Lebrun- La Perversion Ordinaire

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JEAN-PIERRE LEBRUN, LA PERVERSION ORDINAIRE Paris, Denoël, 2007 Thierry De Rochegonde L'Harmattan | Che vuoi ? 2008/1 - N° 29 pages 215 à 218 ISSN 0994-2424 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-che-vuoi-2008-1-page-215.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- De Rochegonde Thierry, « Jean-Pierre Lebrun, La perversion ordinaire » Paris, Denoël, 2007, Che vuoi ?, 2008/1 N° 29, p. 215-218. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour L'Harmattan. © L'Harmattan. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 78.225.100.132 - 16/10/2013 15h59. © L'Harmattan Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 78.225.100.132 - 16/10/2013 15h59. © L'Harmattan

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JEAN-PIERRE LEBRUN, LA PERVERSION ORDINAIREParis, Denoël, 2007Thierry De Rochegonde L'Harmattan | Che vuoi ? 2008/1 - N° 29pages 215 à 218

ISSN 0994-2424

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-che-vuoi-2008-1-page-215.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------De Rochegonde Thierry, « Jean-Pierre Lebrun, La perversion ordinaire » Paris, Denoël, 2007,

Che vuoi ?, 2008/1 N° 29, p. 215-218.

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Jean-Pierre Lebrun

La perversion ordinaire ~s,I>enoël,2CKY7

Thierry de Rochegonde

On connait tous la thèse de Jean-Pierre Lebrun, ne serait-ce que parce qu'elle est présente sans être pour autant formulée explicitement dans les discours des éducateurs, des sociologues et de la « planète psy » d'aujourd'hui et son dernier livre en confirme tout à la fois l'amplitude et l'ambition.

Jean-Pierre Lebrun pose que nous serions dans une époque de mutation inédite du lien social dont les effets sont à considérer dans le champ de la subjectivité, principalement comme menant à l'émer­gence de nouveaux sujets, les « néo-sujets », écrit-il. Ce changement profond est décrit comme le passage d'une société hiérarchique -consistante mais incomplète - à une organisation sociale prétendant à la complétude - donc sans place d'exception - mais, dit-il, inconsistante. Les néo-sujets de cette nouvelle société seraient construits individuellement et collectivement autour d'un démenti de la négativitél et de la castration symbolique. Complète, précise-t-il; cette société ne réserverait donc plus aucune place ni à l'autorité du Tiers, ni bien sûr à la dette vis-à-vis des anciens. L' « Imaginaire social »2 n'y serait plus au fond dominé que par la valorisation d'une « jouissance sans limites ».

Dans la suite des travaux de P. Legendre3, bien qu'il prenne

quelques distances par rapport à cet auteur, et dans un compagnonnage de pensée avec ceux de Charles Melman, l'auteur rassemble sa réflexion dans un ouvrage dont la structure est absolument cohérente avec le propos: un chapitre central, décisif en quelque sorte, expose sa pensée, qu'il convient de considérer comme politique et morale4

• Ce chapitre est précédé de toute une série de considérations sur l'organisation sociétale actuelle adossées à la théorie psychanalytique, suivi d'une réflexion sur les conséquences de

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ce tournant, en particulier pour ce qu'il en est de l'économie psychique de l'individu produit par cette nouvelle société, sorte de pervers ordinaire démentant au quotidien la différence des sexes et des générations. Le livre se referme sur l'accueil possible de ces nouveaux sujets par les psychanalystes, invités dès lors à réintroduire la fonction de la castration dans le discours.

Cet ouvrage prolonge donc L'homme sans gravité, publié en 2002, dans lequel l'auteur interrogeait C. Melman, et on y retrouve, d'innombrables citations à l'appui, les thèses développées dès ce moment et dont le retentissement a été important.

L'inquiétude qui motive J.-P. Lebrun est d'ailleurs largement partagée, en particulier dans l'ensemble du monde éducatif où« poser une limite ne va plus de soi »5, ce qui fait craindre que « l'enfant ne soit plus ni poussé, ni appelé à grandir psychiquement, qu'il ne puisse plus aller prendre sa place d'homme et de femme dans le social »6. Ce n'est donc pas à ce niveau que portent les critiques que l'on pourrait lui adresser. De même, le livre est-il fait de nombreux développe­ments rigoureux et logiques qui emportent l'adhésion, notamment lorsqu'il saisit les difficultés des éducateurs.

TI reste néanmoins discutable d'asseoir ainsi une vision de l'état de la société, de son avenir prévisible et de ce à quoi il faut veiller pour que le pire ne se produise pas sur la psychanalyse et sur les concepts -par ailleurs rigoureusement exposés - qui en permettent la pratique. Freud avait répondu en son temps à cela en écartant toute possibilité de construire une Weltanschauung à partir de la psychanalyse mais cette objection ne suffit sans doute pas. TI nous semble néanmoins regrettable que J.-P. Lebrun n'ait pas cherché à répondre aux critiques épistémologiques qu'il connaîf: pourquoi accepter ainsi d'endosser une sorte de position d'« expert» psychanalyste de la vie humaine et du devenir humain en société? Et pourquoi, dès lors que cette position existe depuis longtemps et qu'on la soutiendrait, ne pas s'interroger sur la situation nouvelle dans laquelle cela met la psychanalyse qui porte désormais un discours politique et culturel... comme les autres? Sans doute l'auteur y répondra-t-il dans un prochain ouvrage.

On s'intéressera aussi tout particulièrement aux thèses avancées par J.-P. Lebrun à propos du transfert, question sur laquelle sa pensée a, semble-t-il, évolué: « Dans notre monde marqué par le rejet de la transcendance, où, de ce fait, l'existence de la place de l'exception n'est plus reconnue comme allant de soi par tous, où l'on célèbre les vertus d'une parité généralisée, tout entraîne apparemment à une «liquidation collective du transfert», écrit J.-P. Lebrun dans un premier temps. « Comment du transfert pourrait-il apparaître, que ce soit vis-à-vis d'un analyste, d'un professeur ou même d'un savoir

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Cabinet de lecture

jusque-Ià supposé établi, si tout le monde occupe une place équiva­lente, si rien ni personne ne relève de l'exception? » Une telle affirma­tion mettrait la psychanalyse que nous aimons, celle qui se réinvente dans chaque cure, dans une bien mauvaise situation. J.-P. Lebrun veut trouver une sortie et propose que le psychanalyste opère désormais en prenant en considération la « désactivation» de ce « lieu Autre» qu'il dit constater chez les patients qu'il reçoit. Et cela entraîne un certain nombre de modifications techniques et une attention clinique renouvelée, sans quoi la « forclusion de la rencontre », qu'il considère comme un élément de la modernité des néo-sujets qui s'adressent au psychanalyste, en serait comme redoublée et renforcée. Cette attention au transfert, à la construction de l'offre transférentielle est aujourd'hui heureusement réinvestie par les psychanalystes8 mais était-il vraiment besoin d'en passer par cette hypothèse d'une crise de la subjectivation pour la justifier? Le transfert n'a-t-il pas toujours été à offrir à quelqu'un qui n'en voulait pas?

n est enfin un autre point important dans ce livre. Cherchant à préciser comment le social actuel inscrit les « néo-sujets», l'auteur évoque l'idée d'une « mèreversion »9 qui les laisserait, les abandonne­rait à la perversion polymorphe infantile sans leur prescrire d'en sortir. À son idée, seule l'intervention du Tiers, seul le Père, l'office du Père dirait P. Legendre, serait capable de permettre à l'humain de s'affranchir de cela. Et comme la modernité laisse ici une « nouvelle responsabilité au sujet» dans la mesure où le discours social ne peut plus lui servir de point d'appui, l'auteur de « la Perversion ordinaire» en appelle logiquement au psychanalyste: il considère qu'il est de la responsabilité des psychanalystes de prendre en compte cette situation et de participer à la réintroduction de la négativité dans le discours et souligne enfin qu'à son avis, les psychanalystes ont négligé dans leurs travaux la manière dont « une organisation sociale détermine jusqu'au plus intime la structure psychique des sujets »10.

Tout un programme, en quelque sorte ...

1« Nous serions désormais dans une économie collective perverse, autre manière de dire que la négativité n'a plus sa place reconnue dans la vie collective» (p. 42). 2L'expression est souvent employée par l'auteur sans être vraiment définie. 3FiIiation que l'on retrouve par exemple dans l'usage de catégories majuscules (la Loi, Autrui, le Tiers ... ) qui veulent faire entendre que certains concepts psychanalytiques ou dérivés de la psychanalyse sont suffisamment éprouvés pour prétendre être présentés comme des invariants anthropologiques et, par là, permettre une compréhension originale du « retournement anthropolo­gique » (titre d'un chapitre du livre) de notre modernité.

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4« Aujourd'hui, ainsi, chacun est roi. Qu'on se le dise, mais qu'on n'oublie pas d'ajouter que c'est désormais à chacun d'assumer ce qui, hier, était seulement la tâche du Roi: celle de faire en sorte que le royaume puisse se soutenir dans le vide. Nous ne pourrons pas nous contenter simplement de nous approprier ses privilèges et ses devoirs. Car ce qui ne serait alors plus qu'un régicide réussi ferait l'impasse sur le programme d'une modernité que chacun doit encore réaliser pour son compte» (p. 245). Cette conclusion du chapitre central du livre, comme la conclusion de l'ensemble de l'ouvrage d'ailleurs, semble pouvoir être effectivement qualifiée comme nous le faisons. SPage224. 6Ibid. 70n peut renvoyer ici aux travaux de Pierre-Henri Castel dans son dernier livre Pourquoi la psychanalyse? dont Che vuoi ? a rendu compte dans son nO 27, ainsi qu'à sa critique « Y a-t-il une nouvelle "économie du psychisme" et de la sexualité? », publiée dans la revue Comprendre, n° 6 en 2004 et accessible sur son site. Cet article est cité - mais non discuté - par J.-P. Lebrun dans son introduction; c'est pourquoi nous nous permettons à notre tour d'y renvoyer le lecteur. SVoir par exemple La folie du transfert, ouvrage récent de Solal Rabinovitch, Ramonville Saint-Agne, Erès, 2006. 'Voir p. 343. On ne retrouve d'ailleurs pas cette idée dans le titre de l'ouvrage alors que c'est sans doute la pointe la plus avancée de l'auteur. 1"Page420.

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