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Observatoire du Management Alternatif Alternative Management Observatory __ Fiche de lecture Le stade Dubaï du capitalisme Mike Davis 2007 Domitille de La Morinerie – Février 2010 Majeure Alternative Management – HEC Paris – 2010-2011 : «Le Stade Dubaï du capitalisme» – Février 2011 1

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Observatoire du Management AlternatifAlternative Management Observatory

__

Fiche de lecture

Le stade Dubaï du capitalismeMike Davis

2007

Domitille de La Morinerie – Février 2010Majeure Alternative Management – HEC Paris – 2010-2011

: «Le Stade Dubaï du capitalisme» – Février 2011 1

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Le Stade Dubaï du capitalisme

Cette fiche de lecture a été réalisée dans le cadre du cours « Histoire de la critique » donné par Eve Chiapello et Ludovic François au sein de la Majeure Alternative Management, spécialité de troisième année du programme Grande Ecole d’HEC Paris.

Les Prairies ordinaires, Paris, 2007

Résumé : Mike Davis, sociologue urbain, se place dans cet ouvrage au cœur d’un débat : la ville de Dubaï est-elle un symbole parfait de réussite et de prospérité ou un exemple frappant du décadentisme à l’occidental ? Il déconstruit l’ensemble du système politique et économique qui organise la ville pour en analyser les failles. La réalisation parfaite du libre-échange, sans entrave de l’Etat, semble trouver ici une limite claire.

Mots-clés : Territoire, Urbanisation, Libéralisme

Fear and Money in Dubaï

This review was presented in the “Histoire de la critique” course of Eve Chiapello and Ludovic François. This course is part of the “Alternative Management” specialization of the third-year HEC Paris business school program.

New Left review, september-october 2006

Abstract : Mike Davis is a sociologist specialized in urban issues. In this book, he participates in a debate: is Dubaï a perfect symbol of success and prosperity or an example of western decadentism? He analyses the political and economical system that organizes the city and demonstrates its faults. He shows that the perfect achievement of free trade system, without public intervention, is not acceptable.

Key words :Territory, Urbanization, Liberalism

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Table des matières

1. L’auteur et son oeuvre ......................................................................................................... 4

2. Résumé de l’ouvrage ............................................................................................................ 6

3. Commentaires critiques .................................................................................................... 11

4. Bibliographie de l’auteur ................................................................................................. 14

5. Références .......................................................................................................................... 15

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1. L’auteur et son oeuvre

1.1. Brève biographie

Mike Davis, né en 1946 en Californie, commence sa vie professionnelle en tant qu’ouvrier

dans des entrepôts de viande, puis comme chauffeur de bus pour touristes, et chauffeur de

camions. Il est aujourd’hui reconnu comme un chercheur atypique et militant de la gauche

américaine. Fils d’une catholique irlandaise, marxiste, autodidacte et athée, son engagement

politique se nourrit sans doute dès son plus jeune âge d’un environnement familial actif. Il

prend part à tous les combats des années 1960-1970 (lutte les droits civiques et manifestations

contre la guerre du Vietnam) et doit même quitter le parti communiste américain pour

insoumission. Parallèlement à cet engagement politique, il se tourne vers la sociologie urbaine

et se spécialise dans l’étude des agglomérations et des aménagements urbains en

déconstruisant leurs significations politiques et sociales. Il se fait alors connaître pour ses

prises de position radicales.

Dans City of Quartz, Los Angeles, la capitale du futur, il dénonce le mythe créé autour de

la ville en mettant à jour les logiques économiques, politiques, sociales de la mégalopole, et

en montrant par là des tendances profondes de l’ensemble de la société américaine. Il y

analyse en particulier la lutte des classes à travers l’étude des problèmes fonciers de Los

Angeles, le développement des bidonvilles, et la militarisation de la vie sociale qu’entrainent

les mesures sécuritaires. Il a également écrit Los Angeles ou l’imagination du désastre.

Dans la même veine, il écrit en 2006, Le pire des mondes possibles, de l’explosion urbaine

au bidonville global, où il montre comment l’explosion de la pauvreté dans les années 1970-

1980 a conduit à la formation de méga-bidonvilles déconnectés de l’industrialisation des

villes. Dans Génocides tropicaux, il épingle l’irresponsabilité des administrations locales dans

la tragédie des grandes épidémies et la foi aveugle dans le libre-échange qui a, selon lui,

conduit aux conséquences connues du colonialisme dans les anciens pays colonisés.

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1.2. Place de l’ouvrage dans la vie de l’auteur

Le stade Dubai du capitalisme, paru en 2007 en France, est la traduction d’un article du

sociologue urbain. Ce livre apparaît comme la juste prolongation de ses études sur Los

Angeles ou sur les bidonvilles, puisqu’il y parle de la concrétisation urbaine d’un capitalisme

parfaitement accompli. Dubai fait en effet figure d’un chantier permanent digne

d’ahurissement. C’est en effet, après Shangaï, le plus grand chantier du monde. A l’instar de

Las Vegas, la ville fait figure de temple du consumérisme, multipliant des dizaines de projets

exorbitants, dans la débauche spectaculaire et la surconsommation d’eau et d’électricité en

plein milieu du désert. Pour certains, Dubai est l’expression accomplie de la réussite et de la

prospérité tandis que d’autres, y voient le symbole du décadentisme à l’occidental.

Ce livre de quatre-vingt sept pages s’apparente donc à un ouvrage d’analyse sociologique

et urbaine de type journalistique. L’auteur s’inspire d’ailleurs de textes journalistiques, en

majorité américains, mais aussi de journaux arabes en anglais et de rapports d’institutions

internationales. La tonalité du texte est polémique ce qui lui donne une portée politique

puisque le système capitaliste qui sous-tend cette logique d’aménagement y est analysé et

sévèrement dénoncé.

L’article est complété d’un essai de François Cusset, historien des idées, diplômé de

l’Ecole Normale Supérieure et professeur de civilisation américaine à l’université de

Nanterre. Celui-ci donne une interprétation théorique de la présentation faite en première

partie. Le registre y est académique et l’argumentation se nourrit de théories philosophiques

qui viennent renforcer les propos de Mike Davis.

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2. Résumé de l’ouvrage

2.1 Plan de l’ouvrage

Le stade Dubaï du capitalisme, Mike Davis

Fantasme en lévitation

Gigantisme

Le Miami du Golfe persique

Zone de guerre

Le Beachclub de M. Friedman

Une majorité de serfs visibles

Questions pour un retour de Dubaï, François Cusset

A quoi bon le modernisme et sa mauvaise conscience

L’Occident serait-il en banlieue du monde ?

Le tourisme est-il la seule vérité ?

L’avenir se décrète-t-il ?

Islam et capitalisme feraient-ils bon ménage ?

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2.2 Principales étapes du raisonnement et principales

conclusions

Mike Davis introduit son essai par la description de cette ville étonnante et souvent

fascinante aux yeux de tous. Il y décrit les caractéristiques des infrastructures, ainsi que les

modes de vie pour tenter de comprendre la logique de développement économique qui sous-

tend ce développement urbain. Il tente ensuite d’analyser les origines de cet essor soudain et

rapide au regard du modèle capitaliste à l’occidental.

2.2.1. La ville et ses origines

Physionomie de la ville

Dubaï se caractérise par un gigantisme sans égal, notamment perceptible par son

urbanisme commercial. Le paysage urbain se compose de six cent tours, dont l’une, la Burj

Dubaï est la plus grande du monde avec ses huit cent mètres de hauteur. Dubaï possède aussi

le plus gigantesque parc commercial qui accueille tous les ans le Festival du Shopping, le

premier hôtel sous-marin, le plus grand aéroport international, la plus vaste île artificielle, et

bientôt le plus grand parc à thème : le projet Dubailand concerne un terrain de cent douze

hectares, qui est deux fois plus grand que DisneyWord, et doit à terme employer trois cent

mille. L’auteur décrit les curiosités que l’on peut y trouver, comme l’hôtel Burj Al-Arab, hôtel

de sept étoiles en forme de voile à cinq mille dollars la nuit. Ces ambitions de grandeur

semblent paradoxales et choquantes pour une ville située au milieu du désert et construite

quasiment ex-nihilo. Pour l’auteur, il s’agit d’une autre « vitrine désertique du capitalisme »,

un « monde entièrement dédié à la consommation ostentatoire ». La ville accueille quinze

millions de visiteurs par an alors qu’elle n’était en 1956 qu’un simple village de pêcheurs et

de contrebandiers.

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Les origines

Cet essor provient du réinvestissement des superprofits des réserves pétrolières des Emirats

Arabes. Dans les années cinquante, le village servait de repères aux contrebandiers. D’après

Mike Davis, la ville-état n’a pas perdu cette tradition de lieu de repère pour mafieux. Dans les

années quatre-vingt-dix, c’était déjà la capitale régionale du blanchiment d’argent sale, des

trafiquants d’armes, des financiers du terrorisme. Après le 11 septembre, les états pétroliers du

Golfe ont rapatrié leurs avoirs et les ont investi dans les Emirats plutôt qu’aux Etats-Unis.

Bien que la première ressource de la ville ait été le pétrole, paradoxalement, les réserves

offshore de Dubai sont déjà épuisées. L’ensemble de la richesse dégagée par Dubai provient

donc aujourd’hui essentiellement de la finance et du tourisme d’affaires. L’ambition est de

bâtir la croissance sur des pôles de développement spécialisés, comme Internet City (un centre

de technologie et d’information), une place boursière, une cité de l’aide humanitaire pour les

interventions d’urgence, un centre international des métaux et matières premières.

2.2.2. Un territoire géré comme une entreprise

Confusion du domaine politique et économique

La particularité de la création et de la construction de cette ville-Etat repose sur sa

conception comme produit marketing. L’exemple est unique. En effet jamais, dans l’histoire

urbaine, une ville n’était devenue capitale de manière instantanée. Son empreinte ne traduit

pas la longue évolution d’une histoire, d’une société, mais le produit abouti d’un système

économique : le capitalisme. D’après François Cusset, la spécificité de Dubaï est d’être passée

de manière instantanée du féodalisme à l’hypermodernité. Alors que dans l’histoire

occidentale, la lente évolution vers la société capitaliste a permis de prendre en compte les

contradictions du système, il note ici l’absence de sociabilité et tempérance d’une classe

moyenne, du poids d’une histoire et d’un patrimoine, de cohérence d’une nation ou d’une

communauté, d’esprit critique et de liberté politique.

Dubaï incarne donc les valeurs néolibérales prônées par Milton Friedman, c’est à dire la

libre entreprise non contrainte par les impôts, les syndicats, les partis d’opposition. Cela tient

à la confusion du domaine politique et économique. Ici, les prérogatives du politique

s’apparentent à un rôle managérial et entrepreneurial. Ainsi le « gouvernement » est en réalité

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composé d’une équipe de managers dont la fonction est de produire un retour sur

investissement le plus élevé possible. Afin de capter le maximum de valeur ajoutée, a été créé

un régime juridique d’exception pour les entrepreneurs (zones franches déduites d’impôts).

Les objectifs capitalistes de rentabilité ont remplacé les objectifs politiques nécessaires à

l’organisation d’une société. L’exception urbaine dubaïote réside dans l’évacuation de la

réalité sociale du fait urbain. Dubaï n’a ni histoire, ni substrat social, ni pratique traditionnelle.

La ville n’aurait qu’une valeur actionnariale au même titre que n’importe quelle autre

entreprise. Les droits et valeurs constitutifs de la société comme la liberté individuelle

constituent donc une simple variable du modèle économique.

Exploitation des travailleurs

L’auteur dévoile l’envers de cet univers fascinant pour le reste du monde, c'est-à-dire

l’exploitation des travailleurs immigrés. On retrouve alors la dénonciation marxiste du

capitalisme fondé sur l’exploitation de la classe ouvrière. 65% de la population dubaïote est

constituée de travailleurs indiens et pakistanais, vivant à des dizaines de kilomètres de la ville

dans des baraquements. D’après l’auteur, ils sont soumis à un rythme de travail de douze

heures par jour, six jours sur sept. Le système de Dubai repose donc sur l’exploitation d’une

main d’œuvre qui ne possède aucun pouvoir pour faire valoir ses droits. Aucune instance n’est

chargée de faire respecter les droits de l’homme, et de représenter les intérêts des employés.

Les syndicats sont hors-la-loi et l’immigré (dont on a supprimé le passeport à l’entrée du

pays) est expulsable immédiatement. François Cusset assimile ces rapports sociaux à une

forme de néocolonialisme.

François Cusset :

Cela correspond « au projet initial du libéralisme économique européen qui vise la

dissolution des institutions traditionnelles au profit du déploiement des libertés

individuelles et le règlement des pratiques politiques sur les seules lois du marché. »

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Quelques éléments d’analyse par François Cusset

Il montre l’emplacement stratégique de Dubaï pour le monde de demain, au carrefour des

échanges des zones les plus dynamiques du globe (économie asiatique, occidentale, proche-

orientale). Dubai est le résultat d’un mouvement de translation des performances occidentales

(technologiques, scientifiques), et d’un mouvement de transplantation, puisque rien ne prend

place dans un environnement préexistant.

L’ensemble de l’analyse permet de redéfinir le concept de ville. Peut-on définir la ville

uniquement comme le résultat d’un mouvement d’urbanisation et de construction ? Selon

François Cusset, l’absence de passé et d’unité de Dubaï, sa « conception comme une

campagne de publicité » en fait une « non-ville ».

F. Cusset en profite également pour faire le lien entre islam et capitalisme. Dubaï est le

parfait contre-exemple d’une théorie qui affirme que l’islam serait incompatible avec le

système occidental capitaliste qui doit être nécessairement démocratique pour faire

fonctionner le marché.

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3. Commentaires critiques

3.1 Avis d’autres auteurs sur l’ouvrage

Cet essai de Mike Davis déconstruit le mythe de Dubaï, ville de luxe, de loisirs, et d’excès,

en montrant l’envers du décor dubaïote. De ce point de vue, le livre a été accueilli par des

critiques élogieuses. Toutes reconnaissent que l’analyse permet d’éclairer la réalité politique

et sociale de la ville-état. Ainsi, les mécanismes économiques et politiques qui ont conduit à

ce gigantisme sont-ils déconstruits : la famille de l’émir El Maktoum domine la ville car elle

possède le foncier de l’état, et gère ce territoire comme une véritable entreprise. La rentabilité

des capitaux est devenue l’objectif premier de l’aménagement du territoire. Le Prince de

l’Etat devient le Président Directeur Général d’une entreprise territoriale. L’immigration de

travailleurs d’Inde, du Pakistan, du Bangladesh constitue la pierre angulaire du système. Sans

cette main d’œuvre à bas coût, le système ne saurait tenir. Pour maintenir ce système

d’exploitation, les principes de la démocratie et des droits de l’homme sont tout simplement

ignorés. Tous ces éléments donnent une vision étonnante de Dubaï : la ville apparait en

contrepoint des reportages habituels qui décrivent bien souvent l’ensemble des loisirs

fantasques proposés aux richissimes visiteurs de la ville et qui en font un paradis aux yeux du

monde.

Les avis des critiques sont divergents sur le décodage conceptuel de François Cusset.

Xavier Desjardins, Maître de conférences en urbanisme et aménagement du territoire,

reproche l’incohérence d’une analyse critique qui part de concepts occidentaux pour expliquer

des phénomènes du monde oriental. Ainsi l’interprétation théorique du monde oriental à partir

de philosophies occidentales lui paraît déplacée. Cette critique ne nous semble pas valable,

puisque Dubaï correspond elle-même à l’application d’un modèle occidental. Il ne semble

donc pas illogique de faire appel à des grilles d’analyse occidentales.

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3.2 Avis de l’auteur de la fiche

L’essai de Mike Davis permet de réfléchir à deux aspects. D’une part, l’auteur met en

valeur une critique de type « sociale » qui met à bas un système économique qui n’avait

jamais atteint une telle ampleur. Cette critique sociale met à jour les fondements économiques

et politiques qui ont permis le développement de cette ville. D’autre part, le livre est

l’occasion de réfléchir à la conception actuelle de la ville.

La critique sociale

L’essai est construit à partir d’arguments qui relèvent de la critique dite « sociale »

(domination d’une classe sociale sur l’autre, dénonciation de la misère, de la pauvreté, de

l’exclusion). Mike Davis y dénonce de manière juste les abus politiques, le déni de

démocratie, et la gestion territoriale selon des objectifs de profitabilité. Le mécanisme de

production de la ville va de pair avec l’exploitation d’une masse de travailleurs, et la

domination de l’actionnariat. Cela rappelle d’une certaine manière le système industriel et

social du dix-neuvième siècle qui a pris fin avec l’instauration de mécanismes de régulation

(lois de protection sociale, syndicalisation, expression des salariés en entreprise, etc.). Or, ici,

il n’existe aucune institution de régulation. Au contraire, les manifestations et les grèves sont

réprimées sans qu’aucune avancée sociale n’apparaisse.

On pourrait ajouter à cette critique d’autres arguments de type écologique. La ville

représente un désastre environnemental du point de vue de la consommation des ressources

énergétiques, et des ressources vitales (l’eau dans un milieu désertique). Cette dimension est

assez peu exprimée, l’auteur se focalisant sur l’aspect social.

La critique urbaine

L’analyse de Mike Davis et François Cusset permet de réfléchir au concept de ville

(Qu’est-ce qu’une ville ?) et aux modes de gouvernance appropriés. F. Cusset fait ressortir

trois éléments qui caractérisent le processus d’urbanisation de Dubai. Il parle de translation,

transplantation et enclavement. La translation correspond au transfert de structures socio-

spatiales étrangères : Dubai correspond à la sélection des plus grandes réussites du monde

occidental : industries du loisir de Las Vegas, industrie financière, gigantisme des

constructions, etc. La transplantation évoque l’absence d’ancrage historique dans un territoire

(Dubai est implanté dans un espace aride et a priori inadapté à la vie humaine).

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L’enclavement correspond aux caractéristiques de la fragmentation urbaine poussées à

l’extrême.

Traditionnellement, la ville est définie comme la conjugaison de formes spatiales et de

configurations sociales. Ainsi l’urbanité d’un lieu influence les interactions sociales (la ville

fait société) et en sens inverse, l’aménagement urbain répond à des besoins sociaux. En ce

sens, l’urbanisation est le produit de stratégies économiques (implantation des entreprises en

fonction des avantages d’un lieu), mais aussi de volontés politiques de créer des conditions

d’épanouissement à la société urbaine (favoriser la mixité urbaine par exemple). Les formes

spatiales rendent compte d’un historique, et d’une identité particulière liées à ce passé. Elles

forment une trame qui organise les liens sociaux. Cet essai de Mike Davis interroge cette

conception de la ville, puisque Dubai nie l’urbanité d’un lieu, son historicité. Cette ville

gigantesque est construite ex-nihilo, pour une société de passage, de touristes. Comme le

rappelle Roman Stadnicki dans un article, Dubaï serait la ville de la post-urbanité, concept

développé Françoise Choay. Cette théoricienne parle du développement de la ville occidentale

comme « non-ville ». En effet il n’existe aucune visée sociale relative à l’organisation de la

vie commune. La construction et l’aménagement répondent uniquement à des impératifs

financiers, et la ville est conçue comme un produit comme les autres.

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4. Bibliographie de l’auteur

• 2007, Evil paradises: Dreamworlds of neoliberalism, New Press, (252p. ; trad. :

Paradis infernaux, les villes hallucinées du néo-capitalisme)

• 1990, City of Quartz : Excavating the future in Los Angeles, Verso, (441p. ; trad. :

City of Quartz : Los Angeles, capitale du futur)

• 2007, In Praise of Barbarians, Essays agains Empire, Haymarket Books, 240p.

• 2005, The Monster of Our Door, Holt Paperbacks, 240 p.

• 2001, Late Victorian Holocausts, Verso, 471 p.

• 2006, Planet of slums, Verso, 228 pages (trad. : Planète Bidonvilles, Ab irato éditions)

• 2000, Magical urbanism, Latinos reinvent the US big city, Verso, 192p

• 2003, Dead cities and othes tales, The Press, 448 p.

• 1999, Ecology of fear, Los Angeles and the imagination of disaster, Vintage, 496p.

• 2007, Le pire des mondes possibles : de l’explosion urbaine au bidonville global, La

Découverte, 249 pages

• 1999, Ecology of fear : Los Angeles and the imagination of disaster, Vintage,

(496p. ; trad. : Au-delà de Blade Runner : Los Angeles et l’imagination du désastre,

Allia, 2006).

• 2003, Génocides tropicaux, La Découverte.

• 2007, Petite histoire de la voiture piégée, Zones, 247p.

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5. Références

Ouvrage

• Choay Françoise,(1965, réimpr. 1er octobre 1979)). L'urbanisme, utopies et réalités :

Une anthologie, Seuil, Paris, coll. « Points », 446 p.

Données consultées sur Internet

• Desjardins Xavier, « Dubaï ou la mondialisation bling bling », Nonfiction, 03 avril 2008, www.nonfiction.fr/article-882-dubai_ou_la_mondialisation_bling_bling.htm.

• Stadnicki Romain, « Mike Davis visite Dubaï », EspacesTemps.net, 09 janvier 2008,

http://www.espacestemps.net/document3992.html.

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