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M GEORGES ROQUE

Les couleurs complmentaires : un nouveau paradigme/Complementary colours: a new paradigmIn: Revue d'histoire des sciences. 1994, Tome 47 n3-4. pp. 405-434.

Abstract SUMMARY. The concept of complementary colours, discovered at the beginning of the nineteenth century, spread quickly, coming to play a foremost role as a paradigm for the scientific theories of colour vision as well as the theories of chromatic harmonies. Current developments in both fields still depend on this concept. This paper aims to throw light on the history and the implications of this concept during the first half of the last century, from the joint perspectives of the science of colour vision and aesthetics. Rsum RSUM. Au dbut du XIXe, apparat un nouveau concept, celui de couleurs complmentaires, appel jouer trs vite un rle de tout premier plan, s'imposant comme un nouveau paradigme, tant dans les thories scientifiques de la vision colore, que dans celles de l'harmonie chromatique, concept dont les retombes dans ces deux domaines se font encore largement sentir de nos jours. C'est l'histoire et les enjeux de ce concept dans la premire moiti du sicle prcdent qui sont abords, avec le souci d'clairer ce point de l'histoire croise de la science de la vision des couleurs et de l'esthtique.

Citer ce document / Cite this document : ROQUE GEORGES. Les couleurs complmentaires : un nouveau paradigme/Complementary colours: a new paradigm. In: Revue d'histoire des sciences. 1994, Tome 47 n3-4. pp. 405-434. doi : 10.3406/rhs.1994.1212 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhs_0151-4105_1994_num_47_3_1212

Les

couleurs un

complmentaires : paradigme

nouveau

Georges Roque (*)

To every colour without except ion,whatever may be its hue, or shade, or however it may be compounded, there is another in perfect harmony to it, which is its complement, and may be said to be its companion. (Benjamin T. de Rumford, Conject ures Respecting the Principles of the Harmony of Colours, in Philo sophical Papers (Londres, 1802), 335.) Cette pondration du vert et du rouge plat notre me. (Charles Baudelaire, Salon de 1845, in uvres compltes, d. par Pichois, vol. II (Paris : Gall imard, 1976), 355.) RSUM. Au dbut du xixe, apparat un nouveau concept, celui de cou leurs complmentaires, appel jouer trs vite un rle de tout premier plan, s'imposant comme un nouveau paradigme, tant dans les thories scientifiques de la vision colore, que dans celles de l'harmonie chromatique, concept dont les retombes dans ces deux domaines se font encore largement sentir de nos jours. C'est l'histoire et les enjeux de ce concept dans la premire moiti du sicle prcdent qui sont abords, avec le souci d'clairer ce point de l'histoire croise de la science de la vision des couleurs et de l'esthtique. MOTS-CLS. Couleurs complmentaires ; vision des couleurs (xixe sicle) ; harmonie chromatique (xixe sicle) ; cercles chromatiques (xixe sicle) ; Hassenfratz Jean-Henri. SUMMAR Y. The concept of complementary colours, discovered at the beginning of the nineteenth century, spread quickly, coming to play a foremost (*) Georges Roque, Institute de Investigaciones Estticas, unam, circuito Mario de la Cueva, Zona cultural, Ciudad Universitaria, Delegation Coyoacan, cp 04510, Mexico df, Mexique. Rev. Hist. Set., 1995, XLVIII/3-4, 405-433

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role as a paradigm for the scientific theories of colour vision as well as the theories of chromatic harmonies. Current developments in both fields still depend on this concept. This paper aims to throw light on the history and the implica tions this concept during the first half of the last century, from the joint of perspectives of the science of colour vision and aesthetics. KEYWORDS. Complementary colours; colour vision (19th century); colour harmony (19th century); colour diagram (19th century); Hassenfratz Jean-Henri. Au dbut du xixc sicle, apparat un nouveau concept, celui de couleurs complmentaires, appel jouer trs vite un rle de tout premier plan dans les thories scientifiques de la vision colore, comme dans celles de l'harmonie chromatique, et dont les retom besdans ces deux domaines se font encore largement sentir de nos jours. C'est l'histoire et les enjeux de ce concept dans la pre mire moiti du sicle prcdent que je me propose de traiter ici. Pour essayer de clarifier un peu les choses, qui sont certes comp lexes et embrouilles, il conviendrait de commencer par distin guerdeux courants, l'un scientifique, l'autre artistique, dans l'intrt croissant qui se manifeste, dans la seconde moiti du xvrae, pour les couleurs opposes, et qui culminera au xixe pour s'tablir et valoir jusqu' nos jours avec force de loi.

Deux tendances a. La premire des tendances que je propose de distinguer est celle des naturalistes, inaugure par Buffon, lequel est sans doute le premier donner une description claire et prcise des phno mnes de contraste successif de clart et de couleur : Lorsqu'on regarde fixement et longtemps une tache ou une figure rouge sur un fond blanc, comme un petit carr de papier rouge sur un papier blanc, on voit natre autour du petit carr rouge une espce de couronne d'un vert faible (1). Buffon donne ces couleurs subjectives outre le rouge qui engendre du vert, le jaune engendre du bleu le nom de cou leurs accidentelles , et son article sera le point de dpart d'une (1) Buffon, Sur les couleurs accidentelles, Mmoires de l'Acadmie Royale des Sciences (Paris, 1743), repris dans Jacques-Louis Binet et Jacques Roger, Un autre Buffon (Paris : Hermann, 1977), 142.

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trs abondante littrature scientifique durant plus d'un sicle (2). Cependant, s'il avait bien constat et parfaitement dcrit plusieurs des phnomnes de contraste, il ne les avait pas encore relis l'ide de couleurs formant des couples d'opposition, et auxquelles on donnera plus tard le nom de complmentaires. C'est dans l'ouvrage The Natural System of Colours (vers 1770) (3), d'un autre naturaliste, Moses Harris, qu'on trouve les deux premiers cercles chromatiques montrant clairement, l'un les trois couleurs primaires (rouge, jaune et bleu), l'autre les trois cou leurs composes (orange, vert et pourpre), assortis de l'indication expresse que deux couleurs opposes sur le cercle, le long d'un mme diamtre, forment entre elles un contraste : If a contrast is wanting to any colour or teint, look for the colour or teint in the system, and directly opposite it you will find the contrast wanted. Or Harris lie prcisment ces couleurs opposes aux ph nomnes de contraste que Buff on avait dj signals : If a pair of green spectacles are placed before the eyes, and viewed through for about 5 minutes, and then taken away, every scene and object will look a fiery red (4). Un autre naturaliste, entomologiste, tout comme Harris, Ignace Schiffermuller, proposera galement un cercle de couleurs Versuch eines Farbensystems (Vienne, 1771) et insistera lui aussi sur les couleurs du cercle diamtralement opposes, lesquelles peuvent, en jouant sur les relations de luminosit, s'avrer harmon ieuses (5). La rflexion sur les couleurs accidentelles de Buffon se poursuivra en Angleterre, o, aprs Harris, un mdecin, Robert Waring Darwin (pre de l'auteur de De l'origine des espces), tentera de proposer une explication systmatique de ces phnomnes sub jectifs qu'il liait directement aux principes newtoniens. Mais, en (2) Cf. l'excellente bibliographie commente tablie par Joseph Plateau, Bibliographie analytique des principaux phnomnes subjectifs de la vision depuis les temps anciens jusqu' la fin du xvme, suivie d'une bibliographie simple pour la partie coule du sicle actuel, Mmoires de l'Acadmie Royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique, XLII (1878), ainsi que les trois supplments, XLII, XLIII et XLV (1883); cf. en particulier la deuxime section, Couleurs accidentelles de succession. (3) Ce livre a t rdit en fac-simil par Faber Birren (New York : d. prive, 1963) ; sur sa date de publication, cf. Thomas Lersch, Von der Entomologie zur Kunsttheorie, in Festschrift Erasmus, 1934-1984 (Amsterdam : Erasmus Antiquariaat en Boekhandel, 1984), note 61, 309; les auteurs oscillent entre 1766 et 1776. (4) Cf. Martin Kemp, The Science of Art: Optical Themes in Western Art from Brunelleschi to Seurat (New Haven & London : Yale Univ. Press, 1990), 291. (5) Cf. le riche et stimulant article de Lersch cit in n. 3, 306.

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tant que mdecin, il supposait l'existence de fibres musculaires agissant dans la rtine (6). Quelques annes plus tard, en 1794, le comte de Rumford (Benjamin Thompson) prsentera la Royal Society ses rflexions sur les ombres colores, qui ont fait autor it, mettant en vidence la nature subjective du phnomne, et supposant que dans le cas de deux ombres colores, l'une des deux est souvent une illusion optique ( an optical deception ) (7). C'est dans cette mme communication qu'il aurait ajout (8) d'import antes considrations sur l'harmonie des couleurs, partir d'exp riences sur des ombres colores doubles. Il remarquait ce sujet que les couleurs des deux ombres sont toujours telles que si on les mlange intimement, le rsultat sera un blanc parfait. De sorte que la couleur d'une ombre peut tre dite le complment de l'autre (9) ; on en a ds lors dduit que le comte de Rumford aurait t le premier utiliser le concept de couleurs complmentaires (10). b. A cette tendance scientifique vient s'en superposer une autre, qui n'est pas sans interfrer avec elle. Cependant, la diffrence entre les deux tient leur point de dpart; alors que la premire concerne en principe les lumires colores et les phnomnes sub jectifs de contrastes simultans et successifs, la seconde a t la bore par des praticiens et des thoriciens de la peinture, et concerne les mlanges de pigments. Cette dernire tradition est lie la longue aventure de la constitution de couleurs primaires et la mise au point de rgles prsidant leur mlange. On a longtemps attribu au graveur allemand Le Blon (L'Har monie du coloris dans la peinture, Londres, 1725) la paternit de la dcouverte des trois primaires du peintre (bleu, jaune et (6) Robert Waring Darwin, On the Ocular Spectra of Light and Colour, Philosophical Transactions, LXXVI (1785), 313 sq. ; cf. M.-L. Rouquette, R. W. Darwin et la psychophys iologie la vision, Revue d'Histoire des Sciences, XXVI/2 (1973), 145-151. de (7) Comte de Rumford (Benjamin Thompson), An Account on some Experiments on Coloured Shadows, Philosophical Transactions, 84 (1794), repris dans Philosophical Papers (Londres, 1802), 319-332; cf. Philippe Lanthony, Les ombres colores, Points de vue. Revue d'information l'attention des mdecins ophtalmologues, 28 (mai 1992), 12-19. (8) Selon Gerald E. Finley, Turner: An Early Experiment with Colour Theory, Journal of the Warburg and Courtauld Institute, 30 (1967), 360, et, sa suite, Lersch, op. cit. in n. 3, note 103, 315, et Kemp, op. cit. in n. 4, 295. Je reviendrai sur ce point. (9) The colour of the one shadow may with propriety be said to be the complement of the other {op. cit. in n. 7, 334); soulign par lui. (10) Cf. par exemple Thomas Lersch, Farbenlehre, Reallexikon zur Deutschen Kunstgeschichte, 7 (1981), 230.

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rouge) et de la rgle de leur mlange deux par deux, engendrant les couleurs composes (vert, orang, violet). En fait, la rduction des couleurs primaires trois est dj clairement indique dans un trait anonyme {Trait de la peinture en miniature, attribu Claude Boutet (11)) et publi La Haye, en 1708, dans lequel l'auteur crivait : II n'y a proprement dit que trois couleurs pri mitives, lesquelles ne peuvent pas tre composes d'autres couleurs, mais dont toutes les autres peuvent tre composes. Ces trois cou leurs sont le Jaune, le Rouge et le Bleu. On a mme pu faire remonter plus loin, au dbut du xvne en tout cas (12), la rduction des couleurs fondamentales aux trois primaires. Tout dpend du point de dpart : rien n'empche en effet de considrer que les trois primaires se sont petit petit dga ges d'un systme d'inspiration aristotlicienne (13), dans lequel ces trois couleurs de base (comme les rgles de leurs mlanges) restaient flanques du noir et du blanc, et taient classes suivant

BLANC

JAfNE

ROOGE

BLgU

NOIR

VQRANGE

POURPJ

VERT Fig. 1. D'aprs Franois d'Aguilon, Opticorum libri sex (Anvers, 1613), ill. de la prop. 39 du livre I. (11) Cf. Ch. Parkhurst et R. L. Feller, Who invented the Color Wheel, Color Research and Application, VII/3 (automne 1982), note 14, 229. (12) Cf. Lersch, op. cit. in n. 10, 200; cf. aussi les rfrences divers articles de Ch. Park hurst, donnes par Parkhurst et Feller, op. cit. in n. 11, note 21, 229-230; cf. galement R. A. Weale, Trichromatic Ideas in the Seventeenth and Eighteenth Centuries, Nature, CLXXIX (1957), 648-651. (13) Sur cette tradition, cf. Michel Blay, La Conceptualisation newtonienne des phno mnes de la couleur (Paris : Vrin, 1983), 15 sq. et Kemp, op. cit. in n. 4, 264 sq.

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leur degr de clart, comme tel est le cas dans le systme de Fran ois d'Aguilon de 1613 (14) (fig. 1). De ce point de vue, le pas dcisif aurait consist liminer le blanc et le noir, pour ne plus prendre en considration que les trois primaires, pas franchi en 1650 par Marin Cureau de la Chambre (15). Mais, comme le fait remarquer Kemp, l'importance des trois primaires n'apparat telle que rtrospectivement (16), une fois que la thorie en aura t fe rmement tablie, d'une part en raison de l'intrt marqu pour les mlanges de pigments, d'autre part du fait que l'optique newtonienne a contribu relancer la recherche d'un nombre restreint de couleurs primaires. De ce point de vue, celui de la pratique artistique du mlange des pigments (et de la rflexion sur cette pratique), se dveloppe donc l'ide que chacune des trois couleurs primaires du peintre (rouge, jaune et bleu) s'oppose celle des couleurs secondaires engendre par le mlange des deux autres primaires; ainsi, par exemple, le rouge s'oppose au vert (produit par le mlange de jaune et de bleu). Il tait alors invitable que les couleurs opposes des peintres rencontrent les couleurs opposes des savants, et ce d'autant plus naturellement qu'il s'agissait, en apparence, des mmes couleurs (jaune-violet, rouge-vert, orang-bleu).

Entrecroisements En fait, la relation entre ces deux courants s'tablit dans les deux sens, de sorte qu'ils se renforcent l'un l'autre. Du ct des naturalistes, d'abord, se posait en effet le problme de nommer et classer les innombrables nuances colores que prsentent les insectes, et en particulier les papillons. Si c'est donc deux ento mologistes, nous l'avons vu, Moses Harris et Ignace Schiffermuller, que l'on doit des cercles chromatiques de couleurs opposes qui ont fait date, c'est que ceux-ci taient la recherche d'un systme logique articulant les couleurs entre elles, systme... qu'ils ont repris aux peintres, les trois primaires leur fournissant une mthode qui Aguilonus' Optics d'Aguilon, Opticorum libri sex (Anvers, 1613); cf. Charles Parkhurst, (14) Franois and Rubens' Color, Nederlands Kunsthistorisch Jaarboek, 12 (1961), 35 sq. (15) Marin Cureau de la Chambre, Nouvelles observations et conjectures sur la nature de l'iris (Paris, 1650). (16) Cf. Kemp, op. cit. in n. 4, 281-282.

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correspondait leur exigence scientifique : indcomposables en l ments plus simples, elles permettaient en plus de composer toutes les autres; ainsi mathesis et gense trouvaient-elles se comb iner (17). Inversement, les peintres commencent chercher dans la science physique un fondement leurs thories de l'harmonie, ce que Mengs, nous y reviendrons, est sans doute l'un des premiers faire dans le dernier tiers du xvnie. Mais il convient d'ajouter cela que la plupart des textes crits dans les annes 1600 pour commencer dgager les trois primaires et leur mlange ne l'ont pas t par des peintres ou des thoriciens de l'art, ... mais par des mdecins (en particulier cause de l'intrt des couleurs pour le diagnostic) (18). Le mmoire d'Hassenfratz Se rpandront ainsi petit petit des cercles chromatiques l'usage des peintres, dans lesquels l'harmonie des complmentaires trouvera une manire de lgitimit dans les complmentaires pro duites par les phnomnes de contraste. Mais si je crois avoir un peu dnou les rseaux intriqus qui ont fini par engendrer un concept peru comme unitaire, bien qu'il soit double, reste encore tenter de dterminer qui a pu proposer le premier ce concept de couleurs complmentaires. Un des spcialistes de la Farbenlehre de Goethe, R. Matthaei, a mis ce sujet le doigt sur une source oublie, dans un article (17) II faut sur ce point donner raison Foucault contre lui-mme : les remarquables analyses de Les Mots et les choses consacres l'histoire naturelle s'appliquent parfaite mentHarris et Schiffermller, dont le titre des uvres indique dj tout le programme : respectivement, pour le rappeler, The Natural System of Colours et Versuch eines Farbensystem; ces uvres de la fin du xvnr*, comme le mmoire de Buffon plus d'un sicle auparavant, attestent qu'il faut nuancer l'ide selon laquelle le champ de visibilit o l'observation [de l'histoire naturelle] va prendre ses pouvoirs n'est que le rsidu de ces exclusions : une visibilit dlivre de toute autre charge sensible et passe de plus la grisaille , dans la mesure o les couleurs ne peuvent gure fonder de comparaisons utiles (Michel Foucault, Les Mots et les choses (Paris : Gallimard, 1966), 145). (18) Cf. John Gage, A locus classicus of Colour Theory: The Fortunes of Apelles, Journal of the Warburg and Courtauld Institute, 44 (1981), 20-21. Gage cite en particulier A. Scarmilionii, De coloribus (Marburg, 1601), Anselm de Boodt, Gemmarum et lapidum historia (Hanau, 1609), et Louis Savot, Nova-antiqua de causis colorum sententia (Paris, 1609). Ajoutons-y galement l'uvre (un peu plus tardive) de Marin Cureau de la Chambre, mdecin ordinaire de Louis XIV, cite supra in n. 15.

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qui n'a pas eu, semble-t-il, beaucoup d'cho (19). Etudiant la co rrespondance de Goethe en 1807, au moment o celui-ci mettait la dernire main son fameux trait, il a dcouvert que Goethe avait eu connaissance, par l'intermdiaire du comte Reinhard, Paris, de mmoires sur les couleurs complmentaires de Hassenfratz (20). Il s'agit d'un rapport sur trois mmoires de Hassenfratz concernant la coloration des corps, rapport qui ne sera publi qu'en 1808 (21). Mais l'auteur s'tait dj beaucoup intress cette ques tion, sa plus ancienne publication sur le sujet (22) tant le Premier mmoire sur les ombres colores , paru en 1802. Dans cet article pionnier, Hassenfratz tudie, comme l'avait dj fait Rumford, les ombres colores produites lorsqu'un objet est clair par deux sources lumineuses distinctes et qualitativ ement diffrentes ; et il remarque ce propos : Lorsque ces ombres sont au nombre de deux, les couleurs qu'elles prsentent sont tou jours ce que nous appellerons des couleurs complmentaires (23). Le ton affirmatif ( ce que nous appellerons... , et plus loin, Nous appelons couleurs complmentaires... ) semble indiquer que nous avons bien affaire l'origine du concept. Mais qu'en est-il alors du comte de Rumford, souvent crdit de cette pater nit? Peut-tre Hassenfratz a-t-il travaill isol et a-t-il cru de bonne foi proposer ce concept, dans l'ignorance des travaux de son col lgue anglais? Car s'il s'avre que ce dernier en faisait dj tat dans son mmoire de 1794 sur les ombres colores, alors son ant riorit serait indniable. Mais, y regarder de plus prs, et, contra irement ce qu'une lecture htive laisse entendre, il n'est nullement (19) Rupprecht Matthaei, Complementre Farben. Zu Geschichte und Kritik eines Begriffes, Neue Hefte zur Morphologie, 4 (1962), 69 sq. (20) Jean-Henri Hassenfratz (1755-1827) est un chimiste franais qui enseigna la physique l'Ecole des mines; il prit part la Commune de 1789 et fut membre du Comit de salut public; renonant par la suite toute activit politique, il se consacra l'enseign ement physique l'Ecole polytechnique. Les quatre volumes de sa Sidrotechnie (Paris, de la 1812) constituent sa publication la plus marquante. (21) Publi dans les Procs-verbaux des Sances de l'Acadmie, IV (1808-1811), 30-34. (22) Goethe a aussi longuement tudi un Mmoire sur les ombres colores publi Paris en 1782 sous le pseudonyme de H. F. T. ; contrairement Matthaei (op. cit. in n. 19, 73), qui perptue une erreur dj commise par Plateau, je ne pense pas qu'il s'agisse de Hassenfratz dont les travaux portaient l'poque sur la chimie et la minralogie. Au reste, le titre mme de son mmoire, Premier mmoire... , indique clairement que l'auteur n'avait pas encore publi sur le sujet. (23) Jean-Henri Hassenfratz, Premier mmoire sur les ombres colores, Journal de l'Ecole Polytechnique, 11e cahier, IV (Messidor an X (1802)), 276; soulign par lui.

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question de complmentarit dans cet essai : la mention des comp lmentaires n'apparat et encore d'une manire qui semble si ngulirement rapporte que dans l'tude sur l'harmonie des couleurs, qui lui sert en quelque sorte de post-scriptum et qui ne sera publie qu'en 1802, dans les Philosophical Papers, suite l'essai sur les ombres colores, et sous le titre Conjectures res pecting the Principles of the Harmony of Colours . Cependant, l'article de Hassenfratz date lui aussi de 1802. A qui alors donner la priorit? Une prcision permet de rpondre : le mmoire de Hassenfratz, s'il n'a t publi qu'en 1802, avait t lu l'Acadmie un an auparavant, plus exactement en janvier 1801, et il fera l'objet d'un rapport, lu en mai 1801, rapport qui sera insr dans les Procs-verbaux des Sances de l'Acadmie. Or dans ce rapport figure trs explicitement la mention de la dcouv erte de Hassenfratz : S'il y a deux ombres, une d'elles sera presque toujours rougetre, orange ou jauntre et l'autre verdtre dans le premier cas, bleutre dans le second, violace dans le troisime; cause de ce rapport, il nomme ces ombres complmentaires les unes des autres (24). II n'est donc pas draisonnable d'imaginer que le comte de Rumford, qui tait en contact avec ses collgues franais (25) (l'Aca dmie publiera plusieurs de ses mmoires), ait t averti de la teneur (26) du rapport sur le mmoire d'Hassenfratz, lequel portait de surcrot sur un sujet les ombres colores qui lui tenait coeur. S'il fallait encore un tmoignage en faveur d'Hassenfratz, il serait donn par l'abb Haiiy, qui fut plusieurs reprises rap porteur auprs de l'Acadmie, o il sigeait, des mmoires du chi miste sur les couleurs. Dans son Trait lmentaire de physique, il reconnatra sans ambages la paternit d'Hassenfratz (27). (24) Coulomb et Lefvre-Guineau, Rapport sur le Mmoire du citoyen Hassenfratz sur les ombres colores, Procs-verbaux des Sances de l'Acadmie, II (ans VIII-XI (1800-1804)), sance du 11 Floral an IX (mai 1801), 342; soulign par les auteurs. (25) II est d'ailleurs possible qu' cette poque le comte de Rumford ait dj t en France, o il s'tablira et passera la fin de sa vie. (26) II n'a pu avoir en mains le volume reproduisant le procs-verbal de la sance o le rapport a t lu, car le volume portant sur cette priode ne sera publi qu'en 1912. (27) Dans le cas o la division [des couleurs] ne se fait qu'en deux parties, chacune des deux couleurs rsultantes est dite complmentaire de l'autre, dnomination introduite par Hassenfratz, qui s'est beaucoup occup d'expriences sur la lumire colore. (Abb Haiiy, Trait lmentaire de physique, 2e d. revue et augmente (Paris : Courcier, 1806), t. II, 269; soulign par lui.)

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Voici donc comment Hassenfratz dfinit les complmentaires, car nous n'avons cit que la premire phrase du paragraphe : Lorsque ces ombres [obtenues par deux sources de lumires dis tinctes] sont au nombre de deux, les couleurs qu'elles prsentent sont toujours ce que nous appellerons des couleurs complmentaires. La varit infinie de couleurs que l'on observe dans le spectre solaire peut tre imparfaitement imite, en combinant ensemble des proportions diffrentes de couleurs naturelles, rouge, jaune et bleu; et, d'aprs les observations de Newton, on peut former un blanc artificiel, en mlan geant ensemble ces trois couleurs. Nous appelons couleurs complmenta ires, qu'il faudrait former, avec une ou deux des trois couleurs celles cites, pour produire du blanc artificiel avec une couleur donne. Pour obtenir du blanc artificiel avec du rouge, il faudrait y mlanger du jaune et du bleu. Le jaune et le bleu font vert : donc la couleur verte est complmentaire de la rouge, et rciproquement. La couleur complmentaire de l'orange, forme de jaune et de rouge, est le bleu. La couleur complmentaire du jaune est le violet (28). Cette dfinition me semble du plus haut intrt, car elle montre que ds son origine, et en son cur, le concept de complmentar it engag dans une voie dont il faudra attendre un se trouve demi-sicle pour montrer qu'elle tait errone. S'y conjoignent en effet les deux voies que j'ai cru devoir retracer : l'intrt croissant pour les couleurs accidentelles, assorti de la dcouverte que deux ombres colores forment un couple d'opposition; et, d'autre part, l'ide bien ancre qu'il y a trois couleurs fondamentales, les trois primaires du peintre, puisqu'elles permettent de reconstituer toutes les autres.

Couleurs-lumire et couleurs-matire Ainsi, si le texte d'Hassenfratz parat parfaitement cohrent, et il l'est certes, par rapport au savoir de l'poque, il n'en contient pas moins deux dfinitions trs diffrentes de la complmentarit, mais qui, je le rpte, n'apparatront diffrentes qu'aprs les travaux d'Helmholtz, un demi-sicle plus tard. D'une part, en effet, sont dites complmentaires deux (ou trois) couleurs dont le mlange permet de reconstituer la lumire blanche. D'autre part, une des (28) Hassenfratz, op. cit. in n. 23, 276-277; soulign par lui.

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trois primaires du peintre est dite complmentaire de celle qui rsulte du mlange des deux autres : ainsi le rouge est complmentaire du vert, lequel rsulte du mlange du jaune et du bleu. Or la diffrence essentielle entre ces deux dfinitions de la complmentarit (qui, pour Hassenfratz, n'en font qu'une), c'est que la premire concerne le mlange de lumires (ombres colores), et la seconde le mlange de pigments. Tout peintre amateur sait en effet qu'il aura beau mlanger du rouge et du vert, il n'obtiendra jamais le blanc qu'voque Hass enfratz, mais du gris, parce que le mlange de lumires colores n'obit pas aux mmes lois que le mlange de pigments. Prcisons d'emble qu' Hassenfratz n'a pas t le seul, ni le premier, ne pas faire de distinction entre les couleurs du spectre et les pigments, tant donn l'emprise qu'exeraient sur les savants les trois couleurs pigmentaires et les rgles de leur mlange. En effet, les auteurs qui ont trait des couleurs accidentelles trouvaient trs utile et opratoire d'avoir recours un systme d'units discrtes (les trois primaires) dont la combinatoire permettait en thorie d'engendrer toutes les autres couleurs, sans raliser que la validit de cette combinatoire restait limite aux seuls pigments du peintre. C'est particulirement vrai de Moses Harris : son premier cercle porte clairement le titre de couleurs prismatiques et concerne donc les couleurs-lumire, because it admits of no other colors but such as are shown by the prism (29) . Et pourtant, les trois couleurs prin cipales qu'il prend en considration pour aboutir au mlange des autres sont les trois couleurs-matire du peintre (rouge-jaune-bleu). Quant Newton, il ne distinguait pas non plus couleurs-lumire et couleurs-matire, comme en tmoigne ce thorme : Tho rme IV. La blancheur de la lumire solaire rsulte de toutes les couleurs primitives mles dans une juste proportion; et avec les couleurs matrielles on peut composer le blanc, et tous les gris entre le blanc et le noir (30). Cette proposition, qui a cr une confusion durable (31), a sans doute galement contribu aux ten(29) Cf. Parkhurst et Feller, op. cit. in n. 11, 220. (30) Isaac Newton, Optique, I, 2, cinquime proposition, trad. fr. Jean-Paul Marat [1787], rd. (Paris : Bourgois, 1989), 131. Sur cette confusion chez Newton, cf. Martin Kemp, Yellow, Red and Blue: The Limits of Colour Science in Painting, 1400-1730, in The Natural Sciences and the Arts, sous la dir. de A. Ellenius (Uppsala, 1985), Acta Universitatis Upsaliensis , XXII, 104-105. (31) Sur l'illusion dont Newton a t victime en croyant obtenir du blanc par le mlange de poudres colores, cf. Paul D. Sherman, Colour Vision in the Nineteenth Century. The Young-Helmholtz-Maxwell Theory (Bristol : Adam Hilger, 1981), 63.

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tatives de conciliation des trois primaires du peintre avec les sept couleurs prismatiques, d'autant que Newton lui-mme, sous l'influence de Boyle, avait commenc par considrer, dans ses Optical Lectures, que les couleurs fondamentales du prisme taient les trois primaires (rouge-jaune-bleu), rfrence ensuite limine dans son Optique (32). On en dirait autant de Young : dans sa premire communication (novembre 1801) concernant la thorie trichromatique laquelle son nom reste associ, il estimait que les trois couleurs auxquelles la rtine est sensible sont le rouge, le jaune et le bleu, avant d'opter finalement, quelques mois plus tard Quillet 1802) pour le rouge, le vert et le violet (33). Ajoutons que la thorie trichromatique de Young constituait une alternative physiologique qui finira par supplanter la thorie heptachromatique, et physique, de Newton. En fait, il faudra attendre la seconde moiti du xixe pour que soit dnonce la confusion entre mlange de couleurs-matire et mlange de couleurs-lumire, en particulier grce la diffrence opre entre mlanges additif et soustractif , qui sera apporte par Helmholtz (34), puis gnralise par d'autres dans les annes 1860. Dans son ouvrage Des couleurs au point de vue physique, physio logique, artistique et industriel, dont la traduction parat en France en 1866, Brticke met bien en garde contre la confusion qu'entrane la notion de mlange des couleurs : En disant que Von mle des couleurs, on se sert d'une expression impropre et inexacte; en ralit, on ne mle que des pigments, et l'effet produit est bien diffrent de celui que l'on raliserait, en combinant les lumires que chacun de ces pigments, pris isolment, met pour son compte. Dans ce dernier cas, la nouvelle couleur est fournie par addition et non par soustraction; elle n'est plus simple, mais, au contraire, plus complexe que chacune des parties constituantes. Ainsi, le mlange de deux pigments complmentaires, l'un bleu, l'autre jaune, produit du vert, tandis que leurs lumires propres proje tes, en mme temps, sur la mme place de la rtine, donnent l'impres sion d'un gris neutre, bleutre ou jaune, suivant que les deux nuances se font exactement quilibre ou que l'une prdomine. (32) Cf. Alan E. Shapiro, The Evolving Structure of Newton's Theory of White Light and Color, Isis, 71/257 (1980), 221-222, et du mme, lettre cite par Parkhurst et Feller, op. cit. in n. 11, 223. (33) Cf. K. J. A. Halbertsma, A History of the Theory of Colour (Amsterdam : Swets & Zeitlinger, 1949), 83-84; et Sherman, op. cit. in n. 31, 10 sq. (34) Sur l'apport de Helmholtz, l'analyse la plus complte est celle de Sherman, op. cit. in n. 31, 81 sq.

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II peut mme se faire qu'un bleu et un jaune, dont le mlange pigmentaire fournit un vert assez vif, engendrent sur la rtine un rouge ple. [...] Le phnomne en lui-mme est trs remarquable, et l'exemple est bien choisi pour donner une ide de la diffrence entre la couleur pigmentaire complexe et l'impression lumineuse produite par la super position sur la rtine des lumires mises par chaque pigment en parti culier, puisque les deux rsultats sont opposs, l'un est rouge et l'autre vert. Faute d'avoir su dmler temps cette distinction entre les deux effets, on a propag pendant des sicles et l'on admet encore quelquefois un fait erron (35). Ceci ncessite sans doute pour le lecteur non familier un mot d'explication rapide, donc ncessairement schmatique (36). Pour clarifier cette question, on considre aujourd'hui qu'il existe deux types principaux de mlanges des couleurs : mlange additif de faisceaux lumineux colors sur un cran blanc. En mlangeant les couleurs spectrales, Helmholtz a montr que les trois couleurs fondamentales, partir desquelles il est pos sible d'obtenir les autres, sont le rouge, le vert et le bleu, dtr nantainsi le privilge dtenu jusqu'alors par les trois primaires du peintre; ce qui le conduira dvelopper les travaux de Young, qui on attribue gnralement l'invention de la thorie trichromatique (37). La sensation de blanc peut tre obtenue en mlan geant ces trois couleurs. On appelle ce type de mlange de faisceaux lumineux sur un mme cran additif, puisque chacun des deux faisceaux ajoute l'autre ses caractristiques propres. (35) Ernst Briicke, Des couleurs au point de vue physique, physiologique, artistique et industriel [lr d. allemande, 1860], trad. fr. (Paris : Baillire, 1866), 152-153 ; soulign par lui. (36) Le lecteur intress pourra se rfrer aux livres d'accs ais de Harald Kppers, La Couleur : Origine, mthodologie, application, trad. fr. (Fribourg : Office du livre, 1975), et Frans Gerritsen, Prsence de la couleur, trad. fr. (Paris : Dessain et Tolra, 1975); cf. galement l'expos clair de Franois Parra, Les bases physiologiques de la vision des cou leurs, in Voir et nommer les couleurs, sous la dir. de Serge Tornay (Nanterre : Laboratoire d'ethnologie et de sociologie comparative, 1978), 9-37. Pour des donnes plus rcentes sur la vision des couleurs, cf. Margaret Livingstone, Art, illusion et systme visuel, Pour la science, 125 (mars 1988), 44-53; Jeremy Nathans, Les gnes de la vision des couleurs, ibid., 138 (avril 1989), 32-40; John D. Mollon, The Tricks of Colour, in Images and Unders tanding, sous la dir. de Horace Barlow, Colin Blakemore, Miranda Weston-Smith (Camb ridge : Cambridge Univ. Press, 1990), 61-78; Smir Zeki, La construction des images par le cerveau, La Recherche, 21/222 (juin 1990), 712-721. (37) Cf., pour une origine antrieure, John D. Mollon, L'auteur nigmatique de la thorie trichromatique, in Comptes rendus du 41e Congrs de l'Association internationale de la Couleur (Berlin, 1981), n. p., et Sherman, op. cit. in n. 31, 16-17.

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Ainsi la perception du cyan (bleu vert) est due au fait que la caractristique du bleu (qui rflchit surtout les petites longueurs d'onde) s'ajoute celle du vert (qui rflchit surtout les lon gueurs d'onde moyennes); mlange soustractif de pigments ou de filtres colors superposs ; on l'appelle soustractif, parce que chaque couleur agit comme un filtre qui soustrait la lumire une partie de ses radiations. Pourquoi, si l'on superpose du jaune et du bleu cyan, obtienton du vert? Parce que le jaune absorbe les radiations corre spondant aux longueurs d'onde courtes (bleu outremer) et que le cyan absorbe les radiations correspondant aux grandes lon gueurs d'onde (rouge orang). Lorsque le jaune et le cyan sont mlangs ou superposs, les deux filtres qu'ils constituent cumul ent leur effet soustractif, et il en rsulte pour la perception colore que, les radiations des ondes courtes et longues tant la fois soustraites, dominent celles des longueurs d'onde moyennes, qui correspondent la perception du vert. Il est v idemment difficile pour un praticien de la couleur d'admettre que le jaune et le bleu cyan ne sont pas des couleurs simples, alors qu'il les voit telles, et qu'elles lui servent en outre obtenir par mlange (matriel) les couleurs composes qu'on lui dit tre simples ! ces deux mlanges, il convient d'ajouter, avec F. Gerritsen et d'autres, un troisime, le mlange optique (appel aussi part itif), mlange dans l'il de petites quantits de couleurs juxta poses, lorsqu'elles sont vues de loin, comme dans la mosaque ou le tissage; les mlanges de couleurs obtenus par des disques colors en mouvement de rotation ressortissent galement du mlange optique. Il rsulte de ce qui prcde qu'il faut donc distinguer, quand on parle de complmentarit, les complmentarits additive, soustractive et optique : les complmentaires de ces trois types varient parfois considrablement, surtout dans la rgion des bleus (38). En outre, le rsultat du mlange des complmentaires est, je l'ai dj soulign, diffrent : blanc pour les complmentaires additives, il est gris pour les complmentaires optiques, et noir, en principe, (38) Jacques Fillacier a fourni un tableau comparatif des complmentaires soustractives et optiques dans son ouvrage La Pratique de la couleur (Paris : Dunod, 1986), 55.

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pour les complmentaires soustractives, quoique dans la pratique des peintres, il est le plus souvent gris, les pigments utiliss n'tant jamais tout fait purs. Si la confusion rgne encore souvent (y compris dans certaines encyclopdies!), inutile de dire qu'elle tait souveraine au sicle dernier (39). Ainsi, le cercle traditionnel de la premire moiti du xrxe est celui des complmentaires violet-jaune, vert-rouge, et orangbleu. Or la prise en compte des mlanges additifs et soustractifs a permis d'aboutir un nouveau cercle qui prsente l'avantage d'tre rversible et de valoir pour les deux mlanges ; les nouvelles complmentaires sont donc : bleu outremer- jaune; vert-magenta; rouge orang-cyan. Ainsi, la premire triade (outremer-vert-orang) correspond aux couleurs fondamentales additives des physiciens; la seconde triade (jaune-magenta-cyan) est forme par les couleurs primaires utili ses aujourd'hui par les peintres, srigraphistes, etc. Et dans les deux cas, la complmentaire d'une couleur donne est celle qui rsulte du mlange des deux autres d'une mme triade, additivement dans le premier cas (outremer, vert, orang), soustractivement dans le second Gaune, magenta, cyan). Ajoutons cependant qu'il ne s'agit pas ici de dnoncer une erreur passe au profit d'une vrit qui serait, elle, immuable. Loin de nous cette ide. Les concepts que nous fournit la science sont rela tifs (40) et devraient tre envisags comme des systmes symboli ques parmi d'autres (41). J'ai simplement voulu clarifier les origines du concept de complmentarit; or la distinction additif /soustractif (39) Sur cette confusion, en particulier en Angleterre, au dbut du sicle dernier, cf. Paul D. Schweizer, John Constable, Rainbow Science, and English Color Theory, Art Bull etin, 64 (septembre 1982), 433 sq. (40) Ainsi, par exemple, la diffrence entre couleurs-matire et couleurs-lumire demande sans doute tre nuance, suite des travaux qui ont montr que l'on peut produire dans l'il, par le phnomne du contraste successif, un mlange additif comme soustractif de couleurs; ceci n'invalide nanmoins pas, mais confirme au contraire, la distinction additif/soustractif , en tendant simplement son champ opratoire ; cf. Ellen Marx, Mditer la couleur (Paris : Le temps apprivois, 1989), et Id., La perception de la couleur, rvla trice d'une nouvelle conscience, in Georges Roque (d.), L'Exprience de la couleur, Verba Volant, 3 (1992), 121-137. (41) Cf. Michel Pastoureau, Une histoire des couleurs est-elle possible? Paradoxes sur la couleur, Ethnologie franaise, 4 (1990), 370-371.

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permet de mieux comprendre comment il a t forg, du fait qu'une telle distinction faisait prcisment dfaut. En effet, parmi les fac teurs qui ont favoris son mergence, une imprcision de vocabul aire srement jou, puisque les mmes termes de couleur (rouge a et vert, par exemple) ont pu tre utiliss pour rendre compte des deux types de mlanges. Tout dpend de quel rouge et de quel vert il s'agit. Rouge et vert peuvent parfaitement tre deux com plmentaires additives, si le rouge est ros et tire vers le magenta. De la mme faon, l'orang et le bleu peuvent aussi tre des com plmentaires additives, si le bleu tire sur le vert (cyan). Par ailleurs, l'emprise de la forme circulaire, pour reprsenter les couleurs, a indniablement jou un rle, dans la mesure o le cercle chromatique (42) servait reprsenter les deux types de complmentaires. La reprsentation de couleurs opposes est en effet commune, ainsi que la dfinition de la nature de l'opposi tion, puisqu'une des trois couleurs de base (violet, orang et vert, dans le cas des additives; jaune, rouge, et bleu dans le cas des soustr actives) s'oppose dans les deux cas celle obtenue par le mlange des deux autres. Le caractre oppos du vert et du rouge se trouvait empiriquement confirm, dans le cas du mlange soustractif, du fait qu'aucune quantit de rouge n'entre dans la composition du vert, et vice versa. De l conclure que ces cou leurs opposes taient aussi complmentaires, il n'y avait qu'un pas, facilement franchi. De sorte que, ds la dfinition que donne Hassenfratz, s'est impose l'utilisation du mme terme de com plmentaire pour les mlanges additif et soustractif. Mais le plus intressant est le fait qu'en dpit de mises en garde rptes des savants (Brcke, nous l'avons vu, mais aussi Rood), la confusion persistera. Mme l'avertissement tardif que prodiguera Eugne Vron dans son Esthtique restera lettre morte; s 'adres sant directement aux artistes, il leur expliquait que la thorie des complmentaires (additives) ne peut fournir d'indications absolument prcises aux peintres. Cela tient ce que ceux-ci composent leurs couleurs par des mlanges de subs tances colores [...] L'utilit de cette thorie pour les peintres est bien (42) Faber Birren a propos une histoire des cercles chromatiques assez schmatique au dbut de ses Principles of Color: A Review of Past Traditions and Modern Theories of Color Harmony (New York : Van Nostrand Reinhold Co., 1969), 9 sq. L'tude la plus documente sur la question reste celle dont nous avons dj fait tat, Parkhurst et Feller, op. cit. in n. 11.

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moins dans la facilit qu'elle semblerait devoir donner de composer des couleurs, puisque en fait les poudres qu'ils emploient s'y prtent mal, que dans l'explication des effets qui rsultent du rapprochement des tons. Toutes les fois qu'on juxtapose des couleurs complmentaires, elles s'exal tentrciproquement (43) . L'harmonie des complmentaires S'affirme ainsi avec de plus en plus de force ce qu'il faut bien appeler le paradigme (44) des complmentaires, et il n'est pas un livre consacr aux couleurs, partir des annes 1850, qui n'y con sacre un chapitre, aussi bien d'ailleurs, le fait vaut d'tre not, du point de vue des thories scientifiques (45) que de la pratique artistique. Il y a en ce sens consensus gnral : la thorie scienti fique des complmentaires additives est accepte par tous les savants, et vient ds lors conforter et lgitimer chez les thoriciens de la peinture le primat des trois primaires et de leur trois complmenta ires.une fois que la jonction aura t opre entre les Et, complmentaires des couleurs accidentelles et les complment aires pigmentaires des peintres, dsormais subsumes sous le concept unitaire de complmentarit, celui-ci se dveloppera en dpit des mises en garde concernant les diffrences entre les deux mlanges. Ainsi, de trs nombreux traits artistiques agrments de planches illustres se dvelopperont pour diffuser cette thorie, et asseoir sa valeur de paradigme. Quel que soit le modle graphique retenu, le but est toujours le mme : faciliter le reprage des couleurs opposes, c'est--dire complmentaires, et insister sur le fait que ces couleurs sont har monieuses, si on les juxtapose, alors qu'elles forment un ton sale et gris lorsqu'on les mlange (46). Ainsi, les couleurs complmentaires, si elles ont fourni un moyen scientifique de comprendre les phnomnes des couleurs acciden(43) Eugne Vron, Esthtique [lre d., 1878], 3e d. (Paris : C. Reinwald, 1890), 272. (44) J'emploie bien videmment ici le terme au sens de Thomas S. Kuhn, La Structure des rvolutions scientifiques [lre d., 1970] (Paris : Flammarion, 1983). (45) Cf. notamment Briicke, op. cit. in n. 35, chap. 5, 36 sq. ; Ogden N. Rood, Thorie scientifique des couleurs [d. orig., 1879], trad. fr. (Paris : G. Baillire, 1881), chap. 11, 136 sq. ; Ch.-E. Guignet, Les Couleurs (Paris : Hachette, 1889), chap. 12, 89 sq. (46) Ce dernier point constitue un des lieux communs les plus frquemment attests dans les manuels, tout au long du xrxe, mais on le trouve dj ds la fin du xvn*, notam mentchez de Piles.

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telles, ont aussi largement contribu modifier le got et la sensibil it couleurs : en moins d'un sicle, la notion d'harmonie chro aux matique se modifie considrablement et durablement, et il semble bien qu'il y ait sur ce point consensus en Europe, du moins en All emagne, en Angleterre et en France, consensus sur la mise en vi dence des trois couples de complmentaires et leur valorisation comme harmonieuses, mme si les raisons allgues sont parfois diffrentes. En Allemagne, Mengs est sans doute le premier exprimer l'ide que les couleurs opposes (les futures complmentaires) peuvent tre juxtaposes en formant un tout harmonieux (47). Certains des dveloppements ultrieurs y sont dj implicitement prsents : Runge reprendra la mise en vidence des harmonies de contrastes que prsentent les trois couples de complmentaires, et Goethe (48) dve loppera l'ide selon laquelle la raison de l'harmonie des couleurs vient d'une tendance de l'il reconstituer une totalit. Ainsi, une couleur isole suscite dans l'il, par une impression spcifique, une activit qui tend reconstituer la totalit. Ds lors, pour percevoir cette totalit, et se satisfaire lui-mme, il [l'il] cherche ct de tout espace color un autre espace qui soit inco lore, afin de produire sur celui-ci la couleur exige. L rside donc la loi fondamentale de toute harmonie des cou leurs (49) . En Angleterre, le comte de Rumford fait uvre de pionnier, non pas, nous l'avons vu, par rapport au concept de complmenta rit, parce qu'il est vraisemblablement le premier associer mais les deux ombres colores (complmentaires additives) l'ide d'har monie, en considrant qu'elles forment entre elles le plus beau contraste qui soit (50). On trouve par ailleurs en Angleterre, ds le dbut du xixe, des rfrences une valorisation des complmen(47) Cf. Lersch, op. cit. in n. 3, 312. (48) Sur les importantes divergences entre eux, cf. John Gage, Runge, Goethe and the Farbenkugel , in Runge : Fragen und Antworten, sous la dir. de H. Hohl (Munich : Prestel, 1979), 61-65. (49) J. W. Goethe, Trait des couleurs [d. orig., 1810], trad, fr., 3e d. revue (Paris : Centre Triades, 1986), 805-807, 265; cf. aussi 60-61, 104-105. Cf. sur ce point Johannes Pawlik, Thorie der Farbe (Cologne : DuMont, 1979), 87 sq. ; sur le rle des complment aires Goethe, cf. Matthaei, op. cit. in n. 19, 78 sq. chez (50) The two colours exhibited by the two shadows appear in all cases to harmonize in the most perfect manner; or, in other words, to afford the most pleasing contrast to the view (Comte de Rumford (. .), Conjectures respecting the principles of the harmony of colours, in Philosophical Papers (Londres, 1802), 334).

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taires (51). Et nombreux seront d'ailleurs les peintres anglais (Benjamin West, Thomas Philips, Charles Hayter) (52) qui recom manderont, galement ds le dbut du xixe, l'usage des compl mentaires juxtaposes afin de mieux harmoniser les couleurs. Il y a en ce sens une longue tradition Outre-Manche, les cercles chro matiques de M. Harris ayant dj eu sur les peintres un gros impact (53). Cette tradition se maintiendra, notamment par le fameux livre de George Field (54), Chromatography ; or a Treatise on Colours and Pigments, and of their Powers in Painting (1835) dont le cercle chromatique superpose aux complmentaires d'autres polarits, dont chaud/froid. Les traits franais contemporains n'ayant jamais, ma connais sance,t tudis, il convient de s'y attarder un peu plus longue ment.Ainsi, par exemple, du Manuel d'optique exprimentale l'usage des peintres et des physiciens (1821) de Charles Bourgeois, dont le titre indique clairement qu'il porte la fois sur les cou leurs pigmentaires des peintres et sur les couleurs prismatiques des physiciens. Cependant, ici encore, dominent les primaires du peintre, les rgles de leur mlange continuant de s'imposer avec force de loi (55). Cela ne signifie cependant pas que l'ouvrage ne concerne que les couleurs matrielles, mais que dominait la loi des primaires indcomposables et engendrant les autres. Mais alors comment concil ier ces couleurs complmentaires avec celles dont s'occupent les physiciens, l'auteur se targuant d'avoir effectu et vrifi lui-mme toutes les expriences qu'il relate? Il s'en sort par une dfinition astucieuse de la complmentarit : les couleurs complmentaires (51) Cf. John Gage, Colour in Turner (Londres : Studio Vista, 1969), note 15, 222-223, et Finley, op. cit. in n. 8, 362. (52) Cf. John Gage, Newton et la peinture, in Dnominateurs communs aux arts et aux sciences, trad. fr. (Saint-Etienne : Univ. de Saint-Etienne (cierec), 1986), 29, et Kemp, op. cit. in n. 4, 299. Notons cependant qu' l'poque il existe aussi une tendance, en Anglet erre, chercher dans l'ordre d'apparition des couleurs de arc-en-ciel des principes d'har monie chromatique; cf. Schweizer, op. cit. in n. 39, 435 sq. (53) Cf. Lersch, op. cit. in n. 3, 310; cf. aussi Kemp, op. cit. in n. 4, 292 sq. (54) Cf. le catalogue de l'exposition George Field and his Circle. From Romanticism to the Pre-Raphaelite Brotherhood, rdig par John Gage (Cambridge : Fitzwilliam Museum, 1989). (55) Parmi les six couleurs auxquelles se rduisent toutes celles qu'offrent l'exprience et les divers corps de la nature, il en est trois principalement, le jaune, le rouge et le bleu, qui ne peuvent tre formes par la combinaison d'aucune autre, et qui, au contraire, tant elles-mmes combines, d'abord par deux, donnent les trois autres couleurs, Y orange, le vert et le violet. (Charles Bourgeois, Manuel d'optique exprimentale l'usage des artistes et des physiciens (Paris : L'auteur, 1821), 13.)

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sont celles qui, tant combines entre elles, donnent des com poss achromatiques parfaits, ostensibles ou latents (56) . Le recours l'ide de composs achromatiques permet en effet de tourner la difficult massive qui vient du fait que le mlange de complmentaires pigmentaires donne en pratique du gris, et le mlange de couleurs-lumire donne du blanc. L'achromatisme, qu'il dfinit comme l'tat apparent de toute lumire directe ou rfl chie qui n'offre aucune sensation de couleur , permet de pallier lgamment cette faille de la thorie, et de prsenter ainsi un tableau des complmentaires valant pour les physiciens comme pour les peintres. L'ouvrage est en effet accompagn de planches, dont une rose chromatique forme par des cercles s 'interpntrant en partie ou en totalit, afin de prsenter les diffrentes combinaisons, par deux et par trois, des trois primaires (57). Nombreuses sont d'ailleurs les formes graphiques adoptes. Gaspard Grgoire dveloppe dans sa Thorie des couleurs une table des couleurs (58) ralise en collaboration avec Mrime, lequel livrera une chelle chromatique dans son Trait de la peinture l'huile de 1830 (59). Ziegler, son tour, perfectionnera la table des couleurs de Grgoire : ce dernier avait retenu pour obtenir les six points ncessaires pour figurer les trois couleurs de base et leurs trois complmentaires, les sommets de deux triangles quilatraux, un grand, et un petit, inscrit dans le grand, et form par la runion de ses trois mdiatrices. Ziegler (60) adoptera pour sa part la forme de deux triangles s'interpntrant pour former une toile six branches (fg. 2) que reprendront notamment (56) Ibid., page 6 de la table des matires, en fin de volume. (57) Ibid., 79 sq. (58) Gaspard Grgoire explique dans sa Thorie des couleurs (Paris, c. 1820) dans la note 1, 60 qu'il avait excut les tableaux chromatiques du peintre et chimiste Mrime, qui ont paru dans les Elments de physiologie vgtale et de botanique de Mirbel (Paris, 1815). Il explique galement qu'il a repris Mrime la nomenclature des couleurs, qui se rduit aux dnominations des trois primaires et des trois secondaires {ibid., 60). (59) J.-F.-L. Mrime, De la peinture l'huile (Paris : Libr. Mme Huzard, 1830), 272. L'chelle chromatique de Mrime est un cercle figurant les trois primaires, et, quidistance, la couleur compose laquelle leur mlange deux par deux donne lieu. Les nuances intermdiaires sont indiques le long de la circonfrence, pour les teintes adjacentes, et par des rayons, pour les couleurs opposes, les six rayons se rejoignant au centre (gris). (60) Jean-Claude Ziegler, Trait de la couleur et de la lumire (Paris : Typogr. Hennuyer, 1852), 16. Sur Ziegler, cf. Thophile Gautier, Portraits contemporains (Paris : Char pentier & Cie, 1874), 271 sq.

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Sutter (61) et Charles Blanc (62). Chevreul, dans son monumental ouvrage, retiendra aussi la forme du cercle, dveloppe en un volume hmisphrique (63). Et de telles reprsentations graphiques (roses, toiles, cercles, etc.) continueront de prolifrer tout au long du xrxe sicle, associant directement l'usage des complmentaires l'ide d'harmonie chromatique. Il est d'ailleurs significatif de noter que complmentarit et harmonie soient parfois prsentes comme synonymes, ainsi chez Sutter : On a nomm couleurs compl mentaires ou opposants harmonieux celles qui, tant runies deux deux, ont la proprit de reconstituer la lumire blanche (64). ne vert \ / V 7 orang

bleu

V"7 violet.

rouge

Fig. 2. D'aprs Jean-Claude Ziegler, Trait de la couleur et de la lumire (Paris, 1852), 16. Il est donc frappant de constater, entre les thories allemandes, anglaises et franaises, une vidente affinit dans la valorisation des complmentaires. Pour le dire trs succinctement, une esth tique mettant en valeur les juxtapositions de tons proches, succde une esthtique mettant en valeur les juxtapositions de couleurs oppos es. Ainsi, les couleurs opposes, parce qu'elles formaient un contraste, taient bannies des combinaisons de l'esthtique clas sique; on les dsignait mme du terme de couleurs ennemies . Or ces mmes couleurs sont dsormais revendiques comme har-

(61) David Sutter, Philosophie des beaux-arts applique la peinture (Paris : Jules Tardieu, 1858), 263. (62) Charles Blanc, Grammaire des arts du dessin [lre d., 1867], nouvelle d. (Paris : Renouard, s. d. [1880]), 544. (63) Michel-Eugne Chevreul, De la loi du contraste simultan des couleurs, ... (Paris : Pitois-Levrault, 1839), atlas. (64) Sutter, op. cit. in n. 61, 260; soulign par Sutter.

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monieuses. Mrime a parfaitement bien exprim ce changement d'attitude : Quelques auteurs, en dveloppant les principes de l'harmonie des couleurs, en ont dsign quelques oppositions, sous le nom de couleurs ennemies : s'ils avaient seulement entendu par l que ces couleurs se dtrui sentpar leur mlange et ne donnent pour rsultat qu'une teinte grise, ils n'auraient fait qu'mettre une observation qui n'a pu chapper au premier qui a fait des mlanges de couleurs; mais ils ont prtendu que de pareilles couleurs ne peuvent se trouver ct l'une de l'autre sans produire une discordance; c'est en quoi ils se sont gravement tromps (65). Pareillement, la valeur des notions d'opposition et de contraste change tout aussi radicalement : les couleurs dont il fallait viter le rapprochement, parce qu'opposes, et blessant la vue , doivent maintenant tre rapproches, prcisment parce qu'opposes (66). Commentant son cercle chromatique, Grgoire crit en effet : Mais lorsque ces deux couleurs opposes sont employes l'une avec l'autre, sans se confondre, comme dans les vtements et ornements de tous genres, elles contrastent d'une manire agrable, et vont trs bien ensemble. Les couleurs qui sont opposes dans la figure circulaire de la premire planche, sont celles qui contrastent le mieux; ainsi, on voit le violet oppos au jaune, le vert au rouge, et l'orang au bleu, il en est de mme des autres couleurs (67). S'il convenait d'y insister, c'est qu'il s'agit d'un phnomne tout fait nouveau, qui, en un sicle peu prs, modifie profon dment et radicalement la faon dont notre culture occidentale pense les couleurs, et qui continue de modeler notre rapport elles. Certes, penser les couleurs par couples d'opposition n'est pas neuf, et on en trouve des exemples ds les temps anciens, ne serait-ce que l'oppo sition noir /blanc. Mais tant que dominait la tradition qu'on conti nuera de nommer par facilit aristotlicienne, les oppositions de couleurs restaient penses sur une sorte d'chelle gradue, dont prcisment le blanc et le noir fournissaient les ples opposs, de sorte que les couleurs n'taient opposes que sur un axe principal, celui de la clart. A tel point que cet axe des clarts a pu fournir (65) (66) souvent (67) Mrime, op. cit. II va de soi qu'il adaptes et qu'ils Grgoire, op. cit. in n. 59, 287. s'agit l de recommandations thoriques que les peintres ont ont parfois ignores. in n. 58, 51.

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un scheme exclusif pour diffrencier les couleurs. (De ce point de vue, les prtendues confusions entre certaines couleurs qu'on a cru relever dans l'Antiquit et au Moyen Age ne sont pas dues quelque insuffisance physiologique dont l'oeil de nos anctres et t affubl, mais la prpondrance d'un modle culturel dans lequel la diff renciation entre couleurs ne se faisait pas partir de critres de teintes, mais de clart (68).) Avec la constitution du paradigme des complmentaires, pr domine, non plus le rapport de voisinage entre tons, mais le rapport transversal, diamtral, des teintes opposes et complmentaires, le diamtre du cercle chromatique permettant de trouver immdiate ment la complmentaire d'une couleur donne. On a tent assez tt (69), dans cette ligne de pense, de rattacher la complmentar it des couleurs accidentelles l'ide * opposition. Symptomatique est galement la modification qui se produit dans l'organisation de la palette des peintres, parce qu'elle reflte exactement le changement de paradigme. Traditionnellement, depuis le xvnc, la palette tait organise selon l'chelle des clarts, en commenant par le blanc, situ le plus prs du pouce, et les cou leurs s'talaient ensuite jusqu'au noir. A partir des annes 1870, bien des artistes adoptrent un arrangement reproduisant la dispos ition du cercle chromatique, puis, vers 1880, la palette des impress ionnistes se rduisit aux trois primaires et deux ou trois des secondaires, plus le blanc (70). Je voudrais, pour terminer, attirer l'attention sur une autre consquence de ce changement profond qu'entrane la constitution de ce nouveau paradigme. Les oppositions entre couleurs, quand elles existaient, taient toujours mdiatises par d'autres opposi tions qui leur donnaient sens. On a sans doute du mal penser (68) Cf. John Gage, Colour in History: Relative and Absolute, Art History, 1/1 (mars 1978), 104 sq. (69) Joseph Plateau expliquera ainsi que les couleurs accidentelles sont dues un tat oppos que prend spontanment la rtine aprs la cessation des impressions directes (J. Plateau, Sur le Phnomne des Couleurs accidentelles, Annales de chimie et de physique, LUI (1833), 387; soulign par l'auteur). Plateau tente ainsi de rduire en une thorie uni taire de l'opposition, l'apparition de couleurs complmentaires caractristique des couleurs accidentelles, mais aussi, entre autres phnomnes, celui de la persistance rtinienne. (70) Cf. Anthea Callen, Les Peintres impressionnistes et leur technique, trad. fr. (Paris : Inter-Livres, 1991), 107-109; sur la palette des impressionnistes, cf. aussi David Bomford et al., Art in the Making: Impressionism (Londres-New Haven : The National Gallery /Yale Univ. Press, 1990), 89-90.

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aujourd'hui que pendant longtemps les couleurs ne pouvaient s'opposer directement en soi, mais que leurs systmes d'opposition taient rgls par un rapport symbolique la nature et au cosmos. Jusqu'au dbut du xixe, les oppositions entre couleurs sont restes tributaires d'une pense de la ressemblance dveloppe au xvie, et impliquant tout un systme de renvois et de similitudes, orga nis par un jeu d'amiti et d'inimiti entre elles, de sympathie et d'antipathie (71). Aussi la qute de complmentaires dans la pense renaissante relve-t-elle de l'anachronisme, dans la mesure o le statut de ce type d'opposition ne peut tre compar celui qui prvaudra partir du dbut du xixe (72). Ainsi, Filarte, dans son Trait d'architecture, notait bien que le rouge forme avec le vert un effet harmonieux, mais ces couleurs restaient encore prises dans un rseau de correspondances le rouge est li au feu, le vert aux fleurs (73). Il en va de mme pour Lonard de Vinci, qui fut l'un des premiers observer que les ombres prsentent une couleur oppose celle de la lumire qui claire l'objet. Mais lorsqu'il crit : Les couleurs qui s'accordent : le vert avec le rouge ou le violac ou le violet, et le jaune avec le bleu (74) , il ne s'agit pas de complmentaires, en dpit des apparences; ces oppos itions n'ont de sens que dans un systme symbolique de renvois et de similitudes qui lie chacune des couleurs un rseau de co rrespondances dont on ne peut les abstraire. Ainsi, dans le mme manuscrit, Lonard indiquait que le jaune [vaut] pour la terre, le vert pour l'eau et le bleu pour l'air et le rouge pour le feu (75) . De sorte que l'opposition vert/rouge trouve son sens dans l'oppo sition eau/feu, et qu' celle jaune/bleu correspond terre/air (76). Quant au pre Castel, s'il propose dans son Optique des couleurs de 1740 (77), un intressant et prcoce cercle chromatique, il relie (71) Sur cette opposition dans Ypistm du xvr* sicle, cf. Foucault, op. cit. in n. 17, 38-40. (72) On est mme all jusqu' chercher chez Aristote l'origine du concept moderne de couleurs complmentaires ! (J. Gavel, Colour: A Study of its Position in the Art Theory of the Quattro- and Cinquecento (Stockholm, 1979), Stockholm Studies in the History of Art , XXXII, 91.) (73) Cf. Kemp, op. cit. in n. 4, 266. (74) Lonard de Vinci, Codex Urbinas (Rome, Vatican), 75v, fragment repris dans La Peinture, trad. fr. et prsent. d'A. Chastel (Paris : Hermann, 1964), 118. (75) Ibid., 117. (76) Cf. Kemp, op. cit. in n. 4, 267-269. (77) Cf. W. Mason, Father Castel and his Color Clavecin, Journal of Aesthetics and Art Criticism, XVII (1958-1959), 103-116.

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cependant toujours les primaires aux lments : bleu/ciel; rouge/feu; jaune/terre (78). Beaucoup d'oppositions entre couleurs dpendaient donc de couples du type arien/terrestre, qu'on retrouve gale ment chez de Piles (79). Et tant que les rapports entre couleurs restaient rgls par des relations de sympathie et anti pathie (80), on tait bien en mal de trouver dans ce tissu de relations des prceptes clairs pour le peintre, de mme qu'il n'tait pas possible d'y trouver une raison , en dehors du jeu des cor respondances et des renvois. De Piles le reconnaissait d'ailleurs clairement : II est difficile de trouver la vritable raison physique pourquoi une couleur est arienne ou terrestre (81). II pouvait bien poser la question, mais pas y rpondre. Or c'est justement ce qui change radicalement avec l'avnement du rgne des compl mentaires : une raison physique est bien donne qui lie inextr icablement les couleurs entre elles, par paires ou couples. Par un renversement significatif, et dont nous subissons encore les consquences, les oppositions de teintes complmentaires s'rigent en oppositions universelles, partir desquelles se modle une nouv elle faon de penser et de sentir. Car dsormais les couleurs se pensent par couples. Hassenfratz avait d'ailleurs parfaitement compris l'importance que revtait ce titre le nouveau concept qu'il proposait : La dnomination de couleurs complmentaires n'a d'autre objet que d'indiquer deux couleurs que l'on rencontre trs frquemment ensemble, et d'viter, par ce moyen simple, la priphrase que leur distinction entra nerait (82). Pour le formuler en d'autres termes, smiologiques (83), il peut tre utile de faire appel l'opposition entre plan de l'expression et plan du contenu, reprise par les smiologues au linguiste (78) Cf. Kemp, op. cit. in n. 4, 288. (79) Roger de Piles, Cours de peinture par principes \\" d., 1708] (Nmes : Ed. Jac queline Chambon, 1990), 154-155. (80) Sur cette opposition dans l'esthtique chromatique franaise au xvne, cf. Bernard Teyssdre, Roger de Piles et les dbats sur le coloris au sicle de Louis XIV (Paris : Biblio thque des arts, 1957), notamment 63-64, 117, 189, 494-496. (81) De Piles, op. cit. in n. 79, 155. (82) Hassenfratz, op. cit. in n. 23, 277; soulign par lui. (83) Pour une approche smiologique de la couleur, cf. Umberto Eco, How Culture Conditions the Colours We See, in M. Blonsky (sous la dir. de), On Signs (Baltimore : Johns Hopkins Univ. Press, 1985), 157-175, et Groupe u, Trait du signe visuel (Paris : Seuil, 1992), 226 sq.

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Hjelmslev (84) : dans les systmes anciens, dont nous venons de donner quelques exemples, le plan de l'expression (le rouge et le vert) ne prend sens que rfr des qualits des couleurs struc tures au plan du contenu, par une srie d'oppositions, qui peuvent bien sr varier suivant les valeurs retenues; ainsi le jaune et le bleu peuvent tre opposs au sein d'un systme terre/ciel, tel que jaune = terre et bleu = ciel, mais ils peuvent tre associs selon un autre systme, dans lequel l'opposition terre/ciel structurerait celle mat/brillant; de ce point de vue, le jaune = soleil et le bleu = ciel seraient, en tant que couleurs brillantes, du mme ct, celui des couleurs ariennes, s 'opposant aux couleurs terrestres et mates. Or la grande nouveaut avec les complmentaires, c'est qu'elles trouvent en elles-mmes leur propre justification : elles sont harmonieuses, en tant que complmentaires, et non en raison d'une srie d'oppositions qui les structureraient au plan du contenu ; elles assortissent donc de faon immanente au plan de l'expression. Par un entrecroisement dont j'ai tent de dnouer quelques-uns des fils, physique et esthtique se conjoignent dans le concept de complmentarit, lequel n'est donc pas un concept physique export par les peintres mais un doublet hybride, tributaire la fois d'une loi physique et d'une harmonie esthtique. Ainsi le jaune et le violet s'opposent dsormais en tant que complmentaires, et pour nulle autre raison, et leur juxtaposition les fait s'exalter l'une l'autre, comme le notait Vron, parmi tant d'autres, dans le paragraphe cit plus haut : ... toutes les fois qu'on juxtapose des couleurs complmentaires, elles s'exaltent rciproquement (85). Si les couples que forment les couleurs complmentaires n'ont plus besoin de l'appui d'un autre couple smantique, qui leur donnerait sens, c'est qu'on apprend les percevoir comme formant un contraste entre elles, et que chacune, prise isolment appelle sa compl mentaire. Tout autant que celle d'opposition, se trouve valorise la notion de contraste, au sens une comparaison d'o rsulte le sentiment d'une diffrence quelconque, grande ou petite (86) . (84) Cf. Louis Hjelmslev, Prolgomnes une thorie du langage (Paris : Ed. de Minuit, 1968), chap. 13 ; pour une rlaboration smiotique, cf. Umberto Eco, Le Signe, trad. fr. (Paris : Le Livre de Poche, 1992), 119 sq. (85) Vron, op. cit. in n. 43, 272. (86) Claude-Antoine Prieur (dit Prieur de la Cte-d'Or), Considrations sur les Coul eurs, et sur plusieurs de leurs apparences singulires, Annales de chimie, LIV (an XIII (1805)), 8.

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Or le fait intressant est qu'on constitue ainsi un systme d'oppos itions smiotiques structurant de faon autonome le plan de l'expression, c'est--dire, dans l'univers visuel, des stimuli visuels (87), et ce d'une manire qui s'imposera assez vite dans les socits occidentales. S'labore donc un systme stable, partir des trois couples de complmentaires, face au relatif arbitraire qui dominait auparavant, et la dpendance dans laquelle se trouvait le plan de l'expression l'gard du plan du contenu. Etant donn, en effet, la fonction discriminatoire que joue la couleur, il tait particulirement utile de pouvoir disposer de couples d'opposition chromatique, surtout si ceux-ci prsentaient la particularit d'une excellente diffrenciation entre eux, prcisment parce qu'ils for maient les couleurs considres les plus contrastantes. Il n'est pas sans intrt d'ajouter que cette structuration des couleurs par couples d'opposs semble bien correspondre galement au fonctionnement de la vision colore au niveau neuronal. C'est en tout cas la red couverte des hypothses de Hering, rivales de celles de Helmholtz, et prenant appui sur trois couples antagonistes (blanc/noir, jaune/bleu, rouge/vert), qui a t le point de dpart d'une avance spectaculaire dans la comprhension actuelle des mcanismes de la vision colore (88). En ce sens, ce seraient des mcanismes d'oppos itions structurales qui rgleraient la vision des couleurs partir des trois couples blanc/noir, jaune/bleu, rouge/vert (89). Considrer les couleurs comme relevant d'oppositions structu rales pourrait surprendre, dans la mesure o elles sont souvent penses comme particulirement rfractaires des mises en oppos ition. Pourtant l'harmonie chromatique pour ne rien dire de systmes trs codifis (90) a toujours fonctionn ainsi ; outre (87) Groupe , op. cit. in n. 83, 46. (88) Cf. Leo M. Hurvich et Dorothea Jameson, An Opponent-Process Theory of Color Vision, Psychological Review, 64/6 (1957), 384-404; depuis cet article pionnier, les deux auteurs ont approfondi leur thorie; pour des donnes plus rcentes, cf. L. M. Hurvich, Opponent-Colours Theory, et D. Jameson, Opponent-Colours Theory in the Light of Physiol ogical Findings, tous deux dans Central and Peripherical Mechanisms of Colour Vision, sous la dir. de D. Ottoson et S. Zeki (Houndmills-Londres : MacMillan Press, 198S), Wenner-Gren Center. International Symposium Series , vol. 43, respectivement 63-82 et 83-102. (89) Cf. aussi Leo M. Hurvich et Dorothea Jameson, Opponent Processes as a Model of Neural Organization, American Psychologist, 29/2 (fvrier 1974), 88-102. (90) Comme les drapeaux et l'hraldique ; cf. les articles ces entres dans le Diction naire couleurs de notre temps de Michel Pastoureau (Paris : Bonneton, 1992), et le des renvoi, en fin de volume, d'autres publications de l'auteur sur ces sujets.

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l'opposition couleurs amies/couleurs ennemies, rappelons celle entre couleurs froides et couleurs chaudes. L'organisation des compl mentaires en couples d'opposition rend ds lors possible une gram maire des couleurs, sur laquelle viendront se greffer diverses symboliques, ce que la distinction entre systme et code permet de rendre plus manifeste. Le systme concerne les relations d'oppos itionentre lments d'un mme plan, alors que le code tablit des quivalences smantiques entre des lments d'un systme de l'expression et d'un systme du contenu (91). Cette distinction aide en effet comprendre la porte du changement qu'introduisent les complmentaires. Pour la peinture, bien sr, puisque la seule juxtaposition de complmentaires tendra signifier une tension, un contraste, avant mme la valeur (symbolique) attache aux cou leurs en prsence. La possibilit de structurer ainsi de purs rap ports de couleurs, indpendamment du systme de signifis qui peut leur tre attach, constitue un formidable moteur, un ind niable outil dans la mise en place, petit petit, de ce qui allait devenir l'abstraction (92). Mais, indpendamment de la peinture, la structuration du plan de l'expression en systme, qu'oprent les complmentaires, a gran dement favoris son couplage sous forme de code avec l'univers smantique. A cet gard, l'un des trois couples de complmenta ires, l'opposition rouge/vert, connatra un dveloppement excep tionnel, lorsque s'y greffera le couple smantique interdiction/ permission. L'mergence du paradigme des complmentaires est en effet contemporaine de l'tablissement des rgles pour la circu lation maritime, ferroviaire, puis routire. Il est d'ailleurs ton nant de constater que l'opposition rouge/vert s'est maintenue comme code de la signalisation maritime et ferroviaire, en dpit de mises en garde lances par quelques mdecins aviss, et de statistiques alarmantes sur le nombre de collisions de bateaux vraisemblable ment fait que des marins daltoniens n'taient pas mme dues au de dchiffrer ces signaux colors (93). De nos jours, l'opposition (91) Cf. Eco, op. cit. in n. 84, 110-111. (92) Je tente de le montrer dans un ouvrage paratre. (93) Le premier qui ait attir l'attention sur ces questions est George Wilson, Resear ches Colour-Blindness with a Supplement on the Danger Attending the Present System on of Railway and Marine Signals (Edinburgh : Sutherland & Knox, 1855); la question sera reprise en France par le docteur A. Fabre, Rforme des employs de chemin defer affects de daltonisme (Lyon : Impr. d'A. Vingtrinier, 1873); je remercie Philippe Fagot de m'avoir signal ces deux rfrences.

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rouge/vert s'est gnralise, partir de la prolifration des feux routiers, de sorte que trs nombreux sont les codes chromatiques qui, dans notre vie quotidienne, fonctionnent sur cette opposition, constituant ainsi une forme de pense visuelle, utile mais contrai gnante, qui rgle nos conduites (94).

(94) Sur l'opposition rouge/vert s'est aussi greff un sens politique; quelques-uns de ces points sont dvelopps dans un essai paratre, en collaboration avec Claude Gudin.

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Editor Margaret W. Rossiter Cornell University Associate Editors Peter Dear John Neu Managing Editor Jon M. Harkness Journal of The History of Science Society the annual Current Published quarterly; Bibliography issue concludes each volume