

donne les moyens à tous de mieux appréhender la situation. De la même manière, en prenant

des décisions et en établissant une direction, il facilite la compréhension et l’action et fait

émerger auprès des salariés une nouvelle vision par le jeu des interprétations. Agissant de la

sorte, il devient un donneur de sens, un sensegiver (Gioia et Chittipeddi, 1991) permettant à

l’organisation de se renouveler progressivement en reconstruisant collectivement du sens.

Page 316: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

315

1.1.3.2.) L’instauration et le maintien d’une communication franche et honnête

L’analyse de nos entretiens a permis de relever l’importance de la communication

interpersonnelle au sein du processus de reconstruction collective de sens post-reprise. Pour

une très grande part des cas étudiés, nous avons pu observer que, dès l’entrée en fonction du

nouveau dirigeant, les salariés ont exprimé le besoin de communiquer pour savoir ce qui était

en train de se passer et ce qui allait se passer. Compte tenu de la petite taille de l’entreprise, du

peu ou de l’absence de niveaux hiérarchiques, tous ont attendu que le repreneur fasse la

démarche de venir à leur rencontre, puis de s’intéresser réellement à eux. La plupart des

salariés rencontrés ont souhaité être consultés sur leur vie, leur travail, leur ressenti face aux

événements et à leur vision de l’entreprise. Le dialogue franc, simple et direct est très

largement plébiscité. La majorité des repreneurs rencontrés semblent avoir pris conscience de

leur rôle actif, en tant que nouveaux dirigeants, dans la mise en œuvre du processus

d’interactions communicatives. Il devient nécessaire de faire le premier pas comme le

reconnaît le repreneur suivant :

« Faut pas oublier que c’est nous qui arrivons. C’est à nous de faire la

démarche d’aller les voir pour discuter. S’ils voient qu’on fait l’effort, eux aussi

vont le faire. Pour moi, c’est simple, tout est lié à la relation qu’on arrive à

installer, à la manière dont on arrive à communiquer avec eux » (Repreneur

PP).

Initier un tel processus est un premier pas essentiel vers la résorption de l’équivocité.

Mais cette première action, à elle seule, n’est pas suffisante. Agir durablement sur

l’équivocité perçue nécessite que le processus d’interactions communicatives puisse se

poursuive indéfiniment. Giroux (2006) nous rappelle, en effet, que l’organisation, en tant que

« processus organisant », est le fruit des interactions communicatives par lesquelles les

interactants la co-construisent de manière continue. De par sa position centrale dans

l’organisation, c’est au repreneur qu’il revient de veiller à ce que les interactions se

maintiennent et que tout salarié puisse continuellement s’exprimer librement, sans non-dit, ni

arrière-pensée, et surtout, sans crainte d’éventuelle sanction. Nous avons pu relever que

maintenir une communication permanente au sein de l’organisation n’est pas chose aisée.

Cette activité nécessite, pour le repreneur, de se rendre disponible pour l’échange et, pour les

salariés, de trouver des moments propices à la rencontre. Ceci n’est pas évident au sein des

TPE commerciales compte tenu des larges amplitudes horaires généralement observées. De

Page 317: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

316

nombreux salariés interviewés nous ont confié avoir souvent l’impression de « se croiser »

sans trop pouvoir échanger réellement sur le fond des choses.

« Nous, ben, on n’a pas vraiment pu en discuter tous ensemble, on ne se voit pas

tout le temps. Y en a qui sont du matin et d’autres qui sont du soir, et puis y a

ceux qui font que le week-end, comme les étudiantes » (Salarié MC).

Le repreneur, malgré les fortes contraintes imposées par l’activité, devra consacrer une

partie de son temps pour dialoguer avec chaque salarié. Nous observons que, pour une grande

majorité des cas étudiés, les entretiens informels sont privilégiés aux entretiens proprement

formels.

« On n’a pris l’habitude de se voir [avec le repreneur] tous les vendredis soir

après la journée de boulot. On prend un moment pour voir les problèmes, les

clients, les fournisseurs, tout ça… les problèmes avec les collègues (…) C’est

bien, on prépare la semaine suivante autour d’un verre » (Salarié SJA).

Ou bien encore :

« Disons qu’elle a essayé au départ de mettre en place de vrais entretiens avec

nous toutes, enfin c’est ce qu’elle nous a dit. Moi j’en ai fait un au début… Mais

bon, avec les problèmes du magasin, il y a toujours quelque chose d’imprévu, elle

a vu que ça allait être difficile. Donc quand on se voit et quand elle a des choses à

nous dire, c’est entre deux clientes et ça s’arrête là ! » (Salarié EMB).

Maintenir son bureau ouvert et le faire savoir donnent également l’impression aux

salariés qu’ils seront personnellement écoutés.

« Ben, disons que c’est plus facile. Elle nous a fait comprendre que si on avait

des choses à dire, que si on n’avait pas compris quelque chose ou si on avait des

problèmes personnels, on avait qu’à aller la voir dans son bureau, que sa porte

restait toujours ouverte » (Salarié EMB).

Si les échanges interpersonnels sont importants, le repreneur devra aussi tout mettre en

œuvre pour faciliter la communication collective. Les réunions périodiques se révèlent d’une

grande utilité et sont particulièrement appréciées, comme le reconnaît le salarié suivant :

Page 318: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

317

« Ce qui est bien, c’est qu’on arrive à faire des réunions… en plus maintenant,

elle [la repreneure] a aménagé une vraie salle de réunion à la place de

l’ancienne salle de pause. Les réunions, on n’en fait pas souvent mais on arrive à

se voir au moins une fois par mois. Ça permet de faire le point et de voir ce qu’on

peut faire pour améliorer les choses, de dire ce qui ne va pas » (Salarié HPC).

Par ailleurs, nous avons observé que les salariés expriment très souvent le désir de

regarder le repreneur communiquer honnêtement, sans arrière-pensée. Si elle est réciproque,

une telle pratique génère la confiance mutuelle, l’échange de connaissance, l’interaction

respectueuse et l’adaptation à l’environnement. La confiance, l’honnêteté, le respect de soi et

des autres sont, en effet, autant d’ingrédients supplémentaires (Roux-Dufort, 2003) pour

reconstruire des liens cohérents dans « une vie harmonieuse avec autrui » (Weick, 1993,

p.634). A défaut d’une communication franche et honnête, les salariés auront le sentiment de

ne pas savoir où ils en sont, comme le reconnaissent ces deux salariés de l’entreprise LPC :

« Moi j’ai vraiment l’impression de tout le temps rester dans le flou (…) de

n’avoir jamais su les tenants et les aboutissants. En fait, j’ai l’impression qu’il

ne dit jamais ce qu’il pense vraiment » (Salarié 2 LPC).

Ou bien encore :

« Il n’a jamais pris le temps de discuter avec nous comme on le fait maintenant,

j’aurais aimé qu’il me dise, voilà j’ai repris, je souhaite faire ceci ou cela, même

maintenant, qu’il me dise quelquefois : ce que vous faites c’est bien ou c’est pas

bien, enfin des choses comme ça quoi. Mais, même ça, on n’a jamais de retour !

» (Salarié 1 LPC).

Certains repreneurs font preuve d’humilité et n’hésitent pas à communiquer leur

manque de savoir ou leur carence. Ceci semble fortement apprécié par les salariés. En

reconnaissant publiquement qu’ils ne savent pas, ou du moins pas tout, ils favorisent

l’émergence d’un dialogue ouvert, sincère, associant confiance, fiabilité et estime de soi

(Laroche et Steyer, 2012).

« Moi, quand il y a un truc que je ne maîtrise pas, je le dis, j’ai rien à cacher, je

n’ai pas la science infuse. Par contre, si je ne sais pas, je leur ai dit que je ferai

tout pour apprendre et que leur aide serait la bienvenue. Faut pas faire celui qui

connaît, quand on ne sait pas, sinon ils vont vite sans rendre compte et c’est pire

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318

que tout. Au moins là, ils savent que je suis honnête et que je leur dis tout. Je

sais que beaucoup d’entre eux ont apprécié cette manière de faire. En plus, ils

se sont sentis valorisés» (Repreneur HPC).

La qualité des interactions est primordiale. Elle permet l’échange des informations et

une compréhension commune de la situation (Giroux, 2006). Pour les salariés, la réalité

organisationnelle se redéfinit progressivement et ils peuvent alors envisager d’y participer à

travers leurs actions. Tout ce qui est mis en œuvre par le repreneur pour faciliter l’échange et

l’interaction respectueuse (Weick, 1993), influence positivement le processus de

reconstruction collective de sens. Établir dès le départ un climat favorable à une

communication franche et honnête sans « langue de bois », qu’elle soit formelle ou

informelle, installe une relation, aboutit à une reconstruction des liens entre les individus.

Exposer continuellement ses interprétations, autoriser les salariés à en faire de même,

éclairent et structurent l’environnement. L’engagement de tous dans l’action devient alors

possible.

1.1.3.3.) L’implication des salariés dans le projet

L’arrivée d’un nouveau dirigeant, d’autant plus si elle n’a pas été annoncée, donne

souvent l’impression aux salariés d’avoir été « vendus avec l’entreprise » et de ne pas avoir eu

leur mot à dire :

« Tout ça, ça fait bizarre, on a l’impression qu’ils ont tout manigancé dans notre

dos. Ils parlaient de nous, de ce qu’on faisait et il jugeait notre travail. J. [le

repreneur] est même venu jouer le client pour nous observer incognito. C’est

après qu’on découvre le pot au rose, qu’on a été vendus avec les murs. En fait,

c’est comme si on était des objets » (Salarié LPC).

De nombreux repreneurs expliquent avoir tenu à l’écart les salariés et justifient

l’importance accordée au secret, avant et au moment de la transaction, par une injonction

formulée par le cédant. Ce dernier ne souhaitait pas ébruiter la vente pour ne pas inquiéter les

salariés et l’entourage de l’entreprise. Cette pratique semble d’autant plus respectée que le

cédant a connu précédemment une ou plusieurs ventes ayant achoppé. Nos analyses mettent

en évidence le poids tout à fait marginal accordé aux salariés dans la phase amont du

processus repreneurial, aucun n’ayant été officiellement consulté durant la période de prise de

décision du repreneur. Cette pratique, apparemment courante au sein des TPE, contraste avec

Page 320: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

319

l’importance reconnue du rôle joué par les salariés dans la réussite de l’entrée en fonction du

nouveau dirigeant. La littérature leur reconnaît un rôle de premier plan dans la réussite de

l’entrée en fonction du dirigeant et plus largement du processus de reprise (Henriet, 1999 ;

Boussaguet, 2005 ; Deschamps et Paturel, 2009). Alors qu’ils sont ignorés auparavant, lors

des phases de discussions et de conclusion de la vente, l’implication des salariés est

particulièrement désirée au moment où le repreneur entre en action. Il s’agit d’un point

déterminant dans la réussite de sa prise de fonction comme le reconnaissent les repreneurs

suivants :

« Il fallait vraiment que je m’appuie sur le personnel, je ne connaissais rien à ce

métier. D’ailleurs, si j’ai repris ce magasin, c’est parce qu’ils étaient là. Après,

faut qu’ils jouent le jeu, faut qu’ils se lancent avec nous et ça c’est pas gagné »

(Repreneur HPC).

Ou bien encore :

« Ils m’ont montré les choses au fur et à mesure, pour faire l’ouverture, la

fermeture, les trucs techniques, l’informatique… Après, heureusement qu’ils

étaient là pour me présenter la clientèle, les fournisseurs, je pense que ça se

serait moins bien passé s’il y avait pas eu ça ! » (Repreneur SAG).

Nos observations font état de différents moyens utilisés par les repreneurs pour

impliquer les salariés dans leur projet. Certains ont souhaité consulter les salariés et leur faire

prendre part aux décisions, ce qui a été particulièrement apprécié, comme le prouve le

témoignage suivant :

« Elle [la repreneuse] nous fait énormément participer à toutes les décisions.

J’apprécie beaucoup parce que pendant cinq ans, c’est ce qu’on faisait. C’est

bien de fonctionner comme ça, car on a vraiment l’impression d’être concerné

par la vie de l’entreprise. On a le sentiment de former une équipe. Quand

quelqu’un décide et dit : «toi tu fais ça, toi tu fais ça », c’est beaucoup moins

intéressant » (Salarié HPC).

D’autres ont donné plus d’autonomie et encouragé l’initiative :

« bien, entre l'ancienne et la nouvelle direction, c'est l'ancienne et la nouvelle

école quoi... E. [le cédant] voulait tout gérer, c'est-à-dire qu'il faisait ses devis,

Page 321: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

320

il faisait un peu de paperasse, avec sa femme qui en faisait aussi. Il faisait les

livraisons, il faisait des tours sur le chantier pour voir si ça allait, il nous aidait

des fois sur le chantier. Alors que J. [le repreneur], il fait plus du bureau, il a

beaucoup délégué quoi, et responsabilisé le personnel. Et nous, ben… je trouve

que ça marche beaucoup mieux, on maîtrise le truc du début à la fin quoi ! On

gère nos chantiers comme on le veut, on discute avec les clients en direct et s’il y

a un problème, on le règle nous-mêmes. Même nos heures sup sont faites au

déclaratif ! Par contre, faut pas faire ou lui raconter n’importe quoi ! Ça, il

nous l’a bien expliqué » (Salarié SJA).

Enfin, certains repreneurs ont jugé bon de confier plus de responsabilités à leur

personnel, ce qui semble, là encore, positif :

« Nous, on a envie de bosser avec lui [le repreneur], il nous a accordé plus de

responsabilités. Il nous pousse à nous améliorer, il nous confie plus de tâches.

Du coup, on fait pas toujours la même chose comme de la mise en rayons. Là,

par exemple, je m’occupe des changements de prix dans le magasin, c’est tout

géré sur informatique. Avec l’ancien patron, je n’avais pas le droit de le faire ».

(Salarié ICV).

En permettant aux salariés de s’impliquer dans le projet, en les faisant participer aux

prises de décisions, en favorisant la prise d’initiative, ou encore en leur accordant plus

d’autonomie et de responsabilités, le repreneur exerce une influence considérable sur le

processus de reconstruction collective de sens. Sous son impulsion, les individus sont invités

à faire des propositions, trouver des solutions innovantes ou, tout simplement, agir.

L’émulation ainsi générée contribue à créer, puis à maintenir, une dynamique interactionnelle

qui enrichit considérablement les cadres interprétatifs et le sens donné à la situation.

L’interactionniste symbolique invite à porter notre attention sur le rôle essentiel de

l’individu dans l’émergence et la manipulation du sens (Blumer, 1969). Tous les acteurs, quel

que soit leur statut, sont parties prenantes dans la construction du monde qui les entoure. Ils

produisent leur environnement autant qu’ils sont produits par lui, et le « sens commun »

émerge d’une activité continue de communication interpersonnelle. L’élaboration collective

de sens au sein d’une organisation devient le résultat des multiples interactions entre tous ses

membres (Vidaillet, 2003). Pour Weick, ce processus est d’autant plus intense et visible que

Page 322: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

321

la situation vécue est inédite, confuse et équivoque. Les théories du sensemaking et celles du

leadership ont permis d’assimiler, tour à tour, le poids des interactions interindividuelles et le

rôle actif du repreneur, en tant que nouveau leader, dans l’acceptation puis l’engagement des

salariés dans une situation de changement. L’analyse de notre matériau empirique met

clairement en évidence l’influence de facteurs individuels sur la reconstruction collective de

sens post-reprise. Chaque individu et chaque groupe d’acteurs (cédants, salariés, repreneurs)

participent à son accomplissement, même si chacun n’a pas le même poids dans le processus.

Il apparaît, en effet, que le repreneur est en première ligne et que de son action émergera

prioritairement ou non le processus. Notre recherche met également en évidence que la

reconstruction collective de sens post-reprise n’est pas un processus s’enclenchant

spontanément dans l’organisation en s’affranchissant de la volonté des acteurs. Il s’agit bel et

bien d’un processus voulu, encouragé et entretenu par les différents groupes d’acteurs, au

premier rang desquels figurent les repreneurs.

Intéressons nous à présent aux facteurs organisationnels ainsi qu’à leur influence sur le

phénomène étudié.

1.2.) Les facteurs organisationnels

A ce stade de la recherche, nous avons principalement focalisé notre attention sur les

facteurs individuels qui ont une influence sur le processus de reconstruction collective de sens

post-reprise. Si l’importance de ces facteurs vient d’être établie, l’analyse de nos entretiens a

également montré qu’ils n’étaient pas les seuls. Lorsqu’elle est confrontée à un changement

majeur comme la RPP, différentes solutions sont à la disposition de l’organisation pour

favoriser ce processus et ainsi accroître son niveau de résilience. Pareil constat invite à

admettre que l’articulation des processus de construction de sens individuels dans

l’interaction produit l’organisation, mais qu’en retour, l’organisation en train de se former

agit, par ses caractéristiques, sur la fabrication de sens et l’action (Laroche et Steyer, 2012).

Afin de mettre en évidence ces différentes solutions, nous nous sommes appuyé sur le modèle

de sensemaking en situation de changement proposé par Vandangeon-Derumez et Autissier

(2006), préalablement décrit en première partie de ce travail. Nous rappelons brièvement que

l’objet de ce dernier est de fournir une représentation transversale du processus de

sensemaking en liant trois variables organisationnelles de création de sens (culture, stratégie

et structure) au processus d’engagement individuel dans l’action. A partir de ce modèle, nous

Page 323: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

avons élaboré 19 grilles d’analyses

catégories d’individus interrogés

après (figure 27).

Figure 27 - Grille d’analyse du manageme

Ce travail d’ordonnancement et

différents facteurs organisationnels

management post-reprise. Faisons ressortir

variables culturelles, stratégiques

274

Nous rappelons au lecteur que nous n’avons pu interroger les salariés de l’entreprise MF puisqu’aucun d’entre eux ne faisait partie de l’effectif au moment où nous réalisions nos entretiens.

322

é 19 grilles d’analyses 274 correspondant pour chaque entreprise aux deux

égories d’individus interrogés ; repreneur et salariés. Nous en présentons un exemple ci

rille d’analyse du management de la reprise (Salariés HPC)

rdonnancement et de présentation des données a permis de

nisationnels de création-destruction de sens durant la péri

reprise. Faisons ressortir à présent, un à un, ces divers facteurs

tégiques et structurelles.

Nous rappelons au lecteur que nous n’avons pu interroger les salariés de l’entreprise MF puisqu’aucun

d’entre eux ne faisait partie de l’effectif au moment où nous réalisions nos entretiens.

chaque entreprise aux deux

présentons un exemple ci-

és HPC)

a permis de relever

sens durant la période de

s facteurs à travers les

Nous rappelons au lecteur que nous n’avons pu interroger les salariés de l’entreprise MF puisqu’aucun

Page 324: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

323

1.2.1.) Au niveau culturel

L’analyse de notre matériau empirique montre l’existence de différents facteurs liés à

la culture organisationnelle ayant une incidence directe sur le processus de reconstruction de

sens engagé par les individus. Cette influence se manifeste à travers trois éléments : la

perception de la mission de l’entreprise, la conception du travail en équipe et du partage et

l’importance accordée au dialogue et à l’écoute.

1.2.1.1.) La perception de la mission de l’entreprise

Lorsque les individus font face à une situation équivoque qui perturbe leur perception

de l’environnement et d’eux-mêmes au sein de ce dernier, beaucoup « se raccrochent » à une

vision plus ou moins partagée de la mission de l’organisation. Cette vision constitue un socle

commun d’interprétations sur lequel ils s’appuient pour donner un sens à la situation vécue.

Elle constituerait un cadre, un point de référence stable permettant aux individus de

reformuler leurs préoccupations face à l’avènement d’un élément nouveau. Ainsi, nous avons

relevé que de nombreux salariés avaient recours à ce cadre interprétatif pour s’engager dans

une lecture du changement.

« Là ! On est dans un commerce de quartier, on connaît les clients par leurs

noms, on fait la bise à certains, on rend service. Ce ne sont pas que des clients.

Ça, c’est un truc qui ne pourra pas changer comme ça. En tout cas, si quelqu’un

touche à ça, les clients vont partir et l’entreprise va couler ! » (Salarié PP).

Ou encore :

« Nous, on n’est pas que des marchands de livres, on fait du conseil, on donne

envie de lire aux gens. Ça, c’est super important pour nous toutes. Dans notre

commune, il n’y a pas beaucoup d’endroits comme ça. Si les gens viennent ici,

c’est parce qu’ils savent qu’on ne fait pas que gagner de l’argent. On s’investit

sur du long terme avec eux, on veut qu’ils reviennent, notre objectif, ce n’est pas

de vendre et puis voilà. Nous, on veut que quand on les croise dans la rue, ils

nous regardent pas de travers, sinon, ça voudra dire qu’on aura mal fait notre

travail » (Salarié HPC).

C’est lorsque les salariés se lancent dans la phase d’enactement de leur environnement

que la vision de la mission de l’organisation est la plus sollicitée. Ils interprètent l’évolution

du changement à travers cet élément et décident ou non de s’engager dans la poursuite du

Page 325: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

324

processus de construction collectif de sens. En effet, lorsqu’il s’engage dans une interaction,

un individu se demande s’il a intérêt à s’exposer et à s’investir dans une cause qui ne

correspond pas totalement à ses valeurs (Vandangeon-Derumez et Autissier, 2006). Nous

avons pu relever que, dans certains cas, la mission attribuée à l’entreprise par les salariés

différait sensiblement de celle du repreneur, comme le prouve le témoignage suivant :

«C’est pas un truc qu’on sait faire et même qu’on a envie de faire. Lui, il veut

vendre du fastfood, des burgers, des pizzas, des trucs pas bons pour la santé

quoi. Ce qui compte c’est la marge, en achetant des produits pas trop chers...

Nous, ici, on fait de la bonne cuisine, on fait du traditionnel, du fait maison. On

ne donne pas n’importe quoi à manger à nos clients » (Salarié LPC).

Dans tous les cas, la vision de la mission de l’entreprise développée par ses membres

influence le processus de reconstruction collective de sens. Elle s’insère dans la carte

cognitive développée par chaque individu comme un ensemble de concepts et de relations

entre concepts formant la représentation des croyances d’une personne sur un domaine

particulier (Axelrod, 1976, cité par Vidaillet, 2003), et lui permet de mieux interpréter son

environnement. La perception de la mission de l’entreprise sert de guide, de support aux

interactions entre tous les acteurs organisationnels, puis à la construction de sens. Les

réponses apportées par la nouvelle organisation interfèrent sur l’engagement de l’individu

dans l’interrelation et dans l’action. Si la perception de la mission de l’entreprise enrichit et

favorise la confrontation des interprétations, phénomène duquel émerge le sens, nous

observons également que lorsqu’elle semble trop éloignée des valeurs individuelles, elle met

un terme définitivement aux interrelations, puis à la collaboration, comme le prouve le

témoignage suivant :

« C’est simple, en cuisine, il y en a qui sont partis au bout de quelques semaines

parce qu’ils ont compris tout de suite qu’on allait faire un autre boulot, qu’on

vendrait de la « merde ». C’est pas pour ça qu’ils avaient signé ! » (Salarié

LPC).

1.2.1.2.) La conception du travail en équipe et du partage

Dès l’entrée dans l’entreprise du repreneur, il apparaît fondamental de maintenir des

relations entre tous les membres de l’organisation. Nous avons pu observer que la manière

dont les personnes interrogées appréhendaient le travail en équipe et l’idée qu’elles se

Page 326: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

325

faisaient du « partage », exerçaient une influence notable sur la fréquence et la qualité des

interactions et, in fine, sur le processus de reconstruction collective de sens post-reprise. Les

témoignages de nombreux salariés mettent en avant l’importance du travail en équipe en tant

que valeur essentielle et partagée pour s’engager dans une dynamique d’échanges et d’actions.

Face à un environnement difficile, il s’agit d’être solidaires les uns avec les autres, même

lorsqu’on se retrouve avec un inconnu dans l’équipe, fut-il nouveau dirigeant de l’entreprise.

« Pour moi, travailler en équipe c’est super important. On ne fait rien tout seul,

surtout dans un magasin comme le nôtre. Il y a des périodes où certains sont

plus chargés que d’autres et ça tourne, donc il faut savoir se prêter main forte.

Ce qui est bien avec C. [le repreneur], c’est qu’il voit les choses un peu comme

nous, il est dans le partage. Il a des valeurs basées sur le respect, le partage

entre les gens... il est super humain. C’est un gars qui n’hésite pas à venir nous

voir si on a un problème, il nous laisse pas dans la panade. C’est vrai qu’on

fonctionnait déjà un peu comme ça avec les collègues même si l’ancien patron

n’aimait pas trop qu’on discute trop ensemble. Donc nous, avec quelqu'un

comme ça, on a eu envie de travailler avec lui. C'est peut être rare de voir des

salariés qui veulent que leur patron réussisse, qu'il gagne bien sa vie, mais c'est

comme ça chez nous » (Salarié ICV).

Ou encore :

« D’un autre coté, quand C. [la cédante] est décédée, on s’est serré les coudes

pour sauver le magasin. Maintenant, ça c’est ancré dans l’équipe, on se serre

les coudes quoi qu’il arrive… Pour nous, c’est un peu notre bébé le magasin. On

sait que ce n’est pas notre magasin mais c’est quand même notre magasin et on

se donne à fond, on fait tout pour que tout se passe bien. Tout ça, ça n’a pas

changé avec la nouvelle patronne, on a quand même continué à faire comme

avant » (Salarié HPC).

Nous constatons qu’au sein des organisations dans lesquelles un esprit d’équipe est

prononcé, les interactions sont nombreuses et facilitées, même après l’arrivée d’un nouveau

dirigeant. Les échanges intersubjectifs habituels et réguliers offrent aux acteurs

organisationnels de se repositionner, d’établir des priorités et préférences et de se projeter plus

facilement dans un nouveau schéma d’actions organisées. Certains repreneurs soulignent,

Page 327: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

326

dans leur témoignage, l’importance de cet état d’esprit dans la constitution d’un nouveau

groupe dans lequel ils ont pu s’intégrer :

« J’ai vu aussi qu’elles s’entraident beaucoup, s’il y en a une qui a un problème,

les autres n’hésitent pas à venir l’aider et vice versa. En même temps, c’est

normal, elles sont restées seules pendant longtemps. Moi je suis contente d’avoir

des gens comme ça, ça fait avancer tout le monde, c’est constructif (…) Je pense

que cet état d’esprit, ça nous a rapprochés, ça m’a permis de m’intégrer avec

elles. Elles savent aussi que si elles ont un problème, je suis là aussi… je leur ai

montré à plusieurs reprises » (Repreneur HPC).

La notion de partage, puis son importance dans la constitution et la cohérence du

groupe, sont également évoquées par de nombreux salariés et dirigeants. Il s’agit le plus

souvent du partage d’expériences et de connaissances :

« C’est sûr que nous, on a toujours travaillé comme ça, si on sait faire quelque

chose, si on a appris à gagner du temps en faisant telle ou telle chose, on le

communique aux autres, on le partage. On n’a pas envie de voir galérer son

collègue pour rien ! Ben, on a fait pareil pour elle, quand elle est arrivée, on lui

a tous montré comment on faisait les choses, on lui a dit ce qu’on pensait de

l’organisation, comment on devait améliorer ça ou ça » (Salarié SAG).

Ou bien encore :

« Je leur apporte des compétences supplémentaires et ces compétences, je les

mets sur la table. Moi, je veux apprendre avec eux et qu’ils apprennent avec

moi, qu’on devienne tous plus performants. Tout ça, c’est dans l’intérêt

collectif » (Repreneur FRT).

Cette vision du partage s’étend bien au-delà du simple partage de connaissances et

d’expériences et concerne la répartition de la valeur ajoutée générée par l’organisation :

« Je pense que c’est le B. A. BA., c’est important. Moi je suis quelqu’un qui est

pour le partage des profits et du capital, des expériences humaines et tout ça !

L’homme tout seul ne peut pas tout faire et on doit le garder en tête surtout dans

une petite entreprise comme la nôtre » (Repreneur SJA).

Page 328: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

327

Lorsque les acteurs organisationnels développent une conception prononcée et analogue

du travail en équipe et/ou du partage (d’expériences, de connaissances ou de profits), ils

créent un ensemble de compréhensions partagées et de schémas d’actions facilitant le travail

d’interprétation collectif et l’action. Il s’agit là de représentations, de paradigmes, de

vocabulaires (Weick, 1995) qui sont mobilisés, puis articulés au sein du processus de

construction relevant de l’intersubjectivité pour générer du sens. De cette tension dynamique

et continue naissent des compréhensions équivalentes autour d’intérêts communs, réduisant

l’équivocité provoquée par l’arrivée du nouveau dirigeant et permettant la coordination des

comportements (Allard-Poesi, 2003). A travers l’articulation de ces deux registres de la

construction de sens, le processus de reconstruction collective de sens post-reprise s’amorce

puis se développe progressivement.

1.2.1.3.) L’importance accordée au dialogue interne et à l’écoute

Nous avons constaté que, pour de nombreux salariés et repreneurs, le dialogue et

l’écoute constituent des éléments cruciaux dans le maintien d’un climat relationnel favorable

dans l’organisation. Puissamment ancrés en tant que valeurs partagées par tous, ils autorisent

une interaction jugée plus fiable sur laquelle les individus vont pouvoir s’appuyer pour

interpréter la situation ou transformer leurs points de vue et pour s’inscrire dans un processus

de construction intersubjective (Weick, 1995). Une relation de réciprocité confiante peut alors

se développer. Le dialogue et l’écoute, en tant que normes et valeurs véhiculées par

l’organisation, semblent être solidement enracinés dans l’esprit de certains salariés :

« Nous, on fonctionne comme ça ! Si quelqu’un a quelque chose à dire, qu’il le

dise ! C’est super important, on ne veut pas qu’il y ait des malentendus, des

choses comme ça ! Du coup, quelquefois ça crie un peu, mais ça s’arrange

toujours, on trouve un terrain d’entente et c’est reparti ! » (Salarié EMB).

Le bouleversement organisationnel engendré par l’arrivée d’un nouveau dirigeant est

susceptible d’impacter fortement la culture du dialogue et de l’écoute. L’influence exercée par

le repreneur sur le processus organisant nuit alors fortement à ces valeurs :

« En fait, j’aurais aimé une concertation entre tous les employés ou un dialogue

en tête à tête au cours d’un repas ou lors d’une réunion. Avant qu’il [le

repreneur] arrive, on arrivait à se parler, bon, c’était pas le top mais c’était

déjà ça ! Y avait quand même une bonne ambiance de travail. Là, il est arrivé et

Page 329: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

328

ça a tout cassé. Lui [le repreneur], c’est quelqu’un qui ne parle à personne et si

on lui dit quelque chose ça passe à la trappe. Du coup, chacun reste dans son

coin, c’est un peu bizarre comme ambiance. Moi, je me souviens d’autres

patrons avec lesquels j’ai été amené à travailler auparavant, ils le faisaient tous

soit de manière conviviale autour d’un bon repas, soit autour d’une table de

réunion. J’ai même eu un patron chef étoilé qui faisait comme ça. Je trouvais

que c’était super gratifiant. On s’attendait, au départ, à la même chose, on sait

dit «il est jeune » «il connaît les techniques pour gérer les hommes » mais… bon

ça c’est pas passé comme ça ! Le repreneur, c’est un jeune très ambitieux qui

veut aller très vite. Pour lui, tout ça, c’est peut-être une perte de temps. Je pense

qu’il devrait quand même calmer ses ardeurs » (Salarié LPC).

A l’inverse, l’entrée dans l’entreprise peut être une occasion pour le repreneur

d’introduire ces valeurs auprès de salariés qui n’y étaient pas habitués.

« Les premiers jours, non, c’est plus une découverte dans les deux sens de toute

façon. On ne cherche pas trop à le déranger [le repreneur]. Moi, j'ai bien vu

qu'il avait pas mal de choses à faire... Après par contre, j'ai vu qu'il était ouvert

et qu'il venait discuter avec moi, donc j'ai commencé à lui poser des questions.

Je pense qu'on a tous fait pareil puisqu'il discutait avec tout le monde. Ça, je

sais qu’il apprécie beaucoup ! Après du tout au tout, on a tous changé au sein de

l’équipe, on a posé plus de questions, on s’intéressait aux choses plus qu'on ne

le faisait avant. Avec M. [le cédant], on en arrivait à faire son boulot et à partir,

on faisait ce qu'il nous demandait de faire et on ne cherchait pas à comprendre !

Ça s'arrêtait là ! » (Salarié ICV).

Le fait de développer un climat d’écoute et de dialogue au sein de l’organisation limite

les incompréhensions entre salariés, voire les fédère comme le reconnaît le salarié suivant :

« Il [le repreneur] a réussi à fédérer les différents salariés en favorisant le

dialogue en permanence. Des petites réunions, ça prend dix minutes, mais on ne

prenait pas le temps avant. Ça créait des problèmes d'incompréhensions surtout

entre nous et le service commercial. Maintenant, c’est mieux, on comprend

mieux les besoins des uns et des autres » (Salarié FRT).

Page 330: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

329

Certains repreneurs semblent pleinement mesurer l’importance du dialogue et de

l’écoute dans la gestion des relations humaines de l’entreprise. Dialoguer efficacement

suppose de se faire confiance, de s’exprimer sans peur, ni tabou. Dès leur prise de

fonction, ils n’hésitent pas à encourager les salariés à s’exprimer librement en toutes

circonstances, comme ils le font eux-mêmes.

« Après au niveau des salariés, on a tout de suite organisé des entretiens très

francs. Je leur ai dit directement : « on est là pour se dire les choses, ce qui va,

ce qui ne va pas, vos attentes, il n’y a pas de tabous !» Si j’ai un truc à leur dire,

je ne passerai pas par quatre chemins. Ça je leur ai répété plusieurs fois. Je

peux tout entendre mais eux aussi doivent s’attendre à avoir des remarques qui

font mal parfois. C’est comme ça qu’on peut avancer. Ils ont tous joué le jeu,

pas de tabou. Ce qui m’a fait plaisir c’est qu’ils m’ont dit ce qu’ils aimeraient

en mieux, en moins, en plus, les urgences. En fait, j’ai fait le livre des doléances.

J’étais à l’écoute, j’étais clair dès le départ, pas de tabou. Je pense qu’il n’y a

rien de pire que les tabous. C’est d’ailleurs là qu’ils m’ont confié leurs craintes,

les mauvaises relations avec l’autre salarié. C’était pour eux le gros du truc. Ils

se posaient la question je pense, s’il ne règle pas le problème, je me casse »

(Repreneur SJA).

Quant à l’écoute mise en œuvre au sein de l’organisation, elle doit se traduire, si

besoin, par des actions concrètes, observables par tous. Certains salariés nous ont confié que

c’est seulement sous cette condition qu’ils seront amenés à s’exprimer franchement et à

faire, par exemple, des propositions :

« Des différences avec l’ancien dirigeant, il y en a quelques-unes. T. [le cédant]

et sa fille étaient à l’écoute, mais il y avait pas forcément de fins. Avec I. [la

repreneure], elle est à l’écoute et il y a une finalité. C’est concret et les

discussions sont concrètes et une fois que c’est dit, c’est dit ! Ce qu’on lui dit,

c’est pris en compte, ce n’est pas à la légère. Par exemple, les filles à la librairie

lui ont dit « on y voit pas très bien ». Du coup, elle a changé l’éclairage dans la

foulée. Bon maintenant la lumière est trop forte, tout le monde a des maux de

tête terribles, mais … Il y a du plus et du neuf donc ça remet du peps dans le

magasin. En fait, c’est à son image, elle essaie de refaire le magasin à son

image. C’est une petite dame pétillante et puis… c’est ce qui ressort en tout cas

Page 331: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

330

pour moi. On est restées, on est toutes restées sur la même longueur d’onde et

c’est plus sympa… On avance ensemble… » (Salariée HPC).

En ce qu’ils permettent d’augmenter l’éventail des données pris en considération face

à une situation équivoque, le dialogue et l’écoute sont indispensables au processus de

reconstruction collective de sens post-reprise. C’est par le biais d’échanges, de débats et de

négociations que les membres de l’organisation clarifient, partagent des perceptions et des

interprétations, et ainsi créent graduellement du sens (Allard-Poesi, 2003). Le maintien d’un

bon niveau d’échange avec un ou des partenaires facilite la construction sociale, fournit

d’autres sources d’idées et renforce l’indépendance du jugement face à une majorité (Weick,

1993). Par ailleurs, cette pratique limite la tendance naturelle des organisations à produire des

interprétations simplifiées (Roux-Dufort, 2003) et favorise la conservation d’un niveau de

divergence analytique satisfaisant, ainsi que des comportements suffisamment variés,

notamment lorsque la situation se brouille.

En interférant à la fois sur la fréquence et la qualité des interactions entre acteurs, la

culture organisationnelle exerce une influence notable sur le processus de reconstruction

collective de sens post-reprise. Nos observations empiriques montrent que la perception de

la mission de l’entreprise, la conception du travail en équipe et du partage et, pour finir,

l’importance accordée au dialogue et à l’écoute au sein de l’organisation, sont des valeurs

culturelles qui impactent directement le processus. Elles forment des cadres à partir desquels

les différents individus composant un groupe interprètent, expliquent ou favorisent certaines

actions. Nous constatons que la culture organisationnelle, en tant qu’expériences collectives

passées, constitue un prisme à travers lequel les salariés et le repreneur perçoivent

rétrospectivement la réalité. Elle donne, à tous, les moyens de gérer l’équivocité des

situations confuses par la stabilité de ces valeurs qui constituent des points de repères

mobilisables (Vandangeon-Derumez et Autissier, 2006). Cet ensemble de contenus

représentationnels, de paradigmes (Weick, 1995), est fortement sollicité par les individus,

puis articulé au processus de construction de sens relevant de l’intersubjectivité pour générer

des compréhensions équivalentes et pour coordonner les comportements. De cette tension

dynamique et continue entre constructions génériques et constructions intersubjectives

naissent des compréhensions équivalentes autour d’intérêts communs, une réduction de

l’équivocité perçue (Allard-Poesi, 2003) puis, finalement, un nouveau système d’actions

organisées. L’analyse de notre matériau empirique nous a, par ailleurs, montré que les

Page 332: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

331

différents individus ont particulièrement recours aux variables culturelles lors des phases d’«

Enactement » et de « Selection » du processus de reconstruction collective de sens post-

reprise.

1.2.2.) Au niveau stratégique

Dans une perspective weickienne, la stratégie s’apparente à un cadre de référence

utilisé par les individus de manière à donner le sens, le but et la direction à l’organisation : «

Les gens utilisent la stratégie comme un cadre qui implique l’obtention, la production, la

synthèse, la manipulation et la diffusion d’informations de façon à donner une signification,

un but et une direction à l’organisation » 275 (Weick, 1995, p.4, à partir des travaux de

Westley, 1990, p. 337). Nos résultats laissent clairement apparaître que la variable stratégique

interagit directement avec le processus de reconstruction collective de sens post-reprise Elle

favorise l’émergence de significations équivalentes de la situation. Elle établit des préférences

et des priorités sur les projets à entreprendre, et par la même occasion s’accorde sur les

moyens à mettre en œuvre (Allard-Poesi, 2003). Une fois énoncée, elle offre une lisibilité aux

acteurs, donne un chemin à suivre et favorise l’engagement vers l’action. Ces acteurs

s’impliquent dans l’élaboration d’un nouveau système d’actions organisées avec une idée plus

précise de l’objectif fixé, du poids de leurs actions et de la rétribution qui en découle.

1.2.2.1.) Clarté et cohérence de la stratégie

Il ressort de notre revue de littérature que l’arrivée dans une TPE d’un nouveau

dirigeant est susceptible de modifier profondément son orientation stratégique. Nous avons

relevé que dans ce type d’entreprise, la stratégie est intuitive, peu formalisée et fortement liée

à la personnalité du dirigeant. Pour Julien (1990), il ne s’agit même pas réellement de

véritable stratégie (impliquant une réflexion à long terme) comme on l’entendrait au sein

d’une grande entreprise, mais plutôt de tactique (réflexion à court terme). A travers nos

observations empiriques, nous constatons que pour 7 cas sur 10 (HPC, ICV, SJA, MC, MF,

LPC, FRT), le nouveau dirigeant a modifié, dans les semaines ou mois qui suivirent son

arrivée, les orientations stratégiques du cédant pour les conformer à ses propres exigences et

volontés, comme nous le prouvent les témoignages suivants :

275

« People use strategy as a framework that involves procurement, production, synthesis, manipulation and

diffusion of information in such a way as to give meaning, purpose and direction to the organization », traduit de l’anglais par nos soins.

Page 333: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

332

« Elle, [la cédante] ce qu’elle voulait, c’était se tirer un salaire, que les habitués

continuent à venir, et que ça tourne comme ça, avec les mêmes clients. Elle ne

voulait plus investir un sou dans la boîte, fallait voir comment c’était avant. En

même temps, je pense que c’est lié à son âge, elle voulait terminer sa carrière

tranquille. Moi, j’ai changé du tout au tout, j’ai refait entièrement l’hôtel et la

brasserie puis le restaurant. Ça m’a couté une blinde mais bon, ça a dynamisé le

truc. J’ai ciblé une clientèle plus jeune et une clientèle professionnelle, j’ai

refait complètement la carte et le résultat, c’est que ça marche ! » (Repreneur

LPC).

Ou bien encore :

« Voila, au niveau de notre activité, c’est plus tout à fait pareil. On a augmenté le

périmètre géographique à l’international, on fait plus que de la distribution de

produits, on en fabrique maintenant. On réalise en interne les produits les plus

simples. Je pense qu’il y a aussi une chose que j’ai faite, j’ai vachement recentré

la stratégie de la boîte. On était sur trop de marchés, sur différents produits et

c’était un casse-tête à gérer. J’ai vraiment tout recentré sur quelques gros

marchés » (Repreneur FRT).

D’autres repreneurs (EMB, PP, SAG), à l’inverse, choisissent de s’inscrire dans une

continuité, sans vouloir apporter de véritables modifications à l’existant dans la mesure où

l’entreprise fonctionne bien. Le témoignage du repreneur PP est tout à fait représentatif :

« Non, non, je n’ai pas cherché à tout révolutionner en arrivant. Disons que

l’entreprise tournait bien avant que j’arrive… les salariées savent ce qu’elles ont

à faire, il faut servir le client, garder le magasin propre, avoir un peu de stock et

ne pas avoir trop de ruptures… qu’il revienne parce qu’il est content du service.

Donc y a rien de plus à faire si ce n’est continuer à faire bien son travail. Et ça je

sais qu’elles le faisaient déjà ! » (Repreneur PP).

Que le repreneur décide ou non de modifier la stratégie poursuivie par l’organisation, il

semble indispensable qu’elle apparaisse clairement aux yeux des salariés. Exposée

simplement, elle stimule et facilite le travail d’interprétation et l’effort d’interaction desquels

découle la construction collective du sens. Nous relevons que le discours stratégique procure

une lisibilité aux acteurs organisationnels au moment où la situation paraît confuse. Les

Page 334: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

333

échanges intersubjectifs qui se mettent en place, notamment entre repreneur et salariés,

clarifient les intentions de tous et font ressortir la manière d’agir la mieux adaptée à la

situation, conformément aux buts et intérêts personnels. Les moyens utilisés pour exposer,

puis diffuser la stratégie au sein de l’organisation sont peu variés d’une TPE à l’autre. Parmi

toutes les entreprises étudiées, l’usage de réunions animées par le repreneur, et l’entretien

informel en face à face sont les solutions les plus fréquemment retenues. Lorsqu’elle est

communiquée et qu’elle paraît cohérente aux yeux des salariés, la stratégie poursuivie par le

repreneur rassure, dans certains cas, et accentue la participation des salariés dans l’action

comme deux d’entre eux nous l’ont confié :

« D’accord quand ça... on voit que les choses sont bien maîtrisées, que ce qui va

être mis en place va dans le bon sens, ça donne de l'énergie. Ça donne envie de

participer. Par exemple, là il a le projet de faire construire un nouveau siège

social avec de vrais bureaux d’études et une plus grande surface de travail. Il

prévoit de faire grandir la boîte sans nous mettre en danger. On le sent quand

quelque chose tient la route et que ce n'est pas de l'approximatif. Quand on sait ce

que l'on fait et où on va, c'est quand même plus rassurant pour tout le monde »

(Salarié FRT).

Ou bien encore :

« Le but de D. [la repreneure], c’est de développer le chiffre d’affaires, de

rentrer dans ses frais. Elle veut pérenniser la situation du magasin… Elle

souhaite aussi développer la clientèle professionnelle. Elle nous l’a annoncé dès

le départ, d’ailleurs le fait que Pierre [nouveau commercial] soit là confirme son

choix. Pour nous, ça paraissait évident, on n’avait pas mal de clients pros qui

venaient en magasin et on ne les servait pas comme il aurait fallu. Chacun

s’occupait du client qui arrivait, il n’y avait pas d’organisation là-dessus.

Maintenant, nous on ne s’en occupe plus, on peut s’investir plus dans nos rayons.

On est moins frustrés et plus efficaces » (Salarié HPC).

A l’inverse, s’il apparaît trop ambitieux, incohérent, voire irréaliste, l’objectif

stratégique renforce les sentiments d’ambiguïté et d’incertitude. Si, aux yeux des salariés, la

stratégie poursuivie par le repreneur paraît mettre en péril le devenir de l’organisation, la

participation au système d’action collectif s’en trouve menacée.

Page 335: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

334

« Son plan [du repreneur], c’était de faire comme dans son autre restaurant,

mais c’est pas possible, on n’est pas dans la même configuration. Là-bas, ils

sont en centre ville avec du passage et beaucoup de jeunes. Même si on est à

côté de la gare, on a une clientèle d’habitués qui commandent tout le temps de

la restauration traditionnelle. Y a des salariés, surtout les plus qualifiés, qui sont

partis à cause de ça, ils ne voulaient pas travailler dans un Mac Do bis, avec

des produits congelés et une pression sans arrêt sur le dos » (Salarié LPC).

Certains repreneurs en ont pleinement conscience et adaptent leurs discours en

conséquence :

« Oui alors après ça rassure il ne faut pas qu'il y en ait trop non plus. Par ce

que d'avoir des ambitions c'est très bien, il en faut pour avancer, par contre si y

en a trop et que ça devient délirant, ça peut faire peur ! On ne peut pas dire,

attention, on va passer du jour au lendemain de cinq personnes à cinquante

personnes et puis vouloir mettre en place beaucoup de choses du jour au

lendemain. Ça deviendrait trop compliqué. Donc c'est vrai, ça peut être aussi un

élément perturbateur. Dans un cas comme ça, ils risquent de dire, oh là là, avec

tous ces investissements on va couler la boutique, pour parler comme mes

collègues » (Repreneur FRT).

L’organisation doit être en mesure de fournir des plans stratégiques qui apparaissent

clairs et cohérents aux yeux de tous ses membres. Lorsque l’équivocité et la confusion sont à

un niveau élevé, que le changement de dirigeant interrompt des modèles soigneusement

répétés d’actions (Maitlis et Sonenshein, 2010), la stratégie donne des indices aux différents

membres de l’organisation sur ce qu’ils auront à faire et sur la place qu’ils auront à tenir à

l’avenir. Le plan stratégique est un moyen de générer de l’action, de stimuler le travail

interprétatif et de favoriser l’apprentissage (Koenig, 2003). Les efforts de compréhension qui

s’en suivent augmentent le sens, ainsi que la tendance à mettre la structure en cohérence avec

une signification affinée (Weick, 1993). Nous avons pu observer qu’une fois formulée, la

stratégie participe au processus de redéfinition de l’environnement engagé par tous les acteurs

organisationnels, qu’ils soient salariés ou repreneurs. L’analyse des différents cas nous a par

ailleurs, confirmé le lien étroit entre dirigeant de TPE et mise en œuvre stratégique. Dans une

organisation entrepreneuriale (Mintzberg, 1989) de ce type, compte tenu du peu de

formalisme et de la faible présence de managers intermédiaires, le repreneur en tant que

Page 336: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

335

nouvel acteur essentiel (Marchesnay, 1991), est souvent le seul à savoir ce qu’il prévoit pour

l’entreprise dans les semaines, mois ou années à venir. Pour assurer un minimum de lisibilité

aux salariés, dissiper un peu l’équivocité produite par son arrivée, il doit personnellement

communiquer ses orientations stratégiques et les expliquer clairement. Il doit, en outre, en

l’absence de véritable contre-pouvoir, ne pas se laisser emporter dans ses projets, par un

enthousiasme excessif qui déstabiliserait un peu plus les salariés et serait finalement néfaste à

la construction intersubjective.

1.2.2.2.) Information sur les ressources et moyens mis à disposition

La littérature sur le sensemaking explique la participation des individus au groupe non

pas parce qu’ils ont des besoins, des valeurs ou des objectifs communs, mais parce que

« chacun croit qu’il peut tirer un bénéfice de l’autre, et a une vision similaire de celle des

autres membres des moyens pour y parvenir » (Allard-Poesi, 2003, p. 96). Développer puis

maintenir un système d’action collectif nécessite pour l’organisation en plein changement de

clarifier les ressources mises à disposition des individus afin qu’ils puissent se projeter

personnellement dans l’action, puis se coordonner aux autres dans le but de satisfaire leurs

intérêts personnels. L’analyse des entretiens révèle une vigilance importante des salariés en ce

qui concerne les ressources et moyens mis en œuvre par l’organisation durant la période

d’entrée en fonction du repreneur. L’adoption d’une telle attitude vise à atténuer l’état de

confusion dans lequel chaque salarié se trouve et à peaufiner sa propre interprétation du

changement. Le prélèvement d’indices sur les nouvelles ressources mises à disposition permet

à chacun de dégager des configurations signifiantes, de construire sa propre zone de sens. Ces

éléments à l’esprit, le salarié se lance dans l’action avec davantage de certitudes comme nous

le montrent les propos suivants :

« Moi, j’ai mieux compris ce qu’elle voulait faire pour le magasin quand elle

nous a dit qu’elle allait embaucher Pierre pour s’occuper du démarchage, de la

gestion des gros clients. Je trouvais que c’était pas mal, moi ça me déchargeait

un peu de ces commandes là. (…) Là, j’ai plus le temps de m’occuper de mes

clients en magasin. C’est que du bonheur de ne pas perdre du temps avec des

commandes, ou des moutons à cinq pattes que des clients professionnels

souhaitent avoir » (Salarié HPC).

Ou bien encore :

Page 337: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

336

« Il nous a dit qu'il avait investi tout son argent, qu’il avait vendu sa maison…

qu'il pensait que le magasin en valait la peine (…) Il a quand même mis pas mal

d’argent dans l’affaire ! C’était pas comme ça avant ! Dès qu’il est arrivé, il a

changé des gondoles, il a mis de nouveaux meubles fruits et légumes, il a changé

les éclairages… A mon avis, ça, il fallait le faire y a longtemps. (…) Moi, par

exemple, dans mon rayon, je m’y retrouve mieux question organisation et

question chiffre. Les clients quand ils viennent, c’est plus présentable, c’est

mieux vendeur, du coup je fais plus de ventes. Tout le monde y gagne au final »

(Salarié ICV).

Beaucoup interprètent la mise à disposition de nouvelles ressources comme des

indices, des stimuli de l’environnement (Baumard, 1999) favorables à la compréhension et à

la prédiction des comportements, particulièrement du repreneur. Intégrés aux cadres de

référence des individus, ils permettent de « comprendre, absorber, expliquer, attribuer,

imaginer et prédire » (Starbuck et Milliken, 1988). Les ressources en question sont très

variées. Elles concernent l’apport de nouveaux moyens financiers, l’emploi de personnel

supplémentaire, la mise en place d’une formation, l’achat de nouveaux matériels … Elles sont

également liées aux compétences du repreneur lui-même, comme le reconnaît ce dirigeant :

« Oui, pendant cette période, je leur ai beaucoup parlé du projet que je voulais

porter pour la société et ce que je voulais faire et tout ça, je pense qu’ils ont tout

de suite compris. Ils ont tout de suite vu l’intérêt aussi parce que moi, mon

projet dans la société, c’est d’accélérer, d’étendre son développement

notamment à l’étranger puisque j’ai un parcours assez marqué à l’international,

ce que n’avait pas l’ancien cédant. Et c’est une des raisons pour lesquelles on

s’est rencontrés sur la vente. Il [le cédant] m’a vendu la société pour cette

raison notamment. Donc, voilà, tous les gens qui avaient de l’historique et qui

connaissent bien la boîte, ont vu qu’il y avait quelque chose de bien à faire avec

ces nouvelles compétences, que j’apportais un vrai plus à l’entreprise, et voilà,

je pense qu’ils ont adhéré au projet assez rapidement » (Repreneur FRT).

Ou bien encore ce salarié :

« Lui, c’est un gestionnaire, il a l’habitude de manipuler les chiffres, de

travailler avec des tableaux de bord. Nous, il nous a dit qu’il fallait s’y mettre et

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337

il nous a montré comment fallait faire. Parce que c’est vrai qu’avec les

nouveaux moyens informatiques d’aujourd’hui, la gestion, elle se fait tout au

code barre. On ne peut plus gérer un magasin comme on faisait avant ! Du

coup, maintenant, on fait plus d’analyse, on fait plus de gestion sur ordinateur.

Les commandes, on analyse plus les chiffres, ce qui a marché, ce qui n’a pas

marché... pourquoi ça n’a pas marché. On essaie de plus anticiper les choses

aussi, surtout les commandes (…) Au début, c’est vrai, c’est difficile mais au

final, on s’y retrouve largement. On s’organise mieux, on perd moins de temps

par exemple pour étiqueter les prix ou pour passer les commandes » (Salarié

ICV).

Les repreneurs confrontés, eux aussi, à la nouveauté et à la complexité de l’entrée en

fonction, éprouvent généralement le besoin de construire un espace de sens pour y inscrire

leurs comportements et leurs actions (Vidaillet, 2003). La formulation de plans stratégiques

s’appuyant sur l’apport de ressources nouvelles constitue non seulement un moyen d’attirer

l’attention des salariés sur le devenir de l’organisation, mais également, en parallèle, pour

les repreneurs de mieux se représenter l’entreprise. En proposant de nouveaux moyens qui

seront perçus comme des configurations signifiantes, en émettant des jugements (Laroche,

2006276), les repreneurs encouragent et orientent le travail d’interprétation de tous, y compris

d’eux-mêmes. Les interactions qui s’en suivent permettent de construire progressivement

des significations partagées et une action coordonnée.

« J’ai bien vu leurs réactions quand je leur ai dit que j’allais mettre en place un

outil informatique pour gérer le magasin. Ça les a un peu perturbés et ils sont

venus me voir, ils étaient paniqués ! Bon, sur le principe, j’ai vu qu’ils étaient

d’accord, donc ça m’a quand même un peu rassuré. A partir de là, en fait, je me

suis dit « faut pas trop les brusquer », que même si il y a quelques jeunes dans

l’entreprise, faut y aller doucement » (Repreneur ICV).

Les nouveaux moyens proposés concernent également l’organisation du travail, avec,

par exemple, le projet d’accorder plus d’autonomie ou de responsabilités à chacun. Dans le

276

Selon cet auteur, les jugements sont « des ponctuations de l’action managériale, produites par les managers

pour solder le passé, construire une définition acceptable (plausible) de la situation, et se doter des éléments qui

leur permettront de s’engager activement dans l’action. En cela, le jugement participe bien du processus de

« promulgation » (enactment) » (Laroche, 2006, p. 105).

Page 339: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

338

cas suivant, le repreneur prend conscience du caractère inapproprié du management souhaité

et modifie son plan d’action après avoir observé les réactions des salariés :

« Tout de suite après mon arrivée, je leur ai dit un truc qui les a complètement

déstabilisés. Je leur ai dit que je leur laisserai de l’autonomie. Et j’ai un peu

commencé à le faire. Ça, c’est un acte de management qui les a tellement

déstabilisés … que certains sont quand même venus me voir pour en parler au

bureau. Donc, là, j’ai quand même mis le pied sur le frein (…) Franchement, je

pensais pas que ça leur serait aussi difficile de travailler comme ça ! »

(Repreneur SJA).

En procurant de nouvelles ressources et moyens aux individus, en communiquant

dessus, l’organisation fournit des points de référence, des signes tangibles et concrets qui

seront analysés et interprétés. Les différentes compréhensions conduiront non pas à un accord

sur le sens à attribuer aux choses, mais sur le comportement à adopter face à cette réalité

(Allard-Poesi, 2003). C’est à partir de points d’accord temporaires, négociés durant

l’interaction qu’un consensus impliquant salariés et repreneur se forme sur les actions à

mettre en place. En permettant à chaque acteur organisationnel d’établir des priorités et

préférences quant aux actions à entreprendre, de se situer et situer son action dans un système

d’actions coordonnées, l’organisation, lieu de construction stratégique, participe activement à

la reconstruction collective de sens post-reprise.

1.2.2.3.) Information sur les contributions et gains attendus

La période d’entrée dans l’entreprise du repreneur est très équivoque. Les différents

acteurs ne sachant pas vraiment quelles questions se poser ni même quelles sont les réponses

à attendre, il convient d’enrichir l’information afin de créer du sens (Garreau, 2006). L’apport

d’éléments nouveaux conduit les individus à s’interroger, puis à multiplier les interactions,

afin d’obtenir un niveau de compréhension suffisant pour s’engager pleinement dans l’action.

Nous relevons que le fait de communiquer sur les contributions attendues et sur les

perspectives de gains futurs, fournit des indices probants aux salariés, facilite le travail

d’interprétation et stimule l’action. La littérature nous apprend qu’un individu ne s’engage

dans l’élaboration d’un système d’actions organisées que s’il pense que sa participation va lui

permettre de satisfaire ses intérêts individuels (Allard-Poesi, 2003). L’analyse des entretiens

fait ressortir que la totalité des salariés interrogés sont très attentifs au maintien et à

l’évolution de leurs conditions personnelles de travail. Lorsqu’il s’agit de s’engager dans un

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339

processus organisant en train de se redéfinir, leur attention se focalise sur les nouvelles

conditions de travail proposées (horaires, rémunérations et primes, autonomie, sécurité au

travail) et sur le rôle qu’ils auront à jouer au sein de la nouvelle structure (nouvelle répartition

des tâches, stabilité de leur emploi, perspectives d’évolution de carrière et de formation). Les

témoignages suivants sont assez explicites :

« Voilà ce qui les a tracassés… ils ont deux primes au mois de juin et au mois de

décembre, est-ce que les primes allaient être les mêmes ? Est-ce que pour les

horaires et les congés ça allait être la même chose ? Les principales questions,

elles étaient là ! » (Repreneur HPC).

Ou bien encore :

«Après, moi j'avais des questions qui étaient beaucoup plus par rapport à moi,

Ben, quand j’ai vu le personnage, comme elle [la repreneuse] commençait à

gérer le truc, j’ai compris qu’elle allait refaire l’organisation de l’entreprise,

surtout au niveau des cabines, j’avais peur de ne plus avoir les mêmes missions

et de perdre ma façon de travailler avec les clientes. Moi, je les gère un peu

comme je veux, et ça a toujours bien fonctionné comme ça. Je voulais vraiment

savoir comment ça allait se passer à ce niveau là !(…) Après plus tard, elle m’a

confirmé dans le poste et, en plus, elle m’a même demandé de suivre des

formations. Si elle avait décidé de bousculer tout ça et de ne plus me faire faire

de cabine, je pense que je ne serais pas restée » (Salariée EMB).

De nombreux salariés expriment le besoin d’obtenir des informations claires sur ce qui

est attendu d’eux pour la suite des opérations, de connaître quelles peuvent être leurs

contributions à l’action collective, comme l’explique le salarié suivant :

« En fait, c’est super inquiétant quand il arrive [le repreneur] et qu’il dit : la

carte va changer, qu’on ne s’organisera plus comme avant, que le traditionnel

ça ne paye plus. Ben… moi clairement, je me suis posé des questions et je me les

pose toujours d’ailleurs, savoir si j’avais encore ma place ici et ce qu’il

attendait de moi au final. Parce qu’à la limite, pour faire ce qu’il veut faire, il

n’a pas besoin d’un vrai chef cuistot. Le surgelé, la cuisine rapide, tout ça, il n’y

a pas besoin de vrai savoir-faire » (Salarié LPC).

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340

En apportant des informations claires, en donnant la possibilité aux salariés de se

projeter dans un environnement où ils sauront approximativement ce qui est attendu d’eux et

quel peut être leur intérêt personnel à participer à l’action collective, l’organisation facilite le

travail d’interprétation et permet l’émergence d’une compréhension plausible et quelquefois «

satisfaisante » de la situation. Les échanges qui s’en suivent modifient les schémas mentaux

des individus par une convergence des interprétations favorable à la cohésion de groupe

(Garreau, 2006) et à la coordination des actions. Certains repreneurs semblent avoir pris

conscience de l’importance de répondre à ces attentes et n’hésitent pas, par exemple, à

communiquer sur de nouveaux avantages procurés par un nouvel engagement dans le groupe.

« Je suis rentré en Juillet – Août, donc les vacances étaient finies... donc y avait

pas trop de soucis de ce côté-là. Après, ils se sont posés des questions sur les

horaires. Parce que je les ai un peu changés. Il n’y a pas eu de grands

changements, c’était même à leur avantage. Moi, je leur ai tout de suite dit que

je faisais tout pour qu’ils ne soient pas perdants, au contraire. Parce qu'il y en

a qui travaillaient tous les dimanches, donc on a fait un dimanche sur deux, les

changements étaient positifs pour eux. Ils avaient 15 jours de vacances en

Juillet-Août, moi je leur donne 3 semaines, et j’ai pris un peu de mon temps pour

que ça passe. Ils avaient des horaires un peu bizarres, je me suis impliqué pour

mieux gérer le truc, pour pas qu’ils aient trop de coupures. Ils étaient gagnants

au final, 3 semaines de vacances au lieu de 15 jours, un dimanche sur deux, 1

week-end sur 2, c'est-à-dire ils ne travaillent pas le samedi après-midi et le

dimanche » (Repreneur ICV).

Communiquer sur les contributions et gains à attendre à collaborer au système d’action

collectif enrichit l’information et réduit le nombre d’interprétations possibles. La

connaissance de ces éléments permet aux individus de se lancer dans un travail d’appréciation

visant à redéfinir leur intérêt personnel à participer au processus organisant (Weick, 1979).

L’interaction avec autrui permet d’obtenir des confirmations, des compréhensions partagées et

d’établir des priorités et préférences.

Le fort niveau d’équivocité associé à la période de management post-reprise pousse les

salariés et le repreneur à redéfinir leur environnement d’action. A ce stade du processus de

reprise, les individus ont besoin d’informations claires et cohérentes pour choisir une

interprétation particulière parmi celles dont ils disposent, afin de donner du sens à la

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341

situation. Ils ont également besoin de connaître les moyens mis ou qui seront mis à

disposition pour réaliser leurs propres objectifs. Pour finir, ils ont besoin qu’on leur apporte

des informations sur les gains personnels qu’ils pourront attendre en s’inscrivant dans le

système d’actions organisées en pleine reformation. Nous avons observé que, dans pareille

situation, la stratégie organisationnelle s’avère essentielle. Elle apporte une lisibilité sur les

modes d’actions, mais également sur la contribution des acteurs qui participent au système

d’action collectif (Autissier, 2008). Nos analyses sur le terrain ont montré que la stratégie de

l’entreprise a été mobilisée par la majorité des acteurs (salariés et repreneurs) en tant que

cadre de référence, ce qui implique la collecte, la production, la synthèse, la manipulation et

la diffusion de l’information de façon à donner de la signification et de la direction à

l’organisation (Westley, 1990). Elle encourage et influence l’engagement vers l’action et la

construction d’un sens rétrospectif (Koenig, 2003).

1.2.3.) Au niveau structurel

L’analyse des entretiens réalisés auprès des 10 TPE fait apparaître différents facteurs

liés à la structure organisationnelle ayant une influence directe sur le processus de

reconstruction collective de sens engagé par les individus. Nos conclusions rejoignent ici

celles des théoriciens de la structuration (Giddens, 1984 ; Polle, Seibold et McPhee, 1985,

cités par Weick, 1993) et du sensemaking (Weick, 1979 ; Gioia et Chittipeddi, 1991) pour qui

structure formelle et significations s’influencent mutuellement à travers des boucles de

rétroactions positives. Nous avons constaté que la répartition des rôles et des responsabilités,

la force des liens hiérarchiques et le degré de centralisation des décisions ainsi que la

pertinence des outils organisationnels mis en œuvre, influent considérablement sur le

déroulement du processus. En retour, l’engagement dans un travail d’interprétation et les

interactions qui s’en suivent modifient la structure (Weick, 1988277; Maitlis et Christianson,

2014).

1.2.3.1.) Répartition des rôles et des responsabilités

Dans la littérature entrepreneuriale, il est communément admis qu’au sein des

systèmes de taille modeste comme celui caractérisant la TPE, le besoin de coordination est

essentiel. Le faible niveau de spécialisation des tâches, la simplicité du système d’information

(Torres, 2007), ainsi que la polyvalence des employés (Julien, 1990) rendent cette pratique

277

Pour l’auteur : « Les individus qui agissent au sein des organisations produisent souvent des structures, des

contraintes et des opportunités qui n’existaient pas avant que les mesures soient prises » (Weick, 1988, p. 306 ; traduit par nous-même).

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342

indispensable à la poursuite de l’activité. S’intéressant prioritairement, da ns ses travaux, aux

organisations de petites tailles, Weick n’a cessé de souligner l’importance du système de rôles

dans le processus de structuration de ce type d’organisation. Pour l’auteur, ce dernier joue un

rôle capital dans la mesure où il maintient une action organisée et coordonnée entre les

individus au sein de l’organisation (Weick, 1993). Lorsqu’une situation fortement équivoque

se produit, il procure aux individus un cadre de référence leur permettant de continuer à

mener leurs actions. Ce cadre donne corps aux manières de penser dominantes et épargne

beaucoup d’efforts d’interprétation (Koenig, 2003). Le changement de dirigeant au sein de la

TPE, en ce qu’il perturbe la répartition des tâches, des responsabilités et de l’autorité, est

susceptible d’altérer, voire de détruire le système de rôles (Autissier, Vandangeon-Derumez et

Vas, 2010). Pour Lüscher et Lewis (2008), lorsqu’il advient un changement dans la structure

organisationnelle, les rôles et responsabilités de chacun engendrent des paradoxes et des

contradictions, ce qui déclenche une activité de sensemaking sur la définition de leur emploi

et la manière de l’occuper.

Il ressort très clairement de nos entretiens que l’arrivée dans l’entreprise du repreneur

et les actions qui s’en suivent, sont de nature à modifier la structure des rôles établis jusqu’ici.

Dans la majorité des entreprises étudiées, cette structure a été redéfinie avec plus ou moins

d’importance. En plus de la modification « naturelle » liée au départ du cédant, pièce

maîtresse de l’organisation, le repreneur tient généralement à repréciser ou apporter des

changements au niveau des cadres d’intervention et des responsabilités de chacun, y compris

de lui-même. Il s’agit alors d’une simple formalisation et d’un léger « réajustement » de

manière à clarifier l’organisation du travail, comme l’illustrent les propos suivants :

« J’ai très vite eu l’impression que c’était brouillon, du coup j’ai mis de l’ordre

dans tout ça. J’ai mis un responsable par pôle. Ils faisaient déjà « office de »

mais ça n’avait jamais été dit officiellement. J’ai fait un organigramme ou

chacun voyait où était sa place et ce qu’il avait à faire. Les employés de la

caisse ont été placés sous l’autorité de la responsable papeterie. Et moi, je leur

ai dit que je continuerai à m’occuper de tout ce qui était administratif comme

l’ancien dirigeant, mais que je descendrai aider en renfort celui qui en aurait

besoin» (Repreneur HPC).

Ou bien encore :

Page 344: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

343

« Elle [la repreneure] a mis en place ces changements dès le départ. Par contre,

c'est très carré, elle aime les choses bien organisées, autant avec C. [la cédante],

c’était un peu le bazar, alors qu'avec C. [la repreneure], non, c'est très carré.

C'est-à-dire qu'il faut faire telle chose et ne pas faire telle chose, elle tient à ce

que chaque fille ait son travail...et...euh...comment dire?....alors. Quand c'était C.

[la cédante], comme elle était tout le temps absente, elle nous laissait libre de

nous organiser comme on voulait en fait, c'est-à-dire que chaque fille faisait son

travail mais un peu à sa manière. Quand C. [la repreneure] est arrivée, au

contraire, c'était toi tu fais ça, toi tu fais ça ! Enfin, chaque fille a une catégorie

de choses à faire et pas d'autres, chacune s’occupe de son travail et sais ce

qu’elle a à faire, voilà des règles et un cadre plus précis… C’est plus droit, plus

carré ! ». (Salariée EMB).

De telles pratiques semblent d’ailleurs appréciées par les salariés, comme le laisse

entendre l’extrait suivant :

« Suite à son arrivée, elle [la repreneure] a vraiment clarifié le rôle de chacun.

Je pense que c’était normal. Ça, j’accepte bien volontiers puisqu’avant on avait

peut-être même un peu trop de liberté. Là, c’est normal qu’elle soit un peu au

courant de ce qu’on fait, comment et pourquoi on le fait. Même pour nous, c’est

plus simple. Au jour le jour, il y a moins de problèmes, il y a moins de

malentendus entre nous sur des choses à faire ». (Salarié HPC).

Ou bien :

« Il y a une personne qui avait trop tendance à se reposer sur les autres. Par

exemple, à chaque fois qu’on prenait sa suite en boutique, les produits n’étaient

pas finis de ranger dans les meubles vitrines et c’est nous qui finissions son

travail. Y a des semaines, c’était à chaque fois ! Ben là, il [le repreneur] lui a

bien dit qu’à la fin de son service, tout devait être nickel et que les autres

n’avaient pas à faire son boulot. Ben, pour nous, c’est devenu beaucoup mieux,

on n’a plus à faire son travail en plus du notre ! » (Salarié MF).

Les changements apportés peuvent également être beaucoup plus importants. Il s’agit

alors de redéfinir, en profondeur, les rôles et les responsabilités de chacun, comme nous le

montrent les témoignages suivants :

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344

« Il [le repreneur] a changé mon statut oui, je suis chef d’équipe maintenant et

je gère les gros contrats. Vis-à-vis du personnel, il a réorganisé la boîte, on

avait une personne un peu difficile dont on s'est séparé, et du coup, après on a

pu restructurer la boîte. (…) Il a embauché aussi un autre chef d'équipe. Moi je

me consacre à mon vrai travail et je supervise directement les gars. Il a aussi

donné à T [un salarié] la responsabilité de s’occuper des 3 apprentis, vu que

c’est le plus ancien dans la boîte, c’est lui qui est responsable de la formation

des jeunes qui arrivent » (Salarié SJA).

Ou bien encore :

« Non, je me suis séparé d’une personne effectivement et là j’ai pris une décision

intéressante, je pense. C’était un commercial sur la région parisienne à

destination du nord de la France, il habitait à Paris, je l’ai remplacé par une

personne qui est basée ici, mais qui s’occupe du nord de la France. Donc j’ai un

peu changé l’approche, c'est-à-dire plutôt que d’avoir quelqu’un séparé de

l’équipe, mais en local sur Paris, j’ai pris quelqu’un qui faisait vraiment partie

de l’équipe, qui travaillait avant, tous les jours dans les locaux. Je lui ai donné

le poste, donc c’est vrai, il fait plus de déplacements et voit peut-être moins de

clients, mais au moins il fait partie de l’équipe et il sait de quoi il parle »

(Repreneur FRT).

Le changement de rôle concerne également le dirigeant lui-même, comme on le

constate dans l’extrait suivant :

«Moi, je leur ai dit que je ne ferai pas comme l’ancien patron, d’aller sur les

chantiers pour voir ce qu’ils faisaient. Je suis le patron et je suis un commercial,

pas un gars du terrain, donc, faut qu’ils se prennent en mains. Il faut que chacun

fasse son boulot et assume ses responsabilités. Si moi, je passe mon temps à

regarder ce que font les uns et les autres, je ne m’occupe pas à faire mon boulot

et le chiffre ne va pas rentrer. Ils sont grands, ils savent ce qu’ils ont à faire ! »

(Repreneur SJA).

Dans tous les cas, en mettant l’accent sur le système de rôles, que ce soit en le

reprécisant simplement, en le toilettant, ou en le modifiant en profondeur, l’organisation, à

travers l’action du repreneur, attire l’attention des salariés sur leur nouvel environnement. Elle

Page 346: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

345

contraint tous ses membres à être attentifs puis à converser. La dynamique d’échanges, de

débats et de négociation ainsi enclenchée, permet à tous de clarifier, de partager des

perceptions et des interprétations et, ainsi, de construire graduellement du sens (Allard-Poesi,

2003). Le cadre formel (ou « structural frameworks of contraints » dirait Weick) confirmé ou

modifié fournit, par ailleurs, à tous les acteurs organisationnels, y compris le repreneur lui-

même, une grille de lecture sur laquelle s’appuyer pour conduire et coordonner

rationnellement leurs actions (Maitlis, 2005 ; Barry et Meisiek, 2010). Il donne corps aux

manières de penser dominantes et épargne beaucoup d’efforts d’interprétation (Koenig, 2003).

1.2.3.2.) Liens hiérarchiques et centralisation de la décision

Le point précédent a montré l’importance du système de rôles dans la régénérescence

et le maintien d’une action coordonnée entre acteurs lors de l’entrée en fonction du repreneur.

Nos observations empiriques invitent toutefois à la prudence quant à l’établissement d’une

structure de rôles trop bien établie, mettant trop l’accent sur l’importance des liens

hiérarchiques, et où les relations entre individus sont fortement altérées par les rapports à

l’autorité et au pouvoir. Nous rejoignons ici les conclusions de Laroche et Steyer (2012) pour

qui un système de rôles trop marqué, accordant une valeur trop élevée aux décisions et aux

actions de l’un des membres de l’organisation, pouvait être nuisible à l’instauration d’un

climat favorable à la communication et à l’échange. Le processus de reconstruction collectif

de sens s’en trouve impacté. Nous avons effectivement pu relever à travers les différentes

entreprises étudiées que la force des liens hiérarchiques et le degré de centralisation des

décisions avaient une incidence directe sur la participation (ou non) de tous les membres de

l’organisation au processus de construction de sens. Ainsi, lorsque les salariés ont le

sentiment de pouvoir participer réellement à l’échange, d’être écoutés dans leurs propositions,

d’être considérés « d’égal à égal », ils n’hésitent pas à faire part de leurs observations et

interagissent sans aucune crainte ni difficulté, comme ils le reconnaissent ci-dessous :

« Je pense que c'est [le repreneur] quelqu’un de simple qui ne se prend pas la

tête, puis il se met à notre niveau, il ne nous prend pas de haut et il est à

l'écoute. C’est quelqu’un de super abordable, si on a des choses à lui dire, du

coup, ben on y va. Il nous a jamais dit, « votre idée, ça ne vaut rien », au

contraire ! » (Salarié PP).

« Bon c’est sûr, quand il faut prendre une décision, elle [la repreneuse] la

prend ! S’il faut sanctionner quelqu’un, ben… elle le fera. Mais elle nous a bien

Page 347: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

346

expliqué aussi qu’on était sur le même bateau, qu’on bossait toutes pour le

magasin, qu’elle n’était pas là pour nous fliquer. Que celles qui avaient des

choses qui n’allaient pas, ben… qu’elles avaient qu’à aller la voir et que si

c’était justifié, elle s’en occuperait. Elle, elle ne sait pas tout, elle est aussi là

pour apprendre avec nous, donc, si on a des conseils, elle est preneuse. Ben…

du coup, c’est ce qu’on fait… enfin, moi en tout cas » (Salariée EMB).

Inversement, si l’organisation donne l’impression à ses membres que toutes les

décisions importantes sont du ressort du seul et unique dirigeant, que lui seul, en tant que

véritable expert (Barton et Sutcliffe, 2009) est en mesure de connaître les tenants et les

aboutissants de chaque situation, les interactions entre acteurs risquent d’être amoindries, de

moins bonne qualité, voire interrompues, comme l’expriment les salariés suivants :

« Avec T. [le cédant], c’était différent, il était impressionnant. C’est un homme

d’affaires qui a plusieurs grosses entreprises dans plusieurs régions, quand il

parle, il en impose, même de par sa stature, donc on hésitait à le

contredire ! (…) Donc, même si il y a des choses qui n’allaient pas, il n’était pas

forcément au courant » (Salarié HPC).

« Moi, je ne cherche même plus à lui [repreneur] dire quoi que ce soit, il pense

qu’on est juste des cuisiniers et que c’est pas notre affaire la manière de gérer

une boîte. Pour lui, il n’y a que lui qui sait faire les choses, ses autres affaires

marchent bien alors que nous, on n’a jamais créé de boîte, on est de petits

employés, c’est tout ! » (Salarié LPC).

Reconstruire collectivement du sens lorsque la situation est équivoque nécessite de

pouvoir échanger librement sur les interprétations à donner à l’environnement. Une

communication franche, simple, où tous les acteurs, même ceux n’ayant pas un rôle

hiérarchique majeur dans l’entreprise, ont le sentiment d’avoir leur mot à dire, vient enrichir

le processus. Elle permet d’accroître la variété des cadres mobilisés (Laroche et Steyer, 2012)

ainsi que la richesse des interprétations produites à mesure que le nombre d’individus invités

à s’exprimer s’étend. A l’inverse, une hiérarchie trop prégnante, appuyée par une trop grande

centralisation du pouvoir décisionnaire, comme c’est fréquemment le cas au sein des TPE

(Julien, 1990 ; Marchesnay, 1991 ; Torres, 2007), nuit à l’interaction respectueuse (Weick,

1993) et, par conséquent, à la construction intersubjective.

Page 348: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

347

1.2.3.3.) L’utilisation d’outils de gestion et de communication

Parce qu’ils permettent la détection d’indices déterminants et l’interaction entre

acteurs, les instruments de gestion et de communication influent considérablement sur le

processus de reconstruction collective de sens post-reprise. Nous avons pu observer que

plusieurs repreneurs y ont eu recours dès leur entrée en fonction dans l’entreprise. Les

nouveaux dirigeants se sont appuyés sur des supports variés pour interagir avec les salariés.

Cela leur a permis de diffuser des significations et, parallèlement, d’interpréter leur nouvel

environnement.

1.2.3.3.1.) Les instruments de gestion pour construire et diffuser du sens

Les instruments de gestion semblent occuper une place importante au sein du

processus organisant en pleine reformation. Dans les TPE où ils sont introduits ou modifiés,

ils constituent un nouveau cadre et un point de référence stable qui aident les individus

(salariés et repreneurs) à articuler leurs pensées, à reformuler leurs interprétations jusqu’à

obtenir un discours suffisamment partagé pour offrir du sens à la situation et pour agir

ensemble (Maitlis et Christianson, 2014). L’outil de gestion devient un support pour

« capturer des données différentes » et « se connecter avec différents groupes de concepts »

(Weick, 2010, p. 549). Pour David (2006, pp. 250-251), c’est parce qu’ils « permettent et

contraignent, s’inscrivent dans des généalogies, incarnent, traduisent et transmettent des

façons de voir », et parce qu’ils synthétisent « ce qui doit être repéré, extrait, pris en compte »

que les outils de gestion sont « porteurs de sens ». Notre étude empirique met en évidence

deux types d’outils principalement utilisés durant la période post-reprise. Nous remarquons

que parmi toutes les entreprises étudiées, aucune n’a mis en place et utilisé simultanément les

deux types d’outils. Au sein de certaines TPE, les instruments de gestion financiers (tableaux

de bord, fiches de suivi des ventes et des stocks) sont privilégiés alors que dans d’autres,

l’intérêt se porte davantage sur les outils de gestion des ressources humaines et d’organisation

du travail (règles et procédures, grille salariale, planning horaire, entretien annuel

d’évaluation, outils collaboratifs).

Dès l’arrivée du repreneur, certaines organisations ont mis en place des tableaux de

bord de gestion financière. L’objectif attribué à l’outil est de fournir, à chacun, une vision plus

précise de sa performance commerciale de manière à obtenir une gestion plus rigoureuse et

efficiente, comme le reconnaît ce repreneur :

Page 349: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

348

« Non, il leur a fallu apprendre une nouvelle façon de travailler. Par exemple,

on a mis en place des tableaux Excel assez simples où ils notent les principaux

indicateurs de suivi de leur rayon, les chiffres, la casse, les périmés. L’objectif

c’est qu’ils anticipent un peu plus les ventes, les commandes (…) Globalement,

on fait plus de gestion, on analyse plus les chiffres, ce qui a marché, ce qui n’a

pas marché... pourquoi ça n’a pas marché. Ça nous permet de prendre un peu

de recul et plus de hauteur. On essaie de plus anticiper les choses et de moins

subir » (Repreneur ICV).

Cela semble d’ailleurs apprécié par certains salariés de l’entreprise, comme le laisse

entendre ce témoignage :

« Ben… avant, c’était fait un peu à l’ancienne quoi, on naviguait un peu à vue.

Personne ne savait vraiment où il en était question chiffres, surtout en ce qui

concerne les marges… Maintenant, on note les évolutions au mois le mois, les

comparaisons avec N-1. C. [le repreneur] a mis en place des suivis. On les

remplis tous les jours, puis à chaque fin de semaine. Après, on en discute et on

analyse pourquoi il y a plus ou moins de chiffre sur telle ou telle semaine,

pourquoi on a trop commandé... Ça, on ne le faisait pas, ben…, ça nous fait du

boulot en plus, c’est sûr, mais on se rend compte qu’en faisant comme ça, on

voit mieux ce qui se passe, on prend un peu plus de hauteur et c’est mieux pour

le magasin et les clients. (… ) On a moins de rupture et on perd moins de ventes

» (Salarié ICV).

Dans d’autres TPE, l’accent est mis sur l’organisation du travail, à travers la mise en

place de nouvelles règles et procédures :

« Oui, le mécontentement des salariées, alors là je parle beaucoup des CDI mais

les apprenties aussi ! Elles faisaient les ouvertures et les fermetures. Elles

avaient les clés du magasin, elles connaissaient le code du coffre. Moi, quand je

suis arrivée j'ai dit non ! « Les apprenties vous me rendez les clés ! ». Les clés

du magasin, ce sont les CDI qui les ont. Les apprenties ne font plus de fermeture

toutes seules, ça c'est pareil c'est la loi ! On ne peut pas faire n’importe quoi

dans le magasin ! Donc sur les plannings, je m’arrange pour qu’elles ne soient

pas toutes seules! Alors ça leur arrive pendant les pauses déjeuners, des choses

Page 350: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

349

comme ça. Mais quand c’est du temps de midi, il y a toujours quelqu’un

derrière, c'est pas trop dangereux. Au début, ces nouvelles règles ont un peu

vexé, surtout les apprenties parce que du coup elles perdaient un peu de leur

avantage, et à mon avis elles se sont senties dévalorisées. Après, je leur ai dit

que c'est juste une question de loi et de prudence, s’il vous arrive quelque chose

et que vous êtes toutes seules…» (Repreneure EMB).

Ou bien encore :

« Le travail, il s’est beaucoup plus simplifié... par exemple, il [le repreneur] a

changé les procédures de contrôle sur les factures, sur… les bons de livraison et

sur les commandes. Avant, on pointait les trois à chaque fois et on répertoriait

tout sur un cahier. Il a allégé tout ça parce qu’il a vu que cela ne servait à rien,

qu’on perdait du temps et pendant ce temps là, on ne servait pas les clients. Sans

compter que ça nous faisait faire des allers et retours entre le magasin et la

réserve à chaque fois qu’un client rentrait. C’était stressant ! Là, il a mis des

priorités, voilà, et il a simplifié un peu plus. On est plus détendus dans notre

travail en fait alors qu’avec les anciens on avait tendance à trop... On était

envahis » (Salarié PP).

D’autres organisations profitent des avancées technologiques pour proposer une

nouvelle manière de travailler en équipe. C’est le cas, par exemple, de l’entreprise HPC qui a

mis en place quelques semaines seulement après l’entrée en fonction du repreneur, un agenda

partagé. Toutes les semaines, chaque membre de l’organisation, y compris le dirigeant, est

invité à remplir le planning de ses activités et rendez-vous prévus. L’objectif est de « pouvoir

consulter l’agenda à n’importe quel moment de la journée et solliciter ses collègues lorsque

l’on est trop débordé (…) de savoir à quel moment je suis disponible ou en rendez-vous pour

monter me voir au bureau ou pour m’appeler quand il faut aider en caisse » (Repreneur

HPC).

Quels que soient les nouveaux instruments de gestion mis en place, ils permettent à

tous de saisir l’évolution de l’environnement, d’en extraire des indices et servent de socle

pour la construction progressive de représentations partagées (Moisdon, 1997, cité par David,

2006). Ils favorisent la mise à jour des attentes in situ sur la base de nouveaux indices (Maitlis

et Sonenshein, 2010). S’ils participent activement à l’émergence d’interprétations puis à leur

Page 351: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

350

confrontation, les instruments de gestion sont également le moyen pour le nouveau dirigeant

de diffuser une nouvelle vision pour l’organisation, de donner un sens au changement (Gioia

et Chittipeddi, 1991). La vision proposée peut complètement remettre en cause la logique

idéologique dominante, ce que Greenwood et Hinings (1993, p. 1055) dénomment « schéma

interprétatif ». Nous avons observé que certains repreneurs se servent, en effet, de

l’implémentation de nouveaux outils de gestion pour souligner des lacunes et incohérences

dans l’organisation passée et tenter de façonner les compréhensions et interprétations des

salariés. Les supports déployés sont volontairement construits pour attirer l’attention sur

différents points leur tenant personnellement à cœur comme les priorités dans la gestion

commerciale (chiffres et marges par secteur d’activité, ventes par employé et par secteur), les

règles de rémunération (calcul des primes, challenges…) ou encore l’organisation du travail

(règles de sécurité, procédures d’ouverture ou de fermeture du point de vente,…). Pour finir,

nous avons relevé que de tels outils ont également été utilisés comme support de transfert de

connaissances entre membres de l’organisation, particulièrement entre repreneurs et salariés.

1.2.3.3.2.) Le rôle des supports de communication

Parce que la construction de sens est un phénomène éminemment social (Weick, 1995)

qui dépasse les limites de l’interaction (Giroux, 2006), la communication interpersonnelle et

son maintien sont indispensables au déroulement du processus. Pour Maitlis et Christianson

(2014, p. 95), la construction de sens prend place dans les conversations entre individus, ces

dernières étant particulièrement importantes pour la dynamique de compréhension collective

et le développement d’accords collectifs au sein des organisations. Communiquer permet de

« transcender les différences d’interprétation, d’en faire abstraction, et de parvenir à un

accord non sur le sens à attribuer aux choses, mais sur le comportement à adopter face à la

réalité » (Allard-Poesi, 2003, p. 98). Vu sous cet angle, la communication est bien plus

« qu’un ensemble d’échanges linéaires d’information ou de discours destinés à « susciter

l’adhésion ». C’est un espace d’articulation des processus de fabrication du sens » (Laroche

et Steyer, 2012, p. 15). Mettre en place des supports de communications adaptées constitue

pour l’organisation un moyen de favoriser la construction collective de sens.

Confrontés à une situation équivoque, les salariés et le repreneur sont amenés à

interagir, à communiquer ensemble pour articuler ce qu’ils pensent, de façon à mener une

action coordonnée. Nous observons que la qualité des communications est de nature à

accélérer ou, au contraire, affaiblir le processus de reconstruction collective de sens post-

Page 352: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

351

reprise. Cette dernière est fortement corrélée à l’utilisation (ou non) de supports de

communications au sein de l’organisation. Parmi les moyens de communication fréquemment

utilisés dans les entreprises étudiées, l’entretien individuel informel, en face à face, figure en

première place. Peu de supports écrits sont employés, excepté le panneau d’affichage (cas

HPC, SJA, PP) et la messagerie électronique (cas FRT). Compte tenu du nombre restreint

d’individus, du peu de formalisme et de la proximité des relations au sein de la TPE (Torrès,

2007), cela ne paraît pas, à première vue, surprenant. De nombreux repreneurs reconnaissent

les vertus et l’intérêt d’une communication orale continue, du dialogue improvisé en « tête à

tête », dans le processus de compréhension individuelle puis collective de la situation et dans

le maintien d’une action coordonnée :

« Ici, on n’est pas nombreux. Quand je suis arrivé, je suis allé les voir et on a

parlé de ce que je voulais mettre en place. Eux, ils m’ont dit ce qu’ils voulaient,

ça c’est fait spontanément, naturellement. S’ils ont des choses à me dire et moi

aussi, on se voit et on en discute ! (…) Depuis le début, on a toujours fait comme

ça, on discute naturellement, on prend le temps aussi au café de dire ce qui va et

ce qui ne va pas. Même quand il y a une livraison par exemple, on discute de qui

va faire quoi. On n’a pas vraiment de tâches fixes ici. Je ne me vois pas faire

une réunion pour ça avec quatre personnes… et puis, vu qu’on n’est pas

nombreux, on n’a pas le temps ! » (Repreneur SAG).

D’autres ont préféré instituer dès leur arrivée dans l’entreprise des entrevues « salarié-

repreneur » régulières, d’une manière beaucoup plus formalisée et personnalisée :

« On a pris l’habitude de faire un entretien régulier avec chaque salarié en

moyenne tous les deux mois. Ça permet de faire le point, de voir ce qui peut être

amélioré. Donc, nos premiers entretiens étaient assez longs. Je pense que, si je

prends Amélie par exemple, c’était bénéfique dans le sens où elle se posait pas

mal de questions au début, mais surtout elle voit qu’il y a pas mal de choses à

faire, et le fait de se poser en tête à tête au bureau, en dehors du magasin et sans

les autres, ça lui permet de dire, de s’exprimer » (Repreneur HPC).

Certaines organisations ont, quant à elles, choisi de mettre en place des réunions

périodiques pour développer et maintenir un bon niveau de communication entre tous leurs

membres.

Page 353: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

352

« Maintenant, on fait une grande réunion avec tout le monde tous les mois. Les

premières, je me souviens bien des premières réunions, ça a été clair sur la

stratégie quoi. C'était de dire, voilà… enfin je ne vais pas vous faire un compte

rendu de la réunion parce que je l'aurai pas en tête mais grosso-modo. Voilà, je

pense que les questions qui pouvaient se poser, qu’on a eues à se poser, on les a

posées. Il y a eu quelques échanges mais, au final, on savait un petit peu ce qui

allait se passer, comment ça va se dérouler et ses prévisions sur les mois à venir,

ce qu'il voulait apporter à l'entreprise » (Salarié FRT).

Enfin, dans deux organisations (LPC et MF), aucun des supports précédemment cités

n’est régulièrement utilisé, même lorsqu’il s’agit de la communication informelle en face à

face, comme le déplore ce salarié :

« Faut pas croire ! Il n’a jamais pris le temps de simplement discuter avec nous.

On n’a jamais su vraiment ce qu’il voulait faire. On devine, c’est tout ! »

(Salarié LPC).

Pour certains nouveaux dirigeants, il ne s’agit pas d’une action prioritaire, surtout dans

les premiers moments de leur prise de fonction. A ce stade du processus repreneurial comme

pour la suite, l’action commerciale prime, comme le reconnaît le repreneur suivant :

« En fait, on n’a même pas trop parlé de l’organisation, moi ce qui m’intéressait

c’était que les clients perçoivent la montée en gamme des produits. En plus, j’ai

ajouté la chocolaterie, la confiserie et les glaces. C’est ça le véritable

changement. Pour les salariés, y a rien qui change, ils ont qu’à continuer à

travailler comme avant, c’est tout (…) je ne vais pas leur dire tous les jours où

leur noter sur un panneau ce qu’ils ont à faire ! Pour leur métier à eux, d’un

patron à l’autre y a rien qui change » (Repreneur MF).

Dans une perspective où « le sens est engendré par les mots » et où « les organisations

sont construites, maintenues et activées par le médium de la communication. » (Weick, 1995,

p. 106, traduit par Giordano, 2006, p. 163), les supports de communication jouent un rôle

considérable. Parce qu’ils facilitent les interprétations, les échanges ainsi que les

compréhensions partagées, ils sont un prélude à l’action coordonnée. La communication

devant être reconstruite chaque jour (Weick, 2010), cela appelle, pour l’organisation

nouvellement transmise, la mise en place de supports appropriés tout en maintenant leurs

Page 354: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

353

usages réguliers. Ce n’est que grâce à un tel effort constamment renouvelé que la

communication, puis la construction collective de sens, se développent et se maintiennent.

De par ses caractéristiques culturelles, stratégiques et structurelles, l’organisation en

pleine reconstruction agit sur la fabrication de sens et l’action (Laroche et Steyer, 2012). Elle

influe grandement sur la qualité de la communication et l’interaction entre ses membres et

facilite leurs interprétations de l’événement (Daft et Weick, 1984). L’analyse des 19 grilles

descriptives, construites à partir du modèle de Vandangeon-Derumez et Autissier (2006),

puis un travail de synthèse, a permis d’élaborer une liste recensant les principaux facteurs

organisationnels ayant une influence notable sur le processus de reconstruction collective de

sens post-reprise au sein d’une TPE. Nous la présentons ci-après sous forme de tableau.

Tableau 17 - Facteurs organisationnels influençant le processus de reconstruction collective de sens post-reprise au sein d’une TPE

Dimension Facteurs organisationnels impactant la reconstruction collective de

sens post-reprise

Culturelle

- Perception de la mission de l’entreprise

- Conception du travail en équipe et du partage

- Importance accordée au dialogue interne et à l’écoute

Stratégique

- Clarté et cohérence de la stratégie

- Information sur les ressources et moyens mis à disposition

- Information sur les contributions et gains attendus

Structurelle

- Répartition des rôles et des responsabilités

- Liens hiérarchiques et centralisation de la décision

- Utilisation d’outils de gestion et de communication

L’interprétation de nos résultats a montré l’influence des facteurs individuels et

organisationnels sur le processus de reconstruction collective de sens post-reprise. Elle met

Page 355: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

354

également en évidence l’influence d’une troisième catégorie de facteurs, il s’agit des facteurs

contextuels.

1.3.) L’influence contextuelle

Notre revue de littérature a révélé que l’étude d’une situation de changement requiert

un examen minutieux du contexte de l’organisation. Pettigrew (1977, 1985, 1987) souligne

l’intérêt d’adopter une lecture multidimensionnelle du changement en insistant

particulièrement sur le contexte interne et externe de l’organisation ainsi que sur la dimension

historique du processus, afin de véritablement le comprendre. Intégrant ces recommandations

à notre étude empirique, notamment à travers l’utilisation du diagramme contextuel et de la

matrice rôles/chronologie, nous observons que le contexte interne et externe de l’entreprise

ainsi que son histoire et l’histoire des différents acteurs (y compris celle du repreneur)

exercent une influence notable sur le processus étudié.

1.3.1.) Le contexte interne et externe de l’entreprise

Si la reconstruction collective de sens post-reprise est le résultat d’une activité

individuelle et collective, il s’agit également d’un processus contextuel, prenant place dans un

environnement économique, social et politique en constante évolution. Pour Maurel (2010), la

démarche individuelle pour appréhender un phénomène ne peut faire totalement abstraction

de l’influence de la collectivité, ni même de l’environnement. Notre étude empirique le

confirme et met en évidence différents facteurs internes et externes à l’organisation agissant

sur le processus, à savoir les jeux de pouvoirs et l’environnement économique et social dans

lequel évolue l’entreprise.

1.3.1.1.) Les jeux de pouvoir

Les chercheurs qui étudient le phénomène de construction de sens au sein des

organisations sont de plus en plus nombreux à reconnaître l’influence du pouvoir dans le

déroulement du processus. Par exemple, dans son étude sur le sensemaking au sein d’une

grande entreprise ayant vécu plusieurs changements organisationnels, Helms Mills (2003) met

en évidence que les significations qui dominent et les pratiques acceptées sont le résultat de

négociations menées dans des structures qui privilégient certains acteurs par rapport aux

autres. Lorsque la situation se trouble, pour protéger leurs intérêts et leur position au sein de

l’organisation, les groupes influents cherchent à imposer leurs propres valeurs et

interprétations au reste des acteurs. Pour Brown, Colville et Pye (2015), les processus sociaux

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355

de construction de sens sont pris dans des machinations politiques. La construction de sens

s’apparente à la fois à un produit et un effet de ce qui est continuellement négocié en fonction

des relations de pouvoir. L’analyse des entretiens fait clairement ressortir la dimension

politique du changement (Pfeffer, 1981) avec l’apparition de différents phénomènes

fréquemment observés dans pareilles situations, tels les jeux de pouvoirs entre acteurs et les

effets d’influences (Pettigrew, 1985). L’arrivée d’un nouveau dirigeant constitue l’occasion

pour certains groupes de salariés de faire entendre leur voix et de « rabattre les cartes » au

sein de l’entreprise. A travers leurs discours, ils cherchent à influencer, d’une manière qui leur

convient le mieux, l’interprétation de la situation par les autres groupes d’acteurs (repreneur et

autres salariés), comme en témoigne le salarié suivant :

« Nous, ça ne pouvait plus continuer comme ça, on passait trop de temps à faire

autre chose que notre métier. En librairie, on a la chance d’avoir… d’être de

vrais libraires et non des marchands de livres comme on peut voir ailleurs. On est

très compétents et tout le monde le sait ! Chacun son domaine et je pense que ce

qu’a fait I. [la repreneure], de séparer les 2 pôles et d’éviter que les libraires

aillent sans arrêt aider en caisse ou en papeterie dès qu’ils ont un problème, c’est

une bonne chose. (…) Chacun son domaine et chacun ses compétences ! »

(Salariée HPC).

Cela génère quelquefois des tensions, comme le reconnaît le salarié EMB :

« Disons que nous, quand C. [la repreneure] est arrivée, il y a eu des petites

tensions au sein de l’équipe, certaines ont voulu se mettre sur le devant de la

scène. Elles ont voulu faire croire qu’elles bossaient plus que les autres,

forcément une nouvelle patronne qui arrive ! Le problème c’est qu’elles ont réussi

à obtenir ce qu’elles voulaient en n’hésitant pas à couler les autres, en disant

n’importe quoi pour enfoncer, comme que certaines filles en cabine prenaient des

pauses comme elles voulaient alors que ce n’était pas vrai, qu’on avait du temps

entre chaque cliente.(…) Du coup, on est un peu moins nombreuses en cabine et

on doit les aider plus souvent en magasin pour faire leur travail ! » (Salarié

EMB).

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356

Certains repreneurs semblent pleinement conscients de l’influence exercée par les

salariés ou un groupe de salariés en particulier sur leur compréhension de la situation et

leur manière de gérer l’entreprise et les relations entre individus :

« Ils [les techniciens] m’ont montré comment ils voyaient les choses. Ils m’ont

bien expliqué quels étaient leurs problèmes, notamment les difficultés qu’ils

avaient avec le service commercial et les fournisseurs. En fait, je pense que

l’ancien patron privilégiait un peu plus le commercial et je pense qu’ils ont voulu

que je m’intéresse plus à eux et à leurs difficultés. Bon, leurs rôles étaient assez

bien définis au départ mais j’ai pris en compte leurs remarques, je leur ai donné

plus d’importance, en leur donnant de l’autonomie, plus d’autonomie, un pouvoir

de décision, en étant plus intéressé par ce qu’ils faisaient » (Repreneur FRT).

Ou bien encore :

« C’est sûr qu’au départ, on nous promène un peu, on nous dit des choses pour

nous amener là où ils [les salariés] veulent, parce qu’ils savent qu’on est plus ou

moins naïfs au début, chacun cherche à tirer la couverture à lui (…) Alors, c’est

vrai que j’avais quand même plus tendance à écouter les anciens parce qu’ils

avaient plein de choses à m’apprendre, et ils s’en sont rendus compte…mais

bon…heureusement j’ai pas trop fait de bêtises et il n’y a pas eu trop de clashs

avec les autres ! » (Repreneur HPC).

Nos analyses rejoignent les conclusions de plusieurs auteurs pour qui la construction de

sens n’est pas un acte neutre, mais au contraire un acte très politisé (Helms Mills, 2003 ;

Buchanan et Dawson, 2007) où chaque acteur participe à travers son discours à la

redistribution du pouvoir lui-même (Zilber, 2007, p. 1037 cité par Brown, Colville et Pye,

2015).

1.3.1.2.) L’environnement économique et social

L’analyse de notre matériau empirique a également permis de relever l’influence du

contexte externe sur le processus de reconstruction collective de sens post-reprise.

L’environnement économique et/ou le contexte social de l’organisation interfère directement

sur le niveau et la qualité des interactions entre acteurs. Le secteur d’activité économique

auquel appartient l’organisation (ici le secteur commercial) est fréquemment mis en avant

pour expliquer la difficulté à établir, puis maintenir, un niveau d’interaction satisfaisant. Pour

Page 358: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

357

de nombreuses personnes interviewées, il constitue un des motifs de la difficulté à interagir,

voire du désintérêt des acteurs à s’engager dans un réel effort d’échange constructif. Les

conditions d’activités particulières propres à ce secteur sont souvent mentionnées. Les larges

amplitudes horaires ont, à de nombreuses reprises, été décrites comme le principal frein aux

échanges interindividuels et collectifs :

« Oui, ce que je veux mettre en place, je le leur explique au fur et à mesure. Ben,

je dis voilà, on a le projet de faire ça et ça et ça va se passer comme ça et on en

discute. C’est soit en petits groupes ou en individuel parce que vu les amplitudes

d'ouverture du magasin, on ne peut pas faire venir tout le monde... Moi, le

boulanger qui vient à 2h30 du matin, je ne peux pas le faire venir à 17 heures !

On se retrouve jamais tous ensemble dans le magasin » (Repreneur MC).

Le témoignage de ce repreneur est corroboré par celui de cet employé :

« Disons qu’on n’a pas trop parlé de ce qu’ils en pensaient vu qu’on n’a pas

tous les mêmes horaires, donc on se croise. Il y a ceux qui sont du matin et ceux

qui sont du soir » (Salarié MC).

D’autres conditions de travail quelquefois difficiles (horaires décalés,

manutentions manuelles, relations délicates avec la clientèle, stress, etc.) ou peu

engageantes (travail à temps partiel subi278) sont également évoquées pour expliquer,

cette fois, le faible investissement ou la réticence de certains salariés à s’impliquer dans

une véritable interaction constructive. Beaucoup de salariés ne souhaitent pas

poursuivre leur carrière professionnelle dans ce secteur d’activité, comme l’explique ce

repreneur :

« Là, dans ce qu’on fait, les gens ne restent pas trop longtemps. C’est quand

même un environnement de travail difficile, on travaille pendant que les autres

s’amusent, les clients viennent ici pour prendre du bon temps. (…) En plus,

quand ils voient que ça bouge et si on les pousse un peu, ils partent. Alors, moi

je recrute des jeunes et pour eux, c’est souvent un job alimentaire. Dès qu’ils

trouvent mieux, ils se tirent ! Il y en a certains qui ne sont pas restés 2 mois, on

278

Une étude de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), publiée en décembre 2014, confirme cette proportion élevée de salariés à temps partiel dans les TPE du secteur du commerce, du transport et de l’hébergement-restauration. Celle-ci s’établit à 31.9% des emplois au 31 décembre 2013 contre 20% dans l’industrie et 11.6% dans la construction (DARES, 2014).

Page 359: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

358

n’a même pas le temps d’apprendre à les connaître, mais bon c’est pas grave,

on arrive quand même à recruter » (Repreneur LPC).

Ou ce salarié :

« Il y a des salariés, surtout des étudiants qui bossent le week-end, y en a

certains que je n’ai jamais connus, j’ai dû les croiser comme ça une ou deux

fois, mais pas plus ! Ils arrivent, ils travaillent un peu, ils voient ce que c’est et

ils s’en vont (…). C’est sûr que bosser les samedis et les dimanches, avec la

clientèle du soir en plus, c’est pas évident. On préfère rester avec ses amis ou sa

famille ! » (Salarié MC).

Nous observons également que le contexte économique général interfère sur la

reconstruction collective de sens post-reprise. Ainsi, l’évolution des marchés, l’intensité de la

concurrence contraignent tous les individus (y compris le repreneur) à rester vigilants aux

indices de l’environnement, puis à interagir. Les débats, la dynamique de négociations qui

s’enclenche entre tous les membres de l’organisation, clarifient et tendent à faire partager des

perceptions et des interprétations, et ainsi à créer graduellement du sens (Allard-Poesi, 2003).

« Toutes les années, les marchés évoluent, donc la stratégie évolue avec.

Aujourd'hui, on est sur une tendance purement industrie, ce qui n'était pas

forcément le cas au début quand le produit, on l'a développé. Nous, on veut aller

ramener toute l'équipe dans cette direction-là, même M. [le repreneur]. Parce

que voilà, on pense que c'est la bonne solution et que c'est la bonne direction et

que ça va continuer dans cette direction-là. La stratégie, on l'a fait évoluer

parce que de toute façon la stratégie doit évoluer toutes les années, euh… voire

en cours d'année parce qu'on s'aperçoit qu’il y a quelque chose qui se profile et

c'est entre autres ce qui peut se passer avec l’export. Ça ! certains dans

l’entreprise avaient du mal à le comprendre. Il y a certains créneaux sur

lesquels on travaille maintenant et dont il y a six mois de ça, on ne pensait même

pas, enfin on pensait, on savait qu'il y a des trucs qui se faisaient, on a eu fait

des fois des prototypes pour des clients ; on ne sait pas, on ne pensait pas

remettre quand même un axe de développement dessus. Voilà, les choses qui se

font, se font au fur et à mesure en regardant ce qui se passe et en discutant »

(Salarié FRT).

Page 360: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

359

Ou bien encore :

« Quelques semaines seulement après son arrivée [la repreneuse], le libraire

d’en face a fermé ses portes définitivement et il a fallu gérer l’afflux de clients

supplémentaires. Avec I. [la repreneure], on a dû trouver des solutions pour

gérer ça ! Il y avait des produits qu’on commandait jamais, il fallait trouver de

la place, on avait des ruptures… ben, on a dû s’adapter à une nouvelle clientèle.

Disons qu’on a plutôt bien assuré, on s’est adapté comme on pouvait entre les

rayons. On a un peu ré-agencé le truc pour qu’il y ait plus de place pour nous. Il

n’y a pas trop eu de grincements de dents même si ça leur faisait perdre un peu

de place » (Salarié HPC).

L’analyse des entretiens a également permis d’établir que le contexte social extérieur à

l’organisation joue, à son tour, un rôle dans la manière dont les salariés et le repreneur

interagissent et construisent du sens. Nous observons que lorsque l’entreprise se situe dans un

environnement social donné, ce dernier est pris en compte dans la manière dont les individus

(salariés et repreneurs) interprètent et donnent à interpréter les situations. Ainsi, lorsque

l’entreprise est implantée à proximité d’un quartier difficile, les salariés se sentent « obligés »

d’être solidaires les uns des autres et de se « serrer les coudes », comme le montre le

témoignage suivant :

« Les clients sont pas toujours faciles à gérer, il y a souvent des problèmes

surtout avec certains clients, et ça, il a fallu lui [la repreneuse] expliquer et lui

montrer comment fallait le gérer, surtout pour les crédits, les chèques, sinon elle

aurait eu sans arrêt des problèmes. Donc, nous, on l’a aidée pour ça. On voulait

pas qu’elle ait des problèmes. Ici on a toujours fonctionné comme ça avec tout le

monde, parce que si on se serre pas les coudes, on se fait bouffer » (Salarié

SAG).

Ce point semble reconnu également par la repreneure de cette entreprise :

« Arriver là, c’était pas facile. Faut voir le tableau ! Je suis une femme, qui plus

est âgée, je ne suis pas du coin, je ne connais personne et j’arrive là ! Il y a plein

de choses qui auraient pu mal tourner ! Ça me faisait un peu peur au début

parce qu’on est à côté d’un quartier quand même difficile avec des gens qui sont

des fois un peu durs … certains sont un peu agressifs et il y en a pas mal qui

Page 361: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

360

sont dans la galère, qui n’ont pas d’argent pour payer ce qu’ils doivent….et bien

sûr ils veulent payer plus tard. Quand il y a des situations comme ça, je n’hésite

pas à aller leur demander ce qu’ils en pensent, comment faut gérer ça ou ça !

(…) S’ils [les salariés] m’avaient pas aidée, s’ils m’avaient pas introduite

auprès de la clientèle, je pense que ça aurait été super difficile pour moi »

(Repreneure SAG).

De la même façon, lorsque l’entreprise opère dans un village « isolé » où les

possibilités d’emplois sont limitées, les individus tiennent compte de ce contexte social dans

la compréhension qu’ils ont de la situation et dans la manière de s’engager dans l’interaction.

« Quand il [le repreneur] est arrivé, j’avais un petit peu d’appréhensions,

comme nous tous d'ailleurs ! Vous savez, ici, on habite tous dans ce village, et

on souhaite y rester. Certains ont fait construire ici et moi j'aimerais bien aussi

le faire. Le boulot, il n'y en a pas tant que ça dans le coin, sinon faut partir assez

loin. Donc, on préférerait garder notre poste (…) Pour moi, l'arrivée du

nouveau dirigeant, c'était une occasion, soit de rester où je voulais vivre, soit de

partir et de perdre tout ça. J’ai tout fait pour que ça se passe bien avec C. [le

repreneur], j’ai pas hésité à lui donner des conseils pour que ça marche et je

pense que je ne suis pas le seul à le faire » (Salarié ICV).

L’approche contextualiste invite à étudier le changement en prêtant fortement attention

au contexte dans lequel évolue l’entreprise (Pettigrew, 1985). Tenant compte de ces

recommandations pour notre recherche, nous avons vérifié que le contexte interne et externe à

l’organisation exerçait effectivement une influence sur le processus de reconstruction

collective de sens engagé par les individus après la reprise. Le phénomène ne fait donc pas

abstraction des jeux de pouvoir inhérents à la vie de tout groupe (Crozier et Friedberg, 1977),

ni à l’environnement plus général dans lequel évolue l’organisation. Notre étude empirique a

révélé une autre dimension influente, c’est la dimension historique.

1.3.2.) la dimension historique

L’examen détaillé des entretiens fait ressortir une dernière variable influente : il s’agit

de la dimension historique. Plusieurs interviewés ont, à de très nombreuses reprises, fait

références à l’histoire de l’entreprise ou tout simplement à leur propre histoire, pour expliquer

la manière dont ils interprétaient l’environnement et leur propre vie au sein du groupe. Le

Page 362: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

361

recours aux histoires permet de se raccrocher à quelque chose, de maintenir chez les individus

un sentiment de continuité identitaire, malgré un changement important dans leur

environnement.

« Avec ce qu’on a vécu tous ensemble, ça nous a prouvé qu’on était capables de

se soutenir les unes les autres. On a toutes été solidaires, personne n’a laissé

tomber personne et ça je pense que ça ne changera plus » (Salarié HPC).

Lorsqu’elles sont partagées, les histoires constituent un cadre, une source de données à

partir desquels les salariés et le repreneur vont pouvoir sélectionner des indices et développer

des significations équivalentes de la situation. Il peut alors s’agir d’événements marquant

dans la vie de l’entreprise et de ses membres, comme le fait d’avoir déjà connu un ou

plusieurs changements de dirigeant :

« On a toutes des années d’expériences derrière nous, moi je n’ai que 7 ans !

Certaines filles ont connu plusieurs patrons. Nathalie a connu, un, deux, trois,

quatre oui, c’est ça quatre patrons en comptant I. [la repreneure]. A chaque

fois, c’était différent. D’après Nathalie, les premiers patrons étaient âgés, c’était

très carré, puis il y a eu leur fille et leur gendre, puis je me souviens plus… Elle

nous disait : moi depuis le temps, j’en ai vu défiler quelques-uns, faut attendre

un peu et on va voir assez vite comment il voit les choses, que de toute manière

aucun patron n’avait jamais tout révolutionné dans le magasin parce qu’il

marchait bien » (Salariée HPC).

Le fait d’avoir « survécu » à un contexte économique difficile intervient également

comme le rappelle ce salarié AGP :

« Nous, on veut pas que ça plante, on a déjà eu des problèmes avec l’ancienne

patronne. A cause d’elle, on a perdu beaucoup de clients, et ça allait de plus en

plus mal ! Il a fallu qu’on se bouge pour que l’entreprise continue d’exister

parce que c’était pas elle qui voulait que ça marche. Tout ça, c’est grâce à nous.

On dirait qu’elle s’en foutait, que ce n’était pas son affaire ! » (Salarié AGP).

Il peut également s’agir d’une expérience plus dramatique comme le décès de l’un des

membres de l’affaire :

Page 363: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

362

« Quand l’ancienne patronne est décédée, pendant pratiquement un an, tous

ceux du magasin, ben, on s’est débrouillés tout seuls de A à Z parce qu’il n’y

avait personne tout simplement. On n’avait plus de gérante en fait et le papa de

C. [la cédante], n’avait pas que ça à faire, il avait d’autres entreprises à gérer.

Ça a été super dur, mais on a réussi quand même à s’en sortir, à sauver la boîte.

Ça nous a soudées… toutes. On sait que dans les moments difficiles, on peut

compter les unes sur les autres ! » (Salariée HPC).

Certains repreneurs tiennent compte de cette dimension historique dans la

représentation qu’ils se font de l’entreprise et dans la manière dont ils appréhendent leur prise

de fonction et les relations avec leurs nouveaux collaborateurs :

« ah oui, y en a plusieurs, mais y a des gens qui sont sensibles, c’est difficile

pour elles dans le sens ou ben… elles ont vécu la maladie de l’ancienne

propriétaire. Elles l’ont prise en pleine figure et souvent on dit, quand il arrive

des accidents, y a des cellules psychologiques c’est pas pour rien ! Elles, elles

ne se sont pas fait…, elles se sont retrouvées du jour au lendemain sans chef,

ben… on gère toute seule et voilà et le magasin il est toujours là, et là je crois

qu’on doit leur dire bravo parce que j’ai beaucoup de respect par rapport à

ça (…) En fait, elles ont prouvé qu’elles pouvaient fonctionner sans patron et

que ça tourne bien quand même ! » (Repreneure HPC).

Se référer au passé de l’entreprise rassure parfois quant au bon déroulement de la

reprise, comme le reconnaît le repreneur suivant :

« C’est une entreprise ancienne qui a déjà connu plusieurs repreneurs, donc ça

me rassurait aussi, si les autres avaient réussi, pourquoi pas moi ? » (Repreneur

SAG).

Les événements, les expériences marquantes de la vie de l’entreprise sont souvent

utilisés comme support pour interpréter individuellement, puis collectivement, la situation.

Les significations véhiculées par ces histoires à travers des discours constamment entretenus,

constituent des indices sur lesquels se structurent les relations entre salariés et repreneur.

Parce qu’elles sont « une source de cohérence, d’enchaînement logique d’actions et

d’événements » (Allard-Poesi, 2003, p. 107), les histoires ont fréquemment été mobilisées par

les acteurs interviewés pour faire sens collectivement d’une situation. Nous remarquons, par

Page 364: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

363

ailleurs, que tous ces événements, s’ils ont été dépassés collectivement, laissent penser aux

acteurs qu’ils sont capables de reproduire ce qu’ils ont contribué par le passé à accomplir, à

savoir un système d’actions coordonnées ayant su se renouveler. Cette croyance des gens en

leurs propres capacités est fondamentale. Lorsqu’elle est positive, elle peut augmenter la

vigilance, réduire les attitudes de défense et faciliter la construction de sens (Weick, 1988).

Dans de nombreux cas, il apparaît en outre, que l’histoire du repreneur constitue un élément

important dans la construction des représentations individuelles. Elle exerce, en corollaire,

une influence sur la création collective de sens. Le fait d’avoir déjà dirigé ou repris une

entreprise, de bénéficier d’une expérience de manager, ou encore d’avoir connu la réussite

et/ou l’échec, sont autant d’indices pris en compte dans le processus de compréhension

situationnelle et dans la dynamique d’interaction sociale. Bien conscients du caractère

éclairant de leur propre histoire sur la manière d’appréhender la reprise, plusieurs repreneurs

n’ont pas hésité à expliquer aux salariés, leur parcours et/ou les événements ayant marqué leur

vie, comme en témoigne le salarié suivant :

« On sait ce qu’il [le repreneur] a fait avant, il nous l’a dit. Il a déjà eu des

entreprises et il nous a dit que ça serait sa dernière, qu’il allait terminer sa

carrière avec nous et qu’il voulait que ça se passe bien. Surtout que sa dernière

entreprise, apparemment ça c’était mal passé et il ne l’a pas gardé longtemps,

qu’il voulait pas que ça se passe comme là-bas (…) Ici, c’est pas pareil,

l’entreprise est plus petite et on s’entend bien, c’est plus familial entre nous. Je

pense que c’est ce qu’il recherchait en fin de compte » (Salarié PP).

Il peut également s’agir d’événements tragiques survenus au cours de leur vie

personnelle ou professionnelle :

« Ça, en fait, le petit discours, c’était pour se présenter et expliquer notre

histoire, pourquoi on a acheté, aussi par rapport à l’histoire de l’ancienne

propriétaire. Je leur ai dit que je savais par où elles étaient passées et que moi

aussi, avec mon mari, on a connu un drame. Je leur ai tout expliqué, je leur ai

donné notre parcours, qu’on a eu un accident, qu’il y avait un ouvrier qui est

décédé sur un chantier, qu’on était… moralement… c’était difficile, qu’on avait

décidé de vendre l’entreprise (…). Là, on est encore à un nouveau tournant de

notre vie avec le magasin, et on veut que ça marche et que tout aille bien ! Je

voulais qu’elles comprennent par où je suis passé et que mon objectif, c’est que

Page 365: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

364

cela tourne pour pouvoir payer ce qu’on doit et nous dégager un minimum de

salaire. Je n’étais pas là pour leur faire des ennuis, au contraire ! Que si je

pouvais mettre en place des choses pour que cela aille mieux, je le ferais »

(Repreneure HPC).

D’autres se sont appuyés sur leur cursus personnel et professionnel et/ou leur

expérience de manager pour montrer leur capacité à faire avancer l’entreprise, comme le

développe le témoignage suivant :

« Non, je leur ai dit que c’était ma première expérience dans la reprise mais que

je n’étais pas non plus un novice ! Je leur ai donné mon parcours. À la base, je

suis ingénieur de formation mais j’ai aussi un MBA. J’ai un parcours en banque,

télécom et santé, et j’ai toujours évolué dans des grandes structures. A chaque

fois, ça c’est bien passé et j’ai réussi mes missions. Je leur ai dit que je bossais

beaucoup, que je demandais aussi beaucoup… j’ai l’habitude de travailler avec

des gens qui s’impliquent, qui fonctionnent vite et bien en général. C’est comme

ça que je fais avancer le truc et ça marche en général » (Repreneur FRT).

Ou bien encore :

« Ils ont su dès le départ ! Je leur ai dit qui j’étais, comment je voyais les choses,

que j’aimais que ça bouge ! Je leur ai expliqué ce que j’avais déjà fait et que

s’ils voulaient voir ce que ça donnait, qu’ils pouvaient venir voir en centre ville

comment ça tournait ! Moi, c’est simple, ce que j’ai mis en place là-bas, ça a fait

grimper l’entreprise, alors y a pas de raisons que ça soit pas pareil ici ! »

(Repreneur LPC).

A travers la narration de leur parcours, certains repreneurs cherchent, par ailleurs, à

influencer l’interprétation de la situation produite par les salariés. L’histoire du repreneur sert

de support pour faire passer ses propres valeurs et interprétations aux salariés. Une telle

pratique engendre le débat, la négociation, l’argumentation et se répercute finalement sur le

processus de reconstruction collective de sens post-reprise.

En complément de l’approche par le sensemaking, nous nous sommes basé sur les

travaux de Pettigrew (1977, 1985, 1987) pour étudier le changement provoqué par l’arrivée

du repreneur au sein d’une TPE. A partir des principales recommandations émises par son

approche, nous avons porté notre attention sur la dimension contextuelle et historique du

Page 366: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

365

changement. Nous observons que le contexte interne et externe de l’organisation, son histoire

ainsi que l’histoire personnelle du repreneur exercent une influence significative sur

l’interprétation individuelle et collective, les dynamiques d’interactions et la coordination des

comportements entre acteurs. Le processus de reconstruction collectif de sens post-reprise

dans lequel s’engagent les individus, s’en trouve directement impacté.

L’influence du contexte sur le processus de reconstruction collective de sens post-

reprise est synthétisée dans la figure suivante.

Figure 28 - L’influence contextuelle sur le processus de reconstruction collective de sens post-reprise au sein d’une TPE

Source : Auteur.

Reconstruction collective de sens post-reprise

Histoire de l’entreprise

Jeux de pouvoir

Environnement socio-

économique

Histoire du repreneur

Page 367: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

366

Conclusion section 1

L’objectif de cette première section était d’examiner les différents facteurs et éléments

exerçant une influence sur le processus de reconstruction collective de sens post-reprise.

Plusieurs résultats issus de notre étude empirique ont été présentés.

Dans un premier temps, nous avons mis en évidence que lorsqu’ils sont confrontés à

une situation fortement équivoque, les membres de l’organisation tentent de réduire le niveau

de cette dernière en mobilisant les cadres cognitifs qui sont les leurs, généralement issues des

expériences vécues, et en se lançant dans un processus de construction de sens fondé sur des

interactions avec les autres. L’analyse des entretiens a permis de découvrir que tous les acteurs

jouent un rôle actif dans ce processus, mais que chacun n’a pas le même poids dans son

déroulement. Ainsi, nous avons noté le rôle minimal du cédant, le rôle actif des salariés et le

rôle déterminant du repreneur.

Si les comportements individuels des différents acteurs influencent le processus de

reconstruction collective de sens post-reprise, nous avons également relevé, dans un deuxième

point, l’influence de facteurs organisationnels. Nous appuyant sur le modèle de Vandangeon-

Derumez et Autissier (2006), nous avons fait ressortir 9 facteurs organisationnels influents qui

sont : la perception de la mission de l’entreprise, la conception du travail en équipe et du

partage, l’importance accordée au dialogue interne et à l’écoute, la clarté et la cohérence de la

stratégie, l’information sur les ressources et moyens mis à disposition, l’information sur les

contributions et les gains attendus, la répartition des rôles et des responsabilités, les liens

hiérarchiques et la centralisation de la décision, l’utilisation d’outils de gestion et de

communication.

Enfin, pour dépasser les limites des théories du sensemaking et compléter notre

analyse, nous avons eu recours à la méthodologie recommandée par l’approche contextualiste

du changement (Pettigrew, 1977,1985). Une lecture multidimensionnelle du changement a

révélé l’influence de quatre facteurs contextuels et historiques sur le phénomène étudié. Il

s’agit des jeux de pouvoir, de l’environnement socio-économique, de l’histoire de

l’organisation, puis de celle du repreneur. Le processus de reconstruction collective de sens

post-reprise et tous les facteurs d’influence sont présentés par la figure suivante.

Page 368: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

Figure 29 - Le processus de reconstruction collective de sens postTPE saine et les facteurs d’influence

367

essus de reconstruction collective de sens post-repriseles facteurs d’influence

Source : Auteur

reprise au sein d’une

: Auteur

Page 369: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

368

Section 2 - Discussion des résultats et recommandations managériales

Cette section vise à présenter la discussion des principaux résultats obtenus dans le

cadre de notre recherche, puis à en extraire un certain nombre de recommandations qui

pourraient être utiles aux futurs repreneurs ainsi qu’à leurs accompagnants.

Dans un premier temps, nous reviendrons sur les principaux résultats issus de nos

études de cas. Nous évoquerons le fait que la RPP d’une TPE saine correspond bien à un

changement majeur, une interruption dans le flux courant d’activités, un événement

équivoque nécessitant une action volontaire de reconstruction collective de sens de la part de

tous les membres de l’organisation et une intervention encore plus forte du repreneur en

raison de sa position de nouveau leader.

Notre recherche a mis en évidence un processus que nous avons dénommé

reconstruction collective de sens post-reprise. Nos analyses ont révélé que ce phénomène était

influencé par de multiples facteurs individuels, organisationnels et contextuels. Nous avons

également relevé que la qualité des échanges intersubjectifs était un élément essentiel du

processus, tout comme l’instauration et le maintien d’un niveau suffisant de communication

entre acteurs dans la constitution d’un nouveau système d’actions organisées.

Dans un second temps, nous exposerons les principales recommandations qui nous

paraissent utiles à l’édification d’un nouveau système d’actions organisées ainsi qu’à la

réussite du changement.

Page 370: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

369

2.1.) Nos principaux résultats

L’ambition principale de ce travail réside dans une meilleure compréhension du

management post-reprise, période charnière dans la réussite du processus de reprise d’une

TPE. Comme le souligne Boussaguet (2005, p. 81), l’arrivée d’un nouveau dirigeant est

fortement déséquilibrante pour l’organisation. Il s’agit d’un changement majeur parce qu’il

« touche aux fondements de l’organisation » et parce que « ses effets sur les membres de

l’organisation sont (…) profonds et déstabilisants ». Pour Torrès (2007), les TPE présentent

des spécificités qui leur sont propres avec une petite taille, un système de gestion ainsi qu’un

système d’information simples et centralisés, et par-dessus tout, un propriétaire dirigeant

omniprésent régnant en maître sur son entreprise. De Freyman (2009), s’appuyant sur l’effet

de grossissement décrit par Mahé de Boislandelle (1996), explique que le critère de taille a

des incidences sur l’intensité des problématiques organisationnelles. Ce dernier se mute lors

d’une opération de transmission en effet complexifiant. Le repreneur d’une entreprise de

petite taille est donc confronté à de nombreuses difficultés au moment de sa prise de fonction.

Nombre d’entre elles sont liées à la dimension humaine de l’organisation. Pour Weick (1993),

l’arrivée d’un élément nouveau (changement écologique) dans l’environnement d’un petit

groupe d’individus, d’une interruption dans le flux courant d’activité, engendre de

l’équivocité et perturbe l’action organisée. Pour continuer à agir ensemble, il devient

nécessaire de construire collectivement du sens. En tant que nouveau leader, le repreneur joue

un rôle clé dans l’émergence et le maintien du processus, celui de producteur de sens du

changement (Gioia et Chittipeddi, 1991 ; Barabel et Meier, 2010). Cette littérature

scientifique nous a servi de support théorique et nous a permis d’extraire les principaux

concepts auxquels nous nous référons dans cette recherche.

La discussion des résultats de notre travail s’articule autour de quatre principaux

résultats de notre recherche.

En premier lieu, nous revenons sur l’impact du changement de dirigeant sur le

fonctionnement de la TPE saine. Nous abordons ensuite le concept de construction collective

de sens proposé par Weick (1993) appliqué à la reprise d’entreprise de petite taille. Le

processus de reconstruction collective de sens que nous décrivons dans ce travail est un

processus volontaire, nécessitant un « pilote » qui ne peut-être, dans le cadre du

fonctionnement spécifique des TPE (Torrès, 2007), que le repreneur. Notre réflexion nous

amène également à discuter des caractéristiques des échanges intersubjectifs favorables à la

Page 371: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

370

formation d’un nouveau système d’actions organisées. Pour finir, nous revenons sur la

communication en tant que fondement de l’organisation.

2.1.1.) La RPP de TPE saine, un changement organisationnel majeur source d’équivocité et de création de sens

Nos résultats montrent que l’arrivée d’un nouveau dirigeant au sein d’une TPE saine

constitue un changement organisationnel majeur. Il s’agit d’une déstabilisation suffisamment

importante pour que les différents groupes d’acteurs décident d’entreprendre un travail de

redéfinition individuelle de la réalité, puis une reconstruction collective de sens. Le fait que le

cédant n’annonce pas la vente de l’entreprise, ce qui a été le cas pour la majorité des

entreprises étudiées, accroît l’appréhension des salariés face au changement. Nos résultats

confirment ceux de certains auteurs (Donckels, 1995 ; Boussaguet, 2005 ; De Freyman, 2009)

concernant l’importance du changement de dirigeant sur le fonctionnement de la petite

entreprise et sur la vie du groupe. En outre, ils mettent en évidence qu’il s’agit d’un

évènement fortement équivoque plongeant les individus dans une période d’incertitude. Ces

derniers, ne sachant pas au départ quelles interprétations retenir de la situation, éprouvent de

nombreux doutes et de nombreuses émotions telles que l’anxiété ou la peur.

Par ailleurs, le fait que l’entreprise soit en bonne santé au moment de sa reprise

interfère sur les réactions des salariés et les interprétations qu’ils ont de l’événement. Si le

changement à la tête d’une entreprise en difficulté est le plus souvent bien accepté

(Deschamps et Paturel, 2009), nos résultats montrent que lorsque l’entreprise est saine,

l’acceptation du changement est plus délicate pour les salariés, les questionnements et les

doutes plus nombreux. La majorité des salariés interviewés s’interrogent sur les raisons du

changement de dirigeant dans la mesure où l’entreprise fonctionne bien et, quelquefois depuis

longtemps, avec la même personne à sa tête.

Dans leurs travaux, Picard et Thévenard-Puthod (2006, p. 102) attirent l’attention sur

la proximité sociale qui lie les différents membres d’une entreprise artisanale. La petite

structure s’apparente souvent à une famille dans laquelle « l’artisan et parfois son conjoint

jouent respectivement le rôle du père et de la mère ». L’arrivée dans l’entreprise d’un

nouveau dirigeant peut amener les collaborateurs à mal réagir, à l’image de la réaction de

certains enfants lors d’un remariage. Bizaguet (1991) met en évidence l’attachement affectif

des salariés à leur dirigeant au sein des petites entités. Nos résultats montrent effectivement

que l’arrivée du repreneur dans la TPE soulève de nombreuses émotions, parfois même de la

Page 372: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

371

tristesse, matérialisant ainsi un véritable attachement affectif entre les salariés et leur ancien

dirigeant. Plusieurs salariés nous ont confié avoir l’impression de « perdre » quelqu’un de

proche, de « tourner une page » de leur vie professionnelle, mais aussi personnelle. Certains

ont reconnu avoir pleuré.

Nous retrouvons donc, pour de nombreuses TPE étudiées, la proximité relationnelle

telle que décrite par Picard et Thévenard-Puthod (2006) et l’attachement affectif évoqué par

Bizaguet (1991). Néanmoins, il est intéressant de souligner que nous ne percevons pas

l’influence de ces deux dimensions chez tous les salariés des cas analysés. Il ressort de notre

terrain que certains salariés ne « se sentent pas très proches » de l’entreprise et ne souhaitent

pas s’y investir fortement et pour longtemps. Les relations avec le dirigeant et, quelquefois

avec l’ensemble des membres de l’organisation, se cantonnent au minimum, de quoi pouvoir

agir convenablement le temps du contrat. Il s’agit, pour une partie d’entre eux, « d’un job

alimentaire », le plus souvent temporaire, avant « de trouver mieux ». Plusieurs raisons à ce

comportement sont évoquées parmi lesquelles, les conditions de travail difficiles du secteur

du commerce (horaires décalés, relations difficiles avec la clientèle, manutentions manuelles

importantes, stress, etc.), les possibilités d’évolution de carrière peu nombreuses au sein des

TPE, ou encore, le fait d’être en temps partiel subi. Chez ces individus, le fait que le dirigeant

de l’entreprise change ne provoque pas de fortes perturbations émotionnelles et impacte peu

leur manière d’appréhender les choses et leurs relations avec leurs partenaires au sein de

l’organisation.

Pour notre recherche, nous avons décidé d’adopter une lecture interprétativiste de

l’événement puis de mobiliser les théories du sensemaking pour comprendre le changement.

S’inscrire dans une telle approche, c’est reconnaître l’humain comme étant au cœur du

processus organisant et les interactions entre individus comme racines de la résilience

(Vidaillet, 2003, p. 160). Nous avons vu que le changement de dirigeant était un événement

suffisamment puissant pour modifier les représentations individuelles de la situation et

bousculer un équilibre fragile dans les rapports entre individus. Empruntant le vocabulaire de

Karl Weick, nous pouvons le qualifier aisément de changement écologique. Nos études de cas

montrent qu’il crée une interruption, un flou dans l’environnement immédiat des membres de

l’organisation. Cette situation inhabituelle pousse les individus à redéfinir leur

environnement, à reconstruire leur zone de sens. Pour Gioia et Chittipeddi (1991), il s’agit là

d’un point essentiel dans la conduite et la réussite du changement, l’incapacité des individus à

Page 373: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

372

donner un sens à leurs nouveaux rôles, de mettre à jour leur compréhension de ce qu’ils sont

censés faire pouvant les conduire à adopter une attitude de résistance.

Nous relevons qu’il s’agit d’un événement fortement équivoque à la fois pour les

salariés et pour les repreneurs de TPE. Il plonge les individus dans une situation faite de

questionnements, d’incertitudes, d’inconforts que chacun tente, par l’interaction avec les

autres, de dépasser. Nous retrouvons dans nos travaux les manifestations de l’équivocité telles

que décrite par de nombreux auteurs dans les situations d’interruption (Weick, 1995 ; Maitlis,

2005). Dans les cas étudiés, l’équivocité se manifeste à travers une perturbation émotionnelle

intense et un sentiment de confusion prenant naissance dans la multiplicité des interprétations

possibles. Les incompréhensions provoquées par cette situation nouvelle et, très souvent

inattendue, poussent les individus à puiser dans leur environnement des indices, à remettre en

cause leurs schémas de pensée habituels et à s’engager dans de nombreux cycles

d’interactions. Ils tentent par-là de redonner du sens à la situation, de manière à continuer à

agir de manière appropriée.

Fort de ces premiers constats, nous avons concentré notre attention sur les multiples

interactions entre acteurs et pu observer, par la même occasion, le processus de reconstruction

collectif de sens post-reprise. Pour lever l’état de confusion dans lequel ils se sont trouvés, les

membres de l’organisation se sont engagés individuellement, puis collectivement, dans des

cycles d’interactions aboutissant à la construction de sens. Pour la majorité des TPE étudiées,

nous avons retrouvé les trois niveaux de création de sens (individuel, intersubjectif et

organisationnel) ainsi que la dynamique d’échanges intersubjectifs caractérisant généralement

tout processus de sensemaking tels qu’ils sont décrits par Weick (1979, 1993). En s’appuyant

sur le modèle E.S.R. mis au point par l’auteur, nous avons élaboré une première modélisation

du processus de reconstruction collective de sens post-reprise. Nos travaux présentent un

double intérêt. D’une part, ils concourent à une démonstration de l’affirmation de Weick

(1993) sur l’apparition d’un tel phénomène suite à un événement déstabilisant. En mettant en

évidence le processus, nous corroborons les conclusions d’un certain nombre d’auteurs pour

lesquels, c’est dans les situations d’interruption (Weick, 1993), de nouveauté (Louis, 1980),

de changement (Gioia et Chittipeddi, 1991 ; Maitlis et Sonenshein, 2010), que la construction

de sens est la plus caractéristique. D’autre part, ils étendent la liste des évènements

susceptibles de déclencher un processus de construction collective de sens en y incorporant la

RPP de TPE saine par un repreneur externe.

Page 374: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

373

2.1.2.) La reconstruction collective de sens post-reprise, un processus volontaire et sous influences à piloter pour favoriser la résilience

Un autre résultat significatif se dégage de cette recherche. Il concerne les caractères

non spontané et volontaire du processus de reconstruction collective de sens post-reprise.

Nous avons relevé que ce dernier ne s’enclenche puis se développe que si les individus

décident de s’investir volontairement dans ce que nous avons appelé, un effort d’interaction.

Notre revue de littérature a permis de relever qu’en règle générale, même si le changement

n’est pas bien perçu au départ, chaque acteur ou groupe d’acteurs tente d’y participer (Barabel

et Meier, 2010) et n’y est pas naturellement et totalement réfractaire (Crozier et Friedberg,

1977).

D’après l’analyse de nos entretiens, très peu d’individus ont, en effet, adopté une

attitude passive face au changement de dirigeant. Les salariés ont, pour la plupart, décidé

d’entreprendre ce travail qui consiste, à travers la multiplication des échanges, à construire

leur zone de sens, puis à se repositionner au sein de la structure émergente.

Notre recherche a, par ailleurs, fait apparaître le poids différent de chacun des acteurs

et des groupes d’acteurs dans l’avènement, le maintien puis l’orientation du processus de

reconstruction collective de sens post-reprise. S’il est apparu assez rapidement un rôle

minimal du cédant et une responsabilité importante des salariés, notre analyse a mis en

évidence l’influence prépondérante du repreneur. Certes, le changement émergent se construit

ensemble (Weick, 1993), mais le nouveau leader occupe en son sein une position centrale. De

par son rôle de premier plan dans la TPE (Marchesnay, 1991) et en l’absence d’un véritable

encadrement, il est en première ligne pour conduire le changement. Malgré sa présence

récente dans l’organisation et son inexpérience dans certains cas, nous avons décelé des

attentes fortes à son égard.

Pour la littérature, le leader est celui qui donne et qui doit donner du sens à une

situation de changement (Weick, 1993 ; Bartunek, Krim, Necochea et Humphries, 1999 ;

Barabel et Meier, 2010). Les résultats de notre étude vont dans ce sens. En effet, c’est

prioritairement à travers son comportement et ses actions que sera favorisée ou non la

reconstruction collective de sens. C’est lui qui est en charge d’animer le collectif, de l’intégrer

dans un projet, de développer puis maintenir un niveau d’interaction suffisant pour faciliter le

débat, la confrontation des interprétations, éléments de base au processus de création de sens.

Page 375: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

374

Nous avons également mis en évidence que le repreneur, nouveau leader de

l’organisation, en reconnaissant quelquefois, qu’il ne sait pas (ou pas encore), favorise

l’émergence d’un dialogue ouvert, sincère, associant confiance, fiabilité et estime de soi.

Beaucoup de salariés saluent cette démarche. Grâce à elle, ils ont l’impression que le dirigeant

« joue franc-jeu » et qu’il « n’a rien à cacher » (Salariée HPC). Ils ont le sentiment qu’ils

auront leur mot à dire ainsi qu’un rôle à assumer dans la vie du nouveau groupe. Ce résultat

confirme ce qui a été mis en évidence par Weick (1993) ou encore Laroche et Steyer (2012).

Si nos travaux mettent en lumière l’influence prépondérante du repreneur, ils

soulignent également l’effet considérable exercé par l’organisation elle-même sur le processus

de reconstruction collective de sens post-reprise. Nos résultats ont permis de découvrir que

l’entreprise présente différentes caractéristiques encourageant ou non la reconstruction

collective de sens de laquelle naîtra un nouveau système de rôles. De par ses dimensions

culturelles, stratégiques et structurelles, l’organisation, en pleine transformation, interfère bel

et bien sur la fabrication de sens individuelle et collective et, en corollaire, sur la construction

d’un système d’actions coordonnées. Nos analyses révèlent qu’elle influe grandement sur la

qualité de la communication et l’interaction entre ses membres et facilite (ou non) leurs

interprétations de l’événement (Daft et Weick, 1984) et leur engagement dans l’action. A

partir du modèle de Vandangeon-Derumez et Autissier (2006), nous avons fait ressortir 9

facteurs organisationnels influents : la perception de la mission de l’entreprise, la conception

du travail en équipe et du partage, l’importance accordée au dialogue interne et à l’écoute, la

clarté et la cohérence de la stratégie, l’information sur les ressources et moyens mis à

disposition, l’information sur les contributions et les gains attendus, la répartition des rôles et

des responsabilités, les liens hiérarchiques et la centralisation de la décision, l’utilisation

d’outils de gestion et de communication.

L’interprétation de nos résultats a également permis de relever l’influence exercée par

les facteurs contextuels. Dans la majorité des cas étudiés, l’environnement socio-économique,

le contexte interne et l’histoire de l’organisation et/ou du repreneur ont influencé le processus.

Pettigrew (1977, 1987) affirme que le changement ne peut-être analysé et véritablement

compris qu’à partir d’une lecture multidimensionnelle des événements. Selon l’auteur,

l’histoire, le contexte et les processus de l’entreprise interfèrent sur le déroulement du

changement. Nos résultats montrent, effectivement, que le déploiement du changement et la

manière dont il est interprété par les différents acteurs (salariés et repreneurs), sont fortement

Page 376: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

375

influencés par ces différentes dimensions. Dans la continuité des travaux de Pettigrew (1977),

cette recherche contribue à faire valoir que les réactions et comportements des individus face

à une situation nouvelle sont mieux appréhendés lorsque sont incorporés à l’analyse, à la fois,

les contextes internes (dimensions structurelles, culturelles et politiques) et les contextes

externes (environnement socioéconomique, technologique, concurrentiel et politique) de

l’organisation. Nous prolongeons l’analyse de Pettigrew (1977) en indiquant que l’histoire de

certains acteurs, dans notre cas les repreneurs, alors qu’ils sont jusque-là extérieurs à la vie du

groupe, influence également le déroulement du changement dans l’organisation.

Par ailleurs, nos résultats mettent en avant le caractère social et continu du processus

de création de sens. C’est ainsi qu’il est décrit par les théoriciens du sensemaking (Weick,

1979 ; Gioia et Chittipeddi, 1991). L’individu s’insère dans une « vie sociale » (Koenig,

2003), un courant d’événements en cours qui « ne s’interrompt jamais » (Rojot et Wacheux,

2006, p. 132) et auquel il ne peut s’extraire. Nous avons vu que tout ce qui entoure l’individu

influence sa perception des événements et son action. Lorsqu’il s’agit de redéfinir la situation

et de resituer son action, chaque membre de l’entreprise (salarié ou repreneur) puise

ardemment et continuellement dans sa propre histoire, dans l’environnement interne et

externe ainsi que dans l’histoire de l’organisation et des indices qui le guident.

De surcroît, focalisant notre attention sur le passage du niveau des interprétations

individuelles au registre des interprétations collectives, nous avons observé l’expression des

jeux de pouvoir (Crozier et Friedberg, 1977) entre acteurs et/ou groupes d’acteurs. Dans de

nombreuses TPE étudiées, dès lors que la situation a été perçue comme inhabituelle et

équivoque, et pour protéger leurs intérêts ainsi que leur position au sein de l’organisation, des

groupes ou individus influant ont cherché à transférer leurs propres valeurs et interprétations

au reste des acteurs, notamment au nouvel arrivant qui bénéficie du pouvoir de décision. Le

repreneur lui-même profite également de « l’occasion » pour faire accepter, à travers son

action et ses discours, sa propre perception des choses par les salariés présents dans

l’entreprise. De telles pratiques ont des répercussions immédiates sur le processus de

reconstruction collective de sens post-reprise. Nos travaux confirment les conclusions de

quelques travaux récents pour qui la construction de sens n’est pas un acte neutre mais, au

contraire, un processus très politisé (Helms Mills, 2003 ; Buchanan et Dawson, 2007) où

chaque acteur participe, à travers son discours, à la redistribution du pouvoir lui-même

(Zilber, 2007, p. 1037, cité par Brown, Colville et Pye, 2015).

Page 377: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

376

Reconnaître que la reconstruction collective de sens n’est pas un processus automatique,

qu’elle peut être favorisée ou non par de multiples facteurs individuels, organisationnels, et/ou

contextuels, sous-entend qu’elle peut et doit être pilotée. Dans le contexte des TPE étudiées,

nos résultats montrent que cette mission est dévolue en grande partie au repreneur. Ils

corroborent ainsi l’affirmation de Torrès (2007) sur le rôle prépondérant du dirigeant dans le

fonctionnement spécifique de la TPE. La TPE présente des particularités qui impactent la

manière dont le sens peut être créé. Si les membres de l’organisation agissent pour construire

du sens, tous attendent un éclaircissement de la part de ce personnage important, observent

ses actions et comportements afin de pouvoir prélever des indices supplémentaires sur leur

nouvel environnement. En tant que nouvel « homme fort » de l’entreprise, il se doit de donner

un sens à la situation, d’expliquer et faciliter le changement (Fiol et Huff, 1992 ; Kotter,

2003) en favorisant l’interaction entre individus. Il se doit également d’être à l’écoute des

significations et des suggestions qui lui sont fournies. La proximité hiérarchique (Torrès,

2007) ne lui offre que peu de marge de manœuvre. Dans la majorité des cas, il ne peut

s’appuyer, comme l’a montré Balogun (2003) dans des structures de taille plus importante,

sur la présence de managers intermédiaires pour jouer le rôle d’entremetteurs et d’interprètes

du changement (Havard et Ingham, 2014) et produire, traduire ou diffuser du sens pour son

propre compte. L’activité de reconstruction collective de sens repose alors en grande partie

sur son comportement et sur ce qu’il met en œuvre personnellement. Les échanges

intersubjectifs qu’il initie, favorise et maintient en personne tout au long de la période post-

reprise, créent du sens et, par-là, réinvente continuellement l’organisation.

2.1.3.) La qualité des échanges intersubjectifs salariés-repreneur comme condition à la réalisation d’un nouveau système d’actions organisées

Notre étude met aussi en lumière l’importance des échanges intersubjectifs dans la

constitution et le maintien d’un système d’actions coordonnées après l’arrivée du repreneur.

La littérature conditionne la création de sens à l’interaction. C’est elle qui « rend possible

l’échange de subjectivité qui permet de construire collectivement de nouvelles réponses, et

ainsi d’inventer l’organisation » (Vidaillet, 2003, p. 160). Koenig (1996) attire l’attention sur

le fait que l’élaboration de sens constitue avant tout une manifestation collective reposant sur

la participation coordonnée d’au moins deux personnes. C’est à partir de cycles de

comportements interreliés entre individus que se reconstruit progressivement et

collectivement le sens donné à la situation (Weick, 1979). Parce que la situation est équivoque

et remet en cause les schémas de pensées coutumiers, elle pousse l’individu à tenter de créer

Page 378: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

377

de l’ordre dans le désordre. L’analyse de nos entretiens le confirme. Face à l’équivocité

perçue suite à la RPP, les individus ont d’abord essayé individuellement de rendre leur

environnement intelligible, de rétrécir le champ des interprétations (Allard-Poesi, 2003). Pour

tous les cas examinés, des réflexions individuelles ont été entreprises mais, à chaque fois,

elles ont été jugées insuffisantes pour obtenir une représentation vraisemblable de la situation.

Pour combler ce déficit de significations, les membres de l’organisation ont tous cherché, à

travers des interactions avec leurs pairs, à donner du sens à la situation. L’objectif est de

parvenir à une intellection en partie partagée de la réalité.

Certains auteurs perçoivent la construction de sens comme un acte essentiellement

individuel (Dunbar, 1981 ; Goleman, 1985 cité par Ben Fredj Ben Alaya, 2007 ; Starbuck et

Milliken, 1988 ; Klein et al., 2006, cités par Maitlis et Christianson, 2014). Pour d’autres, elle

est à la fois individuelle et collective (Louis, 1980 ; Weick, 1995 ; Maitlis, 2005). Selon

Weick (1995), le processus de sensemaking s’enracine dans une tension dynamique mêlant

activité individuelle et activité collective. Nos résultats font apparaître une construction de

sens qui est une combinaison de ces deux types d’activité. A l’instar de Weick 279, ils nous

permettent d’affirmer que la construction de sens n’est jamais uniquement individuelle. La

présence des autres est indispensable au processus de reconstruction collective de sens post-

reprise. L’échange avec autrui enrichit le répertoire des interprétations, permet de relever des

indices manqués et de partager des modèles mentaux, des valeurs et des croyances. Il autorise

le débat, la confrontation d’idées, la stabilisation des interprétations propices à l’émergence

d’attentes compatibles. Il en résulte généralement une stabilisation des représentations que les

individus jugeront suffisantes ou plausibles pour pouvoir continuer à agir. Karsenty et

Quillaud (2011, p. 3) voient dans cette « capacité du collectif à confronter des points de vue

différents et à articuler des compréhensions partielles», une « condition » au sensemaking.

Parallèlement, nos résultats montrent que, lorsqu’il est permis, l’échange intersubjectif

enrichit considérablement l’information et modifie les schémas de pensées des différents

individus à travers une convergence de significations. Nous relevons que les cycles de

comportements interreliés ne sont pas systématiquement et suffisamment présents dans toutes

les organisations au cours de la période post-reprise. Au sein de deux TPE (cas MF et LPC),

les échanges intersubjectifs, notamment entre salariés et repreneurs, n’ont pas été suffisants en

nombre et/ou en qualité pour permettre un rapprochement des interprétations. Il en résulte une 279

Weick (1995, p. 40) écrit : « Sensemaking is never solitary because what a person does internally is

contingent on others.”

Page 379: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

378

compréhension très fragmentée de la réalité, de l’incertitude, et une situation inconfortable qui

perdure. Nous remarquons que ces deux structures connaissent une forte désorganisation de

leur activité avec le départ de la totalité du personnel pour l’entreprise MF, et de 8 salariés sur

10 pour l’entreprise LPC, quelques mois seulement après l’arrivée des repreneurs. Les deux

salariés restant au sein de l’entreprise LPC que nous avons pu interroger sont à ce sujet très

clairs : ils déplorent le manque d’échanges avec le repreneur et l’absence d’informations sur

le déroulement des opérations. De toute évidence, plusieurs mois après l’arrivée du repreneur,

les salariés demeurent encore et toujours dans l’expectative et n’arrivent pas à se projeter dans

un quelconque système d’actions organisées. Ils restent dans une indétermination

interprétative (Laroche et Steyer, 2012). Ils ne peuvent stabiliser leurs interprétations et

explications, ni entrevoir leurs intérêts personnels à participer à l’action.

Outre la quantité des échanges intersubjectifs, nos résultats montrent que c’est leur

qualité qui influence le processus de reconstruction collective de sens post-reprise.

L’approfondissement des entretiens met en avant plusieurs propriétés qui doivent être

associées à l’échange. Ce dernier doit être franc, sincère et cordial. De nombreux individus

interrogés insistent sur l’importance d’une conversation où toutes les intentions et ressentis

sont donnés, où « tout est mis sur la table », sans « langue de bois ». Si l’interaction est jugée

comme fondée sur des informations parcellaires ou tronquées, les individus limiteront

volontairement leurs efforts pour développer une relation constructive avec le repreneur et

hésiteront à s’engager dans l’action. L’équivocité demeurera élevée et la confiance ne sera pas

instaurée. Nous retrouvons là, les principes de l’interaction respectueuse évoquée par Weick

(1993) tout au long de ses travaux. Pour l’auteur, ce n’est qu’à partir d’une interaction de ce

type que se développe « une vie harmonieuse avec autrui » (Weick, 1993, p. 634) et que le

« moi » peut passer du « je au nous » (David, 2006, p. 263).

Par ailleurs, à travers les entreprises étudiées, nous avons mesuré l’importance des

interactions en face à face, de la délibération les « yeux dans les yeux » pour reconstruire

collectivement du sens. Nous observons que le système d’information interne simple et peu

formalisé caractérisant généralement la TPE (Julien, 1990) semble favorable à cette pratique.

Dans la majorité des entreprises examinées, l’oralité prédomine. Les informations circulent à

travers des conversations formelles et/ou informelles (le plus souvent) entre salariés et entre

salariés et repreneur. À condition qu’elle existe, la proximité physique des individus,

notamment entre dirigeant et salariés, apparaît propice aux échanges en face à face. La

Page 380: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

379

communication et l’échange de significations semblent avantagés lorsque les individus se

voient tous les jours et dans un espace de travail relativement restreint.

Au sein des TPE analysées, les informations et les tâches à effectuer sont souvent

transmises de manière simple, sans mise en scène, ni orchestration, et les problèmes

rencontrés exposés au fil de l’eau. Nos résultats font apparaître que la faible spécialisation des

employés et leur polyvalence sont favorables au développement, puis au maintien,

d’interactions permanentes. Poursuivre son action ou l’action d’un autre nécessite d’échanger,

de se concerter fréquemment. Nous notons néanmoins que si le système d’information interne

simple de la TPE, la proximité relationnelle ainsi que la faible spécialisation et la polyvalence

des employés semblent influencer positivement la dynamique d’échanges, d’autres traits

caractéristiques de ce type d’entreprises peuvent, à l’inverse, venir l’entraver. Ainsi, nous

avons pu noter qu’une gestion trop centralisée et personnalisée du repreneur, l’utilisation

d’outils de gestion et de communication peu fréquente (tableaux de bord financiers, outils de

gestion des ressources humaines et d’organisation du travail ; règles et procédures, réunions,

etc.), une stratégie informelle (Torrès, 2007) souvent conservée dans la tête du nouveau

dirigeant, laissent moins de place aux échanges, aux débats, à la confrontation des

significations et, in fine, à la reconstruction collective de sens. Dans ce cas précis et, à l’instar

de De Freyman (2009), nous pouvons dire que le fonctionnement spécifique de la petite

entreprise se mute en effet complexifiant lorsqu’il s’agit de reprendre une entreprise.

2.1.4.) La communication, un facteur central dans la réussite du management post-reprise

Nos résultats mettent en évidence l’importance de la communication interne dans le

déroulement du processus de reconstruction collective de sens post-reprise. C’est à travers

une communication simple, libre, franche et ouverte que les individus développent des

significations équivalentes pour se coordonner et s’engager dans l’action. Comme Weick

(1969, p. 28), nos conclusions positionnent l’activité de communication et l’échange

d’informations au cœur même du processus organisationnel. L’auteur fait valoir cette idée et

s’appuie, tout en les citant, sur les explications de Katz et Kahn (1966, pp. 223-224, traduit

par Giroux, 2006, p. 39) : « La communication, l’échange d’informations et la transmission

de signification, sont l’essence même du système social ou de l’organisation… la

transformation de l’énergie (l’accomplissement du travail) dépend de la communication entre

les personnes dans chacun des sous-systèmes de l’organisation et de la communication entre

ceux-ci ». L’auteur affirme également que « la communication est l’essence des organisations

Page 381: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

380

car elle produit les structures qui affecteront par la suite ce qui va être dit ou fait et par qui »

(Weick, 1987, p. 97). Pour Weick, Sutcliffe et Obstfeld (2005, p. 413), il s’agit là d’une

« composante centrale du sensemaking » ne devant en aucun cas être négligée.

Nous avons observé empiriquement que la communication avec autrui permet de

relever des indices, de tester des hypothèses et de valider ou infirmer des impressions.

Lorsqu’elle est insuffisante, les salariés et repreneurs ont du mal à interpréter le changement,

à se « projeter » dans une relation constructive avec autrui, à donner du sens aux événements.

Eprouvant des difficultés à véritablement comprendre les connexions (parmi les individus, les

lieux et les événements) afin d’anticiper leurs trajectoires et agir efficacement (Klein et al.,

2006, cités par Maitlis et Christianson, 2014), ils s’enferment dans des comportements

régressifs (Giordano, 2006), de résistance au changement (Collerette, Delisle et Perron, 1997),

ou décident purement et simplement de quitter l’entreprise. C’est précisément ce que nous

avons constaté pour les entreprises LPC et MF.

La littérature s’accorde sur le fait que le processus de construction de sens est avant

tout un processus de conversation et de narration formel et informel (Balogun et Johnson,

2005 ; Rouleau et Balogun, 2011) produit par des échanges verbaux et non-verbaux (Gioia et

Chittipeddi, 1991 ; Giroux, 2006), ayant lieu en face à face et/ou collectivement. Nous venons

de le voir, Weick place l’activité de communiquer à la base du processus de construction

sociale de la réalité. Adoptant une telle posture, il s’inscrit indéniablement dans une lecture

interprétative de la communication. D’après Giroux (1994), deux principaux courants de

pensée ont influencé la manière de définir la communication interne : la perspective

fonctionnaliste et la perspective interprétative. La première, plus ancienne, a produit deux

définitions : la communication productive et la communication intégratrice. La

communication productive s’appuie sur une vision rationaliste et mécaniste de l’organisation

et perçoit la communication comme un outil fonctionnel et symbolique (Giordano, 2006) de

production unidirectionnel, un « simple rouage » devant être soumis au contrôle et au calcul

économique. Elle est linéaire, descendante et limitée à des fins productives (Sfez, 1991, cité

par Giroux, 1994). La communication intégratrice cherche, quant à elle, à rassembler les

membres de l’organisation, à socialiser et intégrer les individus. Il s’agit d’un dialogue

permettant à chacun de se situer dans son environnement, de s’inscrire dans l’action

collective. Cette définition se situe « en accord » avec l’école des relations humaines qui

perçoit l’individu comme autre chose qu’un homo-économicus purement rationnel.

Page 382: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

381

Pour Giroux, le deuxième courant, plus récent, qualifié de « perspective

interprétative » est une approche subjectiviste « qui présente la société et l’organisation

comme des créations humaines, produites à travers des processus émergents» (1994, p. 7). La

communication collective et multidirectionnelle crée du sens : elle est une « transaction »

(Barnlund, 1971, cité par Giroux, 1994) par laquelle les individus « bâtissent leur relation et

leur identité, échangent de la valeur, construisent l’organisation ». La communication

devient « organisante » dans la mesure où elle devient le processus de production et de

reproduction de la collectivité organisationnelle.

Cette troisième et dernière définition de la communication est celle qui émerge de

notre étude. Nos résultats montrent que la communication construit un nouvel ensemble social

coordonné dans lequel chacun des acteurs inscrit son action, qu’il soit salarié ou repreneur. Le

processus de reconstruction collective de sens post-reprise ne s’enclenche que si une

communication collective, multidirectionnelle (Giroux, 1994), une conversation respectueuse

(Weick, 1995) où chacun peut s’exprimer librement et sans crainte, sont mises en place. Via

ce type de communication, chaque individu présente ses propres interprétations et projette

sereinement son identité dans l’environnement et observe, en retour, les conséquences. De

cette manière, chacun trouve sa place et ses repères dans la vie du groupe, puis mène à bien

ses actions en les coordonnant aux autres.

Par ailleurs, nos travaux font état de certaines conditions pouvant influencer

positivement ou négativement la mise en place d’une communication « organisante » au sein

de la TPE du secteur commercial. Ainsi, une centralisation trop importante de la gestion par le

repreneur, le peu de temps consacré à la discussion et aux réunions, des amplitudes horaires

très larges, où les individus « se croisent » plus qu’ils ne travaillent réellement ensemble, ou

encore la présence importante d’employés à temps partiel, restreignent les possibilités de

communication collective. A l’inverse, la proximité hiérarchique, l’esprit de famille, les

rituels festifs réguliers (célébrations d’anniversaires, « pots » pour les évènements familiaux :

naissances, baptêmes, repas de Noël, barbecues, etc.) facilitent l’échange conversationnel

multidirectionnel, la conversation ordinaire qui façonne la réalité sociale et forme finalement

l’organisation.

L’analyse de tous ces résultats nous a conduits à élaborer des propositions permettant

de répondre à nos questions de recherche.

Page 383: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

382

2.2.) Les recommandations managériales

Le travail d’analyse de nos données empiriques et les résultats qui sont apparus

progressivement permettent d’avancer différentes propositions, dans le but d’améliorer

l’édification d’un nouveau système d’actions organisées après l’arrivée d’un repreneur

externe au sein d’une petite entreprise saine. Nous avons vu que le changement de dirigeant

au sein d’une TPE engendre des turbulences au sein de l’organisation. Il s’agit d’un

changement organisationnel majeur en ce qu’il génère de nombreuses incompréhensions,

modifie les rapports entre individus, la répartition des rôles et des responsabilités et la

perception des identités. L’équivocité est à son comble au moment de l’entrée en fonction du

repreneur et il est fondamental de transformer la complexité perçue en un monde intelligible.

Le processus de reconstruction collective de sens post-reprise est celui qui structure

l’inconnu, donne un ordre compréhensible aux choses, puis situe son action et le poids de

celles-ci sur le cours des événements. La compréhension collective des interrelations entre les

tâches à réaliser permet l’émergence d’une vision partagée et la constitution d’une nouvelle

structure collective. Malgré l’impact du changement sur la vie du groupe, l’action coordonnée

redevient possible.

Nous pouvons donc formuler la proposition centrale suivante :

2.2.1.) Agir (mais pas tout seul) pour donner du sens au changement

L’entrée dans l’entreprise génère des doutes, des incompréhensions, des

interprétations divergentes, de nombreux questionnements que le repreneur « ne pourra pas

esquiver bien longtemps » (Rollin, 2006, p. 138). Un tel événement appelle un travail cognitif

d’attribution de significations qui ne peut être encouragé et dirigé que par le repreneur de

l’entreprise. En tant que nouveau leader, c’est à lui que revient de donner du sens au

changement, de s’impliquer dans la formation d’un processus dynamique d’interactions

interindividuelles, support d’un cadre interprétatif équifinal. Au départ, lui seul connaît les

projets qu’il formule pour l’organisation. Les salariés, bien conscients de cet état de fait, font

Proposition centrale 1 : Le processus de reconstruction collective de sens post-reprise réduit l’équivocité, favorise la compréhension situationnelle, l’émergence d’une vision partagée de la situation, l’engagement dans l’édification d’un nouveau système d’actions organisées et, par là, la réussite de la reprise.

Page 384: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

383

face à une asymétrie informationnelle qui leur est défavorable. Ils attendent donc des actions

de sa part pour tenter d’y voir plus clair et de s’inscrire de nouveau dans l’action. Les

interventions initiées par le repreneur sont indispensables dans la mesure où elles structurent

l’inconnu.

Durant la période de management post-reprise, la présentation du projet, la mise en

place de règles concrètes, l’action visible du repreneur fournissent des indices, un cadre de

compréhension, une grille de lecture sur ce qui est en train de se passer. Si l’action engagée

avec fermeté dans un tel climat d’incertitude engendre la compréhension (Rojot et Wacheux,

2006), elle produit en même temps, dans certains cas, de nouvelles incompréhensions, des

doutes, à partir desquels s’engageront de nouveaux cycles de dialogues, des confrontations

d’interprétation qui aboutiront, à terme, à une compréhension plus fine de la situation. On en

déduit qu’il est toujours préférable pour le repreneur d’adopter une posture active de leader

(Bass, 1985), solidement impliqué dans la transformation de l’organisation, plutôt qu’une

attitude passive de simple manager (Zaleznik, 1977 ; Petit, 2013), afin de favoriser

l’émergence d’une représentation partagée, corollaire d’une action organisée. L’action

déployée est un signal (Shannon et Weaver, 1967). Elle crée, dans tous les cas, des résultats

tangibles qui aident à découvrir ce qui se passe (Koenig, 2003). A ce stade du processus

repreneurial, même les petites actions deviennent signifiantes (Weick, 1995).

Le repreneur de TPE est un élément central du processus de reconstruction collective

de sens post-reprise. Son action s’inscrivant dans le cadre d’un changement équivoque, il se

doit d’expliquer la situation et d’apporter des réponses aux nombreuses interrogations

soulevées. Nos analyses ont montré qu’expliquer le changement ne suffit pas : il faut

également agir et l’animer continuellement. En encourageant l’interaction (par la mise en

place de réunions, de groupes de travail, etc.), en mettant en mouvement et en rendant

attentifs les salariés à ce qu’il advient (en leur présentant par exemple un diagnostic de la

situation), en restant ouvert aux questionnements de ces derniers et en y apportant des

réponses, il donne les moyens à tous de mieux appréhender la situation. De la même manière,

en prenant des décisions et en établissant une direction, en agissant concrètement sur le cours

des choses, via de petites améliorations ou des changements plus profonds, il facilite la

compréhension et l’action et fait partager aux salariés une nouvelle vision. Le repreneur

devient alors un donneur de sens, un sensegiver (Gioia et Chittipeddi, 1991) permettant à

l’organisation de se transformer progressivement en reconstruisant collectivement du sens. Il

Page 385: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

384

doit néanmoins prendre garde à ne pas centraliser toutes les décisions et actions pour laisser

aux autres membres de l’organisation une possibilité de s’engager à leur tour dans le

processus.

Nous avons relevé empiriquement (particulièrement à travers l’analyse du cas LPC)

qu’un repreneur trop présent, disposant de tout pouvoir, et ne prêtant pas d’attention aux

informations et recommandations des salariés, pouvait être un véritable frein à la

reconstruction collective de sens. Décidant et agissant seul, restreignant l’autonomie et la

prise d’initiative de ses subalternes, il limite l’interprétation et la dynamique d’échanges

intersubjectifs, éléments essentiels au processus de sensemaking. Empiétant sur les zones

d’influence des acteurs (Crozier et Friedberg, 1977), il déresponsabilise les individus, les

prive de la possibilité d’être acteurs du changement et de se contraindre à créer du sens. Nous

en déduisons que le repreneur doit, en tout état de cause, veiller à ne pas tomber dans le « sur-

management » sous peine d’être, tour à tour, un vecteur de création et de perte de sens.

L’humilité est de rigueur. Cela revient à admettre l’idée selon laquelle tout nouveau dirigeant

d’entreprise, même expérimenté, et même s’il s’agit d’une TPE, ne peut à lui seul faire le

changement. Il a besoin de la coopération des autres membres de l’organisation qui, certes, ne

possèdent pas autant de ressources que lui, d’une hégémonie aussi forte sur le cours des

choses, mais bénéficient malgré tout d’une certaine marge de manœuvre, d’une capacité à

agir, à communiquer et à construire du sens. Il est absolument nécessaire de considérer les

salariés comme de véritables acteurs du changement, et non comme de simples variables

d’ajustement. A travers les récits qu’ils partagent, les propositions qu’ils formulent, les débats

qu’ils provoquent, et même s’ils ne sont pas dotés du même pouvoir formel que le repreneur,

ils ont une influence significative sur le processus de sensemaking.

En agissant avec les autres, en offrant aux salariés de s’impliquer dans les actions en

cours, en les faisant participer aux débats puis aux prises de décisions, le repreneur exerce une

influence considérable sur le processus de reconstruction collective de sens post-reprise. Sous

son impulsion bienveillante, les individus sont invités à faire des propositions, trouver des

solutions innovantes ou, tout simplement, à agir. L’émulation ainsi générée et les actions qui

s’ensuivent contribuent à créer puis à maintenir une dynamique interactionnelle qui enrichit

considérablement les cadres interprétatifs et le sens donné à la situation.

Page 386: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

385

Tous ces résultats nous amènent à formuler la proposition suivante :

2.2.2.) Diffuser des informations claires et honnêtes pour faciliter l’interprétation et l’échange intersubjectif

L’interprétation des données issues du terrain révèle que l’arrivée d’un repreneur,

même lorsqu’elle est annoncée, crée une interruption dans les flux continus d’interactions

entre acteurs. L’ampleur du changement fait comprendre à chacun qu’il est temps de mettre à

jour sa perception de l’environnement, que les routines, les schémas d’actions habituels ayant

eu cours jusque-là ne sont plus nécessairement adaptés à la situation qui se renouvelle. Dans

un tel contexte où les interprétations et les contradictions pullulent, l’information fiable et

honnête constitue un matériau solide permettant la compréhension collective et une

explication plausible.

A ce stade crucial du processus repreneurial, des informations doivent être

rassemblées et enrichies de manière à aboutir à une certaine compréhension de la situation et à

réduire le nombre d’interprétations possibles (Garreau, 2006). Il s’agit, en premier lieu, pour

les dirigeants de l’entreprise (cédant et repreneur), d’expliquer la reprise, de donner des

informations claires sur les raisons qui les ont conduits à contracter. Lorsque des présentations

n’ont pas été faites avant l’entrée en fonction du repreneur, ce qui est le cas pour la majorité

des TPE étudiées, le discours du nouveau dirigeant lors d’une première réunion, puis les

échanges d’informations qui s’ensuivent, constituent une première occasion de clarifier un

peu plus la situation pour chacun des participants (y compris le repreneur). Certains

repreneurs n’ont pas jugé nécessaire de faire une réunion. Ils ont privilégié le contact direct,

en face à face, formel ou informel, avec leurs nouveaux interlocuteurs, pour à la fois expliquer

et comprendre l’organisation.

Qu’elles soient transmises via un support formel ou informel, individuellement ou

collectivement, les informations données par le repreneur ont un effet bénéfique auprès des

Proposition 2 : Le processus de reconstruction collective de sens post-reprise est favorisé lorsque le repreneur externe de TPE saine, nouveau leader de l’organisation, s’engage personnellement dans l’action, prend des décisions observables par l’ensemble de ses collaborateurs (définition ou redéfinition des rôles et des responsabilités, aménagement des horaires, nouvelle politique commerciale, etc.), en veillant néanmoins à éviter d’accaparer pour lui, tout seul, toutes les décisions et actions (sur-management).

Page 387: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

386

salariés. Ils arrivent à mieux se représenter le changement qu’ils sont en train de vivre. Le

fait de se retrouver face à un repreneur qui explique qui il est, ce qu’il veut faire, comment il

veut le faire et quelles sont les grandes lignes de son projet, les rassure. Les échanges, les

premières prises de position sont éclairantes et permettent à tous, y compris au repreneur, de

lever bon nombre d’ambiguïtés. Inversement, l’absence d’information, les non-dits dans un

contexte fortement équivoque amplifient les inquiétudes, les rumeurs, les incompréhensions.

Les échanges d’informations et d’interprétations initiées par le repreneur sont un

premier pas vers la création de nouvelles représentations qui seront collectivement partagées

par les membres de l’organisation. En assurant la fluidité et la richesse des échanges, puis le

partage d’expériences, notamment par le biais d’informations régulières, en donnant des

informations claires sur la stratégie qu’il entend poursuivre, le repreneur fournit un cadre où

tous les membres de l’organisation peuvent argumenter en utilisant de nouvelles données

émanant de plusieurs sources, afin de construire de nouveaux cadres impliquant des liens

entre des actions et des résultats. La nature des tâches à réaliser et leur rétribution deviennent

plus lisibles, les logiques de collaboration également, ce qui encourage l’action.

Nous formulons donc la proposition suivante :

Nous relevons également l’importance du dialogue libre et respectueux entre tous les

acteurs organisationnels pour échanger l’information et amener progressivement chacun d’eux

à faire part de ses observations, exprimer librement ses doutes et incompréhensions. En tant

que nouveau leader jouissant d’une position centrale dans le recueil et la convergence des

informations (Daft et Weick, 1984), le repreneur de TPE occupe un rôle pivot dans le

processus d’interprétation. En donnant la parole à tous et en écoutant respectueusement, en

laissant s’installer librement et durablement le débat, en formulant des propositions et en

observant les réactions qui en découlent, en encourageant les propositions de ses subalternes

et en les prenant en considération, il favorise l’émergence d’un climat favorable à

l’interaction, à la compréhension partagée des événements, à la modification progressive des

Proposition 3 : Des informations claires et honnêtes concernant la reprise de la TPE saine et ses motifs, ainsi que sur le repreneur externe et ses projets pour l’organisation, doivent être fournies aux salariés dès l’entrée en fonction du nouveau dirigeant afin de favoriser et d’enrichir les interprétations, de stabiliser les significations et encourager l’action.

Page 388: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

387

représentations individuelles et collectives et, in fine, à la constitution d’un nouveau système

d’actions organisées.

Tout ceci nous amène à formuler la proposition suivante :

2.2.3.) Un leadership « respectueux» de l’existant

« Il [le repreneur] ne peut pas arriver comme ça et décider de tout changer du

jour au lendemain. Ça, c’est un truc que j’ai pas compris. Ça ! Ça veut dire

quoi ? Qu’il pensait qu’on était des incapables, qu’on ne savait pas travailler,

que tout ce qu’on faisait avant c’était nul ? Non, non, on a trouvé que ça ne se

faisait pas !» (Salarié LPC).

Comme le laisse entendre l’aveu de ce salarié, il est indispensable pour tout repreneur

qui arrive dans une entreprise de tenir compte, dans l’élaboration puis dans la mise en œuvre

de ses actions, du poids de l’existant surtout lorsque la TPE est saine. Toute organisation

possède une histoire, une culture, un système de rôles spécifique et évolue dans un

environnement qui lui est propre. Il s’agit de points de repères dans lesquels chacun puise

vigoureusement pour composer sa réalité et engager son action. L’étude de cas multiples a

clairement montré l’influence considérable de tous ces facteurs contextuels sur le

comportement et les attitudes de chacun des sujets. Puissamment ancrés dans les

représentations individuelles et collectives ainsi que dans la dynamique des échanges

intersubjectifs, ils ne sauraient être modifiés, d’un coup d’un seul, par un individu, puisse-t-il

disposer d’une autorité et d’un pouvoir incontestable au sein de l’organisation.

Nous avons insisté sur la portée de l’action visible du repreneur, en tant que nouveau

leader, dans l’émergence puis le développement du processus de reconstruction collective de

sens post-reprise. Nous ajouterons également que mener des actions sans se référer aux

éléments contextuels (culture, système de rôles, stratégies poursuivies, environnement socio-

économique, dimension historique) risque d’être contre-productif. Cela est susceptible de

Proposition 4 : L’émergence d’un nouveau système d’actions organisées est favorisée lorsque la participation de tous est sollicitée et engagée, et que des échanges intersubjectifs respectueux fondés sur des informations claires et honnêtes, dans le cadre desquels chacun a le droit d’exprimer librement ses opinions (même divergentes), sont encouragés par le repreneur au sein de l’organisation.

Page 389: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

388

déstabiliser fortement l’organisation, d’occasionner des incompréhensions, des doutes

supplémentaires. L’équivocité, déjà forte à ce stade du processus repreneurial, s’en trouve

renforcée. Nous aboutissons donc à la conclusion selon laquelle le repreneur doit s’engager

visiblement dans l’action, certes, mais avec tact, parcimonie et faire preuve d’une grande

humilité et d’un respect de l’existant dans sa mise en œuvre.

Nous formulons donc la proposition suivante :

2.2.4.) Développer et entretenir une communication permanente

Au cours de notre étude empirique, la communication est apparue très vite comme un

élément déterminant dans les dynamiques d’échanges intersubjectifs, support même de la

reconstruction collective de sens post-reprise. Comme nous l’avons vu, la communication est

organisante. Elle permet de relever des indices, de tester des hypothèses et de valider ou

infirmer des impressions. A travers elle, les individus expriment leurs points de vue,

débattent, mettent à jour leurs schémas de pensée, puis développent progressivement des

significations équivalentes leur permettant de se coordonner et de s’engager dans l’action. Le

système d’actions organisées se précise à mesure que l’équivocité se réduit.

Nous avons également relevé les réelles difficultés pour de nombreuses TPE à

développer et maintenir un niveau de communication satisfaisant entre ses membres. Les

fortes amplitudes horaires, le manque de temps pour faire le travail, la présence importante de

travailleurs à temps partiel, sont autant d’entraves à la rencontre et à la discussion. Sans réelle

volonté managériale de développer et maintenir un flux communicationnel permanent entre

tous les membres de l’organisation, il est, dès lors, tout à fait possible de voir certains salariés

ne pas se rencontrer durant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, comme nous avons pu le

constater au sein de l’entreprise MF.

Compte tenu du poids de la communication dans le processus de reconstruction

collective de sens post-reprise et dans l’édification d’un nouveau système d’actions

Proposition 5 : En tant que nouveau leader, le repreneur d’une TPE saine doit prendre en compte, avec humilité et respect, le contexte culturel (valeurs), structurel (proximité) et stratégique (contrats), l’environnement économique et social, l’histoire de l’organisation ainsi que les jeux de pouvoirs entre acteurs, dans l’élaboration et la mise en place de ses actions.

Page 390: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

389

organisées, nous suggérons au repreneur d’instituer des moments de communications

réguliers au sein de l’organisation, dès sa prise de fonction. Ces derniers peuvent avoir lieu

n’importe où et sous n’importe quelle forme, en face à face et /ou en groupe, d’une manière

formelle ou non. Nous insisterons néanmoins sur l’importance des réunions collectives,

supports à l’interaction et moments de création collective de sens (Weick, 1995). Elles sont

d’autant plus indispensables lorsque les individus n’ont pas la possibilité de se rencontrer

fréquemment au sein de l’organisation.

Nous établissons la proposition suivante :

Proposition 6 : Des moments de communications réguliers formels et/ou informels, en face à face et/ou en groupe (réunions), doivent être mis en place et institués par le repreneur externe de TPE saine, dès sa prise de fonction, afin d’influencer positivement le processus de reconstruction collective de sens post-reprise.

Page 391: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

390

Conclusion section 2

L’objectif de cette deuxième section était de discuter des principaux résultats qui

ont progressivement émergé au cours de notre étude de cas multiples.

Nos travaux font apparaître la reprise d’une TPE saine par un repreneur externe

comme un changement organisationnel majeur, une perturbation importante dans la vie des

acteurs, qui génère de l’incertitude et de l’équivocité. Les individus qui y sont confrontés

éprouvent, pour la majorité d’entre eux, le besoin de se lancer dans un travail individuel et

collectif de redéfinition de la réalité. En confrontant leurs propres interprétations à celles

des autres, ils redéfinissent un ordre, reconstruisent collectivement du sens afin de disposer

d’une vision partagée sur les priorités et préférences, quant aux actions à entreprendre.

Notre recherche a mis en évidence un processus que nous avons dénommé

reconstruction collective de sens post-reprise. Ce phénomène est apparu très vite comme

étant non spontané à l’organisation. Il s’agit d’un processus volontaire ne pouvant

s’enclencher que par la détermination des acteurs et subissant différentes influences

individuelles, organisationnelles et contextuelles, susceptibles de le favoriser et de

l’orienter. Nos analyses révèlent que l’objectif de constituer un nouveau système d’actions

organisées dans lequel chaque acteur se situe, ne peut être rempli que par la mise en place

d’échanges intersubjectifs respectueux entre le repreneur et ses salariés. Elles mettent

également en relief un facteur essentiel à la mise en œuvre et à la réussite du processus : il

s’agit de la communication interne. Lorsqu’elle est franche et honnête entre tous les

acteurs, elle devient organisante. Nous avons suggéré qu’il appartenait au repreneur de

TPE, en tant que nouveau leader, de favoriser son essor et son maintien dès son entrée en

fonction.

Pour finir, nous avons formulé des recommandations à destination des repreneurs

externes de TPE saines afin de faciliter l’émergence et le maintien du processus de

reconstruction collective de sens.

Page 392: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

391

Conclusion chapitre 2

En nous appuyant sur le processus de reconstruction collective de sens post-

reprise décrit dans le premier chapitre, nous avons mis en exergue différents facteurs et

éléments qui influencent ce processus. Nous les avons regroupés en trois grandes

familles : les facteurs individuels, les facteurs organisationnels et les éléments

contextuels. Une modélisation élaborée à partir du modèle E.S.R. mis au point par Karl

Weick et reprenant tous les éléments du processus et ses facteurs d’influence, a ensuite

été proposée.

L’échange intersubjectif basé sur le respect entre acteurs ainsi que la

communication franche et honnête entre les salariés et le repreneur, sont apparus comme

des facteurs centraux dans le développement et le maintien du processus. L’action

volontaire de tous les acteurs et, en particulier, celle du repreneur sont indispensables, car

c’est de là qu’émergera le sens donné à la situation.

Page 393: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

392

Conclusion partie 2

La deuxième partie de notre travail était destinée à apporter des réponses aux

questionnements qui ont émergé au cours de notre recherche.

A partir d’un travail de terrain basé sur 10 études de cas menées auprès de TPE

saines récemment reprises par des repreneurs externes, nous avons relevé un processus

que nous avons appelé processus de reconstruction collective de sens post-reprise.

Nous avons observé ce processus, ses propriétés et mécanismes, pour la majorité des

entreprises étudiées. Influencé par différents facteurs individuels, organisationnels et

contextuels, ce processus est suivi, plus ou moins consciemment, pour réduire

l’équivocité et l’inconfort dans lequel se trouvent les différents acteurs et pour

stabiliser les représentations, afin d’agir de manière coordonnée.

Créer du sens est apparu comme une action fondamentale. Elle permet de

mettre à jour les compréhensions individuelles et, pour les différents acteurs

participants au processus, de situer leurs nouveaux rôles face au changement et de

rester dans l’action. Les résistances au changement, principal obstacle à la réussite de

la reprise (Deschamps et Paturel, 2009), deviennent moins nombreuses (Gioia et

Chittipeddi, 1991) et la probabilité de réussite du management post-reprise, plus

importante.

La communication franche et honnête ainsi que le développement d’échanges

intersubjectifs fondés sur le respect entre acteurs, sont apparus comme indispensables à

l’émergence et au maintien d’une dynamique continuelle de création de sens.

A l’issue de ce travail, nous avons formulé des recommandations à destination

des repreneurs externes de TPE saines et de leurs accompagnants afin de favoriser la

mise en route, puis le maintien du processus, d’établir un système d’actions organisées

dans lequel chaque acteur, ancien ou nouveau dans l’organisation, prend pleinement la

place qui lui revient.

Page 394: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

393

Conclusion générale

Page 395: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

394

Conclusion générale

e travail de recherche, mené dans un cadre épistémologique interprétativiste et

en recourant à une méthode qualitative avait pour objectif principal la

compréhension de la période d’entrée du repreneur au sein d’une TPE.

L’insuffisance des travaux académiques conjuguée à la rareté des travaux empiriques sur la

RPP de TPE, plus particulièrement concernant la période du management post-reprise, nous

ont conduit à explorer le phénomène. Nous revenons dans le premier point sur la logique de

construction de notre recherche avant d’évoquer ses principaux apports théoriques,

méthodologiques et pratiques, puis ses limites. Nous terminerons ce travail par la présentation

des perspectives de recherches futures.

C.1.) Logique de construction de la recherche

Différentes options ont été prises pour mener à bien cette recherche.

Ø L’édification d’un cadre théorique cohérent avec notre objet de recherche

Notre revue de littérature conjuguée aux entretiens menés auprès de salariés et

repreneurs de TPE nous ont orienté vers les travaux portant sur le changement

organisationnel, puis vers les théories du sensemaking (Weick, 1979). Ce cadre théorique

nous est apparu particulièrement approprié pour expliquer les réactions et les comportements

des individus face à un événement déstabilisant. En complément à cette approche, nous avons

mobilisé les théories du leadership pour mieux comprendre quel pouvait être le rôle du

repreneur dans l’apparition et le maintien d’une action organisée.

Ø Une méthodologie adaptée au problème posé

Cette recherche s’appuie sur une méthodologie qualitative guidée par une logique

abductive. Nous avons mené une étude de cas multiples auprès de dix TPE saines de la région

Auvergne-Rhône-Alpes reprises par un repreneur personne physique externe. En déployant

une telle méthodologie, nous souhaitions appréhender un phénomène complexe, en

l’occurrence, la reconstruction collective de sens post-reprise, dans son environnement naturel

C

Page 396: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

395

et mettre en relief des régularités. Des entretiens semi-directifs conduits en face à face auprès

de repreneurs et de salariés ont permis de nous approcher au plus près des interprétations des

acteurs. La triangulation des données visait à limiter le plus possible les biais interprétatifs (y

compris les nôtres) et à améliorer notre compréhension des phénomènes en jeu durant la

période post-reprise.

Ø L’émergence d’une synthèse opérationnelle pour comprendre l’entrée en fonction du

repreneur et d’un nouveau système d’actions organisées.

Le recours à différentes approches théoriques, particulièrement aux travaux sur le

sensemaking, nous a permis de mieux comprendre le processus d’entrée du repreneur et les

phénomènes s’y produisant. Les résultats de notre recherche montrent que l’arrivée dans une

structure de petite taille génère effectivement de l’équivocité auprès de l’ensemble des

acteurs. L’engagement dans un processus de reconstruction collective de sens permet

d’obtenir une interprétation partiellement partagée de l’événement et de poursuivre l’action

collective. Nous relevons également le rôle important, dans la mise en œuvre et le maintien du

processus, de chacun des acteurs. Les comportements et actions des salariés et du repreneur

influent sur le processus, même si ce dernier dispose d’un poids plus important quant à son

déroulement. En outre, les résultats de notre recherche relèvent neuf facteurs organisationnels

et quatre facteurs contextuels ayant un impact direct sur le processus.

C.2.) Les apports et aspects de la recherche

Nous pensons que les apports et aspects de cette recherche se situent à trois niveaux :

théorique, méthodologique et managérial. Nous les présentons dans les points suivants.

C 2.1.) Les apports théoriques

Cette recherche s’inscrit dans la lignée des travaux initiés par Deschamps (2000) sur le

processus repreneurial et poursuivis par Boussaguet (2005), Bah (2006) et De Freyman

(2009). Son principal intérêt théorique réside dans l’apport d’une lecture inédite de l’entrée en

fonction du repreneur, dernière étape du processus repreneurial et phénomène encore peu

étudiée.

Page 397: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

396

Nos apports théoriques se présentent en deux points qui suivent les caractéristiques

d’une contribution théorique telle qu’elle est fixée par Corley et Gioia (2011) :

L’originalité : nous avons opté pour une perspective interactionniste afin

d’appréhender les interprétations, les comportements et l’évolution des relations entre

individus consécutivement au changement. Les théories du sensemaking, approche

psychosociale peu utilisée en sciences de gestion et en entrepreneuriat, n’ont jamais, à notre

connaissance, été mobilisées pour expliquer les problématiques essentiellement humaines

auxquelles doivent faire face les salariés et le repreneur durant cette période trouble de la vie

d’une organisation. À travers l’utilisation de ce cadre théorique, nous offrons une autre

perspective des dynamiques sociocognitives à l‘œuvre dans les groupes, suite à un événement

aussi déstabilisant que l’arrivée d’un nouveau dirigeant.

L’utilité : à partir des théories du sensemaking, nous avons suggéré une définition d’un

concept clé de notre travail : la reconstruction collective de sens post-reprise. Nous avons, à

travers lui, proposé une nouvelle manière de comprendre les phénomènes humains et les

relations qui s’établissent entre acteurs, particulièrement entre salariés et repreneurs, afin de

donner naissance à l’action organisée. A partir de ce concept, nous avons développé une

modélisation du processus et des facteurs qui l’influencent. Ces derniers peuvent être à la fois

individuels, organisationnels et contextuels.

C 2.2.) Les aspects méthodologiques

Nous avons recensé deux principaux apports méthodologiques pour cette recherche.

Le premier apport méthodologique réside dans la construction d’outils d’analyse

qualitative répondant aux objectifs de notre recherche. L’ensemble de nos données empiriques

récoltées a été traité principalement à l’aide d’instruments mis au point par Miles et

Huberman (2003). Nous avons eu d’abord recours à des diagrammes contextuels afin de

dépeindre les relations entre acteurs organisationnels au sein de chaque TPE (histoire de leurs

relations, événements marquants, nature de la relation, etc.). Nous avons ensuite élaboré des

matrices (rôles/chronologie, effets), les mêmes pour chaque cas étudié afin de faciliter les

comparaisons inter-cas. L’élaboration de grilles d’analyse à partir du modèle de construction

de sens en situation de changement développé par Vandangeon-Derumez et Autissier (2006)

est venue compléter et renforcer notre dispositif d’analyse.

Page 398: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

397

Le deuxième apport concerne le déploiement d’une approche multi-acteurs. Nous

avons choisi d’accéder directement aux interprétations des acteurs via des entretiens semi-

directifs menés en face à face. Nous avons multiplié les sources de données en interrogeant

les deux catégories d’acteurs internes concernés par la reprise (les salariés et les repreneurs)

en vue d’enrichir l’analyse. Certains acteurs ont été auditionnés à plusieurs reprises à des

dates différentes, ce qui nous a permis de vérifier et/ou d’infirmer leurs propos. La

triangulation des données nous a permis de limiter l’influence des biais interprétatifs, qu’ils

proviennent des acteurs ou de notre propre posture d’observateur, et d’améliorer la richesse et

la crédibilité des résultats de la recherche.

La méthodologie que nous avons déployée nous a donné la possibilité d’occuper une

position d’observateur privilégié du terrain, ce qui a facilité l’identification puis l’énonciation

de préconisations managériales. Celles-ci sont présentées dans le point suivant.

C.2.3.) Les contributions managériales

Dans une perspective d’un accroissement notable du nombre de reprises de TPE dans

les prochaines années et du risque d’échec relativement élevé de ce type d’opération, il nous

est apparu tout à fait approprié d’en comprendre les mécanismes. Les repreneurs qui ont

bénéficié jusqu’à la concrétisation de la vente des conseils avisés de leurs accompagnants, se

retrouvent souvent seuls et démunis au moment de leur entrée en fonction dans l’entreprise. A

travers notre démarche, nous souhaitons leur fournir des conseils et des outils leur permettant

de conduire le changement de manière à rétablir une action organisée. Nous tentons de

répondre ainsi à un des objectifs de la recherche en sciences de gestion qui consiste à produire

des connaissances opératoires, utiles et pertinentes pour l’action (Allard-Poesi et Maréchal,

2014).

Ø Offrir aux futurs repreneurs une perception de ce qui se passe après la signature :

Notre travail permet de sensibiliser les repreneurs quant à l’impact du changement

provoqué par la reprise d’une petite entité sur la vie des individus et sur leurs relations entre

eux. L’arrivée du repreneur au sein d’une petite structure constitue, en effet, un changement

organisationnel majeur et provoque un état de confusion qu’il est nécessaire de prendre en

considération dans la conduite des premiers échanges et dans la mise en place des premières

actions.

Page 399: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

398

Ø Expliciter les rôles et actions favorisant la mise en place de l’action coordonnée :

Sur le plan pratique, nous mettons également en évidence l’importance de chacun des

acteurs, même en position subalterne, dans la mise en place de l’action coordonnée. Nous

insistons sur la qualité des échanges intersubjectifs comme condition à un engagement

individuel puis collectif dans l’action. Il ressort de notre travail qu’un repreneur, à lui tout

seul, ne peut « faire le changement », mais qu’il occupe une position inégalée au sein de la

structure nécessitant qu’il adopte une conduite et une démarche favorisant le déploiement et le

maintien d’un système d’actions organisées. En soulignant l’intérêt d’épouser des attitudes et

des comportements propices à un échange harmonieux tels que l’honnêteté, la sincérité, la

confiance, l’écoute, l’humilité, le respect de l’existant, l’ouverture d’esprit… et de mettre en

place des actions telles que la présentation du projet, la mise en place de règles concrètes, la

communication régulière, le choix d’un dialogue ouvert, la prise d’une position personnelle

visible, nous pensons fournir aux repreneurs des connaissances susceptibles de les aider dans

une meilleure gestion de leur prise de fonction.

Ø Identifier les facteurs ayant une influence sur la gestion de la période de management

post-reprise :

Le repreneur d’une TPE saine arrive dans un ensemble organisé déjà constitué avec

des caractéristiques qu’il est nécessaire de prendre en compte dans la gestion du

changement. Chaque organisation possède une histoire, une culture, un système de rôles

spécifique et évolue dans un environnement qui lui est propre. Il s’agit de points de repères

puissamment établis dans lesquels chacun puise insatiablement pour composer sa réalité,

puis engager son action. En identifiant huit facteurs individuels, neuf facteurs

organisationnels et quatre facteurs contextuels ayant une influence sur le processus de

reconstruction collective de sens post-reprise, corollaire d’une action organisée, puis en

formulant six propositions, nous pensons donner aux repreneurs des éléments de réponse

pour mieux comprendre comment la vie organisationnelle se déploie (Weick, 1979), mieux

assimiler les dynamiques d’influence dans la construction collective du sens et ainsi mieux

réussir le changement. Les facteurs d’influence ainsi que les propositions sont rappelées

dans le tableau suivant.

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399

Tableau 18 – Synthèse des facteurs d’influence et propositions

Facteurs d’influence Individuels Organisationnels Contextuels

Cédant - La fourniture d’informations au repreneur. - La fourniture d’indices aux salariés.

Culture - Perception de la mission de l’entreprise. - Conception du travail en équipe et du partage. - Importance accordée au dialogue interne et à l’écoute.

- Environnement socio-économique.

- Jeux de pouvoir.

- Histoire de l’entreprise.

- Histoire du repreneur.

Salariés - L’engagement dans un effort d’interaction. - L’apport d’informations concernant la situation de l’entreprise. - La proposition d’améliorations.

Stratégie - Clarté et cohérence de la stratégie. - Information sur les ressources et moyens mis à disposition. - Information sur les contributions et gains attendus.

Repreneurs - L’animation du collectif. - L’instauration et le maintien d’une communication franche et honnête. - L’implication des salariés dans le projet.

Structure - Répartition des rôles et des responsabilités. - Liens hiérarchiques et centralisation de la décision. - Utilisation d’outils de gestion et de communication.

Propositions

P1 Le processus de reconstruction collective de sens post-reprise réduit l’équivocité, favorise la compréhension situationnelle, l’émergence d’une vision partagée de la situation, l’engagement dans l’édification d’un nouveau système d’actions organisées et, par là, la réussite de la reprise.

P 2 Le processus de reconstruction collective de sens post-reprise est favorisé lorsque le repreneur externe de TPE saine, nouveau leader de l’organisation, s’engage personnellement dans l’action, prend des décisions observables par l’ensemble de ses collaborateurs (définition ou redéfinition des rôles et des responsabilités, aménagement des horaires, nouvelle politique commerciale, etc.), en veillant néanmoins à éviter d’accaparer pour lui, tout seul, toutes les décisions et actions (sur-management).

P 3 Des informations claires et honnêtes concernant la reprise de la TPE saine et ses motifs, ainsi que sur le repreneur externe et ses projets pour l’organisation, doivent être fournies aux salariés dès l’entrée en fonction du nouveau dirigeant afin de favoriser et d’enrichir les interprétations, de stabiliser les significations et encourager l’action.

P 4 L’émergence d’un nouveau système d’actions organisées est favorisée lorsque la participation de tous est sollicitée et engagée, et que des échanges intersubjectifs respectueux fondés sur des informations claires et honnêtes, dans le cadre desquels chacun a le droit d’exprimer librement ses opinions (même divergentes), sont encouragés par le repreneur au sein de l’organisation.

P 5 En tant que nouveau leader, le repreneur d’une TPE saine doit prendre en compte, avec humilité et respect, le contexte culturel (valeurs), structurel (proximité) et stratégique (contrats), l’environnement économique et social, l’histoire de l’organisation ainsi que les jeux de pouvoirs entre acteurs, dans l’élaboration et la mise en place de ses actions.

P 6 Des moments de communications réguliers formels et/ou informels, en face à face et/ou en groupe (réunions), doivent être mis en place et institués par le repreneur externe de TPE saine, dès sa prise de fonction, afin d’influencer positivement le processus de reconstruction collective de sens post-reprise.

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400

Malgré les différents apports théoriques, méthodologiques et managériaux de ce travail,

nous allons voir dans le point suivant qu’il présente néanmoins un certain nombre de limites.

C.3.) Les limites de la recherche

Cette recherche comporte un certain nombre de limites. La plupart relève de la

méthodologie déployée pour répondre à nos questionnements.

Ø Une démarche qualitative difficilement transposable à d’autres contextes :

Si l’analyse qualitative, exercice intellectuel pour faire émerger du sens (Paillé et

Mucchielli, 2003), présente un intérêt certain pour comprendre en profondeur un phénomène

complexe encore peu étudié, elle pose néanmoins un véritable problème de scientificité. Le

processus de reconstruction collective de sens post-reprise et ses facteurs d’influence ont été

mis en évidence dans un contexte donné (le management post-reprise d’une TPE

appartenant au secteur du commerce au sein de la région Auvergne-Rhône-Alpes). La

généralisation des résultats à d’autres contextes semble inenvisageable.

Ø L’existence de biais cognitifs :

L’utilisation d’entretiens semi-directifs comme source principale de collecte de

données expose à un certain nombre de biais liés à l’interprétation, à la mémoire ou au

comportement des répondants. Notre recherche se heurte, en effet, à différents biais que

nous reprenons succinctement.

(1) Un biais d’anxiété : les répondants essaient de donner des réponses qui leur

donnent l’image d’individus compétents, cohérents et équilibrés.

(2) Un biais de mémoire : les personnes interrogées répondent en fonction des

éléments dont elles se souviennent.

(3) Un biais de contamination : les individus interrogés apprennent par d’autres

individus l’objet de la recherche, ce qui peut fausser les résultats. Concernant ce dernier

biais, nous avons conscience, par exemple, que le fait d’avoir été introduit par le repreneur

qui joue ici le rôle de « parrain » (Baumard et al., 2014) auprès des salariés pour solliciter

leur participation ait pu induire un biais d’interprétation et influencer leurs réponses. Ces

derniers pouvant faire l’amalgame entre les motivations du repreneur et les nôtres.

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401

Ø La constitution de la population d’étude :

Une troisième limite à notre travail concerne le choix de la population étudiée. Etant

donné notre accès difficile au terrain, lié en grande partie à l’opacité du marché et à

l’impossibilité d’obtenir un fichier recensant les opérations de reprise, le choix des entreprises

n’est pas issu d’un mode scientifique de sélection d’échantillon. Nous devons la composition

de notre population à l’intervention de tiers informateurs (conseils, banquiers, représentants

patronaux, chambres consulaires) ou encore à notre propre réseau professionnel. Ce mode

opératoire explique également la taille limitée de 10 cas de reprise, mais qui semble

néanmoins suffisante compte tenu du caractère exploratoire de notre recherche.

Nos résultats doivent également être évalués au regard du choix et du faible nombre de

personnes interrogées (27 au total et 31 entretiens réalisés). Si l’accès aux repreneurs fut

relativement compliqué, la rencontre avec les salariés l’était tout autant. Elle n’a pu être

négociée qu’une fois le terrain investigué. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous avons

été contraint d’arrêter notre collaboration avec une TPE, suite au refus du repreneur que nous

poursuivions notre enquête auprès de son personnel. Nous avons conscience des possibles

biais provoqués par la méthode utilisée pour sélectionner les personnes interrogées et pour

définir le nombre d’entretiens devant être menés avec les salariés. Le choix de ces deux

variables n’ayant pu être défini a priori. Nous avons néanmoins pu vérifier l’atteinte de la

saturation thématique dans le cadre de notre analyse.

Plus globalement, une limite que nous pouvons formuler tient dans la totale liberté du

chercheur dans la sélection des faits (Wacheux, 1996) et dans son « improbable » impartialité

dans le cadre d’une recherche qualitative. Nous avons conscience que notre culture, notre

expérience professionnelle, notre formation influent sur notre interprétation des événements et

des discours qui nous ont été tenus. Au cours des entretiens, nous avons pu être amené à

relancer un peu plus sur certains points et un peu moins sur d’autres. Ces agissements influent

certainement, au moins en partie, les réponses qui sont données par les repreneurs et salariés

interrogés.

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402

C.4.) Les perspectives de recherches futures

Au terme de cette recherche, plusieurs perspectives de recherche sont envisageables.

Ø Eprouver notre modèle en l’appliquant à un nombre plus important de TPE reprises :

Notre recherche qualitative, centrée sur l’analyse de 10 cas de reprises, a mis en

évidence un processus de reconstruction collective de sens post-reprise qui pourrait être testé

sur une population d’étude de plus grande taille ayant satisfait à des principes scientifiques de

sélection. De cette manière, les propositions que nous avons formulées pourraient être

confirmées ou invalidées.

Ø Réaliser une recherche longitudinale :

Comme nous l’avons révélé, le processus de reconstruction collective de sens post-

reprise est un processus long et continu. Nous pensons qu’étudier le phénomène avec une

approche longitudinale portant sur un nombre de cas limité nous permettrait d’améliorer

significativement la compréhension du processus. De cette façon, nous observerons avec

davantage de justesse les dynamiques interactionnelles et sociocognitives, les modifications

comportementales ainsi que les différentes phases émotionnelles vécues par les acteurs du

processus.

Ø Expérimenter le modèle à d’autres contextes :

Nous pensons qu’il serait judicieux d’élargir l’étude de la constitution d’un nouveau

système d’actions coordonnées aux deux autres types de reprises, à savoir la reprise familiale

et la reprise par des salariés (RES) pour observer si le phénomène se produit et, dans

l’affirmative, la manière dont il se déroule. Il serait également intéressant d’étendre l’étude à

des entreprises de plus grande taille comme les PME et, pourquoi pas, les grandes entreprises.

Dans ce cas précis, nous pourrions observer quel pourrait être le rôle et l’influence des

managers intermédiaires sur le processus. De la même façon, étudier la transférabilité des

résultats à d’autres secteurs d’activité ou encore à des entreprises dans des situations

financières différentes (en difficultés, avec des germes de difficultés), semblerait tout à fait

pertinent.

Dans cette conclusion, nous avons mis l’accent sur les principaux apports, les limites

ainsi que les perspectives de recherche pouvant être envisagées à l’avenir. Cette recherche

s’attache à comprendre un phénomène humain et social qui, par nature, est complexe. C’est

pourquoi elle ne peut prétendre à répondre à toutes les interrogations concernant la prise de

Page 404: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

403

fonction du dirigeant et tous les aspects psychosociaux et/ou émotionnels s’y rapportant.

Entreprendre un tel projet semblerait de toute manière utopique pour un chercheur isolé et sur

une courte période. Nous pensons néanmoins que le concept de reconstruction collective de

sens post-reprise, dans la mesure où il procure un angle de vue inédit sur la manière dont se

déroule l’entrée en fonction du repreneur, requiert d’être davantage exploré. Il s’agit d’une

piste de recherche parmi tant d’autres susceptibles d’apporter aux futurs repreneurs, des

moyens supplémentaires pour augmenter leur chance de réussite dans leur projet

entrepreneurial.

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Page 436: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

435

Tableaux et figures

Page 437: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

436

Table des tableaux

Tableau 1 - Les critères européens de définition des entreprises (recommandation 2003/361/CE)…………………………………………………………………………….… 40

Tableau 2 - Les TPE françaises en chiffres…………………………………………….….. 42

Tableau 3 - Les TPE en fonction du secteur d’activité.…………………………………… 42

Tableau 4 - Ventilation des entreprises par classe de taille dans les pays de l’OCDE……. 44

Tableau 5 - La petitesse des entreprises conçue comme un mix de proximité…………….. 47

Tableau 6 - Tableau des chiffres de la transmission d’entreprises en France

de 1997 à 2006……………………………………………………..…………….……….. 62

Tableau 7 - Répartition des transmissions de TPE-PME selon le type de repreneur……..... 87

Tableau 8 - Notre positionnement parmi les différents types de transmission……………... 91

Tableau 9 - Les causes multiples de la résistance au changement……………………...… 115

Tableau 10 - Typologie des changements………………………………………………...... 128

Tableau 11 - Les principales théories du changement………………………………….….. 137

Tableau 12 - Manager vs leader……………………………………………………………. 184

Tableau 13 - Le manager : un donneur de sens…………………………………………… 206

Tableau 14 - Les positions épistémologiques des paradigmes positiviste, interprétativiste et constructiviste………………………………………………….…………….................... 228

Tableau 15 - Présentation synthétique de la population d’entreprises sélectionnées….….... 247

Tableau 16 - Synthèse des entretiens réalisés………………………………………………. 254

Tableau 17 - Facteurs organisationnels influençant le processus de reconstruction collective de sens post-reprise au sein d’une TPE…………………………………………. 353

Tableau 18 – Synthèse des facteurs d’influence et propositions…………………………... 399

Page 438: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

437

Table des figures

Figure 1 - Modes de raisonnement et connaissance scientifique…………………………… 22

Figure 2 - La relation entre la théorie et les observations empiriques………………………. 23

Figure 3 - Évolution historique de la recherche en PME…………………………………… 36

Figure 4 - Le réseau organisationnel imbriqué dans un environnement…………………… 52

Figure 5 - La loi proxémique…………………………………………………….………….. 54

Figure 6 - Le phénomène de paroi…………………………………………………………… 54

Figure 7 - La dialogique individu / création de valeur………………………………………. 80

Figure 8 - le modèle des 3 E………………………………………………………………… 81

Figure 9 - Grille de positionnement des pratiques de l’entrepreneuriat……………….…… 85

Figure 10- La représentation succincte du processus repreneurial………………………….. 98

Figure 11 - Processus de décision de reprendre…………………………………………….. 99

Figure 12 - Synthèse du processus repreneurial…………………………………………….. 104

Figure 13 - La dynamique du changement dans une opération de reprise par un particulier…………………………………………………………………………………… 106

Figure 14- Le cube du changement………………………………………………………… 126

Figure 15 - La matrice des changements………………………………………………….... 129

Figure 16 - Le schéma de l’analyse contextualiste…………………………………………. 142

Figure 17 - Le processus d’entrée dans l’entreprise à la lumière de la théorie ponctuationniste…………………………………………………………………………….. 144

Figure 18 - Dynamique du processus de construction de sens……………………………… 159

Figure 19 - Le modèle E-S-R………………………………………………………………. 160

Figure 20 - Structure d’équivalence mutuelle…………………………………………….... 165

Figure 21 - L’oscillation entre attention portée aux cadres et attention portée aux significations……………………………………………………………………………….. 170

Figure 22 - Le processus d’engagement vers l’action…………………………………….... 175

Figure 23 - Une modélisation du sensemaking en situation de changement………………. 177

Figure 24 - Composantes de l’analyse des données : modèle de flux……………………... 258

Figure 25 - Codage de premier niveau sur le logiciel NVivo-10©………………………… 263

Page 439: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

438

Figure 26 - La reconstruction collective de sens post-reprise au sein d’une TPE saine à travers le modèle E-S-R (Weick, 1979)…………………………………………..……… 288

Figure 27 - Grille d’analyse du management de la reprise (Salariés HPC)………………... 322

Figure 28 - L’influence contextuelle sur le processus de reconstruction collective de sens post-reprise au sein d’une TPE..…………………………………………………………… 365

Figure 29 - Le processus de reconstruction collective de sens post-reprise au sein d’une TPE saine et les facteurs d’influence……………………………………………..……………... 367

Page 440: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

439

ANNEXES

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440

Liste des annexes

Annexe 1 - Lettre de demande de mise en relation avec des repreneurs………………...... 441

Annexe 2 - Lettre envoyée aux repreneurs…………………………………………….….. 442

Annexe 3 - Guide d’entretien (repreneur)…………………………………………….….. 443

Annexe 4 - Guide d’entretien (salariés)…………………………………………….…….. 444

Annexe 5 - Démarche d’élaboration du guide d’entretien (repreneur)……………..…….. 445

Annexe 6 - Extrait de la grille thématique…………………………………………..…..... 447

Annexe 7 - Diagramme contextuel (cas HPC)…………………………………….……... 448

Annexe 8 - Matrice rôles/chronologie (cas PP)…………………………………….…….. 449

Annexe 9 - Matrice des effets (cas ICV)………………………………………….…….... 450

Page 442: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

Annexe 1 - Lettre de demande de mise

Courrier adressé à différents pspécialisées en transmission ETIENNE/MONTBRISON et ROANNE.

Laboratoire de recherche ICI MOUHLI Karim Chercheur en sciences de gestion4 rue des Cigales 42390 VILLARS Tél : 06-24-******* Mail : [email protected]

Objet : participation à une recherche universitaire.

Madame, Monsieur,

Membre du laboratoire de recherche ICI de l’Université de Bretagne actuellement une thèse de Doctorat ayant pour thème la reprise par des personnes physiques de très petites entreprises dans le secteusalariés).

Le but de cette recherche est d’exavec l’entreprise et de déterminer les facteurs de réussite et d’échec d’une telle opération. Des premiers éléments laissent à penser que cette étape est très importante pour le devenir de l’entreprise.

Etant donné le nombre élevé de transmissionsles prochaines années, il est important donner aux futurs repreneurs des outils leur permettant de mie

Afin de mener à bien ce travail, je souhaiteraiêtre mis en relation avec des repreneurs de TPE récemment installés ou en courd’installation. La présente recentretien d’environ une heure afin de répondre à une liste de questions portant sur leur vécu à la tête de l’entreprise.

Il est entendu que toutes les conversations seront confidentielles comme le prévoit la Charte Nationale des Thèses.

Souhaitant sincèrement votre collaboration, je vous prie de croire en l’expressionsentiments respectueux.

441

re de demande de mise en relation avec des repreneurs

professionnels de la transmission (experts-comptables, agences d’entreprises) et aux présidents de la CCI de LYON, de St

ETIENNE/MONTBRISON et ROANNE.

en sciences de gestion

Villars le 20 Mar

ion à une recherche universitaire.

du laboratoire de recherche ICI de l’Université de Bretagne Occidentale, je prépare e de Doctorat ayant pour thème la reprise par des personnes physiques

petites entreprises dans le secteur tertiaire en région Rhône-Alpes (TPE de moins de

Le but de cette recherche est d’explorer l’entrée dans l’entreprise d’un repreneur sans lien l’entreprise et de déterminer les facteurs de réussite et d’échec d’une telle opération. Des iers éléments laissent à penser que cette étape est très importante pour le devenir de

re élevé de transmissions d’entreprises et sa progression années, il est important pour préserver la vitalité de notre tissu économique

preneurs des outils leur permettant de mieux réussir cette étape.

n de mener à bien ce travail, je souhaiterais bénéficier de votre concours notamment pour en relation avec des repreneurs de TPE récemment installés ou en cour

recherche nécessite simplement de la part des repreneurs un viron une heure afin de répondre à une liste de questions portant sur leur vécu à

Il est entendu que toutes les conversations seront confidentielles comme le prévoit la Charte

cèrement votre collaboration, je vous prie de croire en l’expression

Karim MOUHLI

comptables, agences la CCI de LYON, de St

Villars le 20 Mars 2015

Occidentale, je prépare e de Doctorat ayant pour thème la reprise par des personnes physiques

Alpes (TPE de moins de10

d’un repreneur sans lien l’entreprise et de déterminer les facteurs de réussite et d’échec d’une telle opération. Des iers éléments laissent à penser que cette étape est très importante pour le devenir de

gression annoncée dans préserver la vitalité de notre tissu économique de

ux réussir cette étape.

bénéficier de votre concours notamment pour en relation avec des repreneurs de TPE récemment installés ou en cours

part des repreneurs un viron une heure afin de répondre à une liste de questions portant sur leur vécu à

Il est entendu que toutes les conversations seront confidentielles comme le prévoit la Charte

cèrement votre collaboration, je vous prie de croire en l’expression de mes

im MOUHLI

Page 443: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

Annexe 2 – Lettre envoyée aux repreneurs

Courrier adressé aux repreneurs

Laboratoire de recherche ICI

MOUHLI Karim Chercheur en sciences de gestion4 rue des Cigales 42390 VILLARS Tél : 06-24-****** Mail : [email protected]

Objet : participation à une recherche universitaire.

Madame, Monsieur,

Membre du laboratoire de recherche ICI de l’Université de Bretagne Occidentale, je prépare actuellement une thèse de Doctorat ayant pour thème la reprise par des personnes physiques de très petites entreprises dans le

Le but de cette recherche est d’explorer l’entrée dans l’entravec l’entreprise et de déterminer les facteurs de réussite et d’échec d’une telle opération. Des premiers éléments laissent à penser que cette étape est très importante pour le devenir de l’entreprise.

Etant donné le nombre élevé de transmissionles prochaines années, il est important donner aux futurs repreneurs des outils leur permettant de mieux réussir cette étape.

Afin de mener à bien ce travail, jeune heure. Celui-ci s’articulera autour de questions relatives à votre vécu durant cette période.

Il est entendu que toutes les conversations seront confidentielles comme le prévoit la Charte Nationale des Thèses.

Je me permettrai de vous rappeler

Souhaitant sincèrement votre collaboration, je vous prie de croire en l’expressiosentiments respectueux.

442

voyée aux repreneurs

reneurs

en sciences de gestion

Villars le …

ion à une recherche universitaire.

du laboratoire de recherche ICI de l’Université de Bretagne Occidentale, je prépare e de Doctorat ayant pour thème la reprise par des personnes physiques

dans le secteur tertiaire (TPE de moins de 10 salariés).

Le but de cette recherche est d’explorer l’entrée dans l’entreprise d’un repreneur sans lien l’entreprise et de déterminer les facteurs de réussite et d’échec d’une telle opération. Des iers éléments laissent à penser que cette étape est très importante pour le devenir de

le nombre élevé de transmission d’entreprises et sa progression années, il est important pour préserver la vitalité de notre tissu économique

preneurs des outils leur permettant de mieux réussir cette étape.

n de mener à bien ce travail, je souhaiterais vous rencontrer pour un entretien d’environ rticulera autour de questions relatives à votre vécu durant cette période.

Il est entendu que toutes les conversations seront confidentielles comme le prévoit la Charte

mettrai de vous rappeler dans les prochains jours.

cèrement votre collaboration, je vous prie de croire en l’expressio

Karim MOUHLI

le …

du laboratoire de recherche ICI de l’Université de Bretagne Occidentale, je prépare e de Doctorat ayant pour thème la reprise par des personnes physiques

ns de 10 salariés).

d’un repreneur sans lien l’entreprise et de déterminer les facteurs de réussite et d’échec d’une telle opération. Des iers éléments laissent à penser que cette étape est très importante pour le devenir de

progression annoncée dans préserver la vitalité de notre tissu économique de

preneurs des outils leur permettant de mieux réussir cette étape.

vous rencontrer pour un entretien d’environ rticulera autour de questions relatives à votre vécu durant cette période.

Il est entendu que toutes les conversations seront confidentielles comme le prévoit la Charte

cèrement votre collaboration, je vous prie de croire en l’expression de mes

im MOUHLI

Page 444: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

443

Annexe 3 – Guide d’entretien (repreneur)

Présentation de l’entreprise : Nom de l’entreprise, statut juridique, date de création et de reprise, activités, chiffre d’affaires, effectif avant et après reprise, situation financière de l’entreprise, situation sociale, nombre de reprises ayant déjà eu lieu.

Présentation du repreneur : Nom, âge, formation, expérience de la reprise, expérience professionnelle, lien avec l’entreprise, raisons du rachat.

1. Pouvez-vous nous décrire votre arrivée dans l’entreprise. Comment l’avez-vous vécue ?

2. A votre avis, comment a-t-elle été vécue par les salariés ? 3. Quelles questions vous ont été posées ? Quelles réponses avez-vous données ? 4. Quels ont été les premiers contacts avec vos salariés ? Comment se sont-ils déroulés ? 5. Les communications avec les salariés ont-elles été faciles ? Si non, pourquoi ? 6. Comment vos relations avec les salariés ont-elles évolué au cours du temps ? 7. Avez-vous constaté des modifications dans les relations entre salariés ? Vous en a-t-on

fait part ? Avez-vous eu affaire à des accrochages ou des conflits ? 8. Avez-vous constaté des réactions particulières de la part des salariés après votre

arrivée dans l’entreprise ? Si oui, pour quelles raisons ? 9. Quelles ont été vos premières grandes actions/décisions dans l’entreprise ? A partir de

quand les avez-vous mis en œuvre ? Quelles ont été les réactions des salariés ? 10. Les salariés vous ont-ils confié des différences avec l’ancien dirigeant ? Si oui, sur

quoi portaient-elles ? 11. Avez-vous procédé à des changements dans l’entreprise ? Si oui, lesquels ? A votre

avis, qu’en ont pensé les salariés ? 12. Ont-ils adhéré facilement à votre projet, votre vision ? Quels moyens avez-vous mis

en œuvre pour cela ? 13. Avez-vous sollicité l’aide des salariés pour mettre en place votre projet ? 14. Sont-ils venus vous faire des suggestions, si oui, les avez-vous pris en compte ? 15. A votre tour, vous êtes-vous adapté à la situation existante ? Pourquoi ? 16. Vous ont-ils proposé de l’aide ? Comment ? L’avez-vous accepté ? 17. Se sont-ils engagés rapidement à vos côtés ? A votre avis, pourquoi ? 18. D’après vous, comment un repreneur peut-il développer son leadership auprès des

salariés de l’entreprise ? Quelles actions peut-il mettre en place pour emporter leur adhésion au projet ?

19. A votre avis, à partir de quel moment vous a-t-on considéré comme le véritable dirigeant de l’entreprise ? Y a-t-il eu un événement marquant à ce moment-là ?

20. Pensez-vous avoir réussi votre entrée en fonction dans l’entreprise ? Pourquoi ? Comment avez-vous fait pour cela?

21. Pensez-vous que l’entreprise fonctionne aussi bien, si ce n’est mieux, qu’avant votre arrivée ? Y règne-t-il un bon climat social ? A votre avis pourquoi ?

22. Avec du recul, modifieriez-vous quelque chose à votre façon d’agir durant cette période ?

Page 445: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

444

Annexe 4 – Guide d’entretien (salariés)

Présentation du salarié : Nom, âge, formation, années de présence dans l’entreprise, poste occupé.

1. Pouvez-vous nous décrire l’arrivée dans l’entreprise du repreneur. Comment l’avez-vous vécue ? Et vos collègues salariés ?

2. A votre avis, comment a-t-elle été vécue par le repreneur ? 3. Quelles questions vous êtes-vous posées ? Quelles réponses vous a-t-on donné ? 4. Quels ont été les premiers contacts avec le repreneur ? Comment se sont-ils déroulés ? 5. Les communications avec le repreneur ont-elles été faciles ? Si non, pourquoi ? 6. Comment vos relations avec le repreneur ont-elles évolué au cours du temps ? 7. Avez-vous constaté des modifications dans les relations entre salariés ? Vous en a-t-on

fait part ? Avez-vous eu affaire à des accrochages ou à des conflits ? 8. Avez-vous constaté des réactions particulières de la part de vos collègues

salariés après l’arrivée du repreneur dans l’entreprise ? Si oui, pour quelles raisons ? 9. Quelles ont été ses premières grandes actions/décisions dans l’entreprise ? A partir de

quand les a-t-il mis en œuvre ? Quelles ont été les réactions des salariés ? 10. Observez-vous des différences avec l’ancien dirigeant ? Si oui, sur quoi portent-elles ? 11. Le repreneur a-t-il procédé à des changements dans l’entreprise ? Si oui, lesquels ?

Qu’en pensez-vous ? 12. Avez-vous adhéré facilement au projet du repreneur, à sa vision ? Quels moyens a-t-il

mis en œuvre pour cela? 13. A-t-il sollicité l’aide des salariés pour mettre en place son projet ? 14. Avez-vous fait des suggestions, si oui, les a-t-il pris en compte ? 15. Le repreneur s’est-il adapté à la situation existante ? Pourquoi ? 16. Lui avez-vous proposé de l’aide ? Comment ? L’a-t-il accepté ? 17. Vous êtes-vous engagés rapidement à ses côtés ? Pourquoi ? 18. D’après vous, comment un repreneur peut-il développer son leadership auprès des

salariés de l’entreprise ? Quelles actions peut-il mettre en place pour emporter leur adhésion au projet?

19. A votre avis, à partir de quel moment avez-vous considéré le repreneur comme le véritable dirigeant de l’entreprise ? Y a-t-il eu un événement marquant à ce moment-là ?

20. Pensez-vous qu’il ait réussi son entrée en fonction dans l’entreprise ? Pourquoi ? 21. Pensez-vous que l’entreprise fonctionne aussi bien, si ce n’est mieux, qu’avant son

arrivée ? Y règne-t-il un bon climat social ? A votre avis pourquoi ? 22. Avec du recul, modifieriez-vous quelque chose à votre façon d’agir ou à celle du

repreneur durant cette période ?

Page 446: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

445

Annexe 5 - Démarche d’élaboration du guide d’entretien (repreneur)

Objectifs Sous-objectifs Informations à réunir pour atteindre les sous-

objectifs

Questions formulées pour obtenir les informations désirées

Influence du contexte de l’entreprise et de la situation du repreneur sur le management post-reprise

Cerner l’importance de la dimension contextuelle et historique sur la reprise

Situation de l’entreprise au moment de son rachat (financière, sociale) Profil du repreneur (état civil, formation, expérience professionnelle, expérience de la reprise)

Présentation de l’entreprise : Nom de l’entreprise, statut juridique, date de création et de reprise, activités, chiffre d’affaires, effectif avant et après reprise, situation financière de l’entreprise, climat social, nombre de reprises ayant déjà eu lieu, faits historiques marquants. Présentation du repreneur : Nom, âge, formation, expérience de la reprise, expérience professionnelle, lien avec l’entreprise, raisons du rachat.

Retracer le déroulement de l’entrée en fonction à partir de l’interprétation du repreneur

Identification des impacts du changement sur la vie des individus Apprécier l’évolution des échanges communicationnels Comprendre l’incidence sur le tissu relationnel

Emotions ressenties- Réactions et état d’esprit des salariés et son évolution au cours du management post-reprise Caractéristiques des échanges et évolution Modifications dans les relations entre individus Comportements adoptés par les différents acteurs

1. Pouvez-vous nous décrire votre arrivée dans l’entreprise. Comment l’avez-vous vécue ? 2. A votre avis, comment a-t-elle été vécue par les salariés ? 3. Quelles questions vous ont été posées ? Quelles réponses avez-vous données ? 4. Quels ont été les premiers contacts avec vos salariés ? Comment se sont-ils déroulés ? 5. Les communications avec les salariés ont-elles été faciles ? Si non, pourquoi ?

6. Comment vos relations avec les salariés ont-elles évoluées au cours du temps ? 7. Avez-vous constaté des modifications dans les relations entre salariés ? Vous en a-t-on fait part ? Avez-vous eu affaire à des accrochages ou des conflits ? 8. Avez-vous constaté des réactions particulières de la part des salariés après votre arrivée dans l’entreprise ? Si oui, pour quelles raisons ?

Comprendre la gestion du changement par

Cerner les comportements et actions des différents

Perception de l’action du repreneur par les salariés

9. Quelles ont été vos premières grandes actions/décisions dans l’entreprise ? A partir de quand les avez-vous mis en œuvre ? Quelles ont été les réactions des salariés ?

Page 447: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

446

le repreneur acteurs suite aux actions initiées par le repreneur Repérer la perception du rôle des salariés par le repreneur Découvrir le rôle des interactions dans la constitution de l’action organisée

Contenu des changements opérés et réactions Mise en œuvre du projet et explications Déroulement des interactions Facteurs d’engagement dans l’action

10. Les salariés vous ont-ils confié des différences avec l’ancien dirigeant ? Si oui, sur quoi portaient-elles ?

11. Avez-vous procédé à des changements dans l’entreprise ? Si oui, lesquels ? A votre avis, qu’en ont pensé les salariés ? 12. Ont-ils adhéré facilement à votre projet, votre vision ? Quels moyens avez-vous mis en œuvre pour cela? 13. Avez-vous sollicité l’aide des salariés pour mettre en place votre projet ?

14. Sont-ils venus vous faire des suggestions, si oui, les avez-vous pris en compte ? 15. A votre tour, vous êtes-vous adapté à la situation existante ? Pourquoi ?

16. Vous ont-ils proposé de l’aide ? Comment ? L’avez-vous accepté ? 17. Se sont-ils engagés rapidement à vos côtés ? A votre avis, pourquoi ?

Situer les déterminants de l’action organisée

Identification des conditions de mise en activation de l’action coordonnée Evaluation a posteriori de la réussite de l’entrée en fonction

Relation entre leadership et émergence de la structure collective Management du repreneur et son évolution La constitution d’un nouveau système d’actions organisées

18. D’après vous, comment un repreneur peut-il développer son leadership auprès des salariés de l’entreprise ? Quelles actions peut-il mettre en place pour emporter leur adhésion au projet ? 19. A votre avis, à partir de quel moment vous a-t-on considéré comme le véritable dirigeant de l’entreprise ? Y a t-il eu un événement marquant à ce moment-là ? 20. Pensez-vous avoir réussi votre entrée en fonction dans l’entreprise ? Pourquoi ? Comment avez-vous fait pour cela ?

21. Pensez-vous que l’entreprise fonctionne aussi bien si ce n’est mieux qu’avant votre arrivée ? Y règne-t-il un bon climat social ? A votre avis pourquoi ? 22. Avec du recul, modifieriez-vous quelque chose à votre façon d’agir durant cette période ?

Page 448: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

447

Annexe 6 – Extrait de la grille thématique

Thématique N°1 - Comportement des acteurs

Sous-thème N°1.1.- Comportement du repreneur

1.1.1.- Ecoute/ Dialogue 1.1.2.- Disponibilité 1.1.3.- Respect / humilité 1.1.4.- Exemplarité 1.1.5.- Implication

Sous-thème N°1.2.- Comportement des salariés

1.2.1.- Apport d’informations ou d’idées 1.2.2.- Effort d’interaction 1.2.3.- Implication

Thématique N°2 – Communications interpersonnelles

Sous-thème N°2.1.- Présentation du repreneur et de son projet

2.1.1.- Prise de contact 2.1.2.- Premiers échanges salariés-repreneurs

Sous-thème N°2.2.- Outils de la communication dans l’organisation

2.2.1. - Réunions 2.2.2.- Entretiens individuels formels 2.2.3.- Echanges informels

Sous-thème N°2.3.- Propriétés de la communication

2.3.1.- Simplicité/Clarté 2.3.2.- Franchise/ honnêteté 2.3.3.- Circulation de l’information (ascendante et descendante).

Thématique N°3 – Eléments contextuels

Sous-thème N°3.1.- Environnement socio-économique

3.1.1.- Concurrence - Secteur d’activité 3.1.2.- Contexte d’exercice/ implantation

Sous-thème N°3.2.- Dimension historique

3.2.1.- Histoire de l’organisation 3.2.2.- Histoire individuelle

Sous-thème N°3.3.- Climat social

3.3.1.- Relations entre individus 3.3.2.- Jeux de pouvoirs entre acteurs

Page 449: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

Annexe 7 – Diagramme contextuel (cas HPC)

448

Page 450: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

Annexe 8 – Matrice rôles/chrono

449

chronologie (cas PP)

Page 451: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

Annexe 9 – Matrice des effets (cas ICV

450

ice des effets (cas ICV)

Page 452: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

451

Table des matières

Page 453: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

452

Remerciements

Plan sommaire

Introduction générale……………………………………………………………………… 7

I.1.) Le contexte général de la recherche………………………………………………… 11

I.2.) La construction de l’objet de la recherche…………………………………………... 13

I.2.1.) L’entrée en fonction du repreneur de TPE: émergence d’une thématique

de recherche…………………………………………………………………………. 14

I.2.2.) Questions et intérêts de la recherche…………………………………………. 17

I.3.) Le design de la recherche…………………………………………………………... 20

I.3.1.) Le positionnement épistémologique…………………………………………. 20

I.3.2.) Les choix méthodologiques………………………………………………….. 22

I.3.3.) L’architecture de la recherche……………………………………………….. 24

Partie 1 - Le cadre conceptuel de la reprise de TPE saines…………………………….. 27

Chapitre 1 - La reprise d’une TPE : caractéristiques et particularités………………... 30

Section 1- La TPE : des spécificités impactant la reprise………………………………….. 31

1.1.) Mieux définir la TPE pour mieux la comprendre………………………………….. 32

1.1.1.) Un intérêt grandissant pour la Petite Entreprise…………………………….. 32

1.1.2.) La TPE : une Moyenne Entreprise plus petite ?............................................. 37

1.1.3.) Une première approche quantitative………………………………………… 38

1.1.4.) D’une approche quantitative à une approche qualitative……………….…… 41

1.2.) Des spécificités à l’origine d’une transmission-reprise complexe……………….… 47

1.2.1.) Le rôle central du dirigeant………………………………………………….. 48

1.2.1.1.) Dirigeant et entreprise, une relation faite d’interdépendance……..……… 49

1.2.1.2.) La relation spécifique du dirigeant de TPE à son environnement………… 51

1.2.1.2.1.) L’importance du réseau relationnel…………….……………….. 51

1.2.1.2.2.) Un mode de raisonnement marqué par la proximité……………. 53

1.2.2.) L’effet de grossissement et son impact sur la transmission-reprise………… 54

1.2.2.1.) L’effet de nombre………………………………………………… 55

1.2.2.2.) L’effet de proportion……………………………………………… 55

1.2.2.3.) L’effet de microcosme……………………………………………. 56

1.2.2.4.) L’effet d’égotrophie………………………………………………. 57

Conclusion Section 1………………………………………………………………………. 58

Section 2 - Un processus entrepreneurial protéiforme et contingent à forts enjeux………. 59

2.1.) La reprise d’entreprise : situation actuelle………………………………………... 60

Page 454: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

453

2.1.1.) Etat des lieux de la transmission-reprise en France………………….…….. 61 2.1.2.) Des enjeux économiques et sociaux unanimement reconnus……….……... 64

2.1.2.1.) Une première prise de conscience au niveau européen……….…..… 65

2.1.2.2.) En France : une action tardive des pouvoirs publics largement orientée sur la « transmission-continuité » effectuée par la famille ou les salariés……………....... 68

2.1.2.3.) Une action relayée en région Auvergne-Rhône-Alpes……………... 70

2.1.3.) La reprise d’entreprise au sein du champ de l’entrepreneuriat…………….. 73

2.1.3.1.) Les paradigmes de l’entrepreneuriat……………………………….... 74

Ø L’approche par les traits individuels………………………………. 75 Ø L’approche par les faits……………………………………….…… 75 Ø L’approche par l’impulsion d’une organisation…………………… 76 Ø L’approche par les opportunités…………………………………… 76 Ø L’approche par les processus…………………………………….... 77 Ø L’approche par l’innovation……………………………………….. 78 Ø L’approche par la création de valeur nouvelle ou par l’obtention

de valeur nouvelle ou existante……………………………………. 78 Ø Un paradigme supplémentaire : le paradigme de projet…….……... 81

2.1.3.2.) Pour une lecture multiparadigmatique de l’acte…………………….. 82

2.1.4.) Les différentes modalités de la transmission………………………………. 86

2.1.4.1.) La transmission familiale……………………………………………. 87

2.1.4.2.) La transmission à un (ou des) salarié(s) de l’entreprise (RES ou reprise de l’entreprise par les salariés) 89

2.1.4.3.) La transmission à un repreneur personne physique externe (RPP)…. 90

2.1.4.3.1.) Des repreneurs externes de TPE très hétérogènes……………. 92

2.1.4.3.2.) Les caractéristiques de la TPE………………………………… 93

Ø La reprise externe de TPE saines……………………………...... 94 Ø La reprise externe de TPE avec des germes de difficultés……… 94 Ø La reprise externe de TPE avec des difficultés avérées………… 95

2.2.) Le processus repreneurial pour une personne physique externe………………….. 96

2.2.1.) Les trois grandes étapes de la reprise……………………………………….. 98

2.2.1.1.) L’étape relative à la décision d’entreprendre du repreneur…………. 98

2.2.1.2.) L’étape de la reprise…………………………………………………. 99

2.2.1.2.1.) A la recherche de « L’ » entreprise…………………………… 100

2.2.1.2.2.) L’analyse approfondie………………………………………… 100

2.2.1.2.3.) La négociation et la signature…………………………………. 101

2.2.1.3.) L’étape de l’entrée dans l’entreprise………………………………… 102

2.2.1.3.1.) La période de transition……………………………………….. 102

Page 455: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

454

2.2.1.3.2.) Le management de la reprise………………………………….. 103

2.2.2.) Le management de la reprise : une étape capitale dans la réussite du projet……………………………………………………………………………… 104

2.2.2.1.) Une étape importante pour le repreneur……………………………. 105

2.2.2.2.) Une période de fragilité pour l’organisation……………………….. 106

2.2.3.) Les enjeux liés au changement de dirigeant………………………………. 107

2.2.3.1.) Les difficultés liées à l’appropriation des relations à l’environnement................................................................................................ 108

2.2.3.2.) Les difficultés internes à l’organisation……………………………. 109

2.2.3.2.1.) Un bouleversement organisationnel………………………… 110

2.2.3.2.2.) Le poids du facteur humain…………………………………. 111

Conclusion section 2……………………………………………………………………... 117

Conclusion chapitre 1……………………………………………………………………. 119

Chapitre 2 - Le rôle du repreneur en contexte de changement organisationnel…… 121

Section 1 - Le management de la reprise ou la conduite d’un changement organisationnel majeur…………………………………………………………………............................. 122

1.1.) Le changement : typologies et modèles de gestion……………………………... 123

1.1.1.) Les principaux types de changements organisationnels………………….. 123

1.1.1.1.) Un changement incrémental ou radical……………………………. 124

1.1.1.2.) Microchangement et macrochangement…………………………… 125

1.1.1.3.) Un changement prescrit ou construit………………………………. 126

1.1.2.) La RPP d’une TPE saine : un changement organisationnel majeur et spécifique………………………………………………………………………… 130

1.1.2.1.) Le rôle central du repreneur et la gestion du changement…………. 131

1.1.2.2.) Proxémie, phénomène de paroi et gestion du changement………… 132

1.1.2.3.) L’effet de grossissement comme variable explicative du changement………………………………………………………………………. 133

1.1.3.) De la notion de gestion du changement à la notion de capacité de changement : l’évolution des modèles de gestion du changement………………. 135

1.1.3.1.) Une première approche : le changement en tant que modèle d’organisation et de croissance……………………………………………… 138

1.1.3.2.) Le changement comme adaptation des organisations aux pressions de l’environnement……………………………………………………………... 139

1.1.3.2.1.) L’approche stratégique du changement……………………... 140

1.1.3.2.2.) L’analyse contextualiste du changement……………………. 141

1.1.3.2.3.) La conception ponctuationniste……………………………... 143

1.1.3.3.) Le changement : un processus dynamique et permanent………….. 145

Page 456: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

455

1.1.3.3.1.) L’approche interprétativiste…………………………………. 146

1.1.3.3.2.) Les théories de l’apprentissage………………………………. 148

1.1.3.4.) Une évolution paradigmatique : le changement vu sous l’angle de la capacité à changer…………………………………………………………… 149

1.2.) L’approche par le sensemaking : un cadre théorique interprétatif adapté à la compréhension du management de la reprise………………………………………...... 152

1.2.1.) Présentation de l’approche……………………………………………….... 153

1.2.1.1.) Le processus de sensemaking ……………………………….…...… 155

1.2.1.1.1.) Ses propriétés……………….………………………………... 155

1.2.1.1.2.) Le modèle E-S-R.…………………………………………..… 159

1.2.1.1.2.1.) Enactment……………………………………………... 160

1.2.1.1.2.2.) Selection…………………………………………….…. 162

1.2.1.1.2.3.) Retention…………………………………………….… 162

1.2.1.2.) D’une situation de changement à la constitution et au maintien d’un système d’actions organisées…………………………………………… 163

1.2.1.2.1.) Surprise, nouveauté et équivocité……………………………. 164

1.2.1.2.2.) Construction collective de sens et maintien d’un système d’actions organisées……………………………………………………... 165

1.2.1.2.3.) La résilience des organisations à favoriser…………………... 166

1.2.1.2.3.1.) Les quatre facteurs pour une organisation résiliente….. 167

1.2.1.2.3.2.) L’influence du processus de structuration…………….. 169

1.2.2.) La RPP d’une TPE vue comme un changement écologique.……………... 170

1.2.2.1.) Les apports du sensemaking à notre recherche…………………. 170

1.2.2.1.1.) Des explications aux effets du changement de dirigeant sur l’organisation…………………………………………………………….. 171

1.2.2.1.1.1.) Une situation nouvelle et fortement équivoque……….. 171

1.2.2.1.1.2.) Un impact sur le processus de structuration…………… 172

1.2.2.1.2.) Une compréhension du fonctionnement spécifique des TPE lors du changement de dirigeant…………………………………………. 173

1.2.2.2.) L’arrivée d’un nouveau dirigeant : un « changement écologique » propice à la (re)construction de sens…………………………………..……… 174

1.2.2.3.) Une modélisation de la construction du sens en situation de changement…………………………………………………………………… 175

1.2.3.) L’approche par le sensemaking : la nécessité de surmonter certaines limites……………………………………………………………………………… 178

1.2.3.1.) Les dimensions contextuelles et historiques largement sous-estimées……………………………………………………………………….. 178

1.2.3.2.) Les émotions sous-estimées……………....………………………….. 180

Page 457: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

456

1.2.3.3.) Le rôle du leadership à mieux définir dans une situation de changement…………………………………………………………………… 180

1.3.) Leadership et management de la reprise……………………………………….... 182

1.3.1.) Les théories du leadership…………………………………………………. 185

1.3.2.) Leadership transactionnel et transformationnel………………………….... 188

1.3.3.) Le repreneur de TPE : les défis de la prise de leadership en contexte de changement majeur……………………………………………...... 190

Conclusion section 1…………………………………………………………………….... 192

Section 2 - (Re)construire collectivement du sens pour réussir le changement…………... 193

2.1.) L’émergence d’un nouveau système d’actions organisées………………………. 194

2.1.1.) Un environnement perturbé…………………………………………….….. 195

2.1.2.) Des salariés impliqués……………………………………………………… 196

2.1.3.) Un repreneur actif……………………………………………………….…. 197

2.2.) Le repreneur-leader de la TPE en tant qu’agent principal du changement…………. 198

2.2.1.) Du statut de manager au statut de leader………………………………….. 199

2.2.1.1.) Manager le changement post-reprise : une action suffisante?............ 199

2.2.1.2.) Le repreneur-leader : un donneur de sens au changement……….…. 200

Ø Communiquer pour créer du sens et l’organisation …………….….. 200 Ø Donner aux salariés la possibilité d’être acteurs du changement…... 203 Ø Donner du sens au changement………………………………….…. 204

2.2.2.) Une action sur les variables de la construction de sens………………….... 207

2.2.2.1.) Une action sur l’évolution de la culture……………………………. 208

2.2.2.2.) La formulation d’une stratégie……………………………………... 209

2.2.2.3.) Une intervention sur le processus de structuration……………….… 211

2.3.) Questions et objectifs de la recherche………………………………………….... 212

Conclusion section 2……………………………………………………………………... 216

Conclusion chapitre 2…………………………………………………………………….. 217

Conclusion partie 1……………………………………………………………………….. 218

Partie 2 - Modélisation du processus de reconstruction collective de sens post-reprise

et de ses facteurs d’influence……………………...………………………………….…. 221

Chapitre 1 - Méthodologie de la recherche et description du processus de reconstruction collective de sens post-reprise………………………………………………………….... 223

Section 1- Fondements épistémologiques et méthodologiques de la recherche………….. 224

1.1.) Démarche générale de la recherche…………………………………………….... 224

1.1.1.) Le positionnement épistémologique…………………………………….… 224

Page 458: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

457

1.1.1.1.) Un positionnement épistémologique interprétativiste……….….. 225

1.1.1.2.) Une recherche abductive…………………………………….…... 230

1.1.2.) Le choix d’une approche qualitative……………………………………..... 231

1.2.) L’étude de cas : une méthode privilégiée pour étudier le pourquoi et le .comment d’un phénomène…………………………………………………………….. 233

1.2.1.) Intérêts et limites de l’approche………………………………………….... 234

1.2.2.) Sa justification dans le cadre de notre recherche………………………….. 235

1.2.3.) Le choix d’une étude de cas multiples…………………………………….. 237

1.3.) Construction et description des données……………………………….……….... 238

1.3.1.) Démarche de construction de notre population……………………….….... 238

1.3.2.) La collecte des données………………………………………………….... 248

1.3.2.1.) Le statut des données recueillies……………………………….... 249

1.3.2.2.) Les méthodes déployées……………………………………….... 250

1.3.2.2.1.) L’entretien…………………………………………….…... 250

1.3.2.2.2.) L’observation et les documents internes………………….. 255

Conclusion section 1……………………………………………………………………..... 257

Section 2 - Analyse des données et évaluation de la recherche………………………….... 258

2.1.) La condensation des données………………………………………………...…... 259

2.1.1.) Les solutions de codification retenues…………………………………….. 260

2.1.2.) L’utilisation du logiciel de codage : NVivo10©……………………..…..… 262

2.2.) La présentation des données………………………………………………..……. 264

2.3.) L’élaboration et la vérification des conclusions…………………………….……. 266

2.4.) L’évaluation de la recherche…………………………………………….……….. 267

Conclusion section 2……………………………………………………………………… 270

Section 3- Le processus de reconstruction collective de sens post-reprise……………….. 271

3.1.) L’équivocité perçue comme point de départ du processus…………….……….... 271

3.1.1.) Les manifestations de l’équivocité………………………………………… 271

3.1.2.) La recherche d’explications……………………………………………....... 276

Ø La recherche d’explications dans le passé …………………………….… 277 Ø L’interaction avec autrui………………………………………………… 277

3.2.) Les mécanismes du processus dans les cas étudiés…………………………….… 278

3.2.1.) Au niveau individuel………………………………………………………. 278

3.2.2.) Au niveau intersubjectif………………………………………………..….. 279

Ø L’échange entre salariés ……………………………………………..….. 280 Ø L’échange « salariés-cédant »..………………………………………...... 280 Ø L’échange « salariés-repreneur »………………………………………… 281

Page 459: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

458

3.2.3.) Au niveau organisationnel……………………………………………….... 283

3.3.) Les propriétés du processus………………………………………………………. 285

3.4.) La reconstruction collective de sens post-reprise à travers le modèle E-S-R……. 287

Conclusion section 3………………………………………………………………………. 289

Conclusion chapitre 1…………………………………………………………………….. 290

Chapitre 2 : Un processus sous influences..……………………………………………... 291

Section 1 - Les facteurs et éléments influençant le processus…………….……………..... 292

1.1.) Les facteurs individuels………………………………………………………...… 292

1.1.1.) Le cédant : une influence limitée en amont du processus……………… 292

1.1.1.1.) La fourniture d’informations au repreneur………………………..... 293

1.1.1.2.) La fourniture d’indices aux salariés……………………….............. 294

1.1.2.) Le rôle actif des salariés………………………………………………... 297

1.1.2.1.) L’engagement dans un effort d’interaction……………………..….. 297

1.1.2.2.) L’apport d’informations concernant la situation de l’entreprise….... 301

1.1.2.3.) La proposition d’améliorations……………………………..……… 304

1.1.3.) Le rôle déterminant du repreneur……………………………………..... 305

1.1.3.1.) L’animation du collectif…………………………………………...... 306

1.1.3.2.) L’instauration et le maintien d’une communication franche et honnête…........................................................................................................ 315

1.1.3.3.) L’implication des salariés dans le projet………….…………….….. 318

1.2.) Les facteurs organisationnels…………………………………………………...... 321

1.2.1.) Au niveau culturel……………………………………………………… 323

1.2.1.1) La perception de la mission de l’entreprise………………………… 323

1.2.1.2) La conception du travail en équipe et du partage…………………… 324

1.2.1.3) L’importance accordée au dialogue interne et à l’écoute…………… 327

1.2.2.) Au niveau stratégique……...................................................................... 331

1.2.2.1.) Clarté et cohérence de la stratégie………………………………..... 331

1.2.2.2.) Information sur les ressources et moyens mis à disposition……….. 335

1.2.2.3.) Information sur les contributions et gains attendus…………….….. 338

1.2.3.) Au niveau structurel………………………………………………….… 341

1.2.3.1.) Répartition des rôles et des responsabilités…………………...……. 341

1.2.3.2.) Liens hiérarchiques et centralisation de la décision……………….. 345

1.2.3.3.) L’utilisation d’outils de gestion et de communication…………….. 347

1.2.3.3.1.) Les instruments de gestion pour construire et diffuser du sens……………………………………………………………………… 347

1.2.3.3.2.) Le rôle des supports de communication…………………....... 350

Page 460: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

459

1.3.) L’influence contextuelle………………………………………………………… 354

1.3.1.) Le contexte interne et externe de l’entreprise………………………….. 354

1.3.1.1.) Les jeux de pouvoir………………………………………………… 354

1.3.1.2.) L’environnement économique et social………………………….…. 356

1.3.2.) la dimension historique………………………………………………… 360

Conclusion section 1……………………………………………………………………… 366

Section 2 - Discussion des résultats et recommandations managériales……………….…. 368

2.1.) Nos principaux résultats…………………………………………………………. 369

2.1.1.) La RPP de TPE saine, un changement organisationnel majeur source d’équivocité et de création de sens……………………….................................. 370

2.1.2.) La reconstruction collective de sens post-reprise, un processus volontaire et sous influences à piloter pour favoriser la résilience……………… 373

2.1.3.) La qualité des échanges intersubjectifs salariés-repreneur comme condition à la réalisation d’un nouveau système d’actions organisées………… 376

2.1.4.) La communication, un facteur central dans la réussite du management post-reprise………………………………………………….…… 379

2.2.) Les recommandations managériales……………………………………………… 382

2.2.1.) Agir (mais pas tout seul) pour donner du sens au changement………… 382

2.2.2.) Diffuser des informations claires et honnêtes pour faciliter l’interprétation et l’échange intersubjectif…………………………………….. 385

2.2.3.) Un leadership « respectueux » de l’existant……………………...….…. 387

2.2.4.) Développer et entretenir une communication permanente…………... 388

Conclusion section 2…………………………………………………………………….… 390

Conclusion chapitre 2……………………………………………………………………... 391

Conclusion partie 2…………………………………………………………………….….. 392

Conclusion générale……………………………………………………………………… 393

C.1.) Logique de construction de la recherche…………………………………………. 394

C.2.) Les apports et aspects de la recherche……………………………………………. 395

C.2.1.) Les apports théoriques………………………………………………….. 395

C.2.2.) Les aspects méthodologiques…………………………………………… 396

C.2.3.) Les contributions managériales………………………………………… 397

C.3.) Les limites de la recherche……………………………………………………….. 400

C.4.) Les perspectives de recherches futures…………………………….…………...... 402

Bibliographie…………………………………………………………………………....... 405

Tableaux et figures………………………………………………………………………. 435

Annexes………………………………………………………………………………....... 439

Page 461: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

460

Table des matières………………………………………………………………………... 451

Page 462: Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines

461

Management de la reprise par un tiers : le cas des TPE saines

Résumé : Les TPE sont des acteurs importants du dynamisme économique français. Chaque année, des milliers d’entre elles sont transmises. Ce phénomène n’est pas nouveau, mais l’évolution démographique des dirigeants de TPE françaises tend à en faire une préoccupation de premier plan pour les décideurs politiques et économiques. La majorité d’entre elles et, pour une part croissante, sont reprises par des repreneurs personnes physiques externes sans aucun lien avec l’entreprise. Le développement de ce type de transmission n’est pas sans poser de problèmes. La méconnaissance de l’entreprise, de son environnement par le repreneur accentue les difficultés déjà grandes de la reprise (Deschamps et Paturel, 2009). L’arrivée dans l’entreprise d’un repreneur externe est souvent vécue par les salariés comme une interruption, un changement organisationnel majeur pouvant mettre en péril la poursuite de l’activité. Le fait que l’entreprise soit saine au moment du rachat interfère sur la manière dont le changement est appréhendé par les salariés. Ce dernier pouvant être interprété comme une menace, la possibilité de perdre une situation antérieure jugée satisfaisante. Les spécificités caractérisant la TPE rendent l’événement particulièrement intense sur le plan émotionnel et relationnel. La présente étude s’attache à explorer l’entrée en fonction du repreneur, dernière étape du processus repreneurial, à travers les interactions entre acteurs. Basés sur une étude de cas multiples (10 cas analysés, 31 entretiens), les résultats mettent en évidence un processus dénommé reconstruction collective de sens post-reprise. Ils montrent également l’existence de plusieurs facteurs individuels, organisationnels et contextuels exerçant une influence notable sur le processus.

Mots clés : changement organisationnel, communication, construction collective de sens, étude de cas multiples, interaction, management post-reprise, méthodologie qualitative, reprise externe, TPE.

Management of the recovery by a third party: the case of healthy TPE*

Summary : TPE are playing an important role in the French economic dynamism. Each year, thousands of them are transmitted. This phenomenon is not new, but the demographic evolution of French TPE leadership tends to create a major concern for political and economic decision makers. The majority of them and, for a growing share ours times by external individuals buyers with no connection to the company. The development of this type of transmission is not coming without its problems. Ignorance of the company, its environment by the buyer increases the already great difficulties of the recovery (Deschamps and Paturel, 2009). The arrival in the company of an external buyer is often experienced by employees as an interruption, a major organizational change that could jeopardize the continuation of the activity. The fact that the company is healthy at redemption interfere with the way the change is apprehended by the employees. This can be interpreted as a threat, the possibility of losing a satisfactory situation before. The specificities characterizing the TPE make the event particularly intense emotional and relational. This study aims to explore the inauguration of the buyer, the last step repreneurial process, through interaction between actors. Based on a multiple case study (10 cases analyzed, 31 interviews), the results show a process called collective reconstruction of post-recovery direction. They also show the existence of a number of individual, organizational and contextual factors with significant influence on the process.

Keywords: organizational change, communication, collective sensemaking, multiple case study, interaction, post-recovery management, qualitative methodology, external recovery, TPE.

* Very Small Companies