Linguistique Du Texte

190
Linguistique du texte: les rapports ”Grammaire Texte” en russe moderne Irina Kor Chahine To cite this version: Irina Kor Chahine. Linguistique du texte: les rapports ”Grammaire Texte” en russe moderne. Linguistics. Universit´ e de Provence - Aix-Marseille I, 2009. <tel-00452551> HAL Id: tel-00452551 https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00452551 Submitted on 2 Feb 2010 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destin´ ee au d´ epˆ ot et ` a la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publi´ es ou non, ´ emanant des ´ etablissements d’enseignement et de recherche fran¸cais ou ´ etrangers, des laboratoires publics ou priv´ es.

description

linguistique du texte sc

Transcript of Linguistique Du Texte

  • Linguistique du texte: les rapports Grammaire Texte

    en russe moderne

    Irina Kor Chahine

    To cite this version:

    Irina Kor Chahine. Linguistique du texte: les rapports Grammaire Texte en russe moderne.Linguistics. Universite de Provence - Aix-Marseille I, 2009.

    HAL Id: tel-00452551

    https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00452551

    Submitted on 2 Feb 2010

    HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.

    Larchive ouverte pluridisciplinaire HAL, estdestinee au depot et a la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche, publies ou non,emanant des etablissements denseignement et derecherche francais ou etrangers, des laboratoirespublics ou prives.

    https://hal.archives-ouvertes.frhttps://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00452551
  • UNIVERSIT DE PROVENCE, AIX-MARSEILLE I UFR ERLAOS

    EA 852 quipe sur les Cultures et Humanits Anciennes et Nouvelles Germaniques Et Slaves de lUniversit Aix-Marseille I

    29 avenue Robert Schuman, 13621 Aix-en-Provence Cedex 01

    Linguistique du texte : Les rapports Grammaire Texte

    en russe moderne

    Irina KOR CHAHINE

    TRAVAIL INDIT PRSENT POUR LOBTENTION DE LHABILITATION DIRIGER DES RECHERCHES

    anne universitaire 2008/2009

  • - 2 -

    PRFACE

    Ce travail indit que je veux prsenter pour une habilitation diriger des recherches est

    une rflexion sur les rapports quentretient la grammaire avec le texte. Par le pass, jai eu

    loccasion daborder divers points grammaticaux dans diffrents domaines linguistiques

    comme la lexicologie, la morphosyntaxe, la syntaxe et la smantique (voir le rapport de

    synthse). Le prsent travail permet de sortir du cadre de la grammaire pure et dexplorer

    un domaine nouveau.

    Le prsent travail a deux objectifs principaux scientifique et pdagogique. Lobjectif

    scientifique du travail consiste dans la reconsidration des faits linguistiques du point de

    vue textuel la recherche des caractristiques indites. Pour cela, nous nous appuierons sur

    les travaux des thoriciens du texte, parus principalement dans des pays francophones et

    qui restent pour le moment inconnus en Russie. Lapproche de la linguistique du texte a

    bien volu depuis les annes 1970, et nous comptons mettre en pratique ses nouveaux

    outils pour ltude des textes russes.

    Lobjectif pdagogique du travail consiste, lui, dans une nouvelle approche dans

    lanalyse linguistique du texte. Le cadre thorique adopt permet daborder lanalyse du

    texte sur une base thorique solide. Dautre part, une analyse textuelle peut facilement tre

    largie celle des genres de discours et tablir ainsi des connexions avec les domaines

    annexes ayant aussi pour objet le texte.

  • - 3 -

    Ce travail constitue le fruit de rflexions des cinq dernires annes. Il a subi de

    multiples remaniements et amliorations. Cest pourquoi je voudrais remercier ici mes

    anciens professeurs, collgues et amis Mme Marguerite Guiraud-Weber, M. Robert Roudet

    et M. Rgis Gayraud pour leurs prcieux conseils et pour leurs encouragements dans la

    poursuite de mon travail. Des remerciements particuliers vont Ekaterina V. Rakhilina et

    Vladimir A. Plungian : nos conversations ont permis de rviser certaines parties du prsent

    ouvrage. Je voudrais aussi remercier tous ceux qui dune manire ou dune autre ont

    contribu lamliorer mes collgues linguistes avec qui jai pu avoir des discussions

    enrichissantes lors de divers colloques, et mes tudiants des Universits Blaise Pascal et de

    Provence, qui ont suivi et continuent suivre mes cours.

    SIGLES UTILISS

    verbe PF : verbe perfectif

    verbe IPF : verbe imperfectif

    P1, P2 : premire personne, etc.

    P1sg, P2sg : premire personne du singulier, etc.

    P1pl, P2pl : premire personne du pluriel, etc.

    Sn, Sd, Se, Sa squence narrative, descriptive, explicative, argumentative

    Pn1, Pn2, etc. phase narrative 1, phase narrative 2, etc.

  • SOMMAIRE

    PRFACE ....................................................................................................................... 2

    SOMMAIRE .................................................................................................................... 4

    INTRODUCTION ............................................................................................................. 5

    1. Aperu historique de la linguistique du texte ...................................................... 5

    2. La linguistique du texte et la didactique .............................................................. 7

    CHAPITRE 1. PARTICULARITS DUNE ANALYSE LINGUISTIQUE DU TEXTE .................. 11

    1. Du discours au texte et inversement .................................................................. 11

    2. La prsence du narrateur .................................................................................. 16

    CHAPITRE 2. LA NARRATION ...................................................................................... 26

    1. Quest-ce quune narration ? ............................................................................ 26

    2. Schma narratif .................................................................................................. 29

    3. La narration et les genres de discours............................................................... 32

    CHAPITRE 3. LA DESCRIPTION .................................................................................... 96

    1. Quest-ce quune description ? .......................................................................... 96

    2. Schma descriptif ............................................................................................... 97

    3. La description et les genres de discours .......................................................... 100

    CHAPITRE 4. LARGUMENTATION............................................................................. 114

    1. Quest-ce quune argumentation ? .................................................................. 114

    2. Schma argumentatif ....................................................................................... 117

    3. Constructions argumentatives ......................................................................... 123

    4. Largumentation et le texte scientifique ........................................................... 143

    CONCLUSION ............................................................................................................. 162

    ANNEXE DES TEXTES ................................................................................................. 168

    INDEX DES AUTEURS ................................................................................................. 178

    BIBLIOGRAPHIE ......................................................................................................... 180

    TABLE DES MATIRES ............................................................................................... 188

  • INTRODUCTION

    1. APERU HISTORIQUE DE LA LINGUISTIQUE DU TEXTE

    Depuis fort longtemps, ltude du texte a t indissociable de la rhtorique, en

    commenant par la rhtorique antique, et le texte tait considr comme un terrain

    exclusivement littraire. Ce nest quau milieu du XXe sicle, aprs llaboration des

    thories smantiques et des recherches sur lnonciation et la pragmatique, que le texte

    devient lobjet dtudes linguistiques part entire. Ainsi, compare dautres recherches

    linguistiques, ltude du texte reprsente un domaine dinvestigations trs rcent.

    Tout commence, semble-t-il, par la recherche des rgles pouvant rendre compte des

    comptences textuelles des locuteurs natifs. Cette dmarche a donn naissance ce quon

    appelait dans les annes 60-70 la grammaire du texte (T.A. van Dijk, W. Kummer, R.

    Harweg, J.S. Petfi, voir Carter-Thomas 2000). En prenant appui sur la grammaire

    gnrative de N. Chomsky, les adeptes de cette approche tchaient dexpliquer la

    comptence textuelle des locuteurs natifs laide de rgles bien dfinies afin de prvoir les

    intentions des locuteurs quant la construction du texte. Cette approche sest vite avre

    inefficace du fait que le texte ne pouvait pas tre abord avec les mmes outils que la

    phrase, et par consquent, il ne pouvait pas se soumettre aux

    rgles de bonne formation qui sappliqueraient en toutes circonstances et dont les violations,

    comme cest le cas en syntaxe de phrases, feraient lunanimit. (Charolles 1988 : 52).

    Paralllement, en France, un autre courant prend forme et fait de lnonciation un objet

    de recherche part entire (D. Maingueneau, A. Culioli, C. Kerbrat-Orecchioni, R. Vion).

    Ce courant linguistique sappuiera, dune part, sur les travaux de M. Bakhtine et, de

    lautre, sur les travaux de R. Jakobson et E. Benveniste. En sintressant au discours (et

  • INTRODUCTION

    - 6 -

    notamment son insertion dans un contexte de communication particulier, comme celui du

    discours politique), les recherches sur lnonciation se rvlent dune importance majeure

    pour ltude du texte de sorte que les frontires entre le discours et le texte deviennent

    parfois trs floues.

    Le dveloppement de la psychologie cognitive dans les annes 70-80 fait merger

    plusieurs thories partielles du texte pour une analyse automatique des rcits (Rumelhart,

    Abelson, Schank, Lehnert, Dyer, voir Rastier 1989). Les premires thories restent peu

    systmatiques et ont peu de rapport avec les proccupations linguistiques. Mais dans les

    annes 1990, avec lapplication linguistique de la thorie des prototypes, des linguistes

    cognitivistes ont dcouvert dans le texte une nouvelle matire pour lexploration des

    capacits cognitives de lhomme. Ainsi, Jean-Michel Adam (2008) propose de thoriser

    lorganisation textuelle en faisant appel la notion de squence.

    Il convient de dire que lide de lorganisation squentielle dun texte vient dun travail fondamental en

    narratologie Morphologie du conte de Vl. Propp. Parue en 1928 en URSS, cette tude dun ethnologue et

    folkloriste russe de lUniversit de Leningrad, traduite en anglais trente ans plus tard1 seulement, a engendr

    un regain dintrt envers le texte en tant quobjet de recherche. En tudiant les contes merveilleux, Vl. Propp

    aboutit une conclusion quil qualifie lui-mme d inattendue : malgr leur diversit et leur richesse il y

    a une uniformit absolue de la structure des contes merveilleux (Propp 1970 : 130). Mais la nouveaut de la

    dmarche scientifique de Vl. Propp et son importance majeure dans ltude du texte rside en grande partie

    dans le dcoupage des contes en parties constitutives ce qui rendra possible la comparaison des contes non

    pas selon leur ressemblance extrieure mais selon leur structure. Et Vl. Propp est pleinement conscient de

    limpact que peut produire sa dmarche sur la recherche en gnral : le dcoupage en parties

    constitutives est, dune manire gnrale, extrmement important dans toutes les sciences. Nous avons vu

    quil na pas t possible jusqu prsent de le faire pour le conte avec toute objectivit requise. Cest donc

    un premier rsultat dune grande porte. Mais en outre, on peut comparer ces schmas entre eux, et il est

    alors possible de rsoudre toute une srie de problmes (Propp 1970 : 121). Cette dmarche

    scientifique ouvrira de nouvelles perspectives dans ltude du texte.

    Les squences reprsentent des modles abstraits communment partags par le narrateur

    et par le lecteur, elles structurent le texte et sont relativement autonomes. J.-M. Adam

    distingue cinq types de squences, savoir les squences narrative, descriptive,

    1 Vl. Propp, Morphology of the Folktale, Indiana University Research Center in Anthropology, Folklore and

    Linguistics, Publ. 10, Bloomington, 1958; reimprim dans International Journal of American Linguistics,

    vol. 24, n4, part 3 ; cit daprs Propp 1970 : 249.

  • INTRODUCTION

    - 7 -

    argumentative, explicative et dialogale. Chaque squence est compose de macro-

    propositions une ou plusieurs propositions syntaxiques jouant une fonction smantique

    particulire dans la composition textuelle. Les squences prototypiques se composent dun

    nombre limit de macro-propositions, allant de sept pour une squence narrative trois

    pour une squence dialogale, qui sont places dans un ordre linaire bien dfini. Comme

    dans chaque organisation en termes de prototypes, un modle squentiel est susceptible de

    variations, que les cognitivistes appelleraient des ralisations priphriques , avec des

    macro-propositions faisant dfaut ou un ordre diffrent dans leur nonciation. Un texte se

    dfinit alors comme un ensemble complexe compos de squences. Dailleurs, les

    squences textuelles entretiennent des rapports diffrents les unes avec les autres : elles

    peuvent senchaner, mais aussi semboter en tablissant des rapports hirarchiques

    (squence dominante / squence domine), sentremler ou se superposer. Cette

    organisation contribue justement lhtrognit compositionnelle des textes. Dans les

    pages qui suivent, nous parlerons plus en dtail de la composition de chaque squence

    textuelle ainsi dfinie par J.-M. Adam puisque cest cette approche du texte que nous

    adopterons dans ce travail.

    2. LA LINGUISTIQUE DU TEXTE ET LA DIDACTIQUE

    Ds son apparition, la linguistique textuelle a toujours t troitement lie au domaine

    de la didactique et celui de la pdagogie. Destine aux apprenants natifs, mais surtout aux

    apprenants trangers, ltude du texte avait pour vocation dclairer certaines questions

    difficiles qui sortaient du cadre de la grammaire traditionnelle. Ainsi, avant de constituer

    un vritable objet de recherche, la linguistique textuelle est apparue tout dabord en tant

    que mthode didactique. Cette double destination de la linguistique du texte perdure

    jusqu nos jours.

    Les manuels russes danalyse linguistique du texte sont gnralement rattachs une distinction des

    diffrents niveaux danalyse linguistique. Jusquaux dernires parutions (Tarlanov 1995, Popovskaja-

    Lisoenko 2006), le texte est trait en tant que fond sur lequel se profilent diffrentes formes grammaticales

    que les linguistes analysent diffrents niveaux linguistiques : au niveau de la phrase, au niveau lexico-

    smantique, morphologique, morphmatique et drivationnel, phonologique, stylistique, diachronique, de la

    stylistique historique et enfin au niveau typologique (Tarlanov 1995). Cette prsentation des mthodes

    danalyse a peu de choses en commun avec la linguistique du texte proprement dite.

  • INTRODUCTION

    - 8 -

    Les tudes sur le texte vocation pdagogique refltent diffrentes approches. Trois

    angles de vision se profilent en particulier :

    - Le texte en tant quobjet de la stylistique

    - Le texte en tant quobjet de lnonciation

    - Le texte en tant quobjet de la grammaire

    Le domaine linguistique le plus ancien qui a trait au texte est sans doute celui de la

    stylistique. Mais les approches stylistiques sont multiples et nont pas cess dvoluer, tout

    comme la linguistique en gnral. Tout dabord, dans les travaux de Ch. Bally, la

    stylistique est conue comme une tude du langage expressif, et ce nest quaprs R.

    Jakobson que la stylistique (ou la potique dans la terminologie de R. Jakobson)

    sintresse ltude scientifique du style des uvres littraires ce qui a pour consquence

    lintrt particulier pour les diffrents styles des crivains. Parmi les linguistes ayant

    travaill dans le domaine russe, il convient de citer A.M. Pekovskij, V.V. Vinogradov,

    N.D. Arutjunova, E.V. Padueva, I.I. Kovtunova et dautres. Dans ce cadre, un accent

    particulier est mis sur les figures de styles (mtaphore, mtonymie, oxymore, etc.) ce qui

    fait que les frontires tablies entre analyse linguistique et analyse littraire tendent

    sestomper peu peu.

    Dun autre ct, la stylistique aborde galement des questions relatives la

    construction dun texte dun tel ou tel genre (littraire, scientifique, journalistique, etc.)

    (par exemple, OJaNL 1965, Popovskaja-Lisoenko 2006). Toutefois, on peut se demander

    si les styles ne se confondraient pas ici avec les genres de discours (rcit, article

    scientifique, article journalistique, etc.) dont chacun se caractrise par un niveau de langue

    particulier. De ce fait, on peut croire que cette approche des textes a sans doute des

    origines beaucoup plus anciennes et remonterait la thorie des trois styles de

    M.V. Lomonossov (1757).

    Du reste, lapproche nonciative donne un autre clairage du texte, cette fois comme

    objet de communication. Ces dernires annes les travaux portant sur tel ou tel aspect de

    lnonciation ont t trs nombreux. On citera en particulier Kommunikativnaja

    grammatika russkogo jazyka de G.A. Zolotova et de ses adeptes (Zolotova et al. 1998).

    Mais cest sans doute louvrage dE.V. Padueva Semantika narrativa (1995) qui constitue

    ltude la plus mthodique dun type de texte particulier. Dautre part, conu comme un

    manuel destin des tudiants francophones, louvrage Lire les textes russes (2002) de S.

    Viellard, poursuit ltude du texte dans la mme optique. Inspir par louvrage dE.V.

  • INTRODUCTION

    - 9 -

    Padueva, il a lavantage incontestable de considrer non seulement la narration mais

    galement la description comme parties indissociables dun rcit littraire. Lauteur

    consacre une grande place aux problmes lis lnonciateur (subjectivit, focalisation,

    polyphonie), aux cts fonctionnels du langage et la description et au rcit comme objets

    de communication. Cest selon leur contribution lanalyse nonciative que des points

    plus spcifiquement grammaticaux sont abords (comme lemploi de ladjectif attribut ou

    des formes aspecto-temporelles des verbes).

    Cest au dbut des annes 1980 que des linguistes commencent se tourner vers le

    texte pour expliquer les faits purement grammaticaux. Sans doute, la grammaire la plus

    clbre est la Grammaire textuelle du franais dHarald Weinrich (1989) parue en

    Allemagne six ans plus tt. Dans cet ouvrage de prs de 700 pages, lauteur aborde toutes

    les questions essentielles qui vont de lemploi de larticle celui du discours indirect libre,

    en se fondant essentiellement sur leur fonctionnement textuel. A propos du russe, il

    convient de citer le livre de Jacqueline Fontaine Grammaire du texte et aspect du verbe en

    russe contemporain (1983), inspir des travaux de H. Weinrich, qui traite non seulement

    des questions lies laspect du verbe russe, mais qui consacre galement une grande place

    aux verbes de mouvement, aux grondifs, aux pronoms indfinis, ainsi quaux rflexifs,

    aux dmonstratifs, aux conjonctions a et no et des questions plus spcifiques (ellipses,

    discours dautrui, etc.). Toutes ces formes grammaticales reoivent chez cet auteur une

    autre interprtation grce lapproche textuelle adopte. Mais, lauteur de ce livre ne prend

    pas en compte les donnes pragmatiques et se limite deux types de texte le rcit et

    le commentaire premire typologie des textes propose par H. Weinrich dans Le

    Temps (1973).

    Presque trente ans aprs la parution de ces ouvrages sur la grammaire textuelle, nous

    voudrions revenir sur ces questions en prenant en compte des approches nouvelles du texte

    et surtout une nouvelle typologie des textes. En nous inscrivant dans le cadre thorique des

    recherches cognitives diriges vers le texte, nous lappliquerons au texte russe et tcherons,

    dune part, de voir dans quels genres de discours est susceptible dapparatre telle ou telle

    squence et, de lautre, de dcrire quelques points grammaticaux du point de vue de leur

    fonctionnement dans une squence textuelle en faisant intervenir des donnes

    pragmatiques si elles se rvlent pertinentes pour notre explication. Grce ce travail, nous

    esprons avant tout attirer lattention des slavistes sur un domaine qui connat actuellement

  • INTRODUCTION

    - 10 -

    un renouveau substantiel en France. Nous voulons galement donner un nouvel clairage

    de certains points de la grammaire russe, abords du point de vue textuel. Enfin, nous

    comptons exposer une nouvelle mthode pdagogique permettant daborder la grammaire

    russe en gnral et lanalyse du texte en particulier.

  • CHAPITRE 1. PARTICULARITS DUNE ANALYSE LINGUISTIQUE

    DU TEXTE

    1. DU DISCOURS AU TEXTE ET INVERSEMENT

    En abordant des questions lies au texte, on ne peut pas viter de parler du discours.

    Toutefois, il nest pas facile de trouver une dfinition adquate de ces deux termes texte

    et discours tant leur signification varie aussi bien dans lusage courant que dans lemploi

    terminologique. Un historique intressant de ces termes utiliss par les principales langues

    europennes a t faite dans (Demjankov 2005). lorigine le mot latin textus tait li au

    texte sacr. En franais et en anglais jusquaux XVIIe XVIIIe sicles, les mots texte et

    discours, nayant plus de rapport avec le texte sacr, semploient en tant que synonymes

    avec une prdominance qui varie selon les priodes. Cest seulement au XXe sicle que le

    mot discours commence fonctionner en tant que synonyme de discours spontan

    (discourse en anglais / re en russe). Et dans cette acception, la correspondance avec les

    termes latins est frappante : en latin, discursus est un nom daction, alors que textus est un

    nom dobjet :

    - , .

    (Demjankov 2005 : 49).

    Aussi, selon J.-M. Adam (1990 : 23), la diffrence entre les concepts texte et

    discours rside dans lactivation des conditions de production pour le discours. Mais

    lacception actuelle du discours semble tre beaucoup plus large. Ainsi, le discours est

    dfini comme un objet concret, produit dans une situation dtermine sous leffet dun

    rseau de dterminations extralinguistiques (sociales, idologiques) (C. Fuchs, cit dans

    Adam 2008 : 15-16). Le discours est toujours rattach un contexte spcifique.

    On peut distinguer des domaines discursifs varis qui refltent lactivit langagire de

    lhomme. Il peut sagir du domaine littraire, journalistique, politique, religieux, mdical,

  • CHAPITRE 1 : PARTICULARITS DUNE ANALYSE LINGUISTIQUE DU TEXTE

    - 12 -

    juridique, etc. Chacun de ces domaines est dfini par lensemble des genres de discours

    particuliers. Par exemple, dans le domaine littraire, on distinguera des textes proprement

    littraires (rcit, nouvelle, roman, pope, feuilleton) ; les mmoires / essais / journaux

    intimes ; des lettres ; la posie / chanson ; les scnarios de film ; les pices de thtre ; les

    contes ; des histoires drles, etc. Dans le domaine journalistique, on peut parler des faits

    divers, des reportages, des ditoriaux, mais aussi des articles de presse et des articles

    scientifiques, de la publicit, des petites annonces et autres. Dans le domaine juridique, il

    peut sagir dun contrat, dun procs verbal, dun acte de mariage, etc.

    A son tour, chaque genre de discours composant le domaine discursif obit certaines

    rgles de construction. Et les utilisateurs de la langue savent pertinemment les reconnatre.

    Cest ainsi quune lettre ne peut pas tre confondue avec une ordonnance mdicale ou un

    conte ne se confond pas avec un contrat de mariage.

    A la diffrence du discours, le texte se prsente en tant qu objet abstrait dans lequel

    sunissent de faon trs complexe des lments htrognes de sa composition. J.-

    M. Adam, en adoptant une perspective pragmatique et textuelle , dfinit le texte comme

    une configuration rgle par divers modules ou sous-systmes en constante interaction

    (Adam 2008 : 21). En reformulant la pense de J.-M. Adam, on peut dire que le texte est

    compos dlments explicites et implicites qui interagissent entre eux. On a, dune part,

    une suite de propositions2, et de lautre, des lments pragmatiques. Mais tous ces lments

    doivent tre en conformit avec un seul principe suprme qui est la cohrence textuelle :

    La cohrence est un principe gnral dinterprtation du discours qui sapplique, comme la

    maxime de pertinence de H.P. Grice (1975) dont il nest du reste quune illustration toute squence

    dnoncs du moment que ceux-ci sont produits la suite. (Charolles 2005 : 39).

    Il convient de distinguer plusieurs plans qui feront quun texte sera peru comme

    cohrent dans sa globalit. Il sagit de la pragmatique, de lnonciation, de la smantique et

    de la linguistique. On arrive ainsi quatre critres suivants (Adam 2008 : 21-26) qui sont

    ncessaires pour la cohrence textuelle :

    - La cohrence pragmatique

    - Le reprage nonciatif

    - La cohsion smantique

    - La cohrence linguistique

    2 Le terme de proposition est employ dans ce travail au sens linguistique, non logique.

  • CHAPITRE 1 : PARTICULARITS DUNE ANALYSE LINGUISTIQUE DU TEXTE

    - 13 -

    Ainsi, le texte doit avant tout tre pragmatiquement cohrent. Il sagit dun but explicite

    ou non qui agit sur les reprsentations, les croyances, les comportements dun destinataire

    (informer, instruire, distraire, plaire, etc.). La cohrence pragmatique nest pas une

    proprit linguistique des noncs, mais le produit dune activit interprtative. Cela

    implique que le lecteur doit comprendre le but du narrateur quand il prsente tel ou tel type

    de texte. Ainsi, si en cours de linguistique de texte, le professeur propose de lire un conte,

    sans annoncer explicitement son objectif, ltudiant comprendra forcment quil le fait non

    pas pour le distraire, le calmer ou encore pour lendormir, comme ce serait le cas pour un

    enfant, mais en poursuivant des buts pdagogiques quil exposera en cours. Ceci nous

    amne postuler lexistence de situations particulires dans lesquelles un genre de discours

    paratra ncessairement sa place . Un genre de discours aura par consquent un

    destinataire privilgi : un conte est destin, sauf mention spciale, un enfant, un contrat

    de mariage des jeunes maris, etc. Mais un genre de discours peut aussi bien tre

    dtourn de son destinataire privilgi, comme avec la lecture dun conte des tudiants.

    Dans ce cas, le destinataire devra fournir un effort supplmentaire dans le dcryptage du

    message.

    Par ailleurs, le texte contient des indices linguistiques qui fonctionnent en tant que

    repres nonciatifs. Il sagit tout dabord de lidentit de lauteur, du destinataire, du lieu et

    du temps des vnements qui sont donns soit par la situation (lnonciation loral), soit

    linguistiquement ( loral et lcrit). Mais la question sera aussi de savoir quelle

    distance se situe le narrateur par rapport lnonciation et comment il se manifeste dans

    lnonciation : sil recourt ja avec une identit assume ou sil se cache derrire un

    my incluant le narrateur et un ensemble plus ou moins dfini, ou mme sil se confond avec

    un ty renvoyant une personne universelle.

    Le troisime critre est celui de la cohsion smantique. La cohsion smantique

    reprsente le thme global dun nonc : dans un texte, tout doit tre smantiquement li.

    Le narrateur doit donner au lecteur tous les indices permettant de bien interprter son

    propos. Dans un texte de science-fiction, les indices nonciatifs, notamment ceux qui

    renvoient aux repres temporels, permettront au lecteur de comprendre que les vnements

    prsents ne peuvent pas tre considrs comme vrais. De mme, en employant des

    tournures comme ili-byli mais aussi des phrases conditionnelles irrelles (ou la particule

    jakoby) le narrateur introduit des indices indiquant au lecteur le caractre fictionnel (ou il

    met des rserves sur la vracit) des vnements.

  • CHAPITRE 1 : PARTICULARITS DUNE ANALYSE LINGUISTIQUE DU TEXTE

    - 14 -

    Outre ces trois critres, le texte reprsente une suite de propositions lies entre elles.

    Nous parlerons dans ce cas-l de la cohrence linguistique3. Cette fonction textuelle est

    remplie par des mots connecteurs comme i, a, no, odnako, zatem, etc., mais aussi par des

    constructions souvent binaires qui structurent et rythment le texte (sli to/togda ;

    kak tak i ; nastolko naskolko ; s odnoj storony, s drugoj ; snaala, zatem,

    i nakonec). La langue a labor toute une srie de formes grammaticales qui semblent ne

    poursuivre quun but, celui dassurer la cohrence du texte. Parmi ces formes, on peut citer

    les lexmes anaphoriques et cataphoriques, les propositions relatives (Vot dom. Etot dom

    postroil Dek Vot dom, kotoryj postroil Dek) et dautres. On peut galement citer la

    possibilit de reformulation (Per nastojaij drug / Na Pera vsegda mono poloitsja)

    ou de substitution des mots (A.A. u sebja Direktor u sebja).

    Ceci tant dit, le rle de la smantique dans cette organisation linaire des propositions

    ne doit pas non plus tre minimis. A ce propos, on reprendra la clbre phrase de L.V.

    cerba Glokaja kuzdra teko budlanula bokra i kurdjait bokrenka dans laquelle tous les

    lments sont syntaxiquement bien organiss mais ne crent pas de texte cohrent, par

    absence du sens des lments (mme si certains indices smantiques sont tout de mme

    reprables). Par ailleurs, la place des lments dans un texte, leur organisation thmo-

    rhmatique, reprsente aussi un critre de cohrence linguistique. Cest ainsi que pour

    certains substantifs russes la position syntaxique sera dterminante pour la comprhension

    de la phrase, comme dans lexemple CSKA razgromil Spartak v mate empionata

    Rossii. (www.yandex.ru)4 o est annonce la dfaite de Spartak . Avec une accentuation

    particulire sur Spartak , on arrive, en gardant le mme ordre linaire, la dfaite du

    CSKA. A lintonation, signe de loral, correspond la ponctuation lcrit. Ainsi, la phrase

    Kaznit nelzja pomilovat naura pas les mmes implications, si la virgule se place aprs le

    premier mot (kaznit, nel'zja pomilovat'), que si elle se plaait aprs le second (kaznit

    nelzja, pomilovat).

    Ainsi, la cohrence linguistique repose aussi bien sur les indices lexicaux ou

    syntaxiques, que sur la smantique, lintonation ou la ponctuation.

    Et enfin, le texte se caractrise par le fait quune suite de propositions sorganise en

    squences, types relativement stables dnoncs, qui selon J.-M. Adam peuvent tre

    3 A ce propos, J.-M. Adam parle de la connexit textuelle (2008 : 26-28). 4 Le clbre exemple de A.A. Reformatskij Mat ljubit do illustre le mme phnomne.

  • CHAPITRE 1 : PARTICULARITS DUNE ANALYSE LINGUISTIQUE DU TEXTE

    - 15 -

    rduites aux cinq modles suivants : la narration, la description, largumentation,

    lexplication et le dialogue. Ces types de texte lui semblent tre cognitivement pertinents :

    En comprhension comme en production, il semble que des schmas squentiels prototypiques

    soient progressivement labors par les sujets, au cours de leur dveloppement cognitif. (Adam

    2008 : 28).

    Nos observations sur le russe vont aussi dans le sens de cette hypothse, mais nous ne

    distinguerons que quatre types de texte, faisant exception de lexplication dont le schma

    textuel ne nous parat pertinent du point de vue linguistique ( ce propos voir la page 115).

    Pour notre part, nous distinguerons les quatre types de texte suivants :

    La narration

    La description

    Largumentation

    Le dialogue

    Toutefois, dans le cadre de ce travail, nous naborderons que les trois premiers types de

    texte, laissant pour le moment le cadre dialogal de ct. La distinction du dialogue comme

    type de texte particulier est dune grande importance, car le cadre dialogal permet

    daborder certaines questions qui ne peuvent tre approches dans aucun autre type de

    texte. Nous pensons tout particulirement lemploi de certains lexmes qui sont souvent

    appels mots du discours .

    Il existe une vaste bibliographie sur la question, et les mots du discours continuent

    gnrer un bon nombre de travaux. En France, les slavistes travaillant sur les mots du

    discours les abordent principalement du point de vue dune approche nonciative

    dAntoine Culioli. Parmi les travaux parus sur le russe, il convient tout particulirement

    citer ceux de D. Paillard et de Ch. Bonnot et de leur groupe de recherche (PERC 1986-

    1987, DSRJa 1998, 2003 ; CL 2001-2002), ainsi que louvrage (Baranov et al. 1993).

    Dautre part, la squence dialogale, ou plutt le dialogue, permet de revenir sur

    certaines valeurs aspecto-temporelles qui se manifestent principalement dans ce type de

    discours. Nous pensons tout particulirement aux valeurs spcifiques des formes aspecto-

    temporelles (Kor Chahine, Roudet 2003 : 152-154), et notamment aux valeurs de

    constatation dun fait du verbe IPF (obobenno-faktieskaja funkcija, Bondarko 2001 :

    160-189). Cest en craignant daborder le sujet de manire superficielle que nous

    prfrons, dans le cadre de ce travail, nous limiter cette simple constatation des formes

    fonctionnant essentiellement dans le discours. Car toute tentative de schmatisation des

    sujets aussi importants dans le cadre restreint de notre tude pourrait conduire de graves

  • CHAPITRE 1 : PARTICULARITS DUNE ANALYSE LINGUISTIQUE DU TEXTE

    - 16 -

    erreurs. Cest donc par simple mesure de bon sens que nous prfrons dlaisser lexamen

    minutieux de ce cadre linguistique.

    En outre, le texte, comme nous lavons vu, est indissociable du discours dans lequel il

    apparat. Il serait de ce fait intressant de voir les particularits linguistiques dun genre de

    discours dfini qui pourrait tre pris pour le plus reprsentatif pour la ralisation de telle ou

    telle squence textuelle. Cest ainsi que le texte narratif se ralise le plus souvent dans un

    rcit littraire, mais galement dans un commentaire sportif ou dans un conte. Le texte

    descriptif peut tre la base dune recette de cuisine ou du rcit dun rve. Quant au texte

    argumentatif, cest sans doute un texte scientifique qui lillustrera le mieux.

    Mais avant de parler des squences textuelles et des genres de discours les plus

    reprsentatifs qui les caractrisent, il convient de dire quelques mots du narrateur et en

    particulier de la faon dont il peut intervenir dans le texte.

    2. LA PRSENCE DU NARRATEUR

    Lnonciation est un acte de production du texte par un sujet parlant (DL 2001).

    Toute nonciation est par dfinition subjective mais limplication du locuteur est variable

    et stale figurativement du point o sa prsence est discrte celui o son nonciation est

    pleinement assume5. Lorsque la prsence du locuteur est discrte, celui-ci se positionne

    distance et prsente les vnements comme se racontant deux-mmes. Lorsque le

    narrateur est impliqu dans le texte, il manifeste sa prsence laide dindices particuliers.

    On parle alors de modalisation. Sous le terme de modalisation dun texte nous sous-

    entendrons lemploi dindices linguistiques qui transmettent lattitude du narrateur envers

    son propos. Les questions des manifestations du narrateur / locuteur dans son propos ont

    aussi t au centre de notre travail de synthse Le locuteur et sa parole (lexemple de la

    langue russe).

    5 La problmatique de la distance du narrateur par rapport la narration a t longuement discute dans les

    travaux des narratologues (voir Genette 1972 : 184-186, par exemple). Nous navons pas pour but dexposer

    toutes les instances du narrateur dans un texte, et ne parlerons que des positions du narrateur qui se rvlent

    linguistiquement pertinentes.

  • CHAPITRE 1 : PARTICULARITS DUNE ANALYSE LINGUISTIQUE DU TEXTE

    - 17 -

    2.1. Modalisation et modalits

    Il faut distinguer la modalisation des modalits qui dfinissent le statut de la phrase

    (modalits de phrase). En russe, les modes grammaticaux (linfinitif, lindicatif, limpratif

    et le conditionnel) sont principalement dtermins par les modalits de la phrase ainsi que

    par la modalisation de lnonc proprement parler :

    Assertion (indicatif)

    Ordre (impratif)

    Interrogation (indicatif)

    Souhait (conditionnel)

    A la diffrence du russe, en franais les modes assument non seulement les modalits

    de la phrase, mais ils expriment aussi une attitude du locuteur / narrateur envers son

    propos. Si le locuteur assume son propos et affirme la vracit des vnements, en

    labsence de tout autre lment on aura lindicatif (exemple A). Alors que si le locuteur ne

    veut pas assumer totalement ou partiellement son propos, cest le conditionnel qui sera

    employ (exemple B) :

    A. Ils ont renonc ce projet.

    B. Ils auraient renonc ce projet.

    Il devient sans doute possible de considrer le mode conditionnel franais comme un

    indice modalisateur grammaticalis. Il semble quen russe il ny pas de forme verbale

    comparable. Cest pourquoi dans les deux cas, A' et B' qui reprsentent des traductions

    russes des exemples A et B, on utilisera lindicatif, mais pour transmettre le caractre

    incertain de lnonc B, on aura surtout recourt des lments lexicaux comme kak

    soobajut, soglasno, jakoby, etc. Ce sont ces lments qui joueront le rle de

    modalisateurs :

    A'. .

    B'. , . / O

    .

    Cette diffrence entre le fonctionnement les modes en franais et en russe conduit souvent

    les tudiants de graves erreurs lors des traductions des textes journalistiques. Le mode

  • CHAPITRE 1 : PARTICULARITS DUNE ANALYSE LINGUISTIQUE DU TEXTE

    - 18 -

    conditionnel employ dans un texte franais pour transmettre une attitude du narrateur6 ne

    peut en aucune manire tre traduit par le conditionnel russe qui, lui, ne semble pas

    exprimer une quelconque prise de position envers les vnements. Dans le cas de Oni by

    otkazalis ot togo proekta, le conditionnel activera un autre sens, celui de souhait.

    Dautre part, les verbes et les prdicatifs modaux, formes grammaticales, vont aussi

    transmettre une autre forme de modalit. L, le narrateur considre laction exprime par le

    verbe comme possible ou non, ou ncessaire (mono, nelzja, prixoditsja, (ne)vozmono,

    dovoditsja ; nado, ponadobitsja, neobxodimo, dolno, nadleit, predstoit, sudeno, stoit,

    etc.) (voir Guiraud-Weber 1984).

    Il convient donc de ne pas confondre les formes grammaticales de modalits (les modes

    de phrases et les verbes modaux) avec les indices de modalisation. Les indices de

    modalisation sont grammaticalement varis, et leur reprage est plus dlicat.

    2.2. Les marques linguistiques de la modalisation

    Les recherches sur la subjectivit dans le langage ont t particulirement fructueuses

    ces dernires annes. Il faut dire que cest un sujet privilgi par des adeptes du courant

    nonciatif. Parmi les ouvrages de rfrence, on citera les travaux de Catherine Kerbrat-

    Orecchioni, et en particulier son livre Lnonciation. De la subjectivit dans le langage

    (2002).

    A une chelle plus modeste, nous allons attirer lattention sur certains indices

    linguistiques qui permettent de modaliser un nonc en russe. Ces indices sont nombreux,

    et il parat difficile de les recenser tous. Toutefois, il est possible de les regrouper en

    plusieurs classes, selon leur nature linguistique (morphologique, syntaxique, lexicale, etc.).

    Dautre part, nous considrons que les indices modalisateurs se caractrisent par

    diffrents degrs didentification dans la mesure o les uns sont plus facilement reprables

    que dautres. On appellera modalisateurs formels les lexmes dont la fonction

    principale est de subjectiver un nonc. Dans le cas contraire, il sagira de modalisateurs

    discrets .

    6 Ces derniers temps il y a aussi une tendance dappeler cet emploi du conditionnel franais le conditionnel

    journalistique .

  • CHAPITRE 1 : PARTICULARITS DUNE ANALYSE LINGUISTIQUE DU TEXTE

    - 19 -

    2.2.1. LES MODALISATEURS FORMELS

    Les modalisateurs formels sont relativement peu nombreux. Il sagit principalement

    dincises et de particules. Les incises (adverbes et expressions) sont facilement reprables

    dans le texte : elles sont toujours marques par des virgules. Il sagit le plus souvent de

    mots qui marquent un degr de certitude comme kaetsja, moet byt, dolno byt,

    verojatno, vidimo, gljadi, skoree vsego, vidno, naverno(e), poaluj, v samom dele,

    bezuslovno, po pravde govorja, dejstvitelno, etc. Mais parmi ces mots on peut aussi en

    trouver qui transmettent une certaine motion comme k sastju, k soaleniju, slava Bogu ;

    al, to, etc. Voici quelques exemples :

    A. . - . , , -.

    . [ . (2001)]

    B. -, , . - .

    ,

    . , , . [ .

    (1960-1980)]

    C. . ... -

    . , ... [ . (1983)]

    Parmi les modalisateurs formels, il convient galement de ranger les particules qui

    transmettent le plus souvent lattitude du locuteur envers son nonc. Les particules sont

    trs frquentes dans la langue russe et font souvent lobjet de recherches approfondies.

    Parmi les recueils consacrs aux particules russes, il convient de citer PERC 1986-1987,

    DSRJa 1998, 2003 ; CL 2001-2002, ainsi que louvrage Baranov et al. 1993. Mais si la

    smantique des mots introductifs varie trs peu, en revanche, les particules en russe se

    trouvent en constante volution : certaines valeurs peuvent disparaitre au profit de

    nouvelles.

    Prenons la particule kak by. Ces dernires annes cette particule semble avoir un

    grand succs au point de devenir un mot parasite (Kastler 2004 : 73). Comme la

    plupart des particules, kak by est polysmique. Elle peut signifier (i) le flou,

    lincertitude (Eto knigi kak by o smysle izni), (ii) le flou, lapproximation (on nas

    kak by priglasil v kafe), (iii) lattnuation (My kak by ne smogli skazat net), (iv)

    lhsitation (menja to kak by ne pugaet). Ce classement de L. Kastler tient surtout

    compte des valeurs pragmatiques de cette particule dans un dialogue. Il est intressant

    de constater que cette particule aura une valeur diffrente dans un autre type de texte.

  • CHAPITRE 1 : PARTICULARITS DUNE ANALYSE LINGUISTIQUE DU TEXTE

    - 20 -

    Ainsi, kak by peut aussi apparatra dans un rcit, et l cest surtout sa capacit dmettre

    des rserves sur les implications du fait nonc qui sera mise en avant :

    D. , , , -, ... , ,

    , ... , - ,... , ,

    - . [ . (2004)]

    Dans ce cas-l, la particule permet dannuler les implications du prdicat : le fait de fumer

    ne concerne pas le locuteur qui le prcise explicitement dans le contexte (prosto tak

    govorjat).

    De mme, la particule bylo qui est souvent traite comme particule fonctionnant

    exclusivement dans un rcit, peut aussi se trouver dans un dialogue o elle est susceptible

    de transmettre plusieurs valeurs : doute rtrospectif , justification , regret ,

    dsaveu , mise en garde , etc. Ces valeurs de bylo dans le cadre du dialogue nont t

    mises en vidence que rcemment dans une thse de Tatiana Bottineau-Popova soutenue

    lINALCO (Bottineau 2005).

    Les particules russes ne sont pas marques par la ponctuation et leur position peut tre

    variable : certains dentre elles semploient ct dun prdicat (tak i, -ka, ee, etc.),

    dautres peuvent porter sur nimporte quel lment de la phase (i, -to, e, etc.) (Kor

    Chahine & Roudet 2003 : 201-205).

    La quasi-totalit des particules appartiennent au dialogue, cest pourquoi nous

    envoyons notre lecteur aux ouvrages cits. Dans notre travail, nous parlerons seulement de

    quelques-unes dentre elles qui sont susceptibles dapparatre dans un autre type de texte.

    2.2.2. LES MODALISATEURS DISCRETS

    De leur ct, les modalisateurs discrets ne se distinguent grammaticalement en rien

    des autres formes textuelles. Mais ces formes contiennent dans leur smantique certains

    traits qui dnoteront une attitude particulire du locuteur / narrateur. A ce propos, on peut

    parler de diverses formes qui appartiennent aux diffrents niveaux linguistiques. On les

    trouve en particulier :

    au niveau lexical ;

    au niveau morphologique ;

    au niveau syntaxique ;

    au niveau stylistique.

  • CHAPITRE 1 : PARTICULARITS DUNE ANALYSE LINGUISTIQUE DU TEXTE

    - 21 -

    Cest avant tout au niveau lexical que lattitude du narrateur se rvle le plus souvent.

    Mais le reprage de ces modalisateurs discrets ncessite des efforts particuliers de la part

    du lecteur. En effet, la frontire entre une nonciation objective et une nonciation

    subjective est trs mince, et selon les contextes, une forme peut tantt se prsenter comme

    objective, tantt perdre cette particularit au profit dun jugement de valeur : cf. anglijskij

    pasport / anglijskij jumor o le premier renvoie une appartenance territoriale de manire

    explicite, alors que le second porte une apprciation plus personnelle, tablissant des

    connections implicites avec les connotations actives par cette expression (subtil, mais

    aussi au premier degr, etc.). En plus, comme le note C. Kerbrat-Orecchioni, laxe

    dopposition objectif / subjectif nest pas dichotomique, mais graduel (2002 : 81), et

    certaines formes seront beaucoup plus subjectives que dautres. A titre dexemple, on

    peut citer le schma du positionnement de certains adjectifs sur laxe qui va de lobjectif

    vers le plus subjectif, qui se prsente ainsi : clibataire > jaune > petit > bon (ibid.).

    Au niveau lexical cest surtout le lexique valuatif7 et affectif qui se charge de

    transmettre lattitude du narrateur envers les vnements ou objets8. C. Kerbrat-Orecchioni

    observe que les adjectifs affectifs (poignant, drle, pathtique) sont moins subjectifs

    que les adjectifs exprimant le jugement de valeur (dapprciation ou de dprciation) (bon,

    beau, bien) (2002 : 94). Mais outre les adjectifs, des substantifs, des adverbes et des verbes

    peuvent galement transmettre une attitude du narrateur envers les vnements.

    Considrons deux types dnoncs :

    objectif subjectif

    . .

    . .

    . .

    Dans la premire colonne, nous avons rang le lexique qui ne porte aucun jugement :

    tre ingnieur , tre de nationalit russe ou finir tout temps reprsentent les

    donnes objectives. En revanche, tre un imbcile , tre jeune et belle ou faire tout

    7 Concernant les adjectifs, le lexique valuatif se divise en deux groupes : non axiologique (grand, loin,

    chaud, nombreux) et axiologique (bon, beau, bien) portant un jugement de valeur (Kerbrat-Orecchioni

    2002 : 94). 8 C. Kerbrat-Orecchioni parle de subjectivmes affectif et valuatif (2002 : 79).

  • CHAPITRE 1 : PARTICULARITS DUNE ANALYSE LINGUISTIQUE DU TEXTE

    - 22 -

    mal porteront un jugement de valeur qui nengage que le narrateur. Ce jugement est

    toujours contestable : quelquun dautre traiterait Vasja au contraire de type malin et

    penserait de Zoja quelle nest pas si jeune, ni si belle.

    Dans le texte, le jugement objectif alterne souvent avec un jugement subjectif :

    E. , , , -

    - . [ .

    (1978)]

    F. . , , .

    . [. . (1984)]

    G. , , , ,

    , , ,

    , ,

    ,

    , . [ . ,

    (2002)]

    Dans lexemple E, lapprciation du narrateur (molodaja i krasivaja) vient aprs une

    prsentation plus objective (en lettres espaces) des qualits de la femme (vysokaja,

    ernovolosaja). La qualification objective dans lexemple F semble rduite un seul

    adjectif ryij. On observe que dans lexemple G, le qualificatif nemolodaja est prpar

    par un modalisateur formel poaluj.

    Dans tous ces extraits, le narrateur introduit le lexique qui refltera sa vision des

    vnements. Dans lextrait F plus que dans les autres, il portera un jugement affectif envers

    son personnage : les deux mots, nadutenkaja et s kosikami, contiennent des suffixes

    affectifs . On les trouve galement dans lexemple G (lysovatogo). Cela nous amne

    considrer un autre niveau linguistique le niveau morphologique o certains affixes sont

    susceptibles de subjectiver le texte. Parmi ces affixes on peut citer :

    o les suffixes diminutifs (-nk-, -k-, -ik...) : , , ;

    o les affixes augmentatifs (-i-, -r- ; pre-...) : , , ;

    o les affixes attnuatifs (-vat-, po-) : , .

    Bien videmment, la langue russe ne se limite pas ce classement somme toute assez

    sommaire ( propos des suffixes affectifs en russe voir notamment Steriopolo 2008).

    Dautre part, la dmarche argumentative rendra aussi lnonc plus subjectif. Cest

    pourquoi les constructions complexes comme les phrases concessives, causales,

  • CHAPITRE 1 : PARTICULARITS DUNE ANALYSE LINGUISTIQUE DU TEXTE

    - 23 -

    oppositives, conditionnelles ou dductives rvleront toujours la prsence du narrateur et

    rendront son propos plus subjectif.

    Parmi les modalisateurs discrets, nous rangerons galement certaines transformations

    syntaxiques comme lemphase, lordre des mots, etc. :

    H. , , .

    . :

    . [ // "", 10", 2004]

    Enfin, au niveau stylistique, il convient de noter que le changement de registre peut

    aussi constituer un indice de la subjectivation des propos. Le changement de registre

    sobserve bien sur le plan lexical. On distingue habituellement des registres soutenu,

    neutre, parl, familier, dialectal, argotique, vulgaire, etc. (cf. Ximik 2000 : 6-10) Voici

    quelques exemples des mots classs selon leur registre stylistique :

    neutre soutenu familier

    A titre dexemple de la subjectivation des propos laide de changement de registre, on

    peut citer un extrait bien connu de lintervention de Vl. Poutine justifiant lattaque arienne

    russe contre les positions tchtchnes. Voici donc cet extrait :

    I. .

    . . (...)

    , , , . [ , 24.09.1999,

    cit daprs Camus 2006]

    Alors premier ministre, Vl. Poutine utilise dabord un langage qui se veut plus lev

    (nanosit udary, iskljuitelno, presledovat), puis il rtrograde vers un parler plus familier

    (en gras) pour finir brutalement par du jargon (en italique) (voir le dcryptage dtaill de

    cette phrase dans Camus 2006). Cette dviation nonciative est prpare en partie par

    lusage dune construction conditionnelle. Cet exemple montre comment le mlange des

  • CHAPITRE 1 : PARTICULARITS DUNE ANALYSE LINGUISTIQUE DU TEXTE

    - 24 -

    registres sert faire passer le double message : le langage politiquement correct est destin

    la presse, alors que le registre criminel, plus subjectif, est destin aux terroristes.

    Mme si un tel mlange de styles est trs inhabituel, sinon choquant, pour une intervention publique9, le

    langage du monde carcral est peu peu entr dans la langue parle, notamment travers le parler des

    jeunes. Il est devenu si courant que les linguistes commencent parler dun lexique particulier kriminonimy

    criminonymes (Ximik 2000 : 20). Parmi les criminonymes les plus courants on peut citer ket 1. voleur

    inexpriment ; 2. adolescent ; 3. personne de petite taille ; ibzdik personne de petite taille , pana 1.

    petit voleur inexpriment ; 2. groupe de jeunes adolescents , stuat dnoncer , smytsja partir ,

    sljamzit 1. voler ; 2. prendre , etc. (Grinina et al. 2006, Ivanova 2007 ; propos des sources et du

    fonctionnement des kriminonymes voir Ximik 2000).

    De mme, grce au registre plus lev, le narrateur peut crer un effet de solennit

    particulire, mais si le lexique lev semploie ct dun registre plus parl, le lecteur y

    trouvera une pointe dironie. Ce jeu des registres sobserve en particulier dans lexemple

    suivant avec vossedaet et patricij dune part, et zakutannyj v odejalo et naduvalsja de

    lautre :

    J. . .

    ,

    , - .

    .

    , . -

    , , . [ .

    (1987)]

    En parlant des registres, il convient de dire que certaines constructions syntaxiques

    peuvent elles seules relever dun style particulier. Ainsi, les participes russes

    caractrisent un langage crit (studenty, izuajuie russkij), alors quune construction

    synonyme avec kotoryj, elle, est plus neutre de ce point de vue (studenty, kotorye izuajut

    russkij). La situation est comparable pour les tournures comparatives avec un comparatif

    analytique et synthtique (bolee nerginyj / nerginee), le premier tant plus livresque

    alors que le second est plus parl. A ce titre, on mentionnera galement des constructions

    9 Cet exemple nest pas unique dans les interventions publiques de Vl. Poutine de sorte que les journalistes

    parlent dsormais de putinizmy (voir Suxockij 2004).

  • CHAPITRE 1 : PARTICULARITS DUNE ANALYSE LINGUISTIQUE DU TEXTE

    - 25 -

    conditionnelles parmi lesquelles les constructions avec esli restent neutres, les

    constructions avec impratif hypothtique et les parataxes seront senties comme plus

    parles, et enfin, les constructions avec kaby et eeli relveront dun registre dialectal.

    Les marques de modalisation prsentes dans ce bref aperu se retrouvent dans tout

    type de texte que nous allons aborder dans les pages qui suivent. Mme si lessentiel a t

    dit, nous reviendrons tout de mme sur certaines formes lorsque celles-ci caractriseront un

    genre de discours particulier. Cela se produit notamment dans le cadre dune narration

    effets auditifs .

  • CHAPITRE 2. LA NARRATION

    1. QUEST-CE QUUNE NARRATION ?

    Avant de commencer parler de la structure de la squence narrative, il convient de se

    demander dans quelles conditions des phrases places cte cte vont former un rcit.

    Prenons deux extraits qui prsentent des exemples de ce qu premire vue on pourrait

    qualifier de rcit :

    Exemple 0 :

    , , ,

    , , ,

    , ,

    ... [M. , ]

    Exemple 1 :

    , ; , .

    "" , , , -

    ...

    , , , ,

    : , , ! , , (

    ), - ! ,

    . , , .

    , , ! , , , ,

    , , ... : ...

    ... - . . .

    , . -

    , . , . ...

    [. , ]

  • CHAPITRE 2 : LA NARRATION

    - 27 -

    Les deux exemples reprsentent un extrait achev de texte. Pour simplifier la

    prsentation, rsumons les situations des deux exemples :

    1. , , ,

    ;

    2. , , ,

    , , , , ,

    , , .

    En dpit dune ressemblance de surface des deux extraits, seul le second exemple

    prsente un texte narratif. Pour quil puisse sagir dune narration comme type de texte, il

    ne suffit pas toujours de se limiter au modle narratif de Vl. Propp exploit par les

    narratologues, comme G. Genette, par exemple (voir plus bas, page 34). La squence

    narrative reprsente seulement un petit bout dun rcit dans son intgralit et les

    postulats rhtoriques dun rcit littraire ne sappliquent pas toujours sans problme ce

    type de texte. Cest en discutant ces postulats labors en majeure partie par la narratologie

    que J.-M. Adam propose six critres auxquels doit rpondre toute squence narrative

    (2008 : 46-59) :

    (i) la succession temporelle dvnements ;

    (ii) lunit thmatique ;

    (iii) des prdicats transforms ;

    (iv) un procs ;

    (v) la causalit narrative dune mise en intrigue ;

    (vi) une valuation finale.

    En prenant point par point les six rgles de construction dune squence narrative,

    voyons quels sont les points de divergence pour chaque extrait. Conservant le premier

    point de succession temporelle dvnements, les deux exemples ne sont pas gaux. Dans

    le premier, il convient plutt de voir une numration dactions que des actions qui se

    succdent. Habituellement les formes du pass PF qui se suivent vont structurer lexpos

    dans un ordre chronologique, mais rien nempche que les mmes formes du pass PF

    prsentent des actions qui ne se produisent pas lune aprs lautre. Ainsi, dans notre

    exemple, les parents ont pu mourir aprs le fils, tout comme le mari et le frre ne sont pas

    morts en mme temps. Il sagit ici dun cas de description-numration que nous allons

    observer plus loin. Le second exemple, de Dm. Karalis, prsentera, en revanche, des

    vnements successifs : passer travers la clture, sentendre interpeller, se cacher dans les

    buissons, etc. chaque vnement se produit la suite dun autre.

  • CHAPITRE 2 : LA NARRATION

    - 28 -

    Le deuxime point veut quil y ait une unit thmatique. Dans le premier extrait, les

    vnements prsentent diffrents sujets (les parents, le mari, le frre, le fils), alors que dans

    le second, il sagit toujours dun mme sujet le plombier Kokin.

    Les trois points suivants ont trait la nature des prdicats. A propos du troisime point,

    on peut rappeler que la transformation des prdicats reprsentait lun des traits essentiels

    pour la construction textuelle dans la rhtorique antique : le passage du malheur au

    bonheur ou du bonheur au malheur travers une srie dvnements enchans (Aristote,

    La Potique, cit daprs Adam 2008). Ce changement que lon pourrait appeler radical

    est sans doute vrai si lon considre une uvre complte. Toutefois, pour les besoins dune

    analyse linguistique, cette rgle doit tre affine, car une analyse squentielle na pour

    objet quune partie du texte fini. Pour cela, il suffit de prsenter les phases de la narration10

    en soulignant leurs relations et sans impliquer ncessairement linversion des contenus

    (Adam 2008 : 48). Si le premier exemple ne rpond pas ce critre, dans le second, en

    revanche, Kokin passe dun monde rel un monde ancien.

    Le quatrime critre de J.-M. Adam dit : pour quil y ait rcit, il faut une

    transformation des prdicats au cours dun procs. La notion de procs permet de prciser

    la composante temporelle en abandonnant lide de simple succession temporelle

    dvnements. (2008 : 49). Le procs se dcompose en 3 moments (m) proprement dits

    plus les deux moments qui lintgrent. En appliquant ce schma lextrait de Karalis, on

    obtient :

    o m1 = avant le procs Kokin passe travers la clture ;

    o m2 = dbut du procs Kokin tombe sur une exprience scientifique ;

    o m3 = pendant le procs Kokin subit les dsagrments du transfert

    dans le temps ;

    o m4 = fin du procs Kokin se rveille dans un autre monde ;

    o m5 = aprs le procs Kokin sadapte aux conditions locales.

    Cette subdivision de J.-M. Adam est grandement inspire par le dcoupage squentiel

    de Vl. Propp (1928). Nous parlerons de la structure narrative plus en dtail dans le chapitre

    suivant.

    Le cinquime point est li aux prcdents, car outre les notions de transformations et de

    procs, il met en valeur une troisime caractristique des prdicats leur causalit. La

    10 A propos des phases de la narration voir le chapitre suivant.

  • CHAPITRE 2 : LA NARRATION

    - 29 -

    causalit des actions constitue le noyau de la squence narrative. Ainsi, Kokin ne serait

    pas parti dans un autre monde sil ntait pas pass travers la clture pour aller sacheter

    une bire et des cigarettes en pleine matine de travail. Ce qui amne le lecteur un certain

    jugement des vnements (comme si Kokin avait t un ouvrier responsable, rien ne lui

    serait arriv ). Cette possibilit dune valuation finale qui peut tre explicite ou implicite

    constituera pour J.-M. Adam le sixime et dernier point caractrisant une squence

    narrative.

    Ainsi, la narration peut tre dfinie comme une suite de propositions lies progressant

    vers une fin (Adam 2008 : 45).

    2. SCHMA NARRATIF

    Dans sa Morphologie du conte (1928), Vl. Propp, pour la premire fois, considre les

    contes non pas selon leur ressemblance extrieure (ce qui tait jusqualors une dmarche

    improductive) mais selon leur structure. En dfinissant un conte comme une squence ,

    Vl. Propp dfinit cette dernire comme un dveloppement partant dun mfait ou

    dun manque , et passant par les fonctions intermdiaires pour aboutir au mariage

    ou dautres fonctions utilises comme dnouement. (Propp 1970 : 112). Ces

    fonctions , cest--dire les actions, se prsentent de manire conscutive et peuvent

    sadjoindre un autre dveloppement de structure similaire de sorte quun conte contiendra

    plusieurs squences. Les travaux de Vl. Propp ont contribu lexpansion dun autre

    domaine de recherches littraires qui est la narratologie.

    Cest aussi en se fondant en grande partie sur le dcoupage squentiel des contes

    merveilleux de Vl. Propp que J.-M. Adam labore un modle de squence propre la

    narration. Ce dernier distingue sept suites de propositions quil appellera macro-

    propositions 11. Pour notre part, nous prfrerons le terme de phases, limage des phases

    dun mouvement, car une squence narrative est surtout une squence linaire. Cette

    terminologie est galement adopte dans dautres travaux, notamment dans (Bronckart

    1997).

    11 Si le texte est une unit constitue de squences, la squence narrative est une unit constitue de macro-

    propositions (Pn), elles-mmes constitues de propositions (Adam 2008).

  • CHAPITRE 2 : LA NARRATION

    - 30 -

    Ainsi, les sept phases de la squence narrative (Sn)12 lentre-prface ou le rsum, la

    situation initiale, la complication, les (r)actions ou lvaluation, la rsolution, la situation

    finale et la morale (Adam 2008) vhiculent chacune une information particulire.

    Lentre-prface, proposition narrative zro (dsormais Pn0) est une phase extrieure

    du rcit au sens strict. Elle a pour fonction de prparer le lecteur au rcit. Elle peut aussi

    contenir le rsum des vnements narrs. Cest un nonc qui contient des marques de

    modalisation.

    La situation initiale (Pn1), mise en lumire dj par Vl. Propp, est un expos des

    vnements que lon pourrait qualifier d habituels . Dans cette phase, il est courant de

    voir des situations statiques avec des passages descriptifs. En plus, cest gnralement l

    quest introduit un sujet-thme de la squence.

    Les trois phases suivantes formeront le rcit au sens strict. La phase de complication

    (Pn2) est une mise en intrigue qui introduit un lment nouveau ouvrant ainsi le rcit au

    sens strict. La phase de ractions ou dactions (Pn3) est une rponse la complication. En

    gnral, il sagit dune suite dactions appeles remdier lvnement imprvu compris

    dans la complication. La rsolution (Pn4) prsente une solution au problme et clt le rcit

    au sens strict.

    La situation finale (Pn5) introduit les vnements habituels, souvent avec des passages

    descriptifs. Enfin, la morale (Pn) est une apprciation, explicite ou implicite, porte sur

    les vnements passs. Elle cltura la squence narrative.

    Les phases de la squence narrative se prsentent de la faon suivante :

    12 Pour plus de commodit, nous reprenons le marquage des parties constitutives de J.-M. Adam.

    SQUENCE NARRATIVE

    (Adam 2008 : 66)

    Situation initiale

    Pn1

    Complication

    Pn2

    (R)actions

    ou Evaluation

    Pn3

    Rsolution

    Pn4

    Situation

    finale

    Pn5

    Morale

    Pn

    Entre-prface

    ou Rsum

    Pn0

  • CHAPITRE 2 : LA NARRATION

    - 31 -

    La structure de la squence narrative est telle que certaines phases du rcit

    fonctionneront par paire. Parmi ces phases, on trouve la situation initiale / la situation

    finale et surtout la complication / la rsolution qui dlimitent le rcit au sens strict.

    Lentre-prface ou le rsum et la morale se prsentent comme phases extrieures mais

    leur prsence dans une structure narrative est tout fait lgitime : elles rempliront des

    fonctions nonciatives bien dfinies en conduisant le lecteur vers et hors du rcit.

    Pour illustrer la structure dune squence narrative telle quelle a t expose, prenons

    lexemple du texte narratif qui nous a servi dans le prcdent paragraphe (page 26) :

    Exemple 1 :

    (Pn0) , ; , .

    (Pn1) "" , ,

    , - (Pn2) ...

    , , , ,

    : , , ! , , (

    ), - ! ,

    . , , .

    (Pn3) , , ! , ,

    , , , , ... : ...

    (Pn4) ... - . .

    . (Pn5) , .

    - , . , .

    ... [. , ]

    Cet extrait du rcit de D. Karalis peut tre dcoup de la manire suivante. Nous nous

    trouvons dans un cas de figure o le rcit au sens strict est prcd dune prface (Pn0).

    Cette phase introductive au rcit contient des paroles du narrateur et prsente le sujet-

    thme de la squence (Kokin), elle rsume aussi les vnements qui vont suivre. Le rcit

    proprement parler commence par une situation initiale (Kokin passe travers la clture).

    Il convient de dire que la situation initiale na rien dexceptionnel, le dplacement de

    Kokin pour aller chercher de la bire au petit matin est prsent comme un vnement

    ordinaire ce qui est soutenu par linversion de lordre des mots avec un verbe linitiale

    VSO (voir page 58). La situation de complication se produit quand Kokin aperoit une

    exprience scientifique et est aspir par le tuyau remonter le temps. A ce moment-l il y a

    une mise en intrigue qui se met en place. Cest le point central de la squence. Le moment

    suivant, les dsagrments du transfert quil subit reprsentent des actions composant la

  • CHAPITRE 2 : LA NARRATION

    - 32 -

    phase 3. Enfin, la mise en intrigue trouve sa rsolution dans le paragraphe o Kokin se

    rveille dans un autre monde. La squence narrative se termine par lexposition dune

    situation finale : aprs le transfert, Kokin sadapte aux conditions locales.

    Aprs cet expos des lments thoriques sur lesquels repose la squence narrative telle

    quelle est dfinie dans (Adam 2008), ainsi que lillustration que nous en avons faite sur les

    textes russes, voyons maintenant comment cette structure narrative se ralise dans

    diffrents genres de discours en russe. Pour autant, nous navons pas lintention dpuiser

    le sujet concernant les genres de discours susceptibles de contenir une squence de ce type.

    Mais comme dans le chapitre prcdent, il nous parat possible dentamer la discussion sur

    la typologie des genres de discours, et notamment ceux pour lesquels une squence

    narrative reprsente la trame de lnonciation.

    3. LA NARRATION ET LES GENRES DE DISCOURS

    Mme sil est possible darriver un modle unique de squence narrative, il parat

    difficile de rsumer en une formule ses ralisations possibles dans les diffrents genres de

    discours.

    Aprs lanalyse de divers textes narratifs, nous sommes arrive croire quen russe la

    ralisation de la squence narrative dans un discours sappuie en grande partie sur une

    situation nonciative. Afin de cerner les particularits des diffrents genres de discours, il

    convient de prendre en considration la position du narrateur ainsi que celle du lecteur par

    rapport au texte.

    Lnonciation crite a beaucoup de traits en commun avec lnonciation orale. Mais

    bien que dans un texte, les interactions verbales soient rduites (car il ne peut y avoir de

    vritable change verbal), le caractre dialogique ou interactionnel de lnonciation crite

    reprsente tout de mme le pivot de lorganisation textuelle. Cest pourquoi lanalyse des

    genres de discours ne peut pas se faire sans la prise en considration de la pragmatique.

    Il convient de dire que dans lnonciation orale lchange verbal entre les locuteurs

    peut aussi tre rduit. Il est mme proscrire en situation de confidence. Les tudes sur ce

    type particulier dnonciation ont montr que pour que la confidence ait lieu,

    linterlocuteur doit tre le plus discret possible : il suffit quil soit prsent et accepte

  • CHAPITRE 2 : LA NARRATION

    - 33 -

    dcouter le locuteur13. Ces conditions ncessaires lacte de confidence sont trs proches

    de lnonciation crite. Le texte crit est toujours orient vers un lecteur qui accepte de le

    lire. Et tout comme le confident qui demande son interlocuteur de faire un effort

    dempathie, le narrateur va demander au lecteur de participer indirectement aux

    vnements narrs.

    En prsentant son texte, lauteur ou le narrateur14 peut adopter plusieurs positions. Tout

    dabord, le narrateur peut se distancier de son propos. Nous appellerons ce type de

    narration la narration distancie. Dans ce cas, le lecteur est totalement neutre vis--vis des

    vnements narrs ; il nest pas pour ainsi dire entran par les vnements.

    Dans le second cas, lauteur / narrateur est plus ou moins discret. L, le narrateur

    demande au lecteur dadopter une attitude de spectateur, car le rcit quil prsente a pour

    objectif de reprsenter laction. Ce type de narration sappuie sur le ct visuel de la

    perception ; il sert rendre visibles dans limaginaire du lecteur des vnements qui ont

    dj eu lieu ou qui vont se produire. De ce fait, nous appellerons ce type de narration la

    narration effets visuels.

    Enfin, le narrateur peut se prsenter en tant que conteur. Dans ce dernier cas, il utilise

    tous les moyens linguistiques pour sonoriser la narration et faire du lecteur un auditeur

    imaginaire. La narration de ce type sappuiera sur le ct sonore de la perception. Pour ces

    raisons, nous appellerons ce type de narration la narration effets auditifs.

    Ainsi, selon le type de situation nonciative, il convient de distinguer trois grands

    groupes qui rsumeront la plupart (sinon la totalit) des contextes discursifs susceptibles de

    contenir une squence narrative :

    La narration distancie ;

    La narration effets visuels ;

    La narration effets auditifs.

    Chacun de ces groupes se distinguera en particulier par les formes aspecto-temporelles

    qui sont susceptibles dapparatre en tant que temps principaux de la narration, ou les

    formes darrire-plan (backgrounding de L.Talmy), et ceux du premier plan

    (foregrounding). Chaque groupe se caractrisera galement par dautres formes

    linguistiques qui lui sont propres et que lon essayera de mettre en vidence.

    13 Lintervention de Capucine Brmond Le huis-clos de la confidence lors quun colloque Regards sur le

    discours en hommage Robert Vion, qui sest tenu les 20-21 mars 2008 lUniversit de Provence. 14 Dans notre travail, nous ne ferons pas la distinction entre lauteur et le narrateur.

  • CHAPITRE 2 : LA NARRATION

    - 34 -

    3.1. La narration distancie

    Dans ce paragraphe consacr la narration que nous avons intitule traditionnelle, nous

    distinguerons deux genres de discours : le rcit littraire et le rcit pique15. Le premier

    type se conforme aux normes dcriture des rcits littraires, alors que le second reprsente

    un genre de discours particulier qui comprend des bylines, des chroniques et autres textes

    quil est de coutume dappeler piques . Le rcit littraire et le rcit pique ne sont pas

    compltement trangers lun lautre : le rcit pique peut tre mme vu comme un

    prcurseur du rcit littraire. Pour cette raison, nous les tudierons dans le mme

    paragraphe. Dun autre ct, ces deux types de rcit se distinguent linguistiquement. A

    lheure actuelle, le rcit pique sest form en un genre de discours particulier avec des

    traits caractristiques qui lui sont propres.

    3.1.1. LE RCIT LITTRAIRE

    3.1.1.1. PARTICULARITS DU SCHMA NARRATIF

    Dans le cadre dun rcit littraire, le schma type dune squence narrative sept

    phases prsent ci-dessus peut subir des modifications. Nous ne relverons ici que deux cas

    de figure qui touchent lomission et linversion des phases narratives.

    Le cas de lomission des phases est un cas assez courant. Lomission des lments

    dpendra en grande partie de leurs statuts dans une squence narrative. En effet, une

    analyse attentive rvle que les phases narratives formeront lintrieur de la structure

    deux groupes : une partie dlments sera considre comme stable et lautre partie

    contiendra des lments variables. Parmi les lments stables, nous compterons la situation

    initiale (Pn1), la complication (Pn2), les (r)actions ou lvaluation (Pn3) et la rsolution

    (Pn4). Dans ce cas, on peut parler du noyau narratif ; ce noyau a t dailleurs mis en

    lumire par Vl. Propp. Il est a priori impossible de perdre un de ces lments : en

    labsence de situation initiale, il ne peut y avoir de complication ; en absence de

    complication, il ny aurait pas de rcit au sens strict, etc. Toutefois, nous avons observ

    15 Notons ce propos une confusion fcheuse dans la terminologie existante, y compris dans celle de J.-M.

    Adam. Le terme de rcit est utilis en tant que genre littraire ; il sert aussi lanalyse linguistique o il est

    souvent utilis comme synonyme de la narration. Pour viter toute ambigit, nous prfrons adopter

    lappellation de narration quand il sagit de type linguistique de texte, et celle de rcit quand il sera question

    des genres littraires.

  • CHAPITRE 2 : LA NARRATION

    - 35 -

    que dans les rcits littraires, la phase de rsolution pouvait rester implicite (voir lanalyse

    de lexemple de Tolstoj plus loin).

    En revanche, les lments comme lentre-prface (ou le rsum) (Pn0), la situation

    finale (Pn5) et la morale (Pn) constituent des lments variables. Bien que la phase de

    situation finale paraisse importante, elle peut ne pas se raliser explicitement en laissant

    dans limplication les vnements qui dcouleraient de la rsolution de lintrigue. De

    mme, lentre-prface (ou le rsum) et la morale, phases extrieures au rcit au sens

    strict, ne serviront qu des buts nonciatifs en explicitant les vnements narrs : la

    premire prsentant lintroduction, tandis que la seconde introduira une conclusion.

    Dautre part, dans le cas de linversion des phases, il sagit dune organisation en

    apparence diffrente des lments constitutifs de la squence. Il convient de rappeler que le

    schma prototypique prsente la succession linaire des phases narratives. Contrairement

    un conte o lordre des phases est immuable, les phases narratives dans une uvre

    littraire peuvent sinverser. Cette nouvelle prsentation, avec des phases narratives

    inverses, se produit lors dun retour en arrire dans lnonciation. Pour illustrer ce cas de

    figure, nous prendrons lexemple de Guerre et paix, cit dans (Viellard 2002 : 152-153).

    Cet extrait est dautant plus intressant quil prsente plusieurs squences narratives

    enchsses ce qui permet dillustrer la complexit de lorganisation textuelle.

    Exemple 2 :

    (Sn1 : Pn1) , , , .

    , : -, - , .

    , ; (Sn2 : Pn5) -, -

    . -

    .

    (Sn2 : Pn1) , , ,

    , . , , , ,

    , , , , ,

    . ... ,

    , -

    . , (Sn2 : Pn2)

    , (Sn2 : Pn3) , , .

    , ? .

    , ? ,

    .

  • CHAPITRE 2 : LA NARRATION

    - 36 -

    ... , , ,

    , , , ...

    , ,

    , . ,

    , - , , , ,

    , . (Sn3 : Pn0) ,

    , , .

    (Sn3 : Pn1) , , (Sn3 : Pn2)

    .

    . (Sn3 : Pn3) , , ,

    , , (Sn3 : Pn4) .

    , ( ),

    . . ... , ,

    -, , , . , ,

    . ... : , , , ? ,

    , , . , ,

    . [ . ]

    Lextrait commence par louverture dune nouvelle squence narrative qui introduit le

    sujet principal Pierre. Mais cette squence narrative restera ouverte (en tout cas, dans cet

    extrait), la suite se trouvant en dehors des limites de lexemple. Cet extrait prsente un

    intrt particulier du fait quil contient deux squences narratives enchsses dont lune

    (Sn1) reste ouverte (voir plus loin) ; mais malgr ce fait lensemble parat cohrent. La

    deuxime squence narrative (Sn2) commence par une situation initiale o Pierre revit les

    vnements de la soire de la veille : Pierre cherche se rchauffer prs dun feu de camp,

    il trouve un feu, mais en entendant la voix de Platon Karataev, il ressent un sentiment

    dsagrable. Notons que cette nouvelle situation initiale servira introduire un autre sujet-

    thme de la squence Karataev. La phase complication commence quand Pierre se

    trouve dans une situation difficile : la prsence de Karataev le gne, mais il doit sy

    rsigner, car cest le seul feu auprs duquel il peut se rchauffer. Cest l quil y a une mise

    en intrigue : le sujet principal doit faire face une situation inattendue. Sinstaller prs du

    feu, entamer une conversation avec Karataev et couter son rcit constituent les actions qui

    vont entrer dans la troisime phase narrative comme des actions faisant suite la

    complication. Il est noter que la quatrime phase, la rsolution, y fera visiblement dfaut.

    On se souvient que la phase 4 fait toujours cho la complication, contenue dans la phase

    2 le fait dtre contraint de sassoir prs du feu de Karataev. On peut en toute logique

  • CHAPITRE 2 : LA NARRATION

    - 37 -

    penser que la rsolution de cette situation serait le dpart de Pierre : cet vnement serait si

    peu informatif dans ce cas prcis de rappel (rappelons que nous nous trouvons dans la

    deuxime squence o Pierre se remmore les vnements de la veille) que lauteur en fait

    lconomie. En revanche, la situation finale, la rflexion qua laisse le rcit de Karataev

    est dautant plus centrale quelle assure le lien non seulement entre deux squences mais

    galement entre deux plans temporels : le prsent de Pierre et la veille des vnements.

    Le rcit de Karataev, lui, sorganise son tour dans une troisime squence narrative.

    Compte tenu de la complexit structurelle de lextrait, nous en proposerons un rsum

    schmatique :

    Squence 1 :

    Pn1 : Pierre marche sous la pluie

    Squence 2 :

    Pn5 : Pierre repense la conversation dhier avec Karataev

    Pn1 : Pierre cherche le feu

    Pn2 : il ny a pas dautre feu que celui de Karataev

    Pn3 : Pierre sinstalle contrecur prs de Karataev

    Squence 3 :

    Pn0 : lhistoire des deux marchands

    Pn1 : le repos des marchands

    Pn2 : lassassinat de lun deux

    Pn3 : le jugement et la punition de lautre marchand

    Pn4 : lenvoi du marchand au bagne

    Une analyse squentielle dtaille permet de distinguer plus nettement les diffrents

    plans temporels propres chaque squence. Dans la premire squence, il sagit du prsent

    de la narration principale16. La deuxime squence renvoie aux vnements de la veille,

    qui aboutissent aux rflexions de Pierre dans la narration principale. Malgr linversion

    manifeste des phases narratives dans cette deuxime squence (Pn5 vient avant Pn1), la

    suite des vnements est parfaitement conforme leur progression temporelle : les

    vnements de la veille ont une consquence logique dans la rflexion de Pierre, qui est,

    elle, donne au prsent. Dans le cas des deux premires squences, nous sommes amene

    16 Il est vrai que le terme de prsent pour dcrire une narration expose au pass peut paratre inadapt. Mais

    dans le cas des jeux temporels, ce terme convient plus que le pass, par exemple, car le pass renverra aux

    vnements antrieurs, comme cest le cas dans notre extrait.

  • CHAPITRE 2 : LA NARRATION

    - 38 -

    parler des squences que nous appellerons ouvertes, puisque leurs diffrentes phases

    communiquent entre elles. Puis, la troisime squence, une squence ferme, expose le

    contenu du rcit de Karataev. Cette squence est situe dans un pass indtermin, qui se

    dfinit, lui, par rapport au pass de Karataev.

    A ces deux cas de modification de schma squentiel on peut galement ajouter le fait

    que la complication (Pn2) peut son tour tre dcompose : elle contiendra des lments

    introduisant des actions vaines qui sont interrompues par un autre vnement imprvu. Ce

    type dnonciation est bien illustr par lemploi de la particule bylo (voir page 59).

    3.1.1.2. TEMPS GRAMMATICAUX

    Dans le cadre dune analyse textuelle, il est commode dutiliser le concept de premier

    plan / arrire plan (foregrounding / backgrounding) de la psychologie cognitive, introduit

    par L. Talmy pour une analyse des faits linguistiques. Ce concept est li plusieurs

    notions, et notamment lide que certains vnements sont plus saillants dans une suite

    narrative que dautres. Cette ide applique laspectologie se rvle tre particulirement

    intressante pour lanalyse des formes aspecto-temporelles dans les textes. Ainsi, en

    franais, ce concept a t bien dvelopp notamment dans la Grammaire textuelle du

    franais dHarald Weinrich (1989) qui parle de limparfait et du plus-que-parfait comme

    temps de larrire-plan et du pass simple et du pass antrieur comme celui du premier

    plan du relief temporel (Weinrich 1989 : 129). Cette distinction reposant sur

    lopposition focalisation / topicalisation est souvent applique au russe o en arrire-

    plan on voit le pass IPF, temps descriptif, et au premier plan le pass PF qui, lui, fera

    progresser laction.

    Une telle opposition entre le pass PF et le pass IPF comme deux formes aspecto-

    temporelles organisant autour delles toute lnonciation ne peut cependant pas tre utilise

    dans le cadre de notre travail, puisquelle ne sera valable que dans un rcit comme genre

    littraire. Si on se conforme la mthode adopte ici, il convient de distinguer des formes

    qui fonctionneraient uniquement dans un texte narratif. Mais avant de parler des formes

    susceptibles de se trouver en opposition dans ce type de texte, voyons dabord les

    principales caractristiques du pass PF, dont le fonctionnement dans la narration ne peut

    tre mis en doute.

    Il est vrai que le pass PF est sans aucun doute la forme la plus reprsentative des

    temps narratifs. Comme la trs justement remarqu H. Weinrich (1989 : 127-129), le

    pass du rcit ne renvoie pas forcment aux vnements passs proprement dits. Les

  • CHAPITRE 2 : LA NARRATION

    - 39 -

    vnements des rcits littraires sont des vnements de fiction sans aucun rapport au

    pass au sens chronologique du terme. Pour preuve, nous citerons lexemple des rcits de

    science-fiction situs souvent dans un futur (chronologique) lointain qui font galement

    appel aux temps passs, au sens grammatical du terme.

    Les formes du pass PF peuvent avoir diverses valeurs dans une narration. Tout

    dabord, le pass PF indiquera le plus souvent une action acheve ce qui fait que

    lenchanement de plusieurs passs PF est souvent conu comme une suite dvnements

    passs17. En labsence de marques grammaticales dantriorit ou de postriorit (comme

    cest le cas des temps en franais, par exemple), le russe se sert de lordre des mots pour

    disposer les vnements dans un ordre chronologique :

    A. , , , ,

    . ,

    , , , . [.,

    ]

    Mais la smantique y joue le rle primordial. Une suite de passs PF peut aussi bien

    sinterprter en dehors de toute succession temporelle, comme ce que nous avons observ

    dans lexemple A la page 26 : umerli, pogibli, ix vakuirovali renvoient des vnements

    qui ne se sont pas forcment drouls dans cet ordre. Un cas de figure trs proche de ce

    point de vue est la ralisation des valeurs du parfait dun verbe PF, comme postarel,

    raspolnel i obrjuzg, analys par A.V. Bondarko (2001 : 128). Ces vnements sont

    concomitants et fixent ltat du personnage au moment de lnonciation ( propos des

    valeurs de parfait dans un texte voir Zolotova 2005). Dans ces cas de figure, nous ne

    parlerons pas de passages narratifs mais de passages descriptifs.

    Par ailleurs, la narration se fondant uniquement sur des verbes PF qui se suivent de trs

    prs dans le temps donne un effet supplmentaire de rapidit :

    Limpression de la rapidit dans la succession est cre par la succession des formes perfectives et

    ne dcoule pas de la smantique lexicale. En effet, les vnements voqus peuvent exiger un

    certain temps, plus ou moins long, pour se raliser ; en outre, leur succession peut tre interrompue

    dans la ralit par une priode plus ou moins importante. Ces circonstances relles nont pas

    dincidence sur la perception du rythme et