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Sergio Gonzalez Miranda L'origine du Norte Grande du Chili : frontières ouvertes, mentalités fermées / The origin of Chile's Norte Grande : open borders, closed minds In: Revue de géographie alpine. 2003, Tome 91 N°3. pp. 11-27. Citer ce document / Cite this document : Gonzalez Miranda Sergio. L'origine du Norte Grande du Chili : frontières ouvertes, mentalités fermées / The origin of Chile's Norte Grande : open borders, closed minds. In: Revue de géographie alpine. 2003, Tome 91 N°3. pp. 11-27. doi : 10.3406/rga.2003.2247 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rga_0035-1121_2003_num_91_3_2247

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Sergio Gonzalez Miranda

L'origine du Norte Grande du Chili : frontières ouvertes,mentalités fermées / The origin of Chile's Norte Grande : openborders, closed mindsIn: Revue de géographie alpine. 2003, Tome 91 N°3. pp. 11-27.

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Gonzalez Miranda Sergio. L'origine du Norte Grande du Chili : frontières ouvertes, mentalités fermées / The origin of Chile'sNorte Grande : open borders, closed minds. In: Revue de géographie alpine. 2003, Tome 91 N°3. pp. 11-27.

doi : 10.3406/rga.2003.2247

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rga_0035-1121_2003_num_91_3_2247

AbstractAbstract: The origin of Chile's Norte Grande: open borders, closed minds. The purpose of this article isto analyse the historical origins, in the 19th century, of the current Norte Grande borderlands of Chile.Until 1879, this region was part of Bolivia (Antofagasta) and Peru (Tarapacá). The hypothesis is putforward that there was a contradiction between the economic decision to maintain open borders and thepolitical decision to consolidate the sovereignty of these territories in conflict. The importance of miningalong the Pacific shoreline is examined together with the area's role as a focus for the population of theAndes through trade, the transport of livestock and the arrival of migrant labour to exploit the resourcesof guano, silver and especially saltpetre. The Andean population played an important part in thisdevelopment. Particular importance is paid to the emergence of the four republics (Peru, Bolivia,Argentina, and Chile), stemming from the break-up of the Andean colonial area and the conflictconcerning the sovereignty of the Atacama desert, currently a part of Chile's Norte Grande. In this paperwe will try to answer questions concerning the origins of the present borders of Chiles Norte Grande,the developments affecting them, and the conflicts they have been associated with during the XlXthcentury and the first decades of the XXth century.

RésuméResume : L'objet de cet article est l'analyse des origines historiques -au XIXe siècle- de la frontièreactuelle du Norte Grande du Chili. Jusqu'en 1879, ce territoire faisait partie de la Bolivie (Antofagasta)et du Pérou (Tarapacá). On pose l'hypothèse qu'il y eut antinomie entre la décision économique demaintenir les frontières ouvertes et la décision politique de consolider la souveraineté de ces territoiresen conflit. On aborde l'importance de l'activité minière sur le littoral pacifique, pôle d'attraction pour lapopulation des Andes à travers le commerce, le transport du bétail et l'immigration de main-d'œuvrepour les travaux d'exploitation du guano, de l'argent et surtout du salpêtre. La population andine joua unrôle important dans cet essor. Il est fait tout spécialement mention de l'émergence des quatrerépubliques (le Pérou, la Bolivie, l'Argentine et le Chili), à partir du démantèlement de l'espace colonialandin, ainsi que du conflit autour de la souveraineté sur le désert d'Atacama, actuellement territoire duNorte Grande du Chili. Dans ce travail, nous tenterons de répondre à la question des origines desfrontières actuelles du Norte Grande du Chiji, de leur dynamique, et des conflits qui lui ont été associésau cours du XIXe siècle et des premières décennies du XXe siècle.

L'origine du Morte Grande du Chili :

frontières ouvertes, mentalités fermées.

Sergio Gonzalez Miranda

INTE. Université Arturo Prat, Iquique, Chili [email protected]

V^/ est à la plume du poète Andres Sabella, d'Antofagasta (Sabella, 1959), que l'on doit le terme de « Norte Grande ». En effet jusqu'alors, la division administrative du territoire faisait référence à Tarapacá et à Antofagasta, les noms des deux provinces qui composaient ce territoire. Aujourd'hui, ce terme joue un rôle important dans la constitution de l'identité des habitants de ce territoire situé entre les ports d'Arica et de Taltal (cf cartes, article de J. P. Torricelli).

La position particulière qu'occupe actuellement le Norte Grande chilien sur la côte américaine du Pacifique - fruit de sa grande expérience du commerce et des services internationaux - telle une « plaque tournante » ' entre le Sud-Est asiatique et l'intérieur du continent sud-américain, a poussé les autorités chiliennes, au cours des deux dernières décennies, à discuter sérieusement de la possibilité d'un processus d'intégration continental infrarégional, dont les corridors bi-océaniques seraient les axes d'articulation (Martinez Sotomayor, 2000). Par ailleurs, la transformation conceptuelle de la notion de frontière due à la globalisation étaie et encourage cette initiative intégratrice. Celle-ci s'impose comme un impératif non seulement économique mais aussi social et culturel.

Néanmoins, dans la réalité quotidienne et concrète de la frontière, et tout spécialement aux douanes, on observe un contrôle accru sur les populations péruvienne et bolivienne qui pénètrent en territoire chilien, l'entrée soi-disant illégale de personnes étant un problème majeur pour les autorités. La méfiance est l'argument principal avancé pour renforcer les contrôles douaniers. Cela est dû à l'existence présumée de contrebande de biens (y compris de drogue) et à l'immigration clandestine. Dans une certaine mesure, cette méfiance cache un degré de xénophobie dont les racines se trouvent dans le conflit armé appelé « Guerre du Pacifique ».

Les fonctionnaires chiliens de l'administration des frontières qui prétendent maîtriser les flux migratoires, ignorent que pendant la période coloniale, le Norte Grande du Chili faisait partie d'un espace intégré dont l'exploitation minière de la riche montagne de Potosi était le centre principal. Carlos Sempat Assadourian appelle « espace péruvien » ce qui fut, selon lui, « la pièce maîtresse de l'empire pendant la deuxième moitié du XVIe

1. Terme employé par l'économiste chilien Sergio Boisier (Boisier, 1997).

REVUE DE GEOGRAPHIE ALPINE 2003 №3

L'ORIGINE DU NORTE GRANDE DU CHILI : FRONTIÈRES OUVERTES, MENTALITÉS FERMÉES

siècle et pendant une grande partie du XVIIe. On a abouti à cette situation à cause de l'attractivité de son secteur principal - l'exploitation minière de l'argent - secteur lui-même facteur de cohésion interne ou autrement dit, d'intégration régionale. Cet espace économique se superpose de manière cohérente au découpage politique puisque, concrètement, il s'étend sur le territoire du vice-royaume du Pérou. Aujourd'hui, il comprendrait l'Equateur, le Pérou, la Bolivie, le Chili, l'Argentine et le Paraguay. » (Sempat Assadourian, 1972).

Les immigrants, pour la plupart d'origine andine, qui sont arrêtés puis reconduits à la frontière et qui entrent à nouveau en payant parfois des sommes importantes compte tenu de leur situation économique personnelle et familiale, ne ressemblent pas à ceux que Ton appelle les « dos mouillés » (« espaldas mojadas » ou « wet backs ») qui passent la frontière entre le Mexique et les Etats-Unis. Dans ces pays, la différence culturelle dépasse de beaucoup l'unité territoriale. Dans le Norte Grande du Chili par contre, le territoire se réclame de son unité au travers de la culture andine 2. On y résiste encore à la modernité émergente de la société chilienne.

Il n'est donc pas étonnant que la culture et la société andines soient si présentes dans le Norte Grande du Chili puisque, dans une perspective géographique, celui-ci présente une frange de territoire d'un peu plus de deux cents kilomètres de large entre les Andes et la côte 3.

La doctrine de l' Uti Possidetis Iuris

A la fin de la domination espagnole, ce fut la doctrine dite de Г Uti Possidetis Iuris 4 de 1810 qui définit les frontières des nouveaux pays. Non seulement Г Uti Possidetis Iuris avait pour antécédent les juridictions que l'Empire espagnol avait tracées en Amérique, mais devait permettre aussi aux frontières de s'ajuster lentement, avec une plus grande précision, aux réalités géographiques génériques telles que la cordillère des Andes, le désert d'Atacama, les fleuves, etc. (Durán Bachler, 1975).

C'est ce principe que les nations américaines suivirent pour tracer leur espace de souveraineté. Cependant, de nombreuses imprécisions furent à l'origine des premiers conflits. L'espace de frontière actuellement appelé le Norte Grande et qui coïncide avec le désert d'Atacama, fut curieusement revendiqué par le Pérou, la Bolivie, l'Argentine et le Chili, chacun d'eux fournissant, sur la base de cette doctrine juridique, d'importants documents.

2. Comme nous le rappelle Sergio Boisier, « L'homme est d'abord un animal territorial avant d'être politique et aristotélicien » (Boisier, 2003). 3. La province de Tarapacá mesure 59.099 km2 et celle de Antofagasta 126.049 km2. 4. Ce qui signifie littéralement : « Ce que tu possèdes, tu le posséderas encore » ; dans Les Mots de la Géographie, R. Brunet propose la traduction suivante : votre territoire va « jusqu'où vous l'occupez ».

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La position argentine

Le premier argument de l'Argentine était que la Bolivie avait fait partie du Vice-royaume du Rio de la Plata (Pérez de Arévalo et Torino, 2003). Et pour ce qui est du désert d'Atacama, territoire appartenant au Charcas, il était au début du XVIIe siècle sous la domination ecclésiale de l'évêché puis de l'archevêché de la Plata.

Le deuxième argument se référait à l'initiative de Bolivar d'envoyer Sucre pour libérer définitivement le Haut Pérou. Celui-ci convoqua une assemblée afin que les provinces altopéruviennes trouvent une issue à leur position juridique et territoriale, mais avec des intentions séparatistes claires. L'initiative de Sucre n'aurait pas été approuvée par Bolivar qui la décrivit en ces termes : « Ni vous, ni moi, ni le Congrès du Pérou lui-même, ni celui de Colombie ne pouvons casser et violer les fondements du droit public que nous avons reconnu en Amérique... c'est à dire que les gouvernements républicains se basent sur les limites des anciens vice-royaumes. Le Haut Pérou est sujet du Vice-royaume de Buenos Aires » (Pérez de Arévalo et Torino, 2003).

L'avis de Bolivar de respecter l'intégrité territoriale, coïnciderait avec la pensée de San Martin qui soutenait que les provinces altopéruviennes faisaient partie du Rio de la Plata, et qu'il fallait les y réincorporer de manière définitive.

Cependant, le Congrès argentin, réuni à Buenos Aires dès 1824, décréta par voie légale que : « bien que les quatre provinces du Haut Pérou aient toujours appartenu à cet Etat, il est de la volonté du Congrès Général Constituant que celles-ci puissent décider en toute liberté de leur sort, selon ce qu'elles estiment convenable à leurs intérêts et à leur bonheur. » (Pérez de Arévalo et Torino, 2003).

A la fin de la Guerre du Pacifique, l'Atacama allait de nouveau intéresser les Argentins. Les négociations avec la Bolivie à propos de la Puna de Atacama le montrent, même si, pour certains, l'enjeu véritable était celui de l'accès de l'Argentine au Pacifique. C'est pourquoi, jusqu'aux accords de mai 1902, l'Argentine a été un facteur de tension pour le Chili, dans les coulisses de sa dispute territoriale avec le Pérou et la Bolivie.

La position péruvienne

Certains spécialistes péruviens remontent à l'empire Inca, sous le règne de Yupanqui, pour affirmer qu'une partie du « Chili » était tributaire du « Pérou » parce que cet Inca avait établi les limites de son empire sur le fleuve Rapel, là où confluent les eaux des fleuves Cachapoal etTungurica. Ces arguments furent avancés en 1919 par Evaristo San Cristoval (San Cristoval, 1925). Lors de sa campagne présidentielle, Javier Pérez de Cuellar les reprit lui aussi à son compte et les présenta de la même manière. Ce qui est sûr, c'est que, vu ainsi, non seulement l'Atacama devait rester sous la juridiction péruvienne mais aussi toute la partie centrale du Chili, laissant du même coup la Bolivie sans littoral.

Pour revenir à Г Uti Possidetis Iuris, l'éminent historien péruvien don Mariano Felipe Paz Soldán signale que : « le Chili n'a jamais eu aucun droit sur le territoire d'Atacama, ni à aucun moment ne l'a possédé. Ses limites étaient marquées dès avant 1803, par le Roi d'Espagne ; personne alors, indique-t-il, n'ignorait que le vice-royaume limitrophe, celui

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du Pérou, s'étendait au sud jusqu'au Paposo ...» (Cédules royales du 1er octobre 1083 et du 15 mars 1805) « ... c'est au Paposo que convergent les extrémités des trois gouvernements, c'est à dire du Pérou, du Chili, et de Buenos Aires, et il ordonne que le port de Paposo, sa côte et son territoire rejoignent le vice-royaume de Lima. » (San Cristoval, 1925, p. 49). Un autre spécialiste péruvien, Manuel Gonzalez de la Rosa, signale que la province d'Atacama s'étend du fleuve Loa (21° 30'S) au Rio Salado (25° 10'S). Se basant sur les observations du général Miller, dans ses mémoires de 1 829, il indique que le désert sépare le Chili du Pérou, ce qui confirme, selon Gonzalez de la Rosa, « ce que nous avons toujours fait observer : qu'à partir de 1810 au moins, la partie haute de l'Atacama appartenait à la Bolivie et sa partie basse jusqu'au Paposo au Pérou, mais jamais au Chili. » (San Cristoval, 1925, p. 10). Cette vision péruvienne, qui repousse le Chili au sud du Paposo, prive une fois de plus la Bolivie de littoral.

La position bolivienne

Depuis la naissance de cette république, le littoral, cause véritable ou imaginaire du retard de la Bolivie, a toujours été l'objet d'un dilemme. Le port naturel de La Paz était sans conteste Arica, vieux port relié à Potosi pendant la période coloniale 5. Néanmoins, la circonscription de Charcas vint à faire partie du vice- royaume de La Plata (1776) et ainsi avec elle, le port d'Arica. Cette annexion aurait pu ne pas avoir d'effet sur la future république de Bolivie, puisqu'une grande partie de la circonscription de Charcas restait dans les limites de ce nouveau pays et non dans celles de l'Argentine. Toutefois en 1784, le port de Arica, par une autre décision du roi, resta sujet de l'Intendance d'Arequipa, qui appartenait au vice-royaume du Pérou.

Le port de Cobija que le maréchal Santa Cruz avait l'intention d'affecter en port bolivien vers 1825, en lieu et place de celui de Arica (dont la population à l'époque était plus nombreuse que celle de Potosi ou de Chuquisaca) n'a jamais pu s'imposer, en dépit des avantages que les autorités offraient aux habitants, en terme de terres et de bétail. En outre, ces avantages s'étendaient à quiconque s'établirait dans les villages entre Cobija et Potosi (Johnson, 1998). Ce furent le désert, la distance et le manque de routes qui rendirent impossible le développement du port de Cobija, qui devait s'appeler La Mar.

L'historien Fernando Cajias considère que l'appartenance véritable de la province d'Atacama à la Bolivie est indiscutable, sauf à prendre en compte l'« impulso salteno » (l'essor de Salta) vers 1825, mais il reconnaît à son tour que : « les facteurs qui devaient provoquer sa perte étaient prévisibles, même pour les gens de l'époque » (Cajias de la Vega, 2002).

5. Arica a été très tôt (1546) pendant la colonisation le port d'accès du Haut Pérou, surtout du fait de sa liaison avec la riche montagne de Potosi. L'importance de ce port fut telle qu'en 1565 se constitua la juridiction de Arica.

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Ce ne furent pas les Boliviens à proprement parler, mais bien les Argentins qui arrivèrent à Cobija 6, parce que le trafic du bétail depuis l'Argentine vers la côte Pacifique commençait alors à se développer. Ian Rutledge nous dit :

« ...la Puna continuait à être une zone de transit entre le Rio de la Plata et le Haut Perou (la Bolivie actuelle), bien que ce réseau de trafic marchand restât interrompu temporairement durant la guerre d'indépendance. A partir de 1830, des échanges commerciaux considérables avec la Bolivie et la Côte Pacifique se développèrent. Le recensement de 1869 décrit le réseau commercial de Jujuy de la manière suivante :

« Les échanges commerciaux depuis Jujuy s'effectuent avec la Bolivie et avec les ports du Pacifique. Jujuy vend des animaux à la Bolivie, de la viande séchée, de la graisse, de la laine, du savon, du sel de Casabindo, du sucre, de l'eau de vie, de la farine. En échange elle reçoit de la coca, du café, du chocolat, du plomb et de l'étain. Jujuy exporte de la poudre d'or, de la laine et des peaux de vigognes et de chinchilla vers les ports du Pacifique ; elle en importe des produits européens de consommation (Premier recensement national, 1869, Bs.As. 1872, p. 569).

En 1866, les exportations d'animaux depuis Jujuy se montèrent à 10 000 têtes de bétail dont 3 900 mules et 4 400 ânes (Romeros, 1979, p. 216). » » (Rutledge, 1987).

Les Boliviens continuèrent à commercer par Arica puisque c'était le port naturel de La Paz. Un décret, même signé de la main des plus illustres, ne pouvait changer le cours de l'Histoire. Cette situation allait perdurer au siècle suivant et se perpétuer même lorsqu' Arica passerait au Chili. Quant à Г Uti Possidetis Iuris, Гех-chancelier bolivien affirme que : « en réalité, le flou qui a pu exister dans Г Uti Possidetis Iuris de 1810 ne pouvait toutefois pas atteindre les limites entre les trois Etats ; c'est seulement dans l'ancienne circonscription de Charcas, possession juridiquement reconnue sur les côtes du Pacifique, que cette situation se serait produite. » (Aranibar Quiroga, 1999). Dans l'intervalle, nous dit Aranibar, les seuls pays limitrophes, jusqu'à la guerre du Pacifique, furent la Bolivie et le Chili d'un côté, la Bolivie et le Pérou de l'autre.

La position chilienne

S'appuyant sur la documentation coloniale à caractère légal, le gouvernement du Chili a soutenu la position selon laquelle la circonscription de Charcas n'avait pas d'accès à la mer et que la limite entre le royaume du Chili et le vice-royaume du Pérou se trouvait sur le fleuve Loa (Eyzaguirre, 1963, 1979 ; Lagos Carmona, 1981 ; Espinosa Moraga, 1965 ; Téllez Liigaro, 1989 ; Carrasco D., 1991). Cette position a été soutenue par l'historien Jaime Eyzaguirre, qui affirma que la circonscription de Charcas n'avait pas eu de port et que, par là même, la Bolivie était née sans port. Eyzaguirre lui-même signale que le Maréchal Santa Cruz refusa pourtant de donner le port d'Arica à la Bolivie, tout en se préoccupant de donner un élan à la « caleta Cobija » en y instituant un gouvernement littoral indépendant des autres autorités provinciales et en faisant de Cobija un port franc.

6. Un des principaux commerçants de Cobija de nationalité argentine fut le père don Guillermo Billinghurst Angulo, qui sera Président du Pérou entre 1912 et 1914.

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L'historien Sergio Villalobos fait remarquer l'ambiguïté de ce que cela signifiait pour les hommes de la province d'Atacama de l'époque, à savoir que : « bien que les limites aient été définies officiellement en Atacama, le peu d'intérêt pour cette région qui présentait si peu de ressources à l'époque, fit que l'on ne la connaissait que très insuffisamment, et que la notion même de son indépendance juridictionnelle se perdit. De fait, c'est à peine si les autorités du Pérou étendaient leur champ d'action jusqu'à Pica et Iquique ; le percepteur et le commandant d'Atacama vivaient loin de ce lieu qui représentait des bénéfices négligeables et les conquistadores du Chili manifestèrent à peine leur intérêt pour les territoires au nord de la vallée de Copiapo. » (Baptista, 1999).

Pour sa part, l'historien José A. Gonzalez d'Antofagasta fait remarquer que l'Atacama fut revendiqué par le Chili puisque c'est avec l'établissement à La Chimba de son premier occupant - Juan López, un Chilien - qu'aurait commencé en 1866 le développement de la ville qui allait s'appeler Antofagasta. C'est la population chilienne qui en aurait fait le premier port de la Bolivie : pourtant, dans une perspective sociologique, on présume donc que le territoire d'Antofagasta a toujours appartenu au Chili. Dans la même ligne et peu de jours avant le début de la Guerre du Pacifique (18 février 1879) le Ministre des Relations Extérieures du Chili Alejandro Fierro, indiquait : « Le peuple chilien, qui avait apporté au désert son travail, sa vie et toutes ses espérances, était naturellement enclin à se considérer maître de ce territoire par le droit ancien de la République et par les titres que procurent le génie et les sacrifices, composait les quatre-vingt-treize pour cent de ses habitants » (MMRREE, 1879).

Vers 1879, ces arguments contradictoires finirent par transformer une divergence d'interprétation en un conflit armé, précisément parce qu'on découvrit que le désert d'Atacama, que l'on croyait stérile, désolé et inhospitalier, recelait des richesses incalculables.

Caracoles, le salpêtre et les frontières ouvertes

Une fois les républiques du Pérou, de la Bolivie, de l'Argentine et du Chili établies, une activité économique débuta dans le Norte Grande (entre Pisagua et Taltal) qui eut, mutatis mutandis, une capacité d'intégration similaire à celle de l'exploitation de l'argent dans l'ancienne Potosi coloniale : l'industrie du nitrate de sodium (le salpêtre).

La fin de la période coloniale àTarapaca coïncida avec le déclin de l'économie des grands propriétaires terriens et l'essor de l'exploitation minière de l'argent (à Huantajaya et à Santa Rosa). Un axe côtier se structura, accentuant l'antagonisme entre la côte d'une part, les vallées précordillèranes et l'Altiplano d'autre part. L'exploitation du guano d'abord, puis du salpêtre firent du littoral le nouveau pôle économique de la province. A Antofagasta par contre, ce fut l'argent de Caracoles qui généra une activité économique puisqu'il y fut découvert au moment où débutait l'expansion du salpêtre à Tarapacá (1870). Par la suite, l'exploitation du nitrate devait elle aussi devenir l'activité économique dominante à Antofagasta.

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Les nouveaux intérêts économiques mirent en lumière l'espace du désert d'Atacama qui, de terre de transit, se mua en espace de production économique, de sorte que les tensions naturelles entre les nouvelles républiques dues aux frontières imprécises, se transformèrent en véritables conflits. Le plus important fut celui de la Guerre du Pacifique qui débuta en mars 1879, pour se terminer en 1883. Cette guerre modifia la carte du littoral pacifique entre les 19e et 24e parallèles.

A Antofagasta, comme nous l'avons signalé, ce ne fut pas le guano mais bien l'argent de Caracoles 7 qui donna la première impulsion au développement économique du XIXe siècle, produisant sur la population une attraction jamais atteinte par Cobija.8 L'historienne argentine Viviana Conti signale que : « la fièvre de l'argent de Caracoles atteint en une année ce qu'en près d'un demi siècle le gouvernement de la Bolivie n'avait pas pu obtenir : une grande quantité d'hommes dans le désert le plus inhospitalier du monde. » (Conti, 2002). Ce furent toutefois une main d'oeuvre et des entrepreneurs chiliens qui vinrent l'exploiter.

José Victorino Lastarria, 9 penseur chilien de renom, écrivit ceci à propos des Chiliens à Caracoles :

« Ces nouveaux yankees qui pullulent à Antofagasta et à Mejillones, aussi actifs que joyeux, aussi paresseux qu'affables, qui travaillent le jour et qui le soir organisent des sociétés d'enseignement primaire, qui débattent des moyens de faire progresser la communauté... Ô que la Bolivie sache tirer profit de cet élément précieux pour son avenir... une colonie intelligente et active lui indique la richesse et attend les bras ouverts pour la pousser vers un avenir sans limites ! » (Gonzalez Pizarro, 2003).

Quant à eux, le Nord-Ouest argentin et le Sud bolivien ouvrirent rapidement des voies vers le littoral : « l'approvisionnement des campements miniers de Caracoles conjuguait les efforts des commerçants boliviens et argentins. Partant de Chichas on empruntait la route la plus directe passant par Yavi (en Jujuy), celle que l'on utilisait aussi pour conduire le bétail et les vivres à pied, depuis Jujuy ...» (Conti, 2002 p 128).

Puis viendrait le tour du salpêtre. Et ce seraient à nouveau des entrepreneurs et des travailleurs chiliens, des muletiers des commerçants qui, plus que les Boliviens pourtant propriétaires du territoire, allaient offrir le dynamisme nécessaire à l'exploitation minière du nitrate. L'historien José Antonio Gonzalez d'Antofagasta fait remarquer que : « la connaissance du désert s'était étendue lors de la découverte du salpêtre par les frères Latrille en 1857. Mais ce fut avec sa découverte par Ossa (José Santos) en 1866 dans le Salar du Carmen, que la ressource mentionnée plus haut, eut les plus grandes conséquences pour le futur destin commercial du Paramo et de la récente Antofagasta.

7. Découvert en 1870. 8. Selon le recensement de 1832 effectué par le curé de Cobija, il y avait 266 Boliviens, 104 Chiliens, 81 Péruviens, 54 Argentins, 22 Espagnols, 3 Portugais, 5 Colombiens, 5 Français, 4 Anglais, 3 Italiens, 2 Equatoriens, 1 Philippin : au total 422 hommes et 138 femmes (Lofstrom, 2002). 9. Dans son célèbre opuscule de 1871 : « Caracoles » Ces lettres décrivant cet important minerai, sont adressées à Sr. D. Tomáš Frías, Ministre des finances de Bolivie.

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Cela engendra la concession qu'Ossa obtint du gouvernement bolivien, le 5 septembre 1868, en faveur de la Sociedad Explotadora del Desierto de Atacama. En mars 1869 les droits de Ossa et de ses associés furent transférés à l'entreprise Melbourne Clark Co, faisant intervenir les capitaux anglais par le biais de la maison Gibbs &Co. (Conti, 2002, p. 200). Cette présence chilienne constituera l'une des justifications du Chili pour la revendication de ce littoral et une des causes de la Guerre du Pacifique en 1879.

Dans la province de Tarapacá, surtout après 1880, le salpêtre a constitué un pôle d'attraction pour une main-d'œuvre désireuse de trouver de meilleures conditions de vie et de travail. Ces emigrants parcouraient plusieurs centaines de kilomètres à pied 10, d'autres à dos de mulet ou par le chemin de fer, sous la coupe de recruteurs ou de manière individuelle ; ils passaient les nouvelles frontières issues de la Guerre du Pacifique, qui restaient toutefois ouvertes en raison de la pression des industriels du salpêtre sur l'Etat chilien. Ceux-ci recrutaient de manière pressante de la main-d'œuvre pour les tâches pénibles d'extraction, de traitement et de transport du salpêtre, par le biais de leur Asociación Salitrera de Propaganda, diffusant à travers tous les organes de presse et même en langue quechua (Gonzalez Miranda, 2002). A titre d'exemple, voici la répartition des trois principales nationalités des ouvriers des mines de nitrates de Tarapacá pour l'année 1890:

Chiliens : 7.648 Péruviens: 1.233 Boliviens : 2.808

Pour un total de : 12.189 ouvriers. "

Si l'on dresse le registre des principales nationalités dans le Tarapacá à l'aide des recensements de 1876 (lorsque cette province était péruvienne) et de 1907 (alors qu'elle était devenue chilienne), on voit bien l'importance des ressortissants des pays frontaliers.

Argentins Boliviens Chiliens Nord-Américains Espagnols Anglais Italiens Péruviens Totoi

RECENSEMENT DE 1876

249 6028 9664 280 132 549 S35

17013 38225

RECENSEMENT DE 1907

556 12528 66262

160 817 1395 1026 23574 110036

Tableau 1 : Les nationalités dans la province de Tarapacá ; évolution démographique entre 1876 et 1907.

10. Le cas des Cochabambinos (habitants de Cochabamba) est particulièrement significatif (Gonzalez Miranda, 1996). 11. Source : DIARI0 OFICIAL(journal officiel) №3.811, du 8février 1890.

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Cette variété de nationalités (plus de trente pour les deux recensements) représente des hommes et des femmes venus de tous les coins de la planète (surtout du Pérou, de la Bolivie et du Chili) pour habiter le désert d'Atacama, de Pisagua à Taltal, attirés par le travail dans les salpêtrières et les ports d'embarquement. Cette occupation du désert a généré une identité propre, différenciée, identifiable par la seule exploitation du nitrate, créant un type social appelé en chilien « pampino » n (Gonzalez Miranda, 2002). Les nationalités dominantes parmi les travailleurs furent donc au nombre de trois : bolivienne, péruvienne et chilienne.

Les immigrants, surtout les paysans indigènes venus de la sierra bolivienne et péruvienne s'intégrèrent non seulement aux salpêtrières en tant qu'ouvriers, mais de plus, ils établirent des réseaux d'échanges commerciaux entre les salpêtrières et leur village ou leur communauté d'origine. Ce fut le cas des indigènes des vallées et de l'altiplano chiliens (Aymaras), comme de celui des indigènes des vallées et de l'altiplano boliviens (Quechuas et Aymaras). Ceci a généré un processus économique complexe de dépendance et d'influence mutuelle par lequel on échangeait principalement des produits agricoles (tels que : luzerne, vin, bière de maïs, fruits, viandes, viande séchée, laine, tissus, farine, etc.) contre des produits plus élaborés (tôle ondulée, fers à repasser et cuisines en fer, aliments en conserves, meubles, vêtements industriels, etc.).

SALPÊTRIÈRES

Abra Adriático Alianza Bellavista Camiňa Constancia Diez de Sept Felisa Franka Gloria Josefina Keryma La Granja La Palma La Patria Lagunes Paposo Peňa Chica Репа Grande Primitiva Ramirez San Antonio San Enrique San Remigio San Lorenzo San Pedro Santa Laura Santa Lucia Santa Rosa South Lagunas Virginia

CHILIENS

167 137 634 506 169 271 446 337 120 220 144 176 261 307 242 336 784 240 392 286 490 146 161 100 565 266 203 297 315 407 83

PÉRUVIENS

7 11 3 20 25 26 4 31 5 11 19 2 6 12 43 6 54 . - - 3 61 4 1 . 18 3 11 - - 2

BOLIVIENS

44 48 58 2

100 183 50 36 13 31 34 22 15 78 90 11 39 140 140 20 40 44 6 2 20 24 38 142 85 30 3

AUTRE NAT.

1 4 5 7 6 . 20 6 2 3 3 . 1 3 5 6 3 . - 4 7 . 4 2 5 16 5 - 5 2

TOTAL

219 200 700 535 300 480 520 410 140 265 200 200 283 400 380 359 880 380 532 310 540 251 175 105 590 324 249 450 400 442 90

Tableau 2 : Origines des travailleurs dans les mines de salpêtre chiliennes en 1920 (Chiffres obtenus directement dans les bureaux de la Police)

12. Habitants de la « pampa » : dépression intermédiaire entre côte et Andes, dans laquelle se trouvaient les mines de salpêtre

L'ORIGINE DU NORTEGRANDEDU CHILI : FRONTIÈRES OUVERTES, MENTALITÉS FERMÉES

Les frontières étaient ouvertes et ce fut au début du XXe siècle que commencèrent les contrôles douaniers, spécialement pour ce qui concerne le transport du bétail ovin et des camélidés. La Guerre du Pacifique n'avait pas affecté ces échanges, encore moins les flux de main d'œuvre qui passaient la frontière par milliers, surtout depuis la Bolivie et le Pérou. Mais à partir de cet épisode guerrier, le fantôme de la méfiance et le mot souveraineté allaient planer sur les chancelleries des trois pays impliqués dans ce conflit armé. Le contentieux était basé, pour le Pérou sur son intérêt à récupérer Tacna et Arica, pour la Bolivie sur la revendication d'accès à un port et pour le Chili, il s'agissait de consolider ses conquêtes.

Au début du XXe siècle, le conflit entre le Pérou et le Chili à propos des provinces dites « captives » conduisit les autorités chiliennes à intensifier le contrôle de ses frontières avec le Pérou et avec la Bolivie. Mais pour des raisons économiques, pendant toute la période du salpêtre, les frontières demeurèrent pratiquement ouvertes.

MINISTÈRE DES RELATIONS EXTÉRIEURES Santiago, le 12 de janvier 1923 Sect. Tacna. № 4

CONFIDENTIEL

En référence à votre télégramme du 28 novembre de l'année écoulée, que j'ai porté à la connaissance de Monsieur le Ministre de l'Intérieur et qui lui fit présente la nécessité d'établir le service de surveillance de la frontière avec la Bolivie, dans la partie qui correspond à cette province, il répond à ce département ce qui suit :

« Santiago, le 30 décembre 1922. - № 2435. - Ce Ministère a examiné avec intérêt votre communication № 44 du 29 novembre dernier, en rapport avec la nécessité d'établir un service de surveillance de la frontière avec la Bolivie, dans la partie qui correspond à la province de Tarapacâ. Le Commandant Général de la Police auquel il a demandé des informations sur le sujet, est d'accord sur ce qu'il faut établir un service de police dans cette région, et propose, à cet effet, la création d'un nouvel escadron de police, basé à Pisagua, ce qui impliquerait évidemment d'importantes formalités, et pour lequel il faudrait une loi.- Au vu de l'urgente nécessité de ce service de surveillance, je vous adresse la communication suivante : « Le Ministère a été mis au courant de votre rapport n° 11798, du 1 1 courant, du ressort particulier de M. le Ministre des Affaires Extérieures n° 44 du 29 novembre dernier, qui fait apparaître la nécessité de renforcer le service de défense des différents points de la province de Tarapacâ, limitrophes de la Bolivie, qui font l'objet d'incursions fréquentes et préjudiciables, qui sont le fait tant d'individus que d'officiels boliviens.- Le soussigné estime les raisons que vous exposez dignes de considération, se référant aux difficultés et au coût qu'occasionnerait l'installation de ce nouveau service pour le maintien de l'ordre en certains points; néanmoins, au vu de la nécessité de s'occuper de cette surveillance de la frontière orientale, je vous signifie qu'il convient d'organiser un service provisoire, en attendant que l'escadron "Pisagua " que vous proposez puisse se constituer. » -J'aurai le plaisir de vous informer aussi tôt que sera mis en place cet escadron provisoire qui assurera cette surveillance.- Que Dieu vous garde. -

MANUEL RIVAS VICUNA ».

SERGIO GONZALEZ MIRANDA

Qui le porte a votre connaissance. - Que Dieu vous garde Luis Izquierdo 3

Le recrutement forcé de Boliviens, contré à certains moments par les ouvriers chiliens du fait que ces derniers faisaient baisser les salaires par leur soumission aux patrons, fut un facteur de pénétration du monde andin dans les salpêtrières de Tarapacá. Les patrons des salpêtrières faisaient pression en permanence sur le gouvernement chilien pour que les frontières soient toujours ouvertes, avant tout pour pouvoir recruter.

La tragédie du salpêtre fut ensuite partagée par tous. De même que des milliers d'ouvriers boliviens étaient venus travailler dans les salpêtrières avec eux, ils partagèrent avec les Chiliens et les Péruviens le terrible exode du retour pendant la crise économique.

LE JOURNAL, ORURO

Le 28 août 1907, p. 4

Les ouvriers rapatriés du Chili La direction générale des Travaux Publics a donné ordre par voie télégraphique à l'entreprise de chemin defer de Oruro-Changolla de délivrer 1430 billets sur le chemin defer susmentionné, aux ouvriers rapatriés qui voyagent vers Cochabamba pour s'occuper de différents travaux. Cet accord porte aussi sur 57 000 kilos de bagages.

Le 14 septembre, p. 3, Les ouvriers rapatriés des pampas du Tarapacá s'en vont. Ils traînent derrière eux des fardeaux de linge, des femmes hirsutes, déjeunes enfants presque sales. Ils s'éloignent sans se rendre compte d'où ils vont, ni quel est leur destin, ni quelle mission les attend.

Ils fuient ce pays où ils furent accueillis avec bienveillance, où ils trouvèrent un travail productif de quoi nourrir leur famille. En abandonnant cette région où ils gagnaient leur pain quotidien, il semble qu'ils laissent un peu d'eux mêmes là-bas, sur la côte qu'ils arrosèrent de leur sueur.

Ils partent... en lançant un « Viva » retentissant à ce pays qui les a hébergés « Vive le Chili » sorti des lèvres péruviennes et boliviennes, de la bouche des fils de ceux qui autrefois combattaient sur ces mêmes plages, ce « hourra » sorti de leur bouche après avoir pris naissance au fond de leur poitrine se diffuse et se répand dans les airs.

Cette ovation au Chili, lancée par les travailleurs de ces républiques apparentées, a plus fait pour la paix du continent et la fraternité de ces peuples que tous les diplomates réunis.

Dans l'acclamation spontanée de ces ouvriers, que rien n'oblige, il n'y a pas d'hypocrisie, il ne peut y avoir que des sentiments. . .

3. Archives de l'intendance de Tarapacá, Ministère des relations extérieures.

L'ORIGINE DU NORTE GRANDE DU CHILI : FRONTIÈRES OUVERTES, MENTALITÉS FERMÉES

A la fin du cycle de production du salpêtre, on pouvait encore voir le gouvernement chilien entreprendre des démarches en vue de l'introduction de main-d'œuvre bolivienne, alors que les travailleurs péruviens étaient expulsés par les Ligues Patriotiques avec la complicité des autorités provinciales et de l'Etat chilien (Gonzalez, Maldonado, Me Gee, 1994).

1924-25. CONFIDENTIEL

Télégramme

Monsieur l'Intendant

Daignez vous informer et m'informer de manière confidentielle s'il convient de négocier avec le gouvernement bolivien la venue facilitée de travailleurs boliviens dans les salpêtrieres, en raison de la pénurie dans le centre du pays. Veuillez vous renseigner, surtout si cela est susceptible de produire des perturbations dans le milieu ouvrier.

Pedro Aguirre Cerda (Ministre de l'Intérieur)

La réponse de l'intendant se fit par le télégramme suivant :

Au vu de la pénurie de bras dans la pampa, les exploitants du salpêtre verraient avec plaisir la venue d'ouvriers boliviens et pour cela, ils ont fait directement des démarches explicites, qui durent cependant être abandonnées vu les exigences des autorités boliviennes qui exigeaient un dépôt de 500 pesos boliviens pour chaque ouvrier embauché. L'apport d'ouvriers boliviens allégerait indiscutablement aussi la situation à l'intérieur et au sud du pays où l'on se plaint de l'émigration continue vers les salpêtrieres. Il existe actuellement un nombre régulier d'ouvriers de cette nationalité occupés à ces tâches, qui travaillent en parfaite harmonie avec nos ouvriers.

L'intendant de Tarapacá 4

De même que l'on encourageait la venue de main-d'œuvre, on dressait des obstacles aux douanes et aux postes de police aussi bien chiliens que boliviens, en faisant un travail jusque-là inconnu : celui de contrôler les produits et les personnes pour éviter la contrebande ou Y« exportation » illégale. La frontière commençait à exister : bien plus qu'une ligne de démarcation entre les deux pays, c'était un obstacle à une circulation pourtant historique dans les Andes. Lorsque ces contrôles se mirent à être plus stricts, ce fut un coup dur pour l'économie des hommes de la frontière, habitués à circuler librement d'un pays à l'autre, comme dans un espace continu. La réclamation d'un paysan chilien aymara concernant le contrôle exercé par la police bolivienne sur les produits qui passent la frontière en est un exemple remarquable. La requête que le paysan en question, Monsieur Julian Chambe Mamani, présenta à don Francisco Challapa, Inspecteur du District de Cariquima de l'arrondissement de Tarapacá, est la suivante :

4. Archives de l'Intendance de Tarapacá.

SERGIO GONZALEZ MIRANDA

Cariquima, le 2 octobre 1948

A cette date, don Julian Chambe Mamani, âgé de trente ans, chilien originaire de Cariquima, se présenta devant l'inspecteur du District, et expliqua calmement :

Que pendant les mois de juin et juillet il se rendit en Bolivie en un lieu appelé Uyuni, dans le but de travailler pendant les travaux de récolte du quinoa et des pommes de terre. En effet, explique-t-il : j'ai travaillé pour Messieurs Mariano Choque, Pablo Mamani et Vinicio Flores pendant les mois indiqués et, en paiement de mon travail on me donna ceci : quatre quintaux de quinoa et 55 kg de pommes de terre.

Comme je n'avais pas de quoi prendre avec moi cette marchandise, je suis rentré dans mon village et le 10 septembre courant, je me suis présenté devant Monsieur l'inspecteur du district, don Carlos Chivi R., et je lui ai demandé qu'il me donne un sauf-conduit pour retourner en Bolivie avec douze lamas, pour chercher le fruit de deux mois de travail.

Le sauf conduit en question me fut délivré et je suis donc entré avec celui-ci. Puis en arrivant à pampa Iso, lorsque je rentrai en conduisant ma marchandise, quatre policiers vinrent à ma rencontre, m'arrêtèrent, et me conduisirent jusqu'au village de Llica, où j'ai été détenu pendant dix jours. Ils m'infligèrent ensuite une amende disciplinaire d'une valeur de quatre-vingts bolivianos.

Comme je suis pauvre, plutôt que de perdre mes lamas, je me vis obligé de vendre le produit obtenu en deux mois de travail afin de rassembler ainsi le montant de l'amende que les autorités boliviennes m'imposaient.

Le plaignant explique qu'il est coutume entre les populations des villages frontaliers, tant de Bolivie que du Chili, de venir travailler pour gagner de l'argent lors des récoltes ; par exemple pendant les récoltes de maïs et de blé, qui se font dans les villages de Tarapacd, ainsi qu'à Sibaya et à Chiapa, lesquels se remplissent de ressortissants de Bolivie qui rentrent tranquillement avec le fruit de leur travail et qui vont et viennent librement sur le territoire, sans qu'au Chili personne ne leur dise rien.

Il ajoute que le sauf-conduit délivré par Monsieur l'Inspecteur lui a été retiré et qu'on ne le lui a pas restitué, bien qu'il l'ait exigé à plusieurs reprises. Il ajoute encore que, comme il estime qu'il a été victime d'une injustice inqualifiable, il vient déposer plainte enjoignant à la présente les pièces justificatives qui témoignent qu'il a dû payer l'amende susmentionnée et il demande que, suivant la procédure légale, l'on enregistre la présente plainte.

Ne sachant pas écrire, en guise de preuve et à sa demande, c'est don Francisco Challapa qui signe. 5

Tel un cours d'eau souterrain, la culture andine continue de s'articuler autour des circuits d'un territoire que l'exploitation minière a intégrés, malgré le fait qu'après la Guerre du Pacifique les frontières commencent à être l'emblème de la souveraineté face aux menaces présumées et aux expansions imaginées des Etats voisins. Dans les années

5. Archives de l'Intendance de Tarapaca.

L'ORIGINE DU NORTE GRANDE DU CHILI : FRONTIÈRES OUVERTES, MENTALITÉS FERMÉES

soixante-dix et quatre-vingt du XXe siècle, cette tendance se précisera avec les régimes militaires dans les quatre pays, ceux-là mêmes qui définirent leurs frontières conformément à la doctrine de sécurité nationale.

Conclusions

Le Norte Grande et ses frontières sont le résultat de processus économiques, politiques et sociaux qui se sont développés au cours du XIXe siècle et au début du XXe, auxquels la population andine ne fut pas étrangère.

Le problème de la migration péruvienne vers le Norte Grande du Chili, résultat des frontières définies après la Guerre du Pacifique, n'a rien à voir avec le concept de souveraineté, contrairement à ce que presque tous les auteurs soutiennent. (Aranibar Quiroga, 1999). Cela tient à ce fleuve profond qu'est la culture, qui pousse pour arriver à la mer et qui fait pression pour intégrer tout le territoire andin.

Le professeur bolivien Ricardo Anaya aujourd'hui décédé, a émis la proposition de solution peut-être la plus audacieuse et la plus intéressante au problème de l'enclavement de la Bolivie, bien avant l'importance prise de nos jours par les corridors bi-océaniques. Anaya a proposé la création d'un Pôle ou d'une Aire de paix, d'intégration et de développement entre les degrés 17 et 19 de latitude Sud, qui soit reconnue par les trois pays (le Pérou, la Bolivie et le Chili) comme une entreprise commune, du lac Titicaca jusqu'à la côte d'Arica. Les trois pays apporteraient leurs ressources propres et une partie de leur souveraineté sur la part de territoire qui est la leur. Anaya croyait fermement que « la solution d'une Arica tripartite » entrerait dans l'histoire, tel le fruit spectaculaire d'une décision politique, honorable et visionnaire, sans précédent dans l'Histoire Universelle (Anaya, 1987). Anaya n'a malheureusement pu voir se concrétiser d'autres propositions plus audacieuses que la sienne, comme l'Unité européenne. De son temps, il s'est heurté à l'indifférence des chefs des gouvernements de nos pays. Seuls de grands hommes l'entendirent, comme Felipe Herrera, qui allait, lui aussi, laisser un important héritage intégrationniste (Herrera, 1982).

Avec les projets économiques actuels visant à faire de la zone à laquelle se réfère Anaya une zone d'interface vers le Sud-Est asiatique, et grâce à des mentalités plus ouvertes, son rêve tri-national pourra peut-être se réaliser. Pourtant, les actes de violence perpétrés en Bolivie 6 lors de la discussion devant aboutir à l'exportation éventuelle de gaz de Tarija par les ports chiliens, de même que les actions de blocus des produits chiliens à Tacna, montrent une réalité bien différente à la frontière vécue.

6. De nos jours, la Bolivie doit compter avec un cadenas : les couloirs bi-océaniques ; mais aussi avec une clé : le gaz. Seule la Bolivie, par sa position stratégique, peut permettre l'intégration économique du marché intérieur de l'Amérique du Sud et les liaisons entre les bassins du Pacifique et de l'Atlantique. Le gaz de Tarija semble être la principale source d'énergie de cette région.

SERGIO GONZALEZ MIRANDA

Entre le Pérou, la Bolivie et le Chili, y a-t-il aujourd'hui une emblématique Apacheta d'intégration, ou une Pukara symbolique de séparation et de guerre ? 7 Seul l'avenir le dira. Il est possible qu'il soit nécessaire, pour arriver à une réelle intégration, que les frontières s'ouvrent à nouveau comme à l'époque de l'argent et du salpêtre. Mais en retour, il faudra aussi dépasser ces mentalités fermées, nées à la faveur de la guerre, d'une gestion accaparée par des Etats centralisés et prisonnière de conflits diplomatiques. A juste tire, le Dr. Antonio Aranibar Quiroga (Aranibar Quiroga, 1999 p 107 et suivantes) conclut en relativisant la portée du mot souveraineté. Car le mot souveraineté, à la fois inclusif et incluant, est indivisible et non négociable. Ce mot démodé, à chaque fois qu'il circule entre nous, enflamme les cœurs et empêche l'entente.

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7. Dans le monde andin, les apachetas sont des amas de pierres, apportées depuis des centaines d'années par les pèlerins en guise d'offrande, qui se sont transformées en balises, indiquant et ouvrant le chemin vers de nouveaux horizons. Les puka- ras étaient des forteresses andines créées pour défendre le territoire, la culture et la société. Ceux-ci étaient le résultat de la résistance face aux envahisseurs, avant et après les Espagnols.

L'ORIGINE DU NORTEGRANDEDU CHILI : FRONTIÈRES OUVERTES, MENTALITÉS FERMÉES

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SERGIO GONZALEZ MIRANDA

Resume : L'objet de cet article est l'analyse des origines historiques -au XIXe siècle- de la frontière actuelle du Norte Grande du Chili. Jusqu'en 1879, ce territoire faisait partie de la Bolivie (Antofagasta) et du Pérou (Tarapacá).

On pose l'hypothèse qu'il y eut antinomie entre la décision économique de maintenir les frontières ouvertes et la décision politique de consolider la souveraineté de ces territoires en conflit. On aborde l'importance de l'activité minière sur le littoral pacifique, pôle d'attraction pour la population des Andes à travers le commerce, le transport du bétail et l'immigration de main-d'œuvre pour les travaux d'exploitation du guano, de l'argent et surtout du salpêtre. La population andine joua un rôle important dans cet essor.

Il est fait tout spécialement mention de l'émergence des quatre républiques (le Pérou, la Bolivie, l'Argentine et le Chili), à partir du démantèlement de l'espace colonial andin, ainsi que du conflit autour de la souveraineté sur le désert d'Atacama, actuellement territoire du Norte Grande du Chili.

Dans ce travail, nous tenterons de répondre à la question des origines des frontières actuelles du Norte Grande du Chiji, de leur dynamique, et des conflits qui lui ont été associés au cours du XIXe siècle et des premières décennies du XXe siècle.

Mots-clés : frontière, mine, histoire, souveraineté, Chili

Abstract: The origin of Chile's Norte Grande: open borders, closed minds. The purpose of this article is to analyse the historical origins, in the 19th century, of the current Norte Grande borderlands of Chile. Until 1879, this region was part of Bolivia (Antofagasta) and Peru (Tarapacá).

The hypothesis is put forward that there was a contradiction between the economic decision to maintain open borders and the political decision to consolidate the sovereignty of these territories in conflict. The importance of mining along the Pacific shoreline is examined together with the area's role as a focus for the population of the Andes through trade, the transport of livestock and the arrival of migrant labour to exploit the resources of guano, silver and especially saltpetre. The Andean population played an important part in this development.

Particular importance is paid to the emergence of the four republics (Peru, Bolivia, Argentina, and Chile), stemming from the break-up of the Andean colonial area and the conflict concerning the sovereignty of the Atacama desert, currently a part of Chile's Norte Grande.

In this paper we will try to answer questions concerning the origins of the present borders of Chiles Norte Grande, the developments affecting them, and the conflicts they have been associated with during the XlXth century and the first decades of the XXth century.

Keywords: border, mine, history, sovereignty, Chile