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----------------------------INFORMATION----------------------------Couverture : Classique

[Roman (134x204)] NB Pages : 268 pages

- Tranche : 2 mm + (nb pages x 0,07 mm) = 20.76 ----------------------------------------------------------------------------

Maman vs Sacha

Dorothée Prince

Dor

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ince

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Valentine

– Non tu n’iras pas ! – S’il te plaît maman. Mylène elle, elle y va. Me

supplia Sacha. – Si ses parents sont irresponsables, ça les regarde.

Pour ma part, il n’est pas question que ma fille de seize ans aille dans une rave, point final !

– Moi qui te croyais une mère cool, je me suis bien trompée. Me lança-t-elle.

– Tout le monde fait des erreurs. Ripostai-je. Maintenant tu manges et on change de sujet. Comment s’est passée cette première semaine depuis la rentrée ? Lui demandai-je le ton radouci.

– Ça va. Répondit-elle sèchement.

Sacha finit son assiette en silence et retourna dans sa chambre sans oublier de claquer la porte. Je débarrassai la table et me remémorai notre conversation en me demandant à quel moment cela avait bien pu dégénérer.

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Toute la nuit je regrettai ma réaction par rapport à Sacha. Je savais que l’avoir empêchée d’aller à cette fête était pour son bien. Toutefois, à son âge, j’y étais allée, et j’en gardais un super souvenir.

J’avais eu une enfance et une adolescence très normales, avec des parents qui s’adoraient et qui s’adorent toujours et deux sœurs aînées qui me donnaient des tas de conseils sur les mecs. Nous avions toutes les trois reçu une éducation plutôt cool, ce qui nous avait permis de faire nos propres expériences, et, par la même occasion, nos propres erreurs. Comme tout le monde, j’ai fumé des pétards. Comme tout le monde, j’ai séché les cours. Et comme tout le monde, j’ai imité la signature de mes parents. J’avais envie que Sacha vive ses propres expériences, mais cela voulait-il dire laisser ma fille unique de seize ans se rendre à une rave pour qu’elle gobe un « exta » et se retrouve à moitié nue en train de danser entourée d’inconnus pervers ? Certainement pas. Bien sûr je noircissais le tableau mais lorsqu’on est parent c’est un réflexe.

Le lendemain, je me levai plus tôt que d’habitude pour préparer son petit déjeuner à ma fille chérie, histoire de calmer les esprits. Toasts beurrés, chocolat au lait, jus d’oranges pressées, et même œufs brouillés, tout y était. Une demi-heure plus tard, je vis Sacha qui ouvrit la porte de sa chambre.

– Bonjour ma puce, lançai-je avec un enthousiasme démesuré.

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– Hmm… Bonjour. Me répondit-elle bougonne. – Bien dormi ? Lui demandai-je enjouée. – J’ai fait un super rêve dans lequel je faisais la

fête avec mes copains en plein air sur un fond de techno et où je me faisais draguer par le plus beau mec du lycée dont je suis folle amoureuse tu vois le genre. Sauf que le rêve s’est transformé en cauchemar quand ma tyrannique de mère est arrivée pour nous virer à coup d’extincteur.

– Sacha, c’est pour toi que je fais ça. J’ai peur pour toi, tu peux comprendre ?!

– Pour moi ?! Tu parles, c’est juste parce que tu veux que je reste avec toi. Tu n’as aucune raison d’avoir peur. Je ne me drogue pas, je veux juste être avec mes amis et pouvoir être avec le mec que j’aime. Tu peux comprendre ça ?!

– Ecoute, on ne va pas en discuter cent sept ans ! Tu as seize ans et tu es trop jeune pour y aller. Je ne t’empêche pas de t’amuser. Si tu veux faire une fête ici avec tes amis et avec ce fameux garçon, c’est possible. Je resterai dans ma chambre.

– Laisse tomber. Me dit-elle furieuse en quittant la table.

– Tu ne manges rien ? – J’ai plus faim. Lança-t-elle avant de filer dans la

salle de bain.

Sacha prit plus de quarante-cinq minutes pour se préparer, ce qui par conséquent ne m’en laissait plus que quinze pour me doucher, m’habiller, me

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maquiller et très éventuellement me coiffer. Mais dans la mesure où mes cheveux étaient assez longs, je pouvais me les attacher à la va-vite. Autant dire qu’il y avait de grandes chances pour que je sois en retard au travail.

Je pris donc une douche éclair, froide naturellement. Après le passage de ma chère fille, il était complètement exclu d’avoir de l’eau chaude. Je pris les premiers vêtements qui me tombaient sous la main. Un pantalon noir, un petit pull blanc, un élastique pour mes cheveux et enfin je pris mon nécessaire de maquillage pour finir de me préparer dans la voiture.

Sacha était prête, moi aussi, ainsi, je démarrai la voiture et nous partîmes l’une pour l’école et l’autre pour le travail. Nous habitions en banlieue parisienne et je travaillais dans la capitale. Autant dire que la route était très longue certains jours. Heureusement, le lycée de Sacha se trouvait dans la ville à côté de la nôtre. Je pouvais donc la déposer le matin, enfin pas devant le lycée évidemment, des fois qu’on me verrait.

D’habitude, nous écoutions une radio bien ringarde et chantions à tue-tête la moindre chanson, mais ce matin-là, le cœur de Sacha n’y était pas. Elle avait décidé de jouer au « Roi du Silence » et je m’aperçus qu’elle était très forte à ce jeu.

Dix minutes plus tard, elle était arrivée au pays du savoir :

– Bonne journée ma chérie. Lui lançai-je.

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– Ça ne peut pas être pire ! Me répondit-elle. – Oh si ça peut l’être, crois-moi ! Alors si tu ne

veux pas voir à quoi ressemble l’antichambre de l’enfer, je te conseille de changer de ton, c’est clair ?!

Je voulais bien être la plus gentille et compréhensive des mamans du monde, mais il fallait aussi qu’elle comprenne que je n’étais pas sa copine.

– Oui. Me répondit-elle timidement. – Je n’ai pas entendu. Lui dis-je fermement.

Fini le temps de la maman la plus compréhensive du monde.

– Oui j’ai compris. A ce soir. Dit-elle avec un ton plus radouci qui me convenait beaucoup mieux.

Je pouvais comprendre qu’elle soit en colère. Moi aussi j’ai eu seize ans, moi aussi j’ai été fâchée contre mes parents, mais là, elle avait largement dépassé les bornes à mon goût. Sur le chemin qui menait à mon travail, je branchai mon oreillette Bluetooth et composai le numéro de mon ex-mari afin de lui exposer la situation et le comportement de sa fille. Le but n’était pas qu’il lui fasse la morale, mais simplement qu’il soit au courant au cas où elle ait eu l’idée de lui demander la permission d’aller à sa fête. La dernière fois que Sacha nous avait fait un tel plan, elle avait été privée de sortie pendant trois semaines. Je pouvais donc considérer qu’elle avait compris le message mais on ne sait pas tout le temps ce qu’il se passe dans la tête des ados du vingt et unième siècle.

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– Allô ? Répondit Axel au bout de deux sonneries. – C’est moi, tu vas bien ? Lui demandai-je. – Ah Val, oui très bien et toi ? – Ça va. Il faudrait que je te parle de Sacha. – Y a un problème ? C’est le lycée ? – Non, enfin si, il y a un petit souci mais ce n’est

pas au lycée. Tu es libre à déjeuner aujourd’hui ? – Euh attends je regarde, oui c’est bon, on se dit

treize heures à l’endroit habituel ? – Parfait. – C’est grave ? Demanda-t-il un peu inquiet. – Non ne t’inquiète pas, mais je préfère que tu

sois informé. – Ok, à tout à l’heure.

Avec Axel, nous avons gardé de très bons rapports malgré notre divorce. Nous nous sommes rencontrés durant l’été de nos dix-huit ans en vacances près de La Rochelle et ne nous sommes plus quittés une fois rentrés à Paris. Un an plus tard, nous emménagions et huit mois après j’étais enceinte. Tout s’est fait très vite, déclenchant au passage les foudres des parents d’Axel. Ils assistaient impuissants à ma vie qui défilait à deux cents à l’heure sans émettre le moindre commentaire.

Forcément, les mois suivants ont été difficiles à vivre : pas un rond, une carrière entre parenthèses et un excès d’hormones qui me transformait en dragon de jour en jour. Neuf mois plus tard, Sacha était

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entrée dans nos vies. Un petit être d’environ trois kilos avec une masse de cheveux noirs et de beaux yeux en amande. Aujourd’hui, ses cheveux noirs sont longs et ondulés, et ses yeux sont devenus verts clairs. Un magnifique petit bout de femme ma Sacha.

Les problèmes sont arrivés progressivement mais sûrement. Je reprochais à Axel de rentrer trop tard du boulot, et de sourire un peu trop aisément à la gente féminine, tandis que lui me reprochait de trop m’occuper de Sacha et plus de lui. Nous étions égoïstes et bien trop exigeants l’un envers l’autre, ce qui provoqua notre séparation peu avant que Sacha fête ses deux ans.

On s’est aimés très fort, mais nos caractères trop bien trempés n’étaient pas compatibles. L’un des deux devait s’écraser en permanence. A un moment, j’en ai eu assez de faire la carpette. Je suis restée vivre dans la maison, en banlieue parisienne avec notre fille, et Axel, est parti s’installer dans un appart plus près de son travail, mais pas trop loin de nous quand même.

J’aime à croire que Sacha n’a pas souffert de notre séparation, qu’elle était trop jeune pour s’en rendre compte, mais c’est une chose que je ne saurai jamais avec certitude. Ce qui était génial dans notre situation, c’est qu’avec Axel, nous sommes restés proches. Ce qui rendait les choses bien plus faciles pour nous tous. Sacha pouvait voir son père autant qu’elle le souhaitait et lui pouvait débarquer à la maison quand ça lui chantait, après avoir téléphoné évidemment.

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Pour ce qui était de nos vies personnelles, je me surprenais à espérer qu’il n’ait jamais eu de relation sérieuse depuis nous. Que j’étais et resterais l’amour de sa vie, comme il l’était pour moi.

Bien sûr j’ai eu de petites histoires. Des « déjeuners de soleil » comme dit mon père. Axel aussi, sûrement, mais nous n’en parlions jamais ensemble.

Quant à Sacha, je ne lui racontais rien non plus car, d’une part c’était un sujet trop délicat pour l’aborder avec sa fille, et d’autre part, il n’y avait finalement rien à raconter.

Heureusement, pour m’écouter, je pouvais compter sur Juliette. On s’est rencontrées à la fac et elle a toujours été là pour Sacha et pour moi. Jul est officiellement célibataire, mais butine de fleur en fleur, ou plutôt de chardon en chardon dans son cas. Elle a le chic pour s’enticher des pires mecs que la terre n’ait jamais portés. Quand ce n’est pas un mec marié, c’est un pauvre type sans le sou qui profite d’elle. Une femme extraordinaire ma Juliette. Belle, intelligente, drôle et qui n’a pas froid aux yeux. Le mec à qui elle confiera son cœur aura énormément de chance et aura intérêt d’en prendre soin.

Arrivée à mon travail, petite maison de couture fondée par deux frères dans laquelle je me sens comme à la maison, je me suis assise à mon bureau et j’ai lu mes mails Cela fait trois ans que j’ai commencé comme dessinatrice chez « Vince Vintage ». Je

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remercie tous les jours Vincent et Victor de m’avoir donné ma chance. Nous nous sommes rencontrés à l’occasion d’un salon à Genève il y a environ quatre ans. A l’époque, je bossais pour une maison de couture plus importante que « Vince Vintage » mais dans laquelle l’ambiance était pourrie. Que des filles naturellement, et plus hypocrites les unes que les autres. Elles n’en pouvaient plus de travailler dans la mode ces idiotes. Pour tout dire, la patronne non plus n’était pas commode, alors quand Vincent m’a proposé de le rejoindre lui et son frère, j’ai pris mes clics et mes clacs et je suis partie.

Nous étions en pleine collection Automne-Hiver de l’année suivante, autant dire que j’avais du boulot par-dessus la tête et pourtant je n’arrivais pas à me concentrer sur cette foutue robe. A midi et demi, je pris le métro, ligne 14, m’arrêtai à Madeleine et rejoignis Axel à la terrasse de notre restaurant. C’était un petit resto qui ne payait pas de mine, mais c’était dans celui-là que nous avions vécu nos meilleurs moments : la déclaration d’Axel, l’annonce de ma grossesse, le premier jour d’école de Sacha et bien d’autres. Il était là, avec ses Ray Ban à lire son journal, toujours aussi séduisant. Grand, cheveux noirs et des yeux bleus à tomber par terre. Un sourire des plus charmants, bref pas grand-chose à jeter, sauf son énorme ego. Il bossait dans une boîte de pub. Il créait des affiches et se prenait un peu trop au sérieux parfois.

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– Salut, dis-je en m’avançant pour lui faire la bise. – Salut. Alors dis-moi ce qui ne va pas avec Sacha.

Oui en général, Axel est assez direct. – Figure-toi qu’elle m’a demandé la permission

pour aller dans une rave avec ses copains. Evidemment, il y a un mec là-dessous. Un garçon super hyper méga cool qui la prend pour une gamine, mais qui la prendra beaucoup plus au sérieux si elle y va.

Axel resta perplexe et dubitatif, puis finit par me dire.

– Tu as refusé ? – Evidemment Axel enfin ! Tu imagines notre

fille de seize ans complètement défoncée avec des gens plus âgés qu’elle ? En plus elle est folle de ce Samuel. Ça fait des semaines qu’elle ne parle que de lui. Elle serait capable de le faire avec lui.

– Faire quoi ? – A ton avis qu’est-ce qu’une fille de seize ans

pourrait bien faire avec un garçon de dix-huit ans loin de ses parents ?

– Tu crois que… – J’ai confiance en elle, mais pas en lui. Je suis

passée par là, je sais ce qu’elle ressent.

Il restait silencieux. – Axel, qu’est-ce que tu as aujourd’hui ? Donne-

moi ton avis au lieu de rester là à te taire. – Je réfléchis. Tu dramatises la situation, voilà

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mon avis. Rien ne nous dit qu’elle va se droguer, ni qu’elle va sauter le pas avec ce môme.

– On voit bien que tu n’as jamais été une ado. – C’est évident, autrement j’aurais eu du mal à te

faire un bébé. Dit-il en riant. – Justement, ce n’est plus un bébé, il serait peut-

être temps que tu t’en rendes compte. Aujourd’hui, elle est boostée par ses hormones qui lui disent de foncer sur ce garçon et de faire tout ce que je lui interdis.

– Bon ok, je te suis sur ce coup. On commande ? me dit-il avec une normalité déconcertante alors que j’étais hors de moi.

– C’est tout ? Fin de la discussion. – Eh ! C’est bon ! T’as tes règles ou quoi ? Qu’est-

ce que tu peux être agressive. C’est avec tout le monde ou j’ai droit à un traitement de faveur ?

– Bon appétit. Répondis-je résignée.

Je me levai de table mais Axel me rattrapa par le poignet.

– Excuse-moi. Tu as raison, Sacha est trop jeune pour sortir seule dans ce genre d’endroit. Tu as bien fait de refuser, j’imagine qu’elle doit être invivable depuis.

– Ton portrait mon cher. Elle me parle à peine. – Je vois le tableau. Tu veux que je lui parle. – S’il te plaît, oui. Mais attends qu’elle t’en parle

en premier, autrement en plus d’être la méchante, je serai la rapporteuse.

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– De vraies gamines. Par moment, j’ai l’impression d’être votre père à toutes les deux.

– Oh ça va ! Toi, tu as le beau rôle c’est sûr, tu ne la gères pas au quotidien.

Il se renfrogna, je l’avais vexé. – Excuse-moi, c’était nul de dire ça. Me rattrapai-

je. – C’est pas grave. Sinon ça va toi au boulot ? – Ça avance oui, la collection promet d’être

vraiment magnifique. En tout cas on met tout en œuvre pour qu’elle le soit.

– Tu es douée, je ne me fais pas de soucis.

Ce qui est très pénible avec Axel c’est qu’il est sans arrêt en mode « charmeur ». Je le connaissais sur le bout des doigts et ne pouvais m’empêcher de rester fâchée contre lui tellement il menait bien sa barque. Lui aussi me connaissait par cœur et savait comment faire pour que je lui pardonne. Et là il était en pleine représentation dans son rôle-titre de Don Juan. Il y a des fois où j’ai dû me faire violence pour ne pas retomber dans ses bras, mais jusque-là j’avais toujours réussi.

Nous avons fini notre déjeuner en parlant de tout et de rien, puis il promit de me tenir au courant. Je repris le métro et retournai à l’atelier. L’après-midi défila et à dix-huit heures trente je décidai de rentrer à la maison.

– Sacha ? Appelai-je. – Cuisine. Répondit-elle.

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Me dirigeant vers la cuisine, je la trouvai vêtue d’un tablier devant la plaque électrique concentrée sur un livre de cuisine, le seul que j’ai, et que je n’aie jamais feuilleté.

– Qu’est-ce que tu fais ? Demandai-je méfiante. – Des tagliatelles à la carbonara. – Pourquoi ? Je veux dire, tu es sûre que c’est

prudent ? Tu ne sais même pas te faire cuire un œuf, alors carrément préparer des pâtes à la carbonara…

– Tu vas voir elles seront excellentes. Maman, je voulais m’excuser pour ce matin. J’ai été une vraie peste capricieuse et je t’ai mal parlé. J’y ai réfléchi toute la journée et je comprends maintenant pourquoi tu ne veux pas que j’y aille.

Où était passée ma fille ? Car de toute évidence, il s’agissait d’un clone rudement bien dressé.

– J’ai eu papa tout à l’heure au téléphone. Continua-t-elle.

Ah c’était donc ça… – Il m’a dit la même chose que toi. J’ai compris

que vous aviez peur tous les deux pour moi. Alors j’ai décidé de vous prouver que je suis tout ce qu’il y a de plus mûre et de plus responsable.

– Sacha ce n’est pas… – Maman, laisse-moi te montrer que je ne suis

plus une enfant, s’il te plaît. Il n’y a aucun engagement de ta part, c’est promis.

– OK. J’ai un coup de fil à passer, je te rejoins tout de suite.

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Je fermai la porte de ma chambre et pris mon portable.

– Allô ? Répondit Axel. – C’est ton œuvre ? – De quoi tu parles ? Demanda-t-il feignant de

tomber des nues. – J’ai Maïté dans ma cuisine qui s’apprête à faire

exploser ma maison. Avoue que tu y es pour quelque chose.

– J’ai peut-être émis l’hypothèse que nous arrêterions de la traiter comme une gamine quand elle arrêtera d’en être une.

– Très judicieux. A présent, tu te rends bien compte qu’elle attend une contrepartie pour ses efforts, comme par exemple l’autorisation d’aller à cette fichue fête.

– Pas du tout. Je lui ai dit que j’étais d’accord avec toi.

– Ok, merci. Bon je te laisse. Bonne soirée. – Bonne nuit Valentine. Le fait qu’Axel prononce mon prénom en entier

me surprit. Je me demandais ce qu’il pouvait bien mijoter. En parlant de mijoter, je retournai en cuisine pour superviser les opérations de mon cordon bleu. Je fus agréablement surprise de constater que Sacha se débrouillait bien. Elle suivait les instructions du livre à la lettre et était imperturbable. Même quand Jul, qui était venue dîner pour l’occasion, se tortillait en dansant telle une strip-teaseuse sur l’air de « Music »

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de Madonna. J’avoue que durant le repas, l’attitude de Sacha avait été exemplaire. Elle avait mis la table, débarrassé son assiette, et filé dans sa chambre à vingt et une heures pour revoir ses cours. En principe, quand Jul était là, Sacha rechignait à aller se coucher pour l’écouter raconter ses histoires toujours abracadabrantes, mais ce soir elle n’avait pas demandé son reste.

– Et bien vous l’avez lobotomisée ou quoi ? Me demanda Jul.

– Non, elle a juste eu son père au téléphone qui l’a convaincue d’agir plus en adulte pour avoir plus de liberté.

– Bien joué. Au fait comment va le bel Axel ? Me questionna-t-elle.

– A priori bien. Je l’ai vu à midi et ça avait l’air d’aller.

Juliette leva les yeux au ciel. – Nous devions discuter de Sacha, t’emballe pas. – Hmm. Tu sais qu’à chaque fois que vous vous

voyez tu as ce petit air. Me taquina-t-elle. – N’importe quoi. Quel air ? – L’air qui dit « je suis encore amoureuse de mon

ex mais comme je suis trop fière pour l’admettre, je joue la femme détachée ».

– Tu devrais écrire des livres toi, tu ferais fortune dans les mélos à l’eau de rose. C’est la vraie vie là, et il n’y a aucune chance pour que l’on se remette ensemble avec Axel.

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– Trop catégorique pour être vrai. Mais si ça peut te rassurer, je suis certaine qu’il ressent la même chose de son côté. Quand on est dans la même pièce que vous, la tension sexuelle est palpable.

J’éclatai de rire. – Au moins ça, oui. Bon et toi ? Avec ton

pizzaïolo ? Un peu jeune quand même non ? – Pour ce que je vais en faire, il sera parfait.

Vingt-trois ans c’est le bel âge. – J’n’en sais rien. J’aurais l’impression de sortir

avec un copain de Sacha. – C’est parce que tu n’as jamais essayé. Ça fait des

lustres que tu ne t’es pas envoyée en l’air. – T’exagères ! Ça ne fait pas si longtemps.

Tandis que je répondais à Jul, je me remémorais la dernière fois où j’avais couché avec un homme. En effet, cela faisait un sacré bon moment. A la fois, comment pouvais-je rencontrer quelqu’un ? Je sortais uniquement pour aller bosser ou avec Jul et nous allions toujours dans les mêmes endroits. Avec une ado à la maison, je ne sortais que lorsque Sacha était avec son père, et encore, pas à chaque fois.

La dernière fois, c’était à l’occasion d’une soirée donnée par des collègues de Jul. Elle ne voulait pas y aller seule alors elle m’avait demandé de l’accompagner, ce que j’avais fait. Puis, une heure après que nous soyions arrivées, elle était partie un type. Je me retrouvai donc toute seule, près du bar, comme une ivrogne. Un homme m’aborda, je ne pourrais pas le

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décrire. Le seul souvenir que j’avais, c’était que deux heures après notre rencontre, nous nous faisions des bisous à roulettes à l’arrière d’un taxi qui se dirigeait vers Montmartre, quartier où le dit homme habitait. De là à dire si le mec était un bon coup ou non, aucune idée. J’imaginais que je n’avais pas dû assurer car nous ne nous étions jamais rappelés. Le lendemain matin, je m’étais rhabillée en vitesse, j’avais attrapé mon sac et étais rentrée chez moi avant que Sacha revienne de chez Axel. Bref, depuis cet épisode assez honteux, c’était le désert nubien.

Je ne pouvais pas le nier, quand j’entendais Jul qui me racontait ses aventures, quelque part ça me faisait envie. Une vie de célibataire complètement libre, sans obligations ni responsabilités, c’était tentant, surtout ces derniers temps. Dans les films, c’était à cet instant qu’apparaissait une bombe atomique de mec avec qui j’allais vivre une super histoire d’amour. Enfin, c’est ce à quoi je rêvais mais qui pouvait difficilement arriver.

Un autre qui devait bien s’éclater, c’était Axel. Il était très secret, et de mon côté, je ne posais jamais de question, car oui, j’avais peur d’avoir mal. Pourtant, il fallait que je me fasse une raison, il avait bien eu des aventures, et un jour, il allait refaire sa vie, c’était certain. Si seulement ça pouvait m’arriver en premier…

Jul avait passé la nuit à la maison, je me levai plus tôt pour avoir la salle de bain la première et pour une fois respecter mon temps réglementaire. Sacha aussi

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s’était levée plus tôt, ce qui n’était pas du tout dans ses habitudes, avait préparé le café et avait filé se doucher. Pour la première fois depuis son entrée en sixième, nous étions à l’heure.

Au travail, j’étais de très bonne humeur et hyper productive ce qui faisait qu’à onze heures, ma robe était dessinée et j’entamais le travail sur un chemisier quand Vince entra.

– Val, je te présente Esteban, ton nouvel assistant.

Je levai les yeux de mon croquis et tombai sur un sublissime mâle. Tellement beau que je faillis m’étouffer avec le bout de gomme que j’avais dans la bouche. Plutôt grand, brun de chez brun, cheveux un peu longs légèrement bouclés et des yeux marron très foncés, presque noirs. Un dieu en chair et en os, Apollon en personne. Il était en effet question d’embaucher un CDD pour m’aider à dessiner la future collection, mais je pensais que Vince m’aurait demandé d’être présente à l’entretien. Ça m’aurait évité d’afficher un air ahuri quand il me le présenta.

– Val, ça va ? Me demanda Vince. – Hein ? Quoi ? Oui ça va. Bonjour, Valentine.

Dis-je à Esteban en lui tendant la main. – Enchanté.

Et en plus il parlait. – Vous êtes espagnol ? Demandai-je, très perspicace. – D’origine seulement. Mes parents sont de

Barcelone.