Management de la reprise par un tiers: le cas des TPE saines
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Management de la reprise par un tiers : le cas des TPEsaines
Karim Mouhli
To cite this version:Karim Mouhli. Management de la reprise par un tiers : le cas des TPE saines. Gestion et management.Université de Bretagne occidentale - Brest, 2016. Français. �NNT : 2016BRES0064�. �tel-01968051�
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Management de la reprise par un tiers : le cas des TPE
saines
Thèse soutenue le 7 Octobre 2016 devant le jury composé de :
Boualem ALIOUAT, Professeur, Université de Nice
Sophia Antipolis / Rapporteur
Thierry LEVY, Maître de Conférences H.D.R.,
Université de Paris 8 / Suffragant
Caroline MOTHE, Professeur, Université Savoie
Mont-Blanc / Suffragant
Robert PATUREL, Professeur Emérite, Université de
Bretagne Occidentale / Directeur de thèse
Katia RICHOMME-HUET, Professeur associé
H.D.R., KEDGE Business School / Rapporteur
Eric SEVERIN, Professeur, Université de Lille 1 /
Suffragant
THÈSE / UNIVERSITÉ DE BRETAGNE OCCIDENTALE sous le sceau de l’Université européenne de Bretagne
pour obtenir le titre de
DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ DE BRETAGNE OCCIDENTALE
Mention : Sciences de Gestion
Ecole Doctorale Sciences de l’Homme, des Organisations et de la Société (SHOS)
Présentée par
Karim MOUHLI
Préparée au Laboratoire ICI
Equipe « Entrepreneuriat - TPE/PME »
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L’université n’entend donner aucune approbation ni
improbation aux opinions émises dans cette thèse ; ces
opinions doivent être considérées comme propres à leur
auteur.
3
Remerciements
Je tiens à remercier tous ceux qui, par leur soutien, leurs conseils, ou tout simplement leur présence, ont contribué à l’aboutissement de ce travail doctoral.
Mes remerciements s’adressent en premier lieu à mon directeur de thèse, le Professeur Robert Paturel. Je tiens à lui témoigner toute ma gratitude pour la confiance qu’il m’a accordée tout au long de ce travail. Il m’a permis de m’inscrire en thèse et d’intégrer son équipe alors que ma vie professionnelle m’avait éloigné quelque peu du monde de la recherche. Sa disponibilité, ses conseils et sa bienveillance à des moments difficiles de ma thèse m’ont permis de mener ce projet à son terme.
Mes remerciements s’adressent également aux membres du jury qui ont accepté d’évaluer cette thèse. Merci à Katia Richomme-Huet et Boualem Aliouat qui me font l’honneur d’évaluer mon travail en qualité de rapporteurs ; qu’ils soient assurés de ma profonde reconnaissance pour le temps investi en lecture et évaluation. Un grand merci à Caroline Mothe, Eric Severin et Thierry Levy pour l’honneur qu’ils me font de faire partie de mon jury et pour leur lecture attentive de mon travail.
Je remercie également le personnel administratif de l’Université de Bretagne Occidentale, ainsi que les membres du laboratoire ICI pour leur accueil et leur assistance. Je pense tout particulièrement à Véronique Ziegler, Cécile Morinière et Eric Rouzeau.
Mes remerciements vont bien sûr aux repreneurs ainsi qu’aux salariés qui ont bien voulu participer à cette recherche. Sans eux rien n’aurait été possible. Les échanges que j’ai pu avoir avec eux ont été passionnants et source de nombreuses réflexions.
Merci aussi à toutes les personnes qui ont contribué à la réalisation de cette thèse : Bernard, Lyes, Stéphane et tout particulièrement Mohamed pour son travail d’assistance. Je remercie également ceux qui n’ont jamais cessé de me soutenir et de m’encourager tout au long de ces années : Olivier, Claude, Juliette, Mouss, Françoise, Mahmoud, Younes, Sophie.
Un grand merci plein de tendresse et d’amour adressé à mon épouse Djamila ainsi qu’à mes deux enfants : Kyllian et Nael pour leur soutien sans faille. Ma famille m’a été d’une aide précieuse dans les moments difficiles. Merci à mes deux frères Sophien et Essaïd pour leurs encouragements et leur aide logistique.
Pour clore ces remerciements, mes dernières pensées vont à mes parents Salah et Oumessad qui m’ont toujours témoigné leur affection, incité à acquérir du savoir et à faire preuve de persévérance.
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Sommaire
Introduction générale……………………………………………………………………….... 7
Partie 1- Le cadre conceptuel de la reprise de TPE saines…………………………………. 27
Chapitre 1- La reprise d’une TPE par une personne physique : singularités et enjeux du changement de dirigeant………………………………………………………………….... 30
Section 1- La TPE : des spécificités impactant l’opération……………………….... 31
Section 2 - Un processus entrepreneurial protéiforme et contingent à forts enjeux.. 59
Chapitre 2 - Le rôle du repreneur en contexte de changement organisationnel…………..... 121
Section 1- Le management post-reprise ou la conduite d’un changement organisationnel majeur……………………………………………………. 122
Section 2- (Re)construire collectivement du sens pour réussir le changement…...... 193
Partie 2 - Modélisation du processus de reconstruction collective de sens post-reprise et de ses facteurs d’influence………………………………………………....................... 221 Chapitre 1 - Méthodologie de la recherche et description du processus de reconstruction collective de sens post-reprise……………….…………………………………………….. 223
Section 1- Fondements épistémologiques et méthodologiques de la recherche…… 224
Section 2- Analyse des données et évaluation de la recherche…………………….. 258
Section 3- Le processus de reconstruction collective de sens post-reprise……….. 271
Chapitre 2 – Un processus sous influences…….…………………………………………... 291
Section 1- Les facteurs et éléments influençant le processus……………………... 292
Section 2- Discussion des résultats et recommandations managériales…………... 368
Conclusion générale……………………………………………………………………..... 393
Bibliographie…………………………………………………………………………….... 405
Table des tableaux…………………………………………………………………………. 436
Table des figures…………………………………………………………………………… 437
Annexes………………………………………………………………………………….... 439
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Introduction générale
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Introduction générale
es Très Petites Entreprises sont des acteurs de poids dans le dynamisme
économique d’un pays. Souvent peu visibles dans le paysage économique
français, elles représentent pourtant 65,5 % des entreprises en activité,
emploient environ 18,8 % des salariés du secteur concurrentiel et réalisent 17,1 % de la valeur
ajoutée totale du pays (Insee, 20151). Chaque année, des milliers d’entre elles sont transmises.
Ce phénomène n’est pas en soi nouveau, mais l’évolution démographique des dirigeants
d’entreprises françaises aspire à en faire une préoccupation de premier plan pour les décideurs
politiques et économiques. Différentes études et rapports se succèdent (Commission
européenne, 2013 ; Dombre-Coste, 2015) pour souligner l’importance et la complexité du
phénomène ainsi que les difficultés rencontrées par les cédants et repreneurs tout au long du
processus de transmission-reprise.
Parmi les 60 000 entreprises transmises chaque année en France, 50 000 sont des TPE
de moins de 10 salariés. La majorité d’entre elles sont reprises par des repreneurs personnes
physiques externes sans aucun lien avec l’entreprise. Compte tenu d’une désaffection de plus
en plus prononcée pour la transmission familiale, la reprise externe est une pratique qui tend à
progresser. Or, le développement de la transmission à des tiers, hors du cadre familial, n’est
pas sans poser de problèmes. La méconnaissance de l’entreprise, de son environnement par le
repreneur accentue les difficultés déjà grandes de la reprise (Deschamps et Paturel, 2009).
Cela se traduit concrètement dans les chiffres puisque les transmissions à des tiers connaissent
un taux d’échec deux fois supérieur à celui d’une transmission aux salariés et plus de trois fois
supérieur lorsque le repreneur est un membre de la famille (BDPME, 2004).
La reprise externe d’une entreprise est une pratique longue et risquée. Conscients des
innombrables difficultés auxquelles ils devront faire face, les candidats à la reprise recourent
souvent à l’expertise de praticiens susceptibles de les accompagner et de les guider dans leur
démarche. Ces derniers s’attardent fréquemment sur la partie amont du processus de reprise, à
savoir les difficultés à identifier la cible, à mesurer le potentiel de l’entreprise, à la valoriser
correctement, à obtenir les financements, etc. Tous ces éléments peuvent venir perturber le
1 Source Insee focus N°24. Chiffres donnés pour l’année 2012, hors agriculture et services financiers. Ces
chiffres ne tiennent pas compte des micro-entreprises qui relèvent du statut d’auto-entrepreneur et du régime fiscal de la micro-entreprise. L’emploi est exprimé en équivalent temps plein.
L
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processus et/ou empêcher la vente de se concrétiser. Les conseils et dispositifs qu’ils
proposent s’articulent autour des questions administratives, comptables, juridiques, fiscales et
commerciales de la transmission-reprise. L’opération est considérée, pour beaucoup, comme
un succès, dès lors que la vente arrive à son terme.
Si, globalement, les difficultés financières et techniques de l’opération semblent bien
identifiées et préparées par les repreneurs aidés de leurs accompagnants, les problématiques
humaines sont, à l’inverse, fréquemment sous-estimées, voire négligées. Ceci semble
paradoxal dans la mesure où l’aspect humain demeure la clé d’une reprise réussie
(Boussaguet, 2005). Insuffisamment informés et préparés, les repreneurs se trouvent surpris et
désarmés au moment de leur arrivée dans l’entreprise, face à l’ampleur des difficultés,
notamment humaines, provoquées par le changement (adaptation à leur nouvelle vie, attitudes
des salariés face au nouveau dirigeant).
Concernant la littérature, celle-ci perçoit le transfert de direction comme un événement
important dans la vie de toute organisation. Il s’agit d’un changement majeur (Donckels,
1995 ; Haddadj et D’andria, 2001 ; Boussaguet, 2005), d’un tournant dans la vie des salariés
et des dirigeants qu’il faut savoir négocier. Pour de nombreux auteurs, l’entrée en fonction du
repreneur, ultime étape du processus repreneurial (Deschamps, 2000), revêt une importance
capitale dans la réussite entière du projet (Boussaguet, 2005 ; Picard et Thévenard-Puthod,
20102 ; Berger-Douce et Dechamps, 20103). Elle concentre et condense, dans un minimum de
temps, tout un ensemble de problématiques fondamentales du management d’une organisation
(Rollin, 2006). Curieusement, bien que de plus en plus reconnue comme décisive, cette
période demeure encore et toujours peu étudiée sur le plan scientifique. Nous relevons que
cette insuffisance apparaît d’autant plus manifeste lorsqu’il s’agit des TPE.
Pourtant, pour de nombreux auteurs, ce type d’entreprise « à taille humaine » présente
un certain nombre de spécificités susceptibles d’impacter lourdement le déroulement de
l’entrée en fonction du repreneur. Beaucoup d’entre elles se mutent en « effet complexifiant »
(De Freyman, 2009, p.59) compliquant d’autant sa prise de fonction. Bien qu’il n’existe pas
2 Picard et Thévenard-Puthod (2010) soulignent le nombre élevé d’échecs de reprise survenant durant les
premières années consécutivement à l’arrivée d’un nouveau dirigeant. Les auteurs expliquent ce phénomène par l’importance des difficultés auxquelles sont confrontés les repreneurs durant la phase de management post-reprise. 3 Berger-Douce et Deschamps (2010) mettent en avant l’enjeu de cette période tant pour le repreneur que
pour l’organisation. Selon ces auteurs, elle « conditionne le bien-être du repreneur dans son entreprise, sa
manière d’assumer son nouveau rôle et le succès de l’opération ».
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de définition arrêtée et suffisamment complète des TPE et en nous basant sur de nombreux
travaux consacrés à la PME, nous les caractériserons de la manière suivante : un effectif
réduit, un rôle central du dirigeant-propriétaire, une relation d’interdépendance voire
fusionnelle entre le dirigeant et son entreprise, un système d’information simple et peu
structuré. La TPE s’organise également au travers de relations interpersonnelles fortes,
ancrées dans un environnement structuré selon un principe de proximité (Torrès, 2003). Pour
Mahe De Boislandelle (1996), la taille de l’entreprise a incontestablement des répercussions
sur l’intensité des problématiques organisationnelles. L’effet de grossissement » qu’il décrit,
affecte les relations humaines, les comportements et donne de l’importance à chaque
changement (Torrès, 2003). Ainsi, chaque événement, chaque problème, revêt un caractère
important, voire stratégique, au sein des plus petites entreprises. Ceci revient à affirmer
que, bien plus que dans une structure de grande taille, l’arrivée d’un nouveau dirigeant sera
vécue comme un événement éminemment important et que toute action ou attitude du
repreneur peut être cause de déséquilibre pour l’organisation.
Notre avons opté pour la structuration de notre introduction en trois points. Tout
d’abord, nous définirons le contexte général de la recherche (I.1.). Ensuite, nous discuterons
de l’entrée du repreneur au sein d’une TPE en tant que thème de recherche. Nous exposerons
brièvement les principaux travaux réalisés dans le domaine, puis nous expliquerons en quoi
une approche interactionniste, plus particulièrement une approche centrée sur les théories du
sensemaking est éclairante et fertile pour mieux comprendre le processus. Nous exposerons
pour finir les questions et intérêts de la recherche (I.2.). Enfin, la troisième et dernière section
de cette introduction sera consacrée à la présentation de l’architecture de ce travail, à partir de
notre positionnement épistémologique et méthodologique, avant de décrire la démarche
générale et le plan de recherche retenu (I.3.).
I.1.) Le contexte général de la recherche
Dans son rapport « Faciliter la transmission d’entreprise » (2013, p. 1) la Commission
Européenne désigne par transmission d’entreprise, «le transfert de la propriété d’une
entreprise à une autre personne ou entreprise qui assure la continuité de l’existence et de
l’activité commerciale de l’entreprise reprise. Cette transmission peut s’effectuer entre
parents d’une même famille, par rachat de l’entreprise par les employés (cession à des
dirigeants/employés n’appartenant pas à la famille de l’entrepreneur) ou par cession à des
personnes extérieures ou des sociétés existantes, y compris dans le cas d’une prise de
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contrôle ou d’une fusion». Deschamps (2000, p. 421) la définit comme un processus, qui par
une opération de rachat, aboutit « à la continuation de la vie de la cible, en difficulté ou non »,
et de tout ce qu’elle contient (structure, ressources humaines, financières, techniques,
commerciales, etc.). Il s’agit d’une opération qui débute au moment où le dirigeant d’une
entreprise décide de céder son affaire et qui se poursuit au moment de l’entrée en fonction du
repreneur. Ce phénomène peut être analysé sous différents angles, ce qui explique qu’on le
retrouve sous diverses appellations. Le terme « transmission » est utilisé lorsque l’on envisage
l’opération du point de vue du cédant. Il s’agit donc de vendre l’entreprise pour en assurer sa
continuité. Quant au terme de reprise, il évoque l’arrivée d’un nouveau dirigeant, le repreneur
s’engageant dans l’organisation pour en assurer la continuité. En réalité, les deux expressions
évoquent la même opération, seule l’optique diffère (Siegel, 1989). Nous plaçant dans la
perspective du repreneur qui entre dans une entreprise en fonctionnement, nous adopterons le
terme de reprise pour analyser le phénomène.
Compte tenu des estimations sur le nombre d’entreprises à céder dans les dix
prochaines années en France (environ 630 000 entreprises, Pinel, 2013), la reprise
d’entreprise apparaît de plus en plus comme un sujet politique et économique de premier plan.
Le phénomène est important et il est amené à durer, voire à s’amplifier dans les prochaines
années, comme le souligne la députée de l’Hérault Dombre-Coste dans son rapport remis au
gouvernement (rapport Dombre-Coste, 2015). De nombreux observateurs mettent en avant les
enjeux en termes d’emploi et de préservation de la vitalité économique des territoires. Les
perspectives sont alarmantes. Premièrement, faute de repreneurs, des milliers d’entreprises
fermeront dans un futur proche. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE,
2013)4 évalue ainsi à environ 120 000 entreprises (soit 22% des entreprises commerciales) le
nombre d’entreprises susceptibles de fermer en France dans les dix ans à venir, en raison du
départ à la retraite de leur dirigeant. Autre élément d’importance à prendre en considération
une fois l’entreprise reprise : rien ne garantit sa continuité, le taux d’échec demeurant
relativement élevé5.
Pourtant alerter à de nombreuses reprises, dès le début des années 1990, par la
Commission européenne qui voit dans la reprise « l’un des dossiers clés de la politique de la
Commission européenne en faveur des entreprises » (Commission européenne, 2013), la
4 Chiffres cités dans le « Plan d’action pour le commerce et les commerçants » du 19 juin 2013.
5 Environ 20 % des entreprises transmises échouent dans les 5 premières années et 30 % dans les 7 années
suivant l’opération (Haddadj et D’andria, 2001, p. 11).
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France n’a saisi que tardivement l’importance du phénomène. Les décideurs politiques de ce
pays ont été davantage focalisés sur l’incitation à la création d’entreprises ou préoccupés par
la sauvegarde d’entreprises en difficulté. Toutefois, cette tendance s’est inversée au début des
années 2000. Le constat d’un faible nombre de transactions enregistrées et d’un vieillissement
effectif des dirigeants d’entreprises suscite inquiétudes et réactions. Les chambres consulaires
se saisissent également du problème et initient à leur tour différentes actions : sensibilisation à
la transmission et à la reprise, bourses d’opportunités, sites Internet, etc.
Concernant la communauté scientifique francophone, la reprise d’entreprise reconnue
dorénavant comme un acte entrepreneurial à part entière, au même titre que la création ex-
nihilo (Paturel, 2007), demeure encore un sujet peu traité en dépit d’un nombre croissant de
chercheurs intéressés par la question (De Freyman, 2010). Compte tenu de l’ampleur du
phénomène, des conséquences sur l’équilibre socioéconomique du pays, des attentes
exprimées par les repreneurs eux-mêmes, les besoins en termes de connaissances sont
pourtant de plus en plus criants.
I.2.) La construction de l’objet de la recherche
D’abord, pour une meilleure compréhension de ce travail par le lecteur, il nous semble
opportun d’en décrire brièvement ses origines et ses fondements. La construction de notre
objet de recherche est, en effet, le résultat d’un processus long et non linéaire, relativement
marqué par notre expérience professionnelle.
L’idée de débuter un travail sur la reprise d’entreprise a germé il y a quelques années,
lorsque dirigeant d’une TPE du secteur commercial, nous avons eu l’occasion de côtoyer
régulièrement (quelquefois quotidiennement) un repreneur emprunt à d’importantes
difficultés, particulièrement avec son personnel, dès son arrivée dans l’entreprise. Les raisons
invoquées par ce dirigeant, déjà rompu à la reprise d’entreprise, étaient qu’il n’avait pas pu
établir un climat de travail serein avec les salariés déjà présents dans l’organisation. Ces
derniers manifestaient à son égard une attitude hostile et semblaient ne pas accepter le
changement de dirigeant. Malheureusement, nous avons pu observer le désarroi de ce
repreneur et la fermeture définitive de l’établissement moins de trois ans après sa reprise.
Quelques années plus tard, ayant vendu cette TPE, nous songions à une reconversion
professionnelle, notamment dans l’enseignement supérieur. Intervenant auprès de plusieurs
centres de formation et d’une Université, nous avons eu l’occasion de consulter différents
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écrits sur l’entrepreneuriat et d’affiner un peu plus ce qui allait devenir notre sujet de
recherche. Début 2013, nous avons eu l’opportunité d’échanger avec le Professeur Robert
Paturel, spécialiste de l’entrepreneuriat ayant dirigé les thèses de Doctorat de plusieurs
chercheurs sur le sujet. Suite à nos échanges, l’intérêt d’une recherche sur cette thématique fut
conforté et une collaboration envisagée.
Au fil de nos lectures, nous avons constaté assez rapidement le manque de
connaissances théoriques concernant la reprise d’entreprise, plus particulièrement celles
portant sur l’entrée en fonction du repreneur TPE. Les travaux consacrés à la fois sur la TPE
et sur la reprise sont, en effet, très rares. Cette situation nous a semblé paradoxale dans la
mesure où il s’agit d’une problématique concernant des milliers d’organisations et d’un
phénomène appelé à se développer dans les prochaines années. Parallèlement, nous avons
relevé qu’il n’est mis à la disposition des repreneurs de TPE que peu d’outils opérationnels
pour expliquer et faciliter leur entrée en fonction dans l’entreprise. La plupart des instruments
qui leur sont proposés concernent l’aspect financier et « technique » de la reprise
(Boussaguet, 2005) et ne se focalisent que sur les « différents blocages » pouvant survenir
avant la vente.
I.2.1.) L’entrée en fonction du repreneur de TPE : émergence d’une thématique de recherche
Scientifiquement, la reprise d’entreprise a été décrite pour la première fois par
Deschamps (2000) dans sa thèse de doctorat, sous la forme d’un processus en trois actes : le
processus relatif à la décision de reprendre, le processus qui conduit l’individu au rachat
d’une entreprise, et l’entrée en fonction du repreneur dans l’entreprise rachetée qui lui confère
son rôle de nouveau propriétaire-dirigeant. La période d’entrée en fonction est scindée en
deux phases distinctes : la période de transition entre le cédant et le repreneur (si elle a lieu),
puis l’intégration du nouveau propriétaire dans l’entreprise, désignée sous le terme de
«management de la reprise ». La dernière étape du processus repreneurial est celle qui nous
intéresse pour cette recherche : la prise de fonction du repreneur apparaissant comme un
événement déstabilisant pour tous les acteurs du processus.
A ce stade du processus repreneurial, le repreneur se retrouve dans une position
délicate. Il doit, en même temps, découvrir le fonctionnement de l’entreprise, manager puis
affirmer son leadership devant une équipe qu’il ne connaît pas et assurer la continuité des
relations avec des partenaires extérieurs, également méconnus. Cela s’apparente à un exercice
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d’équilibriste et consiste à prendre pied au sein d’une structure déjà formée sans trop la
perturber, à s’insérer dans un tissu d’interactions pour en comprendre le fonctionnement, tout
en expliquant le changement. Vivant lui-même un changement personnel et professionnel
émotionnellement intense, il se trouve en position de gérer l’un des plus gros changements, si
ce n’est le plus gros changement, vécu par l’organisation.
L’arrivée d’un nouveau dirigeant est également fortement déséquilibrante pour
l’organisation. Pour Boussaguet (2005, p. 81), il s’agit d’un changement majeur pour deux
principales raisons : « premièrement parce qu’il touche aux fondements de l’organisation et
qu’il s’attaque simultanément à tous les éléments au cœur de l’organisation (…),
deuxièmement parce que ses effets sur les membres de l’organisation sont alors profonds et
déstabilisants ». Deschamps et Paturel (2009) évoquent quant à eux un changement
organisationnel ambivalent, le changement de dirigeant créant à la fois une « rupture » dans la
gestion et une «continuité » dans la poursuite de l’activité. Ces auteurs relèvent une difficulté
accrue pour le repreneur d’une entreprise saine dans la mesure où les réactions des salariés
face à ce changement peuvent être négatives. Ces derniers peuvent légitimement se poser la
question du pourquoi changer lorsque tout fonctionne bien et depuis longtemps.
Le changement apparaît être un thème important lorsque l’on aborde le sujet de la
reprise d’entreprise et l’entrée en fonction du repreneur (Donckels, 1995 ; Deschamps et
Paturel, 2005 ; Boussaguet, 2005). Il est de surcroît largement évoqué par les repreneurs et les
praticiens eux-mêmes, pour expliquer les difficultés rencontrées au cours de cette période.
Paradoxalement, le changement dans le cadre repreneurial, puis son impact sur les relations
entre acteurs, n’ont que peu fait l’objet de travaux académiques. Cette carence semble
d’autant plus vraie lorsqu’il s’agit des TPE. Les spécificités caractérisant la TPE rendent
pourtant l’événement particulièrement intense sur le plan émotionnel et relationnel. Très
souvent, dans ce type d’entreprise et pour ne pas faire achopper la vente, le changement
imminent de dirigeant n’est pas annoncé. Il est alors vécu comme une surprise, une
nouveauté, une interruption (Boussaguet, 2005) dans le flux courant des activités. A ce stade
du processus repreneurial, la confusion est souvent présente. De multiples questions assaillent
à la fois le repreneur et les salariés. L’ambiguïté de l’événement bouscule les repères habituels
des individus. Il n’est pas rare de constater des réactions de stupéfaction, de dépit et même de
mécontentement s’exprimer. Les relations qui s’installent entre acteurs organisationnels
conditionnent la poursuite de l’activité.
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Le sujet central de cette thèse porte sur les interprétations et les interrelations qui se
développent entre les salariés et les repreneurs de TPE durant la période de management de la
reprise, période de changement intense. Nous souhaitons focaliser notre attention sur les
multiples interactions développées, puis entretenues, par les acteurs qu’ils soient anciens ou
nouveau dans l’organisation, de manière à rendre intelligible la situation et reconstituer un
système d’actions coordonnées. Pour analyser en profondeur cette période charnière de la vie
d’une organisation, nous avons recours principalement aux théories du sensemaking (Weick,
1979 ; Gioia et Chittipeddi, 1991). Nous pensons que cette approche interprétative du
changement, ancrée dans le courant interactionniste, devrait nous aider à mieux comprendre
ce qui se passe lors de l’entrée en fonction du repreneur. Peu utilisées en France,
particulièrement dans les sciences de gestion, les théories du sensemaking permettent
d’appréhender « en gros plan » les mécanismes en jeux au cours de la période du management
post-reprise. Elles fournissent une grille de lecture innovante et originale quant à la manière
dont ceux qui sont confrontés à un changement répondent à la question : « Que se passe-t-
il ? » ou encore «comment faire sens dans une situation donnée ou face à un événement
impromptu, déstabilisant ? » (Giroux, 2006, p. 27).
Basée sur l’étude des interactions entre acteurs, l’approche par le sensemaking
décortique, puis explique, la construction ou la déconstruction du sens au sein d’une
organisation en perpétuel mouvement. Elle nous éclaire sur les dynamiques organisationnelles
à l’oeuvre. Comprendre comment les individus parviennent à s’entendre, à coordonner leurs
actions, afin de développer et maintenir un système d’actions organisées, tel est le fil
conducteur des travaux sur le sensemaking. Au sein de ce cadre conceptuel, la thématique du
changement est placée au centre du raisonnement. Le changement crée des situations de
« microstabilités » (consensus transitoires) et doit déboucher sur une adaptation des individus
à leur environnement.
Face à une interruption du flux d’actions routinier et à l’équivocité provoquée par
l’arrivée du repreneur, la construction collective de sens apparaît être la solution. Via un
processus dénommé « double interact », les différents acteurs organisationnels (salariés et
repreneur) partagent leurs représentations du réel afin de se mettre d’accord sur les actions à
entreprendre et les comportements à adopter (Allard-Poesi, 2003). Il appartient au repreneur,
en tant que nouveau leader, d’engager, puis de maintenir le processus de construction
collective de sens.
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A travers ce cadre théorique, nous envisageons d’apporter un éclairage supplémentaire
et inédit sur la dimension humaine du management post-reprise d’une TPE, afin d’en
améliorer la compréhension et gestion par les repreneurs.
I.2.2.) Questions et intérêts de la recherche
L’objet d’une recherche est la « question générale (ou encore la problématique) que la
recherche s’efforce de satisfaire, l’objectif que l’on cherche à atteindre. C’est en quelque
sorte la réponse à la question : « Qu’est-ce que je cherche ?» (Allard-Poesi et Maréchal,
2014, p. 48). La question générale qui nous a servi de fil conducteur tout au long de cette
recherche est la suivante :
Comment se déroule l’entrée en fonction du repreneur au sein d’une TPE ?
La revue de la littérature nous a permis d’insérer le phénomène étudié dans un cadre
d’analyse. Les travaux portant sur la spécificité des TPE, les théories du sensemaking et du
leadership se sont révélés particulièrement féconds pour obtenir des éléments de réponses aux
nombreuses questions que nous nous sommes posées. Ils nous permettent d’appréhender
l’arrivée d’un nouveau dirigeant au sein d’une petite structure comme un changement majeur,
générateur d’équivocité, nécessitant une activité de reconstruction collective de sens dirigée
par le repreneur. Elle soulève de nombreuses incompréhensions, modifie les rapports entre
individus, la répartition des rôles et des responsabilités au sein du système d’actions
organisées. Néanmoins, la connaissance des mécanismes et des facteurs qui influencent la
construction de sens au sein d’une TPE, nous a semblé encore largement insuffisante. Pareil
constat nous a amené à investiguer rapidement le terrain. Au cours de notre approche
empirique, nous avons pu confirmer l’importance du changement dans l’esprit des acteurs et
le rôle de premier plan joué par le repreneur dans le processus de reconstruction collective de
sens.
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Ceci nous a conduit à formuler la question de recherche principale :
Comment le repreneur de TPE saines peut-il, durant la période de management
de la reprise, mieux réussir le changement ?
De cette question principale de recherche découlent quatre questions subsidiaires :
Question de recherche 1 : L’arrivée dans la TPE du repreneur engendre-t-elle de
l’équivocité ; si oui, comment est-elle exprimée ?
Question de recherche 2 : Peut-on décrire le processus de reconstruction collective de
sens post-reprise, et si oui, quelles en sont ses étapes ?
Question de recherche 3 : Quels sont les facteurs influençant la création ou la perte de
sens pendant la période de management post-reprise d’une TPE ?
Question de recherche 4 : Comment un repreneur de TPE, en tant que nouveau leader de
l’entreprise, peut-il favoriser la création collective de sens ?
Afin de répondre à ces interrogations, nous nous sommes assigné plusieurs objectifs :
Objectif n°1 : Décrire le processus de reconstruction collective de sens post-reprise
consécutif au changement de dirigeant et en offrir une modélisation.
Nous souhaitons mettre en lumière les dynamiques interactionnelles consécutives à l’entrée
en fonction du repreneur et la manière dont elles s’articulent pour construire collectivement
du sens et donner naissance à un nouveau système d’actions organisées.
Objectif n°2 : Définir quels sont les facteurs de création et de perte de sens pouvant être
rencontrés lors de cette étape.
Nous souhaitons identifier les facteurs et éléments exerçant une influence sur le processus de
reconstruction collective de sens post-reprise.
Objectif n°3 : Montrer comment le repreneur de TPE en tant que nouveau leader peut
influer sur le processus de sensemaking.
Nous souhaitons mettre en évidence les effets du comportement et des actions du
repreneur sur l’émergence, puis le maintien, du processus.
19
Afin de répondre aux questions et objectifs de recherche, nous proposons une étude
empirique menée auprès d’une population de repreneurs et de salariés de TPE récemment
reprises. L’intérêt de cette recherche se situe à différents niveaux : théorique, méthodologique
et pratique.
Intérêt théorique
Ayant constaté le faible nombre de travaux académiques consacrés à la reprise de
TPE, particulièrement en ce qui concerne la période du management post-reprise, il nous a
semblé judicieux d’entreprendre une recherche dans ce domaine. A travers cette démarche,
nous répondons à un intérêt de plus en plus prononcé des chercheurs quant à l’éclaircissement
des phénomènes se produisant au cours de chacune des étapes du processus repreneurial.
Nous pensons qu’apporter une description nouvelle du fonctionnement des entreprises en
situation inhabituelle, contribue à mieux comprendre l’objet « organisation » et, par la même,
à faire progresser les sciences de gestion.
Les travaux sur la TPE et sur la construction de sens ont été mobilisés pour notre
recherche. L’utilisation des théories du sensemaking est, à notre connaissance, inédite dans
les travaux sur la reprise et s’avère particulièrement fertile pour comprendre les perceptions
qu’ont les acteurs de l’événement et les dynamiques interactionnelles qui s’enclenchent pour
donner naissance à l’action organisée.
Intérêt méthodologique
Pour étudier en profondeur l’entrée en fonction du repreneur, nous avons opté pour
une approche multi-acteurs. Nous avons souhaité enrichir l’analyse de cette période en nous
appuyant à la fois sur les interprétations des repreneurs et des salariés. En procédant de la
sorte, nous pensons avoir permis une triangulation des sources des données nécessaire pour
s’extraire, en partie, des représentations individuelles purement subjectives, et obtenir notre
propre interprétation du processus étudié.
En outre, en complément à une lecture interprétative du changement telle que
préconisée par les théories du sensemaking, nous avons eu recours à l’analyse contextualiste
mise au point par Pettigrew (1985). La combinaison de ces deux approches s’est révélée
particulièrement efficace puisqu’elle nous a permis d’identifier de manière plus précise les
facteurs qui influencent le processus.
20
Intérêt pratique
A travers cette recherche, nous souhaitons apporter aux futurs repreneurs de TPE ainsi
qu’à leurs accompagnants, une meilleure compréhension des phénomènes humains et sociaux
au moment de la reprise. Notre ambition est de proposer un cadre réflexif plus global,
dépassant la simple vision purement comptable et fonctionnelle généralement retenue. Nous
désirons attirer l’attention des praticiens sur la période de l’après reprise, cruciale dans la
poursuite de l’activité, et les sensibiliser sur son impact au sujet de la vie des acteurs et sur
leurs rapports.
La préoccupation pratique qui nous guide, consiste à offrir aux praticiens une
modélisation des mécanismes qui génèrent l’action organisée et des facteurs qui l’influencent.
Il s’agira d’insister sur l’importance de la dimension humaine et sur le rôle et la responsabilité
de l’ensemble des acteurs, en premier lieu ceux du repreneur dans la réussite ou l’échec de
l’entrée dans l’entreprise d’un nouveau dirigeant.
I.3.) Le design de la recherche
Royer et Zarlowski (2014, p. 169) définissent le design ou l’architecture de la
recherche comme « la trame qui permet d’articuler les différents éléments d’une recherche :
problématique, littérature, données, analyse et résultats ». Chaque recherche étant unique, il
s’agit ici d’expliquer au lecteur la logique de l’ensemble de notre démarche et la cohérence de
tous les éléments qui la composent. Nous présentons, dans les sous-sections suivantes, le
positionnement épistémologique de notre recherche, les choix méthodologiques qui ont été
faits pour générer des connaissances ainsi que la démarche générale et le plan de notre thèse.
I.3.1.) Le positionnement épistémologique
Définie par Piaget (1967, p. 6) comme « l’étude de la constitution des connaissances
valables », l’épistémologie s’intéresse principalement aux questions « Qu’est-ce que la
connaissance ? Comment est-elle élaborée ? Quelle est sa valeur ? » (Gavard-Perret et al.,
2008, p. 7). Toute démarche de recherche s’appuie sur une certaine vision du monde, utilise
une méthodologie, propose des résultats visant à comprendre, expliquer, prédire ou
transformer (Allard-Poesi et Perret, 2014). Quelle que soit la finalité retenue, il apparaît
essentiel au chercheur de s’interroger et d’expliciter ses présupposés épistémologiques. Pareil
exercice confère une légitimité à son travail et aux choix qui en découlent.
21
Préalablement à l’explicitation de notre positionnement épistémologique, il nous
semble important de nous attarder un moment sur la nature de la réalité que nous pensons
appréhender, ainsi que sur le statut de la connaissance que nous voudrions produire. Dans
notre conception ontologique des choses, nous n’abordons pas les phénomènes sociaux
comme composante d’une réalité indépendante de l’esprit et des descriptions qui en sont
faites, mais plutôt comme une réalité construite et tributaire des contingences normatives,
conventionnelles et idéologiques, qui président aux modalités de son existence. Telle que
nous la concevons, la réalité est un construit résultant des interprétations et échanges
intersubjectifs entre acteurs. De la même manière, la connaissance que nous souhaitons
produire résulte des interactions entre acteurs organisationnels auditionnés et le chercheur.
Elle passe par la compréhension d’une situation à partir du sens que les individus donnent à la
réalité et de notre propre compréhension et interprétation de la réalité telle qu’elle est décrite
pas les acteurs.
Notre recherche vise à comprendre les phénomènes en jeu lors de l’entrée en fonction
du repreneur au sein d’une TPE et la manière dont se (re)crée l’action organisée. Nous
accèderons à ces phénomènes par le biais des interprétations des acteurs (repreneurs et
salariés). Ces interprétations résultent elles-mêmes des échanges intersubjectifs qu’ils
entretiennent. Il ne s’agit pas d’expliquer, mais de comprendre l’entrée en fonction du
repreneur et la constitution d’un nouveau système d’actions organisées à travers la
signification donnée à l’événement, puis à travers les dynamiques interactionnelles qui se
créent. Par le biais d’échanges avec les repreneurs et salariés, nous essaierons de construire
une réalité sociale. Cet exercice devra aboutir, à terme, à une modélisation circonstanciée du
processus de reconstruction collective de sens post-reprise et de ses facteurs d’influence.
Comme nous venons de le voir, la réalité objective, universelle et disposant d’une
essence propre telle que définie dans le paradigme épistémologique positiviste, semble assez
éloignée de notre vision du monde et des objectifs de notre recherche. L’inscription dans un
paradigme constructiviste ne semble pas non plus nous convenir. Nous ne cherchons pas à
inscrire la connaissance produite dans une orientation pragmatique et dans une finalité à visée
transformative (Thietart, 1999). Bien qu’ayant multiplié les interactions avec les repreneurs et
les salariés dans leur environnement et sollicité leur concours, notamment lors de la
présentation des résultats, nous ne prétendrons pas avoir influencé significativement et
durablement leurs actions. Le paradigme épistémologique interprétativiste semble le plus
22
approprié pour caractériser notre conception du réel et la nature de la relation que nous
entretenons avec l’objet.
I.3.2.) Les choix méthodologiques
Le raisonnement qui sous-tend une démarche de recherche peut être de type déductif,
inductif ou abductif (figure 1).
La logique déductive permet de démontrer, de générer des conséquences (David,
1999). Elle se caractérise par le fait que si les hypothèses formulées initialement (prémisses)
sont vraies, alors la conclusion doit nécessairement être vraie. La logique inductive permet de
passer du particulier au général, de la constatation de certains faits aux lois, des effets à la
cause, et des conséquences aux principes (Charreire Petit et Durieux, 2014). Enfin, la logique
abductive a été expliquée par Koenig (1993b) de la manière suivante : « l’abduction est
l’opération qui, n’appartenant pas à la logique, permet d’échapper à la perception chaotique
que l’on a du monde réel par un essai de conjecture sur les relations qu’entretiennent
effectivement les choses (…). L’abduction consiste à tirer de l’observation des conjectures
qu’il convient ensuite de tester et de discuter».
Figure 1 - Modes de raisonnement et connaissance scientifique
Source : Charreire-Petit et Durieux (2014, p. 82).
Lois et théories
Logique inductive
Logique déductive
Conceptualisations (hypothèses, modèles,
théories)
Démarche abductive
Démarche hypothético-
déductive
Faits établis par
l’observation
Explications et prédictions
23
La relation entre la théorie et les observations empiriques conditionne le mode de
raisonnement choisi (figure 2). Dans un cas, la connaissance précède l’expérience empirique
(démarche hypothético-déductive). Dans l’autre, l’expérience empirique précède la
connaissance (démarche inductive). Entre les deux, la connaissance se construit par
interaction entre la théorie et les données empiriques (Mbengue et Vandangeon-Derumez,
1999).
Figure 2 - La relation entre la théorie et les observations empiriques
Source : Mbengue et Vandangeon-Derumez (1999, p. 6).
La démarche d’induction non démonstrative (ou abduction) correspond à celle que
nous avons adoptée au cours de cette recherche. Nous avons choisi de procéder par des allers
et retours successifs entre observations empiriques et théories (sensemaking, leadership,
spécificité de la TPE) afin d’appréhender l’entrée en fonction du repreneur, et en construire
une représentation intelligible. Par un tel procédé, nous souhaitons édifier progressivement
des connaissances en relation avec les savoirs existants (Gavard-Perret, Gotteland, Haon et
Jolibert, 2012).
La recherche en sciences de gestion se caractérise par deux grandes orientations :
l’exploration ou le test d’un objet théorique (Baumard et Ibert, 2014). Dans la première, le
chercheur élabore des propositions de résultats théoriques novateurs. Il s’agit de découvrir ou
L’expérience empirique précède la connaissance
La connaissance précède l’expérience empirique
La connaissance
se construit
Démarche hypothético-déductive de vérification : la recherche consiste à s’enquérir des observations qui se soumettent à la théorie.
Démarche hypothético-déductive de falsification : la recherche consiste à s’enquérir des observations qui ne se soumettent pas à la théorie (Popper, 1984).
Démarche hypothético-inductive : la recherche consiste à alterner ou superposer la déduction et l’induction (Crozier et Friedberg, 1977, Miles et Huberman, 1991, Glaser et Strauss, 1967, Pettigrew, 1985).
Démarche constructive : la recherche consiste à fabriquer des construits pour rendre compte d’un processus de construction (Le Moigne, 1985).
Démarche
d’induction non
démonstrative:
la recherche
consiste à
émettre à partir
des observations
des conjectures
qu’il convient de
tester par la
suite (abduction
selon Koenig,
1993 ou
adduction selon
Blaug, 1982).
Démarche inductive démonstrative: la recherche consiste à observer librement et sans préjugés, et à tirer de cette observation des lois universelles.
24
d’approfondir une structure ou un fonctionnement à la recherche d’explication et de
compréhension. Dans la seconde, le chercheur confronte à la réalité un ou des objets
théoriques ou méthodologiques (Charreire Petit et Durieux, 2014). Compte tenu du peu de
littérature concernant la reprise d’entreprise, particulièrement sur la période d’entrée en
fonction du repreneur, ainsi que de la complexité des phénomènes marquant cette étape du
processus repreneurial, nous avons choisi la voie de l’exploration. Malgré les réels apports
des travaux antérieurs, nous pensons qu’il subsiste encore un réel besoin de construction
théorique quant aux processus en jeu durant la période du management post-reprise.
Nous avons opté pour une démarche qualitative. Une telle approche présente l’intérêt
de se rapprocher au plus près des interprétations des acteurs et offre l’opportunité d’une
confrontation avec des réalités multiples (Baumard et Ibert, 2014). Elle sert principalement à
construire, enrichir ou développer des théories et peut prendre la forme d’étude de cas unique
ou multiples (Royer et Zarlowski, 2014). La méthode que nous avons retenue est la méthode
de cas multiples dans la mesure où elle permet d’expliquer un phénomène dans son
environnement naturel et d’identifier des invariants parmi les cas étudiés. La collecte des
données s’est principalement faite par entretiens semi-directifs (31 au total) auprès d’une
population de repreneurs et de salariés de 10 TPE de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Nous
avons également eu recours à l’observation et à l’analyse documentaire. L’intégralité des
données a fait l’objet d’un traitement par analyse de contenu à l’aide d’un logiciel d’analyse
qualitative (NVivo-10©) et d’outils recommandés par Miles et Huberman (2003).
I.3.3.) L’architecture de la recherche
Notre recherche doctorale est structurée en deux grandes parties.
Ø Partie 1: le cadre conceptuel de la reprise de TPE saines.
La première partie de notre travail est consacrée au cadre théorique de la recherche et
se compose de deux chapitres. Dans le premier chapitre, nous tenterons de définir l’objet TPE
en discernant ses spécificités, puis nous observerons l’impact de ces dernières sur la reprise.
Après avoir situé le processus repreneurial au sein du champ de l’entrepreneuriat, nous nous
interrogerons sur les difficultés internes au moment de l’entrée en fonction du repreneur
personne physique au sein de la TPE saine. Nous montrerons que l’essentiel des difficultés est
lié aux réactions humaines face au changement. Dans le second chapitre, nous examinerons le
rôle du repreneur en contexte de changement organisationnel majeur à travers les théories du
25
sensemaking et du leadership choisies en tant que cadre d’analyse. Le concept de
reconstruction collective de sens post-reprise sera défini, puis inscrit dans la question générale
de recherche.
Ø Partie 2 : vers une modélisation du processus de reconstruction collective de sens
post-reprise et de ses facteurs d’influence.
La deuxième partie de notre travail est consacrée à l’étude empirique. Dans le premier
chapitre, nous exposerons la méthodologie de la recherche. L’utilisation d’une étude
qualitative, puis d’une étude de cas multiples, comme moyen d’accès au réel est justifiée. Le
protocole d’analyse des données sera ensuite exposé. Dans le second chapitre, nous
présenterons les résultats de la recherche. Le processus de reconstruction collective de sens
post-reprise y sera décrit, ainsi que les facteurs qui l’influencent. Nous terminerons par une
discussion sur les résultats de la recherche et par l’émission de propositions.
Nos principaux résultats nous amènent à défendre la thèse suivante :
La conclusion générale reprendra la logique de construction de notre travail et
abordera les principaux apports ainsi que les limites de notre recherche. Les perspectives de
recherches futures seront ensuite évoquées.
La réussite de la reprise d’une TPE saine par un repreneur externe passe par un
processus de reconstruction de sens post-reprise influencé par des facteurs
individuels, organisationnels et contextuels.
26
27
Première partie :
Le cadre conceptuel de la reprise de TPE saines
28
En raison des enjeux économiques et sociaux qu’elle soulève, la transmission-reprise
d’entreprise et les problématiques qui y sont associées, constituent aujourd'hui un sujet
majeur, tant sur le plan politique que scientifique. Les études récentes (Direction Générale du
Trésor, 2013 ; Banque Populaire Caisse Epargne, 2015) révèlent qu’un nombre considérable
d’entreprises sont ou seront concernées par une telle opération dans les prochaines années.
Beaucoup d’entre elles, faute de repreneurs, sont condamnées à la fermeture, entraînant dans
leur sillage la disparition de milliers d’emplois (environ 30 000 entreprises cessent leur
activité chaque année provoquant la suppression de 37 000 emplois ; BPCE, 2011 ; Rapport
Dombre-Coste, 2015). D’autres, en raison de difficultés importantes rencontrées après la prise
de fonction du repreneur, ne résistent pas au changement de leur dirigeant et cessent
définitivement leur activité, avec pour conséquence, là aussi, une perte massive d’emplois.
C’est ce second cas de figure qui nous intéresse particulièrement et c’est là, plus précisément,
au moment où le repreneur prend seul les rênes de l’entreprise, que nous inscrivons notre
recherche doctorale, bien que, de plus en plus reconnue comme une étape déterminante du
processus (Boussaguet, 2005 ; Deschamps et Geindre, 20096), la littérature demeure encore
relativement discrète à son sujet (Picard, 2009). Ainsi, à travers ce travail, nous nous
évertuons à apporter notre contribution aux besoins de connaissances scientifiques
supplémentaires, notamment en termes de conceptualisation (Paturel, De Freyman et
Richomme-Huet, 2008), sur les phénomènes à l’œuvre lors de l’entrée en fonction du
nouveau dirigeant.
La première partie de ce travail vise à déterminer le cadre conceptuel de la reprise de
TPE saines. Nous consacrerons le premier chapitre à l’étude de l’objet TPE en dépassant les
seuls critères quantitatifs généralement utilisés. Nous mettrons en exergue les spécificités de
ce type d’entreprise et étudierons les impacts que ces dernières peuvent avoir sur la reprise.
Nous présenterons ensuite la reprise d’entreprise, ses enjeux économiques et sociaux, puis
l’inscrirons dans le champ de l’entrepreneuriat. Après avoir défini les trois grandes étapes du
processus repreneurial pour une personne physique externe, nous positionnerons notre
recherche sur la dernière d’entre elle, à savoir le management de la reprise. Pour finir, nous
entreprendrons une réflexion sur les différentes difficultés susceptibles d’être rencontrées à ce
moment précis du processus repreneurial.
6 Pour les auteurs, la reprise est un processus risqué, « l’arrivée d’un nouveau dirigeant est (…) de nature à
déstabiliser une organisation, parfois au point de la détruire » (p. 1).
29
Le second chapitre sera consacré au rôle du dirigeant en contexte de changement
organisationnel. Après examen des différentes typologies et des modèles de gestion du
changement, nous appréhenderons la RPP d’une TPE saine comme un changement
organisationnel majeur. Nous verrons en quoi une approche interprétative du changement,
plus exactement une approche prenant racine dans les théories du sensemaking, constitue un
cadre théorique particulièrement riche et adapté à l’objet de notre recherche. Une revue de
littérature portant sur les principales approches du leadership viendra compléter notre analyse.
Le changement de dirigeant apparaîtra alors comme un changement écologique, appelant une
reconstruction collective de sens de la part de tous les individus afin de mieux le réussir. Dans
ce cas précis, nous verrons en quoi le repreneur de TPE, en tant que nouveau leader disposant
d’un pouvoir d’action supérieur aux autres acteurs, constitue un élément déterminant dans
l’émergence d’un nouveau système d’actions organisées.
30
Chapitre 1 - La reprise d’une TPE : caractéristiques et particularités
Parmi toutes les entreprises reprises ou qui le seront à l’avenir, beaucoup sont des
TPE. En France, ce genre d’entreprise demeure effectivement très largement majoritaire,
environ 7 entreprises sur 10 en activité étant des entreprises de moins de 10 salariés (INSEE,
2015). Ce premier chapitre vise à étudier les caractéristiques et particularités de la reprise
d’une TPE par un repreneur externe.
Dans une première section, nous tenterons de définir le concept de TPE en dépassant
la seule lecture quantitative habituellement retenue. Nous remarquerons l’utilité d’une
approche complémentaire de nature qualitative pour mieux cerner le fonctionnement
particulier de ce type d’entreprise. Bien que ne présentant pas tout à fait les mêmes
caractéristiques et compte tenu du peu de littérature à son sujet, un détour par les nombreux
travaux portant sur la PME s’avérera fécond. Nous verrons en quoi la TPE est spécifique et
que ses singularités, notamment celles ayant trait à l’importance des relations
interpersonnelles (Dandridge, 1979) et au rôle central du dirigeant, rendent complexe et
spécifique leur reprise.
Dans une seconde section, nous définirons ce qu’est la reprise d’entreprise, ce qu’elle
représente à travers son appartenance au champ disciplinaire entrepreneurial. Les enjeux liés
au facteur humain durant la période de prise en main de l’entreprise par le repreneur, seront
ensuite abordés et précisés.
31
Section 1 - La TPE : des spécificités impactant la reprise
Les très petites entreprises (TPE) sont unanimement reconnues, tant par les pouvoirs
publics que par la communauté scientifique, pour leur poids considérable dans l’économie.
Leur pérennité, leur développement et le bon déroulement de leur transmission constituent un
enjeu majeur pour l’emploi et la vitalité économique et social du pays. Toutefois, ces
entreprises sont confrontées à de nombreuses difficultés avec le poids des charges sociales
jugées élevées7, les obstacles pour recruter et fidéliser le personnel, mais aussi pour obtenir
des financements, trouver un repreneur, etc. Le maintien et le développement d’un tissu
important de TPE dans le pays semble néanmoins devenir une préoccupation, aussi bien pour
les autorités gouvernementales que pour les acteurs économiques locaux. Malgré le récent
intérêt porté à la TPE par de nombreux acteurs économiques et politiques 8 et par une partie
de la communauté scientifique9, il n’en demeure pas moins qu’elles restent relativement peu
connues. Au niveau académique, de profondes lacunes concernant la TPE en tant qu’objet de
recherche sont dénoncées par plusieurs auteurs (Ferrier, 2002 ; Pacitto, Julien et Meier, 2002 ;
Marchesnay, 2003 ; Foliard, 2008 ; Jaouen et Torres, 2008, Mallard, 2011). Certains
attribuent le faible engouement des chercheurs à la forte complexité les caractérisant (Foliard,
2010). Pour Marchesnay (2011, p. 7), les entreprises de petites tailles auraient été victime
d’un « double ostracisme » lié à leur faible compétitivité économique, qualifiée par l’auteur
de « sous-dimension », et à leur « médiocre légitimité sociale (les « classes moyennes
inférieures») ». Le constat d’une faible connaissance de la TPE au regard de leur importance
économique et sociale a conduit certains auteurs à entreprendre des recherches qui leur sont
entièrement dédiées. C’est avec cette même volonté d’une meilleure compréhension du
fonctionnement de la TPE que nous conduisons cette recherche.
7 Ce constat, très largement exprimé par les patrons de TPE rencontrés au cour de notre recherche, trouve son
incarnation dans la marche de l’association « Sauvons nos entreprises » (créée en Janvier 2011) entre NIORT et PARIS au mois de février 2014. Le but de cette action était de sensibiliser les élus et le grand public à la situation des TPE-PME, notamment en matière de taxes sociales jugées « écrasantes ». www.sauvonsnosentreprises.fr 8 Collectivités locales, régionales, Etat… Cet intérêt se manifeste par l’organisation de plus en plus fréquente
d’événements tels que dernièrement le séminaire gouvernemental « tout pour l’emploi dans les TPE et PME » du 9 Juin 2015. 9 Comme nous le rappelle Marchesnay (2003, p. 110), à propos du livre d’Olivier Ferrier, « il a fallu attendre
2002 pour qu’un ouvrage exclusivement consacré aux TPE sorte en français ».
32
Cette section est composée de trois paragraphes. Le premier vise à mieux comprendre la
complexité liée à l’établissement d’une définition précise de la TPE en France comme à
l’étranger. La nécessité d’avoir recours à une approche qualitative sera développée dans un
deuxième paragraphe. Le troisième sera consacré au rôle central du dirigeant ainsi qu’à la
notion de proximité, spécificités de ce type d’entreprise ayant des répercussions sur le
déroulement de leur transmission.
1.1.) Mieux définir la TPE pour mieux la comprendre
Entreprendre une recherche consacrée à la TPE nécessite, en premier lieu, de définir le
plus précisément possible ce type d’entreprise. Si l’expression TPE est très largement
répandue dans le langage courant, il n’en demeure pas moins qu’elle cache une multitude de
réalités différentes. La simple observation d’une rue d’un centre-ville où se côtoient un
commerce de fruits et légumes, un cabinet d’infirmier, un cabinet de conseil ou un
établissement hôtelier, laisse entrevoir de multiples possibilités s’offrant au vocable. Cette
extrême hétérogénéité constitue, pour de nombreux auteurs, le principal frein à une étude
pertinente de leur fonctionnement. Ferrier (2002), dans son ouvrage dédié à la TPE10, souligne
la difficulté qui existe à en donner une définition et avance deux principales raisons. La
première réside dans la connaissance (ou plutôt la méconniassance) de celle-ci. La deuxième
renvoie à un « cercle vicieux ». L’auteur s’interroge alors : « est-ce qu’une entreprise est une
TPE parce qu’elle présente certaines caractéristiques ou bien est-ce parce qu’elle présente
certaines caractéristiques qu’elle est une TPE ? ».
1.1.1.) Un intérêt grandissant pour la Petite Entreprise
En France, on assiste actuellement à une prise de conscience généralisée du rôle
économique, social, et dans la préservation de la vitalité des territoires, des entreprises de
petites tailles. Pour de nombreux acteurs politiques et économiques, il s’agit d’un socle sur
lequel peut solidement s’appuyer le pays pour développer son économie. Le plan pour
l’emploi dans les TPE-PME11, présenté le 9 Juin 2015 par le Premier Ministre Manuel Valls,
est une preuve parmi tant d’autres du nouvel intérêt porté par les autorités politiques. A 10
Les très petites entreprises, paru chez De Boeck , 2002. 11
D’après le Premier Ministre, il s’agit d’un « Small Business act à la française » qui doit générer « plusieurs
dizaines de milliers d’emplois » dans les petites et moyennes entreprises. 18 mesures sont présentées pour encourager les TPE et PME à embaucher et inverser la courbe du chômage (prime de 4 000€ à la première embauche, gel des seuils fiscaux, prolongement des CDD facilité, plafonnement des indemnités prud’homales…).
33
l’heure de la mondialisation, d’Internet et de l’adaptabilité, beaucoup redécouvrent le
formidable potentiel et le dynamisme de ces petites entreprises. Celles-ci créent des emplois12,
sont fortement ancrées dans leur territoire et, pour les plus petites, sont peu sujettes à la
délocalisation. Mais quelles sont les raisons de ce regain d’intérêt des décideurs politiques et
des différents acteurs économiques ? Marchesnay (2011, p. 7) nous donne quelques
explications. Selon lui, au cours de la dernière décennie, « l’intérêt pour ces millions d’unités,
recensées ou non, n’a cessé de croître en France, pour des raisons bien connues telles que la
crise de la société salariale, la disqualification de la doxa managériale, la montée d’une
économie de l’immatériel, ou l’avènement d’une société qualifiée d’ « hypermoderne », axée
sur la singularité et les réseaux ». Cet engouement prononcé pour la Petite Entreprise n’est
pas spécifiquement français et semble également partagé au niveau européen et
international13 . De plus en plus conscients des enjeux, certaines organisations telles que
l’OCDE, publient à présent de nombreuses études à leur sujet, via un nouvel outil : l’Institut
International d’Etudes Sociales du Bureau International du Travail.
La communauté scientifique francophone n’est pas en reste. Elle aussi s’intéresse depuis
peu au fonctionnement et aux particularités de ce type d’entreprise. Plusieurs domaines
disciplinaires tentent d’apporter leurs éclairages sur la question. C’est le cas, par exemple, de
la sociologie avec les travaux de Letowski et Trouve (2004), et Mallard (2011), de l’économie
(Delattre, 1982 ; Julien, 1990, Julien et Carriere, 1994, Ferrier, 2002), et, dans une autre
mesure, des sciences de gestion (Mahe de Boislandelle, 1988 ; Sammut, 1995 ; Torrès, 1997 ;
Richomme, 2000 ; Marchesnay, 2003 ; Guegen, 2004 ; Jaouen, 2006 ; Paturel et Richomme-
Huet, 2007 ; Foliard, 2008 ; De Freyman, 2010 ; Filion et Lima, 2012). Ferrier (2002)
confirme ce regain d’intérêt de la communauté scientifique pour les petites entreprises et
s’appuie pour cela sur plusieurs observations : (1) la création de revues scientifiques dédiées
spécifiquement aux PME ; (2) le développement par les universités de programmes
spécifiques portant sur l’étude des entreprises de petites tailles ; (3) la prise en compte
grandissante des petites structures sur le plan statistique par certains organismes tels l’INSEE,
l’OCDE, DARES14 (ceci permettant d’ailleurs d’alimenter avec des données plus fiables les
12
D’après les chiffres publiés par la Commission Européenne, les TPE-PME ont assuré 85% des créations nettes d’emplois dans l’Union de 2002 à 2010. 13
La préservation de ce type d’entreprise est essentielle au développement des Pays en Développement, car ces petites unités représentent parfois l’unique source d’emplois et de renouvellement de l’économie (Julien et Marchesnay, 1988). 14
Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques.
34
recherches sur la petite entreprise) ; (4) l’organisation de manifestations consacrées à la petite
entreprise.
En ce qui concerne les sciences de gestion, la recherche sur la petite entreprise semble se
structurer de mieux en mieux, notamment par l’intermédiaire de laboratoires de recherche
étudiant spécifiquement ce type d’entité et par l’organisation de colloques qui y sont
entièrement dédiés. Particulièrement investi sur la question, Torrès (1997) a entrepris une
réflexion sur les raisons qui ont poussé les chercheurs à s’intéresser exclusivement à la PME.
Trois justifications sont retenues par l’auteur ; (1) la justification empirique renvoie à la place
importante occupée par les PME dans la majorité des économies ; (2) la justification
méthodologique fait référence à l’identification plus aisée des phénomènes s’y produisant du
fait de sa petite dimension ; (3) la justification théorique : l’auteur cite Julien (1993) pour qui,
d’un point de vue strictement économique, plusieurs théories 15 justifient la présence des
petites entreprises. A partir d’une approche historique de la recherche en PME, Torrès (1997)
met en évidence le développement simultané, dès la fin des années 70, de deux grands
courants distincts intéressés aux problématiques de la petite entreprise : le courant de la
spécificité et le courant de la diversité.
Ø Le courant de la spécificité considère la PME comme un objet spécifique de recherche
(Gervais, 1978, Marchesnay, 1982). L’objectif clairement affiché est de faire reconnaître les
particularités de la PME en élaborant de nouvelles théories et de nouveaux cadres d’analyse
(Gervais, 1978). Julien et Marchesnay (1988) ont la volonté de ne plus faire de ces structures
un modèle réduit de la grande entreprise, mais d’en extraire au contraire des particularités, des
constantes à la base même de leur spécificité. Ils ont ainsi posé les fondations de « la thèse de
la spécificité au rang de paradigme dominant et structurant de la pensée orthodoxe de la
communauté scientifique en PME » (Torrès, 1997).
Ø Le courant de la diversité revendique la nécessité d’adopter une approche contingente,
chaque entreprise étant considérée comme unique (Torrès, 1997). L’objectif consiste alors à
établir une typologie des Petites Entreprises à partir de l’identification des facteurs influençant
leurs natures.
15
La théorie des interstices de PENROSE (1959) est notamment citée. Cette dernière justifie l’existence de petits marchés soit très spécialisés, soit correspondant à une zone géographique délimitée où les acteurs en présence sont proches les uns des autres. Le rôle de l’entrepreneuriat est également noté.
35
Ces deux courants ont dû affronter de nombreuses critiques. Un risque de dérive
dogmatique pour le courant de la spécificité, l’approche se voulant universelle, a été relevé.
D’ailleurs selon Wtterwulghe (1998), cette volonté d’universalité conduit à sacrifier la
richesse et la diversité des PME. Un risque de dérive casuistique a été avancé pour le courant
de la diversité : chaque entreprise étant un cas unique, il n’est alors plus possible d’opérer une
généralisation et, donc, de proposer une théorie de la PME (Torrès, 1997). Afin de prendre en
compte les divergences des deux approches et de faciliter le travail du chercheur confronté au
choix de l’une ou l’autre, de nouveaux courants se sont développés dès le milieu des années
80 : le courant de la synthèse et le courant de la dénaturation.
Ø Le courant de la synthèse. Pour les partisans de ce courant, il est nécessaire
d’introduire de la modularité dans la spécificité du concept PME. Est ainsi intégrée de la
diversité au sein de la spécificité. L’objectif ne réside plus dans l’élaboration d’un profil type
de TPE-PME, mais dans la recherche de cadres d’analyse ou de modèles heuristiques
représentant leur complexité (Torrès, 1999).
Ø Le courant de la dénaturation. Pour déterminer si une petite entreprise est toujours
conforme à la norme PME, il s’appuie sur une question simple : quels sont les contextes
dénaturant la PME ? (Torrès, 1997). Dans ce cadre d’analyse, plusieurs travaux ont mis en
évidence l’existence de facteurs dénaturants tels que l’autonomie de gestion ou encore
l’indépendance financière. L’avantage de ce dernier courant est de s’affranchir de la référence
à la grande entreprise pour étudier la PME en analysant ses caractéristiques propres (Guilhon
et al., 1993 cités par Torrès, 1997).
Bien que circonstancié à la PME, il nous paraît important d’utiliser ce travail de
définition afin de le transposer à la TPE et ainsi mieux situer notre approche. Par le passé, il a
été nécessaire d’extraire la PME de l’étude de la grande entreprise. Certains auteurs appellent
le même travail entre la PME et la TPE (Foliard, 2008). La question est de savoir si la TPE
présente des particularités nécessitant une approche entièrement dédiée. Sans entrer dans le
débat, nous jugeons l’apport des courants spécialisés dans l’analyse des PME essentiel à
l’étude de la TPE. En ce qui nous concerne, et à partir de tout ce qui vient d’être dit, nous
nous situons plutôt dans le courant de la spécificité. A travers notre recherche doctorale, nous
souhaitons mettre en évidence des particularités, des constantes qui font que nous considérons
36
la TPE comme une entité différente des autres. A l’instar d’autres auteurs avant nous, nous
pensons que la petite taille, le rôle central du dirigeant, la proximité des relations entre acteurs
sont des éléments spécifiant ce type d’organisation. La figure ci-dessous résume la succession
des courants de recherche sur la PME observés depuis le début des années 60.
Figure 3 - Évolution historique de la recherche en PME
Source : Torrès (1997).
Les années 90 ont vu paraître un nombre croissant de travaux scientifiques consacrés à la
petite entreprise au sein de revues spécialisées en PME et en entrepreneuriat 16 . Pour
Marchesnay, la recherche en PME s’est développée à un point tel que l’on pourrait parler
d’une mode. Malgré ce réel engouement et l’avancée incontestable apportée par ces travaux, il
demeure nécessaire de s’interroger davantage sur l’identité profonde de la TPE, sur ce
16
Nous pouvons citer les nombreuses thèses, articles scientifiques publiés fréquemment par les revues des
deux grandes associations francophones que sont l’AIREPME et l’Académie de l’entrepreneuriat.
ANNEES 60/70 LES PREMICES
ANNEES 70/80
MILIEU 70 LES FONDEMENTS
MILIEU 70
DEBUT 90 LES PROLONGEMENTS
MILIEU 90
COURANT DE LA
SPECIFICITE
EFFET-TAILLE
UNIVERSEL
PHASE DE GENERALISATION THEORIQUE PHASE D’EXAMEN CRITIQUE EMPIRIQUE
COURANT DE LA DIVERSITE
COURANT DE LA SYNTHESE COURANT DE LA
DENATURATION
MODELE DE
METAMORPHOSES
UNIVERSEL
MODELE DE
METAMORPHOSES
CONTINGENT
EFFET-TAILLE
CONTINGENT
37
qu’elles sont et ce qu’elles font (Marchesnay, 2003, p. 11017). Tout chercheur désirant mener
une étude sur la TPE en France, se trouve confronté à la nécessité d’en donner une définition
ou tout au moins d’en apprécier clairement les contours18. La tâche s’avère d’emblée délicate,
car il n’existe pas de critères de définition unique de la TPE. La faible littérature académique
lui étant consacrée constitue un obstacle supplémentaire. Ces raisons font que de nombreux
auteurs recherchent, dans les travaux consacrés à la PME, des éléments de réponses
susceptibles d’éclairer leur questionnement. Il est un fait que, pour une partie de la
communauté scientifique, la TPE n’est qu’une entreprise moyenne en devenir.
1.1.2.) La TPE : une Moyenne Entreprise plus petite ?
Si la recherche sur la PME a le vent en poupe, la littérature consacrée à la TPE demeure
largement insuffisante19. Nous avons pu constater, au cours de nos revues de littérature, la
faiblesse des écrits lui étant spécialement réservés. Le plus souvent, les recherches en PME et
en entrepreneuriat ne traitent pas spécifiquement de cette entité comme un objet de recherche
en soi, mais comme un simple champ au regard de leur objet principal (Marchesnay, 2003).
Pour de nombreux auteurs, la TPE n’est qu’un état transitoire vers l’émergence d’une entité
réellement observable, ou encore, ne peut être dissociée de l’étude de la PME, car ne
présentant pas de traits spécifiques. Confrontés à la carence de travaux académiques et
statistiques sur la TPE, des chercheurs se détournent de son étude ou choisissent tout
simplement de l’inclure dans une approche plus générale de la PME (Marchesnay, 2003 ;
Foliard, 2008). Pour Mallard (2011), les recherches menées se contentent de décliner et de
confronter au contexte de la TPE des questions et des problématiques traditionnellement
réservées à l’étude des modes de gestion de la PME. Cette approche méthodologique
contribue certainement au maintien d’un certain amalgame. Marchesnay (2003, p. 108)
résume la situation de la manière suivante : « En forçant le trait, on a le sentiment que, pour
bien des chercheurs, la TPE, et a fortiori la PE [petite entreprise], n’est qu’une ME
[moyenne entreprise] plus petite (voire appelée à grandir),(…).La réalité est infiniment plus
17
L’auteur nous interpelle : « Faut-il rappeler que ces « illustres inconnues » sont omniprésentes dans toutes les
sphères de l’économie et de la société ? Faut-il rappeler que leur poids est d’autant plus important que celle-ci
sont évoluées ? Faut-il rappeler que les activités émergentes de ce siècle exigeront avant tout des unités de
petites dimensions (le savoir, la santé, la communication, les loisirs, la culture) ». 18
Nous garderons à l’esprit tout au long de ce travail qu’il n’existe pas véritablement de moyen complètement satisfaisant de faire le tour des connaissances constituées autour de l’objet TPE (Mallard, 2011). 19
Marchesnay (2003, p. 109) écrit à ce sujet : « l’inventaire des publications les plus diverses au cours de ces dix
dernières années (ouvrages, articles, communications, etc.) décourage le lecteur le mieux disposé ! Mais, dans
cette somme impressionnante, les TPE, voire les PE, sont réduites à la portion congrue ».
38
complexe ! ». Pour Foliard (2008), la TPE est longtemps restée « dans l’ombre de la PME »
à laquelle de nombreuses démarches tant universitaires qu’émanant d’instances
gouvernementales, l’ont associée. Nous relevons néanmoins que des efforts de recherches ont
été réalisés, notamment à travers la publication d’ouvrages (Ferrier, 2002 ; Jaouen et Torrès,
2008 ; Mallard, 2011), d’articles ou bien encore la tenue de congrès lui étant entièrement
consacrés20. Dès la fin des années 80, afin d’avoir une meilleure compréhension de la TPE,
quelques auteurs (Julien et Marchesnay, 1988 ; Julien, 1990) ont tenté d’en établir une
typologie. Deux grandes orientations se sont révélées. Une approche plus fonctionnelle, basée
sur des données quantitatives (effectif, chiffre d’affaires, etc.), guide l’observateur à travers
des ordres de grandeur aisément mesurables et vérifiables. Une deuxième approche s’appuie,
quant à elle, sur d’autres critères de type qualitatif tels que l’indépendance de l’entreprise, le
rôle du dirigeant, la spécialisation, la stratégie adoptée, la distance hiérarchique, etc. Nous
allons, dans les points suivants, examiner les critères de définition proposés, en distinguant
l’approche quantitative de l’approche qualitative.
1.1.3.) Une première approche quantitative
L’approche quantitative est basée sur l’emploi de variables pouvant être mesurées
pour définir une TPE. Il s’agit de critères tels que l’effectif, le chiffre d’affaires ou encore le
total du bilan annuel. Cette méthode est facilement utilisable : elle est la plus intuitive et la
plus fréquemment retenue (Ferrier, 2002). Afin de clarifier et d’harmoniser l’utilisation du
terme « petites entreprises » au niveau communautaire, la Commission européenne a décidé
d’en établir une définition autour d’un référentiel commun de variables quantifiables21. Cette
démarche est également destinée à faciliter la mise en place de dispositions législatives
spécifiques aux PME et à permettre une politique de soutien adaptée (Wtterwulghe, 1998).
Deux recommandations se succèdent. Une première datée du 3 Avril 1996 (recommandation
96/280/CE) définit les petites et moyennes entreprises en termes d’effectifs salariés, de chiffre
d’affaires ou de total du bilan. Malgré son apparente simplicité opérationnelle, de nombreuses
20
Nous pourrions citer les travaux publiés dans la RIPME, le dossier consacré uniquement à la TPE réalisé en 2003 par la Revue française de gestion ou encore le congrès du CIFEPME de 2004 organisé autour de la petite entreprise. 21
Dès 1992, dans un rapport présenté au conseil européen et à la demande du conseil "industrie" du 28 mai 1990, la Commission préconisait déjà de limiter la prolifération des définitions des petites et moyennes entreprises en usage au niveau communautaire. Aussi, dans un souci d’harmonisation et dans une logique de marché commun, les entreprises doivent « faire l'objet d'un traitement fondé sur un socle de règles
communes», recommandation du 6 Mai 2003 (2003/361/CE) concernant la définition des micro, petites et moyennes entreprises, [notifiée sous le numéro C(2003) 1422].
39
difficultés d’interprétations sont apparues au moment de son application. La Commission
européenne a donc décidé de remplacer cette dernière par une nouvelle recommandation
censée apporter plus de clarté. Des modifications sont ainsi portées dans une seconde
recommandation en date du 6 Mai 2003. Elles concernent, en premier lieu, les plafonds de
chiffre d’affaires et du total du bilan annuel qui sont largement revus à la hausse. La notion de
microentreprise est également précisée et son importance en matière de création d’emplois
reconnue22. Dans son article premier, cette seconde recommandation23, définit d’abord les
entreprises de la manière suivante :
« Est considérée comme entreprise toute entité, indépendamment de sa forme juridique, exerçant une activité économique. Sont notamment considérées comme telles les entités exerçant une activité artisanale ou d'autres activités à titre individuel ou familial, les sociétés de personnes ou les associations qui exercent régulièrement une activité économique ».
Les critères retenus pour définir les catégories d'entreprises sont les suivants (article 2
de la recommandation) :
« 1. La catégorie des micro, petites et moyennes entreprises (PME) est constituée des
entreprises qui occupent moins de 250 personnes et dont le chiffre d'affaires annuel
n'excède pas 50 millions d'euros ou dont le total du bilan annuel n'excède pas 43 millions
d'euros.
2. Dans la catégorie des PME, une petite entreprise est définie comme une entreprise qui
occupe moins de 50 personnes et dont le chiffre d'affaires annuel ou le total du bilan
annuel n'excède pas 10 millions d'euros.
3. Dans la catégorie des PME, une microentreprise est définie comme une entreprise qui
occupe moins de 10 personnes et dont le chiffre d'affaires annuel ou le total du bilan
annuel n'excède pas 2 millions d'euros. »
Cette nouvelle définition relève amplement les plafonds des seuils pris en
considération (chiffre d’affaires, total du bilan). La Commission apporte également une
distinction supplémentaire concernant la nature des relations que les entreprises entretiennent
avec d’autres entreprises afin d’exclure celles qui ne sont pas véritablement des PME. Dans
cette perspective, l’article 3 de la recommandation distingue plusieurs types d’entreprises
devant être pris en considération dans les modalités de calcul de l’effectif et des montants 22
Considération 8 de la Recommandation (2003/361/CE) : « À la suite de l'approbation en juin 2000 par le Conseil européen de Santa Maria da Feira de la charte européenne des petites entreprises, il y a lieu, en outre, de mieux définir les microentreprises, qui constituent une catégorie de petites entreprises particulièrement importante pour le développement de l'esprit d'entreprise et pour la création d'emplois ». 23
Recommandation 2003/361/CE [Journal officiel L 124 du 20.05.2003].
40
financiers. (1) Les entreprises « autonomes » sont totalement indépendantes ou ont conclu un
ou plusieurs partenariats mineurs avec d’autres entreprises (être détenu et/ou détenir moins de
25% du capital ou des droits de vote). (2) Les entreprises « partenaires » sont celles dont la
participation ne dépasse pas le seuil des 50% mais n’exerçant aucun contrôle direct ou
indirect l’une sur l’autre. (3) Si la participation excède les 50%, la Commission considère les
entreprises comme étant « liées ». Cette délimitation permet de soustraire à l’appellation PME
les groupes d’entreprises et, par voie de conséquence, favorise un meilleur ciblage des
politiques de soutien. Au cours de notre travail doctoral, nous désignerons par TPE, les
entreprises répondant aux critères européens de la microentreprise, c'est-à-dire celles réalisant
moins de 2 millions de chiffre d’affaires (ou du total du bilan annuel), qui emploie moins de
10 salariés et qui sont autonomes.
Tableau 1 - Les critères européens de définition des entreprises (recommandation 2003/361/CE)
Critères Microentreprises Petites entreprises
(PE)
Petites et moyennes entreprises
(PME)
Effectif salarié < 10 < 50 < 250
Chiffre d’affaires ≤ 2 millions € ≤ 10 millions € ≤ 50 millions €
Total du bilan
annuel
≤ 2 millions € ≤ 10 millions € ≤ 43 millions €
En France, en réponse aux recommandations européennes, une nouvelle classification
des entreprises a été instituée par décret en 200824. Elle reprend les critères de l’effectif, du
chiffre d’affaires, du total du bilan établis par la Commission européenne (y est également
ajouté le degré d’autonomie de décision). Nous relevons, toutefois, que les seuils officiels de
définition ne sont pas les seuls encore utilisés par la puissance publique. D’autres seuils basés
sur l’effectif ou le chiffre d’affaires sont employés pour déterminer ce qu’est une TPE
(Ferrier, 2002). Ainsi, en droit du travail français, le seuil des 10 salariés oblige l’entreprise à
mettre en place un ou plusieurs délégués du personnel25 ou encore à verser au titre de la
24
Décret n° 2008-1354 du 18 décembre 2008, pris en application de l’article 51 de la loi 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie. 25
Art. L. 421-1 du Code du travail.
41
formation continue non plus 0,15% de la masse salariale, mais 1,5% ; le seuil des 20 salariés
impose une obligation d’emploi concernant les handicapés26, l’établissement d’un règlement
intérieur, etc. De la même manière, si le code général des impôts reprend la définition établie
par la Commission européenne concernant la moyenne entreprise (article 44 septies), le
document budgétaire 27 annexé chaque année au projet de loi de finances et consacré à
« l’effort financier de l’Etat en faveur des petites et moyennes entreprises », ajoute la notion
de très petites entreprises pour les entreprises employant de 0 à 19 salariés. Sur le plan fiscal,
l’administration en charge de la collecte de l’impôt a défini des seuils différents et basés en
premier lieu sur le chiffre d’affaires réalisé. Ainsi, ne sont considérées comme
«microentreprises » que les entreprises dont le chiffre d’affaires ne dépasse pas 82 200 euros
hors taxes pour les activités de ventes de marchandises (BIC) et 32 900 euros hors taxes pour
les activités de prestations de services et les professions libérales (BNC). Les entreprises
dépassant ces seuils sont donc soumises au régime simplifié ou au régime normal28.
1.1.4.) D’une approche quantitative à une approche qualitative
En nous basant sur les critères quantitatifs tels que définis par la loi de modernisation
(LME) de 2008, nous observons que la France compte 2 148 900 entreprises de très petites
tailles sur un nombre total de 3,3 millions d’unités légales (Insee, 2015)29. On s’aperçoit que
les TPE ont un poids considérable dans l’économie puisqu’elles constituent 65,5% des
entreprises recensées et emploient 18.8% des salariés du secteur concurrentiel 30 , soit
approximativement 2,3 millions de personnes en équivalent temps plein. Elles réalisent 477
milliards d’euros de chiffre d’affaires, génèrent 168 milliards d’euros de valeur ajoutée et près
de 29 milliards d’euros d’investissements (Insee, 2015). Les TPE occupent en moyenne trois
personnes, mais plus de la moitié déclare en employer seulement une ou deux (respectivement
35% et 21%)31.
26
Art. L. 323-1 du Code du travail. 27
L’article 106 de la loi de finances pour 1996 stipule l’obligation faite au Gouvernement de présenter chaque année, en annexe au projet de loi de finances, un rapport rendant compte de l’ensemble de l’effort financier de l’État à destination des petites et moyennes entreprises (PME). 28
Ne sont concernées par le régime simplifié que les entreprises industrielles, commerciales et artisanales dont le chiffre d’affaires est compris entre 82 200 euros et 783 000 euros pour la vente de marchandises et entre 32 900 et 236 000 euros pour les activités de prestations de services. 29
Chiffres arrêtés à 2012. Unités exerçant une activité dans les secteurs principalement marchands, hors agriculture et services financiers. Ces chiffres ne tiennent pas compte des microentreprises qui relèvent du statut d’auto-entrepreneur et du régime fiscal de la microentreprise. 30
Hors agriculture, intérimaires et stagiaires (Insee, 2015). 31
Chiffres arrêtés au 31 décembre 2011, publication de DARES ANALYSES, N°96, Décembre 2012.
42
Tableau 2 – Les TPE françaises en chiffres
Unités
légales
Salariés en
ETP
Chiffre
d’affaires
Valeur
ajoutée
Investissements
En nombre En nombre En millions
d’€
En millions
d’€
En millions d’€
Très petites
entreprises (TPE) 2 148 900 2 266 800 476 800 168 400 28 800
Part en % (total des
unités légales) 65.5 18.8 12.8 17.1 15.6
ETP : Equivalent Temps Plein. En France, secteurs principalement marchands hors agriculture et services financiers. TPE au sens de la LME, hors auto-entrepreneurs et microentreprises au sens fiscal (en 2012). Source : Insee Focus (2015).
Les TPE sont peu tournées vers l’export. Elles réalisent seulement 17 milliards d’euros
de chiffre d’affaires à l’export, soit moins de 3% du total des exportations. Leur activité est
davantage orientée vers l’économie locale avec une sur-représentation dans le secteur du
commerce, des services et de la construction. Le tableau suivant dresse un panorama des TPE
françaises en fonction du secteur d’activité.
Tableau 3 – Les TPE en fonction du secteur d’activité TPE Salariés en ETP Valeur ajoutée
Nombre (en
milliers)
Poids (en %)
Nombre (en milliers)
Poids (en %)
Valeur (en millions d’€)
Poids (en %)
Industrie 157 7.3 258 11.4 16 220 9.6 Construction 369 17.2 460 20.3 31 309 18.6 Commerce 475 22.1 588 26.0 39 878 23.7 Transport et Entreposage
77 3.6 71 3.1 5 340 3.2
Hébergement et restauration
199 9.3 297 13.1 15 210 9.0
Information et communication
76 3.5 56 2.5 5 473 3.2
Immobilier 186 8.7 56 2.5 8 470 5.0 Services aux entreprises
427 19.9 338 14.9 38 575 22.9
Services aux particuliers
183 8.5 144 6.4 7 956 4.7
Total 2 149 100.0 2 267 100.0 168 430 100.0 ETP : Equivalent Temps Plein. En France, secteurs principalement marchands hors agriculture et services financiers. TPE au sens de la LME, hors auto-entrepreneurs et microentreprises au sens fiscal. Chiffres donnés pour l’année 2012. Source : Insee, Esane 2012, Fare 2012.
43
Concernant les chiffres à l’international, ils dépendent de la définition formulée par le
pays étudié. D’une manière générale, le critère de définition le plus souvent retenu est celui de
l’effectif32. Ainsi, selon le pays concerné, une TPE sera une entreprise de moins de 5, 10,
voire 20 salariés, rarement plus. Dans son étude sur « Les PME et la mondialisation »33
l’OCDE dresse, pour la première fois, un état des lieux de l’activité des petites entreprises et,
par voie de conséquence, en élabore une typologie. L’organisation opère une distinction selon
l’effectif présent dans l’entreprise. Sont ainsi considérées comme microentreprises, les
entreprises composées de 1 à 4 salariés ; les TPE sont celles ayant de 5 à 19 salariés ; les
petites entreprises ont de 20 à 99 salariés ; les moyennes de 100 à 500 et les grandes plus de
500. Plus récemment, dans son ouvrage « Panorama de l’entrepreneuriat 2013 »34, l’OCDE
rectifie les seuils précédents et retient les suivants : 1 à 9 salariés, 10 à 19, 20 à 49, 50 à 249 et
250 salariés et plus. Cette ventilation présente l’intérêt d’une « comparabilité optimale »35,
étant donné les pratiques propres à chaque pays. Grâce à cette classification, on observe
statistiquement que, dans la plupart des pays de l’OCDE, les TPE de 1 à 9 salariés
rassemblent plus de 80 % des entreprises36. La Suisse présente le plus faible pourcentage de
TPE par rapport à l’ensemble des entreprises avec un taux de seulement 69% alors que pour
de nombreux pays, ce taux avoisine les 95% (Turquie : 98% ; Corée, République Tchèque,
République Slovaque : 96% ; Italie, Hongrie, Portugal et Pologne : environ 95%).
32
Néanmoins, dans certains pays, la définition de la TPE variera en fonction du secteur d’activité. 33
Rapport en deux volumes, « PME et mondialisation, rapport de synthèse » et « PME et mondialisation, études par pays », vol 1 et 2, 1997, OCDE, Paris. 34
OCDE (2013), « Entreprises par classe de taille », dans Panorama de l'entrepreneuriat 2013, Éditions OCDE. 35
OCDE (2013), op.cit. 36
OCDE (2011), « Taille et dynamique des entreprises », dans Science, technologie et industrie : Tableau de
bord de l'OCDE 2011, Édition OCDE.
44
Tableau 4 - Ventilation des entreprises par classe de taille dans les pays de l’OCDE
EFFECTIF salarié
PAYS 1-9 10-19 20-49 50-249 250+ Suisse 69,18 17,07 8,95 4,08 0,72 Fédération de Russie 72,83 11,92 8,97 5,23 1,05 Nouvelle-Zélande 75,25 12,08 6,05 5,58 1,04 Brésil 79,93 10,72 5,88 2,85 0,62 Canada (2009) 80,72 10,22 6,22 2,59 0,26 Allemagne 82,27 9,85 4,86 2,55 0,47 Israël (2009) 84,07 8,34 4,95 2,24 0,40 Autriche 87,43 6,95 3,68 1,60 0,33 Luxembourg 87,76 5,95 3,78 2,03 0,48 Estonie 88,88 5,49 3,53 1,85 0,25 Roumanie 89,00 5,56 3,40 1,71 0,33 Lituanie 89,02 5,59 3,38 1,77 0,25 Lettonie 89,23 5,66 3,26 1,64 0,23 Royaume-Uni 89,36 5,74 3,00 1,55 0,35 Danemark 89,36 5,56 3,32 1,48 0,28 Bulgarie 90,93 4,65 2,80 1,40 0,22 Finlande 92,07 4,17 2,41 1,08 0,27 Pays-Bas 93,56 3,15 2,01 1,08 0,20 Slovénie 93,60 3,34 1,80 1,06 0,20 Espagne 93,79 3,56 1,85 0,68 0,12 Belgique 93,98 3,15 1,92 0,78 0,16 France 94,21 2,92 1,90 0,80 0,17 Mexique (2008) 94,42 - 4,20 0,65 0,12 Suède 94,48 2,91 1,67 0,79 0,16 Italie 94,63 3,46 1,32 0,50 0,08 Hongrie 94,69 3,03 1,41 0,73 0,14 Portugal 94,92 2,87 1,49 0,63 0,09 Pologne 95,38 1,81 1,56 1,04 0,21 République slovaque 95,68 2,68 0,95 0,57 0,12 République tchèque 95,73 2,18 1,27 0,68 0,14 Corée 96,44 3,01 0,30 0,18 0,06 Japon (2009) 78,86 15,52 2,78 0,18 2,44 États-Unis 93,52 3,09 2,51 0,56 0,32 Australie 95,32 - 4,36 - 0,32 Turquie (2009) 98,45 - 0,89 0,54 0,12 Pourcentage, 2010 ou dernière année disponible. Source OCDE 2013. Panorama de l’entrepreneuriat 2013.
45
A partir du critère de l’effectif, nous pouvons voir que les TPE représentent la forme
d’organisation la plus répandue dans la quasi-totalité des économies des pays développés. Les
critères quantitatifs ont un intérêt pratique indiscutable pour définir les contours de la TPE et
appréhender leur poids dans l’économie. Ils sont aisément identifiables, simples d’accès et
permettent de cordonner à partir de valeurs mesurables, notamment au niveau européen, des
politiques visant à soutenir les petites entreprises. Toutefois, cette approche présente
rapidement des limites dès lors que l’on s’interroge sur la nature et la représentativité des
critères retenus. Par exemple, pour Marchesnay (2003), le critère de l’effectif n’est pas
caractéristique de la réalité des petites organisations d’aujourd’hui. Pour l’auteur, ce critère
explose littéralement au sein de ce type d’entreprise, notamment à cause de la diversification
du statut des salariés (intérimaires, saisonniers, apprentis) et de l’emploi de personnels non
enregistrés (essentiellement familiaux). On s’interroge également sur la pertinence
d’appliquer le critère de l’effectif indépendamment du secteur d’activité. La question est de
savoir si on peut comparer, par exemple, sur ce même critère, des TPE du secteur des services
avec des TPE du secteur industriel37. Le second critère, celui du « total du bilan », peut lui
aussi faire l’objet de vives critiques. Etant basé sur les actifs de l’entreprise, beaucoup
s’interroge sur l’impartialité de leur évaluation : cette dernière demeurant toujours délicate.
Pour dépasser les nombreuses limites liées à l’utilisation d’une approche quantitative,
de nouveaux critères de type qualitatif ont été introduits. Là encore, le peu de littérature
consacrée à la TPE nous oblige à explorer les travaux consacrés initialement à la PME.
L’approche qualitative se veut plus précise, car elle prend en considération des
caractéristiques internes à l’entreprise telles que, par exemple, le mode de management ou le
fonctionnement du système d’information. A l’instar de nombreux auteurs (Torrès, 2002 ;
Ferrier, 2002 ; Foliard, 2008), nous utiliserons les travaux du GREPME (1994, 1997)38, initiés
par Julien (1990), pour tenter de définir la TPE. Les recherches menées par cette équipe nous
invitent à retenir six critères39 :
37
Une TPE de 10 salariés appartenant au secteur des services peut apparaître importante au regard des autres entreprises travaillant dans la branche, alors qu’une TPE industrielle avec le même effectif est une entreprise de petite taille par rapport aux autres firmes présentes sur le marché. Ce phénomène peut s’expliquer par la réalisation de lourds investissements et la recherche d’économies d’échelles nécessaires pour survivre dans le milieu industriel, ce qui induit de fait un nombre de salariés plus important. A l’inverse, dans le secteur du service, il est tout à fait possible d’exercer seul ou en petit nombre, sans avoir recours à de lourds investissements. 38
Groupe de recherche sur la petite et moyenne entreprise, équipe de recherche à l’origine de la RIPME et de l’AIREPME. 39
Ces critères ont par la suite été identifiés sur le terrain par Pacito, Julien et Meier en 2002.
46
- la dimension : la TPE doit être de petite taille et définie par pondération selon les
secteurs (Ferrier, 2002) ; le dirigeant a tendance à privilégier une organisation simple
et facilement contrôlable ; cette démarche correspond au choix de l’hypofirme
(Marchesnay, 1997) de ne pas dépasser certains seuils (effectifs, CA…) ;
- la gestion : elle est centralisée autour de la personnalité du propriétaire-dirigeant. Ce
dernier assure directement la gestion de l’entreprise ;
- la stratégie : elle est intuitive et peu formalisée ; il ne s’agit pas réellement de stratégie
(impliquant une réflexion à long terme) comme on pourrait l’entendre au sein d’une
grande entreprise mais plutôt de tactique (réflexion à court terme) ;
- la spécialisation : dans les TPE, la spécialisation des employés est plutôt faible ; la
règle prédominante est la polyvalence du personnel ;
- le système d’information interne : il est simple et peu organisé, le contact direct et le
dialogue entre salariés assure la circulation de l’information ;
- le système d’information externe : il est lui aussi simple et peu organisé, le
propriétaire dirigeant obtient une partie des informations nécessaires à son activité
directement auprès de ses clients, fournisseurs et concurrents.
Ces critères de définition supplémentaires sont des outils pour mieux circonscrire ce que
sont réellement les TPE. Même s’ils ne permettent toujours pas d’établir une définition
complète de ce type d’entreprise, le fait de les combiner aux critères d’ordre quantitatif nous
en donne une première représentation. On retiendra, dans un premier temps, que les TPE sont
des entreprises de petites tailles, juridiquement indépendantes, opérant dans différents
secteurs d’activités et dont la direction est concentrée dans les mains d’un ou plusieurs
propriétaires dirigeants40. Contrairement à la grande entreprise, le dirigeant de la TPE est
omniprésent, concentre tous les pouvoirs et prend toutes les décisions importantes. Les TPE
sont donc spécifiques de par leur nature, leur fonctionnement et leur mode de gestion. Torrès
(1999, 2003) préconise d’approfondir le travail de recherche sur la petite entreprise en passant
d’une approche descriptive à une approche explicative regroupant les caractéristiques de la
petite entreprise autour d’un principe central et multidimensionnel de proximité41. La TPE
40
La direction de l’entreprise est assurée le plus souvent par une personne et quelquefois 2 ou 3, rarement plus. 41
Selon cet auteur, la proximité doit être appréhendée comme « un mécanisme de hiérarchisation qui crée les
conditions nécessaires à l’action et à la réflexion dans une organisation centralisée, faiblement spécialisée,
dotée de systèmes d’information interne et externe simples et privilégiant des stratégies intuitives et peu
formalisées».
47
s’apparente alors à un mix de proximité (tableau 5) (hiérarchique, spatiale, temporelle,
fonctionnelle, etc.), ensemble cohérent permettant « d’articuler les spécificités des TPE dans
un cadre unitaire et plus précis » (Torres, 2007) comme le montre le tableau suivant.
Tableau 5 - La petitesse des entreprises conçue comme un mix de proximité
Caractéristiques de la petitesse des
entreprises
Types de proximité
Rôle prépondérant du dirigeant, personnalisation de la gestion.
Proximité hiérarchique
Faible spécialisation des tâches. Proximité fonctionnelle
Stratégie informelle et de court terme. Proximité temporelle
Système d’information simple et direct
(oralité). Système d’information de proximité
Contact direct avec le client. Marketing de proximité
Forte concentration du capital entre les mains du dirigeant. Confusion entre le patrimoine de l’entreprise et du dirigeant.
Finance de proximité
Forte insertion territoriale. Proximité spatiale
Source : Torrès (2007).
Tous les auteurs qui se sont penchés sur la question s’accordent sur le fait qu’on ne gère
pas une TPE comme on dirige une grande entreprise. Si l’on admet que la TPE et sa gestion
sont empreintes de spécificité, la reprise d’une TPE doit également être considérée comme
spécifique. La section suivante s’attache à étudier l’effet complexifiant des particularités de la
TPE sur le processus de reprise.
1.2.) Des spécificités à l’origine d’une transmission-reprise complexe
Les TPE présentent des caractéristiques qui leur sont propres avec une petite taille, un
système de gestion ainsi qu’un système d’information simples et centralisés, et par-dessus
tout un dirigeant propriétaire omniprésent régnant en maître sur son entreprise. Selon
Marchesnay (1991, p. 13), dire que le propriétaire-dirigeant joue un rôle essentiel dans la
48
gestion de son affaire, « c’est asséner un truisme ». Pour de nombreux auteurs, il est évident
que le dirigeant de TPE est l’élément central de l’entreprise. Toute l’activité s’articule autour
de lui, il est à la fois l’initiateur, le commercial, l’administratif et le coordinateur. Les
relations avec l’extérieur sont également assurées en grande partie par cet homme orchestre.
Cette forte implication se traduit par des emplois du temps surchargés malgré un nombre
d’heures de travail conséquent, comme pour la majorité des dirigeants de PME (Bruyat,
1993 p. 126 ; Drucker-Godard, 2000). Le dirigeant de TPE, par manque de temps et de recul,
a tendance à considérer l’ensemble des actions à mener comme étant stratégiques (Mahé de
Boislandelle, 1996). Pour Torrès (2003, p. 125), « la petite taille expose (…) plus facilement
le propriétaire-dirigeant aux perturbations quotidiennes et en cela l’empêche de consacrer du
temps à la réflexion stratégique et de prendre du recul ». Pour tenter d’appréhender la
spécificité de la TPE et son impact sur la transmission, nous aborderons, dans un premier
temps, le rôle central du dirigeant propriétaire, puis nous relèverons les difficultés
susceptibles d’être rencontrées par tout repreneur souhaitant occuper cette place. Dans un
second temps, nous aurons recours au concept d’effet de grossissement énoncé par Mahé de
Boislandelle (1996) pour mieux cerner le fonctionnement des TPE et expliquer l’impact de ce
dernier sur leur transmission. Nous partageons ainsi l’analyse de De Freyman (2009, p. 55),
pour qui l’effet de grossissement, s’attachant à démontrer que le critère de la taille a des
incidences sur l’intensité des problématiques organisationnelles, se mute lors d’une
transmission en effet complexifiant.
1.2.1.) Le rôle central du dirigeant
De nombreuses études concernant le fonctionnement des petites entreprises révèlent
que le système de gestion est caractérisable par l’importance de la figure du « dirigeant
propriétaire ». Contrairement aux grandes entreprises, la même personne occupe en même
temps le rôle de l’entrepreneur, du manager, de l’organisateur et du propriétaire (Mallard,
2011, p. 23). La TPE est « un tout petit monde » dont l’élément central est le dirigeant
propriétaire. Ce dernier vit une relation particulière avec son entreprise marquée par une
affectivité éminemment plus importante que celle du manager ou du salarié (Fonrouge, 2002).
Pour certains, l’entreprise qu’il a créée est parfois perçue comme un prolongement de leur
personnalité (Levy, 1988 ; Duchénaut, 1996). Il s’identifie étroitement à sa firme (Pailot,
1998), se substitue souvent à toute forme d’organigramme et incarne la structure
(Johannisson, Ramirez-Pazillas, Karlsson, 2002 cités par Schmitt, 2008). Etant au cœur de
49
toutes les activités, le dirigeant propriétaire constitue fréquemment le principal lien entre
l’entreprise et son environnement (Bayad, Boughattas et Schmitt, 2006). Il joue « un rôle-clef
au travers de ses participations publiques professionnelles, sociales ou politiques » (Torrès,
2003, p. 127). En tant que manager, il est perçu comme un centre névralgique (Mintzberg,
1984) observant, puis communicant aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’organisation.
Etudier le fonctionnement, puis la transmission d’une entreprise de petite taille, demande une
meilleure compréhension de la relation nouée entre le dirigeant et son entreprise et son
rapport à l’environnement.
1.2.1.1.) Dirigeant et entreprise, une relation faite d’interdépendance
La structure organisationnelle simple de la TPE confère au dirigeant-propriétaire un rôle
central. Pour Candau (1981), il semble même inconcevable d’étudier la petite entreprise sans
faire référence à son dirigeant. Ce dernier a fréquemment la volonté de tout contrôler et le
désir de centraliser auprès de lui la gestion de son entreprise (Filion, 1991). La TPE se
caractérise par une gestion basée sur les relations interpersonnelles (Dandridge, 1979) souvent
informelles, support d’un lien fort entre ses membres. Le dirigeant de TPE accumule toutes
les responsabilités, les pouvoirs et doit veiller au bon fonctionnement de son affaire. Cette
concentration des pouvoirs rend l’entreprise dépendante de son dirigeant. L’influence de ce
dernier se fait fortement ressentir sur son organisation et sa gestion (Bayad, Boughattas et
Schmitt, 2006). La petite taille induit une proximité forte entre l’ensemble du personnel,
permettant au dirigeant d’accroître sa domination hiérarchique. Il peut imposer ses vues
(Marchesnay, 1991) ainsi que ses décisions42, d’autant plus qu’il n’existe souvent aucun
contre-pouvoir dans ce type de structures. La légitimité dans la prise de décision trouve son
essence dans la propriété du capital. La TPE ayant été fondée, au départ, pour répondre aux
objectifs personnels de l’entrepreneur, la volonté de tout contrôler s’en trouve renforcée. Le
dirigeant-propriétaire se servira de l’entreprise comme d’un outil au service de ses priorités
propres. L’entreprise devient alors la traduction directe de ses aspirations personnelles
(Jaouen et Tessier, 2008). En fonction du profil du dirigeant, plusieurs stratégies seront mises
en place sur le plan patrimonial, de l’indépendance, de la prise de risque, etc.
42
Cela ne signifie pas que le dirigeant propriétaire décide seul. Marchesnay (2003) souligne le fait que plus une entreprise est de petite taille, plus l’entrepreneur aura tendance à solliciter des avis extérieurs afin de consolider sa prise de décision.
50
De nombreuses classifications caractérisant les types d’entrepreneurs ont été
élaborées43. Celle de Julien et Marchesnay (1996) présente l’avantage d’être relativement
simple. Ces auteurs ont effectué un classement des entrepreneurs selon deux « types idéaux »
répartis en fonction de leurs priorités. L’entrepreneur PIC (Pérennité, Indépendance,
Croissance) est avant tout concentré sur la pérennité de son affaire. Il souhaite conserver son
indépendance et, pour cela, n’acceptera pas l’arrivée de financeurs externes. Pour ce type
d’entrepreneur, la croissance de l’entreprise n’est pas une fin en soi. Son comportement est
fondamentalement paternaliste, voire égocentrique, ce qui constitue un risque majeur lors de
la transmission de pouvoir (Marchesnay, 1991). L’entrepreneur CAP (Croissance,
Autonomie, Pérennité) présente, quant à lui, des caractéristiques diamétralement opposées.
Son objectif, c’est la croissance que ce soit « par les activités en croissance, sinon par la
croissance de ses activités… » (Marchesnay, 1991, p. 15). Il est plus mobile, n’hésite pas à
avoir recours à l’endettement, et est motivé par les « coups » lui permettant d’obtenir des
revenus maximisés. La pérennisation de son entreprise ne l’intéresse que si celle-ci lui permet
d’obtenir des revenus optimisés.
De par son attitude, le dirigeant de TPE se rend indispensable à son entreprise. Il se
confond avec (Bouchikhi et Kimberly, 1996), entretient une relation symbiotique (Verstraete,
2001), à tel point qu’il peut ne pas se faire à l’idée d’un départ à la retraite (Deschamps et
Paturel, 2005), d’une transmission, ou tout simplement d’une existence sans elle (Bah, 2006).
Selon Pailot (1998), une transmission « correspond le plus souvent au dénouement d'une
histoire de vie qui s'accompagne d'une perte d'identité, d'un amoindrissement de la
reconnaissance sociale s'exprimant parfois dans une expérience de crise douloureuse ». Le
lien entre le dirigeant et son entreprise est encore plus prononcé lorsqu’il est le seul créateur
ou repreneur. L’entreprise, quant à elle, est fortement dépendante de ce personnage au centre
de toute son activité. Cette relation de dépendance pose inévitablement le problème de la
continuité et du développement de l’entreprise après son départ. En effet, comment concevoir
l’avenir de l’entreprise sans cet individu connaissant son fonctionnement « sur le bout des
doigts ». Pailot (1998) souligne l’importance du lien dirigeant-entreprise et émet l’hypothèse
selon laquelle la théorie de la transmission doit partiellement reposer sur une théorie du lien 43
De nombreuses typologies ont été élaborées à la suite de l’approche par les traits, parmi lesquelles celles de : Litzinger (1965) et le besoin d’autonomie et de leadership, Laufer (1975) et le besoin d’autonomie, de réalisation de soi et de pouvoir, Fayolle (1996) et le besoin d’autonomie et la propension au changement, Filion (1997) et le besoin d’autonomie, de réalisation de soi, de recherche de profit et d’engagement personnel, Jaouen (2008) et le besoin de reconnaissance sociale et professionnelle, de qualité de vie, de pérennité et de survie.
51
dirigeant-firme. L’arrivée d’un repreneur brisera ce lien, ce qui constituera de fait une forte
source d’instabilité, voire un véritable choc. Certains auteurs évoquent l’idée d’une
expérience poly-traumatisante (Boussaguet, 2005, p. 23)44.
1.2.1.2.) La relation spécifique du dirigeant de TPE à son environnement
Nous avons observé, dans le paragraphe précédent, la relation particulièrement forte
entretenue par le dirigeant de TPE avec son entreprise. Il s’agit d’une spécificité de la TPE
tout comme la relation qu’il noue avec son environnement. Le dirigeant d’entreprise de petite
taille y est étroitement lié à tel point qu’il semble utopique à de nombreux auteurs de
comprendre son mode de fonctionnement sans étudier cette relation.
1.2.1.2.1.) L’importance du réseau relationnel
Les clients, fournisseurs, banquiers, expert-comptable, institutions locales,
associations et autres parties prenantes font partie de la vie du dirigeant de TPE. Ils
constituent un réseau d’acteurs poursuivant un objectif commun de coopération et d’échange
d’informations fondé sur la confiance interindividuelle (Boutary, 2008). Un réseau peut être
analysé comme un ensemble de nœuds (personnes, entreprises ou autres entités sociales) avec
des connexions plus ou moins denses 45(Granovetter, 2006) reliés entre eux par des relations
sociales d’un type spécifique (Laumann et al., 1978, cités par Richomme-Huet et De
Freyman, 2008). Il est fréquent d’observer l’existence de liens très forts entre le dirigeant de
TPE et certains membres de son réseau relationnel, ce qui n’est pas sans poser de problèmes.
En effet, pour certains auteurs, la qualité des informations échangées varie significativement
suivant la force des liens. Ainsi, d’après Granovetter (1985, 2006), il y a davantage
d’informations circulant entre les individus à travers des liens faibles qu’à travers des liens
forts. Cet auteur démontre, à partir d’une étude consacrée à la recherche d’emploi d’une
population de cadres résidant dans la région de Boston, l’importance de l’information par
44 Boussaguet (2005) utilise l’expression « polytraumatisée », car, selon elle, le traumatisme peut intervenir à différents niveaux de l’entreprise (que ce soit au niveau individuel, collectif et/ou organisationnel). 45 La densité est définie par Granovetter (2006) comme la proportion de connexions existantes entre les nœuds (n) par rapport aux connexions possibles n (n-1)/2 entre ces nœuds. L’auteur souligne que « toutes choses étant égales par ailleurs, les groupes les plus larges auront une densité plus faible car les individus ont des limites
cognitives, émotionnelles, spatiales et temporelles concernant le nombre de liens sociaux qu’ils peuvent
entretenir ».
52
relation ; celle-ci apparaît de meilleure qualité, plus pertinente46 et moins coûteuse. Ainsi, le
repreneur de TPE centré sur son réseau proche percevra mal les opportunités dissimulées
derrière les informations pouvant être apportées par son réseau relationnel plus éloigné.
Pour Marchesnay et Julien (1990), l’entreprise de petite taille est assimilable à un
espace ouvert prenant place dans un espace plus grand de relations : le réseau organisationnel
(Granovetter, 1985) comme le montre la figure suivante. En utilisant sa compétence sociale47,
le dirigeant de TPE construit patiemment ce réseau et l’utilise pour assurer la pérennité ainsi
que la profitabilité de son entreprise. Geindre (2009) remarque que plus l’entreprise est de
petite taille, plus le dirigeant a tendance à confondre son réseau personnel avec celui de son
entreprise. Dans la mesure où le réseau social du dirigeant est un des vecteurs de
performances de la TPE (De Freyman, 2009), se pose naturellement le problème du transfert
de cette ressource intangible (Hall, 1992) lors d’une opération de reprise. En d’autres termes,
le repreneur peut-il se voir transmettre, au moins partiellement, cette ressource essentielle
mais totalement dépendante de son instigateur ?
Figure 4 - Le réseau organisationnel imbriqué dans un environnement
Source : Auteur.
46
Cette information est, en règle générale, peu diffusée et transite par un nombre limité d’intermédiaires. Ceci aboutit à des emplois correspondant davantage aux attentes des demandeurs d’emploi, ainsi qu’à une meilleure rémunération. 47
Geindre (2009) la définit comme « l’efficacité globale du processus d’interaction avec les autres et, par
conséquent, dépend de la capacité à créer et à étendre son réseau, à se positionner pour ensuite le mobiliser ». Selon cet auteur, il s’agit d’une qualité du dirigeant.
Environnement
Dirigeant-TPE
Champ d’action
Champ d’action
Réseau organisationnel
53
1.2.1.2.2.) Un mode de raisonnement marqué par la proximité
Le dirigeant de TPE possède une vision de son environnement que l’on pourrait
qualifiée de « biaisée ». Il a tendance à privilégier les événements ou l’environnement proches
au détriment de ce qui est lointain. Pour Torrès (2007), la gestion spécifique de la petite
entreprise semble obéir à un principe de proximité. Celle-ci apparaît comme « un construit
stratégique et organisationnel qui permet au dirigeant de la petite entreprise de maintenir son
emprise sur l’entreprise et son évolution » (Torrès, 2002, p. 1). Afin d’étayer sa
démonstration, Torrès (2003) s’appuie sur le principe de centralité développé par Moles et
Rohmer (1978). Il s’agit d’une conception égocentrée de la réalité éprouvée par un individu
placé dans un environnement, dont le point de référence unique est « le Moi, ici et
maintenant ». L’individu se considère comme le centre du monde et celui-ci s’étend autour de
lui. L’importance des êtres, des choses et des événements diminue avec la distance à mesure
que décroît leur perception elle-même (Moles et Rohmer, 1978, cités par Torrès, 2003).
L’environnement, les êtres et les événements proches sont donc privilégiés par le dirigeant
propriétaire et sont perçus en fonction de son propre point de vue. Toute l’organisation de la
TPE s’articule en fonction de ce Moi et des dimensions qui l’interpellent48. Le dirigeant de
TPE aura tendance à n’accorder que peu d’importance à ce qui est loin et inversement,
énormément d’importance à ce qui est proche (figure 5). Pour compléter leur démonstration,
Moles et Rohmer introduisent le phénomène de paroi compris comme une séparation
affaiblissant l’extérieur par rapport à l’intérieur (figure 6). Les murs de la TPE peuvent
constituer cette paroi permettant au dirigeant propriétaire de focaliser son attention sur ce qui
est proche et sur les éléments sur lesquels il pense avoir un pouvoir, au détriment de ce qui est
ailleurs. Pour Torrès (2003), cet effet de paroi est essentiel pour comprendre le concept de
proximité. Ainsi, pour l’auteur, « on peut considérer qu’il n’y a pas de proximité sans paroi ».
Dans notre sujet de recherche, il devient nécessaire de prendre en compte les effets de
proxémie et de paroi sur la transmission-reprise49 de la TPE afin de mieux comprendre ses
mécanismes et la dépendance de l’organisation envers son dirigeant. Nous relevons, d’une
part, que le dirigeant qui cède son entreprise peut, en étant concentré sur son environnement
proche, négliger (volontairement ou involontairement) des actions importantes pour le futur
de l’organisation. D’autre part, l’accès par le repreneur aux informations essentielles dépend
48
La philosophie de la centralité est une conception égocentrée de l’espace « Ici » et du temps «maintenant ». 49
Ainsi, selon Torrès (2008), le modèle des transmissions concentriques développé par Bah (2006) caractérise les effets de proxémie dans le domaine de la transmission, et la théorie du deuil, mobilisée par Pailot (2000), les effets de paroi.
54
totalement du bon vouloir du cédant, personnage central ayant une emprise totale sur
l’entreprise, ce qui ne va pas sans compliquer les conditions de transmission (De Freyman,
2009). Les figures ci-dessous illustrent la loi proxémique et le phénomène de paroi mis en
évidence par Moles et Rohmer (1978) dans leurs travaux.
Figure 5 - La loi proxémique Figure 6 - Le phénomène de paroi
Source : Moles et Rohmer (1978).
1.2.2.) L’effet de grossissement et son impact sur la transmission-reprise
L’ « effet de grossissement », mis en évidence par Mahé de Boislandelle (1996),
découle de l’action combinée de facteurs objectifs et subjectifs agissant sur le dirigeant chargé
de décider dans son organisation. Ce concept tend à démontrer que l’intensité des problèmes
rencontrés n’est pas la même dans une petite entreprise que dans une grande. Chaque
événement, chaque problème, revêt un caractère important, voire stratégique, au sein des plus
petites entreprises. Cela revient à interpréter la reprise d’une TPE comme un événement
stratégique susceptible de perturber durablement son fonctionnement. L’utilisation du concept
d’effet de grossissement permet de mieux appréhender les difficultés auxquelles peuvent être
confrontées les TPE en situation de transmission-reprise. Selon Mahé de Boislandelle (1996),
l’effet de grossissement peut être décomposé en trois effets distincts : l’effet de nombre,
l’effet de proportion et l’effet de microcosme. Afin de compléter cette déclinaison, Torrès
(1999) en ajoute un quatrième, l’effet d’égotrophie.
Importance relative des êtres et des phénomènes
Moi Ici et maintenant
Moi Ici et maintenant
Distance Distance
x x
Importance relative des êtres et des phénomènes
Phénomène de paroi
Discontinuité de l’importance des
phénomènes par une paroi
55
1.2.2.1.) L’effet de nombre
L’effet de nombre correspond aux processus de distanciation ou de rapprochement
résultant du nombre de relations d’un individu avec son entourage de travail. A mesure que le
nombre de relations professionnelles augmente, le dirigeant, limité comme tout individu dans
ses capacités cognitives, aura une connaissance individualisée moins approfondie de chacun
(et inversement). Le dirigeant de TPE a tendance à privilégier le contrôle direct, ce qui induit
une attention plus poussée à l’égard des membres de son entourage. Mahé de Boislandelle
relève également une augmentation du poids relatif de chacun au sein des petites structures.
Chaque individu aura un poids variable selon son caractère stratégique, sa fonction ou son
poste. Plus la fonction est considérée comme essentielle, ce qui est le cas de celle du dirigeant
de TPE, plus la place de l’individu est stratégique. Le repreneur de TPE devra s’inscrire dans
un espace déjà structuré d’individus réunis autour du propriétaire-dirigeant, véritable colonne
vertébrale de l’entreprise, auquel il devra se substituer.
1.2.2.2.) L’effet de proportion
L’effet de proportion renvoie au principe selon lequel plus l’effectif pris en
considération est restreint, plus la place d’un élément est proportionnellement élevée. Dans
une TPE, le poids de chaque individu est inversement proportionnel au nombre des acteurs.
Ceci est illustré par l’exemple suivant: « Si à une équipe de deux on adjoint un collaborateur,
c’est 50% d’augmentation de l’effectif, soit 33% du nouveau total. Si sur 4 équipiers il y a un
absent cela représente un absentéisme de 25% » (Mahé de Boislandelle, 1996, p. 6). L’effet
de proportion affecte également la perception des éléments extérieurs à l’entreprise. Chaque
événement (perte ou insolvabilité d’un client important, changement de fournisseur, etc.),
pouvant être considéré comme mineur dans une grande entreprise, prend rapidement la
tournure d’une véritable crise au sein d’une petite entreprise. La reprise d’une TPE constitue
un événement majeur puisqu’elle implique le remplacement d’une pièce centrale au sein d’un
effectif restreint. La petite taille de l’entreprise contraint le repreneur à maîtriser de
nombreuses variables (fonctionnement de l’entreprise, gestion des ressources humaines,
gestion des relations à l’environnement) afin d’éviter tout soubresaut pouvant lui être fatal.
56
1.2.2.3.) L’effet de microcosme
Selon Mahé de Boislandelle (1996, p. 7), l’effet de microcosme n’est pas « de même
nature que le précédent ». La fonction dominante n’est pas le petit nombre, mais « la
focalisation de l’attention, de l’énergie réflexive d’un sujet sur l’immédiat, de deux manières :
l’immédiat dans le temps (le terme le plus rapproché, c'est-à-dire le court terme…),
l’immédiat dans l’espace ou par l’esprit (le plus proche physiquement ou
psychologiquement) ». L’effet de microcosme résulte d’une combinaison entre une
implication importante du dirigeant, l’intensité affective de ses relations, les urgences
ressenties et le nombre de tâches qui lui incombent. Pour Torrès (2003), l’effet de
microcosme est également impliqué dans les relations nouées par l’entreprise avec son
environnement. Le dirigeant de TPE dépensant son énergie en focalisations de proximité,
dispose de moins de disponibilité pour regarder à l’extérieur et au loin. Sa vision est altérée,
son esprit critique réduit et son rapport à l’environnement modifié, générant ainsi des
hypertrophies (figure 7). Il y a exagération du point « ici » par rapport à « ailleurs ». Tout
ceci peut mener à une « proxémique aiguë » dont les effets sont expliqués par Torrès (2003, p.
131) de la manière suivante : « La « proxémique aiguë » se traduit par une réduction du
champ de vision du dirigeant en raison d’une tendance du dirigeant à systématiquement
surévaluer ce qui est proche et sous-évaluer tout ce qui est lointain ». Le déroulement de la
transmission-reprise d’une entreprise peut être affecté par l’effet de microcosme à travers le
comportement des deux principaux protagonistes que sont le cédant et le repreneur. Le
premier fonctionnant « la tête dans le guidon » peut négliger la phase préparatoire à toute
transmission, à savoir la planification des opérations, le réajustement des commandes et des
stocks50, la mise en relation du repreneur avec les partenaires et les salariés de l’entreprise,
etc. Ces derniers ont souvent le sentiment d’être placés devant le fait accompli. L’effet de
microcosme peut également affecter le repreneur qui, une fois seul aux commandes, peut
focaliser son attention sur les événements et/ou les personnes proches, négligeant ainsi une
partie significative de l’environnement de l’entreprise.
50
De nombreux repreneurs émettent des conditions drastiques concernant l’importance du stock à reprendre (ancienneté, obsolescence, montant…).
57
1.2.2.4.) L’effet d’égotrophie
L’effet d’égotrophie, mis en évidence par Torrès (2003), renvoie à la position centrale
du dirigeant dans son entreprise. La gestion de la TPE a tendance à être centrée sur le
dirigeant qui rapporte tout à lui. « Les affaires de l’entreprise sont d’abord et avant tout une
affaire personnelle » (Torrès, 2003, p. 127). L’effet d’égotrophie caractérisable par un
grossissement de l’égo (ou du Moi) peut mener le dirigeant à une absence de lucidité et le
conduire à adopter une attitude nombriliste, nuisible à la bonne gestion de son affaire. Selon
Torrès (2003), cet effet explique en partie les difficultés rencontrées par certains dirigeants
lorsqu’ils souhaitent transmettre une entité qu’ils ont en grande partie façonnée. S’étant
rendus indispensables grâce à leur expérience et à leur profonde connaissance de l’entreprise,
il leur est parfois impossible d’envisager la poursuite de l’activité sans eux. Cela s’exprime
par des attitudes de retrait ou des comportements négatifs pendant la phase de transition avec
le repreneur.
58
Conclusion Section 1
Cette première section a permis de constater la difficulté consubstantielle à
l’élaboration d’une définition précise et complète de la TPE. L’approche quantitative,
habituellement retenue, doit être complétée avec des approches basées sur des
caractéristiques intrinsèques de la TPE. La combinaison des approches quantitatives et
qualitatives tout comme l’apport des nombreux travaux consacrés à la PME, permet
d’entrevoir plus précisément les particularités de ce type d’entreprise et procure
corollairement un point d’ancrage satisfaisant pour notre recherche.
Nous définissons donc la TPE à partir des critères européens de la micro-entreprise.
Nous ajoutons que ce type d’organisation est caractérisable par une taille réduite, un rôle
central du dirigeant-propriétaire, une relation d’interdépendance, voire fusionnelle, entre le
dirigeant et son entreprise, un système d’information simple et peu structuré. Elle s’organise
également au travers de relations interpersonnelles fortes, ancrées dans un environnement
structuré selon un principe de proximité.
Nous inscrivons notre travail dans une lecture de la TPE trouvant ses fondements au
sein du courant paradigmatique de la spécificité, considéré comme « un point de doctrine
établi » par Torrès (1997). La thèse de la spécificité permet d’identifier les éléments rendant
complexe la transmission-reprise d’entreprises de petites tailles. Nous avons relevé que les
effets de nombre, de proportion et de microcosme, regroupés par Mahé de Boislandelle
(1996) sous le terme d’effet de grossissement, ainsi que l’effet d’égotrophie peuvent
expliquer, en partie, les difficultés observables lors d’une opération de transmission-reprise.
L’intérêt de cette approche réside dans le fait de démontrer que l’intensité des problèmes
rencontrés n’est pas la même dans une petite entreprise que dans une grande. Toutefois,
même si en contexte d’étude de la transmission-reprise des TPE, l’intérêt du courant de la
spécificité est important, nous veillons à ne pas tomber dans le piège d’une dérive
dogmatique en négligeant une autre caractéristique fondamentale de ce type d’entreprises, à
savoir leur extrême diversité.
59
Section 2 - Un processus entrepreneurial protéiforme et contingent à forts enjeux
Reprendre une petite entreprise est le souhait de milliers de français51. Cette opération
paraît, d’un premier abord, souvent moins risquée que la création pure (Deschamps et Paturel,
2009)52. Pourtant, les témoignages de nombreux repreneurs ayant franchi le pas évoquent, au
contraire, un parcours long et difficile, tant au début qu’à la fin du processus. Il est rare
qu’une opération de reprise se déroule sans difficultés aussi bien au niveau humain
(Boussaguet, 2005) qu’au niveau organisationnel et financier. L’enjeu du bon déroulement
des opérations de reprise apparaît pourtant crucial pour l’économie française 53 . De
nombreuses statistiques nous alertent sur la configuration actuelle de la pyramide des âges des
dirigeants français et, en particulier, de celle des dirigeants de TPE. Ces indicateurs laissent
présager, dans les années à venir, une forte vague de transmissions d’entreprises. L’ampleur
du phénomène ainsi qu’une conjoncture économique marquée par une croissance atone et un
niveau de chômage durablement élevé54, imposent aux autorités publiques, tout comme à la
communauté scientifique, de mieux s’interroger sur le déroulement de ces transmissions. En
France, le sujet de la reprise d’entreprise semble devenir une préoccupation de premier plan
pour les décideurs politiques et économiques. La communauté scientifique manifeste
également un intérêt grandissant pour les problématiques qui y sont associées. Nous
inscrivons notre travail de recherche dans cette dynamique. Dans un premier temps, nous
commencerons par dresser un état des lieux de la reprise en France et relèverons ses enjeux
pour l’équilibre économique et social du pays. La question de l’intégration de la reprise
d’entreprise au sein du champ de l’entrepreneuriat sera également abordée, puis nous
procèderons à un examen des modalités de transmission identifiables. Les trois étapes du
51
D’après le baromètre IFOP 2011, « L’envie d’entreprendre des français », 7 % d’entre eux souhaiteraient reprendre une entreprise existante. 52
Les auteurs relèvent que pour trois quarts des repreneurs interrogés, l’achat d’une entreprise existante est privilégié à la création ex nihilo parce que cette opération « leur semble plus facile, moins risquée et qu’elle
valorise une expérience de management ». 53
La plupart des auteurs s’accordent sur l’importance économique de la réussite des transmissions d’entreprises et sur l’idée que les reprises réussies procurent, à moyen et à long terme, des avantages économiques qui vont au-delà de la seule pérennité de l’entreprise (Cadieux et Brouard, 2009). La banque publique d’investissement française indique, en outre, qu’une transmission réussie permet en moyenne de créer ou de préserver quatre emplois (Source BPI France : www.bpifrance.fr). 54
Le taux de chômage en France au sens du BIT est de 10,3% de la population active pour le quatrième trimestre 2015, soit 2.9 millions de personnes (France métropolitaine) (Source INSEE, 2016).
60
processus de reprise seront définies, puis notre intérêt pour la dernière étape (le management
de la reprise) précisé dans un second temps.
2.1.) La reprise d’entreprise : situation actuelle
La reprise peut être définie théoriquement comme un processus qui, par une opération
de rachat, aboutit « à la continuation de la vie de la cible, en difficulté ou non », et de tout ce
qu’elle contient (structure, ressources humaines, financières, techniques, commerciales…)
(Deschamps, 2000, p. 421). Il ne s’agit pas, en soi, d’un phénomène nouveau, mais la
démographie des entreprises françaises55 et européennes tend à en faire, de plus en plus, un
sujet majeur. En France, de très nombreuses entreprises sont concernées par la reprise. Au
sein de l’Union Européenne, le nombre d’entreprises transmises chaque année est estimé à
450 000, celles-ci représentant près de 2 millions d’emplois (Commission européenne, 2013).
Une autre étude menée en 2011, intitulée « Business Dynamics », démontre l’importance
d’encourager la transmission. Elle conclut à la perte de 150 000 sociétés par an, lesquelles
représentent 600 000 emplois du seul fait du manque d’efficience du processus de
transmission d’entreprise (Commission européenne, 2011). Les chiffres qui viennent d’être
exposés, montrent que nous sommes bien là, en présence d’un phénomène de grande ampleur
qui pose clairement la question du maintien de l’emploi et de la vitalité économique des
territoires. Que faire pour éviter la fermeture de ces entreprises viables et ainsi éviter la perte
de nombreux emplois et de valeur économique pour leurs parties prenantes ?
La reprise constitue logiquement une réponse aux problèmes de transmission des
entreprises. Chaque entreprise reprise donne la possibilité de préserver un ou plusieurs
emplois56 et, parallèlement, d’éviter une déperdition de valeur économique pour l’ensemble
de ses parties prenantes. Si la solution paraît pertinente, il faut néanmoins être prudent. Dans
la pratique, tout n’est cependant pas si simple : une fois le repreneur choisi et l’entreprise
transmise, rien ne garantit la réussite de l’opération. Les statistiques sont là pour le prouver.
Environ 20 % des entreprises transmises échouent dans les 5 premières années et 30% dans
les 7 années suivant l’opération (Haddadj et D’Andria, 2001, p. 11 57 ). Représentant la
majorité des entreprises en activité, les TPE sont concernées en premier lieu par ce vaste
55
La configuration de la pyramide des âges des dirigeants d’entreprises françaises laisse présager un accroissement notable du nombre de départs en retraite dans les prochaines années. 56
D’après la Commission européenne (2013, p. 11), la reprise d’entreprise permet de préserver, en moyenne, cinq emplois, alors que la création d’une nouvelle entreprise n’en génère que deux. 57
Pourcentages issus d’une étude réalisée en France sur une population de 1 472 entreprises entre 1993 et 1997.
61
mouvement de transmission-reprise, ce qui n’est pas sans poser de problèmes. En effet, selon
l’avis de la Commission européenne elle-même : « une transmission est plus difficile quand il
s’agit d’une petite entreprise ou quand l’entreprise est fortement incarnée par son dirigeant »
(Commission européenne, 2013, p. 10).
2.1.1.) Etat des lieux de la transmission-reprise en France
La principale difficulté lorsque l’on aborde le sujet de la reprise d’entreprise en
France, réside dans l’obtention de statistiques récentes et précises concernant le nombre et le
type d’entreprises transmises chaque année. Les études menées par différents organismes
(OSEO-BDPME, 2005 ; BPCE, 2011, 2014 ; CRA58, 2013), ou par des rapporteurs œuvrant
pour le compte du gouvernement (Rapport Mellerio, 2009 ; Rapport Dombre-Coste, 2015)
parviennent toutes à des chiffres différents59 et ne se concentrent pas, à chaque fois, sur les
mêmes catégories d’entreprises ou modalités de rachat. Parallèlement, chacune d’entre elles
présente des limites ; celle OSEO-BDPME est une étude déjà ancienne datant de 2005, quant
aux études BPCE, elles ne prennent pas en considération les entreprises de moins de 10
salariés, soit la majorité des cessions. Le rapport Mellerio, remis en 2009 au secrétaire d’Etat
Hervé Novelli, ne concerne que les transmissions d’entreprises familiales. Enfin, le dernier
rapport en date, le rapport Dombre-Coste (2015) n’avance pas de statistiques précises, se
contentant de faire des estimations en croisant des données d’enquêtes menées
indépendamment ou collectées par différents organismes (BODACC, BPCE, APCMA60).
Face à ce manque de visibilité concernant la situation et son évolution, nous ne
pouvons que déplorer l’arrêt des publications de statistiques par l’INSEE61. Les derniers
chiffres révélés par cet institut, bien qu’anciens (les dernières informations datent de 2006),
58
Cédants et repreneurs d’affaires, association nationale créée en 1985, à l’origine de l’observatoire de la transmission des TPE-PME. 59
Par exemple, pour OSEO, il y aurait 60 000 reprises par an, dont 50 000 microentreprises alors que le rapport Mellerio en répertorie 40 000, dont 6 400 PME. Le rapport Dombre-Coste (2015) reprend le chiffre de 60 000 reprises par an tout en estimant à 70 000 le nombre d’entreprises susceptibles d’être reprises chaque année, soit 700 000 sur 10 ans. Ce dernier chiffre laisse entendre que le nombre de cessions réelles « pourrait être
sensiblement plus élevé » (p. 16). Ce document, remis par la députée de l’Hérault au ministre de l’économie Emmanuel Macron, reconnaît néanmoins l’inexactitude des données proposées et déplore l’absence d’une « vision suffisamment fine de la situation et de son évolution », en raison de « données chiffrées incomplètes et
contrastées » (p.15). 60
Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC). Banque populaire et caisse d’épargne (BPCE). Assemblée permanente des chambres de métiers et de l’artisanat (APCMA). 61
L’INSEE ne publie plus de statistiques concernant le nombre de transmissions-reprises depuis 2006. Suite à un mail que nous leur avons adressé pour une demande d’explications à ce sujet, il nous a tout simplement été signifié que le nombre de reprises d’entreprises « n’est plus estimé depuis 2006 à cause d’un manque de
fiabilité et de complétude ».
62
nous fournissent néanmoins une première vue d’ensemble du phénomène. L’étude fait état de
38 774 transmissions sur l’année 2006 et d’une diminution de 5,04% de leur nombre par
rapport à 2005. Elle conclut sur une tendance baissière du nombre de transmissions depuis
plus d’une décennie (Tableau 6). Le départ à la retraite constituerait la principale cause de
transmission d’une entreprise, un dirigeant sur trois (soit l’équivalent de 700 000 personnes)
serait âgé de plus de 60 ans.
Tableau 6 - Tableau des chiffres de la transmission d’entreprises en France de 1997 à 2006
ANNEE 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006
REPRISES 46385 44480 43159 41652 41560 40124 39983 42228 40832 38774
EVOLUTION
N-1
+0,7% -4,10% -2,97% -3,49% -0,21% -3,43% -0,21% + 5,06% -2,95 % -5,04%
Source : INSEE- base de données Sirène, APCE, 2007.
En l’absence de statistiques nationales officielles, les données concernant le
vieillissement des dirigeants d’entreprises sont fréquemment utilisées pour approcher le
volume des transmissions. La pyramide des âges des dirigeants français est l’outil le plus
souvent exploité pour proposer une estimation du phénomène et de son évolution. Usant en
partie de cette méthodologie, le ministère de l’artisanat, du commerce et du tourisme avance
de nouveaux chiffres. Près de 630 000 entreprises seront en situation d’être transmises dans
les 10 prochaines années, dont 300 000 en raison du départ à la retraite de leur dirigeant
(Pinel, 201362). L’âge du dirigeant serait ainsi, là encore, la principale cause à la cession
d’entreprise. Selon l’ex ministre de l’artisanat, du commerce et du tourisme, Sylvia Pinel, lors
de son discours inaugural pour le lancement du kit « transmission d’entreprise », il est
impératif de se préoccuper du sort de ces entreprises, et de s’engager fortement « au service
de l’accompagnement des dirigeants dans la transmission des entreprises » (Pinel, 2013, p.
1). Les actions choisies visent prioritairement les futurs cédants, ceux âgés de plus de 57 ans,
afin de leur permettre d’anticiper l’opération, « condition nécessaire pour la réussite du projet
et éviter la fermeture de l’entreprise » (p. 2).
62
Discours de Sylvia PINEL, Bercy, 19 décembre 2013.
63
Si l’âge du dirigeant peut être retenu, à juste titre, comme une variable permettant
d’approcher le nombre de transmissions, elle n’est pas la seule. D’autres facteurs sont
également tout à fait pertinents pour l’estimer. C’est le cas du changement de profession du
dirigeant, de la maladie, du divorce, du décès, de la fatigue, etc. A l’évidence, le phénomène
est pluriel. Cette multitude de situations fait que les chiffres qui nous sont proposés, paraissent
biens inférieurs au nombre d’entreprises réellement reprises chaque année. Les données
seraient donc non seulement floues et imprécises, mais également, passablement incomplètes.
Certains observateurs n’hésitent pas à remettre en cause les chiffres de reprises « officiels »
avancés par l’INSEE (2006). Ils pointent du doigt des lacunes dans la méthodologie utilisée
par l’institut pour estimer le nombre de transmissions. Ils citent, par exemple, la non
comptabilisation des cessions de parts sociales ou les changements de dirigeant au sein d’une
holding. La prise en compte de l’ensemble de ces éléments fait dire à quelques analystes
français (Ferrero et Loubens, 2013 ; Dombre-Coste, 2015) que le nombre de transmissions-
reprises est, d’une manière générale, largement sous-estimé.
Au terme de nos différentes tentatives pour obtenir des statistiques utilisables
scientifiquement à propos du phénomène, nous n’en obtenons que des données imprécises et
incomplètes. Les études proposent des chiffres différents, utilisent des méthodes d’estimations
variées, ne se concentrent pas sur les mêmes catégories d’entreprises. Néanmoins, elles
s’accordent toutes sur l’importance du phénomène. Ce dernier n’est pas quantifiable
précisément, mais il concerne plusieurs dizaines de milliers d’entreprises chaque année. La
lecture de nombreux ouvrages et publications à destination des praticiens et des scientifiques,
nous révèle qu’un consensus s’est établi en France autour du nombre de reprises annoncé par
l’étude OSEO-BDPME (2005), soit environ 60 000 par an. Cette étude, également ancienne,
permet d’avoir des renseignements quant aux entreprises qui sont transmises. Ainsi, sur les
60 000 transmissions annoncées, 91,7% concernent les TPE (moins de 10 salariés), soit 55
000 unités. Le reste étant de respectivement 5 000 pour les petites entreprises (de 10 à 49
salariés) et de 500 pour les entreprises de tailles moyennes (50 à 249 salariés). Nous
remarquons, dès à présent, que les TPE constituent la part la plus significative des
transmissions. Ceci semble corroborer les statistiques publiées par l’INSEE (2012) sur la
proportion significativement plus importante des TPE parmi toutes les autres entreprises
œuvrant sur le territoire français. Cette situation justifie, presque à elle seule, l’intérêt d’axer
nos travaux de recherche sur la transmission de ce type d’entreprises. L’importance de leur
64
poids économique et social dans l’économie française, faisant de leur transmission, un enjeu
crucial pour l’équilibre économique et social du pays.
2.1.2.) Des enjeux économiques et sociaux unanimement reconnus.
En France, comme nous venons de le voir, faute de statistiques officielles adéquates, il
est très difficile d’obtenir une représentation précise du nombre de transmissions d’entreprises
et de son évolution. Cependant, une chose paraît communément acceptée, le phénomène est
important et il est amené à durer, voire à s’amplifier dans les prochaines années (Dombre-
Coste, 2015). Pour certains observateurs et décideurs politiques (Mellerio, 2009 ; Pinel,
201363 ; Dombre-Coste, 2015), cette situation devient même préoccupante pour l’emploi et la
vitalité économique des territoires, tant les entreprises en situations potentielles d’être
reprises, particulièrement les TPE, sont nombreuses. Pour de multiples raisons, toutes ne
trouveront pas preneur et cesseront complètement leur activité. Le Conseil économique, social
et environnemental (CESE, 2013)64 est le premier à s’en alarmer. Il estime à environ 120 000
entreprises, soit 22% des entreprises commerciales, le nombre d’entreprises susceptibles de
fermer en France dans les dix ans à venir.
Les enjeux socioéconomiques sont bel et bien énormes. Il apparaît primordial de
préserver ce tissu d’entreprises en favorisant leur transmission. Chaque disparition
d’entreprise entraîne dans son sillage des pertes économiques réelles et un potentiel de
croissance pour l’ensemble des parties prenantes (fournisseurs, prestataires de services,
collectivités locales, Etat, etc.). Elle conduit à un véritable processus de destruction de valeur
dont les premières et principales victimes sont les employés. Il s’en suit une dégradation
généralisée de la situation de l’emploi, une fragilisation des territoires conséquente à un
appauvrissement du tissu économique et une perte de savoir-faire difficilement récupérable.
Dans son intervention lors du lancement du « Kit transmission d’entreprise » le jeudi 19
décembre 2013 (op.cit.), Sylvia Pinel, ministre de l’artisanat du commerce et du tourisme de
l’époque, semble en avoir pris pleinement conscience. Elle justifie son engagement en faveur
de la transmission des entreprises de la manière suivante : « La transmission, c’est un thème
crucial pour notre pays et nos entreprises. Elles ont des acquis, des savoir-faire, des emplois,
une clientèle qu’il ne faut pas abandonner. Ce sont des entreprises de proximité qui, partout
en France, assurent le dynamisme de notre tissu social et c’est pour cela que des événements 63
Sylvia Pinel, Ministre de l’artisanat, du commerce et du tourisme de 2012 à 2014, discours sur la transmission d’entreprises du 19 décembre 2013. 64
Chiffres cités dans le « Plan d’action pour le commerce et les commerçants » du 19 juin 2013.
65
seront organisés au niveau régional et départemental, en liaison avec l’ensemble des acteurs
pour faire la promotion de la transmission des entreprises et la nécessité de l’anticiper. Et
puis, à l’heure où le Gouvernement mène une véritable bataille pour l’emploi, il ne faut pas
laisser fermer des entreprises qui fonctionnent bien, qui emploient et qui forment des
jeunes ! » (p. 7).
Plus récemment, Fanny Dombre-Coste, députée de l’Hérault, écrit : « L’engagement de
l’exécutif coïncide (…) avec les besoins de l’économie réelle en matière de transmission
d’entreprise. Comprendre les défaillances du marché de la reprise d’entreprise et y répondre
est crucial, car la fluidité des transmissions participe de la dynamique économique générale.
Bien transmettre nos entreprises, c’est sauvegarder 750 000 emplois, et potentiellement en
créer des dizaines de milliers d’autres » (p. 6). Cette prise de conscience du monde politique
français semble effectivement exister. Néanmoins, elle s’est faite progressivement et
relativement tardivement, malgré la publication, dès le début des années 1990, par la
Commission européenne de chiffres éloquents sur l’ampleur du phénomène et ses
conséquences en termes d’emplois.
2.1.2.1.) Une première prise de conscience au niveau européen
La transmission des petites et moyennes entreprises a fait l’objet, dès le début des
années 1990, d’une attention toute particulière de la part de la Commission européenne65. Des
premières recommandations à destination des Etats membres sont émises le 7 décembre 1994,
partant du constat selon lequel, chaque année, des milliers d’entreprises disparaissaient en
raison de difficultés insurmontables inhérentes à leur transmission. Les répercussions
négatives considérables sur les économies nationales, puis corollairement sur l’économie de
l’union, sont soulignées. Dans ce qui peut s’apparenter à un premier état des lieux européen
de la transmission, l’accent est d’abord mis sur l’impact financier du paiement de droits de
mutation sur la santé économique de l’entreprise et son effet sur la compétitivité des
entreprises reprises, eu égard à la concurrence mondiale. Chaque pays est invité à prendre des
mesures pour ne pas se laisser submerger par l’ampleur du phénomène. Ces premières
recommandations sont appuyées par une nouvelle communication de la Commission
européenne, datant du 28 Mars 1998, présentant le sujet de la transmission comme « l’un des
dossiers clés de la politique d’entreprise de la Commission européenne ». Il s’agit là d’un
rappel, demandant aux différents pays d’accentuer leurs efforts. Nous relevons que la
65
Nous précisons qu’au départ, l’attention était portée sur les transmissions successorales.
66
principale lacune des recommandations de 1994 ou de la communication de 1998, réside dans
leur focalisation sur les transmissions familiales, les autres types de transmissions étant
délaissés.
En décembre 2000, un projet intitulé « procédure BEST » axée sur la transmission
d’entreprises a été lancé par la direction générale des entreprises de la Commission
européenne. Son objectif principal est de suivre l’application des recommandations de 1994
sur la transmission, « de définir des mesures de soutien à la transmission d’entreprise et de
proposer des domaines d’actions prioritaires pour l’avenir » (Rapport de la Commission,
2013, p. 18). A cette occasion, est mis en place un groupe d’experts chargés d’aider la
commission à mener à bien ce projet. Quelques années plus tard, est une nouvelle fois pointée
du doigt, l’insuffisante prise de conscience, par l’ensemble des acteurs concernés, des
problèmes liés à la préparation des transmissions d’entreprises66 . La Commission européenne
(2003) estime que plus de 5 millions d’entreprises européennes seront confrontées au
problème de la transmission dans les dix années à venir. Le nombre d’emplois perdus, faute
de préparation à la transmission, est évalué, quant à lui, à 6,5 millions. En 2006, elle publie un
nouveau communiqué intitulé « La transmission d’entreprise - La continuité grâce à un
nouveau départ ». Il s’agit d’une énième « piqûre de rappel » aux Etats membres à des fins de
favoriser l’émergence d’un climat propice aux transmissions d’entreprises.
Régulièrement, la Commission européenne publie des études et des guides67 relatant
l’importance des transmissions d’entreprises sur l’économie des Etats. A chaque fois, est
souligné le manque d’attention et d’actions concrètes de la part des décideurs politiques, des
parties prenantes concernées et des autorités de gestion agissant à l’échelle régionale pour
améliorer le soutien à la transmission d’entreprises. La dernière étude en date, intitulée
« Faciliter la transmission d’entreprise » (Commission européenne, 2013), dresse un état
récapitulatif des mesures déjà prises et énumère les actions devant être menées pour aller plus
loin. Cinq mesures sont proposées que nous reprenons ci-dessous.
66
La Commission européenne (2003) évoque 3 catégories de problèmes liés à la préparation des transmissions d’entreprises : la réticence des dirigeants fondateurs à l’idée de quitter leur entreprise, l’impréparation et l’inexpérience du dirigeant face à la complexité du processus de transmission, et les problèmes liés aux législations nationales en vigueur dans chaque pays (obligations fiscales, administratives). 67
Nous pouvons citer les derniers en date, « Business Dynamics : Start-ups, business transfers and
bankruptcy », Commission européenne, 2011 ; « Faciliter la transmission d’entreprise », Direction générale des entreprises et de l’industrie, Commission européenne, 2013.
67
- Le soutien et la sensibilisation : le principal objectif de la Commission consiste à
sensibiliser les décideurs politiques et les parties prenantes concernées des Etats
membres « aux pièges liés à la préparation insuffisante de nombreux entrepreneurs
prenant leur retraite ». Est également souligné l’intérêt d’intensifier les actions visant
à « conscientiser les chefs d’entreprise à la nécessité de planifier la transmission de
leur société suffisamment longtemps à l’avance ».
- L’instauration d’un cadre réglementaire favorable à la transmission
d’entreprise : chaque Etat membre doit systématiquement encourager l’acquisition
d’entreprise « comme solution alternative » à la création ex nihilo. Cela peut passer par
la mise en place de règles juridiques favorables à la transmission ou par une politique
d’exonérations fiscales au profit du cédant (exonérations de l’impôt sur le revenu du
produit de la vente de l’entreprise) ou du repreneur (exonérations fiscales pour les
investissements des salariés dans leur entreprise).
- La mise en place de facilités financières spécifiques à la reprise d’une entreprise :
partant du constat que l’acquisition d’une entreprise nécessite davantage de capitaux
que la création d’une nouvelle, le rapport suggère l’instauration de différents outils tels
des prêts à taux préférentiels ou encore des aides à la reprise de petites entreprises.
- La sensibilisation et l’assistance aux entrepreneurs : sensibiliser, via les chambres
consulaires par exemple, les dirigeants les plus âgés sur la nécessité d’une préparation
précoce de la transmission est une priorité. Cette première étape franchie, le dirigeant
doit être accompagné dans sa démarche par des spécialistes de la transmission.
L’instauration de cours dédiés à la transmission pour les cédants et les repreneurs est
également préconisée.
- La mise en relation des vendeurs et des acquéreurs potentiels via des bourses
d’opportunités de qualité (fiables, précises et anonymes) doit être facilitée.
Dans ce dernier rapport, les insuffisances d’une grande majorité des Etats de l’Union en ce
qui concerne l’établissement de données statistiques sur les transmissions d’entreprises sont
également pointées du doigt. Selon les propres termes de la Commission, cela a pour
conséquences de « priver les gouvernements des éléments nécessaires pour étayer
68
l’élaboration et l’application de politiques spécifiques destinées à faciliter la transmission
d’entreprise » (p. 13)68.
2.1.2.2.) En France : une action tardive des pouvoirs publics largement orientée sur la « transmission-continuité » effectuée par la famille ou les salariés
Si la transmission d’entreprises69 est apparue, dès le début des années 1990, comme
« l’un des dossiers clés de la politique de la Commission européenne en faveur des
entreprises » (Commission européenne, 2013), la France n’a saisi que tardivement
l’importance du phénomène. Les décideurs politiques français ont été davantage focalisés sur
l’incitation à la création d’entreprises ou préoccupés par la sauvegarde d’entreprises en
difficultés. Toutefois, cette tendance s’est inversée au début des années 2000. Le double
constat d’une baisse du nombre de reprises d’entreprises enregistré depuis plus de dix ans et
d’un vieillissement effectif des dirigeants d’entreprises, suscite inquiétudes et réactions. En
premier lieu, l’objectif des pouvoirs publics a été de créer un climat incitatif à la transmission
d’entreprises via, notamment, une réduction du coût fiscal des cessions. Une succession de
lois, reprises ci-dessous, portant directement sur la transmission d’entreprises ont ainsi été
votées.
- La loi sur l’initiative économique (loi Dutreil) du 22 Juillet 2003. Cette loi comporte
plusieurs volets, dont le principal concerne l’allègement des droits de succession et
donation imputables à la transmission d’entreprises.
- La loi pour le soutien à la consommation et à l’investissement (loi Sarkozy) du 9 Août
2004. Des possibilités d’exonérations70 de plus-values de cession (lorsque la valeur de
l’activité cédée n’excède pas 300K€) ou des droits de mutations, sont offertes pour la
transmission de fonds de commerce ou de clientèle.
- La loi (Dutreil 2) en faveur des PME, du 2 Août 2005. L’objectif de cette loi est
d’encourager la transmission d’entreprises via une série de dispositifs tels que
l’exonération des dons d’argent destinés à financer une reprise d’entreprise (Article 6),
l’instauration d’un dispositif de tutorat destiné au repreneur d’entreprise (Article 24),
68
« Faciliter la transmission d’entreprise », Commission européenne, Direction générale des entreprises et de l’industrie, 2013. 69
Elle est définie en France par l’article L.1234-7 du code du travail, comme la poursuite de l’activité d’une entreprise juridiquement autonome par un autre chef d’entreprise. 70
Il s’agit d’un dispositif temporaire ne concernant que les cessions intervenues entre le 16 Juin 2004 et le 31 décembre 2005.
69
la création d’une prime à la transmission accompagnée (Article 25) ou encore
l’application d’abattements fiscaux supplémentaires (Article 28).
- La loi TEPA en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat du 21 août 2007.
Cette loi apporte des simplifications et des assouplissements pour la transmission
d’une entreprise : exonération de droits de succession pour le conjoint survivant,
augmentation de l’abattement pour les enfants…
- La loi de modernisation de l’économie (LME) du 4 Août 2008 comprend plusieurs
mesures devant favoriser la transmission d’entreprises (abattements pour la
transmission aux salariés ou à des proches, diminution du taux des droits
d’enregistrement applicables aux ventes de droits sociaux71, réduction d’impôt sur les
revenus accordée aux repreneurs).
- La loi du 1er Mars 2013 portant création du contrat de génération. Celle-ci offre la
possibilité aux dirigeants d’entreprises de moins de 300 salariés et âgés de plus de 57
ans, de recruter un repreneur de moins de 30 ans et de bénéficier d’une aide annuelle
de 4000 € pendant 3 ans.
- La loi sur l’économie sociale et solidaire du 31 juillet 2014, dite « loi Hamon », vise à
encourager la reprise d’entreprises par les salariés, en les informant au préalable à tout
projet de cession72.
Un premier regard sur l’ensemble des différentes lois qui viennent d’être présentées,
montre que la transmission à la famille et/ou aux salariés est celle qui préoccupe en premier
lieu le législateur. L’objectif est d’inciter la famille ou les salariés à reprendre en leur offrant
des avantages fiscaux. Cette série de textes législatifs s’accompagne quelquefois d’actions
ponctuelles. Ainsi, le ministère de l’artisanat, du commerce et du tourisme, suivant certaines
préconisations de la Commission européenne, a mis à la disposition des entrepreneurs
« proches de la retraite », plusieurs outils censés les aider à mieux appréhender le problème.
71
Pour les mutations à titre onéreux, ce dernier passe de 5 à 3 %. 72
Le titre II de cette loi (n° 2014-856) comporte des dispositions « facilitant la transmission d’entreprises à leurs
salariés ». Le futur cédant de fonds de commerce ou d’entreprise de moins de 250 salariés doit informer tous ses salariés de son intention de vendre « par tout moyen, précisé par voie réglementaire, de nature à rendre
certaine la date de sa réception par ces derniers » (art L.141-25) et ceci, deux mois avant la cession effective. L’objectif de cette loi est de « permettre à un ou plusieurs salariés de l’entreprise de présenter une offre pour
l’acquisition du fonds » (art L.141-23). La loi Macron (6 Août 2015) revoit à la baisse le champ d’application de l’obligation d’information des salariés en cas de cession. Elle limite cette obligation au seul cas de vente de l’entreprise, et dispense le dirigeant de cette obligation, si dans les douze mois précédant la vente, il a déjà informé les salariés sur les possibilités de reprise dans le cadre de son obligation triennale. Est également modifiée la sanction encourue en cas de défaut d’information (indemnité plafonnée à 2% du montant de la vente).
70
Ces derniers sont répertoriés dans une brochure intitulée : « Transmettre votre entreprise, une
opportunité à saisir », adressée par le RSI73, le 15 décembre 2013, à 200 000 indépendants
âgés de plus de 57 ans. La mise en place de ce prospectus, accompagné d’un site Internet
rassemblant les informations utiles aux futurs cédants, reflète une certaine prise de conscience
de la part des autorités politiques. La publication du rapport Dombre-Coste (2015) vient
confirmer cette prise de conscience. L’enjeu principal pour les pouvoirs publics est de faciliter
la transmission d’entreprises. A ce titre, les actions préconisées se concentrent sur la
transparence et la fluidité du marché, et sur la sensibilisation et la préparation des futurs
cédants. Bien qu’il soit souligné le manque de formation et d’accompagnement des
repreneurs, très peu de mesures, autres que fiscales, ne les concernent directement.
2.1.2.3.) Une action relayée en région Auvergne-Rhône-Alpes
Issue de la fusion récente des deux anciennes régions « Auvergne » et « Rhône-
Alpes », la nouvelle région « Auvergne-Rhône-Alpes » est un acteur de poids dans le paysage
économique européen. Avec une population de 7.8 millions d’habitants, un PIB de 242.5
milliards d'euros (INSEE, 2013) et un nombre d’entreprises tous secteurs confondus de 550
179 74 , elle représente la deuxième région française et la huitième région de l’Union
européenne en termes de PIB (Source : CCI Auvergne-Rhône-Alpes, 2016). L’analyse
statistique nous indique que les petites entreprises (1 à 49 salariés) y sont très largement
majoritaires puisqu’elles constituent 98,9 % des entreprises régionales. 93,5 % d’entre elles
sont des TPE de moins de 10 salariés, et une large majorité (66.6 %) sont des entreprises sans
aucun salarié (INSEE, 201475).
L’importance du poids des TPE en Auvergne-Rhône-Alpes, analysée au regard des
statistiques démographiques régionales concernant le vieillissement des dirigeants76, donne à
la transmission de ce type d’entreprises au sein de cette région, un caractère prioritaire. Dans
certains secteurs, la situation paraît préoccupante. C’est le cas des secteurs de l’industrie, des
73
Régime Social des Indépendants. 74
Chiffres provenant de l’INSEE, Répertoire des Entreprises et des Etablissements, activités marchandes hors secteur agricole, 1-01-2014, données semi-définitives. 75
Répertoire des Entreprises et des Etablissements, activités marchandes hors secteur agricole, 1-01-2014, données semi-définitives. 76
Ce sujet concerne directement par exemple les 46 130 entreprises implantées dans l’ex-région Rhône-Alpes dont le dirigeant est âgé de plus de 55 ans (Observatoire BASECO, CCI Rhône-Alpes, chiffres arrêtés au 31 décembre 2008). Nous ne disposons pas, au moment où nous rédigeons, des chiffres concernant la nouvelle région.
71
services et du commerce77. A l’instar de ce qui se passe au niveau national, les acteurs
politiques et économiques régionaux semblent avoir pris conscience des enjeux de la
transmission d’entreprises sur le maintien de l’emploi et la vitalité des tissus économiques
locaux. Jean-Jack Queyranne, ex-président du conseil régional de Rhône-Alpes, déclarait dans
un éditorial publié à l’occasion du lancement du portail internet « reprendre en Rhône-
Alpes » 78 , dédié uniquement à la reprise d’entreprise : « Avec 36 % des entreprises
rhônalpines à reprendre dans les dix prochaines années, la Région fait de l’accompagnement
de la transmission une de ses priorités ».
Plusieurs programmes ont ainsi été lancés par l’ancien conseil régional Rhône-Alpes :
le fonds de garantie « iDéclic Transmission »79 dont le but est d’accroître la garantie sur les
concours bancaires et faciliter le bouclage financier des projets de reprise de TPE ;
« Transméa » dont l’objectif est d’apporter un accompagnement et un financement adaptés
aux salariés qui souhaitent reprendre leur entreprise (relayant ainsi les dispositifs nationaux) ;
le portail Internet « Reprendre en Rhône-Alpes » pour accompagner les futurs acquéreurs
dans leur démarche. L’ancienne région Auvergne a, elle aussi, mise en place un dispositif
« Auvergne Transmission » dans l’objet est de proposer aux repreneurs d’entreprises un prêt
sans intérêts (plafonné à 50 000€80) et sans garantie personnelle, pour leur permettre de
renforcer leurs fonds propres et obtenir plus facilement un prêt bancaire. Le bénéficiaire doit
être une personne physique reprenant une entreprise d’au moins 5 salariés située en Auvergne,
avoir des besoins financiers importants et des perspectives de développement de l’activité
existante.
Les Chambres de métiers et consulaires semblent également se saisir du problème.
L’ex-Chambre Régionale de métiers Rhône-Alpes a ainsi initié plusieurs actions telles que la
sensibilisation des chefs d’entreprises à la reprise, un partenariat avec les IUT81, la réalisation
de diagnostics des entreprises à céder, l’organisation de la mise en relation entre cédants et
77
L’Observatoire BASECO-CCI Rhône-Alpes estime que 30 % des responsables d’entreprises industrielles sont âgés de 55 ans ou plus, 24% dans les entreprises de services, 23% dans le secteur du commerce et 18% dans le secteur de la construction (chiffres arrêtés au 31 décembre 2008). 78
Site dédié à la reprise d’entreprise lancé en 2006 par le conseil régional de Rhône-Alpes. 79
IDÉCLIC TRANSMISSION est un fonds de garantie pour la reprise d’entreprises (TPE-PME), développé en partenariat avec OSÉO, et destiné aux projets de reprises dans le secteur de l’artisanat, du commerce, de l’industrie, du tourisme et des services. La région évalue à 200 le nombre de projets accompagnés par ce dispositif chaque année (www.rhonealpes.fr). 80
Le prêt est remboursable mensuellement sur une durée de cinq ans. 81
En juin 2006, les Chambres de métiers et de l’artisanat de Rhône-Alpes et l’Association Régionale des I.U.T. Rhône-Alpes ont signé une convention de partenariat visant à sensibiliser les étudiants à la reprise d’une entreprise artisanale.
72
repreneurs via la Bourse Régionale d’Opportunités Artisanales (BROA) 82 , et
l’accompagnement des repreneurs (CRMRA, 2006). La CCI Rhône-Alpes met à la disposition
des repreneurs une bourse d’opportunités d’entreprises à reprendre « transentreprise83
», un
guide « reprendre mode d’emploi » et un site internet « les-aides.fr » compilant toutes les
informations relatives aux aides aux entreprises. La CCI Auvergne offre aux cédants et
repreneurs « une palette d’outils » leur permettant de faciliter la transmission des entreprises
(diagnostics personnalisés, « diffusion d’annonces, pré-rapprochement cédant/repreneur, aide
à la concrétisation »84). Nous constatons, là encore, qu’au niveau des Chambres consulaires et
de métiers, peu d’actions mises en place concernent directement les repreneurs, une fois qu’ils
prennent possession de l’entreprise. L’arrivée du repreneur dans l’entreprise laisse penser que
l’opération est un succès.
Ces dix dernières années, en France, nous relevons donc que, sous l’impulsion de la
Commission européenne, diverses mesures ont été prises pour faciliter la transmission-reprise
d’entreprises. Ceci peut être interprété comme une réelle prise de conscience par l’ensemble
des acteurs politiques et économiques de l’étendue des problématiques liées à la reprise
d’entreprises et de ses conséquences en termes d’emploi et de croissance économique. Le
législateur s’est penché sur la question. Toutefois, un examen plus approfondi des différentes
lois votées permet d’affirmer qu’il s’est, avant tout, focalisé sur la transmission à la famille
et/ou aux salariés. Or, il est important de préciser que la reprise par les salariés ou par un
héritier naturel ne sont que deux des trois modalités de transmission existantes, la troisième
étant la reprise par un tiers extérieur (nous développerons ce point, plus en détail, dans une
prochaine section). Pour certains (Ferrero et Loubens, 2013), de tels agissements ne sont pas
sans poser de problèmes. L’orientation des mesures fiscales sur les transmissions familiales et
aux salariés se fait inévitablement au détriment des reprises par un tiers. Ces auteurs
s’inquiètent de la persistance de telles pratiques et des conséquences possiblement néfastes
sur l’économie. Ils citent, par exemple, dans leur rapport élaboré pour le compte de la
Direction générale du Trésor 85 , les conclusions des travaux de Bach (2009) pour qui
82
Base de données créée en 1993, utilisée par les spécialistes de la transmission-reprise au sein des 11 Chambres de métiers et de l’artisanat. 83
www.transenteprise.com. Ce dispositif d’aide à la transmission d’entreprises géré, en partenariat avec les Chambres de métiers et de l’Artisanat, concerne également la région Auvergne ainsi que 9 autres régions (Bourgogne, Centre, Limousin, Nord-Pas de Calais, Basse et Haute Normandie, PACA, Pays de la Loire, Poitou-Charentes). 84
Source : www.auvergne.cci.fr 85
« Faut-il favoriser la transmission d’entreprise à la famille ou aux salariés ? », Documents de travail de la DG Trésor, Numéro 2013/06, Novembre 2013.
73
transmettre une entreprise à un descendant plutôt qu’à un tiers est préjudiciable à la fois en
termes de profitabilité et de pérennité de l’entreprise.
Si, comme nous venons de le voir, la reprise d’entreprises est un sujet dont les acteurs
politiques et économiques régionaux et nationaux ont tardé à saisir l’importance, qu’en est-il
sur le plan académique ? Une revue de littérature permet d’établir à ce sujet un double constat.
D’abord, elle met en évidence une relative discrétion en la matière. Nous avons dénombré peu
de travaux traitant du sujet, même si l’on observe depuis quelques années une mobilisation
croissante des chercheurs français (De Freyman, 2010). Ensuite, elle met au jour une question
récurrente, celle de l’intégration de la reprise d’entreprises au sein du champ disciplinaire de
l’entrepreneuriat. D’Andria (2008, p. 3) résume cette problématique de la manière
suivante : « Peut-on considérer la reprise d’une entreprise comme un acte d’entrepreneuriat
et le repreneur comme un entrepreneur ? ».
2.1.3.) La reprise d’entreprise au sein du champ de l’entrepreneuriat
La question de l’appartenance de la reprise d’entreprise au champ de l’entrepreneuriat
a longtemps donné lieu à profusion de débats au sein de la communauté scientifique. A
l’heure actuelle, un certain consensus semble néanmoins se dégager. En effet, les auteurs sont
de plus en plus nombreux à voir dans l’étude de cette pratique une partie intégrante de la
recherche en entrepreneuriat (Cooper et Dunkelberg, 1986, cités par Deschamps 2000 ;
Fayolle, 1996 ; Deschamps, 2000). Pour Julien et Marchesnay (2011, p. 51, p. 63)
l’entrepreneur, « essence ou (le) cœur même de l’entrepreneuriat » est reconnu comme tel que
lorsqu’il « crée ou reprend une entreprise à partir d’une idée ». Pour Paturel (2007), le débat
n’est plus possible, tant il paraît évident que la reprise d’entreprises constitue l’une des deux
seules pratiques possibles relevant de l’entrepreneuriat, l’autre étant la création ex-nihilo86.
Depuis de nombreuses années, différentes disciplines s’intéressent aux problématiques
liées à l’entrepreneuriat. La transversalité du champ de recherche (Verstraete, 2002) permet à
des chercheurs en économie, en sociologie, en psychologie, en sciences de gestion, en
sciences du comportement (Filion, 1997) de s’y investir et d’apporter leur contribution à la
compréhension du phénomène. Au sein même des disciplines recensées, de multiples
approches, orientations et caractéristiques méthodologiques se sont révélées (Fayolle, 2004),
86
Paturel (2007) déplore néanmoins la forte tendance des chercheurs à investir essentiellement la création ex nihilo et à délaisser la reprise d’organisations existantes, malgré l’enjeu considérable sur l’économie et l’emploi en France comme en Europe (300 000 emplois par an sont concernés ne serait-ce qu’en France selon le rapport OSEO-BDPME, 2005).
74
concourant ainsi à une fragmentation et à un manque de consensus sur ce qu’est réellement
l’entrepreneuriat (Gartner, 1990). Verstraete (2001) déplore l’existence de trop nombreuses
acceptions et d’une « profusion de thématiques » supports de notions ou concepts entravant la
conception d’une spécificité propre à l’entrepreneuriat. In fine, l’absence évidente de
consensus retarde l’avènement d’un cadre unique de développement (De Freyman, 2009).
Si l’entrepreneuriat est un domaine de recherche multidisciplinaire complexe (Bruyat
et Julien, 2001 ; Julien et Marchesnay, 2011), il rencontre néanmoins un véritable engouement
de la part de la communauté scientifique relevant des sciences de gestion, notamment de la
part des jeunes chercheurs87 (Messeghem et Verstraete, 2009). Cet enthousiasme, largement
partagé, a conduit les chercheurs à emprunter différentes voies, laissant progressivement
émerger de nouveaux paradigmes88 (au sens de Kuhn, 1983, cité par Savall et Zardet, 2004).
Ce phénomène a conduit quelques auteurs (Verstraete, 1999 ; Messeghem, 2006) à
s’interroger sur la nécessité d’avoir recours à un seul paradigme ou à une lecture
multiparadigmatique afin d’apporter un meilleur ancrage théorique et épistémologique à
l’entrepreneuriat. La complexité du domaine de recherche semble jouer en faveur de la
seconde option (Verstraete, 1999, 2001, 2008 ; Verstraete et Fayolle, 2004 ; Paturel, 2005,
2011 ; Jaziri, 2009 ; Levy-Tadjine et Paturel, 2009). L’étude de la reprise d’entreprises en tant
qu’événement entrepreneurial, nécessite un examen approfondi à la lumière des différents
paradigmes les plus couramment retenus. Une justification du choix du (ou des) paradigmes
dans lesquels nous inscrivons notre recherche pourra alors être réalisée.
2.1.3.1.) Les paradigmes de l’entrepreneuriat
(Paturel, 2011, p. 16) définit l’entrepreneuriat de la manière suivante :
« L’entrepreneuriat est, sur la base d’une idée, l’exploitation d’une opportunité dans une
organisation (entreprise, association, etc.) impulsée, créée de toute pièce (nécessairement de
dimension réduite le plus souvent) ou reprise (avec une possibilité de bénéficier d’une taille
conséquente immédiatement), par une personne physique seule ou par une équipe (on parle
alors « d’équipreneuriat ») qui subit un changement plus ou moins intense dans sa vie, selon
un processus qui génère une valeur ». Nous observons dans un premier temps que cette
définition permet d’appréhender la reprise d’entreprises comme un événement entrepreneurial 87
Messeghem et Verstraete (2009) constatent, par exemple, que sur 46 thèses en entrepreneuriat soutenues entre 2004 à 2007, 28 relèvent des sciences de gestion. 88
Selon Kuhn (1983), « Les paradigmes fournissent une loi, une théorie, une application et un dispositif
expérimental, bref un modèle qui donne naissance à des traditions particulières et cohérentes de recherche
scientifique ».
75
à part entière, au même titre que la création ex nihilo. Ensuite, l’auteur recense et prend appui
sur sept approches ou paradigmes (Paturel, 2007) qui constituent autant de clés d’entrée dans
le domaine de recherche. Nous reprenons ci-dessous les différents paradigmes présentés par
l’auteur dans un ordre d’importance croissant, bien qu’il soit tout à fait possible, selon lui, de
les combiner.
Ø L’approche par les traits individuels.
Ce paradigme tend à apporter une réponse à la question : qui est l’entrepreneur ? Cela
suppose un ensemble de caractéristiques personnelles (expériences, niveau d’instruction,
compétences, motivations, origine sociale, etc.) que l’on retrouverait régulièrement chez lui.
Le principal apport de ce paradigme concerne la mise en corrélation de l’action
entrepreneuriale avec l’environnement immédiat, notamment familial, de l’individu. Ce
dernier semble jouer en faveur de l’intention entrepreneuriale (Matthews et Moser, 1995 ;
Bayad et Garand, 1998), du passage à l’acte (Gasse et D’Amours, 2000) et du maintien d’un
certain dynamisme entrepreneurial. Krueger (2007) relève à son tour l’importance du milieu
familial dans l’influence du comportement, de l’esprit et de l’identité entrepreneuriale89. De
nombreuses recherches relevant de ce paradigme ont tenté d’établir un profil type de
l’entrepreneur (Bayad, Boughattas, Schmitt, 2006) même si, in fine, force est de constater
qu’il n’existe pas de modèle absolu de ce qu’il est (Filion, 1997). Julien et Marchesnay (2011,
p. 10) vont plus loin ; pour ces auteurs, cet « être mythique » n’existe pas. Il y a des types
d’entrepreneurs, c’est-à-dire des « propriétaires-dirigeants ayant plus ou moins l’esprit
d’entreprise, certains cherchant à minimiser l’incertitude ou à l’aménager le mieux possible
alors que d’autres préféreront l’affronter avec toutes sortes d’innovations ». Selon Paturel
(2007, p. 32), l’intérêt de cette approche pour la recherche en entrepreneuriat demeure limité
« sauf à caractériser l’entrepreneur par rapport au changement plus ou moins intense que
son entrée dans les affaires lui fait subir ou bénéficier ».
Ø L’approche par les faits.
Il s’agit d’une approche très descriptive également centrée sur l’individu. Si le
paradigme par les traits cherche une réponse à « Qui » est entrepreneur, le paradigme par les
faits cherche, quant à lui, à apporter une réponse à la question « Quoi ». La démarche consiste
à analyser les parcours et les comportements des entrepreneurs. Selon Paturel (2007), cette
89
Cet auteur s’appuie sur les travaux de Iannarelli (1992) mettant en évidence l’esprit entrepreneurial plus développé des femmes issues d’une famille d’entrepreneurs.
76
approche revêt un « grand danger », car elle pourrait faire croire « à l’universalité des
parcours de réussite rapportés ». Concernant notre sujet de recherche, la grande diversité des
parcours de repreneurs ainsi que l’extrême variété observée dans leurs comportements rend le
choix de cette approche délicat.
Ø L’approche par l’impulsion d’une organisation.
Gartner (1985, 1995) a été le premier à voir dans l’entrepreneuriat un phénomène
aboutissant à la création d’une organisation. Le concept d’émergence organisationnelle sur
lequel il s’appuie traduit l’interaction de différents stimuli tels que l’expérience, les images ou
les idées, prenant sens dans une combinaison nouvelle (Verstraete et Fayolle, 2005). La
compréhension du phénomène passe par un examen approfondi du processus à partir duquel
des organisations apparaissent. Dans la lignée des travaux de Gartner (1985, 1995), Verstraete
(2000, 2003) étudie le phénomène entrepreneurial et propose le concept d’impulsion d’une
organisation90 : « l’entrepreneuriat est vu comme un phénomène conduisant à la création
d’une organisation impulsée par un ou plusieurs individus s’étant associés pour l’occasion »
(Verstraete, 2003, p.13). Paturel (2007), bien que se posant la question de l’originalité et de
l’apport réel d’une telle approche91, rappelle la nécessité de ne pas la limiter à la création
d’une organisation ex nihilo, mais d’y associer la reprise d’entité existante, « trop souvent
oubliée… ». Dans le cadre de notre recherche, ce paradigme est intéressant dans la mesure où
il permet d’étudier et d’expliquer le comportement d’un repreneur qui apporte des
modifications à l’organisation afin de lui donner un « second souffle ».
Ø L’approche par les opportunités.
Ce paradigme appréhende l’environnement comme un théâtre d’opportunités offertes à
l’entrepreneur qui doit les saisir. L’entrepreneur est assimilé par certains auteurs à un individu
créant une organisation afin de poursuivre des opportunités perçues (Bygrave et Hofer, 1991).
Venkataraman (1997) et Shane et Venkataraman (2000) sont considérés comme les
précurseurs d’une approche définissant la recherche en entrepreneuriat comme « l’examen
détaillé du comment, par qui et avec quelles finalités les opportunités sont elles découvertes,
évaluées et exploitées pour la création de biens et services futurs ». Deux éléments sont mis
en avant, l’information et l’individu. Pour Venkataraman (1997), l’étude de l’opportunité doit
90
Verstraete et Fayolle (2005) soulignent la polysémie et l’ambivalence du terme organisation. Ce dernier pouvant correspondre à la fois à « l’action d’organiser » et à son résultat. 91
Il paraît évident à l’auteur qu’on impulse une organisation lorsqu’on se met à son compte.
77
s’articuler autour des informations détenues par les individus et prendre en compte la manière
dont ils les traitent et les exploitent. Stevenson et Jarillo (1990) s’appuient également sur le
paradigme de l’opportunité, cette dernière n’aboutissant pas forcément à la création d’une
nouvelle organisation. De fait, ils mettent en avant le rôle central joué par l’individu dans la
découverte et l’exploitation d’opportunités, que ce soit en son nom ou au sein d’organisations
existantes 92 . Dans tous les cas, selon Paturel, (2007, p. 34) l’entrepreneuriat revient à
« organiser de façon originale, nouvelle, si possible difficilement imitable et peu substituable,
des ressources possédées, en vue de saisir une opportunité d’affaires ». Le paradigme de
l’opportunité nous permet d’appréhender le repreneur d’entreprise en tant qu’individu
possédant des informations au sujet de la vente d’une affaire et qui saisit cette opportunité
pour l’exploiter.
Ø L’approche par les processus.
Notre revue de littérature laisse apparaître une forte mobilisation du paradigme du
processus de la part des chercheurs en entrepreneuriat, notamment depuis le début des années
1990. C’est le cas, par exemple, de Gartner (1993) qui définit l’entrepreneuriat comme « un
processus d’organisation conduisant à la création d’une nouvelle organisation ». Stevenson
et Jarillo (1990) voient dans l’entrepreneuriat « un processus par lequel des individus, que ce
soit en leur nom ou à l’intérieur d’organisations, poursuivent des opportunités sans tenir
compte des ressources couramment contrôlées ». Pour Shane et Venkataraman (2001), il
s’agit d’un « processus par lequel des opportunités à créer des produits et des services futurs
sont découvertes, évaluées et exploitées » (2001). L’approche par les processus consiste à
décrire et à analyser les étapes de la création ex nihilo (Bruyat, 1993) ou de la reprise
(Deschamps, 2000). Elle est d’un grand intérêt, car elle permet de mieux comprendre les
difficultés rencontrées et d’y apporter des solutions performantes (Paturel, 2007). L’approche
par les processus fournit un cadre d’analyse pertinent pour notre travail de recherche. Elle
inscrit l’action du repreneur dans une temporalité et permet de mesurer l’évolution des
interactions entre les différentes parties prenantes de l’entreprise reprise et, plus
particulièrement, celles du repreneur avec ses salariés lors de son entrée dans l’entreprise.
92
Les auteurs, s’appuyant sur le modèle de Stevenson (2000), mettent en évidence l’existence de deux formes extrêmes d’organisation. L’organisation à orientation entrepreneuriale, terrain favorisant le comportement entrepreneurial, et l’organisation à orientation administrative qui, au contraire, le freine.
78
Ø L’approche par l’innovation.
L’approche par l’innovation trouve son origine dans la pensée économique
schumpétérienne. Celle-ci attribue à l’entrepreneur une place singulière et centrale dans
l’évolution du système économique libéral. L’entrepreneur est un innovateur qui inscrit
l’économie dans le mouvement et dans une dynamique de croissance. Schumpeter (1935)
comptabilise cinq types d’innovation ; l’élaboration d'un bien nouveau, l'introduction d'une
nouvelle méthode de production, l'ouverture d'un débouché nouveau, la conquête d'une
nouvelle source de matières premières, et la réalisation d'une nouvelle organisation. Pour cet
auteur, l'innovation n'est donc pas irréductiblement liée à une découverte scientifique
nouvelle. Julien et Marchesnay (2011) voient dans l’innovation 93 et dans les multiples
opportunités, les fondements de l’entrepreneuriat. Ces dernières supposent des idées nouvelles
pour élaborer de nouveaux produits ou services ou encore, pour réorganiser l’entreprise. Selon
Paturel (2007, p. 35), à ce niveau, on perçoit déjà « le lien avec l’idée de création de valeur
nouvelle provenant de l’exploitation de ces types d’innovation applicables aussi bien dans
une organisation nouvelle que reprise ». Ce paradigme nous permet d’approcher le
comportement d’un repreneur « innovant », c'est-à-dire apportant des modifications ou des
améliorations à l’organisation reprise.
Ø L’approche par la création de valeur nouvelle ou par l’obtention de valeur nouvelle ou existante.
Cette approche trouve ses fondements dans le paradigme de l’innovation auquel on a
associé des problématiques relevant du champ de l’entrepreneuriat. L’innovation appliquée
dans une organisation nouvelle ou reprise, crée de la valeur ou tout au moins permet
d’économiser de la disparition ou du gaspillage de valeur existante (Paturel, 2007). Gartner
(1990) relève, dans ses travaux consacrés à l’entrepreneuriat, l’importance de la création de
valeur en tant que clé d’entrée à la compréhension du phénomène. Constatant un déficit de
réflexion épistémologique et de modèles théoriques précisant l’action entrepreneuriale ainsi
qu’une insuffisante compréhension du phénomène de la création d’entreprise, Bruyat (1993)
entreprit un travail de modélisation. L’auteur aboutit à la conclusion selon laquelle l’objet
étudié dans le champ de l’entrepreneuriat se résume à la relation entre un individu et la valeur
93
Les auteurs répertorient différents types d’innovation en fonction du genre (innovation de produit, de procédés, d’organisation, de distribution…), du rythme (innovation progressive, radicale, systématique, sporadique ou ad hoc) et de sa diffusion (l’innovation globale ou diffuse correspond à de petites modifications apportées par l’entrepreneur afin de ne pas être imitée facilement par la concurrence).
79
nouvelle qu’il crée ou peut créer, qu’il désigne sous le terme de « dialogique
individu/création de valeur ». Cette dialogique constitue pour lui un « point d’ancrage » à
l’entrepreneuriat et fait l’objet d’une représentation sous la forme d’une matrice (figure 7).
L’auteur édifie son raisonnement, puis son modèle, à partir de l’observation
suivante : « l'entrepreneur ne peut se définir qu'en référence à un objet (création de valeur),
objet dont il fait partie, dont il est lui-même la source ou le créateur et dont il est également le
résultat » (1993, p. 55). La dialogique peut alors être définie de la manière suivante :
- « l'individu est une condition nécessaire pour la création de valeur, il en détermine
les modalités de production, l'ampleur... Il en est l'acteur principal. Le support de la création
de valeur, une entreprise par exemple, est la "chose" de l'individu, nous avons :
Individu création de valeur
- la création de valeur, par l'intermédiaire de son support, investit l'individu qui se
définit, pour une large part, par rapport à lui. Elle occupe une part prépondérante dans sa
vie (son activité, ses buts, ses moyens, son statut social...), elle est susceptible de modifier ses
caractéristiques (savoir-faire, valeurs, attitudes...), nous avons :
Création de valeur individu » (Bruyat, 1993, p. 57).
Si Bruyat (1993, p. 61) situe la dialogique individu/création de valeur au cœur de
l’entrepreneuriat, il reconnaît néanmoins l’utilité de prendre en compte la notion de
changement « qui en complète le sens et en fait la diversité ». Le changement pour l’individu
concerne les modifications que la création de valeur, par l’intermédiaire de son support, peut
opérer sur lui. La création de valeur nouvelle telle que définit par Bruyat se résume à un
changement plus ou moins intense dans l’environnement directement concerné par le
processus (Verstraete et Fayolle, 2005).
80
Figure 7 - La dialogique individu / création de valeur
Source : Bruyat (1993, p. 62).
Le modèle de Bruyat (1993) et, plus particulièrement, l’utilisation du paradigme de la
création de valeur souffre d’un manque de précision sur ce que représente réellement cette
création de valeur. D’un point de vue pratique, et si nous l’utilisons pour notre travail de
recherche sur la reprise d’entreprises, se pose concrètement la question de la mesure de la
création de valeur ? D’autres questions se posent également comme, la différence entre la
création de valeur et la création de valeur nouvelle dans le cadre d’une telle opération. Ou
encore, pour qui et pourquoi cette valeur est-elle créée ? Afin de compléter cette approche,
Paturel (2006, 2007, 2011) propose d’élargir le modèle et de substituer à l’expression
« création de valeur éventuellement nouvelle » celle « d’obtention de valeur existante ou
nouvelle ». Cette expression paraît plus appropriée pour appréhender au mieux les deux seules
pratiques entrepreneuriales que sont la création ex nihilo et la reprise d’organisation.
L’obtention de valeur nouvelle est un fait caractérisant essentiellement la création ex nihilo
alors que l’obtention de valeur existante concerne davantage les situations de reprise94. Le
94
Paturel (2011) précise que l’obtention de valeur existante est d’autant plus forte que l’organisation reprise est saine.
Pro
cess
us d
e ch
ange
men
t po
ur
l’in
divi
du
-
Création de valeur
Imp
ort
ance
du
ch
ange
me
nt
Importance de la valeur nouvelle créée
IND
IVID
U
Pas de création de valeur nouvelle
Pas de changement pour l’individu
Intensité de l’innovation -
-
+
+
+
81
paradigme de l’obtention de valeur nous paraît tout à fait adéquat pour caractériser la reprise
d’entreprises ainsi que le repreneur. Ce dernier obtient de la valeur existante plus ou moins
forte en reprenant une organisation, l’état de santé de celle-ci déterminera l’intensité de cette
valeur. Il peut également obtenir de la valeur nouvelle en apportant des modifications à
l’organisation au moment de sa prise de fonction (modifications techniques, commerciales,
organisationnelles, etc.).
Ø Un paradigme supplémentaire : le paradigme de projet.
Selon Paturel (2007), l’entrepreneuriat ne peut être dissocié de l’idée de projet. Mais
qu’entendons-nous par projet ? Si nous retenons la définition de l'Organisation Mondiale de
Normalisation (norme ISO 10006, 2003) « Un projet est un processus unique qui consiste
en un ensemble d'activités coordonnées et maîtrisées, comportant des dates de début et de
fin, entrepris dans le but d'atteindre un objectif conforme à des exigences spécifiques,
incluant des contraintes de délais, de coûts et de ressources ». La reprise d’entreprises peut,
dans ce cadre, être assimilée à un projet, c'est-à-dire à l’intention d’un individu (ou d’un
groupe) qui, tenant compte de ses ressources et des possibilités offertes par son
environnement, se lance dans le rachat d’une organisation à un moment donné. Le modèle des
« 3 E » (figure 8), développé par Paturel (1997, 2007), permet d’avoir une représentation
simplifiée de la relation entrepreneur-projet selon trois dimensions irréductibles et
indissociables (Levy-Tadjine et Paturel, 2009). Il permet, en outre, à tout porteur de projet de
mesurer ses chances de succès.
Figure 8 - le modèle des 3 E
Source : Paturel, (1997, p. 15).
E 1 E 3
E 2
A
82
L’intersection des 3 E (E 1 : représente l’intention entrepreneuriale constatée du
porteur de projet, E 2 : représente les compétences devant être mobilisées pour réaliser ce
projet, et E 3 : correspond aux possibilités offertes par l’environnement global, spécifique et
de proximité) laisse apparaître une zone de cohérence (Zone A). Seuls les projets se situant
dans cette zone de cohérence sont susceptibles de réussir, les autres devront faire l’objet d’un
accompagnement spécifique pour intégrer cette zone A, si possible.
Le champ de recherche en entrepreneuriat est traversé par de multiples approches qui,
prises dans leur globalité et avec leurs multiples interactions, fournissent une vision
suffisamment puissante de ce que représente l’entrepreneuriat. Toutefois, nous relevons un
caractère de pertinence plus ou moins fort de chaque paradigme pris isolément pour
consolider notre travail de recherche. La reprise d’entreprise, appréhendée comme un
événement entrepreneurial à part entière, doit, en ce qui nous concerne, relever d’une lecture
multiparadigmatique ne retenant que les approches les plus discriminantes.
2.1.3.2.) Pour une lecture multiparadigmatique de l’acte
Progressivement, la reprise d’entreprises s’est imposée au sein de la communauté
scientifique comme une pratique entrepreneuriale à part entière, mais qui soulève des défis
particuliers (Cadieux et Deschamps, 2009). L’examen des différents paradigmes de
l’entrepreneuriat témoigne encore de la forte considération accordée par la recherche à la
création ex-nihilo, laissant la reprise d’entreprises à la « marge de travaux typiquement
entrepreneuriaux » (De Freyman, 2010). Dans notre quête d’une approche de
l’entrepreneuriat pouvant eclairer l’entrée dans l’entreprise du repreneur, nous relevons
l’intérêt d’associer trois paradigmes : le paradigme du processus, le paradigme de l’obtention
de valeur auquel nous associons celui de l’innovation. Nous rejoignons alors les conclusions
de nombreux auteurs (Verstraete, 1999 ; Messeghem, 2006 ; Paturel, 2007) pour qui la
complexité du phénomène entrepreneurial ne peut se résumer à un seul paradigme, si l’on
souhaite véritablement en cerner toutes les subtilités.
Le paradigme du processus permet de percevoir la complexité des multiples étapes
caractérisant la vie d’un repreneur, de l’envie de reprendre à son entrée en fonction. L’accent
peut être mis sur différentes phases sensibles du processus pouvant conduire à la réussite ou à
83
l’échec de l’opération 95 . Le processus entrepreneurial représente un thème complexe et
multidimensionnel (Bruyat et Julien, 2001) nourrissant de nombreux travaux de recherche,
mais ne faisant pas encore l’objet d’une définition faisant l’unanimité96. Généralement, ce
processus n’est pas linéaire et est présenté comme une succession d’étapes plus ou moins
longues. Schématiquement, il est possible de relever trois grandes étapes illustrant une
progression de la pensée et de l’action : la formation de l’intention entrepreneuriale,
l’initiation du projet et le démarrage. Chaque étape peut également être subdivisée en sous-
étapes afin d’identifier au mieux les différentes séquences d’activités (Van de Ven, 1992) et
de tenter de les modéliser97. L’approche processuelle est très pertinente pour notre recherche,
car elle permet d’inscrire l’action du repreneur dans une temporalité et de visualiser, puis
séquencer, l’évolution des interactions entre les différentes parties prenantes de l’entreprise.
Ceci s’avère d’autant plus utile lorsqu’il s’agit d’observer les multiples réactions et échanges
entre salariés, puis entre salariés et repreneurs, suite au changement de dirigeant.
En complément à notre lecture processuelle du « phénomène repreneurial », nous
retenons également pour notre travail doctoral le paradigme de l’obtention de valeur (Paturel,
2011). La notion de valeur est fortement répandue et communément utilisée en sciences de
gestion, bien que teintée d’ambiguïté et théoriquement instable (De Freyman, 2009). Celle–ci
peut concerner en même temps le nouvel entrepreneur, les parties prenantes directement
affectées (salariés, clients, fournisseurs, etc.), les collectivités territoriales, l’Etat, les autres
partenaires (banques, assurances, etc.), en somme « la Société toute entière » (Paturel, 2011).
Lorsque l’on aborde le sujet de la reprise, l’utilisation de la notion de valeur soulève de
multiples questions. Y a-t-il réellement une valeur créée lorsque l’on reprend une entreprise ?
Si oui, comment se crée-t-elle ? Pour qui ? Tous les acteurs concernés en bénéficient-ils de la
même manière? C’est là que le paradigme de l’obtention de valeur (Paturel, 2011) démontre
toute son utilité. Ce dernier permet d’appréhender le repreneur de TPE comme un individu
obtenant de la valeur par rachat d’une entreprise existante. L’importance de cette valeur
dépend de différents facteurs tels que l’état de santé de la firme rachetée, ou encore des
95
A cet égard d’ailleurs, nombreux sont les auteurs à regretter la relative discrétion de la littérature en matière de conceptualisation des phénomènes à l’œuvre lors des différentes étapes du processus de reprise. C’est le cas par exemple de Paturel, Richomme-Huet et de Freyman (2008) et de Picard (2009). 96
Bruyat (1993, p.39) relève que le terme même d’entrepreneur « n’a pas réussi à réunir un consensus quant à
sa définition ». 97
De Freyman (2009) propose une modélisation de la transition successorale à travers quatre étapes (les phases d’observation du repreneur, de bascule, d’émancipation et de régulation). Rollin (2006) représente, quant à lui, la phase d’entrée dans l’entreprise du repreneur comme un processus se déroulant en trois temps (immersion, entrée dans la décision et dans l’action, et autonomie).
84
changements mis en œuvre par le repreneur dans l’organisation lors de son entrée en fonction.
L’obtention de valeur existante sera d’autant plus forte que l’organisation reprise sera saine
alors que l’obtention de valeur nouvelle, fait beaucoup plus rare, pourra provenir d’une
modification issue de l’exploitation d’une innovation 98 (commerciale, organisationnelle,
technologique, etc.). Le paradigme de l’obtention de valeur proposé par Paturel (2011) est
incorporé, en tant que variable principale, dans une grille de positionnement des différentes
pratiques entrepreneuriales (figure 9). Celle-ci intègre et combine, d’après l’auteur, les
approches les plus significatives et les plus discriminantes du champ de l’entrepreneuriat, à
savoir le changement entraîné par l’entrepreneuriat sur l’individu (axe des ordonnées) et, bien
entendu, l’obtention de valeur nouvelle ou existante (axe des abscisses). A travers cet outil,
Paturel (2006, 2011) met en évidence l’existence de cinq types de changement (le changement
de statut, de fonction, de métier, d’organisation et de localisation géographique) qui
détermineront l’intensité du changement auquel peut être confronté le futur entrepreneur.
L’intensité est maximale lorsque tous ces changements doivent être gérés en même temps99.
Cette grille nous offre la possibilité de mesurer le changement vécu par l’entrepreneur, suite à
son entrée dans les affaires par rachat d’une entreprise existante. Le changement sera d’autant
plus fort si le repreneur change à la fois de statut (par exemple de salarié à chef d’entreprise)
de métier, voire de localisation géographique et d’organisation. Un repreneur possédant déjà
une expérience de la reprise vivra à l’inverse une situation de changement plus faible et se
situera sur la partie basse de la grille, s’il reprend l’organisation qui l’emploie jusqu’ici. En ce
qui concerne l’obtention de valeur, son caractère nouveau ou existant dépendra en grande
partie de l’état de santé de la firme reprise et des innovations mises en place par le nouvel
entrepreneur. La reprise d’une TPE en difficultés permettra d’obtenir une valeur existante plus
ou moins forte. En revanche, le repreneur d’une TPE en bon état de fonctionnement obtiendra
le plus souvent une valeur nouvelle relativement faible : pourquoi, dès l’entrée dans
l’organisation, changer ce qui fonctionne correctement au risque de subir les foudres des
salariés en place ?
98
Comme nous l’avons expliqué dans la section précédente, nous estimons qu’il est nécessaire de relier ce paradigme à celui de l’innovation. 99
Préalablement à l’utilisation de cet outil et afin d’affiner la mesure du changement, l’auteur suggère l’emploi d’une grille de mesure du risque personnel du futur entrepreneur. Cette grille (dont l’intensité est mesurée de 1, pour très faible, à 9 pour très fort) est obtenue en croisant l’importance du changement de statut et le niveau de changement de métier, notamment.
85
Figure 9 - Grille de positionnement des pratiques de l’entrepreneuriat
Source : d’après Paturel (2006, 2011).
- - + +
Importance du changement de
statut pour l’individu
Pas de changement
de statut
Forte Faible Faible Moyenne Moyenne Forte
1
2
3
4
5
6
8
7
9
Reprise de TPE en
difficultés
Reprise d’entreprises en difficultés
Reprise d’entreprises saines
Création ex nihilo
Obtention de valeur existante
Pas de
création de
valeur
Obtention de valeur nouvelle
INNOVATION INNOVATION
1
2
3
4
Approche par les traits (en partie)
Paradigme de l’innovation
Paradigme de l’obtention de valeur
nouvelle ou existante
Paradigme de l’organisation créée ou reprise
1
4 4
2
3
Reprise
de TPE
saines
Création ex-nihilo
3
86
En conclusion, l’examen de la littérature entrepreneuriale nous permet de situer la
reprise d’entreprises dans ce champ disciplinaire. Nous avons pu relever l’intérêt des
paradigmes du processus (Gartner, 1993, Bruyat, 1993), de l’obtention de valeur (Paturel,
2011), de l’innovation (Julien et Marchesnay, 2011), puis nous avons pris conscience de la
portée de l’intensité du changement vécu par le repreneur pour appréhender la reprise de TPE
et pour mieux la définir. A travers ces principaux paradigmes, nous définissons le
repreneur comme un individu saisissant l’opportunité de racheter une entreprise existante
dans le but d’obtenir de la valeur et qui s’engage dans un processus engendrant un
changement plus ou moins fort dans sa vie. La qualité et l’intensité de la valeur créée ou
obtenue dépendront de l’état de santé de l’entreprise reprise et des choix du repreneur,
notamment en termes d’innovation. Nouveau dirigeant de l’entreprise, le repreneur de TPE se
trouve dans une situation le reliant fortement à un projet et/ou à une organisation utilisé(s)
comme support d’obtention de valeur. Néanmoins, doit-on le considérer comme un
entrepreneur pour autant ? Paturel (2007, p. 30) nous rappelle, en effet que, « tout dirigeant
d’entreprise n’est pas entrepreneur » et que « dans le concept d’entrepreneur, figure
clairement l’idée de projet, de nouveauté, d’innovation dans son sens le plus large ». Nous
pensons qu’un repreneur vivant un changement important et se saisissant d’une innovation
pour améliorer le fonctionnement de l’organisation reprise ou pour conquérir de nouveaux
marchés obtiendra de la valeur (nouvelle) et il n’y a aucun doute quant à son statut
d’entrepreneur. A l’inverse, un repreneur ne subissant pas de véritable changement ni de prise
de risque importante, se contentant de prendre les rênes de l’entreprise sans y insuffler le
moindre changement ni la moindre amélioration, obtiendra, certes de la valeur existante, mais
se posera de toute évidence la question quant à son appartenance à la sphère entrepreneuriale.
Nous considérons le repreneur comme un entrepreneur s’il est positionné sur la grille élaborée
par Paturel au moment où il reprend l’entreprise, et il continuera à l’être s’il persiste à être
présent sur cette même grille. Une fois le repreneur défini, voyons à présent quelles peuvent
être les différentes modalités de transmission.
2.1.4.) Les différentes modalités de la transmission
Transmettre son entreprise est un événement important, la plupart du temps, lourd de
sens, dans la vie de tout chef d’entreprise confronté à pareille situation. Une série de décisions
plus ou moins contraintes jalonnent généralement ce parcours. Le futur cédant doit d’abord se
résoudre à quitter son entreprise pour, ensuite, accomplir une succession de démarches
aboutissant au choix d’un repreneur. Plusieurs possibilités vont se présenter à lui, la
87
transmission d’entreprise pouvant revêtir différentes formes. L’entreprise peut être transmise
au profit d’une personne morale ou d’une personne physique. En France, la transmission à
une personne morale est une opération minoritaire mais qui progresse régulièrement100. Il
s’agit d’une opération de croissance externe pour l’acquéreur, opération à la logique
singulière dans laquelle nous n’inscrirons pas nos travaux de recherche. En ce qui concerne la
transmission à un particulier, une étude publiée conjointement par le cabinet KPMG et la
CGPME (2012) démontre que les personnes physiques représentent deux tiers des repreneurs
en 2011 (OSEO BDPME, 2004) 101. La littérature relative à la transmission d’entreprises
révèle une pratique commune des chercheurs, consistant à scinder la transmission à des
personnes physiques en trois catégories biens distinctes : la transmission familiale, la
transmission à un ou des salariés (RES) et la transmission à un repreneur personne physique
externe qu’il soit en relation commerciale ou autre avec l’entreprise ou totalement étranger
(RPP). Ce sont les trois seules possibilités qui s’offrent à tout chef d’entreprise à la recherche
d’un repreneur qui ne soit pas une personne morale. Même s’il n’y a pas d’exclusivité dans
les diverses solutions (Torrès et Gueguen, 2008, p. 98) ni d’ordre immuable dans l’esprit des
dirigeants102, le dirigeant de petite entreprise est souvent soumis à une hiérarchisation dans ses
choix successoraux avec dans l’ordre, une « préférence pour la famille, puis les salariés, les
clients ou les fournisseurs et, enfin, les tiers ». Le tableau ci-après indique la répartition des
transmissions de TPE/PME selon le type de repreneur.
Tableau 7 - Répartition des transmissions de TPE-PME selon le type de repreneur
Personne physique Entreprise/ groupe
Descendant Salarié Personne extérieure
10% 23.5% 42,5% 24%
Source : OSEO-BDPME (2004).
100
D’après le rapport KPMG-CGPME (2012), le taux de personnes morales qui rachètent des entreprises progressent significativement puisqu’il passe de 25% en 2005 à un tiers en 2011. Cette stratégie aboutit à l’apparition de micro-groupes. 101
La majorité d’entre elles sont extérieures à l’entreprise. Ce constat justifie notre volonté de concentrer nos recherches sur la transmission à des personnes physiques extérieures à l’organisation. 102
Les auteurs font ici référence aux travaux d’Haddadj et D’Andria (2001).
88
2.1.4.1.) La transmission familiale
Le dirigeant d’entreprise souhaitant céder son affaire se tournera tout naturellement
vers un (ou des) membre(s) de sa famille et, particulièrement ses enfants (Hirigoyen, 1987).
Traditionnellement, dans une société prônant un capitalisme d’héritiers (De Freyman et
Richomme-Huet, 2012), cette solution constitue une réponse aux problèmes de transmission.
Par le passé, il s’agissait de la solution la plus courante aux problèmes de la transmission
« dans la mesure où le contexte familial, le cadre relationnel existant, la confiance et le
partage des informations sur l’entreprise elle-même facilitaient, en principe, le transfert
économique des actifs, des informations, des connaissances, des relations commerciales,
etc. » (Commission européenne, 2013, p. 13). Nombreux sont les entrepreneurs français qui
continuent à exprimer aujourd’hui le souhait, via cette opération de transmission successorale,
de conserver au sein de la famille le fruit de plusieurs années de travail. Ils semblent en cela
encouragés par les pouvoirs publics. L’examen des différents textes de lois nous révèle, en
effet, un appui non négligeable des gouvernements successifs à la transmission familiale via
notamment une politique fiscale avantageuse. Cette dernière réduit de manière significative le
coût fiscal des cessions 103 . Sur le plan académique, la transmission familiale semble
également faire l’objet d’un traitement privilégié. Elle suscite de nombreuses recherches
(Ambrose, 1983 ; Hirigoyen, 1987 ; Handler, 1990 ; Barbot et Bayad, 2002 ; Cadieux et
Lorrain, 2002 ; Cadieux, 2005…) au point de générer de « gros déséquilibres » dans l’étude
des différentes modalités de transmission (De Freyman, 2010). Malgré tous les efforts pour
l’encourager et mieux la comprendre, la transmission familiale demeure minoritaire en
France. Elle ne concerne que 10 à 30 % des opérations de reprise d’entreprise de petite
taille104 et continue même à régresser (Transregio, 2005)105. Plusieurs raisons sont invoquées :
103
Le législateur, jugeant le nombre de transmission-reprise à la famille trop faible, a souhaité dès 2003 encourager ce modèle de transmission par le biais de nombreux allègements fiscaux. A tel point que pour le Conseil des Prélèvements Obligatoires (CPO, 2009), la fiscalité « n’apparaît plus être un frein à la transmission
d’entreprise ». 104
Le rapport OSEO-BDPME (2005) annonce que, tout secteur d’activité confondu, moins de 10% des entreprises transmises le sont à destination de la famille. Pour l’INSEE, ce chiffre est plus élevé puisqu’il peut représenter environ 30% des transmissions de TPE dans les secteurs de l’industrie, de la construction, du commerce de gros et du service aux entreprises. Cette estimation provient d’une enquête dénommée SINE (Système d’information sur les Nouvelles Entreprises) ; il s’agit d’un dispositif mis en place depuis 1994 par l’INSEE. L’objectif est de suivre, pendant une durée de 5 ans, une génération d’entreprises créées ou reprises et de les interroger à intervalles réguliers (une première interrogation dans les premiers mois, une deuxième au bout de 3 ans, et une dernière après 5 ans) sur des thématiques telles que le financement du projet, les conditions de la création ou de la reprise, les problèmes rencontrés, etc. 105
C’est le cas en France comme dans de nombreux pays européens. Transregio est un projet initié par la CRCI Rhône-Alpes avec pour objectif de mieux connaître la situation et les pratiques relatives à la transmission
89
l’absence de repreneur au sein de la famille (consécutive à un manque de compétence ou tout
simplement par désintérêt des héritiers à reprendre, CNCFA-EPSILON, 2013), la baisse du
taux de natalité ou bien encore la hausse du niveau de formation scolaire des successeurs
potentiels leur ouvrant des perspectives de carrière plus grande (Cadieux et Brouard, 2009).
Les statistiques concernant le faible taux de survie des entreprises transmises au sein de la
famille (De Freyman et Richomme-Huet, 2012) 106 ne sont également pas de nature à
encourager les futurs cédants. Une autre possibilité s’offre alors à eux, la transmission à un
(ou des) salarié(s) de l’entreprise.
2.1.4.2.) La transmission à un (ou des) salarié(s) de l’entreprise (RES ou reprise de l’entreprise par les salariés)
La transmission à un ou plusieurs salariés de l’entreprise (RES)107 constitue une autre
solution. Depuis quelques années, une succession de lois108 ont été votées pour encourager la
reprise par les salariés : la loi de modernisation de l’économie (LME) du 4 Août 2008 (qui
prévoit des abattements pour la transmission aux salariés), la loi 1er Mars 2013 instaurant le
contrat de génération (possibilité offerte aux dirigeants d’entreprises de moins de 300 salariés
et âgés de plus de 57 ans, de recruter un repreneur salarié ou extérieur de moins de 30 ans et
de bénéficier d’une aide annuelle de 4000 € pendant 3 ans), la loi sur l’économie sociale et
solidaire (loi Hamon) du 31 Juillet 2014 vise à encourager la reprise d’entreprise par les
salariés en les informant au préalable à tout projet de cession, et la formation de SCOP 109.
Malgré l’importance des avantages fiscaux accordés aux salariés, cette politique ne semble
d’entreprises dans 7 pays européens : la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Autriche, la Lituanie, la Pologne et la Slovénie. 106
Les auteurs relèvent qu’un tiers seulement des entreprises transmises dans le giron familial survivent à la deuxième génération et 10 à 15% à la troisième. 107
Ce type de transmission est également dénommé LMBO (leverage management buy out), pratique inspirée de la technique du LBO (leverage buy out). Elle peut être réalisée par des salariés ayant le statut de cadre ou non. 108
Nous remarquons qu’une loi datant du 9 Juillet 1984, portant sur le développement de l’initiative économique, faisait déjà mention de ce type de reprise qu’il fallait encourager via l’actionnariat salarié. Les conditions d’applications de cette loi furent ensuite modifiées par la loi du 17 Juin 1987. Cette dernière octroie des avantages fiscaux supplémentaires à la création de holding par les salariés. 109
L'article 16 de la loi de finances rectificative pour 2013, entrée en vigueur le 1er
Janvier 2014 (anticipant ainsi ce même dispositif prévu dans la loi Hamon), vise à étendre le régime fiscal avantageux des Scop "classiques" (dont les salariés associés sont majoritaires) aux Scop dont les associés coopérateurs ne détiennent pas encore 50% du capital au démarrage. Pour financer l’acquisition par les salariés, l’apport de fonds extérieurs est parfois nécessaire (particulièrement pour les entreprises de grande taille). La SCOP d’amorçage permet de faire appel à des investisseurs externes offrant ainsi aux salariés de renforcer, année après année, leur part au capital de la SCOP. Ce statut permet de dissocier, pour une période transitoire de 7 ans, la majorité en capital de la majorité en voix. Le ou les investisseurs extérieurs interviennent dès le départ avec la volonté de devenir minoritaire à l’issue des 7 ans et de recevoir une juste rémunération pour le portage du capital qu’ils ont réalisé pendant la période.
90
pas réellement produire l’effet escompté. En effet, la RES ne progresse pas significativement
en France et continue à ne représenter que 32% des transmissions de PME (OSEO-BDPME,
2005). Lorsque la transmission à un membre de la famille ou à un (ou des) salarié(s) de
l’entreprise n’est pas envisageable, la transmission à un repreneur externe devient l’unique
solution possible pour assurer la continuité de l’entreprise.
2.1.4.3.) La transmission à un repreneur personne physique externe (RPP)
La transmission à un repreneur externe (RPP), qualifiée également de reprise par un
tiers, correspond à la cession de l’entreprise au profit d’une personne sans liens de
subordination ou familiaux avec l’entreprise et l’entrepreneur. Dans notre démarche, il est
nécessaire de différencier les tiers repreneurs ayant été en relation d’affaires avec l’entreprise
(clients, fournisseurs, voire banquiers, etc.) et les autres, sans aucun lien avec elle
(Deschamps et Paturel, 2009110 ; Cadieux et Brouard, 2009). D’après l’étude OSEO–BDPME
(2004), la transmission à un repreneur externe constitue la modalité la plus couramment
utilisée en France, puisqu’elle représente 42.5% du total des cessions d’entreprises. Les TPE
sont concernées en premier lieu par ce phénomène. Les chiffres parlent d’eux même : 91,7%
des entreprises rachetées en France ont moins de 10 salariés (OSEO-BDPME, 2005). La
plupart le sont par des tiers sans aucun lien avec l’entreprise (à 60% d’après l’INSEE, 2007)
et parfois même avec son métier. Ce type d’opération, déjà majoritaire, est amené à se
développer dans les prochaines années (Rapport Dombre-Coste, 2015 ; De Freyman, 2010111).
La progression prévisible du nombre de RPP en France rassure autant qu’elle suscite
questions et appréhensions. Et pour cause ! L’ensemble des observateurs, notamment dans le
milieu académique, s’accorde sur le caractère plus risqué de ce type de reprise. Des
statistiques tendent à le confirmer puisque le nombre de dépôts de bilan est deux fois plus
élevé que pour une reprise par des salariés et plus de trois fois supérieur à une transmission
familiale (BDPME, 2004). Comment expliquer une telle situation ? Pourquoi un tel écart ?
Existe-t-il des moyens d’améliorer le taux de survie des RPP ? Pour de nombreux auteurs, la
méconnaissance de l’entreprise, de sa structure et de son fonctionnement constituent des
risques supplémentaires par rapport aux transmissions à la famille ou aux salariés (Hirigoyen,
1987 ; Deschamps et Paturel, 2005 ; Paturel, Richomme-Huet et De Freyman, 2008). Pour 110
Ces auteurs expliquent que le repreneur qui n’a pas de lien, ne connait pas la cible au préalable. Il rencontre donc plus de difficultés que les autres types de repreneur, car il n’a ni le lien familial, ni le lien hiérarchique ou commercial pour le guider dans ses démarches. 111
De Freyman (2010, pp. 3-4) relève à ce sujet que « de plus en plus de TPE sont actuellement proposées à des
repreneurs hors métier, souvent obligés de réinvestir leurs indemnités de départ dans une entreprise (faute
d’opportunités de carrières et/ou de propositions satisfaisantes suite à des plans de restructuration) ».
91
d’autres, l’opération est plus difficile car plus complexe. Cette complexité tient pour
beaucoup au « dosage permanent entre l’existant à préserver et le nouveau à intégrer, entre
ce que l’on peut conserver et ce qu’il est nécessaire de changer » (Dokou et Gourdon-
Cabaret, 2006, p. 4). Dans tous les cas, mieux connaître la RPP et comprendre sa dynamique
permettrait d’en établir plus finement les sources de succès et d’échec (Picard, 2009). Dans le
cadre de notre travail, nous axons notre recherche sur la transmission des TPE à un tiers,
personne physique externe à l’entreprise, plus connu dans la littérature sous l’abréviation
RPP. Nous travaillons sur les RPP pour lesquelles le repreneur n’a pas de lien avec la TPE,
c’est-à-dire qui n’a pas de relation d’affaires avec elle, comme le montre le tableau suivant.
Tableau 8 - Notre positionnement parmi les différents types de transmission
CHOIX N°1 CHOIX N°2
Modes SUCCESSION CESSION
Transmission Interne à la famille
Externe à la famille
Interne ou Externe à l’entreprise
Interne à l’entreprise
Externe à l’entreprise
A qui ? A un héritier A un ou plusieurs salariés
A un tiers, personne physique
A un tiers, personne morale
Littérature Succession RES RPP Croissance Externe
Relation d’affaires avec la TPE
Avec Sans
Notre positionnement
X
Source : d’après De Freyman et Richomme-Huet (2012).
Nous constatons qu’il s’agit de la modalité de transmission d’entreprises, de loin, la plus
répandue et retenons son caractère plus fortement risqué. Nous avons bien conscience de
l’ampleur et de la difficulté de la tâche. Il s’agit, en effet, d’une pratique complexe (Cadieux
et Deschamps, 2009), et difficilement appréhendable compte tenu de l’absence de statistiques
officielles la concernant. Nous disposons, en outre, de peu de références académiques sur
lesquelles nous appuyer. Les sous-sections suivantes visent à examiner qui sont les repreneurs
externes de TPE et à relever les principales caractéristiques des entreprises à reprendre. Pour
92
Picard et Thévenard-Puthod (2006), il s’agit des deux principaux facteurs ayant un pouvoir
explicatif quant aux difficultés rencontrées lors ce type de transmission112.
2.1.4.3.1.) Des repreneurs externes de TPE très hétérogènes
La plupart des auteurs s’accordent sur l’existence de profils très variés de repreneurs aux
motivations113 toutes aussi variées (Deschamps, 2000). De multiples critères peuvent être
retenus pour les étudier tels que l’âge, l’environnement familial (entrepreneurial ou non), les
motivations, la stratégie, la formation, l’expérience professionnelle, ou encore l’aversion pour
le risque. L’hétérogénéité des critères aboutit à une grande diversité de profils de repreneur
rendant leur taxonomie difficile et complexe. Nous pouvons à cet égard transposer aux cas
des repreneurs, la remarque de Gartner (1985) pour qui les différences entre entrepreneurs
sont si fortes, qu’il est pour certains, quelquefois plus aisé de les comparer à des non-
entrepreneurs. Deschamps (2000, p. 349) va plus loin. Pour elle, « la diversité des repreneurs,
de leurs buts, de leurs projets, des environnements particuliers et des entreprises reprises
rend vaine la recherche d’un modèle général ». Notre volonté d’identification des principales
caractéristiques des repreneurs de TPE se heurte à un obstacle de taille. Il n’existe pas, en
France, d’organismes publics publiant des statistiques officielles sur lesquelles nous appuyer.
Bien que nous inscrivant dans une lecture spécifique et différenciée de la TPE par rapport à
l’objet PME (Torrès, 1999 ; Marchesnay, 2003) et, à défaut, d’autres sources documentaires
disponibles, nous nous référerons donc à l’étude de l’observatoire CRA114 (2014) sur la
transmission de TPE-PME. Il s’agit, à notre connaissance, de la seule étude statistique
relativement fiable menée à grande échelle. Cette dernière établit un portrait robot du
repreneur potentiel d’entreprises de 5 à 100 salariés115. Il s’agirait d’un homme à 93%, âgé de
46 ans en moyenne, diplômé de l’enseignement supérieur, et disposant d’un apport personnel
compris entre 150 000€ et 300 000€. L’étude nous apprend également que 77% d’entre eux
112
Leur analyse de 70 processus de RPP aboutit à la conclusion selon laquelle les difficultés rencontrées par les repreneurs « sont dépendantes de deux facteurs : le type d’entreprise repris et le profil du repreneur ». 113
Dans sa recherche doctorale, Deschamps (2000) met en relief l’existence de 5 types de motivations «repreneuriales» orientant les entrepreneurs personnes physiques vers une opération de reprise : les déterminés, les non motivés, les sociaux, les contraints et les investisseurs. 114
Observatoire cédants et repreneurs d’affaires ; chiffres issus d’une base de données établie depuis 1995 jusqu’à 2013, soit plus de 14 000 repreneurs et 8500 affaires à céder. 115
Bien que méritante, nous pouvons formuler à l’égard de cette enquête deux principales critiques. D’abord, elle se concentre sur une catégorie d’entreprises déterminée arbitrairement (de 5 à 100 salariés) ne reposant sur aucune classification justifiée. Ensuite, ce balisage ne représente qu’un pourcentage peu significatif des transmissions d’entreprises françaises (seulement 32%, soit 228000 sur 700000 transmissions de TPE/PME relevées en 2013).
93
reprennent une entreprise dans leur région. Les travaux académiques portant sur la reprise de
TPE, en dépit d’un nombre relativement faible, nous fournissent également quelques
informations supplémentaires. Il semble que ce type d’entreprises soit davantage repris par
des salariés n’ayant jamais exercé la fonction de dirigeant, contrairement aux PME, reprises
prioritairement par les cadres (Counot et Mulic, 2004, cités par Cadieux et Brouard, 2009).
L’étude de Géraudel, Jaouen, Missonier et Salvetat (2009, p. 23) met en avant l’impact du
niveau de formation du repreneur sur le type d’entreprises reprises. Plus précisément, elle
parvient à mettre en évidence un lien de corrélation entre le niveau de formation du repreneur
et la taille de l’organisation reprise. Ainsi, « quand l’individu est faiblement diplômé, il
préférera s’orienter vers la reprise de TPE (…) alors qu’un individu plus diplômé n’est pas
intéressé par la très petite structure ».
Malgré la pluralité des profils et à l’instar des travaux de Picard et Thévenard-Puthod
(2006) 116, nous rassemblerons les différentes catégories de repreneurs dans les trois grands
types suivants. (1) L’individu souhaitant créer son emploi : il s’agit d’une personne se
trouvant dans une situation précaire et à la recherche d’une source de revenu. Ses principales
difficultés résident dans le financement du projet de reprise et le maintien sur le long terme
d’une trésorerie suffisante à l’exercice de l’activité. La taille des entreprises reprises est
généralement plus petite. (2) Le salarié désirant obtenir une meilleure position
économique et sociale : il recherche en premier lieu dans l’entreprise reprise, une rentabilité
suffisante lui permettant de dégager un revenu au minimum équivalent à ce qu’il détenait
auparavant. (3) Le dirigeant d’entreprise voulant développer une autre structure : celui-ci
est prompt à prendre plus de risque, maîtrise mieux les rouages de l’entreprise et dispose
généralement d’un accès plus aisé au financement. Ceci se traduit, en règle générale, par
l’acquisition d’entreprise de plus grande taille.
2.1.4.3.2.) Les caractéristiques de la TPE
Le deuxième facteur pouvant avoir une influence sur la reprise concerne le type
d’entreprise, à savoir : sa taille, son ancienneté et son secteur d’activité (Gasse, Theberge et
Naud, 1988). L’effet taille semble être déterminant. Pour Picard et Thévenard-Puthod (2006,
p.5), il est « légitime de penser que plus la cible est de taille importante (nombre de salariés,
chiffre d’affaires, actifs immobilisés…), plus certaines étapes dans le processus de reprise
116
Ces travaux s’appuient eux-mêmes sur le classement opéré par l’Agence Nationale pour la Création d’Entreprise (1992 et 2004), devenue Agence France Entrepreneur depuis le 13 avril 2016.
94
vont être difficiles à franchir pour un repreneur externe (…), plus il y aura de salariés ou de
clients, plus le repreneur devra convaincre pour éviter le rejet ». A contrario, les effets de
grossissement (Mahé de Boislandelle, 1996) et d’égotrophie (Torrès, 2003) tendent à
démontrer le contraire. Les difficultés observables lors d’une opération de reprise sont plus
importantes dans une structure de petite taille. Comme nous l’avons développé dans la
première section de ce chapitre, nous nous inscrivons clairement dans cette deuxième
approche considérant la reprise de TPE comme plus complexe en raison des traits spécifiques
propres à ce type de structure. Pour un tableau tout à fait complet des entreprises pouvant être
reprises, nous ajoutons aux caractéristiques mentionnées ci-dessus, la situation économique.
Cette variable constitue, selon nous, un facteur explicatif supplémentaire indispensable à une
meilleure compréhension du déroulement de la transmission. En fonction de la situation
économique et financière de l’entreprise reprise, des problématiques différentes vont se
manifester, notamment en ce qui concerne les réactions des parties prenantes, particulièrement
des salariés. Plusieurs situations sont envisageables : la reprise d’entreprises saines,
d’entreprises avec des germes de difficultés et d’entreprises avec des difficultés avérées
(Deschamps et Paturel, 2009).
Ø La reprise externe de TPE saines
Il s’agit d’entreprises en « bon état de fonctionnement » jouissant d’une bonne
réputation auprès de leurs différents partenaires. Une croissance soutenue de l’activité, des
investissements continus, des marges et une trésorerie confortables ainsi qu’un endettement
limité, laissent augurer d’un avenir plutôt favorable. Dans ce contexte, la principale difficulté
pour le nouveau dirigeant sera de « prendre la place » d’un ancien patron dont l’action a
permis cette situation, de maintenir les relations privilégiées avec les clients et les
fournisseurs (Julien et Marchesnay, 1988), et surtout de se faire accepter par les salariés en
place. La situation initiale avantageuse dans laquelle se trouve l’entreprise rend généralement
difficile l’acceptation du changement pour l’ensemble des parties prenantes. C’est
précisément dans ce cadre que s’inscrivent nos travaux.
Ø La reprise externe de TPE avec des germes de difficultés
Plusieurs raisons peuvent expliquer le désir du cédant de vendre une entreprise de ce
type : la difficulté d’accès à de nouveaux marchés, le manque de fonds propres, l’arrivée
prochaine d’un nouveau concurrent ou d’un produit plus performant, de futures normes plus
95
contraignantes encadrant l’activité117, un marché de plus en plus restreint, etc. Le repreneur se
trouve ici dans une situation complexe, car il doit prendre les mesures nécessaires pour
redynamiser l’entreprise. Ceci passe généralement par la mise en place de changements
stratégiques et/ou organisationnels. La difficulté sera de faire accepter ces transformations,
notamment auprès des salariés dans une entreprise où, en apparence, tout va bien.
Ø La reprise externe de TPE avec des difficultés avérées
Les difficultés d’une entreprise peuvent être exprimées en fonction de différents
critères juridique, stratégique, financier, économique et social (Deschamps et Paturel, 2005).
D’un point de vue juridique, l’article L.631-1 du code de commerce, définissant la procédure
de redressement judiciaire 118 , stipule qu’une entreprise peut être considérée comme en
difficulté dès lors que le débiteur « justifie des difficultés qu’il n’est pas en mesure de
surmonter, de nature à le conduire à la cessation de paiements ». L’entreprise en difficultés
peut être reprise selon deux modalités : la reprise avant dépôt de bilan et la reprise après le
dépôt de bilan. Il s’agit d’un pari financier risqué pour le repreneur. Ce dernier ne bénéficie
pas toujours de toutes les informations sur l’état réel de l’entreprise. Pour Géraudel, Jaouen,
Missonier et Salvetat (2009), les repreneurs d’entreprises en difficultés sont caractérisés par
une aversion pour le risque plus faible que les autres repreneurs, le risque étant en général
plus grand pour ce type de reprise. Ils devront affronter une situation souvent critique et
apporter des solutions rapides et concrètes. Le témoignage de ce repreneur d’une PME en
difficultés résume assez bien la situation : « Les premiers mois ont été difficiles. Il a fallu
resserrer les boulons, changer de fournisseurs, augmenter nos prix et recréer la confiance
auprès du personnel et des clients. Nous perdions à l’époque 100 000 euros par mois et tout
l’argent dépensé était le mien et celui de l’associé qui me suit, car les banques ne nous
prêtaient rien » (Jean-Marie Jacquet, repreneur de la PME Mecanat, L’Express, 2014). Le
plus souvent, le changement à la tête de l’entreprise est bien accepté. Le nouveau dirigeant
venant de l’extérieur est perçu comme un sauveur (Deschamps et Paturel, 2005).
Comme pour les repreneurs, on ne peut que constater la grande variété des entreprises
à reprendre. Ceci rend l’approche complexe et chaque cas particulier (Deschamps, 2000).
117
Nous pensons à un entrepreneur de la région stéphanoise possédant une laverie automatique qui, anticipant une future obligation de mise aux normes de ses machines imposée par le législateur, a souhaité vendre son entreprise. 118
La procédure de redressement judiciaire est destinée à permettre la poursuite de l'activité de l'entreprise, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif.
96
Quelle que soit la situation dans laquelle l’entreprise se trouve, plusieurs facteurs expliquent
la réussite d’une RPP : la motivation du repreneur (Chalus-Sauvannet, 2009), ses
compétences managériales (Picard et Thévenard-Puthod, 2004), ses qualités personnelles
(humilité, rigueur, patience), sa capacité à organiser et à expliquer le changement aux
collaborateurs tout en offrant une vision « attractive et motivante pour l’avenir » (Rollin,
2006). En France, comme en Europe, des dizaines de milliers d’entreprises changeront de
propriétaires dans les prochaines années. Les TPE seront les premières impactées par ce vaste
mouvement. Nombre d’entre elles seront reprises par des repreneurs n’ayant aucun lien avec
l’entreprise et parfois même, avec son métier. Etant donné leur nombre croissant et les
problématiques spécifiques s’y afférant, nous avons décidé de concentrer notre recherche sur
les reprises de TPE. Plus précisément, nous étudions les reprises d’entreprises saines
réalisées par des personnes physiques externes sans lien avec leur cible. Pour de
nombreux auteurs, il s’agit d’un processus pouvant être représenté en une série d’étapes.
2.2.) Le processus repreneurial pour une personne physique externe
« Et pourquoi pas reprendre une entreprise plutôt que la créer ? Cela peut sembler
plus facile, plus rapide et plus sûr. Mais attention, le parcours reste délicat et le facteur
humain décisif » (L’Express-L’Entreprise, n°13/2014). Comme le laisse entendre le titre de
cet article d’un magazine à grand tirage, dont un numéro complet est consacré aux
entrepreneurs, la reprise d’une entreprise paraît, au premier abord, plus facile et plus sûre que
la création pure. Dans la réalité, il n’en est rien. Il s’agit, le plus souvent, d’une opération
longue et délicate. Pour la majorité des praticiens et des scientifiques, elle s’apparente même à
un parcours d’obstacles au cours duquel le candidat à la reprise éprouvera sa résistance et sa
motivation. La quasi-totalité des articles de presse que nous avons consultés, tout comme les
brochures et sites internet des organismes travaillant sur le sujet, insistent sur le caractère
séquentiel de l’opération. Il s’agit d’un processus scindé en une série d’étapes (variant
généralement de 5 à 9)119 qu’il faut suivre pour mener à bien son projet. Obéissant à ces
recommandations, le candidat-repreneur augmente ses chances de voir aboutir l’opération. Si
le caractère pratique et facilement transposable de ces approches « clés en mains » est réel, de
nombreuses critiques peuvent néanmoins être proférées à leur encontre. La première concerne
le caractère trop général (universel) des conseils offerts aux futurs repreneurs. Ainsi, un
119
Le nombre d’étapes varie en fonction de l’organisme concerné ; ainsi, 9 étapes sont identifiées par l’ordre des experts-comptables, 7 pour l’APCE, 6 pour le site « lesechosdelafranchise.com » ou encore 5 pour la Banque Populaire (banquepopulaire.fr).
97
premier regard indique que les spécificités des entreprises liées à leur taille, à leur situation
économique ou au secteur d’activité, ne sont pas ou peu prises en considération. Plus
surprenant encore, ces approches à visées pratiques tendent, pour la plupart, à considérer
l’opération de reprise comme un processus rationnel qui se termine à la signature de l’acte de
vente120. Sont ainsi négligés, voire entièrement occultés, l’entrée en fonction du nouveau
dirigeant dans l’entreprise, mais, plus grave encore, tout l’aspect humain de la reprise121.
Pourtant, il s’agit là d’éléments décisifs dans la réussite du processus de reprise. La prise de
fonction du nouveau dirigeant est jugée par de nombreux observateurs, qu’ils soient praticiens
ou chercheurs, comme essentielle dans la réussite du projet. Elle se caractérise généralement
par l’émergence de nombreuses problématiques liées au facteur humain (résistances au
changement, émotions négatives, etc.).
Les travaux de Deschamps (2000) permettent de dépasser les limites des approches
pratiques. Son modèle de « processus repreneurial » représente l’intégralité du processus de
reprise d’une manière beaucoup plus fine et exhaustive. Trois étapes sont mises en évidence :
la décision de reprendre, la reprise proprement dite et l’entrée du nouveau dirigeant dans
l’entreprise. Nous remarquons que, par la suite, d’autres auteurs ont procédé à un découpage
légèrement différent du processus, en lui reconnaissant quatre grandes étapes122 (Picard et
Thévenard-Puthod, 2004 ; Cadieux et Brouard, 2009). Ces divergences sont néanmoins
nuancées par Barbot et Richomme-Huet (2007) puisque « les auteurs s’accordent sur
l’ensemble du processus, seuls les découpages de ce dernier diffèrent d’une recherche à
l’autre ». Le modèle de Deschamps (2000) est celui que nous avons choisi en tant que support
théorique nécessaire à une meilleure compréhension de l’opération de reprise. Nous axerons
nos travaux de recherche sur le management de la reprise, dernière étape du processus.
120
Ainsi, le site des Banques Populaires rives de Paris, intitule la dernière des 5 étapes de la reprise : « Négocier
et conclure la transaction». 121
Appliquées à la lettre, ces « méthodologies » peuvent même s’avérer dangereuses pour la continuité de l’entreprise. Elles peuvent conduire le futur repreneur à ne pas se préparer ou à complètement négliger des éléments primordiaux du processus. Pour Bah (2006, p. 91), « Cette sous-estimation des questions humaines,
managériales, relationnelles et émotionnelles compliquent le déroulement du passage de relais, ce qui risque au
final de compromettre le succès de la transmission ». 122
Ce processus peut être découpé en quatre grandes étapes : la préparation (ou réflexion personnelle), l’accord (mise en œuvre), la transition et le management de la reprise (Picard et Thévenard-Puthod, 2004 ; Cadieux et Brouard, 2009).
98
2.2.1.) Les trois grandes étapes de la reprise
Partant du constat selon lequel il existait peu de connaissances académiques propres
au processus de reprise, Deschamps (2000) entreprit de décrire le phénomène et de mettre au
point une modélisation. Tout en admettant la pluralité et le caractère contingent des opérations
de reprise, l’auteure décèle trois grandes phases constituantes du processus, comme le montre
la figure suivante.
Figure 10 - La représentation succincte du processus repreneurial
Source : Deschamps (2000, p.380).
L’auteure précise toutefois que ces trois grandes étapes « ne sont pas suivies par tous
les types de repreneurs de manière linéaire » (Deschamps, 2000, p. 297). Picard et
Thévenard-Puthod (2006) parviennent à la même conclusion. Selon eux, on assiste très
souvent à des itérations, le processus se stoppant en cas de trop grande difficulté pour revenir
à l’étape précédente.
2.2.1.1.) L’étape relative à la décision d’entreprendre du repreneur
Reprendre une entreprise est une décision importante qui impactera lourdement la vie
du repreneur et celle de son entourage123. Pour Deschamps et Geindre (2009, p. 4), la décision
suit un processus qui débute « lorsque le futur repreneur réfléchit aux perspectives qui
s’offrent à lui en termes de changement professionnel ». La décision est le fruit d’un
cheminement personnel plus ou moins long correspondant à une phase d’élaboration et de
maturation du projet. Le futur repreneur mène généralement un véritable travail
d’introspection lui permettant de clarifier ses objectifs, ses attentes et d’identifier ses capacités
personnelles (forces et faiblesses). Le processus de décision est également influencé par un
123
De nombreux témoignages de repreneurs se rejoignent quant à l’effet de la reprise sur la vie de famille (moins de disponibilité du repreneur, peu de congés, amplitude des horaires de travail importante, etc.).
Processus relatif à la
décision
Processus de reprise Processus d’entrée
99
autre facteur que Deschamps (2000) désigne sous le terme « d’élément déclencheur ». Il s’agit
d’un événement dans la vie personnelle ou professionnelle du futur repreneur, indépendant de
sa volonté, mais qui va s’imposer à lui (divorce, licenciement, opportunité de reprise, etc.). La
particularité de cet événement perçu comme « un signal pour passer à l’acte » est qu’il peut
survenir trop tôt impactant négativement la reprise de l’entreprise. La figure suivante illustre
la logique globale du processus de prise de décision du repreneur.
Figure 11 - Processus de décision de reprendre
Source : Deschamps (2000, p. 287).
2.2.1.2.) L’étape de la reprise
L’individu convaincu du bien-fondé de la reprise comme projet de carrière entre dans
une deuxième phase du processus repreneurial. Il se lance à la recherche d’une entreprise
susceptible de lui convenir pour, une fois découverte, l’étudier en profondeur. Arrivent
ensuite la phase de négociation puis celle de la signature.
ELE
ME
NT
DE
CLE
NC
HE
UR
Processus relatif à la décision de reprendre
Histoire
Aptitudes
Besoins Motivations
« repreneuriales » Processus de reprise
Repreneur potentiel Repreneur révélé
PROCESSUS ENTREPRENEURIAL
100
2.2.1.2.1.) A la recherche de « L’ » entreprise
Lors de cette étape, le candidat repreneur peut se heurter à plusieurs difficultés. La
première renvoie à la qualité des critères de ciblage. Ces derniers doivent être cohérents,
précis et correspondre à la réalité du marché, des critères trop « fermés » étant nuisibles à la
poursuite du processus de reprise124. La seconde est liée au caractère opaque du marché de la
transmission. Bien que ce dernier représente un volume important d’entreprises, il n’existe
aucune liste exhaustive suffisamment détaillée pouvant faciliter la recherche du repreneur125.
Une fois le secteur d’activité plus ou moins décidé, il est nécessaire de faire appel aux
interlocuteurs adéquats 126 , de solliciter et questionner son propre réseau personnel et
professionnel127 et de faire connaître ses intentions aux différents intermédiaires (agences
spécialisées en transaction d’entreprises, experts-comptables, avocats, banques, etc.).
Deschamps et Barbot (2006, p. 8) constatent à cet égard que, dans les faits, « la détection
d’une cible potentielle passe essentiellement (deux tiers des cas) par le propre réseau du
repreneur ». L’usage d’Internet semble également s’intensifier et constitue un outil très
apprécié pour le gain de temps qu’il procure128. Une fois la cible détectée, le repreneur va
procéder à son diagnostic.
2.2.1.2.2.) L’analyse approfondie
La volonté de tout candidat à la reprise d’une entreprise saine est de s’emparer d’un
outil économique en bon état de fonctionnement, lui permettant de disposer de revenus
réguliers et d’une accumulation de capital à long terme (APCE, 2010). La démarche de
recherche se traduit généralement par la sélection de quelques entreprises pouvant
124
Deschamps et Geindre (2009) soulignent que les critères doivent être précis mais, en aucun cas, fermés « au
risque d’une recherche longue à l’issue incertaine ou dans le cas de la découverte de la cible « idéale », de ne
pas être capable de prise de recul au moment de la négociation ». 125
Source : CCI de France, 2013. 126
Des acteurs sectoriels, « partenaires » de l’entreprise, disposent généralement d’informations sur les entreprises susceptibles d’être reprises. La CCI de France précise ainsi que les meuniers sont quasi incontournables en boulangerie, les brasseurs essentiels pour les brasseries. Nous pouvons ajouter le rôle des messageries dans la transmission de magasin de presse. 127
Le réseau personnel du repreneur est privilégié. D’après une enquête publiée par l'IFOP, intitulée « Les
reprises et cessions d’entreprises », menée en Mai 2007 pour CCI Entreprendre et l’ordre des experts-comptables, 61 % des dirigeants qui ont repris une entreprise l’ont trouvée grâce à des proches ou des relations professionnelles. De la même manière, 50% des dirigeants futurs cédants envisagent de trouver le repreneur de leur entreprise par des proches ou des relations professionnelles. 128
De nombreux repreneurs nous ont expliqué avoir consulté régulièrement Internet pour « dénicher » leur entreprise. Constatant cette évolution, des agences spécialisées ont dressé, puis publié des listes d’entreprises à reprendre sur leur site Internet (c’est le cas, par exemple, du cabinet Michel Simond). De plus, des bourses d’opportunités d’affaires (bourses CCI) existent tout comme la possibilité de s’inscrire à des alertes mails (« alerte nouvelles affaires BPI France »).
101
correspondre à ses attentes, pour finalement ne retenir que la plus intéressante. Le choix
entériné, il est temps de procéder à un diagnostic précis de l’entreprise, mais aussi de son
environnement. Il s’agit d’un véritable travail d’analyse comportant de nombreux risques
(Deschamps et Geindre, 2009). Le risque peut émaner d’une mauvaise évaluation par le
repreneur de la situation réelle de l’entreprise129, mais également du cédant qui, bénéficiant
d’une asymétrie d’information (Akerlof, 1970), peut être tenté d’en dissimuler quelques-unes.
De nombreuses méthodes pratiques de diagnostic sont mises à la disposition des futurs
repreneurs par divers organismes spécialisés (APCE, cabinets de conseils, chambres de
commerce130, etc.). De Freyman (2009) nuance l’intérêt de ces outils. L’auteur admet leur
pertinence mais, selon lui, l’accessibilité au savoir-faire n’induit pas forcément son
appropriation par le candidat repreneur. Pour l’aider dans son étude, le candidat repreneur
peut néanmoins solliciter l’avis de professionnels réglementés (experts-comptables, avocats,
notaires) ou qualifiés (consultants, banquiers, clubs de reprise, etc.). Une fois tous les
éléments en mains, si l’entreprise convient, le repreneur doit déterminer le mode juridique de
la reprise, puis vient l’étape de la négociation et de la signature.
2.2.1.2.3.) La négociation et la signature
L’entreprise correspondant aux attentes du repreneur, il reste maintenant à négocier
avec le cédant un prix et des conditions131 conformes au projet de reprise. La fixation d’un
prix est un exercice délicat dans la mesure où les estimations du repreneur correspondent
rarement avec celles du cédant. Comme dans toute négociation, le premier a tendance à
vouloir sous-estimer la valeur de l’entreprise pour en obtenir un prix moins élevé alors que le
second a tendance à la surévaluer (CNCFA EPSILON, 2013)132. L’objectif est de parvenir à
un compromis se matérialisant par la rédaction d’un document officiel : le protocole d’accord
129
Deschamps et Geindre (2009) identifient plusieurs risques. Le risque de « myopie repreneuriale » voire pour les cas les plus sévères « d’aveuglement » : le repreneur, trop pressé ou par excès de confiance, se focalise sur la vision à court terme de l’entreprise (le Ici et Maintenant, diraient Moles et Rohmer) négligeant ainsi les perspectives d’évolution futures. Le risque d’ « hypermétropie repreneuriale » : le repreneur minimise la situation actuelle de l’entreprise, trop obnubilé par les perspectives de croissance. 130
La CCI de France (2014) préconise, par exemple, d’élaborer son diagnostic sur la base de 6 thèmes précis : le thème «produits, marché, concurrence, stratégie de l’entreprise » ; le thème « ressources humaines » ; le thème « comptable » ; le thème « juridique » ; le thème « moyens de production » et, pour finir, le thème « qualité-sécurité-environnement ». 131
Accompagnement du repreneur, clauses de non-concurrence, valorisation du stock, etc. 132
Les sociétés de conseils spécialisées dans la transmission d’entreprises interrogées en 2013 estiment que les dirigeants recourent à « une surestimation quasi-systématique de la valeur de leur entreprise (…), qui se
confirme chaque année » (CNCFA EPSILON, 2013, p. 22).
102
ou le compromis de vente 133 . Cette étape franchie, la vente peut être effective après
rassemblement des montants nécessaires, levée des conditions suspensives et signature de
l’acte de vente.
2.2.1.3.) L’étape de l’entrée dans l’entreprise
L’acte de vente signé, le processus d’entrée dans l’entreprise peut commencer. Rollin
(2006, p. 17) qualifie cette période d’ « entrée opérationnelle », le repreneur entrant dans « le
vif du sujet ». Ce dernier passe maintenant d’une position d’observateur relativement lointain
à une position d’acteur principal. A partir de cet instant, ses gestes, attitudes et décisions
seront scrutés afin de présager des conditions de collaboration futures. Deschamps (2000,
2005) dissocie deux étapes lors de ce processus : la période de transition entre le cédant et le
repreneur, puis l’intégration du nouveau propriétaire dans l’entreprise désignée sous le terme
de « management de la reprise ».
2.2.1.3.1.) La période de transition
Il s’agit d’une période charnière durant laquelle le cédant et le repreneur sont
conjointement présents dans l’enceinte de l’entreprise. L’intérêt de cette pratique est double.
D’abord, la période de transition permet d’assurer un « passage de relais » (Boussaguet,
2005) en douceur entre les deux protagonistes. Ensuite, elle permet l’initiation du nouveau
dirigeant à ses nouvelles fonctions en le rendant plus autonome. Le repreneur prend
progressivement connaissance des dossiers et bénéficie des conseils issus de l’expérience du
cédant. En outre, la transition permet de tranquilliser l’entourage de l’entreprise (interne et
externe) et d’afficher aux salariés ainsi qu’aux partenaires commerciaux, une franche
coopération présageant d’une continuité dans les relations.
Néanmoins, d’après Deschamps et Paturel (2005, p. 200) « toutes les opérations de
reprise n’exigent pas une transition entre le cédant et le repreneur ». Si la transition présente
des avantages indéniables, elle a également des inconvénients. Transmettre son entreprise,
c’est transmettre un pouvoir patiemment construit, et, pour les dirigeants n’ayant pas d’autres
entreprises, une identité de chef d’entreprise, un statut et une reconnaissance sociale. Il s’agit
d’une réelle perte requérant, pour de nombreux intéressés, un véritable travail de deuil (Pailot,
1998 ; Bah, 2006). Le ressenti face à l’importance de la perte peut troubler le cédant à tel 133
Nombreux sont les experts insistant sur le soin apporté à la rédaction de ces documents, car, sur un plan législatif, une vente pouvant être réputée faite, si il y a accord sur la chose et sur le prix (Article 1583 du Code civil).
103
point qu’il ne parvienne pas à céder son autorité et son pouvoir. Kittel (1996) explique les
réticences du dirigeant à lâcher prise par le difficile renoncement au plaisir d’exercer ce
pouvoir, ainsi que par l’envie de conserver son statut de chef d’entreprise. Ce dernier se
raccroche à l’entreprise en s’y impliquant positivement ou négativement jusqu’à « la dernière
minute ». Le fonctionnement de l’entreprise à ce stade de la reprise peut se trouver perturbé
soit par une trop grande implication du cédant, laissant peu de place au nouveau dirigeant et à
son plan de reprise, soit à l’inverse par une attitude de retrait, de regard critique, voire
d’hostilité envers le repreneur134. Dans les deux cas, la légitimité du nouveau dirigeant se
trouve remise en cause. Afin de ne pas devoir supporter ces risques, de nombreux chercheurs
et praticiens préconisent de ne pas mettre en œuvre une phase de transition trop longue
(Deschamps et Paturel, 2005 ; Rollin, 2006).
2.2.1.3.2.) Le management de la reprise
Cette dernière étape du processus de reprise débute lorsque le cédant quitte
l’entreprise, laissant le repreneur seul aux commandes. De nombreuses recherches soulignent
l’importance des difficultés auxquelles se heurte le repreneur pendant le management de la
reprise (Deschamps, 2000 ; Deschamps et Paturel, 2005 ; Boussaguet, 2006 ; Picard et
Thevenard-Puthod, 2006 ; Picard, 2009 ; Deschamps et Geindre, 2009). Pour Rollin (2006, p.
67), il s’agit d’une période intense qu’il ne faut surtout pas négliger. Elle « concentre et
condense (…) dans un minimum de temps tout un ensemble de problématiques fondamentales
du management d’une organisation au sens large ». Pour Deschamps et Paturel (2005, p.
199), c’est une étape délicate dans la mesure où « le repreneur prend les rênes d’une
entreprise qu’il ne connaît pas (…), manage un personnel qui est habitué à un autre dirigeant
et gère de manière à ce que l’entourage perçoive une transition en douceur ». S’installant aux
commandes de l’entreprise, il découvre l’inconfort et l’ambiguïté de la situation. Un
sentiment d’« extranéité » (Chabert, 2005) peut le submerger. A cet instant, de multiples
questions l’assaillent : comment gérer efficacement l’entreprise ? Comment se faire accepter
par l’ensemble des parties prenantes ? Et, surtout, comment construire sa légitimité de
« patron » auprès des salariés et susciter leur engagement ? La qualité des réponses apportées
impactera directement le futur de l’entreprise.
Nous pouvons résumer le processus repreneurial de la façon suivante.
134
Picard et Thévenard-Puthod (2006) soulignent que certains cédants, percevant le repreneur comme un potentiel rival, peuvent aller jusqu’à « saborder » la reprise.
Figure 12 – Synthèse du processus repreneurial
Notre processus repreneurial présenté, nous allons à présent montrer que le
management de la reprise est une étape capitale pour réussir le projet de reprise.
2.2.2.) Le management de la reprise
L’entrée dans l’entreprise,
importance primordiale dans la
Puthod (2006) relèvent le nombre élevé
années consécutivement à l’arr
phénomène par l’importance de
la phase de management post-
multiples obstacles pouvant attendre
défaillante, inadaptation des appareils productifs,
d’un partenaire important (fournisseur ou client),
fonctionnement interne de l’entreprise,
L’Agence Pour la Création d’Entreprises
leur rôle à ce stade du processus de reprise
104
du processus repreneurial
Source : d’après Deschamps (2009).
repreneurial présenté, nous allons à présent montrer que le
gement de la reprise est une étape capitale pour réussir le projet de reprise.
agement de la reprise : une étape capitale dans la réussit
L’entrée dans l’entreprise, ultime étape du processus repreneurial
dans la réussite du projet. Dans leurs travaux, Picard et Thé
) relèvent le nombre élevé d’échecs de reprise survenant duran
l’arrivée d’un nouveau dirigeant. Les auteurs expliq
des difficultés auxquelles sont confrontés les repreneurs
-reprise. Déjà en 2005, le rapport OSEO mettait
vant attendre les futurs repreneurs après la reprise
illante, inadaptation des appareils productifs, problèmes d’adaptation du repreneur,
ant (fournisseur ou client), informations insuffisantes
ionnement interne de l’entreprise, difficultés relationnelles avec les salariés, etc.
L’Agence Pour la Création d’Entreprises prévient les futurs candidats à la reprise du poids de
à ce stade du processus de reprise : « Une reprise est plus complexe qu'une création
ès Deschamps (2009).
repreneurial présenté, nous allons à présent montrer que le
gement de la reprise est une étape capitale pour réussir le projet de reprise.
dans la réussite du projet
e du processus repreneurial, revêt une
Picard et Thévenard-
durant les premières
. Les auteurs expliquent ce
ntés les repreneurs durant
OSEO mettait en garde sur les
futurs repreneurs après la reprise : trésorerie
d’adaptation du repreneur, perte
ions insuffisantes sur le
ionnelles avec les salariés, etc.
à la reprise du poids de
Une reprise est plus complexe qu'une création
105
et il faut être un bon professionnel dès l'entrée en fonction : le repreneur n'a pas le temps de
"se roder" comme dans un projet de création » (site internet : APCE.com). Il devient alors
essentiel pour tout repreneur de bien se préparer à répondre à toutes les éventualités avant
même son investiture (Geindre, 2009), d’autant plus s’il est extérieur à l’entreprise. Berger-
Douce et Deschamps (2010, p. 5) mettent en avant l’enjeu de cette période tant pour le
repreneur que pour l’organisation. Selon ces auteurs, elle « conditionne le bien-être du
repreneur dans son entreprise, sa manière d’assumer son nouveau rôle et le succès de
l’opération ».
2.2.2.1.) Une étape importante pour le repreneur
L’entrée opérationnelle marque un tournant dans la vie du repreneur. Seul aux
commandes de l’entreprise, il prend, à cet instant, réellement conscience de l’ampleur de la
tâche. A la logique comptable et financière prégnante durant les premières étapes du
processus repreneurial, se substitue un raisonnement incorporant la dimension humaine. Le
repreneur passe d’un travail abstrait d’analyse d’outils comptables (tableaux de bord,
prévisionnels, mesures de la rentabilité financière, etc.) à la gestion quotidienne de l’activité
d’hommes et de femmes avec toute la complexité que cela suppose. L’importance du facteur
humain, bien que souvent négligée dans les plans de reprise, apparaît alors soudainement. Les
qualités humaines du nouveau dirigeant135 sont largement sollicitées, les niveaux d’incertitude
et d’anxiété au sein de l’organisation et dans son environnement étant généralement élevés.
Le moment est important et intense pour le repreneur. Il doit s’intégrer dans une
structure qu’il ne connaît que superficiellement et prendre des décisions dont la pertinence
sera jugée par l’ensemble des parties prenantes de l’organisation et, plus particulièrement, ses
salariés. L’interaction avec ces derniers, considérés comme des agents socialisateurs,
constitue une source d’apprentissage fondamentale de son nouveau rôle. Il entre dans un
processus de socialisation repreneuriale, processus bilatéral de changement et d’adaptation
mutuelle, durant lequel « il a besoin d’acquérir la compréhension, les relations et l’autorité
qui lui sont nécessaires pour assumer son rôle efficacement » (Boussaguet, 2005, p. 297). La
proximité hiérarchique propre à la TPE complexifie l’activité du nouveau dirigeant. Ses
paroles, attitudes et actions seront aussitôt interprétées par les salariés et risquent de ne pas
135
Berger-Douce et Deschamps (2010) soulignent le rôle de la capacité d’apprentissage et de l’humilité dans la réussite de l’adaptation du repreneur. Pour Rollin (2006), ce dernier doit faire preuve de patience, d’objectivité et de pédagogie. Geindre (2009) évoque, quant à lui, la compétence sociale en tant que capacité à créer et à étendre son réseau relationnel.
106
susciter leur adhésion. Le faible nombre de personnel d’encadrement au sein des TPE, voire
son absence totale, appelle une vigilance toute particulière de sa part. A cet instant, la pression
pesant sur les épaules du repreneur est forte. Ses éventuelles premières erreurs d’appréciation
ou de gestion ne seront ni filtrées ni corrigées par un quelconque encadrement et apparaîtront
directement aux yeux des salariés, sa qualité de nouveau leader risquent alors d’être
grandement compromise.
2.2.2.2.) Une période de fragilité pour l’organisation
Dans la vie de l’entreprise, le changement de dirigeant constitue un événement de toute
première importance. Il revêt un caractère stratégique (Haddadj et D’Andria, 2001). Selon
Boussaguet (2010), il touche aux fondements même de l’organisation et ses effets sur les
membres de l’organisation sont « profonds et déstabilisateurs ». A l’instar de certains auteurs
avant nous (Donckels, 1995 ; Haddadj et D’Andria, 2001 ; Boussaguet, 2005), nous
considérons le changement de direction comme un événement majeur, un
« macrochangement » diraient Mintzberg et al. (1999), souvent à l’origine de multiples autres
changements au sein de l’organisation. Pour Deschamps (2000), il est le point de départ d’une
dynamique du changement comme le montre la figure ci-après.
Figure 13 - La dynamique du changement dans une opération de reprise par un particulier
Source : Deschamps (2000, p. 367).
Changement de dirigeant
Changement de gestion
Changement pour les salariés
Changement de culture
Choc culturel
Résistance au changement
REPRISE CESSION
CHANGEMENT
107
L’entrée en fonction d’un nouveau dirigeant impacte l’entreprise dans toutes ses
dimensions (humaines, organisationnelles, stratégiques, etc.). Pour Deschamps et Paturel
(2005, p. 216), le simple fait que l’organisation change de dirigeant « implique que des
modifications vont se produire dans l’organisation et dans la gestion ». Boussaguet (2005)
rappelle l’importance de cette dernière étape du processus de reprise et met en avant le risque
de déstabilisation, voire de destruction de l’organisation dans les cas extrêmes où les
différentes parties prenantes refusent de coopérer. La principale préoccupation pour le
repreneur intégrant l’entreprise concernera la gestion du changement, activité visant
principalement à éviter les phénomènes de résistance émanant des salariés (Deschamps et
Paturel, 2009). Le management du repreneur, sa capacité à inspirer confiance ainsi que son
leadership doivent permettre de lever les craintes liées au changement et amener les salariés à
s’engager, à leur tour, dans la reprise. De la même manière, les partenaires de l’entreprise
attendent des réponses sur l’intention du repreneur et sur les perspectives de collaboration
futures.
2.2.3.) Les enjeux liés au changement de dirigeant
La littérature s’accorde sur le fait que l’opération de reprise induit inévitablement des
modifications au sein de l’entreprise à différents niveaux : priorités des objectifs, méthode de
gestion et de management, organisation du travail, etc. Pour Donckels (1995), l‘arrivée du
repreneur constitue en soi une source de changement au sein de l’organisation. Il incarne
l’objet du changement (Conner et Patterson, 1982) aux yeux des salariés. En outre, le fait que
le repreneur ait souvent besoin d’une pratique pour se démarquer de son prédécesseur,
engendre naturellement du changement organisationnel (Berger-Douce et Deschamps, 2010).
Les relations à l’environnement extérieur à l’entreprise sont également impactées par l’arrivée
d’un nouveau dirigeant. Les différents partenaires de l’organisation sont placés devant
l’obligation de collaborer avec un nouvel acteur qu’ils ne connaissent généralement pas, ce
qui n’est pas sans causer de nombreuses difficultés. L’APCE opère une distinction avec la
création d’entreprise et met en avant le poids plus élevé des rapports humains dans les
opérations de reprise. La gestion de la problématique humaine doit être placée au centre des
préoccupations de tout repreneur intégrant son nouveau poste. Ainsi, selon l’Agence, « les
problèmes de relations humaines sont bien plus lourds qu'en création. En effet, les contrats de
travail des salariés se poursuivant, une adaptation leur sera nécessaire après le changement
108
de direction. (…). De même, les relations avec les fournisseurs ou les clients peuvent évoluer
défavorablement du fait du changement d'interlocuteur » (apce.com, 2013).
2.2.3.1.) Les difficultés liées à l’appropriation des relations à l’environnement
La TPE est caractérisable par une relation étroite entre le dirigeant et son
environnement. Les clients, fournisseurs, institutions locales, associations, banques, etc.
constituent un véritable réseau d’acteurs poursuivant un même objectif de collaboration et
d’échange d’informations. L’arrivée aux commandes d’un repreneur suscitera de nombreuses
interrogations quant à son positionnement par rapport à l’ancien dirigeant et à la prolongation
du travail commun136. En d’autres termes, se poseront les questions de la possibilité et de
l’intérêt (ou non) de poursuivre la coopération. Dans ses recherches, Geindre (2009) souligne
la difficulté pour le nouveau dirigeant à identifier137 la ressource réseau, son importance et le
poids des réactions de l’environnement dans la réussite de la reprise. Pour de nombreux
auteurs (Portes, 1998, cité par Arrègle et al., 2004 ; Baron et Markman, 2000 ; Davidson et
Honig, 2003 ; Geindre, 2009) le réseau constitue un capital social (Bourdieu, 1980 138 )
prépondérant dans la réussite d’une entreprise, puisque source d’avantage concurrentiel
(Porter, 1986). Le principal enjeu pour le repreneur d’une TPE réside dans la captation, puis
la conservation de cette ressource après le départ du cédant. La petite taille de l’organisation
accentue la difficulté, car « plus l’entreprise est petite et plus la confusion entre le réseau du
dirigeant et celui de son entreprise sera grande » (Geindre, 2009, p. 112). Arrègle et
al. (2004, p. 17) conditionnent le bénéfice d’un capital social pour un individu à trois
facteurs : « il doit disposer de l’opportunité d’entrer dans des transactions sociales (les
connexions du réseau social) ; les membres du réseau social doivent être motivés pour agir
en faveur de l’acteur ; et ils doivent avoir la capacité de le faire ». En ce qui concerne la RPP,
ceci implique deux choses : d’abord, une volonté de l’ancien dirigeant de fournir « les clés »
de son réseau au nouveau dirigeant, ensuite une bienveillance des membres du réseau à
136
Selon Norburn et Schoenberg (1994, cités par Picard et Thévenard-Puthod 2006), le départ de l’ancien dirigeant entraîne en premier lieu une suspicion émanant de l’environnement, plus particulièrement de la part des fournisseurs et des clients. 137
L’auteur pointe du doigt l’absence de « mémoire organisationnelle » et l’absence de « quelconques fichiers » pour répertorier la ressource réseau. Nous pensons que ceci est d’autant plus vrai au sein des TPE où les relations interpersonnelles (Dandridge, 1979) informelles sont nombreuses et privilégiées. 138
Bourdieu (1980) le définit de la manière suivante : « le capital social est l’ensemble des ressources actuelles
ou potentielles qui sont liées à la possession d’un réseau durable de relations plus ou moins institutionnalisées
d’interconnaissance et d’inter-reconnaissance ; ou, en d’autres termes, à l’appartenance à un groupe, comme
ensemble d’agents qui ne sont pas seulement dotés de propriétés communes (susceptibles d’être perçues par
l’observateur, par les autres ou par eux-mêmes) mais sont aussi unis par des liaisons permanentes et utiles ».
109
l’égard d’une personne qu’ils ne connaissent pas. Geindre (2009, p. 113) résume la situation
ainsi : « dans le cadre d’une reprise, le transfert du réseau ne dépend donc pas uniquement de
la (bonne) volonté du cédant mais aussi de la réaction de l’environnement ». L’identification,
puis l’appropriation des relations de l’ancien dirigeant deviennent une préoccupation
supplémentaire pour le repreneur. De nombreuses reprises échouent du fait de la détérioration
ou de la perte de tout ou partie des relations à l’environnement après le départ du cédant (perte
de clients, déperdition de capital social, apparition de tensions avec les fournisseurs, etc.).
Mais outre les difficultés liées à l’appropriation des relations à l’environnement, il y a des
difficultés internes à l’organisation.
2.2.3.2.) Les difficultés internes à l’organisation
La phase de management post-reprise constitue une période de travail relativement
difficile et intense pour le nouveau dirigeant. De multiples témoignages de repreneurs tout
comme les conclusions de recherches scientifiques (Deschamps et Paturel, 2005 ; Rollin,
2006 ; Boussaguet, 2006 ; Picard et Thévenard-Puthod, 2006) le confirment. Pour beaucoup,
de nombreuses difficultés découlent de facteurs internes à l’organisation. Le changement à la
tête de l’entreprise cristallise l’attention des salariés et suscite de nombreuses réactions et
interprétations (Demers, 1993). Il s’agit d’un événement majeur susceptible de déstabiliser, en
profondeur, le fonctionnement habituel de l’organisation tout comme ses caractéristiques
culturelles et identitaires. Pour Giroux (1993), le changement dans l’organisation induit
inéluctablement un changement dans les comportements des personnes et dans leurs relations
entre elles. La prise en compte du facteur humain est essentielle dans la réussite d’une reprise,
ce dernier représentant le principal frein au changement (Henriet, 1999). Confrontés à une
nouvelle situation, les salariés peuvent avoir des réactions multiples allant du rejet total à,
dans le meilleur des cas, une acceptation clairement exprimée139. Une bonne compréhension
de ces réactions par le repreneur apparaît comme un élément fondamental dans la réussite de
la reprise. Le rôle du nouveau dirigeant consiste à gérer le changement afin d’éviter les
phénomènes de choc culturel et de résistance au changement, manifestation comportementale
représentant le principal obstacle à toute reprise (Deschamps, 2002).
139
Coetsee (1999, cité par Paille, 2012) propose une échelle graduée explicative des réactions au changement. Ces dernières oscillent selon un continuum ayant pour extrémités l’engagement (synonyme d’acceptation) et la résistance au changement (marquant le rejet des personnes pour le changement).
110
2.2.3.2.1.) Un bouleversement organisationnel
Le changement de dirigeant implique que des modifications vont se produire au sein
de l’organisation et dans sa gestion (Deschamps et Paturel, 2005). Boussaguet (2005)
mentionne qu’il s’agit d’une expérience polytraumatisante aussi bien au niveau individuel que
collectif et organisationnel. A ce stade, de nombreuses complications organisationnelles
peuvent survenir. Celles-ci sont souvent occasionnées par l’inefficacité des mécanismes
d’ajustements rendus indispensables par le remplacement d’un acteur placé au centre du
système de gestion de l’entreprise.
Il paraît, en effet, fort peu probable de voir une substitution parfaite des rôles et des
attentes du repreneur à ceux et celles de l’ancien dirigeant. Ceci semble encore plus vrai au
sein des TPE généralement créées, puis modelées, pour répondre aux aspirations personnelles
de leur propriétaire-dirigeant (Marchesnay, 1991). L’imbrication des rôles cédant-repreneur et
l’établissement de nouveaux modes de coordination entre acteurs paraissent d’autant plus
compliquées que, sur le plan fonctionnel, il est très difficile de différencier les tâches entre
acteurs (Marchesnay, 1990). L’organisation étant préalablement configurée selon la volonté
du cédant, il en ressort une réévaluation, puis une probabilité accrue de redéfinition du rôle de
chacun au sein de la structure. L’effet de proportion, décrit par Mahé de Boislandelle (1996),
nous permet également d’entrevoir la petite taille de l’entreprise comme un facteur amplifiant
les conséquences d’un changement de dirigeant, celui-ci occupant une place
proportionnellement plus élevée que dans une entreprise de grande taille. Le remplacement
d’un personnage central assumant conjointement différents rôles 140 (Mintzberg, 1989)
impactera alors lourdement l’organisation de l’entreprise ainsi que sa gestion (Bayad,
Boughattas, Schmitt, 2006).
La prise en main d’une TPE par un repreneur modifiera une situation d’équilibre,
parfois en place depuis de nombreuses années. Elle influera sur le fonctionnement habituel de
l’organisation, la répartition des rôles et des tâches, ainsi que sur les jeux de pouvoir entre
acteurs (Crozier et Friedberg, 1977). Le nouveau dirigeant doit combler une large place
laissée vacante par l’ancien dirigeant et peut décider d’apporter des évolutions à la structure.
Cela passe par un nouveau partage de responsabilités, une nouvelle répartition des rôles, ou
encore par de nouvelles procédures et méthodes de travail (organisation du temps de travail, 140
Selon l’auteur, le manager assume trois types de rôles : des rôles interpersonnels (leadership, représentation de l’entreprise, etc.), des rôles informationnels (porte parole, diffusion d’informations, etc.) et des rôles décisionnels (négociation, répartition des ressources, régulation, etc.)
111
apport d’une technologie nouvelle, etc.). Quelle que soit la solution retenue, le repreneur doit
garder à l’esprit que de trop nombreux changements, trop rapides ou mal maitrisés auront un
impact considérable sur les salariés.
2.2.3.2.2.) Le poids du facteur humain
Maîtriser le processus de changement organisationnel requiert une attention fine portée
aux éventuelles réactions d’individus confrontés à l’édiction de nouveaux rapports humains et
à une modification des jeux de pouvoir (Crozier et Friedberg, 1977). Pour Sainsaulieu (1977),
l’entreprise est bien plus qu’un lieu de production ou de lutte sociale, mais constitue une
véritable institution, un lieu de construction identitaire. La spécificité de la TPE confère à
l’étape de l’entrée en fonction du repreneur un caractère encore plus complexe. Les
principaux traits caractéristiques de la TPE (petite taille, poids important du dirigeant, relation
de proximité) expliquent en partie les difficultés généralement rencontrées. Au moins trois
paramètres dont les effets impactent considérablement le fonctionnement de l’organisation
sont à prendre en considération.
(1) La culture et l’identité : le changement de dirigeant au sein d’une entreprise de petite
taille est un événement susceptible de déstabiliser ses caractéristiques culturelles et
identitaires. Pour Deschamps (2000, p. 366), c’est surtout le management initié par le
repreneur qui conduit indubitablement à des modifications de la culture organisationnelle
avec des répercussions sur les membres de l’organisation. Bien que les notions de culture et
d’identité soient souvent confondues au sein de nombreux écrits ou discours, il semble
néanmoins nécessaire de les différencier. Selon Hofstede (2007, p. 1), l’identité est « quelque
chose de conscient », alors que la culture est de l’ordre du « préconscient ». L’auteur ajoute :
« une équipe de travail pourrait avoir des identités de sous-groupe sans différences de
culture, ou bien une identité jointe sans être de culture homogène ». La notion d’identité est
sollicitée par de nombreux champs disciplinaires, parmi lesquels figurent la sociologie141, la
psychologie142, la philosophie143 et, bien entendu, les sciences de gestion. Pour ces dernières,
l’identité constitue une dimension fondamentale de l’organisation. Ainsi, selon Picard (2009),
l’identité est un facteur essentiel de cohésion interne et, en même temps, de différenciation du
141
Par exemple, Sainsaulieu (1977) s’intéresse à l’identité professionnelle, définie comme la « façon dont les
différents groupes au travail s’identifient aux pairs, aux chefs, aux autres groupes », l’identité se construisant par « l’expérience relationnelle et sociale du pouvoir ». 142
Nous pensons aux travaux d’Erikson (1968) portant sur l’identité individuelle. 143
Selon Levi-Strauss (1977), « L’identité est une sorte de foyer virtuel auquel il nous est indispensable de nous
référer pour expliquer un certain nombre de choses, mais sans qu’il n’ait jamais d’existence réelle ».
112
comportement de l’entreprise dans son environnement. Rollin (2006, p. 92) voit dans le
système identitaire l’expression des « caractéristiques sociales objectives de l’entreprise,
mais aussi l’image qu’elle veut donner d’elle-même et qu’elle reçoit en retour ». Le concept
d’identité organisationnelle développé par Albert et Whetten (1985) apporte un éclairage
intéressant à la question du comment les composantes humaines internes entrevoient
l’organisation. Selon ces auteurs, l’identité organisationnelle se définit comme l’ensemble des
perceptions partagées des membres de l’organisation des caractéristiques centrales,
distinctives et stables d’une organisation. Le caractère invariable et persistant dans le temps
de l’identité organisationnelle semble néanmoins largement contesté (Gioia, Schultz et
Corley, 2000144). Quelle que soit l’approche retenue145, un large consensus se dégage sur le
fait que l’identité organisationnelle joue un rôle crucial. Elle permet de répondre à la question
« Qui sommes-nous ? », notamment lorsque surviennent des changements importants (Ghadiri
Djahanchah, 2014). Au sein des TPE, le système identitaire se confond généralement avec
l’identité du dirigeant (Picard, 2009). Le départ de l’ancien dirigeant, assimilable à un
changement, est susceptible d’affecter profondément et durablement les composantes
identitaires de l’organisation. Le risque existe de voir les salariés ne pas se « retrouver » dans
la nouvelle configuration identitaire. L’attachement au patron, l’habitude et le travail
quotidien au sein d’une équipe restreinte, renforcent le sentiment d’une véritable rupture
familiale (Picard, 2009). Parallèlement, l’arrivée d’un repreneur au sein de l’organisation est
susceptible de produire un véritable choc entre deux cultures obligées de se rapprocher : la
culture du repreneur et celle de l’entreprise146. Eviter le choc culturel (Deschamps et Paturel,
2005), générateur de dysfonctionnements (accroissement du stress, baisse du niveau de
motivation, attitudes de retrait, etc.), nécessite un travail d’adaptation147 et de compréhension
de la part du repreneur et la volonté de ne pas « imposer son propre modèle culturel à la
communauté de l’entreprise qui existe depuis des années sur de solides fondamentaux »
144
Selon ces auteurs, l‘identité organisationnelle est plutôt fluide et instable. L’instabilité constituant même une condition d‘accomplissement du changement. 145
Deux courants analytiques ont marqué la recherche sur l‘identité organisationnelle. Il s’agit de l‘approche essentialiste (les caractéristiques identitaires sont stables dans le temps) et de l‘approche anti-essentialiste (l‘identité organisationnelle, au lieu d‘être persistante dans le temps, est plutôt fluide et instable) (Gagne, 2010). 146
Pour Pettigrew (1977), la culture d’une entreprise (son système de valeurs) se manifeste à travers des symboles tels que le langage, les rituels, mythes, histoires, etc. Thevenet (1993) la définit comme un ensemble d’hypothèses de base et d’évidences partagées par les membres d’une organisation opérant parfois de façon inconsciente et construites au cours de l’histoire pour affronter les problèmes rencontrés dans l’organisation. 147
Boussaguet et al. (2004) différencient l’acculturation (adaptation plus ou moins forte de sa culture à celle du territoire d’accueil) de l’inculturation (soumission complète au territoire d’accueil).
113
(Rollin, 2006, p. 94). Ceci est d’autant plus vrai que l’entreprise est en bon état de
fonctionnement au moment de la vente, ce qui est le cas des entreprises que nous étudions.
(2) La psychologie des salariés : face à cette nouvelle situation imposée par la direction,
les salariés peuvent être sujets à des troubles émotionnels liés à la perte d’une situation
antérieure jugée satisfaisante : « perte de sécurité, de pouvoir, d’utilité, de compétence, de
relations sociales, du sens de la direction ou de territoire » (Bareil et Savoie, 1999). Comme
le rappelle Ghadiri-Djahanchah (2014), les changements peuvent être vécus par les membres
de l’organisation comme de véritables menaces identitaires et occasionner un sentiment
d’insécurité148. L’identité organisationnelle porteuse de sens (Weick, 1995) se trouve alors
menacée. A ce climat d’insécurité, peut s’ajouter l’émotion provoquée par une perte de
repères relationnels intenses149 (perte de liens avec l’ancien dirigeant) et organisationnels
puissamment ancrés. Pour Boussaguet (2005), si la perte d’une relation privilégiée avec
l’ancien dirigeant marque l’esprit des salariés, c’est surtout la perspective d’une nouvelle
dynamique et d’un nouvel équilibre à trouver qui est génératrice de stress et d’anxiété. La
spécificité de la TPE exacerbe ces sentiments : d’une part, en raison de la proximité
relationnelle forte entre l’ancien dirigeant et ses salariés, et, d’autre part, en raison de la
disparition d’un point de repère central (l’ancien patron) autour duquel toute l’activité s’est
jusque-là organisée. Installés dans une routine et un confort relatif de travail, les employés
voyant un nouveau dirigeant prendre possession des lieux, ressentent de la méfiance et
perçoivent la possibilité de tout perdre. Une remarque d’une salariée interviewée résume assez
bien l’ambiguïté de la situation : « on sait ce qu’on perd mais on ne sait pas ce qu’on va
retrouver ! » (Salarié HPC). La peur du changement s’installe alors progressivement.
(3) Les résistances au changement : tout repreneur entrant pour la première fois dans sa
nouvelle entreprise doit garder à l’esprit qu’il incarne le changement aux yeux des salariés.
Son arrivée est très souvent perçue par les membres de l’organisation pour ce qu’elle est, à
savoir une modification majeure en soi (Fiegener, Brown, Prine et File, 1994 ; Donckels,
1995), une rupture et une intrusion (Boussaguet, 2005). L’entreprise de petite taille est très
sensible au changement de dirigeant et il est très probable que ce nouvel acteur éveille un
sentiment de rejet (Donckels, 1995). Les réactions des salariés « contraints » au changement
148
L’auteur distingue l’insécurité existentielle (le changement menace l’identité considérée comme une source de sens et de stabilité), l’insécurité morale et l’insécurité relationnelle. 149
Dans son ouvrage consacré aux petites et moyennes entreprises, Bizaguet (1991) souligne l’attachement affectif des salariés à leur dirigeant.
114
peuvent être multiples. Certaines attitudes et réactions peuvent être positives et se manifester
par une remotivation, une confiance en l’avenir, de l’ardeur au travail, etc. (Deschamps et
Paturel, 2005). A l’inverse, de nombreuses réactions négatives, voire hostiles, peuvent se
révéler et venir perturber fortement la gestion de l’entreprise. Picard et Thévenard-Puthod,
2006, p. 7) relèvent ainsi que : « les salariés peuvent (…) mal réagir au contrôle exercé par
ce nouveau dirigeant (absentéisme, baisse de la performance, colère, rejet, sabotage…), voire
même décider de quitter l’entreprise ».
Ces manifestations négatives s’expliquent le plus souvent par une seule et même
raison, la résistance au changement. Collerette, Delisle et Perron (1997, p. 94) définissent
cette notion comme « l’expression implicite ou explicite de réactions de défense à l’endroit de
l’intention de changement ». Anzieu et Martin (2000 150 ) donnent une dimension
psychologique au phénomène qu’ils expliquent de la manière suivante : « Toute modification
apportée à l’équilibre d’un système entraîne, au sein de celui-ci, l’apparition de phénomènes
qui tendent à s’opposer à cette modification et à en annuler les effets ». Selon ces auteurs, les
résistances au changement ont pour origine la collectivité, les individus eux-mêmes ou les
multiples interactions au sein du groupe. L’objectif assigné au nouveau dirigeant dans le cadre
d’une reprise consiste à minimiser les forces d’opposition au changement et à établir un
nouveau consensus. La résistance au changement est un concept complexe151 déjà ancien152,
mais incontournable lorsque l’on souhaite étudier les réactions humaines au changement
(Bareil, 2004). Carton (1997, cité par Vas et Vande Velde, 2000) met en évidence quatre
formes principales de résistance au changement :
- l’inertie : le changement semble accepté par les individus, mais ceux-ci tentent de
différer son application ; la résistance est exprimée par « non-dit » ;
- l’argumentation : elle se caractérise par des discussions, des négociations portant sur
le fond et la forme du changement ; selon Vas et Vande Velde (2000, p. 6), elle constitue « la
voie royale d’accès à l’intégration du changement » et « obéit à un besoin naturel des
individus d’influencer la réalité extérieure pour la rapprocher de sa réalité intérieure » ;
150
Les auteurs empruntent à Le Chatelier l’explication du phénomène qui s’applique en biologie pour l’appliquer à la psychologie et à la psychologie sociale afin d’expliquer l’inertie des individus et des groupes. 151
Vas et Vande Velde (2000) expliquent que le concept de résistance englobe à la fois des réalités psychologiques, sociologiques, politiques, économiques, culturelles… 152
Ce phénomène a été étudié dès les années 40 par Coch et French (1948) auprès d’employés exerçant au sein d’une manufacture.
115
- la révolte : les individus concernés par le changement s’opposent à celui-ci de
différentes manières (grève, action syndicale, tensions avec la hiérarchie, etc.) ;
- le sabotage : cette dernière forme de résistance tend à prouver l’ineptie du
changement. D’après Vas et Vande Velde (2000, p. 6), le sabotage diffère de la révolte, car il
est plus « pernicieux et manipulateur ».
D’après Bareil (2004), six catégories de causes de résistance au changement peuvent
être mises en évidence : les causes individuelles, collectives, politiques, liées à la qualité de sa
mise en œuvre, en relation au système organisationnel et au changement lui-même (tableau
9).
Tableau 9 - Les causes multiples de la résistance au changement
Individu Collectif/Culturel Politique Qualité de mise en œuvre
Système organisationnel
Changement
Dispositions psychologiques : traits, personnalité : préférence pour la stabilité
Perte de droits acquis
Enjeux de pouvoir
Mode d’introduction
du changement. Scénario de
mise en œuvre
Structure Complexité du changement
Causes psychanalytiques: mécanismes de défenses
Système social systémique
Perte d’autorité,
de ressources
Orientation Intégration interne
Sens accordé au changement
Incompréhension du changement
Normes sociales Soutien des groupes d’intérêt
Sensibilisation/ communication
Culture et valeurs
Cohérence du changement avec
les valeurs organisationnelles
Caractéristiques personnelles : âge, antécédents
Caractéristiques culturelles
Coalition dominante
Habilitation et formation
Inertie organisationnelle
Légitimité du changement
Vécu antérieur et expériences de vie
Valeurs, rites et histoire
Influence des sous-groupes
Consultation Implication
Participation
Leadership : haute direction et
cadres
Type de changement radical : ex. downsizing
Peurs (de perdre des acquis et de ne pas être capable)
Influence des
personnes valorisées
Temps d’adaptation
Contexte et environnement
Syndrome du changement
répétitif
Pertes : sécurité, pouvoir, utilité, compétences, relations, territoire, repères
Pouvoir du syndicat
Disponibilité des ressources
Capacité à changer
Ratio coûts/ bénéfices
Approche du
changement
Source : Bareil (2004, p. 6).
116
Tout changement suscite des réactions de la part de ceux qui le subissent. La RPP n’y
échappe pas. L’arrivée d’un nouveau dirigeant au sein d’une TPE qui fonctionne bien et
depuis longtemps est susceptible d’engendrer de nombreuses réactions, parfois très négatives
de la part des salariés. Le repreneur devra consacrer une partie de son temps à gérer les effets
du changement et adopter un style de management, une méthodologie et des outils adaptés.
Manager au mieux les réactions des membres de l’organisation devient primordial. Pour
Esteve (1997), cette activité représente le principal facteur de succès du rachat. Le leadership
du dirigeant semble alors déterminant pour mener à bien le changement (Nadler et Tushman,
1989).
117
Conclusion section 2
Cette seconde section avait pour objectif de préciser le cadre d’analyse de notre
recherche. Nous avons d’abord cherché à obtenir une cartographie plus précise de la
reprise d’entreprises à partir d’éléments de quantification statistiques. Les enjeux
économiques et sociaux, particulièrement en termes d’emplois, pour la France et
l’Europe, ont été abordés. Après examen des principales études et recommandations
européennes publiées depuis une vingtaine d’années et à partir d’une recension et d’une
analyse des principaux textes de lois votés en France sur le sujet, nous avons relevé une
prise de conscience progressive, mais néanmoins insuffisante, des différents enjeux de la
part des pouvoirs publics.
En nous appuyant sur une définition de l’entrepreneuriat proposée par Paturel
(2011), nous avons situé la reprise de TPE dans ce champ disciplinaire, puis nous avons
justifié notre choix d’embrasser une lecture multiparadigmatique de l’acte. Nous avons
retenu le paradigme du processus, de l’obtention de valeur, de l’innovation et de
l’intensité du changement vécu par le dirigeant pour expliquer l’entrée en fonction du
repreneur. La définition du repreneur que nous retenons est la suivante : c’est un individu
saisissant l’opportunité de racheter une entreprise existante dans le but d’obtenir de la
valeur, qui s’engage dans un processus engendrant un changement plus ou moins fort
dans sa vie. Après avoir décrit les différentes modalités de transmissions possibles, nous
avons choisi de focaliser notre recherche sur la reprise par un repreneur externe (RPP)
d’une TPE saine.
Pour une meilleure compréhension de l’opération de reprise, nous avons adopté
comme support théorique le processus repreneurial de Deschamps (2000). Ce processus
est caractérisé par trois phases : la prise de décision ; la reprise qui comporte la recherche
d’une entreprise, le diagnostic, la négociation et la signature ; et la phase d’entrée qui est
caractérisée (ou non) par une période de transition et le management de la reprise.
L’étape qui nous intéresse se situe plus particulièrement au moment de l’entrée en
118
fonction du repreneur, période désignée par la littérature sous l’appellation de
« management post-reprise ». Cette dernière période où le repreneur se retrouve seul aux
commandes de l’entreprise, nous semble, à l’instar de nombreux auteurs, être une étape
déterminante dans la réussite du projet repreneurial.
Nous avons montré que cette phase va occasionner des difficultés liées à
l’environnement, mais aussi des problèmes internes à l’organisation. Ces derniers
renvoient pour la majorité d’entre eux, à la culture et à l’identité, à la psychologie des
salariés et aux phénomènes de résistance au changement. Le leadership du dirigeant
semble alors déterminant pour mener à bien le changement (Nadler et Tushman, 1989).
119
Conclusion chapitre 1
A travers ce premier chapitre, nous avons souhaité mettre en évidence les
spécificités propres à la gestion et à la reprise d’une TPE. Nous avons commencé par
définir la TPE à partir d’une revue de littérature consacrée aux PME et TPE. L’approche
quantitative, très souvent utilisée pour délimiter ce type d’entreprises, s’est avérée être
insuffisamment solide pour y ancrer notre travail de recherche. Nous avons donc choisi
d’utiliser en complément une approche qualitative, pour en préciser les caractéristiques et
les particularités.
A partir d’une revue des différents courants paradigmatiques mis en évidence par
Torrès (1997), nous nous sommes situé dans le courant paradigmatique de la spécificité.
Ce courant nous a permis de relever le caractère spécifique de la reprise d’une TPE. Cette
spécificité, incarnée par le rôle central du dirigeant et des relations de proximités
fortement marquées, s’est avérée être un phénomène complexifiant l’opération de reprise
et la gestion du repreneur au moment où il prend ses fonctions.
Après avoir défini la reprise, dressé un panorama chiffré de ce qu’elle représente
en Europe, en France et en région Auvergne-Rhône-Alpes, nous en avons signalé les
enjeux économiques et sociaux. En nous appuyant sur une définition de l’entrepreneuriat
développée par Paturel (2011), nous inscrivons clairement cette opération dans ce champ
disciplinaire, puis retenons les paradigmes du processus (Gartner, 1993 ; Bruyat, 1993),
de l’innovation (Julien et Marchesnay, 2011), de l’obtention de valeur (Paturel, 2011) et
de l’intensité du changement vécu par le repreneur, pour expliquer le phénomène. Les
différentes modalités de reprise par des personnes physiques (reprise par la famille, RES,
RPP) ont été exposées. Puis, nous nous sommes positionné sur la pratique la plus
répandue à ce jour, à savoir la RPP.
Le modèle de processus repreneurial pour une personne physique seule, établi par
Deschamps (2000), a ensuite été utilisé. La dernière étape du modèle, appelée
« management post-reprise », nous est apparue, à l’instar de nombreux auteurs, être une
période capitale dans la réussite du projet. Nous avons appréhendé les nombreuses
difficultés susceptibles de parasiter une gestion sereine de cette période de changement.
Elles ont, pour la plupart, trait à l’appropriation des relations à l’environnement par le
repreneur et, dans une plus grande mesure, à la gestion du facteur humain au sein de la
structure.
120
121
Chapitre 2 - Le rôle du repreneur en contexte de changement
organisationnel
Lorsqu’il se prépare à la reprise d’une TPE, le repreneur fixe prioritairement son
attention sur la valeur de l’entreprise ainsi que sur les relations avec les parties prenantes
externes (clients, fournisseurs, etc.) alors que les facteurs humains et organisationnels
apparaissent, au fil des expériences, comme des sources importantes d’échec.
Dans le précédent chapitre, nous avons montré à quel point la gestion des relations
humaines dans une période de changement constitue un défi important à relever par le
repreneur au moment de son entrée en fonction. A travers ce second chapitre, nous allons
tenter d’analyser la RPP des TPE à la lumière des différentes typologies du changement et des
modèles de conduite proposés par la littérature. Pareil exercice doit nous permettre de mieux
explorer et comprendre le phénomène.
Dans une première section, nous observerons en quoi l’arrivée d’un nouveau dirigeant
au sein d’une TPE constitue un changement organisationnel majeur. Nous justifierons
l’adoption d’une lecture interprétativiste de l’événement, plus particulièrement, notre
inscription dans une approche par les théories du sensemaking. Cette lecture nous amène à
percevoir la RPP comme un changement écologique de nature à perturber un environnement
enacté dans l’esprit des individus. Le rôle primordial du repreneur, en tant que nouveau leader
façonnant l’environnement pour maintenir ses partenaires dans l’action, sera ensuite abordé.
Dans une seconde section, nous verrons dans quelle mesure et par quels moyens,
reconstruire collectivement du sens apparaît être une solution efficace pour mieux réussir le
changement. A partir de ce cadre théorique, nous poserons nos questions et objectifs de
recherche.
122
Section 1- Le management de la reprise ou la conduite d’un changement organisationnel majeur
Devenir propriétaire d’une entreprise est l’aboutissement d’un processus long et
complexe nécessitant une grande motivation et des efforts sans cesse renouvelés. Néanmoins,
la tâche du repreneur ne s’arrête pas à la signature de l’acte de vente. La prise en mains
effective de l’entreprise, également appelée « entrée opérationnelle », constitue le point de
départ d’un nouveau challenge pour le repreneur. A ce stade de la reprise, il devient le seul et
unique patron. Pour de nombreux repreneurs externes, d’autant plus lorsqu’ils sont habitués
au statut de salarié, il s’agit d’une situation nouvelle, un véritable changement nécessitant de
nombreux efforts d’adaptation. Si le repreneur, de par son arrivée dans l’entreprise, est à
l’origine du changement, il en subit également les effets153, comme le montre le témoignage
suivant : « L’arrivée dans l’entreprise était difficile, on est complètement déséquilibré, je me
posais plein de questions : comment je vais m’y prendre? Qu’est-ce que je vais faire ? Quel
est mon rôle de tous les jours dans l’entreprise ? En fait, personne n’est là pour nous dire ce
qu’on doit faire ! » (repreneur HPC).
A ce moment de la reprise, le repreneur est confronté à de nombreuses appréhensions
concernant sa place dans la structure et un sentiment de solitude est également largement
décrit par les nombreux repreneurs rencontrés. L’inquiétude provoquée par le changement à la
tête de l’entreprise est également partagée par ses salariés. L’arrivée d’un nouveau dirigeant
est vécue à la fois comme une rupture (Deschamps et Paturel, 2005) et une intrusion
(Boussaguet, 2005). Cette incursion constitue en soi une source de changement au sein de
l’organisation (Donckels, 1995). La « reprise en mains » de la TPE est susceptible de
bouleverser l’organisation initiale. Elle est fréquemment à l’origine d’une cascade de
changements (Schmit, Vas et D’Hoore, 2008) au niveau structurel, identitaire,
comportemental et culturel. Il appartient à chaque repreneur de gérer au mieux ces
bouleversements afin d’assurer la pérennité de l’entreprise reprise. Pour de nombreux auteurs
(Giroux, 1991 ; Simons, 1994 ; Mintzberg et al., 1999), aider les gestionnaires d’organisations
dans l’élaboration de réponses adaptées au changement suppose, en premier lieu, de mieux
caractériser les différentes formes de changement. La littérature permet en conséquence de 153
L’entrée dans l’entreprise génère un changement impactant à la fois la vie du repreneur (il s’agit d’un changement individuel), mais aussi l’organisation (on évoque alors le phénomène de changement collectif ou organisationnel).
123
discerner plusieurs types de changement en fonction de leur rythme, leur ampleur et leur
profondeur (Commeiras, 1999, cité par Soparnot, 2004).
Dans un premier temps, nous exposerons les principales typologies couramment utilisées
dans la littérature pour expliquer le changement. L’examen de celles-ci doit permettre de
mieux qualifier le changement provoqué par la reprise de l’entreprise. Nous verrons pour
quelles raisons la reprise d’une TPE constitue un changement organisationnel majeur doté
d’une coloration spécifique. Nous observerons ensuite l’évolution de la notion de changement
au fil du temps à travers les apports successifs des principaux modèles, puis justifierons
l’approche retenue pour notre recherche. L’approche par le sensemaking apparaîtra comme un
cadre théorique particulièrement riche pour explorer et mieux comprendre la période d’entrée
dans l’entreprise du repreneur. Enfin, nous présenterons le rôle du leadership dans le
management de la reprise.
1.1.) Le changement : typologies et modèles de gestion
La littérature reconnaît une grande diversité de changements en fonction de leur
contenu, de leur progressivité et de leurs conséquences sur l’organisation. Cette pluralité rend
l’analyse scientifique difficile et complique le choix des outils à mettre en place par le
gestionnaire pour mieux appréhender le changement. Pour Soparnot (2004), la diversité est si
forte qu’elle rend improbable la mise au point d’un mode de gestion générique. A l’instar de
Simons (1994,154), de nombreux auteurs (Giroux, 1991 ; Touchais et Herriau, 2009) ont
montré que la manière dont pouvait être contrôlé le changement diffèrait selon le type de
changement se présentant à l’organisation. Tenter de déterminer comment mieux réussir le
changement à la tête d’une TPE nécessite, dès lors, de le spécifier. Nous commencerons donc
par caractériser la RPP d’une TPE à partir des principales typologies du changement, puis
nous sélectionnerons parmi les principaux modèles de gestion du changement, celui qui nous
paraît être le plus approprié pour notre recherche.
1.1.1.) Les principaux types de changements organisationnels
Le changement peut prendre différents aspects ; il peut être incrémental (Weick et
Quinn, 1999, Orlikowski, 2000) ou radical (Miller, 1982 ; Allaire et Firsirotu, 1988 ; Hafsi et
Demers ,1989), marginal ou majeur (Mintzberg et al., 1999 ; Rondeau et Bareil, 2009),
154
L’auteur démontre que les leviers de gestion du changement ne sont pas les mêmes lorsqu’il s’agit d’un changement évolutif ou révolutionnaire.
124
prescrit ou construit (Vandangeon-Derumez, 1998). L’examen des différentes typologies nous
conduit naturellement à s’interroger sur la manière dont doit être appréhendée la RPP de TPE
en tant qu’événement générateur de changement pour l’organisation.
1.1.1.1.) Un changement incrémental ou radical
Le changement fait l’objet de deux conceptions biens distinctes concernant son
caractère évolutif ou non. Dans la vie de l’entreprise, le changement incrémental (ou graduel)
correspond à une succession de périodes de stabilité entrecoupées par des changements opérés
de manière graduelle. Le changement se fait progressivement, sans « à-coup », quelquefois de
manière imperceptible, par accumulation de petites modifications et progrès réguliers
(Mintzberg et Westley, 1992). La progressivité dans la mise en place des modifications
apportées à l’organisation favorise l’acceptation, puis l’appropriation du changement par ses
membres. L’objectif n’est pas une remise en cause profonde du fonctionnement de
l’organisation, mais son amélioration progressive. L’approche incrémentaliste (Quinn, 1980)
entrevoit dans cette succession de petites étapes un vecteur de stabilité et d’efficacité pour
l’organisation, celles-ci ne bouleversant pas l’équilibre organisationnel présent et générant
moins de phénomènes d’incertitudes auprès des salariés. Le changement apparaît comme une
construction lente et permanente, validée par expérimentation. Senior (1996, cité par Coram et
Burns, 2001) souligne qu’il est possible de distinguer deux types de changement incrémental :
le changement incrémental en douceur (smooth incremental) correspondant à un changement
lent, continu et systématique, et le changement incrémental ébranlant (bumpy incremental)
correspondant à une période d’accélération du changement, ce dernier devenant alors
discontinu.
Le changement radical (ou de rupture) bouleverse la phase d’exploitation habituelle de
l’entreprise. Il conduit à des transformations importantes dans l’organisation tant au niveau
stratégique que structurel et culturel (Giroux, 1991 ; Demers, 1999). Selon Allaire et Firsirotu
(1989), peuvent être différenciés quatre types de changement radical ; la transformation dont
l’objectif consiste à adapter l’organisation à des circonstances radicalement changées, la
réorientation représentant une réallocation générale des ressources de l’entreprise confrontée à
des marchés saturés ou stagnants, la revitalisation dont l’objectif est d’apporter des
améliorations au fonctionnement de l’organisation et, pour finir, le redressement qui vise à
améliorer la performance de l’organisation ou à assurer sa survie. Certains auteurs (Simons,
1994 ; Demers, 1999) rappellent la prééminence du rôle joué par les dirigeants dans le cadre
125
d’un changement radical. Ces derniers procèdent à une transformation du système de valeurs
de l’organisation afin de modifier les représentations des acteurs (croyances, valeurs), la
finalité principale étant d’influencer les actions dans une direction souhaitée. Les
modifications comportementales et l’adhésion des membres de l’organisation résultent d’un
système de rémunération renouvelé (établissement de primes, promotions, etc.) récompensant
davantage l’engagement dans le déploiement du changement.
1.1.1.2.) Microchangement et macrochangement
Mintzberg et al. (1999) opèrent une distinction entre deux types de changement : les
microchangements et les macrochangements. Les premiers ne portent que sur une partie
limitée de l’organisation (recrutement de nouveaux membres, redéfinition des tâches,
développement d’un nouveau produit, etc.) alors que les seconds la concernent dans toutes ses
dimensions (réaffectation de moyens physiques, repositionnement stratégique sur le marché,
opération de fusion ou d’acquisition, etc.). Les microchangements, même s’ils peuvent avoir
des conséquences majeures sur l’entreprise, sont assez facilement contrôlables par les
différentes unités155composant l’organisation (Barabel et Meier, 2006). A l’inverse, la portée
multidimensionnelle des macrochangements requiert, de la part de la direction de l’entreprise
qui en est la principale responsable, une gestion attentive. Pour Mintzberg et al. (1999), ce qui
différencie les microchangements des macrochangements, c’est leur degré d’abstraction, les
premiers sont concrets et palpables alors que les seconds sont abstraits (conceptuels). Afin de
compléter leur démonstration, les auteurs ont élaboré une cartographie des processus de
changement articulée autour de trois axes (vertical, horizontal et en relief) et de deux grandes
dimensions : la stratégie et l’organisation. Les changements sont classés en fonction de leur
importance (sur l’axe vertical : du microchangement au macrochangement) et des dimensions
concernées (sur l’axe horizontal : changement de stratégie ou changement concernant
l’organisation de l’entreprise). Le caractère formel ou informel du changement fait l’objet du
troisième axe. Il ressort de cet outil que les changements les plus vastes (macrochangements)
et abstraits (conceptuels) concernant l’organisation sont ceux ayant trait à la structure et à la
culture de l’entreprise. Dans la dimension stratégique, les changements de produits et de
programmes sont, quant à eux, considérés comme des microchangements concrets et locaux.
Cette cartographie est présentée par la figure suivante.
155
L’unité pouvant être l’individu, l’équipe de travail ou le service.
126
Figure 14 - Le cube du changement
Source : (Mintzberg, Ahlstrand et Lampel, 1999).
Rondeau et Bareil (2009) rajoutent que l’instauration d’un changement de forte importance
(changement majeur) au sein d’une organisation dépend de trois «enjeux clés» : sa
légitimation (nécessité d’établir auprès des personnes concernées une communication, puis
une discussion sur l’intérêt du changement 156 ), sa réalisation et son appropriation (le
changement devient partie intégrante du mode de fonctionnement ordinaire de l’organisation).
1.1.1.3.) Un changement prescrit ou construit
Selon Cordelier et Montagnac-Marie (2008), la littérature reconnaît aujourd’hui deux
façons d’initier l’innovation organisationnelle : le changement prescrit et le changement
construit. Le premier est à l’initiative du manager chargé de l’implémenter dans l’organisation
selon un « cahier des charges » précis qu’il aura préalablement défini. Dans le cadre d’un tel
changement, les objectifs sont imposés par la direction à l’ensemble de l’organisation
(Vandangeon-Derumez, 1998) sous la forme d’un programme généralement intensif. Celle-ci,
après avoir planifié le changement, le présente, l’explique et le justifie afin d’obtenir
l’adhésion des différents acteurs. Cette vision du changement s’inscrit dans la lignée du
schéma retenu par les théoriciens classiques de l’organisation (Taylor, Fayol), les acteurs
exécutant ce que la direction leur a prescrit. Dans le cadre d’un changement construit,
156
Ce type de management du changement fondé sur l’information et faisant appel à la capacité de raisonnement des personnes concernées, correspond à la stratégie empirico-rationnelle définie par Chin et Benne (1969, cités par Bayad et Delobel, 2002).
Stratégie Organisation
Vision Culture
Positions Structure
Programmes Systèmes
Produits Personnels
Formel
Informel
CONCRET
CONCEPTUEL
127
l’ensemble des acteurs de l’entreprise participe à la structuration du changement. Le
changement se fait progressivement et s’articule autour d’une vision floue de l’avenir
émanant de la direction. Le projet de changement est peu formalisé afin de faciliter
l’initiative, le dialogue et la confrontation des points de vue. L’implication des subordonnés
accentue l’appropriation et l’implantation du changement. Dans cette approche du
changement, le leadership du gestionnaire joue un rôle fondamental dans la création d’un
contexte favorable au changement. Le dirigeant est perçu comme un accompagnateur, un
facilitateur chargé d’instaurer les conditions pour que le changement émerge de l’action
collective (Demers, 1999).
Vandangeon-Derumez (1998) nuance néanmoins cette vision trop dichotomique du
changement. Cette auteure constate que, dans la réalité, les organisations voient se succéder
les deux logiques au sein d’un seul et même processus. Le changement prescrit requiert
quelquefois l’utilisation du dialogue pour faciliter son appropriation, alors que le changement
construit doit, pour se figer un peu plus dans l’organisation, recourir à la programmation et à
la standardisation. Les travaux de Van de Ven et Poole (1995, 2005) semblent confirmer cette
idée et arrivent à la conclusion que des moteurs du changement prescrits et construits peuvent
intervenir en même temps. Ces auteurs soulignent, en outre, l’importance de ne pas considérer
le changement comme un phénomène unidimensionnel. Le changement doit ainsi être abordé
en tant que phénomène complexe unissant des moteurs prescrit et construit au sein des
différentes dimensions concernées par le changement, à savoir des dimensions individuelles,
collectives et organisationnelles. Autissier et Moutot (2003) établissent, quant à eux, une
typologie des changements en combinant les critères d’intentionnalité (changement imposé ou
volontaire) avec les critères de temporalité (changement progressif ou brutal). Il en ressort une
matrice (tableau 10) composée de quatre types de changement présentant chacun une durée
variable : changement prescrit, construit, de crise et adaptatif.
Tableau 10 - Typologie des ch
Plus récemment, Autissier,
éparpillement des travaux consacrés au changement
important de typologies, ont décidé
classer chaque auteur traitant (ou aya
prendre en compte les principales interrogations des dirigean
(figure 15) sur laquelle viennent se positionner quatre types de changements
(1)Le changement continu
non organisée ou à la suite d’un év
quant aux méthodes et moyens à utiliser et en termes de planning à respecter.
(2)Le changement proposé
acteurs les résultats escomptés ainsi que les échéances à respecter. Il appartient à ces derniers
le libre choix des moyens et des méthodes à utiliser afin de réaliser le changement.
128
ie des changements
Source : Autissier et Moutot (2003)
Autissier, Vandangeon-Derumez, et Vas (2010), déploran
ement des travaux consacrés au changement, conséquent à un nombre sans cesse plus
, ont décidé de les regrouper dans une synthèse. Leur travail
ser chaque auteur traitant (ou ayant traité) de près ou de loin ce sujet
en compte les principales interrogations des dirigeants. Il en résulte
r laquelle viennent se positionner quatre types de changements
ment continu : le changement apparaît au sein de l’organisation de manière
isée ou à la suite d’un événement interne et/ou externe. Il existe un certain flou
x méthodes et moyens à utiliser et en termes de planning à respecter.
ment proposé : la direction propose le changement et fixe aux différents
résultats escomptés ainsi que les échéances à respecter. Il appartient à ces derniers
yens et des méthodes à utiliser afin de réaliser le changement.
r et Moutot (2003).
déplorant un certain
à un nombre sans cesse plus
Leur travail permet de
sujet, tout en tentant de
Il en résulte une matrice
r laquelle viennent se positionner quatre types de changements.
nt apparaît au sein de l’organisation de manière
ent interne et/ou externe. Il existe un certain flou
x méthodes et moyens à utiliser et en termes de planning à respecter.
ent et fixe aux différents
résultats escomptés ainsi que les échéances à respecter. Il appartient à ces derniers
yens et des méthodes à utiliser afin de réaliser le changement.
129
(3)Le changement dirigé : le changement est « impulsé » par la direction de
l’organisation sous la forme d’une injonction plaçant les acteurs devant une marge de
négociation assez faible et une obligation de réalisation élevée.
(4)Le changement organisé : la direction propose de nouvelles méthodes de travail ainsi
que des échéances permettant aux différents acteurs de trouver « par eux-mêmes des objectifs
par lesquels se réalisera une dynamique de changement ».
Figure 15 - La matrice des changements
Source : Autissier, Vandangeon-Derumez et Vas (2010).
L’examen des principales typologies du changement fait ressortir une grande diversité des
approches et permet de relever son caractère multidimensionnel. Plusieurs aspects du
changement sont abordés dans le but de mieux décrire et appréhender la complexité du
phénomène pris dans son intégralité. Malgré le grand intérêt de chacune des approches
développées au cours du temps et les avancées significatives qu’elles incarnent, il semble,
pour Miller et al. (1999, cités par Soparnot, 2004), qu’il n’y en ait pas une qui soit meilleure
qu’une autre. Les analyses et points de vue développés semblent plutôt se compléter que
s’infirmer (Mintzberg et al., 1999). De surcroît, le changement est un phénomène tellement
complexe et évolutif que s’appuyer sur une vision binaire pour le définir semble voué à
l’échec. Le changement peut, en effet, être tout à la fois prescrit et construit (Van de Ven et
Poole, 1995, 2005), incrémental et radical (Soparnot, 2004). Au terme de notre recensement
des principales typologies du changement, il nous apparaît difficile de positionner le
Négocié
Imposé
Rupture Permanent
Changement
proposé
Changement
continu
Changement
organisé
Changement
dirigé
130
changement provoqué par une RPP puisqu’aucune typologie n’envisage explicitement la
reprise d’entreprise. Celle-ci reste donc la grande « oubliée » des travaux portant sur le
changement. Toutefois, dans le cadre de notre recherche, et en nous appuyant sur une revue
de littérature consacrée à la fois à la RPP et à la TPE, nous situerons le changement de
dirigeant au sein d’une petite organisation dans la catégorie des changements organisationnel
de forte ampleur, des macrochangements157 à l’instar de Mintzberg et al. (1999). Il s’agit d’un
changement majeur qui touche aux fondements de la structure, remet en question
l’organisation du travail, les rôles et les jeux de pouvoir. L’arrivée dans l’entreprise du
repreneur est, très souvent, perçue par les membres de l’organisation pour ce qu’elle est, à
savoir une modification majeure en soi (Fiegener, Brown, Prine et File, 1994 ; Donckels,
1995). De nombreux témoignages évoquent un choc émotionnel, un phénomène déstabilisant
ou bien encore une rupture et une intrusion (Boussaguet, 2005). Le ressenti des salariés face
aux modifications organisationnelles provoquées par l’arrivée d’un nouveau dirigeant, peut
compliquer l’intervention du repreneur au moment de sa prise de fonction. Les spécificités de
la TPE ont également un impact qu’il faut prendre en considération.
1.1.2.) La RPP d’une TPE saine : un changement organisationnel majeur et spécifique
Considérer la RPP comme un élément générateur de changement organisationnel
semble faire l’unanimité parmi les auteurs travaillant sur la problématique des transmissions-
reprises. Selon Donckels (1995), l‘arrivée du repreneur constitue en soi une source de
changement au sein de l’organisation. Ce dernier incarne l’objet du changement (Conner et
Patterson, 1982) et en est son principal vecteur (Picard, 2009). Pour Boussaguet (2005, p. 81),
l’arrivée d’un nouveau dirigeant est déstabilisatrice pour l’organisation ; il s’agit d’un
changement majeur pour deux principales raisons : « premièrement parce qu’il touche aux
fondements de l’organisation et qu’il s’attaque simultanément à tous les éléments au cœur de
l’organisation (…), deuxièmement parce que ses effets sur les membres de l’organisation sont
alors profonds et déstabilisants ». Deschamps et Paturel (2009) évoquent un changement
organisationnel ambivalent, le changement de dirigeant créant à la fois une « rupture » dans la
gestion de celle-ci et une «continuité » dans la poursuite de l’activité. Ces auteurs relèvent une
difficulté accrue pour le repreneur d’une entreprise saine, dans la mesure où les réactions des
salariés face à ce changement peuvent être négatives. En effet, ces derniers peuvent
157
Nous prenons néanmoins nos distances avec Mintzberg et al. (1999) en ce qui concerne le caractère abstrait de ce type de changement. Selon nous, bien que touchant à toutes les dimensions de l’organisation, y compris sa structure, sa culture et son identité, le changement de dirigeant est tout à fait « palpable» par les salariés.
131
légitimement se poser la question du pourquoi changer lorsque tout fonctionne bien et depuis
longtemps.
La littérature reconnaît un certain nombre de traits spécifiques à la TPE, en particulier
un rôle central joué par le dirigeant (Marchesnay, 1991) ainsi qu’un mode de fonctionnement
marqué par la proximité (Torrès, 2007). Nous inscrivons notre travail de recherche dans une
approche de la TPE trouvant ses fondements au sein du courant paradigmatique de la
spécificité (Torrès, 1997). La thèse défendue tient en l’idée que la petite entreprise est une
entité spécifique et que plus sa taille est petite, « plus ses spécificités sont fortes » (Jaouen et
Torrès, 2008, p. 28). Ce type d’organisation enjoint une gestion spécifique, un management
de proximité (Jaouen et Torrès, 2008) tenant compte des particularités de la TPE : poids du
dirigeant, fortes relations interpersonnelles, proximité hiérarchique, spatiale, temporelle,
fonctionnelle, etc. Toute la gestion de l’organisation se construit autour d’une hiérarchisation
des choix du dirigeant, opérée selon un principe de proximité158. Notre inscription dans une
telle lecture de la TPE nous amène à penser que la gestion du changement, lors d’une
transmission de ce type d’entreprise, doit elle aussi être spécifique. Si les particularités de la
TPE influencent la phase amont du processus de reprise, par exemple dans le choix du
repreneur (Torrès, 2006), nous pensons qu’elle influence également sa phase ultime, c’est-à-
dire l’entrée dans l’entreprise du repreneur. La conduite du changement provoqué par
l’arrivée d’un nouveau dirigeant au sein d’une organisation de petite taille nécessite alors des
outils adaptés à la spécificité de l’action. Plusieurs traits caractéristiques de la TPE rendent le
changement organisationnel provoqué par l’arrivée d’un repreneur, à bien des égards
spécifique.
1.1.2.1.) Le rôle central du repreneur et la gestion du changement
Le rôle central du dirigeant en tant que principal trait caractéristique de la TPE
constitue une variable explicative de la forte implication du repreneur dans la gestion du
changement. Contrairement aux entreprises de plus grande taille disposant d’une structure
organisationnelle plus complexe, le repreneur de TPE assume souvent seul la responsabilité
de son action. Il ne peut compter sur la présence de managers intermédiaires (Balogun, 2003)
pour opérationnaliser le changement. Le repreneur en tant que nouveau dirigeant dispose des
pleins pouvoirs, accumule toutes les responsabilités, notamment celles liées aux décisions
158
Selon Torrès et Jaouen (2008), la proximité constitue « le noyau dur du paradigme de la spécificité de
gestion des entreprises de toute petite taille ».
132
prises pour insuffler des changements à l’organisation et lui donner de nouvelles orientations
stratégiques (Deschamps et Paturel, 2005). Cette concentration des pouvoirs interfère sur les
mécanismes de prise de décision et, par là même, sur les caractéristiques des changements
introduits. La TPE demeure fortement dépendante des actions de son nouveau dirigeant qui
peut être tenté de planifier unilatéralement le changement, puis imposer ses vues
(Marchesnay, 1991). Il peut, par exemple, durant la phase de management de la reprise, initié
des changements de fortes intensités, sans tenir compte de la volonté des différents acteurs.
1.1.2.2.) Proxémie, phénomène de paroi et gestion du changement
La loi proxémique (Moles et Rohmer, 1978) traduisant la propension du dirigeant de
petite entreprise à surévaluer ce qui est proche et à sous-évaluer ce qui est lointain, fournit des
éléments de réponse, quant aux facteurs influençant la gestion du changement. Ce courant
permet non seulement d’identifier les éléments rendant complexe la transmission d’entreprise
durant les toutes premières étapes du processus de transmission-reprise159 , mais apporte
également un éclairage sur les difficultés survenant pendant la phase finale du processus, celle
du management de la reprise. Plusieurs éléments puisés dans cette approche nous éclairent.
Ainsi, selon le principe de proximité, le dirigeant de TPE possède une vision de son
environnement que l’on pourrait qualifier de « biaisée ». Cette altération de la vision peut
l’affecter au moment de son entrée dans l’entreprise et provoquer une détérioration de la
qualité de ses choix. Il peut ainsi être amené à concentrer son attention, ses efforts et son
action sur les événements, les relations, les clients, les salariés les plus proches et négliger les
autres. De la même manière, le phénomène de paroi tel que défini par Moles et Rohmer
(1978, cités par Torrès, 2003) constitue un facteur explicatif du comportement de certains
repreneurs de TPE à n’accorder que peu d’importance, une fois entrée dans l’entreprise, à ce
qui se passe à l’extérieur de ses murs. L’attention et l’action de ces derniers peuvent être
fortement tournées vers l’intérieur de l’organisation160. Ainsi, certains repreneurs obnubilés
par le fonctionnement interne de l’organisation, ne s’aperçoivent que trop tard de
modifications environnementales quelquefois importantes (arrivée d’un nouveau concurrent,
modifications dans les attentes des clients, difficultés d’un fournisseur pour approvisionner,
etc.).
159
Nous faisons référence ici au mécanisme de hiérarchisation des préférences auquel est fréquemment soumis le cédant dans le choix de son successeur, mis en évidence par Bah (2006) dans son modèle des transmissions concentriques. 160
Les murs de la TPE, compris comme une séparation affaiblissant l’extérieur par rapport à l’intérieur, constituent alors cette paroi.
133
1.1.2.3.) L’effet de grossissement comme variable explicative du changement
Le concept d’effet de grossissement161, développé par Mahé de Boislandelle (1996),
apporte également un éclairage pertinent quant à la gestion spécifique d’une TPE durant la
période post-reprise. Cet effet traduit l’action combinée de facteurs objectifs et subjectifs
agissant sur le dirigeant chargé de décider dans son organisation. La démonstration tend à
prouver que l’intensité des problèmes rencontrés n’est pas la même dans une petite entreprise
que dans une grande. Ainsi, chaque événement, chaque problème, revêt un caractère
important, voire stratégique, au sein des plus petites entreprises. Appliqué à la période de
management de la reprise et subséquemment à la gestion du changement qui en découle, ce
concept nous permet de relever la plus grande difficulté pour le repreneur à instaurer, puis
gérer un nouvel ordre au sein de la petite entreprise. Quatre effets interfèrent sur la gestion du
changement.
(1) L’effet de nombre : appliqué au cas du repreneur de TPE entrant dans
l’organisation, l’effet de nombre conduit ce dernier à porter une attention plus forte à l’égard
des membres de son entourage. Chaque individu au sein de la petite structure est important,
d’autant plus s’il se confond avec une fonction essentielle (Mahé de Boislandelle, 1996). Le
poids relatif élevé de chacun au sein de la TPE (Torrès, 2003) interfèrera sur les prises de
décision du nouveau dirigeant, notamment au moment de son entrée en fonction. Chaque
salarié au sein de la TPE étant important, son consentement constitue un préambule à toute
action.
(2) L’effet de proportion : si l’effet de proportion permet de comprendre que le poids
de chaque membre de l’organisation est inversement proportionnel au nombre des acteurs, il
peut également être mobilisé pour assimiler la manière dont les changements impactent les
petites entreprises. Ainsi, selon Torrès (2003, p. 128), l’effet de proportion introduit l’idée que
« les changements mineurs peuvent occasionner des variations de plus fortes amplitudes ».
Chaque changement introduit par le repreneur, chaque évolution de situation même minime,
peut prendre la forme d’un événement majeur et une tournure stratégique, bouleversant ainsi
un équilibre précaire. Le nouveau dirigeant de TPE doit composer avec cet effet dans sa
gestion quotidienne de l’entreprise et dans sa volonté d’y apporter des améliorations, suite à
sa prise de fonction. 161
Comme nous l’avons vu dans le chapitre premier, l’effet de grossissement est lui-même composé de trois effets distincts : l’effet de nombre, l’effet de proportion et l’effet de microcosme. Torrès (2003) en ajoute un quatrième, l’effet d’égotrophie.
134
(3) L’effet de microcosme traduit la manière dont le dirigeant de petite entreprise
construit sa réflexion et ses schémas d’actions. Le dirigeant de petite entreprise focalise
généralement son attention sur l’immédiateté dans le temps (le court terme) et dans l’espace
(ou par l’esprit, le plus proche physiquement ou psychologiquement). S’appuyant sur un
principe d’énergie limitée chez l’individu, Mahé de Boislandelle (1996, p. 7) arrive à la
conclusion que « plus un sujet dépense son énergie en focalisations de proximité, moins il
reste vigilant et disponible pour voir et regarder à l’extérieur et au loin ». Ceci conduit à une
diminution de l’esprit critique et une « cécité relative » par rapport à l’environnement. Les
biais interprétatifs provoqués peuvent alors affecter le repreneur pendant la phase de
management de la reprise et interférer dans la construction de ses choix et dans sa prise de
décision. Le fait que le repreneur de TPE ait investi une partie importante de son patrimoine
accentue généralement son implication, sa focalisation et sa volonté de contrôle sur son
champ d’action le plus proche.
(4) L’effet d’égotrophie mis en évidence par Torrès (2003) se caractérise par un
grossissement de l’égo (ou du Moi) pouvant mener le dirigeant à une absence de lucidité et le
conduire à adopter une attitude nombriliste, nuisible à la bonne gestion de son entreprise. Si
cet effet explique en partie les difficultés rencontrées par les dirigeants lorsqu’ils souhaitent
transmettre leur affaire, il peut également affecter le repreneur au moment de sa prise de
fonction. Ce dernier, accrédité de la qualité de nouveau dirigeant, grâce à l’apport de capitaux,
peut être tenté d’imposer ses propres opinions sans aucune concertation avec les membres de
l’entreprise. Ceci est d’autant plus vrai que, dans les TPE, il y a une centralisation de la prise
de décision et une absence totale de contre-pouvoir (Torres, 2003).
Notre revue de littérature consacrée à la reprise d’entreprise permet d’appréhender
l’arrivée d’un repreneur à la tête d’une organisation comme une source de changement
organisationnel. L’examen des principales typologies du changement la situerait plutôt dans la
catégorie des changements majeurs. Nous avons également pu constater que plusieurs traits
caractéristiques de la TPE confèrent à ce changement organisationnel une coloration
spécifique. Nous allons à présent répertorier les principaux modèles de gestion du
changement, puis analyser leurs apports dans la compréhension du changement provoqué par
une RPP. L’objectif est d’en extraire un ensemble d’explications utiles aux repreneurs en tant
que nouveaux gestionnaires du changement.
135
1.1.3.) De la notion de gestion du changement à la notion de capacité de changement : l’évolution des modèles de gestion du changement
Le changement est une notion qui a fait l’objet de nombreux travaux et suscité de
nombreux débats au sein de la communauté scientifique. Parmi les travaux précurseurs, nous
distinguons ceux initiés par Lewin (1952) portant sur le changement des habitudes de
consommation alimentaire. Le modèle de changement développé par cet auteur met en
évidence l’existence de trois phases plus ou moins longues inhérentes à tout processus de
changement d’attitude ou de comportement : la décristallisation ou dégel (période pendant
laquelle les individus ou le groupe remettent en question leurs perceptions, habitudes ou
conduites), la transition (période d’initiation et d’expérimentation au nouveau mode de
fonctionnement), la recristallisation ou regel (période pendant laquelle les nouveaux
comportements s’enracinent et les positions de chacun se stabilisent). A la suite de ces
travaux, la volonté d’une compréhension plus poussée du phénomène a engendré de multiples
recherches empruntant chacune des approches théoriques très hétérogènes. Malgré
l’abondance des recherches, la compréhension du phénomène dans sa totalité ne paraît pas
encore satisfaisante. Pour Van de Ven et Poole (1995), l’explication est à rechercher dans la
complexité inhérente à cette notion, le changement représentant un des phénomènes le plus
difficile à étudier162. La variété des modèles ainsi que l’emploi d’un vocabulaire diversifié
contribuent certainement à donner le sentiment d’une véritable fragmentation (Demers, 2003).
En outre, les modèles d’analyse développés ne sont pas suffisamment sophistiqués pour
appréhender conjointement les diverses modalités de gestion du changement et l’évolution
des processus qui sont en jeu.
Concernant le changement organisationnel, celui-ci a préalablement été abordé par la
littérature comme un événement de la vie d’une organisation correspondant au passage d’une
situation primaire à une situation secondaire distincte de la première. L’organisation touchée
par le changement subit une transformation notable à différents niveaux qu’ils soient
technologique, dans les modes opératoires, dans les activités ou humain. Au court du temps,
la littérature sur le changement organisationnel et sa gestion a évolué. S’appuyant
principalement sur la grille de lecture élaborée par Demers (1999, 2003), Barabel et Meier
(2006, 2010) ont identifié quatre grands modèles du changement organisationnel
correspondant chacun à quatre grandes périodes historiques et à leur contexte
162
Les trois dimensions concernées par le changement (dimension individuelle, collective et organisationnelle) participent à rendre la compréhension du phénomène plus difficile.
136
socioéconomique. Nous reprendrons, puis adapterons cette classification (tableau 11) afin de
mieux entrevoir l’évolution de la notion de changement au fil du temps et passer en revue les
apports et les limites des principaux modèles pour notre recherche. A la suite de cet exercice,
nous justifierons le choix de l’approche retenue pour mener notre étude.
137
Tableau 11 - Les principales théories du changement
Source : adapté de Barabel et Meier (2010, pp. 370-373).
Théories et Auteurs Perception du changement
Les premières approches du changement.
La dynamique de groupe (LEWIN, 1952). Théories de la croissance (PENROSE, 1959). Théories de la contingence (BURNS et STALKER, 1961 ; CHANDLER, 1962). Théories du cycle de vie (WHYTE, 1961). Théories du développement organisationnel (BECKHARD, 1969 ; BENNIS, 1969 et BEER, 1976 ; FRENCH et BELL, 1973). Théories comportementales de la firme (CYERT et MARCH, 1963).
Le changement est perturbateur mais constitue une opportunité de croissance, une réponse aux évolutions de l’environnement.
Le changement comme adaptation des organisations aux pressions de l’environnement.
Théories de l’écologie des populations (HANNAN et FREEMAN, 1984). L’approche configurationnelle (MILLER et FRIESEN, 1984). La théorie culturelle (SCHEIN, 1985 ; HATCH, 1993) La théorie ponctuationniste (TUSHMAN et ROMANELLI, 1985). L’approche contextualiste (PETTIGREW, 1977). L’approche stratégique (ALLAIRE et FIRSIROTU, 1988 ; BURGELMAN, 1983 ; GIROUX, 1991).
Le changement est vécu comme une crise pour l’organisation placée devant l’obligation d’adapter ses structures aux contraintes d’un environnement peu propice.
Le changement : un processus dynamique et permanent.
Le modèle de l’organisation innovante (ALTER, 1990). Les théories de l’apprentissage (MARCH, 1991 ; ARGYRIS, 1995 ; NONAKA et TAKEUCHI, 1997). Les théories structurationnistes (ORLIKOWSKI, 1996). Les théories évolutionnistes (NELSON et WINTER, 1982). Le courant interprétativiste (WEICK, 1993 ; GREENWOOD et HININGS, 1988 ; GIOIA et CHITTIPEDDI, 1991).
Le changement est un processus continu, prévisible, en réponse aux incessantes modifications de l’environnement socio-économique et technologique dans lequel évolue l’organisation.
Une évolution paradigmatique : le changement vu sous l’angle de la capacité à changer.
Approches sur la capacité de changement (DEMERS, 1993 ; DUMAS et GIROUX, 1996 ; PERRET, 1996). Le concept de capacités dynamiques (TEECE et al., 1997).
Le changement n’est ni positif, ni négatif. C’est un état permanent et toute l’organisation doit y être perméable. L’avenir est par nature imprévisible.
138
1.1.3.1.) Une première approche : le changement en tant que modèle d’organisation et de croissance
Les premières théories du changement perçoivent ce dernier d’une manière positive. Il
constitue une réponse à une demande sans cesse plus importante de produits et de services. Il
est synonyme de progrès et de croissance pour les entreprises devant changer pour
s’améliorer. L’organisation est pensée comme un système en équilibre évoluant dans un
environnement favorable, stable et relativement prévisible (Demers, 2003). Dans ce contexte,
les managers, via leur position d’autorité, leur rationalité et la maîtrise des principaux aspects
du changement, jouent un rôle clé dans la réussite du changement (Penrose, 1959 ; Burns et
Stalker, 1961 ; Whyte, 1961). Les courants caractérisant le mieux cette première période sont
les théories de la croissance, la théorie du cycle de vie et la théorie de la contingence. Le
modèle du développement organisationnel (D.O.) défini par Beckhard (1969), Bennis (1969)
et Beer (1976), peut également être évoqué. Celui-ci accorde une large place aux
gestionnaires considérés comme étant au cœur du processus de changement. Ainsi, le
développement organisationnel correspond à une action planifiée de changement défini depuis
le sommet hiérarchique, concernant le système dans sa globalité afin d’améliorer l’efficacité
de l’organisation (Beckhard, 1969). Si les managers doivent communiquer et expliquer le
changement, sonder les perceptions et réactions des employés, il est aussi de leur
responsabilité de programmer des actions visant à obtenir une forte participation et un large
consensus. Le gestionnaire doit veiller à ne pas perdre de vue l’objectif du changement, à
savoir la maximisation du profit. D’autres auteurs ont apporté leurs contributions à la
compréhension du changement au sein des organisations (Chandler, 1962 ; Cyert et March,
1963) en introduisant un caractère processuel et graduel au phénomène.
Les premières théories du changement présentent comme principal point commun
d’avoir été élaborées dans un contexte de forte croissance économique, période de prospérité
caractérisant les « 30 glorieuses ». Ceci semble expliquer, en partie, le fait que le changement
soit le plus souvent perçu comme une réponse apportée par l’organisation aux évolutions
favorables de l’environnement. Concernant notre sujet de recherche, le principal intérêt de ces
premières approches du changement réside dans la prise en compte du poids de l’action
managériale dans la mise en œuvre du changement. Les managers sont à l’origine de l’action
et en ont la charge jusqu’à sa mise en oeuvre. D’un point de vue théorique et pratique,
plusieurs aspects sont néanmoins critiquables. La principale critique que nous émettrons à
leur encontre réside précisément dans leur focalisation sur l’action du ou des manager(s) en
139
tant que vecteur du changement, ces derniers étant imprégnés d’une volonté d’adaptation
structurelle et de construction stratégique. Pour ces premières théories constituant ce qui a été
appelé plus tard le courant structuro-fonctionnaliste, l’organisation est perçue comme un
instrument malléable et maîtrisable permettant l’exécution d’une stratégie préalablement
définie par les managers dans un contexte de modification de l’environnement. Les évolutions
de la structure constituent une réponse aux changements de variables externes telles que
l’évolution technologique ou la croissance des marchés. Nous observons qu’à l’intérieur de
ces approches pionnières, les multiples interactions entre acteurs organisationnels, leurs effets
sur la mise en œuvre du changement ainsi que l’évolution des pratiques individuelles et
collectives, ne sont pas réellement pris en compte. Le caractère processuel et la propriété
dynamique en tant que principales caractéristiques du phénomène de changement sont
également insuffisamment considérés.
1.1.3.2.) Le changement comme adaptation des organisations aux pressions de l’environnement
La perception du changement a évolué. Il est dorénavant considéré comme une menace,
une crise pour l’organisation placée devant l’obligation d’adapter ses structures aux
contraintes d’un environnement peu propice. Ce modèle est le reflet du contexte socio-
économique de crise observé au cours du milieu des années 70 et du début des années 80
(Barabel et Meier, 2006). Le changement est perçu comme un processus douloureux mené au
sein d’organisations qui y sont réfractaires163 (Hannan et Freeman, 1977) et dotées d’une
grande force de résistance (Miller et Friesen, 1982,1984). Selon Miller (1982), l’organisation
traverse de longues périodes stationnaires pendant lesquelles sa configuration reste inchangée,
entrecoupées par des transformations brutales redessinant sa stratégie et sa forme. Les
pressions de l’environnement (les facteurs externes) sont considérées comme le principal
moteur des transformations organisationnelles (Aldrich, 1979). Parmi les principaux courants
constituant ce deuxième grand modèle du changement organisationnel, figurent l’approche
stratégique (Allaire et Firsirotu, 1988 ; Giroux, 1991), l’approche contextualiste et politique
(Pettigrew, 1977, 1987 ; Pfeffer, 1981) ou encore la théorie de l’équilibre ponctué (Tushman
et Romanelli, 1985). Toutes ces approches ambitionnent d’aboutir à une meilleure
compréhension de la nature même du changement et de ses conséquences sur l’organisation.
163
La théorie de l’écologie des populations (Hannan et Freeman, 1977) explique la préférence des organisations pour la stabilité par leur faible capacité d’adaptation en raison de fortes contraintes internes et externes.
140
1.1.3.2.1.) L’approche stratégique du changement
Selon Allaire et Firsirotu (1989), le changement constitue pour l’organisation le moyen
de s’adapter aux évolutions de l’environnement, permettant ainsi sa pérennité et sa croissance.
Il ne s’agit pas d’une affaire aisée dans la mesure où l’adaptation doit s’accompagner d’une
importante modification de la culture organisationnelle profondément ancrée dans
l’organisation. En préalable à tout projet de changement, Allaire et Firsirotu (1988)
préconisent l’élaboration d’un diagnostic précis portant sur la situation de l’entreprise et, plus
précisément, sur le degré d’adaptation de cette dernière à son environnement présent ou futur.
En cas d’inadaptation, les auteurs répertorient quatre types de changements radicaux induisant
des efforts de changement d’une grande intensité : (1) la transformation dont l’objectif est
d’adapter l’organisation à une évolution importante de l’environnement, (2) la réorientation
qui se matérialise par des investissements dans de nouvelles activités jugées plus lucratives,
(3) la revitalisation destinée à sauvegarder une organisation inadaptée à son contexte actuel et
futur, et (4) le redressement correspondant à une situation de crise où l’organisation doit, pour
éviter la faillite, redéfinir une stratégie concurrentielle plus adaptée. Chacun de ces
changements modifiera indéniablement plusieurs constantes au sein de l’organisation dont sa
propre culture (Allaire et Firsirotu, 1988164). La variable culturelle impacte directement le
processus de changement et demeure, selon les auteurs, difficilement contrôlable par le ou les
dirigeant(s) de l’organisation.
L’intérêt principal de cette approche réside dans la prise en compte dans l’analyse du
changement, non seulement de la dimension structurelle et stratégique, mais également de la
dimension symbolique liée aux composantes culturelles et aux comportements individuels
dans l’organisation. Elle offre des outils et une perspective d’analyse intéressante pour la
compréhension de la RPP. Toutefois, on ne peut que déplorer le fait que les changements
soient toujours perçus comme le résultat de décisions d’ordre stratégique contraintes par
l’environnement de l’organisation. Le changement de dirigeant induit par la reprise et ses
conséquences sur l’organisation ont très peu été envisagés lors de la construction des modèles.
Les auteurs fournissent un plan pour conduire le changement et mener la « révolution
culturelle » pour des dirigeants souvent à l’origine du processus, ce qui n’est bien
évidemment pas le cas d’un repreneur externe à l’entreprise.
164
Les auteurs soulignent les effets de changements radicaux sur l’attitude des individus, les traditions et les valeurs ainsi que sur les croyances collectives.
141
1.1.3.2.2.) L’analyse contextualiste du changement
Partant d’une analyse critique du modèle du Développement Organisationnel, Pettigrew
(1977, 1985, 1987) souligne l’intérêt d’adopter une lecture multidimensionnelle du
changement pour véritablement le comprendre. L’auteur regrette que la majorité des études
portant sur le changement soient sans lien avec l’histoire, le contexte et les processus de
l’entreprise. L’analyse contextualiste de nature descriptive s’attache à replacer dans leurs
contextes les informations recueillies au cours de toute investigation. Pettigrew suggère une
meilleure appréhension de la pluralité du changement, à partir d’un nouveau cadre théorique
prenant appui sur trois notions devant faire l’objet d’une analyse minutieuse : le contenu (ce
qui change), le contexte (pourquoi cela change)165, les processus (comment cela change). Ces
trois variables doivent permettent d’appréhender toute la complexité et la dynamique,
caractéristiques du changement, et « se définissent mutuellement dans une série
d’interrelations (actions, réactions et interactions) » (Soparnot, 2009, p. 106). Pettigrew
(1985) qualifie l’analyse processuelle d’analyse horizontale et l’analyse multi-niveau
(contexte interne et interne) de verticale. La première prend en compte la dimension
temporelle du phénomène et l’interconnexion des différentes séquences, la seconde porte sur
les interdépendances entre les différents niveaux d’analyse. Ainsi, pour l’auteur, « une
approche qui offre à la fois l’analyse multiniveau ou verticale, et l’analyse processuelle ou
horizontale, est dite de caractère contextualiste”166 (Pettigrew, 1985, p. 36). Toujours selon
cet auteur, une analyse contextualiste convenablement menée nécessite quatre prérequis. (1) Il
doit s’agir d’un ensemble clairement représenté, théoriquement et empiriquement
« raccordable » à tous les niveaux de l’analyse. (2) Elle doit clairement décrire le ou les
processus examinés. L’auteur insiste sur la nécessité d’incorporer la dimension temporelle :
« Ce qui est essentiel à la notion d’analyse processuelle c’est qu’une organisation ou tout
autre système social peuvent être utilement explorés comme un système continu, avec un
passé, un présent et un avenir »167 (Pettigrew, 1985, p. 36). (3) L’analyse contextualiste doit
se pencher sur l’aspect humain et, plus particulièrement, sur les relations de pouvoir à
165 La notion de contexte est déterminée suivant un double niveau d’analyse : les contextes internes
comprenant les dimensions structurelles, culturelles et politiques, et les contextes externes comprenant
l’environnement socioéconomique, technologique, concurrentiel et politique de l’organisation. 166
« an approach which offers both multilevel or vertical analysis, and processual or horizontal analysis, is said
to be contextualist in character », traduit de l’anglais par nos soins. 167
« Basic to the notion of a processual analysis is that an organization or any other social system may
profitably be explored as a continuing system, with a past, a present, and a future », traduit de l’anglais par nos soins.
142
l’origine des processus et de leur développement. « (…) l’accent sera porté à la fois sur la
capacité et le désir de l’homme à ajuster les conditions sociales à ses finalités, et le rôle joué
par les relations de pouvoir dans l’émergence et le développement continu des processus en
cours d’examen”168 (Pettigrew, 1985, p. 36). (4) L’approche doit s’attacher à examiner les
liens entre les processus verticaux et horizontaux, sans quoi l’étude ne se limiterait qu’à une
simple approche descriptive « ou bien à une liste éclectique des antécédents qui forment en
quelque sorte le processus » 169 (Pettigrew, 1985, p. 36). Selon Brouwers et al. (1997),
l’approche contextualiste présente l’intérêt d’outrepasser la simple description des
phénomènes et de mieux appréhender la dynamique du changement. A partir d’une première
représentation triangulaire de l’approche contextualiste élaborée par Pettigrew (1987, p. 657),
ces auteurs l’ont schématisée de la manière suivante (figure 16).
Figure 16- Le schéma de l’analyse contextualiste
Source : Brouwers et al. (1997).
L’approche contextualiste pour ce qui concerne notre sujet de recherche présente
l’intérêt de faire apparaître distinctement la chronologie des événements ainsi que leurs
conséquences sur le fonctionnement de l’organisation. Elle offre également l’avantage de
168
« (…) strong emphasis will be given both to man’s capacity and desire to adjust social conditions to meets his
ends, and the part played by power relationships in the emergence and ongoing development of the processes
being examined », traduit de l’anglais par nos soins. 169
« or as an eclectic list of antecedents which somehow shape the process », traduit de l’anglais par nos soins.
Contenu
Domaines soumis à la transformation
Contexte Processus
Interne : structure, culture organisationnelle et configuration des pouvoirs.
Externe : Environnement social, économique, commercial et politique dans lequel l’entreprise opère.
Actions, réactions et interactions entre les différentes parties concernées par la transformation de l’entreprise.
143
fournir les outils pour appréhender le changement de « l’intérieur » et sa pluralité. Toutefois,
le cadre théorique contextualiste présente des limites. La principale réside dans son
opérationnalisation par le réformateur (Soparnot, 2004) ou le chercheur, les multiples
variables devant être intégrées et le strict respect des conditions d’analyse telles que définies
par Pettigrew (1985) rendant l’approche très longue et complexe.
1.1.3.2.3.) La conception ponctuationniste
D’après Tushman et Romanelli (1985), les organisations connaissent de longues
périodes de relative stabilité (appelées périodes de convergences) pendant lesquelles des
changements de faibles ampleurs sont opérés de manière incrémentale, entrecoupées de
courtes périodes de changements majeurs, rapides et brutaux (dénommés réorientations ou
recréation). Le modèle de l’équilibre ponctué ou théorie de l’équilibre provisoire explique en
partie le passage d’une période de convergence à une période de transformation par un
mécanisme d’adaptation aux évolutions des caractéristiques de l’environnement (changement
législatif, émergence d’une technologie nouvelle ou de nouveaux produits de substitution).
D’autres facteurs provoquent une transformation organisationnelle parmi lesquels une
détérioration significative de la performance à court terme ou une détérioration progressive à
moyen et long terme, ou encore l’arrivée d’un nouveau dirigeant. Tushman et Romanelli
(1985) précisent également que seul le dirigeant ou l’équipe de direction de l’entreprise est à
même de diriger le changement radical. Selon Vas (2000, p. 91), le modèle de l’équilibre
ponctué présente un double avantage. Dans un premier temps, il permet de « réconcilier la
vision adaptative et inflexible de l’évolution des organisations en intégrant les perspectives de
changement volontaire et déterministe ». Ensuite, l’inscription du changement dans un cycle
continu alternant des périodes de convergence et des périodes de changements radicaux,
« permet de réconcilier les conceptions incrémentales et radicales du changement
organisationnel ».
À propos de notre sujet de recherche, la théorie ponctuationniste permet d’éclairer notre
compréhension des phénomènes liés au changement de plusieurs manières. D’abord, ce
modèle considère l’arrivée d’un nouveau dirigeant comme un élément déclencheur d’une
transformation organisationnelle. La RPP peut alors être analysée comme un changement
radical faisant suite à une longue période de convergence. Selon cette théorie, le nouveau
dirigeant (ou la nouvelle équipe de direction) que nous assimilerons au repreneur, joue un
rôle déterminant pendant la phase de réorientation. Nous pouvons superposer cette dernière à
144
la période de management de la reprise telle que décrite dans le modèle de Deschamps (2000)
(figure 17).
Figure 17 - Le processus d’entrée dans l’entreprise à la lumière de la théorie ponctuationniste
Source : Auteur.
Ensuite, ce modèle permet d’incorporer la taille de l’organisation en tant que variable
explicative du changement. Une place importante est accordée à la complexité
organisationnelle en tant que vecteur d’adaptation de l’entreprise à son environnement. Celle-
ci augmente à mesure que l’entreprise grandit et devient alors un facteur de convergence
(Tushman et Romanelli, 1985). Inversement, une diminution de la complexité
organisationnelle favoriserait les périodes de réorientations. Notre sujet de recherche étant
centré sur la reprise de TPE, on en déduit que plus l’entreprise est de petite taille, donc dotée
d’une complexité organisationnelle faible, plus il est possible d’opérer des changements
radicaux. La principale limite de ce modèle est qu’il considère le changement (ou
réorientation) comme une période courte de bouleversements imposés par les contraintes de
l’environnement. Le changement n’est perçu que comme un événement négatif venant
perturber une situation d’équilibre considérée comme la norme.
Pour toutes ces approches appartenant à la deuxième grande période, le changement
radical et rapide est souvent présenté comme une condition de survie, un nécessaire
repositionnement pour l’organisation évoluant dans un environnement changeant (Autissier et
Vandangeon-Derumez, 2010). Pour ces nombreux courants, le rôle du manager est limité, ses
actions étant contraintes par l’inertie des organisations (Singh, House et Tucker, 1986). Les
Etape Initiale. Entreprise non
transmise.
Management de la reprise. Transition
Phase de convergence Phase de réorientation
Processus d’entrée dans l’entreprise
Reprise
145
théories développées à cette époque enrichissent indéniablement la compréhension du
changement et visent principalement à apporter des éléments de réponse à la question du
comment adapter l’organisation à son environnement. Néanmoins, l’importance des
interrelations entre acteurs, de leurs actions individuelles qu’elles soient volontaires,
conscientes ou non, dans un schéma de construction collective du changement, n’est pas
suffisamment prise en compte.
1.1.3.3.) Le changement : un processus dynamique et permanent
Dans ce troisième grand modèle du changement organisationnel (Barabel et Meier,
2010), le changement devient un processus continu, prévisible et inévitable pour toute
entreprise souhaitant pérenniser son activité. Afin de mieux dépeindre la dynamique et la
fluidité caractérisant le phénomène, Alter (1996) préconise de remplacer le terme de
« changement » par l’expression « processus de changement » plus appropriée. Selon cet
auteur (Alter, 2005), il ne convient plus de considérer le changement en tant que phénomène
borné disposant d’un terme, l’organisation devant apporter continuellement des réponses aux
transformations de son environnement socioéconomique et technologique notamment. Les
modifications du contexte économique des années 90, marquées par l’intensification de la
mondialisation, l’accélération des innovations technologiques et la montée en puissance des
technologies de l’information et de la communication, sont autant de causes qui acculent
l’entreprise au changement. Dans ce contexte, les managers ont un rôle important à jouer : ils
programment le changement (Nelson et Winter, 1982), le contrôlent170 et le régulent (Alter,
1990). Ils opérationnalisent le processus en y intégrant les autres membres de l’organisation
afin d’en susciter son appropriation. L’organisation devient un lieu d’interaction où les
acteurs modifient et adaptent quotidiennement leurs pratiques. Selon Orlikowski (1996,
2000), il est essentiel d’envisager le changement comme un processus graduel et continu, sans
commencement ni fin, relayé par l’action des acteurs présents dans l’organisation. La
modification des pratiques de ces derniers, imputable dans le cas étudié par Orlikowski (2000)
à l’instauration d’une nouvelle technologie, est à l’origine de changements futurs qui
entraîneront eux-mêmes de nouvelles modifications des pratiques. De la sorte, les acteurs de
l’organisation sont contraints par les nouvelles conditions organisationnelles issues de la
modification de leurs propres pratiques (Autissier, Vandangeon-Derumez et Vas, 2010).
Parmi les principales théories développées à cette époque, figurent celles s’inscrivant dans 170
Le processus de changement est néanmoins considéré comme complexe et difficilement contrôlable dans son intégralité par la direction ou le manager.
146
une approche interprétativiste (Weick, 1993, 1995 ; Greenwood et Hinings, 1988 ; Gioia et
Chittipeddi, 1991) ainsi que les théories de l’apprentissage (March, 1991 ; Argyris, 1995 ;
Nonaka et Takeuchi, 1997).
1.1.3.3.1.) L’approche interprétativiste
Soparnot (2004, p. 37) explique les fondements de ce courant de la manière suivante :
«Le modèle interprétatif met l’accent sur l’attribution de sens qu’accordent les acteurs au
projet de changement et sur la perception qu’ils en ont. La conduite du changement est
fondée sur la production de sens par les dirigeants. La signification qu’ils donneront au
changement conditionnera les réactions des salariés et leur propre interprétation ». Selon
Weick (1979), il existe au sein de chaque organisation un processus continu d’interactions
entre ses différents membres, laissant émerger de nouvelles solutions au changement. Dans
cette perspective interactionniste 171 , l’individu est placé au centre d’un processus de
construction collective de sens (collective sensemaking ; Weick, 1995, p. 27). L’activité
continue de communication interpersonnelle sert alors de matériau à la construction d’un sens
partiellement partagé. La théorie du sensemaking développée par Weick envisage le
changement comme le produit d’interactions incessantes entre individus construisant du sens
dans un processus récursif liant pensée et action.
S’inscrivant également dans le courant interprétativiste, Greenwood et Hinings (1988)
développent une lecture du changement basée sur la compréhension du « schéma
interprétatif» de l’organisation. Ce dernier correspond à un ensemble d’idées, de croyances et
de valeurs partagées par ses membres et procurant du sens aux multiples actions et
interactions au sein de l’organisation. Selon ces auteurs, l’organisation se structure suivant
une dynamique liant trois composantes : la répartition du pouvoir, le schéma interprétatif et
l’influence de l’environnement, formant un schéma général dénommé archétype (Autissier,
Vandangeon-Derumez et Vas, 2010). Le changement est interprété comme le passage d’un
archétype à un autre, qu’il soit linéaire ou non. Plusieurs situations pouvant aboutir chacune à
un changement d’ordre structurel sont évoquées : la modification des schémas interprétatifs
des membres de l’organisation, une divergence entre les valeurs de l’organisation et les
intérêts d’une nouvelle stratégie, une modification dans la répartition du pouvoir à l’intérieur
de l’organisation (l’arrivée d’un nouveau dirigeant par exemple), une modification de
171
Selon Koenig (1996), l’approche par le sensemaking puise incontestablement sa source dans le courant interactionniste.
147
l’environnement socio-économique, législatif ou technologique, et une structure
organisationnelle inadaptée aux caractéristiques de l’environnement technologique et
concurrentiel. L’intérêt de cette approche réside dans la prise en compte du rôle important de
l’individu et de son action dans la dynamique de structuration organisationnelle, tout en
incorporant à l’analyse le contexte externe de l’entreprise (les facteurs de contingence).
Gioia et Chittipeddi (1991) s’intéressent également au processus de changement décrit
comme un processus de création de sens résultant des multiples interactions entre les parties
prenantes de l’organisation. Le concept de sensemaking (Weick, 1979) est mobilisé pour
comprendre l’évolution du processus de changement au sein de l’organisation. Le processus
de création de sens « sensemaking », combiné au processus de diffusion de sens
« sensegiving », permettent au dirigeant de comprendre, puis de faire comprendre et partager
aux autres membres de l’organisation une nouvelle vision. Selon ces auteurs, le dirigeant (ou
l’équipe dirigeante) joue un rôle prépondérant dans la construction du changement : “ Le
dirigeant (et finalement l’équipe de direction) peuvent être considérés comme les architectes,
les assimilateurs et les facilitateurs du changement stratégique. Les actes de créer du sens, de
donner un sens à ce qui se passe, l’interprétation d’une nouvelle vision de l’institution
constituent les processus clés impliqués dans l’instigation et la gestion du changement “ 172
(Gioia et Chittipeddi (1991, p. 446). La réussite de l’instauration d’une situation nouvelle
pour l’organisation reposera sur la capacité du ou des manager(s) à créer continuellement du
sens et à remporter l’adhésion des membres de l’organisation, ces derniers jouant un rôle actif
dans le processus de création de sens. Le dirigeant est celui qui donne du sens et le diffuse.
Selon Barabel et Meier (2010, p. 404), donner du sens au changement, c’est admettre « que
les individus ne soient pas passifs face au changement mais en soient les vecteurs principaux
par leurs capacités à interpréter et à agir sur les situations ».
L’approche par la construction de sens apparaît clairement être un cadre d’analyse
particulièrement riche et pertinent pour appréhender les multiples interactions entre acteurs et
les phénomènes rencontrés par le repreneur au cours de l’étape de management de la reprise
(résistances, non engagement des salariés, etc.). Nous reviendrons plus longuement sur
l’intérêt de cette approche dans une prochaine section.
172
« The CEO (and ultimately the top management team) can be seen as architects, assimilators, and
facilitators of strategic change. The acts of making sense of, and giving sense about, the interpretation of a new
vision for the institution constitute key processes involved in instigating and managing change », traduit de l’anglais par nos soins.
148
1.1.3.3.2.) Les théories de l’apprentissage
A travers leurs célèbres travaux consacrés à l’apprentissage organisationnel, Argyris et
Schön (1978, 2002) s’intéressent à ses conséquences sur le changement. Ils décrivent
l’apprentissage organisationnel comme une mise en œuvre de la pensée et de l’action, un
processus par lequel les acteurs détectent des erreurs et les corrigent en reconsidérant les
théories d’usage. Une brève revue de la littérature fait apparaître un nombre important de
définitions. Ainsi, pour Fiol et Lyles (1985), il s’agit d’un processus d’amélioration des
réponses organisationnelles par une meilleure connaissance et compréhension des
phénomènes. Pour Koenig (2006, p. 293), il s’apparente à « un phénomène collectif
d’acquisition et d’élaboration de compétences qui, plus ou moins profondément, plus ou
moins durablement, modifie la gestion des situations et les situations elles-mêmes ». Argyris
(1995) insiste sur l’importance pour une organisation, de développer sa capacité
d’apprentissage, faculté lui permettant d’appréhender les changements auxquels elle sera
continuellement confrontée. Le principal enjeu consiste à dépasser les « routines défensives »
construites par l’organisation et par ses membres, fortement défavorables à l’élaboration de
solutions nouvelles face aux grandes mutations de l’environnement. Ces routines défensives
sont « surprotectrices » (Argyris, 1995) et génèrent des conséquences impactant négativement
le fonctionnement de l’organisation. L’apprentissage organisationnel devient un moyen pour
l’organisation, non seulement d’assurer sa survie, mais également d’accroître ses
performances via une meilleure réponse aux changements de l’environnement (Fiol et Lyles,
1985).
Argyris et Schön (2002) mettent en évidence deux niveaux d’apprentissage avec
l’apprentissage en simple boucle et l’apprentissage en double boucle. Le premier relève d’une
modification mineure des règles existantes (Pesqueux, 2013), de correction d’erreurs dans des
schémas organisationnels établis et dont les valeurs ne seront pas remises en cause. Le second
correspond, quant à lui, à un processus cognitif, de réexamen des représentations mentales
débouchant sur un bouleversement des normes et valeurs de l’individu et de l’organisation,
puis sur l’adoption de nouveaux schémas de connaissance, de pensée et d’action. Selon
Argyris (1995), l’apprentissage en simple boucle, bien que souvent pratiqué au sein des
organisations, ne permet que de fournir, pour un temps, des réponses à des problèmes
récurrents. L’apprentissage en double boucle, moins présent, autorise de profonds
changements, aussi bien dans le comportement des individus qu’au niveau de l’organisation.
149
Pour toutes les approches développées durant cette troisième grande période historique,
le changement est vu comme un processus continu, une réponse aux incessantes modifications
de l’environnement socioéconomique et technologique notamment, dans lequel évolue
l’organisation. L’intérêt principal de ces théories, plus particulièrement celles ayant trait au
sensemaking, réside dans la prise en compte des multiples interactions entre les individus
composant l’organisation ; ces derniers participant activement à une construction collective et
ininterrompue du changement. L’objectif assigné au manager est de mobiliser le plus
d’acteurs, plus particulièrement les groupes les plus influents, afin qu’ils s’engagent en faveur
du changement (Bonis, 1988). Pour cela, le manager doit utiliser tous les instruments de
communication favorables à l’instauration d’un climat interactif.
1.1.3.4.) Une évolution paradigmatique : le changement vu sous l’angle de la capacité à changer
On assiste, au cours de cette dernière grande période, coïncidant au contexte
socioéconomique du milieu des années 90, à un changement de perspective, à une évolution
paradigmatique (Hafsi, 1999 ; Rondeau, 2003). Perret (1996) souligne que le changement
organisationnel ne constitue une réponse aux modifications de l’environnement externe que
dans la mesure où l’organisation dispose d’une réelle capacité de changement. L’accent est
mis non pas sur la gestion du changement, mais sur la mise en place de nouvelles capacités
opérationnelles permettant la performance de l’organisation sur le long terme (Meyer et
Stensaker, 2006). Selon Soparnot (2009, p. 106), la capacité organisationnelle de changement
se définit comme « l’aptitude de l’entreprise à produire des réponses concordantes (contenu)
à des évolutions environnementales (contexte externe) et/ou organisationnelles (contexte
interne) et à rendre effective au sein de l’entreprise la transition induite par ces dernières
(processus) ». L’organisation doit répondre à un environnement en perpétuelle mutation en se
mettant elle-même continuellement en mouvement. L’avenir ne doit plus être considéré
comme une variable prévisible et continue.
D’après certains auteurs (Demers, 1999 ; Hafsi, 1999 ; Mintzberg et al., 1999 ;
Soparnot, 2004, 2009), la capacité organisationnelle de changement prend appui sur deux
corpus théoriques principaux, aboutissant à des conclusions divergentes : le paradigme
gestionnaire et le paradigme complexe de la gestion du changement. Ces deux logiques
reflètent deux manières diamétralement opposées d’appréhender la capacité de changement.
Pour le paradigme gestionnaire, le processus de changement est programmé et maîtrisable par
l’individu qui en a la charge. L’action calculée de ce dernier permet toujours, in fine, de
150
changer la situation de l’organisation. Pour y parvenir, le paradigme gestionnaire incite
néanmoins l’organisation à acquérir et maîtriser une capacité de gestion du changement. Cette
première approche conceptuelle a été ouvertement critiquée par certains auteurs (Thietart et
Forgues, 1993, cités par Soparnot, 2009 ; Vas, 2005), car ne prenant nullement en
considération l’incertitude et l’imprévisibilité des conséquences des actions. Le paradigme
complexe suggère de prendre en compte l’influence de ces phénomènes dans la construction
du changement. Ce dernier n’est plus observé comme un processus maîtrisable puisqu’il est
impacté par des distorsions modifiant sa trajectoire et le rendant aléatoire (Soparnot, 2009).
Cette approche préconise de construire, au sein de l’organisation, les conditions des
changements ultérieurs afin de faciliter leur implémentation. Le changement devient un état
permanent et toute l’organisation doit y être perméable, la flexibilité étant la norme.
Pour Autissier et Vandangeon-Derumez (2010), la capacité des organisations à changer
est fondamentale et peut être perçue comme une source d’avantage concurrentiel. Pour créer
ou sauvegarder son avantage, l’organisation inscrit son action dans un processus dynamique
et continu de création et de renouvellement de ressource. Afin de mieux rendre compte de la
propriété dynamique du processus de renouvellement de ressources, Teece et al. (1997, cités
par Soparnot, 2004) ont développé le concept de capacités dynamiques173, compris comme
une aptitude à reconfigurer, transformer ses compétences pour affronter les changements
rapides de l’environnement ou pour les instituer. L’avantage compétitif provient non
seulement de l’utilisation d’une capacité existante dans l’organisation, mais également de
l’utilisation de capacités nouvelles. Dans ce dernier grand modèle du changement, l’attention
est une nouvelle fois portée sur le rôle du manager. Celui-ci est perçu comme un animateur du
changement, son action devant permettre de préparer, structurer le contexte organisationnel
afin de mieux le transformer.
En ce qui concerne notre étude, cette dernière approche présente l’intérêt de mettre en
lumière la manière dont le dirigeant (ou l’équipe dirigeante) de l’entreprise participe, en
amont du processus, à l’acceptation collective ou non d’une situation de changement. Le
paradigme gestionnaire, tout comme le paradigme complexe, confère à l’individu en charge
du changement un rôle déterminant dans sa préparation. Associé à la notion de proximité
173
Une distinction est opérée entre les capacités proactives reflétant un comportement « pionnier » et les capacités réactives illustrant la rapidité de réaction à une offensive émanant de la concurrence par exemple.
151
hiérarchique174 en tant que principal trait caractéristique de la TPE (Torrès, 2007), le dirigeant
constitue l’élément décisif dans la mise en œuvre d’une situation de changement. Il est placé
au centre du jeu, accumule toutes les responsabilités et les pouvoirs, et est le seul capable de
faire émerger la capacité de changement au sein de l’entreprise. Si cette approche nous
procure des indications claires et pertinentes sur la manière dont le dirigeant peut et doit
prendre en mains le changement, elle suscite de nombreuses interrogations lorsqu’il s’agit de
l’appliquer à un repreneur pénétrant dans l’organisation. Nous avons pu relever que les
tenants de ce paradigme nouveau (Hafsi, 1999) recommandent de construire au sein de
l’organisation les conditions des changements ultérieurs, en développant de nouvelles
capacités opérationnelles (Meyer et Stensaker, 2006), ou organisationnelles (Soparnot, 2009),
afin de faciliter l’implémentation du changement et favoriser ainsi la performance de
l’organisation sur le long terme. Or, nous percevons à ce stade un problème de temporalité
quant à l’action du repreneur et à ses conséquences sur l’organisation. En effet, on ne peut que
se questionner sur la manière dont le repreneur influe sur la capacité de changement de
l’organisation, prépare cette dernière au changement provoqué par la RPP et ainsi le gére
avant même son arrivée dans l’entreprise. On en déduit que l’impact du changement provoqué
par son entrée en fonction ne dépendra pas de son action, mais en grande partie de l’activité
de préparation antérieure du cédant. Celle-ci a lieu en amont du processus de transmission
(voire avant la décision de transmettre) ou au cours de la période de transition, s’il y en a une.
La principale limite de cette dernière approche réside dans le fait qu’elle n’attribue au
nouveau dirigeant que peu de marge de manœuvre dans la gestion du changement, tout au
moins dans les premiers moments de sa prise de fonction. Le repreneur se contente
uniquement de gérer les effets provoqués par son arrivée, ne pouvant préparer et structurer
l’organisation, ou véritablement influer sur sa capacité de changement que pour des
modifications ultérieures.
L’étude de la littérature relative au changement organisationnel démontre que cette
notion a été influencée par l’évolution du contexte économique général. Au cours du temps,
de multiples recherches et modélisations se sont succédées avec, pour principal objectif,
d’apporter des réponses au pourquoi et au comment du changement, chacune ambitionnant
plus ou moins implicitement d’édifier une théorie « principale » du changement. Malgré les
efforts conceptuels et expérimentaux déployés depuis plusieurs décennies, d’importantes
174
D’après ce principe, le dirigeant de TPE joue un rôle central et jouit d’une position unique au sein de son entreprise, la gestion de cette dernière étant fortement personnalisée.
152
zones d’ombres subsistent. Si l’éclairage apporté par ces nombreux modèles est souvent
incontestable, force est de constater qu’ils ont tendance à s’appuyer sur une vision trop
réductrice des phénomènes organisationnels, rendant leur portée opérationnelle limitée. Ainsi,
nous sommes-nous demandé, tout au long de notre revue de littérature, comment positionner
et analyser la RPP en tant que changement pour l’organisation, au sein des différents modèles
proposés. Arrivé au terme de l’exercice, nous ne discernons pas d’approche suffisamment
complète pour caractériser, à elle seule, le processus repreneurial et sa complexité. Dans le
cadre de notre recherche, nous optons pour une approche processuelle du changement
organisationnel. Plus précisément, nous avons choisi un cadre d’analyse mettant l’accent sur
les multiples interactions entre acteurs organisationnels. Parmi le courant interactionniste,
l’approche par le sensemaking nous paraît particulièrement pertinente pour examiner le
processus d’entrée dans l’entreprise d’un nouveau dirigeant. Celle-ci semble, en effet, fournir
une grille de lecture originale, décrivant puis expliquant les actions et les comportements des
différents acteurs au sein d’organisations de petite taille au cœur même d’un processus de
changement organisationnel. Ce cadre d’analyse exhorte à nous questionner sur la manière
dont les différents acteurs de l’entreprise construisent du sens et sur la manière dont les
repreneurs peuvent s’y prendre pour initier ce processus et gérer au mieux le changement. En
complément à cette lecture du changement, nous aurons également recours à l’approche
contextualiste.
1.2.) L’approche par le sensemaking : un cadre théorique interprétatif adapté à la compréhension du management de la reprise
L’arrivée d’un nouveau dirigeant constitue un événement de toute première
importance pour la TPE et pour ses salariés. Il s’agit d’un changement organisationnel majeur
(Boussaguet, 2005), générateur d’ambiguïté 175 pour les individus. La perception de cette
nouvelle situation, très souvent inattendue, engendre de multiples interprétations de la part des
acteurs. Ces derniers vont chercher, dans l’interaction avec les autres, à comprendre ce qui se
passe autour d’eux (Weick, 1995). Ils expérimentent une remise en question de leurs schémas
de pensée (Guilmot et Vas, 2011) et tentent de donner du sens à ce qu’ils sont en train de
vivre. De ce processus, apparaît un sens partiellement partagé, conduisant les individus à
s’engager ou non de nouveau dans l’action (Vandangeon-Derumez et Autissier, 2006). Weick
175
Le changement de dirigeant fait naître de nombreuses questions chez les salariés : pourquoi change-t-on de dirigeant ? Pourquoi a-t-il racheté cette entreprise en particulier? Vais-je continuer à travailler dans les mêmes conditions ? Quelles sont les intentions du nouveau dirigeant ? Va-t-on pouvoir continuer à travailler ensemble, si oui, dans quelles conditions ? De ces questions, découlent de multiples réponses et interprétations.
153
(1993) décrit le changement176 comme un événement survenant dans l’environnement des
individus. Il remet en cause la répartition des tâches, des responsabilités et de l’autorité au
sein de l’organisation et requiert pour les individus de reconstruire mentalement un système
de rôles adapté à la situation (Autissier, Vandangeon-Derumez et Vas, 2010). Les interactions
entre individus présentent un caractère essentiel pour l’auteur. Associées à l’interrelation des
comportements individuels, elles sont le lieu privilégié d’élaboration du sens. Les interactions
deviennent plus qu’un simple partage ou échanges d’informations, « elles construisent,
génèrent « quelque chose » d’autre que ce qui était présent avant l’échange : des
significations, des actions coordonnées » (Allard-Poesi, 2003, p. 94). L’organisation est
conçue comme « un ensemble d’occasions d’interactions dans lesquelles les individus sont
projetés et qui participent simultanément à la réalisation de l’individu et d’un collectif »
(Autissier, Guillard, Moutot, 2010).
Nous avons souhaité mobiliser les travaux de Weick portant sur la création de sens
afin de mieux comprendre le processus d’entrée dans l’entreprise du repreneur. Cette
approche sociopsychologique de l’organisation (Vidaillet, 2003) s’appuie clairement sur les
concepts fondamentaux de l’interactionnisme symbolique dont elle partage les préoccupations
et la visée (Koenig, 1996, 2003). Elle amène à se questionner sur la manière dont les acteurs
principaux de la reprise donnent du sens au changement et à leurs actions, de telle sorte que
puisse se développer et se maintenir un système d’actions collectives. Pour Demers (1993, p.
23), il s’agit là d’un point essentiel, la conduite d’un changement réussi passant par « un
processus d’interprétation, c’est-à-dire un processus interactif de création de sens » entre les
différents membres de l’organisation. Nous présentons, dans un premier temps, les
fondements de la théorie du sensemaking, puis ses principaux apports pour notre recherche.
Nous examinons, ensuite, l’étape du management de la reprise sous l’angle inédit de la
construction de sens. Les limites de cette approche sont exposées dans un troisième temps.
1.2.1.) Présentation de l’approche
Le concept de sensemaking développé par le psychosociologue américain Karl
E.Weick permet d’examiner les phénomènes liés au sens au sein des organisations. Dès la fin
des années 60, l’auteur publie un ouvrage faisant clairement apparaître son intérêt pour le
processus organisationnel qualifié d’organizing (The Social Psychology of Organizing, 1969,
1979). Ce premier livre sera suivi de plusieurs autres ouvrages parmi lesquels : Sensemaking
176
L’auteur utilise l’expression de « changement écologique » pour décrire le phénomène.
154
in organizations (1995) ou encore Making Sense of the organization (2001). La question de
l’élaboration du sens au sein des organisations revêt une importance capitale dans ses
recherches. Elle vise à analyser la manière dont les membres d’une organisation confrontés à
une situation équivoque177 tentent de comprendre ce qui se passe autour d’eux de manière à
pouvoir mener une action adéquate. Pour Weick (1979, 1993), l’individu qui crée du sens
structure l’inconnu de manière à le rendre plus intelligible.
L’impressionnante œuvre de Weick178 s’inscrit fondamentalement dans la tradition de
l’interactionnisme symbolique, approche initiée au sein de l’université de Chicago par deux
générations de sociologues dans les années 1920-1940, puis 1950-1960. Les auteurs
s’associant à cette tradition de recherche examinent les phénomènes sociaux sous l’angle des
interactions quotidiennes entre acteurs, afin de rendre compte des significations engagées179.
L’interactionnisme symbolique explique l’action à partir du sens, lui-même fruit de
l’interaction sociale que chacun a avec autrui. L’individu-acteur transforme constamment les
significations des objets et contrôle ses actions en agissant sur lui-même en fonction des
circonstances et du contexte. L’individu produit son environnement autant qu’il est produit
par celui-ci (Vidaillet, 2003). La vie en société devient un processus de création permanent
durant lequel les individus ajustent continuellement leurs actions, indiquent aux autres ce
qu’il faut faire, tout en interprétant en retour les indications fournies par les autres (Blumer,
1969, cité par Koenig, 2003). L’interaction constitue un ordre négocié, temporaire et fragile
qu’il est nécessaire de reconstruire en permanence (Koenig, 1996).
Weick développe une approche processuelle de l’organisation qui se construit, selon lui,
dans l’interaction entre les individus la composant. Il s’oppose au paradigme de la théorie des
organisations en vigueur dans les années 60, « d’une organisation statique qui impose un
changement planifié fondé sur un sens prospectif », pour retenir le modèle « d’un processus
organisant, au design improvisé, au sens rétrospectif qui vise l’ordre tout en changeant de
manière continue » (Giroux, 2006, p. 25). Le terme organizing est préféré à celui
177
Weick (1979, 1995) emploie la notion d’équivocité (equivocality), très souvent traduite en français par ambiguïté pour exprimer la multiplicité des interprétations possibles pour une même situation. Ainsi, un événement peut être qualifié d’équivoque lorsque plusieurs facteurs sont susceptibles de l’avoir provoqué et qu’on ne peut déterminer lequel de ces facteurs fut déterminant pour cette situation. 178
L’auteur publie depuis plus de quarante ans, d’où un nombre élevé d’articles, d’ouvrages, de chapitres d’ouvrages ou encore de présentations dans des colloques ou conférences. Vidaillet (2003) relève, en outre, la grande variété des thèmes abordés par Weick : « dissonance cognitive, leadership, gestion de carrière,
cognition organisationnelle, gestion de crise, décision, apprentissage, improvisation, design organisationnel,
fiabilité, etc ». 179
D’où l’utilisation du qualificatif « symbolique ».
155
d’organisation par l’auteur, pour souligner que l’organisation est en perpétuel déploiement.
Weick s’affranchit du concept même d’organisation, jugé trop rigide et non suffisamment
pertinent pour exprimer le caractère processuel des phénomènes organisationnels (Koenig,
1996).
Comprendre comment les individus parviennent à s’entendre, à coordonner leurs
actions, afin de développer et maintenir un système d’actions organisées, tel est le fil
conducteur des recherches menées par Weick. La thématique du changement est placée au
centre de son raisonnement, notamment à travers les concepts de sensemaking et
d’organizing. Contrairement au courant de l’OD de Beckhard (1969) et Bennis (1969), ce qui
l’intéresse n’est pas le résultat du changement, mais le processus fluide d’interactions qui
s’entre-suscitent (Weick, 1979, cité par Koenig, 2003). Ce dernier crée des situations de
« microstabilités » (consensus transitoires) et doit déboucher sur une adaptation des individus
à leur environnement. La théorie du sensemaking procure une grille de lecture innovante
quant à la manière dont ceux qui sont confrontés à un changement répondent à la question :
« Que se passe t-il ? » ou encore « comment faire sens dans une situation donnée ou face à un
événement impromptu, déstabilisant ? » (Giroux, 2006, p. 27). Les paragraphes suivants
visent à détailler les propriétés du processus de sensemaking, puis à examiner ses apports
pour notre recherche.
1.2.1.1.) Le processus de sensemaking
Bien qu’ancrée dans la discipline sociopsychologique, l’œuvre de Weick a produit un
corpus théorique (le sensemaking) pouvant être utile au développement et à l’enrichissement
des sciences de gestion (Autissier, Bensebaa, 2006). Koenig (2003) évoque une pensée
stimulante et féconde. Avant d’étudier plus en détails quels peuvent être ses apports pour
notre recherche (2), nous allons relever ses propriétés, puis examiner la modélisation proposée
par Weick (1).
1.2.1.1.1.) Ses propriétés
Selon Weick (1995), il existe des situations favorables à l’élaboration de sens.
L’interruption, l’inattendu 180 , l’incertitude ou encore un choc émotionnel, poussent les
individus à tenter de comprendre ce qui se passe autour d’eux. Cette situation non familière
génère de l’équivocité et nécessite un travail de (re)construction de sens de leur part. Il s’agit
180
Pour Weick (1995, p. 100), l’inattendu provient soit d’un nouvel événement qui n’est pas attendu, soit du non-avènement d’un événement attendu.
156
d’un processus individuel, ancré dans la construction identitaire, mais en même temps
fondamentalement collectif, prenant appui sur l’interaction avec autrui. Le sensemaking peut
être défini comme un « processus par lequel chaque individu essaie de construire sa zone de
sens, sa « réalité », en extrayant des configurations signifiantes à partir des expériences et
des situations vécues » (Vidaillet, 2003, p. 177). Face à un monde qui le dépasse, l’individu
puise dans un flux d’indices181, et tente d’élaborer des réponses aux questions « Que se passe-
t-il ? » et « Que dois-je faire ? » (Weick, Sutcliffe et Obstfeld, 2005), en établissant des
liens182.
Si le caractère personnel du sensemaking est indéniable, pour Weick (1979), il s’agit
avant tout et surtout d’un processus collectif reposant sur l’action coordonnée d’au moins
deux personnes. La présence des autres, « réelle » ou « imaginée » (Weick, 1995), intervient
dans la manière dont chacun donne du sens à une situation (Vidaillet, 2003, p. 119). Chaque
individu recherche dans l’interrelation et l’interaction avec autrui un accord sur les éléments à
retenir de la situation, afin de stabiliser suffisamment ses représentations pour pouvoir agir.
Le processus de construction de sens se fait à trois niveaux : individuel, collectif et
organisationnel 183 et comprend cinq phases observables : la prise de connaissance
(effectuating), la triangulation des informations, l’affiliation, la délibération et, pour finir, la
consolidation (Weick, 1985). En outre, Weick, (1995, p. 17) attribue sept propriétés au
processus de construction de sens que nous détaillons ci-dessous.
1) Il est fondé sur la construction de l’identité. La création de sens suppose, au
préalable, une personne qui « donne » du sens (« Sensemaking begins with a sensemaker »,
Weick, 1995, p. 18). Le processus de sensemaking a pour principale fonction de maintenir
chez l’individu « un sentiment de continuité identitaire, malgré un environnement mouvant et
susceptible d’évoluer très fortement ». L’identité individuelle, définie comme une multiplicité
de soi184 (Weick, 1995, p. 18 ; Koenig, 1996), est le résultat des processus d’interactions de la
181
Cette opération présente un caractère largement subjectif laissant une grande place aux émotions et aux intuitions. 182
Il s’agit d’interpréter les faits perçus, mais aussi de les modéliser (Weick, 1995). 183
L’organisation fonctionne via un processus incessant de construction et de destruction de sens, opéré par des individus impliqués dans un ensemble d’interactions sociales. L’organizing est composée de séquences de comportements interreliés, nommés « double interact », s’agrégeant pour former un processus plus large (Koenig, 1996 ; Giordano, 2006). 184
Weick (1995) utilise l’expression « a parliament of selves » (un parlement de soi) pour caractériser cette pluralité. Koenig (1996, p. 59) souligne que « le nombre de « soi » auxquels l’individu a accès conditionne sa
capacité à donner du sens aux situations » et que, finalement, « plus grande est la variété de « soi » et moins
l’individu court le risque de se trouver déconcerté ».
157
personne avec son environnement. Dans l’interaction, se produit une représentation de
l’environnement conforme à ce que la personne souhaite être ou paraître (Vidaillet, 2006,
p.100). L’individu entretient ainsi une relation d’interdépendance avec son environnement, le
subissant et le façonnant à la fois (Weick, 1995).
2) Il est rétrospectif. Weick s’oppose à la position conventionnelle en théorie des
organisations qui envisage la création de sens dans une logique prospective. Il emprunte à la
théorie de la dissonance cognitive ainsi qu’à l’ethnométhodologie développée par Garfinkel
(1967, cité par Koenig, 1996) le concept de rétrospection pour expliquer le sens de l’action.
Le processus de création de sens est appréhendé comme « un processus d’attention, dirigé
vers ce qui s’est déjà produit, et fortement influencé par le moment présent, du fait de la non-
détermination a priori des éléments mémorisés » (Vidaillet, 2003, p. 122).
3) C’est un « Enactment ». Il s’agit là d’un concept central pour Weick. La réalité est
envisagée comme un processus de construction sociale. Via le processus de sensemaking, les
individus contribuent à « activer » l’environnement (Koenig, 1996) dans lequel ils évoluent,
et parallèlement, sont influencés par ce dernier dans leurs créations de sens et leurs actions.
Vus sous cet angle, la réalité et l’environnement ne sont pas acquis une fois pour toutes, mais
font l’objet de constantes redéfinitions (Maurel, 2010). Etant donné son importance dans la
compréhension de la pensée Weickienne, ce concept fera l’objet d’un développement
spécifique dans le paragraphe suivant.
4) Il est social. L’activité de création de sens n’est jamais solitaire, elle implique
toujours plusieurs individus. Weick (1995, p. 40) est, à ce sujet, très clair : “ La construction
de sens n’est jamais solitaire parce que ce que fait une personne intérieurement dépend des
autres ” 185. Par le jeu des interactions, les individus vont confronter leurs différents points de
vue et articuler des compréhensions partielles de la réalité (Karsenty et Quillaud, 2011) afin
de créer du sens. La coordination des actions au sein de l’organisation et, donc, la capacité
collective à agir deviennent possibles (Vidaillet, 2003).
5) Il est continu (« Ongoing »). Cette propriété tient au fait que le processus de
sensemaking ne peut être daté. Il n’a pas de début ni même de fin. “ Les gens sont toujours au
milieu des choses, lesquelles deviennent choses, que lorsque ces mêmes personnes se
185
“Sensemaking is never solitary because what a person does internally in contingent on others”, traduit de l’anglais par nos soins.
158
concentrent sur le passé à partir d’un point postérieur ” 186 (Weick, 1995, p. 43). L’individu
puise en permanence dans un flux informationnel et expérientiel continu, dynamique et
complexe (Vidaillet, 2003), pour donner du sens aux situations. Il est plongé dans un courant
d’ « événements en cours 187 » auquel il ne peut s’abstraire, s’arrêter pour analyser, ou
réfléchir. Celui-ci « ne s’interrompt jamais » (Rojot et Wacheux, 2006, p. 132). Comme nous
le rappelle Koenig (2003, p. 19), on retrouve dans cette propriété, l’idée chère aux
interactionnistes, à savoir la présence d’une « vie sociale » devant se comprendre « comme un
processus continu de communication, d’interprétation et d’adaptations mutuelles ».
6) Il est sélectif. Pour créer du sens, les individus commencent par choisir dans leur
environnement des indices188. Ces derniers sont isolés des autres par l’attention qui leur est
portée et leur sélection est opérée de manière largement subjective (Laroche et Steyer, 2012).
Ces « points de repères » extraits d’un volume considérable d’informations, d’un monde
« inconnaissable », « imprédictible » (Rojot et Wacheux, 2006), alimentent « de manière
sélective leurs processus de compréhension » (Vidaillet, 2003, p. 123) et guident leurs
actions. Chaque individu dresse un tableau de la réalité qui lui est propre.
7) Il poursuit la plausibilité plutôt que l’exactitude. Cette dernière propriété renvoie
au fait que, dans l’exercice du sensemaking, l’individu « est plus guidé par la recherche de
cohérence, de satisfaction, et de plausibilité de ce qui est élaboré, que celle de précision,
d’optimalité et d’exactitude » (Vidaillet, 2003, p. 123). Koenig (2003, p. 20) souligne que
seule une « réduction simplificatrice » permet à l’individu d’éviter d’être submergé par le flux
des données. De cette manière, l’action ne se trouve pas bloquée dans la tentative d’une
représentation qui, « pour être précise, ne peut être qu’obsolète ».
Ces sept propriétés dessinent les contours du processus de sensemaking. Elles ont le
mérite de mieux le faire comprendre, tout en respectant sa complexité (Vidaillet, 2003). Une
fois ces propriétés définies et leurs interdépendances soulignées, Weick (1979, 1993) suggère
d’approcher ce processus à travers un modèle en trois phases : « Enactment, Selection,
Retention ».
186
« People are always in the middle of things, which become things, only when those same people focus on the
past from some point beyond it », traduit de l’anglais par nos soins. 187
Rojot et Wacheux (2006) insistent sur le fait que ce courant d’événements constitue le monde de l’individu, mais que ce dernier ne peut le maîtriser, ou tout simplement le comprendre, en raison de sa trop grande complexité, d’où le recours à l’interaction en face à face avec les autres pour tenter de rester « en contact » avec ce « monde » (Laroche et Steyer, 2012). 188
Weick dénomme cette action « bracketing » que l’on peut traduire par « mise entre parenthèses ».
159
1.2.1.1.2.) Le modèle E-S-R.
A partir des différents éléments caractérisant initialement le processus d’organizing,
Weick (2001) développe le modèle E-S-R : « Enactment-Selection-Retention » pour expliquer
le processus de sensemaking. S’inspirant volontairement de l’approche Darwinienne, l’auteur
propose une modélisation sous les traits de la sélection naturelle 189 (Koenig, 1996). A
l’origine du processus de sensemaking, se trouve le changement écologique. Ce dernier
génère de l’équivocité chez les acteurs qui vont chercher dans des cycles d’interactions à
mieux comprendre ce qui se passe autour d’eux. Plus les individus sont déconcertés par la
situation, plus les cycles d’interactions sont nombreux, car les règles de fonctionnement
habituelles ne s’appliquent pas. Le niveau d’équivocité perçue, le nombre de règles existantes
utilisées et le nombre de cycles d’interactions nécessaires pour donner du sens entretiennent
des relations inverses. Lorsque l’équivocité perçue d’un phénomène est peu importante, les
individus emploient largement les règles existantes (ou d’assemblage du processus190), ce qui
induit un nombre d’interactions faible. A l’inverse, lorsque l’équivocité perçue est importante,
les règles existantes ne suffisent plus pour interpréter la situation, les individus recourent aux
interactions avec les autres pour créer du sens et réduire l’équivocité. La dynamique du
processus de construction de sens est présentée par la figure suivante.
Figure 18 - Dynamique du processus de construction de sens
Source : d’après Weick (1979, p. 117).
189
Weick conditionne la pérennité de l’organisation à son adaptation constante et répétée. 190
Allard-Poesi (2003, p. 101) définit les règles d’assemblage comme « des procédures ou instructions utilisées
couramment dans l’organisation pour sélectionner les cycles d’interactions pertinents pour traiter l’information
et, par ce biais, créer un processus ».
Equivocité perçue
Règles existantes Nombre d’interactions
- -
-
160
Weick développe une conception singulière du changement, s’inscrivant encore une fois
à contre-pied de la pensée traditionnelle191. La théorie du sensemaking, d’ailleurs de plus en
plus sollicitée dans les études sur le changement organisationnel (Rouleau, 2005), envisage ce
dernier non pas comme un accident, mais comme étant continuellement présent dans la vie
des organisations. Le changement est quotidien, omniprésent, prenant la forme d’adaptations
et d’ajustements aboutissant à des situations de « microstabilités ». Néanmoins, certains
changements vont davantage retenir l’attention des individus et susciter la volonté de réduire
l’équivocité perçue. Ces « occasions », propices à l’élaboration de sens, sont généralement
issues de l’interruption, d’un choc émotionnel ou encore de l’arrivée d’un élément nouveau
(Weick, 1995). Un événement extérieur (changement écologique) provoquera le phénomène
d’Enactment, lui-même suivi d’une phase de Selection, puis de Retention. La boucle de
rétroaction entre Changement écologique et Enactement illustre l’action de ce dernier sur
l’environnement. Les boucles de rétroaction positives et négatives provenant de la phase de
Retention expliquent, quant à elles, les effets possibles de cette dernière étape sur les
précédentes. Le modèle E-S-R. est présenté par la figure suivante.
Figure 19 - Le modèle E-S-R.
Source : Weick (1979, p. 132).
1.2.1.1.2.1.) Enactment
L’individu, confronté à une situation équivoque, cherchera à donner du sens au contexte
dans lequel il évolue. Weick utilise le terme d’« Enactment » 192 pour caractériser cette
activité. Il se justifie de la manière suivante : “ J’utilise le mot enactement pour préserver le
191
Nous renvoyons le lecteur à notre tableau sur les différentes approches du changement développées précédemment. 192
Différentes traductions françaises sont apparues au cours du temps avec : « activation », « mise en scène », « mise en acte », « promulgation ».
(+,-)
Changement
écologique
Enactment Selection Retention + + +
(+,-)
+
161
fait que, dans la vie organisationnelle, les gens produisent une partie de l’environnement
auquel ils font face (…). J’aime le mot, car il suggère qu’il existe des parallèles étroits entre
ce que les législateurs font et ce que font les gestionnaires. Les deux groupes construisent la
réalité par des actes d’autorité ” 193 (Weick, 1995, p. 31). Ou encore : “ Le terme
“enactment” est utilisé pour conserver le point central que lorsque les gens agissent, ils
apportent des événements et des structures à l’existant et les mettent en mouvement ”194
(Weick, 1988, p. 306). Pour Orton (2000, p. 231), l’enactment doit être vu comme « le
processus par lequel des membres de l’organisation créent un flux d’événements et focalisent
l’attention dessus». L’auteur poursuit : l’enactment « brouille les traditionnelles distinctions
entre les environnements et les organisations ». En effet, les membres de l’organisation sont
constamment en train de « traduire des morceaux de l’environnement dans l’organisation et
d’injecter des mesures organisationnelles au sein de l’environnement » 195 . Dans cette
perspective, l’environnement n’apparaît pas comme “donné”, mais “construit” par l’acteur.
L’enactment désigne tout à la fois, le processus de création des idées, des structures et de
l’environnement devenant réel à travers l’action et, en même temps le résultat de ce
processus, c'est-à-dire un environnement « enacté ». Pour Koenig (1996, p. 65), cette activité
revient « soit à délimiter une fraction du flux d’expériences que connaît l’organisation et à
attirer l’attention dessus, soit à entreprendre une action qui provoque un changement
écologique de nature à contraindre l’activité ultérieure de l’acteur ». L’enactment est donc
assimilable à un « processus en boucle ». L’individu percevant une variation dans son
environnement, sélectionne des indices, les interprète individuellement, puis confronte ses
interprétations au collectif. Les actions ensuite engagées modifient l’environnement,
« influençant ainsi indirectement la conduite ultérieure de l’organisation » (Autissier,
Vandangeon-Derumez et Vas, 2010).
193
« I use the word enactment to preserve the fact that, in organizational life, people often produce part of the
environment they face (…). I like the word because it suggests that there are close parallels between what
legislators do and what managers do. Both groups construct reality through authoritative acts », traduit de l’anglais par nos soins. 194
« The term “enactment” is used to preserve the central point that when people act, they bring events and
structures into existence and set them in motion », traduit de l’anglais par nos soins. 195
Traduit par nous-même de l’anglais : « Enactement is defined (…) as the process in which organization
members create a stream of events that they pay attention to. Enactement blurs the traditional distinctions
between environments and organizations. Organization members are constantly translating pieces of the
environment into the organization and injecting organizational actions into the environment » (Orton, 2000, p. 231).
162
1.2.1.1.2.2.) Selection
Les multiples indices extraits de l’environnement génèrent de l’équivocité. La sélection
consiste pour l’individu à choisir, parmi toutes les interprétations possibles, celles justifiant au
mieux des actions à privilégier. L’individu puise dans son vécu et ses expériences passées afin
d’appliquer des schémas explicatifs (Weick, 1995 ; Koenig, 1996) réduisant provisoirement
cette équivocité. Weick, Sutcliffe et Obstfeld (2005, p. 414), tout en rappelant le caractère
incertain et provisoire de l’opération, résument le processus de sélection ainsi : « Le nombre
de significations possibles se réduit dans le processus organisant de la sélection. Ici une
combinaison d’attention rétrospective, de modèles mentaux, et leur articulation réalise une
réduction de la matière narrative mise entre parenthèses et génère une histoire localement
plausible. Quoique plausible, l’histoire qui est choisie est aussi expérimentale et provisoire » 196. Citant les travaux de Weick (1990) sur l’analyse d’une collision entre deux avions à
Tenerife en 1977197, Laroche et Steyer (2012, p. 7) relèvent le caractère faillible du processus
de sélection. L’individu peut ne pas repérer un indice décisif ou, au contraire, attacher trop
d’importance à un autre le menant ainsi « à lire la situation à travers un « guide » inadéquat,
lui faisant perdre le contact avec le « monde » ». Malgré les caractères incertain, faillible,
relatif et plausible des éléments retenus, l’individu les considère comme réels et existants en
soi et agit en fonction de cette réalité (Vidaillet, 2003).
1.2.1.1.2.3.) Retention
La rétention consiste à retenir, mémoriser les solutions efficaces qui résultent de la
création de sens. « Une fois activé et interprété, un segment d’expérience peut être stocké et
servir pour des actions et des interprétations ultérieures » (Koenig, 1996, p. 65). Les
différents segments ainsi stockés participent à l’enrichissement des cartes cognitives et à
l’élargissement des répertoires de connaissances (Maurel, 2010). Si le processus de rétention
est nécessaire, Koenig (1996, p. 66) met en garde contre un « mauvais dosage » dans
l’opération. Ainsi, une trop grande mémorisation freine la prise en considération des
variations de l’environnement, alors qu’une trop faible rétention, c’est-à-dire une trop forte 196
« The number of possible meanings gets reduced in the organizing process of selection. Here a combination
of retrospective attention, mental models, and articulation perform a narrative reduction of the bracketed
material and generate a locally plausible story. Though plausible, the story that is selected is also tentative and
provisional ”, traduit de l’anglais par nos soins. 197
Le 27 Mars 1977, deux gros porteurs sont détournés de leur destination finale (l’aéroport de Las Palmas- Canaries) pour cause d’alerte à la bombe. Ils atterrissent tous les deux, pour quelques heures, à l’aéroport de Ténérife. Au moment du décollage et malgré les recommandations de la tour de contrôle, les avions entrent en collision provoquant la mort de 583 passagers et membres d’équipage.
163
capacité à repérer les modifications et à s’y adapter, « menace l’identité et la continuité de
l’organisation ».
Le modèle E-S-R. est fondamental à la théorie de l’organizing et du sensemaking. Il
présente la vie sociale comme un processus ininterrompu d’échanges, d’interprétations et
d’ajustements dans les actions entre individus. Il fait comprendre le changement comme un
construit collectif opéré par les différents acteurs dans une logique de fabrication inductive
(Autissier, Vandangeon-Derumez et Vas, 2010). Il arrive cependant que la construction se
bloque, de telle sorte que l’action devienne impossible. Un changement mal maîtrisé conduit à
un effondrement de sens et, dans certains cas, à une disparition pure et simple de
l’organisation. Divers travaux entrepris par Weick (1993, 2010)198 mettent effectivement en
évidence la grande vulnérabilité des organisations. Dans son célèbre article portant sur la
catastrophe de Mann Gulch, l’auteur écrit à ce sujet : « ce qui maintient en place une
organisation est peut-être plus ténu que ce que nous pensons » (Weick, 1993, traduit par
Laroche, 2003). Il suffit « de presque rien pour qu’une interaction se rompe, pour qu’une
organisation se défasse » (Koenig, 2003, p. 33).
1.2.1.2.) D’une situation de changement à la constitution et au maintien d’un système d’actions organisées
Le changement écologique est donc à l’origine du processus de sensemaking (Weick,
1979). Certains événements surprennent les acteurs organisationnels et retiennent leur
attention. A travers des flux d’interactions, ces derniers cherchent à réduire l’équivocité
causée par la nouvelle situation. La surprise, l’interruption, un choc émotionnel, l’arrivée d’un
élément nouveau, sont autant d’occasions pour une organisation de recréer ou de perdre du
sens. Afin que le changement ne conduise à une érosion (Weick, 1993) ou, pire encore, à un
effondrement de sens, il faut veiller à maintenir, puis développer un système d’actions
organisées et s’assurer que les moyens permettant de reconstruire du sens soient toujours
opérationnels (Autissier, 2008). Plusieurs facteurs favorisant la résilience de l’organisation
sont à prendre en considération.
198
Nous pensons ici à l’article de 1993 portant sur l’incident de Mann Gulch (Etats-Unis, 5 Août 1949) où 13 pompiers complètement désorganisés périrent dans un violent incendie, ou encore à l’article de 2010 consacré à l’incident de Bhopal (Inde, 3 décembre 1984) où un état de confusion entre opérateurs provoqua une explosion dans une usine de pesticides et la mort de 3500 à 25000 personnes selon les estimations.
164
1.2.1.2.1.) Surprise, nouveauté et équivocité
L’enactement est un processus de construction sociale de la réalité. La complexité de
l’environnement contraint l’individu à ne retenir qu’une version simplifiée, compréhensible
de la réalité. L’environnement « énacté » est le seul connu, le seul plausible, et dans lequel il
devient possible d’agir, d’où le sentiment de surprise lorsque ce monde se révèle différent du
monde réel (Laroche et Steyer, 2012). Plus la situation se montre nouvelle, moins les
solutions connues sont efficaces et plus l’engagement dans un processus de sensemaking est
important. Cette règle semble s’appliquer fréquemment au sein des organisations de petites
tailles199. Pour Weick (1993, p. 633), celles-ci sont enclines à de soudaines pertes de sens, à
« des surprises fondamentales (Reason, 1990), des événements inconcevables (Lanir, 1989),
cachés (Westrum, 1982) ou incompréhensibles (Perrow, 1984) ». Pour lui, il ne fait aucun
doute, la cause de l’absence de signification de l’événement est à rechercher dans sa faible
probabilité d’occurrence. Ce qui est important, c’est qu’une telle période de la vie de
l’organisation ne se transforme pas en « épisode cosmologique ». Celui-ci survient lorsque les
individus prennent soudainement conscience que l’univers dans lequel ils évoluent, n’est plus
un système rationnel et ordonné. Dans cette situation extrême, l’événement devient
dramatique, car « le sens de ce qui se passe s’effondre en même temps que les moyens de
reconstruire ce sens » (Weick, 1993, p. 633).
La surprise et la nouveauté rendent donc la situation équivoque. Ce qui conduit à cette
situation délicate et inconfortable, c’est que les cadres de lectures (ou règles de
fonctionnement) habituels des individus ne suffisent plus à expliquer ce qui se passe. La
situation devient confuse. Les individus vont chercher, à travers l’interaction, à réduire leurs
multiples interprétations. Pareille pratique permet aux membres de l’organisation « de se
mettre d’accord sur les éléments qu’ils retiennent de la situation et sur les liens qu’ils font
entre ces éléments » (Vidaillet, 2003, p. 43). L’objectif est d’obtenir une représentation
suffisamment stable de la situation propice à la coordination de l’action. L’équivoque fait
naître un besoin individuel, puis collectif 200 , de donner du sens à la situation vécue.
L’important n’est pas de construire un sens commun, parfaitement partagé (Laroche et Steyer,
199
L’auteur utilise le terme « minimal organizations » pour qualifier l’équipe de 16 pompiers intervenant lors de l’incendie de Mann Gulch (Weick, 1993, p. 633). 200
L’élaboration de sens est avant tout une manifestation collective reposant sur la participation coordonnée d’au moins deux personnes (Koenig, 1996).
165
2012), mais d’articuler les sens construits individuellement pour coordonner l’action et
maintenir un système d’actions organisées.
1.2.1.2.2.) Construction collective de sens et maintien d’un système d’actions organisées
La construction collective de sens (collective sensemaking) est analysée par Weick
(1979) à partir de séquences d’interactions entre deux personnes ou plus. Deux niveaux
d’analyse sont retenus : au niveau dyadique et/ou du groupe. L’auteur structure son
raisonnement à partir de la description de deux types de structures de comportements
interreliés.
(1) La structure d’équivalence mutuelle (mutual equivalence structure201) (figure 20)
traduit l’échange d’actions au niveau dyadique et se manifeste « lorsqu’une action de
consommation d’un individu dépend d’un acte instrumental d’un autre individu, dont l’acte
de consommation dépend lui-même de l’acte instrumental du premier » (Vidaillet, 2003, p.
181). Pour Weick, dès lors que les deux protagonistes ont conscience que leurs actes
instrumentaux sont la cause des actes consommatoires de l’autre, l’interaction double entre a1
et b1 suffit à la création d’une structure d’équivalence mutuelle. La prévision de l’action de
l’autre devient suffisante au maintien d’un système d’actions collectives ; « si je fais a1, B
fera b1, si je fais b1, A fera a1 » (Allard-Poesi, 2003, p. 96).
Figure 20 - Structure d’équivalence mutuelle
1) Actes instrumentaux
2) Actes consommatoires
Source : Allard-Poesi (2003, p.95, tiré de Weick, 1979, p. 98).
201
Weick utilise cette notion préalablement définie par Wallace dont il cite les travaux.
Individu A Individu B
a1
a2 b2
b1
166
(2) La structure collective (collective structure 202 ) constitue une modélisation du
processus de construction de l’action au niveau du groupe. Weick (1979) utilise la notion de
structure collective pour expliquer la formation du groupe. Ce dernier est composé
d’individus agissant ensemble non pas « parce qu‘ils ont des besoins, des valeurs ou des
objectifs communs, mais parce que chacun croit qu’il peut tirer un bénéfice de l’autre et a
une vision similaire de celle des autres membres des moyens pour y parvenir » (Allard-Poesi,
2003, p. 96). Dans cette perspective, le groupe n’existe que parce qu’il y a convergence
d’intérêts se traduisant « par une convergence des visions des moyens à mettre en œuvre »
(Vidaillet, 2003, p. 181).
Les deux types de structures retenues par Weick pour son analyse induisent que même
si les acteurs organisationnels entretiennent des liens minimaux et disposent de
représentations individualisées et différenciées de la réalité, l’action organisée est possible dès
lors qu’ils possèdent une vision commune des moyens à mobiliser en vue de satisfaire leurs
intérêts personnels (Allard-Poesi, 2003, p. 97). La construction collective de sens prend forme
progressivement à travers l’interaction entre individus. Même s’il s’agit d’un processus
collectif, il n’est pas question de construire un sens commun, parfaitement partagé par les
membres de l’organisation203, mais d’arriver à articuler les constructions individuelles pour
réussir à coordonner les actions (Laroche et Steyer, 2012). De cette manière, peut se
constituer et se maintenir « un système d’actions organisées » (Allard-Poesi, 2003, p. 100).
Face à un changement écologique, fortement équivoque, les exemples tirés des travaux de
Weick démontrent le caractère fragile du processus de construction collective de sens. Les
organisations sont vulnérables, la désorganisation n’étant pas si rare dans la vie quotidienne
d’un groupe (Weick, 1993). L’auteur préconise de développer quatre sources de résilience que
nous présentons ci-dessous (point 1.2.1.2.3.1.).
1.2.1.2.3.) La résilience des organisations à favoriser
Pris dans son acception première, la résilience fait référence à la capacité d’un matériau
à résister et à absorber un choc élevé. Sur un plan psychologique, il s’agit de « la capacité
d’une personne ou d’un groupe à bien se développer, à continuer à se projeter dans l’avenir
en dépit d’événements déstabilisants, de conditions de vie difficiles, de traumatismes parfois
sévères » (Cyrulnik, Manciaux, Vanistendael, Lecompte, 2001, p. 17). Au niveau 202
Cette notion est, quant à elle, tirée des travaux d’Allport (1962). 203
Weick (1979) insiste sur le fait que le partage d’une vision, d’aspiration ou d’intention n’est pas nécessaire à l’action collective.
167
organisationnel, on peut la concevoir comme : « la capacité d’un groupe à éviter des chocs
organisationnels en construisant des systèmes d’action et d’interaction continus destinés à
préserver les anticipations des différents individus les uns par rapport aux autres » (Vidaillet,
2003, p. 180). De son analyse concernant l’incendie de Mann Gulch, Weick (1993) retient
quatre sources de résilience organisationnelle. Pour l’auteur, augmenter le niveau de cette
résilience permettrait d’éviter la désintégration du groupe et l’effondrement conjoint du sens
et de la structure lors d’un changement écologique.
1.2.1.2.3.1.) Les quatre facteurs pour une organisation résiliente
Ø L’improvisation et le bricolage : les individus confrontés à une situation inhabituelle,
qui s’embrouille (Weick, 1993), tendent paradoxalement à se replier sur des solutions
déjà connues. Les réponses comportementales acquises par le passé sont mobilisées alors
que la nouvelle situation exige, le plus souvent, des agissements nouveaux. Pour Weick
(1993, p. 639), les « bricoleurs » sont ceux qui, face à ce type de situation, restent
créatifs, capables d’improviser de nouvelles solutions avec les moyens à leur disposition,
même sous la pression ; « les bricoleurs restent créatifs sous la pression, précisément
parce qu’ils agissent régulièrement dans des conditions chaotiques et tirent l’ordre
d’eux-mêmes » 204. Les capacités d’improvisation et de bricolage qu’ils ont développées
leur permettent de se servir des matériaux qu’ils ont sous la main, de les assembler
différemment pour apporter des solutions inédites.
Ø Les systèmes de rôles virtuels : ce deuxième facteur de résilience renvoie à la
construction de l’identité individuelle, processus sur lequel repose le sensemaking. Pour
se connaître, les individus ont besoin de projeter leur identité dans un environnement
afin d’en observer les conséquences (Roux-Dufort, 2003). Fidèle à ses inspirations
interactionnistes, Weick (1995) conçoit l’identité individuelle comme le fruit des
processus d’interaction. Celle-ci n’est pas unique, intégrative, mais « faite d’une
multiplicité de soi » entre lesquels les individus circulent en fonction des interactions
auxquelles ils participent (Koenig, 1996, p. 59). Pour Weick, plus grande est la variété
des rôles auxquels les individus ont accès, meilleure sera leur capacité à donner du sens
et leur adaptation à l’environnement. De ce fait, si la survenue d’un événement fortement
équivoque vient ébranler le système de rôles réels, un système de rôles virtuels (virtual
role systems) peut néanmoins continuer à « faire fonctionner le groupe » dans l’esprit 204
« Bricoleurs remain creative under pressure, precisely because they routinely act in chaotic conditions and
pull order out of them », traduit de l’anglais par nos soins.
168
des individus et guider leurs actions. Chaque personne prend en charge mentalement les
différents rôles et devient à elle seule un groupe (Weick, 1993, p. 640).
Ø La sagesse comme attitude : il s’agit de la troisième source de résilience définie par
Weick (1993, p. 641). Ce dernier emprunte à Meacham (1983, p. 187) la définition
suivante : « Etre sage, ce n’est pas savoir certains faits mais savoir sans confiance ni
prudence excessives. Ainsi, la sagesse n’est pas une croyance, une valeur, un ensemble
de faits, un corps de connaissance ou d’informations dans quelque domaine spécialisé,
pas plus qu’un ensemble de capacités ou de compétences spéciales. La sagesse est une
attitude que certaines personnes adoptent envers les croyances, valeurs, connaissances,
informations, capacités et compétences admises, c’est une tendance à douter que celles-
ci soient nécessairement vraies ou valides, et à douter qu’il y ait un ensemble complet de
ces choses qu’on puisse connaître » (Weick, 1993, p. 641, traduit par Laroche, 2003, p.
73). Ainsi, une confiance ou une prudence excessive est néfaste à la curiosité, à
l’ouverture et au discernement complexe, éléments dont les organisations ont le plus
besoin en période de changement (Weick, 1993).
Ø L’interaction respectueuse : l’interaction est l’élément de base du processus de
sensemaking. Elle permet aux individus de se mettre d’accord, de stabiliser leurs
représentations, puis d’agir même lorsque la situation se trouble. Si l’interaction permet
l’échange de subjectivité, elle n’est pas, à elle seule, suffisante à l’action coordonnée.
Quelques qualités doivent lui être adjointes. Weick lui associe, en effet, le qualificatif de
« respectueuse » pour souligner l’importance de la confiance, de l’honnêteté et du
respect de soi comme ingrédients supplémentaires (Roux-Dufort, 2003) pour
reconstruire des liens cohérents dans « une vie harmonieuse avec autrui » (Weick, 1993,
p. 634). L’interaction respectueuse dépend de l’intersubjectivité (Wiley, 1988, p. 258,
cité par Weick, 1993, p. 642), elle-même définie par deux caractéristiques : « (1)
l’intersubjectivité émerge de l’échange et de la synthèse des interprétations entre deux
entités communicantes (communicating selves) ou plus, et (2) l’entité ou le sujet est
transformé pendant l’interaction de sorte que se développe une subjectivité conjointe ou
fusionnée » (Weick, 1993, traduit par Laroche, 2003, p. 74). L’auteur insiste sur
l’importance des interactions en « face à face » comme unique solution pour s’adapter à
un changement rapide. Dans des situations fortement équivoques, lorsque la structure
formelle s’effondre, additionnées à la confiance, au respect et à l’honnêteté, elles
favorisent le maintien ou le renouvellement du système de rôles.
169
1.2.1.2.3.2.) L’influence du processus de structuration
En situation de changement, la capacité de résilience d’une organisation dépendra du
processus de structuration. S’appuyant sur les travaux de Giddens (1984), Weick (1993)
perçoit la structuration comme un « dispositif complexe » composé de deux éléments et de
leurs relations : la structure informelle (sens) et le cadre formel (configuration ou cadre). Le
premier est constitué « de formes d’interaction qui stabilisent la signification (meaning) en
créant des schèmes d’interprétations partagés » (Weick, 1993, traduit par Laroche, 2003, p.
77). Les différents mécanismes d’interactions permettent le partage des interprétations et la
stabilisation du sens (Koenig, 2003). Le second renvoie à un cadre composé de rôles, règles,
procédures, activités configurées et relations d’autorité qui reflètent et facilitent les
significations (Weick, 1993). Celui-ci, également désigné sous le terme de cadres structurels
de contraintes (structural frameworks of contraints), procure aux individus un cadre de
référence pour mener leurs actions. Le cadre donne ainsi corps aux manières de penser
dominantes et permet d’épargner beaucoup d’efforts d’interprétation (Koenig, 2003). Ce qui
est important pour Weick, c’est que ces deux éléments (cadre et sens) s’influencent
mutuellement à travers des boucles de rétroactions positives qui peuvent être vertueuses ou,
au contraire, désastreuses. Ainsi, si plus de significations aboutissent à un cadre plus adapté
duquel découle plus de sens, la relation inverse est aussi vraie : « moins de significations
partagées conduisent à des cadres moins élaborés, puis à moins de sens, puis à des cadres
moins élaborés, et ainsi de suite » (Weick, 1993, p. 645).
Afin d’éviter que le processus de structuration liant cadres et sens ne se détruisent l’un
l’autre, Weick (1993, p. 645) préconise, tout en conservant une relation directe entre les deux
éléments, de créer une relation inverse : « moins de sens, plus de structure, et vice versa ».
Ainsi, « quand le sens devient problématique et s’affaiblit, cela fonctionne comme un signal
adressé aux hommes pour qu’ils allouent plus d’attention à leurs liens sociaux formels et
informels et pour qu’ils les réaffirment et/ou les reconstruisent. Ces actions produisent plus
de structure, ce qui renforce le sens, ce qui allège alors l’attention allouée à la structure. La
perplexité intensifie l’attention au social, ce qui réduit la perplexité » (Weick, 1993, traduit
par Laroche, 2003, p. 79). Lorsqu’il s’agit d’un changement au niveau de la structure, moins
de structure conduit à plus de sens, et plus de sens génère alors plus de structure. L’auteur
fournit l’explication suivante : « quand les liens sociaux se détériorent, les gens font des
efforts pour comprendre par eux-mêmes ce qui se passe, à la fois au niveau social et dans le
170
monde matériel. Ces opérations augmentent le sens, ainsi que la tendance à mettre la
structure en cohérence avec une signification affinée. L’isolement intensifie l’attention à la
signification, qui réduit l’isolement » (Ibid., p. 79). Dans les deux cas, ce qui favorise la
résilience de l’organisation, c’est l’oscillation entre l’attention portée aux cadres et l’attention
portée aux significations comme le montre la figure suivante.
Figure 21 - L’oscillation entre attention portée aux cadres et attention portée aux significations
Source : d’après Weick (1993).
1.2.2.) La RPP d’une TPE vue comme un changement écologique
L’arrivée d’un nouveau dirigeant constitue un véritable choc pour l’organisation, un
changement organisationnel majeur (Boussaguet, 2005). Les salariés, habitués à agir dans un
environnement « énacté », seul connu et possible, sont confrontés à une interruption, à un
élément nouveau qu’il faut interpréter pour agir de manière opportune. La théorie du
sensemaking apporte un éclairage orignal sur les conséquences de ce type de changement sur
le processus organisationnel. Elle constitue également un cadre d’analyse particulièrement
riche pour appréhender les spécificités des TPE, et le fonctionnement d’un petit groupe
d’individus confrontés à une situation inhabituelle. Cette approche invite à concevoir l’arrivée
d’un nouveau dirigeant comme un « changement écologique » propice à la (re)construction de
sens.
1.2.2.1.) Les apports du sensemaking à notre recherche
La théorie du sensemaking permet d’entrevoir sous un angle nouveau les effets du
changement de dirigeant sur l’organisation (1). Elle donne également des pistes pour mieux
Sens
Attention aux cadres
Attention aux sens
Structure Attention aux sens
Attention aux cadres
Attention aux cadres
Attention aux sens Structure
Sens
Attention aux cadres
Attention aux sens
171
comprendre le fonctionnement des TPE, en tant que petits groupes d’individus, face à une
situation fortement déstabilisante (2).
1.2.2.1.1.) Des explications aux effets du changement de dirigeant sur l’organisation
1.2.2.1.1.1.) Une situation nouvelle et fortement équivoque
« Dès qu’on a su, on s’est tout de suite demandé pourquoi ils [les cédants] avaient
vendu. On ne savait rien de Mr P. [Repreneur]! Est-ce qu’il voulait changer quelque chose ?
On était super inquiets, surtout, on se demandait s’il allait garder notre fonctionnement et si
on n’allait pas changer de poste ? (…) On s’est dit qu’en principe, quand il y a un nouveau
patron, il aime bien organiser les choses à sa façon. Là, pendant un moment, c’est quand
même difficile à vivre, on est vraiment dans le flou !» (Salariée P.P.). Comme nous le montre
cet extrait d’un témoignage d’un salarié « repris », l’arrivée d’un nouveau dirigeant, même
lorsqu’elle est annoncée, suscite au sein de l’organisation de nombreuses questions auxquelles
il est difficile de répondre. La nouveauté de la situation ainsi que les intentions de cet inconnu
font l’objet de vives inquiétudes, de spéculations, de multiples interprétations que les
individus vont chercher à préciser dans l’interaction. Ainsi, au même titre que la catastrophe
de Mann Gulch, nous considérons qu’il s’agit d’un événement déstabilisant, un « changement
écologique » générateur d’équivocité. Il impacte la vie des individus, particulièrement des
salariés, leurs relations et révèle la vulnérabilité des organisations. L’organisation s’enfonce
dans une période faite d’inattendu, d’incertitude, de transition de rôles, contexte généralement
très favorable à l’avènement d’un processus de sensemaking (Louis, 1980). Dans pareille
situation, des actions sont généralement entreprises pour éviter tout effondrement de sens.
Ceci prend la forme d’un véritable travail de (re)construction de sens de la part des acteurs. Si
l’arrivée d’un repreneur constitue une situation inconfortable pour les salariés, elle l’est tout
autant pour le repreneur qui, à ce stade, se pose lui aussi beaucoup de questions. Pour tous, il
s’agit d’une situation angoissante, déstabilisante, émotionnellement intense, requérant de
s’investir dans un travail d’éclaircissement. L’objectif consiste à ne pas perdre les repères
nécessaires à la coordination et à l’action. Placés devant cet événement qui les dépasse, les
membres de l’organisation (anciens et nouveaux) vont puiser dans des flux d’indices, et tenter
d’élaborer des réponses aux questions : « Que se passe-t-il ? » et « Que dois-je faire ? »
(Weick, Sutcliffe et Obstfeld, 2005). La qualité des réponses apportées favorisera ou non la
résilience de l’organisation. En ce qu’elle permet d’expliquer l’effet perturbateur du
changement sur l’organisation, la théorie du sensemaking est très utile à notre recherche. Le
172
changement de dirigeant est un événement inhabituel qui vient bousculer un environnement
enacté dans l’esprit des individus. La multiplicité des interprétations rend la situation
équivoque. Plus la situation est nouvelle et inattendue, ce qui est généralement le cas d’une
reprise, plus le choc sera important. Elle nécessitera, de ce fait, une remise en cause profonde
des solutions déjà connues et la mise en place d’actions pour reprendre contact avec le monde
(Laroche et Steyer, 2012).
1.2.2.1.1.2.) Un impact sur le processus de structuration
Dans la perspective Weickienne, la structuration est composée de deux éléments et de
leurs relations : la structure informelle (sens) et le cadre formel (cadre). Si le premier joue le
rôle de stabilisateur dans les significations par la création de schèmes d’interprétations
partagés, le second, composé de rôles, règles, procédures, activités configurées et relations
d’autorité, procure aux individus un cadre de référence pour mener leurs actions. Vue sous cet
angle, l’entrée en fonction d’un nouveau dirigeant déstabilise le processus de structuration.
Elle agit à la fois sur le sens, en perturbant les significations partagées, et sur le cadre formel
par une redéfinition des rôles, des activités et des liens d’autorités entre acteurs. Le fait que
l’élément nouveau (le repreneur) se substitue à une pièce centrale de l’organisation, affaiblit,
plus encore le cadre de référence des individus qui y sont présents. Ceci peut se comprendre
par le fait que la personne ayant le plus influencé son édification n’est plus présente dans
l’organisation. Weick (1993) ayant démontré l’influence réciproque du cadre et du sens, il
devient impératif pour l’organisation, face à un changement affaiblissant la structure,
d’engager un travail sur les significations pour éviter que cadre et sens ne se détruisent l’un
l’autre. Parallèlement, l’analyse faite par Weick de la collision de Tenerife205 met en garde
contre une tentative d’un trop grand retour en force de la structure lors d’une situation de
changement. Dans une telle situation, le recours à plus de cadre formel (relations d’autorité,
procédures, règles, etc.) est susceptible d’étouffer l’organisant (Koenig, 1996, p.69). Toute
tentative pour un repreneur d’imposer un cadre formel d’une manière trop prégnante lors de
son entrée en fonction apparaît, dans cette perspective, périlleuse. Si cadre et sens présentent 205
L’accident mettant en cause deux avions de la PAN AM et de la KLM en 1977 (op.cit) est expliqué par Weick par un effondrement des dispositifs de coordination entre les acteurs, de nombreuses incompréhensions et une grande difficulté à maintenir des interactions, support d’une meilleure interprétation. L’importance du stress, juste avant l’accident, conduit à des comportements régressifs de la part des acteurs, chacun ayant tendance à se replier sur des attitudes et des cadres connus, mais inadaptés à la situation. Chose étonnante, dans le cockpit du Boeing de la KLM, le copilote avait le sentiment très fort qu’un autre avion était sur la piste. Mais adoptant un comportement de soumission, il décida de ne rien dire au commandant, ni de ses doutes ni du danger de la manœuvre (Weick, 1993). Dans ce cas précis, la structure reprend le dessus alors que l’interaction respectueuse, la critique égalitaire aurait été salutaire (Giordano, 2006).
173
des caractéristiques différentes (stable, transférable, amplement partagé pour le premier,
émergent, unique pour le second), ils ne peuvent être séparés (Allard-Poesi, 2003). Resituée
dans notre cadre de recherche, l’approche développée par Weick aboutit à une forte
recommandation à destination du repreneur. Ce dernier doit veiller à maintenir une « tension
dynamique et continue », une relation de complémentarité entre ces deux répertoires de
construction de sens de manière à réduire l’équivocité perçue de la situation et permettre la
coordination des comportements (Allard-Poesi, 2003). Koenig (1996, p. 69) voit dans cette
pratique un élément fondamental de la gestion des organisations206.
1.2.2.1.2.) Une compréhension du fonctionnement spécifique des TPE lors du changement de dirigeant
Dans ses nombreuses recherches, Weick privilégie l’étude en « gros plan » (Koenig,
2003, p. 20) de structures organisationnelles simples (Mintzberg, 1983, cité par, Weick, 1993,
p. 632) pour démontrer la vulnérabilité des organisations. Il nous gratifie, par la même
occasion, d’éléments de compréhension sur le fonctionnement spécifique des petites
structures (minimal organizations) en situation inhabituelle. L’analyse d’un incident mettant
en péril un petit groupe de pompiers (Mann Gulch), considéré par Weick comme une petite
organisation, est riche d’enseignement pour notre sujet de recherche. Si elle permet
d’entrevoir avec acuité le fonctionnement d’une structure simple en situation équivoque, elle
fournit de surcroît des explications quant à l’incidence de la petite taille sur des possibles
« soudaines pertes de significations » (Weick, 1993). L’importance du maintien de la
communication directe, de l’échange ininterrompu, aussi bien verbal que non verbal, en tant
que source capitale de coordination d’une équipe de taille réduite confrontée à un événement
complexe, ainsi que la fragilité des petites organisations y sont démontrées. L’analyse de
Weick met en évidence que les petites unités sont plus enclines à des soudaines pertes de sens
lors d’un changement majeur en raison de la « faible probabilité d’occurrence de
l’événement » (Weick, 1993). Au même titre que la petite équipe de pompiers, nous relevons
que la TPE se caractérise par une structure de rôles et un effectif limités. Elle se compose
généralement de deux à trois niveaux hiérarchiques ou « rôles »207 (Weick, 1993) et d’un
nombre maximal de dix personnes. En plus des incidences de la petite taille sur la réaction à
l’événement, illustrées par Weick, nous pensons que le faible nombre de participants induit un
nombre de cycles d’interactions permettant aux individus de « rétrécir le champ des
206
« Un aspect important du management consiste assurément dans la gestion constructive des exigences contradictoires qui sous-tendent la viabilité de nos systèmes organisationnels ». 207
Le dirigeant, un ou plusieurs éventuels responsables et les autres membres de l’équipe.
174
interprétations possibles d’un événement » (Allard-Poesi, 2003, p. 101) plus restreint qu’au
sein d’une entreprise de plus grande taille. Nous en concluons que le processus organisant,
duquel découlent une réduction de l’équivocité, puis le maintien d’un système d’actions
organisées, est plus impacté par un événement déstabilisant. Sortir de l’équivocité
situationnelle prend alors plus de temps.
1.2.2.2.) L’arrivée d’un nouveau dirigeant : un « changement écologique » propice à la (re)construction de sens
Si l’arrivée du repreneur à la tête de l’entreprise représente un risque pour l’entreprise
de voir se produire un effondrement de sens, elle constitue, par la même occasion, un
événement propice à la (re)construction de sens. La surprise et la nouveauté portées par
l’arrivée d’un nouveau dirigeant, rendent la situation équivoque. Un tel changement brise les
routines, bouscule un environnement enacté dans l’esprit des salariés. Ce qui rend cette
situation si difficile, c’est que les cadres de lectures, les règles de fonctionnement habituels ne
sont plus suffisants pour expliquer ce qui se passe. Voyant le nouveau dirigeant arriver et/ou
agir pour la première fois, les salariés de l’entreprise prennent conscience du caractère
nouveau de la situation. Ils se retrouvent face à une interruption, à l’ignorance (manque
d’interprétations) ou à la confusion (trop d’interprétations), une situation s’accompagnant
généralement d’émotions intenses (Laroche et Steyer, 2012). Au cours de la période post-
reprise, ils vont multiplier les interactions de manière à réduire l’équivocité de la situation.
L’échange et l’entrée en relation avec autrui permettent de clarifier, confirmer, amender leurs
interprétations (Giordano, 2006). Les différents cycles d’interactions donnent la possibilité
aux salariés d’assigner un sens à l’événement. Parallèlement, le repreneur cherchera à
comprendre son nouvel environnement via un processus identique. Une nouvelle construction
collective de sens prend forme dans l’interaction entre tous les membres de la TPE. Même s’il
s’agit d’un processus collectif, l’objectif ne consiste pas à construire un sens commun,
parfaitement partagé par tous les acteurs, mais d’arriver à articuler les constructions
individuelles pour réussir à coordonner les actions (Laroche et Steyer, 2012). A travers
l’interaction réciproque, un système d’actions organisées (Allard-Poesi, 2003, p. 100) prend
progressivement forme. L’équivocité provoquée par l’entrée en fonction du repreneur
s’affaiblit en même temps que l’action s’organise.
Dans notre travail, nous considérons l’arrivée dans l’entreprise du repreneur comme une
interruption, un changement écologique dirait Weick, obligeant les acteurs à entreprendre un
travail actif pour (re)construire du sens (Giordano, 2006). Un tel événement sert de matière
175
première à la création de sens (Koenig, 1996). Nous relevons que cette approche présente
l’intérêt d’accorder une importance à tous les individus impactés par le changement. Face à
une telle situation, aucun n’est passif. Par les mécanismes d’interactions, chacun joue ainsi un
rôle influent dans la résilience ou non de l’organisation. Le processus de sensemaking traduit
la volonté des individus, face à une interruption, à un changement majeur, d’agir pour
comprendre ce qui se passe autour d’eux. De cette action émerge un sens partiellement
partagé, conduisant les individus à s’engager ou non, à nouveau, dans l’action. Vandangeon-
Derumez et Autissier (2006) proposent une modélisation du processus de sensemaking en
situation de changement. Cette représentation nous paraît très utile à la compréhension de ce
qui se produit lors de l’entrée en fonction du repreneur.
1.2.2.3.) Une modélisation de la construction du sens en situation de changement
A partir d’un inventaire des principaux concepts proposés par Weick, Vandangeon-
Derumez et Autissier (2006) ont entrepris un travail d’identification des différentes variables
constituant « le processus d’engagement dans l’action ». Les notions d’équivocité,
d’ambiguïté, d’interaction, d’organisation, d’enactement, de réification, de communication,
d’entente, de plausibilité, d’engagement, de bricolage, d’action et de résilience, sont
rassemblées, puis mobilisées, pour caractériser, puis schématiser ce processus comme le
montre la figure suivante.
Figure 22 - Le processus d’engagement vers l’action
Source : Vandangeon-Derumez et Autissier (2006, p. 171).
Ce premier travail de modélisation précise les mécanismes de création de sens. Il rend
compte du caractère séquentiel des événements, « mais renseigne peu sur les ressources et
moyens nécessaires à ces mêmes mécanismes » (Vandangeon-Derumez et Autissier, 2006, p.
173). Les auteurs décident alors d’enrichir leur modèle. Ils s’appuient sur l’analyse faite par
Ambiguïté/
équivocité
Interaction/
organizing
Enactement/
réification
Communication
/ entente
Plausibilité/
engagement
Résilience
Bricolage/
action
176
Weick de la catastrophe de Mann Gulch (WEICK, 1993), puis sur une analyse plus large de la
littérature organisationnelle pour identifier les différents moyens pouvant être utilisés par les
organisations pour augmenter leur propre résilience. Aux quatre facteurs de résilience retenus
par Weick (1993), lesquels s’appuient sur des capacités individuelles208, les auteurs proposent
d’adjoindre trois autres moyens, cette fois-ci utilisables à l’échelle de l’organisation.
(1) La culture : dans la perspective retenue par Vandangeon-Derumez et Autissier
(2006), elle fait référence aux valeurs dont tout le monde reconnaît qu’elles appartiennent à
l’organisation. Ces dernières sont susceptibles d’un partage, d’une adhésion par les différents
membres de l’organisation. Selon ces auteurs, la culture intervient dans le processus de
sensemaking à plusieurs niveaux. Par exemple, au moment de l’activation, en rassemblant
l’expérience collective accumulée par les différents membres de l’organisation, ou encore,
lors du choix de l’individu de s’engager ou non dans l’action : « un individu est en mesure de
se demander s’il a intérêt à s’exposer et à s’investir pour une cause qui ne correspond peut-
être pas complètement à ses valeurs » (Vandangeon-Derumez et Autissier, 2006, p. 175).
(2) La stratégie : elle est aussi considérée comme un « élément essentiel » du processus
de sensemaking. Elle prend la forme d’un discours prévisionnel209 et requiert au préalable un
travail de formalisation des différentes contributions et rétributions de chacun (Vandangeon-
Derumez et Autissier, 2006). Dans l’esprit de Weick, la stratégie ne doit être appréhendée que
comme un moyen rétrospectif de générer de l’action, de stimuler le travail interprétatif et de
favoriser l’apprentissage (Koenig, 2003). Une fois prononcée, elle procure de la lisibilité aux
acteurs, donne une route à suivre, et favorise l’engagement vers l’action. Les individus
disposent, dès le départ, d’une idée plus précise210 de l’objectif fixé, du poids de leurs actions
et de la rétribution qui en découle. L’action organisée devient possible dès lors qu’ils
partagent une vision commune des moyens à entreprendre en vue de satisfaire leurs intérêts
personnels (Allard-Poesi, 2003, p. 97).
208
Nous avons exposé ces facteurs dans la section précédente. 209
Pour Weick (1995, p. 55), c’est aux managers qu’il appartient de formuler des plans stratégiques. Il explique l’utilité de ces derniers ainsi : « Les plans stratégiques sont un peu comme des cartes. Ils animent et orientent
les gens. Une fois que les gens commencent à agir (enactement), ils génèrent des résultats tangibles (cues) dans
un certain contexte (social), ce qui les aide à découvrir (rétrospectivement) ce qui se produit (en cours), ce qui
doit être expliqué (plausibilité), et ce qui devrait être fait par la suite (identity enhancement). Les managers
continuent à oublier que c’est ce qu’ils font, non pas ce qu’ils planifient, qui explique leur succès”. 210
Même si pour Weick, un plan stratégique ne doit pas être trop précis afin de stimuler l’interaction et le travail d’interprétation des individus.
177
(3) La structure ou, plus exactement, le processus de structuration : si l’on s’en tient à la
définition qu’en donne Weick (1993), elle est « le lieu d’institutionnalisation d’une action
collective (…). Elle est (donc) constituée et constituante en même temps (…) a un rôle
ontologique pour les individus en leur permettant d’occuper des rôles qui leur précisent des
cadres d’intervention et un positionnement social en relation avec les valeurs culturelles de
cette même structure » (Vandangeon-Derumez et Autissier, 2006, p. 175). Son rôle est
également essentiel au processus de sensemaking. Elle clarifie la situation et rend plausible
l’engagement de l’individu dans l’action. S’appuyant sur ces trois sources de résilience
organisationnelle et sur leur travail de description du processus d’engagement vers l’action,
les auteurs établissent une modélisation du processus de sensemaking (figure 23). Cette
dernière représente de « façon transversale »211 les interactions entre les variables de création
de sens et les étapes constituantes du processus d’engagement. De ce processus émerge (ou
non) la résilience de l’organisation.
Figure 23 - Une modélisation du sensemaking en situation de changement
Source : Vandangeon-Derumez et Autissier (2006, p. 176).
211
Ce modèle se lit de la manière suivante : la culture interagit avec l’ambiguïté/équivocité et l’interaction/organizing (la culture s’enrichit des nouvelles interprétations causées par une situation ambiguë. Parallèlement, elle facilite le processus de sensemaking, et permet l’interaction en procurant à tous les individus des cadres facilitant leurs actions) ; la stratégie interagit avec l’enactement/réification et la communication/entente (l’enactement, moyen qui permet de se construire une réalité, est indispensable au processus d’élaboration stratégique de l’entreprise. A son tour, la stratégie favorise les interactions en donnant aux individus une vision des moyens à mettre en œuvre et un accord sur ces même moyens) ; la structure interagit avec la plausibilité/engagement et le bricolage/action (elle rend plausible l’engagement de l’individu dans une action en donnant aux bricoleurs les moyens de cet engagement).
Bricolage/action
Plausibilité/engagement
Communication/entente
Réification/enactement
Interactions/organizing
Ambiguïté/équivocité
Structures (rôles)
Stratégie (contrats)
Culture (valeurs)
Processus Variables
Résilience
Sensemaking
178
D’après David (2006), la création de sens est un processus que l’on peut observer et
décrire. Les travaux de Vandangeon-Derumez et Autissier (2006) répondent à cet objectif.
Ces auteurs proposent une représentation crédible de ce processus complexe en situation de
changement. La réussite ou l’échec d’une situation de changement sont expliqués à partir de
concepts introduits par Weick et de variables nouvelles considérées comme constitutives de
sens. Etant donné la complexité des concepts et la difficulté à les articuler, il s’agit à coup sûr
d’un exercice périlleux (Autissier et Bensebaa, 2006). Ces travaux nous fournissent, par la
même occasion, une grille descriptive opérationnelle de la création ou de la perte de sens dans
une situation de changement.
L’approche par le sensemaking présente de nombreux avantages pour appréhender les
mécanismes en jeux lors d’une situation de changement. Basée sur l’étude des interactions
entre acteurs, celle-ci décortique, puis explique, la construction ou la déconstruction du sens
au sein d’une organisation en perpétuel mouvement. Si les contributions de Weick à la théorie
des organisations sont considérables (Gioia, 2006), si elles nous fournissent un éclairage plus
que pertinent sur les dynamiques organisationnelles en jeux lors de l’entrée en fonction du
repreneur, quelques critiques peuvent néanmoins leur être adressées.
1.2.3.) L’approche par le sensemaking : la nécessité de surmonter certaines limites
Les travaux de Weick ont été repris par de nombreux chercheurs en sciences des
organisations, particulièrement dans les pays anglo-saxons. Les concepts qu’il propose
permettent d’aborder sous un angle différent la complexité des phénomènes organisationnels.
Toutefois, nous avons relevé quelques limites. En dehors de certaines critiques d’ordre
général telles que l’insuffisante scientificité de la démarche (Pfeffer, 1995)212 ou encore la
non définition du mot sens (Garreau, 2009), nous relèverons trois limites importantes qu’il
semble indispensable de surmonter pour pouvoir adapter cette approche à notre recherche.
1.2.3.1.) Les dimensions contextuelles et historiques largement sous-estimées
Si Weick, dans son approche, notamment à travers la notion d’environnement, semble
bien prendre en considération les dimensions (externe et interne) de l’organisation, l’aspect
proprement organisationnel, c’est-à-dire « politico-bureaucratique », n’a que faiblement été
212
L’auteur reproche à Weick l’utilisation d’une technique disparate et floue, notamment dans le recueil et l’analyse des données.
179
étudié (Laroche, 2006)213. De la même manière, il apparaît que Weick s’intéresse moins au
fait que l’ambiguïté puisse être au moins autant liée au contexte interne qu’au contexte
externe ; « l’ambiguïté interne n’est pas envisagée comme un problème en elle-même, sinon
ponctuellement à travers les erreurs que révèlent les accidents » (Laroche, 2006, p. 100).
Ceci pose naturellement problème lorsqu’il s’agit d’appliquer cette approche dans des
organisations sujettes à une forte ambiguïté interne comme peut l’être, par exemple, la
TPE214. La configuration organisationnelle particulière de la TPE, avec un dirigeant jouissant
d’un pouvoir inégalé, influe indéniablement sur les mécanismes de la création de sens. En
fait, on peut reprocher à Weick de ne pas accorder suffisamment d’importance au pouvoir
exercé par l’individu ou le groupe dominant sur la création et la diffusion des valeurs et des
significations partagées (Maurel, 2010). D’un point de vue théorique et pour répondre aux
préoccupations soulevées par une approche managériale, un travail visant à approfondir
l’influence du contexte interne semble nécessaire. Ceci passe inévitablement par une
meilleure prise en compte des aspects politiques, de l’évolution des relations de pouvoir, ainsi
que des jeux d’influence entre acteurs à l’origine des processus et de leur développement215.
La dimension historique doit également être mieux intégrée. Analyser ce qui s’est passé avant
la reprise, les événements marquants vécus par l’organisation et ses salariés, l’histoire du
repreneur, permettent sans doute de mieux comprendre les actions et réactions de chacun
durant le management post-reprise. Dans cette optique, le recours à la démarche proposée par
l’approche contextualiste (Pettigrew, 1985) peut aider à combler ce déficit.
213
Laroche (2006) relève la présence de seulement deux études abordant cette dimension : l’article sur les organisations faiblement couplées (Weick, 1976, puis Orton et Weick, 1990) et l’article portant sur la catastrophe de Mann Gulch (Weick, 1993). 214
Le dirigeant de la TPE, élément central de l’organisation, peut lui-même avoir des exigences ambiguës et quelquefois contradictoires. Dans le cas d’un repreneur, cela peut conduire à des situations comme celles-ci : « je veux que vous continuiez à travailler, à prendre des décisions, comme avant (…) il faut me solliciter pour
régler les problèmes », ou encore « je ne toucherais rien à l’organisation (…) les salariés doivent mieux organiser
leur travail ». 215
Dans un article plus récent, Weick reconnaît l’importance que l’on peut accorder à la question du pouvoir dans l’organisation ; « Les améliorations du sensemaking prêtent plus attention au pouvoir et ont tendance à
aborder des questions telles que comment le pouvoir s’exprime, augmente, diminue, et influence les autres ?
Des réponses préliminaires sont que le pouvoir est exprimé par des actes qui façonnent ce que les gens
acceptent, prennent pour acquis, et rejettent (Pfeffer, 1981). Comment une telle formation se produit ?” (Weick, Sutcliffe et Obstfeld, 2005, p. 418). Pour Maitlis (2005), afin de mieux prendre en compte cette dimension, un deuxième courant s’est développé dans le champ du sensemaking. Ce dernier s’intéresse à l’influence jouée par certains groupes dans la compréhension des événements par d’autres groupes. C’est le cas, par exemple, de l’approche développée par Gioia et Chittipeddi (1991) à travers la notion de sensegiving qu’ils définissent comme le « processus visant à influencer la construction de sens et le sens construit par d’autres vers une
redéfinition préférée de la réalité organisationnelle » (Gioia et Chittipeddi, 1991, p. 442).
180
1.2.3.2.) Les émotions sous-estimées
Autre critique que l’on peut émettre au sujet de l’approche développée par Weick, le
traitement limité qu’elle accorde aux émotions dans le processus organisant. Dès le milieu des
années 1990, certains auteurs tels que Magala (1997, cité par Weick, Sutcliffe et Obstfeld,
2005), déploraient déjà cet état de fait. Giroux (2006, p. 45) souligne que, tout au long de ses
travaux, Weick, lui-même, reconnaît l’importance de la dimension émotionnelle et ajoute
« qu’il faut s’y intéresser ». Cette auteure explique l’attention quasi exclusive portée à
l’aspect cognitif au détriment d’une approche s’intéressant à la fois aux émotions et à la
cognition, du fait de l’utilisation par Weick de données secondaires et un traitement à distance
des événements. Une telle méthodologie éloigne le chercheur du contact direct avec les
individus et rend tout retour sur le vécu émotionnel moins intense. Plus récemment, c’est au
tour de Maitlis et Sonenshein (2010) ou encore de Garreau (2009) de souligner l’intérêt
d’infuser plus d’émotion au concept de sensemaking. Ce dernier va jusqu’à redéfinir le
sensemaking comme : « le résultat de l’activité d’un individu qui se saisit de la réalité externe
au travers d’éléments cognitifs, des finalités de l’individu et des émotions et sensations qu’il
ressent » (Garreau, 2009, p. 180). Dans le cadre de notre recherche, il paraît évident que les
émotions jouent un rôle déterminant lors d’une reprise de TPE. L’arrivée d’un repreneur vient
briser un lien puissamment établi et ancien entre salariés et cédant. Celle-ci génère une
émotion intense chez les salariés, généralement provoquée par un sentiment de perte ou
encore par l’impression d’une véritable rupture familiale (Picard, 2009). Le repreneur entre
également dans une période émotionnellement intense où se mêlent enthousiasme,
appréhensions et doutes. Le vécu et le ressenti du nouveau dirigeant ont un impact sur la
manière dont il gère la situation et les interactions. L’émotion gagne ainsi tous les acteurs et
trouve son apogée lors de cette étape du processus de reprise. Prendre en compte cette
dimension dans notre étude des dynamiques organisationnelles devient, dans ces conditions,
plus que nécessaire.
1.2.3.3.) Le rôle du leadership à mieux définir dans une situation de changement
Parce qu’il remet en question la répartition des tâches, des responsabilités, de l’autorité
au sein de l’organisation (Guilmot et Vas, 2011), le changement écologique appelle des actes
de leadership (Weick, 1993). Pareil événement requiert l’intervention d’un personnage clé, le
leader, pour créer du sens et lever l’état de confusion. Le dirigeant de l’organisation dispose
d’une vision transversale de l’activité et d’une variété d’informations plus importante que ses
181
subordonnés (Daft et Weick, 1984). Cela lui permet d’apporter des significations différentes
de la situation, puis de les diffuser216 . Dans les situations d’incertitude, le leader donne
confiance à ses collaborateurs et veille à leur procurer les moyens de développer
l’interprétation qu’ils font de la situation (Koenig, 2003). S’appuyant sur les travaux de
Ginett217, Weick explique que le bon leader (dans l’exemple, il s’agit de commandants de
bord) consacre davantage de temps au développement de son équipe lors de sa première
constitution, passe peu de temps sur les tâches « routinisées », et donne des consignes claires
sur « la tâche, la répartition des responsabilités (…), les standards et les comportements
attendus (les normes), et les relations d’autorité » (Weick, 1993, traduit par Laroche, 2003, p.
82). On apprend également que les bons dirigeants n’hésitent pas à ouvrir le groupe à des
personnes ayant une influence sur son résultat. Ils définissent des normes montrant clairement
que la sécurité, une communication efficace et la coopération sont attendues de la part de tous.
Pour finir, Weick souligne que les très bons leaders doivent savoir passer d’un registre de
leadership à un autre, tantôt autoritaire, tantôt démocratique en fonction des événements qu’ils
ont à gérer218. Ils doivent également faire preuve d’humilité et ne pas hésiter à exprimer leur
doute devant une situation inédite pour favoriser l’émergence de solutions nouvelles (Weick,
2009).
Si Weick fournit quelques indications sur la manière dont le leader peut agir de manière
à façonner les situations (Koenig, 2003), il reste relativement évasif sur l’usage qui doit être
fait du leadership dans la conduite d’une situation de changement. Certes, pour Weick, le
leader est celui qui construit son équipe, qui lui « donne le tempo », mais, en même temps, il
se doit de mesurer ses interventions. S’il joue effectivement un rôle majeur dans le processus
de reconstruction collective de sens, s’il influence le comportement de l’équipe,
paradoxalement, le leader ne doit pas être trop « présent », c'est-à-dire exercer une pression
trop prégnante sur ses subordonnés (Garreau, 2006) et pratiquer le sur-management, sous
peine d’entraver le processus de sensemaking (Weick, 1993). Avec de telles explications, on
ne que peut se demander où et comment placer le curseur. En d’autres termes, comment
savoir à quel moment le leadership du repreneur devient intrusif et néfaste au sensemaking ?
D’autre part, ce qui est frappant dans l’analyse faite par l’auteur des situations de rupture
216
« Un leader est celui qui donne aux autres un sens différent à la signification de ce qu’ils font en recréant un
visage différent (…). Le leader est un sense-giver » (Weick, 1995, p. 10). 217
Ginett (1993, cité par Weick, 1993). 218
Ainsi, les très bons dirigeants « sont capables de passer de la démocratie totale à l’autocratie totale, ce qui
signifie clairement qu’ils sont susceptibles d’adopter tout un éventail de styles différents » (Weick, 1993, traduit par Laroche, 2003, p. 83).
182
entraînant des échecs du leadership, c’est l’absence d’explications claires et non équivoques
sur les causes réelles de ces échecs. Weick (1993, p. 650) se contente d’avancer quelques
pistes (« formation insuffisante », « mauvaise compréhension des processus de leadership »,
etc.), laissant chaque lecteur, le libre choix dans son interprétation. Dans la conclusion de son
article consacré à l’étude de la catastrophe de Mann Gulch, Weick (1993) semble même
accepter l’idée selon laquelle, dans certaines situations, même les meilleurs leaders demeurent
impuissants. L’échec du leadership est quelquefois inéluctable219.
Se pose alors inéluctablement la question de l’adaptation de cette conception complexe,
ambivalente et non aboutie du leadership à notre sujet de recherche. La liste des tâches à
accomplir et des comportements à adopter par le leader, proposée par Weick, donne quelques
pistes intéressantes, mais semble insuffisante pour comprendre en profondeur quel doit être le
rôle du repreneur lors de son entrée en fonction au sein d’une TPE. De surcroît, contrairement
au leader « formel », « établi » tel que perçu par Weick (1993) dans son article sur la
catastrophe de Mann Gulch, le repreneur ne peut prétendre d’emblée à ce statut. Nouvel
entrant dans l’organisation, il ne connaît qu’imparfaitement son fonctionnement et même
parfois son métier. Sa seule source de légitimité auprès des salariés demeure le titre de
propriété qu’il détient entre ses mains. Autre particularité du repreneur par rapport au leader
déjà « installé » : il ne peut véritablement agir et créer du sens dans l’organisation, qu’après
son arrivée dans l’entreprise, c'est-à-dire au moment où l’équivocité est la plus forte. Pour
tenter de surmonter cette dernière grande limite et y voir plus clair, nous avons donc complété
notre approche par les théories du leadership.
1.3.) Leadership et management de la reprise
Si l’acquisition de l’entreprise confère au repreneur un pouvoir légal de direction et
d’engagement auprès des différentes parties prenantes, cette dernière ne lui offre pas « de
facto » de véritable légitimité aux yeux des salariés. Pour faciliter son intégration, puis son
action, le repreneur doit parvenir à faire accepter son projet et son autorité par les salariés. La
conduite d’un changement organisationnel aussi important que l’arrivée d’un nouveau
dirigeant au sein d’une TPE, nécessite plus que la simple qualité de manager. Dans un
219
« Ces multiples défaillances du leadership peuvent être le résultat d’une formation insuffisante, d’une
mauvaise compréhension des processus de leadership à la fin des années 40, ou peuvent être attribuables à une
culture mettant l’accent sur le travail individuel plutôt que sur le travail de groupe. Ou ces échecs du leadership
peuvent refléter le fait que même les meilleurs leaders et les membres qui ont le plus conscience de l’équipe
peuvent souffrir lorsque les structures commencent à se disloquer, les laissant dans leur indétermination, la
panique et des questions cosmologiques” (Weick, 1993, p. 650). (Traduit par nos soins).
183
contexte aussi troublé, le repreneur doit parvenir à faire accepter son nouveau pouvoir, à
affirmer son leadership auprès du personnel. Pour Boussaguet (2005, p. 69), il s’agit d’une
action essentielle «sous peine d’être remis en cause tôt ou tard ou de générer des difficultés
relationnelles ». Si, pour de nombreux auteurs, notamment ceux travaillant sur le phénomène
repreneurial, il apparaît évident qu’un dirigeant (manager) doit posséder les qualités d’un
leader pour gérer au mieux son organisation et améliorer ses performances, nous nous
interrogeons sur ce qui caractérise et différencie le leader du manager.
La littérature managériale donne certaines pistes. Elle reconnaît des différences notables
entre le manager et le leader 220 . Si le premier peut être imposé au groupe par la voie
hiérarchique au cours du processus de structuration de l’organisation, le second émane du
groupe et tire son pouvoir (informel) des relations qu’il tisse avec les autres membres de
l’équipe (Barabel et Meier, 2010). Pour Zaleznik (1977), le manager est passif et se contente
d’organiser, de planifier, de gérer les problèmes et ses relations aux autres, selon des règles
du jeu établies. Le leader est, quant à lui, un individu actif, ouvert sur les autres, et n’hésite
pas à bousculer les cadres pour parvenir à ses fins. Kotter (2003) complète le portrait du
leader en ajoutant qu’il gère le changement, donne une vision, motive et développe un
véritable sentiment d’appartenance et d’estime de soi auprès des individus. Selon Petit (2013),
le manager a pour objectif de maintenir les standards et d’assurer la continuité de l’activité
alors que le leader suscite l’engagement et transforme l’activité. La différence entre les deux
est résumée dans le tableau suivant.
220
Nous citerons ici, à titre non exhaustif, les travaux de Zaleznik (1977), Schein (1997), Kotter (2003), Daft (2005), Barabel et Meier (2010) ou encore Petit (2013).
184
Tableau 12 - Manager vs leader
MANAGER Maintient les standards et assure la
continuité de l’activité
LEADER Suscite l’engagement et transforme
l’activité.
Planifier et budgéter Définit l’agenda Fixe les deadlines/actions Alloue les ressources
Etablir la direction Crée une vision Explique le projet/sens Fixe la stratégie
Organiser et recruter Structure les tâches Recrute et intègre Fixe et fait respecter les règles/procédures
Aligner les équipes Communique les buts Suscite l’engagement Bâtit des équipes et des alliances
Contrôler et résoudre les problèmes Met en place des systèmes d’incitations Génère des solutions créatives Prend des actions correctives
Motiver et inspirer Inspire et entraîne, donne de l’énergie Empowerment des équipes Satisfait des nouveaux besoins
Comment ? Quand ? Où ? Objectifs, moyens
Quoi ? Pourquoi ? Qui ? Valeurs, hommes
Source : Petit (2013, p. 133).
Barabel et Meier (2010) introduisent également des éléments de différenciation à partir
des caractéristiques de la légitimité attachée aux deux rôles et à la relation de cette dernière au
contexte. Ainsi, la légitimité du manager acquise par le statut hiérarchique semble invariante
et indépendante du contexte, contrairement à celle du leader qui dépend fortement du
contexte, de ses qualités intrinsèques et qui s’opère sur une période limitée221.
Des différences existent entre le leader et le manager, même si ces deux rôles ne sont
pas mutuellement exclusifs (Kotter, 2003). Le leader possède des aptitudes et des
compétences supplémentaires se traduisant par l’adhésion de son entourage au projet qu’il
mène222. Il semble exercer un effet d’entraînement sur les membres du groupe, ce qui nous
221
Barabel et Meier (2010, pp. 590-591) rappellent l’importance du contexte, de la situation dans l’action du leader : « le leader a donc un rôle de situation et s’exerce dans un cadre temporel délimité : il ne s’inscrit pas
dans un rapport séquentiel avec la structure mais plutôt dans un rapport dialectique. Il agit en fonction de la
situation (…), sa capacité d’influence pouvant varier selon l’évolution du problème, la nature des changements
au sein du groupe (composition, taille) ou l’apparition de nouvelles règles ». 222
Pour Bennis et Namus (1985), quatre compétences peuvent être identifiées chez lui. (1) Il sait communiquer et transmettre des directives, fixer un objectif, et donner du sens à l’action. (2) Il crée et maintient un sentiment de confiance de par son attitude et en préservant de véritables relations personnelles avec les membres du groupe. (3) Il connaît ses propres ressources, est attentif à son environnement et est orienté vers
185
paraît déterminant dans une situation empreinte d’incertitude comme peut l’être la période
post-reprise. Les salariés, encore perturbés par le départ de leur ancien patron, ont besoin
d’une nouvelle direction, d’une vision de l’avenir qui les anime, les inspire et les rassure. S’il
semble maintenant possible de discerner un peu plus formellement ces deux rôles et de
percevoir l’importance du leadership dans un contexte de changement, il reste à établir la
définition que nous retenons pour notre recherche et à déterminer comment le repreneur peut
mettre en œuvre son leadership auprès des salariés. Dans les paragraphes suivants, nous
commencerons par un examen du concept de leadership et des approches qui le caractérisent.
Nous insisterons ensuite sur les approches récentes (leadership transactionnel et
transformationnel). Pour finir, nous relevons les principaux défis qui attendent le repreneur
durant la période de management de la reprise.
1.3.1.) Les théories du leadership
Depuis le début du XXeme siècle, le leadership fait l’objet d’un véritable engouement de
la part de la communauté scientifique. De nombreux travaux ont été menés afin de mieux
comprendre les processus d’influence entre individus. Des approches dissemblables du
leadership se sont succédées donnant lieu à un nombre considérable de définitions223. Cette
situation rend le concept de leadership pas tout à fait arrêté, et sa mesure, vague et imprécise.
Les principales approches du leadership sont reprises ci-après.
Ø L’approche centrée sur les traits
Cette première approche, largement portée par des psychologues, tend à démontrer
que les leaders possèdent des qualités innées qu’on ne retrouve pas chez tous les individus.
Ainsi, le leader est un individu ambitieux, intelligent, honnête, énergique et disposant d’une
faculté à influencer les autres. Relativement populaire en son temps, cette approche devait
permettre d’identifier les caractéristiques d’un bon leader224. Dans les années 50, suite aux
l’action et la prise de risque. (4) Il suscite l’espoir, l’optimisme et une énergie psychologique qui génère la performance et l’envie de se dépasser. 223
Dans nos investigations, nous en avons relevé des dizaines, et il en existe bien plus encore. Bennis et Namus (1985) en recensent plus de 300. Nous citerons, par exemple, celles de Burns (1978) : « Le leadership est exercé
quand des personnes mobilisent des ressources institutionnelle, politique, psychologique et autres afin de
susciter, d’engager et de satisfaire les motivations de followers » ; de Collerette (1991, p. 156) « c’est la
capacité d’influencer dans le sens que l’on désire, sans avoir à recourir aux sanctions formelles, c’est-à-dire aux
punitions et récompenses institutionnelles » ; ou encore de House et al. (1999, p. 184) : il s’agit de « la capacité
d’un individu à influencer, motiver et permettre aux autres de contribuer à l’efficacité et à la réussite de
l’organisation ». 224
Ceci était particulièrement utile, notamment à la veille de la Première Guerre mondiale, pour désigner les combattants chargés de motiver les troupes (Petit, 2013).
186
difficultés à obtenir un profil type communément admis de ce qu’est un leader, d’autres
scientifiques ont engagé leurs recherches sur le chemin de la description des habitudes
comportementales des leaders et sur leur efficacité selon la situation.
Ø L’approche comportementale
Cette deuxième approche portée par deux équipes de scientifiques (l’équipe de
l’Université d’Etat de l’Ohio dirigée par Stogdill et l’équipe de l’Université du Michigan)
avance que le leadership ne trouve pas de justification dans les traits innés du leader, mais
qu’il se reflète dans ses comportements. Les chercheurs s’attachent à décrire les différents
styles de leaders et leur efficacité selon les situations. De ces travaux vont émerger de
nombreuses typologies distinguant (presque toutes) deux grands types de comportements ;
ceux axés sur les travailleurs (respect des collaborateurs, écoute, considération, etc.) et ceux
axés sur l’exécution de la tâche et la structuration (mise en place d’objectifs, planification,
etc.). La typologie la plus connue est sans nul doute celle de Blake et Mouton (1964, cité par
Dejoux, 2014) qui répertorie cinq styles de leadership (de compromis, social, intégrateur,
autocrate, laisser-faire) définis en fonction de l’orientation du dirigeant sur l’une ou l’autre
des deux dimensions du management (intérêt pour la production, intérêt pour les personnes).
Bien que plus avancée que la précédente, cette approche présente encore l’inconvénient de
vouloir proposer un style de leadership performant quelles que soient les situations
rencontrées. Cette perspective n’est évidemment pas partagée par d’autres chercheurs qui ont
voulu intégrer à l’analyse, les variations du contexte.
Ø L’approche situationnelle
Les partisans de cette approche qui connaît un véritable succès dans les années 70,
arrivent à la conclusion qu’un leader doit adopter le style le plus adapté à la situation. Nous
pouvons citer les trois principaux modèles ayant marqué cette approche tels qu’ils sont
répertoriés par Petit (2013).
(1) La grille d’analyse proposée par Blanchard (Hersey, Blanchard et Johnson, 2008)
identifie quatre styles de leadership (supporter, délégatif, coach, directif) définis en fonction
des attentes des collaborateurs. Ce modèle indique que le leader doit adapter ses
comportements en tenant compte du degré de maturité des subordonnés.
187
(2) Le modèle de Fiedler (1967, ou modèle LPC : « Last Prefered Coworker225 ») intègre
à l’analyse trois facteurs situationnels : la nature de la relation « leader-followers 226», le type
de tâches à accomplir et, pour finir, le pouvoir du leader. Cette approche aboutit à la
conclusion qu’il n’existe pas de style idéal de leadership, mais un style adapté aux exigences
de chaque situation.
(3) Le modèle LMX (Leader-Member eXchange theory) développé par Graen et Uhl-Bien
(1995) : l’étude ne se concentre plus sur les acteurs, mais sur leurs relations, l’évolution de
celles-ci et son impact sur la satisfaction et la réussite des équipes. Chaque acteur (leader ou
subordonné) est doté de ressources qui lui sont propres et est en négociation permanente, ce
qui définit la maturité de la relation. Dès la fin des années 70, d’autres approches se sont
développées, ouvrant ainsi la voie à de nouvelles perspectives dans l’étude du leadership.
Ø Les nouvelles approches
Les dernières approches du leadership ont émergé à la fin des années 70 et ont connu leur
apogée dans les années 80 et 90. Des théories telles que le leadership charismatique (House,
1977 ; Conger, 1998), le leadership politique (Burns, 1978), le leadership visionnaire
(Sashkin, 1988 ; Westley et Mintzberg, 1989), le leadership transformationnel (Bass, 1985,
1999 ; Bass et Avolio, 1994), l’intelligence émotionnelle (Salovey et Mayer, 1990), se sont
développées à cette époque. A partir des années 90, la gestion du changement devenant une
préoccupation majeure à la fois pour les entreprises et les scientifiques, on assiste à un
« renouveau paradigmatique » autour de la notion de leadership (Petit, 2013). Daft (2005)
constate le déplacement d’une approche rationnelle du leadership préoccupée par le contrôle,
le maintien de la stabilité, la compétition, vers une approche valorisant le changement, la
responsabilisation, la communication et l’humilité. Reprenant les travaux de Burns (1978) qui
a mis en relief la différence entre deux types de leader politique (le leader de type
transformatif et le leader de type transactionnel), Bass (1985) développe un modèle, le « Full
Range Leadership Model », centré sur les comportements du leader en contexte
organisationnel. L’auteur s’intéresse au processus par lequel les leaders font appel aux valeurs
et aux émotions des subordonnés pour favoriser leur engagement. Ces derniers travaux sont à
l’origine de deux approches à la fois indépendantes et complémentaires qui vont retenir
225
Il s’agit d’une échelle de mesure appelée « Collaborateur le moins préféré ». Son principe est simple : on demande au leader de penser aux personnes avec lesquelles il/elle a déjà travaillé et de décrire la personne avec laquelle il/elle a moins bien collaboré. 226
En français: suiveurs.
188
l’attention des chercheurs jusqu’à nos jours : le leadership transactionnel et le leadership
transformationnel. Nous les développons plus en détail dans le point suivant.
1.3.2.) Leadership transactionnel et transformationnel
La théorie du leadership transformationnel fait l’objet de nombreuses études depuis ces
trois dernières décennies. Les travaux de James McGregor Burns (1978) sont à l’origine de
cette approche différenciant deux types de leadership ; le leadership transactionnel et le
leadership transformationnel. Le premier est basé sur un échange entre le leader et ses
subordonnés sous une forme proprement contractuelle, les promesses de sanctions et de
récompenses servant à influencer le comportement des individus. Le second, plus efficace
selon Burns, vise à obtenir l’engagement des subordonnés en faisant appel à leurs valeurs
morales. Le leader transformationnel cherche à élever les consciences des individus sur des
valeurs éthiques et mobilise leur énergie en vue de dépasser leurs intérêts personnels. Ces
deux types de leadership sous-entendent des comportements différents émanant des leaders
pour favoriser l’action des subordonnés.
Au milieu des années 80, Bass (1985) prolonge l’analyse initiée par Burns (1978) et la
resitue dans le contexte organisationnel. L’auteur insiste sur la capacité du leader à motiver
ses subordonnés, à les inciter à travailler dans le sens d’objectifs qui transcendent leurs
intérêts et stratégies personnels. A l’opposé du leader transactionnel, préoccupé par la gestion
des processus, utilisant la manipulation, les sanctions et les récompenses pour arriver à ses
fins, Bass (1985) dresse le profil d’un leader transformationnel intelligent, réactif, innovateur,
faisant preuve de créativité cognitive (« cognitive creativity ») et capable d’une forte
mobilisation des énergies et compétences des subordonnés, notamment dans les périodes de
changement. Le leadership transformationnel s’appuie sur la capacité des dirigeants à
reconnaître les individus, les valoriser, prêter attention à leurs préoccupations et à leur
transmettre une motivation et une vision claire des objectifs.
Le leader transformationnel « transforme » et motive ses subordonnés à travers un
ensemble de comportements qu’il met en œuvre :
189
(1) le charisme227 par rapport aux attributs et au comportement : le leader est un
exemple qui suscite la confiance et le respect des subordonnés ;
(2) l’inspiration : le leader a une vision qu’il explique avec détermination et confiance,
fixe des objectifs ambitieux, puis motive ses collaborateurs pour les atteindre ;
(3) la stimulation intellectuelle : l’innovation et la création sont encouragées, ce qui
permet à chacun de s’engager hors des cadres établis ;
(4) la bienveillance : le leader donne de l’importance à chacun de ses collaborateurs
via une action d’écoute et n’hésite pas à les soutenir et les encourager si nécessaire (Bass et
Avolio, 1994).
Notons que ce qui différencie l’œuvre de Bass (1985) de celle de son prédécesseur,
c’est que pour Bass, les deux styles de leadership ne sont pas antagonistes. Ainsi, un même
individu peut être à la fois un leader transformationnel et un leader transactionnel. Un
leadership efficace passe par une mobilisation d’un certain degré de combinaison des deux
styles. Bass ajoute également un troisième type de leadership, le « laisser-faire »,
correspondant, quant à lui, à une absence de leadership. Ceci lui permet de peaufiner son
modèle qui s’articule autour d’un continuum allant du style de leadership laisser-faire au
leadership transformationnel, en passant par le leadership transactionnel.
La théorie du leadership transformationnel dresse le portrait de deux types de leader. L’un
transactionnel s’apparente au manager tel que nous l’avons décrit dans les paragraphes
précédents, se contentant de gérer l’existant via un système de sanctions-récompenses.
L’autre, transformationnel, élève le niveau des consciences, des besoins, des attitudes et des
comportements de ses collaborateurs, rendant leur niveau d’engagement plus important. Un
processus de changement aussi complexe que la reprise d’une TPE nécessite certainement de
la part du repreneur de jouer ces deux rôles. Le leadership transformationnel permet
néanmoins de motiver les salariés à travailler dans le sens d’objectifs communs dépassant
leurs propres intérêts. Il donne la possibilité de faire évoluer les valeurs établies ainsi que les
comportements individuels et collectifs. Le leader transformationnel, contrairement au
manager, crée un climat de confiance, suscite l’engagement des collaborateurs et ceci même
au cœur d’une situation incertaine de changement. Pour notre recherche, nous définirons le 227
Bass (1985, p. 39) définit le charisme comme : « une dotation de très haut degré d’estime, de valeur, de
popularité, et/ou de statut de célébrité attribuée par les autres… Elle atteint une influence généralisée qui est
transformationnelle ”. Traduit par nos soins.
190
leadership comme un processus par lequel un individu doté de charisme, à l’écoute des autres,
exerce une influence positive à un niveau individuel ou du groupe, permettant à chacun de
dépasser, via un engagement supérieur, des objectifs clairement définis. Nous estimons, en
outre, que le leader doit être en mesure de donner un sens à la situation, d’expliquer et faciliter
le changement en favorisant l’interaction individuelle et collective. Nous n’occultons pas que
le leadership est avant tout un phénomène social, attribut confié par le groupe à un individu
choisi parmi ses membres. Il reste maintenant à définir quelles actions le repreneur de TPE
peut mettre en œuvre pour passer du simple statut d’acheteur d’entreprise, à celui de manager
pour, enfin, endosser le costume de leader reconnu et accepté de tous. En d’autres termes,
comment peut-il asseoir son leadership durant la période post-reprise ?
1.3.3.) Le repreneur de TPE : les défis de la prise de leadership en contexte de changement majeur
De nombreux auteurs (Fiegener et al., 1994 ; Donckels, 1995 ; Esteve, 1997 ; Haddadj
et D’Andria, 2001 ; Boussaguet, 2005 ; Deschamps et Paturel, 2009) rappellent l’importance
du transfert de direction dans la vie d’une organisation. La passation de pouvoir et d’autorité
entre deux dirigeants est à même de déstabiliser profondément et durablement le
fonctionnement de l’entreprise. Il s’agit d’un changement organisationnel majeur nécessitant
une gestion attentive. Nous avons également pu constater que les spécificités de la TPE
(Torrès, 1997) accentuent les difficultés liées au changement. Dans un contexte aussi troublé,
plusieurs défis d’ampleurs et largement imbriqués, attendent le repreneur lors de son entrée en
fonction. Si l’acte d’achat officiel lui confère de plein droit le pouvoir de direction de
l’entreprise, le statut de manager « officiel » des salariés, il ne lui attribue pas, auprès d’eux,
une quelconque qualité de leader. Afin d’assurer un niveau de fonctionnement « normal » à
l’entreprise, il doit assez vite entrer dans la peau du dirigeant et se faire accepter par
l’ensemble des membres de sa nouvelle équipe. Pour Boussaguet (2005, p. 312), cela passe
par un processus de socialisation émanant à la fois du repreneur et des salariés et appelé
processus de socialisation repreneuriale. Cette auteure le définit comme « un véritable
processus d’influence mutuelle par lequel le repreneur parvient à « changer » sous
l’influence d’agents socialisateurs et en retour à « transformer » l’organisation sous sa
propre influence d’agent socialisateur pour se faire reconnaître comme le leader à part
entière ». Ce qui est intéressant à relever dans cette définition, c’est que même s’il est
constaté une interaction et une réciprocité entre les acteurs dans le processus, celui-ci relève
avant tout et surtout du nouveau dirigeant. Le repreneur joue ainsi un rôle central dans la
191
reconnaissance de son propre statut de leader. Son action s’inscrivant dans le cadre d’un
changement majeur, il doit apporter rapidement des réponses aux nombreuses interrogations
soulevées. Pour cela, il doit, d’abord, dès sa prise de fonction, devenir aux yeux des salariés
un véritable manager, en organisant, gérant les problèmes, et en veillant au fonctionnement
« normal » de l’organisation (Zaleznik, 1977 ; Petit, 2013). Ceci n’est pas chose aisée étant
donné les fortes répercussions du changement sur l’organisation (Donckels, 1995 ;
Deschamps et Paturel, 2005). Afin de faciliter le bon déroulement de cette période, le
repreneur doit adopter un comportement d’ouverture, d’écoute attentive et une posture de bon
communiquant. L’obtention d’un engagement supérieur de la part des collaborateurs passe par
une reconnaissance par le groupe de son statut de membre à part entière, à une place
également reconnue, celle de manager. L’action et le comportement du repreneur doivent
éveiller en eux le désir qu’il devienne progressivement leur leader.
Dans le cadre de notre recherche, nous estimons qu’un repreneur peut prétendre au
statut de leader s’il réussit à faire évoluer les valeurs établies ainsi que les comportements
individuels et collectifs, à créer un climat de confiance dans l’entreprise et à inciter les
équipes à s’engager, puis à converger dans la même direction (Blake et Mouton, 1985, cité
par Barabel et Meier, 2010). Dans notre approche, la prise en compte de tous les individus
formant le groupe est essentielle. Nous entrevoyons ainsi le leadership non seulement au
travers du prisme des actions et des comportements du repreneur, mais également par le biais
des multiples interactions entre les différents membres de l’organisation. Dans un contexte
équivoque, incertain, émotionnellement fort, tel que celui de la période post-reprise, et à
l’instar de Boussaguet (2005), nous considérons que le repreneur est amené à exercer un rôle
majeur dans son acceptation par les autres membres du groupe. C’est par l’intermédiaire de
son action et par son comportement qu’il gagne progressivement son statut de leader.
L’obtention de ce rôle lui permet d’influencer les autres dans la direction souhaitée, de leur
redonner confiance, de les transformer en produisant du sens dans une période intense de
changement (Barabel et Meier, 2010, p. 401).
192
Conclusion Section 1
Dans cette section, nous avons défini, à partir des principales typologies du
changement, la reprise de la TPE comme un changement organisationnel majeur. Nous
avons relevé plusieurs traits caractéristiques de la TPE conférant à ce changement un
caractère spécifique. Afin de mieux comprendre la manière dont pouvait se gérer un tel
événement, nous avons passé en revue les principales approches de la gestion du
changement. Suite à cette recension, nous avons préféré une approche processuelle du
phénomène pour l’analyser en profondeur et dans toute sa dynamique.
Plus précisément, nous avons opté pour un cadre d’analyse focalisant son attention sur
les multiples interactions entre acteurs organisationnels. Appartenant au courant
interactionniste, l’approche par le sensemaking (Weick) nous est apparue comme
particulièrement pertinente pour examiner le processus d’entrée dans l’entreprise d’un
nouveau dirigeant. Cette théorie fournit une grille de lecture originale permettant de décrire,
puis de comprendre, les actions et les comportements des différents acteurs au sein d’une
organisation de petite taille, au cœur même d’un processus de changement. Nous avons pu
assimiler l’arrivée dans l’entreprise du repreneur à un changement écologique, source
d’équivocité et, en même temps, à une occasion particulière de construire collectivement du
sens.
L’examen approfondi de cette approche faisait néanmoins ressortir quelques limites
qu’il nous semblait nécessaire de dépasser. Nous avons, à cet effet, sollicité l’approche
contextualiste (Pettigrew) en tant que source d’analyse complémentaire. Cette dernière nous
exhorte à prendre davantage en considération, lors du travail d’analyse, le contexte interne
de l’organisation, notamment les processus d’influence et les jeux de pouvoir entre acteurs,
ainsi que la dimension historique de l’entreprise. Nous avons également pu relever
l’importance des émotions dans l’évolution d’une situation de changement. L’examen des
théories du leadership nous a enfin permis d’établir une définition du leadership pour notre
recherche et de mieux comprendre quel pouvait être le rôle des acteurs et, plus
particulièrement, celui du repreneur, en contexte de changement organisationnel majeur.
193
Section 2 - (Re)construire collectivement du sens pour réussir le changement
La section précédente nous a permis d’appréhender l’arrivée d’un repreneur dans une
TPE comme un changement majeur pour l’organisation. Nous avons relevé qu’il s’agissait
d’un événement équivoque, de toute première importance, venant perturber un environnement
enacté dans l’esprit des individus. Il provoque de nombreuses réactions de la part des acteurs
présents dans l’organisation. Cet événement est de nature à déstabiliser l’organisation
(Deschamps et Geindre, 2011), son identité et à fragiliser son système d’actions. La question
qui se pose pour tout repreneur concerne la manière de gérer pour le mieux cette situation.
Pour Demers (1993), conduire le changement et, surtout, le réussir, passe inéluctablement par
un processus d’interprétation, c’est-à-dire un processus interactif de création de sens.
Dans la perspective weickienne, la construction d’un sens collectif au sein d’une
organisation trouve ses origines dans une problématique ayant trait à la construction d’un
système d’actions organisées. Comme nous le rappelle Allard-Poesi (2003, p. 93), ce cadre
théorique cherche à répondre à la question : « comment les individus parviennent-ils à
coordonner leurs actions de sorte qu’un système d’actions organisées se développe et se
maintienne ? ». La construction collective de sens est présentée comme la réponse à cette
question. Celle-ci est décrite comme un processus prenant place dans l’interaction, ayant pour
but de réduire collectivement l’équivocité perçue d’une situation, et par là de clarifier les
actions de chacun pour constituer un système d’actions organisées (Allard-Poesi, 2003).
Surmonter les difficultés liées au changement de dirigeant requiert de construire
collectivement du sens afin que chacun trouve sa place dans l’organisation.
Pour Weick (1979), l’élaboration collective de sens résulte des multiples interactions
entre acteurs qu’ils soient deux ou plusieurs. L’organisation ou, plus exactement, le processus
organisant, est entendu comme une somme de comportements interreliés. L’engagement de
chacun dans l’action constitue la base du processus organisant et favorise la résilience de
l’organisation lorsque survient un changement important. Adopter une lecture
« sensemaking », c’est considérer les différents membres de l’organisation comme acteurs du
changement, et non plus comme des individus passifs. Cette perspective rejoint celle de
Crozier et Friedberg (1977) qui soulignent que tout changement, en tant qu’édification de
194
nouveaux rapports humains et de nouvelles formes de contrôle social, ne peut être qu’un
processus collectif et qu’à ce titre, tous les individus présents dans l’organisation y
participent.
Pour notre recherche, nous retenons que, face à un événement aussi déstabilisant que le
changement de dirigeant au sein d’une TPE, c’est dans les multiples interactions entre
salariés, et entre salariés et repreneur, que se lève l’équivocité, se constitue la nouvelle
organisation et se renouvelle le système d’actions organisées. Le repreneur étant nouveau
dans l’organisation, nous utilisons le terme de reconstruction collective de sens. En nous
appuyant sur la définition de l’élaboration collective de sens proposée par Weick (1995), nous
définissons la reconstruction collective de sens post-reprise comme un processus qui
s’inscrit dans l’interaction entre les membres anciens et le nouveau dirigeant de
l’organisation et qui vise à réduire l’équivocité perçue de la situation, de manière à
rétablir une action coordonnée et ainsi reconstituer un système d’actions organisées.
Dans les paragraphes suivants, nous relèverons en quoi, durant la période post-reprise,
la participation de tous dans un processus de reconstruction collective de sens permet
l’émergence d’un nouveau système d’actions organisées. Ensuite, nous examinerons le rôle
spécifique incombant au repreneur durant cette étape. Pour finir, nous exposerons nos
questions et les objectifs de notre recherche.
2.1.) L’émergence d’un nouveau système d’actions organisées
Nous avons situé le changement de dirigeant dans une TPE dans la catégorie des
changements organisationnels majeurs (Tushman et Romanelli, 1985 ; Mintzberg et al.,
1999 ; Rondeau et Bareil, 2009). A ce titre, il touche aux fondements de la structure, remet en
question l’organisation du travail, les rôles, les responsabilités et les jeux de pouvoir. Le
repreneur doit tout faire pour déployer une organisation dans laquelle il prend pleinement sa
place. Le processus de reconstruction collective de sens fait émerger un nouveau système
d’actions organisées dans lequel tous les acteurs, y compris lui-même, situent leurs actions
dans un nouvel espace d’actions cohérentes avec leurs propres buts (Karsenty et Quillaud,
2011).
195
2.1.1.) Un environnement perturbé
L’entrée dans l’entreprise du repreneur entraîne inévitablement des modifications dans
l’identité de la firme (Deschamps, 2000 ; Picard, 2009), dans son organisation et dans les
relations entre acteurs (Giroux, 1993). Pour Tushman et Romanelli (1985), l’arrivée d’un
nouveau dirigeant provoque une transformation organisationnelle que seul le dirigeant (ou
l’équipe de direction) de l’entreprise est à même de gérer. Dans un tel contexte, le système
d’actions organisées se trouve modifié et peut même être fortement endommagé par le
changement. Pour Weick (1993), le changement (écologique) est un événement remettant en
cause la répartition des tâches, des responsabilités et de l’autorité au sein de l’organisation.
Cet événement amène les individus à reconstruire mentalement un système de rôles adapté à
la situation (Autissier, Vandangeon-Derumez et Vas, 2010). L’auteur présente le
fonctionnement des organisations comme un processus sans cesse renouvelé de construction
de sens, réalisé par des individus impliqués dans des interactions sociales. Le changement est
une donnée permanente : il se construit via l’interaction et place les individus devant une
contrainte d’adaptation.
Face à une interruption du flux d’actions routinier et pour lever l’équivocité provoquée
par l’arrivée du repreneur, la reconstruction collective de sens constitue la solution. Via un
processus de double interact, les différents membres de l’organisation (salariés et repreneur)
partagent leurs représentations du réel afin de se mettre d’accord sur les actions à entreprendre
et les comportements à adopter (Allard-Poesi, 2003). Un tel processus implique tous les
acteurs. Louis (1980) insiste sur la dimension sociale du phénomène : « lorsqu’une personne
est confrontée à quelque chose qui suscite une réflexion, la personne connaît toujours
d’autres personnes avec qui comparer perceptions et interprétations ». Starbuck et Milliken
(1988, cité par Ben Fredj Ben Alaya, 2007, p. 102) soulignent, eux aussi, l’importance des
représentations collectives dans la gestion du changement : « la création de sens implique de
rendre visibles les perceptions des informations et des situations nouvelles concernant
l’environnement et de les intégrer dans des représentations collectives en vue de mieux
comprendre et de mieux prévoir les changements de l’environnement ». Ce n’est qu’une fois
ces actions individuelles et collectives amorcées, et même si n’est pas partagée une vision
commune entre les acteurs, que l’engagement dans l’organisation devient possible.
196
2.1.2.) Des salariés impliqués
Les interactions entre salariés et repreneur débutent au moment de la première prise de
contact et s’intensifient au fur et à mesure de l’entrée en fonction du nouveau dirigeant. A ce
stade du processus repreneurial, les salariés sont de puissants vecteurs pour faciliter la
compréhension du fonctionnement de l’entreprise par le repreneur. Certains d’entre eux, grâce
à une connaissance poussée de l’organisation et de son environnement, sont de véritables
guides informationnels (Louis, 1980). Ils concourent pleinement à la socialisation du dirigeant
(Boussaguet, 2005). S’ils éclaircissent le chemin du repreneur, ils ont également besoin d’être
rassurés, d’obtenir des réponses aux nombreuses questions qu’ils se posent. Confrontés à une
modification forte de leur environnement, ils ne restent pas inactifs. Ils sélectionnent des
indices, les interprètent individuellement, puis comparent ces interprétations au collectif. Ils
entrent à ce moment-là dans un processus d’enactement (Weick, 1995). Les interactions qui
suivent permettent aux salariés de donner un sens à la situation vécue. Ce qui importe, à ce
stade, n’est pas la construction de significations communes, parfaitement partagées par tous,
mais d’articuler les sens construits individuellement pour réussir à coordonner les actions
(Laroche et Steyer, 2012). Il s’agit de s’accorder temporairement sur des interprétations
équivalentes de la situation en reconstruisant collectivement du sens. Weick (1995) rappelle
que la construction collective de sens s’appuie sur deux mécanismes à la fois différents et
complémentaires : la construction intersubjective et la construction générique. La première
renvoie à la mise en commun de pensées, d’intentions et de sentiments individuels à travers
une activité de communication entre deux personnes ou plus. La seconde fait référence aux
répertoires d’actions et de règles développées par l’expérience, transférables d’un individu à
l’autre, qui sont intégrées dans les routines et schémas d’actions en vigueur dans
l’organisation (Allard-Poesi, 2003)228. Cette analyse montre l’importance des échanges, du
partage et, corollairement, que le repreneur ne peut, à lui seul, construire du sens. Ce n’est
qu’à travers une activité de communication incessante avec les salariés que les interprétations
intersubjectives et les compréhensions partagées se développent et se maintiennent. La
coordination des comportements repose à son tour sur le développement ininterrompu de
compréhensions équivalentes autour de questions d’intérêts communs. L’action individuelle
228
Construire collectivement du sens s’appréhende alors comme « une tension dynamique et continue mettant
à la fois en œuvre des processus d’émergence, d’innovation et de renouvellement des significations et
interprétations dans des dynamiques intersubjectives, des mécanismes de transfert et de maintien de
significations plus stables et partagées, mécanismes relevant de processus de construction générique) » (Allard-Poesi, 2003, p. 103).
197
et collective des salariés conjuguée à celle du repreneur, fait naître un nouveau système
d’actions organisées.
Nous retenons pour notre recherche que les salariés participent pleinement au processus
de reconstruction collective de sens post-reprise. Un nouveau système d’actions organisées ne
peut émerger sans leur participation. Leur rôle est fondamental. D’une part, grâce aux
échanges qu’ils concèdent, le repreneur bénéficie d’une meilleure représentation de ce qu’est
l’entreprise. La prise de décision et l’action de ce dernier s’en trouvent facilitées et bonifiées.
D’autre part, les processus de fabrication de sens engagés par les salariés, leur articulation à
travers des cycles d’interaction double (double interact) participent pleinement à la
coordination des actions au moment de l’entrée en fonction du dirigeant. Via les multiples
actions des salariés combinés à celles du repreneur, le processus organisant prend forme et
l’organisation se reconstruit.
2.1.3.) Un repreneur actif
La construction collective de sens permet aux acteurs organisationnels d’établir des
priorités et préférences quant aux actions à entreprendre (Weick, 1995). Une fois un accord
(temporaire) obtenu sur les moyens à mettre en œuvre, les individus s’engagent fermement
dans l’action et la préservation de la vie du groupe. Ce processus dynamique et permanent
surmonte les difficultés liées au changement et contribue à rendre l’organisation résiliente.
L’émergence d’une action coordonnée, donnant naissance à un système d’actions organisées,
dépend en grande partie de l’action du repreneur. En tant que nouveau dirigeant, nous
estimons que c’est à lui qu’il revient d’initier, puis de maintenir le processus. Son statut et la
concentration des pouvoirs entre ses mains, lui procurent une position centrale dans la gestion
et l’acceptation du changement. Durant la période post-reprise, pour tenter de réduire
l’équivocité de la situation, il est primordial qu’il interagisse avec les salariés. La
confrontation des subjectivités permet de relever des incompréhensions, de créer, par le
dialogue, une interruption du flux de l’activité pour reconsidérer l’action. Barabel et Meier
(2010, pp. 401-402) soulignent à leur tour le rôle actif du dirigeant dans un contexte de
changement. En tant qu’« architecte social » et « producteur de sens » du changement, il doit
être un véritable leader capable d’inspirer la transformation à un groupe, de redonner
confiance, de compenser les perturbations internes et externes et d’insérer les actions de
chacun dans « une démarche concertée et harmonieuse au service de l’organisation ». En
outre, il doit véhiculer auprès de toutes les parties prenantes de l’organisation des actions
198
symboliques, afin de légitimer la nécessité et la signification qu’il entend donner au
changement. Etant donné son importance dans le processus de changement, nous examinerons
son rôle, plus en détail, dans le point suivant.
2.2.) Le repreneur-leader de la TPE en tant qu’agent principal du changement
L’entrée dans l’entreprise du repreneur de la TPE l’installe dans une situation
inconfortable et cruciale pour son avenir et celui de l’organisation. La tâche s’avère ardue.
Non seulement, il se substitue à un individu occupant une position centrale dans l’entreprise
mais, plus encore, il doit convaincre un personnel qu’il n’a pas recruté de le suivre dans son
projet. Tout l’enjeu consiste à acquérir une légitimité en tant que patron, c’est-à-dire un droit
de diriger l’organisation. Cette prérogative n’est conférée par les salariés que s’ils estiment
que le dirigeant satisfera, dans l’avenir, leurs attentes (Bayad et Barbot, 2002). Si le
changement est difficile pour le repreneur, il l’est tout autant pour les salariés. Il génère des
doutes, des incompréhensions et des interprétations divergentes. Le changement fait peur, car
il est fréquemment synonyme de remise en cause personnelle. Il constitue une menace quant
au devenir de l’individu au sein de l’organisation et une remise en cause de ce que celle-ci
peut lui apporter (Perret, 1996). La prise de conscience individuelle d’une réalité devenue trop
complexe « peut générer des représentations ambivalentes et dilemmatiques qui rendent
difficiles la prise de décision et l’engagement dans l’action » (Perret, 1996, p. 18).
L’équivocité, corollaire du changement, peut dans ces conditions devenir paralysante pour
l’organisation. C’est là que le rôle du nouveau dirigeant prend, selon nous, toute sa mesure.
La confusion induite par l’événement réclame un travail cognitif d’attribution de
significations qui n’est initié, puis dirigé, que par le repreneur de l’entreprise lui-même. En
tant que nouveau leader, c’est à lui qu’il revient de donner du sens au changement, de
s’impliquer dans la formation d’un processus dynamique d’interactions interindividuelles,
support d’un cadre interprétatif équifinal. Au départ, lui seul connaît les projets qu’il formule
pour l’organisation. Les salariés, bien conscients de cet état de fait, font face à une asymétrie
informationnelle qui leur est défavorable. Ils attendent donc des actions de sa part pour tenter
d’y voir plus clair et s’inscrire à nouveau dans l’action. Les interventions initiées par le
repreneur sont indispensables dans la mesure où elles structurent l’inconnu. Le leadership du
repreneur, sa capacité d’influence, son aptitude à orienter les perceptions constituent la clé de
de l’engagement des salariés dans un nouveau système d’actions organisées et,
corollairement, de la résilience organisationnelle.
199
2.2.1.) Du statut de manager au statut de leader
2.2.1.1.) Manager le changement post-reprise : une action suffisante ?
A l’instar de Zaleznik (1977) et de Petit (2013), de nombreux auteurs décrivent le
manager comme un individu relativement passif dont la principale préoccupation consiste à
maintenir les standards et à assurer la continuité de l’organisation. Il planifie, organise et tente
de résoudre les différents problèmes en fonction de règles du jeu déjà établies. Mais qu’en est-
il lorsque ces mêmes règles sont modifiées, que les cartes sont rebattues, que les rapports
humains entre acteurs sont redéfinis par le changement (Crozier et Friedberg, 1977) ? Au sein
d’une entreprise de petite taille où les relations interindividuelles sont fortes et où le
changement de dirigeant constitue une expérience inhabituelle et douloureuse, le repreneur
peut-il se contenter du rôle de manager ? La littérature managériale apporte quelques éléments
de réponse. Elle enseigne que le dépassement d’une situation difficile ou la réussite d’un
changement organisationnel nécessite, le plus souvent, des « qualités supplémentaires » de la
part de celui qui en a la charge. Pour Robbins, Decenzo, Coulter et Rüling (2011, p. 347), « Il
est devenu essentiel, pour tout manager, d’être vu comme un leader. Pourquoi cette
dimension est-elle si importante ? Sans doute parce que au sein d’une organisation, et dans
des contextes parfois critiques ou dramatiques, les leaders demeurent ceux qui provoquent les
choses et fédèrent les énergies autour d’eux, créant et entretenant au quotidien confiance et
mobilisation ». Pour Vandangeon-Derumez et Autissier (2006, p. 170), le management ne
peut plus seulement se circonscrire à la contractualisation et au contrôle, « il doit également
animer avec une logique de création de sens sans cesse à renouveler, au risque de ne pas
pouvoir répondre à une situation nouvelle détruisant l’identité et l’intégrité de
l’organisation ». Dans un contexte de reprise, le manager doit parvenir à faire accepter à ses
différents collaborateurs une transformation de l’organisation. Ceci n’est pas chose aisée. Les
spécificités de la TPE sont à même de lui compliquer la tâche. Le départ de l’ancien dirigeant
est perçu par les salariés comme un événement fortement perturbant, et le changement généré
par l’entrée en action du repreneur apparaît comme plus impactant. Les réactions des salariés
s’en trouvent amplifiées. La petite taille de l’entreprise agit comme un effet complexifiant (De
Freyman, 2009, p. 55) qu’il faut gérer, puis dépasser. Nous en déduisons qu’un changement
organisationnel aussi impactant nécessite plus qu’une simple action de gérer et de contrôler le
changement. Dans un contexte aussi troublé, où les préoccupations individuelles sont à leur
comble et la motivation et l’engagement à leur point le plus bas, il devient essentiel de
200
redonner confiance, puis de remobiliser les énergies autour d’une vision. Il s’agit là
d’aptitudes que l’on attribue généralement au leader (Zaleznik, 1977 ; Kotter, 2003 ; Petit,
2013).
2.2.1.2.) Le repreneur-leader : un donneur de sens au changement
« Le leader est celui qui sait raconter la « bonne » histoire, celle qui donne un sens
approprié à la situation du moins pour ceux et celles qui l’écoutent » (Mongeau et Saint-
Charles, 2004). La littérature attribue au leader et, plus particulièrement, au leader
transformationnel, des capacités supplémentaires par rapport au manager (Bass, 1985). Il
dispose surtout de la faculté à motiver les salariés à travailler dans le sens d’objectifs
communs et à s’engager individuellement et collectivement dans l’action, même si
l’environnement est instable. Cette capacité d’influence semble très utile dans une situation
comme celle de la RPP d’une TPE où le changement bouleverse la position de chacun et le
fonctionnement habituel de l’organisation. Le leader transformationnel permet de faire
évoluer les valeurs établies ainsi que les comportements individuels et collectifs. Plus qu’un
simple gestionnaire d’organisation, il crée un climat de confiance propice à la communication,
suscite la participation et l’engagement de tous et donne un sens au changement. En reprenant
les caractéristiques du leader que nous avons listées précédemment, nous pouvons maintenant
avancer que le repreneur-leader dispose de plusieurs aptitudes : il s’agit d’un individu
charismatique à l’écoute des salariés et des autres parties prenantes qui influence positivement
ses collaborateurs et les aide à dépasser leurs objectifs. Durant la période post-reprise, il
communique clairement et régulièrement avec le groupe, il favorise l’interaction et la
participation de tous et, pour finir, donne un sens au changement que les individus sont en
train de vivre.
Ø Communiquer pour créer du sens et l’organisation
« Le sens est engendré par les mots (…). Les conversations (…) sont les briques de
l’ordre et du désordre, empreintes de l’action organisée. Les organisations sont construites,
maintenues et activées par le médium de la communication » (Weick, 1995, p. 106, traduit par
Giordano, 2006, p. 163). « Ce n’est qu’en vertu d’une communication continue que les
échanges et interprétations relevant de l’intersubjectivité, et les compréhensions partagées
relevant d’une subjectivité générique, se développent et se maintiennent229. » (Weick, 1995, p.
229
« Only by virtue of continuous communication are the exchanges and interpretations of intersubjectivity, and
the shared understandings of generic subjectivity, developed and maintained ». (Traduit par nous même).
201
75). Comme le montrent ces deux extraits, la communication constitue, dans l’esprit de
Weick, un élément fondamental du processus organisant. Le langage représente une ressource
cruciale dans le processus de sensemaking. Qu’il soit individuel ou collectif, il en est la
substance même (Vidaillet, 2003). Nous considérons que favoriser la pratique
communicationnelle s’avère encore plus fondamental dans un contexte où l’arrivée d’un
nouveau dirigeant fragilise un système d’actions organisées tout entier. Dès le commencement
de la période post-reprise, les salariés et le repreneur vont entrer en communication et
multiplier les interactions pour tenter de réduire l’équivocité de la situation. A ce moment
précis, le repreneur joue un rôle clé. Les doutes, les inquiétudes provoquées par son entrée en
fonction nécessitent de rétablir un certain niveau de confiance et d’apporter des éléments de
réponses aux nombreuses questions qui sont posées230. La communication en face à face
constitue une ressource essentielle pour lever la confusion et l’équivocité engendrée par la
situation (Weick, 1995, p. 107). Cette confrontation entre salariés et repreneur est
fondamentale dans la réussite du processus de reprise puisqu’elle permet de relever et
solutionner les doutes et les incompréhensions. Faciliter la communication entre tous les
membres de l’organisation constitue une priorité pour tout repreneur. Ce dernier doit
néanmoins éviter plusieurs écueils susceptibles d’amoindrir la qualité de la communication
interpersonnelle et, finalement la construction collective de sens. Laroche et Steyer (2012) en
ont dénombré six.
(1) Les conditions matérielles : elles relèvent de conditions techniques ou encore
d’incompréhensions dans le langage (support de communication, utilisation d’un langage
différent, etc).
(2) La hiérarchie et les statuts symboliques : si la structure de rôles de l’organisation
permet de coordonner l’action en cas de changement écologique, elle peut avoir des
conséquences néfastes en termes de communication. Des liens hiérarchiques trop forts ainsi
qu’une centralisation de l’autorité peut restreindre la communication. Les individus
déresponsabilisés sont moins autonomes et, de ce fait, moins impliqués dans l’action. Cette
situation appauvrit nettement le processus de sensemaking.
230
Nous relevons que, dans la perspective weickienne, il n’est pas question pour les managers de chercher à clarifier les objectifs des décisions qui sont prises, mais, au contraire, de maintenir une certaine ambiguïté concernant les missions et objectifs poursuivis. Cette pratique évite les conflits, permet la coexistence d’interprétations divergentes et la réalisation du travail collectif (Allard-Poesi, 2003).
202
(3) L’absence de variété : une culture, des identités sociales, des origines, des
personnalités insuffisamment variées diminuent la qualité de la communication
interpersonnelle, la capacité de perception des événements et le répertoire des actions au sein
de l’équipe.
(4) Les dangers d’une étiquette trop vite apposée : elle renvoie à un phénomène de
normalisation des perceptions et des discours.
(5) La cohérence attentionnelle : il s’agit de coordonner l’attention des membres de
l’organisation sur un événement de manière à les impliquer dans la recherche, le partage et
l’interprétation d’indices. S’il n’y a pas de cohérence attentionnelle, la communication ne se
développera pas.
(6) Les effets d’engagement comportemental : une fois engagée dans l’action, l’individu a
tendance, plus ou moins consciemment, à adapter son discours pour justifier son action. Des
indices favorables à la construction collective de sens peuvent ne pas être communiqués. En
outre, pour conserver un niveau de communication interpersonnelle satisfaisant, Weick (2009)
suggère au leader aux prises avec une situation qu’il ne maîtrise pas, d’exprimer clairement
ses doutes. Cette pratique encourage l’expression individuelle, le débat et, in fine, la
construction collective de sens. Le repreneur, empêtré dans une situation complexe, peut
reconnaître publiquement qu’il ne maîtrise pas encore la situation, laissant émerger un climat
favorable au partage d’idées et à l’interaction.
S’il existe des obstacles à la communication, il est néanmoins possible de l’encourager. Se
basant principalement sur les écrits de Weick, Giordano (2006, p. 165) dresse une liste de
points favorisant une communication harmonieuse231. Il s’agit : de prendre les conversations
au sérieux (Weick et Browning, 1986), de favoriser les échanges conversationnels, la
conversation respectueuse (Weick, 1995) et le contact en face à face pour faciliter la
construction de la confiance (Weick, 1987), de savoir écouter les autres (Weick, 1995), de
mettre en place des réunions (Weick, 1995), et de favoriser l’interaction respectueuse
(Vidaillet, 2003). Toutes ces dispositions favorisent le processus organisant et la résilience de
l’organisation. Elles doivent, bien entendu, faire l’objet d’une attention toute particulière de la
part du repreneur.
231
Ces recommandations s’adressent au dirigeant de l’organisation ainsi qu’à tous ses membres.
203
Ø Donner aux salariés la possibilité d’interagir et d’être acteurs du changement
« Qu’il prédise le redressement ou la conquête, l’essentiel est que le leader produise ce
mélange d’optimisme et d’action qui va permettre aux membres de sortir de la confusion et
d’imaginer de nouvelles voies » (Koenig, 2003, p. 27). Le repreneur doit permettre aux
salariés d’interagir et d’être acteurs du changement. Pour Boussaguet (2010, p. 100), il est
nécessaire de « leur donner la possibilité de s’approprier du projet de reprise et d’étudier les
opportunités pour devenir acteur dans ce dernier ». Cela passe par un apport d’informations
claires sur ce qui les concerne directement et par des explications sur les stratégies
d’évolutions futures portées par le nouveau dirigeant. Pour Colson (2005), un projet de
changement correctement mené ne doit pas laisser de place à l’ambiguïté. Il doit se baser
avant tout sur une vision claire, c’est-à-dire des objectifs bien définis, partagés par toutes les
parties prenantes, et donner une place au dialogue social. Selon Gioia et Chittipeddi (1991),
tous les membres de l’organisation doivent pouvoir se représenter le changement, le
comprendre de façon à ce que ce dernier fasse sens. Pour ces auteurs, le processus de
sensemaking précède toujours un processus de sensegiving232. C’est par ce double processus,
complètement imbriqué, que le dirigeant influence les actions des différentes parties
prenantes, notamment des salariés, et obtient leur action et leur engagement dans le
changement. Via une communication et des interactions permanentes, une vision du
changement préalablement initiée par le dirigeant va se développer, être révisée, puis
progressivement partagée par les autres membres de l’organisation. Ce processus favorise
l’appropriation du changement et un large engagement dans l’action de la part des parties
prenantes (Autissier, Vandangeon-Derumez et Vas, 2010). Dans cette perspective, il
appartient au dirigeant, ici le repreneur, d’animer le changement en inventant une nouvelle
vision et de donner la possibilité aux membres de l’organisation d’être acteurs du changement
pour réussir son entrée en fonction. Nous notons, cependant, que les caractéristiques de la
TPE constituent un obstacle obstruant le processus d’interaction et l’engagement des acteurs
durant la phase de management de la reprise. Un repreneur trop présent, disposant de tout
pouvoir, est un frein à la construction collective de sens. En intervenant sans cesse, en
centralisant trop fortement les décisions et en restreignant l’autonomie des salariés, il risque
de limiter l’interprétation et l’interaction, éléments essentiels au processus de sensemaking.
Pour Garreau (2006, p. 12), ce risque est élevé dans les entreprises de petites tailles, le 232
Le sensegiving est défini comme un « processus qui vise à influencer la construction de sens et le sens
construit par les autres vers une redéfinition préférée de la réalité organisationnelle » (Gioia et Chittipeddi, 1991, p. 442, cités par Autissier, Vandangeon-Derumez et Vas, 2010, p. 92).
204
dirigeant étant tenté de faire face lui-même à toutes les situations. Empiétant sur les zones
d’influence des acteurs (Crozier et Friedberg, 1977), il déresponsabilise les individus, les
prive de la possibilité d’être acteurs du changement et de se contraindre à créer du sens. Le
repreneur doit, en tout état de cause, veiller à ne pas tomber dans le « sur-management », au
risque « de contrarier les mécanismes de régulation déjà en place au sein de l’organisation »
(Koenig, 2003, p. 24). A défaut, il sera à la fois un vecteur de création et de perte de sens.
Nous retenons donc que tout dirigeant d’entreprise, même petite, ne peut à lui tout seul faire
le changement. Il a besoin de la coopération des autres membres de l’organisation qui, certes,
ne possèdent pas autant de ressources que lui, mais bénéficient d’une marge de manœuvre,
d’une capacité à agir, à construire du sens et à communiquer (Giroux, 1993). Les salariés, de
par leur position d’acteurs du quotidien, doivent être considérés par le repreneur comme de
véritables agents du changement et non plus comme de simples destinataires de ce
changement (Soparnot, 2009).
Ø Donner du sens au changement
« Si l’équipe en place comprend le sens de l’ « évolution », elle se mobilisera pour
réussir ; dans le cas contraire, elle risque de s’exclure du changement » (Boussaguet, 2010,
p. 100). Crozier et Friedberg (1977, p. 334) rappellent que tous les membres d’une
organisation ne sont pas attachés de manière passive et bornée à leurs routines, ils sont tout à
fait prêts à changer s’ils sont capables de trouver un intérêt dans les jeux qu’on leur propose.
Les salariés doivent savoir où on les mène et quel peut être leur intérêt à changer. Le
repreneur doit en tenir compte. Pour réussir la période de management de la reprise, il lui faut
proposer une nouvelle vision aux salariés afin d’obtenir leur participation et engagement dans
un nouvel environnement. Le repreneur endosse le rôle de donneur de sens du changement.
Pour Weick (1993, p. 14, traduit par Giroux, 2006), le travail d’un créateur de sens, « c’est de
transformer un univers d’expérience en un monde intelligible ». Ceci est d’autant plus
indispensable que la situation se brouille, qu’elle devient équivoque consécutivement à un
changement important. Le repreneur, bénéficiant d’une asymétrie informationnelle, doit être
celui qui explique ce qui se passe. Il doit rendre le changement compréhensible et tout mettre
en œuvre pour faciliter le processus d’élaboration d’une représentation partiellement partagée
de la situation. Pour Rollin (2006, p. 75), cela paraît indispensable, le repreneur ne pouvant
être «le vrai patron qu’à partir du moment où il a expliqué le sens de son projet et de son
action ». La conduite du changement, l’explication des événements ainsi que l’action
205
d’organiser la création d’un schéma d’interprétations partagées, incombent directement au
repreneur. Nous rejoignons les conclusions de nombreux auteurs (tableau 13) lorsqu’ils
mettent en exergue le rôle déterminant des responsables de l’organisation dans la mise en
place d’interprétations signifiantes au sein d’un environnement difficilement compréhensible.
La gestion d’une entreprise en contexte de changement requiert, avant tout, de clarifier une
situation brouillée dans l’esprit des individus en donnant du sens à un environnement
complexe dans lequel ils évoluent.
206
Tableau 13 - Le manager : un donneur de sens
FIOL et
HUFF
(1992)
« Les managers doivent donner du sens aux environnements changeants et
mettre à jour le contexte dans lequel les décisions devront être prises, avant
même que le changement ne paraisse évident ».
SHOTTER
(1993)
« Le rôle du manager n’est pas de … mais de créer à partir d’un ensemble
d’événements incohérents et désordonnés une « structure » cohérente à
travers laquelle les actions en cours et les possibilités futures pourraient
avoir du sens ».
THOMAS et
al. (1993)
« Parce que les environnements organisationnels modernes sont complexes
et dynamiques, l’un des rôles clés de la direction aujourd’hui consiste à
donner des interprétations signifiantes à des informations ambiguës ».
HUBER et
DAFT
(1987)
« Lorsque les managers sont confrontés à un événement équivoque (ambigu,
prêtant à confusion), ils utilisent un langage pour partager les perceptions
parmi eux et créent progressivement le sens à travers la discussion, le
tâtonnement, l’essai et l’erreur et le sondage ».
HENRIET
(1993)
« Donner un sens, c’est d’abord donner une direction, un but à atteindre.
C’est aussi donner une signification à l’action quotidienne, faire en sorte que
les individus aient un projet, puissent jeter un pont entre le présent et
l’avenir. Le leader voit et permet de voir plus loin ».
BARABEL
et MEIER
(2010)
« Les dirigeants jouent un rôle central dans la redéfinition identitaire des
entreprises, en permettant de construire la base politique et symbolique
nécessaire aux changements et de redonner la confiance à des collaborateurs
souvent démunis. Ils jouent en effet le rôle de « producteur de sens » du
changement, en véhiculant auprès de tous les acteurs de l’organisation des
actions symboliques, afin de légitimer la nécessité et la signification qu’ils
entendent donner au changement ».
Source : adapté de Ben Fredj Ben Alaya (2007).
207
Le repreneur, en tant que nouveau dirigeant de l’organisation, joue un rôle clé dans la
définition du sens à donner au changement. Mais comment peut-il faire ? Quelles actions met-
il en œuvre pour réaliser cette mission ? Bartunek, Krim, Necochea et Humphries (1999, pp.
61-62) préconisent aux leaders certaines pratiques. Ils suggèrent de recourir aux
stratégies suivantes : « créer des messages qui apparaissent logiques et raisonnables, utiliser
des sanctions et des récompenses, faire appel aux valeurs et aux normes du récepteur, et
démontrer sa crédibilité 233 ». Leur analyse d’un changement stratégique au sein d’une grande
administration américaine (la ville de Boston) confirme, en effet, l’usage intensif par le(s)
leader(s) de ces différentes activités en tant que mode de persuasion durant tout le processus
de sensegiving.
La prééminence du rôle joué par le repreneur dans l’émergence et le développement du
processus de reconstruction collective de sens post-reprise souligné, nous allons, dans le
paragraphe suivant, étudier les différentes actions qui lui sont possibles en fonction des
variables de la construction de sens telles qu’elles sont décrites par le modèle de Vandangeon-
Derumez et Autissier (2006). La question est de savoir comment le repreneur favorise (ou
non) la reconstruction de sens et, finalement, la résilience de l’organisation, en agissant sur les
trois variables du modèle (culture, stratégie et structure).
2.2.2.) Une action sur les variables de la construction de sens
Vandangeon-Derumez et Autissier (2006) ont composé un modèle du processus de
sensemaking234 en situation de changement. Pour arriver à ce résultat, ils ont commencé par
définir, à partir des écrits de Weick, ce qu’ils ont appelé « le processus d’engagement dans
l’action ». En se basant sur une littérature managériale plus large, ils ont ensuite mis au jour
trois variables constitutives de sens au sein des organisations : la culture, la stratégie et la
structure. Ils ont relié ces trois « ressources » au processus d’engagement dans l’action pour
finaliser leur modèle. A partir de cette modélisation, nous cherchons maintenant à comprendre
comment le repreneur agit, durant la période de management de la reprise, en s’appuyant sur
ces différentes variables pour (re)construire du sens et engager les individus dans l’action. Ses
interventions portent sur la culture, la stratégie et la structure.
233
« Making messages appear logical and reasonable, use of sanctions and rewards, appeals to the values and the norms of the receiver, demonstrate the credibility of the sender”. Traduit par nous même. 234
Pour une description détaillée du modèle, nous renvoyons le lecteur au point précédent.
208
2.2.2.1.) Une action sur l’évolution de la culture
Schein (1992) définit la culture comme « un modèle d’assomptions de base, qu’un
groupe donné a découvert, inventé et développé, en apprenant à faire face aux problèmes
d’adaptation externe et d’intégration interne, qui ont été suffisamment éprouvés pour être
considérés comme valides et donc être enseignés aux membres comme étant la manière la
plus juste de percevoir, de penser en relation à ses problèmes ». Il s’agit d’un ensemble
d’évidences, de préférences collectives, de croyances, de valeurs, de rites et de normes
partagées entre les différents membres de l’organisation. La culture d’entreprise remplit
plusieurs objectifs. Elle assure une certaine cohérence au niveau du groupe, via le partage de
valeurs. Elle améliore également l’adaptation de ce dernier aux variations de l’environnement.
La culture favorise la constitution d’un groupe plus soudé disposant d’une vision relativement
commune de l’avenir. Elle occupe une place importante dans le fonctionnement d’une
organisation puisqu’elle « donne envie aux individus de s’investir dans l’action »
(Vandangeon-Derumez et Autissier, 2006, p. 177) et constitue un point de repère mobilisable
face à une situation ambiguë. Elle crée des repères « idéologiques, philosophiques ou de
valorisation sociale » (Vandangeon-Derumez et Autissier, 2006, p. 175) et alimente le
processus de sensemaking, en rassemblant l’expérience collective cumulée, et en permettant
de comprendre comment les stratégies des organisations se développent. La culture génère
ainsi un mouvement d’organizing par lequel les individus se construisent le cadre de leur
activité en y participant. Nous pensons que l’arrivée dans l’entreprise du repreneur est une
situation susceptible de modifier et enrichir la culture d’entreprise et, par la même,
d’interférer sur la construction de sens. La position centrale qu’il occupe désormais au sein de
la TPE accroît son influence. Le repreneur apporte avec lui des éléments nouveaux comme
une identité, des valeurs, une expérience. Sa manière d’être, la façon dont il travaille (seul ou
en équipe), la mission qu’il se donne et qu’il donne à l’entreprise, les actions qu’il mène pour
installer et entretenir le dialogue social, ont des répercussions immédiates sur la culture de
l’organisation. Nous rejoignons les conclusions de Deschamps (2000, p. 366) pour qui, le
simple fait de manager, dès l’entrée en fonction du repreneur, conduit inévitablement à des
modifications de la culture organisationnelle, avec des répercussions sur l’ensemble des
acteurs.
209
2.2.2.2.) La formulation d’une stratégie
Selon Chandler (1962), « la stratégie consiste en la détermination des buts et des
objectifs à long terme d’une entreprise, l’adoption des moyens d’action et d’allocation des
ressources nécessaires pour atteindre ces objectifs ». Barabel et Meier (2010) la définissent,
quant à eux, comme «l’ensemble des décisions et actions qui orientent de façon déterminante
et sur le long terme, la mission, les métiers et activités de l’entreprise, ainsi que son mode
d’organisation et de fonctionnement ». Nous retenons de ces deux définitions que la stratégie
correspond à un choix, à une orientation sur le long terme. Elle détermine les moyens
d’action, les ressources allouées ainsi que le mode d’organisation de l’entreprise en vue
d’atteindre les objectifs fixés. La formulation d’une stratégie structure l’environnement des
individus et clarifie leurs intentions et actions. Pour Green (1988, cité par Desreumaux, 1993),
élaborer une stratégie, « c’est engendrer des significations sur la nature, l’objet, la direction
de l’entreprise qui permettent aux acteurs de rendre leur monde organisationnel intelligible
et d’expliquer aux autres que ce qu’ils font a un sens ». Ceci s’avère encore plus utile en
période de changement où l’équivocité est à son paroxysme. Dumoulin, Guieu, Meschi et
Tannery (2010, p. 35) relèvent que la construction de sens, démarche nécessaire à une
meilleure coordination des actions, passe notamment par la formulation d’une vision
stratégique au sujet des évolutions futures. Il s’agit d’intervenir sur le processus
d’interprétation de la réalité en « permettant aux acteurs de donner forme à une vision de la
dynamique actuelle et future ». On recourt à des « énoncés (dits stratégiques) » ou à « des
mises en images » qui précisent « les sensations et les orientations générales portées par la
stratégie ». Ces signaux et indications confortent les individus dans leurs interprétations et les
projets stratégiques qu’ils peuvent ou doivent mettre en place (Dumoulin, Guieu, Meschi et
Tannery, 2010, p. 35). Pour Filion et Lima (2011), dans une TPE, il appartient au dirigeant de
communiquer continuellement et de partager ses valeurs, ce qu’il est, ce qu’il fait, ce qu’il
veut faire, sa vision avec l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise et en particulier ses
salariés. Ces auteurs définissent la vision comme « une projection ou une image d’un état
futur désiré entretenu par un dirigeant à propos de la place qu’il veut voir occupée par ses
produits/ services sur le marché et de la configuration souhaitée pour son organisation afin
d’y parvenir ». Le dirigeant doit partager cette vision avec les salariés afin de faciliter la
coordination, la gestion et la prise de décision dans l’organisation. Ceci ne peut se faire que
par une « conversation stratégique » entre au moins deux personnes. L’interaction continue
est perçue comme un moyen d’amélioration de la vision, de sa faisabilité et de sa mise en
210
œuvre. Un tel processus permet à chacun de situer son rôle dans un processus cohérent et de
« comprendre la logique de progression de l’ensemble » (Filion et Lima, 2011, p. 9).
Pour de nombreux auteurs, il n’y a aucun doute sur la prépondérance du rôle joué par le
dirigeant de TPE dans la formulation d’une stratégie pour l’entreprise. Mais qu’en est-il
lorsque ce dernier est nouveau venu dans l’affaire ? Grazzini, Boissin et Malsch (2009)
s’intéressent précisément à ce cas de figure. Pour eux, le repreneur externe, en tant que
nouveau dirigeant, occupe un « rôle clé » dans le processus de formation de la stratégie.
Néanmoins, ils relèvent que deux interférences risquent de se produire dans le déroulement du
processus. Premièrement, il faut que le repreneur acquière les valeurs, les connaissances et
une légitimité nécessaires à l’action. Il doit franchir une à une les étapes du processus de
socialisation repreneuriale (Boussaguet, 2005). Deuxièmement, le repreneur peut éprouver, en
raison de son arrivée récente dans l’entreprise, des difficultés à se constituer une vision
stratégique adéquate. Ainsi, « n’ayant pas encore en mains toutes les clés d’analyse et de
compréhension nécessaires, il lui est très difficile d’acquérir aussi rapidement qu’il le
faudrait un bon niveau d’acuité stratégique, c’est-à-dire un degré de finesse suffisant du point
de vue de la vision stratégique » (Grazzini, Boissin et Malsch, 2009, p. 156). En plus des
difficultés qui viennent d’être soulignées, nous considérons que les spécificités de la TPE ont
également un impact fort sur le processus de formulation stratégique du repreneur. Notre
revue de littérature a montré que le dirigeant au sein de ce type d’organisation, souvent par
manque de temps et de recul, avait tendance à considérer l’ensemble des actions à mener
comme stratégique (Mahé de Boislandelle, 1996). La petite taille de l’entreprise confronte le
propriétaire-dirigeant aux aléas de la gestion quotidienne d’une activité et, en cela, l’empêche
de consacrer du temps « à la réflexion stratégique et de prendre du recul » (Torrès, 2003). La
centralisation des décisions auprès de lui est également susceptible d’apporter de la confusion
entre des questions d’ordre stratégique et des questions opérationnelles.
Elaborer une stratégie sous-entend systématiquement la présence d’un ou de plusieurs
stratèges. Au sein d’une TPE, nous venons de le voir, il s’agit d’une fonction dévolue quasi
systématiquement au dirigeant, ce dernier prenant généralement toutes les décisions
importantes (Marchesnay, 1991 ; Filion, 1991). Dans le cadre d’une RPP, nous estimons que
la formulation d’une stratégie par le repreneur est essentielle. Elle favorise l’orientation des
actions et stimule les interactions au sein de l’organisation. Parce qu’elle permet le
développement de significations équivalentes (Vandangeon-Derumez et Autissier, 2006), les
211
individus se mettent progressivement d’accord sur les actions à entreprendre et s’impliquent
dans la construction d’un système d’actions organisées.
2.2.2.3.) Une intervention sur le processus de structuration
Pour Shotter (1993, cité par Ben Fredj Ben Alaya, 2007), le rôle du manager consiste à
« créer à partir d’un ensemble d’événements incohérents et désordonnés une « structure »
cohérente à travers laquelle les actions en cours et les possibilités futures pourraient avoir du
sens ». Mais que sous-entend exactement cette notion de structure ? Il existe dans la littérature
de nombreuses définitions de ce que représente la structure d’une organisation. Sans revenir
en détail sur l’évolution de cette notion au cours du temps, nous relèverons deux grandes
approches antagonistes, l’une s’inscrivant dans le paradigme positiviste et l’autre
d’inspiration constructiviste. La théorie de la contingence structurelle (Burns et Stalker,
1961 ; Emery et Trist, 1963 ; Lawrence et Lorsch, 1967 ; Mintzberg, 1982), développée dès
les années 1960 à partir des écrits de Joan Woodward, explique les mécanismes de
structuration d’une organisation à partir des paramètres caractéristiques de son contexte
externe et de différents facteurs tels que la taille, la technologie ou le pouvoir par exemple. Un
de ses éminents représentants, Mintzberg (1982, p. 18), définit la structure comme « la somme
totale des moyens employés pour diviser le travail entre tâches distinctes et pour ensuite
assurer la coordination nécessaire entre ces tâches ». Dans ses travaux, l’auteur met en
évidence qu’une structure peut se caractériser selon cinq critères de base : la spécialisation du
travail, la coordination, le degré de formalisation, la standardisation et la centralisation du
pouvoir de décision. Ce sont ces différents critères qui vont orienter la nature et le
fonctionnement de l’organisation (Barabel et Meier, 2010). Une des principales limites de
cette approche tient au fait qu’elle ne prend pas suffisamment en compte le comportement des
acteurs et leur influence dans le processus de structuration. On lui reproche également son
caractère déterministe, positiviste et nomothétique (Rojot, 2003). Adoptant une perspective
constructiviste, Weick (1993) considère que la structure ou, plus exactement, le processus de
structuration, est composée de deux éléments et de leurs relations (la structure formelle : le
cadre, et la structure informelle : le sens). L’un ne va pas sans l’autre. Le cadre formel
« valide, codifie et institutionnalise les rôles, règles, procédures, activités configurées et
relations d’autorité qui donnent les clés de la signification », alors que la structure informelle
représente « la capacité de la structure formelle à créer les occasions d’interaction au cours
desquelles les individus échangent et créent un sens partagé » (Vandangeon-Derumez et
212
Autissier, 2006, p. 175). Grâce à ce processus de structuration, chaque individu trouve sa
place dans l’organisation et connaît son cadre d’intervention. Cela lui permet d’interagir plus
facilement avec les autres et de stabiliser la représentation qu’il se fait de son environnement.
Cette seconde approche fournit un cadre d’analyse particulièrement riche pour comprendre le
comportement des acteurs suite à l’arrivée d’un nouveau dirigeant. En adoptant une grille de
lecture interactionniste, nous percevons l’arrivée dans l’entreprise du repreneur comme un
changement venant bousculer le processus de structuration de l’organisation, aussi bien au
niveau formel, c’est-à-dire au niveau du cadre, qu’au niveau informel (niveau du sens). Face à
un événement de ce genre, le nouveau dirigeant doit agir. Afin d’éviter que le processus de
structuration liant cadre et sens ne se détruisent l’un l’autre, consécutivement à un
changement écologique, Weick (1993, p. 645) préconise, tout en conservant une relation
directe entre les deux éléments, de créer une relation inverse avec « moins de sens, plus de
structure, et vice versa ». Dans le cadre d’une RPP de TPE, nous considérons que c’est au
repreneur, en tant que nouveau dirigeant, qu’il revient d’intervenir sur le processus de
structuration. Celui-ci peut agir à la fois sur le cadre formel en redéfinissant, par exemple, les
rôles de chacun et les relations d’autorité, et sur le sens en créant, par exemple, des occasions
d’interaction entre les différents membres de l’organisation. La structure prendra forme et sera
en mesure de « rendre plausible l’engagement de l’individu dans l’action » (Vandangeon-
Derumez et Autissier, 2006, p. 177).
Les développements précédents avaient pour objectif de définir un cadre d’analyse
pertinent pour appréhender l’entrée en fonction du repreneur au sein d’une TPE. Nous avons
pu assimiler cet événement à un changement organisationnel majeur devant être conduit par le
nouveau dirigeant. Reconstruire du sens apparaît comme une solution efficace pour réduire
l’équivocité, recréer un nouveau système d’actions organisées et favoriser la résilience de
l’organisation. A présent, nous pouvons formuler les questions et les objectifs de notre
recherche.
2.3.) Questions et objectifs de la recherche
Mieux comprendre le processus d’entrée dans une TPE d’un repreneur externe constitue
l’objectif principal de notre travail doctoral. Le repreneur se heurte durant cette période à de
nombreux problèmes humains entravant à la fois son intégration au sein de la structure et le
fonctionnement habituel de l’organisation. Les effets du changement vécu par les uns et les
autres expliquent en grande partie les réactions. Nous estimons que la théorie du sensemaking
213
est à même de nous apporter des éléments pour mieux comprendre ce qui se passe au moment
de l’arrivée du repreneur. Avant d’exposer plus en détail nos questionnements et objectifs de
recherche, un bref retour sur le cheminement de notre recherche s’avère nécessaire.
En ce qui nous concerne, la reprise d’entreprise en tant que thème de recherche trouve
son origine dans les nombreuses interrogations survenues lors de notre expérience
professionnelle de dirigeant-propriétaire d’une petite entreprise du secteur de la
distribution235. Nous avons pu notamment côtoyer, sur notre chemin, un repreneur de TPE236
saine en train de se démener, au moment même de sa prise de fonction, avec des problèmes
auxquels il n’était pas suffisamment préparé. Les difficultés rencontrées incombaient, selon
ses propres dires, aux mauvaises relations (ou plus exactement à l’absence de relations) avec
le personnel déjà en place dans la structure. Au cours d’une de nos nombreuses rencontres, ce
repreneur nous a confié qu’il était confronté, dès son arrivée dans l’entreprise, à des
difficultés relationnelles avec ses salariés. Ces derniers exprimaient volontairement leur
mécontentement par des arrêts maladies en série, des accidents du travail et, pour deux d’entre
eux, par la remise de leur démission quelques semaines après son arrivée. Ancien repreneur
avec succès d’une TPE sans salariés237, il nous a confié ne pas comprendre où était son échec.
Malheureusement, nous n’avons pu que constater l’évolution de son parcours chaotique,
puisqu’il a été contraint de déposer le bilan trois ans après sa reprise. A partir de ce premier
constat issu du terrain, nous nous sommes donc naturellement posé les questions suivantes :
Quelles sont les causes des difficultés rencontrées par les repreneurs de TPE saines
au moment de leur entrée en fonction ? Pourquoi le fait de reprendre une entreprise en
bonne santé n’assure pas forcément sa continuité ?
De nombreux auteurs (Donckels, 1995 ; Deschamps et Paturel, 2005 ; Boussaguet,
2005) voient dans l’arrivée d’un nouveau dirigeant dans l’entreprise, un changement
organisationnel majeur. Les caractéristiques de la TPE semblent avoir un impact sur le
phénomène, le rendant spécifique. Le repreneur se retrouve, au moment même de son entrée
en fonction, dans l’obligation de gérer un changement très important pour l’entreprise (sans
235
Nous avons repris « à la barre » du tribunal de commerce de St-Etienne, une entreprise de petite taille (en grande difficulté) en janvier 2005. Nous l’avons conservée puis revendue en bon état de fonctionnement au bout de 5 ans. 236
Le repreneur en question avait racheté en 2009, une brasserie restaurant réputée sur Saint-Etienne. Cette dernière, en bon état de fonctionnement apparent, employait 7 personnes et existait depuis plusieurs décennies. 237
Ce repreneur avait repris un bar tabac en 2005 et l’avait revendu avec profit en 2009.
214
doute l’un des plus importants de son histoire), alors qu’il ne connaît encore que très peu de
choses sur elle et sur son fonctionnement. Il apparaît clairement que l’organisation toute
entière entre dans une période faite d’inattendu, d’incertitude et de transition de rôles.
Généralement, le repreneur poursuit, dans un premier temps, l’objectif de réussir le
changement en maintenant « à flot » l’entreprise. Ceci passe nécessairement par le maintien
d’un certain niveau de coordination entre acteurs et par un engagement renouvelé de chacun.
Pour de nombreux auteurs (Fiol et Huff, 1992, cités par Ben Fredj Ben Alaya, 2007 ;
Vandangeon-Derumez et Autissier, 2006 ; Barabel et Meier, 2010 ; Brun, 2012), un processus
de changement ne réussit que si les acteurs qui le mettent en œuvre lui donnent un sens. Pour
Gioia et Chittipeddi (1991), le dirigeant d’entreprise joue un rôle prépondérant dans la
réussite d’un tel processus. Son statut lui confère une place centrale dans la gestion,
l’interprétation et l’acceptation du changement (Daft et Weick, 1984). De nos différentes
revues de littérature portant à la fois sur la gestion du changement et le leadership, nous
retenons que le dirigeant ne doit plus se contenter de contractualiser et contrôler le
changement. Il doit également l’animer avec une logique de construction de sens sans cesse
renouvelée, au risque de ne pas être en mesure de répondre à une situation nouvelle détruisant
l’identité et l’intégrité de l’organisation (Autissier, Vandangeon-Derumez et Vas, 2010). Ceci
semble encore plus vrai au sein des TPE.
Si le dirigeant d’entreprise semble constituer l’élément central, il ne faut pas pour autant
négliger le rôle des salariés dans la réussite du changement. Ces derniers doivent être
appréhendés comme de véritables agents du changement, et non plus comme ses simples
destinataires (Soparnot, 2009). La réussite d’un changement implique tous les acteurs. Elle
s’appuie sur deux piliers : « un leader déterminé qui incarne le changement à mener et des
salariés ayant le pouvoir d’agir dans leur domaine pour faire avancer les choses » (Le Saget,
2009, cité par Brun, 2012). Demers (1993, p. 23) rappelle également qu’une telle réussite
passe avant tout par « un processus d’interprétation, c’est-à-dire un processus interactif de
création de sens » entre les différents membres de l’organisation. A travers ses travaux,
Weick a montré l’importance de la construction de sens dans l’évolution et le dénouement des
situations « brouillées » ou « interrompues » au sein des organisations. Nous avons pu
observer l’arrivée dans l’entreprise du repreneur comme un événement venant perturber un
environnement enacté dans l’esprit des individus. Face à un événement aussi traumatisant
(Boussaguet, 2005) et déstabilisant pour l’organisation (Deschamps et Geindre, 2011), les
215
salariés ont besoin que l’équivocité soit, au moins partiellement, levée pour clarifier les
actions de chacun. Cette démarche permet aux différents membres de l’organisation d’établir
des priorités et préférences quant aux actions à entreprendre et, par là, de constituer un
système d’actions organisées (Vidaillet, 2003, p. 178). Surmonter les difficultés liées au
changement de dirigeant nécessite de reconstruire collectivement du sens afin que chacun
trouve sa place dans l’organisation. Encourager ce processus constitue un moyen de susciter
l’engagement des individus dans l’action, de réduire l’équivocité de la situation et
d’augmenter ainsi la résilience de l’organisation. En tant que nouveau dirigeant, c’est bien
évidemment au repreneur qu’il appartient de développer et d’entretenir le processus. Partant
de là, nous posons notre question principale de recherche :
Comment le repreneur de TPE saine peut-il, durant la période de management de
la reprise, mieux réussir le changement ?
De cette question principale de recherche, découlent quatre questions de recherche
subsidiaires :
Question de recherche 1 : L’arrivée dans l’entreprise du nouveau dirigeant engendre-t-
elle de l’équivocité, si oui, comment est-elle exprimée ?
Question de recherche 2 : Peut-on décrire le processus de reconstruction collective de
sens post-reprise ? Quelles sont les étapes de ce processus ?
Question de recherche 3 : Quels sont les facteurs influençant la création/perte de sens
pendant la période de management post-reprise d’une TPE ?
Question de recherche 4 : Comment un repreneur de TPE, en tant que nouveau leader
de l’entreprise, peut-il favoriser la création collective de sens ?
Nous poursuivons plusieurs objectifs durant cette recherche :
Objectif n°1 : Décrire le processus de reconstruction collective de sens post-reprise
consécutif au changement de dirigeant et en offrir une modélisation.
Objectif n°2 : Identifier les facteurs de création/perte de sens durant l’étape du
management post-reprise.
Objectif n°3 : Montrer comment le repreneur de TPE, en tant que nouveau leader, peut
influer sur le processus de sensemaking.
216
Conclusion section 2
Dans cette seconde section, nous avons démontré l’importance des interactions entre
acteurs pour faire émerger un nouveau système d’actions organisées dans lequel chacun
imagine sa place et situe son action. Face à un changement fortement déstabilisateur et
créateur d’équivocité comme la RPP, nous avons pu percevoir la nécessité pour chacun de
rendre intelligible l’événement. Chaque acteur, qu’il soit salarié ou repreneur, participe, à
travers ses interactions, à la mise en œuvre du processus de reconstruction collective de
sens. Nous avons néanmoins constaté théoriquement l’influence prépondérante du nouveau
dirigeant en tant que nouveau leader dans son déroulement.
Durant la période post-reprise, reconstruire collectivement du sens s’est révélé
indispensable à la poursuite de l’action et au maintien d’une action coordonnée entre tous les
acteurs. La manière dont sera géré individuellement, puis collectivement l’événement,
constitue un enjeu majeur dans la gestion et la réussite du changement. Nous avons
également pu appréhender le repreneur comme un donneur de sens, ayant pouvoir d’agir sur
différentes variables organisationnelles telles que la culture, la stratégie et la structure.
Notre cadre théorique posé, nous avons formulé notre question de recherche
principale et les questions de recherches subsidiaires.
217
Conclusion chapitre 2
L’objet de ce deuxième chapitre était de préciser notre cadre d’analyse et d’expliciter
nos questions de recherche. A partir d’une revue de littérature concernant les principaux types
de changement, nous considérons l’arrivée d’un repreneur dans une TPE comme un
changement organisationnel majeur et spécifique.
Un examen des différents modèles de gestion du changement qui se sont succédés au
cours du temps, nous a fait pencher pour une lecture processuelle du phénomène. Un cadre
d’analyse mettant l’accent sur les nombreuses interactions entre acteurs, support d’une
construction individuelle et collective de sens, nous est apparu comme particulièrement
pertinent pour notre recherche. Les théories du sensemaking, approche interprétative
originale, que nous considérons comme dotée d’un fort pouvoir explicatif, nous font entrevoir
l’événement comme un changement écologique équivoque et une interruption fortement
déstabilisante, qui nécessite de la part des acteurs un travail de redéfinition de leur propre
réalité via la multiplication d’échanges intersubjectifs.
La reconstruction collective de sens engagée par l’ensemble des acteurs permet à
chacun de rendre l’événement compréhensible et, par la même, de situer son action dans un
système d’actions organisées en train de se renouveler. Pour dépasser certaines limites
inhérentes à l’utilisation de ce cadre théorique, nous avons eu recours aux théories du
leadership. Celles-ci confortent l’idée selon laquelle le repreneur, en tant que nouveau leader
de l’organisation, se doit d’être un donneur de sens au changement. Dans cette perspective, il
constitue un élément essentiel de l’engagement de chaque individu au sein d’un nouveau
système d’actions coordonnées et dans la réussite du processus de reprise. Plus que tout autre,
il dispose d’un pouvoir d’action inégalé sur les variables organisationnelles culturelles,
stratégiques et structurelles.
Après cela, nous avons défini nos questions et objectifs de recherche auxquels notre
partie empirique est chargée de répondre.
218
Conclusion partie 1
La première partie nous a permis de définir le cadre conceptuel de notre recherche.
Nous avons, dans un premier temps, sur la base de critères quantitatifs et qualitatifs
et puisant dans l’abondante littérature concernant la PME, tenté de définir et caractériser la
TPE. Nous constatons des spécificités importantes, notamment celles ayant trait au rôle
central du dirigeant, à la proximité en tant que mécanisme de hiérarchisation, ainsi qu’à
l’effet de grossissement, qui impactent directement sa reprise et la complexifie. A partir des
travaux de Deschamps (2000), nous avons défini la reprise d’une TPE comme un processus,
qui par une opération de rachat, aboutit à la continuation de la vie de l’entreprise et de tout
ce qu’elle contient (structure, ressources humaines, financières, techniques, commerciales,
etc.). Nous avons tenté de dresser un état des lieux chiffré du phénomène repreneurial en
France puis nous avons choisi de l’inclure, à l’instar de nombreux auteurs, dans le champ
disciplinaire entrepreneurial. Nous avons justifié notre choix de focaliser notre recherche sur
la reprise de TPE saines, c’est-à-dire en bon état de fonctionnement (croissance soutenue de
l’activité, marges et trésorerie confortables, jouissant d’une bonne réputation auprès de leurs
différents partenaires). Notre recherche porte plus précisément sur les reprises effectuées par
des personnes physiques seules (RPP) sans lien (commercial et/ou financier) avec
l’entreprise. Nous avons vu qu’il s’agissait d’un processus composé de trois grandes étapes.
Le management post-reprise, dernière étape de l’opération, nous est apparu comme étant un
moment particulièrement important dans la réussite du projet. Les multiples problématiques
humaines et organisationnelles rencontrées durant cette période de changement sont à même
de perturber fortement les interactions entre acteurs.
Dans le deuxième chapitre, nous avons cherché à appréhender le rôle du repreneur en
contexte de changement organisationnel. D’abord, à partir d’une analyse des principales
typologies du changement, nous avons choisi de considérer la RPP comme un changement
organisationnel majeur. L’examen des principaux modèles de gestion du changement
développés au cours du temps, nous a fait opter pour une approche processuelle de
l’événement. Au sein du courant interprétativiste, les théories du sensemaking sont apparues
comme particulièrement riches et originales pour décrire et comprendre ce qui se passe au
moment où le repreneur prend « en mains » l’entreprise. Cette approche psychosociale fait
percevoir l’arrivée d’un nouveau dirigeant dans un petit groupe d’individus comme un
changement écologique, une interruption du flux courant d’activité et une perturbation de
219
nature à déstabiliser sérieusement la perception que chacun des acteurs a de son
environnement. L’équivocité produite par l’événement bouscule le système de rôle en
vigueur dans l’organisation et perturbe grandement l’action coordonnée. Il appartient au
repreneur, en tant que nouveau leader, d’aider les individus à donner un sens à un
environnement changeant et confus. A travers ses actions, il exerce une influence
prépondérante sur le processus de reconstruction collective de sens nécessaire à
l’émergence d’un nouveau système d’actions organisées. Il dispose pour cela de variables
d’actions culturelles, stratégiques et structurelles.
Tout ceci posé, nous nous sommes interrogé sur la manière dont le repreneur,
nouveau venu dans l’organisation, pouvait influencer positivement le processus de
reconstruction collective de sens afin de réduire l’équivocité provoquée par son arrivée dans
la structure et générer, puis maintenir, l’engagement des collaborateurs dans un nouveau
systèmes d’actions organisées.
Dans la deuxième partie, nous présentons les dispositifs méthodologiques déployés
pour éclairer notre raisonnement théorique. L’aspect technique de l’analyse des données
collectées ainsi que les résultats issus de nos investigations auprès d’une population de
repreneurs et de salariés de TPE saines récemment reprises, sont exposés.
220
221
Deuxième partie :
Modélisation du processus de reconstruction collective de sens post-reprise et de ses facteurs d’influence
222
La première partie de notre travail de recherche, de nature conceptuelle, a permis
d’aboutir à une représentation plus précise des difficultés auxquelles sont confrontés les
repreneurs externes de TPE saines au moment de leur entrée en fonction. L’analyse de la
littérature nous a donné la possibilité d’appréhender le phénomène comme un changement
organisationnel majeur, fortement déstabilisant pour l’ensemble des acteurs et produisant de
l’équivocité. Dans un contexte aussi troublé, il convient de reconstruire collectivement du
sens pour favoriser l’émergence d’un nouveau système d’actions organisées et ainsi mieux
réussir le changement. Ce travail de réflexion amène à s’interroger sur la possibilité de décrire
le processus, sur ses propriétés et mécanismes, sur la manière dont il se déroule et peut être
déclenché et influencé.
Nous consacrerons cette seconde partie à la présentation de la méthodologie de
recherche et à la présentation des résultats obtenus. Sa finalité réside dans l’exploration de
l’entrée en fonction du repreneur à travers l’interprétation qui en est faite par les différents
acteurs, dans la description du processus de reconstruction collective de sens post-reprise et
dans la définition des différentes variables qui l’influencent.
Dans un premier chapitre, nous exposerons le cheminement méthodologique de la
recherche en précisant notre positionnement épistémologique, et en justifiant le choix de
l’étude de cas multiples pour répondre à notre question principale de recherche. Nous
décrirons ensuite le processus de reconstruction collective de sens post-reprise. Le chapitre 2
sera consacré à l’analyse des différents facteurs et éléments qui influencent le processus. Nous
terminerons par une discussion portant sur les résultats et par l’émission de recommandations.
223
Chapitre 1 : Méthodologie de la recherche et description du processus de reconstruction collective de sens post-reprise
Dans la première partie de ce travail, nous avons pu mettre en évidence la nécessité de
comprendre plus en profondeur la période d’entrée dans l’entreprise du repreneur. La
faiblesse des écrits consacrés à la RPP d’une TPE et, plus particulièrement, concernant la
période de management de la reprise nous a orienté vers une démarche de nature qualitative.
Ce chapitre est dédié à la présentation de la méthodologie utilisée pour conduire notre
recherche et à la description du processus de reconstruction collective de sens post-reprise. La
première section présentera le positionnement épistémologique et méthodologique retenu
pour répondre à notre problématique. Nous exposerons notre choix d’utiliser la méthode des
cas comme moyen d’accès au réel, après avoir analysé les intérêts et les limites inhérents à
cette méthode. La deuxième section sera consacrée à l’analyse des données et à l’évaluation
de la recherche. La troisième section évoquera le processus de reconstruction de sens post-
reprise à travers ses mécanismes et ses propriétés. Nous verrons en quoi l’équivocité perçue
puis l’inconfort qu’elle génère constitue le point de départ du phénomène.
224
Section 1- Fondements épistémologiques et méthodologiques de la recherche
Tout travail de recherche prend appui sur une vision du monde, fait appel à une
méthodologie et propose des résultats pour repérer, comprendre et expliquer les faits sociaux
totaux dans leur contexte (Wacheux, 1996). Afin d’asseoir la validité et la légitimité d’une
recherche (Perret et Seville, 2003), une réflexion épistémologique et méthodologique s’avère
nécessaire. Pour un chercheur, préciser sa posture épistémologique, celle à laquelle il se réfère
dans sa recherche, c’est définir les hypothèses fondamentales sur lesquelles se fonde le
processus d’élaboration et de justification des connaissances du projet considéré (Avenier,
2011). Cet exercice influence considérablement l’ensemble de la recherche, plus
particulièrement le processus d’élaboration des connaissances, leur nature et leur statut. Cette
section vise donc à expliquer et justifier les choix méthodologiques opérés en vue de répondre
à nos questions de recherche. Nous présentons, dans un premier temps, les motifs qui nous ont
conduit à adopter une démarche de recherche qualitative. L’utilisation de l’étude de cas
multiples comme modalité d’accès au réel sera expliquée dans un second temps.
1.1.) Démarche générale de la recherche.
1.1.1.) Le positionnement épistémologique
L’épistémologie a pour objet l’étude des sciences et vise à questionner la science au
travers de la nature, de la méthode et de la valeur de la connaissance (Perret et Seville, 2003,
p. 13). Expliciter ses présupposés épistémologiques est essentiel à tout chercheur pour
« contrôler la démarche de recherche », « accroître la valeur de la connaissance qui en est
issue » et mieux appréhender les nombreux débats entre courants théoriques (Allard-Poesi et
Perret, 2014, p. 14). Pour Gavard-Perret, Gotteland, Haon et Jolibert (2012), il s’agit d’un acte
fondateur qui portera à conséquence sur l’ensemble de la recherche, notamment sur le
déroulement du processus, la nature des savoirs élaborés et sur le statut qui leur sera attribué.
Mbengue et Vandangeon-Derumez (1999) soulignent également l’importance de la démarche
d’explicitation du positionnement épistémologique. Selon eux, tout chercheur, où qu’il se
situe dans un processus de recherche, est amené à se poser des questions portant autant sur les
données elles-mêmes que sur la valeur scientifique des résultats attendus ou obtenus. Ce
constat peut suffire, à lui tout seul, à justifier la pertinence et l’importance de l’exercice. La
225
conduite d’une activité de cette nature doit permettre d’accroître la validité et la fiabilité de
notre travail et nous guider tout au long de notre démarche.
1.1.1.1.) Un positionnement épistémologique interprétativiste
Au cours de leur histoire, les sciences de gestion ont principalement été influencées
par deux grands « paradigmes épistémologiques » (Avenier et Thomas, 2012) : le positivisme
et le constructivisme. Entre ces deux paradigmes dominants et opposés, vient s’intercaler une
troisième approche, l’interprétativisme 238 . Nous allons brièvement exposer ces trois
paradigmes et justifier de celui dans lequel nous inscrivons notre recherche.
Le paradigme positiviste défend l’idée d’un réel existant en soi et possédant une
ontologie. La réalité détient une essence propre, objective et guidée par des lois naturelles et
des mécanismes immuables dans le temps et dans l’espace (Hannan et Freeman, 1977, cités
par Mbengue et Vandangeon-Derumez, 1999, p. 4). Un des postulats de cette approche est de
considérer le chercheur comme un individu pouvant être en mesure de connaître cette réalité
externe. L’objet attribué à la science consiste à découvrir ces lois (Koenig, 1993). Le
positivisme est fondé sur l’extériorité du chercheur à la situation qu’il décrit, l’objet étudié
étant indépendant du sujet qui l’observe. Cette indépendance de l’objet au sujet est
notamment énoncée par Popper (1991, p. 185, cité et traduit par Allard-Poesi et Perret,
2014) pour qui « la connaissance en ce sens objectif est totalement indépendante de la
prétention de quiconque à la connaissance ; elle est aussi indépendante de la croyance ou de
la disposition à l’assentiment (ou à l’affirmation, à l’action) de qui que ce soit ». Selon
Girod-Seville et Perret (1999, p. 17), cette indépendance de l’objet et du sujet permet aux
positivistes « de poser le principe selon lequel l’observation de l’objet extérieur par un sujet
ne doit pas modifier la nature de cet objet ». La science permettrait d’observer la réalité,
c’est-à-dire « une réalité indépendante du regard que lui porte l’observateur et réduite aux
faits observables et mesurables » (Allard-Poesi et Perret, 2014, p. 23). Le chercheur
positiviste admet l’existence d’une réalité indépendante et sait qu’il dispose de quelques
méthodes « lui permettant d’apprécier s’il se rapproche (vérifiabilité) ou s’éloigne
238
Nous avons relevé l’existence de nombreuses classifications en ce qui concerne les paradigmes épistémologiques et autant de définitions les concernant. Ainsi, Burrell et Morgan (1979) retiennent quatre paradigmes (interprétatif, fonctionnaliste, structuraliste radical et humaniste radical), Wacheux (1996, p. 38) liste, quant à lui, quatre épistémologies possibles en recherche (le positivisme, la sociologie compréhensive, le fonctionnalisme et le constructivisme), enfin, Perret et Seville (2003), tout comme Giordano (2003) différencient trois grands paradigmes (le positivisme, l’interprétativisme et le constructivisme). C’est cette dernière classification que nous avons retenue.
226
(falsifiabilité) de cette asymptote qu’il n’atteindra peut-être jamais » (Ben Aissa, 2001, p.
11). Une telle approche se traduit par un travail de recherche hypothético-déductif s’appuyant
sur la formulation d’hypothèses qu’il faut ensuite vérifier. Les outils méthodologiques
déployés doivent permettre de découvrir des lois universelles et sont généralement ceux des
sciences exactes (Mucchielli, 2004).
Contrairement au positivisme, le constructivisme n’admet pas l’existence d’une seule
réalité, mais de réalités multiples et évolutives issues de constructions mentales individuelles
et/ou collectives. Les réalités humaines et sociales sont nombreuses et spécifiques, car
animées de dimensions intentionnelles, signifiantes et symboliques. La dimension
intentionnelle traduit l’aspect intentionnel et conscient des actions humaines. Les dimensions
signifiantes et symboliques soulignent la subjectivité des individus et le rôle prépondérant des
représentations et du langage dans le processus de création de sens et dans la représentation de
ce que se font les acteurs de la réalité sociale (Lyotard, 1995, cité par Allard-Poesi et Perret,
2014). L’objet de la recherche dépend du regard du chercheur et des acteurs qui interprètent et
construisent la réalité avec lui (Girod-Seville et Perret, 2002). Objet et sujet sont dépendants
l’un de l’autre. Le monde est perçu comme un construit social, le produit des intuitions et du
« feeling » déterminés par les individus (Ben Aissa, 2001). Pour le chercheur en gestion, la
réalité est faite d’artefacts et d’acteurs qui élaborent, utilisent et s’incluent dans ces artefacts
(David, 1999). Ceci sous-tend la production d’explications qui ne sont pas la réalité, mais un
construit sur une réalité susceptible de l’expliquer. S’inscrivant dans ce paradigme
épistémologique, le chercheur focalise son attention sur l’explication des phénomènes et non
sur leur prédiction.
L’interprétativisme, souvent présenté comme un des nombreux courants constituant la
« galaxie constructiviste » (David, 1999), entrevoit la réalité sociale comme le produit
d’expériences individuelles. Pour Girod-Seville et Perret (1999), il s’agit d’un paradigme
épistémologique à part entière, même s’il partage avec le constructivisme des hypothèses
fondatrices communes sur le statut de la connaissance (subjective et contextuelle) et la nature
de la réalité (hypothèse phénoménologique). La distinction entre les deux approches porte sur
la manière dont la connaissance est engendrée ; elle est construite pour l’une et interprétée
pour l’autre. Pour les chercheurs interprétativistes, la réalité sociale est subjective et
essentiellement mentale. Berger et Luckmann (1966) décrivent ce principe comme étant une
hypothèse phénoménologique : un phénomène n’apparaissant que lorsqu’il prend sens pour le
227
sujet. La réalité est fondée, pour un contexte et une période donnée, par et dans les pratiques
sociales d’actions et d’interprétations. Les interactions entre acteurs vont générer des
interprétations qui, lorsqu’elles font l’objet d’un consensus au sein d’un groupe social,
peuvent être considérées « comme aussi réels que des objets matériels » (Allard-Poesi et
Perret, 2014, pp. 26-27). L’objectif du chercheur n’est pas d’intervenir, mais de comprendre
de l’intérieur les significations que les individus attachent à la réalité sociale, leurs
motivations et intentions par immersion et observation dans le phénomène étudié (Allard-
Poesi et Maréchal, 2014239). La production d’une connaissance idiographique est préférée à
une approche proprement nomothétique. Les trois principaux paradigmes présentés se
démarquent essentiellement par la position du chercheur vis-à-vis de son objet d’étude,
l’objectif qu’il assigne à la recherche, ainsi que la nature de l’objet de recherche.
Le tableau suivant synthétise les principes fondateurs sur lesquels s’appuient ces
différentes approches.
239
Les auteurs donnent, à titre d’exemple, l’étude du changement organisationnel.
228
Tableau 14 - Les positions épistémologiques des paradigmes positiviste, interprétativiste et constructiviste
Les paradigmes
Les questions
épistémologiques
Le positivisme L’interprétativisme Le constructivisme
Quel est le statut de la
connaissance ?
- Hypothèse réaliste
- Il existe une essence propre à l’objet de connaissance
- Hypothèse relativiste
- L’essence de l’objet ne peut être atteinte
(constructivisme modéré ou interprétativisme) ou
n’existe pas (constructivisme radical)
La nature de la « réalité » - Indépendance du
sujet et de l’objet
- Hypothèse
déterministe
- Le monde est fait
de nécessité
- Dépendance du sujet et de l’objet
- Hypothèse intentionnaliste
- Le monde est fait de possibilités
Comment la connaissance
est-elle engendrée ?
Le chemin de la
connaissance scientifique
- La découverte
- Recherche
formulée en termes
de « pour quelles
causes… »
- Statut privilégié de
l’explication
- L’interprétation
- Recherche formulée
en termes de « pour
quelles motivations des
acteurs… »
- Statut privilégié de la
compréhension
- La construction
- Recherche formulée
en termes de « pour
quelles finalités… »
- Statut privilégié de la
construction
Quelle est la valeur de la
connaissance ?
Les critères de validité
- Vérifiabilité
- Confirmabilité
- Réfutabilité
- Idiographie
- Empathie (révélatrice
de l’expérience vécue
par les acteurs)
- Adéquation
- Enseignabilité
Source : Perret et Seville (2003, pp. 14-15).
Si la position épistémologique ne détermine pas le chercheur, « elle lui facilite le
travail de formulation de ses projets » (Wacheux, 1996, p. 36). Celle-ci se concrétise
généralement par une prise de position sur l’une des grandes familles de paradigmes
épistémologiques existantes.
Il nous semble que le paradigme positiviste ne satisfait pas à notre recherche, car nous
estimons la réalité comme un construit non totalement objectif et indépendant des sujets qui
l’observent. Les individus interrogés dans le cadre d’une recherche formulent des réponses
229
qui ne sont que des interprétations de la réalité. D’ailleurs, le simple fait de questionner un
individu peut susciter chez lui des idées ou opinions dont il était auparavant dépourvu
(Pourtois et Desmet, 1988, cité par Mbengue et Vandangeon-Derumez, 1999, p. 11). Nous
pensons que cette réalité que nous nous attachons à décrire, n’est qu’une interprétation
influencée par notre propre activité et liée aux représentations que se font les différents
acteurs interrogés de l’objet de notre recherche. Giordano (2003) explique ce phénomène par
une relation d’empathie : « le chercheur interprète ce que les acteurs disent ou font qui, eux-
mêmes interprètent l’objet de la recherche ». Nous estimons donc, à l’instar d’autres auteurs
avant nous (Gioia et Chittipeddi, 1991 ; Schwandt, 1994, cité par Allard-Poesi et Marechal,
2014, p. 57), que chercheur et objet de recherche sont liés par une relation d’interdépendance.
Le paradigme constructiviste ne semble également pas convenir à notre recherche dans
la mesure où nous ne cherchons pas à inscrire la connaissance produite dans une orientation
pragmatique et dans une finalité à visée transformative (Thietart, 1999). En effet, bien
qu’ayant multiplié les interactions avec les repreneurs et les salariés dans leur environnement
et sollicité leur concours, notamment lors de la présentation des résultats, nous ne pouvons
prétendre avoir influencé significativement et durablement leurs actions.
Notre positionnement épistémologique semble s’inscrire dans le paradigme
interprétativiste. L’objectif que l’on s’assigne dans ce travail, concerne la compréhension du
sens que les différents acteurs de la reprise (salariés et repreneur) attachent à la réalité sociale,
à leurs motivations ainsi qu’à leurs intentions. Il ne s’agit pas d’expliquer, mais de
comprendre l’entrée en fonction du repreneur à travers le sens qui est donné à l’événement. A
l’instar de Mucchielli (2009, p. 205), nous considérons les phénomènes humains comme des
« phénomènes de sens » pouvant être compris par « un effort spécifique tenant à la fois à la
nature humaine du chercheur et à la nature de ces phénomènes de sens ». Nous appréhendons
la réalité comme un construit, fait de plusieurs vérités qui ne sont ni pures ni absolues
(Thietart, 1999). Les interactions, le langage et les significations des différents acteurs
constituent une source d’accès privilégiée au phénomène étudié. L’empathie dont nous
souhaitons faire preuve à travers notre observation participative (Gagnon, 2012) doit
permettre de révéler l’expérience vécue par les acteurs (Perret et Seville, 2003).
Se positionner dans un tel paradigme épistémologique a nécessairement des
répercussions sur le mode de raisonnement adopté.
230
1.1.1.2.) Une recherche abductive
La littérature reconnaît trois formes de raisonnement aboutissant chacun à la production
de connaissances scientifiques : la déduction, l’induction et l’abduction. Pour David (1999),
en fonction de l’état d’avancement des connaissances sur l’objet étudié et de l’objectif qu’on
assigne au travail, une recherche peut adopter chacune de ces logiques, voire les trois à la fois.
David (1999, p. 3) définit ces différentes approches de la manière suivante : « La déduction
consiste à tirer une conséquence à partir d’une règle générale et d’une observation
empirique. L’induction (…) consiste à trouver une règle générale qui pourrait rendre compte
de la conséquence si l’observation empirique était vraie. L’abduction (…) consiste à élaborer
une observation empirique qui relie une règle générale à une conséquence, c’est-à-dire qui
permette de retrouver la conséquence si la règle générale est vraie ». Parmi ces différentes
méthodes, l’abduction nous paraît particulièrement adaptée au développement de
connaissances concernant l’entrée en fonction du repreneur au sein d’une TPE. Nous avons
choisi de procéder par des allers et retours successifs entre travail empirique et théories
mobilisées afin d’appréhender les situations empiriques étudiées et en construire des
représentations intelligibles. De cette manière, nous souhaitons édifier progressivement des
connaissances en relation avec les savoirs existants (Gavard-Perret, Gotteland, Haon et
Jolibert, 2012). Adopter ce mode de raisonnement permet d’aborder le terrain avec un
minimum d’a priori. Il autorise, en outre, une certaine souplesse quant à la définition du
canevas de la recherche. Plusieurs possibilités sont offertes : adaptation des guides
d’entretiens, affinement de la question centrale, voire changement de cadre théorique si
nécessaire (Gavard-Perret, Gotteland, Haon, et Jolibert, 2012).
Nous souhaitons apporter, dans le cadre de notre recherche, une contribution à la
compréhension d’un événement déstabilisant qui marque la vie de nombreuses TPE, soit
l’entrée dans l’entreprise d’un nouveau dirigeant. Nous ne souhaitons pas vérifier des
hypothèses ou théories existantes, mais explorer une situation complexe par une contribution
à la construction (avec les différents acteurs concernés par l’opération) du sens qui est attaché
à la réalité sociale. Après un premier travail de réflexion théorique, nous avons alterné
successivement les phases d’observations sur le terrain et d’approfondissements théoriques.
Nous nous sommes très vite confronté à la faiblesse de la littérature concernant notre objet de
recherche. Le peu de travaux scientifiques consacrés à la TPE (Marchesnay, 2003 ; Jaouen et
Torrès, 2008, Mallard, 2011) ainsi que la relative nouveauté du sujet de la RPP au sein du
231
champ de l’entrepreneuriat (Boussaguet, 2005), nous ont contraint à entreprendre une
recherche de nature exploratoire. Parmi les trois voies d’explorations possibles, théorique,
empirique et hybride (Charreire Petit et Durieux, 2014, p. 93), nous avons opté pour une
démarche hybride. Cette dernière consiste à procéder par des allers et retours entre des
observations sur le terrain et des connaissances théoriques tout au long de la recherche. Elle
offre l’avantage au chercheur, ayant initialement mobilisé des concepts et intégré la littérature
concernant son objet de recherche, de s’appuyer sur cette connaissance « pour donner du sens
à ses observations empiriques ».
Notre positionnement épistémologique et notre mode de raisonnement précisés, nous
pouvons maintenant présenter la méthodologie utilisée.
1.1.2.) Le choix d’une approche qualitative
Tout chercheur se trouve confronté à un moment de sa recherche au choix de
l’approche qu’il va mettre en œuvre pour collecter et analyser les données. La méthodologie
revient à établir la « façon dont on va analyser, découvrir, décrypter un phénomène » (Hlady
Rispal, 2002, p. 26), que ce soit par le biais d’une démarche quantitative ou qualitative.
Différents critères sont couramment utilisés pour différencier ces deux démarches : méthode
de collecte de l’information, types de variables, traitements statistiques ou non, types
d’approches…
Brabet (1988) met en évidence quatre critères principaux permettant de distinguer la
méthodologie qualitative de la méthodologie quantitative, que nous reprenons ci-dessous.
Ø La nature de la donnée : la donnée est nominale dans une approche qualitative et
ordinale et/ou métrique dans une approche quantitative. La nature de la donnée est
donc facilement différenciable. Ainsi, « les données qualitatives (…) se présentent
sous forme de mots plutôt que de chiffres » (Miles et Huberman, 2003, p. 11), alors
que « les données quantitatives sont collectées avec des échelles d’intervalles et de
proportion » (Evrard et al., 2009, p. 28).
Ø L’orientation de la recherche : deux grandes orientations caractérisent la recherche en
sciences de gestion : la construction ou le test théorique. Brabet (1988) met en
évidence le lien associant l’exploration à l’étude qualitative et la vérification à l’étude
quantitative.
232
Ø L’objectivité ou la subjectivité des résultats : on reconnaît généralement une meilleure
garantie d’objectivité à l’approche quantitative par rapport à l’approche qualitative, en
raison des impératifs de rigueur et de précision caractérisant les techniques
statistiques utilisées.
Ø La flexibilité de la recherche : l’approche qualitative offre au chercheur une meilleure
flexibilité pour mener le travail de recherche à son terme. Avec une telle approche, la
question de recherche, le programme de recherche ou encore la méthode de recueil
des données peuvent être modifiés à mi-chemin, afin de garantir des résultats
véritablement issus du terrain. Pareilles modifications sont très difficiles à opérer dans
une démarche quantitative plus structurée au départ, en raison du coût qu’elle
entraînerait (Baumard et Ibert, 2014).
La méthodologie quantitative aboutit à formuler des hypothèses qui sont ensuite testées
afin de proposer une explication ou une prédiction de phénomènes constatés. Cette approche
s’inscrit généralement dans une posture positiviste. La démarche qualitative correspond, quant
à elle, à une « démarche discursive de reformulation, d’explication ou de théorisation d’un
témoignage, d’une expérience ou d’un phénomène ». Il s’agit d’« un travail complexe qui
consiste, à l’aide des seules ressources de la langue, à porter un matériau qualitatif dense et
plus ou moins explicite à un niveau de compréhension ou de théorisation satisfaisant »
(Paillé, 1996).
Etant donné l’objet de notre recherche, sa finalité ainsi que le positionnement
épistémologique retenu240, nous nous sommes dirigé vers une démarche qualitative. Pour
Wacheux (1996, p. 15), s’inscrire dans un tel processus, « c’est avant tout vouloir comprendre
le pourquoi et le comment des événements dans des situations concrètes ». A travers cette
démarche, nous souhaitons approcher au mieux les représentations et le vécu des acteurs,
ainsi que leurs interactions. Pour Mucchielli (1996), l’utilisation d’une démarche qualitative
est parfaitement justifiée pour expliquer et comprendre « un phénomène humain ou social ».
Ce choix semble en cohérence avec notre objet de recherche, l’entrée d’un repreneur dans une
entreprise existante constituant effectivement un phénomène humain (Boussaguet, 2005).
Miles et Huberman (2003) relèvent aussi l’intérêt d’une telle approche, celle-ci facilitant la
description de la « réalité » perçue par les différents acteurs ainsi que la compréhension de
l’objet de recherche. 240
Perret et Seville (2003) suggèrent, par exemple, lorsque l’on se situe dans une recherche interprétativiste, d’utiliser une approche qualitative pour la validité des connaissances produites.
233
Nous souhaitons comprendre « de l’intérieur » le processus d’entrée dans l’entreprise du
repreneur et ses effets sur l’organisation et ses différents acteurs. Ce qui nous intéresse, c’est
le dépassement d’une approche portant uniquement sur les aspects techniques241 et financiers
de l’opération pour centrer notre attention sur les problématiques humaines liées à cet
événement circonscrit et mal connu. Pareil exercice requiert, selon nous, la collecte
d’informations directement auprès des personnes impactées par le phénomène. A travers les
discours tenus et les observations relevées, nous souhaitons « intercepter», puis comprendre,
les significations que les salariés et le repreneur attachent à la réalité sociale, leurs motivations
et intentions. Le ressenti des individus, leurs relations ainsi que les interprétations
personnelles des événements prennent toute leur importance.
Dans une démarche qualitative, l’essentiel du travail porte sur des données qualitatives, à
savoir des traces matérielles, principalement des représentations sociales, conçues et
exprimées par des expressions écrites et/ou orales et par des actions. Les données qualitatives
sont, par essence, complexes et ouvertes et donnent lieu à de multiples interprétations. La
nature de ces données appelle donc une grande vigilance en ce qui concerne leurs
manipulations. Nous y veillerons dans le cadre de ce travail.
Notre choix d’opérer une recherche qualitative présenté et argumenté, nous pouvons
maintenant expliciter notre méthode d’accès au terrain.
1.2.) L’étude de cas : une méthode privilégiée pour étudier le pourquoi et le comment d’un phénomène
Comme nous venons de le voir, notre objectif étant de comprendre en profondeur un
phénomène humain fortement complexe à travers les impressions, interprétations et
comportements des différents acteurs (salariés et repreneurs), nous nous sommes dirigé vers
une collecte de données qualitatives. Ce type de données est, selon Miles et Huberman (2003,
p. 28), tout à fait adapté à « la localisation des significations que les individus ont des
événements, des processus et des structures de leur vie »242 . Pour explorer cette période
troublée et peu connue du management de la reprise et accéder aux interprétations des
différents acteurs, nous avons fait le choix d’utiliser l’étude de cas.
241
Boussaguet (2005) regrette à cet effet que la RPP soit « trop souvent mise en avant sous ses seuls aspects
techniques ». 242
En outre, ces auteurs estiment que les données qualitatives sont davantage susceptibles « de mener à
«d’heureuses trouvailles» et à de nouvelles intégrations théoriques » (Miles et Huberman, 2003, p. 11).
234
Dans les sous-sections suivantes, nous relèverons succinctement les avantages et les
limites de cette méthode, puis nous expliquerons pourquoi une étude de cas multiples a été
préférée pour répondre aux objectifs de notre recherche. Nous découvrirons, enfin, les terrains
de recherche retenus.
1.2.1.) Intérêts et limites de l’approche
L’étude de cas est une méthode de recherche qualitative particulièrement prisée en
théorie des organisations (Stake, 2005), notamment parce qu’elle est adaptée à l’objet qu’est
l’organisation dans sa globalité ou dans ses composantes. Elle est également appréciée, car
elle offre au chercheur la possibilité de mobiliser différentes techniques de recueil et de
production des données (Eisenhardt, 1989). Avant d’examiner plus dans le détail les
avantages et limites inhérentes à cette méthode, commençons par la définir. Pour Yin (1984,
p. 23), l’étude de cas est « une enquête empirique qui explore un phénomène contemporain
dans son contexte de vie réelle, où les limites entre le phénomène et le contexte ne sont pas
clairement établies, et dans laquelle des sources multiples de preuves sont utilisées ».
Wacheux (1996, p. 89) définit cette méthode comme « une analyse spatiale et temporelle
d’un phénomène complexe par les conditions, les événements, les acteurs et les
implications ». Il s’agit d’un dispositif méthodologique particulièrement adapté à l’étude de
champs nouveaux peu abordés par la littérature et lorsqu’il s’agit de répondre à la question du
« pourquoi » ou du « comment » d’un phénomène. L’étude de cas est utile dans les situations
où le chercheur dispose de peu de contrôle sur les événements étudiés, et dans celles où
l’attention est dirigée vers des phénomènes contemporains dans un contexte de vie réelle
(Yin, 1984 ; Eisenhardt, 1989). Elle se révèle efficace pour appréhender la réalité des
structures organisationnelles, le style de management et les changements qui s’y déroulent
(Wacheux, 1996, p. 93). Elle autorise, enfin, l’analyse en profondeur d’un phénomène, les
autres méthodes de recherche n’étant « pas capables de fournir les riches descriptions ou les
explications pertinentes qui peuvent émerger d’une étude de cas » (Yin, 2014, p. 18).
Pour Gagnon (2012, pp. 2-3), l’étude de cas est appropriée pour la description,
l’explication, la prédiction et le contrôle de processus inhérents à divers phénomènes,
individuels ou collectifs. L’auteur relève plusieurs « grandes forces » et différentes
« faiblesses » inhérentes à cette méthode de recherche. Ainsi, elle fournit une analyse en
profondeur des phénomènes dans leur contexte, offre la possibilité de développer des
paramètres historiques, et assure une forte validité interne, « les phénomènes relevés étant des
235
représentations authentiques de la réalité étudiée ». Néanmoins, cette méthode est « onéreuse
en temps » pour le chercheur comme pour les participants, et pose un problème de validité
externe principalement en raison des difficultés de généralisation des résultats.
D’autres critiques sont souvent formulées à son encontre. Elles concernent
principalement le volume et le caractère des données à gérer. L’abondance des données peut,
en effet, nuire au résultat et à la clarté de la théorie. Le chercheur doit faire preuve d’une
grande vigilance et tout mettre en œuvre pour percevoir les informations utiles, les relations
importantes noyées dans la masse des relations idiosyncrasiques, non corrélées aux
fondements de la science (Foliard, 2008). Le chercheur doit, en outre, travailler avec des
données issues de sources différentes aboutissant fréquemment à des contradictions internes
(Wacheux, 1996).
1.2.2.) Sa justification dans le cadre de notre recherche
D’après la littérature, le choix de la méthode des cas dépendrait notamment des
théories existantes sur le sujet, de la complexité du phénomène étudié, du positionnement
épistémologique du chercheur ainsi que de la problématique de recherche. Ainsi, pour
Eisenhardt (1989), l’étude de cas est particulièrement adaptée lorsqu’un objet de recherche a
peu ou pas été étudié. Dans notre cas, comme nous l’avons observé dans la première partie de
ce travail, force est de constater que la littérature est insignifiante lorsqu’il s’agit de décrire
l’entrée en fonction d’un repreneur de TPE et la gestion du changement qui en découle. Nous
cherchons donc à travers cette recherche à étendre le cadre théorique portant sur le
management de la reprise du repreneur externe. La visée exploratoire de notre recherche
autorise, en effet, l’élaboration d’un cadre théorique nouveau ou la modification d’un cadre
théorique ancien (Dumez, 2012, p. 8).
Wacheux (1996) plaide à son tour en faveur d’une telle méthode lorsque le chercheur
se trouve en présence d’un phénomène complexe, difficilement appréhendable dans sa
totalité. A l’évidence, dans le cadre de cette recherche, nous nous trouvons précisément dans
ce cas de figure. La multiplicité des acteurs (salariés et repreneur) et leurs interactions dans un
contexte marqué par le changement rendent l’approche complexe. Pour Mucchielli (1996),
c’est justement dans une telle situation que la méthode des cas prend tout son sens. Pour cet
auteur, le recours à une telle méthode permet d’ « observer le jeu d’un grand nombre de
facteurs interagissant ensemble, permettant ainsi de rendre justice à la complexité et à la
236
richesse des situations sociales ». Les données qualitatives issues de la méthode des cas
présentent un caractère riche et englobant « avec un potentiel fort de décryptage de la
complexité ; de telles données produisent des descriptions denses et pénétrantes, nichées dans
un contexte réel et qui ont une résonnance de vérité ayant un fort impact sur le lecteur »
(Miles et Huberman, 2003, p. 27). Recourir à la méthode des cas doit permettre un accès
direct sur les interprétations des acteurs, conformément à notre positionnement
épistémologique interprétativiste.
D’après la littérature, la problématique de recherche influe également sur le choix de
la méthodologie utilisée. Afin d’aider les chercheurs à établir la pertinence de l’étude de cas
comme méthode de recherche, Benbasat et al. (1983, p. 372, cités par Gagnon, 2012, pp. 16-
17) ont élaboré une série de quatre questions auxquelles toute problématique de recherche doit
pouvoir répondre par l’affirmative pour justifier de son utilisation :
1. « Le phénomène qui est l’objet d’intérêt doit-il être étudié dans son contexte naturel
pour être vraiment compris ?
2. Faut-il mettre l’accent sur les événements contemporains dans l’étude de cette
problématique ?
3. La connaissance du phénomène peut-elle être acquise sans avoir à contrôler ou à
manipuler les sujets ou les événements en cause ?
4. La base théorique qui existe au sujet de la problématique sous étude comporte-t-elle
des éléments inexpliqués ? »
Dans le cadre de notre recherche et si l’on s’en remet aux critères qui viennent d’être
définis, l’étude de cas apparaît totalement appropriée. En effet, notre problématique de
recherche permet de répondre positivement aux quatre questions posées. Ainsi, comprendre le
comportement des salariés et du repreneur ne peut se faire que dans le contexte de l’entreprise
reprise, notamment en prenant en compte les spécificités de la TPE. L’examen des
événements contemporains, notamment les différentes interactions entre acteurs au moment
de l’entrée en fonction du repreneur, est indispensable pour mieux comprendre le déroulement
de la reprise. Nous n’avons pas non plus besoin de recourir au contrôle ou à la manipulation
des sujets pour comprendre le phénomène étudié. Pour finir, et comme nous l’avons stipulé
plus haut, l’entrée dans une TPE d’un repreneur externe n’a que très peu été abordée par la
littérature académique.
237
La littérature recommande l’étude de cas comme stratégie de recherche pour les
travaux à visée exploratoire. Dans le cadre de ce travail, c’est précisément cette méthode
d’« enquête empirique » (pour reprendre les termes utilisés par Yin, 1984) que nous avons
retenue. Après avoir expliqué et justifié l’utilisation de cette méthode dans les paragraphes
précédents, il reste maintenant à choisir entre deux types d’études de cas : l’étude de cas
unique et l’étude de cas multiples. La première méthode est surtout conseillée pour « tester
une théorie bien formulée » (Yin, 1984, p. 43) alors que la seconde vise essentiellement à tirer
des conclusions d’un ensemble de cas.
1.2.3.) Le choix d’une étude de cas multiples
Pour Yin (cité par Royer et Zarlowski, 2014), l’étude de cas unique peut être assimilée
à une expérimentation et peut se justifier dans cinq situations : le test d’une ou plusieurs
théories existantes, l’étude d’une situation inhabituelle extrême ou unique, l’identification des
circonstances et des conditions d’une situation ordinaire, l’étude d’un phénomène jusqu’alors
inaccessible à la communauté scientifique et, pour finir, dans le cadre d’une étude
longitudinale. Nous observons qu’aucune de ces situations ne correspond aux objectifs et aux
caractéristiques de notre recherche.
Favorisant une description riche du contexte dans lequel les événements ont lieu,
l’étude de cas multiples est « surtout utile lorsqu’un phénomène est susceptible de se produire
dans une variété de situations » (Gagnon, 2012, p. 41). Chaque situation de reprise étant
unique, mais pouvant présenter des régularités (Boussaguet, 2005), l’utilisation d’une
méthode de cas multiples nous paraît indispensable pour faire ressortir les variables
récurrentes (Eisenhardt, 1989).
Pour notre étude empirique, nous avons choisi l’étude de cas multiple : (1) l’entrée
dans une TPE d’un repreneur externe est très peu abordée par la littérature ; (2) nous optons
pour une étude en profondeur du processus d’entrée dans l’entreprise du repreneur à travers
l’examen de plusieurs cas. Ce mode opératoire doit nous permettre d’augmenter la variété des
situations étudiées et de dégager, à travers une comparaison, des régularités ou des différences
contextuelles.
Pour mettre en œuvre notre étude de cas multiples, nous nous sommes appuyé sur la
méthode préconisée par Yin (1984). Trois grandes étapes sont repérables dans la production
d’une étude de cas : l’élaboration du cadre général de la recherche, la cueillette des
238
informations et la mise en forme du cas et son analyse243. En ce qui concerne le cadre général,
le plan de recherche doit comporter cinq composantes indispensables, soit une question de
recherche, ses propositions (s’il en est), son (ses) unité(s) d’analyse, la logique qui relie les
données aux propositions, et les critères pour interpréter les observations (Yin, 1984, p.29).
La cueillette d’informations peut émaner de six sources : des documents, des archives, des
entrevues, de l’observation directe, de l’observation participative et des objets physiques. Yin
recommande au chercheur l’utilisation de plusieurs sources d’informations pour s’assurer
d’avoir couvert l’objet d’analyse sous différents angles (Collerette, 1997). Pour finir,
l’analyse du cas peut se faire dans une logique inductive ou déductive en fonction de la
stratégie de recherche mise en œuvre par le chercheur. Une fois l’analyse et un rapport de
recherche effectués pour chaque cas, le chercheur est invité à réaliser une analyse croisée des
différents cas afin d’en tirer des conclusions et les exposer dans un rapport de recherche
multi-cas. Nous détaillerons les méthodes employées pour mettre en œuvre l’étude de cas
multiples dans un prochain point.
La méthode des cas multiples choisie, nous devons à présent délimiter la taille de la
population permettant d’obtenir un niveau de confiance satisfaisant, puis déterminer les
moyens utilisés pour collecter les données.
1.3.) Construction et description des données
1.3.1.) Démarche de construction de notre population
Dans le paragraphe précédent, nous avons opté pour l’étude de cas multiple. Quel est
le nombre de cas à sélectionner ? Selon Hlady Rispal (2002, p. 87), la question du nombre de
cas à sélectionner « est souvent délicate (…). L’idée fortement ancrée d’un lien étroit entre
scientificité de l’étude et nombre élevé de cas est encore très répandue ». Gagnon (2012)
rappelle les contraintes d’une étude d’un nombre de cas trop important. Plus le nombre de cas
est élevé, plus la collecte de données sera onéreuse à tous les points de vue. Tout chercheur
ayant recours à une étude de cas multiple est donc placé face à deux contraintes antagonistes
et doit faire un choix. Deux principes généraux peuvent lui servir de guide pour résoudre le
problème du nombre de cas : la réplication et la saturation. Concernant le premier, le nombre
de cas d’une recherche dépend du degré de certitude souhaité et de l’ampleur des différences
constatées (Yin, 2014). Chaque cas est sélectionné « soit parce qu’on suppose trouver des
243
Celles-ci sont clairement détaillées par Collerette (1997).
239
résultats similaires (cas de réplication littérale) soit parce que, selon la théorie, il devrait
conduire à des résultats différents (cas de réplication théorique) » (Royer et Zarlowski, 2014,
p. 251). En ce qui concerne le principe de saturation, on considère la taille d’un échantillon
suffisante lorsque le recueil de données supplémentaires n’apporte plus d’informations
significatives aux cadres de références établis (Glaser et Strauss, 1967). La taille de notre
population n’étant pas définie en amont, elle se fixera à mesure de l’avancement de la
recherche jusqu’à atteindre un certain seuil où toute information supplémentaire semble être
inutile et n’apporter aucun nouvel éclairage théorique, ce qui se justifie par le principe de
saturation théorique. Nous avons conscience de la difficulté à mettre rigoureusement en
œuvre un tel principe dans la mesure où « on ne peut jamais avoir la certitude qu’il n’existe
plus d’information supplémentaire capable d’enrichir la théorie » (Royer et Zarlowski, 2014,
p. 252). Dans un tel contexte, il revient au chercheur d’estimer par lui-même s’il est parvenu
ou non au stade de saturation.
Dans la pratique, nous observons qu’il n’existe pas réellement de consensus sur le
nombre de cas à étudier. Généralement, le nombre recommandé se situe entre quatre et dix
(Eisenhardt, 1989). Au-delà, il devient difficile de faire face à la complexité et au nombre
considérable de données engendrées. A tire indicatif, Hlady Rispal, (2002, p. 26) relève que
les exemples de recherches fournis par YIN n’excèdent pas les douze cas.
Selon Eisenhardt (1989), la sélection des cas, matériau empirique de la recherche,
représente une étape fondamentale. Afin de répondre aux objectifs d’une recherche à visée
exploratoire telle que la nôtre, il est important que les entreprises sélectionnées soient en
nombre suffisant et les plus représentatives de la population des entreprises étudiées. Il s’agit
de conditions indispensables pour répondre aux critères de généralisation et de réplication
possibles de la recherche (Eisenhardt, 1989 ; Yin, 2014). Nous devons donc veiller à
sélectionner des entreprises présentant des caractéristiques communes mais qui s’inscrivent
également dans des situations variées (Gagnon, 2012). Comme énoncé précédemment, les
TPE constituent la population cible de notre recherche. Par commodité et afin de partir sur
une base commune potentiellement admise par nos différents interlocuteurs, nous avons fait le
choix de retenir les critères de la microentreprise tels qu’ils sont définis par l’Union
européenne (recommandation 2003/361/CE244). Bien que présentant certaines limites (Julien,
244
Nous rappelons brièvement ces critères bien que nous les ayons déjà exposés dans le chapitre premier : effectif inférieur à 10 ; chiffre d’affaires inférieur ou égal à 2 millions d’euros et total du bilan inférieur ou égal à 2 millions d’Euros.
240
1994 ; Ferrier, 2002 ; Marchesnay, 2003), ils nous permettent, dans un premier temps, de
recenser rapidement, avec des variables quantitatives, les entreprises susceptibles d’être
retenues. A ce propos, nous avons pu observer que, dans la pratique, parmi tous les
intervenants avec qui nous étions en contact, ces critères étaient ceux effectivement utilisés.
Une fois ce premier critère de taille entériné, nous avons recherché, dans la région
Auvergne-Rhône-Alpes 245 , des entreprises reprises répondant plus spécifiquement aux
objectifs de notre étude. Nous avons sélectionné les entreprises en fonction des critères
suivants :
· l’acquisition de l’entreprise est réalisée par un repreneur personne physique externe
sans lien avec elle ;
· l’activité appartient au secteur privé marchand, l’entreprise œuvrant principalement
dans le secteur du commerce (commerce de gros /détail, transports, hébergement et
restauration) tel qu’il est répertorié par l’INSEE ; comme nous l’avons vu dans notre
premier chapitre, il s’agit du secteur d’activité le plus important en nombre
d’entreprises, d’emplois et de création de valeur (Insee LIFI 2011 et ESANE 2011) ;
· l’entreprise rachetée est saine au moment de la transaction ;
· l’entreprise est totalement indépendante et autonome au moment de son rachat ;
· il n’y a pas eu de phase de transition entre cédant et repreneur ;
· le rachat de l’entreprise n’excède pas cinq ans afin de ne pas risquer une quelconque
déperdition d’informations sur les événements vécus (Boussaguet, 2005).
A ce stade, nous devons préciser que l’accès au terrain fut particulièrement long et
éprouvant. Plusieurs chercheurs (Haddadj et D’Andria, 1998 ; Deschamps, 2000 ;
Boussaguet, 2005) avaient déjà constaté la difficulté à obtenir des informations sur les
transmissions d’entreprise. Nous l’avons relevée à notre tour. Non seulement, il était difficile
d’obtenir des données générales sur les transmissions d’entreprises pour le territoire concerné
(nombre, effectifs, activités exercées, etc.), mais nous étions, en plus, confronté à l’absence
d’un fichier reprenant les noms et coordonnées des entreprises que nous aurions pu contacter.
Dès le début de notre recherche, nous avons sollicité les présidents des chambres de
commerce de Lyon, St-Etienne et Roanne afin d’obtenir une liste d’entreprises concernées par
la reprise. Nous avons été redirigé vers de nouveaux interlocuteurs, responsables des
245
Plus exactement, les recherches se sont concentrées sur l’ex- région Rhône-Alpes.
241
opérations de transmission-reprise246, qui nous ont confié ne tenir à jour aucune base de
données. Après plusieurs relances téléphoniques et par Email, un seul d’entre eux, Carole
Polycarpo, nous a aiguillé sur le nom de trois entreprises dont elle se souvenait la
transmission. Nous avons également multiplié les contacts avec Daniel Villareale, patron de la
CGPME Loire et élu chargé de la transmission reprise au sein de la CCI de St-Etienne, en vue
d’obtenir des contacts potentiels supplémentaires. Ce dernier, très intéressé par notre
démarche, nous a proposé d’entrer en relation avec certains repreneurs.
Pour compléter notre population d’entreprises, nous avons également dressé une liste
d’intermédiaires potentiellement en contact avec ce type d’opérations. Nous avons entrepris
de contacter par Email, puis par téléphone, tour à tour plusieurs sociétés de conseils et des
agences spécialisées dans la transmission d’entreprise, plusieurs cabinets d’expertises
comptables et des directeurs d’agences bancaires. Etant ancien repreneur et créateur
d’entreprises, nous avons également sollicité notre réseau personnel de dirigeants en activité
afin d’obtenir ces précieuses informations. Grâce à l’intervention de plusieurs informateurs et
au terme d’un processus de recherche relativement long, nous avons pu sélectionner 10
entreprises 247 répondant aux critères préalablement définis. Nous les présentons dans les
paragraphes suivants.
En préambule, nous signalons au lecteur qu’afin d’honorer notre engagement auprès des
dirigeants d’entreprises, les noms des entreprises ne seront pas communiqués. Dans le but de
respecter le plus possible le sens des observations qui nous furent faites, nous intégrerons
entre guillemets les expressions des personnes interrogées.
Ø 1- L’entreprise HPC :
HPC est une entreprise existante depuis 1988, située en plein centre ville de
Montbrison (Loire). Son activité principale s’articule autour de la distribution d’articles de
papeterie, d’équipement de bureaux et de librairie à destination d’une clientèle professionnelle
et particulière. Au cours de son histoire, HPC a été reprise trois fois. L’avant-dernière reprise
246
Il s’agissait de Frédéric Delos (CCI LYON), Carole Polycarpo (CCI de SAINT-ETIENNE) et Norbert Gayte (CCI ROANNE. 247
Nous avions sélectionné au préalable 11 entreprises. Néanmoins, suite à notre premier entretien, le dirigeant de l’une d’entre elles ne souhaitait plus donner d’informations supplémentaires ni même continuer à participer à cette recherche. Il refusait également que l’on établisse tout contact avec le personnel «repris » encore présent dans l’entreprise.
242
a été particulièrement marquante pour les employés. La jeune repreneuse décède brutalement
trois ans seulement après sa prise de fonction, laissant la gestion de cette TPE de neuf
personnes aux mains de son père. Entrepreneur (industriel) expérimenté toujours en activité
dans un autre département, ce dernier assure l’intérim en attendant de trouver un repreneur. Il
« navigue » entre les deux structures pourtant distantes de plusieurs dizaines de kilomètres
tout en confiant progressivement la gestion de l’entreprise aux bons soins des salariés. Le
décès de la jeune dirigeante semble avoir particulièrement marqué les salariés et souder leurs
relations. Trois ans plus tard, début 2014, l’entreprise trouve enfin preneur en la personne de
ID. Cette dernière connaît également un parcours « accidenté » puisque l’entreprise dont elle
était codirigeante a dû faire face à un accident du travail mortel impliquant directement sa
responsabilité et celle de son mari. Fortement impacté par cet événement, le couple décide de
vendre l’entreprise au plus vite pour « passer à autre chose ». Après quelques mois de
recherche, ID reprend seule l’entreprise HPC, son mari ne souhaitant plus s’investir dans une
quelconque activité.
Ø 2- L’entreprise PP :
MP a repris l’entreprise PP, TPE stéphanoise de 5 personnes, en 2010. Créée en 1968,
PP distribue des produits et articles médicaux auprès d’une clientèle fidèle de professionnels
et de particuliers. Bien implantée localement, l’entreprise jouit d’une excellente réputation et
de la confiance de ses clients. Les salariés de l’entreprise ont été particulièrement affectés par
la transmission de l’affaire. Les cédants ayant « caché » jusqu’à la « dernière minute » la
vente de l’entreprise, les salariés ont le sentiment d’avoir été « vendus avec le fonds ». Ce
sentiment est exacerbé par l’attitude des dirigeants qui, pour leur dernier jour (jour de
l’inventaire et de la transmission officielle), n’ont pas exprimé la moindre émotion ni « même
un remerciement » à leur égard. Le repreneur avait beaucoup d’appréhension à reprendre. Ce
dernier qui en est à sa quatrième reprise, est encore marqué par la reprise précédente qui s’est
très mal déroulée, à tel point que cette entreprise de onze salariés fut revendue seulement
quatorze mois après son arrivée. Après une analyse rétrospective, MP explique les raisons de
son échec par une « impossibilité de travailler avec des salariés présents depuis longtemps
dans l’entreprise ». Ces derniers ne l’ayant « pas accepté ». Il souhaite tout mettre en œuvre
pour que cette fois-ci, cette reprise, probablement la dernière de sa carrière, se passe bien.
243
Ø 3- L’entreprise ICV :
Créée en 2005, l’entreprise ICV commercialise principalement des produits
alimentaires à une clientèle particulière résidant à proximité. Seule surface commerciale dans
le secteur, ICV bénéficie naturellement d’une « clientèle captive » qui fait l’essentiel de son
chiffre d’affaires. Cinq ans seulement après avoir lancé cette activité, le dirigeant a souhaité
vendre pour cause de fatigue et de lassitude. Les relations avec les salariés n’étaient pas non
plus au beau fixe, ces derniers ayant le sentiment d’« être constamment surveillés par la
direction ». C’est dans ce contexte tendu que RC arrive dans l’entreprise. Ancien directeur
non propriétaire d’une entreprise de même type, le nouveau dirigeant s’insère rapidement
dans son milieu et parvient à développer fortement le chiffre d’affaires.
Ø 4- L’entreprise SJA :
Créée et dirigée depuis les années 1980 par un entrepreneur autodidacte,
charismatique et omniprésent, SJA est le spécialiste local de la vente de produits pour
concevoir et entretenir des espaces verts. Début des années 2000, l’entreprise s’est dotée d’un
nouveau service dont le rôle est d’imaginer et d’offrir à des clients exigeants des solutions
clés en mains pour embellir leur extérieur. En 2012, en raison du départ en retraite de son
dirigeant, l’entreprise SJA est revendue à un jeune entrepreneur dynamique et ambitieux.
Fraîchement diplômé d’une école de commerce, le repreneur s’attache à bien appliquer à la
gestion de son entreprise, les « techniques apprises » durant sa formation. Croissance du
profit et respect du cadre de vie des salariés sont les maîtres mots de ce jeune entrepreneur.
L’implication de ces derniers dans son projet est une priorité qu’il n’hésite pas à afficher.
Prolongeant son raisonnement, il compte prochainement transmettre une partie du capital de
cette entreprise aux salariés intéressés afin de « grandir ensemble ». L’objectif qu’il s’assigne
est de confier en partie les rênes de son entreprise pour « se dégager du temps » et reprendre
une nouvelle entreprise de taille plus conséquente dans les prochains mois.
Ø 5- L’entreprise MC :
MC est une TPE qui commercialise des produits de boulangerie, de pâtisserie et de
petite restauration dans une rue idéalement située et très fréquentée de l’agglomération
stéphanoise. Créée en 2000, puis revendue en 2010, elle compte dans son effectif 10 salariés
et réalise un chiffre d’affaires de 1 063 000 Euros. Le repreneur, MC., âgé de 37 ans, est ce
que l’on peut appeler un entrepreneur dans l’âme. Il a déjà, à son actif, trois rachats, puis
244
reventes d’entreprises « avec profits » et possède actuellement en parallèle, une autre petite
structure spécialisée dans la conception de solutions Internet à destination des professionnels.
Cette dernière activité le contraint à être de moins en moins présent dans l’entreprise M.C., ce
que déplorent certains membres du personnel. Depuis sa reprise, l’entreprise a adopté une
stratégie de « montée en gamme et en qualité des produits » et connaît une croissance
régulière et conséquente de son activité et de son chiffre d’affaires. Elle est néanmoins
confrontée à un turn-over relativement élevé et peu de personnel ayant vécu la vente sont
encore présents au moment où nous réalisons les entretiens.
Ø 6- L’entreprise EMB :
L’entreprise EMB est une TPE de 6 salariées créée en 2005, puis revendue en 2013.
Son activité principale consiste à commercialiser des produits esthétiques de différentes
marques et à assurer une prestation de conseil auprès d’une clientèle essentiellement féminine.
En complément de cette activité principale, EMB dispose également de
« cabines individuelles » lui permettant de prodiguer des soins sur place. La repreneuse âgée
de 35 ans connaît ici sa première expérience de dirigeante d’entreprise. C’est avec beaucoup
d’appréhensions qu’elle entre dans cette « nouvelle aventure ». Depuis son arrivée, la jeune
femme est « sur tous les fronts » et passe énormément de temps dans l’entreprise au point
d’avoir « l’impression de sacrifier sa vie de mère de famille ». L’entreprise connaît une
croissance quasi nulle de son chiffre d’affaires depuis la reprise malgré, la mise en place de
challenges et d’actions de formation pour encourager le personnel à vendre mieux et plus.
Ø 7- L’entreprise MF :
Maison centenaire située dans une ville cossue de l’agglomération stéphanoise, MF
jouit d’une excellente réputation auprès d’une clientèle composée principalement de
particuliers. En 2013, cette TPE de 4 salariés est reprise par un jeune pâtissier extérieur à la
région, qui, à 27 ans, se « lance pour la première fois dans les affaires ». Deux mois
seulement après son arrivée, il doit faire face à un premier départ, celui de la principale
vendeuse. Neuf mois plus tard, plus aucun employé présent dans l’entreprise au moment de
son rachat ne fait partie de l’effectif. Cette situation place l’entreprise dans de grandes
difficultés d’organisation. Le dernier départ en date est celui du boulanger, pourtant présent
dans l’entreprise depuis plus d’une décennie. Cela complique encore un peu plus la situation.
Le remplacement de ce dernier s’avère à l’évidence plus compliqué que prévu. Recruter un
245
« bon boulanger » dans la région s’apparente à un « véritable casse-tête ». Le repreneur pallie
tant que possible ces « gros problèmes de personnel » en s’investissant lui-même, durant de
nombreuses semaines, dans les différents postes laissés vacants et en sollicitant l’aide
familiale. Il se retrouve rapidement « épuisé » par les nombreuses heures de travail effectuées
et cela se ressent à présent « sur le moral ». Des recrutements ont lieu par la suite, mais aucun
ne semble véritablement donner satisfaction. La clientèle perçoit tous les mouvements du
personnel ainsi qu’une variation dans la qualité des produits proposés. Elle commence à
interroger ouvertement le repreneur sur les motifs de tous ces changements.
Ø 8- L’entreprise LPC :
Idéalement située à proximité de la principale gare de Saint-Etienne, LPC exerce une
activité de brasserie-hôtel-restauration depuis plusieurs décennies248 . En 2013, l’ancienne
dirigeante, après une bonne partie de sa carrière exercée dans l’établissement, décide de
prendre sa retraite et de vendre. L’entreprise de neuf salariés « vivote tranquillement » et la
dirigeante semble se satisfaire de la situation. En 2014, elle trouve enfin un repreneur en la
personne de J., jeune entrepreneur de 38 ans déjà propriétaire d’une grande brasserie en centre
ville et d’un établissement de restauration à emporter (snacking). Homme d’affaires avisé à
l’emploi du temps chargé249, il a déjà multiplié les expériences de reprise, mais n’a jamais
encore racheté ce type d’établissement. Dès son arrivée dans l’entreprise, il décide seul de
renouveler la carte, d’entreprendre des travaux importants pour rénover les chambres et
modifie les méthodes de travail. Il souhaite avant tout « dynamiser les lieux (…) et rajeunir
l’affaire» afin de rentabiliser rapidement son investissement. Il compte bénéficier du
dynamisme du quartier d’affaires en construction, raison qui l’ont poussé à racheter
l’entreprise. Le repreneur investit des sommes importantes dans une action de communication
publicitaire d’envergure en vue de faire connaître l’établissement dans la ville et conquérir
une nouvelle clientèle de salariés présents dans la zone. Il entreprend également de nouer des
partenariats avec de grandes entreprises installées à proximité250. Trois mois seulement après
son entrée en fonction, 6 des neufs salariés « repris » ne sont plus présents dans l’entreprise et
248
Le repreneur ainsi que les salariés interrogés n’étaient pas en mesure de nous donner la date exacte de la création de l’établissement. 249
Nous avons eu beaucoup de mal à interviewer ce repreneur. Dans un premier temps et malgré son accord et une promesse de revenir vers nous, aucune proposition de rendez-vous ne nous fut faite durant plusieurs mois. Après insistance, nous avons pu obtenir un rendez-vous d’une heure, mais annulé et décalé à trois reprises. 250
Deux mois après son arrivée, il réussit à faire référencer son établissement comme « établissement hôte » pour les conducteurs de trains de la SNCF. D’autres entreprises environnantes organisent maintenant régulièrement des repas d’affaires au sein de l’établissement.
246
ont été remplacés. Il ne reste que le chef cuisinier, un cuisinier et un employé de l’hôtel en
arrêt maladie depuis neuf mois. Malgré les « problèmes de gestion du personnel importants »,
un an après sa reprise, l’entreprise a vu son chiffre d’affaires bondir.
Ø 9- L’entreprise FRT :
FRT, TPE créée dans les années 70, figure parmi les rares spécialistes européens de la
distribution de matériel d’imagerie à usage professionnel. FRT opère sur un marché de niche,
mais doit constamment adapté ses produits pour répondre aux demandes d’une clientèle
fortement exigeante. Elle s’appuie pour cela sur un personnel très qualifié et réactif. FRT
compte parmi l’essentiel de ses clients, des grands noms de l’aéronautique, de l’industrie, des
travaux publics ou bien encore de la sécurité nationale. En 2012, cette entreprise de neuf
personnes est cédée à un ancien cadre supérieur plutôt « habitué au fonctionnement des
grands groupes » dans des secteurs complètement différents (banque, télécom, santé). Agé de
40 ans, JM a souhaité reprendre cette TPE à « fort potentiel » afin de la dynamiser et
d’apporter ses compétences, notamment à l’international, pour augmenter son chiffre
d’affaires et rentabiliser rapidement son investissement. Malgré le caractère hautement
technique des produits commercialisés et la spécificité du marché sur lequel opère
l’entreprise, il parvient en quelques mois seulement à « s’imposer en tant qu’interlocuteur
crédible aussi bien auprès du personnel qu’auprès des fournisseurs et des clients ». Depuis sa
reprise, FRT connaît une croissance soutenue de son chiffre d’affaires et de son résultat.
Symbole de cette réussite et d’une nouvelle dynamique, un nouveau bâtiment a été pensé et
conçu pour accueillir tout le personnel et les clients dans une ambiance plus moderne.
Ø 10- L’entreprise SAG :
En 2011, IG, alors âgée de 59 ans, reprend SAG. Cette TPE de 4 salariés, créée dans les
années 60, exerce une activité de commerce multiservices (alimentation générale,
boulangerie, épicerie, confiserie, alcools, jeux, etc.). Située à proximité d’un quartier sensible
de Saint-Etienne, l’entreprise est encore marquée par le récent vol à main armé dont elle a fait
l’objet, lorsqu’elle est reprise par IG. Un salarié ayant été au contact d’un des malfaiteurs est
d’ailleurs toujours en arrêt maladie au moment de la prise de fonction de la nouvelle
dirigeante. Avant la reprise, l’ambiance de travail n’était pas bonne, pire encore, elle semblait
se dégrader de mois en mois. L’ancienne dirigeante, lassée par des conditions de travail
difficiles, était de moins en moins présente dans l’entreprise et donnait le sentiment aux
247
salariés « d’être abandonnés » et de « se débrouiller tout seul ». La démotivation générale
gagnait du terrain et les chiffres des ventes ne progressaient plus. C’est dans ce climat difficile
que IG, toute satisfaite d’avoir trouvé une entreprise dans sa ville natale, entreprend de
« rebooster les salariés de l’entreprise et son chiffre d’affaires ». En peu de temps, elle
parvient à s’intégrer dans l’équipe, à la remotiver, puis à développer la clientèle.
Le tableau ci-après offre une présentation synthétique de notre population d’entreprise.
Tableau 15 - Présentation synthétique de la population d’entreprises sélectionnées
Entreprise Activité principale Effectif Chiffre d’affaires
Date de cession
Raison de la cession
1-HPC Distribution articles et fournitures de bureaux, librairie, papèterie.
9 1,2 million d’Euros
2014 Décès de l’ancienne dirigeante.
2-PP Commercialisation d’articles médicaux / matériel pour le maintien à domicile.
5 800 K€ 2010 Reprise d’une autre affaire par les anciens dirigeants.
3-ICV Distribution à dominante alimentaire.
7 1,95 million d’€
2010 Lassitude de l’ancien dirigeant.
4-SJA Vente de produits végétaux et d’arboriculture/création d’espaces verts.
8 590 K€ 2012 Retraite du cédant.
5-MC Boulangerie/pâtisserie/ petite restauration.
10 1,063 million d’€
2012 Divorce du couple de cédants.
6-EMB Commercialisation de produits esthétiques/ prestations de services esthétiques.
6 930 K€ 2013 Volonté de la cédante de consacrer plus de temps à son enfant malade.
7-MF Boulangerie/pâtisserie/ chocolaterie. Glacier/confiseur.
4 250K€ 2013 Retraite de l’ancien dirigeant.
8-LPC Hôtellerie/ Restauration/ Brasserie.
9 435 K€ 2014 Retraite de l’ancienne dirigeante.
9-FRT Distribution professionnelle/ Matériel d’imagerie.
9 1,4 million d’€
2012 Cession pour rachat d’une autre entreprise.
10-SAG Commerce multiservices. 4 340 K€ 2011 Reconversion professionnelle.
248
Notre population définie, il nous faut maintenant présenter la manière dont ont été récupérées
les données.
1.3.2.) La collecte des données
Elément « crucial du processus de recherche en management », la collecte de données
qualitatives ne doit pas être considérée comme « une simple étape discrète d’un programme
de recherche ». Cette action est fondamentale dans la mesure où elle permet au chercheur de
« rassembler le matériel empirique » sur lequel il va concevoir sa recherche (Baumard,
Donada, Ibert et Xuereb, 2014, pp. 262-273). Au préalable, une réflexion portant sur la
méthode à utiliser pour conduire la recherche doit être menée. Celle-ci se traduit par la mise
en place d’un protocole de collecte corollaire d’un choix entre différentes méthodes de recueil
sélectionnées pour servir au mieux la résolution de la problématique (Mucchielli, 1996,
2009). La finalité de l’exercice consiste à recueillir des données qui soient les plus riches, les
plus représentatives et les plus fiables possibles des événements perçus. Afin de rendre ces
informations crédibles et exploitables dans le cadre d’une recherche, Yin (2009, cité par
Gagnon, 2012, p. 57) émet des recommandations. Pour l’auteur, toute collecte de données
repose fondamentalement sur trois « assises » :
(1) des sources multiples afin de permettre l’analyse d’une variété de données, de tracer des
lignes de convergence et de renforcer la validité du construit ;
(2) la création d’une base formelle de données pour les rendre accessibles à tout chercheur
désirant vérifier les analyses et les résultats de l’étude ;
(3) le maintien d’une chaîne d’évidences pour assurer la cohérence et démontrer la fiabilité
des données.
Wacheux (1996, p. 192) insiste à son tour sur l’importance de la multiplication des
sources afin de rendre « utilisables » les données collectées, la triangulation étant une
« exigence de la recherche qualitative ».
Les sections suivantes visent à apporter des précisions quant à la manière dont nous
avons organisé la collecte des données dans le cadre de cette recherche, en insistant plus
particulièrement sur les choix relatifs au statut des données recueillies et sur les outils de
collecte mobilisés.
249
1.3.2.1.) Le statut des données recueillies
La littérature reconnaît deux grandes catégories de données avec les données primaires
(ou de première main) et les données secondaires (ou de seconde main). Dans son projet, le
chercheur doit d’abord déterminer « la nature exacte » des données nécessaires à la validation
de son modèle théorique pour ensuite considérer les instruments utilisables pour collecter les
informations (Baumard et al., 2014). Nous allons voir que l’utilisation de données de telle ou
telle nature présente des avantages et des inconvénients.
Ø Les données primaires : elles sont directement collectées sur le terrain par le
chercheur. Ceci leur confère un caractère de validité interne important. L’utilisation de
données de cette nature est très répandue en sciences de gestion et continue à l’être
bien que d’importants écueils aient été signalés. De nombreux auteurs mettent en
garde leurs collègues novices contre l’existence de « biais » provenant principalement
de l’interaction entre l’enquêteur et le répondant. De cette rencontre ressort une
information « reconstruite » par le répondant sur un sujet défini en amont par le
chercheur. Les données ainsi collectées sont donc en réalité « coproduites » (Gavard-
Perret et al., 2008). Toute la difficulté pour le chercheur consiste, non à faire
abstraction de soi-même, mais à qualifier et à maitriser sa présence dans le dispositif
de collecte (Baumard et al., 2014).
Ø Les données secondaires : elles sont des informations déjà produites pour les besoins
d’autres enquêtes et disponibles immédiatement et souvent à peu de frais. Elles sont
« déjà assemblées et ne nécessitent pas forcément un accès aux personnes qui les ont
fournies » (Baumard et al., 2014, p. 290). On leur attribue généralement une valeur
historique dans la mesure où elles ont déjà fait l’objet d’une formalisation et d’une
publication. Néanmoins, ces données peuvent souffrir de nombreuses insuffisances,
car elles peuvent n’être que partielles, obsolètes et, surtout, subjectives à l’enquêteur
qui les a produites. Ceci rend difficile, voire quelquefois impossible, leur exploitation
par un autre chercheur.
Etant donné notre problématique de recherche et notre posture interprétativiste, nous
avons souhaité privilégier le recueil de données directement auprès des acteurs concernés par
le management de la reprise, à savoir les salariés « repris » et le repreneur. En collectant
principalement des données primaires, nous cherchons à obtenir des informations sur la
perception des acteurs, leur vécu, leurs émotions, leurs comportements et leurs interprétations
250
des situations. Par ce biais, nous pensons mieux accéder à la réalité telle qu’ils la perçoivent et
la décrivent. Nous réitérons ici notre objectif de ne pas intervenir, mais de comprendre de
l’intérieur les significations que les individus attachent à la réalité sociale, à leurs motivations
et intentions.
Notre choix de privilégier ce type de données, en tant que mode de collecte principal,
a également été guidé par le peu de données secondaires internes pouvant être exploitées dans
le cadre de notre recherche251. Nous l’avons vu précédemment, la gestion informelle de la
TPE semble en être la principale cause. Nous avons néanmoins pu compléter nos données
primaires par quelques données secondaires, principalement des livrets d’accueil et de
présentation de l’entreprise. Nous détaillerons ces documents dans le point suivant.
Lors de la mise en œuvre de notre principal outil de collecte, nous veillerons à faire
preuve de vigilance. L’utilisation de données primaires requiert, en effet, une forte attention
pour tenter de réduire au mieux les différents écueils qui y sont associés. Nous gardons à
l’esprit que nos choix théoriques et méthodologiques influencent nécessairement les données
collectées, notamment au travers des acteurs interrogés et de la manière dont sont conduits
nos entretiens, puis nos analyses.
1.3.2.2.) Les méthodes déployées
Dans le cadre d’une recherche qualitative, différents modes de collecte s’offrent au
chercheur : entretien individuel, entretien de groupe, observation participante ou non
participante. Nous présentons ci-dessous les techniques utilisées pour collecter les données
pour notre recherche. Nous verrons que l’entretien individuel constitue notre principale source
de données, complétée par d’autres méthodes, notamment l’observation non participante et
l’analyse documentaire.
1.3.2.2.1.) L’entretien
Baumard et al. (2014, p. 274) définissent l’entretien comme « une technique destinée à
collecter, dans la perspective de leur analyse, des données discursives reflétant notamment
l’univers mental conscient ou inconscient des individus ». Cette méthode qualitative figure
parmi les plus utilisées en sciences de gestion. Elle consiste à mener « une conversation avec
un objectif » (Kahn et Cannell, 1957, cités par Gavard-Perret et al., 2008, p. 88). Deux formes 251
Pour chaque TPE étudiée, nous avons demandé des documents pouvant constitués de véritables sources de données secondaires ; comptes rendus de réunions, rapports, procédures écrites, notes de services, archives…).
251
d’entretien que nous reprenons ci-après, sont discernables en fonction du nombre de
répondants en interaction avec le chercheur.
Ø L’entretien individuel : il est particulièrement adapté lorsqu’on cherche à explorer des
processus individuels complexes, des sujets confidentiels ou à mettre en évidence des
différences individuelles (Gavard-Perret et al., 2008). Il s’agit d’une situation de face à
face entre un investigateur et un sujet. Le niveau de structuration de l’interaction entre
l’animateur et l’interrogé déterminera la forme de l’entretien individuel, à savoir
directif, non directif ou semi-directif. L’entretien directif est assimilé par de nombreux
chercheurs à un questionnaire et son usage renvoie donc plus à une méthodologie
quantitative. Concernant l’entretien non directif, l’investigateur définit un thème
général qu’il propose au répondant sans intervenir dans l’orientation du discours.
L’entretien semi-directif est, quant à lui, mené à l’aide d’un guide structuré pour
aborder une série de thèmes préalablement définis. C’est une pratique relativement
souple autorisant des modifications dans l’ordre des questions ou encore l’abandon de
certaines (Baumard et al., 2014).
Ø L’entretien de groupe : il consiste à réunir, autour d’un ou plusieurs animateurs, un
ensemble de personnes pour les amener à interagir. Reposant sur la théorie de la
dynamique des groupes restreints de Lewin (1952), ce mode de collecte est utile pour
susciter des idées ou hypothèses, affiner un diagnostic ou la définition d’un problème,
explorer des opinions, attitudes, perceptions ou représentations (Gavard-Perret et al.,
2008) ou encore identifier des informateurs clés. L’utilisation d’une telle technique de
collecte est conditionnée au savoir-faire et à l’expérience du chercheur, les biais étant
nombreux. L’enquêteur doit faire preuve d’empathie, de flexibilité et de sagacité
(Baumard et al., 2014) pour dépasser les possibles discours faussés par l’expression
des jeux de pouvoir ou encore par les enjeux liés au devenir au sein de l’organisation
des sujets interrogés.
Dans le cadre de notre recherche, nous avons opté pour des entretiens individuels conduits
de manière semi-directive réalisés sur le lieu de travail. L’entretien individuel nous a paru
particulièrement adapté à notre sujet de recherche. Il est, en effet, souvent réservé aux sujets
complexes et faisant appel aux vécus et aux interprétations des individus. Cette technique
consiste à collecter des données discursives reflétant l’univers mental conscient ou
inconscient des individus (Baumard, Donada, Ibert, Xuereb, 2014). D’après Pettigrew (1987),
252
il s’agit d’une technique de recueil des données tout à fait appropriée à l’étude de phénomènes
sociaux : « A travers les entretiens, on recueille des données sur la façon dont les individus ou
groupes perçoivent et vivent leurs situations, sur leurs activités, leurs relations les uns avec
les autres, l’évaluation qu’ils font de leurs activités, la façon dont ils voient leurs possibilités
d’action » (cité et traduit par Vas et Vande Velde, 2000, p. 8). En interviewant les individus
dans leur milieu, nous avons souhaité obtenir des réponses naturelles et spontanées, puis
écouter et observer le type d’interactions que le répondant noue avec le personnel et/ou avec
ses partenaires extérieurs (clients, fournisseurs, etc.) (Hlady-Rispal, 2002, p. 125). Notre
volonté d’accéder au vécu (ou plus exactement aux interprétations) de chacun des acteurs sur
un phénomène précis (le management de la reprise) étant précisée, nous avons laissé
l’interviewé s’exprimer librement tout en orientant la discussion via des approfondissements
et des relances (Romelaer, 2005) sur des thèmes précis252. En agissant de la sorte, nous
laissons le répondant exprimer son point de vue avec ses propres mots sur les expériences
vécues (Eriksson et Kovalainen, 2008, p. 216), tout en évitant une surcharge de données
nuisibles à l’efficacité de l’analyse.
Comme spécifié dans la première partie de ce travail, notre étude porte sur le management
de la reprise réalisé par des repreneurs personnes physiques de TPE sans lien avec la cible.
C’est précisément ce type de personnes que nous avons souhaité entendre lors de nos
investigations sur le terrain. La reprise d’une TPE ne concernant pas uniquement le dirigeant,
nous avons également interrogé des salariés présents dans l’entreprise au moment du
changement de direction. Le choix des personnes à interviewer a été établi en concertation
avec chaque repreneur. Nous nous sommes fixé pour contrainte de diversifier au maximum
les profils afin notamment de limiter le plus possible le « biais d’élite » (Miles et Huberman,
2003, p. 478). Par exemple, s’il existait dans l’entreprise une ligne hiérarchique, nous
demandions systématiquement à interroger un responsable et un employé. De plus, s’il
existait différents services, nous sollicitions des personnes travaillant dans des services
différents. En aucun cas des noms de salariés nous ont été imposés.
A travers ce mode opératoire, nous avons souhaité circonscrire au mieux les différentes
perturbations pouvant impacter l’étude. Notre principale crainte était d’interroger uniquement
des personnes satisfaites par la reprise. Il nous faut néanmoins reconnaître qu’étant donné le
peu d’effectif et le nombre de départs constatés dans certaines entreprises, plusieurs salariés 252
Soulignons ici que les thèmes préalablement rassemblés dans un guide d’entretien (Annexes N°3 et 4) ont été enrichis au fur et à mesure du déroulement des interviews.
253
n’ont pas été choisis mais s’imposaient à nous, de fait, par la situation. Nous pensons à une
entreprise en particulier, l’entreprise LPC, pour laquelle il ne restait, au moment de nos
investigations, que 2 salariés ayant vécu la reprise dans l’effectif total.
L’adoption de cette approche multi-acteurs, outre l’apport de données supplémentaires
considérables qu’elle génère, nous a permis de trianguler les points de vue et de mettre en
évidence des divergences ou des similitudes. Pour limiter les biais et maximiser la qualité de
la collecte, un guide d’entretien (annexe 3 et 4) a été élaboré, puis administré auprès des
repreneurs et des salariés. Ce dernier comporte trois volets :
- une introduction dans laquelle nous nous présentons, expliquons le thème général de
notre recherche, son intérêt pratique pour les futurs entreprises reprises ; nous
rassurons également notre interlocuteur quant à l’anonymat des informations qui
seront données et sollicitons son autorisation pour enregistrer l’entretien sur
dictaphone ;
- un approfondissement des thèmes au cœur de la recherche via des questions ; les
thèmes devant absolument être abordés sont : (1) le déroulement de l’entrée en
fonction du repreneur dans l’entreprise, (2) la gestion du changement par le repreneur,
(3) les déterminants de l’action organisée ;
- une conclusion dans laquelle nous récapitulons les principales idées émises par la
personne interrogée lors de l’entretien. Après lui avoir demandé si elle n’a rien à
ajouter, nous demandons systématiquement au répondant quels conseils il donnerait à
un futur repreneur pour qu’il réussisse pleinement sa reprise. Pour clore l’entretien,
nous ne manquons pas de le remercier pour le temps et l’aide qu’il nous a accordés.
Les personnes interrogées, les dates et les durées des entretiens sont présentées dans le
tableau suivant.
254
Tableau 16 – Synthèse des entretiens réalisés
Entreprise Personnes interviewées
Poste occupé dans l’entreprise
Dates Durée des entretiens
1- HPC 1. RID 2. SPD 3. SNM 4. SAA
1. Repreneuse 2. Commercial 3. Employée 4. Responsable de
rayon
1. 5 Mars 2014 – 23 Oct 2014 et 12 Mars 2015
2. 8 Avril 2014 3. 24 Octobre 2014 4. 13 Mars 2015
1. 1h18m - 1h05m -1h38m
2. 0h52m 3. 0h51m 4. 1h02m
2- PP 1. RMP 2. SAJ 3. SSB
1. Repreneur 2. Employée 3. Employée
1. 4 Mars 2015 – 9 Mars 2015
2. 4 Mars 2015 3. 9 Mars 2015
1. 1h 17 m – 0h46m
2. 0h58 m 3. 0h59 m
3- ICV 1. RRC 2. SCL 3. SAS
1. Repreneur 2. Responsable
adjoint 3. Employé
polyvalent
1. 3 Avril 2015 2. 8 Avril 2015 3. 30 Avril 2015
1. 1h19m 2. 0h47m 3. 0h44 m
4- SJA 1. RJB 2. SBB 3. SAP
1. Repreneur 2. Responsable
adjoint 3. Employé
1. 16 Avril 2015 2. 21 Avril 2015 3. 24 Avril 2015
1. 1h22 m 2. 0h54 m 3. 1h10 m
5- MC 1. RMC 2. SEM
1. Repreneur 2. Employée
caisse
1. 17 Avril 2015 2. 29 Avril 2015
1. 1h07 m 2. 0h46 m
6- EMB 1. RCB 2. SM 3. SMM
1. Repreneuse 2. Vendeuse 3. Esthéticienne
1. 27 Avril 2015 2. 27 Avril 2015 3. 4 Mai 2015
1. 1h06m 2. 0h45 m 3. 1h01m
7- MF 1. RSF 1. Repreneur 1. 29 Avril 2015 - 24 Juin 2015
1. 1h07m - 0h49m
8- LPC 1. RJJR 2. SDC 3. SKC
1. Repreneur 2. Chef cuisinier 3. Cuisinier
1. 28 Mai 2015 2. 13 Avril 2015 3. 13 Avril 2015
1. 0h59 m 2. 0h52 m 3. 0h47 m
9- FRT 1. RJM 2. SSR
1. Repreneur 2. Directeur
technique
1. 5 Juin 2015 2. 12 Juin 2015
1. 0h58 m 2. 1h07m
10- SAG 1. RIG 2. SAB 3. SFK
1. Repreneuse 2. Vendeur 3. Caissier
1. 24 Juillet 2015 2. 30 Juillet 2015 3. 4 Août 2015
1. 1h44 m 2. 0h59 m 3. 1h15 m
255
Au total, sur une période allant du 5 Mars 2014 au 4 Août 2015, 31 entretiens (14
concernent les repreneurs et 17 les salariés) ont été réalisés auprès de 10 entreprises
différentes. Cela représente un volume de près de 33 heures d’entretiens enregistrés sur
dictaphone. La retranscription des enregistrements représente 457 pages253 de traitement de
texte sous format Word. Tous les entretiens ont également fait l’objet de prises de notes
consignées dans un cahier dédié à la recherche.
Les entretiens en face à face ont constitué notre principale méthode de production de
données. Néanmoins, d’autres méthodes complémentaires ont été utilisées, principalement
l’observation et l’analyse documentaire.
1.3.2.2.2.) L’observation et les documents internes
L’observation peut être définie, au sens étroit du terme, comme un mode de collecte de
données primaires par lequel le chercheur observe de lui-même, « de visu », des processus ou
des comportements se déroulant dans une organisation, durant une période de temps donnée
(Baumard et al., 2014, p. 277). Elle peut également faire l’objet d’une définition plus large la
représentant comme une stratégie particulière d’interaction avec le terrain où tous les sens du
chercheur sont sollicités, y compris ses émotions pour accéder aux situations réellement
vécues par les acteurs (Gavard-Perret et al., 2008).
Les entretiens étant réalisés en milieu formel, c'est-à-dire au sein de l’entreprise, nous
avons pu visiter chacune d’entre elles et observer ce qu’il s’y passait. En raison de la faiblesse
de l’effectif au sein de chaque TPE, il nous a fréquemment été demandé d’espacer les
entretiens sur plusieurs jours afin de ne pas perturber le fonctionnement « normal » de
l’entreprise254. Ce qui apparaît de prime abord comme une contrainte, nous a au contraire
permis de multiplier les visites sur chaque site, à des périodes d’activité différentes. Grâce à
ces visites espacées, nous avons pu mieux comprendre le fonctionnement de l’entreprise et
observer les relations entre individus et leurs interactions en conditions réelles et différentes
de travail.
Nous avons également sollicité chaque repreneur afin qu’il nous fournisse des documents
provenant de l’entreprise ou qui en parlent. Comme nous l’avons stipulé précédemment, peu 253
Format A4, Times New Roman, taille de police 12. La retranscription des enregistrements est disponible sur demande. Nous avons fait le choix de ne pas joindre ces retranscriptions à ce document, vu leur volume. 254
Les entreprises exerçant dans une activité de commerce et recevant des clients sur de larges amplitudes horaires, les horaires du personnel sont aménagés en conséquence. Pour chacune d’entre elles, les plannings prévoyaient le nombre exact de personnes nécessaires pour « faire tourner la boutique ».
256
de documents nous furent finalement remis. Néanmoins, ceux qui nous ont été donnés, ont
apporté des informations précieuses. Il s’agissait précisément de livrets d’accueil pour les
entreprises PP, SJA, LPC, EMB, de livrets de présentation de l’entreprise pour les entreprises
FRT, EMB, SJA, LPC, ainsi que des bilans comptables pour LPC et HPC. En complément,
nous avons également pu collecter des renseignements directement sur les sites Internet des
entreprises HPC, PP, MC, FRT et LPC.
Tous ces documents, bien que peu nombreux au regard du volume des données primaires
récoltées, représentent un apport tout à fait significatif pour notre recherche. Les données ainsi
recueillies sont très utiles pour découvrir davantage l’entreprise, son fonctionnement ainsi que
le contexte dans lequel elle évolue. Wacheux (1996, p. 192) souligne à ce propos, qu’au
même titre que les entretiens, la documentation est une source incontournable lorsque l’on
s’intéresse à la vie des acteurs, à leurs comportements ainsi qu’à l’organisation. Elle est « la
source essentielle de la chronologie » et doit « être systématiquement rapprochée du
discours des acteurs ». L’analyse documentaire nous a effectivement permis de corroborer
des renseignements provenant d’autres sources (Yin, 2014), principalement des entretiens.
La multiplication des sources de données a été essentielle pour mieux appréhender la
complexité du contexte (Benbasat et al., 1987). S’inscrivant dans une démarche
interprétativiste, un tel procédé a permis d’entrevoir les différentes facettes sous lesquelles se
manifeste un même phénomène (Usunier et al., 2000). Parallèlement, la multiplication des
sources a donné la possibilité de mener le processus de triangulation et de comparaison qui
sont particulièrement recommandés lors de l’analyse des études de cas (Stake, 2005).
257
Conclusion section 1
Cette section avait pour objectif d’expliquer les fondements épistémologiques et
méthodologiques sur lesquels s’est construit progressivement ce travail.
Nous avons commencé par exposer nos réflexions quant à l’orientation générale de
la recherche. Après examen des différents paradigmes épistémologiques, un positionnement
interprétativiste nous a semblé correspondre le mieux aux objectifs que l’on assigne à cette
étude. Un tel positionnement apparaît, en effet, particulièrement adapté à la compréhension
du sens que les différents acteurs concernés par un événement, ici les salariés et repreneurs
suite à la RPP, attachent à la réalité sociale, à leurs motivations et intentions. Nous avons
ensuite expliqué l’intérêt d’un mode de raisonnement abductif.
Dans un deuxième temps, nous avons justifié l’utilisation d’une approche
qualitative. Pour Mucchielli (1996), l’utilisation d’une telle démarche est parfaitement
justifiée pour expliquer et comprendre « un phénomène humain ou social ». Ce choix
semble en cohérence avec notre objet de recherche, l’entrée d’un repreneur dans une
entreprise existante constituant effectivement un phénomène humain (Boussaguet, 2005).
Cette méthodologie de recherche qualitative se révèle également particulièrement efficace
lorsqu’on cherche à appréhender un phénomène peu connu. Dans la mesure où elle permet
d’explorer et de comprendre des phénomènes complexes et de dégager des invariants, la
méthode des cas multiples est apparue appropriée.
Enfin, après présentation des critères de sélection et des 10 terrains de recherche
retenus, nous avons dévoilé les techniques utilisées pour collecter les données
indispensables à notre étude.
Une fois tous ces éléments précisés, nous pouvons à présent, dans une deuxième section,
expliquer la manière dont nous avons procédé pour analyser les données et aborder la
question de l’évaluation de cette recherche.
258
Section 2 - Analyse des données et évaluation de la recherche
Cette section vise à expliciter la démarche utilisée pour analyser et interpréter les
données recueillies en vue d’en établir des conclusions scientifiquement présentables. Il s’agit
là d’une démarche quasi obligatoire pour tout chercheur qualitativiste. En effet, comme nous
le rappelle Wacheux (1996, p. 227), même si les techniques d’analyses de données
qualitatives n’ont pas besoin d’une certification procédurale, contrairement aux démarches
quantitatives, il demeure néanmoins impératif pour le chercheur de démontrer la « valeur
philosophique logique » de son travail. Nous tenons à signaler dès à présent que bien que
l’étape d’analyse soit exposée à la suite de la collecte de données, nous avons réalisé les deux
sur un mode itératif. Nous suivons en cela les préconisations de Miles et Huberman (2003, p.
101) pour qui il est fortement recommandé de procéder à une analyse en cours de recueil de
données, car le « chercheur peut alterner un travail de réflexion sur les données déjà
collectées et une mise au point de nouvelles stratégies pour en collecter d’autres, souvent de
meilleure qualité ». Cette démarche nous condamne alors à osciller entre réel et irréel,
intuition et contradictions, incompréhensions et interprétations (Hlady Rispal, 2002). Pour
mener à bien son travail d’analyse, le chercheur est tenu de respecter différentes phases. Miles
et Huberman (2003) décomposent ainsi l’analyse qualitative en trois flux concourant
d’activités : la condensation des données, la présentation des données, et
l’élaboration/vérification des conclusions, comme le montre la figure suivante.
Figure 24 - Composantes de l’analyse des données : modèle de flux
Source : Miles et Huberman (2003, p. 28).
Après
Après
Après
Pendant
Pendant
Période de recueil de données
CONDENSATION DES DONNEES
PRESENTATION DES DONNEES
ELABORATION/VERIFICATION DES DONNEES
Pendant
Anticipée
= ANALYSE
259
Pour ces auteurs, ces trois courants sont « parallèles », et s’entrelacent pendant et après
la collecte des données. Pour la suite de notre travail, nous nous sommes appuyé sur cette
conception de l’analyse qualitative et de différents outils déjà éprouvés pour réduire le
volume d’informations collectées, catégoriser et mettre en relation ces mêmes informations
avant d’aboutir à des résultats pertinents.
Nous exposerons dans les points suivants les méthodes et instruments utilisés pour
l’analyse qualitative de nos données, puis procèderons à l’évaluation de cette recherche.
2.1.) La condensation des données
Réalisé à partir d’entretiens, d’observations et de lectures documentaires, notre travail
sur le terrain a permis de recueillir un volume important de données qualitatives. Nous
disposons maintenant d’un matériau brut relativement riche, mais ne permettant néanmoins
pas de produire directement une analyse. A ce stade, il convient donc de trouver un fil
conducteur dans cette masse d’informations (Hlady Rispal, 2002). Le processus de
condensation des données vise justement à obtenir un matériau utilisable à partir d’une
multiplicité de sources et de données. Selon Miles et Huberman (2003, p. 29), il renvoie à
« l’ensemble des processus de sélection, centration, simplification, abstraction et
transformation des données « brutes » figurant dans les transcriptions des notes de terrain ».
Il s’agit là d’une forme d’analyse qui consiste à « élaguer, trier, distinguer, rejeter et
organiser les données de telle sorte qu’on puisse en tirer des conclusions « finales » et les
vérifier ».
En ce qui nous concerne, la condensation des données a été menée tout au long de la
recherche. Nous avons ainsi pu traiter les données au « fil de l’eau » et procéder à des
réajustements pour les collectes suivantes lorsque nous constations des informations
manquantes, approximatives ou équivoques. Des fiches de synthèse d’entretiens ont été
élaborées pour chaque interview 255 . Il s’agit, selon Miles et Huberman (2003, p. 108),
d’une façon « rapide et pratique d’opérer une première condensation des données, sans rien
perdre des informations de base (la transcription) auxquelles elle se réfère ». Ensuite, chaque
255
A la fin de chaque entretien, après avoir revu et corrigé nos transcriptions de notes de terrain, nous remplissions une fiche de synthèse sur laquelle étaient portées les informations essentielles ainsi que nos éléments de réflexions.
260
entretien a été intégralement retranscrit puis soumis à une analyse de contenu (Bardin,
2003,256).
Plus précisément, nous avons opté pour la méthode d’analyse thématique afin de
coder, analyser et interpréter nos données. Pratiquer une analyse de ce genre revient à repérer
des « noyaux de sens » qui composent la communication et dont « la présence ou la fréquence
d’apparition pourront signifier quelque chose pour l’objectif analytique choisi » (Bardin,
2003, p. 137). Selon Gavard-Perret et al. (2008, p. 261), l’objectif de cette méthode est de
trouver, « les thèmes récurrents entre les différents documents ou entretiens du corpus et les
contenus qui s’y rattachent ». Pour ces auteurs, deux approches du corpus sont possibles et
complémentaires. D’une part, l’approche « verticale » consiste à analyser chaque document et
repérer les mots et les thèmes qui lui sont propres et, d’autre part, l’approche « horizontale »
cherche, quant à elle, à repérer des récurrences et des régularités d’un document à l’autre.
Nous avons fait le choix de combiner ces deux méthodes. Ainsi, nous avons d’abord soumis
nos documents à une analyse verticale, puis, dans un second temps, à une analyse horizontale.
Un tel procédé a permis d’appréhender chaque logique individuelle dans son contexte, tout en
laissant apparaître des récurrences ou des dissemblances au sein de notre matériau empirique.
Afin de rendre l’analyse plus rapide et plus puissante (Miles et Huberman, 2003, p. 128), nous
avons eu recours au codage comme outil de traitement des données.
2.1.1.) Les solutions de codification retenues
Selon Miles et Huberman (2003, p. 112), la codification relève de l’analyse. Elle
consiste à « examiner une série de notes de terrain, transcrites ou synthétisées, et les
disséquer avec intelligence, tout en préservant intactes les relations entre les segments de
données ». Un tel processus revient à identifier et à coder des passages de textes évoquant les
catégories ou les concepts en lien avec le phénomène étudié. La finalité poursuivie est
d’organiser et de trier les données pour rendre l’analyse plus facile (Gagnon, 2012).
Notre analyse a débuté par plusieurs lectures « flottantes »257 de chaque texte (Bardin,
2003) afin de nous familiariser avec son contenu et prendre progressivement connaissance du
256
Cette auteure désigne par analyse de contenu « un ensemble de techniques d’analyse des communications
visant, par des procédures systématiques et objectives de description du contenu des messages, à obtenir des
indicateurs (quantitatifs ou non) permettant l’inférence de connaissances relatives aux conditions de
production/réception (variables inférées) de ces messages » (Bardin, 2003, p. 47). 257
Selon Bardin (2003, p. 126), la lecture « flottante » marque le point de départ de l’analyse de contenu. A ce stade, le chercheur se trouve encore dans la phase de « préanalyse ». L’auteure définit la lecture flottante
261
sens global (Aktouf, 1987). Suite à ces lectures, nous avons procédé au travail de codification.
Pour ne pas dénaturer le sens des informations qui étaient présentées, nous avons choisi
d’attribuer des codes à des phrases ou des groupes de phrases et non à des mots seuls.
Progressivement, à partir de ces unités de sens, nous avons construit un dictionnaire des
thèmes258. L’élaboration de ce dictionnaire s’est faite à la fois de manière inductive en laissant
émerger directement du terrain des codes et leurs relations (Glaser et Strauss, 1967), et
déductive, en établissant avant même d’aller sur le terrain une première liste de codes en
fonction de nos centres d’intérêt conceptuels.
Tout au long du processus, nous avons veillé à respecter le plus possible certaines
suggestions comme celles avancées par Miles et Huberman (2003, p. 128). Ainsi,
· nous nous sommes assuré que tous les codes s’inséraient bien dans une structure,
qu’ils étaient « reliés à d’autres codes ou s’en distinguent de façon significative et
déterminante pour l’étude en cours » ;
· les codes qui ont été retenus sont relativement proches sémantiquement des termes
qu’ils représentent ;
· nous avons défini les codes de manière opérationnelle et nous avons veillé à ce que
tous les analystes puissent comprendre ces définitions et soient capables d’identifier
rapidement un segment répondant à une définition.
Que les codes soient préétablis ou construits en cours d’étude, ils ont évolué tout au
long de notre recherche jusqu’à ce que l’analyse arrive elle-même à saturation. Un tel
phénomène se produit généralement lorsque « tous les faits nouveaux peuvent être
immédiatement classifiés, les catégories sont « saturées » et un nombre suffisant de
« régularités » émergent » (Lincoln et Guba, cités par Miles et Huberman, 2003, p. 121).
Pour nous aider à réaliser ce travail de codification long et parfois fastidieux (Bardin,
2003 ; Gagnon, 2012), nous avons choisi d’utiliser le logiciel NVivo-10©259 . Ce logiciel
dispose d’atouts non négligeables pour optimiser le temps d’analyse et faciliter le travail du
chercheur.
comme « la première activité » qui « consiste à se mettre en contact avec les documents d’analyse, à faire
connaissance en laissant venir à soi des impressions, des orientations ». 258
Pour Wacheux (1996, p. 233), il s’agit là d’un « instrument systématique et puissant pour réduire les
données ». 259
La société éditrice de ce logiciel est QSR International ; www.qsrinternational.com. Nous nous sommes procuré une version de ce logiciel via un distributeur français, la société RITME informatique ; www.ritme.com.
262
2.1.2.) L’utilisation du logiciel de codage : NVivo-10©
NVivo© appartient à la famille des logiciels d’Analyse de Données Qualitatives
Assistées par Ordinateur (ADQAO). Il s’agit d’un outil de traitement informatique des
données dont l’intérêt principal est d’épargner au chercheur la gestion manuelle des
informations. Gavard-Perret et al. (2008, p. 266) le décrivent comme faisant partie de ce
groupe de logiciels servant « à synthétiser rapidement de grandes masses de données, à en
extraire facilement les thèmes essentiels ou des données particulières et à en faire émerger
des structures et des enchaînements possibles »260. Grâce au gain de temps qu’il procure, le
chercheur peut se consacrer davantage à une analyse plus approfondie des données.
Différentes fonctionnalités propres au logiciel sont très utiles pour réaliser l’analyse. De La
Rupelle et Mouricou (2008) ont recensé les plus importantes. NVivo© permet ainsi de
centraliser l’ensemble des données, de rattacher des segments de texte à des codes, puis de
manipuler librement ces codes (rajout, regroupement, fusion de certains codes, changement
des catégories de rattachement, etc.), d’élaborer des matrices afin d’établir des recoupements
et des associations (le chercheur peut analyser ces matrices, mesurer les occurrences, appuyer
ses propositions, voire tester ses hypothèses), et enfin de regrouper tous les éléments ayant
servi à l’analyse dans un « model » faisant apparaître des relations.
Dans le cadre d’une approche exploratoire telle que la nôtre, cet outil a été d’un grand
secours pour affiner notre liste de codes, les stabiliser, puis établir progressivement notre
dictionnaire des thèmes. Sa flexibilité d’utilisation a, en effet, permis de créer et de modifier
autant que nous le souhaitions des codes en fonction des avancées de la recherche et de
mesurer instantanément les répercussions de nos actions sur l’ensemble des éléments261.
Ce logiciel a également permis de structurer l’activité d’analyse des données en deux
temps. Dans un premier temps, nous avons procédé au codage des données en nommant et
catégorisant les phénomènes observés indépendamment du contexte. Il s’agit d’une première
phase de décontextualisation (Tesch, 1990, cité par Gavard-Perret, 2008) permettant de
détacher certains éléments de leur contexte, de les isoler des autres éléments du corpus. Dans
un deuxième temps, via un regroupement en catégories et par des mises en relation, nous
avons procédé à un travail de recontextualisation. Celle-ci s’obtient en amalgamant les codes
260
Les auteurs citent d’autres logiciels comme Wordmapper, Sampler, Semiomap, SDOC, UMAP, NUD’IST, etc. 261
NVivo10 autorise l’ajout ou la modification de codes « à volonté » et répercute automatiquement l’effet de ces actions sur l’ensemble des données. Ce traitement automatique des informations contribue certainement à améliorer la qualité du processus de codage.
263
ou les catégories préalablement décontextualisés pour en faire un tout intelligible et porteur de
sens (Deschenaux, 2007). Ce mouvement de décontextualisation-recontextualisation a donné
la possibilité d’approfondir considérablement l’analyse et de définir des concepts plus
généraux, conformément à notre démarche d’abstraction.
A partir de notre cadre conceptuel et de nos questions de recherches, nous avons
dressé une liste de départ de 54 codes. Cette première liste de codes a été retranscrite
intégralement dans le logiciel NVivo-10©. Les 31 entretiens ont ensuite été analysés, ce qui
nous a permis d’affiner les codes, d’en créer de nouveaux, de générer des sous-catégories et
de supprimer des codes au fur et à mesure de l’analyse. Au total, 87 codes (nœuds) ont été
identifiés lors de ce codage de premier niveau. Nous sommes ensuite passé à un deuxième
niveau d’analyse (codage thématique) afin de regrouper les codes de premier niveau en un
nombre plus restreint de thèmes. Sept métas-codes ont alors émergé à la fin du processus
d’analyse. Il s’agit des comportements des acteurs, des communications interpersonnelles, des
éléments contextuels, de la coordination, de l’engagement, des interactions, et du processus
organisant. Ces thèmes ont constitué une grille d’analyse stable de tous les entretiens réalisés.
Un extrait de la grille thématique que nous avons construite, est présenté en annexe 6.
Figure 25 - Codage de premier niveau sur le logiciel NVivo-10©
264
Le travail de condensation réalisé, il nous reste maintenant à voir comment les
différents composants mis en relief s’interconnectent (Miles et Huberman, 2003). Ceci
requiert l’établissement de formats de représentations visuelles des données.
2.2.) La présentation des données
L’objectif de cette deuxième étape est d’obtenir une vue d’ensemble des données afin
d’en tirer des conclusions valides. Différents « formats de présentations » de données peuvent
être exploités par le chercheur pour arriver à une analyse qualitative rigoureuse et
scientifiquement recevable. Ces formats sont entendus comme « un assemblage organisé
d’informations qui permet de tirer des conclusions et de passer à l’action » (Miles et
Huberman, 2003, p. 29). Quels que soient les formats sélectionnés, ils doivent présenter de
manière lisible et compréhensible262 les variables importantes étudiées, leurs relations, aussi
bien au niveau d’un cas unique qu’au niveau d’une étude de cas multiples. Miles et Huberman
(2003) proposent un grand nombre de formats de présentation de données qualitatives. Ces
derniers peuvent être regroupés en quatre grandes familles : les matrices, les diagrammes, les
graphiques et les tableaux. Dans les faits, il n’existe pas de canons méthodologiques arrêtés en
matière de conception d’outils. Chaque chercheur est libre de choisir et d’adapter les
instruments qui conviennent le mieux à sa recherche. L’essentiel est qu’ils soient fonctionnels
pour apporter des réponses plausibles aux questions soulevées. L’inventivité et la créativité
dans le domaine sont donc vivement conseillées (Wacheux, 1996 ; Miles et Huberman, 2003).
Pour ce travail doctoral, nous avons fait le choix d’utiliser plusieurs outils. Nous avons eu
recours à des diagrammes contextuels afin de dépeindre les relations entre individus au sein
de chaque TPE (histoire de leurs relations, événements marquants, nature de la relation, etc.)
ainsi qu’à des matrices (rôles/chronologie, effets), identiques pour chaque cas étudié afin de
faciliter les comparaisons inter-cas.
L’intérêt du diagramme contextuel est de représenter le contexte social d’actions
individuelles de manière suffisamment précise, sans être submergé par une multitude de
détails. Il s’agit là d’un acte essentiel. Pour Miles et Huberman (2003, p. 190), « la
compréhension des contextes est cruciale » puisque ne pas s’en préoccuper peut engendrer
une mauvaise interprétation de la signification des événements. Pour expliquer la manière
dont les contextes influent sur nos interprétations des événements, ces auteurs citent Mishler
262
Selon les auteurs, Ils doivent être conçus pour que l’analyste puisse « embrasser d’un seul coup d’œil la
situation » (Miles et Huberman, 2003, p. 29).
265
(1979) : « le sens existe toujours au sein d’un contexte et les contextes intègrent le sens ».
Nous avons construit les diagrammes en fonction des relations entre individus (autorité,
répartition des tâches, qualité des relations), de leurs comportements durant la période de
management de la reprise et, pour finir, de l’environnement social immédiat de l’organisation.
La matrice rôles/chronologie présente les données de façon systématique pour
permettre une comparaison inter-rôles et/ou vérifier si les personnes occupant le même rôle
voient effectivement la vie de la même façon (Miles et Huberman, p. 223). L’objectif est de
représenter les interprétations des différents acteurs en fonction du rôle occupé (salariés,
salariés « responsables » et repreneurs) et, en corollaire, leurs comportements durant la
période du management de la reprise263. L’outil autorise également la prise en compte du
paramètre « temps » pour situer le « moment » de l’action des uns et des autres.
La matrice des effets permet de présenter les effets du changement de dirigeant sur
l’organisation. Il s’agit d’un outil particulièrement adapté à l’observation des réactions de
l’organisation ou des structures (Wacheux, 1996). En ordonnées, nous avons inscrit les
différents thèmes s’intégrant dans un « résultat » (Miles et Huberman, 2003, p. 246) intitulé :
« nouveau système d’actions organisées ». Il s’agit des thèmes suivants : « structuration,
coordination des activités, communications interpersonnelles, environnement relationnel».
Nous avons finalisé la construction de la matrice en distinguant, en abscisses, les
étapes principales telles que celles décrites par les différents acteurs.
Nous avons également choisi d’utiliser le modèle de Vandangeon-Derumez et Autissier
(2006) préalablement décrit en première partie de notre travail. Pour rappel, ce dernier
représente de manière transversale le processus de sensemaking en liant les variables de la
création de sens au niveau organisationnel (culture, stratégie, structure) au processus
d’engagement individuel dans l’action. Prendre en considération à la fois ces trois variables
organisationnelles et les composantes du sensemaking telles qu’elles sont identifiées par
Weick (1979), nous paraît indispensable pour bien appréhender le processus de construction
de sens à l’œuvre après l’arrivée du repreneur. Cette modélisation fournit par la même
occasion une grille d’analyse opérationnelle tout à fait pertinente pour expliquer la réussite ou
l’échec d’un processus de changement dans une entreprise (Autissier et Bensebaa, 2006).
Notre objectif n’est pas de tester ce modèle, mais de l’utiliser comme une grille de lecture du
263
Certaines matrices intègrent en première période l’annonce de l’arrivée du repreneur par le cédant jusqu’au moment de son entrée effective en fonction.
266
processus de sensemaking afin d’en extraire une première analyse essentielle à la
compréhension. Nous avons donc élaboré une grille descriptive de la création de sens pour les
deux catégories d’acteurs (repreneur, salariés) pour chacune des 10 TPE analysées. Au total,
pas moins de 19 grilles descriptives ont été conçues 264 . La synthèse de ces 19 grilles
descriptives a permis d’élaborer un tableau général des facteurs organisationnels de
création/destruction de sens au cours de la période du management de la reprise d’une TPE
(ce tableau sera présenté dans le prochain chapitre).
La condensation et la présentation des données étant réalisées, il nous reste maintenant à
élaborer, puis vérifier nos conclusions. Ceci fait l’objet du point suivant.
2.3.) L’élaboration et la vérification des conclusions
Troisième et dernier courant de l’analyse qualitative, l’élaboration/vérification des
conclusions débutent en même temps que la phase de collecte des données. En effet, dès cette
période, l’analyste qualitatif « commence à décider du sens des choses, il note les régularités,
les « patterns », les explications, les configurations possibles, les flux de causalité et les
propositions » (Miles et Huberman, 2003, p. 30). Le processus d’élaboration de propositions
théoriques est un processus généralement long et itératif. Il s’appuie sur une démarche de
description, de comparaison et de vérification et se conclut par l’atteinte d’une saturation
empirique et théorique satisfaisante (Hlady Rispal, 2002). Durant tout le processus, il est
recommandé au chercheur de garder un esprit ouvert et critique (Miles et Huberman, 2003, p.
30) afin de ne pas s’enfermer trop hâtivement dans des conclusions insuffisamment
représentatives ou infondées. Pour ce qui nous concerne, nous avons extrait des premières
conclusions dès le début du processus de collecte, puis nous les avons actualisées
progressivement jusqu’à la fin. Au fur et à mesure de l’avancement de l’analyse, nous avons
vérifié puis affermi nos résultats 265 jusqu’à l’obtention de conclusions finales
scientifiquement recevables.
264
Un extrait est présenté dans le chapitre 2 de la deuxième partie. 265
Miles et Huberman (2003, p. 473) suggèrent, par exemple, de ne pas hésiter à opérer un retour aux notes de terrain en cas de besoin ou encore de faire appel à des collègues (par exemple, d’autres chercheurs) pour développer un consensus intersubjectif sur les résultats. Ils proposent également treize « tactiques » suivantes pour vérifier ou confirmer ses conclusions. Il s’agit de contrôler la représentativité, les effets du chercheur, de trianguler les sources et les méthodes, de pondérer les données, de vérifier la signification des cas atypiques, d’utiliser les cas extrêmes, de traquer les faits surprenants, de rechercher les preuves contraires, de réaliser des tests si-alors, d’écarter les relations fallacieuses, de reproduire un résultat, de vérifier les explications rivales, et pour finir de solliciter les réactions des informateurs.
267
Maintenant se pose la question fondamentale de la valeur scientifique des résultats
obtenus. Celle-ci est généralement exprimée en termes de validité et de fiabilité de la
recherche. Selon Piaget (1970, cité par Mbengue et Vandangeon-Derumez, 1999, p. 8), les
interrogations portant sur la validité d’une recherche sont un des deux éléments permettant
d’évaluer le progrès du savoir scientifique (l’autre élément étant le passage d’un niveau
déterminé de la connaissance à un autre niveau). Ainsi, c’est par l’estimation de la validité de
sa recherche que le scientifique est en mesure d’évaluer les connaissances produites.
L’évaluation de la fiabilité d’une recherche revient à établir et vérifier que les différentes
actions entreprises par le chercheur pourront être répétées avec des résultats identiques par
d’autres chercheurs et/ou à des moments différents (Drucker-Godard, Ehlinger et Grenier,
2014).
Les différentes actions entreprises pour répondre au mieux à ces exigences et à nos
propres interrogations feront l’objet du paragraphe suivant.
2.4.) L’évaluation de la recherche
Pour Drucker-Godard et al. (2014), tout chercheur est tenu de réfléchir, au cours et à
l’issue de son travail de recherche, aux questions de validité et de fiabilité de sa production.
Savoir dans quelles mesures les conclusions auxquelles nous arrivons peuvent apporter une
contribution (même mineure) à la connaissance scientifique est une préoccupation qui nous a
guidée tout au long de cette recherche. Dans les points précédents, nous avons expliqué notre
choix d’appréhender l’entrée dans l’entreprise du repreneur à travers une démarche de
recherche qualitative. Nous avons également pu relever qu’une telle approche s’inscrivait
dans une logique de découverte et de construction de sens à travers des mots qui, finalement,
« ne sont jamais analysés que par d’autres mots » (Hlady Rispal, 2002, p. 36). S’il est
facilement admis que les outils analytiques quantitatifs garantissent la valeur de la
connaissance et la généralisation des résultats (Mbengue et Vanadangeon-Derumez, 1999), la
méthodologie qualitative fait, a contrario, l’objet de vives critiques de la part de pans entiers
de la communauté scientifique. On lui reproche principalement son manque d’objectivité, de
rigueur, de pertinence dans ses critères d’échantillonnage ou encore un trop fort ancrage dans
le contexte d’étude (Yin, 2014). Malgré des progrès significatifs dans « le savoir-faire
partagé en matière d’analyse qualitative », les résultats découlant d’une telle approche
souffrent encore d’un problème de confiance (Miles et Huberman, 2003, p. 13).
268
Pour Mucchielli (2009), les méthodes qualitatives débouchent avant tout sur
l’explicitation des significations et du «sens » donnés aux choses de la vie. Les conclusions
s’apparentent donc plus à une interprétation finale qui se doit de répondre à des critères de
validation précis. Il revient au chercheur interprétatif d’expliquer la manière dont cette
dernière a été construite. C’est par ce moyen qu’il gagnera la « respectabilité sociale et
scientifique ». Appréhender la validité globale d’une recherche qualitative revient à s’assurer
de la pertinence et de la rigueur des conclusions et à évaluer leur niveau de généralisation.
Deux critères sont mobilisables par le chercheur. Il s’agit du critère d’acceptation interne et du
critère d’acceptation externe. Reprenons-les successivement ci-dessous.
(1) L’acceptation interne est la validation des explications proposées par les différents
acteurs impliqués dans le processus de recherche. Ce critère désigne le degré de concordance
et d’assentiment qui s’établit entre le sens que le chercheur attribue aux données recueillies et
sa plausibilité telle qu’elle est perçue par les participants à l’étude (Mucchielli, 2009). Nos
multiples échanges avec les repreneurs (par entretiens téléphoniques et en face à face) et les
salariés durant tout le processus de recherche, nous ont permis de vérifier partiellement la
validité de nos conclusions. D’un point de vue méthodologique, nous avons réalisé des
synthèses lors de chaque entretien afin de rendre compte de notre compréhension de ce qui a
été dit. A chaque fois que cela était possible, nous avons cherché à vérifier directement auprès
des acteurs les explications trouvées afin de limiter le plus possible le biais interprétatif. Pour
apporter une garantie de validité interne supplémentaire, nous avons remis un compte rendu
final à chaque repreneur et solliciter leur avis. Les commentaires qui nous ont été faits en
retour ont servi à affiner nos conclusions.
(2) L’acceptation externe est attribuée par des individus qui n’ont pas pris part à
l’étude, en règle générale, des membres de la communauté scientifique. Au moment de la
communication des résultats, ces derniers évaluent l’intérêt et la pertinence du travail de
recherche. Pour ce qui nous concerne, nous avons présenté l’état d’avancement de nos
travaux, puis nos conclusions, aux membres de notre laboratoire de recherche. Nous avons
également exposé nos résultats à des chercheurs spécialisés dans l’étude sur la transmission
d’entreprises et à des professionnels accompagnant les repreneurs. Là encore, les observations
qui nous ont été faites nous ont aidé à progresser dans notre recherche.
En ce qui concerne la fiabilité, celle-ci est exprimée à travers les notions de
complétude (ou cohérence interne) et de saturation du terrain. Le critère de complétude (ou
269
cohérence interne) est un des critères de validité proposés par Glaser et Strauss (1967). Pour
ces auteurs, tout travail de recherche se doit d’être cohérent, complet et convaincant. Les
explications proposées par le chercheur doivent donc être exemptes de contradictions internes
et ne pas s’opposer avec les faits (Wacheux, 1996). Ceci revient à accentuer le degré de
plausibilité et de réalisme du travail à travers la mise en place d’actions. En ce qui nous
concerne, nous avons essayé de décrire le plus précisément possible (et en toute transparence),
notre parcours de recherche, en particulier les phases de collecte et de traitement des données
collectées.
La saturation du terrain est également un critère de validité proposé par Glaser et Strauss
(1967). C’est l’équivalent du critère de représentativité propre aux recherches quantitatives
(Wacheux, 1996). La saturation s’obtient lorsque le recueil de données supplémentaires
n’apporte plus aucune information significative aux cadres de références établis. Notre
recours à l’ étude de cas multiples (10 TPE analysées) a permis d’extraire un matériau
suffisant (31 entretiens) pour observer des convergences dans les interprétations des acteurs.
Les entretiens ont fait ressortir assez rapidement des résultats invariants. Ces redondances
nous ont laissé penser que nous avions atteint un niveau de saturation satisfaisant.
Les critères de validité et de fiabilité permettent d’évaluer la véracité et l’authenticité
des résultats d’une recherche. Afin de répondre à ces deux nécessités, nous avons accordé un
soin tout particulier à l’élaboration de notre protocole de recherche. Nous avons
continuellement gardé à l’esprit l’ensemble des critères précédemment évoqués (acceptation
interne, externe, complétude et saturation) afin de garantir un niveau de validité et de fiabilité
acceptable. Tout au long de notre recherche, nous avons tenté de porter un « œil critique » sur
nos propres interprétations. Néanmoins, et malgré tous les efforts que nous avons consentis,
nous avons conscience que cela peut encore demeurer insuffisant, la « validité parfaite »
d’une recherche n’existant pas (Drucker-Godard, Ehlinger et Grenier, 2014).
270
Conclusion section 2
L’objectif de cette deuxième section était de présenter la méthodologie déployée
pour analyser et interpréter les données issues de nos 31 entretiens semi-directifs menés
auprès de repreneurs et de salariés au sein de 10 TPE saines récemment reprises. Nous
avons détaillé le processus d’analyse des données suivi lors de cette recherche, ce dernier
étant fortement inspiré de la méthode mise au point par Miles et Huberman (2003). Nous
avons débuté la phase de condensation des données par la rédaction de fiches de synthèse
d’entretiens pour chaque interview réalisée. Ensuite, chaque entretien a été intégralement
retranscrit, puis soumis à une analyse de contenu, via la méthode d’analyse thématique.
Pour nous aider dans le travail de codage, nous avons eu recours à un logiciel
spécialement conçu pour cette tâche : il s’agit du logiciel NVivo-10©. Nous avons, enfin,
expliqué notre choix du recours à différents formats de présentation des données
(diagrammes contextuels, matrices rôles/chronologie, matrices des effets) pour en obtenir
une vue d’ensemble et en tirer des conclusions valides. Nous avons terminé cette section
par une discussion portant sur l’évaluation de notre recherche à travers les critères de
validité et de fiabilité. Pour la validité, nous avons mobilisé deux critères : (1)
l’acceptation interne et (2) l’acceptation externe. En ce qui concerne la fiabilité, nous
avons essayé de décrire, le plus précisément possible, notre parcours de recherche pour
satisfaire au mieux le critère de complétude, sans oublier de vérifier le second critère qui
est la saturation du terrain.
271
Section 3- Le processus de reconstruction collective de sens post-reprise
L’arrivée d’un nouveau dirigeant au sein d’une TPE est un événement puissant,
fortement déstabilisant, avec de nombreuses incidences sur la vie des différents acteurs
concernés, particulièrement pour le repreneur et les salariés. Ces derniers se retrouvent face à
une situation équivoque, instable et peu confortable dans laquelle il va falloir agir. Dans cette
section, nous présentons le processus de reconstruction collective de sens post-reprise à
travers ses mécanismes, ses propriétés, et ses acteurs. Nous terminons par une modélisation
du processus à la lumière du modèle E-S-R.
3.1.) L’équivocité perçue comme point de départ du processus
Notre revue de la littérature a révélé que l’entrée en fonction d’un nouveau dirigeant
au sein d’une entreprise de petite taille constituait une interruption et un changement
organisationnel majeur déstabilisant. L’interprétation de nos résultats le confirme pour toutes
les TPE étudiées. Elle montre également que cet événement produit de l’équivocité que les
différents individus concernés vont chercher à lever au moins partiellement en interagissant.
Par le jeu de séquences d’interactions, va se reconstruire progressivement un nouveau
système d’actions organisées dans lequel chaque individu pourra se situer et situera son
action.
3.1.1.) Les manifestations de l’équivocité
L’équivoque, dans sa définition la plus large, renvoie à la « possibilité d’interpréter
diversement un énoncé, un mot ; ambiguïté » ou bien encore à « ce qui manque de clarté » et
qui « est susceptible d’appréciations diverses, de créer la confusion » 266 . Pour Weick,
l’équivocité267 constitue le point de départ du processus de sensemaking. Elle en est la matière
première (Autissier et Bensebaa, 2006). Nous avons pu observer l’équivocité provoquée par
l’arrivée d’un nouveau dirigeant à travers différentes manifestations reprises ci-dessous.
(1) Une forte perturbation émotionnelle : l’équivocité s’accompagne généralement
d’émotions intenses (Laroche et Steyer, 2012). Selon Weick (1995, p. 46), les émotions sont
fortement liées aux interruptions ; « l’émotion est ce qui arrive entre le moment où une
266
Larousse, 2015. 267
Pour l’auteur, l’équivocité doit être envisagée ainsi : « l’équivoque est la mesure à laquelle les données sont
peu claires et suggèrent des interprétations multiples de l’environnement » (Weick, 2001, p. 251).
272
séquence organisée est interrompue et le moment où l’interruption est supprimée, ou une
réponse de substitution est trouvée permettant à la séquence d’être complétée (…) » 268. Nos
observations sur le terrain ont révélé que l’annonce de l’arrivée du repreneur ou son entrée en
fonction (si elle n’a pas été annoncée) génère une perturbation émotionnelle forte auprès des
membres du collectif de travail. Différentes émotions sont évoquées par les personnes
interrogées comme l’anxiété, la peur, le doute, la méfiance et l’incompréhension. L’anxiété
apparaît comme un ressenti largement partagé par les différents acteurs. Les craintes sont
diverses et variées, mais renvoient, pour la plupart, à la place de l’individu dans la nouvelle
structure. Elles portent sur l’organisation en tant que telle (stratégie du repreneur, avenir de
l’organisation, etc.) et sur le devenir de l’individu lui-même (risque de perte d’emploi,
redéfinition dans les conditions de travail, remise en cause des acquis salariaux, etc.).
« Je pense qu’on n’a pas forcément bien accueilli Isabelle. On a essayé de faire
de notre mieux mais, au fond de nous, on était un peu froid quand même. On était
un peu sur la réserve, c’est quand même toujours un peu stressant, on ne sait
jamais qui on aura en face. En plus, c’est toujours difficile de quitter quelqu’un
avec qui on a eu de belles années, des souvenirs, enfin un vécu quoi… donc, là
c’est émotionnel, on ne contrôle pas vraiment ses réactions dans ces moments-là.
Malgré tout, on s’était dit qu’on l’accueillerait très bien, mais je pense que ça a
été plus fort que nous » (Salariée HPC).
Les émotions sont fortes, notamment lorsque le personnel a le sentiment d’être surpris,
comme le reconnaît ce salarié :
« Moi, contrairement aux autres, je ne m’attendais pas à ce qu’il y ait un
changement de propriétaire. Ça m’a fait un choc. Quand, je l’ai su, j’ai eu plein
de doutes en fait. On ne sait pas qui va venir, ce qu’il va faire, pourquoi elle
rachète… Est-ce qu’elle va tout changer. Mais ça, c’est normal, on vous met
presque du jour au lendemain face à un type ou à une dame que vous ne
connaissez pas et … c’est lui qui va vous diriger. Il y a de quoi se poser plein de
questions. Ça peut très vite mal tourner… si notre tête ne lui revient pas… »
(Salarié SAG).
268
« Emotion is what happens between the time that an organized sequence is interrupted and the time at
which the interruption is removed, or a substitute response is found that allows the sequence to be completed
(…), traduction libre.
273
Du côté des repreneurs, les émotions, à ce stade du processus repreneurial, sont
nombreuses. Tout comme les salariés, leur entrée en fonction crée une turbulence, génère une
instabilité émotionnelle forte :
« Bon, émotionnellement, quand je suis arrivée dans l’entreprise, ça a été difficile
parce qu’on ne sait pas si on va y arriver ; déjà on se pose énormément de
questions surtout quand c’est... Quand vous êtes toujours dans votre corps de
métier, c’est pas grave, mais quand vous n’êtes pas dans votre corps de métier, il
faut apprendre le métier déjà, puis vous ne savez pas si ça va être viable ou pas.
Donc c’est stressant, c’est beaucoup de soucis. Et comme moi déjà, je suis à un
âge, voilà ; je vais avoir 47 ans, on est à un tournant de sa vie aussi parce que ça
remet en cause toute la vie familiale, c’est une organisation à prendre qu’on n’a
pas au départ, qu’on a au bout d’un an. Ça, y a pas de souci, c’est comme dans
un cirque où y a l’équilibriste, on est sur le fil en fait, y a des moments où ça
penche plus d’un côté, le côté qui est bon, par moment ça penche plus du côté qui
n’est pas bon, et là, on se sent pas bien, voilà » (Repreneuse HPC).
Certains évoquent une pression forte, difficile à gérer:
« Quand je suis arrivé, j’avais beaucoup de pression ; il faut rien rater en
arrivant. Pour moi, j’avais vraiment peur du premier jour. C’était plus fort que
moi, je n’en ai pas dormi de la nuit. En fait, faut rien rater et donner de bonnes
impressions tout de suite » (Repreneur MF).
Enfin, pour la majorité de personnes interrogées, l’arrivée dans l’entreprise d’un
repreneur fait naître un sentiment de confusion :
« On ne sait pas trop quoi en penser en fait, c’est bien, c’est pas bien, on n’en
sait rien, ça peut toujours être pire que l’ancien, mais ça peut aussi être
meilleur. Ça, on peut le savoir qu’après » (Salarié PP).
Ou bien encore :
« C’était une période super difficile, super déstabilisante. On est dans le flou
parce qu’en fait, on ne sait pas trop ce que ça va donner, si c’est bien pour nous
ou pas » (Salarié EMB).
274
Le repreneur lui-même peut se sentir désorienté :
« Moi, j’avais une peur lors de la reprise, ça c’est sûr. Ce qui me faisait le plus
peur, c’était le management. Quand on a fait le chèque, c’est notre entreprise,
mais on n’est pas chez nous. Du coup, quand on arrive, on ne sait pas quoi faire,
vers qui s’appuyer et là c’est l’angoisse. Voilà, j’angoissais beaucoup sur le
comment ça allait se passer, je me suis même demandé si j’avais eu raison de
reprendre plutôt que de rester salarié. (…) Je me suis posé plein de questions
sur la rentabilité, si j’allais être à la hauteur, j’avais plein d’angoisses, je
naviguais dans le brouillard, mais je pense que j’ai eu de la chance. Je suis
tombé sur une très bonne équipe, avec des gens bien, vraiment bien, ils sont
polis, serviables, sérieux… qui ne demandaient en fait qu’à s’exprimer »
(Repreneur SJA).
Le changement de dirigeant, comme tout changement organisationnel, est un
événement intrinsèquement ambigu générant de la confusion, qui apparaît souvent comme
une menace aux yeux des individus (Maitlis et Sonenshein, 2010). Il crée, la plupart du temps,
une désorientation, un sentiment de peur et d’anxiété (Weick, 1993) poussant les membres de
l’organisation à entreprendre un travail de clarification et de mise à jour majeure par
l’extraction et l’interprétation d’indices dans leur environnement
(2) Des interprétations multiples : les salariés confrontés à l’arrivée d’un nouveau
dirigeant sont enclins à se poser de nombreuses questions ; pourquoi l’entreprise a-t-elle été
vendue ? Que veut faire le repreneur ? Pourquoi a-t-il repris cette entreprise ? Va-t-il
conserver l’organisation en l’état ? Qu’est-ce qui va changer pour nous ? Les interrogations
sont également fortes du côté des repreneurs : les salariés vont-ils bien m’accueillir ?
Comment va-t-on s’organiser dorénavant ? Quelle va être ma place dans le groupe ? Quels
sont les salariés sur lesquels je peux m’appuyer ? Ce que m’a « vendu » le cédant,
correspond-il à la réalité ? Chacun cherche à y voir plus clair. La multiplicité des explications
et réponses possibles rend cette situation équivoque. Plusieurs schémas interprétatifs sont
valables et participent à une difficulté de lisibilité de cette même situation (Vandangeon-
Derumez et Autissier, 2006). L’analyse des entretiens révèle que les interprétations émises par
les salariés concernent la manière dont va évoluer l’organisation :
275
« Moi quand j’ai su que nous avions été vendus, j’ai tout de suite pensé que nous
l’avions été à un groupe, parce que nous sommes la dernière petite boîte dans ce
secteur d’activité. Et là, je me suis dit que cela ne serait pas la même histoire,
que l’organisation allait changer et qu’il ne garderait pas forcément tout le
personnel. Moi, je suis ingénieur, je suis le directeur technique et ils ont déjà ce
type de profil en interne dans les groupes » (salarié FRT).
Ou bien encore :
« Oui, nous on s’est posé des questions, à savoir le type de gestion et
d’organisation, parce que chaque patron a sa façon de gérer son magasin...
donc comment ça allait se passer, voir s’il y aurait des modifications. On a
entendu dire qu'il venait de Paris, donc on s'est dit ... j'espère qu'il ne va pas
faire comme là-bas avec des horaires d'ouvertures tardives, des choses comme
ça quoi.... » (Salarié ICV).
Mais les questions concernent également le repreneur, sa formation et ses ambitions :
« Avec mon collègue, en cuisine, on discute beaucoup, on travaille toute la
journée dans 30 m2, donc on échange. On s’est dit : « ce gars est super jeune »,
on a su après qu’il avait une ou deux autres grosses affaires et on a cherché à en
savoir un peu plus. Après, on s’est demandé pourquoi il avait choisi cette boîte,
qu’est-ce qu’il voulait faire comme restauration parce que là-bas, on n’était pas
tout à fait sur les mêmes menus (…) Moi j’ai 51 ans, lui il est jeune, il va
vouloir peut-être mettre des jeunes comme dans ses autres restaurants » (Salarié
LPC).
Ou bien :
« La question qu’on se pose tous, je pense, c’est où on va ? De toute manière,
dès qu’on parle changement, il y a une crainte, c’est tout de suite, où on va ?
Comme on dit, dans toute situation, on sait ce qu’on a, on ne sait pas ce qu’on
trouve, et là, encore plus. Et puis, aujourd’hui, il y a des nouvelles méthodes,
c’est plus la même formation pour les dirigeants, donc forcément… nous on
aime bien les méthodes de gestion à l’ancienne. On ne veut pas se transformer
en employés de Mac Do. Dans ce qui est ancien, il ne faut pas tout jeter. Nous,
276
nos anciennes méthodes ont fait leurs preuves, on a quand même une clientèle
qui est fidèle, alors… ça ne doit pas être si mauvais que ça ! » (Salariée HPC).
Le repreneur peut quelquefois être surpris par l’interprétation qui est faite de
l’événement, comme le reconnaît ce dirigeant :
« Certains salariés sont venus me voire après quelque temps pour me demander
si j’allais conserver l’entreprise à Montbrison. En fait, quand ils ont su que
j’achetais, certains pensaient que, comme je suis originaire de Lyon, que je fais
les trajets tous les jours, ben, que j’allais sûrement déménager l’entreprise là-
bas. Je ne m’attendais pas du tout à ça !» (Repreneur FRT).
Nous avons relevé que de nombreux repreneurs se posent, à leur tour, beaucoup de
questions. Certains puisent dans les indices fournis par le cédant des éléments pour interpréter
la nouvelle situation, comme le montre le témoignage suivant :
« Au départ, on ne sait jamais si ça va marcher, est-ce que les clients vont
continuer à venir ? Est-ce que ça va bien se passer avec les salariés, est-ce
qu’ils vont bien m’accueillir ? Bon, Mme G…[le cédant] m’avait dit qu’il y avait
une bonne équipe, je l’ai vu dès le départ, ils sont ouverts, il n’y a pas eu de
réactions trop négatives. Mais bon, elle, elle voulait partir, elle n’allait pas me
dire, c’est tout beau tout rose, donc pendant un certain temps, on est dans
l’expectative » (Repreneur EMB).
Les différents groupes d’acteurs n’ayant pas de réponses immédiates et claires à toutes
leurs interrogations, vont se lancer à la recherche d’explications. L’objectif est d’obtenir une
compréhension plausible de la situation pour pouvoir agir de manière appropriée.
3.1.2.) La recherche d’explications
Confrontés à la nouveauté, à une interruption du flux de l’action, les salariés vont se
retrouver face à un grand nombre d’interprétations, parfois contradictoires (Weick, 1995). Ils
chercheront individuellement et collectivement à atteindre un certain niveau de
compréhension de la situation, à donner du sens au contexte dans lequel ils évoluent. Ils vont,
pour ce faire, s’engager dans un processus visant à réduire l’équivocité. Nous avons pu
relever deux pratiques mises en œuvre par les acteurs pour répondre à cet objectif : la
recherche d’explication dans le passé et l’interaction avec autrui.
277
Ø La recherche d’explications dans le passé : réduire l’équivocité perçue d’une situation
requiert la sélection d’une interprétation particulière parmi celles dont on dispose.
Chaque individu tente de construire sa zone de sens, sa « réalité », en extrayant des
configurations signifiantes à partir des expériences et des situations vécues (Vidaillet,
2003). Le recours aux cadres cognitifs issus des expériences passées permet
d’examiner la situation et de rechercher des solutions. Nous avons relevé ce
phénomène à travers plusieurs cas, notamment lorsque le salarié a déjà connu une
situation de reprise par le passé :
« J’ai connu 3 reprises : j'avais une première patronne puis ça a été repris par
Christelle, puis par Clothilde. Donc ça fait 3 reprises ! C’est dur dur ! Mais bon,
je me suis dit : c’est souvent pareil, elles arrivent, elles prennent leurs marques,
elles changent des petites choses et, finalement, c’est pas une révolution»
(Salariée EMB).
Ø L’interaction avec autrui : l’activité individuelle de recherche de sens dans une
situation ambiguë demeurant généralement insuffisante pour aboutir à la confirmation
que la réalité promulguée existe bien, les individus vont solliciter la contribution
d’autrui :
« Moi, je pensais que le fait que ce soit un gars du coin, déjà expérimenté, ça
serait super pour le magasin ; j’en ai parlé avec mes collègues, certains
pensaient comme moi, ça nous a un peu réconfortés » (Salarié ICV).
Ou bien encore :
« Au début, j’ai vu qu’il était jeune, qu’il voulait mettre en place plein de choses,
qu’il rénovait l’établissement, je trouvais ça plutôt bien, mais bon, les autres ne
pensaient pas comme moi, ils m’ont dit que c’était pas bon signe et qu’il allait
faire le ménage… surtout chez les vieux » (Salarié LPC).
L’analyse des entretiens a permis d’observer l’équivocité provoquée par l’arrivée d’un
nouveau dirigeant au sein de l’entreprise. L’événement est perçu par tous comme un
changement majeur. Il génère du stress, de l’anxiété, de la confusion et fait prendre
conscience du caractère instable et fragile de la réalité. Il conduit les individus à s’engager
dans un travail de redéfinition de leur environnement, puis dans une recherche d’explications
278
à travers l’interaction. Vérifions à présent si les mécanismes de la construction de sens tels
qu’ils ont été répertoriés par Weick, sont observables dans les cas étudiés.
3.2.) Les mécanismes du processus dans les cas étudiés
Notre revue de littérature a montré que la construction de sens trouve ses fondements
dans la construction identitaire de l’individu. S’il s’agit d’un processus individuel, l’activité
de création de sens n’est jamais solitaire et implique toujours plusieurs individus.
L’organisation prend naissance dans un processus incessant de construction et de destruction
de sens, opéré par des acteurs impliqués dans un ensemble d’interactions sociales. Il ressort
que la construction de sens se fait aux trois niveaux individuel, intersubjectif et
organisationnel.
Voyons maintenant s’il est possible d’observer le processus de construction de sens
pour chacun de ces trois niveaux.
3.2.1.) Au niveau individuel
L’élaboration du sens débute lorsque l’individu prend conscience que la réalité connue
lui échappe. Il tente d’apporter ses propres réponses aux questions : « Que se passe-t-il ici ? »
et « Que dois-je-faire ? ». Nous observons pour chaque reprise (excepté les salariés pour le
cas MF 269 ) que les personnes concernées tentent de construire du sens en assemblant
différents indices qu’elles perçoivent. En s’appuyant sur des cadres hérités du passé, des
« réservoirs de sens » (Laroche et Steyer, 2012) (expérience de la reprise, événements
marquants, systèmes de croyances, traditions, histoires) et en les confrontant aux indices
recueillis dans les événements perçus, les individus construisent le sens qu’ils donnent à la
situation. Les extraits suivants montrent, en outre, le caractère rétrospectif de la construction
de sens ;
« Au début, je me suis demandée pourquoi elle vendait ; j’avais peur qu’elle
vende parce que les résultats du magasin n’étaient pas bons, c’est vrai que les
chiffres à la fin c’était pas trop ça ! Après, je me suis rappelée d’une discussion
où elle m’avait fait part de ses problèmes personnels avec son enfant handicapé.
Tout ça, ça faisait lourd à gérer » (Salariée EMB).
269
Pour ce cas, nous n’avons pas eu la possibilité d’interroger des salariés « repris » dans la mesure où tous ont quitté l’entreprise dans les mois qui ont suivi l’entrée en fonction du dirigeant. Nous avions pourtant convenu avec le repreneur d’en rencontrer deux, un vendeur et un producteur.
279
Ou bien encore :
« Moi, ça fait 27 ans que je suis là, j’ai changé plusieurs fois de patron et à
chaque fois c’est différent. Elle [la repreneuse], comme tous les autres, nous a
dit des choses et elle avait l’air honnête, mais bon, c’était plus fort que moi, je
me suis dit qu’à chaque fois, il y a eu des promesses et qu’elles n’ont pas toutes
été tenues. Y en a même qui ont fait l’inverse de ce qu’ils ont dit » (Salarié
HPC).
Ce phénomène concerne également les repreneurs, comme le confirme le témoignage
suivant :
« C’est pas ma première reprise ; moi, la dernière j’avais tout de suite senti que
ça allait mal se passer et je me suis pas trompé ; quand les gens ne veulent pas
travailler avec vous, ils vous le font sentir. Ici, je n’ai pas ressenti ça, au
premier abord, elles n’avaient pas l’air trop récalcitrantes, mais au final, on est
quand même sûr de rien, il faut quand même du temps pour voir si ça peut bien
marcher » (Repreneur PP).
Le processus de construction de sens est une activité mentale individuelle qui vise à
rendre le monde intelligible. Via une exploration parcellaire et subjective de leur
environnement, les individus (salariés ou repreneurs) tentent de structurer l’inconnu (Rojot et
Wacheux, 2006). Les émotions, les sentiments, l’intuition, voire l’imagination, identifiées
comme propices à l’apprentissage, prennent pleinement place dans le processus (Garreau,
2006). C’est à partir des informations extraites, des liens réalisés (Vidaillet, 2003), puis
modélisés dans des schémas cognitifs personnels, que chaque individu construit sa réalité.
3.2.2.) Au niveau intersubjectif
Les individus recherchent dans l’interrelation et l’interaction, un accord sur les
éléments à retenir de la situation afin de stabiliser suffisamment leurs représentations pour
pouvoir agir. C’est par le biais d’échanges, de prises de positions, de révisions graduelles de
ces dernières que les membres de l’organisation tentent de se mettre d’accord sur les
interprétations à retenir, donnant ainsi, petit à petit, du sens à la situation. Nous avons pu
observer différentes pratiques utilisées par les individus pour arriver à cette fin.
280
Ø L’échange entre salariés : Nous avons pu relever, pour chaque TPE concernée270, une
tentative par les salariés de rechercher des explications, d’enrichir l’information sur la
situation en multipliant les interactions entre eux :
« Au départ, on en discutait un peu tous ensemble, on se disait juste bon…
savoir comment ça va être, et tout, on voulait se rassurer parce que, c’est vrai
qu’il avait pas l’air commode » (Salariée M.C.).
Ou bien encore :
« Dès qu’on a su, on en a beaucoup parlé avec les collègues, surtout quand
nous étions à l’extérieur. Bien, on avait tous un peu d'appréhension de savoir
est-ce qu'il allait s'en sortir, sachant qu'il n'était pas du métier, et c'était la
principale question du moment. Après, question gestion d'entreprise, on ne
savait pas trop ce qui se passerait, les chiffres, les devis, comment il allait s’en
sortir. Après, on s’est dit que c’était un gars qui avait un poste important dans
une grosse boîte et qu’il devait savoir ce qu’il faisait » (Salarié FRT).
Ø L’échange « salariés-cédant » : les membres de l’organisation ont également
quelquefois recours, en amont du processus de reconstruction collective de sens, à
l’interprétation et au schéma explicatif du cédant :
« Nous, on avait peur, quand on a su qu’il allait y avoir un repreneur, qu’il
chamboule tout. L’entreprise marchait mais… on ne sait pas, ce qu’il veut en
faire, s’il a des gens qui viennent avec lui, une équipe qu’il souhaite mettre en
place dans le magasin. Au départ, on n’en sait rien. Ça nous a tous un peu
perturbés. En fait, qui nous dit qu’on garderait notre travail… Il y a plein
d’incertitudes, des questions sans réponse. Alors, on a questionné Mr T. [le
cédant] sur les grandes lignes… mais bon, il n’allait pas nous dire, je vends, le
gars qui reprend va tout changer… » (Salariée HPC).
270
Excepté l’entreprise MF.
281
Ou encore :
« On est allés le voir [le cédant], on lui a même demandé si ça venait de nous, il
nous a rassurés et affirmé que c'était à cause de son souhait de partir s’installer
dans le sud ; du coup, on s'est demandé : oui vous vendez, et nous ? Qu'est-ce
qu'on devient ? Est-ce que le repreneur va nous garder ? Et il nous a dit qu'il n'y
avait pas de souci de ce côté, et qu'il était au courant qu'il y avait des personnes
qui faisaient du bon boulot. C’est vrai qu'on a eu une grosse appréhension, mais
après les 3 derniers mois qu'on a vécus, on s'est dit que ça pourrait pas être pire.
Il paraît que ça ne se fait pas de dire trop longtemps à l’avance qu’on vend »
(Salariée PP).
Ø L’échange « salariés-repreneur » : Une fois le repreneur entré dans l’entreprise, les
salariés tentent d’en savoir un peu plus, de confronter leur point de vue au sien afin
d’éclaircir la situation, comme le prouve le témoignage de ce repreneur :
« Oui, oui, oui, ils m’ont posé des questions. Très rapidement, j’ai eu des
questions très concrètes, très pratiques, très pragmatiques puisque les gens ne
me connaissaient pas. Ils ne savaient pas où j’habitais, ce que je faisais… J’ai
fait une réunion d’ensemble pour me présenter et une fois que la réunion était
terminée, y a eu d’autres réactions, plus d’interrogations sur le long terme, donc
voilà, on a pris le temps de discuter avec certains salariés, notamment avec les
cadres. Ils m’ont fait part de leurs souhaits, de leurs problèmes, bref de tout ce
qui les impacte au quotidien. Je pense qu’ils voulaient savoir comment je
concevais les choses » (Repreneur FRT).
Les repreneurs tentent également de récolter un maximum d’indices sur leur nouvel
environnement, en observant et en multipliant les questions aux salariés :
« Ce qui était bizarre, c’est que… Donc, c’est moi la patronne, mais au départ les
salariés étaient les patrons. Moi, je l’ai vécu comme ça. Etant donné qu’on arrive
de l’extérieur et qu’on ne connaît rien au métier et que y a tout à apprendre et que
c’est difficile de se positionner. Je me souviens le premier jour, quand je suis
arrivé dans mon bureau, ben je fais quoi maintenant ; il faut commencer par où
et, en fait, on se toise un peu tous et on ne sait pas vraiment vers qui il faut aller
282
au départ et quoi faire… donc je pense qu’ils attendaient énormément de moi,
mais moi j’attendais aussi énormément d’eux. Je n’ai pas arrêté de les
questionner parce que je n’avais pas le choix et, heureusement pour moi, ils ont
joué le jeu ! Maintenant, c’est plus tout à fait pareil, ils m’apprennent moins de
choses, mais c’est normal… » (Repreneur HPC).
Nos analyses montrent que les échanges entre salariés et repreneurs sont très fréquents
les premiers jours suivant la prise de fonction. Ils tendent néanmoins à s’amenuiser pour
atteindre un rythme « de croisière » par la suite. Lors de ces échanges, décrits comme
émotionnellement intenses, les différents acteurs tentent de prendre connaissance du schéma
d’actions dans lequel ils pourraient s’inscrire. Les repreneurs prennent le pouls de l’entreprise,
précisent leur vision de ce qu’elle est réellement. Les salariés jaugent le repreneur et tentent
de capter des indices pour se construire une représentation affinée de la situation et de son
évolution. Ils essaient, en outre, de projeter et de mesurer l’influence de leurs propres actions
sur le comportement et l’action de leur nouveau patron. On retrouve ici les mécanismes
représentatifs de la structure d’équivalence mutuelle, telle qu’elle est décrite par Weick
(empruntée à Wallace) et qu’Allard-Poesi (2003, p. 96) résume ainsi ; « si je fais a1, B fera
b1, si je fais b1, A fera a1 ». Le témoignage de ce salarié est assez représentatif de ces idées :
« Moi, je me suis bien comporté, elle aussi, alors pourquoi voulez-vous que ça se
passe mal ? Faut juste se mettre d’accord dès le départ sur ce qu’on va faire. En
plus, il y a des principes de base… le respect des salariés, les conditions de
travail, tout ça, c’est important ! On ne peut pas être respectés par les salariés si
on ne les respecte pas, c’est comme dans la vie. Moi, je me suis dit, je bosse
comme avant et je verrai après si elle joue le jeu. Elle m’a prouvé assez vite
qu’elle ferait tout pour que cela se passe bien, qu’elle comprenait notre
fonctionnement ici avec nos horaires en une fois, et moi j’ai fait ce que je pouvais
pour l’aider » (Salarié SAG).
L’interaction entre acteurs permet de réunir, puis d’enrichir l’information de manière à
aboutir à une certaine compréhension de la situation et à diminuer le volume d’interprétations
possibles. Les échanges de significations personnelles entre membres de l’organisation
modifient les schémas mentaux des individus par une convergence des interprétations
(Garreau, 2006). Il s’agit non pas de développer une vision commune de la situation, mais de
choisir entre les différentes significations, de s’accorder, au moins temporairement, sur des
283
interprétations équivalentes (Allard-Poesi, 2003). Nos observations montrent qu’une fois
l’entrée en fonction bien entamée, les échanges intersubjectifs se poursuivent continuellement
d’une manière plus ou moins intensive selon les cas, donnant ainsi du sens aux situations
vécues.
3.2.3.) Au niveau organisationnel
Nous avons vu que, pour Weick, l’organisation (organizing) était constituée de
séquences de comportements interreliés, nommés « double interacts », s’additionnant pour
former un processus plus large (Koenig, 1996 ; Giordano, 2006). L’arrivée dans l’entreprise
du repreneur, en modifiant le cadre structurel 271 (rôles, règles, procédures, activités
configurées, relations d’autorités) servant de référence aux salariés pour mener leurs actions,
déclenche un travail de redéfinition collectif du processus organisant. Nous avons observé
l’émergence, puis l’agglomération progressive des différentes séquences de comportements
interreliés pour l’ensemble des cas (à l’exception des cas MF et LPC). La confrontation des
subjectivités, l’argumentation, le débat donnent la possibilité aux salariés de parvenir
collectivement à un sens de la situation. Les mécanismes d’interactions observés aboutissent
effectivement au partage des interprétations, au développement d’attentes compatibles portant
sur des intérêts communs et, in fine, à la stabilisation du sens. Les différents acteurs
coordonnent progressivement leurs actions, laissant ainsi apparaître un nouveau système
d’actions organisées.
Deux cas semblent néanmoins se distinguer, il s’agit du cas MF et du cas LPC. Pour
ces deux TPE, le processus de création de sens se bloque au niveau interindividuel. Au sein de
ces deux entreprises, les salariés paraissent ouvertement ne pas vouloir (ou ne plus vouloir)
s’impliquer dans un travail de redéfinition collectif de l’existant. Ceci semble corroborer par
le témoignage du repreneur de MF :
« Ils m’ont dit qu’ils ne s’attendaient pas à être repris, l’ancien dirigeant avait
gardé le secret jusqu’au bout. Pourtant, ils n’ont pas cherché à savoir quoi que ce
soit, ni sur ce que je voulais faire, ni qui j’étais » (Repreneur MF).
Pour le cas LPC, les salariés se sont bien engagés dans un cycle d’échange « salarié-
salarié », mais n’ont pas persévéré en ce qui concerne l’échange « salarié-repreneur ». Les
271
Celui-ci est également désigné par Weick : cadres structurels de contraintes (structural frameworks of contraints).
284
deux seuls salariés restant dans l’entreprise depuis l’arrivée du repreneur expliquent avoir
tenté d’établir le dialogue, puis d’interagir avec lui, mais se sont heurtés à une absence totale
de réaction de sa part. Les interactions entre les deux groupes d’acteurs s’établissent à un
niveau très faible. S’apercevant d’une « communication à sens unique » (Salarié LPC), les
salariés décident de ne plus s’impliquer « plus que ça » dans l’entreprise et s’en remettent aux
décisions du dirigeant, qu’elles soient bonnes ou mauvaises.
Les extraits suivants sont tout à fait explicites :
« Moi, en fait, il fait ce qu’il veut, c’est son affaire. J’ai essayé de lui dire des
choses, comme de mettre des menus comme ça, ça ne marcherait pas ici, mais bon
tout ce qu’on lui dit, il s’en fout » (Salarié 1 LPC).
Ou bien encore :
« J’ai voulu jouer le jeu au début, de m’intéresser à ce qu’il voulait faire. J’ai
essayé de mettre en place des choses, mais bon, j’ai vite compris que cela ne
servait à rien, qu’il voulait seulement que je fasse mon boulot et puis basta. Que
lui ayant d’autres restaurants qui marchaient bien, il n’avait pas besoin de mon
avis » (Salarié 2 LPC).
L’arrivée du repreneur dans la TPE apparaît clairement être un changement important
dans la vie des acteurs, plus particulièrement du repreneur et des salariés. Cette arrivée du
repreneur fait prendre conscience à ces derniers que la réalité, dans laquelle ils évoluent, a
changé et qu’elle doit faire l’objet d’une redéfinition. Pour lever l’état de confusion dans
lequel ils se trouvent, les membres de l’organisation s’engagent individuellement, puis
collectivement, dans des cycles d’interactions aboutissant à la création de sens.
Certains éléments semblent néanmoins venir entraver l’exécution du processus,
notamment au niveau organisationnel. L’absence d’échange continu entre les salariés et le
repreneur en constitue la principale cause. Nos observations laissent apparaître une attente
forte de la part des salariés au moment de l’entrée en fonction du repreneur. Les salariés
interrogés ont tous exprimé le besoin de voir le repreneur expliquer la situation ou tout au
moins de pouvoir confronter leurs interprétations aux siennes, dès son entrée en fonction. Le
repreneur, en tant que nouvel homme fort de l’entreprise et « porteur du changement », est
explicitement désigné comme celui devant expliquer et conduire le changement. Nous
retrouvons ici les conclusions de nombreux travaux (Fiol et Huff, 1992 ; Thomas et al., 1993 ;
285
Krasensky et Zimmer, 2006 ; Barabel et Meier, 2010) qui attribuent au dirigeant un rôle clé
dans la conduite du changement. On attend du repreneur qu’il transforme « un univers
d’expérience en un monde intelligible » (Weick, 1993, p. 14, traduit par Giroux, 2006). Dans
cette perspective, il doit expliquer ce qui se passe de façon compréhensible et faciliter le
processus d’élaboration d’une représentation plus ou moins partagée de la situation.
Les résultats de notre enquête empirique montrent qu’il existe différents niveaux à la
construction de sens. Nous avons également pu observer que dans certains cas (MF et LPC),
le processus est freiné au niveau intersubjectif. Le principal élément venant entraver le
processus de reconstruction de sens au niveau collectif concerne l’inexistence de « débats
contradictoires » (Karsenty et Quillaud, 2011) entre repreneurs et salariés. Ne disposant que
d’un faible niveau d’interactions avec le repreneur, les salariés n’obtiennent que peu de
matière leur permettant d’interpréter la situation. L’équivocité n’est que très partiellement
levée, d’où la persévérance d’émotions désagréables telles que le stress, la peur et
l’incompréhension.
Après avoir relevé les différents niveaux de construction de sens dans le phénomène
étudié, vérifions à présent si les sept propriétés de la construction de sens, mises en évidence
par Weick (1995), sont effectivement observables dans le processus que nous décrivons.
3.3.) Les propriétés du processus
Comme nous l’avons relevé précédemment, Weick (1995, p. 17) attribue sept
dimensions au sensemaking qui influencent la manière dont les différents acteurs trouvent
leurs repères. Nous les reprenons succinctement ci-dessous.
Ø Il s’agit d’un processus fondé sur la construction de l’identité ; le processus de
construction de sens post-reprise émane d’une personne qui tente, via le jeu des
interactions, de maintenir un sentiment de continuité identitaire, malgré son immersion
dans un contexte troublé. Ainsi, le salarié confronté à l’avènement d’un élément
nouveau, en l’occurrence l’arrivée du repreneur, s’engage dans l’interaction avec
autrui pour donner corps aux événements et aux actions qui l’entourent et aboutir à
une représentation conforme à ce qu’il souhaite être ou paraître.
Ø C’est un processus rétrospectif : les différents membres de l’organisation (salariés et
repreneurs) focalisent leur attention sur ce qui s’est déjà passé pour comprendre
286
l’évolution du monde qui les entoure. Ils reconstruisent ainsi « après-coup » le sens à
donner à la situation en fonction des événements vécus.
Ø L’Enactement : en multipliant les interactions (salarié(s)-salarié(s), salarié(s)-cédant,
salarié(s)-repreneur), les individus façonnent l’environnement dans lequel ils évoluent.
Ce dernier leur renvoie en retour des stimuli comme résultat de leur propre activité. En
engageant des actions, l’environnement est modifié et les changements ainsi introduits
influenceront les membres de l’organisation et leurs comportements.
Ø Il s’agit d’un processus social : comprendre ce qui se passe dans l’environnement
nécessite de confronter ses interprétations à celles des autres. Les salariés vont, par
exemple, s’engager dans des cycles d’interactions afin d’affiner leur point de vue,
relevé des indices manqués et des erreurs d’appréciation et obtenir une compréhension
plus ou moins partagée de l’environnement. Cette dernière leur permet par la suite
d’agir et de coordonner leurs actions.
Ø C’est un processus continu : l’individu cherche en permanence à interpréter la
situation. Si l’arrivée du repreneur a engendré de l’équivocité que les salariés et/ou le
repreneur tentent de lever en interagissant, ils continueront indéfiniment, comme ils
l’ont fait auparavant d’ailleurs, à puiser dans un flux informationnel et expérientiel
afin de donner du sens au contexte dans lequel ils évoluent.
Ø C’est un processus sélectif : les membres de l’organisation puisent dans un
environnement complexe des informations qui sont autant d’indices leur permettant de
comprendre la situation. L’âge du repreneur, sa formation, son expérience de la reprise
sont autant de points de repères fréquemment sélectionnés par les salariés interrogés
pour alimenter leur processus de compréhension. De la même manière, l’ancienneté
des salariés, leur diplôme, l’avis des cédants à leur égard, sont fréquemment utilisés
par les repreneurs.
Ø Le processus poursuit la plausibilité plutôt que l’exactitude : ce qui importe n’est
pas d’obtenir une information la plus exacte possible, mais qu’elle soit cohérente,
plausible, suffisante pour s’engager dans l’action. Ainsi, les salariés ne cherchent pas à
connaître avec exactitude tous les motifs qui ont poussé le repreneur à se porter
acquéreur de l’entreprise et ce qu’il souhaite en faire.
Nos observations confirment donc que le processus de reconstruction collective de
sens post-reprise répond bien aux 7 propriétés du sensemaking telles qu’elles sont définies par
Weick. Nous souhaitons à présent analyser l’entrée du repreneur dans l’entreprise, puis
287
proposer une première modélisation du processus de reconstruction collective de sens post-
reprise, en nous appuyant sur le modèle E-S-R.
3.4.) La reconstruction collective de sens post-reprise à travers le modèle E-S-R.
Notre étude empirique, centrée sur l’entrée en fonction du nouveau dirigeant, a permis
de visualiser les interactions à différents niveaux et d’entrevoir la construction de sens qui en
résulte. Nous avons également observé que les propriétés théoriques de la construction de
sens caractérisaient effectivement le processus étudié. C’est, en effet, lors « d’occasions » de
ce genre, dans l’irruption de la nouveauté, dans l’interruption du flux d’actions routinier, que
la construction collective de sens se perçoit (Weick, 1995).
Rapprochons maintenant nos données du modèle E-S-R mis au point par Weick
(1979). Cette représentation prend appui sur les quatre éléments principaux rappelés ci-
dessous.
Ø Le changement écologique : l’arrivée d’un nouveau dirigeant au sein d’une TPE
apparaît comme un changement écologique provoquant une équivocité importante
chez les différents acteurs et, en particulier, les salariés.
Ø L’enactement : les membres de l’organisation percevant une variation dans leur
environnement, sélectionnent des indices, les interprètent individuellement, puis
confrontent leurs interprétations au collectif. Les salariés repris ont effectivement tenté
de redéfinir la situation en multipliant les interactions entre eux, quelquefois avec le
cédant, puis à chaque fois avec le repreneur. Les repreneurs ont cherché également à
se représenter le nouvel environnement dans lequel ils se trouvent en observant et en
initiant des actions.
Ø La sélection : les individus choisissent parmi toutes les interprétations possibles,
celles qui pourront justifier au mieux les actions à privilégier. Nous avons pu observer
l’activité des salariés et des repreneurs qui consistait à repérer, dans l’action et le
comportement des autres membres de l’organisation, des indices leur permettant de
retenir une lecture plausible de cette nouvelle situation.
Ø La rétention : les différents acteurs se mettent d’accord sur l’interprétation à donner à
la situation, sur les moyens à mobiliser et les actions à entreprendre. Un nouveau
système d’actions organisées prend alors forme.
La figure suivante illustre le processus de reconstruction collective de sens post-
reprise.
Figure 26 - La reconstruction collective de sens post
travers le modèle E-S-R (Weick
288
reconstruction collective de sens post-reprise au sein d’une
Weick, 1979)
Source : Aute
sein d’une TPE saine à
: Auteur
289
Conclusion section 3
L’objectif de cette troisième section était de présenter le processus de reconstruction
collective de sens post-reprise à travers ses mécanismes et ses propriétés.
Nous avons vu que le changement de dirigeant engendre une interruption, de
l’inattendu, de l’incertitude. La situation est nouvelle et souvent inédite. L’événement crée
dans tous les cas une prise de conscience chez les individus, ces derniers s’apercevant qu’il est
temps de redéfinir leurs cadres de compréhensions habituels. Il s’apparente alors à un
changement écologique (Weick, 1993), occasion particulière de créer des parenthèses de sens
(Vidaillet, 2003) dans le flux expérientiel continu des individus.
L’arrivée d’un nouveau dirigeant produit de l’équivocité. Celle-ci se manifeste à
travers une perturbation émotionnelle intense et un sentiment de confusion (Maitlis et
Christianson, 2014) prenant naissance dans la multiplicité des interprétations possibles. La
majorité d’entre elles concerne les raisons de la reprise et son déroulement. Les
incompréhensions provoquées par cette situation nouvelle poussent les individus à puiser dans
leur environnement des indices, à remettre en cause leurs schémas de pensée, puis à s’engager
dans de nombreux cycles d’interactions. Les multiples interactions avec les autres membres de
l’organisation sont utilisées pour réduire collectivement l’équivocité perçue de la situation.
Pour la majorité des TPE étudiées, nous retrouvons les trois niveaux de création de
sens (individuel, intersubjectif et organisationnel) ainsi que la dynamique d’interactions
caractérisant généralement tout processus de sensemaking. Nous observons que le processus
semble se bloquer au niveau intersubjectif dans deux entreprises (cas MF et LPC). Plusieurs
facteurs expliquent le bon déroulement (ou non) du processus de reconstruction collective de
sens parmi lesquels figurent le comportement des acteurs (salariés ou repreneur) et la qualité
des interactions entre eux.
Après avoir vérifié que le processus de construction de sens post-reprise répond bien
aux 7 propriétés du sensemaking définies par Weick, nous avons élaboré sa première
modélisation en nous appuyant sur le modèle E-S-R (Weick, 1979).
290
Conclusion chapitre 1
Ce premier chapitre avait un double objectif. D’une part, il visait à préciser nos choix
épistémologiques et méthodologiques. Ce choix influence considérablement l’ensemble de la
recherche, plus particulièrement le processus d’élaboration des connaissances, la nature et le
statut des connaissances produites. En outre, la restitution du cheminement intellectuel
emprunté par le chercheur procure au lecteur des éléments lui permettant d’apprécier les
atouts et les limites de la recherche. D’autre part, ce chapitre nous a permis de décrire puis de
modéliser le processus de reconstruction collective de sens post-reprise.
Dans la première section, nous avons justifié l’emploi d’une méthode de recherche
qualitative exploratoire pour répondre au mieux aux objectifs fixés. L’intérêt d’une étude de
cas multiples pour étudier la période de management post-reprise a ensuite été expliqué. Nous
sommes également revenu sur les difficultés rencontrées pour obtenir notre matériau
empirique, puis nous avons présenté les 10 TPE retenues pour cette recherche. Le protocole
de recueil des données a ensuite été présenté. L’emploi de l’entretien semi-directif (14
entretiens de repreneurs et 17 entretiens de salariés), de l’observation et de l’étude
documentaire comme mode de production de données, a aussi été argumenté.
Dans la deuxième section, nous avons exposé la méthodologie suivie pour analyser les
données issues du terrain. Le processus suivi s’inscrit ouvertement dans la lignée de la
méthodologie en trois flux de Miles et Huberman (2003). Pour la condensation des données,
nous avons combiné l’approche verticale et horizontale pour appréhender chaque logique
individuelle dans son contexte, tout en laissant apparaître des récurrences ou des
dissemblances au sein de notre matériau empirique. Nous avons choisi de procéder à une
analyse de contenu thématique en nous aidant du logiciel NVivo-10©, puis nous avons eu
recours à des diagrammes contextuels ainsi qu’à des matrices pour présenter nos données.
Enfin, nous avons abordé la question de validité à travers l’acceptation interne et externe ainsi
que la fiabilité en utilisant les critères de complétude et de saturation du terrain.
Dans la troisième section, nous avons observé puis défini un processus destiné à
réduire l’équivocité provoquée par l’arrivée d’un nouveau dirigeant et à favoriser l’émergence
d’un nouveau système d’actions organisées. Nous avons dénommé ce phénomène processus
de reconstruction collective de sens post-reprise.
291
Chapitre 2 – Un processus sous influences
« Quand tu veux construire un bateau, ne commence pas par rassembler du bois, couper des planches et distribuer du travail, mais réveille au sein des hommes le désir de la mer grande et belle »
Antoine de Saint-Exupéry, Citadelle.
Dans le précédent chapitre, nous avons décrit, puis proposé une modélisation du
processus de reconstruction collective de sens post-reprise. A travers ce deuxième et dernier
chapitre, nous souhaitons mettre en relief les facteurs et éléments qui l’influencent.
Dans une première section, nous tenterons de déterminer quels sont ces facteurs. Nous
distinguerons deux types de facteurs, les facteurs individuels et les facteurs organisationnels.
Nous examinerons les premiers à travers le rôle et l’action de chacun des groupes d’acteurs
concernés par le processus repreneurial (cédants, salariés et repreneur), puis les seconds à
partir des trois sources de résilience organisationnelle mises au jour lors de notre revue de
littérature : la culture, la stratégie et la structure. L’influence du contexte sur le processus de
sensemaking sera ensuite abordée.
Dans une deuxième et dernière section, nous discuterons des principaux résultats de
cette recherche puis aborderons la question des implications managériales à travers l’exposé
de recommandations.
292
Section 1 - Les facteurs et éléments influençant le processus
A partir des résultats des entretiens menés auprès de salariés et repreneurs
d’entreprises, nous allons mettre en évidence les différents facteurs influençant le processus
de reconstruction collective de sens et, par conséquent, l’émergence d’un nouveau système
d’actions organisées. Notre travail d’analyse a permis d’identifier trois facteurs et éléments
interférant sur le processus de sensemaking : les facteurs individuels, les facteurs
organisationnels et le contexte interne et externe à l’organisation.
1.1.) Les facteurs individuels
Les théories du sensemaking voient dans l’équivocité provoquée par le changement
écologique, le point de départ de la construction du sens. L’individu confronté au changement
s’interroge sur ce qui se passe autour de lui et cherche à lever les ambiguïtés en interagissant
avec les autres. Plus la situation est déconcertante, ce que nous avons effectivement constaté
pour toutes les reprises étudiées, plus les individus vont s’engager dans des cycles
d’interactions pour tenter de comprendre où ils se trouvent et quel sont les rôles qu’ils ont ou
auront à jouer dans l’avenir.
Notre étude empirique révèle le rôle déterminant des deux grands groupes d’acteurs
(salariés, repreneurs) dans le déroulement du processus de reconstruction collective de sens
post-reprise. Pris individuellement, chacun des membres de l’organisation, à travers son
comportement et son action, interfère sur la quantité et la qualité des interactions
indispensables au bon déroulement du processus. Nos observations révèlent également la
mobilisation des interprétations du cédant par les deux principaux groupes d’acteurs en amont
du processus. Les salariés y ont surtout recours lorsque l’arrivée imminente d’un nouveau
dirigeant a été annoncée272. Examinons, à présent, le rôle de chacun de ces groupes et leur
influence respective sur le phénomène étudié.
1.1.1.) Le cédant : une influence limitée en amont du processus
La littérature accorde une place importante au cédant dans le déroulement de la
transmission-reprise. L’apport d’informations qu’il consent ainsi que son comportement
bienveillant, constituent une aide précieuse pour le repreneur et son action. Ceci semble
d’autant plus vrai lorsqu’il est convenu d’une période de transition entre ancien et futur
272
Il s’agit des entreprises PP, HPC et FRT.
293
dirigeant. Même si ce n’est pas le cas à chaque fois, il n’est pas rare d’observer de l’entraide,
voire un comportement paternaliste de l’ancien dirigeant, prenant le repreneur sous son aile et
lui permettant de se former progressivement à son nouveau rôle (De Freyman, 2009). Les
différents travaux font également état d’un niveau d’influence sur l’organisation diminuant
jusqu’à s’éteindre avec le départ du cédant et la prise en mains définitive du repreneur. Nos
recherches portant exclusivement sur les reprises faites sans transition et sur la période de
management post-reprise du repreneur, nous devons reconnaître que le rôle joué par le cédant
sur le processus que nous décrivons, ne nous paraissait pas évident au départ. Au fur et à
mesure des entretiens, nous avons néanmoins été amené à nous interroger sur son rôle et son
influence dans la formation du cadre interprétatif des différents acteurs.
Les résultats de notre recherche permettent d’affirmer que même si une transition n’a
pas eu lieu, cet acteur participe au moins partiellement à l’édification d’un futur schéma
d’interprétations partagées. Nous avons effectivement pu observer que le cédant, par ses
interactions avec le repreneur et les salariés, pouvait, dans certains cas, influencer le processus
de reconstruction collective de sens post-reprise. A travers les échanges intersubjectifs menés
successivement avec le repreneur et les salariés, il participe à la construction de
représentations individuelles, préalables à une construction d’un ordre plus général. Nous
avons situé cette influence en amont du processus c’est-à-dire dès les premiers échanges avec
le repreneur et, pour les salariés, lors de l’annonce du changement de dirigeant. Nos analyses
mettent en évidence deux grandes actions ayant une influence sur le processus d’enactement
engagé par chaque individu et, donc, par répercussion, sur le processus de reconstruction
collective de sens post-reprise. Elles ont, toutes les deux un rôle informationnel.
1.1.1.1.) La fourniture d’informations au repreneur
Nous avons relevé, qu’encore fortement préoccupés par la finalisation de leur projet de
reprise, tous les repreneurs interrogés ont très largement échangé avec le cédant afin d’obtenir
le plus de renseignements possibles sur le fonctionnement de l’organisation. Les informations
fournies par l’ancien dirigeant permettent de se faire une première idée, d’éclaircir certains
points, notamment en ce qui concerne les problématiques organisationnelles et humaines.
« Je l’ai beaucoup questionné sur le fonctionnement de l’entreprise. Je voulais
savoir qui faisait quoi, comment les salariés se comportaient et ce qu’il en
pensait. Ça me donnait une idée de qui j’avais à faire. Voilà, j’angoissais
294
beaucoup sur le comment cela allait se passer. Mais bon, j’ai des gens qui sont
très bien, qui sont supers. Et puis l’ancien dirigeant m’avait donné les noms de
ceux sur lesquels je pouvais m’appuyer, les alliances, les opposants. Tout cela,
je l’ai vérifié très vite » (Repreneur SJA).
Ou encore :
« Moi, je voulais qu’elle m’explique comment elle gérait le personnel, les
emplois du temps, les congés. En fait, ce genre de choses, par expérience, ce
sont des trucs qui peuvent vite mal tourner. Je voulais qu’elle me donne des
infos, des tuyaux pour ne pas me planter dès le départ » (Repreneur EMB).
Les attentes du repreneur sont toujours fortes. Elles concernent aussi bien la
connaissance du métier du cédant que le fonctionnement général de l’organisation et sa
culture. Les nombreuses questions qu’il soulève, les réponses qui lui sont données en retour
par le cédant, enrichissent sa compréhension de la situation. Les informations échangées
contribuent à façonner l’image que le repreneur a de l’entreprise.
« Il m’avait dit que c’était un fonctionnement plutôt familial, et qu’il fallait faire
attention à ça, que les salariés aimaient bien qu’on boive le café tous ensemble
le matin, qu’on fêtait les anniversaires, des trucs comme ça quoi » (Repreneur
FRT).
En formulant ses réponses, en prodiguant des conseils, le cédant influence plus ou
moins fortement le repreneur dans la sélection et l’interprétation d’indices déterminants pour
la compréhension de la situation. L’interaction débouche généralement sur un cadre de lecture
particulier et temporaire sur les éléments à retenir. Une telle pratique participe à la
stabilisation des représentations nécessaires à l’action. Elle donne peu à peu du sens à la
situation et permet au nouveau dirigeant d’établir des priorités et préférences, quant aux
actions à entreprendre. Une fois aux commandes de l’entreprise, le repreneur se référera aux
premières significations données par le cédant et les confrontera à la réalité perçue. Le
processus de reconstruction individuelle, puis collective, de sens est ainsi amorcé.
1.1.1.2.) La fourniture d’indices aux salariés
Nous avons pu relever que, pour la plupart des entreprises étudiées, les salariés n’ont
pas été informés du changement prochain de dirigeant. Des travaux antérieurs l’avaient déjà
295
constaté. Le cédant n’annonce que très rarement à son personnel l’arrivée du repreneur
(Boussaguet, 2005), notamment pour ne pas générer d’inquiétudes. Quelques cédants
(entreprises HPC, PP et FRT) ont néanmoins préféré prévenir les salariés de la reprise lorsque
la vente était quasiment finalisée, soit quelques semaines seulement avant l’arrivée du
nouveau dirigeant.
« Il nous a dit ça comme ça, un matin au café, qu’il était en train de vendre et
qu’il lui restait quelques semaines à passer dans l’entreprise » (Salarié PP).
Dans ce cas de figure, nous avons pu remarquer la multiplication des interrogations
chez les salariés et une ambiguïté qui s’installe. Les inquiétudes induites par cette information
inattendue ont poussé de nombreux salariés à tenter d’éclaircir la situation en interagissant
notamment avec le cédant, comme le prouve le témoignage suivant :
« Dès que Mr T[le cédant]…. nous a dit qu’on allait changer de patron, on était
toutes super inquiètes : on ne s’y attendait pas. On lui a tout de suite posé plein
de questions sur le repreneur : d’où il venait ? Ce qu’il voulait faire ? Qu’est-ce
qu’il voulait faire avec nous ? S’il allait changer notre méthode de travail ?
Enfin des trucs comme ça quoi, parce qu’à ce moment-là, c’est plein de
questions qui arrivent et on n’a pas les réponses. Lui, au moins, il peut déjà
nous dire ce qu’il en était, il l’avait déjà rencontré, il savait qui c’était » (Salarié
HPC).
Face à un sentiment de doute, accentué par une accumulation d’éléments abstraits
voire incohérents, les salariés se font à l’idée d’un nécessaire réexamen des données
disponibles, d’un changement de cadre explicatif global (Karsenty et Quillaud, 2011). A ce
stade du processus de reprise, le cédant constitue aux yeux des salariés le seul et unique
acteur susceptible de fournir plus d’explications, de donner une représentation acceptable de
la situation. De par ses rencontres avec le repreneur, il a généralement accumulé quantité
d’informations qui sont autant d’éléments pouvant être éclairants pour la suite des
événements. En communicant les informations à sa disposition, le cédant permet aux
salariés de s’engager individuellement dans un processus d’attribution de sens.
« Il nous a dit que c’était un ancien cadre supérieur qui habitait à Lyon, que
c’était sa première affaire mais qu’il avait pas mal d’expérience dans la gestion
d’équipes. On a aussi appris qu’il maîtrisait très bien l’anglais. Moi quand j’ai
296
su ça, je me suis dit qu’il allait vouloir travailler à l’international, chose qu’on
avait voulu faire, mais qu’on n’avait jamais pu mettre en place » (salarié FRT).
Les échanges avec le cédant constituent également l’occasion de sélectionner des éléments
rassurants, comme le reconnaît le salarié suivant :
« Moi, je suis monté le voir pendant ma pause pour discuter. Là, on a parlé
simplement sur ce qui allait se passer, qui était le repreneur ? Comment il
pensait que le magasin allait évoluer ? Ce qui me préoccupait, il s’agissait des
horaires par rapport à mes enfants, mais là, il m’a dit que le repreneur ne
souhaitait rien changer à notre fonctionnement. Que tant que ça marcherait
bien, ça continuerait. Du coup, ça m’a un peu rassuré ! » (Salarié HPC).
Nous avons pu observer que le fait d’annoncer aux salariés l’arrivée imminente d’un
nouveau dirigeant, amortit quelque peu le choc lié à la reprise. Les salariés sont moins
« surpris » de voir arriver le repreneur dans l’entreprise. Néanmoins, dès l’annonce faite, les
salariés des trois entreprises concernées ont tous exprimé de fortes inquiétudes et se sont
tournés vers le cédant pour tenter d’en atténuer les effets.
Les informations qui sont données par le cédant permettent aux salariés de
commencer à s’engager dans un processus de redéfinition individuelle de la réalité.
Agrémentés de nouvelles « toutes fraîches » et de « sources apparemment sûres » (salarié
FRT), les schémas de pensées individuels évoluent progressivement de manière à atteindre un
niveau de compréhension partiel des événements. Les indices récoltés procurent un premier
cadre de lecture. Ils permettent de commencer à mettre de l’ordre dans cet environnement
troublé. Malgré tout, à ce stade du processus de reprise, une interprétation satisfaisante de la
situation par les salariés ne peut être qu’imparfaitement stabilisée, car de nombreuses
questions restent encore en suspens. Les réponses attendues ne peuvent émaner que de
l’observation du comportement du repreneur ou du repreneur lui-même, comme le montre le
témoignage suivant :
« En fait, il [le cédant] nous a dit qui elle [la repreneuse] était. Quelle était sa
profession avant. Que son mari et elle avaient une entreprise avant dans le
bâtiment, mais qu’ils l’avaient vendue. Euh… qu’elle ne voulait pas tout
changer parce qu’elle ne connaissait pas grand-chose au métier. Mais bon, ça,
297
c’est lui qui le dit ; moi, j’attendais de voir sur place, comment elle allait se
comporter avec nous » (Salarié HPC).
1.1.2.) Le rôle actif des salariés
Il apparaît dans la littérature que le rachat d’une entreprise comprenant des salariés
nécessite de porter une attention toute particulière aux comportements de ces derniers, plus
particulièrement lors de la phase d’entrée dans l’entreprise du repreneur. Les salariés y sont
perçus comme une pièce maîtresse d’une organisation en train de se redessiner. Ils peuvent
favoriser ou non la réussite de la reprise (Deschamps et Paturel, 2009 ; Picard et Thévenard-
Puthod, 2006). La littérature nous apprend également que face à un changement important
dans l’organisation, singulièrement dans un petit groupe d’individus, chaque personne est
concernée par l’événement et joue un rôle actif dans l’instauration d’un nouvel ordre à travers
ses interactions avec les autres (Gioia et Chittipeddi, 1991 ; Weick, 1993). Non seulement les
salariés ne sont pas passifs face au changement qui se présente, mais ils y occupent un rôle
substantiel : celui d’agents du changement (Soparnot, 2009). L’analyse de notre matériau
empirique a permis de vérifier, puis de confirmer le rôle actif des salariés lors du processus
d’entrée du repreneur. Nous avons pu, en outre, relever trois comportements ayant des
incidences directes sur le processus de reconstruction collective de sens post reprise, que nous
reprenons ci-dessous.
1.1.2.1.) L’engagement dans un effort d’interaction
L’arrivée dans l’entreprise du repreneur provoque un état de confusion et de
nombreuses appréhensions que les salariés vont devoir dépasser. Attentifs aux moindres
indices, ils s’engagent dans un travail d’interprétation via des cycles d’interactions devant leur
permettre de mieux décrypter l’évolution de l’environnement, et de situer leur rôle dans le
nouveau contexte organisationnel. Certains salariés adoptent, au départ, une attitude de retrait
et justifient l’adoption, consciente ou non, d’une telle posture par de la méfiance, ou encore
par la volonté de se préserver des conséquences du changement :
« Au tout début, on était toutes un peu sur la réserve, on voulait voir ce que ça
allait donner. Donc c’est vrai que si c’était à refaire, je serais un peu plus
ouverte. On aurait pu toutes l’être un peu plus. Mais bon, c’est normal, moi
j’avais passé presque 7 ans avec les mêmes responsables. Passer à quelqu’un de
nouveau, on est un peu sur la réserve, ce qui est normal. On se protège un petit
298
peu, et finalement avec le recul, on se dit, finalement y avait pas lieu d’être un
peu en retrait. Je pense qu’elle a dû le ressentir. Ce n’est pas qu’on voulait
qu’elle se sente mal mais bon, on avait du mal à aller vers elle » (Salariée HPC).
Ou bien :
« Oui voilà, c’est l’appréhension avant de savoir à qui on a affaire. C’est vrai
que le premier jour, on a un aperçu mais faut attendre de voir comment ça se
passe après. Les premiers temps, on a toujours une appréhension, on a un
aperçu mais on ne peut pas encore juger. Au niveau des contacts humains, ça
peut bien se passer au début et vite mal tourner. Moi, je suis pas allé vers lui
tout de suite, c’est après quelque temps que j’ai cherché réellement à savoir qui
il était » (Salarié ICV).
Parallèlement à leurs observations, les salariés commencent à se projeter dans la
situation afin d’imaginer quel peut être leur rôle dans la nouvelle organisation :
« Pour nous, son arrivée était bizarre. Pour moi personnellement, c’était la
première fois que je changeais de responsable. Donc d’avoir une nouvelle
personne dans l’entreprise qu’on ne connaissait pas, c’était très difficile à gérer,
c’était… enfin bizarre. Je me suis dit, va falloir prendre de nouvelles marques
avec cette nouvelle personne qui aura sa propre idée des choses. J’avais
remarqué qu’elle nous parlait beaucoup du secteur papeterie et je me suis dit
qu’elle allait vouloir l’agrandir et que, dans ce cas-là, vu que je suis la plus
récente, il faudrait peut être que j’apprenne à faire autre chose si elle me
changeait de poste » (Salariée HPC).
Ou bien encore :
« Moi, au départ, j'étais assez prudente. J’étais curieuse de voir ce
qu’elle voulait faire et comment elle voyait les choses avec nous. Ensuite, j'ai
compris assez vite qu'elle avait envie vraiment de développer au maximum. Elle
mettait plein plein de choses en place pour déclencher plus de ventes. Elle a fait
des challenges au tout début qui ont fait que c'était pour développer l'entreprise,
pour booster, pour donner de l'énergie. Moi, ça m’allait, j’étais prête à l’aider
surtout si ça me faisait progresser et me permettait de gagner mieux ma vie »
(Salariée EMB).
299
Les salariés font la démarche d’interagir entre eux, puis avec le repreneur, en vue
d’éclaircir au mieux la situation par la confrontation des différentes interprétations. A travers
l’effort d’interaction consenti, ils construisent leur zone de sens, leur réalité (Vidaillet, 2003)
en s’appuyant non seulement sur des expériences et des situations vécues, mais également sur
les cadres interprétatifs des différents partenaires. La démarche répond, en outre, aux besoins
des salariés de projeter leurs identités dans un environnement pour observer les conséquences
et ainsi mieux se connaître (Weick, 1995). L’effort d’interaction a pour but de clarifier les
intentions et rôles de chacun et doit permettre d’agir de la manière la mieux adaptée, en
accord avec ses propres buts et intérêts. Le processus de sensemaking visant
fondamentalement à (re)trouver des capacités d’action (Karsenty et Quillaud, 2011) lorsque
l’environnement évolue et la situation devient équivoque.
Un tel engagement dans l’interaction notamment avec le repreneur est essentiel. Il
dénote le refus du salarié de s’enfermer dans une attitude de retrait comme le déplore, dans
l’exemple ci-dessous, le repreneur de l’entreprise MF au sujet de l’un de ses salariés :
« Il y a une personne, j’ai pas compris ce qu’elle voulait, elle ne m’a
jamais rien demandé. C’était tout juste, comme si elle n’avait pas changé de
patron. Elle ne s’intéressait à rien ! Ça a duré quand même un moment. Au final,
la plus longue discussion que j’ai eu avec elle, c’était six mois après, au sujet de
sa demande de rupture conventionnelle » (Repreneur MF).
Il paraît clair que le processus de reconstruction collective de sens post-reprise ne peut
s’enclencher que si les salariés s’ouvrent à la discussion avec le nouveau dirigeant. Nous
avons pu observer cette intention à de nombreuses reprises :
«La repreneuse a réussi tout ça, parce qu’elle nous a beaucoup parlé et
beaucoup rassuré… parce qu’on a fait plusieurs réunions quand même après la
reprise. Elle en a fait une le premier mois, enfin non, la première réunion,
c’était plutôt des entretiens individuels. Moi, j’ai trouvé ça super ! Et je lui ai
dit : « faudrait qu’on en fasse plus souvent parce que ça permet de mettre les
choses à plat, de s’écouter, … de se dire les choses un peu en dehors »… enfin
on est dans une pièce. Moi, depuis le début, je n’hésite pas à aller la voir dans
son bureau, parce que se dire les choses en plein milieu du magasin, ce n’est pas
300
forcément pareil… Là, on prend le temps de s’écouter mutuellement et de
discuter tout simplement » (Salarié HPC).
Certains salariés n’hésitent pas à aller plus loin et à faire une démonstration, in situ, de
leur manière de travailler. Ils en profitent alors pour exposer concrètement au nouveau
dirigeant les difficultés rencontrées :
« La veille où je suis arrivée, il y avait un inventaire au magasin et à la fin de
celui-ci, j'ai fait une petite réunion. Donc du coup voilà, elles ont commencé à
venir me poser des questions et puis des questions sont venues au fur et à
mesure. Elles sont super demandeuses. Elles veulent constamment savoir ce qui
se passe et elles n’attendent pas que je fasse une réunion pour ça. Bon, ce qui
est bien c’est qu’on arrive à se voir entre 2 clientes, quand y a pas beaucoup de
monde au magasin. Tout ça, ça m’a aussi aidé à comprendre ce qu’elles
voulaient et comment elles fonctionnaient. Elles m’ont montré concrètement
comment elles géraient le flux de clientes au niveau des cabines et les problèmes
qu’elles avaient » (Repreneure EMB).
Face à une interruption, à l’équivocité, les interactions et l’interrelation des
comportements individuels sont le moment privilégié de l’élaboration du sens (Allard-Poesi,
2003). Nos observations montrent que les salariés, de par les interactions qu’ils décident
d’entretenir avec les autres, particulièrement avec le repreneur, jouent un rôle actif dans le
processus de reconstruction collective de sens post-reprise. L’élaboration du sens prend racine
dans l’extraction individuelle de configurations signifiantes, mais elle est, avant tout et
surtout, une manifestation collective reposant sur la participation coordonnée d’au moins deux
personnes (Koenig, 1996). Pareil processus ne prend forme que si différents groupes d’acteurs
décident d’interagir. Le repreneur ou les salariés ne peuvent, à eux seuls, donner sens à la
situation. Lorsqu’il est question d’attribuer des significations à un environnement inconnu, le
partenaire, fut-il subalterne, constitue un élément essentiel dans la mesure où il représente une
seconde source d’idées (Autissier, Vandangeon-Derumez et Vas, 2010). Nous constatons que
lorsqu’elle est mise en œuvre, l’interaction voulue par les salariés augmente l’éventail des
informations. Il en résulte qu’à chaque séquence d’interaction initiée, le sens donné à la
situation et à l’action se développe, les comportements individuels se coordonnent et
l’organisation se redessine.
301
La littérature sur le sensemaking conditionne le démarrage du processus à une part
d’activité individuelle d’interprétation que chaque membre de l’organisation confronte à celle
des autres. Nous avons pu relever que chaque salarié, malgré sa compréhension partielle de la
réalité, participe à l’ « agglomération » des significations nécessaires à un accord sur les
moyens à mettre en œuvre. En multipliant les échanges avec les autres salariés et avec le
repreneur, en s’engageant dans l’action, pour peu que son action soit visible et difficilement
réversible, il s’attache à ses choix, les défend et contribue ainsi de manière fondamentale au
processus organisant (Vidaillet, 2003). Encore faut-il qu’il se sente concerné par le devenir de
l’organisation. Attitude non systématique chez les salariés des entreprises étudiées.
1.1.2.2.) L’apport d’informations concernant la situation de l’entreprise
Etant présents dans l’entreprise avant l’arrivée du repreneur, les salariés bénéficient
généralement d’une compréhension opérationnelle de l’environnement externe et interne
supérieure à ce dernier. Ils connaissent l’entreprise, ses clients, ses fournisseurs, ainsi que les
problèmes les plus courants et la manière de les gérer. La transmission de cette expérience, de
ce savoir est fondamentale pour la réussite de l’opération de reprise, d’autant plus lorsqu’il
n’y a pas eu de transition avec le cédant.
Notre revue de littérature a mis en lumière les difficultés pour le nouveau dirigeant à
identifier la ressource réseau, son importance et le poids des réactions de l’environnement
dans la réussite de la reprise (Geindre, 2009). Nous avons également pu noter l’absence de
mémoire organisationnelle formelle pour répertorier cette ressource, particulièrement au sein
des TPE. Notre étude empirique permet à son tour de relever que l’absence de formalisation
touche également aux affaires internes à l’organisation. Il s’agit d’une lacune dont les
repreneurs de notre population ont, pour la majorité d’entre eux273, pleinement conscience. Il
ressort de l’analyse de nos différents entretiens que les salariés constituent souvent la seule et
unique source pour transmettre des informations pertinentes au nouveau dirigeant. Ils jouent
en quelque sorte le rôle de courroie de transmission entre l’environnement de l’organisation et
le repreneur. Certains salariés semblent conscients de cet état de fait, comme le reconnaissent
les individus suivants :
« Etant donné que l’ancien propriétaire n’est pas resté en magasin après la
vente, c’était plutôt notre rôle à nous que d’expliquer le fonctionnement du
273
7 repreneurs sur les 10 interrogés.
302
magasin, les habitudes des clients surtout quand ce sont de gros clients qu’il
faut pas perdre ! » (Salariée HPC).
Ou encore :
« Moi, sans prétention, je pense qu’on y a contribué. On était en place, les gens
nous aiment bien, on l’a présenté à la clientèle… Ça, ça aide le repreneur à être
dans le bain. On lui a tout montré… on était content de le faire, tout ce qui est
caisse, client, technique… on lui a tout montré » (Salarié SAG).
Certains salariés acceptent même de le faire bénévolement, en dehors de leurs
heures de travail :
« Ben, je me suis quand même un petit peu investi les soirs de donner des
heures, parce que J [le repreneur] me l'avait demandé. J’ai fait ça
bénévolement, pour qu'il remette ses tarifs à jour, essayer de discuter comment
les choses vont aller et tout. J’ai toujours essayé de pas mettre les bâtons dans
les roues, que tout le monde tire dans le même sens si on peut dire » (Salarié
SJA).
La totalité des repreneurs rencontrés ont exprimé le besoin d’obtenir des informations
supplémentaires sur la situation de l’entreprise dès leur entrée en fonction. Ceci leur permet
de mettre à jour leur connaissance du milieu, de réduire le niveau d’incertitude et de prendre
les décisions en s’appuyant sur des schémas d’interprétations variés. Tous mettent en avant le
rôle prépondérant des salariés :
« Moi, j’attendais beaucoup des salariés. On est comme des stagiaires au début,
et ils jouent le rôle de tuteurs. Ils nous apprennent plein de choses sur le
magasin, les clients et ça, ça nous évite de faire des bêtises. En fait, les rôles
sont un peu renversés, puis la situation revient progressivement à la normale au
fur et à mesure qu’on avance dans le temps » (Repreneur SAG).
Ou encore :
« A vrai dire, j’attendais beaucoup d’eux, qu’ils m’aiguillent, qu’ils me disent…
et souvent je suis obligée d’aller chercher des informations. C’est une perte de
temps énorme. En plus, les informations ne sont pas toujours les mêmes selon la
personne parce qu’ils le ressentent pas de la même façon. Au final, ils veulent
303
nous dire la même chose, mais ce n’est pas les mêmes termes, et il y a des
moments, on est perdus. En tout cas, dans l’ensemble, tous les salariés ont joué
le jeu, ils m’ont aidée…ça m’a fait gagner du temps… franchement, c’était
super… » (Repreneure HPC).
Nous avons également pu relever que les informations transmises par les salariés
sont quelquefois utilisées pour orienter le processus interprétatif du repreneur et visent à lui
suggérer, plus ou moins directement, d’intervenir pour résoudre une situation vécue comme
une injustice.
« Au départ, on sait pas trop pourquoi les choses sont comme elles sont, eux
savent. Nous, on connaît que les chiffres, c’est tout. Moi, j’ai su après qu’il y a
eu des histoires un peu bizarres entre le patron et certaines salariées, où on
mélangeait un peu vie privée et vie professionnelle. Il y a eu du favoritisme et
c’était malsain. Ça a plombé l’ambiance et il valait mieux essayer de remettre à
plat les choses. Heureusement qu’ils sont venus me le dire, j’aurais pas
forcément percuté. Après j'ai compris qu'il y avait des emplois du temps faits à
la tête du client, des choses comme ça quoi et fallait que ça change. A partir de
là, on a reconstruit ensemble quelque chose sur de bonnes bases, il fallait qu’on
se mette d'accord » (Repreneur MC).
Les travaux sur le sensemaking soulignent le caractère faillible du processus de
sélection. Il arrive parfois qu’un individu ne repère pas un indice décisif ou alors qu’il accorde
trop d’importance à un autre qui le conduira à lire la situation à travers un guide inadéquat, ce
qui lui fera perdre le contact avec le monde (Laroche et Steyer, 2012). En véhiculant des
informations pertinentes, les salariés permettent au repreneur de collecter, repérer,
sélectionner des indices déterminants pour la compréhension de la situation. Les différents
cadres interprétatifs et les clés de lecture ainsi apportés vont servir de support au repreneur
pour interpréter la situation, mieux définir son environnement d’action, agir et ainsi créer du
sens. Cela lui évite, en outre, d’être noyé sous un flot informationnel confus et de sélectionner
des indices erronés. A partir de ces informations, l’échange, le débat entre tous peuvent se
développer, favorisant ainsi la reconstruction collective de sens.
304
1.1.2.3.) La proposition d’améliorations
Pour de nombreux salariés rencontrés, l’entrée en fonction du nouveau dirigeant
constitue l’occasion de faire un point sur la situation dans laquelle ils évoluent, de prendre de
la hauteur, de réfléchir à leur manière de travailler. Il s’agit parfois de trouver de nouvelles
idées et de formuler des propositions à la nouvelle direction. Parmi tous les cas étudiés, les
propositions d’amélioration sont fréquentes et paraissent d’autant plus nombreuses que
l’ancien dirigeant n’accordait pas ou peu d’importance aux suggestions faites antérieurement.
Les témoignages suivants sont assez explicites :
« I. [la repreneure] est plus jeune donc elle est plus à l’écoute de nos attentes à
nous, elle comprend plus les choses que le cédant. Elle reste en magasin, donc
elle voit les choses. Par exemple, pour Noël, je lui avais dit que ça serait bien de
fermer plus tôt ce jour-là. D’habitude, on ferme à 19 h et les dernières heures, il
y a des gens qui viennent que pour se balader. On l’a vu depuis plusieurs
années, mais on continuait à ouvrir. Nous aussi, on a des familles et on attend
pour rien puisqu’il y a quasiment pas de ventes. I. [la repreneure] m’avait dit
non au départ, puis elle a réfléchi et au final on a fermé plus tôt. Même pour cet
été, on va travailler intelligemment. On va faire des horaires aménagés pour
l’été, le matin quand c’est de 9 à 10, en vacances, les gens, ils sont dans leur lit
ou ils profitent de leurs enfants et… nous on est ouvert. Alors, je lui ai dit : je
pense que ça serait bien de décaler cette heure-là ou même une demi-heure du
temps de midi. Quand on lui en parle, il n’y a pas de souci, elle est prête à
écouter. Avec T. [le cédant], on n’aurait pas osé, il était de l’ancienne
génération puis lui, c’était toujours du chiffre, du chiffre, du chiffre ». (Salariée
HPC).
Ou encore :
« Maintenant, je n'hésite pas à faire des propositions pour améliorer les choses.
Par exemple... là, je n’ai pas les… bah par exemple, pour la fête des mères qui
arrive, mettre… faire des coffrets avec un soin institut et des produits. Parce que
la fête des mères, souvent… surtout quand c’est les hommes, ils ne savent pas
quoi acheter…Donc il y a des choses toutes prêtes pour eux, c’est facile, ils
prennent et ça marche, dès qu’il y a un soin institut, ça plait. Donc ça, elle [la
repreneure] l’a pris en compte, donc on va regarder ensemble ce qu’on pourrait
305
faire comme coffrets pour que ce soit abordable aussi au niveau du prix »
(Salariée EMB).
Certaines propositions concernent directement l’orientation stratégique de l’entreprise
et s’avèrent être tout à fait pertinentes, comme le reconnaît ce repreneur :
« Il y a des choses qu’ils m’ont dites, je n’y avais même pas pensé avant. En fait,
comme s’intéresser à certains types de marchés dans lesquels on n’était pas
présents. Par la suite, on a pu creuser un peu plus cette solution qui a de
l’avenir (…) il y aura des parts de marché à prendre ! » (Repreneur FRT).
En proposant de nouvelles idées au repreneur, les salariés contribuent et influencent
fortement le processus de reconstruction collectif de sens. Agissant de la sorte, ils permettent
à ce dernier d’enrichir son champ de vision, de le rendre attentif au contexte, de développer
son interprétation et le sens qu’il donne à la situation. De la même manière, en exprimant leur
point de vue publiquement, en l’argumentant et en le confrontant aux autres, ils font évoluer
leur schéma de pensée individuel jusqu’à atteindre un certain niveau de compréhension
partagée du changement.
Nos résultats confirment le rôle actif joué par les salariés durant la période d’entrée
dans l’entreprise du repreneur. Leurs comportements, leurs efforts d’interactions entre eux
puis avec le repreneur, les informations et propositions qu’ils décident d’offrir (ou non) à leur
nouveau dirigeant influencent considérablement le processus de reconstruction collective de
sens post-reprise. La multiplication des échanges permet à chaque acteur de se créer un
nouvel environnement d’actions et de communiquer aux autres ses intentions et procédés. De
là, naît un nouveau système d’actions organisées dans lequel chaque individu tente de prendre
une place.
Voyons, à présent, quelles peuvent être les responsabilités du repreneur dans le
déroulement de ce même processus.
1.1.3.) Le rôle déterminant du repreneur
Notre analyse combinée des travaux portant sur le repreneuriat, la TPE et le
changement nous a fortement éclairé sur la déstabilisation organisationnelle pouvant être
provoquée par l’arrivée d’un nouveau dirigeant, particulièrement lorsque ce dernier est
externe à l’entreprise. Nous avons pu observer concrètement auprès des organisations étudiées
306
qu’il s’agissait d’un changement majeur ayant de forts impacts sur le fonctionnement d’un
petit groupe d’individus. Ce changement cristallise l’attention des salariés et suscite de
nombreuses réactions et interprétations (Demers, 1993), et, en corollaire, de l’équivocité.
L’entrée en fonction d’un nouveau dirigeant induit inéluctablement un changement dans les
comportements des personnes et dans leurs relations entre elles (Giroux, 1993). C’est dans un
contexte aussi troublé que va s’inscrire l’action du repreneur. En tant que nouveau leader,
disposant d’une autorité légale, c’est à lui que revient de piloter le processus de reconstruction
collective de sens indispensable à une redéfinition du système d’actions organisées de
l’entreprise. Il se doit de donner un sens à l’action collective. Henriet (1993) rappelle que le
leader « voit et permet de voir plus loin » ; il doit donner un sens à la situation, c’est-à-dire «
d’abord donner une direction, un but à atteindre. C’est aussi donner une signification à
l’action quotidienne, faire en sorte que les individus aient un projet, puissent jeter un pont
entre le présent et l’avenir ». Ce n’est que par de tels agissements qu’il emportera l’adhésion
de ses équipiers. A partir de nos analyses de terrain, nous avons pu identifier trois grandes
responsabilités lui incombant que nous détaillons ci-après. Celles-ci ont des répercussions
directes sur le processus de reconstruction collective de sens post-reprise.
1.1.3.1.) L’animation du collectif
Nos observations confirment les nombreuses émotions provoquées par le changement
de dirigeant au sein de petites organisations. Les craintes liées au changement, l’équivocité, la
confusion s’installent brutalement dans l’esprit des salariés pour atteindre leur paroxysme au
moment de l’entrée en fonction du nouveau dirigeant. A ce moment-là, tous les regards se
portent sur lui, sur son attitude, son comportement et les premières décisions qu’il initie.
Certains repreneurs semblent avoir pleinement conscience de l’incidence de ce changement
sur la vie des salariés :
« Je pense qu’il faut bien comprendre où on met les pieds, ça fait des années
qu’ils bossent avec quelqu’un et, quasiment du jour au lendemain, on leur dit tu
vas bosser pour un inconnu. C’est un truc, c’est hyper déstabilisant, faut se
mettre à leur place ! » (Repreneur ICV).
Ou bien encore :
« C’est sûr, faut pas arriver en disant « je change tout ! ». Déjà, quand on
arrive, c’est un gros changement pour eux. Ils nous connaissent pas, ils ne
307
savent pas ce qu’on veut faire ni comment. Certains étaient là, avec le patron,
quasiment à l’ouverture, faut quand même le prendre en compte quand on
démarre » (Repreneur SJA).
Alors que d’autres, au contraire, ne semblent pas en prendre toute la mesure :
« En fait, on n’a même pas trop parlé de l’organisation, moi ce qui m’intéressait
c’était que les clients perçoivent la montée en gamme des produits. En plus, j’ai
ajouté la chocolaterie, la confiserie et les glaces et c’est moi personnellement
qui allait m’en occuper. C’est ça le véritable changement. Pour les salariés, y a
rien qui change, ils avaient qu’à continuer à travailler comme avant, c’est tout »
(Repreneur MF).
La prise en compte du changement vécu par les salariés permet d’engager la
discussion autour de l’événement. La moitié des repreneurs rencontrés ont voulu se présenter,
expliquer ce qui les a poussés à reprendre et la manière dont il voyait l’avenir de l’entreprise
(cas HPC, PP, SJA, EMB et FRT). Pour beaucoup, un discours au cours d’une première
réunion a permis de clarifier un peu les intentions et les doutes de chacun. Ceci semble
d’autant plus important que les présentations n’ont pas été faites avant l’entrée en fonction du
nouveau dirigeant, ce qui est le cas pour la majorité des entreprises étudiées. L’ordre du jour
de ces premières réunions est sensiblement le même, une entrée en matière dans laquelle le
repreneur se présente, vient ensuite, une présentation des salariés, puis une explication sur le
projet de reprise du repreneur et, pour finir, un temps de discussion autour des principales
questions liées au changement. Le témoignage de ce repreneur est assez représentatif :
« En fait, c’est surtout une première prise de contact. Moi, j’ai commencé à me
présenter, présenter mon mari aussi puisqu’il allait nous donner un coup de
main de temps en temps. Je leur ai dit tout de suite que je n’étais pas du métier
mais qu’on avait une entreprise avant pendant 15 ans, comment on avait
rencontré l’ancien patron et pourquoi j’avais décidé de reprendre cette
entreprise plutôt qu’une autre. Je leur ai aussi dit que j’étais originaire de la
ville et que je connaissais un peu le magasin, car j’y étais venue faire deux trois
achats avant. Que le magasin avait une excellente réputation grâce à leur
professionnalisme et que je ne voulais pas tout changer. A la fin, j’ai laissé un
moment à chacun pour se présenter et chacun était libre de poser des questions.
308
J’ai répondu à toutes les questions qu’ils m’ont posées et je pense que ça les a
un peu rassurés » (Repreneur HPC).
La première réunion semble avoir un effet bénéfique auprès des salariés qui arrivent
à mieux se représenter le changement qu’ils sont en train de vivre. Le fait de se retrouver
face à un repreneur qui explique qui il est, ce qu’il veut faire, comment il veut le faire à
travers les grandes lignes de son projet, contribue à les rassurer. Les échanges, les premières
prises de position sont éclairantes et permettent à tous de lever certaines ambiguïtés.
« Elle nous a expliqué un petit peu comment elle… elle voulait fonctionner.
Alors, (…). Bah ! déjà que ça avait rien à voir avec notre ancienne patronne.
C’était pas du tout le même mode de fonctionnement. Elle, elle était là tous les
jours donc s’il y a le moindre souci, on pouvait la voir. Après, par rapport au
fonctionnement, nous, nous voulions savoir comment ça allait se passer.
Pendant cette réunion, là, on lui a posé des questions...comment ça allait se
passer... qu’est-ce qu'elle comptait faire, comment elle s'organiserait...Alors,
bah ! quel… Moi, je lui ai demandé par rapport à mon jour de repos fixe, je lui
ai demandé s’il allait rester comme il était ou pas, parce que j’ai un petit
garçon, c'est important pour prévoir la garde. Voilà... Les horaires, comment ça
allait se passer. Elle a été très claire, comme toujours, dans ce qu’elle veut
faire » (Salariée EMB).
D’autres repreneurs ont préféré se présenter directement au contact du « terrain » et
rencontrer au fur et à mesure les salariés lors de discussions informelles. Ce type de relations
interpersonnelles est très fréquent au sein des TPE caractérisées par un système d’information
interne simple et peu organisé. Le contact direct et le dialogue entre membres de
l’organisation assurent la circulation de l’information (Julien, 1990 ; Torrès, 2007).
« Je me suis présenté, j’ai expliqué qui j’étais, ce que je faisais déjà. Ça n'a pas
été des entretiens individuels très formels comme on aurait pu voir dans d’autres
entreprises. Je suis surtout venu les voir pendant leur temps de travail, ou j’ai
échangé, essayé de savoir à qui j’allais avoir à faire plutôt que … déjà je les
sentais très stressés, alors je n’allais pas encore leur envoyer une convocation
sur laquelle j’aurais encore des gens bloqués. Ils fonctionnaient à l’ancienne
aussi bien sur la partie Relationship qu’administrative » (Repreneur LPC).
309
En plus de cette première présentation, certains repreneurs ont décidé de rencontrer
individuellement chaque salarié au cours d’un entretien formel « en face à face » pour leur
expliquer la situation et tenter de nouer une relation plus personnalisée avec eux.
« Moi, j’ai pris le temps de les recevoir un par un, je trouve que c’est plus
judicieux. Ils peuvent vraiment parler de tout ce qui les touche, de leurs
problèmes perso s‘il y en a, de tout ça quoi ! Ça peut m’éviter de prendre des
mauvaises décisions sur leur emploi du temps par exemple, s’ils ont des gamins
à charge ou des choses comme ça quoi ! » (Repreneur ICV).
Qu’ils aient lieu au travers d’une réunion ou lors de discussions plus personnelles, ces
premiers échanges sont l’occasion pour chacun de récolter de nombreuses informations utiles
à la compréhension du changement. Les salariés tentent de percevoir les intentions du
dirigeant notamment pour ce qui concerne leur emploi, et le repreneur essaie de découvrir le
profil de ses nouveaux collaborateurs ainsi que les problèmes rencontrés. Les interactions
initiées par le repreneur sont un premier pas vers la création de nouvelles représentations qui
seront collectivement partagées par les membres de l’organisation, ce qui constitue, à coup
sûr, le principal défi dans la gestion du changement organisationnel majeur.
Notre analyse a aussi permis de relever, à l’instar de certains auteurs avant nous
(Abolafia, 2010 ; Munir et Phillips, 2005, cités par Brown, Colville et Pye, 2015),
l’importance et l’influence des discours, notamment ceux formulés par le repreneur, sur le
processus de construction collective de sens engagé. Plus tard, en assurant la fluidité des
échanges puis le partage d’expériences par le biais de réunions régulières, le repreneur fournit
un cadre où tous les membres de l’organisation pourront argumenter en utilisant de nouvelles
données émanant de plusieurs sources, afin de construire de nouveaux cadres impliquant des
liens entre des actions et des résultats, qui comprennent leurs interprétations multiples
(Weick, 1995). Ayant plus d’informations en leur possession, les repreneurs rencontrés ont
tous souhaité initier des changements de plus ou moins grande importance selon les cas. Les
premières actions sont fondamentales pour le nouveau dirigeant dans la mesure où elles
génèrent davantage « d’ingrédients bruts » pour le sensemaking. Via les stimuli ou indices
engendrés, les repreneurs peuvent rapidement en apprendre plus sur la situation et prendre des
mesures appropriées en prêtant attention aux signaux générés par cette action (Weick, 1988).
310
Néanmoins, un temps d’observation a été parfois respecté avant de prendre des
décisions, comme le reconnaît le repreneur suivant :
« Moi, j’ai attendu de bien connaître la situation ; il faut un temps d’adaptation
où on observe ce qui ce passe, où on apprend à connaître les gens, la clientèle.
Ce n’est qu’une fois qu’on a fait ça, qu’on peut agir en connaissance de cause »
(Repreneur SAG).
Les premières décisions portent souvent sur ce que le nouveau dirigeant pense être une
amélioration pour l’entreprise et/ou pour les salariés. Tous les repreneurs rencontrés ont
conscience qu’ils apportent un regard neuf à la situation et souhaitent le faire savoir. Ainsi,
une simplification des procédures, une amélioration des conditions de travail, un
réaménagement des locaux sont autant de « petites décisions » qui marquent les esprits et
montrent qu’un nouveau dirigeant est en place.
« En fait, en y regardant bien, au début, je n’ai pas opéré de réels changements,
c’est plus des aménagements, il a fallu qu’on fasse une cloison au bout de la
grande réserve parce qu’on n’était pas en conformité. Si on ne faisait pas ça, on
risquait la fermeture administrative. Bon, c’est l’ancien propriétaire qui aurait
dû le faire mais… On a aussi amélioré leurs conditions de travail. Par exemple,
j’ai aménagé cette nouvelle salle en salle de réunion et en salle de repas. Avant,
elles mangeaient sur le bureau d’Odile. Le but, c’est encore une fois, de créer un
endroit calme, une salle où elles peuvent vraiment se détendre. J’ai aussi changé
les rayonnages de manière où d’un seul coup d’œil, elles sachent tout de suite ce
qu’il y a en stock. J’ai fait installer des portes automatiques, comme ça elles
n’auront pas froid en hiver » (Repreneur HPC).
Ou bien encore :
« J'ai simplifié certaines choses dès le début. Par exemple, la comptable avait la
possibilité de faire des virements seule sans que ce soit signé par le patron.
Donc on en a discuté et, d’elle-même d’ailleurs, elle me l’a proposé, et le
lendemain on a arrêté ça. C’était une grosse responsabilité et j’ai compris que
ça l’angoissait. Tous les fichiers financiers sont maintenant validés par moi-
même, cela me permet aussi de me mettre au courant de tout ce qui se passe,
tout ce qui est règlement, tout ça quoi ! » (Repreneur FRT).
311
Certains repreneurs pensent qu’il s’agit de faire de petites choses « toutes simples » pour
améliorer fortement l’environnement de travail :
« Quand je suis arrivé, j’ai pu voir qu’elles avaient quelques motifs
d’insatisfaction. Par exemple, Andrée m’a dit une fois : « enfin ! il y a de la
monnaie dans le tiroir ! ». J’imagine que mon prédécesseur ne le faisait pas tout
le temps. Il n’y avait pas assez de monnaie, c’est un point de détail, mais qui les
agaçait vraiment. Quand vous êtes quotidiennement face à des clients et que
vous n’avez pas de quoi rendre la monnaie, c’est agaçant ! Elles ont aussi dit,
« tiens maintenant on aura du stock !», sous-entendu qu’avant il y en avait pas
assez. Moi je considère qu’il faut fournir des conditions de travail relativement
aisées quand on peut. Pas un sou de monnaie dans la caisse, il faut sans arrêt
pleurer les petites pièces auprès des clients. Pareil pour le stock, il en faut !
Alors il ne faut pas exagérer sur le volume, mais il faut pouvoir satisfaire la
clientèle et c’est plus facile pour le salarié de gérer le contact avec la clientèle.
Pour lui, c’est mieux de dire, j’ai tous les produits, plutôt que de lui dire de
repasser plus tard pour récupérer un manquant » (Repreneur PP).
Il s’agit parfois de décisions symboliques dont l’objectif est d’installer un climat de confiance
avec les salariés :
« Après, moi, je leur ai apporté de bonnes conditions de travail. Avant,
l’ancienne patronne n’était jamais là… Ils n’avaient pas le droit au café par
exemple. Ils n’avaient pas le droit au pain ; le soir, ils devaient les compter pour
les jeter le lendemain. Moi, je leur laisse les emmener. De toute manière, ça part
à la poubelle. Et je n’ai pas vu d’explosion des invendus. Ils ne vont pas manger
10 baguettes de pain chacun. Ça, c’est un détail mais ça marque le coup. Ils se
disent, tiens elle a confiance en nous » (Repreneur SAG).
Nos observations soulignent que des décisions de plus grande ampleur ont également
été prises par certains repreneurs. Ce type de décisions prouve aux salariés que le repreneur
assume son nouveau rôle de leader et qu’un projet de reprise est en train de s’appliquer.
312
Ainsi, il apparaît parfois indispensable pour certains repreneurs de remettre à plat les
horaires :
« Il a changé les plannings, il y en a qui avait toujours l’habitude d’être du
matin. Et il y en avait, c’était toujours les mêmes, du soir. Là, maintenant, c’est
plus pareil. Là, ça a été dur pour certains…mais bon c’est pas normal que ce
soit toujours les mêmes qui se tapent les fermetures » (Salarié MC).
Resituer les rôles de chacun dans l’organisation, en imposant un cadre plus rigoureux,
a aussi été décidé dans l’entreprise EMB.
« Elle a mis en place des changements dès le départ. Par contre, c'est très carré,
elle aime que les choses soient bien claires. Autant avec C. [la cédante], c’était
le bazar, autant avec C [la repreneure] non, c'est très carré ! Chacun à sa
place ! C’est-à-dire qu'il faut faire telle chose et ne pas faire telle chose, elle
tient à ce que chaque fille ait son travail...et...euh...comment dire ?....alors.
Quand c'était C [la cédante], comme elle était tout le temps absente, elle nous
laissait libres de nous organiser comme on voulait en fait, c'est-à-dire que
chaque fille faisait son travail, mais un peu à sa manière. Quand C. [la
repreneure] est arrivée, au contraire : c'était toi tu fais ça, toi tu fais ça ...enfin
chaque fille avait une catégorie de choses à faire et pas d'autres -voilà des
règles et un cadre très précis, très droit, très carré...» (Salariée EMB).
Certains repreneurs font le point sur les rémunérations et concèdent une augmentation
en tant que signe de reconnaissance pour le travail déjà effectué.
« Oui voila, il a trouvé… ben… dès le premier mois de son arrivée, il nous a
augmenté. Oui parce qu’il a considéré que ça faisait longtemps qu’on n’avait
pas été augmentés et vu le travail qu’on faisait, il était satisfait de notre travail
et il nous l’a dit. Donc, ça aussi, ça nous a changés parce que c’était la
première fois qu’un employeur récompensait aussi bien verbalement que
financièrement » (Salarié PP).
313
Certains repreneurs ont même pris des sanctions :
« Moi, je ne peux pas avoir de « bloquants » c’est pas possible et je vais faire en
sorte qu’il y en ai plus. C’est malheureux, mais il y a eu une personne comme
ça, on dirait qu’elle voulait semer la zizanie, rien n’allait jamais, elle donnait de
la mauvaise humeur, elle critiquait tout. Ben, des gens comme ça, il faut qu’ils
sachent à qui ils ont affaire. Faut savoir faire partir des courriers s’il le faut.
C’est ce que j’ai fait avec elle et elle s’est tout de suite calmée » (Repreneur
ICV).
Les mesures disciplinaires peuvent parfois être très lourdes :
« En fait, je parle là du principal opposant. Il y avait un gros problème avec lui.
Il ne s’entendait pas avec le groupe et, au bout d’un an, un an et demi, je suis
arrivé à une rupture conventionnelle qui arrangeait tout le monde. J’ai quand
même eu deux plaintes de harcèlement à cause de lui sur des stagiaires, …
vraiment, c’était un cas ! Il était insupportable ! » (Repreneur SJA).
Les décisions portent également sur les relations avec les parties prenantes de
l’entreprise, comme dans cet exemple, les fournisseurs :
« Là où il y a eu un grand changement, c’est dans les relations qu’on pouvait
avoir avec certains fournisseurs. Là je pense qu’ils [les salariés] se sont dit oh
là là tiens ! Voilà il y a des trucs qui changent là. Parce que je pense que j’ai
été beaucoup plus direct avec des fournisseurs, notamment les fournisseurs
stratégiques pour l’entreprise, beaucoup plus direct et beaucoup plus dur, ferme
en mettant la pression, en demandant des comptes, choses qui n’étaient pas
forcément, peut-être moins faites avant ou faites de manière différente, ça je
pense que ça les a intéressés [les salariés] en tout cas » (Repreneur FRT).
Nos observations montrent que les décisions et actions initiées par le repreneur ne sont
pas forcément mal perçues des salariés. Dans plusieurs entreprises, certaines d’entre elles
furent même attendues. Pour de nombreux salariés rencontrés, ce qui importe avant tout, c’est
que les décisions prises et les actions qui sont menées, paraissent justes et équitables, comme
le prouve le témoignage suivant :
314
« Maintenant, il n'y a plus de différences entre les personnes. Il y a une certaine
justice quand même. Avant les plannings, c'était un peu bizarre. On avait
l'impression que certaines étaient plutôt privilégiées... » (Salarié EMB).
Weick affirme que l'action est une partie intégrante de la construction de sens. Dans
cette perspective où la « cognition réside dans la voie de l’action » (Weick, 1988, p. 307), les
individus connaissent le monde en prenant des mesures et en voyant ce qu’il advient ensuite.
Durant la période de management post-reprise, la mise en place de règles concrètes, l’action
visible du repreneur offrent un cadre de compréhension, une grille de lecture sur ce qui est en
train de se passer. Si l’action engagée avec fermeté, dans un tel climat d’incertitude, engendre
la compréhension (Rojot et Wacheux, 2006) chez les salariés, elle produit en même temps,
des incompréhensions, des doutes, desquels s’engageront des confrontations d’interprétations
qui aboutiront, elles aussi, à terme, à une compréhension nouvelle de la situation.
La littérature reconnaît le rôle prépondérant du dirigeant dans la conduite et dans
l’explication du changement. Ce dernier se doit d’être un véritable leader aidant les individus
à mettre à jour les contextes dans lesquels les décisions devront être prises (Fiol et Huff,
1992) et à donner progressivement du sens au changement (Barabel et Meier, 2010). Son
action contribue pour une bonne part à fournir des interprétations signifiantes à des
informations ambiguës (Thomas et al., 1993). Nos observations font apparaître que le
repreneur joue, effectivement, un rôle central dans la dynamique de compréhension
individuelle et collective et dans l’évolution de l’attitude de chacun des acteurs face au
changement. Son action s’inscrivant dans le cadre d’un événement majeur générateur
d’équivocité, il se doit d’expliquer le changement et d’apporter des réponses aux nombreuses
interrogations soulevées. Néanmoins, nous remarquons qu’expliquer le changement ne suffit
pas, il faut également l’animer continuellement. En encourageant l’interaction, en mettant en
mouvement et en rendant attentifs les salariés à ce qu’il advient (Koenig, 2003), en restant
ouvert aux questionnements de ces derniers, en générant lui-même des questionnements, il
donne les moyens à tous de mieux appréhender la situation. De la même manière, en prenant
des décisions et en établissant une direction, il facilite la compréhension et l’action et fait
émerger auprès des salariés une nouvelle vision par le jeu des interprétations. Agissant de la
sorte, il devient un donneur de sens, un sensegiver (Gioia et Chittipeddi, 1991) permettant à
l’organisation de se renouveler progressivement en reconstruisant collectivement du sens.
315
1.1.3.2.) L’instauration et le maintien d’une communication franche et honnête
L’analyse de nos entretiens a permis de relever l’importance de la communication
interpersonnelle au sein du processus de reconstruction collective de sens post-reprise. Pour
une très grande part des cas étudiés, nous avons pu observer que, dès l’entrée en fonction du
nouveau dirigeant, les salariés ont exprimé le besoin de communiquer pour savoir ce qui était
en train de se passer et ce qui allait se passer. Compte tenu de la petite taille de l’entreprise, du
peu ou de l’absence de niveaux hiérarchiques, tous ont attendu que le repreneur fasse la
démarche de venir à leur rencontre, puis de s’intéresser réellement à eux. La plupart des
salariés rencontrés ont souhaité être consultés sur leur vie, leur travail, leur ressenti face aux
événements et à leur vision de l’entreprise. Le dialogue franc, simple et direct est très
largement plébiscité. La majorité des repreneurs rencontrés semblent avoir pris conscience de
leur rôle actif, en tant que nouveaux dirigeants, dans la mise en œuvre du processus
d’interactions communicatives. Il devient nécessaire de faire le premier pas comme le
reconnaît le repreneur suivant :
« Faut pas oublier que c’est nous qui arrivons. C’est à nous de faire la
démarche d’aller les voir pour discuter. S’ils voient qu’on fait l’effort, eux aussi
vont le faire. Pour moi, c’est simple, tout est lié à la relation qu’on arrive à
installer, à la manière dont on arrive à communiquer avec eux » (Repreneur
PP).
Initier un tel processus est un premier pas essentiel vers la résorption de l’équivocité.
Mais cette première action, à elle seule, n’est pas suffisante. Agir durablement sur
l’équivocité perçue nécessite que le processus d’interactions communicatives puisse se
poursuive indéfiniment. Giroux (2006) nous rappelle, en effet, que l’organisation, en tant que
« processus organisant », est le fruit des interactions communicatives par lesquelles les
interactants la co-construisent de manière continue. De par sa position centrale dans
l’organisation, c’est au repreneur qu’il revient de veiller à ce que les interactions se
maintiennent et que tout salarié puisse continuellement s’exprimer librement, sans non-dit, ni
arrière-pensée, et surtout, sans crainte d’éventuelle sanction. Nous avons pu relever que
maintenir une communication permanente au sein de l’organisation n’est pas chose aisée.
Cette activité nécessite, pour le repreneur, de se rendre disponible pour l’échange et, pour les
salariés, de trouver des moments propices à la rencontre. Ceci n’est pas évident au sein des
TPE commerciales compte tenu des larges amplitudes horaires généralement observées. De
316
nombreux salariés interviewés nous ont confié avoir souvent l’impression de « se croiser »
sans trop pouvoir échanger réellement sur le fond des choses.
« Nous, ben, on n’a pas vraiment pu en discuter tous ensemble, on ne se voit pas
tout le temps. Y en a qui sont du matin et d’autres qui sont du soir, et puis y a
ceux qui font que le week-end, comme les étudiantes » (Salarié MC).
Le repreneur, malgré les fortes contraintes imposées par l’activité, devra consacrer une
partie de son temps pour dialoguer avec chaque salarié. Nous observons que, pour une grande
majorité des cas étudiés, les entretiens informels sont privilégiés aux entretiens proprement
formels.
« On n’a pris l’habitude de se voir [avec le repreneur] tous les vendredis soir
après la journée de boulot. On prend un moment pour voir les problèmes, les
clients, les fournisseurs, tout ça… les problèmes avec les collègues (…) C’est
bien, on prépare la semaine suivante autour d’un verre » (Salarié SJA).
Ou bien encore :
« Disons qu’elle a essayé au départ de mettre en place de vrais entretiens avec
nous toutes, enfin c’est ce qu’elle nous a dit. Moi j’en ai fait un au début… Mais
bon, avec les problèmes du magasin, il y a toujours quelque chose d’imprévu, elle
a vu que ça allait être difficile. Donc quand on se voit et quand elle a des choses à
nous dire, c’est entre deux clientes et ça s’arrête là ! » (Salarié EMB).
Maintenir son bureau ouvert et le faire savoir donnent également l’impression aux
salariés qu’ils seront personnellement écoutés.
« Ben, disons que c’est plus facile. Elle nous a fait comprendre que si on avait
des choses à dire, que si on n’avait pas compris quelque chose ou si on avait des
problèmes personnels, on avait qu’à aller la voir dans son bureau, que sa porte
restait toujours ouverte » (Salarié EMB).
Si les échanges interpersonnels sont importants, le repreneur devra aussi tout mettre en
œuvre pour faciliter la communication collective. Les réunions périodiques se révèlent d’une
grande utilité et sont particulièrement appréciées, comme le reconnaît le salarié suivant :
317
« Ce qui est bien, c’est qu’on arrive à faire des réunions… en plus maintenant,
elle [la repreneure] a aménagé une vraie salle de réunion à la place de
l’ancienne salle de pause. Les réunions, on n’en fait pas souvent mais on arrive à
se voir au moins une fois par mois. Ça permet de faire le point et de voir ce qu’on
peut faire pour améliorer les choses, de dire ce qui ne va pas » (Salarié HPC).
Par ailleurs, nous avons observé que les salariés expriment très souvent le désir de
regarder le repreneur communiquer honnêtement, sans arrière-pensée. Si elle est réciproque,
une telle pratique génère la confiance mutuelle, l’échange de connaissance, l’interaction
respectueuse et l’adaptation à l’environnement. La confiance, l’honnêteté, le respect de soi et
des autres sont, en effet, autant d’ingrédients supplémentaires (Roux-Dufort, 2003) pour
reconstruire des liens cohérents dans « une vie harmonieuse avec autrui » (Weick, 1993,
p.634). A défaut d’une communication franche et honnête, les salariés auront le sentiment de
ne pas savoir où ils en sont, comme le reconnaissent ces deux salariés de l’entreprise LPC :
« Moi j’ai vraiment l’impression de tout le temps rester dans le flou (…) de
n’avoir jamais su les tenants et les aboutissants. En fait, j’ai l’impression qu’il
ne dit jamais ce qu’il pense vraiment » (Salarié 2 LPC).
Ou bien encore :
« Il n’a jamais pris le temps de discuter avec nous comme on le fait maintenant,
j’aurais aimé qu’il me dise, voilà j’ai repris, je souhaite faire ceci ou cela, même
maintenant, qu’il me dise quelquefois : ce que vous faites c’est bien ou c’est pas
bien, enfin des choses comme ça quoi. Mais, même ça, on n’a jamais de retour !
» (Salarié 1 LPC).
Certains repreneurs font preuve d’humilité et n’hésitent pas à communiquer leur
manque de savoir ou leur carence. Ceci semble fortement apprécié par les salariés. En
reconnaissant publiquement qu’ils ne savent pas, ou du moins pas tout, ils favorisent
l’émergence d’un dialogue ouvert, sincère, associant confiance, fiabilité et estime de soi
(Laroche et Steyer, 2012).
« Moi, quand il y a un truc que je ne maîtrise pas, je le dis, j’ai rien à cacher, je
n’ai pas la science infuse. Par contre, si je ne sais pas, je leur ai dit que je ferai
tout pour apprendre et que leur aide serait la bienvenue. Faut pas faire celui qui
connaît, quand on ne sait pas, sinon ils vont vite sans rendre compte et c’est pire
318
que tout. Au moins là, ils savent que je suis honnête et que je leur dis tout. Je
sais que beaucoup d’entre eux ont apprécié cette manière de faire. En plus, ils
se sont sentis valorisés» (Repreneur HPC).
La qualité des interactions est primordiale. Elle permet l’échange des informations et
une compréhension commune de la situation (Giroux, 2006). Pour les salariés, la réalité
organisationnelle se redéfinit progressivement et ils peuvent alors envisager d’y participer à
travers leurs actions. Tout ce qui est mis en œuvre par le repreneur pour faciliter l’échange et
l’interaction respectueuse (Weick, 1993), influence positivement le processus de
reconstruction collective de sens. Établir dès le départ un climat favorable à une
communication franche et honnête sans « langue de bois », qu’elle soit formelle ou
informelle, installe une relation, aboutit à une reconstruction des liens entre les individus.
Exposer continuellement ses interprétations, autoriser les salariés à en faire de même,
éclairent et structurent l’environnement. L’engagement de tous dans l’action devient alors
possible.
1.1.3.3.) L’implication des salariés dans le projet
L’arrivée d’un nouveau dirigeant, d’autant plus si elle n’a pas été annoncée, donne
souvent l’impression aux salariés d’avoir été « vendus avec l’entreprise » et de ne pas avoir eu
leur mot à dire :
« Tout ça, ça fait bizarre, on a l’impression qu’ils ont tout manigancé dans notre
dos. Ils parlaient de nous, de ce qu’on faisait et il jugeait notre travail. J. [le
repreneur] est même venu jouer le client pour nous observer incognito. C’est
après qu’on découvre le pot au rose, qu’on a été vendus avec les murs. En fait,
c’est comme si on était des objets » (Salarié LPC).
De nombreux repreneurs expliquent avoir tenu à l’écart les salariés et justifient
l’importance accordée au secret, avant et au moment de la transaction, par une injonction
formulée par le cédant. Ce dernier ne souhaitait pas ébruiter la vente pour ne pas inquiéter les
salariés et l’entourage de l’entreprise. Cette pratique semble d’autant plus respectée que le
cédant a connu précédemment une ou plusieurs ventes ayant achoppé. Nos analyses mettent
en évidence le poids tout à fait marginal accordé aux salariés dans la phase amont du
processus repreneurial, aucun n’ayant été officiellement consulté durant la période de prise de
décision du repreneur. Cette pratique, apparemment courante au sein des TPE, contraste avec
319
l’importance reconnue du rôle joué par les salariés dans la réussite de l’entrée en fonction du
nouveau dirigeant. La littérature leur reconnaît un rôle de premier plan dans la réussite de
l’entrée en fonction du dirigeant et plus largement du processus de reprise (Henriet, 1999 ;
Boussaguet, 2005 ; Deschamps et Paturel, 2009). Alors qu’ils sont ignorés auparavant, lors
des phases de discussions et de conclusion de la vente, l’implication des salariés est
particulièrement désirée au moment où le repreneur entre en action. Il s’agit d’un point
déterminant dans la réussite de sa prise de fonction comme le reconnaissent les repreneurs
suivants :
« Il fallait vraiment que je m’appuie sur le personnel, je ne connaissais rien à ce
métier. D’ailleurs, si j’ai repris ce magasin, c’est parce qu’ils étaient là. Après,
faut qu’ils jouent le jeu, faut qu’ils se lancent avec nous et ça c’est pas gagné »
(Repreneur HPC).
Ou bien encore :
« Ils m’ont montré les choses au fur et à mesure, pour faire l’ouverture, la
fermeture, les trucs techniques, l’informatique… Après, heureusement qu’ils
étaient là pour me présenter la clientèle, les fournisseurs, je pense que ça se
serait moins bien passé s’il y avait pas eu ça ! » (Repreneur SAG).
Nos observations font état de différents moyens utilisés par les repreneurs pour
impliquer les salariés dans leur projet. Certains ont souhaité consulter les salariés et leur faire
prendre part aux décisions, ce qui a été particulièrement apprécié, comme le prouve le
témoignage suivant :
« Elle [la repreneuse] nous fait énormément participer à toutes les décisions.
J’apprécie beaucoup parce que pendant cinq ans, c’est ce qu’on faisait. C’est
bien de fonctionner comme ça, car on a vraiment l’impression d’être concerné
par la vie de l’entreprise. On a le sentiment de former une équipe. Quand
quelqu’un décide et dit : «toi tu fais ça, toi tu fais ça », c’est beaucoup moins
intéressant » (Salarié HPC).
D’autres ont donné plus d’autonomie et encouragé l’initiative :
« bien, entre l'ancienne et la nouvelle direction, c'est l'ancienne et la nouvelle
école quoi... E. [le cédant] voulait tout gérer, c'est-à-dire qu'il faisait ses devis,
320
il faisait un peu de paperasse, avec sa femme qui en faisait aussi. Il faisait les
livraisons, il faisait des tours sur le chantier pour voir si ça allait, il nous aidait
des fois sur le chantier. Alors que J. [le repreneur], il fait plus du bureau, il a
beaucoup délégué quoi, et responsabilisé le personnel. Et nous, ben… je trouve
que ça marche beaucoup mieux, on maîtrise le truc du début à la fin quoi ! On
gère nos chantiers comme on le veut, on discute avec les clients en direct et s’il y
a un problème, on le règle nous-mêmes. Même nos heures sup sont faites au
déclaratif ! Par contre, faut pas faire ou lui raconter n’importe quoi ! Ça, il
nous l’a bien expliqué » (Salarié SJA).
Enfin, certains repreneurs ont jugé bon de confier plus de responsabilités à leur
personnel, ce qui semble, là encore, positif :
« Nous, on a envie de bosser avec lui [le repreneur], il nous a accordé plus de
responsabilités. Il nous pousse à nous améliorer, il nous confie plus de tâches.
Du coup, on fait pas toujours la même chose comme de la mise en rayons. Là,
par exemple, je m’occupe des changements de prix dans le magasin, c’est tout
géré sur informatique. Avec l’ancien patron, je n’avais pas le droit de le faire ».
(Salarié ICV).
En permettant aux salariés de s’impliquer dans le projet, en les faisant participer aux
prises de décisions, en favorisant la prise d’initiative, ou encore en leur accordant plus
d’autonomie et de responsabilités, le repreneur exerce une influence considérable sur le
processus de reconstruction collective de sens. Sous son impulsion, les individus sont invités
à faire des propositions, trouver des solutions innovantes ou, tout simplement, agir.
L’émulation ainsi générée contribue à créer, puis à maintenir, une dynamique interactionnelle
qui enrichit considérablement les cadres interprétatifs et le sens donné à la situation.
L’interactionniste symbolique invite à porter notre attention sur le rôle essentiel de
l’individu dans l’émergence et la manipulation du sens (Blumer, 1969). Tous les acteurs, quel
que soit leur statut, sont parties prenantes dans la construction du monde qui les entoure. Ils
produisent leur environnement autant qu’ils sont produits par lui, et le « sens commun »
émerge d’une activité continue de communication interpersonnelle. L’élaboration collective
de sens au sein d’une organisation devient le résultat des multiples interactions entre tous ses
membres (Vidaillet, 2003). Pour Weick, ce processus est d’autant plus intense et visible que
321
la situation vécue est inédite, confuse et équivoque. Les théories du sensemaking et celles du
leadership ont permis d’assimiler, tour à tour, le poids des interactions interindividuelles et le
rôle actif du repreneur, en tant que nouveau leader, dans l’acceptation puis l’engagement des
salariés dans une situation de changement. L’analyse de notre matériau empirique met
clairement en évidence l’influence de facteurs individuels sur la reconstruction collective de
sens post-reprise. Chaque individu et chaque groupe d’acteurs (cédants, salariés, repreneurs)
participent à son accomplissement, même si chacun n’a pas le même poids dans le processus.
Il apparaît, en effet, que le repreneur est en première ligne et que de son action émergera
prioritairement ou non le processus. Notre recherche met également en évidence que la
reconstruction collective de sens post-reprise n’est pas un processus s’enclenchant
spontanément dans l’organisation en s’affranchissant de la volonté des acteurs. Il s’agit bel et
bien d’un processus voulu, encouragé et entretenu par les différents groupes d’acteurs, au
premier rang desquels figurent les repreneurs.
Intéressons nous à présent aux facteurs organisationnels ainsi qu’à leur influence sur le
phénomène étudié.
1.2.) Les facteurs organisationnels
A ce stade de la recherche, nous avons principalement focalisé notre attention sur les
facteurs individuels qui ont une influence sur le processus de reconstruction collective de sens
post-reprise. Si l’importance de ces facteurs vient d’être établie, l’analyse de nos entretiens a
également montré qu’ils n’étaient pas les seuls. Lorsqu’elle est confrontée à un changement
majeur comme la RPP, différentes solutions sont à la disposition de l’organisation pour
favoriser ce processus et ainsi accroître son niveau de résilience. Pareil constat invite à
admettre que l’articulation des processus de construction de sens individuels dans
l’interaction produit l’organisation, mais qu’en retour, l’organisation en train de se former
agit, par ses caractéristiques, sur la fabrication de sens et l’action (Laroche et Steyer, 2012).
Afin de mettre en évidence ces différentes solutions, nous nous sommes appuyé sur le modèle
de sensemaking en situation de changement proposé par Vandangeon-Derumez et Autissier
(2006), préalablement décrit en première partie de ce travail. Nous rappelons brièvement que
l’objet de ce dernier est de fournir une représentation transversale du processus de
sensemaking en liant trois variables organisationnelles de création de sens (culture, stratégie
et structure) au processus d’engagement individuel dans l’action. A partir de ce modèle, nous
avons élaboré 19 grilles d’analyses
catégories d’individus interrogés
après (figure 27).
Figure 27 - Grille d’analyse du manageme
Ce travail d’ordonnancement et
différents facteurs organisationnels
management post-reprise. Faisons ressortir
variables culturelles, stratégiques
274
Nous rappelons au lecteur que nous n’avons pu interroger les salariés de l’entreprise MF puisqu’aucun d’entre eux ne faisait partie de l’effectif au moment où nous réalisions nos entretiens.
322
é 19 grilles d’analyses 274 correspondant pour chaque entreprise aux deux
égories d’individus interrogés ; repreneur et salariés. Nous en présentons un exemple ci
rille d’analyse du management de la reprise (Salariés HPC)
rdonnancement et de présentation des données a permis de
nisationnels de création-destruction de sens durant la péri
reprise. Faisons ressortir à présent, un à un, ces divers facteurs
tégiques et structurelles.
Nous rappelons au lecteur que nous n’avons pu interroger les salariés de l’entreprise MF puisqu’aucun
d’entre eux ne faisait partie de l’effectif au moment où nous réalisions nos entretiens.
chaque entreprise aux deux
présentons un exemple ci-
és HPC)
a permis de relever
sens durant la période de
s facteurs à travers les
Nous rappelons au lecteur que nous n’avons pu interroger les salariés de l’entreprise MF puisqu’aucun
323
1.2.1.) Au niveau culturel
L’analyse de notre matériau empirique montre l’existence de différents facteurs liés à
la culture organisationnelle ayant une incidence directe sur le processus de reconstruction de
sens engagé par les individus. Cette influence se manifeste à travers trois éléments : la
perception de la mission de l’entreprise, la conception du travail en équipe et du partage et
l’importance accordée au dialogue et à l’écoute.
1.2.1.1.) La perception de la mission de l’entreprise
Lorsque les individus font face à une situation équivoque qui perturbe leur perception
de l’environnement et d’eux-mêmes au sein de ce dernier, beaucoup « se raccrochent » à une
vision plus ou moins partagée de la mission de l’organisation. Cette vision constitue un socle
commun d’interprétations sur lequel ils s’appuient pour donner un sens à la situation vécue.
Elle constituerait un cadre, un point de référence stable permettant aux individus de
reformuler leurs préoccupations face à l’avènement d’un élément nouveau. Ainsi, nous avons
relevé que de nombreux salariés avaient recours à ce cadre interprétatif pour s’engager dans
une lecture du changement.
« Là ! On est dans un commerce de quartier, on connaît les clients par leurs
noms, on fait la bise à certains, on rend service. Ce ne sont pas que des clients.
Ça, c’est un truc qui ne pourra pas changer comme ça. En tout cas, si quelqu’un
touche à ça, les clients vont partir et l’entreprise va couler ! » (Salarié PP).
Ou encore :
« Nous, on n’est pas que des marchands de livres, on fait du conseil, on donne
envie de lire aux gens. Ça, c’est super important pour nous toutes. Dans notre
commune, il n’y a pas beaucoup d’endroits comme ça. Si les gens viennent ici,
c’est parce qu’ils savent qu’on ne fait pas que gagner de l’argent. On s’investit
sur du long terme avec eux, on veut qu’ils reviennent, notre objectif, ce n’est pas
de vendre et puis voilà. Nous, on veut que quand on les croise dans la rue, ils
nous regardent pas de travers, sinon, ça voudra dire qu’on aura mal fait notre
travail » (Salarié HPC).
C’est lorsque les salariés se lancent dans la phase d’enactement de leur environnement
que la vision de la mission de l’organisation est la plus sollicitée. Ils interprètent l’évolution
du changement à travers cet élément et décident ou non de s’engager dans la poursuite du
324
processus de construction collectif de sens. En effet, lorsqu’il s’engage dans une interaction,
un individu se demande s’il a intérêt à s’exposer et à s’investir dans une cause qui ne
correspond pas totalement à ses valeurs (Vandangeon-Derumez et Autissier, 2006). Nous
avons pu relever que, dans certains cas, la mission attribuée à l’entreprise par les salariés
différait sensiblement de celle du repreneur, comme le prouve le témoignage suivant :
«C’est pas un truc qu’on sait faire et même qu’on a envie de faire. Lui, il veut
vendre du fastfood, des burgers, des pizzas, des trucs pas bons pour la santé
quoi. Ce qui compte c’est la marge, en achetant des produits pas trop chers...
Nous, ici, on fait de la bonne cuisine, on fait du traditionnel, du fait maison. On
ne donne pas n’importe quoi à manger à nos clients » (Salarié LPC).
Dans tous les cas, la vision de la mission de l’entreprise développée par ses membres
influence le processus de reconstruction collective de sens. Elle s’insère dans la carte
cognitive développée par chaque individu comme un ensemble de concepts et de relations
entre concepts formant la représentation des croyances d’une personne sur un domaine
particulier (Axelrod, 1976, cité par Vidaillet, 2003), et lui permet de mieux interpréter son
environnement. La perception de la mission de l’entreprise sert de guide, de support aux
interactions entre tous les acteurs organisationnels, puis à la construction de sens. Les
réponses apportées par la nouvelle organisation interfèrent sur l’engagement de l’individu
dans l’interrelation et dans l’action. Si la perception de la mission de l’entreprise enrichit et
favorise la confrontation des interprétations, phénomène duquel émerge le sens, nous
observons également que lorsqu’elle semble trop éloignée des valeurs individuelles, elle met
un terme définitivement aux interrelations, puis à la collaboration, comme le prouve le
témoignage suivant :
« C’est simple, en cuisine, il y en a qui sont partis au bout de quelques semaines
parce qu’ils ont compris tout de suite qu’on allait faire un autre boulot, qu’on
vendrait de la « merde ». C’est pas pour ça qu’ils avaient signé ! » (Salarié
LPC).
1.2.1.2.) La conception du travail en équipe et du partage
Dès l’entrée dans l’entreprise du repreneur, il apparaît fondamental de maintenir des
relations entre tous les membres de l’organisation. Nous avons pu observer que la manière
dont les personnes interrogées appréhendaient le travail en équipe et l’idée qu’elles se
325
faisaient du « partage », exerçaient une influence notable sur la fréquence et la qualité des
interactions et, in fine, sur le processus de reconstruction collective de sens post-reprise. Les
témoignages de nombreux salariés mettent en avant l’importance du travail en équipe en tant
que valeur essentielle et partagée pour s’engager dans une dynamique d’échanges et d’actions.
Face à un environnement difficile, il s’agit d’être solidaires les uns avec les autres, même
lorsqu’on se retrouve avec un inconnu dans l’équipe, fut-il nouveau dirigeant de l’entreprise.
« Pour moi, travailler en équipe c’est super important. On ne fait rien tout seul,
surtout dans un magasin comme le nôtre. Il y a des périodes où certains sont
plus chargés que d’autres et ça tourne, donc il faut savoir se prêter main forte.
Ce qui est bien avec C. [le repreneur], c’est qu’il voit les choses un peu comme
nous, il est dans le partage. Il a des valeurs basées sur le respect, le partage
entre les gens... il est super humain. C’est un gars qui n’hésite pas à venir nous
voir si on a un problème, il nous laisse pas dans la panade. C’est vrai qu’on
fonctionnait déjà un peu comme ça avec les collègues même si l’ancien patron
n’aimait pas trop qu’on discute trop ensemble. Donc nous, avec quelqu'un
comme ça, on a eu envie de travailler avec lui. C'est peut être rare de voir des
salariés qui veulent que leur patron réussisse, qu'il gagne bien sa vie, mais c'est
comme ça chez nous » (Salarié ICV).
Ou encore :
« D’un autre coté, quand C. [la cédante] est décédée, on s’est serré les coudes
pour sauver le magasin. Maintenant, ça c’est ancré dans l’équipe, on se serre
les coudes quoi qu’il arrive… Pour nous, c’est un peu notre bébé le magasin. On
sait que ce n’est pas notre magasin mais c’est quand même notre magasin et on
se donne à fond, on fait tout pour que tout se passe bien. Tout ça, ça n’a pas
changé avec la nouvelle patronne, on a quand même continué à faire comme
avant » (Salarié HPC).
Nous constatons qu’au sein des organisations dans lesquelles un esprit d’équipe est
prononcé, les interactions sont nombreuses et facilitées, même après l’arrivée d’un nouveau
dirigeant. Les échanges intersubjectifs habituels et réguliers offrent aux acteurs
organisationnels de se repositionner, d’établir des priorités et préférences et de se projeter plus
facilement dans un nouveau schéma d’actions organisées. Certains repreneurs soulignent,
326
dans leur témoignage, l’importance de cet état d’esprit dans la constitution d’un nouveau
groupe dans lequel ils ont pu s’intégrer :
« J’ai vu aussi qu’elles s’entraident beaucoup, s’il y en a une qui a un problème,
les autres n’hésitent pas à venir l’aider et vice versa. En même temps, c’est
normal, elles sont restées seules pendant longtemps. Moi je suis contente d’avoir
des gens comme ça, ça fait avancer tout le monde, c’est constructif (…) Je pense
que cet état d’esprit, ça nous a rapprochés, ça m’a permis de m’intégrer avec
elles. Elles savent aussi que si elles ont un problème, je suis là aussi… je leur ai
montré à plusieurs reprises » (Repreneur HPC).
La notion de partage, puis son importance dans la constitution et la cohérence du
groupe, sont également évoquées par de nombreux salariés et dirigeants. Il s’agit le plus
souvent du partage d’expériences et de connaissances :
« C’est sûr que nous, on a toujours travaillé comme ça, si on sait faire quelque
chose, si on a appris à gagner du temps en faisant telle ou telle chose, on le
communique aux autres, on le partage. On n’a pas envie de voir galérer son
collègue pour rien ! Ben, on a fait pareil pour elle, quand elle est arrivée, on lui
a tous montré comment on faisait les choses, on lui a dit ce qu’on pensait de
l’organisation, comment on devait améliorer ça ou ça » (Salarié SAG).
Ou bien encore :
« Je leur apporte des compétences supplémentaires et ces compétences, je les
mets sur la table. Moi, je veux apprendre avec eux et qu’ils apprennent avec
moi, qu’on devienne tous plus performants. Tout ça, c’est dans l’intérêt
collectif » (Repreneur FRT).
Cette vision du partage s’étend bien au-delà du simple partage de connaissances et
d’expériences et concerne la répartition de la valeur ajoutée générée par l’organisation :
« Je pense que c’est le B. A. BA., c’est important. Moi je suis quelqu’un qui est
pour le partage des profits et du capital, des expériences humaines et tout ça !
L’homme tout seul ne peut pas tout faire et on doit le garder en tête surtout dans
une petite entreprise comme la nôtre » (Repreneur SJA).
327
Lorsque les acteurs organisationnels développent une conception prononcée et analogue
du travail en équipe et/ou du partage (d’expériences, de connaissances ou de profits), ils
créent un ensemble de compréhensions partagées et de schémas d’actions facilitant le travail
d’interprétation collectif et l’action. Il s’agit là de représentations, de paradigmes, de
vocabulaires (Weick, 1995) qui sont mobilisés, puis articulés au sein du processus de
construction relevant de l’intersubjectivité pour générer du sens. De cette tension dynamique
et continue naissent des compréhensions équivalentes autour d’intérêts communs, réduisant
l’équivocité provoquée par l’arrivée du nouveau dirigeant et permettant la coordination des
comportements (Allard-Poesi, 2003). A travers l’articulation de ces deux registres de la
construction de sens, le processus de reconstruction collective de sens post-reprise s’amorce
puis se développe progressivement.
1.2.1.3.) L’importance accordée au dialogue interne et à l’écoute
Nous avons constaté que, pour de nombreux salariés et repreneurs, le dialogue et
l’écoute constituent des éléments cruciaux dans le maintien d’un climat relationnel favorable
dans l’organisation. Puissamment ancrés en tant que valeurs partagées par tous, ils autorisent
une interaction jugée plus fiable sur laquelle les individus vont pouvoir s’appuyer pour
interpréter la situation ou transformer leurs points de vue et pour s’inscrire dans un processus
de construction intersubjective (Weick, 1995). Une relation de réciprocité confiante peut alors
se développer. Le dialogue et l’écoute, en tant que normes et valeurs véhiculées par
l’organisation, semblent être solidement enracinés dans l’esprit de certains salariés :
« Nous, on fonctionne comme ça ! Si quelqu’un a quelque chose à dire, qu’il le
dise ! C’est super important, on ne veut pas qu’il y ait des malentendus, des
choses comme ça ! Du coup, quelquefois ça crie un peu, mais ça s’arrange
toujours, on trouve un terrain d’entente et c’est reparti ! » (Salarié EMB).
Le bouleversement organisationnel engendré par l’arrivée d’un nouveau dirigeant est
susceptible d’impacter fortement la culture du dialogue et de l’écoute. L’influence exercée par
le repreneur sur le processus organisant nuit alors fortement à ces valeurs :
« En fait, j’aurais aimé une concertation entre tous les employés ou un dialogue
en tête à tête au cours d’un repas ou lors d’une réunion. Avant qu’il [le
repreneur] arrive, on arrivait à se parler, bon, c’était pas le top mais c’était
déjà ça ! Y avait quand même une bonne ambiance de travail. Là, il est arrivé et
328
ça a tout cassé. Lui [le repreneur], c’est quelqu’un qui ne parle à personne et si
on lui dit quelque chose ça passe à la trappe. Du coup, chacun reste dans son
coin, c’est un peu bizarre comme ambiance. Moi, je me souviens d’autres
patrons avec lesquels j’ai été amené à travailler auparavant, ils le faisaient tous
soit de manière conviviale autour d’un bon repas, soit autour d’une table de
réunion. J’ai même eu un patron chef étoilé qui faisait comme ça. Je trouvais
que c’était super gratifiant. On s’attendait, au départ, à la même chose, on sait
dit «il est jeune » «il connaît les techniques pour gérer les hommes » mais… bon
ça c’est pas passé comme ça ! Le repreneur, c’est un jeune très ambitieux qui
veut aller très vite. Pour lui, tout ça, c’est peut-être une perte de temps. Je pense
qu’il devrait quand même calmer ses ardeurs » (Salarié LPC).
A l’inverse, l’entrée dans l’entreprise peut être une occasion pour le repreneur
d’introduire ces valeurs auprès de salariés qui n’y étaient pas habitués.
« Les premiers jours, non, c’est plus une découverte dans les deux sens de toute
façon. On ne cherche pas trop à le déranger [le repreneur]. Moi, j'ai bien vu
qu'il avait pas mal de choses à faire... Après par contre, j'ai vu qu'il était ouvert
et qu'il venait discuter avec moi, donc j'ai commencé à lui poser des questions.
Je pense qu'on a tous fait pareil puisqu'il discutait avec tout le monde. Ça, je
sais qu’il apprécie beaucoup ! Après du tout au tout, on a tous changé au sein de
l’équipe, on a posé plus de questions, on s’intéressait aux choses plus qu'on ne
le faisait avant. Avec M. [le cédant], on en arrivait à faire son boulot et à partir,
on faisait ce qu'il nous demandait de faire et on ne cherchait pas à comprendre !
Ça s'arrêtait là ! » (Salarié ICV).
Le fait de développer un climat d’écoute et de dialogue au sein de l’organisation limite
les incompréhensions entre salariés, voire les fédère comme le reconnaît le salarié suivant :
« Il [le repreneur] a réussi à fédérer les différents salariés en favorisant le
dialogue en permanence. Des petites réunions, ça prend dix minutes, mais on ne
prenait pas le temps avant. Ça créait des problèmes d'incompréhensions surtout
entre nous et le service commercial. Maintenant, c’est mieux, on comprend
mieux les besoins des uns et des autres » (Salarié FRT).
329
Certains repreneurs semblent pleinement mesurer l’importance du dialogue et de
l’écoute dans la gestion des relations humaines de l’entreprise. Dialoguer efficacement
suppose de se faire confiance, de s’exprimer sans peur, ni tabou. Dès leur prise de
fonction, ils n’hésitent pas à encourager les salariés à s’exprimer librement en toutes
circonstances, comme ils le font eux-mêmes.
« Après au niveau des salariés, on a tout de suite organisé des entretiens très
francs. Je leur ai dit directement : « on est là pour se dire les choses, ce qui va,
ce qui ne va pas, vos attentes, il n’y a pas de tabous !» Si j’ai un truc à leur dire,
je ne passerai pas par quatre chemins. Ça je leur ai répété plusieurs fois. Je
peux tout entendre mais eux aussi doivent s’attendre à avoir des remarques qui
font mal parfois. C’est comme ça qu’on peut avancer. Ils ont tous joué le jeu,
pas de tabou. Ce qui m’a fait plaisir c’est qu’ils m’ont dit ce qu’ils aimeraient
en mieux, en moins, en plus, les urgences. En fait, j’ai fait le livre des doléances.
J’étais à l’écoute, j’étais clair dès le départ, pas de tabou. Je pense qu’il n’y a
rien de pire que les tabous. C’est d’ailleurs là qu’ils m’ont confié leurs craintes,
les mauvaises relations avec l’autre salarié. C’était pour eux le gros du truc. Ils
se posaient la question je pense, s’il ne règle pas le problème, je me casse »
(Repreneur SJA).
Quant à l’écoute mise en œuvre au sein de l’organisation, elle doit se traduire, si
besoin, par des actions concrètes, observables par tous. Certains salariés nous ont confié que
c’est seulement sous cette condition qu’ils seront amenés à s’exprimer franchement et à
faire, par exemple, des propositions :
« Des différences avec l’ancien dirigeant, il y en a quelques-unes. T. [le cédant]
et sa fille étaient à l’écoute, mais il y avait pas forcément de fins. Avec I. [la
repreneure], elle est à l’écoute et il y a une finalité. C’est concret et les
discussions sont concrètes et une fois que c’est dit, c’est dit ! Ce qu’on lui dit,
c’est pris en compte, ce n’est pas à la légère. Par exemple, les filles à la librairie
lui ont dit « on y voit pas très bien ». Du coup, elle a changé l’éclairage dans la
foulée. Bon maintenant la lumière est trop forte, tout le monde a des maux de
tête terribles, mais … Il y a du plus et du neuf donc ça remet du peps dans le
magasin. En fait, c’est à son image, elle essaie de refaire le magasin à son
image. C’est une petite dame pétillante et puis… c’est ce qui ressort en tout cas
330
pour moi. On est restées, on est toutes restées sur la même longueur d’onde et
c’est plus sympa… On avance ensemble… » (Salariée HPC).
En ce qu’ils permettent d’augmenter l’éventail des données pris en considération face
à une situation équivoque, le dialogue et l’écoute sont indispensables au processus de
reconstruction collective de sens post-reprise. C’est par le biais d’échanges, de débats et de
négociations que les membres de l’organisation clarifient, partagent des perceptions et des
interprétations, et ainsi créent graduellement du sens (Allard-Poesi, 2003). Le maintien d’un
bon niveau d’échange avec un ou des partenaires facilite la construction sociale, fournit
d’autres sources d’idées et renforce l’indépendance du jugement face à une majorité (Weick,
1993). Par ailleurs, cette pratique limite la tendance naturelle des organisations à produire des
interprétations simplifiées (Roux-Dufort, 2003) et favorise la conservation d’un niveau de
divergence analytique satisfaisant, ainsi que des comportements suffisamment variés,
notamment lorsque la situation se brouille.
En interférant à la fois sur la fréquence et la qualité des interactions entre acteurs, la
culture organisationnelle exerce une influence notable sur le processus de reconstruction
collective de sens post-reprise. Nos observations empiriques montrent que la perception de
la mission de l’entreprise, la conception du travail en équipe et du partage et, pour finir,
l’importance accordée au dialogue et à l’écoute au sein de l’organisation, sont des valeurs
culturelles qui impactent directement le processus. Elles forment des cadres à partir desquels
les différents individus composant un groupe interprètent, expliquent ou favorisent certaines
actions. Nous constatons que la culture organisationnelle, en tant qu’expériences collectives
passées, constitue un prisme à travers lequel les salariés et le repreneur perçoivent
rétrospectivement la réalité. Elle donne, à tous, les moyens de gérer l’équivocité des
situations confuses par la stabilité de ces valeurs qui constituent des points de repères
mobilisables (Vandangeon-Derumez et Autissier, 2006). Cet ensemble de contenus
représentationnels, de paradigmes (Weick, 1995), est fortement sollicité par les individus,
puis articulé au processus de construction de sens relevant de l’intersubjectivité pour générer
des compréhensions équivalentes et pour coordonner les comportements. De cette tension
dynamique et continue entre constructions génériques et constructions intersubjectives
naissent des compréhensions équivalentes autour d’intérêts communs, une réduction de
l’équivocité perçue (Allard-Poesi, 2003) puis, finalement, un nouveau système d’actions
organisées. L’analyse de notre matériau empirique nous a, par ailleurs, montré que les
331
différents individus ont particulièrement recours aux variables culturelles lors des phases d’«
Enactement » et de « Selection » du processus de reconstruction collective de sens post-
reprise.
1.2.2.) Au niveau stratégique
Dans une perspective weickienne, la stratégie s’apparente à un cadre de référence
utilisé par les individus de manière à donner le sens, le but et la direction à l’organisation : «
Les gens utilisent la stratégie comme un cadre qui implique l’obtention, la production, la
synthèse, la manipulation et la diffusion d’informations de façon à donner une signification,
un but et une direction à l’organisation » 275 (Weick, 1995, p.4, à partir des travaux de
Westley, 1990, p. 337). Nos résultats laissent clairement apparaître que la variable stratégique
interagit directement avec le processus de reconstruction collective de sens post-reprise Elle
favorise l’émergence de significations équivalentes de la situation. Elle établit des préférences
et des priorités sur les projets à entreprendre, et par la même occasion s’accorde sur les
moyens à mettre en œuvre (Allard-Poesi, 2003). Une fois énoncée, elle offre une lisibilité aux
acteurs, donne un chemin à suivre et favorise l’engagement vers l’action. Ces acteurs
s’impliquent dans l’élaboration d’un nouveau système d’actions organisées avec une idée plus
précise de l’objectif fixé, du poids de leurs actions et de la rétribution qui en découle.
1.2.2.1.) Clarté et cohérence de la stratégie
Il ressort de notre revue de littérature que l’arrivée dans une TPE d’un nouveau
dirigeant est susceptible de modifier profondément son orientation stratégique. Nous avons
relevé que dans ce type d’entreprise, la stratégie est intuitive, peu formalisée et fortement liée
à la personnalité du dirigeant. Pour Julien (1990), il ne s’agit même pas réellement de
véritable stratégie (impliquant une réflexion à long terme) comme on l’entendrait au sein
d’une grande entreprise, mais plutôt de tactique (réflexion à court terme). A travers nos
observations empiriques, nous constatons que pour 7 cas sur 10 (HPC, ICV, SJA, MC, MF,
LPC, FRT), le nouveau dirigeant a modifié, dans les semaines ou mois qui suivirent son
arrivée, les orientations stratégiques du cédant pour les conformer à ses propres exigences et
volontés, comme nous le prouvent les témoignages suivants :
275
« People use strategy as a framework that involves procurement, production, synthesis, manipulation and
diffusion of information in such a way as to give meaning, purpose and direction to the organization », traduit de l’anglais par nos soins.
332
« Elle, [la cédante] ce qu’elle voulait, c’était se tirer un salaire, que les habitués
continuent à venir, et que ça tourne comme ça, avec les mêmes clients. Elle ne
voulait plus investir un sou dans la boîte, fallait voir comment c’était avant. En
même temps, je pense que c’est lié à son âge, elle voulait terminer sa carrière
tranquille. Moi, j’ai changé du tout au tout, j’ai refait entièrement l’hôtel et la
brasserie puis le restaurant. Ça m’a couté une blinde mais bon, ça a dynamisé le
truc. J’ai ciblé une clientèle plus jeune et une clientèle professionnelle, j’ai
refait complètement la carte et le résultat, c’est que ça marche ! » (Repreneur
LPC).
Ou bien encore :
« Voila, au niveau de notre activité, c’est plus tout à fait pareil. On a augmenté le
périmètre géographique à l’international, on fait plus que de la distribution de
produits, on en fabrique maintenant. On réalise en interne les produits les plus
simples. Je pense qu’il y a aussi une chose que j’ai faite, j’ai vachement recentré
la stratégie de la boîte. On était sur trop de marchés, sur différents produits et
c’était un casse-tête à gérer. J’ai vraiment tout recentré sur quelques gros
marchés » (Repreneur FRT).
D’autres repreneurs (EMB, PP, SAG), à l’inverse, choisissent de s’inscrire dans une
continuité, sans vouloir apporter de véritables modifications à l’existant dans la mesure où
l’entreprise fonctionne bien. Le témoignage du repreneur PP est tout à fait représentatif :
« Non, non, je n’ai pas cherché à tout révolutionner en arrivant. Disons que
l’entreprise tournait bien avant que j’arrive… les salariées savent ce qu’elles ont
à faire, il faut servir le client, garder le magasin propre, avoir un peu de stock et
ne pas avoir trop de ruptures… qu’il revienne parce qu’il est content du service.
Donc y a rien de plus à faire si ce n’est continuer à faire bien son travail. Et ça je
sais qu’elles le faisaient déjà ! » (Repreneur PP).
Que le repreneur décide ou non de modifier la stratégie poursuivie par l’organisation, il
semble indispensable qu’elle apparaisse clairement aux yeux des salariés. Exposée
simplement, elle stimule et facilite le travail d’interprétation et l’effort d’interaction desquels
découle la construction collective du sens. Nous relevons que le discours stratégique procure
une lisibilité aux acteurs organisationnels au moment où la situation paraît confuse. Les
333
échanges intersubjectifs qui se mettent en place, notamment entre repreneur et salariés,
clarifient les intentions de tous et font ressortir la manière d’agir la mieux adaptée à la
situation, conformément aux buts et intérêts personnels. Les moyens utilisés pour exposer,
puis diffuser la stratégie au sein de l’organisation sont peu variés d’une TPE à l’autre. Parmi
toutes les entreprises étudiées, l’usage de réunions animées par le repreneur, et l’entretien
informel en face à face sont les solutions les plus fréquemment retenues. Lorsqu’elle est
communiquée et qu’elle paraît cohérente aux yeux des salariés, la stratégie poursuivie par le
repreneur rassure, dans certains cas, et accentue la participation des salariés dans l’action
comme deux d’entre eux nous l’ont confié :
« D’accord quand ça... on voit que les choses sont bien maîtrisées, que ce qui va
être mis en place va dans le bon sens, ça donne de l'énergie. Ça donne envie de
participer. Par exemple, là il a le projet de faire construire un nouveau siège
social avec de vrais bureaux d’études et une plus grande surface de travail. Il
prévoit de faire grandir la boîte sans nous mettre en danger. On le sent quand
quelque chose tient la route et que ce n'est pas de l'approximatif. Quand on sait ce
que l'on fait et où on va, c'est quand même plus rassurant pour tout le monde »
(Salarié FRT).
Ou bien encore :
« Le but de D. [la repreneure], c’est de développer le chiffre d’affaires, de
rentrer dans ses frais. Elle veut pérenniser la situation du magasin… Elle
souhaite aussi développer la clientèle professionnelle. Elle nous l’a annoncé dès
le départ, d’ailleurs le fait que Pierre [nouveau commercial] soit là confirme son
choix. Pour nous, ça paraissait évident, on n’avait pas mal de clients pros qui
venaient en magasin et on ne les servait pas comme il aurait fallu. Chacun
s’occupait du client qui arrivait, il n’y avait pas d’organisation là-dessus.
Maintenant, nous on ne s’en occupe plus, on peut s’investir plus dans nos rayons.
On est moins frustrés et plus efficaces » (Salarié HPC).
A l’inverse, s’il apparaît trop ambitieux, incohérent, voire irréaliste, l’objectif
stratégique renforce les sentiments d’ambiguïté et d’incertitude. Si, aux yeux des salariés, la
stratégie poursuivie par le repreneur paraît mettre en péril le devenir de l’organisation, la
participation au système d’action collectif s’en trouve menacée.
334
« Son plan [du repreneur], c’était de faire comme dans son autre restaurant,
mais c’est pas possible, on n’est pas dans la même configuration. Là-bas, ils
sont en centre ville avec du passage et beaucoup de jeunes. Même si on est à
côté de la gare, on a une clientèle d’habitués qui commandent tout le temps de
la restauration traditionnelle. Y a des salariés, surtout les plus qualifiés, qui sont
partis à cause de ça, ils ne voulaient pas travailler dans un Mac Do bis, avec
des produits congelés et une pression sans arrêt sur le dos » (Salarié LPC).
Certains repreneurs en ont pleinement conscience et adaptent leurs discours en
conséquence :
« Oui alors après ça rassure il ne faut pas qu'il y en ait trop non plus. Par ce
que d'avoir des ambitions c'est très bien, il en faut pour avancer, par contre si y
en a trop et que ça devient délirant, ça peut faire peur ! On ne peut pas dire,
attention, on va passer du jour au lendemain de cinq personnes à cinquante
personnes et puis vouloir mettre en place beaucoup de choses du jour au
lendemain. Ça deviendrait trop compliqué. Donc c'est vrai, ça peut être aussi un
élément perturbateur. Dans un cas comme ça, ils risquent de dire, oh là là, avec
tous ces investissements on va couler la boutique, pour parler comme mes
collègues » (Repreneur FRT).
L’organisation doit être en mesure de fournir des plans stratégiques qui apparaissent
clairs et cohérents aux yeux de tous ses membres. Lorsque l’équivocité et la confusion sont à
un niveau élevé, que le changement de dirigeant interrompt des modèles soigneusement
répétés d’actions (Maitlis et Sonenshein, 2010), la stratégie donne des indices aux différents
membres de l’organisation sur ce qu’ils auront à faire et sur la place qu’ils auront à tenir à
l’avenir. Le plan stratégique est un moyen de générer de l’action, de stimuler le travail
interprétatif et de favoriser l’apprentissage (Koenig, 2003). Les efforts de compréhension qui
s’en suivent augmentent le sens, ainsi que la tendance à mettre la structure en cohérence avec
une signification affinée (Weick, 1993). Nous avons pu observer qu’une fois formulée, la
stratégie participe au processus de redéfinition de l’environnement engagé par tous les acteurs
organisationnels, qu’ils soient salariés ou repreneurs. L’analyse des différents cas nous a par
ailleurs, confirmé le lien étroit entre dirigeant de TPE et mise en œuvre stratégique. Dans une
organisation entrepreneuriale (Mintzberg, 1989) de ce type, compte tenu du peu de
formalisme et de la faible présence de managers intermédiaires, le repreneur en tant que
335
nouvel acteur essentiel (Marchesnay, 1991), est souvent le seul à savoir ce qu’il prévoit pour
l’entreprise dans les semaines, mois ou années à venir. Pour assurer un minimum de lisibilité
aux salariés, dissiper un peu l’équivocité produite par son arrivée, il doit personnellement
communiquer ses orientations stratégiques et les expliquer clairement. Il doit, en outre, en
l’absence de véritable contre-pouvoir, ne pas se laisser emporter dans ses projets, par un
enthousiasme excessif qui déstabiliserait un peu plus les salariés et serait finalement néfaste à
la construction intersubjective.
1.2.2.2.) Information sur les ressources et moyens mis à disposition
La littérature sur le sensemaking explique la participation des individus au groupe non
pas parce qu’ils ont des besoins, des valeurs ou des objectifs communs, mais parce que
« chacun croit qu’il peut tirer un bénéfice de l’autre, et a une vision similaire de celle des
autres membres des moyens pour y parvenir » (Allard-Poesi, 2003, p. 96). Développer puis
maintenir un système d’action collectif nécessite pour l’organisation en plein changement de
clarifier les ressources mises à disposition des individus afin qu’ils puissent se projeter
personnellement dans l’action, puis se coordonner aux autres dans le but de satisfaire leurs
intérêts personnels. L’analyse des entretiens révèle une vigilance importante des salariés en ce
qui concerne les ressources et moyens mis en œuvre par l’organisation durant la période
d’entrée en fonction du repreneur. L’adoption d’une telle attitude vise à atténuer l’état de
confusion dans lequel chaque salarié se trouve et à peaufiner sa propre interprétation du
changement. Le prélèvement d’indices sur les nouvelles ressources mises à disposition permet
à chacun de dégager des configurations signifiantes, de construire sa propre zone de sens. Ces
éléments à l’esprit, le salarié se lance dans l’action avec davantage de certitudes comme nous
le montrent les propos suivants :
« Moi, j’ai mieux compris ce qu’elle voulait faire pour le magasin quand elle
nous a dit qu’elle allait embaucher Pierre pour s’occuper du démarchage, de la
gestion des gros clients. Je trouvais que c’était pas mal, moi ça me déchargeait
un peu de ces commandes là. (…) Là, j’ai plus le temps de m’occuper de mes
clients en magasin. C’est que du bonheur de ne pas perdre du temps avec des
commandes, ou des moutons à cinq pattes que des clients professionnels
souhaitent avoir » (Salarié HPC).
Ou bien encore :
336
« Il nous a dit qu'il avait investi tout son argent, qu’il avait vendu sa maison…
qu'il pensait que le magasin en valait la peine (…) Il a quand même mis pas mal
d’argent dans l’affaire ! C’était pas comme ça avant ! Dès qu’il est arrivé, il a
changé des gondoles, il a mis de nouveaux meubles fruits et légumes, il a changé
les éclairages… A mon avis, ça, il fallait le faire y a longtemps. (…) Moi, par
exemple, dans mon rayon, je m’y retrouve mieux question organisation et
question chiffre. Les clients quand ils viennent, c’est plus présentable, c’est
mieux vendeur, du coup je fais plus de ventes. Tout le monde y gagne au final »
(Salarié ICV).
Beaucoup interprètent la mise à disposition de nouvelles ressources comme des
indices, des stimuli de l’environnement (Baumard, 1999) favorables à la compréhension et à
la prédiction des comportements, particulièrement du repreneur. Intégrés aux cadres de
référence des individus, ils permettent de « comprendre, absorber, expliquer, attribuer,
imaginer et prédire » (Starbuck et Milliken, 1988). Les ressources en question sont très
variées. Elles concernent l’apport de nouveaux moyens financiers, l’emploi de personnel
supplémentaire, la mise en place d’une formation, l’achat de nouveaux matériels … Elles sont
également liées aux compétences du repreneur lui-même, comme le reconnaît ce dirigeant :
« Oui, pendant cette période, je leur ai beaucoup parlé du projet que je voulais
porter pour la société et ce que je voulais faire et tout ça, je pense qu’ils ont tout
de suite compris. Ils ont tout de suite vu l’intérêt aussi parce que moi, mon
projet dans la société, c’est d’accélérer, d’étendre son développement
notamment à l’étranger puisque j’ai un parcours assez marqué à l’international,
ce que n’avait pas l’ancien cédant. Et c’est une des raisons pour lesquelles on
s’est rencontrés sur la vente. Il [le cédant] m’a vendu la société pour cette
raison notamment. Donc, voilà, tous les gens qui avaient de l’historique et qui
connaissent bien la boîte, ont vu qu’il y avait quelque chose de bien à faire avec
ces nouvelles compétences, que j’apportais un vrai plus à l’entreprise, et voilà,
je pense qu’ils ont adhéré au projet assez rapidement » (Repreneur FRT).
Ou bien encore ce salarié :
« Lui, c’est un gestionnaire, il a l’habitude de manipuler les chiffres, de
travailler avec des tableaux de bord. Nous, il nous a dit qu’il fallait s’y mettre et
337
il nous a montré comment fallait faire. Parce que c’est vrai qu’avec les
nouveaux moyens informatiques d’aujourd’hui, la gestion, elle se fait tout au
code barre. On ne peut plus gérer un magasin comme on faisait avant ! Du
coup, maintenant, on fait plus d’analyse, on fait plus de gestion sur ordinateur.
Les commandes, on analyse plus les chiffres, ce qui a marché, ce qui n’a pas
marché... pourquoi ça n’a pas marché. On essaie de plus anticiper les choses
aussi, surtout les commandes (…) Au début, c’est vrai, c’est difficile mais au
final, on s’y retrouve largement. On s’organise mieux, on perd moins de temps
par exemple pour étiqueter les prix ou pour passer les commandes » (Salarié
ICV).
Les repreneurs confrontés, eux aussi, à la nouveauté et à la complexité de l’entrée en
fonction, éprouvent généralement le besoin de construire un espace de sens pour y inscrire
leurs comportements et leurs actions (Vidaillet, 2003). La formulation de plans stratégiques
s’appuyant sur l’apport de ressources nouvelles constitue non seulement un moyen d’attirer
l’attention des salariés sur le devenir de l’organisation, mais également, en parallèle, pour
les repreneurs de mieux se représenter l’entreprise. En proposant de nouveaux moyens qui
seront perçus comme des configurations signifiantes, en émettant des jugements (Laroche,
2006276), les repreneurs encouragent et orientent le travail d’interprétation de tous, y compris
d’eux-mêmes. Les interactions qui s’en suivent permettent de construire progressivement
des significations partagées et une action coordonnée.
« J’ai bien vu leurs réactions quand je leur ai dit que j’allais mettre en place un
outil informatique pour gérer le magasin. Ça les a un peu perturbés et ils sont
venus me voir, ils étaient paniqués ! Bon, sur le principe, j’ai vu qu’ils étaient
d’accord, donc ça m’a quand même un peu rassuré. A partir de là, en fait, je me
suis dit « faut pas trop les brusquer », que même si il y a quelques jeunes dans
l’entreprise, faut y aller doucement » (Repreneur ICV).
Les nouveaux moyens proposés concernent également l’organisation du travail, avec,
par exemple, le projet d’accorder plus d’autonomie ou de responsabilités à chacun. Dans le
276
Selon cet auteur, les jugements sont « des ponctuations de l’action managériale, produites par les managers
pour solder le passé, construire une définition acceptable (plausible) de la situation, et se doter des éléments qui
leur permettront de s’engager activement dans l’action. En cela, le jugement participe bien du processus de
« promulgation » (enactment) » (Laroche, 2006, p. 105).
338
cas suivant, le repreneur prend conscience du caractère inapproprié du management souhaité
et modifie son plan d’action après avoir observé les réactions des salariés :
« Tout de suite après mon arrivée, je leur ai dit un truc qui les a complètement
déstabilisés. Je leur ai dit que je leur laisserai de l’autonomie. Et j’ai un peu
commencé à le faire. Ça, c’est un acte de management qui les a tellement
déstabilisés … que certains sont quand même venus me voir pour en parler au
bureau. Donc, là, j’ai quand même mis le pied sur le frein (…) Franchement, je
pensais pas que ça leur serait aussi difficile de travailler comme ça ! »
(Repreneur SJA).
En procurant de nouvelles ressources et moyens aux individus, en communiquant
dessus, l’organisation fournit des points de référence, des signes tangibles et concrets qui
seront analysés et interprétés. Les différentes compréhensions conduiront non pas à un accord
sur le sens à attribuer aux choses, mais sur le comportement à adopter face à cette réalité
(Allard-Poesi, 2003). C’est à partir de points d’accord temporaires, négociés durant
l’interaction qu’un consensus impliquant salariés et repreneur se forme sur les actions à
mettre en place. En permettant à chaque acteur organisationnel d’établir des priorités et
préférences quant aux actions à entreprendre, de se situer et situer son action dans un système
d’actions coordonnées, l’organisation, lieu de construction stratégique, participe activement à
la reconstruction collective de sens post-reprise.
1.2.2.3.) Information sur les contributions et gains attendus
La période d’entrée dans l’entreprise du repreneur est très équivoque. Les différents
acteurs ne sachant pas vraiment quelles questions se poser ni même quelles sont les réponses
à attendre, il convient d’enrichir l’information afin de créer du sens (Garreau, 2006). L’apport
d’éléments nouveaux conduit les individus à s’interroger, puis à multiplier les interactions,
afin d’obtenir un niveau de compréhension suffisant pour s’engager pleinement dans l’action.
Nous relevons que le fait de communiquer sur les contributions attendues et sur les
perspectives de gains futurs, fournit des indices probants aux salariés, facilite le travail
d’interprétation et stimule l’action. La littérature nous apprend qu’un individu ne s’engage
dans l’élaboration d’un système d’actions organisées que s’il pense que sa participation va lui
permettre de satisfaire ses intérêts individuels (Allard-Poesi, 2003). L’analyse des entretiens
fait ressortir que la totalité des salariés interrogés sont très attentifs au maintien et à
l’évolution de leurs conditions personnelles de travail. Lorsqu’il s’agit de s’engager dans un
339
processus organisant en train de se redéfinir, leur attention se focalise sur les nouvelles
conditions de travail proposées (horaires, rémunérations et primes, autonomie, sécurité au
travail) et sur le rôle qu’ils auront à jouer au sein de la nouvelle structure (nouvelle répartition
des tâches, stabilité de leur emploi, perspectives d’évolution de carrière et de formation). Les
témoignages suivants sont assez explicites :
« Voilà ce qui les a tracassés… ils ont deux primes au mois de juin et au mois de
décembre, est-ce que les primes allaient être les mêmes ? Est-ce que pour les
horaires et les congés ça allait être la même chose ? Les principales questions,
elles étaient là ! » (Repreneur HPC).
Ou bien encore :
«Après, moi j'avais des questions qui étaient beaucoup plus par rapport à moi,
Ben, quand j’ai vu le personnage, comme elle [la repreneuse] commençait à
gérer le truc, j’ai compris qu’elle allait refaire l’organisation de l’entreprise,
surtout au niveau des cabines, j’avais peur de ne plus avoir les mêmes missions
et de perdre ma façon de travailler avec les clientes. Moi, je les gère un peu
comme je veux, et ça a toujours bien fonctionné comme ça. Je voulais vraiment
savoir comment ça allait se passer à ce niveau là !(…) Après plus tard, elle m’a
confirmé dans le poste et, en plus, elle m’a même demandé de suivre des
formations. Si elle avait décidé de bousculer tout ça et de ne plus me faire faire
de cabine, je pense que je ne serais pas restée » (Salariée EMB).
De nombreux salariés expriment le besoin d’obtenir des informations claires sur ce qui
est attendu d’eux pour la suite des opérations, de connaître quelles peuvent être leurs
contributions à l’action collective, comme l’explique le salarié suivant :
« En fait, c’est super inquiétant quand il arrive [le repreneur] et qu’il dit : la
carte va changer, qu’on ne s’organisera plus comme avant, que le traditionnel
ça ne paye plus. Ben… moi clairement, je me suis posé des questions et je me les
pose toujours d’ailleurs, savoir si j’avais encore ma place ici et ce qu’il
attendait de moi au final. Parce qu’à la limite, pour faire ce qu’il veut faire, il
n’a pas besoin d’un vrai chef cuistot. Le surgelé, la cuisine rapide, tout ça, il n’y
a pas besoin de vrai savoir-faire » (Salarié LPC).
340
En apportant des informations claires, en donnant la possibilité aux salariés de se
projeter dans un environnement où ils sauront approximativement ce qui est attendu d’eux et
quel peut être leur intérêt personnel à participer à l’action collective, l’organisation facilite le
travail d’interprétation et permet l’émergence d’une compréhension plausible et quelquefois «
satisfaisante » de la situation. Les échanges qui s’en suivent modifient les schémas mentaux
des individus par une convergence des interprétations favorable à la cohésion de groupe
(Garreau, 2006) et à la coordination des actions. Certains repreneurs semblent avoir pris
conscience de l’importance de répondre à ces attentes et n’hésitent pas, par exemple, à
communiquer sur de nouveaux avantages procurés par un nouvel engagement dans le groupe.
« Je suis rentré en Juillet – Août, donc les vacances étaient finies... donc y avait
pas trop de soucis de ce côté-là. Après, ils se sont posés des questions sur les
horaires. Parce que je les ai un peu changés. Il n’y a pas eu de grands
changements, c’était même à leur avantage. Moi, je leur ai tout de suite dit que
je faisais tout pour qu’ils ne soient pas perdants, au contraire. Parce qu'il y en
a qui travaillaient tous les dimanches, donc on a fait un dimanche sur deux, les
changements étaient positifs pour eux. Ils avaient 15 jours de vacances en
Juillet-Août, moi je leur donne 3 semaines, et j’ai pris un peu de mon temps pour
que ça passe. Ils avaient des horaires un peu bizarres, je me suis impliqué pour
mieux gérer le truc, pour pas qu’ils aient trop de coupures. Ils étaient gagnants
au final, 3 semaines de vacances au lieu de 15 jours, un dimanche sur deux, 1
week-end sur 2, c'est-à-dire ils ne travaillent pas le samedi après-midi et le
dimanche » (Repreneur ICV).
Communiquer sur les contributions et gains à attendre à collaborer au système d’action
collectif enrichit l’information et réduit le nombre d’interprétations possibles. La
connaissance de ces éléments permet aux individus de se lancer dans un travail d’appréciation
visant à redéfinir leur intérêt personnel à participer au processus organisant (Weick, 1979).
L’interaction avec autrui permet d’obtenir des confirmations, des compréhensions partagées et
d’établir des priorités et préférences.
Le fort niveau d’équivocité associé à la période de management post-reprise pousse les
salariés et le repreneur à redéfinir leur environnement d’action. A ce stade du processus de
reprise, les individus ont besoin d’informations claires et cohérentes pour choisir une
interprétation particulière parmi celles dont ils disposent, afin de donner du sens à la
341
situation. Ils ont également besoin de connaître les moyens mis ou qui seront mis à
disposition pour réaliser leurs propres objectifs. Pour finir, ils ont besoin qu’on leur apporte
des informations sur les gains personnels qu’ils pourront attendre en s’inscrivant dans le
système d’actions organisées en pleine reformation. Nous avons observé que, dans pareille
situation, la stratégie organisationnelle s’avère essentielle. Elle apporte une lisibilité sur les
modes d’actions, mais également sur la contribution des acteurs qui participent au système
d’action collectif (Autissier, 2008). Nos analyses sur le terrain ont montré que la stratégie de
l’entreprise a été mobilisée par la majorité des acteurs (salariés et repreneurs) en tant que
cadre de référence, ce qui implique la collecte, la production, la synthèse, la manipulation et
la diffusion de l’information de façon à donner de la signification et de la direction à
l’organisation (Westley, 1990). Elle encourage et influence l’engagement vers l’action et la
construction d’un sens rétrospectif (Koenig, 2003).
1.2.3.) Au niveau structurel
L’analyse des entretiens réalisés auprès des 10 TPE fait apparaître différents facteurs
liés à la structure organisationnelle ayant une influence directe sur le processus de
reconstruction collective de sens engagé par les individus. Nos conclusions rejoignent ici
celles des théoriciens de la structuration (Giddens, 1984 ; Polle, Seibold et McPhee, 1985,
cités par Weick, 1993) et du sensemaking (Weick, 1979 ; Gioia et Chittipeddi, 1991) pour qui
structure formelle et significations s’influencent mutuellement à travers des boucles de
rétroactions positives. Nous avons constaté que la répartition des rôles et des responsabilités,
la force des liens hiérarchiques et le degré de centralisation des décisions ainsi que la
pertinence des outils organisationnels mis en œuvre, influent considérablement sur le
déroulement du processus. En retour, l’engagement dans un travail d’interprétation et les
interactions qui s’en suivent modifient la structure (Weick, 1988277; Maitlis et Christianson,
2014).
1.2.3.1.) Répartition des rôles et des responsabilités
Dans la littérature entrepreneuriale, il est communément admis qu’au sein des
systèmes de taille modeste comme celui caractérisant la TPE, le besoin de coordination est
essentiel. Le faible niveau de spécialisation des tâches, la simplicité du système d’information
(Torres, 2007), ainsi que la polyvalence des employés (Julien, 1990) rendent cette pratique
277
Pour l’auteur : « Les individus qui agissent au sein des organisations produisent souvent des structures, des
contraintes et des opportunités qui n’existaient pas avant que les mesures soient prises » (Weick, 1988, p. 306 ; traduit par nous-même).
342
indispensable à la poursuite de l’activité. S’intéressant prioritairement, da ns ses travaux, aux
organisations de petites tailles, Weick n’a cessé de souligner l’importance du système de rôles
dans le processus de structuration de ce type d’organisation. Pour l’auteur, ce dernier joue un
rôle capital dans la mesure où il maintient une action organisée et coordonnée entre les
individus au sein de l’organisation (Weick, 1993). Lorsqu’une situation fortement équivoque
se produit, il procure aux individus un cadre de référence leur permettant de continuer à
mener leurs actions. Ce cadre donne corps aux manières de penser dominantes et épargne
beaucoup d’efforts d’interprétation (Koenig, 2003). Le changement de dirigeant au sein de la
TPE, en ce qu’il perturbe la répartition des tâches, des responsabilités et de l’autorité, est
susceptible d’altérer, voire de détruire le système de rôles (Autissier, Vandangeon-Derumez et
Vas, 2010). Pour Lüscher et Lewis (2008), lorsqu’il advient un changement dans la structure
organisationnelle, les rôles et responsabilités de chacun engendrent des paradoxes et des
contradictions, ce qui déclenche une activité de sensemaking sur la définition de leur emploi
et la manière de l’occuper.
Il ressort très clairement de nos entretiens que l’arrivée dans l’entreprise du repreneur
et les actions qui s’en suivent, sont de nature à modifier la structure des rôles établis jusqu’ici.
Dans la majorité des entreprises étudiées, cette structure a été redéfinie avec plus ou moins
d’importance. En plus de la modification « naturelle » liée au départ du cédant, pièce
maîtresse de l’organisation, le repreneur tient généralement à repréciser ou apporter des
changements au niveau des cadres d’intervention et des responsabilités de chacun, y compris
de lui-même. Il s’agit alors d’une simple formalisation et d’un léger « réajustement » de
manière à clarifier l’organisation du travail, comme l’illustrent les propos suivants :
« J’ai très vite eu l’impression que c’était brouillon, du coup j’ai mis de l’ordre
dans tout ça. J’ai mis un responsable par pôle. Ils faisaient déjà « office de »
mais ça n’avait jamais été dit officiellement. J’ai fait un organigramme ou
chacun voyait où était sa place et ce qu’il avait à faire. Les employés de la
caisse ont été placés sous l’autorité de la responsable papeterie. Et moi, je leur
ai dit que je continuerai à m’occuper de tout ce qui était administratif comme
l’ancien dirigeant, mais que je descendrai aider en renfort celui qui en aurait
besoin» (Repreneur HPC).
Ou bien encore :
343
« Elle [la repreneure] a mis en place ces changements dès le départ. Par contre,
c'est très carré, elle aime les choses bien organisées, autant avec C. [la cédante],
c’était un peu le bazar, alors qu'avec C. [la repreneure], non, c'est très carré.
C'est-à-dire qu'il faut faire telle chose et ne pas faire telle chose, elle tient à ce
que chaque fille ait son travail...et...euh...comment dire?....alors. Quand c'était C.
[la cédante], comme elle était tout le temps absente, elle nous laissait libre de
nous organiser comme on voulait en fait, c'est-à-dire que chaque fille faisait son
travail mais un peu à sa manière. Quand C. [la repreneure] est arrivée, au
contraire, c'était toi tu fais ça, toi tu fais ça ! Enfin, chaque fille a une catégorie
de choses à faire et pas d'autres, chacune s’occupe de son travail et sais ce
qu’elle a à faire, voilà des règles et un cadre plus précis… C’est plus droit, plus
carré ! ». (Salariée EMB).
De telles pratiques semblent d’ailleurs appréciées par les salariés, comme le laisse
entendre l’extrait suivant :
« Suite à son arrivée, elle [la repreneure] a vraiment clarifié le rôle de chacun.
Je pense que c’était normal. Ça, j’accepte bien volontiers puisqu’avant on avait
peut-être même un peu trop de liberté. Là, c’est normal qu’elle soit un peu au
courant de ce qu’on fait, comment et pourquoi on le fait. Même pour nous, c’est
plus simple. Au jour le jour, il y a moins de problèmes, il y a moins de
malentendus entre nous sur des choses à faire ». (Salarié HPC).
Ou bien :
« Il y a une personne qui avait trop tendance à se reposer sur les autres. Par
exemple, à chaque fois qu’on prenait sa suite en boutique, les produits n’étaient
pas finis de ranger dans les meubles vitrines et c’est nous qui finissions son
travail. Y a des semaines, c’était à chaque fois ! Ben là, il [le repreneur] lui a
bien dit qu’à la fin de son service, tout devait être nickel et que les autres
n’avaient pas à faire son boulot. Ben, pour nous, c’est devenu beaucoup mieux,
on n’a plus à faire son travail en plus du notre ! » (Salarié MF).
Les changements apportés peuvent également être beaucoup plus importants. Il s’agit
alors de redéfinir, en profondeur, les rôles et les responsabilités de chacun, comme nous le
montrent les témoignages suivants :
344
« Il [le repreneur] a changé mon statut oui, je suis chef d’équipe maintenant et
je gère les gros contrats. Vis-à-vis du personnel, il a réorganisé la boîte, on
avait une personne un peu difficile dont on s'est séparé, et du coup, après on a
pu restructurer la boîte. (…) Il a embauché aussi un autre chef d'équipe. Moi je
me consacre à mon vrai travail et je supervise directement les gars. Il a aussi
donné à T [un salarié] la responsabilité de s’occuper des 3 apprentis, vu que
c’est le plus ancien dans la boîte, c’est lui qui est responsable de la formation
des jeunes qui arrivent » (Salarié SJA).
Ou bien encore :
« Non, je me suis séparé d’une personne effectivement et là j’ai pris une décision
intéressante, je pense. C’était un commercial sur la région parisienne à
destination du nord de la France, il habitait à Paris, je l’ai remplacé par une
personne qui est basée ici, mais qui s’occupe du nord de la France. Donc j’ai un
peu changé l’approche, c'est-à-dire plutôt que d’avoir quelqu’un séparé de
l’équipe, mais en local sur Paris, j’ai pris quelqu’un qui faisait vraiment partie
de l’équipe, qui travaillait avant, tous les jours dans les locaux. Je lui ai donné
le poste, donc c’est vrai, il fait plus de déplacements et voit peut-être moins de
clients, mais au moins il fait partie de l’équipe et il sait de quoi il parle »
(Repreneur FRT).
Le changement de rôle concerne également le dirigeant lui-même, comme on le
constate dans l’extrait suivant :
«Moi, je leur ai dit que je ne ferai pas comme l’ancien patron, d’aller sur les
chantiers pour voir ce qu’ils faisaient. Je suis le patron et je suis un commercial,
pas un gars du terrain, donc, faut qu’ils se prennent en mains. Il faut que chacun
fasse son boulot et assume ses responsabilités. Si moi, je passe mon temps à
regarder ce que font les uns et les autres, je ne m’occupe pas à faire mon boulot
et le chiffre ne va pas rentrer. Ils sont grands, ils savent ce qu’ils ont à faire ! »
(Repreneur SJA).
Dans tous les cas, en mettant l’accent sur le système de rôles, que ce soit en le
reprécisant simplement, en le toilettant, ou en le modifiant en profondeur, l’organisation, à
travers l’action du repreneur, attire l’attention des salariés sur leur nouvel environnement. Elle
345
contraint tous ses membres à être attentifs puis à converser. La dynamique d’échanges, de
débats et de négociation ainsi enclenchée, permet à tous de clarifier, de partager des
perceptions et des interprétations et, ainsi, de construire graduellement du sens (Allard-Poesi,
2003). Le cadre formel (ou « structural frameworks of contraints » dirait Weick) confirmé ou
modifié fournit, par ailleurs, à tous les acteurs organisationnels, y compris le repreneur lui-
même, une grille de lecture sur laquelle s’appuyer pour conduire et coordonner
rationnellement leurs actions (Maitlis, 2005 ; Barry et Meisiek, 2010). Il donne corps aux
manières de penser dominantes et épargne beaucoup d’efforts d’interprétation (Koenig, 2003).
1.2.3.2.) Liens hiérarchiques et centralisation de la décision
Le point précédent a montré l’importance du système de rôles dans la régénérescence
et le maintien d’une action coordonnée entre acteurs lors de l’entrée en fonction du repreneur.
Nos observations empiriques invitent toutefois à la prudence quant à l’établissement d’une
structure de rôles trop bien établie, mettant trop l’accent sur l’importance des liens
hiérarchiques, et où les relations entre individus sont fortement altérées par les rapports à
l’autorité et au pouvoir. Nous rejoignons ici les conclusions de Laroche et Steyer (2012) pour
qui un système de rôles trop marqué, accordant une valeur trop élevée aux décisions et aux
actions de l’un des membres de l’organisation, pouvait être nuisible à l’instauration d’un
climat favorable à la communication et à l’échange. Le processus de reconstruction collectif
de sens s’en trouve impacté. Nous avons effectivement pu relever à travers les différentes
entreprises étudiées que la force des liens hiérarchiques et le degré de centralisation des
décisions avaient une incidence directe sur la participation (ou non) de tous les membres de
l’organisation au processus de construction de sens. Ainsi, lorsque les salariés ont le
sentiment de pouvoir participer réellement à l’échange, d’être écoutés dans leurs propositions,
d’être considérés « d’égal à égal », ils n’hésitent pas à faire part de leurs observations et
interagissent sans aucune crainte ni difficulté, comme ils le reconnaissent ci-dessous :
« Je pense que c'est [le repreneur] quelqu’un de simple qui ne se prend pas la
tête, puis il se met à notre niveau, il ne nous prend pas de haut et il est à
l'écoute. C’est quelqu’un de super abordable, si on a des choses à lui dire, du
coup, ben on y va. Il nous a jamais dit, « votre idée, ça ne vaut rien », au
contraire ! » (Salarié PP).
« Bon c’est sûr, quand il faut prendre une décision, elle [la repreneuse] la
prend ! S’il faut sanctionner quelqu’un, ben… elle le fera. Mais elle nous a bien
346
expliqué aussi qu’on était sur le même bateau, qu’on bossait toutes pour le
magasin, qu’elle n’était pas là pour nous fliquer. Que celles qui avaient des
choses qui n’allaient pas, ben… qu’elles avaient qu’à aller la voir et que si
c’était justifié, elle s’en occuperait. Elle, elle ne sait pas tout, elle est aussi là
pour apprendre avec nous, donc, si on a des conseils, elle est preneuse. Ben…
du coup, c’est ce qu’on fait… enfin, moi en tout cas » (Salariée EMB).
Inversement, si l’organisation donne l’impression à ses membres que toutes les
décisions importantes sont du ressort du seul et unique dirigeant, que lui seul, en tant que
véritable expert (Barton et Sutcliffe, 2009) est en mesure de connaître les tenants et les
aboutissants de chaque situation, les interactions entre acteurs risquent d’être amoindries, de
moins bonne qualité, voire interrompues, comme l’expriment les salariés suivants :
« Avec T. [le cédant], c’était différent, il était impressionnant. C’est un homme
d’affaires qui a plusieurs grosses entreprises dans plusieurs régions, quand il
parle, il en impose, même de par sa stature, donc on hésitait à le
contredire ! (…) Donc, même si il y a des choses qui n’allaient pas, il n’était pas
forcément au courant » (Salarié HPC).
« Moi, je ne cherche même plus à lui [repreneur] dire quoi que ce soit, il pense
qu’on est juste des cuisiniers et que c’est pas notre affaire la manière de gérer
une boîte. Pour lui, il n’y a que lui qui sait faire les choses, ses autres affaires
marchent bien alors que nous, on n’a jamais créé de boîte, on est de petits
employés, c’est tout ! » (Salarié LPC).
Reconstruire collectivement du sens lorsque la situation est équivoque nécessite de
pouvoir échanger librement sur les interprétations à donner à l’environnement. Une
communication franche, simple, où tous les acteurs, même ceux n’ayant pas un rôle
hiérarchique majeur dans l’entreprise, ont le sentiment d’avoir leur mot à dire, vient enrichir
le processus. Elle permet d’accroître la variété des cadres mobilisés (Laroche et Steyer, 2012)
ainsi que la richesse des interprétations produites à mesure que le nombre d’individus invités
à s’exprimer s’étend. A l’inverse, une hiérarchie trop prégnante, appuyée par une trop grande
centralisation du pouvoir décisionnaire, comme c’est fréquemment le cas au sein des TPE
(Julien, 1990 ; Marchesnay, 1991 ; Torres, 2007), nuit à l’interaction respectueuse (Weick,
1993) et, par conséquent, à la construction intersubjective.
347
1.2.3.3.) L’utilisation d’outils de gestion et de communication
Parce qu’ils permettent la détection d’indices déterminants et l’interaction entre
acteurs, les instruments de gestion et de communication influent considérablement sur le
processus de reconstruction collective de sens post-reprise. Nous avons pu observer que
plusieurs repreneurs y ont eu recours dès leur entrée en fonction dans l’entreprise. Les
nouveaux dirigeants se sont appuyés sur des supports variés pour interagir avec les salariés.
Cela leur a permis de diffuser des significations et, parallèlement, d’interpréter leur nouvel
environnement.
1.2.3.3.1.) Les instruments de gestion pour construire et diffuser du sens
Les instruments de gestion semblent occuper une place importante au sein du
processus organisant en pleine reformation. Dans les TPE où ils sont introduits ou modifiés,
ils constituent un nouveau cadre et un point de référence stable qui aident les individus
(salariés et repreneurs) à articuler leurs pensées, à reformuler leurs interprétations jusqu’à
obtenir un discours suffisamment partagé pour offrir du sens à la situation et pour agir
ensemble (Maitlis et Christianson, 2014). L’outil de gestion devient un support pour
« capturer des données différentes » et « se connecter avec différents groupes de concepts »
(Weick, 2010, p. 549). Pour David (2006, pp. 250-251), c’est parce qu’ils « permettent et
contraignent, s’inscrivent dans des généalogies, incarnent, traduisent et transmettent des
façons de voir », et parce qu’ils synthétisent « ce qui doit être repéré, extrait, pris en compte »
que les outils de gestion sont « porteurs de sens ». Notre étude empirique met en évidence
deux types d’outils principalement utilisés durant la période post-reprise. Nous remarquons
que parmi toutes les entreprises étudiées, aucune n’a mis en place et utilisé simultanément les
deux types d’outils. Au sein de certaines TPE, les instruments de gestion financiers (tableaux
de bord, fiches de suivi des ventes et des stocks) sont privilégiés alors que dans d’autres,
l’intérêt se porte davantage sur les outils de gestion des ressources humaines et d’organisation
du travail (règles et procédures, grille salariale, planning horaire, entretien annuel
d’évaluation, outils collaboratifs).
Dès l’arrivée du repreneur, certaines organisations ont mis en place des tableaux de
bord de gestion financière. L’objectif attribué à l’outil est de fournir, à chacun, une vision plus
précise de sa performance commerciale de manière à obtenir une gestion plus rigoureuse et
efficiente, comme le reconnaît ce repreneur :
348
« Non, il leur a fallu apprendre une nouvelle façon de travailler. Par exemple,
on a mis en place des tableaux Excel assez simples où ils notent les principaux
indicateurs de suivi de leur rayon, les chiffres, la casse, les périmés. L’objectif
c’est qu’ils anticipent un peu plus les ventes, les commandes (…) Globalement,
on fait plus de gestion, on analyse plus les chiffres, ce qui a marché, ce qui n’a
pas marché... pourquoi ça n’a pas marché. Ça nous permet de prendre un peu
de recul et plus de hauteur. On essaie de plus anticiper les choses et de moins
subir » (Repreneur ICV).
Cela semble d’ailleurs apprécié par certains salariés de l’entreprise, comme le laisse
entendre ce témoignage :
« Ben… avant, c’était fait un peu à l’ancienne quoi, on naviguait un peu à vue.
Personne ne savait vraiment où il en était question chiffres, surtout en ce qui
concerne les marges… Maintenant, on note les évolutions au mois le mois, les
comparaisons avec N-1. C. [le repreneur] a mis en place des suivis. On les
remplis tous les jours, puis à chaque fin de semaine. Après, on en discute et on
analyse pourquoi il y a plus ou moins de chiffre sur telle ou telle semaine,
pourquoi on a trop commandé... Ça, on ne le faisait pas, ben…, ça nous fait du
boulot en plus, c’est sûr, mais on se rend compte qu’en faisant comme ça, on
voit mieux ce qui se passe, on prend un peu plus de hauteur et c’est mieux pour
le magasin et les clients. (… ) On a moins de rupture et on perd moins de ventes
» (Salarié ICV).
Dans d’autres TPE, l’accent est mis sur l’organisation du travail, à travers la mise en
place de nouvelles règles et procédures :
« Oui, le mécontentement des salariées, alors là je parle beaucoup des CDI mais
les apprenties aussi ! Elles faisaient les ouvertures et les fermetures. Elles
avaient les clés du magasin, elles connaissaient le code du coffre. Moi, quand je
suis arrivée j'ai dit non ! « Les apprenties vous me rendez les clés ! ». Les clés
du magasin, ce sont les CDI qui les ont. Les apprenties ne font plus de fermeture
toutes seules, ça c'est pareil c'est la loi ! On ne peut pas faire n’importe quoi
dans le magasin ! Donc sur les plannings, je m’arrange pour qu’elles ne soient
pas toutes seules! Alors ça leur arrive pendant les pauses déjeuners, des choses
349
comme ça. Mais quand c’est du temps de midi, il y a toujours quelqu’un
derrière, c'est pas trop dangereux. Au début, ces nouvelles règles ont un peu
vexé, surtout les apprenties parce que du coup elles perdaient un peu de leur
avantage, et à mon avis elles se sont senties dévalorisées. Après, je leur ai dit
que c'est juste une question de loi et de prudence, s’il vous arrive quelque chose
et que vous êtes toutes seules…» (Repreneure EMB).
Ou bien encore :
« Le travail, il s’est beaucoup plus simplifié... par exemple, il [le repreneur] a
changé les procédures de contrôle sur les factures, sur… les bons de livraison et
sur les commandes. Avant, on pointait les trois à chaque fois et on répertoriait
tout sur un cahier. Il a allégé tout ça parce qu’il a vu que cela ne servait à rien,
qu’on perdait du temps et pendant ce temps là, on ne servait pas les clients. Sans
compter que ça nous faisait faire des allers et retours entre le magasin et la
réserve à chaque fois qu’un client rentrait. C’était stressant ! Là, il a mis des
priorités, voilà, et il a simplifié un peu plus. On est plus détendus dans notre
travail en fait alors qu’avec les anciens on avait tendance à trop... On était
envahis » (Salarié PP).
D’autres organisations profitent des avancées technologiques pour proposer une
nouvelle manière de travailler en équipe. C’est le cas, par exemple, de l’entreprise HPC qui a
mis en place quelques semaines seulement après l’entrée en fonction du repreneur, un agenda
partagé. Toutes les semaines, chaque membre de l’organisation, y compris le dirigeant, est
invité à remplir le planning de ses activités et rendez-vous prévus. L’objectif est de « pouvoir
consulter l’agenda à n’importe quel moment de la journée et solliciter ses collègues lorsque
l’on est trop débordé (…) de savoir à quel moment je suis disponible ou en rendez-vous pour
monter me voir au bureau ou pour m’appeler quand il faut aider en caisse » (Repreneur
HPC).
Quels que soient les nouveaux instruments de gestion mis en place, ils permettent à
tous de saisir l’évolution de l’environnement, d’en extraire des indices et servent de socle
pour la construction progressive de représentations partagées (Moisdon, 1997, cité par David,
2006). Ils favorisent la mise à jour des attentes in situ sur la base de nouveaux indices (Maitlis
et Sonenshein, 2010). S’ils participent activement à l’émergence d’interprétations puis à leur
350
confrontation, les instruments de gestion sont également le moyen pour le nouveau dirigeant
de diffuser une nouvelle vision pour l’organisation, de donner un sens au changement (Gioia
et Chittipeddi, 1991). La vision proposée peut complètement remettre en cause la logique
idéologique dominante, ce que Greenwood et Hinings (1993, p. 1055) dénomment « schéma
interprétatif ». Nous avons observé que certains repreneurs se servent, en effet, de
l’implémentation de nouveaux outils de gestion pour souligner des lacunes et incohérences
dans l’organisation passée et tenter de façonner les compréhensions et interprétations des
salariés. Les supports déployés sont volontairement construits pour attirer l’attention sur
différents points leur tenant personnellement à cœur comme les priorités dans la gestion
commerciale (chiffres et marges par secteur d’activité, ventes par employé et par secteur), les
règles de rémunération (calcul des primes, challenges…) ou encore l’organisation du travail
(règles de sécurité, procédures d’ouverture ou de fermeture du point de vente,…). Pour finir,
nous avons relevé que de tels outils ont également été utilisés comme support de transfert de
connaissances entre membres de l’organisation, particulièrement entre repreneurs et salariés.
1.2.3.3.2.) Le rôle des supports de communication
Parce que la construction de sens est un phénomène éminemment social (Weick, 1995)
qui dépasse les limites de l’interaction (Giroux, 2006), la communication interpersonnelle et
son maintien sont indispensables au déroulement du processus. Pour Maitlis et Christianson
(2014, p. 95), la construction de sens prend place dans les conversations entre individus, ces
dernières étant particulièrement importantes pour la dynamique de compréhension collective
et le développement d’accords collectifs au sein des organisations. Communiquer permet de
« transcender les différences d’interprétation, d’en faire abstraction, et de parvenir à un
accord non sur le sens à attribuer aux choses, mais sur le comportement à adopter face à la
réalité » (Allard-Poesi, 2003, p. 98). Vu sous cet angle, la communication est bien plus
« qu’un ensemble d’échanges linéaires d’information ou de discours destinés à « susciter
l’adhésion ». C’est un espace d’articulation des processus de fabrication du sens » (Laroche
et Steyer, 2012, p. 15). Mettre en place des supports de communications adaptées constitue
pour l’organisation un moyen de favoriser la construction collective de sens.
Confrontés à une situation équivoque, les salariés et le repreneur sont amenés à
interagir, à communiquer ensemble pour articuler ce qu’ils pensent, de façon à mener une
action coordonnée. Nous observons que la qualité des communications est de nature à
accélérer ou, au contraire, affaiblir le processus de reconstruction collective de sens post-
351
reprise. Cette dernière est fortement corrélée à l’utilisation (ou non) de supports de
communications au sein de l’organisation. Parmi les moyens de communication fréquemment
utilisés dans les entreprises étudiées, l’entretien individuel informel, en face à face, figure en
première place. Peu de supports écrits sont employés, excepté le panneau d’affichage (cas
HPC, SJA, PP) et la messagerie électronique (cas FRT). Compte tenu du nombre restreint
d’individus, du peu de formalisme et de la proximité des relations au sein de la TPE (Torrès,
2007), cela ne paraît pas, à première vue, surprenant. De nombreux repreneurs reconnaissent
les vertus et l’intérêt d’une communication orale continue, du dialogue improvisé en « tête à
tête », dans le processus de compréhension individuelle puis collective de la situation et dans
le maintien d’une action coordonnée :
« Ici, on n’est pas nombreux. Quand je suis arrivé, je suis allé les voir et on a
parlé de ce que je voulais mettre en place. Eux, ils m’ont dit ce qu’ils voulaient,
ça c’est fait spontanément, naturellement. S’ils ont des choses à me dire et moi
aussi, on se voit et on en discute ! (…) Depuis le début, on a toujours fait comme
ça, on discute naturellement, on prend le temps aussi au café de dire ce qui va et
ce qui ne va pas. Même quand il y a une livraison par exemple, on discute de qui
va faire quoi. On n’a pas vraiment de tâches fixes ici. Je ne me vois pas faire
une réunion pour ça avec quatre personnes… et puis, vu qu’on n’est pas
nombreux, on n’a pas le temps ! » (Repreneur SAG).
D’autres ont préféré instituer dès leur arrivée dans l’entreprise des entrevues « salarié-
repreneur » régulières, d’une manière beaucoup plus formalisée et personnalisée :
« On a pris l’habitude de faire un entretien régulier avec chaque salarié en
moyenne tous les deux mois. Ça permet de faire le point, de voir ce qui peut être
amélioré. Donc, nos premiers entretiens étaient assez longs. Je pense que, si je
prends Amélie par exemple, c’était bénéfique dans le sens où elle se posait pas
mal de questions au début, mais surtout elle voit qu’il y a pas mal de choses à
faire, et le fait de se poser en tête à tête au bureau, en dehors du magasin et sans
les autres, ça lui permet de dire, de s’exprimer » (Repreneur HPC).
Certaines organisations ont, quant à elles, choisi de mettre en place des réunions
périodiques pour développer et maintenir un bon niveau de communication entre tous leurs
membres.
352
« Maintenant, on fait une grande réunion avec tout le monde tous les mois. Les
premières, je me souviens bien des premières réunions, ça a été clair sur la
stratégie quoi. C'était de dire, voilà… enfin je ne vais pas vous faire un compte
rendu de la réunion parce que je l'aurai pas en tête mais grosso-modo. Voilà, je
pense que les questions qui pouvaient se poser, qu’on a eues à se poser, on les a
posées. Il y a eu quelques échanges mais, au final, on savait un petit peu ce qui
allait se passer, comment ça va se dérouler et ses prévisions sur les mois à venir,
ce qu'il voulait apporter à l'entreprise » (Salarié FRT).
Enfin, dans deux organisations (LPC et MF), aucun des supports précédemment cités
n’est régulièrement utilisé, même lorsqu’il s’agit de la communication informelle en face à
face, comme le déplore ce salarié :
« Faut pas croire ! Il n’a jamais pris le temps de simplement discuter avec nous.
On n’a jamais su vraiment ce qu’il voulait faire. On devine, c’est tout ! »
(Salarié LPC).
Pour certains nouveaux dirigeants, il ne s’agit pas d’une action prioritaire, surtout dans
les premiers moments de leur prise de fonction. A ce stade du processus repreneurial comme
pour la suite, l’action commerciale prime, comme le reconnaît le repreneur suivant :
« En fait, on n’a même pas trop parlé de l’organisation, moi ce qui m’intéressait
c’était que les clients perçoivent la montée en gamme des produits. En plus, j’ai
ajouté la chocolaterie, la confiserie et les glaces. C’est ça le véritable
changement. Pour les salariés, y a rien qui change, ils ont qu’à continuer à
travailler comme avant, c’est tout (…) je ne vais pas leur dire tous les jours où
leur noter sur un panneau ce qu’ils ont à faire ! Pour leur métier à eux, d’un
patron à l’autre y a rien qui change » (Repreneur MF).
Dans une perspective où « le sens est engendré par les mots » et où « les organisations
sont construites, maintenues et activées par le médium de la communication. » (Weick, 1995,
p. 106, traduit par Giordano, 2006, p. 163), les supports de communication jouent un rôle
considérable. Parce qu’ils facilitent les interprétations, les échanges ainsi que les
compréhensions partagées, ils sont un prélude à l’action coordonnée. La communication
devant être reconstruite chaque jour (Weick, 2010), cela appelle, pour l’organisation
nouvellement transmise, la mise en place de supports appropriés tout en maintenant leurs
353
usages réguliers. Ce n’est que grâce à un tel effort constamment renouvelé que la
communication, puis la construction collective de sens, se développent et se maintiennent.
De par ses caractéristiques culturelles, stratégiques et structurelles, l’organisation en
pleine reconstruction agit sur la fabrication de sens et l’action (Laroche et Steyer, 2012). Elle
influe grandement sur la qualité de la communication et l’interaction entre ses membres et
facilite leurs interprétations de l’événement (Daft et Weick, 1984). L’analyse des 19 grilles
descriptives, construites à partir du modèle de Vandangeon-Derumez et Autissier (2006),
puis un travail de synthèse, a permis d’élaborer une liste recensant les principaux facteurs
organisationnels ayant une influence notable sur le processus de reconstruction collective de
sens post-reprise au sein d’une TPE. Nous la présentons ci-après sous forme de tableau.
Tableau 17 - Facteurs organisationnels influençant le processus de reconstruction collective de sens post-reprise au sein d’une TPE
Dimension Facteurs organisationnels impactant la reconstruction collective de
sens post-reprise
Culturelle
- Perception de la mission de l’entreprise
- Conception du travail en équipe et du partage
- Importance accordée au dialogue interne et à l’écoute
Stratégique
- Clarté et cohérence de la stratégie
- Information sur les ressources et moyens mis à disposition
- Information sur les contributions et gains attendus
Structurelle
- Répartition des rôles et des responsabilités
- Liens hiérarchiques et centralisation de la décision
- Utilisation d’outils de gestion et de communication
L’interprétation de nos résultats a montré l’influence des facteurs individuels et
organisationnels sur le processus de reconstruction collective de sens post-reprise. Elle met
354
également en évidence l’influence d’une troisième catégorie de facteurs, il s’agit des facteurs
contextuels.
1.3.) L’influence contextuelle
Notre revue de littérature a révélé que l’étude d’une situation de changement requiert
un examen minutieux du contexte de l’organisation. Pettigrew (1977, 1985, 1987) souligne
l’intérêt d’adopter une lecture multidimensionnelle du changement en insistant
particulièrement sur le contexte interne et externe de l’organisation ainsi que sur la dimension
historique du processus, afin de véritablement le comprendre. Intégrant ces recommandations
à notre étude empirique, notamment à travers l’utilisation du diagramme contextuel et de la
matrice rôles/chronologie, nous observons que le contexte interne et externe de l’entreprise
ainsi que son histoire et l’histoire des différents acteurs (y compris celle du repreneur)
exercent une influence notable sur le processus étudié.
1.3.1.) Le contexte interne et externe de l’entreprise
Si la reconstruction collective de sens post-reprise est le résultat d’une activité
individuelle et collective, il s’agit également d’un processus contextuel, prenant place dans un
environnement économique, social et politique en constante évolution. Pour Maurel (2010), la
démarche individuelle pour appréhender un phénomène ne peut faire totalement abstraction
de l’influence de la collectivité, ni même de l’environnement. Notre étude empirique le
confirme et met en évidence différents facteurs internes et externes à l’organisation agissant
sur le processus, à savoir les jeux de pouvoirs et l’environnement économique et social dans
lequel évolue l’entreprise.
1.3.1.1.) Les jeux de pouvoir
Les chercheurs qui étudient le phénomène de construction de sens au sein des
organisations sont de plus en plus nombreux à reconnaître l’influence du pouvoir dans le
déroulement du processus. Par exemple, dans son étude sur le sensemaking au sein d’une
grande entreprise ayant vécu plusieurs changements organisationnels, Helms Mills (2003) met
en évidence que les significations qui dominent et les pratiques acceptées sont le résultat de
négociations menées dans des structures qui privilégient certains acteurs par rapport aux
autres. Lorsque la situation se trouble, pour protéger leurs intérêts et leur position au sein de
l’organisation, les groupes influents cherchent à imposer leurs propres valeurs et
interprétations au reste des acteurs. Pour Brown, Colville et Pye (2015), les processus sociaux
355
de construction de sens sont pris dans des machinations politiques. La construction de sens
s’apparente à la fois à un produit et un effet de ce qui est continuellement négocié en fonction
des relations de pouvoir. L’analyse des entretiens fait clairement ressortir la dimension
politique du changement (Pfeffer, 1981) avec l’apparition de différents phénomènes
fréquemment observés dans pareilles situations, tels les jeux de pouvoirs entre acteurs et les
effets d’influences (Pettigrew, 1985). L’arrivée d’un nouveau dirigeant constitue l’occasion
pour certains groupes de salariés de faire entendre leur voix et de « rabattre les cartes » au
sein de l’entreprise. A travers leurs discours, ils cherchent à influencer, d’une manière qui leur
convient le mieux, l’interprétation de la situation par les autres groupes d’acteurs (repreneur et
autres salariés), comme en témoigne le salarié suivant :
« Nous, ça ne pouvait plus continuer comme ça, on passait trop de temps à faire
autre chose que notre métier. En librairie, on a la chance d’avoir… d’être de
vrais libraires et non des marchands de livres comme on peut voir ailleurs. On est
très compétents et tout le monde le sait ! Chacun son domaine et je pense que ce
qu’a fait I. [la repreneure], de séparer les 2 pôles et d’éviter que les libraires
aillent sans arrêt aider en caisse ou en papeterie dès qu’ils ont un problème, c’est
une bonne chose. (…) Chacun son domaine et chacun ses compétences ! »
(Salariée HPC).
Cela génère quelquefois des tensions, comme le reconnaît le salarié EMB :
« Disons que nous, quand C. [la repreneure] est arrivée, il y a eu des petites
tensions au sein de l’équipe, certaines ont voulu se mettre sur le devant de la
scène. Elles ont voulu faire croire qu’elles bossaient plus que les autres,
forcément une nouvelle patronne qui arrive ! Le problème c’est qu’elles ont réussi
à obtenir ce qu’elles voulaient en n’hésitant pas à couler les autres, en disant
n’importe quoi pour enfoncer, comme que certaines filles en cabine prenaient des
pauses comme elles voulaient alors que ce n’était pas vrai, qu’on avait du temps
entre chaque cliente.(…) Du coup, on est un peu moins nombreuses en cabine et
on doit les aider plus souvent en magasin pour faire leur travail ! » (Salarié
EMB).
356
Certains repreneurs semblent pleinement conscients de l’influence exercée par les
salariés ou un groupe de salariés en particulier sur leur compréhension de la situation et
leur manière de gérer l’entreprise et les relations entre individus :
« Ils [les techniciens] m’ont montré comment ils voyaient les choses. Ils m’ont
bien expliqué quels étaient leurs problèmes, notamment les difficultés qu’ils
avaient avec le service commercial et les fournisseurs. En fait, je pense que
l’ancien patron privilégiait un peu plus le commercial et je pense qu’ils ont voulu
que je m’intéresse plus à eux et à leurs difficultés. Bon, leurs rôles étaient assez
bien définis au départ mais j’ai pris en compte leurs remarques, je leur ai donné
plus d’importance, en leur donnant de l’autonomie, plus d’autonomie, un pouvoir
de décision, en étant plus intéressé par ce qu’ils faisaient » (Repreneur FRT).
Ou bien encore :
« C’est sûr qu’au départ, on nous promène un peu, on nous dit des choses pour
nous amener là où ils [les salariés] veulent, parce qu’ils savent qu’on est plus ou
moins naïfs au début, chacun cherche à tirer la couverture à lui (…) Alors, c’est
vrai que j’avais quand même plus tendance à écouter les anciens parce qu’ils
avaient plein de choses à m’apprendre, et ils s’en sont rendus compte…mais
bon…heureusement j’ai pas trop fait de bêtises et il n’y a pas eu trop de clashs
avec les autres ! » (Repreneur HPC).
Nos analyses rejoignent les conclusions de plusieurs auteurs pour qui la construction de
sens n’est pas un acte neutre, mais au contraire un acte très politisé (Helms Mills, 2003 ;
Buchanan et Dawson, 2007) où chaque acteur participe à travers son discours à la
redistribution du pouvoir lui-même (Zilber, 2007, p. 1037 cité par Brown, Colville et Pye,
2015).
1.3.1.2.) L’environnement économique et social
L’analyse de notre matériau empirique a également permis de relever l’influence du
contexte externe sur le processus de reconstruction collective de sens post-reprise.
L’environnement économique et/ou le contexte social de l’organisation interfère directement
sur le niveau et la qualité des interactions entre acteurs. Le secteur d’activité économique
auquel appartient l’organisation (ici le secteur commercial) est fréquemment mis en avant
pour expliquer la difficulté à établir, puis maintenir, un niveau d’interaction satisfaisant. Pour
357
de nombreuses personnes interviewées, il constitue un des motifs de la difficulté à interagir,
voire du désintérêt des acteurs à s’engager dans un réel effort d’échange constructif. Les
conditions d’activités particulières propres à ce secteur sont souvent mentionnées. Les larges
amplitudes horaires ont, à de nombreuses reprises, été décrites comme le principal frein aux
échanges interindividuels et collectifs :
« Oui, ce que je veux mettre en place, je le leur explique au fur et à mesure. Ben,
je dis voilà, on a le projet de faire ça et ça et ça va se passer comme ça et on en
discute. C’est soit en petits groupes ou en individuel parce que vu les amplitudes
d'ouverture du magasin, on ne peut pas faire venir tout le monde... Moi, le
boulanger qui vient à 2h30 du matin, je ne peux pas le faire venir à 17 heures !
On se retrouve jamais tous ensemble dans le magasin » (Repreneur MC).
Le témoignage de ce repreneur est corroboré par celui de cet employé :
« Disons qu’on n’a pas trop parlé de ce qu’ils en pensaient vu qu’on n’a pas
tous les mêmes horaires, donc on se croise. Il y a ceux qui sont du matin et ceux
qui sont du soir » (Salarié MC).
D’autres conditions de travail quelquefois difficiles (horaires décalés,
manutentions manuelles, relations délicates avec la clientèle, stress, etc.) ou peu
engageantes (travail à temps partiel subi278) sont également évoquées pour expliquer,
cette fois, le faible investissement ou la réticence de certains salariés à s’impliquer dans
une véritable interaction constructive. Beaucoup de salariés ne souhaitent pas
poursuivre leur carrière professionnelle dans ce secteur d’activité, comme l’explique ce
repreneur :
« Là, dans ce qu’on fait, les gens ne restent pas trop longtemps. C’est quand
même un environnement de travail difficile, on travaille pendant que les autres
s’amusent, les clients viennent ici pour prendre du bon temps. (…) En plus,
quand ils voient que ça bouge et si on les pousse un peu, ils partent. Alors, moi
je recrute des jeunes et pour eux, c’est souvent un job alimentaire. Dès qu’ils
trouvent mieux, ils se tirent ! Il y en a certains qui ne sont pas restés 2 mois, on
278
Une étude de la direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), publiée en décembre 2014, confirme cette proportion élevée de salariés à temps partiel dans les TPE du secteur du commerce, du transport et de l’hébergement-restauration. Celle-ci s’établit à 31.9% des emplois au 31 décembre 2013 contre 20% dans l’industrie et 11.6% dans la construction (DARES, 2014).
358
n’a même pas le temps d’apprendre à les connaître, mais bon c’est pas grave,
on arrive quand même à recruter » (Repreneur LPC).
Ou ce salarié :
« Il y a des salariés, surtout des étudiants qui bossent le week-end, y en a
certains que je n’ai jamais connus, j’ai dû les croiser comme ça une ou deux
fois, mais pas plus ! Ils arrivent, ils travaillent un peu, ils voient ce que c’est et
ils s’en vont (…). C’est sûr que bosser les samedis et les dimanches, avec la
clientèle du soir en plus, c’est pas évident. On préfère rester avec ses amis ou sa
famille ! » (Salarié MC).
Nous observons également que le contexte économique général interfère sur la
reconstruction collective de sens post-reprise. Ainsi, l’évolution des marchés, l’intensité de la
concurrence contraignent tous les individus (y compris le repreneur) à rester vigilants aux
indices de l’environnement, puis à interagir. Les débats, la dynamique de négociations qui
s’enclenche entre tous les membres de l’organisation, clarifient et tendent à faire partager des
perceptions et des interprétations, et ainsi à créer graduellement du sens (Allard-Poesi, 2003).
« Toutes les années, les marchés évoluent, donc la stratégie évolue avec.
Aujourd'hui, on est sur une tendance purement industrie, ce qui n'était pas
forcément le cas au début quand le produit, on l'a développé. Nous, on veut aller
ramener toute l'équipe dans cette direction-là, même M. [le repreneur]. Parce
que voilà, on pense que c'est la bonne solution et que c'est la bonne direction et
que ça va continuer dans cette direction-là. La stratégie, on l'a fait évoluer
parce que de toute façon la stratégie doit évoluer toutes les années, euh… voire
en cours d'année parce qu'on s'aperçoit qu’il y a quelque chose qui se profile et
c'est entre autres ce qui peut se passer avec l’export. Ça ! certains dans
l’entreprise avaient du mal à le comprendre. Il y a certains créneaux sur
lesquels on travaille maintenant et dont il y a six mois de ça, on ne pensait même
pas, enfin on pensait, on savait qu'il y a des trucs qui se faisaient, on a eu fait
des fois des prototypes pour des clients ; on ne sait pas, on ne pensait pas
remettre quand même un axe de développement dessus. Voilà, les choses qui se
font, se font au fur et à mesure en regardant ce qui se passe et en discutant »
(Salarié FRT).
359
Ou bien encore :
« Quelques semaines seulement après son arrivée [la repreneuse], le libraire
d’en face a fermé ses portes définitivement et il a fallu gérer l’afflux de clients
supplémentaires. Avec I. [la repreneure], on a dû trouver des solutions pour
gérer ça ! Il y avait des produits qu’on commandait jamais, il fallait trouver de
la place, on avait des ruptures… ben, on a dû s’adapter à une nouvelle clientèle.
Disons qu’on a plutôt bien assuré, on s’est adapté comme on pouvait entre les
rayons. On a un peu ré-agencé le truc pour qu’il y ait plus de place pour nous. Il
n’y a pas trop eu de grincements de dents même si ça leur faisait perdre un peu
de place » (Salarié HPC).
L’analyse des entretiens a également permis d’établir que le contexte social extérieur à
l’organisation joue, à son tour, un rôle dans la manière dont les salariés et le repreneur
interagissent et construisent du sens. Nous observons que lorsque l’entreprise se situe dans un
environnement social donné, ce dernier est pris en compte dans la manière dont les individus
(salariés et repreneurs) interprètent et donnent à interpréter les situations. Ainsi, lorsque
l’entreprise est implantée à proximité d’un quartier difficile, les salariés se sentent « obligés »
d’être solidaires les uns des autres et de se « serrer les coudes », comme le montre le
témoignage suivant :
« Les clients sont pas toujours faciles à gérer, il y a souvent des problèmes
surtout avec certains clients, et ça, il a fallu lui [la repreneuse] expliquer et lui
montrer comment fallait le gérer, surtout pour les crédits, les chèques, sinon elle
aurait eu sans arrêt des problèmes. Donc, nous, on l’a aidée pour ça. On voulait
pas qu’elle ait des problèmes. Ici on a toujours fonctionné comme ça avec tout le
monde, parce que si on se serre pas les coudes, on se fait bouffer » (Salarié
SAG).
Ce point semble reconnu également par la repreneure de cette entreprise :
« Arriver là, c’était pas facile. Faut voir le tableau ! Je suis une femme, qui plus
est âgée, je ne suis pas du coin, je ne connais personne et j’arrive là ! Il y a plein
de choses qui auraient pu mal tourner ! Ça me faisait un peu peur au début
parce qu’on est à côté d’un quartier quand même difficile avec des gens qui sont
des fois un peu durs … certains sont un peu agressifs et il y en a pas mal qui
360
sont dans la galère, qui n’ont pas d’argent pour payer ce qu’ils doivent….et bien
sûr ils veulent payer plus tard. Quand il y a des situations comme ça, je n’hésite
pas à aller leur demander ce qu’ils en pensent, comment faut gérer ça ou ça !
(…) S’ils [les salariés] m’avaient pas aidée, s’ils m’avaient pas introduite
auprès de la clientèle, je pense que ça aurait été super difficile pour moi »
(Repreneure SAG).
De la même façon, lorsque l’entreprise opère dans un village « isolé » où les
possibilités d’emplois sont limitées, les individus tiennent compte de ce contexte social dans
la compréhension qu’ils ont de la situation et dans la manière de s’engager dans l’interaction.
« Quand il [le repreneur] est arrivé, j’avais un petit peu d’appréhensions,
comme nous tous d'ailleurs ! Vous savez, ici, on habite tous dans ce village, et
on souhaite y rester. Certains ont fait construire ici et moi j'aimerais bien aussi
le faire. Le boulot, il n'y en a pas tant que ça dans le coin, sinon faut partir assez
loin. Donc, on préférerait garder notre poste (…) Pour moi, l'arrivée du
nouveau dirigeant, c'était une occasion, soit de rester où je voulais vivre, soit de
partir et de perdre tout ça. J’ai tout fait pour que ça se passe bien avec C. [le
repreneur], j’ai pas hésité à lui donner des conseils pour que ça marche et je
pense que je ne suis pas le seul à le faire » (Salarié ICV).
L’approche contextualiste invite à étudier le changement en prêtant fortement attention
au contexte dans lequel évolue l’entreprise (Pettigrew, 1985). Tenant compte de ces
recommandations pour notre recherche, nous avons vérifié que le contexte interne et externe à
l’organisation exerçait effectivement une influence sur le processus de reconstruction
collective de sens engagé par les individus après la reprise. Le phénomène ne fait donc pas
abstraction des jeux de pouvoir inhérents à la vie de tout groupe (Crozier et Friedberg, 1977),
ni à l’environnement plus général dans lequel évolue l’organisation. Notre étude empirique a
révélé une autre dimension influente, c’est la dimension historique.
1.3.2.) la dimension historique
L’examen détaillé des entretiens fait ressortir une dernière variable influente : il s’agit
de la dimension historique. Plusieurs interviewés ont, à de très nombreuses reprises, fait
références à l’histoire de l’entreprise ou tout simplement à leur propre histoire, pour expliquer
la manière dont ils interprétaient l’environnement et leur propre vie au sein du groupe. Le
361
recours aux histoires permet de se raccrocher à quelque chose, de maintenir chez les individus
un sentiment de continuité identitaire, malgré un changement important dans leur
environnement.
« Avec ce qu’on a vécu tous ensemble, ça nous a prouvé qu’on était capables de
se soutenir les unes les autres. On a toutes été solidaires, personne n’a laissé
tomber personne et ça je pense que ça ne changera plus » (Salarié HPC).
Lorsqu’elles sont partagées, les histoires constituent un cadre, une source de données à
partir desquels les salariés et le repreneur vont pouvoir sélectionner des indices et développer
des significations équivalentes de la situation. Il peut alors s’agir d’événements marquant
dans la vie de l’entreprise et de ses membres, comme le fait d’avoir déjà connu un ou
plusieurs changements de dirigeant :
« On a toutes des années d’expériences derrière nous, moi je n’ai que 7 ans !
Certaines filles ont connu plusieurs patrons. Nathalie a connu, un, deux, trois,
quatre oui, c’est ça quatre patrons en comptant I. [la repreneure]. A chaque
fois, c’était différent. D’après Nathalie, les premiers patrons étaient âgés, c’était
très carré, puis il y a eu leur fille et leur gendre, puis je me souviens plus… Elle
nous disait : moi depuis le temps, j’en ai vu défiler quelques-uns, faut attendre
un peu et on va voir assez vite comment il voit les choses, que de toute manière
aucun patron n’avait jamais tout révolutionné dans le magasin parce qu’il
marchait bien » (Salariée HPC).
Le fait d’avoir « survécu » à un contexte économique difficile intervient également
comme le rappelle ce salarié AGP :
« Nous, on veut pas que ça plante, on a déjà eu des problèmes avec l’ancienne
patronne. A cause d’elle, on a perdu beaucoup de clients, et ça allait de plus en
plus mal ! Il a fallu qu’on se bouge pour que l’entreprise continue d’exister
parce que c’était pas elle qui voulait que ça marche. Tout ça, c’est grâce à nous.
On dirait qu’elle s’en foutait, que ce n’était pas son affaire ! » (Salarié AGP).
Il peut également s’agir d’une expérience plus dramatique comme le décès de l’un des
membres de l’affaire :
362
« Quand l’ancienne patronne est décédée, pendant pratiquement un an, tous
ceux du magasin, ben, on s’est débrouillés tout seuls de A à Z parce qu’il n’y
avait personne tout simplement. On n’avait plus de gérante en fait et le papa de
C. [la cédante], n’avait pas que ça à faire, il avait d’autres entreprises à gérer.
Ça a été super dur, mais on a réussi quand même à s’en sortir, à sauver la boîte.
Ça nous a soudées… toutes. On sait que dans les moments difficiles, on peut
compter les unes sur les autres ! » (Salariée HPC).
Certains repreneurs tiennent compte de cette dimension historique dans la
représentation qu’ils se font de l’entreprise et dans la manière dont ils appréhendent leur prise
de fonction et les relations avec leurs nouveaux collaborateurs :
« ah oui, y en a plusieurs, mais y a des gens qui sont sensibles, c’est difficile
pour elles dans le sens ou ben… elles ont vécu la maladie de l’ancienne
propriétaire. Elles l’ont prise en pleine figure et souvent on dit, quand il arrive
des accidents, y a des cellules psychologiques c’est pas pour rien ! Elles, elles
ne se sont pas fait…, elles se sont retrouvées du jour au lendemain sans chef,
ben… on gère toute seule et voilà et le magasin il est toujours là, et là je crois
qu’on doit leur dire bravo parce que j’ai beaucoup de respect par rapport à
ça (…) En fait, elles ont prouvé qu’elles pouvaient fonctionner sans patron et
que ça tourne bien quand même ! » (Repreneure HPC).
Se référer au passé de l’entreprise rassure parfois quant au bon déroulement de la
reprise, comme le reconnaît le repreneur suivant :
« C’est une entreprise ancienne qui a déjà connu plusieurs repreneurs, donc ça
me rassurait aussi, si les autres avaient réussi, pourquoi pas moi ? » (Repreneur
SAG).
Les événements, les expériences marquantes de la vie de l’entreprise sont souvent
utilisés comme support pour interpréter individuellement, puis collectivement, la situation.
Les significations véhiculées par ces histoires à travers des discours constamment entretenus,
constituent des indices sur lesquels se structurent les relations entre salariés et repreneur.
Parce qu’elles sont « une source de cohérence, d’enchaînement logique d’actions et
d’événements » (Allard-Poesi, 2003, p. 107), les histoires ont fréquemment été mobilisées par
les acteurs interviewés pour faire sens collectivement d’une situation. Nous remarquons, par
363
ailleurs, que tous ces événements, s’ils ont été dépassés collectivement, laissent penser aux
acteurs qu’ils sont capables de reproduire ce qu’ils ont contribué par le passé à accomplir, à
savoir un système d’actions coordonnées ayant su se renouveler. Cette croyance des gens en
leurs propres capacités est fondamentale. Lorsqu’elle est positive, elle peut augmenter la
vigilance, réduire les attitudes de défense et faciliter la construction de sens (Weick, 1988).
Dans de nombreux cas, il apparaît en outre, que l’histoire du repreneur constitue un élément
important dans la construction des représentations individuelles. Elle exerce, en corollaire,
une influence sur la création collective de sens. Le fait d’avoir déjà dirigé ou repris une
entreprise, de bénéficier d’une expérience de manager, ou encore d’avoir connu la réussite
et/ou l’échec, sont autant d’indices pris en compte dans le processus de compréhension
situationnelle et dans la dynamique d’interaction sociale. Bien conscients du caractère
éclairant de leur propre histoire sur la manière d’appréhender la reprise, plusieurs repreneurs
n’ont pas hésité à expliquer aux salariés, leur parcours et/ou les événements ayant marqué leur
vie, comme en témoigne le salarié suivant :
« On sait ce qu’il [le repreneur] a fait avant, il nous l’a dit. Il a déjà eu des
entreprises et il nous a dit que ça serait sa dernière, qu’il allait terminer sa
carrière avec nous et qu’il voulait que ça se passe bien. Surtout que sa dernière
entreprise, apparemment ça c’était mal passé et il ne l’a pas gardé longtemps,
qu’il voulait pas que ça se passe comme là-bas (…) Ici, c’est pas pareil,
l’entreprise est plus petite et on s’entend bien, c’est plus familial entre nous. Je
pense que c’est ce qu’il recherchait en fin de compte » (Salarié PP).
Il peut également s’agir d’événements tragiques survenus au cours de leur vie
personnelle ou professionnelle :
« Ça, en fait, le petit discours, c’était pour se présenter et expliquer notre
histoire, pourquoi on a acheté, aussi par rapport à l’histoire de l’ancienne
propriétaire. Je leur ai dit que je savais par où elles étaient passées et que moi
aussi, avec mon mari, on a connu un drame. Je leur ai tout expliqué, je leur ai
donné notre parcours, qu’on a eu un accident, qu’il y avait un ouvrier qui est
décédé sur un chantier, qu’on était… moralement… c’était difficile, qu’on avait
décidé de vendre l’entreprise (…). Là, on est encore à un nouveau tournant de
notre vie avec le magasin, et on veut que ça marche et que tout aille bien ! Je
voulais qu’elles comprennent par où je suis passé et que mon objectif, c’est que
364
cela tourne pour pouvoir payer ce qu’on doit et nous dégager un minimum de
salaire. Je n’étais pas là pour leur faire des ennuis, au contraire ! Que si je
pouvais mettre en place des choses pour que cela aille mieux, je le ferais »
(Repreneure HPC).
D’autres se sont appuyés sur leur cursus personnel et professionnel et/ou leur
expérience de manager pour montrer leur capacité à faire avancer l’entreprise, comme le
développe le témoignage suivant :
« Non, je leur ai dit que c’était ma première expérience dans la reprise mais que
je n’étais pas non plus un novice ! Je leur ai donné mon parcours. À la base, je
suis ingénieur de formation mais j’ai aussi un MBA. J’ai un parcours en banque,
télécom et santé, et j’ai toujours évolué dans des grandes structures. A chaque
fois, ça c’est bien passé et j’ai réussi mes missions. Je leur ai dit que je bossais
beaucoup, que je demandais aussi beaucoup… j’ai l’habitude de travailler avec
des gens qui s’impliquent, qui fonctionnent vite et bien en général. C’est comme
ça que je fais avancer le truc et ça marche en général » (Repreneur FRT).
Ou bien encore :
« Ils ont su dès le départ ! Je leur ai dit qui j’étais, comment je voyais les choses,
que j’aimais que ça bouge ! Je leur ai expliqué ce que j’avais déjà fait et que
s’ils voulaient voir ce que ça donnait, qu’ils pouvaient venir voir en centre ville
comment ça tournait ! Moi, c’est simple, ce que j’ai mis en place là-bas, ça a fait
grimper l’entreprise, alors y a pas de raisons que ça soit pas pareil ici ! »
(Repreneur LPC).
A travers la narration de leur parcours, certains repreneurs cherchent, par ailleurs, à
influencer l’interprétation de la situation produite par les salariés. L’histoire du repreneur sert
de support pour faire passer ses propres valeurs et interprétations aux salariés. Une telle
pratique engendre le débat, la négociation, l’argumentation et se répercute finalement sur le
processus de reconstruction collective de sens post-reprise.
En complément de l’approche par le sensemaking, nous nous sommes basé sur les
travaux de Pettigrew (1977, 1985, 1987) pour étudier le changement provoqué par l’arrivée
du repreneur au sein d’une TPE. A partir des principales recommandations émises par son
approche, nous avons porté notre attention sur la dimension contextuelle et historique du
365
changement. Nous observons que le contexte interne et externe de l’organisation, son histoire
ainsi que l’histoire personnelle du repreneur exercent une influence significative sur
l’interprétation individuelle et collective, les dynamiques d’interactions et la coordination des
comportements entre acteurs. Le processus de reconstruction collectif de sens post-reprise
dans lequel s’engagent les individus, s’en trouve directement impacté.
L’influence du contexte sur le processus de reconstruction collective de sens post-
reprise est synthétisée dans la figure suivante.
Figure 28 - L’influence contextuelle sur le processus de reconstruction collective de sens post-reprise au sein d’une TPE
Source : Auteur.
Reconstruction collective de sens post-reprise
Histoire de l’entreprise
Jeux de pouvoir
Environnement socio-
économique
Histoire du repreneur
366
Conclusion section 1
L’objectif de cette première section était d’examiner les différents facteurs et éléments
exerçant une influence sur le processus de reconstruction collective de sens post-reprise.
Plusieurs résultats issus de notre étude empirique ont été présentés.
Dans un premier temps, nous avons mis en évidence que lorsqu’ils sont confrontés à
une situation fortement équivoque, les membres de l’organisation tentent de réduire le niveau
de cette dernière en mobilisant les cadres cognitifs qui sont les leurs, généralement issues des
expériences vécues, et en se lançant dans un processus de construction de sens fondé sur des
interactions avec les autres. L’analyse des entretiens a permis de découvrir que tous les acteurs
jouent un rôle actif dans ce processus, mais que chacun n’a pas le même poids dans son
déroulement. Ainsi, nous avons noté le rôle minimal du cédant, le rôle actif des salariés et le
rôle déterminant du repreneur.
Si les comportements individuels des différents acteurs influencent le processus de
reconstruction collective de sens post-reprise, nous avons également relevé, dans un deuxième
point, l’influence de facteurs organisationnels. Nous appuyant sur le modèle de Vandangeon-
Derumez et Autissier (2006), nous avons fait ressortir 9 facteurs organisationnels influents qui
sont : la perception de la mission de l’entreprise, la conception du travail en équipe et du
partage, l’importance accordée au dialogue interne et à l’écoute, la clarté et la cohérence de la
stratégie, l’information sur les ressources et moyens mis à disposition, l’information sur les
contributions et les gains attendus, la répartition des rôles et des responsabilités, les liens
hiérarchiques et la centralisation de la décision, l’utilisation d’outils de gestion et de
communication.
Enfin, pour dépasser les limites des théories du sensemaking et compléter notre
analyse, nous avons eu recours à la méthodologie recommandée par l’approche contextualiste
du changement (Pettigrew, 1977,1985). Une lecture multidimensionnelle du changement a
révélé l’influence de quatre facteurs contextuels et historiques sur le phénomène étudié. Il
s’agit des jeux de pouvoir, de l’environnement socio-économique, de l’histoire de
l’organisation, puis de celle du repreneur. Le processus de reconstruction collective de sens
post-reprise et tous les facteurs d’influence sont présentés par la figure suivante.
Figure 29 - Le processus de reconstruction collective de sens postTPE saine et les facteurs d’influence
367
essus de reconstruction collective de sens post-repriseles facteurs d’influence
Source : Auteur
reprise au sein d’une
: Auteur
368
Section 2 - Discussion des résultats et recommandations managériales
Cette section vise à présenter la discussion des principaux résultats obtenus dans le
cadre de notre recherche, puis à en extraire un certain nombre de recommandations qui
pourraient être utiles aux futurs repreneurs ainsi qu’à leurs accompagnants.
Dans un premier temps, nous reviendrons sur les principaux résultats issus de nos
études de cas. Nous évoquerons le fait que la RPP d’une TPE saine correspond bien à un
changement majeur, une interruption dans le flux courant d’activités, un événement
équivoque nécessitant une action volontaire de reconstruction collective de sens de la part de
tous les membres de l’organisation et une intervention encore plus forte du repreneur en
raison de sa position de nouveau leader.
Notre recherche a mis en évidence un processus que nous avons dénommé
reconstruction collective de sens post-reprise. Nos analyses ont révélé que ce phénomène était
influencé par de multiples facteurs individuels, organisationnels et contextuels. Nous avons
également relevé que la qualité des échanges intersubjectifs était un élément essentiel du
processus, tout comme l’instauration et le maintien d’un niveau suffisant de communication
entre acteurs dans la constitution d’un nouveau système d’actions organisées.
Dans un second temps, nous exposerons les principales recommandations qui nous
paraissent utiles à l’édification d’un nouveau système d’actions organisées ainsi qu’à la
réussite du changement.
369
2.1.) Nos principaux résultats
L’ambition principale de ce travail réside dans une meilleure compréhension du
management post-reprise, période charnière dans la réussite du processus de reprise d’une
TPE. Comme le souligne Boussaguet (2005, p. 81), l’arrivée d’un nouveau dirigeant est
fortement déséquilibrante pour l’organisation. Il s’agit d’un changement majeur parce qu’il
« touche aux fondements de l’organisation » et parce que « ses effets sur les membres de
l’organisation sont (…) profonds et déstabilisants ». Pour Torrès (2007), les TPE présentent
des spécificités qui leur sont propres avec une petite taille, un système de gestion ainsi qu’un
système d’information simples et centralisés, et par-dessus tout, un propriétaire dirigeant
omniprésent régnant en maître sur son entreprise. De Freyman (2009), s’appuyant sur l’effet
de grossissement décrit par Mahé de Boislandelle (1996), explique que le critère de taille a
des incidences sur l’intensité des problématiques organisationnelles. Ce dernier se mute lors
d’une opération de transmission en effet complexifiant. Le repreneur d’une entreprise de
petite taille est donc confronté à de nombreuses difficultés au moment de sa prise de fonction.
Nombre d’entre elles sont liées à la dimension humaine de l’organisation. Pour Weick (1993),
l’arrivée d’un élément nouveau (changement écologique) dans l’environnement d’un petit
groupe d’individus, d’une interruption dans le flux courant d’activité, engendre de
l’équivocité et perturbe l’action organisée. Pour continuer à agir ensemble, il devient
nécessaire de construire collectivement du sens. En tant que nouveau leader, le repreneur joue
un rôle clé dans l’émergence et le maintien du processus, celui de producteur de sens du
changement (Gioia et Chittipeddi, 1991 ; Barabel et Meier, 2010). Cette littérature
scientifique nous a servi de support théorique et nous a permis d’extraire les principaux
concepts auxquels nous nous référons dans cette recherche.
La discussion des résultats de notre travail s’articule autour de quatre principaux
résultats de notre recherche.
En premier lieu, nous revenons sur l’impact du changement de dirigeant sur le
fonctionnement de la TPE saine. Nous abordons ensuite le concept de construction collective
de sens proposé par Weick (1993) appliqué à la reprise d’entreprise de petite taille. Le
processus de reconstruction collective de sens que nous décrivons dans ce travail est un
processus volontaire, nécessitant un « pilote » qui ne peut-être, dans le cadre du
fonctionnement spécifique des TPE (Torrès, 2007), que le repreneur. Notre réflexion nous
amène également à discuter des caractéristiques des échanges intersubjectifs favorables à la
370
formation d’un nouveau système d’actions organisées. Pour finir, nous revenons sur la
communication en tant que fondement de l’organisation.
2.1.1.) La RPP de TPE saine, un changement organisationnel majeur source d’équivocité et de création de sens
Nos résultats montrent que l’arrivée d’un nouveau dirigeant au sein d’une TPE saine
constitue un changement organisationnel majeur. Il s’agit d’une déstabilisation suffisamment
importante pour que les différents groupes d’acteurs décident d’entreprendre un travail de
redéfinition individuelle de la réalité, puis une reconstruction collective de sens. Le fait que le
cédant n’annonce pas la vente de l’entreprise, ce qui a été le cas pour la majorité des
entreprises étudiées, accroît l’appréhension des salariés face au changement. Nos résultats
confirment ceux de certains auteurs (Donckels, 1995 ; Boussaguet, 2005 ; De Freyman, 2009)
concernant l’importance du changement de dirigeant sur le fonctionnement de la petite
entreprise et sur la vie du groupe. En outre, ils mettent en évidence qu’il s’agit d’un
évènement fortement équivoque plongeant les individus dans une période d’incertitude. Ces
derniers, ne sachant pas au départ quelles interprétations retenir de la situation, éprouvent de
nombreux doutes et de nombreuses émotions telles que l’anxiété ou la peur.
Par ailleurs, le fait que l’entreprise soit en bonne santé au moment de sa reprise
interfère sur les réactions des salariés et les interprétations qu’ils ont de l’événement. Si le
changement à la tête d’une entreprise en difficulté est le plus souvent bien accepté
(Deschamps et Paturel, 2009), nos résultats montrent que lorsque l’entreprise est saine,
l’acceptation du changement est plus délicate pour les salariés, les questionnements et les
doutes plus nombreux. La majorité des salariés interviewés s’interrogent sur les raisons du
changement de dirigeant dans la mesure où l’entreprise fonctionne bien et, quelquefois depuis
longtemps, avec la même personne à sa tête.
Dans leurs travaux, Picard et Thévenard-Puthod (2006, p. 102) attirent l’attention sur
la proximité sociale qui lie les différents membres d’une entreprise artisanale. La petite
structure s’apparente souvent à une famille dans laquelle « l’artisan et parfois son conjoint
jouent respectivement le rôle du père et de la mère ». L’arrivée dans l’entreprise d’un
nouveau dirigeant peut amener les collaborateurs à mal réagir, à l’image de la réaction de
certains enfants lors d’un remariage. Bizaguet (1991) met en évidence l’attachement affectif
des salariés à leur dirigeant au sein des petites entités. Nos résultats montrent effectivement
que l’arrivée du repreneur dans la TPE soulève de nombreuses émotions, parfois même de la
371
tristesse, matérialisant ainsi un véritable attachement affectif entre les salariés et leur ancien
dirigeant. Plusieurs salariés nous ont confié avoir l’impression de « perdre » quelqu’un de
proche, de « tourner une page » de leur vie professionnelle, mais aussi personnelle. Certains
ont reconnu avoir pleuré.
Nous retrouvons donc, pour de nombreuses TPE étudiées, la proximité relationnelle
telle que décrite par Picard et Thévenard-Puthod (2006) et l’attachement affectif évoqué par
Bizaguet (1991). Néanmoins, il est intéressant de souligner que nous ne percevons pas
l’influence de ces deux dimensions chez tous les salariés des cas analysés. Il ressort de notre
terrain que certains salariés ne « se sentent pas très proches » de l’entreprise et ne souhaitent
pas s’y investir fortement et pour longtemps. Les relations avec le dirigeant et, quelquefois
avec l’ensemble des membres de l’organisation, se cantonnent au minimum, de quoi pouvoir
agir convenablement le temps du contrat. Il s’agit, pour une partie d’entre eux, « d’un job
alimentaire », le plus souvent temporaire, avant « de trouver mieux ». Plusieurs raisons à ce
comportement sont évoquées parmi lesquelles, les conditions de travail difficiles du secteur
du commerce (horaires décalés, relations difficiles avec la clientèle, manutentions manuelles
importantes, stress, etc.), les possibilités d’évolution de carrière peu nombreuses au sein des
TPE, ou encore, le fait d’être en temps partiel subi. Chez ces individus, le fait que le dirigeant
de l’entreprise change ne provoque pas de fortes perturbations émotionnelles et impacte peu
leur manière d’appréhender les choses et leurs relations avec leurs partenaires au sein de
l’organisation.
Pour notre recherche, nous avons décidé d’adopter une lecture interprétativiste de
l’événement puis de mobiliser les théories du sensemaking pour comprendre le changement.
S’inscrire dans une telle approche, c’est reconnaître l’humain comme étant au cœur du
processus organisant et les interactions entre individus comme racines de la résilience
(Vidaillet, 2003, p. 160). Nous avons vu que le changement de dirigeant était un événement
suffisamment puissant pour modifier les représentations individuelles de la situation et
bousculer un équilibre fragile dans les rapports entre individus. Empruntant le vocabulaire de
Karl Weick, nous pouvons le qualifier aisément de changement écologique. Nos études de cas
montrent qu’il crée une interruption, un flou dans l’environnement immédiat des membres de
l’organisation. Cette situation inhabituelle pousse les individus à redéfinir leur
environnement, à reconstruire leur zone de sens. Pour Gioia et Chittipeddi (1991), il s’agit là
d’un point essentiel dans la conduite et la réussite du changement, l’incapacité des individus à
372
donner un sens à leurs nouveaux rôles, de mettre à jour leur compréhension de ce qu’ils sont
censés faire pouvant les conduire à adopter une attitude de résistance.
Nous relevons qu’il s’agit d’un événement fortement équivoque à la fois pour les
salariés et pour les repreneurs de TPE. Il plonge les individus dans une situation faite de
questionnements, d’incertitudes, d’inconforts que chacun tente, par l’interaction avec les
autres, de dépasser. Nous retrouvons dans nos travaux les manifestations de l’équivocité telles
que décrite par de nombreux auteurs dans les situations d’interruption (Weick, 1995 ; Maitlis,
2005). Dans les cas étudiés, l’équivocité se manifeste à travers une perturbation émotionnelle
intense et un sentiment de confusion prenant naissance dans la multiplicité des interprétations
possibles. Les incompréhensions provoquées par cette situation nouvelle et, très souvent
inattendue, poussent les individus à puiser dans leur environnement des indices, à remettre en
cause leurs schémas de pensée habituels et à s’engager dans de nombreux cycles
d’interactions. Ils tentent par-là de redonner du sens à la situation, de manière à continuer à
agir de manière appropriée.
Fort de ces premiers constats, nous avons concentré notre attention sur les multiples
interactions entre acteurs et pu observer, par la même occasion, le processus de reconstruction
collectif de sens post-reprise. Pour lever l’état de confusion dans lequel ils se sont trouvés, les
membres de l’organisation se sont engagés individuellement, puis collectivement, dans des
cycles d’interactions aboutissant à la construction de sens. Pour la majorité des TPE étudiées,
nous avons retrouvé les trois niveaux de création de sens (individuel, intersubjectif et
organisationnel) ainsi que la dynamique d’échanges intersubjectifs caractérisant généralement
tout processus de sensemaking tels qu’ils sont décrits par Weick (1979, 1993). En s’appuyant
sur le modèle E.S.R. mis au point par l’auteur, nous avons élaboré une première modélisation
du processus de reconstruction collective de sens post-reprise. Nos travaux présentent un
double intérêt. D’une part, ils concourent à une démonstration de l’affirmation de Weick
(1993) sur l’apparition d’un tel phénomène suite à un événement déstabilisant. En mettant en
évidence le processus, nous corroborons les conclusions d’un certain nombre d’auteurs pour
lesquels, c’est dans les situations d’interruption (Weick, 1993), de nouveauté (Louis, 1980),
de changement (Gioia et Chittipeddi, 1991 ; Maitlis et Sonenshein, 2010), que la construction
de sens est la plus caractéristique. D’autre part, ils étendent la liste des évènements
susceptibles de déclencher un processus de construction collective de sens en y incorporant la
RPP de TPE saine par un repreneur externe.
373
2.1.2.) La reconstruction collective de sens post-reprise, un processus volontaire et sous influences à piloter pour favoriser la résilience
Un autre résultat significatif se dégage de cette recherche. Il concerne les caractères
non spontané et volontaire du processus de reconstruction collective de sens post-reprise.
Nous avons relevé que ce dernier ne s’enclenche puis se développe que si les individus
décident de s’investir volontairement dans ce que nous avons appelé, un effort d’interaction.
Notre revue de littérature a permis de relever qu’en règle générale, même si le changement
n’est pas bien perçu au départ, chaque acteur ou groupe d’acteurs tente d’y participer (Barabel
et Meier, 2010) et n’y est pas naturellement et totalement réfractaire (Crozier et Friedberg,
1977).
D’après l’analyse de nos entretiens, très peu d’individus ont, en effet, adopté une
attitude passive face au changement de dirigeant. Les salariés ont, pour la plupart, décidé
d’entreprendre ce travail qui consiste, à travers la multiplication des échanges, à construire
leur zone de sens, puis à se repositionner au sein de la structure émergente.
Notre recherche a, par ailleurs, fait apparaître le poids différent de chacun des acteurs
et des groupes d’acteurs dans l’avènement, le maintien puis l’orientation du processus de
reconstruction collective de sens post-reprise. S’il est apparu assez rapidement un rôle
minimal du cédant et une responsabilité importante des salariés, notre analyse a mis en
évidence l’influence prépondérante du repreneur. Certes, le changement émergent se construit
ensemble (Weick, 1993), mais le nouveau leader occupe en son sein une position centrale. De
par son rôle de premier plan dans la TPE (Marchesnay, 1991) et en l’absence d’un véritable
encadrement, il est en première ligne pour conduire le changement. Malgré sa présence
récente dans l’organisation et son inexpérience dans certains cas, nous avons décelé des
attentes fortes à son égard.
Pour la littérature, le leader est celui qui donne et qui doit donner du sens à une
situation de changement (Weick, 1993 ; Bartunek, Krim, Necochea et Humphries, 1999 ;
Barabel et Meier, 2010). Les résultats de notre étude vont dans ce sens. En effet, c’est
prioritairement à travers son comportement et ses actions que sera favorisée ou non la
reconstruction collective de sens. C’est lui qui est en charge d’animer le collectif, de l’intégrer
dans un projet, de développer puis maintenir un niveau d’interaction suffisant pour faciliter le
débat, la confrontation des interprétations, éléments de base au processus de création de sens.
374
Nous avons également mis en évidence que le repreneur, nouveau leader de
l’organisation, en reconnaissant quelquefois, qu’il ne sait pas (ou pas encore), favorise
l’émergence d’un dialogue ouvert, sincère, associant confiance, fiabilité et estime de soi.
Beaucoup de salariés saluent cette démarche. Grâce à elle, ils ont l’impression que le dirigeant
« joue franc-jeu » et qu’il « n’a rien à cacher » (Salariée HPC). Ils ont le sentiment qu’ils
auront leur mot à dire ainsi qu’un rôle à assumer dans la vie du nouveau groupe. Ce résultat
confirme ce qui a été mis en évidence par Weick (1993) ou encore Laroche et Steyer (2012).
Si nos travaux mettent en lumière l’influence prépondérante du repreneur, ils
soulignent également l’effet considérable exercé par l’organisation elle-même sur le processus
de reconstruction collective de sens post-reprise. Nos résultats ont permis de découvrir que
l’entreprise présente différentes caractéristiques encourageant ou non la reconstruction
collective de sens de laquelle naîtra un nouveau système de rôles. De par ses dimensions
culturelles, stratégiques et structurelles, l’organisation, en pleine transformation, interfère bel
et bien sur la fabrication de sens individuelle et collective et, en corollaire, sur la construction
d’un système d’actions coordonnées. Nos analyses révèlent qu’elle influe grandement sur la
qualité de la communication et l’interaction entre ses membres et facilite (ou non) leurs
interprétations de l’événement (Daft et Weick, 1984) et leur engagement dans l’action. A
partir du modèle de Vandangeon-Derumez et Autissier (2006), nous avons fait ressortir 9
facteurs organisationnels influents : la perception de la mission de l’entreprise, la conception
du travail en équipe et du partage, l’importance accordée au dialogue interne et à l’écoute, la
clarté et la cohérence de la stratégie, l’information sur les ressources et moyens mis à
disposition, l’information sur les contributions et les gains attendus, la répartition des rôles et
des responsabilités, les liens hiérarchiques et la centralisation de la décision, l’utilisation
d’outils de gestion et de communication.
L’interprétation de nos résultats a également permis de relever l’influence exercée par
les facteurs contextuels. Dans la majorité des cas étudiés, l’environnement socio-économique,
le contexte interne et l’histoire de l’organisation et/ou du repreneur ont influencé le processus.
Pettigrew (1977, 1987) affirme que le changement ne peut-être analysé et véritablement
compris qu’à partir d’une lecture multidimensionnelle des événements. Selon l’auteur,
l’histoire, le contexte et les processus de l’entreprise interfèrent sur le déroulement du
changement. Nos résultats montrent, effectivement, que le déploiement du changement et la
manière dont il est interprété par les différents acteurs (salariés et repreneurs), sont fortement
375
influencés par ces différentes dimensions. Dans la continuité des travaux de Pettigrew (1977),
cette recherche contribue à faire valoir que les réactions et comportements des individus face
à une situation nouvelle sont mieux appréhendés lorsque sont incorporés à l’analyse, à la fois,
les contextes internes (dimensions structurelles, culturelles et politiques) et les contextes
externes (environnement socioéconomique, technologique, concurrentiel et politique) de
l’organisation. Nous prolongeons l’analyse de Pettigrew (1977) en indiquant que l’histoire de
certains acteurs, dans notre cas les repreneurs, alors qu’ils sont jusque-là extérieurs à la vie du
groupe, influence également le déroulement du changement dans l’organisation.
Par ailleurs, nos résultats mettent en avant le caractère social et continu du processus
de création de sens. C’est ainsi qu’il est décrit par les théoriciens du sensemaking (Weick,
1979 ; Gioia et Chittipeddi, 1991). L’individu s’insère dans une « vie sociale » (Koenig,
2003), un courant d’événements en cours qui « ne s’interrompt jamais » (Rojot et Wacheux,
2006, p. 132) et auquel il ne peut s’extraire. Nous avons vu que tout ce qui entoure l’individu
influence sa perception des événements et son action. Lorsqu’il s’agit de redéfinir la situation
et de resituer son action, chaque membre de l’entreprise (salarié ou repreneur) puise
ardemment et continuellement dans sa propre histoire, dans l’environnement interne et
externe ainsi que dans l’histoire de l’organisation et des indices qui le guident.
De surcroît, focalisant notre attention sur le passage du niveau des interprétations
individuelles au registre des interprétations collectives, nous avons observé l’expression des
jeux de pouvoir (Crozier et Friedberg, 1977) entre acteurs et/ou groupes d’acteurs. Dans de
nombreuses TPE étudiées, dès lors que la situation a été perçue comme inhabituelle et
équivoque, et pour protéger leurs intérêts ainsi que leur position au sein de l’organisation, des
groupes ou individus influant ont cherché à transférer leurs propres valeurs et interprétations
au reste des acteurs, notamment au nouvel arrivant qui bénéficie du pouvoir de décision. Le
repreneur lui-même profite également de « l’occasion » pour faire accepter, à travers son
action et ses discours, sa propre perception des choses par les salariés présents dans
l’entreprise. De telles pratiques ont des répercussions immédiates sur le processus de
reconstruction collective de sens post-reprise. Nos travaux confirment les conclusions de
quelques travaux récents pour qui la construction de sens n’est pas un acte neutre mais, au
contraire, un processus très politisé (Helms Mills, 2003 ; Buchanan et Dawson, 2007) où
chaque acteur participe, à travers son discours, à la redistribution du pouvoir lui-même
(Zilber, 2007, p. 1037, cité par Brown, Colville et Pye, 2015).
376
Reconnaître que la reconstruction collective de sens n’est pas un processus automatique,
qu’elle peut être favorisée ou non par de multiples facteurs individuels, organisationnels, et/ou
contextuels, sous-entend qu’elle peut et doit être pilotée. Dans le contexte des TPE étudiées,
nos résultats montrent que cette mission est dévolue en grande partie au repreneur. Ils
corroborent ainsi l’affirmation de Torrès (2007) sur le rôle prépondérant du dirigeant dans le
fonctionnement spécifique de la TPE. La TPE présente des particularités qui impactent la
manière dont le sens peut être créé. Si les membres de l’organisation agissent pour construire
du sens, tous attendent un éclaircissement de la part de ce personnage important, observent
ses actions et comportements afin de pouvoir prélever des indices supplémentaires sur leur
nouvel environnement. En tant que nouvel « homme fort » de l’entreprise, il se doit de donner
un sens à la situation, d’expliquer et faciliter le changement (Fiol et Huff, 1992 ; Kotter,
2003) en favorisant l’interaction entre individus. Il se doit également d’être à l’écoute des
significations et des suggestions qui lui sont fournies. La proximité hiérarchique (Torrès,
2007) ne lui offre que peu de marge de manœuvre. Dans la majorité des cas, il ne peut
s’appuyer, comme l’a montré Balogun (2003) dans des structures de taille plus importante,
sur la présence de managers intermédiaires pour jouer le rôle d’entremetteurs et d’interprètes
du changement (Havard et Ingham, 2014) et produire, traduire ou diffuser du sens pour son
propre compte. L’activité de reconstruction collective de sens repose alors en grande partie
sur son comportement et sur ce qu’il met en œuvre personnellement. Les échanges
intersubjectifs qu’il initie, favorise et maintient en personne tout au long de la période post-
reprise, créent du sens et, par-là, réinvente continuellement l’organisation.
2.1.3.) La qualité des échanges intersubjectifs salariés-repreneur comme condition à la réalisation d’un nouveau système d’actions organisées
Notre étude met aussi en lumière l’importance des échanges intersubjectifs dans la
constitution et le maintien d’un système d’actions coordonnées après l’arrivée du repreneur.
La littérature conditionne la création de sens à l’interaction. C’est elle qui « rend possible
l’échange de subjectivité qui permet de construire collectivement de nouvelles réponses, et
ainsi d’inventer l’organisation » (Vidaillet, 2003, p. 160). Koenig (1996) attire l’attention sur
le fait que l’élaboration de sens constitue avant tout une manifestation collective reposant sur
la participation coordonnée d’au moins deux personnes. C’est à partir de cycles de
comportements interreliés entre individus que se reconstruit progressivement et
collectivement le sens donné à la situation (Weick, 1979). Parce que la situation est équivoque
et remet en cause les schémas de pensées coutumiers, elle pousse l’individu à tenter de créer
377
de l’ordre dans le désordre. L’analyse de nos entretiens le confirme. Face à l’équivocité
perçue suite à la RPP, les individus ont d’abord essayé individuellement de rendre leur
environnement intelligible, de rétrécir le champ des interprétations (Allard-Poesi, 2003). Pour
tous les cas examinés, des réflexions individuelles ont été entreprises mais, à chaque fois,
elles ont été jugées insuffisantes pour obtenir une représentation vraisemblable de la situation.
Pour combler ce déficit de significations, les membres de l’organisation ont tous cherché, à
travers des interactions avec leurs pairs, à donner du sens à la situation. L’objectif est de
parvenir à une intellection en partie partagée de la réalité.
Certains auteurs perçoivent la construction de sens comme un acte essentiellement
individuel (Dunbar, 1981 ; Goleman, 1985 cité par Ben Fredj Ben Alaya, 2007 ; Starbuck et
Milliken, 1988 ; Klein et al., 2006, cités par Maitlis et Christianson, 2014). Pour d’autres, elle
est à la fois individuelle et collective (Louis, 1980 ; Weick, 1995 ; Maitlis, 2005). Selon
Weick (1995), le processus de sensemaking s’enracine dans une tension dynamique mêlant
activité individuelle et activité collective. Nos résultats font apparaître une construction de
sens qui est une combinaison de ces deux types d’activité. A l’instar de Weick 279, ils nous
permettent d’affirmer que la construction de sens n’est jamais uniquement individuelle. La
présence des autres est indispensable au processus de reconstruction collective de sens post-
reprise. L’échange avec autrui enrichit le répertoire des interprétations, permet de relever des
indices manqués et de partager des modèles mentaux, des valeurs et des croyances. Il autorise
le débat, la confrontation d’idées, la stabilisation des interprétations propices à l’émergence
d’attentes compatibles. Il en résulte généralement une stabilisation des représentations que les
individus jugeront suffisantes ou plausibles pour pouvoir continuer à agir. Karsenty et
Quillaud (2011, p. 3) voient dans cette « capacité du collectif à confronter des points de vue
différents et à articuler des compréhensions partielles», une « condition » au sensemaking.
Parallèlement, nos résultats montrent que, lorsqu’il est permis, l’échange intersubjectif
enrichit considérablement l’information et modifie les schémas de pensées des différents
individus à travers une convergence de significations. Nous relevons que les cycles de
comportements interreliés ne sont pas systématiquement et suffisamment présents dans toutes
les organisations au cours de la période post-reprise. Au sein de deux TPE (cas MF et LPC),
les échanges intersubjectifs, notamment entre salariés et repreneurs, n’ont pas été suffisants en
nombre et/ou en qualité pour permettre un rapprochement des interprétations. Il en résulte une 279
Weick (1995, p. 40) écrit : « Sensemaking is never solitary because what a person does internally is
contingent on others.”
378
compréhension très fragmentée de la réalité, de l’incertitude, et une situation inconfortable qui
perdure. Nous remarquons que ces deux structures connaissent une forte désorganisation de
leur activité avec le départ de la totalité du personnel pour l’entreprise MF, et de 8 salariés sur
10 pour l’entreprise LPC, quelques mois seulement après l’arrivée des repreneurs. Les deux
salariés restant au sein de l’entreprise LPC que nous avons pu interroger sont à ce sujet très
clairs : ils déplorent le manque d’échanges avec le repreneur et l’absence d’informations sur
le déroulement des opérations. De toute évidence, plusieurs mois après l’arrivée du repreneur,
les salariés demeurent encore et toujours dans l’expectative et n’arrivent pas à se projeter dans
un quelconque système d’actions organisées. Ils restent dans une indétermination
interprétative (Laroche et Steyer, 2012). Ils ne peuvent stabiliser leurs interprétations et
explications, ni entrevoir leurs intérêts personnels à participer à l’action.
Outre la quantité des échanges intersubjectifs, nos résultats montrent que c’est leur
qualité qui influence le processus de reconstruction collective de sens post-reprise.
L’approfondissement des entretiens met en avant plusieurs propriétés qui doivent être
associées à l’échange. Ce dernier doit être franc, sincère et cordial. De nombreux individus
interrogés insistent sur l’importance d’une conversation où toutes les intentions et ressentis
sont donnés, où « tout est mis sur la table », sans « langue de bois ». Si l’interaction est jugée
comme fondée sur des informations parcellaires ou tronquées, les individus limiteront
volontairement leurs efforts pour développer une relation constructive avec le repreneur et
hésiteront à s’engager dans l’action. L’équivocité demeurera élevée et la confiance ne sera pas
instaurée. Nous retrouvons là, les principes de l’interaction respectueuse évoquée par Weick
(1993) tout au long de ses travaux. Pour l’auteur, ce n’est qu’à partir d’une interaction de ce
type que se développe « une vie harmonieuse avec autrui » (Weick, 1993, p. 634) et que le
« moi » peut passer du « je au nous » (David, 2006, p. 263).
Par ailleurs, à travers les entreprises étudiées, nous avons mesuré l’importance des
interactions en face à face, de la délibération les « yeux dans les yeux » pour reconstruire
collectivement du sens. Nous observons que le système d’information interne simple et peu
formalisé caractérisant généralement la TPE (Julien, 1990) semble favorable à cette pratique.
Dans la majorité des entreprises examinées, l’oralité prédomine. Les informations circulent à
travers des conversations formelles et/ou informelles (le plus souvent) entre salariés et entre
salariés et repreneur. À condition qu’elle existe, la proximité physique des individus,
notamment entre dirigeant et salariés, apparaît propice aux échanges en face à face. La
379
communication et l’échange de significations semblent avantagés lorsque les individus se
voient tous les jours et dans un espace de travail relativement restreint.
Au sein des TPE analysées, les informations et les tâches à effectuer sont souvent
transmises de manière simple, sans mise en scène, ni orchestration, et les problèmes
rencontrés exposés au fil de l’eau. Nos résultats font apparaître que la faible spécialisation des
employés et leur polyvalence sont favorables au développement, puis au maintien,
d’interactions permanentes. Poursuivre son action ou l’action d’un autre nécessite d’échanger,
de se concerter fréquemment. Nous notons néanmoins que si le système d’information interne
simple de la TPE, la proximité relationnelle ainsi que la faible spécialisation et la polyvalence
des employés semblent influencer positivement la dynamique d’échanges, d’autres traits
caractéristiques de ce type d’entreprises peuvent, à l’inverse, venir l’entraver. Ainsi, nous
avons pu noter qu’une gestion trop centralisée et personnalisée du repreneur, l’utilisation
d’outils de gestion et de communication peu fréquente (tableaux de bord financiers, outils de
gestion des ressources humaines et d’organisation du travail ; règles et procédures, réunions,
etc.), une stratégie informelle (Torrès, 2007) souvent conservée dans la tête du nouveau
dirigeant, laissent moins de place aux échanges, aux débats, à la confrontation des
significations et, in fine, à la reconstruction collective de sens. Dans ce cas précis et, à l’instar
de De Freyman (2009), nous pouvons dire que le fonctionnement spécifique de la petite
entreprise se mute en effet complexifiant lorsqu’il s’agit de reprendre une entreprise.
2.1.4.) La communication, un facteur central dans la réussite du management post-reprise
Nos résultats mettent en évidence l’importance de la communication interne dans le
déroulement du processus de reconstruction collective de sens post-reprise. C’est à travers
une communication simple, libre, franche et ouverte que les individus développent des
significations équivalentes pour se coordonner et s’engager dans l’action. Comme Weick
(1969, p. 28), nos conclusions positionnent l’activité de communication et l’échange
d’informations au cœur même du processus organisationnel. L’auteur fait valoir cette idée et
s’appuie, tout en les citant, sur les explications de Katz et Kahn (1966, pp. 223-224, traduit
par Giroux, 2006, p. 39) : « La communication, l’échange d’informations et la transmission
de signification, sont l’essence même du système social ou de l’organisation… la
transformation de l’énergie (l’accomplissement du travail) dépend de la communication entre
les personnes dans chacun des sous-systèmes de l’organisation et de la communication entre
ceux-ci ». L’auteur affirme également que « la communication est l’essence des organisations
380
car elle produit les structures qui affecteront par la suite ce qui va être dit ou fait et par qui »
(Weick, 1987, p. 97). Pour Weick, Sutcliffe et Obstfeld (2005, p. 413), il s’agit là d’une
« composante centrale du sensemaking » ne devant en aucun cas être négligée.
Nous avons observé empiriquement que la communication avec autrui permet de
relever des indices, de tester des hypothèses et de valider ou infirmer des impressions.
Lorsqu’elle est insuffisante, les salariés et repreneurs ont du mal à interpréter le changement,
à se « projeter » dans une relation constructive avec autrui, à donner du sens aux événements.
Eprouvant des difficultés à véritablement comprendre les connexions (parmi les individus, les
lieux et les événements) afin d’anticiper leurs trajectoires et agir efficacement (Klein et al.,
2006, cités par Maitlis et Christianson, 2014), ils s’enferment dans des comportements
régressifs (Giordano, 2006), de résistance au changement (Collerette, Delisle et Perron, 1997),
ou décident purement et simplement de quitter l’entreprise. C’est précisément ce que nous
avons constaté pour les entreprises LPC et MF.
La littérature s’accorde sur le fait que le processus de construction de sens est avant
tout un processus de conversation et de narration formel et informel (Balogun et Johnson,
2005 ; Rouleau et Balogun, 2011) produit par des échanges verbaux et non-verbaux (Gioia et
Chittipeddi, 1991 ; Giroux, 2006), ayant lieu en face à face et/ou collectivement. Nous venons
de le voir, Weick place l’activité de communiquer à la base du processus de construction
sociale de la réalité. Adoptant une telle posture, il s’inscrit indéniablement dans une lecture
interprétative de la communication. D’après Giroux (1994), deux principaux courants de
pensée ont influencé la manière de définir la communication interne : la perspective
fonctionnaliste et la perspective interprétative. La première, plus ancienne, a produit deux
définitions : la communication productive et la communication intégratrice. La
communication productive s’appuie sur une vision rationaliste et mécaniste de l’organisation
et perçoit la communication comme un outil fonctionnel et symbolique (Giordano, 2006) de
production unidirectionnel, un « simple rouage » devant être soumis au contrôle et au calcul
économique. Elle est linéaire, descendante et limitée à des fins productives (Sfez, 1991, cité
par Giroux, 1994). La communication intégratrice cherche, quant à elle, à rassembler les
membres de l’organisation, à socialiser et intégrer les individus. Il s’agit d’un dialogue
permettant à chacun de se situer dans son environnement, de s’inscrire dans l’action
collective. Cette définition se situe « en accord » avec l’école des relations humaines qui
perçoit l’individu comme autre chose qu’un homo-économicus purement rationnel.
381
Pour Giroux, le deuxième courant, plus récent, qualifié de « perspective
interprétative » est une approche subjectiviste « qui présente la société et l’organisation
comme des créations humaines, produites à travers des processus émergents» (1994, p. 7). La
communication collective et multidirectionnelle crée du sens : elle est une « transaction »
(Barnlund, 1971, cité par Giroux, 1994) par laquelle les individus « bâtissent leur relation et
leur identité, échangent de la valeur, construisent l’organisation ». La communication
devient « organisante » dans la mesure où elle devient le processus de production et de
reproduction de la collectivité organisationnelle.
Cette troisième et dernière définition de la communication est celle qui émerge de
notre étude. Nos résultats montrent que la communication construit un nouvel ensemble social
coordonné dans lequel chacun des acteurs inscrit son action, qu’il soit salarié ou repreneur. Le
processus de reconstruction collective de sens post-reprise ne s’enclenche que si une
communication collective, multidirectionnelle (Giroux, 1994), une conversation respectueuse
(Weick, 1995) où chacun peut s’exprimer librement et sans crainte, sont mises en place. Via
ce type de communication, chaque individu présente ses propres interprétations et projette
sereinement son identité dans l’environnement et observe, en retour, les conséquences. De
cette manière, chacun trouve sa place et ses repères dans la vie du groupe, puis mène à bien
ses actions en les coordonnant aux autres.
Par ailleurs, nos travaux font état de certaines conditions pouvant influencer
positivement ou négativement la mise en place d’une communication « organisante » au sein
de la TPE du secteur commercial. Ainsi, une centralisation trop importante de la gestion par le
repreneur, le peu de temps consacré à la discussion et aux réunions, des amplitudes horaires
très larges, où les individus « se croisent » plus qu’ils ne travaillent réellement ensemble, ou
encore la présence importante d’employés à temps partiel, restreignent les possibilités de
communication collective. A l’inverse, la proximité hiérarchique, l’esprit de famille, les
rituels festifs réguliers (célébrations d’anniversaires, « pots » pour les évènements familiaux :
naissances, baptêmes, repas de Noël, barbecues, etc.) facilitent l’échange conversationnel
multidirectionnel, la conversation ordinaire qui façonne la réalité sociale et forme finalement
l’organisation.
L’analyse de tous ces résultats nous a conduits à élaborer des propositions permettant
de répondre à nos questions de recherche.
382
2.2.) Les recommandations managériales
Le travail d’analyse de nos données empiriques et les résultats qui sont apparus
progressivement permettent d’avancer différentes propositions, dans le but d’améliorer
l’édification d’un nouveau système d’actions organisées après l’arrivée d’un repreneur
externe au sein d’une petite entreprise saine. Nous avons vu que le changement de dirigeant
au sein d’une TPE engendre des turbulences au sein de l’organisation. Il s’agit d’un
changement organisationnel majeur en ce qu’il génère de nombreuses incompréhensions,
modifie les rapports entre individus, la répartition des rôles et des responsabilités et la
perception des identités. L’équivocité est à son comble au moment de l’entrée en fonction du
repreneur et il est fondamental de transformer la complexité perçue en un monde intelligible.
Le processus de reconstruction collective de sens post-reprise est celui qui structure
l’inconnu, donne un ordre compréhensible aux choses, puis situe son action et le poids de
celles-ci sur le cours des événements. La compréhension collective des interrelations entre les
tâches à réaliser permet l’émergence d’une vision partagée et la constitution d’une nouvelle
structure collective. Malgré l’impact du changement sur la vie du groupe, l’action coordonnée
redevient possible.
Nous pouvons donc formuler la proposition centrale suivante :
2.2.1.) Agir (mais pas tout seul) pour donner du sens au changement
L’entrée dans l’entreprise génère des doutes, des incompréhensions, des
interprétations divergentes, de nombreux questionnements que le repreneur « ne pourra pas
esquiver bien longtemps » (Rollin, 2006, p. 138). Un tel événement appelle un travail cognitif
d’attribution de significations qui ne peut être encouragé et dirigé que par le repreneur de
l’entreprise. En tant que nouveau leader, c’est à lui que revient de donner du sens au
changement, de s’impliquer dans la formation d’un processus dynamique d’interactions
interindividuelles, support d’un cadre interprétatif équifinal. Au départ, lui seul connaît les
projets qu’il formule pour l’organisation. Les salariés, bien conscients de cet état de fait, font
Proposition centrale 1 : Le processus de reconstruction collective de sens post-reprise réduit l’équivocité, favorise la compréhension situationnelle, l’émergence d’une vision partagée de la situation, l’engagement dans l’édification d’un nouveau système d’actions organisées et, par là, la réussite de la reprise.
383
face à une asymétrie informationnelle qui leur est défavorable. Ils attendent donc des actions
de sa part pour tenter d’y voir plus clair et de s’inscrire de nouveau dans l’action. Les
interventions initiées par le repreneur sont indispensables dans la mesure où elles structurent
l’inconnu.
Durant la période de management post-reprise, la présentation du projet, la mise en
place de règles concrètes, l’action visible du repreneur fournissent des indices, un cadre de
compréhension, une grille de lecture sur ce qui est en train de se passer. Si l’action engagée
avec fermeté dans un tel climat d’incertitude engendre la compréhension (Rojot et Wacheux,
2006), elle produit en même temps, dans certains cas, de nouvelles incompréhensions, des
doutes, à partir desquels s’engageront de nouveaux cycles de dialogues, des confrontations
d’interprétation qui aboutiront, à terme, à une compréhension plus fine de la situation. On en
déduit qu’il est toujours préférable pour le repreneur d’adopter une posture active de leader
(Bass, 1985), solidement impliqué dans la transformation de l’organisation, plutôt qu’une
attitude passive de simple manager (Zaleznik, 1977 ; Petit, 2013), afin de favoriser
l’émergence d’une représentation partagée, corollaire d’une action organisée. L’action
déployée est un signal (Shannon et Weaver, 1967). Elle crée, dans tous les cas, des résultats
tangibles qui aident à découvrir ce qui se passe (Koenig, 2003). A ce stade du processus
repreneurial, même les petites actions deviennent signifiantes (Weick, 1995).
Le repreneur de TPE est un élément central du processus de reconstruction collective
de sens post-reprise. Son action s’inscrivant dans le cadre d’un changement équivoque, il se
doit d’expliquer la situation et d’apporter des réponses aux nombreuses interrogations
soulevées. Nos analyses ont montré qu’expliquer le changement ne suffit pas : il faut
également agir et l’animer continuellement. En encourageant l’interaction (par la mise en
place de réunions, de groupes de travail, etc.), en mettant en mouvement et en rendant
attentifs les salariés à ce qu’il advient (en leur présentant par exemple un diagnostic de la
situation), en restant ouvert aux questionnements de ces derniers et en y apportant des
réponses, il donne les moyens à tous de mieux appréhender la situation. De la même manière,
en prenant des décisions et en établissant une direction, en agissant concrètement sur le cours
des choses, via de petites améliorations ou des changements plus profonds, il facilite la
compréhension et l’action et fait partager aux salariés une nouvelle vision. Le repreneur
devient alors un donneur de sens, un sensegiver (Gioia et Chittipeddi, 1991) permettant à
l’organisation de se transformer progressivement en reconstruisant collectivement du sens. Il
384
doit néanmoins prendre garde à ne pas centraliser toutes les décisions et actions pour laisser
aux autres membres de l’organisation une possibilité de s’engager à leur tour dans le
processus.
Nous avons relevé empiriquement (particulièrement à travers l’analyse du cas LPC)
qu’un repreneur trop présent, disposant de tout pouvoir, et ne prêtant pas d’attention aux
informations et recommandations des salariés, pouvait être un véritable frein à la
reconstruction collective de sens. Décidant et agissant seul, restreignant l’autonomie et la
prise d’initiative de ses subalternes, il limite l’interprétation et la dynamique d’échanges
intersubjectifs, éléments essentiels au processus de sensemaking. Empiétant sur les zones
d’influence des acteurs (Crozier et Friedberg, 1977), il déresponsabilise les individus, les
prive de la possibilité d’être acteurs du changement et de se contraindre à créer du sens. Nous
en déduisons que le repreneur doit, en tout état de cause, veiller à ne pas tomber dans le « sur-
management » sous peine d’être, tour à tour, un vecteur de création et de perte de sens.
L’humilité est de rigueur. Cela revient à admettre l’idée selon laquelle tout nouveau dirigeant
d’entreprise, même expérimenté, et même s’il s’agit d’une TPE, ne peut à lui seul faire le
changement. Il a besoin de la coopération des autres membres de l’organisation qui, certes, ne
possèdent pas autant de ressources que lui, d’une hégémonie aussi forte sur le cours des
choses, mais bénéficient malgré tout d’une certaine marge de manœuvre, d’une capacité à
agir, à communiquer et à construire du sens. Il est absolument nécessaire de considérer les
salariés comme de véritables acteurs du changement, et non comme de simples variables
d’ajustement. A travers les récits qu’ils partagent, les propositions qu’ils formulent, les débats
qu’ils provoquent, et même s’ils ne sont pas dotés du même pouvoir formel que le repreneur,
ils ont une influence significative sur le processus de sensemaking.
En agissant avec les autres, en offrant aux salariés de s’impliquer dans les actions en
cours, en les faisant participer aux débats puis aux prises de décisions, le repreneur exerce une
influence considérable sur le processus de reconstruction collective de sens post-reprise. Sous
son impulsion bienveillante, les individus sont invités à faire des propositions, trouver des
solutions innovantes ou, tout simplement, à agir. L’émulation ainsi générée et les actions qui
s’ensuivent contribuent à créer puis à maintenir une dynamique interactionnelle qui enrichit
considérablement les cadres interprétatifs et le sens donné à la situation.
385
Tous ces résultats nous amènent à formuler la proposition suivante :
2.2.2.) Diffuser des informations claires et honnêtes pour faciliter l’interprétation et l’échange intersubjectif
L’interprétation des données issues du terrain révèle que l’arrivée d’un repreneur,
même lorsqu’elle est annoncée, crée une interruption dans les flux continus d’interactions
entre acteurs. L’ampleur du changement fait comprendre à chacun qu’il est temps de mettre à
jour sa perception de l’environnement, que les routines, les schémas d’actions habituels ayant
eu cours jusque-là ne sont plus nécessairement adaptés à la situation qui se renouvelle. Dans
un tel contexte où les interprétations et les contradictions pullulent, l’information fiable et
honnête constitue un matériau solide permettant la compréhension collective et une
explication plausible.
A ce stade crucial du processus repreneurial, des informations doivent être
rassemblées et enrichies de manière à aboutir à une certaine compréhension de la situation et à
réduire le nombre d’interprétations possibles (Garreau, 2006). Il s’agit, en premier lieu, pour
les dirigeants de l’entreprise (cédant et repreneur), d’expliquer la reprise, de donner des
informations claires sur les raisons qui les ont conduits à contracter. Lorsque des présentations
n’ont pas été faites avant l’entrée en fonction du repreneur, ce qui est le cas pour la majorité
des TPE étudiées, le discours du nouveau dirigeant lors d’une première réunion, puis les
échanges d’informations qui s’ensuivent, constituent une première occasion de clarifier un
peu plus la situation pour chacun des participants (y compris le repreneur). Certains
repreneurs n’ont pas jugé nécessaire de faire une réunion. Ils ont privilégié le contact direct,
en face à face, formel ou informel, avec leurs nouveaux interlocuteurs, pour à la fois expliquer
et comprendre l’organisation.
Qu’elles soient transmises via un support formel ou informel, individuellement ou
collectivement, les informations données par le repreneur ont un effet bénéfique auprès des
Proposition 2 : Le processus de reconstruction collective de sens post-reprise est favorisé lorsque le repreneur externe de TPE saine, nouveau leader de l’organisation, s’engage personnellement dans l’action, prend des décisions observables par l’ensemble de ses collaborateurs (définition ou redéfinition des rôles et des responsabilités, aménagement des horaires, nouvelle politique commerciale, etc.), en veillant néanmoins à éviter d’accaparer pour lui, tout seul, toutes les décisions et actions (sur-management).
386
salariés. Ils arrivent à mieux se représenter le changement qu’ils sont en train de vivre. Le
fait de se retrouver face à un repreneur qui explique qui il est, ce qu’il veut faire, comment il
veut le faire et quelles sont les grandes lignes de son projet, les rassure. Les échanges, les
premières prises de position sont éclairantes et permettent à tous, y compris au repreneur, de
lever bon nombre d’ambiguïtés. Inversement, l’absence d’information, les non-dits dans un
contexte fortement équivoque amplifient les inquiétudes, les rumeurs, les incompréhensions.
Les échanges d’informations et d’interprétations initiées par le repreneur sont un
premier pas vers la création de nouvelles représentations qui seront collectivement partagées
par les membres de l’organisation. En assurant la fluidité et la richesse des échanges, puis le
partage d’expériences, notamment par le biais d’informations régulières, en donnant des
informations claires sur la stratégie qu’il entend poursuivre, le repreneur fournit un cadre où
tous les membres de l’organisation peuvent argumenter en utilisant de nouvelles données
émanant de plusieurs sources, afin de construire de nouveaux cadres impliquant des liens
entre des actions et des résultats. La nature des tâches à réaliser et leur rétribution deviennent
plus lisibles, les logiques de collaboration également, ce qui encourage l’action.
Nous formulons donc la proposition suivante :
Nous relevons également l’importance du dialogue libre et respectueux entre tous les
acteurs organisationnels pour échanger l’information et amener progressivement chacun d’eux
à faire part de ses observations, exprimer librement ses doutes et incompréhensions. En tant
que nouveau leader jouissant d’une position centrale dans le recueil et la convergence des
informations (Daft et Weick, 1984), le repreneur de TPE occupe un rôle pivot dans le
processus d’interprétation. En donnant la parole à tous et en écoutant respectueusement, en
laissant s’installer librement et durablement le débat, en formulant des propositions et en
observant les réactions qui en découlent, en encourageant les propositions de ses subalternes
et en les prenant en considération, il favorise l’émergence d’un climat favorable à
l’interaction, à la compréhension partagée des événements, à la modification progressive des
Proposition 3 : Des informations claires et honnêtes concernant la reprise de la TPE saine et ses motifs, ainsi que sur le repreneur externe et ses projets pour l’organisation, doivent être fournies aux salariés dès l’entrée en fonction du nouveau dirigeant afin de favoriser et d’enrichir les interprétations, de stabiliser les significations et encourager l’action.
387
représentations individuelles et collectives et, in fine, à la constitution d’un nouveau système
d’actions organisées.
Tout ceci nous amène à formuler la proposition suivante :
2.2.3.) Un leadership « respectueux» de l’existant
« Il [le repreneur] ne peut pas arriver comme ça et décider de tout changer du
jour au lendemain. Ça, c’est un truc que j’ai pas compris. Ça ! Ça veut dire
quoi ? Qu’il pensait qu’on était des incapables, qu’on ne savait pas travailler,
que tout ce qu’on faisait avant c’était nul ? Non, non, on a trouvé que ça ne se
faisait pas !» (Salarié LPC).
Comme le laisse entendre l’aveu de ce salarié, il est indispensable pour tout repreneur
qui arrive dans une entreprise de tenir compte, dans l’élaboration puis dans la mise en œuvre
de ses actions, du poids de l’existant surtout lorsque la TPE est saine. Toute organisation
possède une histoire, une culture, un système de rôles spécifique et évolue dans un
environnement qui lui est propre. Il s’agit de points de repères dans lesquels chacun puise
vigoureusement pour composer sa réalité et engager son action. L’étude de cas multiples a
clairement montré l’influence considérable de tous ces facteurs contextuels sur le
comportement et les attitudes de chacun des sujets. Puissamment ancrés dans les
représentations individuelles et collectives ainsi que dans la dynamique des échanges
intersubjectifs, ils ne sauraient être modifiés, d’un coup d’un seul, par un individu, puisse-t-il
disposer d’une autorité et d’un pouvoir incontestable au sein de l’organisation.
Nous avons insisté sur la portée de l’action visible du repreneur, en tant que nouveau
leader, dans l’émergence puis le développement du processus de reconstruction collective de
sens post-reprise. Nous ajouterons également que mener des actions sans se référer aux
éléments contextuels (culture, système de rôles, stratégies poursuivies, environnement socio-
économique, dimension historique) risque d’être contre-productif. Cela est susceptible de
Proposition 4 : L’émergence d’un nouveau système d’actions organisées est favorisée lorsque la participation de tous est sollicitée et engagée, et que des échanges intersubjectifs respectueux fondés sur des informations claires et honnêtes, dans le cadre desquels chacun a le droit d’exprimer librement ses opinions (même divergentes), sont encouragés par le repreneur au sein de l’organisation.
388
déstabiliser fortement l’organisation, d’occasionner des incompréhensions, des doutes
supplémentaires. L’équivocité, déjà forte à ce stade du processus repreneurial, s’en trouve
renforcée. Nous aboutissons donc à la conclusion selon laquelle le repreneur doit s’engager
visiblement dans l’action, certes, mais avec tact, parcimonie et faire preuve d’une grande
humilité et d’un respect de l’existant dans sa mise en œuvre.
Nous formulons donc la proposition suivante :
2.2.4.) Développer et entretenir une communication permanente
Au cours de notre étude empirique, la communication est apparue très vite comme un
élément déterminant dans les dynamiques d’échanges intersubjectifs, support même de la
reconstruction collective de sens post-reprise. Comme nous l’avons vu, la communication est
organisante. Elle permet de relever des indices, de tester des hypothèses et de valider ou
infirmer des impressions. A travers elle, les individus expriment leurs points de vue,
débattent, mettent à jour leurs schémas de pensée, puis développent progressivement des
significations équivalentes leur permettant de se coordonner et de s’engager dans l’action. Le
système d’actions organisées se précise à mesure que l’équivocité se réduit.
Nous avons également relevé les réelles difficultés pour de nombreuses TPE à
développer et maintenir un niveau de communication satisfaisant entre ses membres. Les
fortes amplitudes horaires, le manque de temps pour faire le travail, la présence importante de
travailleurs à temps partiel, sont autant d’entraves à la rencontre et à la discussion. Sans réelle
volonté managériale de développer et maintenir un flux communicationnel permanent entre
tous les membres de l’organisation, il est, dès lors, tout à fait possible de voir certains salariés
ne pas se rencontrer durant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, comme nous avons pu le
constater au sein de l’entreprise MF.
Compte tenu du poids de la communication dans le processus de reconstruction
collective de sens post-reprise et dans l’édification d’un nouveau système d’actions
Proposition 5 : En tant que nouveau leader, le repreneur d’une TPE saine doit prendre en compte, avec humilité et respect, le contexte culturel (valeurs), structurel (proximité) et stratégique (contrats), l’environnement économique et social, l’histoire de l’organisation ainsi que les jeux de pouvoirs entre acteurs, dans l’élaboration et la mise en place de ses actions.
389
organisées, nous suggérons au repreneur d’instituer des moments de communications
réguliers au sein de l’organisation, dès sa prise de fonction. Ces derniers peuvent avoir lieu
n’importe où et sous n’importe quelle forme, en face à face et /ou en groupe, d’une manière
formelle ou non. Nous insisterons néanmoins sur l’importance des réunions collectives,
supports à l’interaction et moments de création collective de sens (Weick, 1995). Elles sont
d’autant plus indispensables lorsque les individus n’ont pas la possibilité de se rencontrer
fréquemment au sein de l’organisation.
Nous établissons la proposition suivante :
Proposition 6 : Des moments de communications réguliers formels et/ou informels, en face à face et/ou en groupe (réunions), doivent être mis en place et institués par le repreneur externe de TPE saine, dès sa prise de fonction, afin d’influencer positivement le processus de reconstruction collective de sens post-reprise.
390
Conclusion section 2
L’objectif de cette deuxième section était de discuter des principaux résultats qui
ont progressivement émergé au cours de notre étude de cas multiples.
Nos travaux font apparaître la reprise d’une TPE saine par un repreneur externe
comme un changement organisationnel majeur, une perturbation importante dans la vie des
acteurs, qui génère de l’incertitude et de l’équivocité. Les individus qui y sont confrontés
éprouvent, pour la majorité d’entre eux, le besoin de se lancer dans un travail individuel et
collectif de redéfinition de la réalité. En confrontant leurs propres interprétations à celles
des autres, ils redéfinissent un ordre, reconstruisent collectivement du sens afin de disposer
d’une vision partagée sur les priorités et préférences, quant aux actions à entreprendre.
Notre recherche a mis en évidence un processus que nous avons dénommé
reconstruction collective de sens post-reprise. Ce phénomène est apparu très vite comme
étant non spontané à l’organisation. Il s’agit d’un processus volontaire ne pouvant
s’enclencher que par la détermination des acteurs et subissant différentes influences
individuelles, organisationnelles et contextuelles, susceptibles de le favoriser et de
l’orienter. Nos analyses révèlent que l’objectif de constituer un nouveau système d’actions
organisées dans lequel chaque acteur se situe, ne peut être rempli que par la mise en place
d’échanges intersubjectifs respectueux entre le repreneur et ses salariés. Elles mettent
également en relief un facteur essentiel à la mise en œuvre et à la réussite du processus : il
s’agit de la communication interne. Lorsqu’elle est franche et honnête entre tous les
acteurs, elle devient organisante. Nous avons suggéré qu’il appartenait au repreneur de
TPE, en tant que nouveau leader, de favoriser son essor et son maintien dès son entrée en
fonction.
Pour finir, nous avons formulé des recommandations à destination des repreneurs
externes de TPE saines afin de faciliter l’émergence et le maintien du processus de
reconstruction collective de sens.
391
Conclusion chapitre 2
En nous appuyant sur le processus de reconstruction collective de sens post-
reprise décrit dans le premier chapitre, nous avons mis en exergue différents facteurs et
éléments qui influencent ce processus. Nous les avons regroupés en trois grandes
familles : les facteurs individuels, les facteurs organisationnels et les éléments
contextuels. Une modélisation élaborée à partir du modèle E.S.R. mis au point par Karl
Weick et reprenant tous les éléments du processus et ses facteurs d’influence, a ensuite
été proposée.
L’échange intersubjectif basé sur le respect entre acteurs ainsi que la
communication franche et honnête entre les salariés et le repreneur, sont apparus comme
des facteurs centraux dans le développement et le maintien du processus. L’action
volontaire de tous les acteurs et, en particulier, celle du repreneur sont indispensables, car
c’est de là qu’émergera le sens donné à la situation.
392
Conclusion partie 2
La deuxième partie de notre travail était destinée à apporter des réponses aux
questionnements qui ont émergé au cours de notre recherche.
A partir d’un travail de terrain basé sur 10 études de cas menées auprès de TPE
saines récemment reprises par des repreneurs externes, nous avons relevé un processus
que nous avons appelé processus de reconstruction collective de sens post-reprise.
Nous avons observé ce processus, ses propriétés et mécanismes, pour la majorité des
entreprises étudiées. Influencé par différents facteurs individuels, organisationnels et
contextuels, ce processus est suivi, plus ou moins consciemment, pour réduire
l’équivocité et l’inconfort dans lequel se trouvent les différents acteurs et pour
stabiliser les représentations, afin d’agir de manière coordonnée.
Créer du sens est apparu comme une action fondamentale. Elle permet de
mettre à jour les compréhensions individuelles et, pour les différents acteurs
participants au processus, de situer leurs nouveaux rôles face au changement et de
rester dans l’action. Les résistances au changement, principal obstacle à la réussite de
la reprise (Deschamps et Paturel, 2009), deviennent moins nombreuses (Gioia et
Chittipeddi, 1991) et la probabilité de réussite du management post-reprise, plus
importante.
La communication franche et honnête ainsi que le développement d’échanges
intersubjectifs fondés sur le respect entre acteurs, sont apparus comme indispensables à
l’émergence et au maintien d’une dynamique continuelle de création de sens.
A l’issue de ce travail, nous avons formulé des recommandations à destination
des repreneurs externes de TPE saines et de leurs accompagnants afin de favoriser la
mise en route, puis le maintien du processus, d’établir un système d’actions organisées
dans lequel chaque acteur, ancien ou nouveau dans l’organisation, prend pleinement la
place qui lui revient.
393
Conclusion générale
394
Conclusion générale
e travail de recherche, mené dans un cadre épistémologique interprétativiste et
en recourant à une méthode qualitative avait pour objectif principal la
compréhension de la période d’entrée du repreneur au sein d’une TPE.
L’insuffisance des travaux académiques conjuguée à la rareté des travaux empiriques sur la
RPP de TPE, plus particulièrement concernant la période du management post-reprise, nous
ont conduit à explorer le phénomène. Nous revenons dans le premier point sur la logique de
construction de notre recherche avant d’évoquer ses principaux apports théoriques,
méthodologiques et pratiques, puis ses limites. Nous terminerons ce travail par la présentation
des perspectives de recherches futures.
C.1.) Logique de construction de la recherche
Différentes options ont été prises pour mener à bien cette recherche.
Ø L’édification d’un cadre théorique cohérent avec notre objet de recherche
Notre revue de littérature conjuguée aux entretiens menés auprès de salariés et
repreneurs de TPE nous ont orienté vers les travaux portant sur le changement
organisationnel, puis vers les théories du sensemaking (Weick, 1979). Ce cadre théorique
nous est apparu particulièrement approprié pour expliquer les réactions et les comportements
des individus face à un événement déstabilisant. En complément à cette approche, nous avons
mobilisé les théories du leadership pour mieux comprendre quel pouvait être le rôle du
repreneur dans l’apparition et le maintien d’une action organisée.
Ø Une méthodologie adaptée au problème posé
Cette recherche s’appuie sur une méthodologie qualitative guidée par une logique
abductive. Nous avons mené une étude de cas multiples auprès de dix TPE saines de la région
Auvergne-Rhône-Alpes reprises par un repreneur personne physique externe. En déployant
une telle méthodologie, nous souhaitions appréhender un phénomène complexe, en
l’occurrence, la reconstruction collective de sens post-reprise, dans son environnement naturel
C
395
et mettre en relief des régularités. Des entretiens semi-directifs conduits en face à face auprès
de repreneurs et de salariés ont permis de nous approcher au plus près des interprétations des
acteurs. La triangulation des données visait à limiter le plus possible les biais interprétatifs (y
compris les nôtres) et à améliorer notre compréhension des phénomènes en jeu durant la
période post-reprise.
Ø L’émergence d’une synthèse opérationnelle pour comprendre l’entrée en fonction du
repreneur et d’un nouveau système d’actions organisées.
Le recours à différentes approches théoriques, particulièrement aux travaux sur le
sensemaking, nous a permis de mieux comprendre le processus d’entrée du repreneur et les
phénomènes s’y produisant. Les résultats de notre recherche montrent que l’arrivée dans une
structure de petite taille génère effectivement de l’équivocité auprès de l’ensemble des
acteurs. L’engagement dans un processus de reconstruction collective de sens permet
d’obtenir une interprétation partiellement partagée de l’événement et de poursuivre l’action
collective. Nous relevons également le rôle important, dans la mise en œuvre et le maintien du
processus, de chacun des acteurs. Les comportements et actions des salariés et du repreneur
influent sur le processus, même si ce dernier dispose d’un poids plus important quant à son
déroulement. En outre, les résultats de notre recherche relèvent neuf facteurs organisationnels
et quatre facteurs contextuels ayant un impact direct sur le processus.
C.2.) Les apports et aspects de la recherche
Nous pensons que les apports et aspects de cette recherche se situent à trois niveaux :
théorique, méthodologique et managérial. Nous les présentons dans les points suivants.
C 2.1.) Les apports théoriques
Cette recherche s’inscrit dans la lignée des travaux initiés par Deschamps (2000) sur le
processus repreneurial et poursuivis par Boussaguet (2005), Bah (2006) et De Freyman
(2009). Son principal intérêt théorique réside dans l’apport d’une lecture inédite de l’entrée en
fonction du repreneur, dernière étape du processus repreneurial et phénomène encore peu
étudiée.
396
Nos apports théoriques se présentent en deux points qui suivent les caractéristiques
d’une contribution théorique telle qu’elle est fixée par Corley et Gioia (2011) :
L’originalité : nous avons opté pour une perspective interactionniste afin
d’appréhender les interprétations, les comportements et l’évolution des relations entre
individus consécutivement au changement. Les théories du sensemaking, approche
psychosociale peu utilisée en sciences de gestion et en entrepreneuriat, n’ont jamais, à notre
connaissance, été mobilisées pour expliquer les problématiques essentiellement humaines
auxquelles doivent faire face les salariés et le repreneur durant cette période trouble de la vie
d’une organisation. À travers l’utilisation de ce cadre théorique, nous offrons une autre
perspective des dynamiques sociocognitives à l‘œuvre dans les groupes, suite à un événement
aussi déstabilisant que l’arrivée d’un nouveau dirigeant.
L’utilité : à partir des théories du sensemaking, nous avons suggéré une définition d’un
concept clé de notre travail : la reconstruction collective de sens post-reprise. Nous avons, à
travers lui, proposé une nouvelle manière de comprendre les phénomènes humains et les
relations qui s’établissent entre acteurs, particulièrement entre salariés et repreneurs, afin de
donner naissance à l’action organisée. A partir de ce concept, nous avons développé une
modélisation du processus et des facteurs qui l’influencent. Ces derniers peuvent être à la fois
individuels, organisationnels et contextuels.
C 2.2.) Les aspects méthodologiques
Nous avons recensé deux principaux apports méthodologiques pour cette recherche.
Le premier apport méthodologique réside dans la construction d’outils d’analyse
qualitative répondant aux objectifs de notre recherche. L’ensemble de nos données empiriques
récoltées a été traité principalement à l’aide d’instruments mis au point par Miles et
Huberman (2003). Nous avons eu d’abord recours à des diagrammes contextuels afin de
dépeindre les relations entre acteurs organisationnels au sein de chaque TPE (histoire de leurs
relations, événements marquants, nature de la relation, etc.). Nous avons ensuite élaboré des
matrices (rôles/chronologie, effets), les mêmes pour chaque cas étudié afin de faciliter les
comparaisons inter-cas. L’élaboration de grilles d’analyse à partir du modèle de construction
de sens en situation de changement développé par Vandangeon-Derumez et Autissier (2006)
est venue compléter et renforcer notre dispositif d’analyse.
397
Le deuxième apport concerne le déploiement d’une approche multi-acteurs. Nous
avons choisi d’accéder directement aux interprétations des acteurs via des entretiens semi-
directifs menés en face à face. Nous avons multiplié les sources de données en interrogeant
les deux catégories d’acteurs internes concernés par la reprise (les salariés et les repreneurs)
en vue d’enrichir l’analyse. Certains acteurs ont été auditionnés à plusieurs reprises à des
dates différentes, ce qui nous a permis de vérifier et/ou d’infirmer leurs propos. La
triangulation des données nous a permis de limiter l’influence des biais interprétatifs, qu’ils
proviennent des acteurs ou de notre propre posture d’observateur, et d’améliorer la richesse et
la crédibilité des résultats de la recherche.
La méthodologie que nous avons déployée nous a donné la possibilité d’occuper une
position d’observateur privilégié du terrain, ce qui a facilité l’identification puis l’énonciation
de préconisations managériales. Celles-ci sont présentées dans le point suivant.
C.2.3.) Les contributions managériales
Dans une perspective d’un accroissement notable du nombre de reprises de TPE dans
les prochaines années et du risque d’échec relativement élevé de ce type d’opération, il nous
est apparu tout à fait approprié d’en comprendre les mécanismes. Les repreneurs qui ont
bénéficié jusqu’à la concrétisation de la vente des conseils avisés de leurs accompagnants, se
retrouvent souvent seuls et démunis au moment de leur entrée en fonction dans l’entreprise. A
travers notre démarche, nous souhaitons leur fournir des conseils et des outils leur permettant
de conduire le changement de manière à rétablir une action organisée. Nous tentons de
répondre ainsi à un des objectifs de la recherche en sciences de gestion qui consiste à produire
des connaissances opératoires, utiles et pertinentes pour l’action (Allard-Poesi et Maréchal,
2014).
Ø Offrir aux futurs repreneurs une perception de ce qui se passe après la signature :
Notre travail permet de sensibiliser les repreneurs quant à l’impact du changement
provoqué par la reprise d’une petite entité sur la vie des individus et sur leurs relations entre
eux. L’arrivée du repreneur au sein d’une petite structure constitue, en effet, un changement
organisationnel majeur et provoque un état de confusion qu’il est nécessaire de prendre en
considération dans la conduite des premiers échanges et dans la mise en place des premières
actions.
398
Ø Expliciter les rôles et actions favorisant la mise en place de l’action coordonnée :
Sur le plan pratique, nous mettons également en évidence l’importance de chacun des
acteurs, même en position subalterne, dans la mise en place de l’action coordonnée. Nous
insistons sur la qualité des échanges intersubjectifs comme condition à un engagement
individuel puis collectif dans l’action. Il ressort de notre travail qu’un repreneur, à lui tout
seul, ne peut « faire le changement », mais qu’il occupe une position inégalée au sein de la
structure nécessitant qu’il adopte une conduite et une démarche favorisant le déploiement et le
maintien d’un système d’actions organisées. En soulignant l’intérêt d’épouser des attitudes et
des comportements propices à un échange harmonieux tels que l’honnêteté, la sincérité, la
confiance, l’écoute, l’humilité, le respect de l’existant, l’ouverture d’esprit… et de mettre en
place des actions telles que la présentation du projet, la mise en place de règles concrètes, la
communication régulière, le choix d’un dialogue ouvert, la prise d’une position personnelle
visible, nous pensons fournir aux repreneurs des connaissances susceptibles de les aider dans
une meilleure gestion de leur prise de fonction.
Ø Identifier les facteurs ayant une influence sur la gestion de la période de management
post-reprise :
Le repreneur d’une TPE saine arrive dans un ensemble organisé déjà constitué avec
des caractéristiques qu’il est nécessaire de prendre en compte dans la gestion du
changement. Chaque organisation possède une histoire, une culture, un système de rôles
spécifique et évolue dans un environnement qui lui est propre. Il s’agit de points de repères
puissamment établis dans lesquels chacun puise insatiablement pour composer sa réalité,
puis engager son action. En identifiant huit facteurs individuels, neuf facteurs
organisationnels et quatre facteurs contextuels ayant une influence sur le processus de
reconstruction collective de sens post-reprise, corollaire d’une action organisée, puis en
formulant six propositions, nous pensons donner aux repreneurs des éléments de réponse
pour mieux comprendre comment la vie organisationnelle se déploie (Weick, 1979), mieux
assimiler les dynamiques d’influence dans la construction collective du sens et ainsi mieux
réussir le changement. Les facteurs d’influence ainsi que les propositions sont rappelées
dans le tableau suivant.
399
Tableau 18 – Synthèse des facteurs d’influence et propositions
Facteurs d’influence Individuels Organisationnels Contextuels
Cédant - La fourniture d’informations au repreneur. - La fourniture d’indices aux salariés.
Culture - Perception de la mission de l’entreprise. - Conception du travail en équipe et du partage. - Importance accordée au dialogue interne et à l’écoute.
- Environnement socio-économique.
- Jeux de pouvoir.
- Histoire de l’entreprise.
- Histoire du repreneur.
Salariés - L’engagement dans un effort d’interaction. - L’apport d’informations concernant la situation de l’entreprise. - La proposition d’améliorations.
Stratégie - Clarté et cohérence de la stratégie. - Information sur les ressources et moyens mis à disposition. - Information sur les contributions et gains attendus.
Repreneurs - L’animation du collectif. - L’instauration et le maintien d’une communication franche et honnête. - L’implication des salariés dans le projet.
Structure - Répartition des rôles et des responsabilités. - Liens hiérarchiques et centralisation de la décision. - Utilisation d’outils de gestion et de communication.
Propositions
P1 Le processus de reconstruction collective de sens post-reprise réduit l’équivocité, favorise la compréhension situationnelle, l’émergence d’une vision partagée de la situation, l’engagement dans l’édification d’un nouveau système d’actions organisées et, par là, la réussite de la reprise.
P 2 Le processus de reconstruction collective de sens post-reprise est favorisé lorsque le repreneur externe de TPE saine, nouveau leader de l’organisation, s’engage personnellement dans l’action, prend des décisions observables par l’ensemble de ses collaborateurs (définition ou redéfinition des rôles et des responsabilités, aménagement des horaires, nouvelle politique commerciale, etc.), en veillant néanmoins à éviter d’accaparer pour lui, tout seul, toutes les décisions et actions (sur-management).
P 3 Des informations claires et honnêtes concernant la reprise de la TPE saine et ses motifs, ainsi que sur le repreneur externe et ses projets pour l’organisation, doivent être fournies aux salariés dès l’entrée en fonction du nouveau dirigeant afin de favoriser et d’enrichir les interprétations, de stabiliser les significations et encourager l’action.
P 4 L’émergence d’un nouveau système d’actions organisées est favorisée lorsque la participation de tous est sollicitée et engagée, et que des échanges intersubjectifs respectueux fondés sur des informations claires et honnêtes, dans le cadre desquels chacun a le droit d’exprimer librement ses opinions (même divergentes), sont encouragés par le repreneur au sein de l’organisation.
P 5 En tant que nouveau leader, le repreneur d’une TPE saine doit prendre en compte, avec humilité et respect, le contexte culturel (valeurs), structurel (proximité) et stratégique (contrats), l’environnement économique et social, l’histoire de l’organisation ainsi que les jeux de pouvoirs entre acteurs, dans l’élaboration et la mise en place de ses actions.
P 6 Des moments de communications réguliers formels et/ou informels, en face à face et/ou en groupe (réunions), doivent être mis en place et institués par le repreneur externe de TPE saine, dès sa prise de fonction, afin d’influencer positivement le processus de reconstruction collective de sens post-reprise.
400
Malgré les différents apports théoriques, méthodologiques et managériaux de ce travail,
nous allons voir dans le point suivant qu’il présente néanmoins un certain nombre de limites.
C.3.) Les limites de la recherche
Cette recherche comporte un certain nombre de limites. La plupart relève de la
méthodologie déployée pour répondre à nos questionnements.
Ø Une démarche qualitative difficilement transposable à d’autres contextes :
Si l’analyse qualitative, exercice intellectuel pour faire émerger du sens (Paillé et
Mucchielli, 2003), présente un intérêt certain pour comprendre en profondeur un phénomène
complexe encore peu étudié, elle pose néanmoins un véritable problème de scientificité. Le
processus de reconstruction collective de sens post-reprise et ses facteurs d’influence ont été
mis en évidence dans un contexte donné (le management post-reprise d’une TPE
appartenant au secteur du commerce au sein de la région Auvergne-Rhône-Alpes). La
généralisation des résultats à d’autres contextes semble inenvisageable.
Ø L’existence de biais cognitifs :
L’utilisation d’entretiens semi-directifs comme source principale de collecte de
données expose à un certain nombre de biais liés à l’interprétation, à la mémoire ou au
comportement des répondants. Notre recherche se heurte, en effet, à différents biais que
nous reprenons succinctement.
(1) Un biais d’anxiété : les répondants essaient de donner des réponses qui leur
donnent l’image d’individus compétents, cohérents et équilibrés.
(2) Un biais de mémoire : les personnes interrogées répondent en fonction des
éléments dont elles se souviennent.
(3) Un biais de contamination : les individus interrogés apprennent par d’autres
individus l’objet de la recherche, ce qui peut fausser les résultats. Concernant ce dernier
biais, nous avons conscience, par exemple, que le fait d’avoir été introduit par le repreneur
qui joue ici le rôle de « parrain » (Baumard et al., 2014) auprès des salariés pour solliciter
leur participation ait pu induire un biais d’interprétation et influencer leurs réponses. Ces
derniers pouvant faire l’amalgame entre les motivations du repreneur et les nôtres.
401
Ø La constitution de la population d’étude :
Une troisième limite à notre travail concerne le choix de la population étudiée. Etant
donné notre accès difficile au terrain, lié en grande partie à l’opacité du marché et à
l’impossibilité d’obtenir un fichier recensant les opérations de reprise, le choix des entreprises
n’est pas issu d’un mode scientifique de sélection d’échantillon. Nous devons la composition
de notre population à l’intervention de tiers informateurs (conseils, banquiers, représentants
patronaux, chambres consulaires) ou encore à notre propre réseau professionnel. Ce mode
opératoire explique également la taille limitée de 10 cas de reprise, mais qui semble
néanmoins suffisante compte tenu du caractère exploratoire de notre recherche.
Nos résultats doivent également être évalués au regard du choix et du faible nombre de
personnes interrogées (27 au total et 31 entretiens réalisés). Si l’accès aux repreneurs fut
relativement compliqué, la rencontre avec les salariés l’était tout autant. Elle n’a pu être
négociée qu’une fois le terrain investigué. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous avons
été contraint d’arrêter notre collaboration avec une TPE, suite au refus du repreneur que nous
poursuivions notre enquête auprès de son personnel. Nous avons conscience des possibles
biais provoqués par la méthode utilisée pour sélectionner les personnes interrogées et pour
définir le nombre d’entretiens devant être menés avec les salariés. Le choix de ces deux
variables n’ayant pu être défini a priori. Nous avons néanmoins pu vérifier l’atteinte de la
saturation thématique dans le cadre de notre analyse.
Plus globalement, une limite que nous pouvons formuler tient dans la totale liberté du
chercheur dans la sélection des faits (Wacheux, 1996) et dans son « improbable » impartialité
dans le cadre d’une recherche qualitative. Nous avons conscience que notre culture, notre
expérience professionnelle, notre formation influent sur notre interprétation des événements et
des discours qui nous ont été tenus. Au cours des entretiens, nous avons pu être amené à
relancer un peu plus sur certains points et un peu moins sur d’autres. Ces agissements influent
certainement, au moins en partie, les réponses qui sont données par les repreneurs et salariés
interrogés.
402
C.4.) Les perspectives de recherches futures
Au terme de cette recherche, plusieurs perspectives de recherche sont envisageables.
Ø Eprouver notre modèle en l’appliquant à un nombre plus important de TPE reprises :
Notre recherche qualitative, centrée sur l’analyse de 10 cas de reprises, a mis en
évidence un processus de reconstruction collective de sens post-reprise qui pourrait être testé
sur une population d’étude de plus grande taille ayant satisfait à des principes scientifiques de
sélection. De cette manière, les propositions que nous avons formulées pourraient être
confirmées ou invalidées.
Ø Réaliser une recherche longitudinale :
Comme nous l’avons révélé, le processus de reconstruction collective de sens post-
reprise est un processus long et continu. Nous pensons qu’étudier le phénomène avec une
approche longitudinale portant sur un nombre de cas limité nous permettrait d’améliorer
significativement la compréhension du processus. De cette façon, nous observerons avec
davantage de justesse les dynamiques interactionnelles et sociocognitives, les modifications
comportementales ainsi que les différentes phases émotionnelles vécues par les acteurs du
processus.
Ø Expérimenter le modèle à d’autres contextes :
Nous pensons qu’il serait judicieux d’élargir l’étude de la constitution d’un nouveau
système d’actions coordonnées aux deux autres types de reprises, à savoir la reprise familiale
et la reprise par des salariés (RES) pour observer si le phénomène se produit et, dans
l’affirmative, la manière dont il se déroule. Il serait également intéressant d’étendre l’étude à
des entreprises de plus grande taille comme les PME et, pourquoi pas, les grandes entreprises.
Dans ce cas précis, nous pourrions observer quel pourrait être le rôle et l’influence des
managers intermédiaires sur le processus. De la même façon, étudier la transférabilité des
résultats à d’autres secteurs d’activité ou encore à des entreprises dans des situations
financières différentes (en difficultés, avec des germes de difficultés), semblerait tout à fait
pertinent.
Dans cette conclusion, nous avons mis l’accent sur les principaux apports, les limites
ainsi que les perspectives de recherche pouvant être envisagées à l’avenir. Cette recherche
s’attache à comprendre un phénomène humain et social qui, par nature, est complexe. C’est
pourquoi elle ne peut prétendre à répondre à toutes les interrogations concernant la prise de
403
fonction du dirigeant et tous les aspects psychosociaux et/ou émotionnels s’y rapportant.
Entreprendre un tel projet semblerait de toute manière utopique pour un chercheur isolé et sur
une courte période. Nous pensons néanmoins que le concept de reconstruction collective de
sens post-reprise, dans la mesure où il procure un angle de vue inédit sur la manière dont se
déroule l’entrée en fonction du repreneur, requiert d’être davantage exploré. Il s’agit d’une
piste de recherche parmi tant d’autres susceptibles d’apporter aux futurs repreneurs, des
moyens supplémentaires pour augmenter leur chance de réussite dans leur projet
entrepreneurial.
404
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Tableaux et figures
436
Table des tableaux
Tableau 1 - Les critères européens de définition des entreprises (recommandation 2003/361/CE)…………………………………………………………………………….… 40
Tableau 2 - Les TPE françaises en chiffres…………………………………………….….. 42
Tableau 3 - Les TPE en fonction du secteur d’activité.…………………………………… 42
Tableau 4 - Ventilation des entreprises par classe de taille dans les pays de l’OCDE……. 44
Tableau 5 - La petitesse des entreprises conçue comme un mix de proximité…………….. 47
Tableau 6 - Tableau des chiffres de la transmission d’entreprises en France
de 1997 à 2006……………………………………………………..…………….……….. 62
Tableau 7 - Répartition des transmissions de TPE-PME selon le type de repreneur……..... 87
Tableau 8 - Notre positionnement parmi les différents types de transmission……………... 91
Tableau 9 - Les causes multiples de la résistance au changement……………………...… 115
Tableau 10 - Typologie des changements………………………………………………...... 128
Tableau 11 - Les principales théories du changement………………………………….….. 137
Tableau 12 - Manager vs leader……………………………………………………………. 184
Tableau 13 - Le manager : un donneur de sens…………………………………………… 206
Tableau 14 - Les positions épistémologiques des paradigmes positiviste, interprétativiste et constructiviste………………………………………………….…………….................... 228
Tableau 15 - Présentation synthétique de la population d’entreprises sélectionnées….….... 247
Tableau 16 - Synthèse des entretiens réalisés………………………………………………. 254
Tableau 17 - Facteurs organisationnels influençant le processus de reconstruction collective de sens post-reprise au sein d’une TPE…………………………………………. 353
Tableau 18 – Synthèse des facteurs d’influence et propositions…………………………... 399
437
Table des figures
Figure 1 - Modes de raisonnement et connaissance scientifique…………………………… 22
Figure 2 - La relation entre la théorie et les observations empiriques………………………. 23
Figure 3 - Évolution historique de la recherche en PME…………………………………… 36
Figure 4 - Le réseau organisationnel imbriqué dans un environnement…………………… 52
Figure 5 - La loi proxémique…………………………………………………….………….. 54
Figure 6 - Le phénomène de paroi…………………………………………………………… 54
Figure 7 - La dialogique individu / création de valeur………………………………………. 80
Figure 8 - le modèle des 3 E………………………………………………………………… 81
Figure 9 - Grille de positionnement des pratiques de l’entrepreneuriat……………….…… 85
Figure 10- La représentation succincte du processus repreneurial………………………….. 98
Figure 11 - Processus de décision de reprendre…………………………………………….. 99
Figure 12 - Synthèse du processus repreneurial…………………………………………….. 104
Figure 13 - La dynamique du changement dans une opération de reprise par un particulier…………………………………………………………………………………… 106
Figure 14- Le cube du changement………………………………………………………… 126
Figure 15 - La matrice des changements………………………………………………….... 129
Figure 16 - Le schéma de l’analyse contextualiste…………………………………………. 142
Figure 17 - Le processus d’entrée dans l’entreprise à la lumière de la théorie ponctuationniste…………………………………………………………………………….. 144
Figure 18 - Dynamique du processus de construction de sens……………………………… 159
Figure 19 - Le modèle E-S-R………………………………………………………………. 160
Figure 20 - Structure d’équivalence mutuelle…………………………………………….... 165
Figure 21 - L’oscillation entre attention portée aux cadres et attention portée aux significations……………………………………………………………………………….. 170
Figure 22 - Le processus d’engagement vers l’action…………………………………….... 175
Figure 23 - Une modélisation du sensemaking en situation de changement………………. 177
Figure 24 - Composantes de l’analyse des données : modèle de flux……………………... 258
Figure 25 - Codage de premier niveau sur le logiciel NVivo-10©………………………… 263
438
Figure 26 - La reconstruction collective de sens post-reprise au sein d’une TPE saine à travers le modèle E-S-R (Weick, 1979)…………………………………………..……… 288
Figure 27 - Grille d’analyse du management de la reprise (Salariés HPC)………………... 322
Figure 28 - L’influence contextuelle sur le processus de reconstruction collective de sens post-reprise au sein d’une TPE..…………………………………………………………… 365
Figure 29 - Le processus de reconstruction collective de sens post-reprise au sein d’une TPE saine et les facteurs d’influence……………………………………………..……………... 367
439
ANNEXES
440
Liste des annexes
Annexe 1 - Lettre de demande de mise en relation avec des repreneurs………………...... 441
Annexe 2 - Lettre envoyée aux repreneurs…………………………………………….….. 442
Annexe 3 - Guide d’entretien (repreneur)…………………………………………….….. 443
Annexe 4 - Guide d’entretien (salariés)…………………………………………….…….. 444
Annexe 5 - Démarche d’élaboration du guide d’entretien (repreneur)……………..…….. 445
Annexe 6 - Extrait de la grille thématique…………………………………………..…..... 447
Annexe 7 - Diagramme contextuel (cas HPC)…………………………………….……... 448
Annexe 8 - Matrice rôles/chronologie (cas PP)…………………………………….…….. 449
Annexe 9 - Matrice des effets (cas ICV)………………………………………….…….... 450
Annexe 1 - Lettre de demande de mise
Courrier adressé à différents pspécialisées en transmission ETIENNE/MONTBRISON et ROANNE.
Laboratoire de recherche ICI MOUHLI Karim Chercheur en sciences de gestion4 rue des Cigales 42390 VILLARS Tél : 06-24-******* Mail : [email protected]
Objet : participation à une recherche universitaire.
Madame, Monsieur,
Membre du laboratoire de recherche ICI de l’Université de Bretagne actuellement une thèse de Doctorat ayant pour thème la reprise par des personnes physiques de très petites entreprises dans le secteusalariés).
Le but de cette recherche est d’exavec l’entreprise et de déterminer les facteurs de réussite et d’échec d’une telle opération. Des premiers éléments laissent à penser que cette étape est très importante pour le devenir de l’entreprise.
Etant donné le nombre élevé de transmissionsles prochaines années, il est important donner aux futurs repreneurs des outils leur permettant de mie
Afin de mener à bien ce travail, je souhaiteraiêtre mis en relation avec des repreneurs de TPE récemment installés ou en courd’installation. La présente recentretien d’environ une heure afin de répondre à une liste de questions portant sur leur vécu à la tête de l’entreprise.
Il est entendu que toutes les conversations seront confidentielles comme le prévoit la Charte Nationale des Thèses.
Souhaitant sincèrement votre collaboration, je vous prie de croire en l’expressionsentiments respectueux.
441
re de demande de mise en relation avec des repreneurs
professionnels de la transmission (experts-comptables, agences d’entreprises) et aux présidents de la CCI de LYON, de St
ETIENNE/MONTBRISON et ROANNE.
en sciences de gestion
Villars le 20 Mar
ion à une recherche universitaire.
du laboratoire de recherche ICI de l’Université de Bretagne Occidentale, je prépare e de Doctorat ayant pour thème la reprise par des personnes physiques
petites entreprises dans le secteur tertiaire en région Rhône-Alpes (TPE de moins de
Le but de cette recherche est d’explorer l’entrée dans l’entreprise d’un repreneur sans lien l’entreprise et de déterminer les facteurs de réussite et d’échec d’une telle opération. Des iers éléments laissent à penser que cette étape est très importante pour le devenir de
re élevé de transmissions d’entreprises et sa progression années, il est important pour préserver la vitalité de notre tissu économique
preneurs des outils leur permettant de mieux réussir cette étape.
n de mener à bien ce travail, je souhaiterais bénéficier de votre concours notamment pour en relation avec des repreneurs de TPE récemment installés ou en cour
recherche nécessite simplement de la part des repreneurs un viron une heure afin de répondre à une liste de questions portant sur leur vécu à
Il est entendu que toutes les conversations seront confidentielles comme le prévoit la Charte
cèrement votre collaboration, je vous prie de croire en l’expression
Karim MOUHLI
comptables, agences la CCI de LYON, de St
Villars le 20 Mars 2015
Occidentale, je prépare e de Doctorat ayant pour thème la reprise par des personnes physiques
Alpes (TPE de moins de10
d’un repreneur sans lien l’entreprise et de déterminer les facteurs de réussite et d’échec d’une telle opération. Des iers éléments laissent à penser que cette étape est très importante pour le devenir de
gression annoncée dans préserver la vitalité de notre tissu économique de
ux réussir cette étape.
bénéficier de votre concours notamment pour en relation avec des repreneurs de TPE récemment installés ou en cours
part des repreneurs un viron une heure afin de répondre à une liste de questions portant sur leur vécu à
Il est entendu que toutes les conversations seront confidentielles comme le prévoit la Charte
cèrement votre collaboration, je vous prie de croire en l’expression de mes
im MOUHLI
Annexe 2 – Lettre envoyée aux repreneurs
Courrier adressé aux repreneurs
Laboratoire de recherche ICI
MOUHLI Karim Chercheur en sciences de gestion4 rue des Cigales 42390 VILLARS Tél : 06-24-****** Mail : [email protected]
Objet : participation à une recherche universitaire.
Madame, Monsieur,
Membre du laboratoire de recherche ICI de l’Université de Bretagne Occidentale, je prépare actuellement une thèse de Doctorat ayant pour thème la reprise par des personnes physiques de très petites entreprises dans le
Le but de cette recherche est d’explorer l’entrée dans l’entravec l’entreprise et de déterminer les facteurs de réussite et d’échec d’une telle opération. Des premiers éléments laissent à penser que cette étape est très importante pour le devenir de l’entreprise.
Etant donné le nombre élevé de transmissionles prochaines années, il est important donner aux futurs repreneurs des outils leur permettant de mieux réussir cette étape.
Afin de mener à bien ce travail, jeune heure. Celui-ci s’articulera autour de questions relatives à votre vécu durant cette période.
Il est entendu que toutes les conversations seront confidentielles comme le prévoit la Charte Nationale des Thèses.
Je me permettrai de vous rappeler
Souhaitant sincèrement votre collaboration, je vous prie de croire en l’expressiosentiments respectueux.
442
voyée aux repreneurs
reneurs
en sciences de gestion
Villars le …
ion à une recherche universitaire.
du laboratoire de recherche ICI de l’Université de Bretagne Occidentale, je prépare e de Doctorat ayant pour thème la reprise par des personnes physiques
dans le secteur tertiaire (TPE de moins de 10 salariés).
Le but de cette recherche est d’explorer l’entrée dans l’entreprise d’un repreneur sans lien l’entreprise et de déterminer les facteurs de réussite et d’échec d’une telle opération. Des iers éléments laissent à penser que cette étape est très importante pour le devenir de
le nombre élevé de transmission d’entreprises et sa progression années, il est important pour préserver la vitalité de notre tissu économique
preneurs des outils leur permettant de mieux réussir cette étape.
n de mener à bien ce travail, je souhaiterais vous rencontrer pour un entretien d’environ rticulera autour de questions relatives à votre vécu durant cette période.
Il est entendu que toutes les conversations seront confidentielles comme le prévoit la Charte
mettrai de vous rappeler dans les prochains jours.
cèrement votre collaboration, je vous prie de croire en l’expressio
Karim MOUHLI
le …
du laboratoire de recherche ICI de l’Université de Bretagne Occidentale, je prépare e de Doctorat ayant pour thème la reprise par des personnes physiques
ns de 10 salariés).
d’un repreneur sans lien l’entreprise et de déterminer les facteurs de réussite et d’échec d’une telle opération. Des iers éléments laissent à penser que cette étape est très importante pour le devenir de
progression annoncée dans préserver la vitalité de notre tissu économique de
preneurs des outils leur permettant de mieux réussir cette étape.
vous rencontrer pour un entretien d’environ rticulera autour de questions relatives à votre vécu durant cette période.
Il est entendu que toutes les conversations seront confidentielles comme le prévoit la Charte
cèrement votre collaboration, je vous prie de croire en l’expression de mes
im MOUHLI
443
Annexe 3 – Guide d’entretien (repreneur)
Présentation de l’entreprise : Nom de l’entreprise, statut juridique, date de création et de reprise, activités, chiffre d’affaires, effectif avant et après reprise, situation financière de l’entreprise, situation sociale, nombre de reprises ayant déjà eu lieu.
Présentation du repreneur : Nom, âge, formation, expérience de la reprise, expérience professionnelle, lien avec l’entreprise, raisons du rachat.
1. Pouvez-vous nous décrire votre arrivée dans l’entreprise. Comment l’avez-vous vécue ?
2. A votre avis, comment a-t-elle été vécue par les salariés ? 3. Quelles questions vous ont été posées ? Quelles réponses avez-vous données ? 4. Quels ont été les premiers contacts avec vos salariés ? Comment se sont-ils déroulés ? 5. Les communications avec les salariés ont-elles été faciles ? Si non, pourquoi ? 6. Comment vos relations avec les salariés ont-elles évolué au cours du temps ? 7. Avez-vous constaté des modifications dans les relations entre salariés ? Vous en a-t-on
fait part ? Avez-vous eu affaire à des accrochages ou des conflits ? 8. Avez-vous constaté des réactions particulières de la part des salariés après votre
arrivée dans l’entreprise ? Si oui, pour quelles raisons ? 9. Quelles ont été vos premières grandes actions/décisions dans l’entreprise ? A partir de
quand les avez-vous mis en œuvre ? Quelles ont été les réactions des salariés ? 10. Les salariés vous ont-ils confié des différences avec l’ancien dirigeant ? Si oui, sur
quoi portaient-elles ? 11. Avez-vous procédé à des changements dans l’entreprise ? Si oui, lesquels ? A votre
avis, qu’en ont pensé les salariés ? 12. Ont-ils adhéré facilement à votre projet, votre vision ? Quels moyens avez-vous mis
en œuvre pour cela ? 13. Avez-vous sollicité l’aide des salariés pour mettre en place votre projet ? 14. Sont-ils venus vous faire des suggestions, si oui, les avez-vous pris en compte ? 15. A votre tour, vous êtes-vous adapté à la situation existante ? Pourquoi ? 16. Vous ont-ils proposé de l’aide ? Comment ? L’avez-vous accepté ? 17. Se sont-ils engagés rapidement à vos côtés ? A votre avis, pourquoi ? 18. D’après vous, comment un repreneur peut-il développer son leadership auprès des
salariés de l’entreprise ? Quelles actions peut-il mettre en place pour emporter leur adhésion au projet ?
19. A votre avis, à partir de quel moment vous a-t-on considéré comme le véritable dirigeant de l’entreprise ? Y a-t-il eu un événement marquant à ce moment-là ?
20. Pensez-vous avoir réussi votre entrée en fonction dans l’entreprise ? Pourquoi ? Comment avez-vous fait pour cela?
21. Pensez-vous que l’entreprise fonctionne aussi bien, si ce n’est mieux, qu’avant votre arrivée ? Y règne-t-il un bon climat social ? A votre avis pourquoi ?
22. Avec du recul, modifieriez-vous quelque chose à votre façon d’agir durant cette période ?
444
Annexe 4 – Guide d’entretien (salariés)
Présentation du salarié : Nom, âge, formation, années de présence dans l’entreprise, poste occupé.
1. Pouvez-vous nous décrire l’arrivée dans l’entreprise du repreneur. Comment l’avez-vous vécue ? Et vos collègues salariés ?
2. A votre avis, comment a-t-elle été vécue par le repreneur ? 3. Quelles questions vous êtes-vous posées ? Quelles réponses vous a-t-on donné ? 4. Quels ont été les premiers contacts avec le repreneur ? Comment se sont-ils déroulés ? 5. Les communications avec le repreneur ont-elles été faciles ? Si non, pourquoi ? 6. Comment vos relations avec le repreneur ont-elles évolué au cours du temps ? 7. Avez-vous constaté des modifications dans les relations entre salariés ? Vous en a-t-on
fait part ? Avez-vous eu affaire à des accrochages ou à des conflits ? 8. Avez-vous constaté des réactions particulières de la part de vos collègues
salariés après l’arrivée du repreneur dans l’entreprise ? Si oui, pour quelles raisons ? 9. Quelles ont été ses premières grandes actions/décisions dans l’entreprise ? A partir de
quand les a-t-il mis en œuvre ? Quelles ont été les réactions des salariés ? 10. Observez-vous des différences avec l’ancien dirigeant ? Si oui, sur quoi portent-elles ? 11. Le repreneur a-t-il procédé à des changements dans l’entreprise ? Si oui, lesquels ?
Qu’en pensez-vous ? 12. Avez-vous adhéré facilement au projet du repreneur, à sa vision ? Quels moyens a-t-il
mis en œuvre pour cela? 13. A-t-il sollicité l’aide des salariés pour mettre en place son projet ? 14. Avez-vous fait des suggestions, si oui, les a-t-il pris en compte ? 15. Le repreneur s’est-il adapté à la situation existante ? Pourquoi ? 16. Lui avez-vous proposé de l’aide ? Comment ? L’a-t-il accepté ? 17. Vous êtes-vous engagés rapidement à ses côtés ? Pourquoi ? 18. D’après vous, comment un repreneur peut-il développer son leadership auprès des
salariés de l’entreprise ? Quelles actions peut-il mettre en place pour emporter leur adhésion au projet?
19. A votre avis, à partir de quel moment avez-vous considéré le repreneur comme le véritable dirigeant de l’entreprise ? Y a-t-il eu un événement marquant à ce moment-là ?
20. Pensez-vous qu’il ait réussi son entrée en fonction dans l’entreprise ? Pourquoi ? 21. Pensez-vous que l’entreprise fonctionne aussi bien, si ce n’est mieux, qu’avant son
arrivée ? Y règne-t-il un bon climat social ? A votre avis pourquoi ? 22. Avec du recul, modifieriez-vous quelque chose à votre façon d’agir ou à celle du
repreneur durant cette période ?
445
Annexe 5 - Démarche d’élaboration du guide d’entretien (repreneur)
Objectifs Sous-objectifs Informations à réunir pour atteindre les sous-
objectifs
Questions formulées pour obtenir les informations désirées
Influence du contexte de l’entreprise et de la situation du repreneur sur le management post-reprise
Cerner l’importance de la dimension contextuelle et historique sur la reprise
Situation de l’entreprise au moment de son rachat (financière, sociale) Profil du repreneur (état civil, formation, expérience professionnelle, expérience de la reprise)
Présentation de l’entreprise : Nom de l’entreprise, statut juridique, date de création et de reprise, activités, chiffre d’affaires, effectif avant et après reprise, situation financière de l’entreprise, climat social, nombre de reprises ayant déjà eu lieu, faits historiques marquants. Présentation du repreneur : Nom, âge, formation, expérience de la reprise, expérience professionnelle, lien avec l’entreprise, raisons du rachat.
Retracer le déroulement de l’entrée en fonction à partir de l’interprétation du repreneur
Identification des impacts du changement sur la vie des individus Apprécier l’évolution des échanges communicationnels Comprendre l’incidence sur le tissu relationnel
Emotions ressenties- Réactions et état d’esprit des salariés et son évolution au cours du management post-reprise Caractéristiques des échanges et évolution Modifications dans les relations entre individus Comportements adoptés par les différents acteurs
1. Pouvez-vous nous décrire votre arrivée dans l’entreprise. Comment l’avez-vous vécue ? 2. A votre avis, comment a-t-elle été vécue par les salariés ? 3. Quelles questions vous ont été posées ? Quelles réponses avez-vous données ? 4. Quels ont été les premiers contacts avec vos salariés ? Comment se sont-ils déroulés ? 5. Les communications avec les salariés ont-elles été faciles ? Si non, pourquoi ?
6. Comment vos relations avec les salariés ont-elles évoluées au cours du temps ? 7. Avez-vous constaté des modifications dans les relations entre salariés ? Vous en a-t-on fait part ? Avez-vous eu affaire à des accrochages ou des conflits ? 8. Avez-vous constaté des réactions particulières de la part des salariés après votre arrivée dans l’entreprise ? Si oui, pour quelles raisons ?
Comprendre la gestion du changement par
Cerner les comportements et actions des différents
Perception de l’action du repreneur par les salariés
9. Quelles ont été vos premières grandes actions/décisions dans l’entreprise ? A partir de quand les avez-vous mis en œuvre ? Quelles ont été les réactions des salariés ?
446
le repreneur acteurs suite aux actions initiées par le repreneur Repérer la perception du rôle des salariés par le repreneur Découvrir le rôle des interactions dans la constitution de l’action organisée
Contenu des changements opérés et réactions Mise en œuvre du projet et explications Déroulement des interactions Facteurs d’engagement dans l’action
10. Les salariés vous ont-ils confié des différences avec l’ancien dirigeant ? Si oui, sur quoi portaient-elles ?
11. Avez-vous procédé à des changements dans l’entreprise ? Si oui, lesquels ? A votre avis, qu’en ont pensé les salariés ? 12. Ont-ils adhéré facilement à votre projet, votre vision ? Quels moyens avez-vous mis en œuvre pour cela? 13. Avez-vous sollicité l’aide des salariés pour mettre en place votre projet ?
14. Sont-ils venus vous faire des suggestions, si oui, les avez-vous pris en compte ? 15. A votre tour, vous êtes-vous adapté à la situation existante ? Pourquoi ?
16. Vous ont-ils proposé de l’aide ? Comment ? L’avez-vous accepté ? 17. Se sont-ils engagés rapidement à vos côtés ? A votre avis, pourquoi ?
Situer les déterminants de l’action organisée
Identification des conditions de mise en activation de l’action coordonnée Evaluation a posteriori de la réussite de l’entrée en fonction
Relation entre leadership et émergence de la structure collective Management du repreneur et son évolution La constitution d’un nouveau système d’actions organisées
18. D’après vous, comment un repreneur peut-il développer son leadership auprès des salariés de l’entreprise ? Quelles actions peut-il mettre en place pour emporter leur adhésion au projet ? 19. A votre avis, à partir de quel moment vous a-t-on considéré comme le véritable dirigeant de l’entreprise ? Y a t-il eu un événement marquant à ce moment-là ? 20. Pensez-vous avoir réussi votre entrée en fonction dans l’entreprise ? Pourquoi ? Comment avez-vous fait pour cela ?
21. Pensez-vous que l’entreprise fonctionne aussi bien si ce n’est mieux qu’avant votre arrivée ? Y règne-t-il un bon climat social ? A votre avis pourquoi ? 22. Avec du recul, modifieriez-vous quelque chose à votre façon d’agir durant cette période ?
447
Annexe 6 – Extrait de la grille thématique
Thématique N°1 - Comportement des acteurs
Sous-thème N°1.1.- Comportement du repreneur
1.1.1.- Ecoute/ Dialogue 1.1.2.- Disponibilité 1.1.3.- Respect / humilité 1.1.4.- Exemplarité 1.1.5.- Implication
Sous-thème N°1.2.- Comportement des salariés
1.2.1.- Apport d’informations ou d’idées 1.2.2.- Effort d’interaction 1.2.3.- Implication
Thématique N°2 – Communications interpersonnelles
Sous-thème N°2.1.- Présentation du repreneur et de son projet
2.1.1.- Prise de contact 2.1.2.- Premiers échanges salariés-repreneurs
Sous-thème N°2.2.- Outils de la communication dans l’organisation
2.2.1. - Réunions 2.2.2.- Entretiens individuels formels 2.2.3.- Echanges informels
Sous-thème N°2.3.- Propriétés de la communication
2.3.1.- Simplicité/Clarté 2.3.2.- Franchise/ honnêteté 2.3.3.- Circulation de l’information (ascendante et descendante).
Thématique N°3 – Eléments contextuels
Sous-thème N°3.1.- Environnement socio-économique
3.1.1.- Concurrence - Secteur d’activité 3.1.2.- Contexte d’exercice/ implantation
Sous-thème N°3.2.- Dimension historique
3.2.1.- Histoire de l’organisation 3.2.2.- Histoire individuelle
Sous-thème N°3.3.- Climat social
3.3.1.- Relations entre individus 3.3.2.- Jeux de pouvoirs entre acteurs
Annexe 7 – Diagramme contextuel (cas HPC)
448
Annexe 8 – Matrice rôles/chrono
449
chronologie (cas PP)
Annexe 9 – Matrice des effets (cas ICV
450
ice des effets (cas ICV)
451
Table des matières
452
Remerciements
Plan sommaire
Introduction générale……………………………………………………………………… 7
I.1.) Le contexte général de la recherche………………………………………………… 11
I.2.) La construction de l’objet de la recherche…………………………………………... 13
I.2.1.) L’entrée en fonction du repreneur de TPE: émergence d’une thématique
de recherche…………………………………………………………………………. 14
I.2.2.) Questions et intérêts de la recherche…………………………………………. 17
I.3.) Le design de la recherche…………………………………………………………... 20
I.3.1.) Le positionnement épistémologique…………………………………………. 20
I.3.2.) Les choix méthodologiques………………………………………………….. 22
I.3.3.) L’architecture de la recherche……………………………………………….. 24
Partie 1 - Le cadre conceptuel de la reprise de TPE saines…………………………….. 27
Chapitre 1 - La reprise d’une TPE : caractéristiques et particularités………………... 30
Section 1- La TPE : des spécificités impactant la reprise………………………………….. 31
1.1.) Mieux définir la TPE pour mieux la comprendre………………………………….. 32
1.1.1.) Un intérêt grandissant pour la Petite Entreprise…………………………….. 32
1.1.2.) La TPE : une Moyenne Entreprise plus petite ?............................................. 37
1.1.3.) Une première approche quantitative………………………………………… 38
1.1.4.) D’une approche quantitative à une approche qualitative……………….…… 41
1.2.) Des spécificités à l’origine d’une transmission-reprise complexe……………….… 47
1.2.1.) Le rôle central du dirigeant………………………………………………….. 48
1.2.1.1.) Dirigeant et entreprise, une relation faite d’interdépendance……..……… 49
1.2.1.2.) La relation spécifique du dirigeant de TPE à son environnement………… 51
1.2.1.2.1.) L’importance du réseau relationnel…………….……………….. 51
1.2.1.2.2.) Un mode de raisonnement marqué par la proximité……………. 53
1.2.2.) L’effet de grossissement et son impact sur la transmission-reprise………… 54
1.2.2.1.) L’effet de nombre………………………………………………… 55
1.2.2.2.) L’effet de proportion……………………………………………… 55
1.2.2.3.) L’effet de microcosme……………………………………………. 56
1.2.2.4.) L’effet d’égotrophie………………………………………………. 57
Conclusion Section 1………………………………………………………………………. 58
Section 2 - Un processus entrepreneurial protéiforme et contingent à forts enjeux………. 59
2.1.) La reprise d’entreprise : situation actuelle………………………………………... 60
453
2.1.1.) Etat des lieux de la transmission-reprise en France………………….…….. 61 2.1.2.) Des enjeux économiques et sociaux unanimement reconnus……….……... 64
2.1.2.1.) Une première prise de conscience au niveau européen……….…..… 65
2.1.2.2.) En France : une action tardive des pouvoirs publics largement orientée sur la « transmission-continuité » effectuée par la famille ou les salariés……………....... 68
2.1.2.3.) Une action relayée en région Auvergne-Rhône-Alpes……………... 70
2.1.3.) La reprise d’entreprise au sein du champ de l’entrepreneuriat…………….. 73
2.1.3.1.) Les paradigmes de l’entrepreneuriat……………………………….... 74
Ø L’approche par les traits individuels………………………………. 75 Ø L’approche par les faits……………………………………….…… 75 Ø L’approche par l’impulsion d’une organisation…………………… 76 Ø L’approche par les opportunités…………………………………… 76 Ø L’approche par les processus…………………………………….... 77 Ø L’approche par l’innovation……………………………………….. 78 Ø L’approche par la création de valeur nouvelle ou par l’obtention
de valeur nouvelle ou existante……………………………………. 78 Ø Un paradigme supplémentaire : le paradigme de projet…….……... 81
2.1.3.2.) Pour une lecture multiparadigmatique de l’acte…………………….. 82
2.1.4.) Les différentes modalités de la transmission………………………………. 86
2.1.4.1.) La transmission familiale……………………………………………. 87
2.1.4.2.) La transmission à un (ou des) salarié(s) de l’entreprise (RES ou reprise de l’entreprise par les salariés) 89
2.1.4.3.) La transmission à un repreneur personne physique externe (RPP)…. 90
2.1.4.3.1.) Des repreneurs externes de TPE très hétérogènes……………. 92
2.1.4.3.2.) Les caractéristiques de la TPE………………………………… 93
Ø La reprise externe de TPE saines……………………………...... 94 Ø La reprise externe de TPE avec des germes de difficultés……… 94 Ø La reprise externe de TPE avec des difficultés avérées………… 95
2.2.) Le processus repreneurial pour une personne physique externe………………….. 96
2.2.1.) Les trois grandes étapes de la reprise……………………………………….. 98
2.2.1.1.) L’étape relative à la décision d’entreprendre du repreneur…………. 98
2.2.1.2.) L’étape de la reprise…………………………………………………. 99
2.2.1.2.1.) A la recherche de « L’ » entreprise…………………………… 100
2.2.1.2.2.) L’analyse approfondie………………………………………… 100
2.2.1.2.3.) La négociation et la signature…………………………………. 101
2.2.1.3.) L’étape de l’entrée dans l’entreprise………………………………… 102
2.2.1.3.1.) La période de transition……………………………………….. 102
454
2.2.1.3.2.) Le management de la reprise………………………………….. 103
2.2.2.) Le management de la reprise : une étape capitale dans la réussite du projet……………………………………………………………………………… 104
2.2.2.1.) Une étape importante pour le repreneur……………………………. 105
2.2.2.2.) Une période de fragilité pour l’organisation……………………….. 106
2.2.3.) Les enjeux liés au changement de dirigeant………………………………. 107
2.2.3.1.) Les difficultés liées à l’appropriation des relations à l’environnement................................................................................................ 108
2.2.3.2.) Les difficultés internes à l’organisation……………………………. 109
2.2.3.2.1.) Un bouleversement organisationnel………………………… 110
2.2.3.2.2.) Le poids du facteur humain…………………………………. 111
Conclusion section 2……………………………………………………………………... 117
Conclusion chapitre 1……………………………………………………………………. 119
Chapitre 2 - Le rôle du repreneur en contexte de changement organisationnel…… 121
Section 1 - Le management de la reprise ou la conduite d’un changement organisationnel majeur…………………………………………………………………............................. 122
1.1.) Le changement : typologies et modèles de gestion……………………………... 123
1.1.1.) Les principaux types de changements organisationnels………………….. 123
1.1.1.1.) Un changement incrémental ou radical……………………………. 124
1.1.1.2.) Microchangement et macrochangement…………………………… 125
1.1.1.3.) Un changement prescrit ou construit………………………………. 126
1.1.2.) La RPP d’une TPE saine : un changement organisationnel majeur et spécifique………………………………………………………………………… 130
1.1.2.1.) Le rôle central du repreneur et la gestion du changement…………. 131
1.1.2.2.) Proxémie, phénomène de paroi et gestion du changement………… 132
1.1.2.3.) L’effet de grossissement comme variable explicative du changement………………………………………………………………………. 133
1.1.3.) De la notion de gestion du changement à la notion de capacité de changement : l’évolution des modèles de gestion du changement………………. 135
1.1.3.1.) Une première approche : le changement en tant que modèle d’organisation et de croissance……………………………………………… 138
1.1.3.2.) Le changement comme adaptation des organisations aux pressions de l’environnement……………………………………………………………... 139
1.1.3.2.1.) L’approche stratégique du changement……………………... 140
1.1.3.2.2.) L’analyse contextualiste du changement……………………. 141
1.1.3.2.3.) La conception ponctuationniste……………………………... 143
1.1.3.3.) Le changement : un processus dynamique et permanent………….. 145
455
1.1.3.3.1.) L’approche interprétativiste…………………………………. 146
1.1.3.3.2.) Les théories de l’apprentissage………………………………. 148
1.1.3.4.) Une évolution paradigmatique : le changement vu sous l’angle de la capacité à changer…………………………………………………………… 149
1.2.) L’approche par le sensemaking : un cadre théorique interprétatif adapté à la compréhension du management de la reprise………………………………………...... 152
1.2.1.) Présentation de l’approche……………………………………………….... 153
1.2.1.1.) Le processus de sensemaking ……………………………….…...… 155
1.2.1.1.1.) Ses propriétés……………….………………………………... 155
1.2.1.1.2.) Le modèle E-S-R.…………………………………………..… 159
1.2.1.1.2.1.) Enactment……………………………………………... 160
1.2.1.1.2.2.) Selection…………………………………………….…. 162
1.2.1.1.2.3.) Retention…………………………………………….… 162
1.2.1.2.) D’une situation de changement à la constitution et au maintien d’un système d’actions organisées…………………………………………… 163
1.2.1.2.1.) Surprise, nouveauté et équivocité……………………………. 164
1.2.1.2.2.) Construction collective de sens et maintien d’un système d’actions organisées……………………………………………………... 165
1.2.1.2.3.) La résilience des organisations à favoriser…………………... 166
1.2.1.2.3.1.) Les quatre facteurs pour une organisation résiliente….. 167
1.2.1.2.3.2.) L’influence du processus de structuration…………….. 169
1.2.2.) La RPP d’une TPE vue comme un changement écologique.……………... 170
1.2.2.1.) Les apports du sensemaking à notre recherche…………………. 170
1.2.2.1.1.) Des explications aux effets du changement de dirigeant sur l’organisation…………………………………………………………….. 171
1.2.2.1.1.1.) Une situation nouvelle et fortement équivoque……….. 171
1.2.2.1.1.2.) Un impact sur le processus de structuration…………… 172
1.2.2.1.2.) Une compréhension du fonctionnement spécifique des TPE lors du changement de dirigeant…………………………………………. 173
1.2.2.2.) L’arrivée d’un nouveau dirigeant : un « changement écologique » propice à la (re)construction de sens…………………………………..……… 174
1.2.2.3.) Une modélisation de la construction du sens en situation de changement…………………………………………………………………… 175
1.2.3.) L’approche par le sensemaking : la nécessité de surmonter certaines limites……………………………………………………………………………… 178
1.2.3.1.) Les dimensions contextuelles et historiques largement sous-estimées……………………………………………………………………….. 178
1.2.3.2.) Les émotions sous-estimées……………....………………………….. 180
456
1.2.3.3.) Le rôle du leadership à mieux définir dans une situation de changement…………………………………………………………………… 180
1.3.) Leadership et management de la reprise……………………………………….... 182
1.3.1.) Les théories du leadership…………………………………………………. 185
1.3.2.) Leadership transactionnel et transformationnel………………………….... 188
1.3.3.) Le repreneur de TPE : les défis de la prise de leadership en contexte de changement majeur……………………………………………...... 190
Conclusion section 1…………………………………………………………………….... 192
Section 2 - (Re)construire collectivement du sens pour réussir le changement…………... 193
2.1.) L’émergence d’un nouveau système d’actions organisées………………………. 194
2.1.1.) Un environnement perturbé…………………………………………….….. 195
2.1.2.) Des salariés impliqués……………………………………………………… 196
2.1.3.) Un repreneur actif……………………………………………………….…. 197
2.2.) Le repreneur-leader de la TPE en tant qu’agent principal du changement…………. 198
2.2.1.) Du statut de manager au statut de leader………………………………….. 199
2.2.1.1.) Manager le changement post-reprise : une action suffisante?............ 199
2.2.1.2.) Le repreneur-leader : un donneur de sens au changement……….…. 200
Ø Communiquer pour créer du sens et l’organisation …………….….. 200 Ø Donner aux salariés la possibilité d’être acteurs du changement…... 203 Ø Donner du sens au changement………………………………….…. 204
2.2.2.) Une action sur les variables de la construction de sens………………….... 207
2.2.2.1.) Une action sur l’évolution de la culture……………………………. 208
2.2.2.2.) La formulation d’une stratégie……………………………………... 209
2.2.2.3.) Une intervention sur le processus de structuration……………….… 211
2.3.) Questions et objectifs de la recherche………………………………………….... 212
Conclusion section 2……………………………………………………………………... 216
Conclusion chapitre 2…………………………………………………………………….. 217
Conclusion partie 1……………………………………………………………………….. 218
Partie 2 - Modélisation du processus de reconstruction collective de sens post-reprise
et de ses facteurs d’influence……………………...………………………………….…. 221
Chapitre 1 - Méthodologie de la recherche et description du processus de reconstruction collective de sens post-reprise………………………………………………………….... 223
Section 1- Fondements épistémologiques et méthodologiques de la recherche………….. 224
1.1.) Démarche générale de la recherche…………………………………………….... 224
1.1.1.) Le positionnement épistémologique…………………………………….… 224
457
1.1.1.1.) Un positionnement épistémologique interprétativiste……….….. 225
1.1.1.2.) Une recherche abductive…………………………………….…... 230
1.1.2.) Le choix d’une approche qualitative……………………………………..... 231
1.2.) L’étude de cas : une méthode privilégiée pour étudier le pourquoi et le .comment d’un phénomène…………………………………………………………….. 233
1.2.1.) Intérêts et limites de l’approche………………………………………….... 234
1.2.2.) Sa justification dans le cadre de notre recherche………………………….. 235
1.2.3.) Le choix d’une étude de cas multiples…………………………………….. 237
1.3.) Construction et description des données……………………………….……….... 238
1.3.1.) Démarche de construction de notre population……………………….….... 238
1.3.2.) La collecte des données………………………………………………….... 248
1.3.2.1.) Le statut des données recueillies……………………………….... 249
1.3.2.2.) Les méthodes déployées……………………………………….... 250
1.3.2.2.1.) L’entretien…………………………………………….…... 250
1.3.2.2.2.) L’observation et les documents internes………………….. 255
Conclusion section 1……………………………………………………………………..... 257
Section 2 - Analyse des données et évaluation de la recherche………………………….... 258
2.1.) La condensation des données………………………………………………...…... 259
2.1.1.) Les solutions de codification retenues…………………………………….. 260
2.1.2.) L’utilisation du logiciel de codage : NVivo10©……………………..…..… 262
2.2.) La présentation des données………………………………………………..……. 264
2.3.) L’élaboration et la vérification des conclusions…………………………….……. 266
2.4.) L’évaluation de la recherche…………………………………………….……….. 267
Conclusion section 2……………………………………………………………………… 270
Section 3- Le processus de reconstruction collective de sens post-reprise……………….. 271
3.1.) L’équivocité perçue comme point de départ du processus…………….……….... 271
3.1.1.) Les manifestations de l’équivocité………………………………………… 271
3.1.2.) La recherche d’explications……………………………………………....... 276
Ø La recherche d’explications dans le passé …………………………….… 277 Ø L’interaction avec autrui………………………………………………… 277
3.2.) Les mécanismes du processus dans les cas étudiés…………………………….… 278
3.2.1.) Au niveau individuel………………………………………………………. 278
3.2.2.) Au niveau intersubjectif………………………………………………..….. 279
Ø L’échange entre salariés ……………………………………………..….. 280 Ø L’échange « salariés-cédant »..………………………………………...... 280 Ø L’échange « salariés-repreneur »………………………………………… 281
458
3.2.3.) Au niveau organisationnel……………………………………………….... 283
3.3.) Les propriétés du processus………………………………………………………. 285
3.4.) La reconstruction collective de sens post-reprise à travers le modèle E-S-R……. 287
Conclusion section 3………………………………………………………………………. 289
Conclusion chapitre 1…………………………………………………………………….. 290
Chapitre 2 : Un processus sous influences..……………………………………………... 291
Section 1 - Les facteurs et éléments influençant le processus…………….……………..... 292
1.1.) Les facteurs individuels………………………………………………………...… 292
1.1.1.) Le cédant : une influence limitée en amont du processus……………… 292
1.1.1.1.) La fourniture d’informations au repreneur………………………..... 293
1.1.1.2.) La fourniture d’indices aux salariés……………………….............. 294
1.1.2.) Le rôle actif des salariés………………………………………………... 297
1.1.2.1.) L’engagement dans un effort d’interaction……………………..….. 297
1.1.2.2.) L’apport d’informations concernant la situation de l’entreprise….... 301
1.1.2.3.) La proposition d’améliorations……………………………..……… 304
1.1.3.) Le rôle déterminant du repreneur……………………………………..... 305
1.1.3.1.) L’animation du collectif…………………………………………...... 306
1.1.3.2.) L’instauration et le maintien d’une communication franche et honnête…........................................................................................................ 315
1.1.3.3.) L’implication des salariés dans le projet………….…………….….. 318
1.2.) Les facteurs organisationnels…………………………………………………...... 321
1.2.1.) Au niveau culturel……………………………………………………… 323
1.2.1.1) La perception de la mission de l’entreprise………………………… 323
1.2.1.2) La conception du travail en équipe et du partage…………………… 324
1.2.1.3) L’importance accordée au dialogue interne et à l’écoute…………… 327
1.2.2.) Au niveau stratégique……...................................................................... 331
1.2.2.1.) Clarté et cohérence de la stratégie………………………………..... 331
1.2.2.2.) Information sur les ressources et moyens mis à disposition……….. 335
1.2.2.3.) Information sur les contributions et gains attendus…………….….. 338
1.2.3.) Au niveau structurel………………………………………………….… 341
1.2.3.1.) Répartition des rôles et des responsabilités…………………...……. 341
1.2.3.2.) Liens hiérarchiques et centralisation de la décision……………….. 345
1.2.3.3.) L’utilisation d’outils de gestion et de communication…………….. 347
1.2.3.3.1.) Les instruments de gestion pour construire et diffuser du sens……………………………………………………………………… 347
1.2.3.3.2.) Le rôle des supports de communication…………………....... 350
459
1.3.) L’influence contextuelle………………………………………………………… 354
1.3.1.) Le contexte interne et externe de l’entreprise………………………….. 354
1.3.1.1.) Les jeux de pouvoir………………………………………………… 354
1.3.1.2.) L’environnement économique et social………………………….…. 356
1.3.2.) la dimension historique………………………………………………… 360
Conclusion section 1……………………………………………………………………… 366
Section 2 - Discussion des résultats et recommandations managériales……………….…. 368
2.1.) Nos principaux résultats…………………………………………………………. 369
2.1.1.) La RPP de TPE saine, un changement organisationnel majeur source d’équivocité et de création de sens……………………….................................. 370
2.1.2.) La reconstruction collective de sens post-reprise, un processus volontaire et sous influences à piloter pour favoriser la résilience……………… 373
2.1.3.) La qualité des échanges intersubjectifs salariés-repreneur comme condition à la réalisation d’un nouveau système d’actions organisées………… 376
2.1.4.) La communication, un facteur central dans la réussite du management post-reprise………………………………………………….…… 379
2.2.) Les recommandations managériales……………………………………………… 382
2.2.1.) Agir (mais pas tout seul) pour donner du sens au changement………… 382
2.2.2.) Diffuser des informations claires et honnêtes pour faciliter l’interprétation et l’échange intersubjectif…………………………………….. 385
2.2.3.) Un leadership « respectueux » de l’existant……………………...….…. 387
2.2.4.) Développer et entretenir une communication permanente…………... 388
Conclusion section 2…………………………………………………………………….… 390
Conclusion chapitre 2……………………………………………………………………... 391
Conclusion partie 2…………………………………………………………………….….. 392
Conclusion générale……………………………………………………………………… 393
C.1.) Logique de construction de la recherche…………………………………………. 394
C.2.) Les apports et aspects de la recherche……………………………………………. 395
C.2.1.) Les apports théoriques………………………………………………….. 395
C.2.2.) Les aspects méthodologiques…………………………………………… 396
C.2.3.) Les contributions managériales………………………………………… 397
C.3.) Les limites de la recherche……………………………………………………….. 400
C.4.) Les perspectives de recherches futures…………………………….…………...... 402
Bibliographie…………………………………………………………………………....... 405
Tableaux et figures………………………………………………………………………. 435
Annexes………………………………………………………………………………....... 439
460
Table des matières………………………………………………………………………... 451
461
Management de la reprise par un tiers : le cas des TPE saines
Résumé : Les TPE sont des acteurs importants du dynamisme économique français. Chaque année, des milliers d’entre elles sont transmises. Ce phénomène n’est pas nouveau, mais l’évolution démographique des dirigeants de TPE françaises tend à en faire une préoccupation de premier plan pour les décideurs politiques et économiques. La majorité d’entre elles et, pour une part croissante, sont reprises par des repreneurs personnes physiques externes sans aucun lien avec l’entreprise. Le développement de ce type de transmission n’est pas sans poser de problèmes. La méconnaissance de l’entreprise, de son environnement par le repreneur accentue les difficultés déjà grandes de la reprise (Deschamps et Paturel, 2009). L’arrivée dans l’entreprise d’un repreneur externe est souvent vécue par les salariés comme une interruption, un changement organisationnel majeur pouvant mettre en péril la poursuite de l’activité. Le fait que l’entreprise soit saine au moment du rachat interfère sur la manière dont le changement est appréhendé par les salariés. Ce dernier pouvant être interprété comme une menace, la possibilité de perdre une situation antérieure jugée satisfaisante. Les spécificités caractérisant la TPE rendent l’événement particulièrement intense sur le plan émotionnel et relationnel. La présente étude s’attache à explorer l’entrée en fonction du repreneur, dernière étape du processus repreneurial, à travers les interactions entre acteurs. Basés sur une étude de cas multiples (10 cas analysés, 31 entretiens), les résultats mettent en évidence un processus dénommé reconstruction collective de sens post-reprise. Ils montrent également l’existence de plusieurs facteurs individuels, organisationnels et contextuels exerçant une influence notable sur le processus.
Mots clés : changement organisationnel, communication, construction collective de sens, étude de cas multiples, interaction, management post-reprise, méthodologie qualitative, reprise externe, TPE.
Management of the recovery by a third party: the case of healthy TPE*
Summary : TPE are playing an important role in the French economic dynamism. Each year, thousands of them are transmitted. This phenomenon is not new, but the demographic evolution of French TPE leadership tends to create a major concern for political and economic decision makers. The majority of them and, for a growing share ours times by external individuals buyers with no connection to the company. The development of this type of transmission is not coming without its problems. Ignorance of the company, its environment by the buyer increases the already great difficulties of the recovery (Deschamps and Paturel, 2009). The arrival in the company of an external buyer is often experienced by employees as an interruption, a major organizational change that could jeopardize the continuation of the activity. The fact that the company is healthy at redemption interfere with the way the change is apprehended by the employees. This can be interpreted as a threat, the possibility of losing a satisfactory situation before. The specificities characterizing the TPE make the event particularly intense emotional and relational. This study aims to explore the inauguration of the buyer, the last step repreneurial process, through interaction between actors. Based on a multiple case study (10 cases analyzed, 31 interviews), the results show a process called collective reconstruction of post-recovery direction. They also show the existence of a number of individual, organizational and contextual factors with significant influence on the process.
Keywords: organizational change, communication, collective sensemaking, multiple case study, interaction, post-recovery management, qualitative methodology, external recovery, TPE.
* Very Small Companies