Le Salon de 1846

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    CHARLESBAUDELAIRE

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    AUXBOURGEOIS

    ous tes a ma or t, nom re et nte gence ; onc vous tes a orce, qu est ajustice.

    es uns savants, les autres propritaires ; un jour radieux viendra o les savants serontpropr ta res, et es propr ta res savants. A ors votre pu ssance sera comp te, et nu ne

    protestera contre e e.n attendant cette harmonie suprme, il est juste que ceux qui ne sont que propritai-

    res aspirent devenir savants ; car la science est une jouissance non moins grande que lapropr t.

    ous possdez le gouvernement de la cit, et cela est juste, car vous tes la force. Maisl faut que vous soyez aptes sentir la beaut ; car comme aucun dentre vous ne peut

    aujourdhui se passer de puissance, nul na le droit de se passer de posie.ous pouvez v vre tro s ours sans pa n ; sans pos e, ama s ; et ceux entre vous qu

    disent le contraire se trompent : ils ne se connaissent pas.es aristocrates de la pense, les distributeurs de lloge et du blme, les accapareurs des

    choses spirituelles, vous ont dit que vous naviez pas le droit de sentir et de jouir : cesont es p ar s ens.Car vous possdez le gouvernement dune cit o est le public de lunivers, et il faut queous soyez dignes de cette tche.ou r est une sc ence, et exerc ce es c nq sens veut une n t at on part cu re, qu ne sea t que par a onne vo ont et e eso n.

    Or vous avez besoin dart.art est un bien inniment prcieux, un breuvage rafrachissant et rchauffant, qui rta-

    t estomac et espr t ans qu re nature e a .ous en concevez lutilit, bourgeois, lgislateurs, ou commerants, quand la sep-

    ime ou la huitime heure sonne incline votre tte fatigue vers les braises du foyer etes oreillards du fauteuil.

    Un s r p us r ant, une rver e p us act ve, vous assera ent a ors e act on quot -dienne.

    ais les accapareurs ont voulu vous loigner des pommes de la science, parce que lasc ence est eur compto r et eur out que, ont s sont n n ment a oux. S s vousava ent n a pu ssance e a r quer es oeuvres art ou e compren re es proc sdaprs lesquels on les fabrique, ils eussent afrm une vrit dont vous ne vous seriez

    pas offenss, parce que les affaires publiques et le commerce absorbent les trois quartse votre ourne. Quant aux o s rs, s o vent onc tre emp oys a ou ssance et a

    olupt.

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    a s es accapareurs vous ont en u e ou r, parce que vous navez pas nte gencee a tec n que es arts, comme es o s et es a a res.

    Cependant il est juste, si les deux tiers de votre temps sont remplis par la science, que leroisime soit occup par le sentiment, et cest par le sentiment seul que vous devez com-

    pren re art ; et cest a ns que qu re es orces e votre me sera const tu.

    a vrit, pour tre multiple, nest pas double ; et comme vous avez dans votre politi-que largi les droits et les bienfaits, vous avez tabli dans les arts une plus grande et plusabondante communion.

    ourgeo s, vous avez ro , g s ateur ou ngoc ant, nst tu es co ect ons, esuses, des galeries. Quelques-unes de celles qui ntaient ouvertes il y a seize ans

    quaux accapareurs ont largi leurs portes pour la multitude.ous vous tes associs, vous avez form des compagnies et fait des emprunts pour ra-ser e e aven r avec toutes ses ormes verses, ormes po t que, n ustr e e et

    artistique. Vous navez jamais en aucune noble entreprise laiss linitiative la minoritprotestante et souffrante, qui est dailleurs lennemie naturelle de lart.

    Car se a sser evancer en art et en po t que, cest se su c er, et une ma or t ne peut passe su c er.Ce que vous avez fait pour la France, vous lavez fait pour dautres pays. Le Muse

    spagnol est venu augmenter le volume des ides gnrales que vous devez possder surart ; car vous savez par a tement que, comme un muse nat ona est une commun on

    dont la douce inuence attendrit les coeurs et assouplit les volonts, de mme un musetranger est une communion internationale, o deux peuples, sobservant et studiant

    plus laise, se pntrent mutuellement, et fraternisent sans discussion.ous tes es am s nature s es arts, parce que vous tes, es uns r c es, es autres

    savants.

    Quand vous avez donn la socit votre science, votre industrie, votre travail, votreargent, vous rc amez votre payement en ou ssances u corps, e a ra son et e ma-g nat on. S vous rcuprez a quant t e ou ssances ncessa re pour rta r qu -

    bre de toutes les parties de votre tre, vous tes heureux, repus et bienveillants, comme lasocit sera repue, heureuse et bienveillante quand elle aura trouv son quilibre gnralet a so u.Cest donc vous, bourgeois, que ce livre est naturellement ddi ; car tout livre qui nesadresse pas la majorit, nombre et intelligence, est un sot livre.

    rmai 1846.

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    A QUOIBONLACRITIQUE?

    A quoi bon ? Vaste et terrible point dinterrogation, qui saisit la critique au collet ds leprem er pas que e veut a re ans son prem er c ap tre.

    artiste reproche tout dabord la critique de ne pouvoir rien enseigner au bourgeois,qui ne veut ni peindre ni rimer, ni lart, puisque cest de ses entrailles que la critiqueest sort e.

    t pourtant que art stes e ce temps-c o vent e e seu e eur pauvre renomme !Cest peut-tre l le vrai reproche lui faire.

    ous avez vu un Gavarni reprsentant un peintre courb sur sa toile ; derrire lui un mon-

    s eur, grave, sec, ro e et cravat e anc, tenant a ma n son ern er eu eton. Sart est noble, la critique est sainte. Qui dit cela ? La critique ! Si lartiste

    joue si facilement le beau rle, cest que le critique est sans doute un critique comme il yen a tant.

    n a t e moyens et proc s t rs es ouvrages eux-mmes, e pu c et art ste nontrien apprendre ici.Ces choses-l sapprennent latelier, et le public ne sinquite que du rsultat.e cro s s ncrement que a me eure cr t que est ce e qu est amusante et pot que ; non

    pas ce e-c , ro e et a g r que, qu , sous prtexte e tout exp quer, na n a ne namour, et se dpouille volontairement de toute espce de temprament ; mais, - un beau

    ableau tant la nature rchie par un artiste, celle qui sera ce tableau rchi par unespr t nte gent et sens e. A ns e me eur compte ren u un ta eau pourra tre unsonnet ou une lgie.

    ais ce genre de critique est destin aux recueils de posie et aux lecteurs potiques.Quant la critique proprement dite, jespre que les philosophes comprendront ce que jea s re : pour tre uste, cest-- re pour avo r sa ra son tre, a cr t que o t tre par-iale, passionne, politique, cest--dire faite un point de vue exclusif, mais au point deue qui ouvre le plus dhorizons.xa ter a gne au tr ment e a cou eur, ou a cou eur aux pens e a gne, sansoute cest un po nt e vue ; ma s ce nest n trs arge n trs uste, et ce a accuse une

    grande ignorance des destines particulires.ous ignorez quelle dose la nature a ml dans chaque esprit le got de la ligne et le

    got e a cou eur, et par que s mystr eux proc s e e opre cette us on, ont e rsu -at est un tableau.

    Ainsi un point de vue plus large sera lindividualisme bien entendu : commander lar-iste la navet et lexpression sincre de son temprament, aide par tous les moyens queu ourn t son mt er. Qu na pas e temprament nest pas gne e a re es ta eaux,

    et, comme nous sommes las des imitateurs, et surtout des clectiques, doit entrercomme ouvrier au service dun peintre temprament. Cest ce que je dmontrerai dansun es ern ers c ap tres.

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    sorma s mun un cr ter um certa n, cr ter um t r e a nature, e cr t que o t accom-p r son evo r avec pass on ; car pour tre cr t que on nen est pas mo ns omme, et apassion rapproche les tempraments analogues et soulve la raison des hauteurs nou-

    elles.Sten a a t que que part : La pe nture nest que e mora e constru te ! Que vous

    entendiez ce mot de morale dans un sens plus ou moins libral, on en peut dire autantde tous les arts. Comme ils sont toujours le beau exprim par le sentiment, la pas-sion et la rverie de chacun, cest--dire la varit dans lunit, ou les faces diverses dea so u, a cr t que touc e c aque nstant a mtap ys que.

    Chaque sicle, chaque peuple ayant possd lexpression de sa beaut et de saorale, si lon veut entendre par romantisme lexpression la plus rcente et la plusoderne de la beaut, le grand artiste sera donc, pour le critique raisonnable et

    pass onn, ce u qu un ra a con t on eman e c - essus, a navet, e p us eromantisme possible.

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    QUEST-CEQUELEROMANTISME?

    eu de gens aujourdhui voudront donner ce mot un sens rel et positif ; oseront-ilscepen ant a rmer quune gnrat on consent vrer une ata e e p us eurs annes

    pour un drapeau qui nest pas un symbole ?Quon se rappelle les troubles de ces derniers temps, et lon verra que, sil est rest peue romant ques, cest que peu entre eux ont trouv e romant sme ; ma s tous ont

    c erc s ncrement et oya ement.Quelques-uns ne se sont appliqus quau choix des sujets ; ils navaient pas le tempra-

    ent de leurs sujets. Dautres, croyant encore une socit catholique, ont cherch

    re ter e cat o c sme ans eurs oeuvres. Sappe er romant que et regar er systmat -quement le pass, cest se contredire. Ceux-ci, au nom du romantisme, ont blasphmes Grecs et les Romains : or on peut faire des Romains et des Grecs romantiques, quand

    on lest soi-mme. La vrit dans lart et la couleur locale en ont gar beaucoupautres. Le ra sme ava t ex st ongtemps avant cette gran e ata e, et a eurs,

    composer une tragdie ou un tableau pour M. Raoul Rochette, cest sexposer recevoirun dmenti du premier venu, sil est plus savant que M. Raoul Rochette.

    e romant sme nest prc sment n ans e c o x es su ets n ans a vr t exacte, ma sans a man re e sent r.ls lont cherch en dehors, et cest en dedans quil tait seulement possible de le trou-

    er.our mo , e romant sme est express on a p us rcente, a p us actue e u eau.l y a autant de beauts quil y a de manires habituelles de chercher le bonheur.a philosophie du progrs explique ceci clairement ; ainsi, comme il y a eu autant

    didals quil y a eu pour les peuples de faons de comprendre la morale, lamour, la reli-g on, etc., e romant sme ne cons stera pas ans une excut on par a te, ma s ans uneconception analogue la morale du sicle.Cest parce que quelques-uns lont plac dans la perfection du mtier que nous avons eue rococo u romant sme, e p us nsupporta e e tous sans contre t.

    aut onc, avant tout, connatre es aspects e a nature et es s tuat ons e omme,

    que les artistes du pass ont ddaigns ou nont pas connus.Qui dit romantisme dit art moderne, cest--dire intimit, spiritualit, couleur, aspira-

    on vers n n , expr mes par tous es moyens que cont ennent es arts.l suit de l quil y a une contradiction vidente entre le romantisme et les oeuvres de ses

    principaux sectaires.Que la couleur joue un rle trs important dans lart moderne, quoi dtonnant ? Leromant sme est s u Nor , et e Nor est co or ste ; es rves et es er es sont en antsde la brume. LAngleterre, cette patrie des coloristes exasprs, la Flandre, la moiti dea France, sont plonges dans les brouillards ; Venise elle-mme trempe dans les lagunes.

    Quant aux pe ntres espagno s, s sont p utt contrasts que co or stes.

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    n revanc e e M est natura ste, car a nature y est s e e et s c a re que omme,nayant r en s rer, ne trouve r en e p us eau nventer que ce qu vo t : c , art en

    plein air, et, quelques centaines de lieues plus haut, les rves profonds de latelier et lesregards de la fantaisie noys dans les horizons gris.

    e M est ruta et pos t comme un scu pteur ans ses compos t ons es p us ca-

    es ; le Nord souffrant et inquiet se console avec limagination et, sil fait de la sculpture,elle sera plus souvent pittoresque que classique.

    aphal, quelque pur quil soit, nest quun esprit matriel sans cesse la recherche duso e ; ma s cette cana e e Rem ran t est un pu ssant a ste qu a t rver et ev -ner au del. Lun compose des cratures ltat neuf et virginal, Adam et Eve ; maisautre secoue des haillons devant nos yeux et nous raconte les souffrances humaines.

    Cependant Rembrandt nest pas un pur coloriste, mais un harmoniste ; combien leffetsera onc nouveau et e romant sme a ora e, s un pu ssant co or ste nous ren nos sen-iments et nos rves les plus chers avec une couleur approprie aux sujets !

    Avant de passer lexamen de lhomme qui est jusqu prsent le plus digne reprsen-

    ant u romant sme, e veux cr re sur a cou eur une sr e e r ex ons qu ne seront pasnut es pour nte gence comp te e ce pet t vre.

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    II

    ELACOULEUR

    Supposons un bel espace de nature o tout verdoie, rougeoie, poudroie et chatoie enp e ne ert, o toutes c oses, versement co ores su vant eur const tut on mo cu-

    aire, changes de seconde en seconde par le dplacement de lombre et de la lumire, etagites par le travail intrieur du calorique, se trouvent en perptuelle vibration, laquellea t trem er es gnes et comp te a o u mouvement terne et un verse . Unemmens t, eue que que o s et verte souvent, sten usquaux con ns u c e : cest a

    er. Les arbres sont verts, les gazons verts, les mousses vertes ; le vert serpente dans lesroncs, les tiges non mres sont vertes ; le vert est le fond de la nature, parce que le vert se

    ar e ac ement tous es autres tons. Ce qu me rappe a or , cest que partout, co-quelicots dans les gazons, pavots, perroquets, etc., le rouge chante la gloire du vert ; lenoir, quand il y en a, zro solitaire et insigniant, intercde le secours du bleu ou durouge. Le bleu, cest--dire le ciel, est coup de lgers ocons blancs ou de masses grisesqu trempent eureusement sa morne cru t, et, comme a vapeur e a sa son, verou t, baigne, adoucit, ou engloutit les contours, la nature ressemble un toton qui,

    par une vitesse acclre, nous apparat gris, bien quil rsume en lui toutes les cou-eurs.a sve monte et, m ange e pr nc pes, e e spanou t en tons m angs; es ar res,

    es rochers, les granits se mirent dans les eaux et y dposent leurs reets; tous les objets

    ransparents accrochent au passage lumires et couleurs voisines et lointaines. A mesureque astre u our se range, es tons c angent e va eur, ma s, respectant tou ourseurs sympathies et leurs haines naturelles, continuent vivre en harmonie par des con-

    cessions rciproques. Les ombres se dplacent lentement, et font fuir devant elles outeignent les tons mesure que la lumire, dplace elle-mme, en veut faire rsonnere nouveau. Ceux-c se renvo ent eurs re ets, et, mo ant eurs qua ts en es aant

    de qualits transparentes et empruntes, multiplient linni leurs mariages mlodieuxet les rendent plus faciles. Quand le grand foyer descend dans les eaux, de rouges fanfa-res s ancent e tous cts ; une sang ante armon e c ate or zon, et e vert sem-

    pourpre r c ement. Ma s entt e vastes om res eues c assent en ca ence evant

    elles la foule des tons orangs et rose tendre qui sont comme lcho lointain et affaibli dea lumire. Cette grande symphonie du jour, qui est lternelle variation de la sympho-

    n e er, cette success on e m o es, o a var t sort tou ours e n n , cet ymnecompliqu sappelle la couleur.On trouve dans la couleur lharmonie, la mlodie et le contre-point.Si lon veut examiner le dtail dans le dtail, sur un objet de mdiocre dimension, parexemp e, a ma n une emme un peu sangu ne, un peu ma gre et une peau trs ne,on verra quil y a harmonie parfaite entre le vert des fortes veines qui la sillonnent et lesons sanguinolents qui marquent les jointures ; les ongles roses tranchent sur la premire

    p a ange qu poss e que ques tons gr s et runs. Quant a paume, es gnes e v e,

    p us roses et p us v neuses, sont spares es unes es autres par e systme es ve nesertes ou bleues qui les traversent. Ltude du mme objet, faite avec une loupe, fournira

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    ans n mporte que espace, s pet t qu so t, une armon e par a te e tons gr s, eus,runs, verts, orangs et ancs rc au s par un peu e aune ; armon e qu , com ne

    avec les ombres, produit le model des coloristes, essentiellement diffrent du modeldes dessinateurs, dont les difcults se rduisent peu prs copier un pltre.

    a cou eur est onc accor e eux tons. Le ton c au et e ton ro , ans oppos -

    ion desquels consiste toute la thorie, ne peuvent se dnir dune manire absolue : ilsnexistent que relativement.

    a loupe, cest loeil du coloriste.e ne veux pas en conc ure quun co or ste o t proc er par tu e m nut euse es tons

    confondus dans un espace trs limit. Car, en admettant que chaque molcule soit douedun ton particulier, il faudrait que la matire ft divisible linni ; et dailleurs, lartntant quune abstraction et un sacrice du dtail lensemble, il est important de soc-cuper surtout es masses. Ma s e vou a s prouver que, s e cas ta t poss e, es tons,quelque nombreux quils fussent, mais logiquement juxtaposs, se fondraient naturelle-

    ent par la loi qui les rgit.

    es a n ts c m ques sont a ra son pour aque e a nature ne peut pas commettre eautes ans arrangement e ces tons ; car, pour e e, orme et cou eur sont un.e vrai coloriste ne peut pas en commettre non plus ; et tout lui est permis, parce quil

    connat de naissance la gamme des tons, la force du ton, les rsultats des mlanges, etoute a sc ence u contre-po nt, et qu peut a ns a re une armon e e v ngt rouges

    diffrents.Cela est si vrai que, si un propritaire anticoloriste savisait de repeindre sa campagnedune manire absurde et dans un systme de couleurs charivariques, le vernis pais etransparent e atmosp re et oe savant e Vronse re ressera ent e tout et pro u -

    raient sur une toile un ensemble satisfaisant, conventionnel sans doute, mais logique.

    Cela explique comment un coloriste peut tre paradoxal dans sa manire dexprimer lacou eur, et comment tu e e a nature con u t souvent un rsu tat tout rent e anature.

    air joue un si grand rle dans la thorie de la couleur que, si un paysagiste peignaites feuilles des arbres telles quil les voit, il obtiendrait un ton faux ; attendu quil y a

    un espace a r en mo n re entre e spectateur et e ta eau quentre e spectateur et anature.

    es mensonges sont continuellement ncessaires, mme pour arriver au trompe-lil.harmonie est la base de la thorie de la couleur.a m o e est un t ans a cou eur, ou a cou eur gnra e.a mlodie veut une conclusion ; cest un ensemble o tous les effets concourent un

    effet gnral.A ns a m o e a sse ans espr t un souven r pro on .

    a p upart e nos eunes co or stes manquent e m o e.a bonne manire de savoir si un tableau est mlodieux est de le regarder dassez loin

    pour nen comprendre ni le sujet si les lignes. Sil est mlodieux, il a dj un sens, et il a pr s sa p ace ans e rperto re es souven rs.e style et le sentiment dans la couleur viennent du choix, et le choix vient du tempra-ent.

    l y a des tons gais et foltres, foltres et tristes, riches et gais, riches et tristes, de com-uns et or g naux.

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    A ns a cou eur e Vronse est ca me et ga e. La cou eur e De acro x est souventp a nt ve, et a cou eur e M. Cat n souvent terr e.

    ai eu longtemps devant ma fentre un cabaret mi-parti de vert et de rouge crus, quitaient pour mes yeux une douleur dlicieuse. gnore s que que ana og ste a ta so ement une gamme comp te es cou eurs et

    des sentiments, mais je me rappelle un passage dHoffmann qui exprime parfaitementon ide, et qui plaira tous ceux qui aiment sincrement la nature : Ce nest pas seu-

    ement en rve, et dans le lger dlire qui prcde le sommeil, cest encore veill, lors-que enten s e a mus que, que e trouve une ana og e et une run on nt me entre escouleurs, les sons et les parfums. Il me semble que toutes ces choses ont t engendres

    par un mme rayon de lumire, et quelles doivent se runir dans un merveilleux concert.odeur des soucis bruns et rouges produit surtout un effet magique sur ma personne.

    e me a t tom er ans une pro on e rver e, et enten s a ors comme ans e o nta nes sons graves et profonds du hautbois.

    On demande souvent si le mme homme peut tre la fois grand coloriste et grand des-

    s nateur.Ou et non ; car y a rentes sortes e ess ns.

    a qualit dun pur dessinateur consiste surtout dans la nesse, et cette nesse exclut laouche : or il y a des touches heureuses, et le coloriste charg dexprimer la nature para cou eur per ra t souvent p us suppr mer es touc es eureuses qu rec erc er une

    plus grande austrit de dessin.a couleur nexclut certainement pas le grand dessin, celui de Vronse, par exemple,

    qui procde surtout par lensemble et les masses ; mais bien le dessin du dtail, le contouru pet t morceau, o a touc e mangera tou ours a gne.amour de lair, le choix des sujets mouvement, veulent lusage des lignes ottantes et

    noyes.es ess nateurs exc us s ag ssent se on un proc nverse et pourtant ana ogue.

    Attent s su vre et surpren re a gne ans ses on u at ons es p us secrtes, s nontpas le temps de voir lair et la lumire, cest--dire leurs effets, et sefforcent mme de nepas les voir, pour ne pas nuire au principe de leur cole.On peut onc tre a o s co or ste et ess nateur, ma s ans un certa n sens. De mmequun dessinateur peut tre coloriste par les grandes masses, de mme un coloriste peuttre dessinateur par une logique complte de lensemble des lignes ; mais lune de cesqualits absorbe toujours le dtail de lautre.

    es co or stes ess nent comme a nature ; eurs gures sont nature ement m tes para lutte harmonieuse des masses colores.es purs dessinateurs sont des philosophes et des abstracteurs de quintessence.es co or stes sont es potes p ques.

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    UGNEDELACROIX

    e romantisme et la couleur me conduisent droit EUGNEDELACROIX. Jignore sil ester e sa qua t e romant que ; ma s sa p ace est c , parce que a ma or t u pu c a

    depuis longtemps, et mme ds sa premire oeuvre, constitu le chef de lcole oderne.n entrant dans cette partie, mon coeur est plein dune joie sereine, et je choisis des-

    se n mes p umes es p us neuves, tant e veux tre c a r et mp e, et tant e me sens a sea or er mon su et e p us c er et e p us sympat que. I aut, pour a re en com-

    prendre les conclusions de ce chapitre, que je remonte un peu haut dans lhistoire dece temps-ci, et que je remette sous les yeux du public quelques pices du procs dj

    c tes par es cr t ques et es stor ens prc ents, ma s ncessa res pour ensem e ea dmonstration. Du reste, ce nest pas sans un vif plaisir que les purs enthousiastes

    dEugne Delacroix reliront un article du Constitutionnelde 1822, tir du Salon de M.Thiers, journaliste.

    Aucun ta eau ne rv e m eux mon av s aven r un gran pe ntre, que ce u e M.elacroix, reprsentantLe Dante et Virgile aux enfers Cest l surtout quon peut remar-

    quer ce jet de talent, cet lan de la supriorit naissante qui ranime les esprances un peucourages par e mr te trop mo r e tout e reste.e Dante et V rg e, con u ts par Caron, traversent e euve n erna et en ent avec

    peine la foule qui se presse autour de la barque pour y pntrer. Le Dante, suppos

    ivant, a lhorrible teinte des lieux ; Virgile, couronn dun sombre laurier, a les couleurse a mort. Les ma eureux con amns terne ement s rer a r ve oppose, satta-

    chent la barque. Lun la saisit en vain, et, renvers par son mouvement trop rapide, estreplong dans les eaux ; un autre lembrasse et repousse avec les pieds ceux qui veulentaborder comme lui ; deux autres serrent avec les dents le bois qui leur chappe. Il y a lgosme e a tresse et e sespo r e en er. Dans ce su et, s vo s n e exagra-ion, on trouve cependant une svrit de got, une convenance locale en quelque sorte,

    qui relve le dessin, auquel des juges svres, mais peu aviss ici, pourraient reprochere manquer e no esse. Le p nceau est arge et erme, a cou eur s mp e et v goureuse,

    quo que un peu crue.

    auteur a, outre cette imagination potique qui est commune au peintre comme lcri-ain, cette imagination de lart, quon pourrait appeler en quelque sorte limagination duess n, et qu est tout autre que a prc ente. I ette ses gures, es groupe et es p e olont avec la hardiesse de Michel-Ange et la fcondit de Rubens. Je ne sais quel sou-enir des grands artistes me saisit laspect de ce tableau ; je retrouve cette puissance

    sauvage, ardente, mais naturelle, qui cde sans effort son propre entranement.

    Je ne crois pas my tromper, M. Delacroix a reu le gnie ; quil avance avec assurance,quil se livre aux immenses travaux, condition indispensable du talent ; et ce qui doit luionner p us e con ance encore, cest que op n on que expr me c sur son compte est

    ce e e un es gran s matres e co e. . TRS.

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    Ces lignes enthousiastes sont vritablement stupantes autant par leur prcocit que pareur ar esse. S e r acteur en c e u ourna ava t, comme est prsuma e, es pr-entions se connatre en peinture, le jeune Thiers dut lui paratre un peu fou.our se bien faire une ide du trouble profond que le tableau deDante et Virgiledut jeter

    ans es espr ts a ors, e tonnement, e a asour ssement, e a co re, u ourra,es n ures, e ent ous asme et es c ats e r re nso ents qu entourrent ce eauableau, vrai signal dune rvolution, il faut se rappeler que dans latelier de M. Gurin,

    homme dun grand mrite, mais despote et exclusif comme son matre David, il ny avaitquun pet t nom re e par as qu se proccupa ent es v eux matres cart et osa entimidement conspirer lombre de Raphal et de Michel-Ange. Il nest pas encore ques-ion de Rubens.

    . Gurin, rude et svre envers son jeune lve, ne regarda le tableau qu cause duru t qu se a sa t autour.

    Gricault, qui revenait dItalie, et avait, dit-on, devant les grandes fresques romaines etorentines, abdiqu plusieurs de ses qualits presque originales, complimenta si fort le

    nouveau pe ntre, encore t m e, que ce u -c en ta t presque con us.Ce ut evant cette pe nture, ou que que temps aprs, evant Les Pestifrs de Scio,que Grard lui-mme, qui, ce quil semble, tait plus homme desprit que peintre,scria : Un peintre vient de nous tre rvl, mais cest un homme qui court sur leso ts ! Pour cour r sur es to ts, aut avo r e p e so e et oe um n par aumire intrieure.

    Gloire et justice soient rendues MM. Thiers et Grard !epuis le tableau deDante et Virgilejusquaux peintures de la chambre des pairs et desputs, espace est gran sans oute ; ma s a ograp e Eugne De acro x est peu

    accidente. Pour un pareil homme, dou dun tel courage et dune telle passion, les lutteses plus intressantes sont celles quil a soutenir contre lui-mme ; les horizons nont

    pas eso n tre gran s pour que es ata es so ent mportantes ; es rvo ut ons et esvnements es p us cur eux se passent sous e c e u crne, ans e a orato re tro t et

    ystrieux du cerveau.homme tant donc bien dment rvl et se rvlant de plus en plus (tableau allgo-

    r que eLa Grce, e Sar anapa e La Li ert, etc. , a contag on u nouve vang eemp rant e our en our, e a n aca m que se v t contra nt u -mme e s nqu terde ce nouveau gnie. M. Sosthne de La Rochefoucauld, alors directeur des beaux-arts,

    t un beau jour mander E. Delacroix, et lui dit, aprs maint compliment, quil tait afi-geant quun omme une s r c e mag nat on et un s eau ta ent, auque e gouver-nement voulait du bien, ne voult pas mettre un peu deau dans son vin ; il lui demandadnitivement sil ne lui serait pas possible de modier sa manire. Eugne Delacroix,

    prodigieusement tonn de cette condition bizarre et de ces conseils ministriels, rpon-t avec une co re presque com que quapparemment s pe gna t a ns , cest qu e

    fallait et quil ne pouvait pas peindre autrement. Il tomba dans une disgrce complte, etfut pendant sept ans sevr de toute espce de travaux. Il fallut attendre 1830. M. Thiersava t a t ansLe G o eun nouve et trs pompeux art c e.Un voyage Maroc a ssa ans son espr t, ce qu sem e, une mpress on pro on e ;

    l put loisir tudier lhomme et la femme dans lindpendance et loriginalit native deeurs mouvements, et comprendre la beaut antique par laspect dune race pure de toute

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    sa ance et orne e sa sant et u re ve oppement e ses musc es. Cest pro-a ement e cette poque que atent a compos t on esFemmes dAlgeret une ou e

    desquisses.usqu prsent on a t injuste envers Eugne Delacroix. La critique a t pour lui

    amre et gnorante ; sau que ques no es except ons, a ouange e e-mme a sou-

    ent lui paratre choquante. En gnral, et pour la plupart des gens, nommer Eugneelacroix, cest jeter dans leur esprit je ne sais quelles ides vagues de fougue mal diri-

    ge, de turbulence, dinspiration aventurire, de dsordre mme ; et pour ces messieursqu ont a ma or t u pu c, e asar , onnte et comp a sant serv teur u gn e, oueun grand rle dans ses plus heureuses compositions. Dans la malheureuse poque dervolution dont je parlais tout lheure, et dont jai enregistr les nombreuses mprises,on a souvent compar Eugne Delacroix Victor Hugo. On avait le pote romantique,

    a a t e pe ntre. Cette ncess t e trouver tout pr x es pen ants et es ana o-gues dans les diffrents arts amne souvent dtranges bvues, et celle-ci prouve encorecombien lon sentendait peu. A coup sr la comparaison dut paratre pnible Eugne

    e acro x, peut-tre tous eux ; car s ma n t on u romant sme nt m t, sp r tua-t, etc. p ace De acro x a tte u romant sme, e e en exc ut nature ement M. V ctorugo. Le parallle est rest dans le domaine banal des ides convenues, et ces deux pr-

    jugs encombrent encore beaucoup de ttes faibles. Il faut en nir une fois pour toutesavec ces n a ser es e r tor c en. Je pr e tous ceux qu ont prouv e eso n e crer eur propre usage une certaine esthtique, et de dduire les causes des rsultats, de com-

    parer attentivement les produits de ces deux artistes.. Victor Hugo, dont je ne veux certainement pas diminuer la noblesse et la majest, est

    un ouvr er eaucoup p us a ro t qu nvent , un trava eur en p us correct que cra-eur. Delacroix est quelquefois maladroit, mais essentiellement crateur. M. Victor Hugo

    aisse voir dans tous ses tableaux, lyriques et dramatiques, un systme dalignement et decontrastes un ormes. Lexcentr c t e e-mme pren c ez u es ormes symtr ques.

    poss e on et emp o e ro ement tous es tons e a r me, toutes es ressourcesde lantithse, toutes les tricheries de lapposition. Cest un compositeur de dcadenceou de transition, qui se sert de ses outils avec une dextrit vritablement admirable etcur euse. M. Hugo ta t nature ement aca m c en avant que e natre, et s nous t onsencore au temps des merveilles fabuleuses, je croirais volontiers que les lions verts deInstitut, quand il passait devant le sanctuaire courrouc, lui ont souvent murmur duneoix prophtique : Tu seras de lAcadmie ! our De acro x, a ust ce est p us tar ve. Ses oeuvres, au contra re, sont es po-es, et de grands pomes navement conus, excuts avec linsolence accoutume du

    gnie. Dans ceux du premier, il ny a rien deviner ; car il prend tant de plaisir mon-rer son a resse, qu nomet pas un r n er e n un re et e rver re. Le secon

    ouvre ans es s ens e pro on es avenues mag nat on a p us voyageuse. Le pre-ier jouit dune certaine tranquillit, disons mieux, dun certain gosme de spectateur,

    qui fait planer sur toute sa posie je ne sais quelle froideur et quelle modration, quea pass on tenace et euse u secon , aux pr ses avec es pat ences u mt er, ne u

    permet pas toujours de garder. Lun commence par le dtail, lautre par lintelligencentime du sujet ; do il arrive que celui-ci nen prend que la peau, et que lautre en arra-

    che les entrailles. Trop matriel, trop attentif aux supercies de la nature, M. Victorugo est evenu un pe ntre en pos e ; De acro x, tou ours respectueux e son a , est

    souvent, son insu, un pote en peinture.

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    Quant au secon pr ug, e pr ug u asar , na pas p us e va eur que eprem er. R en nest p us mpert nent n p us te que e par er un gran art ste, ru-dit et penseur comme Delacroix, des obligations quil peut avoir au dieu du hasard. Celafait tout simplement hausser les paules de piti. Il ny a pas de hasard dans lart, non

    p us quen mcan que. Une c ose eureusement trouve est a s mp e consquence un

    bon raisonnement, dont on a quelquefois saut les dductions intermdiaires, comme unefaute est la consquence dun faux principe. Un tableau est une machine dont tous lessystmes sont intelligibles pour un oeil exerc ; o tout a sa raison dtre, si le tableau eston ; o un ton est tou ours est n en a re va o r un autre ; o une aute occas onne e

    de dessin est quelquefois ncessaire pour ne pas sacrier quelque chose de plus impor-ant.

    Cette intervention du hasard dans les affaires de peinture de Delacroix est dautant plusnvra sem a e qu est un es rares ommes qu restent or g naux aprs avo r pu s outes les vraies sources, et dont lindividualit indomptable a pass alternativement souse joug secou de tous les grands matres. Plus dun serait assez tonn de voir une tude

    e u aprs Rap a , c e - oeuvre pat ent et a or eux m tat on, et peu e person-nes se souv ennent au our u es t ograp es qu a a tes aprs es m a es etdes pierres graves.

    oici quelques lignes de M. Henri Heine qui expliquent assez bien la mthode dee acro x, mt o e qu est, comme c ez tous es ommes v goureusement const tus,

    e rsultat de son temprament : En fait dart, je suis surnaturaliste. Je crois que lar-iste ne peut trouver dans la nature tous ses types, mais que les plus remarquables lui

    sont rvls dans son me, comme la symbolique inne dides innes, et au mme ins-ant. Un mo erne pro esseur est t que, qu a cr t es Rec erc es sur Ita e, a vou u

    remettre en honneur le vieux principe de limitation de la nature, et soutenir que lartiste

    plastique devait trouver dans la nature tous ses types. Ce professeur, en talant ainsi sonpr nc pe suprme es arts p ast ques, ava t seu ement ou un e ces arts, un es p uspr m t s, e veux re arc tecture, ont on a essay e retrouver aprs coup es typesdans les feuillages des forts, dans les grottes des rochers : ces types ntaient point dansa nature extrieure, mais bien dans lme humaine. e acro x part onc e ce pr nc pe, quun ta eau o t avant tout repro u re a pense

    ntime de lartiste, qui domine le modle, comme le crateur la cration ; et de ce principel en sort un second qui semble le contredire premire vue, savoir, quil faut trers soigneux des moyens matriels dexcution. Il professe une estime fanatique poura propret es out s et a prparat on es ments e oeuvre. En e et, a pe nture

    tant un art dun raisonnement profond et qui demande la concurrence immdiate dunefoule de qualits, il est important que la main rencontre, quand elle se met la besogne,e mo ns o stac es poss e, et accomp sse avec une rap t serv e es or res v nsu cerveau : autrement a senvo e.

    Aussi lente, srieuse, consciencieuse est la conception du grand artiste, aussi preste estson excution. Cest du reste une qualit quil partage avec celui dont lopinion publiquea a t son ant po e, M. Ingres. Laccouc ement nest po nt en antement, et ces gran sseigneurs de la peinture, dous dune paresse apparente, dploient une agilit mer-eilleuse couvrir une toile. Le Saint Symphorien a t refait entirement plusieurs fois,

    et dans le principe il contenait beaucoup moins de gures.

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    our E. De acro x, a nature est un vaste ct onna re ont rou e et consu te es eu esavec un oe sr et pro on ; et cette pe nture, qu proc e surtout u souven r, par e sur-out au souvenir. Leffet produit sur lme du spectateur est analogue aux moyens deartiste. Un tableau de Delacroix, Dante et Virgile, par exemple, laisse toujours unempress on pro on e, ont ntens t saccrot par a stance. Sacr ant sans cesse e

    dtail lensemble, et craignant daffaiblir la vitalit de sa pense par la fatigue duneexcution plus nette et plus calligraphique, il jouit pleinement dune originalit insaisis-sable, qui est lintimit du sujet.

    exerc ce une om nante na g t mement eu quau tr ment u reste. Un gotexcessif ncessite les sacrices, et les chefs-doeuvre ne sont jamais que des extraitsdivers de la nature. Cest pourquoi il faut subir les consquences dune grande passion,quelle quelle soit, accepter la fatalit dun talent, et ne pas marchander avec le gnie.Cest quo nont pas song es gens qu ont tant ra e ess n e De acro x ; en part -culier les sculpteurs, gens partiaux et borgnes plus quil nest permis, et dont le jugementaut tout au plus la moiti dun jugement darchitecte. La sculpture, qui la couleur

    est mposs e et e mouvement c e, na r en m er avec un art ste que proc-cupent surtout e mouvement, a cou eur et atmosp re. Ces tro s ments eman entncessairement un contour un peu indcis, des lignes lgres et ottantes, et laudace dea touche. Delacroix est le seul aujourdhui dont loriginalit nait pas t envahie pare systme es gnes ro tes ; ses personnages sont tou ours ag ts, et ses raper es vo -igeantes. Au point de vue de Delacroix, la ligne nest pas ; car, si tnue quelle soit, un

    gomtre taquin peut toujours la supposer assez paisse pour en contenir mille autres ; etpour les coloristes, qui veulent imiter les palpitations ternelles de la nature, les lignes nesont ama s, comme ans arc-en-c e , que a us on nt me e eux cou eurs.

    ailleurs il y a plusieurs dessins, comme plusieurs couleurs : exacts ou btes, physio-

    nomiques et imagins.e prem er est ngat , ncorrect orce e ra t, nature , ma s saugrenu ; e secon est

    un ess n natura ste, ma s a s, ess n un gn e qu sa t c o s r, arranger, corr ger,deviner, gourmander la nature ; enn le troisime qui est le plus noble et le plus trange,

    peut ngliger la nature ; il en reprsente une autre, analogue lesprit et au tempramente auteur.e dessin physionomique appartient gnralement aux passionns, comme M. Ingres ; le

    dessin de cration est le privilge du gnie.a grande qualit du dessin des artistes suprmes est la vrit du mouvement, ete acro x ne v o e ama s cette o nature e.assons lexamen de qualits plus gnrales encore. Un des caractres principaux du

    grand peintre est luniversalit. Ainsi le pote pique, Homre ou Dante, sait faire ga-ement en une y e, un rc t, un scours, une escr pt on, une o e, etc.e mme Ru ens, s pe nt es ru ts, pe n ra es ru ts p us eaux quun spc a ste

    quelconque.. Delacroix est universel ; il a fait des tableaux de genre pleins dintimit, des tableaux sto re p e ns e gran eur. Lu seu , peut-tre, ans notre s c e ncr u e, a conu esableaux de religion qui ntaient ni vides et froids comme des oeuvres de concours, ni

    pdants, mystiques ou no-chrtiens, comme ceux de tous ces philosophes de lart quifont de la religion une science darchasme, et croient ncessaire de possder avant touta sym o que et e tra t ons pr m t ves pour remuer et a re c anter a cor e re g euse.

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    Ce a se compren ac ement, s on veut cons rer que De acro x est, comme tous esgran s matres, un m ange a m ra e e sc ence, cest-- re un pe ntre comp et, etde navet, cest--dire un homme complet. Allez voir Saint-Louis au Marais cette

    Piet, o la majestueuse reine des douleurs tient sur ses genoux le corps de son enfantort, es eux ras ten us or zonta ement ans un accs e sespo r, une attaque e

    nerfs maternelle. Lun des deux personnages qui soutient et modre sa douleur est plorcomme les gures les plus lamentables de lHamlet, avec laquelle oeuvre celle-ci a dureste plus dun rapport. Des deux saintes femmes, la premire rampe convulsivement terre, encore revtue es oux et es ns gnes u uxe ; autre, on e et ore, sa -faisse plus mollement sous le poids norme de son dsespoir.

    e groupe est chelonn et dispos tout entier sur un fond dun vert sombre et uniforme,qui ressemble autant des amas de rochers qu une mer bouleverse par lorage. Ceon est une s mp c t antast que, et E. De acro x a sans oute, comme M c e -Ange,

    supprim laccessoire pour ne pas nuire la clart de son ide. Ce chef-duvre laissedans lesprit un sillon profond de mlancolie. - Ce ntait pas, du reste, la premire fois

    qu attaqua t es su ets re g eux. Le C rist aux O iviers, e Saint S astien, ava ent mo gn e a grav t et e a s ncr t pro on e ont sa t es empre n re.

    ais pour expliquer ce que jafrmais tout lheure, que Delacroix seul sait faire dea religion, je ferai remarquer lobservateur que, si ses tableaux les plus intressants

    sont presque tou ours ceux ont c o s t es su ets, cest-- re ceux e anta s e, nan-oins la tristesse srieuse de son talent convient parfaitement notre religion, religion

    profondment triste, religion de la douleur universelle, et qui, cause de sa catholicitme, laisse une pleine libert lindividu et ne demande pas mieux que dtre clbre

    ans e angage e c acun, s connat a ou eur et s est pe ntre.e me rappelle quun de mes amis, garon de mrite dailleurs, coloriste dj en

    ogue, un de ces jeunes hommes prcoces qui donnent des esprances toute leur vie, eteaucoup p us aca m que qu ne e cro t u -mme, appe a t cette pe nture : pe nturee cann a e !

    A coup sr, ce nest point dans les curiosits dune palette encombre, ni dans le diction-naire des rgles, que notre jeune ami saura trouver cette sanglante et farouche dsolation, pe ne compense par e vert som re e esprance !Cet hymne terrible la douleur faisait sur sa classique imagination leffet des vins redou-ables de lAnjou, de lAuvergne ou du Rhin, sur un estomac accoutum aux ples vio-ettes du Mdoc.

    A ns , un versa t e sent ment, et ma ntenant un versa t e sc ence !epuis longtemps les peintres avaient, pour ainsi dire, dsappris le genre dit de dcora-

    ion. Lhmicycle des Beaux-Arts est une oeuvre purile et maladroite, o les intentionsse contre sent, et qu ressem e une co ect on e portra ts stor ques. LeP a onHomreest un eau ta eau qu p a onne ma . La p upart es c ape es excutes ans

    ces derniers temps, et distribues aux lves de M. Ingres, sont faites dans le systmedes Italiens primitifs, cest--dire quelles veulent arriver lunit par la suppression dese ets um neux et par un vaste systme e co or ages m t gs. Ce systme, p us ra son-nable sans doute, esquive les difcults. Sous Louis XIV, Louis XV et Louis XVI, les

    peintres rent des dcorations grand fracas, mais qui manquaient dunit dans la cou-eur et dans la composition.. De acro x eut es corat ons a re, et rso ut e gran pro me. I trouva un t

    dans laspect sans nuire son mtier de coloriste.

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    a C am re es puts est qu tmo gne e ce s ngu er tour e orce. La um re,conom quement spense, c rcu e travers toutes ces gures, sans ntr guer oedune manire tyrannique.

    e plafond circulaire de la bibliothque du Luxembourg est une oeuvre plus tonnanteencore, o e pe ntre est arr v, non seu ement un e et encore p us oux et p us un ,

    sans rien supprimer des qualits de couleur et de lumire, qui sont le propre de tous sesableaux, mais encore sest rvl sous un aspect tout nouveau : Delacroix paysagiste !

    Au lieu de peindre Apollon et les Muses, dcoration invariable des bibliothques, E.e acro x a c son got rrs st e pour Dante, que S a speare seu a ance peut-

    tre dans son esprit, et il a choisi le passage o Dante et Virgile rencontrent dans un lieuystrieux les principaux potes de lantiquit :

    Nous ne laissions pas daller, tandis quil parlait ; mais nous traversions toujours laort, pa sse ort espr ts, veux- e re. Nous nt ons pas en o gns e entre eabme, quand je vis un feu qui perait un hmisphre de tnbres. Quelques pas nous

    en sparaient encore, mais je pouvais dj entrevoir que des esprits glorieux habitaient

    ce s our. O to , qu onores toute sc ence et tout art, que s sont ces espr ts auxque s on a t tantdhonneur quon les spare du sort des autres ?l me rpondit : Leur belle renomme, qui retentit l-haut dans votre monde, trouve

    grce ans e c e , qu es st ngue es autres.Cependant une voix se t entendre : Honorez le sublime pote ; son ombre, qui tait

    partie, nous revient. a voix se tut, et je vis venir nous quatre grandes ombres ; leur aspect ntait ni triste ni

    oyeux.Le bon matre me dit : Regarde celui qui marche, une pe la main, en avant des

    rois autres, comme un roi : cest Homre, pote souverain ; lautre qui le suit est Horacee sat r que ; Ov e est e tro s me, et e ern er est Luca n. Comme c acun eux par-age avec mo e nom qua a t retent r a vo x unan me, s me ont onneur et s ont

    bien !Ainsi je vis se runir la belle cole de ce matre du chant sublime, qui plane sur les autrescomme a g e. Ds qu s eurent ev s ensem e que que peu, s se tournrent vers moavec un geste de salut, ce qui t sourire mon guide. Et ils me rent encore plus dhon-neur, car ils me reurent dans leur troupe, de sorte que je fus le sixime parmi tant degnies e ne era pas E. De acro x n ure un oge exagr pour avo r s en va ncu a

    concavit de sa toile et y avoir plac des gures droites. Son talent est au-dessus de ceschoses-l. Je mattache surtout lesprit de cette peinture. Il est impossible dexprimeravec a prose tout e ca me en eureux que e resp re, et a pro on e armon e qu nageans cette atmosp re. Ce a a t penser aux pages es p us ver oyantes u T maque, et

    rend tous les souvenirs que lesprit a emports des rcits lysens. Le paysage, qui nan-oins nest quun accessoire, est, au point de vue o je me plaais tout lheure, luni-

    ersa t es gran s matres, une c ose es p us mportantes. Ce paysage c rcu a re,qui embrasse un espace norme, est peint avec laplomb dun peintre dhistoire, et la

    nesse et lamour dun paysagiste. Des bouquets de lauriers, des ombrages considra-bles le coupent harmonieusement ; des nappes de soleil doux et uniforme dorment sur lesgazons ; es montagnes eues ou ce ntes e o s ont un or zon sou a t pour e p a -sir des yeux. Quant au ciel, il est bleu et blanc, chose tonnante chez Delacroix ; les nua-

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    ges, ays et t rs en sens vers comme une gaze qu se c re, sont une gran egret ; et cette vote azur, pro on e et um neuse, u t une pro g euse auteur. Les

    aquarelles de Bonington sont moins transparentes.Ce chef-duvre, qui, selon moi, est suprieur aux meilleurs Vronse, a besoin, pour tre

    en compr s, une gran e qu tu e espr t et un our trs oux. Ma eureusement, e

    jour clatant qui se prcipitera par la grande fentre de la faade, sitt quelle sera dli-re des toiles et des chafauds, rendra ce travail plus difcile.

    Cette anne-ci, les tableaux de Delacroix sontLEnlvement de Rbecca, tir dIvanho,esA ieux e Romo et e Ju iette arguerite g ise, et Un Lion, aquare e.

    Ce quil y a dadmirable dansLEnlvement de Rbecca, cest une parfaite ordonnancede tons, tons intenses, presss, serrs et logiques, do rsulte un aspect saisissant. Dans

    presque tous les peintres qui ne sont pas coloristes, on remarque toujours des vides,cest-- re e gran s trous pro u ts par es tons qu ne sont pas e n veau, pour a nsdire ; la peinture de Delacroix est comme la nature, elle a horreur du vide.

    Romo et Juliette, sur le balcon, dans les froides clarts du matin, se tiennent reli-

    g eusement em rasss par e m eu u corps. Dans cette tre nte v o ente e a eu,u ette, es ma ns poses sur es pau es e son amant, re ette a tte en arr re, comme

    pour respirer, ou par un mouvement dorgueil et de passion joyeuse. Cette attitudensolite, car presque tous les peintres collent les bouches des amoureux lune contreautre, est nanmo ns ort nature e ; ce mouvement v goureux e a nuque est par-iculier aux chiens et aux chats heureux dtre caresss. Les vapeurs violaces du cr-

    puscule enveloppent cette scne et le paysage romantique qui la complte.e succs gnral quobtient ce tableau et la curiosit quil inspire prouvent bien ce que

    a t a eurs, que De acro x est popu a re, quo quen sent es pe ntres, et qusufra de ne pas loigner le public de ses oeuvres, pour quil le soit autant que les pein-

    res infrieurs.arguerite g ise appart ent cette c asse nom reuse e c armants ta eaux

    e genre, par esque s De acro x sem e vou o r exp quer au pu c ses t ograp es samrement critiques.Ce lion peint laquarelle a pour moi un grand mrite, outre la beaut du dessin et deatt tu e : cest qu est a t avec une gran e on om e. Laquare e est r u te son

    rle modeste, et ne veut pas se faire aussi grosse que lhuile.l me reste, pour complter cette analyse, noter une dernire qualit chez Delacroix, la

    plus remarquable de toutes, et qui fait de lui le vrai peintre du XIXe sicle : cest cette anco e s ngu re et op n tre qu sex a e e toutes ses oeuvres, et qu sexpr me

    et par le choix des sujets, et par lexpression des gures, et par le geste et par le stylede la couleur. Delacroix affectionne Dante et Shakspeare, deux autres grands peintrese a ou eur uma ne ; es connat on , et sa t es tra u re rement. En contem-

    p ant a sr e e ses ta eaux, on ra t quon ass ste a c rat on e que que mys-re douloureux :Dante et Virgile, Le Massacre de Scio, le Sardanapale, Le Christ aux

    Oliviers ; le Saint Sbastien, la Mde, les Naufrags, et lHamletsi raill et si peu com-pr s. Dans p us eurs on trouve, par e ne sa s que constant asar , une gure p us so-

    e, plus affaisse que les autres, en qui se rsument toutes les douleurs environnantes ;ainsi la femme agenouille, la chevelure pendante, sur le premier plan des Croiss Constantinople; la vieille, si morne et si ride, dansLe Massacre de Scio Cette mlan-co e resp re usque ans esFemmes A ger, son ta eau e p us coquet et e p us eur .Ce petit pome dintrieur, plein de repos et de silence, encombr de riches toffes et

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    e r m or ons e to ette, ex a e e ne sa s que aut par um e mauva s eu qu nousgu e assez v te vers es m es nson s e a tr stesse. En gnra , ne pe nt pas e

    jolies femmes, au point de vue des gens du monde toutefois. Presque toutes sont mala-des, et resplendissent dune certaine beaut intrieure. Il nexprime point la force par lagrosseur es musc es, ma s par a tens on es ner s. Cest non seu ement a ou eur qu

    sait le mieux exprimer, mais surtout, prodigieux mystre de sa peinture, la douleurorale ! Cette haute et srieuse mlancolie brille dun clat morne, mme dans sa cou-

    eur, large, simple, abondante en masses harmoniques, comme celle de tous les grandsco or stes, ma s p a nt ve et pro on e comme une m o e e We er.Chacun des anciens matres a son royaume, son apanage, quil est souvent contraintde partager avec des rivaux illustres. Raphal a la forme, Rubens et Vronse la cou-eur, Rubens et Michel-Ange limagination du dessin. Une portion de lempire restait, oem ran t seu ava t a t que ques excurs ons, e rame, e rame nature et v vant,

    e drame terrible et mlancolique, exprim souvent par la couleur, mais toujours par legeste.

    n a t e gestes su mes, De acro x na e r vaux quen e ors e son art. Je ne con-na s gure que Fr r c Lematre et Macrea y.Cest cause de cette qualit toute moderne et toute nouvelle que Delacroix est la der-nire expression du progrs dans lart. Hritier de la grande tradition, cest--dire deamp eur, e a no esse et e a pompe ans a compos t on, et gne successeur esieux matres, il a de plus queux la matrise de la douleur, la passion, le geste ! Cestraiment l ce qui fait limportance de sa grandeur. En effet, supposez que le bagage

    dun des vieux illustres se perde, il aura presque toujours son analogue qui pourra lex-p quer et e a re ev ner a pense e stor en. Otez De acro x, a gran e c ane e

    histoire est rompue et scroule terre.

    ans un article qui a plutt lair dune prophtie que dune critique, quoi bon releveres autes e ta et es tac es m croscop ques ? Lensem e est s eau, que e nen

    a pas e courage. Da eurs a c ose est s ac e, et tant autres ont a te ! Nest-l pas plus nouveau de voir les gens par leur beau ct ? Les dfauts de M. Delacroix

    sont parfois si visibles quils sautent lil le moins exerc. On peut ouvrir au hasard laprem re eu e venue, o pen ant ongtemps on sest o st n, nverse e mon sys-

    me, ne pas voir les qualits radieuses qui constituent son originalit. On sait que lesgrands gnies ne se trompent jamais demi, et quils ont le privilge de lnormit dansous les sens.

    *

    armi les lves de Delacroix, quelques-uns se sont heureusement appropri ce qui peutse pren re e son ta ent, cest-- re que ques part es e sa mt o e, et se sont a tune certaine rputation. Cependant leur couleur a, en gnral, ce dfaut quelle ne visegure quau pittoresque et leffet ; lidal nest point leur domaine, bien quils se pas-sent volontiers de la nature, sans en avoir acquis le droit par les tudes courageuses du

    atre.

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    On a remarqu cette anne labsence de M. PLANET, dont la Sainte Thrseavait auern er Sa on att r es yeux es conna sseurs, et e M. IESENER, qu a souvent a t

    des tableaux dune large couleur, et dont on peut voir avec plaisir quelques bons plafonds la Chambre des pairs, malgr le voisinage terrible de Delacroix.

    . LGER CHRELLE a envoyLe Martyre e sainte Irne. Le ta eau est compos

    une seu e gure et une p que qu est un e et assez sagra e. Du reste, a cou-eur et le model du torse sont gnralement bons. Mais il me semble que M. Lger

    Chrelle a dj montr au public ce tableau avec de lgres variantes.Ce qu y a assez s ngu er ansLa Mort e C optre, par M. ASSALE-BORDEScest quon ny trouve pas une proccupation unique de la couleur, et cest peut-tre un

    rite. Les tons sont, pour ainsi dire, quivoques, et cette amertume nest pas dnue decharmes.C optre exp re sur son trne, et envoy Octave se penc e pour a contemp er. Unede ses servantes vient de mourir ses pieds. La composition ne manque pas de majest,et la peinture est accomplie avec une bonhomie assez audacieuse ; la tte de Cloptre est

    e e, et a ustement vert et rose e a ngresse tranc e eureusement avec a cou eur esa peau. I y a certa nement ans cette gran e to e mene onne n, sans souc aucundimitation, quelque chose qui plat et attire le neur dsintress.

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    V

    ESSUJETSAMOUREUXETDEM. TASSAERT

    ous est-il arriv, comme moi, de tomber dans de grandes mlancolies, aprs avoirpass e ongues eures eu eter es estampes ert nes ? Vous tes-vous eman araison du charme quon trouve parfois fouiller ces annales de la luxure, enfouies danses bibliothques ou perdues dans les cartons des marchands, et parfois aussi de la mau-a se umeur que es vous onnent ? P a s r et ou eur m s, amertume ont a vre aou ours so ! Le p a s r est e vo r reprsent sous toutes ses ormes e sent ment e

    plus important de la nature, et la colre, de le trouver souvent si mal imit ou si sotte-ent calomni. Soit dans les interminables soires dhiver au coin du feu, soit dans les

    our s o s rs e a can cu e, au co n es out ques e v tr er, a vue e ces ess ns mais sur des pentes de rverie immenses, peu prs comme un livre obscne nous pr-

    cipite vers les ocans mystiques du bleu. Bien des fois je me suis pris dsirer, devantces innombrables chantillons du sentiment de chacun, que le pote, le curieux, le phi-osop e, pussent se onner a ou ssance un muse e amour, o tout aura t sa p ace,

    depuis la tendresse inapplique de sainte Thrse jusquaux dbauches srieuses des si-cles ennuys. Sans doute la distance est immense qui spare Le Dpart pour lle deCyt re es m sra es co or ages suspen us ans es c am res es es, au- essus un

    pot et une conso e ran ante ; ma s ans un su et auss mportant r en nest ng -ger. Et puis le gnie sanctie toutes choses, et si ces sujets taient traits avec le soin et le

    recueillement ncessaires, ils ne seraient point souills par cette obscnit rvoltante, quiest p utt une an aronna e quune vr t.Que le moraliste ne seffraye pas trop ; je saurai garder les justes mesures, et mon rvedailleurs se bornait dsirer ce pome immense de lamour crayonn par les mains les

    plus pures, par Ingres, par Watteau, par Rubens, par Delacroix ! Les foltres et lgan-es pr ncesses e Watteau, ct es Vnus sr euses et reposes e M. Ingres ; es sp en-

    dides blancheurs de Rubens et de Jordaens, et les mornes beauts de Delacroix, tellesquon peut se les gurer : de grandes femmes ples, noyes dans le satin !A ns pour rassurer comp tement a c astet e arouc e u ecteur, e ra que e ran-gera s ans es su ets amoureux, non seu ement tous es ta eaux qu tra tent spc a e-

    ent de lamour, mais encore tout tableau qui respire lamour, ft-ce un portrait.ans cette immense exposition, je me gure la beaut et lamour de tous les climats

    expr ms par es prem ers art stes, epu s es o es, vapores et merve euses cratu-res que nous a laisses Watteau ls dans ses gravures de mode, jusqu ces Vnus de

    embrandt qui se font faire les ongles, comme de simples mortelles, et peigner avec ungros peigne de buis.

    es su ets e cette nature sont c ose s mportante, qu nest po nt art ste, pet t ougrand, qui ne sy soit appliqu, secrtement ou publiquement, depuis Jules Romain jus-qu Devria et Gavarni.

    eur gran aut, en gnra , est e manquer e navet et e s ncr t. Je me rappe e

    pourtant une t ograp e qu expr me, sans trop e catesse ma eureusement, unedes grandes vrits de lamour libertin. Un jeune homme dguis en femme et sa ma-

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    resse a e en omme sont ass s ct un e autre, sur un sop a, e sop a queous savez, e sop a e te garn et u ca net part cu er. La eune emme veut re e-er les jupes de son amant. Cette page luxurieuse serait, dans le muse idal dont je

    parlais, compense par bien dautres o lamour napparatrait que sous sa forme la plus cate.

    Ces rexions me sont revenues propos de deux tableaux de M. TASSAERT,ErigoneetLe Marchand desclaves.

    . Tassaert, dont jai eu le tort grave de ne pas assez parler lan pass, est un peintre dup us gran mr te, et ont e ta ent sapp quera t e p us eureusement aux su ets amou-reux. Erigone est moiti couche sur un tertre ombrag de vignes, dans une pose pro-ocante, une jambe presque replie, lautre tendue et le corps chass en avant ; le dessin

    est n, les lignes onduleuses et combines dune manire savante. Je reprocherai cepen-ant M. Tassaert, qu est co or ste, avo r pe nt ce torse avec un ton trop un orme.autre tableau reprsente un march de femmes qui attendent des acheteurs. Ce sont deraies femmes, des femmes civilises, aux pieds rougis par la chaussure, un peu commu-

    nes, un peu trop roses, quun Turc te et sensue va ac eter pour es eauts super nes.Ce e qu est vue e os, et ont es esses sont enve oppes ans une gaze transparente,a encore sur la tte un bonnet de modiste, un bonnet achet rue Vivienne ou au Temple.

    a pauvre lle a sans doute t enleve par les pirates.a cou eur e ce ta eau est extrmement remarqua e par a nesse et par a transpa-

    rence de tons. On dirait que M. Tassaert sest proccup de la manire de Delacroix ;nanmoins il a su garder une couleur originale.Cest un artiste minent que les neurs seuls apprcient et que le public ne connat pasassez ; son ta ent a tou ours t gran ssant, et quan on songe o est part et o estarriv, il y a lieu dattendre de lui de ravissantes compositions.

    IE QUELQUES COLORISTES

    l y a au Salon deux curiosits assez importantes : ce sont les portraits de Petit Loupete raisse u os e u e, pe nts par M. Cat n, e cornac es sauvages. Quan M.

    Catlin vint Paris, avec ses Ioways et son muse, le bruit se rpandit que ctait un bravehomme qui ne savait ni peindre ni dessiner, et que sil avait fait quelques bauches pas-sables, ctait grce son courage et sa patience. Etait-ce ruse innocente de M. Catlinou t se es ourna stes ? I est au our u avr que M. Cat n sa t ort en pe n reet fort bien dessiner. Ces deux portraits sufraient pour me le prouver, si ma mmoire ne

    e rappelait beaucoup dautres morceaux galement beaux. Ses ciels surtout mavaientrapp cause e eur transparence et e eur gret.

    . Cat n a supr eurement ren u e caractre er et re, et express on no e e cesbraves gens ; la construction de leur tte est parfaitement bien comprise. Par leurs bel-

    es attitudes et laisance de leurs mouvements, ces sauvages font comprendre la sculp-ure ant que. Quant a cou eur, e e a que que c ose e mystr eux qu me p at p us

    que je ne saurais dire. Le rouge, la couleur du sang, la couleur de la vie, abondait telle-ent dans ce sombre muse, que ctait une ivresse ; quant aux paysages, montagnes

    boises, savanes immenses, rivires dsertes, ils taient monotonement, ternelle-ent verts ; e rouge, cette cou eur s o scure, s pa sse, p us c e pntrer que es

    yeux dun serpent, le vert, cette couleur calme et gaie et souriante de la nature, je les

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    retrouve c antant eur ant t se m o que usque sur e v sage e ces eux ros. Cequ y a e certa n, cest que tous eurs tatouages et co or ages ta ent a t se on es gam-

    es naturelles et harmoniques.e crois que ce qui a induit en erreur le public et les journalistes lendroit de M. Catlin,

    cest qu ne a t pas e pe nture crne, aque e tous nos eunes gens es ont s en

    accoutums, que cest maintenant la peinture classique.an pass, jai dj protest contre le De profundis unanime, contre la conspiration desngrats, propos de MM. Devria. Cette anne-ci ma donn raison. Bien des rputa-ons prcoces qu eur ont t su st tues ne va ent pas encore a eur. M. ACHILLEEVRIA surtout sest fait remarquer au Salon de 1846 par un tableau,Le Repos de la

    sainte Famille, qui non seulement conserve toute la grce particulire ces charmants etfraternels gnies, mais encore rappelle les srieuses qualits des anciennes coles ; desco es secon a res peut-tre, qu ne emportent prc sment n par e ess n n par acouleur, mais que lordonnance et la belle tradition placent nanmoins bien au-dessusdes dvergondages propres aux poques de transition. Dans la grande bataille roman-

    que, MM. Devr a rent part e u ata on sacr es co or stes ; eur p ace ta t oncarque c . Le ta eau e M. Ac e Devr a, ont a compos t on est exce ente,

    frappe en outre lesprit par un aspect doux et harmonieux.. BOISSARD, dont les dbuts furent brillants aussi et pleins de promesses, est un de

    ces espr ts exce ents nourr s es anc ens matres ; sa a e eine au sertest une pe n-ure dune bonne et saine couleur, sauf les tons des chairs un peu tristes. La pose est

    heureusement trouve.ans cet interminable Salon, o plus que jamais les diffrences sont effaces, o cha-

    cun ess ne et pe nt un peu, ma s pas assez pour mr ter mme tre c ass, cest unegrande joie de rencontrer un franc et vrai peintre, comme M. DEBON. Peut-tre sonConcert dans latelierest-il un tableau un peu trop artistique, Valentin, Jordaens et quel-ques autres y a sant eur part e ; ma s au mo ns cest e a e e et en portante pe nture,et qu n que ans auteur un omme par a tement sr e u -mme.

    . DUVEAU a fait Le Lendemain dune tempte. Jignore sil peut devenir un franccoloriste, mais quelques parties de son tableau le font esprer. Au premier aspect, lonc erc e ans sa mmo re que e scne stor que peut reprsenter. En e et, ny agure que les Anglais qui osent donner de si vastes proportions au tableau de genre. Dureste, il est bien ordonn, et parat gnralement bien dessin. Le ton un peu trop uni-forme, qui choque dabord loeil, est sans doute un effet de la nature, dont toutes les par-

    es para ssent s ngu rement crues, aprs que es ont t aves par es p u es.La Charitde M. LAEMLEIN est une charmante femme qui tient par la main, et portesuspendus son sein, des marmots de tous les climats, blancs, jaunes, noirs, etcCerta nement, M. Laem e n a e sent ment e a onne cou eur ; ma s y a ans cea eau un gran aut, cest que e pet t C no s est s o , et sa ro e un e et s

    agrable quil occupe presque uniquement loeil du spectateur. Ce petit mandarin trotteoujours dans la mmoire, et fera oublier le reste beaucoup de gens.

    . ECAMPS est un e ceux qu , epu s e nom reuses annes, ont occup espot que-ent la curiosit du public, et rien ntait plus lgitime.

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    Cet art ste, ou une merve euse acu t ana yse, arr va t souvent, par une eureuseconcurrence e pet ts moyens, es rsu tats un e et pu ssant. S esqu va t trop edtail de la ligne, et se contentait souvent du mouvement ou du contour gnral, si par-fois ce dessin frisait le chic, le got minutieux de la nature, tudie surtout dans sese ets um neux, ava t tou ours sauv et ma ntenu ans une rg on supr eure.

    Si M. Decamps ntait pas prcisment un dessinateur, dans le sens du mot gnrale-ent accept, nanmoins il ltait sa manire et dune faon particulire. Personne

    na vu de grandes gures dessines par lui ; mais certainement le dessin, cest--dire laournure e ses pet ts ons ommes, ta t accus et trouv avec une ar esse et un on-

    heur remarquables. Le caractre et les habitudes de leurs corps taient toujours visibles ;car M. Decamps sait faire comprendre un personnage avec quelques lignes. Ses croquistaient amusants et profondment plaisants. Ctait un dessin dhomme desprit, presquee car catur ste ; car poss a t e ne sa s que e onne umeur ou anta s e moqueuse,

    qui sattaquait parfaitement aux ironies de la nature : aussi ses personnages taient-ilsoujours poss, draps ou habills selon la vrit et les convenances et coutumes ternel-

    es e eur n v u. Seu ement y ava t ans ce ess n une certa ne mmo t, ma squ nta t pas p a sante et comp ta t son or enta sme. I prena t a tu e ses mo -es au repos, et quand ils couraient ils ressemblaient souvent des ombres suspendues ou

    des silhouettes arrtes subitement dans leur course ; ils couraient comme dans un bas-re e . Ma s a cou eur ta t son eau ct, sa gran e et un que a a re. Sans oute M.

    elacroix est un grand coloriste, mais non pas enrag. Il a bien dautres proccupations,et la dimension de ses toiles le veut ; pour M. Decamps, la couleur tait la grande chose,ctait pour ainsi dire sa pense favorite. Sa couleur splendide et rayonnante avait de plusun sty e trs part cu er. E e ta t, pour me serv r e mots emprunts or re mora , san-guinaire et mordante. Les mets les plus apptissants, les drleries cuisines avec le plus

    de rexion, les produits culinaires le plus prement assaisonns avaient moins de ragotet e montant, ex a a ent mo ns e vo upt sauvage pour e nez et e pa a s un gour-

    an , que es ta eaux e M. Decamps pour un amateur e pe nture. Ltranget e euraspect vous arrtait, vous enchanait et vous inspirait une invincible curiosit. Cela tenait

    peut-tre aux procds singuliers et minutieux dont use souvent lartiste, qui lucubre,t-on, sa pe nture avec a vo ont n at ga e un a c m ste. L mpress on que e pro-

    duisait alors sur lme du spectateur tait si soudaine et si nouvelle, quil tait difcilede se gurer de qui elle est lle, quel avait t le parrain de ce singulier artiste, et dequel atelier tait sorti ce talent solitaire et original. Certes, dans cent ans, les historiensauront u ma couvr r e matre e M. Decamps. Tantt re eva t es anc ens ma-re les plus hardiment colors de lEcole amande ; mais il avait plus de style queux et il

    groupait ses gures avec plus dharmonie ; tantt la pompe et la trivialit de Rembrandte proccupa ent v vement ; autres o s on retrouva t ans ses c e s un souven r amou-

    reux es c e s u Lorra n. Car M. Decamps ta t paysag ste auss , et paysag ste u p usgrand mrite : ses paysages et ses gures ne faisaient quun et se servaient rciproque-

    ent. Les uns navaient pas plus dimportance que les autres, et rien chez lui ntaitaccesso re ; tant c aque part e e a to e ta t trava e avec cur os t, tant c aque tatait destin concourir leffet de lensemble ! Rien ntait inutile, ni le rat qui tra-ersait un bassin la nage dans je ne sais quel tableau turc, plein de paresse et de fata-isme, ni les oiseaux de proie qui planaient dans le fond de ce chef-duvre intitul : le

    Supp ice es croc ets

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    e so e et a um re oua ent a ors un gran r e ans a pe nture e M. Decamps.Nu ntu a t avec autant e so n es e ets e atmosp re. Les eux es p us zar-res et les plus invraisemblables de lombre et de la lumire lui plaisaient avant tout.

    ans un tableau de M. Decamps, le soleil brlait vritablement les murs blancs et lessa es crayeux ; tous es o ets co ors ava ent une transparence v ve et an me. Les eaux

    taient dune profondeur inoue ; les grandes ombres qui coupent les pans des maisonset dorment tires sur le sol ou sur leau avaient une indolence et un farniente dombresndnissables. Au milieu de cette nature saisissante, sagitaient ou rvaient de petites

    gens, tout un pet t mon e avec sa vr t nat ve et com que.es tableaux de M. Decamps taient donc pleins de posie, et souvent de rverie ; mais l

    o dautres, comme Delacroix, arriveraient par un grand dessin, un choix de modle ori-ginal ou une large et facile couleur, M. Decamps arrivait par lintimit du dtail. Le seulreproc e, en e et, quon u pouva t a re, ta t e trop soccuper e excut on mat-rielle des objets ; ses maisons taient en vrai pltre, en vrai bois, ses murs en vrai mortierde chaux ; et devant ces chefs-doeuvre lesprit tait souvent attrist par lide doulou-

    reuse u temps et e a pe ne consacrs es a re. Com en neussent- s pas t p useaux, excuts avec p us e on om e !an pass, quand M. Decamps, arm dun crayon, voulut lutter avec Raphal etoussin, les neurs enthousiastes de la plaine et de la montagne, ceux-l qui ont un

    coeur gran comme e mon e, ma s qu ne veu ent pas pen re es c trou es aux ranc esdes chnes, et qui adoraient tous M. Decamps comme un des produits les plus curieux dea cration, se dirent entre eux : Si Raphal empche Decamps de dormir, adieu nosecamps ! Qui les fera dsormais ? Hlas ! MM. GUIGNET et CHACATON. t cepen ant M. Decamps a reparu cette anne avec es c oses turques, es paysages,

    des tableaux de genre et un Effet de pluie; mais il a fallu les chercher : ils ne sautaient

    plus aux yeux.. Decamps, qu sa t s en a re e so e , na pas su a re a p u e ; pu s a a t nager

    es canar s ans e a p erre, etc. LEco e turque, nanmo ns, ressem e ses onsableaux ; ce sont bien l ces beaux enfants que nous connaissons, et cette atmosphreumineuse et poussireuse dune chambre o le soleil veut entrer tout entier.

    me parat s ac e e nous conso er avec es magn ques Decamps qu ornent es ga e-ries que je ne veux pas analyser les dfauts de ceux-ci. Ce serait une besogne purile,que tout le monde fera du reste trs bien.

    armi les tableaux de M. PENGUILLY-LHARIDON, qui sont tous dune bonneacture, pet ts ta eaux argement pe nts, et nanmo ns avec nesse, un surtout se

    fait voir et attire les yeux : Pierrot prsente lassemble ses compagnons Arlequin etPolichinelle

    errot, un oe ouvert et autre erm, avec cet a r mato s qu est e tra t on, montre aupu c Ar equ n qu savance en a sant es ron s e ras o gs, une am e crnementpose en avant. Polichinelle le suit, tte un peu avine, oeil plein de fatuit, pauvrespetites jambes dans de grands sabots. Une gure ridicule, grand nez, grandes lunettes,gran es moustac es en croc, apparat entre eux r eaux. Tout ce a est une o e cou-eur, ne et simple, et ces trois personnages se dtachent parfaitement sur un fond gris.

    Ce quil y a de saisissant dans ce tableau vient moins encore de laspect que de la compo-sition, qui est dune simplicit excessive. Le Polichinelle, qui est essentiellement comi-que, rappe e ce u u C ar var ang a s, qu pose n ex sur e out e son nez, pour

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    expr mer com en en est er ou com en en est gn. Je reproc era M. Pengu ye navo r pas pr s e type e De urau, qu est e vra p errot actue , e p errot e s-oire moderne, et qui doit avoir sa place dans tous les tableaux de parade.oici maintenant une autre fantaisie beaucoup moins habile et moins savante, et qui

    est autant p us e e que e est peut-tre nvo onta re :La Rixe es men iants, par M.

    ANZONI Je nai jamais rien vu daussi potiquement brutal, mme dans les orgieses plus amandes. Voici en six points les diffrentes impressions du passant devant ceableau : I vive curiosit ; 2 quelle horreur ! 3 cest mal peint, mais cest une composi-on s ngu re et qu ne manque pas e c arme ; 4 ce nest pas auss ma pe nt quon e

    croirait dabord ; 5 revoyons donc ce tableau ; 6 souvenir durable.l y a l dedans une frocit et une brutalit de manire assez bien appropries au sujet, et

    qui rappellent les violentes bauches de Goya. Ce sont bien du reste les faces les pluspat u a res qu se pu ssent vo r ; cest un m ange s ngu er e c apeaux oncs, ejambes de bois, de verres casss, de buveurs vaincus ; la luxure, la frocit et livrognerieagitant leurs haillons.

    a eaut rougeau e qu a ume es s rs e ces mess eurs est une onne touc e, een a te pour p a re aux conna sseurs. Ja rarement vu que que c ose auss com que

    que ce malheureux coll sur le mur, et que son voisin a victorieusement clou avec unefourche.Quant au secon ta eau, LAssassinat nocturne, est un aspect mo ns trange. Lacouleur en est terne et vulgaire, et le fantastique ne gt que dans la manire dont la scneest reprsente. Un mendiant tient un couteau lev sur un malheureux quon fouille etqui se meurt de peur. Ces demi-masques blancs, qui consistent en des nez gigantesques,sont ort r es, et onnent cette scne pouvante un cac et es p us s ngu ers.

    . VILLA-AMIL a peint la Salle du trne Madrid. On dirait au premier abord que

    cest fait avec une grade bonhomie ; mais en regardant plus attentivement, on reconnatune gran e a et ans or onnance et a cou eur gnra e e cette pe nture cora-

    ve. Cest un ton mo ns n peut-tre, ma s une cou eur p us erme que es ta eauxdu mme genre quaffectionne M. Roberts. Il y a cependant ce dfaut que le plafond a

    oins lair dun plafond que dun ciel vritable.M. WATTIER e PERSE tra tent a tu e es su ets presque sem a es, e e -

    es dames en costumes anciens dans des parcs, sous de vieux ombrages ; mais M. Persea cela pour lui quil peint avec beaucoup plus de bonhomie, et que son nom ne lui com-

    ande pas la singerie de Watteau. Malgr la nesse tudie des gures de M. Wattier, M.erse u est supr eur par nvent on. I y a u reste entre eurs compos t ons a mme

    diffrence quentre la galanterie sucre du temps de Louis XV et la galanterie loyale dusicle de Louis XIII.

    co e Couture, pu squ aut appe er par son nom, a eaucoup trop onn cetteanne.

    . DIAZ DE LA PEA, qui est en petit lexpression hyperbolique de cette petite cole,part de ce principe quune palette est un tableau. Quant lharmonie gnrale, M. Diazpense quon a rencontre tou ours. Pour e ess n, e ess n u mouvement, e ess ndes coloristes, il nen est pas question ; les membres de toutes ces petites gures seiennent peu prs comme des paquets de chiffons ou comme des bras et des jambes dis-

    perss par lexplosion dune locomotive. Je prfre le kalidoscope, parce quil ne faitpasLes D aisses ouLe Jar in es Amours; ourn t es ess ns e c e ou e tap s,

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    et son r e est mo este. M. D az est co or ste, est vra ; ma s arg ssez e ca re unp e , et es orces u manquent, parce qu ne connat pas a ncess t une cou eurgnrale. Cest pourquoi ses tableaux ne laissent pas de souvenir.Chacun a son rle, dites-vous. La grande peinture nest point faite pour tout le monde.Un eau ner cont ent es p ces e rs stance et es ors- uvre. Oserez-vous tre

    ngrat envers les saucissons dArles, les piments, les anchois, laoli, etc. ? Hors-du-re apptissants, dites-vous ? Non pas, mais bonbons et sucreries curantes. Quioudrait se nourrir de dessert ? Cest peine si on lefeure, quand on est content de sonner.. CLESTIN NANTEUIL sait poser une touche, mais ne sait pas tablir les propor-

    ions et lharmonie dun tableau.. VERDIER peint raisonnablement, mais je le crois foncirement ennemi de la pense.. MULLER, omme aux Sy p es, e gran amateur es su ets pot ques, es su ets

    ruisselants de posie, a fait un tableau qui sappellePrimavera Les gens qui ne saventpas litalien croiront que cela veut direD amron.

    a cou eur e M. FAUSTIN BESSON per eaucoup ntre p us trou e et m ro tepar es v tres e a out que De orge.Quant M. FONTAINE, cest videmment un homme srieux ; il nous a fait M. de

    ranger entour de marmots des deux sexes, et initiant la jeunesse aux mystres de lape nture Couture.Grands mystres, ma foi ! Une lumire rose ou couleur de pche et une ombre verte,cest l que gt toute la difcult. Ce quil y a de terrible dans cette peinture, cestquelle se fait voir ; on laperoit de trs loin.

    e tous ces mess eurs, e p us ma eureux sans oute est M. COUTURE, qu oue enout ceci le rle intressant dune victime. Un imitateur est un indiscret qui vend une

    surprise.ans es rentes spc a ts es su ets as- retons, cata ans, su sses, norman s, etc.,M. ARMAND et ADOLPHE LELEUX sont passs par M. GUILLEMIN, qu est

    nfrieur M. HDOUIN, qui lui-mme le cde M. HAFFNER.ai entendu plusieurs fois faire MM. Leleux ce singulier reproche que, Suisses,spagno s ou Bretons, tous eurs personnages ava ent a r reton.. Hdouin est certainement un peintre de mrite, qui possde une touche ferme et qui

    entend la couleur ; il parviendra sans doute se constituer une originalit particulire.Quant M. Haffner, je lui en veux davoir fait une fois un portrait dans une manireromant que et super e, et e nen avo r po nt a t autres ; e croya s que cta t un granartiste plein de posie et surtout dinvention, un portraitiste de premier ordre, qui lchaitquelques rapinades ses heures perdues ; mais il parat que ce nest quun peintre.

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    II

    ELIDALETDUMODLE

    a couleur tant la chose la plus naturelle et la plus visible, le parti des coloristes est lep us nom reux et e p us mportant. Lana yse, qu ac te es moyens excut on, addoubl la nature en couleur et ligne, et avant de procder lexamen des hommes quicomposent le second parti, je crois utile dexpliquer ici quelques-uns des principes quies r gent, par o s mme eur nsu.e t tre e ce c ap tre est une contra ct on, ou p utt un accor e contra res ; car e es-

    sin du grand dessinateur doit rsumer lidal et le modle.a couleur est compose de masses colores qui sont faites dune innit de tons, dont

    armon e a t un t : a ns a gne, qu a ses masses et ses gnra ts, se su v se enune foule de lignes particulires, dont chacune est un caractre du modle.

    a circonfrence, idal de la ligne courbe, est comparable une gure analogue compo-se dune innit de lignes droites, qui doit se confondre avec elle, les angles intrieursso tusant e p us en p us.

    ais comme il ny a pas de circonfrence parfaite, lidal absolu est une btise. Le gotexclusif du simple conduit lartiste nigaud limitation du mme type. Les potes, lesart stes et toute a race uma ne sera ent en ma eureux, s a , cette a sur t,cette mposs t, ta t trouv. Quest-ce que c acun era t sorma s e son pauvre

    oi, de sa ligne brise ?

    ai dj remarqu que le souvenir tait le grand criterium de lart ; lart est une mn-otec n e u eau : or m tat on exacte gte e souven r. I y a e ces m sra es pe n-

    res, pour qui la moindre verrue est une bonne fortune ; non seulement ils nont garde deoublier, mais il est ncessaire quils la fassent quatre fois plus grosse : aussi font-ils le

    dsespoir des amants, et un peuple qui fait faire le portrait de son roi est un amant.Trop part cu ar ser ou trop gnra ser empc ent ga ement e souven r ; Apo ondu Belvdre et au Gladiateur je prfre lAntinos, car lAntinos est lidal du char-

    ant Antinos.Quoique le principe universel soit un, la nature ne donne rien dabsolu,n mme e comp et ; e ne vo s que es n v us. Tout an ma , ans une espce sem a-

    e, re en que que c ose e son vo s n, et parm es m ers e ru ts que peut onner

    un mme arbre il est impossible den trouver deux identiques, car ils seraient le mme ;et la dualit, qui est la contradiction de lunit, en est aussi la consquence. Cest surtoutans a race uma ne que n n e a var t se man este une man re e rayante.

    Sans compter les grands types que la nature a distribus sous les diffrents climats, jeois chaque jour passer sous ma fentre un certain nombre de Kalmouks, dOsages, dIn-

    diens, de Chinois et de Grecs antiques, tous plus ou moins parisianiss. Chaque indi-u est une armon e ; car vous est ma ntes o s arr v e vous retourner un son e

    oix connu, et dtre frapp dtonnement devant une crature inconnue, souvenir vivantdune autre crature doue de gestes et dune voix analogues. Cela est si vrai que Lavatera ress une nomenc ature es nez et es ouc es qu urent e gurer ensem e, et cons-

    at p us eurs erreurs e ce genre ans es anc ens art stes, qu ont revtu que que o s es

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    personnages re g eux ou stor ques e ormes contra res eur caractre. Que Lavaterse so t tromp ans e ta , cest poss e ; ma s ava t e u pr nc pe. Te e ma neut tel pied ; chaque piderme engendre son poil. Chaque individu a donc son idal.e nafrme pas quil y ait autant didals primitifs que dindividus, car un moule donne

    p us eurs preuves ; ma s y a ans me u pe ntre autant a s que n v us,

    parce quun portrait est un modle compliqu dun artiste.Ainsi lidal nest pas cette chose vague, ce rve ennuyeux et impalpable qui nage au

    plafond des acadmies ; un idal, cest lindividu redress par lindividu, reconstruit etren u par e p nceau ou e c seau c atante vr t e son armon e nat ve.

    a premire qualit dun dessinateur est donc ltude lente et sincre de son modle. Ilfaut non seulement que lartiste ait une intuition profonde du caractre du modle, maisencore quil le gnralise quelque peu, quil exagre volontairement quelques dtails,

    pour augmenter a p ys onom e et ren re son express on p us c a re.l est curieux de remarquer que, guid par ce principe, que le sublime doit fuir les

    dtails, lart pour se perfectionner revient vers son enfance. Les premiers artistes

    auss nexpr ma ent pas es ta s. Toute a rence, cest quen a sant tout uneenue es ras et es am es e eurs gures, ce nta ent pas eux qu uya ent es ta s,ais les dtails qui les fuyaient ; car pour choisir il faut possder.e dessin est une lutte entre la nature et lartiste, o lartiste triomphera dautant plus

    ac ement qu compren ra m eux es ntent ons e a nature. I ne sag t pas pour u ecopier, mais dinterprter dans une langue plus simple et plus lumineuse.

    introduction du portrait, cest--dire du modle idalis, dans les sujets dhistoire, dereligion ou de fantaisie, ncessite dabord un choix exquis du modle, et peut certaine-

    ent ra eun r et rev v er a pe nture mo erne, trop enc ne, comme tous nos arts, secontenter de limitation des anciens.

    Tout ce que je pourrais dire de plus sur les idals me parat inclus dans un chapitre deSten a , ont e t tre est auss c a r qu nso ent :

    COMMENT LEMPORTER SUR RAPHAEL ?

    ans les scnes touchantes produites par les passions, le grand peintre des temps moder-nes, s ama s parat, onnera c acune e ses personnes a eaut i a e tire u tem-

    pramentfait pour sentir le plus vivement leffet de cette passion.erther ne sera pas indiffremment sanguin ou mlancolique ; Lovelace, egmatique ou

    bilieux. Le bon cur Primerose, laimable Cassio nauront pas le temprament bilieux ;a s e u S y oc , ma s e som re Iago, ma s a y Mac et , ma s R c ar III ; a ma-ble et pure Imogne sera un peu egmatique.

    aprs ses premires observations, lartiste a fait lApollon du Belvdre. Mais ser u ra-t- onner ro ement es cop es e Apo on toutes es o s qu vou ra

    prsenter un eu eune et eau ? Non, mettra un rapport entre act on et e genre ebeaut. Apollon, dlivrant la terre du serpent Python, sera plus fort ; Apollon, cherchant plaire Daphn, aura des traits plus dlicats .

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    III

    EQUELQUESDESSINATEURS

    ans le chapitre prcdent, je nai point parl du dessin imaginatif ou de cration, parcequ est en gnra e pr v ge es co or stes. M c e -Ange, qu est un certa n po nt eue linventeur de lidal chez les modernes, seul a possd au suprme degr limagina-ion du dessin sans tre coloriste. Les purs dessinateurs sont des naturalistes dous dun

    sens exce ent ; ma s s ess nent par ra son, tan s que es co or stes, es gran s co o-r stes, ess nent par temprament, presque eur nsu. Leur mt o e est ana ogue anature ; ils dessinent parce quils colorent, et les purs dessinateurs, sils voulaient treogiques et dles leur profession de foi, se contenteraient du crayon noir. Nanmoins

    s sapp quent a cou eur avec une ar eur nconceva e, et ne sapero vent po nt eeurs contradictions. Ils commencent par dlimiter les formes dune manire cruelle et

    absolue, et veulent ensuite remplir ces espaces. Cette mthode double contrarie sanscesse leurs efforts, et donne toutes leurs productions je ne sais quoi damer, de pnibleet e content eux. E es sont un procs terne , une ua t at gante. Un ess nateur estun coloriste manqu.Cela est si vrai que M. INGRES, le reprsentant le plus illustre de lcole naturalisteans e ess n, est tou ours au pourc as e a cou eur. A m ra e et ma eureuse op n -ret ! Cest terne e sto re es gens qu ven ra ent a rputat on qu s mr tent pour

    celle quils ne peuvent obtenir. M. Ingres adore la couleur, comme une marchande de

    odes. Cest peine et plaisir la fois que de contempler les efforts quil fait pour choi-s r et accoup er ses tons. Le rsu tat, non pas tou ours scor ant, ma s amer et v o ent,

    plat toujours aux potes corrompus ; encore quand leur esprit fatigu sest longtempsrjoui dans ces luttes dangereuses, il veut absolument se reposer sur un Velasquez ou un

    awrence.S M. Ingres occupe aprs E. De acro x a p ace a p us mportante, cest cause e cedessin tout particulier, dont janalysais tout lheure les mystres, et qui rsume le mieux

    jusqu prsent lidal et le modle. M. Ingres dessine admirablement bien, et il dessinete. Dans ses croqu s a t nature ement e a ; son ess n, souvent peu c arg, ne

    cont ent pas eaucoup e tra ts ; ma s c acun ren un contour mportant. Voyez ct es

    dessins de tous ces ouvriers en peintures, souvent ses lves ; ils rendent dabord lesinuties, et cest pour cela quils enchantent le vulgaire, dont loeil dans tous les genres

    ne souvre que pour ce qu est pet t.ans un certain sens, M. Ingres dessine mieux que Raphal, le roi populaire des dessi-

    nateurs. Raphal a dcor des murs immenses ; mais il net pas fait