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LES ALLEMANDS EN FRANCE

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Lucien Steinberg

LES ALLEMANDS EN FRANCE

1940-1944

En collaboration avec

Jean-Marie Fitère

Albin Michel

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Collection dirigée par Philippe Bourdrel

© Éditions Albin Michel, 1980 22, rue Huyghens, 75014 Paris

I S B N 2-226-01006-8

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1.

L'Occupation, vue d'en face

Au mois de septembre 1943, la Wehrmacht, l'armée allemande, achevait d'occuper le territoire français en investissant les zones précédemment réservées aux forces italiennes à l'est du Rhône et en Corse.

Ainsi, pour la première fois, la totalité de la France se trouvait soumise au contrôle d'une seule puissance étrangère. Cette extraor- dinaire situation ne s'était pas présentée lors de la Première Guerre mondiale. Elle ne s'était pas présentée non plus en 1871. Ni en 1815. Ni auparavant, au cours des multiples défaites qui avaient marqué la constitution de la République, de l'Empire ou de la monarchie française. Cet extraordinaire événement ne s'était rigoureusement jamais produit tout au long de l'histoire de France.

Ce fait sans précédent apparaît d'autant plus exceptionnel que l'occupation du pays, même si elle ne s'était effectuée que par étapes, avait été extrêmement rapide : moins d'un an s'était écoulé depuis que, le 11 novembre 1942, Italiens et Allemands s'étaient partagé l'ensemble du territoire ; moins de trois ans et trois mois avaient passé depuis que le maréchal Pétain, en proclamant l'armistice, avait entériné l'invasion des premiers trois cinquièmes de l'étendue nationale, devenus « zone occupée » ; moins de trente-neuf mois, depuis que, le 14 juin 1940, la Wehrmacht était entrée dans Paris, précipitamment abandonné par le gouvernement français, l'essentiel des autorités nationales et les trois quarts de sa population ; moins de quarante mois, depuis que les armées ennemies avaient déferlé à travers les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg ; quatre ans à peine depuis le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale.

L'invasion, il est vrai, devait se retirer aussi vite qu'elle était venue : moins d'un an après son occupation intégrale, la France

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devait se trouver libérée, y compris sa capitale, par les efforts conjugués de son peuple et de ses alliés ; moins d'une autre année plus tard, elle devait en retour compter au nombre des quatre grandes puissances qui avaient occupé l'Allemagne et obtenu sa capitulation sans condition.

Les séquelles de ce fantastique chassé-croisé de l'histoire devaient apparemment se dissiper à la même allure. Aujourd'hui, au terme d'à peine un demi-siècle d'une paix également sans précédent, la France et l'Allemagne fédéra le semblent liées par une nouvelle « Entente cordiale » : chacune des deux nations est

devenue la meilleure cliente de l'autre et plus de 2500 mariages entre leurs ressortissants se célèbrent chaque année. L' « ennemi héréditaire d'outre-Rhin » semble relégué dans le même magasin des haines éteintes et des sentiments périmés que « la perfide Albion ».

Pourtant, nous restons convaincus que le choc ressenti entre 1940 et 1943, s'il est effacé de la mémoire quotidienne de millions de Français dont la majorité ne l'ont même pas vécu, se trouve profondément gravé dans l'inconscient collectif de notre peuple. Il se traduit simplement par des voies plus modernes, par exemple un certain « complexe d'infériorité » de nos travailleurs et de notre économie devant la discipline et le sens de l'organisation alle- mands. Il se manifeste également par le très grand nombre d'études, de documents et de témoignages — souvent de très grande qualité — qui continuent à se publier chaque année sur ce sujet.

Notre propos n'est nullement d'ajouter une simple pierre supplé- mentaire à cette pyramide de livres. Tout ou presque tout a été dit et généralement bien dit non seulement sur l'Occupation mais sur la Résistance et sur la Collaboration vues du côté français. En revanche, par la conjugaison du dépit des occupés et de la pudeur des occupants, rien ou presque rien n'a été écrit sur ces mêmes événements tels qu'ils ont été vécus par les gens de l'autre bord, tels qu'ils ont été « vus d'en face ».

De 1940 à 1945, des millions d'Allemands ont séjourné en France pour des motifs qui n'avaient rien à voir avec le tourisme. Qu'ont- ils vu, eux ? comment ont-ils vécu cette période ? quelle image en ont-ils gardée d'une France vaincue ?

C'est à ces toutes nouvelles questions que le présent livre va s'efforcer de répondre, pour apporter une contribution originale à

1. La R.D.A. constitue un problème à part.

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u n e p h a s e c ruc ia l e d e n o t r e h i s to i r e . Il t e n t e r a d e le fa i re e n

s ' a p p u y a n t s u r d e s t é m o i g n a g e s e t d e s d o c u m e n t s i n é d i t s o u j a m a i s c o l l a t i o n n é s d a n s u n e te l le p e r s p e c t i v e . C ' e s t d i r e qu ' i l s e r a

c o n t r a i n t à b e a u c o u p d e l a c u n e s , à q u e l q u e s r é p é t i t i o n s e t à u n e

e x t r ê m e p r u d e n c e , c a r les t é m o i n s e t les a r c h i v e s n o n s e u l e m e n t

son t r a r e s m a i s s o u v e n t s u j e t s à c a u t i o n .

Q u e l q u e soi t le r é s u l t a t , d o n t n o s l e c t e u r s s e r o n t seu ls j u g e s ,

n o u s t e n o n s e n t o u t cas à a f f i r m e r q u e n o u s n o u s l a n ç o n s d a n s c e t t e

é n o r m e e n t r e p r i s e a v e c b o n n e foi e t h o n n ê t e t é . L ' a u t e u r se f la t te

d ' a v o i r c o m p t é , d a n s la p é r i o d e c o n s i d é r é e , p a r m i les e n n e m i s

r é s o l u s d u I I I R e i c h . L e p r é s e n t t r ava i l s e r a c e p e n d a n t a c c o m p l i

s ans h a i n e e t s ans c r a i n t e , s i n o n sans s y m p a t h i e s et a n t i p a t h i e s ,

avec u n r e s p e c t d e s fa i t s , d e s g e n s , d e s p r o p o s et d e s t e x t e s qui

n ' i m p l i q u e r a j a m a i s a u c u n e a d h é s i o n i d é o l o g i q u e . A v e c le s c r u p u l e

e t le r e g a r d d e l ' h i s t o r i en .

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2 .

La France, qu'est-ce que c'est ?

Dans un système aussi strictement hiérarchisé que le nazisme, toutes les décisions appartiennent, en premier comme en dernier ressort, au seul chef suprême, le « Führer ». Les conditions de l'occupation de la France par les forces allemandes devaient donc en bonne logique dépendre avant tout des intentions personnelles d'Adolf Hitler. Et ce sont ces dernières qu'il importe par consé- quent de commencer par reconstituer à travers ses expériences, ses déclarations et ses écrits.

Assez curieusement, notre pays n'occupe qu'une place très modeste dans les textes du fondateur du nazisme. L'index analyti- que joint à l'édition originale de son œuvre maîtresse, le célèbre Mein Kampf, ne comporte que sept lignes à son nom, soit une de plus que pour l'Italie, mais une de moins que pour la Russie et deux de moins que pour l'Angleterre. A titre de référence, signalons que la seule « question juive » n'occupe pas moins de trente-neuf lignes de la même liste.

Sur le fond, il n'y est fait allusion à « l'anéantissement » de la France qu'au détour d'une phrase.

L'Expansion du I I I Reich, son second ouvrage, rédigé vers 1928 mais demeuré inédit jusqu'en 1961 et traduit aux Editions Plon en 1963, est à peine plus explicite. Hitler se bornait à y noter : « Au cours des trois cents dernières années précédant 1870, l'Allemagne a été attaquée vingt-neuf fois par la France. » Il en avait déjà déduit, un certain nombre de pages auparavant : « La France cherchera toujours à nous nuire et à diviser notre peuple. »

Le caractère sommaire de ces grands poncifs peut surprendre, dans la mesure où notre pays était l'un des rares où le Führer avait séjourné avant son accession au pouvoir. Mais c'était pendant la Première Guerre mondiale, dans les rangs de l'armée allemande

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qui ne lui avait guère révélé que le fond des tranchées. Il n'est donc pas réellement étonnant qu'il n'ait rapporté de cette expérience que la conviction selon laquelle il serait indispensable d'écraser la France avant de réaliser ses grands projets d'extension vers l'est.

Encore cette conception stratégique ne semblait-elle accorder aucune urgence particulière à la défaite de notre pays. On s'en est aperçu dès le 12 janvier 1923, au lendemain de l'occupation de la Ruhr par les troupes françaises et belges, par sa réponse aux appels du premier ministre allemand Wilhelm Cuno en faveur d'une « union sacrée ». Devant les auditeurs rassemblés à la brasserie

munichoise du Bürgerbräukeller, le jeune politicien bavarois qu'il était à l'époque s'était écrié :

« Ce n'est pas " A bas la France ! " qu'il faut crier, mais " A bas les traîtres de novembre ! " »

Il se bornait à dénoncer ainsi les responsables de la capitulation de 1918, mais son attitude fut souvent interprétée comme un signe de sympathie à l'égard de notre pays. Des Français, comme la comtesse Marie-Gabrielle Reventlow, née d'Allemont, ou l'horlo- ger Emile Maurice, comptaient parmi ses tout premiers partisans. Cela contribua à répandre la rumeur qu'il était en fait « manipulé » par les services spéciaux français, prétention qui n'est plus acceptée par aucun historien sérieux.

Il devait d'ailleurs s'en expliquer clairement dans son second livre : « Les groupes nationalistes ne comprenaient pas que je ne voulais pas limiter l'essentiel de notre activité nationale à lancer des protestations vers le ciel devant la Feldherrenhalle de Munich ou en tout autre lieu, soit contre Paris, soit contre Londres ou encore contre Rome ; j'entendais éliminer au préalable, à l'intérieur même de l'Allemagne, les responsables de son effondrement. Une manifestation de protestation enflammée contre le " diktat " de Versailles ayant eu lieu à Munich, ce qui aura certainement donné peu de souci à M. Clemenceau, je décidai de mettre en lumière notre opposition national-socialiste face à ce type de protestation. La France n'avait fait que ce que chaque Allemand aurait pu et dû prévoir. Si j'avais été moi-même français, j'aurais été aux côtés de Clemenceau. »

Son orientation politique ne prête donc à aucune équivoque : il ne donnait raison à une France interventionniste que pour mieux fustiger une Allemagne prête à céder ; il ne respectait la lourde patte et la dent dure du « Tigre » que pour mieux dénoncer le parlementarisme démocrate de Clemenceau. Il ne devait jamais manifester aucune estime à aucun des successeurs de celui-ci — et

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surtout pas à ceux qui allaient se lancer dans la collaboration. Il englobait dans un même souverain mépris les politiciens, les généraux et ce qu'il appelait « l'armée noire » des soldats de couleur servant dans les rangs français.

En somme, c'était sans passion aucune qu'il tenait l'affrontement avec « l'ennemi héréditaire » pour inévitable à échéance. Il consi- dérait les Français sans plus de sympathie que de haine. Mais avec encore moins de crainte, comme il allait le prouver tout au long des étapes de son agressive tactique diplomatique et militaire : lors de l'occupation de la Rhénanie, en mars 1936 ; lors du soutien aux insurgés d'Espagne, en juillet suivant ; lors de l' « Anschluss » de l'Autriche, en mars 1938 ; lors de l'invasion de ce qui restait de la Tchécoslovaquie, un an plus tard, puis de la Pologne, à aucun moment il n'accepta de croire que les Français réagiraient.

Force est bien de constater qu'il avait vu juste. Et que la conquête de la France elle-même ne lui vaudrait guère plus de résistance.

Mais, à partir de là, ses plans les plus importants ayant abouti, les perspectives devenaient moins claires. Hitler n'avait probablement pas envisagé d'anéantir réellement la France, comme la Pologne ou la Russie ; mais il n'avait pas davantage l'intention de s'en faire une alliée, comme il venait de le réussir avec l'Italie et rêvait de l'obtenir de l'Angleterre.

L'incertitude pesant à ce sujet se traduit pleinement à travers un rapport envoyé en septembre 1940 par le « Kommandostab » de l'administration militaire, commandé par le lieutenant-colonel Hans Speidel : ce document demandait si la France et son empire colonial « devaient être intégrés dans la nouvelle structuration de l'espace européen ou s'ils devaient être totalement écrasés. Tous les problèmes politiques, militaires, économiques et psychologiques et, parmi ceux-ci, le problème de la sécurité, de la pacification et de l'administration de la France dépendent de cette décision. Le maintien de l'incertitude politique interdit toute action claire et définie ».

A notre connaissance, cette question ne reçut jamais de réponse nette et précise. Les préposés à cette tâche sans précédent restèrent réduits à gouverner la France au jour le jour et au gré des événements ou de l'inspiration, dans l'ignorance d'une doctrine que, selon le général Walter Warlimont, « le Führer gardait secrète ». Pour éclairer le contenu de son silence, on ne peut se référer qu'à une boutade énoncée en présence de l'amiral Raeder :

« Il y a trois catégories de secrets, lui expliquait Hitler : la

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première, ce sont les choses secrètes dont je ne m'entretiens qu'avec vous, entre quatre yeux; la deuxième, ce sont les choses encore plus secrètes que je garde pour moi seul; la troisième, ce sont les choses auxquelles je n'ai pas encore eu le temps de réfléchir... »

Le sort de la France faisait apparemment partie de ces dernières « choses », d'autant plus secrètes que le Führer n'y avait pas encore pensé...

Mais cela ne signifie pas tout à fait que sa pensée ne s'y appliquerait pas indirectement dans le cadre de l'ensemble de ses vues géopolitiques et philosophiques. Il existe en effet un passage de Mein Kampf dans lequel le destin de la France semble tout tracé à l'avance. Hitler y écrivait en effet :

« Autant que possible, c'est seulement par tranches que le vainqueur intelligent imposera ses exigences au vaincu. Chez un peuple ayant perdu son caractère — ce qui est toujours le cas pour un peuple qui s'incline — il peut compter que celui-ci ne trouvera plus de ressort pour se redresser et reprendre les armes lors de la formulation de chacune de ses revendications partielles. Plus il cède volontiers au chantage, moins l'être humain se sent apte à réagir devant une exigence nouvelle, apparemment limitée mais en réalité répétitive. Surtout lorsque, tout compte fait, il a déjà accepté de subir en silence des épreuves bien plus t e r r i b l e s »

N'est-ce pas là très exactement la description de la tactique qui va conduire par étapes successives la France aux plus basses capitula- tions? Ce n'est pourtant pas d'elle qu'il s'agissait, mais de... l'Allemagne de 1918 !

Les hommes de Vichy n'avaient pas lu Mein Kampf ou, du moins, n'y avaient pas réfléchi. Les résistants, en revanche, même s'ils ignoraient ce texte, n'ont pas réagi de la manière prévue par Hitler. On pourrait objecter que cette pensée d'Hitler n'a rien d'original, qu'il s'agit là d'une vérité première, de l'œuf de Colomb en quelque sorte.

Rendons-lui la parole : « [Le monde] passe souvent à côté des vérités premières, comme

s'il était aveugle. Il est surpris au plus haut point lorsque quelqu'un découvre quelque chose qui devrait être connu de tous. Les œufs de Colomb gisent alentour, par centaines de milliers, mais les Colomb sont beaucoup plus r a r e s »

1. Mein Kampf, p. 759. 2. Ibid, p. 311.

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U n o r d r e d e se rv ice s igné p a r l ' a i d e d e c a m p d ' H i t l e r , le g é n é r a l

S c h m u n d t , e n avri l 1942, in t i tu lé In t e rven t ion d e r ep ré sen t an t s d u

R e i c h a l l e m a n d d a n s la vie pr ivée d u peup le f r a n ç a i s e t d i f fusé d a n s

t o u s les se rv ices mi l i t a i r e s c o n c e r n é s , n o u s a m è n e à p e n s e r q u e le

F ü h r e r é t a i t lo in d ' i g n o r e r les r éa l i t é s d u p a y s o c c u p é :

« L e F ü h r e r a é t é i n f o r m é le 30 m a r s p a r le c h e f d e la p r e s s e d u

R e i c h q u e l ' a m b a s s a d e d ' A l l e m a g n e à P a r i s p u b l i a i t u n m a g a z i n e

in t i tu lé P a r i s toujours , d i f fusé à 6 0 0 0 e x e m p l a i r e s e n v i r o n , a f f i r m e

le d o c u m e n t . C e m a g a z i n e , s e l o n l 'avis d u F ü h r e r , es t p u b l i é s e l o n

u n e c o n c e p t i o n p a r f a i t e m e n t é t r a n g è r e à la m e n t a l i t é f r a n ç a i s e . L e

F ü h r e r e s t d ' av i s q u e les F r a n ç a i s e n f o n t d e s g o r g e s c h a u d e s , ce qu i

p o r t e p r é j u d i c e à n o t r e p r e s t i g e , e t q u e les A l l e m a n d s n e le l i sen t

pa s , c a r il m a n q u e d ' e s p r i t e t d ' a t t r a i t . A u s s i le F ü h r e r c o n s i d è r e -

t-il c e t t e i n g é r e n c e d a n s la vie p r i v é e d e s F r a n ç a i s c o m m e u n e

t e n t a t i v e d ' é d u c a t i o n d é p l a c é e .

« L e F ü h r e r s o u l i g n e q u e t o u t e p u b l i c a t i o n qu i n o u s es t o p p o s é e

d o i t ê t r e c o m b a t t u e e t i n t e r d i t e . Il j u g e é g a l e m e n t qu ' i l s e ra i t

é v e n t u e l l e m e n t jus t i f ié q u e le R e i c h a l l e m a n d f igu re c o m m e

p r o p r i é t a i r e d e j o u r n a u x p o l i t i q u e s s é r i eux . L e F ü h r e r j u g e t o u t e -

fois r a d i c a l e m e n t f a u x q u e d e s r e p r é s e n t a n t s d e la s o u v e r a i n e t é

a l l e m a n d e s ' i m m i s c e n t d a n s la vie d u p e u p l e f r ança i s , s o u s la f o r m e

d ' " a p ô t r e s m o r a l i s a t e u r s " e t i n f l u e n t s u r la l i t t é r a t u r e g a l a n t e , si

c o u r a n t e e n F r a n c e . L e F ü h r e r t i re la c o n c l u s i o n q u e n o u s n e

p o u v o n s q u ' é c h o u e r d a n s ce d o m a i n e , c a r n o u s n e s o m m e s n u l l e m e n t e n m e s u r e d e n o u s m e t t r e a u n i v e a u d e la m e n t a l i t é

f r a n ç a i s e , qu i s ' e s t f o r m é e d e c e t t e f a ç o n d e p u i s d e s siècles. L e

F ü h r e r a d o n c i n t e r d i t a u x a u t o r i t é s mi l i t a i r e s d ' o c c u p a t i o n d ' i n t e r -

v e n i r d e q u e l q u e f a ç o n q u e ce soi t d a n s ce d o m a i n e , t a n t qu ' i l n ' e s t

p a s c o n s t a t é q u e le p e u p l e a l l e m a n d es t t o u r n é e n d é r i s i o n o u insu l t é .

« A p r o p o s et à p a r t i r d e c e t t e a f f a i r e , le F ü h r e r a é g a l e m e n t fai t

c o n n a î t r e s o n avis a u s u j e t d e l ' i n f l u e n c e e x e r c é e ( p a r les se rv ices a l l e m a n d s ) s u r les r e s t a u r a n t s e t les b o î t e s d e nu i t , c o n c e r n a n t les

c h o s e s s exue l l e s qu i y s o n t o f f e r t e s L à auss i , le F ü h r e r i n t e r d i t

e x p l i c i t e m e n t q u e soi t e x e r c é e la m o i n d r e i n f l u e n c e s u r les s p e c t a -

cles o f f e r t s o u s u r la g e s t i o n d e s e n t r e p r i s e s e n q u e s t i o n , a u n o m

d ' u n p r é t e n d u d e v o i r m o r a l q u ' i m p o s e r a i t le p o i n t d e v u e al le-

m a n d . L à auss i , il f au t la i sser a u p e u p l e f r ança i s ce d o n t il s o u h a i t e

j ou i r . B i e n a u c o n t r a i r e , il f a u t se fé l ic i te r q u e le p e u p l e f r ança i s ,

1. « Die dort gebotene sexuellen Dinge »...

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qui subit suffisamment le fardeau de l'Occupation, puisse trouver son plaisir dans ce domaine, sans en être gêné.

« Si l'on considère que certains spectacles sont inadmissibles pour le soldat allemand, il faudra en interdire l'accès et appliquer strictement l'interdiction — mais l'appliquer alors à tous les grades, depuis le grenadier, jusques et y compris le général. Il est interdit, en revanche, de gêner dans ce domaine le peuple français, si peu que ce soit. »

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PREMIÈRE PARTIE

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3 .

Un dépeçage improvisé

« Dans les régions occupées de la France, le Reich allemand exerce toutes les prérogatives de puissance occupante. Le gouvernement français s'engage à faciliter par tous les moyens les réglementations relatives à l'exercice de ces prérogatives ainsi que la mise en application desdites réglementations avec le concours de l'adminis- tration française. Le gouvernement français invitera immédiate- ment toutes les autorités et tous les services administratifs du

territoire occupé à se conformer aux prescriptions des autorités allemandes et à collaborer avec ces dernières d'une manière correcte. »

Dès la fin de ce premier paragraphe de l'article 3 de la convention d'armistice fait son apparition le célèbre terme de « collaboration » qui devait faire couler plus de sang encore que d'encre. Car, si le Führer n'avait conçu aucun dessein précis pour un pays dont il n'espérait pas une chute si rapide, il lui avait bien fallu improviser sous la pression des circonstances l'esprit d'un régime de relations avec les vaincus. Ce régime, qui allait donner naissance à l'Etat français collaborateur, était obligé de définir le statut de celui-ci, qui devait prendre effet dès le 25 juin.

Dans le contexte de la débâcle militaire française, cette sorte de charte prenait toutes les allures d'un pur et simple « diktat ».

Elle prévoyait un désarmement général de la France et la remise de l'essentiel de son armement aux vainqueurs, à l'exception des équipements strictement indispensables au maintien d'une armée, dite « d'armistice », chargée du maintien de l'ordre public et dont les effectifs seraient limités à 100000 hommes. Désarmée elle aussi, sous le contrôle de l'Allemagne et de l'Italie, la flotte de guerre

1. Signée à Rethondes, le 22 juin 1940.

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nationale ne serait pas livrée sur le moment mais rassemblée « dans des ports à déterminer » où elle se trouverait placée en liberté surveillée.

Le gouvernement français s'engageait de toute façon, par ailleurs, à ne plus entreprendre aucune action hostile à l'encontre du Reich, à interdire à tous ses ressortissants de s'associer à une telle action, voire à empêcher ses militaires de quitter le territoire du pays, au risque de s'y rallier. L'article 10 stipulait expressément que les citoyens français qui poursuivraient néanmoins la lutte seraient « traités par les troupes allemandes comme des francs- tireurs », et donc privés de tout recours juridique normal.

Il était en outre spécifié que non seulement la France assumerait les frais de stationnement des troupes allemandes chargées de l'occuper, mais que les prisonniers de guerre français demeure- raient en captivité jusqu'à nouvel ordre. En revanche, l'article 19 imposait la mise en liberté immédiate de tous les prisonniers de guerre allemands capturés par les Français ; bien plus, il prévoyait la remise aux autorités allemandes de tous les prévenus et condamnés de leur nationalité — même civils — arrêtés ou condamnés pour des actes commis en faveur du Reich ; il envisa- geait même la restitution « sur demande (...) de tous les ressortis- sants allemands désignés par le gouvernement du Reich et qui se trouveraient en France, dans les possessions françaises, les colo- nies, les territoires sous protectorat ou sous mandat ».

Mais l'essentiel de cette convention concerne la détermination des territoires occupés. Ils devaient couvrir schématiquement 60 % de la superficie nationale, s'étendant sur la moitié nord du pays et la côte atlantique jusqu'à la frontière espagnole. La fameuse « ligne de démarcation » irait ainsi du sud-ouest de Genève, en incluant Bellegarde, Dole, Chalon-sur-Saône, Moulins et Vierzon, jusqu'à suivre la voie ferrée Tours-Bordeaux, pour franchir la Garonne à Langon, puis, par Mont-de-Marsan, rejoindre les Pyrénées à A r n é g u y

On peut à juste titre s'interroger sur les mobiles réels qui ont conféré ce tracé sinueux aux futures « zone 0 » et « zone Nono ». Seule, l'inclusion de la partie occidentale se justifie clairement par des considérations d'ordre stratégique : il s'agissait bien évidem- ment de ménager une liaison directe avec l'Espagne dont les positions étaient jugées favorables au Troisième Reich tout en garantissant la totalité des côtes contre d'éventuelles incursions

1. Toutes les villes, ainsi que le chemin de fer, étaient en zone occupée.

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b r i t a n n i q u e s ; la r o u t e n a t i o n a l e 10 e t la vo ie f e r r é e qu i lui es t

s e n s i b l e m e n t p a r a l l è l e d e v e n a i e n t d a n s c e t t e p e r s p e c t i v e d e vé r i t a -

b le s a x e s s t r a t é g i q u e s .

D a n s la p a r t i e c e n t r a l e d e la F r a n c e , a u c u n i m p é r a t i f mi l i t a i r e ni

m ê m e é c o n o m i q u e s é r i e u x n e s e m b l e e n t r é e n c o m p t e . Si le c e n t r e

s i d é r u r g i q u e d u C r e u s o t r e s t a i t inves t i , L y o n al la i t ê t r e r e s t i t u é à l ' E t a t f r ança i s e t les c o l o n n e s a l l e m a n d e s s e r a i e n t r e p l i é e s d a n s la

p l u p a r t d e s cas assez lo in e n a r r i è r e d e s p o s i t i o n s q u ' e l l e s a v a i e n t

c o n q u i s e s . A l ' es t , le m a i n t i e n d ' u n e vo ie d e c o m m u n i c a t i o n d i r e c t e

e n t r e la F r a n c e n o n o c c u p é e e t la Su isse a p p a r u t m ê m e r a p i d e m e n t

c o m m e u n e g r a v e e r r e u r s t r a t é g i q u e , q u e les A l l e m a n d s s ' e m p l o y è -

r e n t e n v a i n à c o m p e n s e r e n s a b o t a n t la l igne f e r r o v i a i r e c o r r e s p o n -

d a n t e . A u s u d , il ava i t p r o b a b l e m e n t é t é p r é v u d e la i sser les

I t a l i ens s ' a s s u r e r d e la H a u t e - S a v o i e m a i s les r e v e r s qu ' i l s a v a i e n t

e s suyés d a n s les A l p e s i n c i t è r e n t s ans d o u t e H i t l e r à e n fa i re la

c o n c e s s i o n p e u c o û t e u s e p o u r lui a u n o u v e a u g o u v e r n e m e n t

f r ança i s .

A l ' i n t é r i e u r m ê m e d e la z o n e o c c u p é e , le d é c o u p a g e al la i t se

r é a l i s e r d e m a n i è r e t o u t auss i i m p r o v i s é e . Il r é s u l t a a u t a n t d e s

h a s a r d s e t d e la p e r s o n n a l i t é d e s h o m m e s q u e d e la s t r u c t u r e d e s

o r g a n i s a t i o n s . S e l o n la m a n i è r e d o n t o n l ' a p p r o c h e , il f au t y

d i s t i n g u e r a u m o i n s d e u x e t j u s q u ' à s e p t r é g i o n s r e l e v a n t d e s t a t u t s s e n s i b l e m e n t d i f f é r e n t s .

N o u s a u r o n s à r e v e n i r s u r le cas p a r t i c u l i e r d e l ' A l s a c e - L o r r a i n e

( o u , p lus p r é c i s é m e n t , d u d é p a r t e m e n t d e la M o s e l l e ) qu i , s a n s ê t r e f o r m e l l e m e n t a n n e x é e , fu t d i r e c t e m e n t s o u m i s e à l ' a d m i n i s t r a t i o n

civile a l l e m a n d e . N o t o n s q u ' u n p lus l a rge s e c t e u r c o n t i g u , s ' é t e n - d a n t d e la L o r r a i n e et d e s A r d e n n e s à la P i c a r d i e e t à la F r a n c h e -

C o m t é , c o n n u t u n r é g i m e spéc ia l s o u s l ' a p p e l l a t i o n d e « z o n e i n t e r d i t e ». A l ' a u t r e e x t r é m i t é d u t e r r i t o i r e , l ' e n s e m b l e d u l i t to ra l

(y c o m p r i s les îles a n g l o - n o r m a n d e s o c c u p é e s e n ju i l l e t 1940) , r e s t a

le p lu s s o u v e n t s o u s la t u t e l l e d i r e c t e d e s u n i t é s mi l i t a i r e s c h a r g é e s d e le surve i l le r .

L a d i s t r i b u t i o n d u r e s t e , d u c œ u r m ê m e d e la z o n e o c c u p é e , e n

t ro i s r é g i o n s d i f f é r e n t e s n e fu t q u e le re f l e t a c c i d e n t e l d e la r é p a r t i t i o n d e s a r m é e s a l l e m a n d e s . C o m m e t o u t e f o r c e a n i m é e

d ' i n t e n t i o n s ag ress ives — e t à l ' i n s t a r d e ce qu i s ' o b s e r v e r a i t a u m o m e n t d u d é b a r q u e m e n t d e s t r o u p e s a l l iées — cel les-ci a v a i e n t n a t u r e l l e m e n t p r é v u la c o n s t i t u t i o n d ' a d m i n i s t r a t i o n s mi l i t a i r e s d e s t e r r i t o i r e s , b i e n a v a n t le d é c l e n c h e m e n t d u conf l i t .

L ' i d é e g é n é r a l e é t a i t d e s u b o r d o n n e r les a u t o r i t é s civiles à

l ' a u t o r i t é mi l i t a i r e , l aque l l e se v e r r a i t c o n f é r e r Je p o u v o i r e x é c u t i f

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(vollziehende Gewalt). Le quartier-maître général de l'état-major de l'armée de terre (O.K.H.), à l'époque le général Eduard W a g n e r en avait la charge. Il était prévu de nommer, au côté du commandant militaire, un chef de l'administration civile.

Le corps des fonctionnaires de l'administration militaire fut recruté parmi les fonctionnaires des divers ministères et administra- tions du Reich, à tous les échelons. Ils recevaient des grades dans l'administration militaire correspondant à ceux de leurs fonctions civiles. Ils furent revêtus d'un uniforme assez fantaisiste, avec beaucoup de dorures et de brandebourgs, tant et si bien que la population allemande ne tarda pas à les surnommer les « faisans dorés » (Goldfasanen). Ils avaient un statut ressemblant à celui des affectés spéciaux et relevaient de la justice militaire. A la tête de l'administration militaire était un « Militärbefehlshaber » (M.B.), personnage ayant statut à la fois de gouverneur militaire et de commandant des troupes d'occupation. En règle générale, mais pas toujours, ils avaient rang de général d'armée. Le M.B., en raison de la dualité de ses tâches, était doté d'un double état-major : l'un, dit de commandement (Kommandostab) pour les tâches purement militaires, l'autre, administratif (Verwaltungsstab) pour l'adminis- tration du territoire occupé. Aux niveaux régional et local on avait prévu, par ordre décroissant, des Oberfeldkommandantur (O.F.K.), des Feldkommandantur (F.K.) et des Kreiskommandan- tur (K.K.). Lors de la préparation de l'offensive à l'Ouest, deux administrations étaient prévues : la première, rattachée au groupe d'armées A, devait prendre en charge les Pays-Bas; l'autre, rattachée au groupe d'armées B, devait administrer la Belgique et, éventuellement, quelques départements frontaliers français. Aucune structure n'avait été constituée pour cette vaste zone.

La modestie des prévisions de l'O.K.H. ressort du fait qu'il avait prévu pour chacun des deux groupes d'armées une seule O.F.K., deux F.K. et six K.K. Au début de 1940 on étoffa le groupe B, en portant les effectifs à quatre O.F.K., neuf F.K. et vingt-deux K.K.

Tous ces personnages se mirent en branle le 10 mai 1940, dans le sillage de la Wehrmacht. Mais deux semaines plus tard à peine, tous les plans devenaient inutiles. La Wehrmacht avait avancé bien plus vite et plus profondément que prévu et Hitler, sans en aviser l 'O.K.H., confia la Hollande non pas à l'administration militaire mais à une administration civile, à la tête de laquelle il nomma un

1. Condamné à mort et exécuté pour sa participation à la conjuration du 20 juillet 1944.

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c h e f nazi a u t r i c h i e n n o m m é A r t h u r S e y s s - I n q u a r t , a y a n t r a n g d e

g é n é r a l SS.

L e q u a r t i e r - m a î t r e g é n é r a l a f f e c t a a lo r s l ' e n s e m b l e d e s s e rv i ce s

d e s t i n é s a u x P a y s - B a s à l ' a d m i n i s t r a t i o n d e s t e r r i t o i r e s d é j à c o n q u i s

d é b u t j u i n 1940, so i t la B e l g i q u e e t les d é p a r t e m e n t s d u N o r d et d u

P a s - d e - C a l a i s . U n M . B . fu t n o m m é à B r u x e l l e s , e n la p e r s o n n e d u

g é n é r a l d e c o r p s d ' a r m é e A l e x a n d e r v o n F a l k e n h a u s e n , ass i s té , s u r

le p l a n a d m i n i s t r a t i f , p a r le R e g i e r u n g s p r â s i d e n t ( é q u i v a l e n t d ' u n

p r é f e t d e r é g i o n ) S S - B r i g a d e f ü h r e r E g g e r t R e e d e r . C e s d e u x

d é p a r t e m e n t s f r a n ç a i s a l l a i en t d é p e n d r e d u M . B . d e B r u x e l l e s

j u s q u ' e n ju i l l e t 1944. U n e O . F . K . 672 fu t i n s t a l l é e à Li l le e t

c h a r g é e d e s d e u x d é p a r t e m e n t s e n q u e s t i o n . A sa t ê t e o n t r o u v e r a

le g é n é r a l H e i n r i c h N i e h o f f , qu i a l la i t se « d i s t i n g u e r » u l t é r i e u r e - m e n t d a n s le mid i d e la F r a n c e .

F a l k e n h a u s e n ava i t le t i t r e d e M . B . p o u r la B e l g i q u e et le n o r d d e la F r a n c e . P o u r le r e s t e d e la F r a n c e , le M . B . F r a n k r e i c h

( M . B . F . ) fu t , d ' a b o r d , le g é n é r a l d ' a r m é e v o n B l a s k o w i t z (ce lu i - l à

m ê m e qu i ava i t o c c u p é P r a g u e et V a r s o v i e ) . L a ville d e P a r i s fu t

d o t é e a u d é b u t d ' u n M . B . p r o p r e , e n la p e r s o n n e d u g é n é r a l v o n

V o l l a r d - B o c k e l b e r g , qu i p r i t c o m m e c h e f d ' é t a t - m a j o r le l i eu te -

n a n t - c o l o n e l D r H a n s S p e i d e l , qui ava i t é t é a t t a c h é mi l i t a i r e

a d j o i n t à P a r i s a v a n t la g u e r r e . V o l l a r d - B o c k e l b e r g n ' y r e s t e r a p a s

l o n g t e m p s , m a i s S p e i d e l , lui , r e s t a j u s q u ' e n 1942, p o u r r e v e n i r e n 1944 1

T o u s ces c o m m a n d a n t s mi l i t a i r e s é t a i e n t r a t t a c h é s d i r e c t e m e n t

a u c o m m a n d a n t e n c h e f d e l ' a r m é e d e t e r r e , le m a r é c h a l v o n B r a u c h i t s c h , l u i - m ê m e ins ta l l é à F o n t a i n e b l e a u . M a i s ce la n e

l ' e m p ê c h a i t n u l l e m e n t d e p a s s e r le p lu s c la i r d e son t e m p s à

h a r c e l e r les se rv ices à Pa r i s , o ù il fu t n o t a m m e n t r e s p o n s a b l e d e s

p r e m i è r e s m e s u r e s a n t i s é m i t e s , p a r e x e m p l e l ' o r d o n n a n c e an t i -

j u ive d u 27 s e p t e m b r e 1940. C ' e s t à l ' h ô t e l M a j e s t i c , d a n s la c ap i t a l e , qu ' i l ins ta l l a les se rv ices d e l ' a d m i n i s t r a t i o n mi l i t a i r e , s o u s

les o r d r e s d e s o n a d j o i n t , le g é n é r a l S t recc ius . S t r e c c i u s n ' o c c u p a ses f o n c t i o n s q u e d u 27 j u i n a u 25 o c t o b r e 1940. C ' é t a i t u n e

p e r s o n n a l i t é d e s p lu s p i t t o r e s q u e s . . . Il ava i t é t é c o n s e i l l e r mi l i t a i r e

e n C h i n e , o ù il ava i t c ô t o y é le g é n é r a l v o n F a l k e n h a u s e n . Il se

1. Après 1945 le général Speidel devait connaître une nouvelle carrière militaire au sein de l 'O.T.A.N., où il commanda les forces terrestres du groupe Centre- Europe. Cet état de choses entraîna des campagnes de presse violentes en France, mais ce n'est qu'après le retour du général de Gaulle au pouvoir que Speidel dut abandonner ses fonctions, sans qu'il fût jamais fait officiellement état d'une intervention du général de Gaulle.

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réclamait de Lao-Tseu, le philosophe chinois réputé pour avoir été l'un des inspirateurs du bouddhisme, avait « revu et corrigé » sa doctrine, et prétendait privilégier l'absence de toute forme d'ac- tion, ce qui, on en conviendra, était loin de correspondre... aux règlements de la campagne de la Wehrmacht !

Toutes ces décisions, remarquables par leur confusion, ne peuvent se comprendre qu'à la lumière de l'immense prestige dont jouissait le « schône Paris » tant auprès des militaires qu'auprès des civils allemands. A une époque où les voyages restaient réservés à une étroite élite, les anciens combattants de la Grande Guerre restaient sensibles au mirage d'une capitale qu'on avait laissée pendant des années miroiter devant leurs imaginations. Même pour les plus jeunes, les monuments, la vie culturelle, les distractions, les bons repas, les jolies filles et les beaux cadeaux exerçaient une attraction irrésistible par contraste avec l'austérité des temps de guerre.

L'un des premiers signes en fut le remplacement de la 87e divi- sion d'infanterie du général Studnitz, qui était entrée à Paris en premier, par la 30e division du général von Briesen, qui s'était illustrée successivement en Pologne et dans les Flandres. Il s'agissait là d'une forme de récompense. L'heureux bénéficiaire en était tellement conscient que le premier ordre que donna von Briesen fut d'interdire l'accès de la ville à tous les Allemands qui ne feraient pas partie de son unité.

En vain. Dès ce moment, la célèbre loi non écrite du J.E.I.P., formule constituée avec les initiales du slogan « Jeder einmal in Paris » qui signifie « Chacun une fois à Paris » entra en vigueur. L'exemple venait de haut, puisque l'un des tout premiers voyages du Führer Adolf Hitler en personne fut réservé à la capitale française, tout de suite après la prise de celle-ci. Il semble qu'il y revint par la suite à plusieurs reprises.

Deuxième personnage du Reich, le Reichsmarschall Hermann Goering ne cherchait même pas à dissimuler derrière les prétextes d'obligations professionnelles les visites d'agrément qui lui donnè- rent l'occasion de piller tant d'œuvres d'art. Le Reichsführer SS Heinrich Himmler ainsi que Joseph Goebbels, ministre de la Propagande et le penseur nazi Alfred Rosenberg furent d'autant moins gênés pour suivre leurs augustes traces.

A un moindre niveau, de multiples Gauleiter de provinces puis de simples maires de grandes, moyennes ou petites villes vinrent, pendant de courts séjours, réconforter leurs ressortissants servant sous les drapeaux dans le cadre de circuits largement touristiques.

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Des ministres aux présidents de chambres locales de notaires, sans oublier les artistes, des dizaines de milliers d'Allemands défilèrent à Paris pendant l'Occupation.

Les militaires y tenaient évidemment le haut du pavé. Les conférences, tant civiles que militaires, se déroulèrent plus souvent là qu'à Varsovie, voire à Berlin. C'est de la capitale que fut supervisée, sans grande justification, l'occupation des lointaines îles anglo-normandes. Bien mieux, on y vit s'implanter jusqu'au quartier général allemand de la guerre... sous-marine !

L'humoriste français Alphonse Allais, qui réclamait la transfor- mation de Paris en port de mer aurait-il rêvé mieux ? Que dans ces circonstances des militaires allemands aient pris certaines libertés avec la discipline, les ordres du jour du 2e régiment (Wehrregi- ment) de Paris le prouvent à profusion. Ainsi, on rappelle aux militaires la nécessité de savoir défiler et on leur offre des

excursions gratuites en bateaux-mouches, on les laisse même aller sur les hippodromes (mais défense de jouer au P.M.U ! Il n'y avait pas de tiercé à l'époque...).

Un avis met en garde, en 1942, les militaires contre le comporte- ment indécent aux abords des casernes : venir enlacé en compagnie de personnes du sexe opposé... comporte des dangers du point de vue de la sécurité, sans parler des risques de maladies (la maladie vénérienne était une véritable obsession dans la Wehrmacht, comme dans les SS).

Ensuite, comme les choses se gâtent, il est interdit aux militaires de sortir autrement qu'en groupe et armés, mais il est précisé, toujours en juillet 1942, que seuls le premier et le dernier homme du groupe doivent porter leurs armes chargées, les autres devant conserver leurs munitions dans leurs poches.

A l'intention des militaires en permission dans le « Gay-Paris », il était rappelé que le couvre-feu était à 23 heures pour la troupe, à minuit pour les sous-officiers et à une heure du matin pour les ordonnances. Le personnel féminin, suivant la catégorie, était tenu à respecter le couvre-feu à 23 heures ou à minuit.

Le terme « Verboten » était très fréquemment employé, même pour ces militaires : ils n'avaient pas le droit de monter en vélo- t ax i s en compagnie féminine, pas plus qu'ils ne pouvaient tenir le bras de personnes « du sexe féminin » ; encore moins pouvaient-ils

1. Des voiturettes tirées par des bicyclettes, un procédé ingénieux pour se déplacer dans Paris, en période de restriction quasiment totale de carburant, mais très éprouvant pour les conducteurs...

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amener chez eux et dans des installations militaires des personnes françaises, quel qu'en fût le sexe (sauf raison de service s'entend, mais les permissionnaires, eux, ne pouvaient pas l ' i n v o q u e r ! ) Il leur était interdit aussi de fumer en portant des colis, de déjeuner sans tickets, ou encore de se promener seuls, la nuit tombée, dans des quartiers peu fréquentés.

Les officiers de la Wehrmacht disposaient d'un foyer situé au 33, faubourg Saint-Honoré, celui des officiers de la Luftwaffe étant au 41 de la même voie. Les sous-officiers et hommes de troupe de la Wehrmacht avaient leurs foyers aux Champs-Elysées, avenue de la Motte-Picquet, boulevard Saint-Michel et place Clichy, tandis que leurs camarades de la Luftwaffe étaient installés au 33, boulevard de Courcelles, 89, rue de Flandre et 2, rue de l'Elysée (dans ce qui est aujourd'hui une annexe de la présidence de la République). La Wehrmacht s'était réservé six restaurants : La Croisette (33, rue Boissy-d'Anglas), Margaret (41, rue Saint-Augustin), Impérial (20, avenue Mac-Mahon), Andres (4, rue Saint-Laurent), Elsass- Lothringen (150, rue Lafayette), enfin le Deutsches Gasthaus (62, rue Caumartin). Ce qui ne veut pas dire que les autres restaurants de la capitale aient été interdits aux militaires alle- mands. Ceux-ci disposaient également de trois cinémas : le Mari- gnan, le Paris et le Rex, ce dernier fit d'ailleurs l'objet de plusieurs attaques à la bombe.

Le personnel militaire allemand était tenu de rendre les honneurs au tombeau du Soldat inconnu. Les divers officiers allemands de

tous grades soulignaient la différence qu'il y avait entre Paris et Varsovie, où il était interdit aux militaires allemands de rendre les honneurs au monument équivalent.

1. Voir annexe n° IV.

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4 .

Les « régents » de la « zone 0 »

Du fait d'être dirigée par des amateurs du « schône Paris », la France occupée pouvait espérer quelques adoucissements à son sort.

Le personnage clef de son administration se trouva néanmoins constituer l'exception qui confirmait la règle : ce n'est que sur l'insistance personnelle et pressante de von Brauchitsch que le général Otto von Stülpnagel, qui ne voulait pas venir en France, accepta de succéder à Streccius dès octobre 1940 à l'hôtel Majestic.

L'homme n'était guère d'abord engageant, si l'on en croit le portrait que nous a laissé le grand écrivain Ernst Jünger qui l'avait côtoyé de près. « La nature n'avait pas été généreuse avec lui, a noté celui-ci : petit et lourd de taille, il était faible de corps et des nerfs et, de plus, d'un physique pas précisément attrayant. Mais il compensait toutes ces insuffisances par la force de la volonté et la puissance de travail. L'ambition, la susceptibilité et une certaine contraction constituaient les symptômes extérieurs de cette tension incessan te »

Le général Wagner était encore plus sévère à son égard puisqu'il a pour sa part sèchement observé : « Il était le type d'homme qui écrit MOI en majuscu les »

A l'époque de son affectation à Paris, Stülpnagel avait déjà soixante et un ans, dont il avait passé l'essentiel sous les drapeaux. Il descendait en effet d'une vieille famille qui se consacrait traditionnellement à la vie militaire depuis le XIII siècle. S'il n'avait débuté que comme simple soldat, du moins était-ce dans le très

1. Hans Umbreit, Der Militärbefehlshaber in Frankreich, 1940-1944. Ed. Harald Boldt, Boppard, 1968.

2. Ibid.

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honorifique 2 régiment de la Garde. Sorti du rang et promu capitaine dès 1911, il avait été l'un des très rares officiers à se faire breveter aviateur sur les conseils du colonel Ludendorff.

La Première Guerre mondiale l'avait surpris à Morhange, où il commandait une compagnie de l'armée de terre. Il avait participé à la prise des forteresses de Namur puis de Maubeuge, aux durs combats du Chemin des Dames, de l'Aisne et de La Bassée. Après un bref temps de service en Serbie, il était revenu se battre en France devant Douaumont et ensuite en Champagne. Le 26 juin 1916, il avait été nommé premier officier d'état-major du I X corps de réserve, ce qui l'amena à prendre part aux batailles de l'Artois, de la Somme, d'Ypres et des Flandres. Il avait de même préparé la bataille d'Armentières au titre de premier officier d'état- major du commandement de la 6e armée, en décembre 1917.

Il avait alors connu ses premières graves difficultés, par suite d'un désaccord avec Ludendorff — devenu général dans l'intervalle — auquel il soutenait que le conflit était perdu. Il n'avait évité que de justesse sa traduction devant un conseil de guerre en acceptant son détachement auprès du groupe d'armées du duc Albrecht, qu'il avait servi jusqu'à la fin des hostilités.

Après la défaite, il avait acquis le singulier surnom de Stülpnagel le Rouge. Il avait pourtant personnellement mené à Dantzig la répression contre les révolutionnaires du mouvement spartakiste. Mais il comptait au petit nombre des militaires estimant possible de s'entendre avec des sociaux-démocrates aussi peu « de gauche » que le féroce Noske, lequel avait ordonné l'exécution sommaire des dirigeants communistes Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg. Cette conviction lui valut d'être chargé de la liaison entre la Reichswehr et le Parlement, avec le grade de lieutenant-colonel, en 1921.

Dans une certaine mesure, cela avait orienté sa carrière vers des postes de caractère politique. Elevé au grade de colonel en 1925 et attaché au ministère de la Guerre avec mission de veiller que les autorités civiles ne prennent aucune mesure susceptible de déplaire aux armées, il s'était passionné pour cette tâche. Il s'était notam- ment fait remarquer par le général von Seeckt, alors chef suprême desdites armées, en lui soumettant le texte d'un mémorandum qu'il devait transmettre le 6 mars 1926 au ministère des Affaires étrangères.

Dans ce document, au lendemain du traité de Locarno mais à la veille de l'entrée de l'Allemagne au sein de la Société des Nations, il suggérait de rechercher en priorité la suppression de la zone

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démilitarisée de Rhénanie, la liquidation du corridor de Dantzig, la récupération de la partie polonaise de la Haute-Silésie et l'annexion de cette Autriche qu'il qualifiait déjà de « Deutsch-Oesterreich ». Il estimait qu'ensuite son pays devrait renforcer sa position européenne par « une solution nouvelle du contentieux germano- français, à atteindre par voie soit pacifique, soit belliqueuse ». Plus tard, il y aurait lieu selon lui de s'attacher à la position mondiale (« Weltstellung ») de l'Allemagne, car il considérait qu'il fallait prévoir que « lors d'une future compétition portant sur les matières premières et les débouchés à l'exportation, elle se trouverait confrontée au groupe anglo-saxon, de sorte qu'il lui faudrait disposer à ce moment de forces navales adéquates » 1

De telles conceptions l'avaient désigné tout naturellement pour s'occuper de la préparation de la Conférence de Genève sur le désarmement, en prévision de laquelle il s'était vivement intéressé aux aspects juridiques des droits des populations. Parvenu au grade de général-major en 1928, il avait été nommé inspecteur de ces troupes motorisées que le traité de Versailles avait vainement prétendu interdire à son pays de reconstituer. C'est à leur propos qu'un nouveau dissentiment, cette fois avec le général von Seeckt lui-même, l'incita à quitter l'armée en 1931.

Ses idées allaient trop dans le sens des temps pour que sa carrière militaire se trouvât réellement déjà terminée. Dès l'arrivée de Hitler au pouvoir, sa qualité de pilote chevronné avait fait recommander Stülpnagel comme organisateur de l'Académie de guerre aérienne de Berlin-Gatow et créateur de la Luftwaffe. Aussi la retraite qu'il avait prise en 1939 (avec le double titre de général de corps d'armée d'infanterie et d'aviation dans la réserve), ne devait-elle guère durer. Il avait en effet été rappelé et désigné gouverneur militaire de Vienne avant d'être muté à l'hôtel Majestic contre son gré.

Le récit de ses souvenirs, qu'il a laissé inachevé et inédit, témoigne qu'il arrivait à Paris sans enthousiasme ni illusion : « En prenant possession de mes fonctions en France, j'étais pleinement conscient des difficultés de ma tâche ; je me rendais parfaitement compte de ce que cela signifiait qu'être commandant militaire dans un pays dont l'Allemagne avait sans cesse ressenti depuis des siècles

1. Hermann Graml : « Europa zwischen den Kriegen », in Deutsche Geschichte seit dem 1. Weltkrieg (« L'Europe entre les guerres », dans Histoire allemande depuis la Première Guerre mondiale), Ed. DVA, Stuttgart, 1971.

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l'attitude ivre de haine, dont l'orgueil national était gravement touché par la si rapide perte de la bataille. »

Cette vision des choses, plus réfléchie, somme toute, que celle du Führer, se trouvait nuancée, à l'en croire, par son expérience politique.

« Je n'étais animé d'aucun sentiment de haine, d'aucun esprit de revanche à l'encontre du peuple français, protestait-il, quoique je connusse très précisément le traitement excessivement sévère infligé par l'armée française aux territoires occupés pendant et après la Première Guerre mondiale, puis, en 1923, à la Ruhr. Le paysage français, la culture et certains traits caractéristiques du mode de vie français m'avaient été très sympathiques à maints égards dès la signature de la paix. J'avais donc sincèrement regretté que la France et l'Allemagne, ces deux grands pays limitrophes, ne puissent vivre en amitié et collaborer dans l'intérêt de leur bien-être mutuel. Par mon attitude personnelle, par une conduite des affaires non pas molle, il est vrai, mais juste ; par une sollicitude pour la France occupée limitée seulement par ce que les circonstances de la guerre exigeaient, je m'étais proposé de convaincre le peuple français de la bonne volonté de la puissance d'occupation alle- mande et de créer ainsi une bonne base pour une collaboration ultérieure salutaire... »

Le maître-mot de « collaboration », lancé par la Convention de Rethondes, ne revient donc pas à moins de deux reprises dans cette sorte de profession de foi rétrospective. Bien plus, il commence à dépasser le strict cadre des relations administratives pour s'inscrire dans un embryon de perspective politique. Cette dernière imposait une discipline individuelle qui semblait convenir à merveille au tempérament austère, pour ne pas dire puritain, du nouveau « régent » de la France, lequel la revendique en ces termes :

« Par mon attitude personnelle, je m'efforçais d'être pour mes collaborateurs l'exemple du strict accomplissement du devoir. Je n'ai jamais tenté d'obtenir de par mes fonctions des avantages matériels de quelque nature que ce fût, ni pour moi ni pour ma famille, et j'ai très rarement pris des distractions ou des détentes de mon travail absorbant... J'ai renoncé, lors du mariage de mes enfants adoptifs, à acheter sur le marché libre du mobilier et des ustensiles de ménage dont ils avaient le plus urgent besoin et qu'on ne trouvait plus en Allemagne, ceci afin de conserver sous tous les rapports, en tant que commandant militaire, les mains propres... »

Il s'attacha en effet à obtenir une semblable rigueur de la part de ses subordonnés directs, qui ne l'acceptèrent pas toujours de gaieté

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de cœur. Ainsi interdit-il de chauffer les bureaux pendant le rigoureux hiver de 1940 à 1941 plutôt que de confisquer les stocks de charbon français. Il défendit également à ces auxiliaires fémini- nes de l'armée que les Allemands baptisaient « Nachrichtenhelfe- rinnen » et que les Parisiens surnommaient joliment « les souris grises », d'utiliser officiellement les véhicules de service de leurs soupirants, sous-officiers ou officiers.

Bien évidemment, il n'était pas en mesure de brider de la même façon les militaires qui échappaient au ressort de son service. Du moins refusa-t-il de s'associer aux saisies de bibliothèques et d'oeuvres d'art, n'hésitant même pas à s'opposer sur ce sujet à l'ordre personnel du Reichsmarschall Goering du 5 novembre 1940. Dans une note officielle au maréchal von Brauchitsch en date du

26 janvier 1941, il se contentait de rappeler les prescriptions légales sur la question; mais une lettre pe r sonne l l e au même, le 31 janvier suivant, allait beaucoup plus loin dans la mise en cause du deuxième personnage du Reich :

« Je considère l'ordonnance du Reichsmarschall comme pas très heureuse... écrivait-il, comme j'ai d'ailleurs eu déjà l'occasion de le proclamer verbalement. Je crains, de même, que toute la confisca- tion de l'ensemble des œuvres d'art appartenant aux juifs (nobles) sera très mal jugée par le monde entier, voire par l'opinion publique en Allemagne même. Je ne vois vraiment pas comment on peut justifier de telles exactions en regard du droit international, sinon sur le plan du droit tout court. J'ai enregistré des jugements très sévères à ce sujet, émanant tant de personnalités que de simples citoyens allemands. Dès la prise de mes fonctions, j'ai refusé catégoriquement de m'occuper en quoi que ce soit de cette affaire, et, a fortiori, de m'en rendre coresponsable. Toute mon attitude intérieure, ma conception du droit comme celle de l'attitude qui doit être celle du vainqueur sur le territoire occupé s'opposent à cela... »

Cette missive non dénuée de courage conclut : « Toute l'affaire des confiscations a soulevé beaucoup de poussière. Je suis person- nellement d'avis qu'il faut maintenant en finir et s'abstenir de toute saisie supplémentaire. » La recommandation du M.B.F. eut le peu de succès que l'on sait, non seulement parce qu'elle était de faible poids face à la philosophie délibérément sans scrupule de Goering, mais parce que Stülpnagel s'était davantage fait détester que

1. Voir annexe N° VI.

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respecter par la pléthore de fonctionnaires de tous acabits supposés servir sous ses ordres.

A l'échelon immédiatement inférieur au sien se trouvait par exemple Jonathan Schmid, chef de l'état-major administratif, le Verwaltungstab. Ce nazi de vieille date, titulaire par surcroît de l'insigne en or du parti, avait été ministre dans le Land du Württemberg. Il estimait par conséquent n'avoir de comptes à rendre à personne. Lorsque son supérieur hiérarchique prétendit assez naturellement contrôler son travail, il monta sur ses grands chevaux et menaça de se plaindre directement au Führer de ce qu'il tenait pour « une affreuse persécution ».

Le personnage paraît au demeurant de médiocre intérêt. Passa- blement malade, il souhaitait par-dessus tout mettre son séjour parisien à profit pour se reposer et se distraire. S'il ne tolérait d'en haut aucune immixtion dans ses affaires, il laissait réciproquement la bride sur le cou à ses subordonnés. D'où l'importance beaucoup plus grande prise par ces derniers.

A la tête du service d'administration, le docteur Werner Best était titulaire d'un grade de « SS-Brigadeführer » dont il évitait de se prévaloir. Il avait en effet joué un rôle non négligeable, successivement dans les SS, au S.D. et plus particulièrement à la Gestapo — dont il avait été l'un des fondateurs, en sa qualité de juriste reconnu. Cette carrière très représentative — pour ne pas dire exemplaire — il l'a décrite lui-même, assez singulièrement, à la troisième personne1 :

« En octobre 1914, rapporte-t-il, un garçon de onze ans, devant la tombe ouverte de son père, blessé à mort par un obus français, jurait de venger ce père aimé et admiré. Quelques mois plus tard seulement, le même garçon se penchait sur la tombe de son grand- père (dont la perte d'un fils avait hâté la propre mort) et méditait sur le fait que, quarante-quatre ans plus tôt, déjà, le grand-père en question avait dû combattre le même ennemi qui venait de tuer son père et, indirectement, son grand-père.

« Quatre ans plus tard, ce garçon, devenu écolier, vivait à l'âge de quinze ans la triste et froide journée de décembre où les troupes françaises occupaient sa petite patrie rhénane. Et, à partir de ce jour, pendant onze années et demie (jusqu'à l'évacuation de la Rhénanie par l'armée française en 1930), il dut vivre avec des

1. A Mayence.

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troupe de Feldgendarmerie 932 et le S.D. : vingt arrestations, dont dix personnes recherchées par le S.D. »

Le 13 avril, Brodowski paraît avoir reçu le renfort du 95e régi- ment de sécurité et du 799 bataillon d'infanterie géorgien. Mais une compagnie de la première unité devait être laissée à Mende, sous les ordres du H.V.B. de Toulouse, cependant que le reste des 1 et 2e bataillons était affecté à la protection de divers objectifs statiques ; seuls, le 4e bataillon se trouvait dirigé vers la Corrèze et le 3e bataillon envoyé vers l'ouest de la Dordogne, cependant que les Géorgiens investissaient l'est du même département. De plus, dès le 3 mai, ces derniers — sans doute jugés peu dignes de confiance — étaient repliés sur le camp de Sissonne alors que la compagnie de D.C.A. qui assurait son encadrement était dirigée sur Vienne. L'hémorragie d'effectifs allait se poursuivre les jours suivants.

Le 12 mai, en plein accord avec le H.S.S.P.F., un couvre-feu devait être imposé aux véhicules automobiles entre 21 heures et 5 heures, sur toutes les routes de la région. Huit jours plus tard, il allait être étendu aux cyclistes et aux véhicules hippomobiles. Le 22 mai, près de Murat, le général Brodowski qui traversait le Cantal pour inspecter le 4e bataillon du 95e régiment n'en voyait pas moins son convoi sérieusement accroché par la Résistance ; dix Allemands allaient y tomber, dont le général aurait à prononcer l'éloge funèbre le 26 mai au cimetière militaire de Clermont- Ferrand.

Partout, la situation semblait s'aggraver. Des concentrations de résistants étaient signalées dans l'Aveyron et le nord du Gard cependant que les effectifs armés du Cantal s'accroissaient. Pour préparer la riposte, le général participait le 25 mai à une conférence convoquée par le commandant du groupe d'armées de la France du Sud, puis organisait lui-même le 31 mai un « Planspiel » à Clermont sur le thème du désarmement de la police française. Le 3 juin, il préparait un plan de « pacification » du Cantal qu'il ne devait déclencher que le 6, jour même du débarquement.

Le commencement des opérations alliées sur les côtes le prit autant au dépourvu que le Feldmarschall Erwin Rommel lui-même. Saignés à blanc par les durs combats menés à l'Est, les Allemands ne disposaient plus en France que d'effectifs réduits et peu éprouvés pour les cinquante-neuf divisions, dont dix divisions blindées seulement, stationnées dans le pays. Circonstance aggra- vante, trois divisions seulement garnissaient le littoral choisi par les Alliés pour le débarquement.

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La Résistance intérieure sut habilement mettre à profit cette situation. Le journal de Brodowski nous confirme qu'elle allait s'emparer non seulement de chefs-lieux comme Tulle (en Corrèze) ou Guéret (en Creuse), mais de localités aussi importantes qu'Is- soudun ou Saint-Amand-Montrond. A Guéret, en particulier, la garnison attaquée le 7 juin à 7 heures du matin capitulait dès 13 heures, faute de munitions. Il apparaissait spécialement signifi- catif que les gardes mobiles y aient fait cause commune avec les résistants. Ceux-ci se manifestaient dès lors en force dans tous les départements de la région, mais ils allaient le payer fort cher.

La seule tentative pour leur conférer un statut officiel avait alors été faite par le gouvernement provisoire de la République fran- çaise, dont une ordonnance publiée le 9 juin 1944 au Journal officiel d'Alger proclamait dans son article I :

« Les Forces françaises de l'intérieur (F.F.I.) sont constituées par l'ensemble des unités combattantes ou de leurs services qui prennent part à la lutte contre l'ennemi sur le territoire métropoli- tain, dont l'organisation est reconnue par le gouvernement et qui servent sous les ordres de chefs reconnus par lui comme responsa- bles. Ces forces armées font partie intégrante de l'armée française et bénéficient de tous les droits et avantages reconnus aux militaires par les lois en vigueur. Elles répondent aux conditions générales fixées par le règlement annexé à la Convention de La Haye du 18 octobre 1907 concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre... »

A cette position, les Allemands avaient beau jeu d'opposer la compétence exclusive du gouvernement seul légal de Vichy. Dès le 11 juin, un communiqué de l' « O.B.-West » ne manquait pas de répliquer par cette mise au point :

« Pour amener la population française à entrer dans les organisa- tions de résistance, les puissances ennemies s'efforcent de faire croire au peuple français que les membres des organisations de résistance pourraient être tenus sur le même pied que des soldats réguliers, au moyen d'organisations et d'insignes vestimentaires, échappant ainsi au traitement administré aux francs-tireurs.

« A l'encontre de ceci, il est rappelé que le droit des gens ne reconnaît pas aux participants à des soulèvements à l'arrière de la puissance occupante la protection à laquelle les soldats réguliers ont droit. Les mesures et proclamations de l'ennemi ne peuvent rien changer à cet état de fait... »

Cette pétition de principe semblait d'autant plus superflue que les Alliés n'avaient guère manifesté d'empressement à soutenir sur