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    lordstown 1972ou les dboires

    de la generalmotors

    Pomerol & Mdoc

    Restructuration du capital = sabotages tous les ta- ges. Au dbut des seventies, General Motors la

    appris ses dpens, au cur de lusine la plusmoderne du monde.

    Lautomobile, industrie structurante de ce monde demerde, tait alors dj en crise. Dbut 2009, avecla crise, cest--dire les coups encore plus durs

    ports aux travailleurs, politicards et mdias sem-blent redcouvrir que les prolos sont toujours au cen-tre de lorganisation conomique du monde et pas

    seulement en Chine ou au Bangladesh, contraire-ment ce que les agents de la paix sociale soutien-nent depuis les bouillantes annes 70-80 : chaque

    semaine en Europe et en Amrique du Nord, cest parmilliers que des ouvriers sont foutus la porte desusines. Mais, qui dit prolos dit aussi lutte de classe...

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    LOrganisation des jeunes travailleurs rvolutionnairesfut fonde en 1970 linstigation des dirigeants duPSU. LOJTR regroupa de jeunes ouvriers rvolts decette priode, avec comme devise la formule deLiebknecht : la jeunesse est la flamme de la rvolu-

    tion proltarienne. Malgr des influences lninistes,la base de lOJTR avait ncessairement raison contreles dirigeants. LOJTR se saborda rapidement, aprsavoir publi la brochure Le militantisme, stadesuprme de lalination. Un ex-OJTR publia en 1976 Un monde sans argent: le communisme .

    Lordstown 1972 fut publi, aprs la dissolution delOJTR, en supplment au journal Quatre millions de

    jeunes travailleurs, en 1973. Il sagissait autant defaire lloge de la destruction de loutil de travail quede souligner le lien entre lactivit de rvolte ouvrireet une activit post-salariale et communiste, en refu-

    sant les mdiations classiques de la conscience, duparti, du passage de lconomique au politique.

    Le texte a t republi aux ditions de loubli en 1977et, plus rcemment, dans lanthologie Rupture dansla thorie de la rvolution. Textes 1965-1975,Senonevero, 2003.

    Brochure mise en page fin avril 2009, la veille dunpremier mai certainement nouveau dcisif pourles centrales syndicales, surtout pour calmer lesardeurs douvriers de plus en plus nervs: squestra-tions de patrons (Caterpillar, Molex, Sony), blocagesde sites (Amora, Toyota) & saccages de btiments pri-

    vs ou publics (Continental, Caterpillar), coupuressauvages cibles par les travailleurs dErDF... le climatsocial se dgrade. Tant mieux.

    Quelques bouts du paysage contemporain: 750.000 salaris enFrance bossent directement ou indirectement pour la fabricationdes bagnoles, 700.000 pour lusage automobile (assureurs,

    garagistes, distribution carburants, etc.), 1 million dans le trans-port (routiers, construction des routes, flics, etc.). Plus de 60 mil-lions de vhicules sont construits par an dans le monde.

    Avec ze crise, 8.000 ouvriers devraient dgager en 2009 enfrance, en plus de la disparition de la quasi-totalit des postes

    intrimaires. Mais bien sr, les constructeurs franais virentavant tout dans leurs usines trangres: Brsil, Slovaquie,Espagne. Au niveau mondial on parle de trois millions demplois

    potentiellement supprims. Sans parler de toutes les mesures dechmage partiel. Chez les quipementiers, les grves se multi-

    plient depuis lautomne 2008, bloquant rgulirement lensemblede la filire. Les 9 & 10 avril 2009, les salaris du sous-traitantRencast dtruisent la production destine (en flux tendu) Renault et PSA: les quelques tonnes de pices mcaniques ontt remises au fourneau, hophop.

    Entre 2000 et 2007, 20.000 emplois avaient dj t sup-prims chez les constructeurs, 15.000 chez les qui-pementiers. Cela permet de relativiser ce quest la crise : cest toujours la crise quand il

    sagit de restructurer.

    Il est par ailleurs notable que lensembledes indicateurs tend rvler que,depuis dix ans, la conflictualit au tra-vail a augment (aprs une baisse conti-nue depuis les annes 80): tant ce queladministration appelle les journesindividuelles non travailles pourne pas dire journes de grve ,mais aussi le refus des heures

    sup, le dbrayage, lusage de laptition, la manif, le recoursaux prudhommes,labsentisme (en2005 en France,les 250 millionsde journes non

    travailles ontcot 7 mil-liards deuros)...Ce dont lesenqutes ne

    parlent que trspeu: le recoursau sabotage,la rapparitiondes pratiquesdu saccage etde la squestra-tion et lauto-nomisation

    face/contreles syndicats,ces ternels coges-tionnaires delexploitation...

    Et vivela sociale !

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    Termine en 1970, lusine de Lordstown, qui pos-sde les machines les plus modernes et les plus

    sophistiques, avait t conue comme un modledu genre. Au lieu de cela, elle est devenue le

    Woodstock de lindustrie: cheveux longs ettenues hippies y sont de rigueur, et labsence totale

    de discipline rend impossible le bon fonctionne-ment de la chane. En choisissant cette petite loca-lit de lOhio, loin de Detroit et de ses habitudes en

    matire de construction automobile, la GeneralMotors esprait rassembler une main duvre

    jeune et totalement nouvelle. Elle la eue...

    LExpansion

    I.

    naugure en juin 1970, lusine o lon montela voiture super-compacte Vega est reve-nue plus de 100 millions de dollars la

    General Motors (GM). La nouvelle unit de fabrica-tion dune conception ultramoderne et bourredinnovations technologiques, devait permettre defaire face la crise que traverse lindustrie automo-bile amricaine face la saturation du march et laconcurrence trangre. Elle se trouve Lordstown(Ohio). Selon le directeur gnral de Chevrolet, dontla division prenait en main lusine, celle-ci reprsen-tait un niveau de qualit qui na encore jamais tatteint, en matire de fabrication, dans ce pays niprobablement dans le monde entier. Il ajouta queles 8.000 employs de Lordstown taient trs atta-chs cette usine . Cest la voie de lavenir ,observait, aprs une visite, un analyste boursierdans le Wall Street Journal.

    Que Lordstown soit devenu la voie de lavenir ,cest ce que nous nous proposons de montrer ici.Nous nirons cependant pas jusqu prtendre quenotre point de vue corresponde aux esprances deshabitus de Wall Street! En fvrier 1972, les ouvriers Lordstown votent 97% une grve pour riposteraux mesures de rorganisation et aux suppressionsdemploi dcides par ia division montage de la GM(GMAD), qui a remplac la division Chevrolet latte de lusine. Mais les ouvriers dont lge moyenest de 24 ans navaient pas attendu la dcision degrve pour passer aux actes. Et quels actes! Selon le

    New York Review du 23 mars 1972, Ds avant ce vote,les usines de Lordstown staient acquises une tristeclbrit : changements de direction, licenciements,sanctions disciplinaires, augmentation des dfautsde fabrication, protestation des ouvriers contre lac-clration des chanes de montage, coulage destemps, absentisme lev, accusations rpts, desabotage. La direction affirme que les ouvriers ontray les peintures, dtrior les carrosseries, les si-ges et les tableaux de bord des voitures, et elle aoffert 5.000 dollars de rcompense toute personnequi donnerait des renseignements sur un incendiequi sest dclar dans les circuits lectriques de la

    chane de montage elle-mme. Le New York Timesprcise le tableau : La production a t srieuse-ment dsorganise sur la chane de montage la plusrapide du monde... GM estime que la perte de pro-

    I

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    nous ne voulons pas dire quil faut ranger lensemble dessyndiqus ou mme des dlgus dans le camp des imbcilesou des contre-rvolutionnaires. Il y a de nombreux travail-leurs qui tout en utilisant la forme syndicale nen sont pasprisonniers.

    9b. Nous empruntons cette note sur la conscience P. Guillaume (postface Les Trois sources du Marxisme) : Jobserve un joueur de tennis et je vois que ses coupssont insuffisamment appuys, quil ne construit pas assez

    son jeu, quil ne peroit pas ou ne sait pas rpondre la stra-tgie de son adversaire par une autre stratgie, quil secontente de renvoyer la balle comme il peut. Ma consciencenest ni juste, ni fausse, elle est abstraite, dnue defficacit,et dtermine par ma situation de spectateur. Laconscience qua le joueur est dun type totalement diff-rent, elle inclut entre autres la perception immdiate de lafatigue, des capacits physiologiques, sensorielles, de per-ception et de rflexe, etc. Sa conscience est un moment deson jeu, indissociable de son jeu. ... Notre discussionaboutira non pas lui apporter la conscience, mais labo-rer un langage dans lequel nos expriences deviennent com-municables.

    10. Le contre-planning dans latelier paru dans RadicalAmerica, traduit dans Informations Correspondance Ouvrire

    (mars-avril 1972). [Republi in Rupture dans la thorie de larvolution. Textes 1965-1975, Senonevero, 2003]

    11. Le cot direct de la guerre au Vietnam sest lev suivantle Pentagone 137 milliards de dollars ; ce chiffre ne rendpas compte de lusure normale du matriel et de lentretiende plusieurs bases qui ont servi dans la guerre... Le projetApollo na t que de 26 milliards de dollars. Tout cela resterelativement faible lorsquon sait que le PNB des tats-Unissest lev en 1972 1.152,1 milliards de dollars.

    biblio complmentaire

    OJTR, Le militantisme, stade suprme de lalination, trouva-ble sur

    Un monde sans argent: le communisme a t mis en ligne :

    sur Lordstown et bien dautres pisodes de la guerre sociale:

    John Zerzan, Un conflit dcisif. Les organisations syndi-cales combattent la rvolte contre le travail, changes,1975, republi in Rupture dans la thorie de la rvolution.Textes 1965-1975, Senonevero, 2003. [si-si, Zerzan, celui-lmme qui a vir dbilo-primitiviste.]

    Martin Glaberman & Seymour Faber, Travailler pourla paie. Les racines de la rvolte, Acratie, 2008;

    Sur la situation contemporaine dans lindustrie automo-bile, lutte de classe comprise, des articles rguliersdans la revue changes, par ex. Rpublique tchque:lindustrie automobile moteur de laccumulationdu capital et des luttes de classes? , n118, 2006,;Exacerbation de la concurrence dans le secteur auto-mobile mondial, n 119, 2006, .

    Nanni Balestrini, Nous voulons tout, le Seuil, 1973 [romansuivant le parcours dun prolo du sud de lItalie, monttaffer dans le nord industriel et se retrouvant activementpris dans la rvolte ouvrire qui a srieusement secouFiat et Turin en 1969]

    Marcel Durand, Grain de sable sous le capot, Agone, 2006[un ancien OS de Peugeot Montbliard raconte la vie latelier]

    Infos rgulires sur des rvoltes ouvrires et autreshumeurs offensives dans le bulletin trimestriel

    Dans le monde une classe en lutte , sur les sites internet [Des nouvelles du front]ou .

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    duction slve 12.000 voitures Vega et quelque4.000 camions Chevrolet, pour une valeur denviron45 millions de dollars. La direction a d fermerlusine plusieurs reprises depuis le mois dernieraprs que les ouvriers eurent ralenti les cadences etlaiss passer des voitures sur la chane sans effec-tuer toutes les oprations.

    A.B. Anderson, le directeur de lusine, a dclar : Il y a des blocs moteurs qui sont passs devant 40hommes sans quaucun deux ne fasse son travail.La direction a galement accus les ouvriers dactesde sabotage, davoir cass des pare-brise, des lunet-tes arrire, davoir lacr des garnitures, tordu desbras dindicateurs de direction, mis des rondellesdans les carburateurs et cass des cls de contact.

    Au cours des dernires semaines, une aire de sta-tionnement dune capacit de 2.000 voitures a fr-quemment t remplie de Vegas, qui avaient d treretournes lusine pour des rparations avantmme davoir t expdies aux concessionnaires.

    Ces deux dernires semaines, les ventes de Vegassont tombes de moiti. 1

    En septembre 1971, donc avant la prise en main delusine par la GMAD, les ouvriers de la carrosserieavaient dclench une grve sauvage. Le mconten-tement navait donc pas pour unique cause le chan-gement de direction.

    Les gadgets automatiques et autres robots qui peu-plent lusine nont pas voulu tre en reste et ontapport leur contribution la fte. Selon le WallStreet Journal, les pistolets automatiques de pein-ture, au moment o ils doivent se rappeler si la

    voiture peindre est un coup, une limousine ou unbreak, ont tendance saffoler et envoyer de lapeinture dans toutes les directions, sur les vitres desvoitures et sur tout ce qui se trouve proximit. Unemachine auxiliaire, qui avait pour tche de prsen-ter les pices aux robots Unimates, est tombe enpanne maintes reprises par surmenage des picesmatresses. La GM eut mme la malchance de ven-dre au magazine Car une Vega dfectueuse. Aprsexamen des dfauts de la voiture, les ingnieurs deChevrolet diagnostiqurent une erreur de mon-tage due un ordinateur, la voiture (qui avait unebote automatique) ayant t monte avec la sus-

    pension avant du modle bote manuelle troisvitesses. 2

    Les faits rapports ici, bien quils aient pris uneampleur particulire Lordstown et que la publicitfaite par la GM cette usine modle ait contribu les faire connatre, ne sont pas limits une seuleusine. Il sagit dun phnomne qui touche lensem-ble de lindustrie automobile amricaine. Et mmeun peu plus.

    Le sabotage na pas t invent Lordstown. Cestune vieille tradition ouvrire, qui revient fort lamode ces derniers temps, il permet, ici, de se dten-

    dre les nerfs en assouvissant une petite vengeance,et, l, de se gagner un peu de repos en attendant lesrparations. Mais aux tats-Unis on commence vrai-ment sortir de lre du bricolage !

    - 4 -

    1. Article du New York Times traduit dans InformationsCorrespondances Ouvrires (mars-avril 1972).

    2. Automation et OS la General Motors , paru dansle New York Review du 23 mars 1972, traduit dans Les Tempsmodernes parmi dautres articles sur des sujets proches(septembre-octobre 1972). Larticle est bien document etsappuie frquemment sur dautres crits parus en Amriquesur Lordstown. La tentative danalyse reste au niveau intellectuel de gauche .

    3. Norbert Wiener, Cyberntique et socit, 10/18, 1962 [1950],notamment le chapitre Premire et seconde rvolutionindustrielle . Au-del de la question de lautomation,lensemble du livre a un intrt thorique certain.

    4. Comment sest arrte la chane la plus rapide dumonde de Jim Wargo, LExpansion (mars 1972).

    5. La GM investit beaucoup plus ltranger quaux tats-Unis, particulirement en Asie du Sud-Est. Lt dernier ellea pris une participation dans la firme japonaise Isuzu.Quelques semaines plus tard, elle annonait quelle acqu-rait une usine de montage en Malaisie et quelle espraitfaire de la fabrication en Thalande. Elle est dores et djimplante en Core du Sud et demande pouvoir importeren franchise de douane des pices fabriques auxPhilippines. Un des objectifs ultrieurs de la politique asiati-

    que de la GM serait, selon des concurrents japonais inquiets,de pntrer ce march (chinois) de 750 millions de consom-mateurs en passant par Tokyo. (Les Chinois utilisent djde coteux matriels de terrassement fabriqus par la GMet achemins par un associ Italien.)... Il existe une autre source dexpansion rentable: la rim-portation vers les tats-Unis de voitures (comme les BuickOpel de la GM) fabriques ltranger par des filiales ou desfirmes associes. Entre aot 1970 et aot 1971, durant la pre-mire anne de la Vega et la priode o le pays tait le plusinquiet de la rivalit entre voitures trangres et voituressubcompactes amricaines, les r-importations des troisgrands de lautomobile amricains augmentrent de 78% ;ce qui reprsente un taux peine infrieur celui ralispar les ventes aux tats-Unis des constructeurs japonais,

    et un taux sept fois suprieur celui ralis par lesEuropens. (New York Review)Sur les causes et consquences du dficit de la balance com-merciale amricaine, cf. Lexpansion (dcembre 1972) :LAmrique vieillit .

    6. Kim Il Sung, Thorie de la construction conomiquedu socialisme dit et diffus gracieusement par le PSU !

    7. Allende, Le Monde du 21.01.73. Les Franais nont aucuneraison de se montrer jaloux, G. Marchais a montr quil taitle digne successeur de M. Thorez. Dans une confrence depresse sur le financement du programme commun de laGauche, il a dclar : Les ouvriers travailleraient davan-tage sils avaient un gouvernement dans lequel ils ontconfiance. (Le Monde, 24.01.73)

    8. Une des meilleures faons de chtrer dmocratiquement

    une grve est de la noyer dans la recherche, la discussionet la formulation de revendications.Nous ne saurions trop recommander les grves o aucunerevendication nest avance. Cela permet de soccuperdautre chose, de profiter pleinement de ce que reprsenteun arrt de travail. On dgage la grve, acte de force et deplaisir, de la gangue mystificatrice de la ngociation et delennui qui lentoure.Il ny a nul besoin de formuler des revendications pourquelles soient satisfaites Le patron pour faire reprendrele travail, cest une ncessit pour lui, doit essayer decontenter son personnel. Seulement, linverse du cas habi-tuel, cest lui qui est en position de demandeur, lui qui neconnat pas les cartes de ladversaire, lui qui doit se mouilleret faire des propositions. Lexprience montre que dans unetelle situation les directions paniquent, bafouillent, se ridi-

    culisent et commencent se montrer plus gnreuses. Dansla guerre sociale, il faut mettre lincertitude son service.

    9a. Cit par LExpansion (mars 1972), il exprime le crtinismemilitant. Lorsque nous nous en prenons au syndicalisme,

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    II.

    usine de montage de la Vega, qui devait trela solution au marasme de lindustrie auto-mobile amricaine, sest en fait prsente

    comme lillustration exemplaire des problmes fon-damentaux de la production marchande. Les dboi-res de la General Motors Lordstown prfigurent de

    faon concentre et limite la crise future du sys-tme capitaliste. Cette crise se prsentera sous laforme dimpasse dans les domaines conomique,technique et humain. Nous ne nourrissons pas dil-lusions sur les faibles chances dune contagion detout le systme partir dun foyer trs limit, maisnous croyons que les mmes causes produiront lesmmes effets.

    Rien ne peut garantir que des actions radicales neseront pas finalement rcupres par le systme etdigres par des rformes. Aucun volontarisme nepeut aller contre. Cest travers la rcupration etson dpassement que la vieille taupe rvolution-

    naire progresse et ressurgit.Les rvolutions bourgeoises, comme celles du 18 e

    sicle, se prcipitent rapidement de succs en suc-cs, leurs effets dramatiques se surpassent, les hom-mes et les choses semblent tre pris dans des feux dediamants, lenthousiasme extatique est ltat per-manent de la socit, mais elles sont de courtedure. Rapidement, elles atteignent leur point cul-minant, et un long malaise sempare de la socitavant quelle ait appris sapproprier dune faoncalme et pose les rsultats de sa priode orageuse.Les rvolutions proltariennes, par contre, commecelles du 19 e s i cle, se critiquent elles-mmes

    constamment, interrompent chaque instant leurpropre cours, reviennent sur ce qui semble dj treaccompli pour le recommencer nouveau, taillentimpitoyablement les hsitations, les faiblesses et lesmisres de leurs premires tentatives, paraissentnabattre leur adversaire que pour lui permettre depuiser de nouvelles forces de la terre et se redresser nouveau formidable en face delles, re c u l e n tconstamment nouveau devant limmensit infiniede leurs propres buts, jusqu ce que soit cre enfinla situation qui rende impossible tout retour enarrire... (Marx, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte)

    Le peu dintrt des consommateurs pour les achatsde voitures et limportance croissante de la concur-rence des constructeurs trangers, dont les propresmarchs sont saturs, ont mine la sant de lindus-trie automobile. Depuis le lancement de la Vega,lindustrie automobile amricaine a t le secteur leplus dprim dune conomie de dpression. 1970fut une anne dsastreuse pour les fabricants dau-tomobiles. La production fut la plus basse enregis-tre depuis 1961 ; elle tait infrieure dun tiers celle de 1965, anne record; dun cinquime parrapport 1950. 955 marchands de voitures neuvesfirent faillite, soit un sur 28... Mme labolition de la

    taxe sur les voitures ne parvint pas stimuler lesbnfices pendant la seconde moiti de 1971... Maisen dpit de cette subvention, les constructeurs dau-tomobiles ne purent gure accrotre leurs program-

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    Llappareil dtat sans avoir suffisamment sap leslois de lconomie marchande. Le problme de larvolution sociale nest nullement de semparer deltat bourgeois, ou de constituer son propre tatafin de transformer lconomie den haut. Si par lepass le proltariat a pu tre tent dagir par linter-mdiaire dun pouvoir politique, ce nest pas unsigne de force mais de faiblesse.

    Le proltariat doit se servir de sa position dans laproduction, cest l son point fort, pour vaincreltat bourgeois. Il ne sagit pas de retomber dans levieux mythe de la grve gnrale: effondrement deltat par paralysie de lconomie. Il faudra saboteractivement le mcanisme de lchange et du sala-riat, abolir les barrires entre les entreprises afin dedgager les forces humaines et matrielles du car-can conomique. Elles pourront sorienter ainsi versla liquidation dfinitive de lappareil dtat bour-geois et de ses instruments de rpression.

    Aux tats-Unis, ceux-ci commencent dj se voir

    miner de lintrieur. Le got du sabotage et de lin-discipline a gagn les forces militaires. Les soldatsde larme de la drogue au Vietnam ont montrquils taient pas prts mourir sagement dans uncombat qui ntait pas le leur. LUS Navy, bastion duc o n s e r vatisme, commence ressentir le contre-coup, et de la guerre du Vietnam, et du problmenoir. meutes raciales, sabotages et actes dinsubor-dination se succdent sur les navires de guerre am-ricains. Mme si cette indiscipline prend souvent laforme dun conflit racial entre noirs et blancs, tantdonn les conditions dans lesquelles elle sexerce,elle a une importance considrable pour la rvolu-

    tion. Les marins sauront bien refaire leur unitcontre leur vritable adversaire, dans dautres cir-constances. Dailleurs, le magazine allemand Sternsous-titre un article sur cette question : Larro-gance dofficiers de marine blancs provoque les plusgraves meutes raciales de la marine US. Il ajouteque le nombre dincidents en un mois menaait lacapacit dinitiative de la flotte. Pour pro t e s t e rcontre la discrimination raciale, des marins noirs etblancs ont contraint le capitaine du porte-avionsConstellation revenir au port (Stern, 25.01.73).

    La rpression sest abattue sur les auteurs de cesactes. De nombreux marins ont t condamns despeines disciplinaires. Dautres ont t licencis.Les meutes sur les navires de guerre, les sabotagesde Lordstown, et en cho le bavardage rformiste,montrent avec clat que le spectre du communismerde aujourdhui dans les sanctuaires de lalina-tion. On ne len fera pas sortir en laspergeant avecleau bnite des rformes!

    Autant le retour de la rvolution sociale paraissaitimprobable il y a seulement quelques annes, autantcest le rafistolage du vieux monde qui est en passede devenir, aux yeux des proltaires comme aux

    yeux des classes dirigeantes, une entreprise bien

    hasardeuse.Pomerol & Mdoc

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    mes de production. Ils nachetrent que peu dematires premires supplmentaires et embauch-rent trs peu douvriers. Leur prudence sest avresage, les ventes de voitures en 1972 tant jusquprsent restes dcevantes. En fvrier, le ministredu Commerce a calcul que les projets dachat devoitures ont baiss de 8,4% par rapport lannedernire et de 4,4% depuis le mois doctobre... 2 Lesbnfices de lensemble de lindustrie automobilesont mdiocres. La proportion de capital paremploy na pratiquement pas augment ces der-nires annes.

    Quant la Vega, cest encore un chec. Gerstenberg,nouveau prsident de la GM, dclarait quinze moisaprs son lancement quelle navait pas encore subi lpreuve du march que nous lui souhaitons .

    Marchandise pilote, lautomobile crve de son suc-cs mme. Son abondance rend sa possession dri-soire. Elle perd simultanment sa valeur de moyende transport et sa fonction de prestige. Le consom-

    mateur qui avait cru pouvoir se procurer libert etpuissance peu de frais se retrouve prisonnierdu premier embouteillage venu et impuissant faceau plus trivial problme de stationnement. Fticheen perte de vitesse, lautomobile nest plus quunpitre engin de transport. Lon croit acheter un car-rosse et lon se retrouve comme Cendrillon, une foislenchantement pass, avec une vulgaire citrouille.La puissance financire des firmes, mme jointe celle de ltat, ne peut payer le fantastique dvelop-pement des quipements collectifs quexige leurexpansion. En cas de rcession conomique, elle estdans les premires touches.

    Ce qui est re m a rquable, ce nest pas quil devienneplus difficile de ve n d re des vo i t u res, cest que loncontinue en ve n d re. Leur manque de qualitspersonnelles se tro u ve compens par les tare sg randissantes du systme. Drisoirement, lauto-mobile accorde un peu de tranquillit la sortie dut ravail, elle permet de schapper de la ville pour lewe e k - e n d .

    Nous ne prenons pas de grands risques en prdisantque la question de la gestion de lindustrie automo-bile ne posera pas beaucoup de problmes lors de lar volution. On arrtera la production. Le nombre de

    vhicules en circulation permet de rgler tous lesp roblmes de transport en attendant que lon metteau point des engins moins misrables et les units dep roduction automatises o ils seront fabriqus. Lasimple utilisation rationnelle des automobiles (opti-mum de passagers par vhicule, minimum de tempsde stationnement, distribution des engins en fonc-tion des capacits des ro u t es: les 2 CV en ville, les DSsur autoroute), associe la rduction du temps det ransport ncessaire pour la plupart des gens, per-m e t t ra de mettre en rserve la grande majorit desvhicules. Cela rduira la pollution, ainsi que le nom-b re des embouteillages et des accidents. Peut-tre

    re t ro u ve ra-t-on le plaisir de la conduite et de lavitesse. La fabrication des pices de re change et lar p a ration des engins noccupant quune trs faiblepartie des efforts de la socit, les anciens serviteurs

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    sacrifier leur vie devant des ftiches sauront, lemoment venu, utiliser au mieux les instruments queleur aura lgus le capital. Ils sauront remettre enmarche tout ce qui sera ncessaire pour assurer lestches rvolutionnaires: se vtir, se nourrir, sabri-ter, sarmer... vivre.

    Une telle activit se distingue radicalement de len-

    semble des moyens par lesquels on canalise et ondvalue lnergie du proltariat. De mme que leproltariat peut parler thoriquement travers cer-tains actes, de mme certains actes peuvent ne plustre que du baratin. Les processions du 1er Mai nesont plus que les restes fossiliss des meutes spon-tanes par lesquelles le proltariat du 19e sicleimposait son existence. Par les grves davertisse-ment et autres formes de dbrayage bidon, on nagitplus directement pour imposer sa volont, on cher-che montrer son mcontentement, sexprimer.Plus rcemment, on a vu loccupation dusines setransformer en protection de loutil de travail grce

    la bienveillance des syndicats.Certains bure a u c rates extrmistes ont pu aller

    jusqu essayer de rcuprer le sabotage. Le motdordre maoste Il est juste de saboter nexprimerien dautre. Le sabotage nest plus une rponse une situation concrte mais une chose bonne en soi.Le sabotage du ftiche cde le pas au ftichisme dusabotage.

    La colre des tisserands qui sen prenaient auxmtiers Jacquard, voleurs de travail, tait aussi jus-tifie subjectivement que celle des OS qui en ontmarre de travailler, mais ils avaient tort historique-ment. Aujourdhui lhistoire ne peut que donner rai-son aux proltaires qui refusent de sacrifier leur viepour une production imbcile, de mme elle ne peutquapplaudir sans rserve ceux qui se livrent au pil-lage. Notre poque voit lair et leau devenir desmarchandises, alors que toutes les denres ncessai-res la vie humaine pourraient tre gratuites. Lesusines et les bureaux regorgent de gens dont lesefforts ont des consquences nfastes!

    La rencontre entre dune part le mpris du travailmanifest par les jeunes gnrations, et dautre partle dveloppement des forces productives qui justi-fient ce mpris nest pas le fruit du hasard. Le degr

    daccumulation atteint par le capital lamne c o n c e n t rer tous les re g a rds sur le spectacle duconsommable. Le travail, origine du capital-mar-chandise et dtour pour se le procurer, se trouvedvaloris.

    Les possibilits historiques emprisonnes sous laforme marchande se vengent!

    Nous ne nourrissons pas dillusions sur la classeouvrire amricaine. Il lui reste encore beaucoup apprendre. Pour vaincre, le proltariat devra seconstituer en parti politique ou plutt antipolitiqueet affronter lappareil dtat bourgeois.

    Cest un signe de maturit de la rvolution modernequelle ne se manifeste pas dabord au niveau politi-que. Elle se montre suprieure en cela aux insurrec-tions proltariennes du pass qui se heurtaient

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    de lindustrie dfunte tro u ve ront ailleurs des occu-pations plus agrables et plus utiles.

    Selon Fo rd, laugmentation de la productivit danslindustrie automobile, qui tait de 4,5% par an de1960 1965, est descendue 1,5% pour la secondemoiti de la dcennie. Cette baisse est lie la stag-nation des techniques de production. N. Cole, de la

    GM, estime que dans notre bra n che, les possibili-ts de progrs technologique sont moindres quepar le pass .

    Cette impossibilit de progresser est-elle due desraisons purement techniques et scientifiques?Certainement pas: toutes les connaissances qui per-mettraient dautomatiser fond la production desautomobiles, et de bien dautres marchandises, exis-tent ; mais elles ne peuvent pas tre mises en appli-cation parce que les rapports de production freinentle dveloppement des forces productives.

    Il y a vingt ans, Norbert Wiener, le fondateur de lacyberntique, considrait que les usines entire-ment automatises pourraient tre construites enlespace de quelques annes partir de principesthoriques dj labors. Aprs avoir montr com-ment les deux dernires guerres mondiales ava i e n tpermis dimportants dveloppements tech n o l o g i-ques partir de dcouvertes auparavant inutilises,il imagine limpact dun nouveau conflit de gra n d ee n ve r g u re qui ex i g e rait la fois le maintien de lap roduction industrielle et une mobilisation impor-tante dans linfanterie. Nous sommes aussi ava n-cs dj dans la voie du dveloppement dun sys-tme unifi de machines commande automatique

    que nous ltions pour le radar en 1939... Le person-nel dhabiles amateurs de radio, de mathmaticienset de physiciens, quon avait si rapidement conve r-tis en ingnieurs lectriciens en vue de la construc-tion du ra d a r, est toujours disponible pour la tch e ,trs voisine, de la construction de machines auto-matiques... La priode denviron deux ans quil afallu pour utiliser le radar sur le champ de batailleavec un degr lev defficacit serait peinedpasse par la dure dvolution de lusine auto-m a t i q u e. 3

    Wiener dcrit de faon thorique, mais en rentrantdans les dtails, ce que pourrait tre une usine auto-

    matique centre sur un ordinateur. Il cite lusinedautomobiles et la chane dassemblage comme descas particulirement favorables lapplication deces techniques.

    Le capitalisme sest rvl incapable deffectuercette rvolution technique. Il existe bien sr desm a chines automatiques trs perfectionnes etmme de grands ensembles de production quiex cluent presque toute intervention humaine.Lautomation concerne des industries en expansionqui peuvent investir les capitaux ncessaires Elleexige que la forme des marchandises produites ne

    varie pas trop souvent et que les ventes soient assu-res. Les spcialistes estiment que seulement 8%de la production amricaine, en se basant sur lenombre de travailleurs employs, est automatisable.

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    dant des heures. Un gars se promenait avec le bon-net de bain de sa femme sur la tte, au grand amuse-ment du reste de lusine qui ntait pas au courant dece qui se passait dans latelier des essais...

    Le conflit constant avec la rationalisation bureau-cratique sexprime tous les jours dune faon drama-tique la sortie. La plupart des ouvriers qui ne tra-

    vaillent pas la chane principale dassemblage ontfini leur travail, se sont levs et sont prts partircinq bonnes minutes avant la sirne. Et avec 30 ou40 contrematres en chemise blanche dun ct, et300 ou 400 gars de lautre, les gars commencent tousensemble imiter le bruit de la sirne en hurlant, etse prcipitent vers les pointeuses en crasant litt-ralement les contrematres, pointent en vitesse etsont dj sortis de lusine lorsque la sirne, la vraiecette fois, se mle leurs cris. 10

    Les ouvriers opposent lorganisation capitaliste dutravail non pas une nouvelle organisation du travail,mais lorganisation de leur lutte et de leurs jeux. Ils

    sen prennent au cloisonnement entre ateliers etintroduisent la libert de circulation et de contactsentre les hommes lintrieur de lusine.

    La direction de Berliet tenait rcemment rappeler ses employs que les cortges dans lentreprisesont interdits . Elle ajoutait : Ne sont pas consid-rs comme exercice normal du droit de grve, lesarrts inopins et rpts aboutissant une dsor-ganisation de la production, ainsi que les restric-tions volontaires de travail pour freinage de la pro-duction.

    Avec le sabotage, le rapport de domination du capi-

    tal sur le travailleur est renvers. Alors que dans letravail, la marchandise est un instrument dasservis-sement pour louvrier, il la remet sa place dobjetque lon utilise.

    Il ne faut pas se leurrer sur le caractre destructeurque revt lactivit communiste telle quelle sort desflancs du capitalisme. Elle est dj pro d u c t r i c edusage. Le sabotage dtruit de la valeur marchande(cest--dire fait perdre de largent), en sattaquant lusage que lon peut faire dune marchandise (piceutile dans la voiture), mais il produit de la valeurdusage pour louvrier puisquil permet de gagnerdu temps libre, de faire pression sur le patron.

    Ceux qui reprochent au sabotage dtre une activitdestructrice lui font un mauvais procs. Toute acti-vit productrice est aussi destructrice. Tout acte deproduction est aussi acte de consommation: on nefait que transformer de la matire. Sur lutilit desdestructions, le capital na pas de leon donner. Ilne se gne pas pour amortir des machines et des ins-tallations industrielles sur de trs courtes priodesde temps, pour polluer la plante et soffrir de peti-tes guerres de temps en temps. Il nhsite pas sacrifier de la valeur dusage sur lautel de la valeurmarchande, ce qui le gne dans le sabotage cestquil se passe exactement le contraire. 11

    Les ouvriers pour qui loutil de travail nest plus unechose sacre quil ne faut surtout pas dtourner desa fonction premire, ceux qui nacceptent plus de

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    Certains idologues essaient de faire passer cettefaiblesse pour le comble de la bont : La sagesseempirique rside peut-tre en France dans unecertaine lenteur des conversion qui mnage lafois les finances et les hommes. Quand Renault acr lusine de Flins, il aurait pu rduire de 88% lenombre des ouvriers (tout au moins dans une partiede lusine) en poussant au maximum concevablelautomatisation des chanes. Renault a bien fait;mais ses partenaires du March commun auront ilsautant de scrupules? Un bienfait est toujours co-teux. (Devaux,Automates, Automatisme, Automation)

    Si Lordstown est lusine automobile la plus modernedu monde, et si les dirigeants de la GM nont pas eules scrupules de Renault, elle est loin dtre uneusine automatique. Certaines tches dOS ont tconfies des machines, mais il est trs rare que cel-les-ci prsentent un progrs technique importantou transforment de faon rvolutionnaire la naturedes tches restantes... Le directeur gnral de

    Chevrolet a crit que la machine souder automati-que vite louvrier le maniement des pesantespinces souder mais aussi ce qui est sans douteplus proche du fond de sa pense quon a mca-nis des secteurs qui, normalement, risquent dtredes sources de dfectuosits dues aux insuffisanceshumaines. Dailleurs, on ne peut attendre dunouvrier quil fasse la main cent grosses soudures lheure... Les machines qui ont le plus dimpact surle travail des ouvriers sont celles qui servent ren-dre plus rigide lorganisation de la production et redcouper le travail pour ladapter au rythmerapide de la chane de montage. Les ingnieurs de la

    GM sont particulirement fiers de leur techniquedintgration des oprations. Une de leurs grandesambitions tait dutiliser la technologie de lordi-nateur afin de rendre le travail de chaque ouvrierplus facile accomplir et, en mme temps, plusprcis, il revient moins cher daugmenter la prci-sion et la cadence du travail de production que deremplacer les ouvriers par des robots plus rapides:les machines remplacent plutt les vrificateurs etles surveillants que les ouvriers non qualifis. 2

    On le voit, lautomatisation ne concerne pas len-semble du processus de production. La machineremplace rarement louvrier, elle sert plutt enca-drer et rythmer son travail. On fait effectuer pardes automates ce qui freine la vitesse de fabrication.Cela permet daugmenter les cadences. Le travail estplus con et plus pnible ; louvrier est mieuxenchan son poste de travail et mieux contrl. Les ordinateurs chargs du rglage se comportentcomme leurs homologues humains de toujours, enplus inexorables. Par exemple, lALPACA (AssemblyLine Production and Control Activity) donne chaqueouvrier le temps quil faut pour accomplir satche. 2 Dans une interview parue dans le Ne wYork Times du 23 janvier 1972, le prsident de la sec-

    tion syndicale de Lord s t own dcl a re: Cest lachane la plus rapide du monde. Les gars nont que40 secondes pour faire ce quils ont faire. La direc-tion fait ses calculs et nous dit quelle na ajout au

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    g rave pour arrter toute la chane. Ds que le ch e fe n vo yait une quipe pour rparer la faute, lamme chose recommenait dans un autre endro i t -cl. De cette manire lusine entire se reposait entre5 et 20 minutes par heure pendant un bon nombrede semaines, cause soit dun arrt de la chane, soitde labsence de moteurs sur ladite chane. Les tech-niques-mmes employes pour le sabotage sont trsn o m b reuses et varies, et jignore celles qui fure n temployes dans la plupart des ateliers...

    Ce qui est remarquable dans tout cela, cest len i veau de coopration et dorganisation desouvriers lintrieur dun mme atelier et aussientre les diffrents ateliers. Tout en tant une rac-tion au besoin daction commune, cette organisa-tion est aussi un moyen de faire fonctionner le sabo-tage, de faire des collectes, ou mme dorganiser des

    jeux et des comptitions qui servent transformerla journe de travail en une activit plaisante. Ce futce qui se produisit latelier dessai des moteurs...

    Les contrleurs, au banc dessai des moteurs, orga-nisrent un concours avec les bielles qui ncessitaitque des vigies soient postes aux entres de latelieret que des accords soient conclus avec les ouvriersde la chane de montage des moteurs, par exemplepour quils ne fixent pas entirement les bielles decertains moteurs pris au hasard. Quand un vrifica-teur sentait des vibrations douteuses, il criait tousde dgager latelier et les ouvriers abandonnaientaussitt leur travail pour se mettre labri derrireles caisses et les tagres. Ensuite, il lanait lemoteur 4 ou 5.000 tours/minute. Celui-ci faisaittoutes sortes de bruits et de coups de ferraille pour

    finalement sarrter ; dans un grand claquement sec,la bielle baladeuse crevant le carter tait projetedun seul coup lautre bout de latelier. Les garssortaient alors de leurs abris en poussant des hour-ras et on marquait la craie sur le mur un autrepoint pour le vrificateur. Cette comptition-l sep rolongea pendant plusieurs mois, entra n a n tlclatement de plus de 150 moteurs. Et les parisallaient bon train.

    Dans un autre cas, tout commena par deux garsqui sarrosaient par un jour de chaleur avec les jetsdeau utiliss dans latelier des essais. Cela se dve-loppa en une bataille range de jets deau dans toutlatelier qui dura plusieurs jours. La plupart desmoteurs taient soit ignors, soit simplementa p p rouvs en vitesse pour que les gars soient libre spour la bataille, et dans de nombreux cas les moteurstaient dtruits ou endommags pour sen dbarra s-ser rapidement. Il y avait en gnral dix ou quinze

    jets deau en action dans la bataille, tous avec unep ression deau comparable celle dune lance incendie. Des jets deau giclaient de partout, les garsriaient, criaient et couraient dans tous les sens : danscette atmosphre, il y en avait bien peu qui taientdhumeur faire leur travail. Latelier tait rgulire-

    ment inond jusquau plafond et tous les gars com-pltement tremps. Bientt, ils apportrent toutessortes de pistolets eau, tuyaux darrosage et seaux,et le jeu prit les proportions dune foire norme pen-

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    travail quune seule petite chose. Sur le papier onpeut croire que louvrier a assez de temps. Maisquand on na que 40 secondes, la moindre chose quivient sajouter peut vous tuer. 2

    La GM trouve dj que Lordstown lui est revenu tropcher. Lindustrie automobile ne peut pas se payerlautomation. Limportance des capitaux engager

    est sans commune mesure avec le cot des usinesactuelles et sopposerait de toute manire unrenouvellement rapide des modles. La transforma-tion technologique en profondeur exclut le renou-vellement de lapparence des marchandises. Lesncessits de la rotation du capital sopposent desinvestissements long terme.

    Le capital ne se contente plus de transformer leshommes en robots, il ravale les robots au rang degadgets. Que cette opration prenne des aspectscoteux et grandioses (projet Apollo, 250 fois le prixde Lordstown), ou carrment sinistres (bombardierssans pilotes), ne la rend que plus drisoire!

    Le capitalisme aurait peu de chance de survivre undveloppement massif de lautomation. Wiener lui-mme ne se faisait pas trop dillusions : Il est vi-dent que ceci produira un chmage en comparaisonduquel les difficults actuelles et mme la crise co-nomique de 1930-1936 paratront une bonne plai-santerie. 3 Le chmage, leffondrement des prix,puis le changement radical et massif des hommesdans le processus de production, par le passage dest ches dexcution des tches de conception,effondreraient le systme. Lautomation exige la findu salariat, de la production marchande, et donclavnement du communisme.

    Le capitalisme est actuellement sauv dune tellecrise par son inertie. Il y a une diffrence qualitativeentre lautomation de quelques secteurs, qui peu-vent reconvertir leurs travailleurs et couler leursm a rchandises, parce quils sont prcisment enexpansion, et qui de plus freinent la baisse du tauxmoyen de profit de lensemble du systme par labaisse de leur productivit particulire, et une auto-matisation gnralise. Mais cette baisse du tauxmoyen de profit na pu et ne pourra tre combattueque par une augmentation gnrale de la producti-vit. Lautomation est une ncessit autant quun

    pril pour le capitalisme.Ne pouvant augmenter suffisamment la producti-vit du travail par le dveloppement du machi-nisme, les entreprises tentent dy remdier enintensifiant et en rationalisant leffort de leursemploys. Cela ne se limite videmment pas lin-dustrie automobile. Ces mesures par exemple tou-chent de plus vu plus les employs de bureau.

    Malheureusement pour eux, les patrons se heurtent une main-duvre de moins en moins docile. Cettersistance sest exprime depuis la fin des annes 60par une augmentation des grves sauvages et desarrts spontans de travail, mais aussi par labsen-tisme, le turnover et le sabotage larv.L a b s e n t i s me : il sest dvelopp en particulier parmiles travailleurs la chane. la GM, chez Fo rd et ch e z

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    sabotage proprement dit, mais plus gnralementavec tout ce qui sen prend directement lorganisa-tion du travail, la joie rapparat dans les bagnes dusalariat. Cette joie peut aller jusqu une saine etlucide ivresse lorsquil sagit dune activit collec-tive et organise. La panique qui sempare des gar-des-chiourme et de la direction ne peut que latti-ser ; limpuissance a chang de camp!

    Voici une description de ce qui sest pass en 1968dans une usine automobile proche de Detroit : Oncommena voir dans certaines parties de lusinedes actes de sabotage organis. Au dbut, ctaientdes fautes dassemblage ou mme des omissions depices une chelle bien plus grande que la nor-male, si bien que de nombreux moteurs taient reje-ts la premire inspection. Lorganisation de lac-tion entrana diffrents accords entre les vrifica-teurs et quelques ateliers dassemblage, avec dessentiments et des motivations mlangs chez lesouvriers concerns certains dtermins, dautres

    cherchant une sorte de vengeance, dautres encoreparticipant seulement pour se marrer. Toujours est-il que le mouvement se dveloppa rapidement dansune ambiance trs enthousiaste...

    la vrification et aux essais, au cas o le moteura u rait pass la chane sans que des dfauts de fabri-cation sy glissent, un bon coup de clef molette surle filtre huile, sur une couve r t u re de bielle ou sur led i s t r i b u t e u r, arrangeait toujours les choses. Parfoismme les moteurs taient simplement rejets parc equils ne tournaient pas assez silencieusement...

    Les projets conus lors de ces runions innombra-

    bles conduisirent finalement au sabotage lchellede toute lusine des moteurs V8. Comme les sixcylindres, les V8 taient assembls de faon dfec-tueuse ou endommags en cours de route pourquils soient rejets. En plus de cela, les vrifica-teurs, lessai, se mirent daccord pour rejeter quel-que chose comme trois moteurs sur quatre ou cinqquils testaient...

    Sans aucun aveu de sabotage de la part des gars, lechef fut forc de se lancer dans un expos tortueux,qui lui troubla mme un peu les sens, en essayantdexpliquer aux gars quils ne devaient pas rejeterdes moteurs qui taient de toute vidence de trs

    mauvaise qualit, mais sans pouvoir leur dire carr-ment. Toutes ces tentatives furent vaines car lesgars y allrent au toupet : ils lui affirmrent sansrelche que leurs intrts et ceux de la compagniene faisaient quun, ctait leur devoir dassurer lafabrication de produits de premire qualit...

    Un pro g ramme de sabotage rotatif au niveau detoute lusine fut labor pendant lt peur gagnerdu temps libre. Lors dune runion, les ouvriers pri-rent des numros de 1 50 ou plus. Il y eut des ru-nions similaires dans dautres parties de lusine.Chaque ouvrier tait responsable dune certaine

    priode denviron 20 minutes pendant les deuxsemaines suivre et, lorsque sa priode arrivait, ilfaisait quelque chose pour saboter la pro d u c t i o ndans son atelier, si possible quelque chose dassez

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    Chrysler labsentisme a doubl en dix ans. Il est de 5 10% en moyenne. 5% des absents le sont sans motif la GM. Fo rd a d embaucher des tudiants tempspartiel pour remplacer les travailleurs (10%) qui sontabsents les lundis et les ve n d re d i s .

    Les ouvriers amricains ne sont pas les seuls avoirpris lhabitude dallonger leurs congs. Dans un arti-

    cle du Monde (08.10.71) sur la situation sociale ita-lienne, on pouvait lire : ces maux sajoute lab-sentisme, devenu la maladie chronique dune par-tie du personnel italien. On estime que, par roule-ment, sept travailleurs sur cent sont absents chaque

    jour dans la mtallurgie et la mcanique au nord delItalie, la proportion passant 12% dans la rgionde Naples. Le taux dabsentisme aurait progressde 15 20% en quelques mois.

    Le turnover : les travailleurs ont la bougeotte etchangent facilement demploi, ou, aprs avo i ramass une certaine somme dargent, sarrtent debosser pour un moment. Le taux des dparts chez

    Ford a t en 1969 de 25%. Des ouvriers partent enmilieu de journe sans mme prendre leur paye.

    Ces comportements sont surtout le fait des jeunes,mais les jeunes gnrations ne se calmeront certai-nement pas beaucoup en vieillissant. DaprsMalcolm Denise, directeur du personnel chez Ford: Louvrier dusine des annes 70 renclera de plusen plus devant le rythme et le travail uniformes deschanes de montage.

    La peur de perd re son emploi na pas jou Lordstown : Dans beaucoup de cas, les pres des

    jeunes ouvriers de lautomobile travaillent dans les

    industries de lacier et du caoutchouc et ont vu leursemplois menacs par les difficults causes leursusines par la concurrence trangre. Mais la menacedu chmage et les pressions exe rces par lesparents, la presse et les lus locaux, nont ce jourque peu deffet sur les jeunes ouvriers gauchistes(en anglais: militant) qui ont engag la lutte contreGM en octobre dernier. 1 La direction a organisdes sances de sensibilisation pour calmer les tra-vailleurs, mais en vain.

    Mais que faire ? Ni les ouvriers, ni les syndicats, niles managers nen ont ide. Les syndicats avaientmis tout dabord sur la rduction de la dure du

    t ravail. Lors de la ngociation du contrat 1970,lUAW avait demand Ford et Chrysler dtudierla possibilit dune semaine de 40 heures en quatre

    jours. Chrysler notamment stait montr intresspar la formule, dans lespoir de rduire non seule-ment labsentisme, mais linstabilit de son person-nel. Mais, aprs huit mois de ngociations, le projetfut abandonn: la grande entreprise, dpendant demilliers de fournisseurs, ntait pas capable, semble-t-il, de sadapter un autre rythme que la semainede cinq jours.

    Alors Chrysler essaya autre chose. Un programme

    de job enrichement (enrichissement du travail) futlanc en janvier 1971. Thoriquement, il sagissaitde donner la possibilit aux employs de Chrysler, tous les niveaux, dtre fiers de ce quils font et des

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    Aujourdhui, dans ses luttes, le proltariat, mme silest oblig de se contenter de rformes, commence montrer quil nest plus rformiste. Lon assiste cette chose extraordinairement significative: desgens se mettent en grve et ensuite, parfois plu-sieurs jours aprs, commencent formuler desrevendications.8

    Lactivit communiste ne peut tre la consquencedune rorganisation, dune dmocratisation oudune autogestion mme trs pousse des conditionsde travail. Elle ne se substitue pas au travail. Ellenest pas une modification des activits pro d u c t i ve sactuelles sous le coup ou la suite dune rvo l u t i o n .Elle surgit au sein mme du vieux monde sous laforme subve r s i ve dune lutte contre lorganisationdominante de la vie. Ses aspects p r i m i t i fs sont lesabotage, le pillage, la grve insurrectionnelle... Elled e v ra dpasser au cours de son dveloppement cettephase de ngation. Elle ne le fera pas parce quenvieillissant elle serait devenue raisonnable, mais

    pousse par les consquences de ses pro p res actes,en vertu de sa pro p re logique et de nouvelles tch e s effectuer. Elle est la rvolution mme.

    La lutte des travailleurs de Lordstown est commu-niste parce quelle sen prend au capital et parcequelle est dj profondment diffrente du travail.

    Sa premire caractristique est la spontanit. Celane veut nullement dire quelle tait bordlique, sansplan et inorganise. Lopposition entre spontanitet organisation relve de la pense bureaucratiquequi est bien place pour pouvoir reconnatre la ra-lit de la spontanit, mais voudrait cependant serserver le monopole de lorganisation.

    Ce qui manquerait aussi aux travailleurs, cest laconscience. Selon un dlgu CFDT: Ce ne sont pasles OS les plus abrutis par le travail qui sont capablesde remettre en cause les rapports de production,mais ceux qui, malgr leur travail, il reste suffi-samment de possibilits de rflexion pour permet-tre une prise de conscience. 9 Il ny a pas que le tra-vail qui abrutit, le syndicalisme aussi. La consciencentait pas plus absente Lordstown que lorganisa-tion. Simplement il ne sagissait pas duneconscience idologique, mais dune conscience lie une situation et des possibilits daction.

    Ce quont fait les ouvriers de Lordstown tait direc-tement dtermin par la conscience quils avaientde leur situation, de leurs intrts et des risques prendre. En cela ils se niaient comme proltaires etcomme salaris. Lalination du travailleur consisteen ceci que son activit est soumise une logiquequi lui est trangre. Il est agi autant quil agit. Saposition ressemble celle du rameur qui, fond decale, fait se mouvoir la galre mais ne peut dciderni de sa destination, ni mme de lnergie dpen-ser en fonction dune estimation personnelle desncessits de la navigation.

    Dans la lutte, louvrier redevient matre de lui-mme et reprend le contrle de ses propres gestes.Le caractre sacr de loutil de travail , le srieuxoppressant de la ralit de lusine seffondre. Avec le

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    produits quils fabriquent . Dans chaque usine, uncomit denrichissement du travail se mit en qutede suggestions et damliorations des conditions detravail. Mais sur les rsultats long terme, le scepti-cisme lemporte. coutons Douglas Fraser, vice-pr-sident de lUAW et dirigeant du syndicat Chrysler :Au dbut, on a eu limpression que a marcherait,mais la question est de savoir combien de temps ava durer. Est-ce que louvrier devra dire, tous lesmois, alors, mon enrichissement a vient?. 4

    La bureaucratie syndicale est pourtant pleine debonne volont et cherche se montrer raisonnable.L U . A . W, parle de ngocier une rduction de lasemaine de travail qui ne porte pas prjudice alutilisation rationnelle des quipements de la com-pagnie. Selon Douglas Fraser, on ne peut pas sep e r m e t t re nimporte quoi : Chez Vo l vo, on ditquils ont entrepris de briser la chane et de la rem-placer par des petites quipes de production. Cenest pas parce quils font a chez Volvo quon peut

    en faire autant aux tats-Unis. L-bas, ils sortent dixou quinze voitures lheure. Si nous travaillions cette cadence, nos voitures coteraient 25.000 dol-lars. Donner un travail plus satisfaisant aux ouvrierstout en maintenant nos rythmes de production,voila de quoi ce pays a besoin. nous de trouver lasolution.

    Les trusts automobiles, malgr les difficults quilsont avec leur personnel, estiment que des transfor-mations profondes de lorganisation du travail nesont pas rentables. Les seules branches industrielleso lon peut envisager den finir avec le travail lachane sont celles o lon est prt payer plus cherpour une meilleure qualit technique, et elles sontrares. Si lon doit augmenter le cot de productionpour vendre plus, il est en gnral plus intressantde faire porter leffort sur la publicit ou le renou-vellement de lapparence des produits que sur laqualit technique. Les exceptions concernent sur-tout des quipements industriels. Pour lautomo-bile, il ny a peut-tre que Volvo, qui puisse, en rai-son de son image de marque particulire (robus-tesse...) sengager dans cette voie.

    Les remdes apports par le capital ses ennuis sontla rpression, la pnalisation des fautes, une surveil-

    lance accrue et le renforcement de la discipline.Pour maintenir leur taux de profit, les constructeurscherchent simplanter ltranger. La GM a dcidde construire ses futures usines de Vegas dans unergion du Qubec o rgne le chmage. 5

    Ce nest pas daujourdhui que les firmes amricai-nes exportent massivement des capitaux qui leurrapportent des profits levs. Mais lexportationdusines automobiles et la rimportation de voiturescorrespondent un phnomne plus rcent: unepartie croissante des biens de consommation utili-ss par la population amricaine est fabrique

    ltranger. Les USA continuent vendre plus debiens dquipement industriel quils en achtent,mais pas suffisamment pour compenser leurs achatsde matires premires et de biens de consomma-

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    quelles peuvent entraner sur le capital. Au lieu deregarder ce que font les ouvriers, les idologuesbourgeois essaient dimaginer ce que les ouvriersvoudraient obtenir. On ne voit dans lactivit prol-tarienne au plus quun facteur de perturbation oude modernisation du systme, jamais lesquisse deson dpassement.

    Bien sr, la rvolte des travailleurs est oblige, pro-visoirement, de saliner dans des victoires ou deschecs partiels, donc de modifier le systme au lieude le dtruire. Mme lorsquelle prend des formessauvages, elle ne peut finalement lviter; cest l-dessus que les syndicats, ngociateurs de la mar-chandise force de travail, fondent leur survie.

    Mais le mouvement proltarien ne peut tre rduit ses consquences immdiates et partielles.Lactivit ne peut jamais tre rduite son produitdirect. Le travail lui-mme non seulement est lori-gine de tel ou tel objet, mais encore assure la pro-duction et la reproduction des classes sociales.

    Ils ne font rien, ils ne disent rien.Que veulent-ils ? Rien...

    Cela sest pass en juin dernier dans une entre-prise moyenne de construction mcanique de largion parisienne. Entreprise sans histoires, aupersonnel plutt jeune et peu organis syndicale-ment. Un lundi matin, une grve clate dans unatelier et se propage. Le soir, lusine est arrte,mais le mouvement natteint pas lencadrement.Celui-ci, au contraire, est surpris; il n'a pas senti

    venir la grve. Dailleurs, les visages des protesta-taires sont dtendus, et la journe sachve sansquaucune revendication ne soit dpose.

    Situation inchange le lendemain matin. Leseffectifs sont l, au complet, bavardant, jouantaux cartes. La direction, perplexe, prend contactavec les reprsentants du personnel et les pressede dfinir lobjet de la grve. En vain : aucunthme revendicatif n'apparat.

    Le mercredi, les ateliers prennent un air de fte.Les grvistes y improvisent des sayntes, sortesde psychodrames involontaires, o la vie et les

    petits travers de lentreprise sont jous avec bon-homie. Le patron est mis en scne sans insolence..

    Le jeudi, la direction, dsempare, croit dblo-quer la situation en annonant une prime devacances de 300 F. Cette bonne nouvelle tombecompltement plat. Les grvistes nont riendemand et ne dsirent rien dautre, semble-t-il,que de laisser les machines au repos.

    La semaine se termine sans autre priptie, et lelundi suivant tout le monde est son poste, sansc o m p l exe. La direction ne saura jamais queldmon a saisi lentreprise.

    Et le plus extraordinaire est que cette histoire estvraie.

    Le Management, dcembre 1972.

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    La critique de ces messieurs se concentre sur lecaractre rptitif des tches. Lennemi des huma-nistes, ce nest pas le capital, facteur de progrs,mais lhorrible rptitivit. Il faut donner au bonpeuple de la varit et il sera heureux.

    Il est exact que le travail la chane soit la foispnible et rptitif, mais il est faux de dire que le

    simple fait dtre rptitif soit pnible en soi. Il y ades travaux qui ne sont pas rptitifs et qui sontplus pnibles que le travail la chane. Il y a des acti-vits faire lamour, faire de la balanoire qui sontrptitives sans tre pnibles. Si le travail de mon-tage est pnible, ce nest pas dabord parce quil estrptitif mais parce que cest du travail.

    Ce qui caractrise le travail la chane cest que lac-tivit de lhomme y est directement domine, orga-nise, rythme par celle de la machine, incarnationdu capital. Contrairement de nombreux travail-leurs, lOS perd la possibilit de participer la ges-tion de sa propre alination. Son activit est asser-

    vie au capital, non seulement dans ses buts, maisaussi dans sa forme mme. Il perd lillusion de lalibert, mais aussi la libert de se faire des illusions.Il sait que si son travail est pnible, ce nest pasparce que ses collgues sont paresseux, ou que sonchef est un incapable, mais parce que sa vie est colo-nise par le capital.

    La critique bourgeoise du travail la chane ne pro-pose comme solution que la participation des tra-vailleurs la gestion de leur propre alination Cerformisme est une rsurgence de celui que Marxcritiquait dj chez Proudhon : il propose lou-vrier de faire non seulement la douzime partie

    dune pingle, mais successivement toutes les douzeparties. Louvrier arriverait ainsi la science et laconscience de lpingle. (Misre de la Philosophie)

    Mais Lord s t own, ce nest pas seulement la manifesta-tion de lincapacit du capital affronter les pro b l -mes fondamentaux que lui pose son pro p re dve l o p-pement, cest aussi lapparition de la rponse com-muniste aux questions quil ne sait pas rsoudre .

    III.

    Lorsque le doigt montre la lune,

    limbcile regarde le doigt.e bourgeois, ou son frre le bureaucrate,carquille les yeux et tente de discerner unesolution dans les consquences que laction

    des travailleurs pourrait entraner sur lorganisa-tion du travail. Il ne voit pas que cette solution setrouve tout entire dans la rvolte mme, dans lac-tivit dploye par les ouvriers contre lorganisa-tion du travail, cest--dire contre le capital. La pro-grammation de son cerveau lui interdit de concevoirque lactivit puisse prendre le pas sur la chose. Il nepeut imaginer que des variations dans la maniredont la chose domine lactivit.

    De mme que le travail nest utile que parce quilmet en action le capital et lui ajoute de la valeur, lesrvoltes ouvrires nont dintrt que par les effets

    tion. Depuis 1971, leur balance commerciale estdficitaire. Les profits rimports de ltranger necomblent ce dficit que dans une faible mesure.

    Cela tient au fait que la productivit aux tats-Unisa pro g ress plus lentement quen Europe et au

    Japon, alors que les salaires y restent trs suprieurs ceux de ces pays. La supriorit technologique des

    Amricains (ordinateurs, espace...) et ce quil restede lcart de productivit font surtout sentir leurseffets sur les biens dquipement. Cet avantage peutvidemment svanouir si les Amricains se laissentrattraper. Tt ou tard, il faudra augmenter srieuse-ment la productivit. On en revient lautomation.

    En attendant, le capitalisme amricain continue importer des profits en exportant massivement descapitaux dans certains pays sous-dvelopps. Ilcherche aussi signer des contrats avec les pays ditscommunistes o ses biens dquipement peuventschanger contre des matires premires. Linca-pacit des bureaucraties accumuler le capital de

    faon autonome vient consolider limprialismeamricain.

    Celui-ci ne se vexera certainement pas des repro-ches que lui font bien injustement les petits Stalineslocaux. Selon Kim Il Sung: Il faut que nous soyonsdes hommes qui hassent lidologie de la classeexploiteuse mprisant et dtestant le travail, quiconsidrent laversion pour le travail comme unechose trs honteuse et le travail comme une chosesacre et la chose la plus honorable et qui aiment travailler. Alors seulement, on pourrait dire quilssont des hommes ayant lidologie communiste. 6

    Dailleurs, Allende, le petit dernier de la famille,nous prcise ce quil faut entendre par cl a s s eexploiteuse, en parlant des grves dans les minesde cuivre: Ceux de Chiquicamata agissent commede vritables banquiers monopolistes, demandantde largent pour leur poche sans se proccuper enrien de la situation du pays. 7

    Loffensive idologique du capitalisme occidentalporte sur la mme question et a le mme but.Simplement, il se montre plus prudent; il nen estque plus obscne.

    Syndicalistes et journalistes, patrons et ministres, seprcipitent pour pouvoir regarder en face le dou-loureux problme des OS, ces laisss-pour-comptede la croissance. Chacun doit pouvoir spanouirdans son travail. Il faut en finir avec les tches rp-titives. Puisque daprs lUAW les ouvriers plusgs considrent le travail comme une vertu et undevoir, mais non les jeunes, et leur point de vue doittre pris en considration, et puisque, selon J.Godfrey, de la GMAD, parmi les gars qui naimentpas le travail la chane de montage, il y en a qui,tout simplement, naiment pas le travail, o quonles mette, on doit se montrer rformiste. Tout cebaratin illustre la dcomposition dune socit qui a

    sap par le dveloppement fantastique de la produc-tivit ses propres fondements. On sautocritique, onpromet de se corriger, mais on ne veut pas discuterde la seule question srieuse : labolition du travail.

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