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Le Mékong. Mission Préparatoire des Nations-Unies au Cambodge(MIPRENUC), Authorité Provisoire des Nations-Unies au Cambodge (APRONUC) 1 er mandat. 08/03/1992-01/10/1992 Le Cambodge ! Quel nom mythique pour ceux qui ont un peu de culture militaire et TAP en particulier. Il évoque l’Indochine, les combats menés par nos anciens mais aussi une culture et une façon de vivre dont beaucoup d’entre eux sont nostalgiques. Aussi, il sera facile aux lecteurs de comprendre combien je suis enthousiasmé par le fait d’être désigné pour cette mission. Je ne suis pas seul et l’ensemble du détachement commandé par le capitaine Dufour est au diapason. Le texte qui suit a pour but de relater nos préparatifs, notre vie sur place, certaines des missions que nous avons remplies ainsi que de relater quelques anecdotes qui font la saveur d’un séjour et certainement les meilleurs souvenirs qui subsistent dans nos mémoires. Préparation et mise en place. Je suis chef de Peloton de livraison par Air (PAL) lorsque le capitaine SOUPART, commandant d’unité de l’ELA m’annonce que je suis désigné pour la mission au Cambodge. Cette mission de l’ONU a pour but de restaurer la démocratie dans ce pays qui a tant souffert des Khmers rouges, de l’invasion vietnamienne en 1978 et de la guerre civile qui s’en suivit. Comme souvent, pour armer un détachement, les ressources de l’ELA ne sont pas suffisantes et il faut faire appel à toutes les unités de la BOMAP. C’est donc un peu un « détachement » de marche mais cela constitue notre force car nous pouvons faire face à presque toutes les situations. Notre chef désigné est le capitaine DUFOUR (ECS) et les autres sous-officiers sont l’ADC Pierre (ELA), l’ADJ FELKAR (ELA),le SCH CHAZALET (ECS), le SGT X (ECS) mécanicien chargé des moyens techniques. Environ quinze militaires du rang (MDR) provenant de l’ELA et de l’ECS constituent le reste du détachement. Une partie est formée d’engagé, l’autre est à base de Volontaire Service Long (VSL). Certains MDR ont déjà été désignés mais on me laisse le soin d’en choisir quelques un parmi le peloton. Le parachutiste BERGER (EV) fait naturellement parti d’eux car je le sais compétent et suis certain de ses aptitudes. Parmi les VSL, je demande au parachutiste NIVELON de se joindre à nous. Je lui demande et cela peut paraitre surprenant ! En effet, les VSL sont une population de volontaires mais il faut néanmoins appliquer certaines règles. C’est du moins ce que je fais car il serait dommage de se retrouver à 12 000 km avec un problème métaphysique à résoudre. Le parachutiste NIVELON est en permission dans son Alsace natale. Je l’appelle et lui explique la situation. Tout d’abord décontenancé, il agrée et fera partie du détachement. Il faut dire que son allant, sa bonne humeur m’ont impressionnés lorsque je l’observai au conditionnement et en vol. La suite ne me démentira pas. Il restera à la BOMAP comme EV et sera toujours très apprécié par ses pairs et ses supérieurs.

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Le Mékong. Mission Préparatoire des Nations-Unies au Cambodge(MIPRENUC),

Authorité Provisoire des Nations-Unies au Cambodge (APRONUC) 1er mandat. 08/03/1992-01/10/1992

Le Cambodge ! Quel nom mythique pour ceux qui ont un peu de culture militaire et TAP en

particulier. Il évoque l’Indochine, les combats menés par nos anciens mais aussi une culture et une façon de vivre dont beaucoup d’entre eux sont nostalgiques. Aussi, il sera facile aux lecteurs de comprendre combien je suis enthousiasmé par le fait d’être désigné pour cette mission. Je ne suis pas seul et l’ensemble du détachement commandé par le capitaine Dufour est au diapason. Le texte qui suit a pour but de relater nos préparatifs, notre vie sur place, certaines des missions que nous avons remplies ainsi que de relater quelques anecdotes qui font la saveur d’un séjour et certainement les meilleurs souvenirs qui subsistent dans nos mémoires.

Préparation et mise en place.

Je suis chef de Peloton de livraison par Air (PAL) lorsque le capitaine SOUPART, commandant d’unité de l’ELA m’annonce que je suis désigné pour la mission au Cambodge. Cette mission de l’ONU a pour but de restaurer la démocratie dans ce pays qui a tant souffert des Khmers rouges, de l’invasion vietnamienne en 1978 et de la guerre civile qui s’en suivit.

Comme souvent, pour armer un détachement, les ressources de l’ELA ne sont pas suffisantes et il faut faire appel à toutes les unités de la BOMAP. C’est donc un peu un « détachement » de marche mais

cela constitue notre force car nous pouvons faire face à presque toutes les situations. Notre chef désigné est le capitaine DUFOUR (ECS) et les autres sous-officiers sont l’ADC Pierre (ELA), l’ADJ FELKAR (ELA),le SCH CHAZALET (ECS), le SGT X (ECS) mécanicien chargé des moyens techniques. Environ quinze militaires du rang (MDR) provenant de l’ELA et de l’ECS constituent le reste du détachement. Une partie est formée d’engagé, l’autre est à base de Volontaire Service

Long (VSL). Certains MDR ont déjà été désignés mais on me laisse le soin d’en choisir quelques un parmi le peloton. Le parachutiste BERGER (EV) fait naturellement parti d’eux car je le sais compétent et suis certain de ses aptitudes. Parmi les VSL, je demande au parachutiste NIVELON de se joindre à nous. Je lui demande et cela peut paraitre surprenant ! En effet, les VSL sont une population de volontaires mais il faut néanmoins appliquer certaines règles. C’est du moins ce que je fais car il serait dommage de se retrouver à 12 000 km avec un problème métaphysique à résoudre. Le parachutiste NIVELON est en permission dans son Alsace natale. Je l’appelle et lui explique la situation. Tout d’abord décontenancé, il agrée et fera partie du détachement. Il faut dire que son allant, sa bonne humeur m’ont impressionnés lorsque je l’observai au conditionnement et en vol. La suite ne me démentira pas. Il restera à la BOMAP comme EV et sera toujours très apprécié par ses pairs et ses supérieurs.

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Evidemment, nous passons par toutes les étapes préparatoires. Perception du paquetage avec son béret bleu et le badge France, infirmerie avec son lot d’injections spécifiques, suivis de bien d’autres sur place, pour ce pays extrême-orientale et enfin l’entrevue avec le COL DUC, Chef de corps, ce qui constitue l’ultime étape avant notre départ. Je n’ai plus de souvenir de notre lieu de décollage. Est-ce Toulouse ou Paris ? Toujours est-il que nous atterrissons à Phnom-Penh après une probable escale à Bangkok. Nous sommes accueillis à notre arrivée par le LTN GUILLEMOT (ECS) qui a commandé le Détachement de la BOMAP pour les premiers six mois de MIPRENUC. Le passage de consignes se passe parfaitement pendant une dizaine de jours comme c’est l’usage. Déjà nos prédécesseurs préparent leur départ, font le tri dans leur paquetage et font leurs adieux. Ils s’envolent et nous voici entre nous et recevons un renfort d’une équipe du RLA qui ne sera pas superflu compte tenu du déroulement ultérieur de notre mission. Le séjour.

1. Conditions de vie. Nous sommes logés dans une

villa située au milieu d’une rue ou loge l’ensemble du détachement français. Les bâtiments ont été construits pour les conseillers soviétiques qui ont œuvrés précédemment au profit des « autorités » locales. Le confort y est simple mais nous suffit amplement. La villa dispose d’un étage et d’un toit terrasse très apprécié pour sa fraicheur durant la nuit. En effet, la climatisation ne fonctionne pas toujours très bien et il fait

souvent étouffant à l’intérieur. Dormir avec sur son lit Picot équipé de sa moustiquaire avec un toit d’étoile est un vrai plaisir ! Tant que nous sommes à la saison sèche. Chaque villa dispose de deux personnels féminins recrutés localement pour l’entretien du bâtiment et du linge des occupants. Elles logent dans une annexe située à l’arrière de la villa. Toutes deux sont très discrètes mais au fur et à mesure du temps elles dévoilent un peu de leur passé. Elles ont évidemment souffert des guerres et supportent leurs

Rédaction du courrier à la villa familles avec leur salaire. Pour ce qui nous concerne, elles nous changent des « boys » africains de nos séjours précédents.

Nos “boyesses”

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Nous prenons notre petit-déjeuner à la villa avant de nous rendre à l’aéroport de Poncheng-tong. Le déjeuner se prend sur place dans un petit restaurant contigu et le diner est pris dans un restaurant proche de notre lieu d’habitation qui a passé un contrat avec le détachement français. Autant le petit restaurant de l’aéroport nous comble par ses soupes, omelettes et évidemment riz, autant le restaurant du soir est décevant. La nourriture est fade, sans saveur ! Aussi, nous sommes nombreux à nous restaurer grâce aux excellentes rations fournis par le Commissariat.

2. La mission. Nous sommes sous le mandat MIPRENUC pendant le premier mois. Cela signifie que nous portons

toujours le béret rouge et nous sommes commandés par le GB LORIDON. Localisé dans une aile de l’aéroport de Ponchentong, nous partageons le local constitué d’une grande

pièce avec le personnel du COTAM disposant de deux Transall C160, du DETALAT et du détachement de sécurité du 1er RI. Le CNE DUFOUR a organisé le détachement en quatre équipes. Trois sont dédiés à notre cœur de métier, transit et vol, la quatrième est l’équipe « commandement/ logistique. Cette organisation va se révéler parfaite au cours des mois qui suivront et nous permettra de nous adapter à toutes les demandes de l’ONU.

Nous prenons nos marques et ce premier mois est très facile. Fort heureusement, nous ne nous endormons pas et nous nous préparons. En effet, nous sommes dotés d’un parc de véhicules impressionnant mais pas toujours adapté à nos besoins. Une vingtaine de GBC8KT, un chariot élévateur VALMET, un chariot élévateur loué avec son conducteur propriétaire local sont à notre disposition sur le parking. Une partie des GBC sont déjà équipés de chemin de roulement, le reste est gardé en réserve. Le chariot élévateur VALMET est le bienvenu car efficace. En revanche, le chariot-élévateur local est antédiluvien, ne soulève qu’une tonne environ et semble peu fiable. Son conducteur est quant à lui très sympathique et serviable. Il semble aussi âgé que son engin tant il est buriné par le soleil. L’un comme l’autre seront néanmoins très appréciés tout au long du séjour. Par ailleurs, nous ne disposons de peu de matériels pour équiper le transit. Aussi, nous passons commande de bastaings pour déposer les palettes 10 000 LBS et avons la bonne idée de demander des bâches plastiques afin de protéger les matériels conditionnés sur les palettes. En effet, s’il fait beau et sec pour l’instant, la saison de la mousson ne devrait pas tarder. Cette période est également mise à profit pour continuer l’instruction du personnel dont la spécialité n’est pas la livraison par air.

Au cours d’une cérémonie organisée sur le tarmac, nous changeons de béret et passons sans le savoir à la vitesse supérieure. Le BG LORIDON pressenti un moment pour prendre le commandement de l’ensemble des forces quitte le pays. Le Lieutenant-General australien John SANDERSON est nommé commandant en chef des forces armées et du premier contingent. Notre COMELEF est un colonel TDM.

Presque immédiatement, le rythme s’accélère car les effectifs de l’ONU vont s’élever à près de 4 000 personnes dont 3 600 militaires en provenance de presque tous les pays de la planète. Pour l’instant, le seul point d’entrée est l’aéroport de Phnom-Penh. Par la suite, le port de Sihanoukville constituera un second point d’entrée. Comme Phnom-Penh ne possède pas les infrastructures permettant de recevoir les gros porteurs civils, il nous faut faire du brouettage entre Bangkok et Phnom-Penh. Il en est de même entre Sihanoukville et Phnom-Penh. Et enfin, nous devons assurer l’escale entre la capitale khmère et les différents postes ou sont positionnés les personnels de l’ONU. Cela implique le transport des personnes mais également leur approvisionnement. De plus, les matériels sur l’aéroport sont de plus en plus nombreux. Un détachement russe est sur place avec sa vingtaine d’hélicoptère MI8 et quatre hélicoptères lourds MI26. L’ALAT est monté en puissance avec quelques hélicoptères PUMA SA330. Par ailleurs, l’ONU a loué un Hercules C130 sud-africain dont l’équipage est composé de civils… Ils sont tous excellents et le chef de soute est particulièrement efficace.

Nous sommes maintenant sous pression et dispersés entre Phnom-Penh, Battambang et Bangkok, plates-formes entre lesquelles nous tournons. Les remarques sur la nécessité du détachement sur le territoire sont

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oubliées à la faveur des félicitations du chef de la logistique onusienne. En effet, ce dernier a remarqué combien notre travail d’acheminement des personnels et surtout des matériels a permis de fournir les biens sans lesquels une telle administration ne peut vivre.

A Phnom-Penh, l’équipe assure les missions d’une escale et fournit le personnel de l’équipe vol pour le Transall C160. La charge de travail est conséquente car les aéronefs loués par l’ONU se posent à toute heure de la journée. Il s’agit essentiellement d’Iliouchine 96. La masse transportée est conséquente et le travail en soute difficile. La transpiration ruisselle mais nous avons un peu adapté notre tenue et portons tous des T-shirts achetés localement. Ils présentent un aspect camouflé et sont ajourés ce qui nous aide à supporter la température et les efforts physiques à produire. En effet, les moyens en matériels de levage dont nous disposons sont insuffisants et nous produisons un effort physique important. Presque la totalité de la manutention se fait à la main. Ainsi, chaque matin il faut charger les nombreux MI8 qui vont vers les différents postes situés sur l’ensemble du Cambodge. Il est également vital d’approvisionner certains postes en eau potable. Pour cela, les hélicoptères lourds MI26 servent à transporter les bombonnes d’eau que nous portons une à une dans la soute et cela à concurrence de 10 tonnes. A ce rythme, il est inutile de faire de la musculation…

Chargement de bombonnes d’eau dansla soute d’un MI26. De gauche à droite : BERGER, MULLER, NIVELON, X, FELKAR

A Battambang ville située près des temples d’Angkor, une équipe arme une escale qui assure la réception et le dispatching des matériels. Le travail y est peu moins intense qu’à Phnom-Penh mais elle ne

Hélicoptère MI26.

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dispose d’aucun moyen de levage. Il lui faut donc faire appel à toutes ses connaissances techniques pour assurer sa mission. Fort heureusement, l’expérience accumulée lors des séjours antérieurs et l’ingéniosité font leurs preuves. Le logement se fait dans un hôtel du centre-ville. Le confort est spartiate mais très suffisant. Sur une colline, à

proximité de Battambang. Les

obus sont dans une niche à

proximité…

Rivière traversant Battambang.

A Bangkok, nous travaillons sur la zone fret de l’aéroport international et logeons dans le centre de la capitale thaïlandaise dans un petit hôtel : le World Inn. Chaque jour nous faisons la navette entre l’hôtel et l’aéroport et parcourons les 20 km au milieu des embouteillages et de la pollution. Sur place, il nous faut travailler avec un intermédiaire thaïlandais qui nous informe sur les matériels à destination de l’ONU au Cambodge. L’aéronef dédié aux navettes entre Bangkok et Phnom-Penh étant le C160, nous n’avons pas d’autre possibilité que de casser le conditionnement des produits fournis et de les reconditionner afin de

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permettre l’utilisation maximale de la charge offerte et du gabarit. Les premiers conditionnements effectués surprennent parfois les chefs de soute tant ils sont au gabarit règlementaire. Ils n’ont pas l’habitude de voir arriver vers eux ces hauteurs et il en est de même à l’arrivée du premier aéronef à Phnom-Penh Tout espace est utilisé au mieux afin de fournir l’impedimenta d’APRONUC. La capitale constitue une soupape pour ceux qui y sont détachés et comme il se doit l’ensemble du détachement y passera. Elle permet de souffler un peu et de bénéficier du confort d’une ville moderne. Il faut cependant être vigilant car les tentations sont grandes et il est important que chacun respecte les règles afin de ne pas faillir dans son comportement.

3. Nos interlocuteurs et partenaires. Compte tenu du nombre et de la diversité des participants à cette mission, nous sommes en contact

régulier avec certains représentants de pays fournisseur de personnel ayant à faire avec la logistique. Nous travaillons en étroite relation avec une équipe de spécialistes LPA australiens. Les contacts, d’abord tendues compte tenu de notre méfiance vis-à-vis d’eux que nous considérons un peu comme des intrus, s’améliorent rapidement. Ils sont très efficaces, pragmatiques et connaissent parfaitement toutes les ficelles du métier. Ils nous en donnent quelques aperçus et nous les retenons car pleins de bon sens. De plus, ils ont très sociables et savent faire la différence entre le travail et la récupération.

De gauche à droite : AUSTRALIEN, FELKAR, AUSTRALIEN, RIDDLE, PETIT, NIVELON

L’ONU/MOVCON nous attribue deux militaires canadiens québécois. Il s’agit d’un adjudant et d’un caporal (F) dont la spécialité est le transport aérien. Ils sont en permanence avec nous et nous ne comprenons pas très bien leur rôle. Après une phase d’observation, l’un et l’autre s’intègrent très vite à nous et nous à eux. Il faut cependant souligner que l’adjudant est un peu surpris par notre façon de travailler. En effet, il se considère comme un superviseur. Aussi, voir tous les sous-officiers mettre la main à la pâte et suer sang et eau le déroute un peu mais il s’y met finalement.

D’autres spécialistes LOG du MOVCON ont l’occasion périodiquement de nous rendre visite. Nous avons souvent à faire avec un commandant et un adjudant polonais. Le commandant parle un bon français mais débit assez lent. Le CNE DUFOUR montre beaucoup de patience lorsqu’il doit s’entretenir avec lui. Le sous-officier, quant à lui, parle bien anglais, seul moyen pour pouvoir être affecté à une mission de l’ONU. Il fait bien son travail de logisticien et est un bon bout en train… Nous sommes en contact avec tous les équipages d’hélicoptères russes et sommes impressionnés par leur rusticité. Dans cette nébuleuse, les Pakistanais apparaissent de temps à autre sur l’aéroport et sont assez directifs…

4. Quelques anecdotes. De ce séjour de sept mois, il y a beaucoup d’anecdotes à raconter. J’en ai sélectionné quelques une que

je relate ci-après.

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Moines bouddhistes quêtant leur repas dans les rues de Phnom-Penh.

Circulation au centre-ville.

41. Les autochtones. La première image qui vient à l’esprit lorsque l’on évoque les habitants de l’Asie du Sud-Est et des

Cambodgiens, c’est le sourire. Mais que cache ce sourire ? Amabilité, sympathie, duplicité ou façade ? Il est difficile de le savoir mais il est vrai que pour nous occidentaux, cela est assez déroutant et fait partie des clichés que nous avons vis-à-vis d’eux. Je n’ai pas de réponse si ce n’est que ce sont des gens avec les mêmes besoins et aspirations que nous. Ce sourire fait simplement corps avec leur culture. Enigmatique, on le retrouve sur le visage représenté sur les bas-reliefs et les statues du site d’Angkor. Quoi qu’il en soit, les Khmères sont attachants, déroutants et fiers.

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Aérodrome de Sihanoukville. Les enfants accourent dès qu’ils entendent un aéronef.

Ainsi, alors que je fais le point des colis en instance sur notre aire de stockage, je repère un petit

paquet qui est là depuis un certain temps. Il n’a pas été réclamé mais un nom et une adresse figurent sur celui-ci. Je découvre qu’Air France à Bangkok nous l’a adressé par erreur. N’ayant aucun moyen de prévenir la personne, je décide de le convoyer sur place. Accompagné du parachutiste BERGER, nous nous rendons sur place. Arrivés à l’adresse indiquée, nous constatons qu’une cérémonie de mariage se déroule. Nous sommes bien chez le destinataire qui est très heureux de réceptionner le colis et nous invite à participer à la cérémonie et aux libations. Il marie sa fille et nous assistons aux festivités. La mariée n’est pas en blanc mais en costume traditionnel. Nous sommes un peu gênés car nos tenues ne sont pas trop assorties aux costumes que portent les invités. Nous restons environ une heure et nous éclipsons, touchés par l’accueil.

Ce commerçant est un nanti en comparaison de ses compatriotes qui eux sortent d’années de guerre. L’ensemble des personnes rencontrées arbore ce sourire et cette gentillesse mais la fierté est sous-jacente. Un jour qu’un Cambodgien de l’aéroport s’entretient directement avec moi en français, j’exprime ma surprise ou mon étonnement. Piqué au vif, il me répond qu’il parle également anglais, vietnamien et russe ! Dans quelles conditions, a-t-il appris ces langues ? Je n’ai pas osé le lui demander mais l’instinct de survie y est certainement pour beaucoup. La fierté fait surface et il ne faut pas sous-estimer ces personnes.

La mousson est là et nous sommes débarrassés momentanément de la moiteur et de la poussière. Le

tarmac est propre. En revanche, la capitale est inondée. Le Mékong est à proximité et le système d’évacuation construit par la France est vétuste. Il ne permet pas l’évacuation des eaux et nous roulons dans 40 à 50 centimètres de liquide boueux. Cela provoque des gerbes d’eau éclaboussant les riverains. Cela nous fait sourire… Jusqu’au jour où nous apprenons qu’un personnel militaire de l’hôpital militaire allemand, coutumier de ce petit jeu, s’est fait mitrailler sur son trajet habituel. Il quitte le pays les pieds devant pour ne pas avoir respecté le milieu dans lequel il évoluait…

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Paysan labourant sa rizière.

42. Aéronautique

J’ai déjà évoqué les chargements conséquents, la moiteur et les conditions de travail difficiles. Je voudrais maintenant relater quelques faits particuliers ou dignes de mention.

Dans le cadre de la mise en place des personnels et de leurs matériels, nous sommes amenés à effectuer de nombreux aérotransports vers des destinations lointaines et atterrir sur des lieux improbables. L’une de ces missions consiste à délivrer un camion au contingent chilien. L’engin est énorme et occupe une grande partie de la soute. Les arrimages sont en place, aux normes et nous décollons. Le vol s’effectue sans encombre jusqu’à la phase de descente. C’est alors que nous voyons un front nuageux énorme se former sur notre droite et se diriger vers ce qui est notre destination. Nous commençons à ressentir les effets du vent. Le commandant de bord n’a pas beaucoup d’alternatives et décide de poser. Il nous annonce sa décision et nous procédons à une ultime vérification des arrimages. Une course s’amorce entre l’aéronef et le front nuageux. Les turbulences se font de plus en plus ressentir. Le camion arrimé tire de plus en plus sur les arrimages au gré des rafales et en soute, nous observons les chaines. Au final, tout se passe bien et nous touchons sèchement et terminons notre course en version posé d’assaut. Après roulage, nous stationnons et attendons la fin du grain pour décharger.

Sur ce même aéroport et au cours d’une mission ultérieur, il nous arrive un incident singulier. Nous sommes stationnés et avons déchargés. Au sol, un pistard russe attend l’arrivée d’un hélicoptère russe MI26. Il atterrit et est au roulage pour se rendre à son lieu de stationnement sous la direction du pistard et l’œil attentif de notre chef de soute. Il s’approche de plus et plus et soudain l’une de ses pales heurte l’aile du Transall. Tout le monde s’agite, s’interpelle et fait le constat des dégâts. Fort heureusement, seule l’extrémité est touchée mais aucun organe vital n’est atteint. Il est cependant impossible de repartir dans cet état. Le bureau OPS à Phnom-Penh est prévenu. Le chaudronnier de la piste est transporté par Transall jusqu’à nous. Ce technicien haut en couleur procède à une réparation de fortune qui permet à l’avion de repartir avec un pansement sur l’aile.

Alors que nous sommes de service au sol à l’aéroport de Phnom-Penh, un KC 135 allemand se présente avec du matériel pour l’hôpital. L’aéroport ne dispose pas de transpalette pour décharger et nous ouvrons les palettes et déchargeons à la main. Il reste cependant un VLTT que nous ne pouvons évidemment pas décharger. L’équipage nous annonce qu’il lui faut se rendre sur Bangkok, seul endroit possible pour effectuer le déchargement. Le VLTT sera aérotransporté par VAM à une date ultérieure. Cela désespère le personnel de l’hôpital et doit peut-être satisfaire l’équipage qui pourra s’oxygéner dans la capitale thaïlandaise. Entre temps, nous examinons la situation et le BCH PETIT propose une solution. Il s’agit de positionner le chariot élévateur VALMET, fourches levées au maximum, à la sortie de la porte latérale du

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KC135 et de pousser vigoureusement la palette sur les fourches. Il y a un petit delta entre le plancher de la soute et les fourches mais après réflexion, nous décidons que cela est faisable en sécurité. L’équipage allemand nous laisse faire quoiqu’un peu dubitatif et nous réalisons l’opération avec brio.

Un matin, l’équipe de service Transit se rend sur l’aéroport aux aurores. Il fait beau, le ciel est bleu et il fait presque frais à cette heure. Nous arrivons dans notre local, faisons le tour des documents déposé la veille par l’équipe du soir et nous rendons sur le tarmac. Une surprise nous y attend sous la forme d’un Antonov 22 affrété par l’ONU. Il s’est présenté la veille au soir dans le courant de la nuit et n’a pas été autorisé à atterrir. La piste n’est pas équipée pour cela et il doit se rendre à Bangkok. Le commandant de bord a insisté mais n’obtient pas d’accord de la tour. Obstiné, il décide, aidé par son phare de nez, de faire un passage à basse hauteur pour survoler la piste et d’atterrir au second. Il est maintenant bloqué en bout de piste car il ne peut manœuvrer et il n’y a aucun moyen de traction. L’aéroport civil en est dépourvu. Comme nous sommes les seuls sur place, le chef de soute nous demande de le sortir de ce mauvais pas. Comme nous lui expliquons que nous n’avons pas de tracteur, il nous indique les GBC8 KT et nous implore de faire un essai. Je suis sceptique mais accepte. Le parachutiste MULLER

conduit donc un GBC à l’avant de l’avion, nous effectuons la liaison avec la barre de traction en soute et procédons à la manœuvre. L’embrayage patine, les pneus du GBC crisse sur le tarmac mais petit à petit et grâce à l’habilité de MULLER, l’aéronef se meut. Notre camion parvient à déplacer la masse énorme et lui permettre de se parquer. L’équipage nous remercie et c’est la continuation de l’amitié franco-russe au prix d’un embrayage…

AN22 tracté par un GBC8KT. Au volant, le parachutiste MULLER.

L’ONU a loué un Hercules C 130 auprès d’une compagnie sud-africaine. L’équipage est très

expérimenté, œuvre en civil mais ressemble plus à d’anciens militaires qu’à des employés d’une compagnie aérienne lambda… Ils sont très efficaces et extrêmement opérationnels. A plusieurs reprises, le chef de soute nous montre comment avec très peu de moyen il est possible de charger son aéronef. Nous sommes attentifs

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et retenons certains de ses enseignements. En revanche, ils sont parfois expéditifs et n’hésitent pas à décharger leurs palettes 10 000 LBS en roulant en bout de piste.

Un jour, un Hercules C130 US se pose et est parqué sur l’aéroport de Pochentong. Intrigués, nous nous rendons à l’arrière de celui-ci et attendons l’ouverture la rampe. L’équipage apparait en civil et n’est pas très loquace. Nous proposons nos services car nous sommes les seuls à posséder des moyens de levage. Un refus poli et des regards légèrement condescendants nous sont adressés. Peu nous importe et nous retournons vaquer à nos occupations. Quelques heures plus tard, le chef de soute revient vers nous et nous demande, un peu contrit, de l’aide. Ce que nous faisons avec plaisir. Au fil de la conversation nous apprenons qu’il s’agit d’une mission du ministère de la défense US ayant pour but de recouvrer les restes de militaires américains disparus lors du conflit précédent. Nombres de corps n’ont pas encore été retrouvés et l’équipe en question fouille les endroits où sont susceptibles de reposer leurs compatriotes.

Enfin, nous avons pu constater combien il ne faut pas se faire surprendre per les conditions météorologiques. Un soir, le vent souffle en tempête et balaie le parking et ses environs. Le matin, nous inspectons notre emplacement et presque rien n’a bougé. En revanche, un coup d’œil sur le parking de l’ALAT permet de mesurer les dégâts. La tempête qui a soufflé a presque effondré l’abri Bachmann. Pire, un Puma SA330 a été renversé et repose sur le flanc. Il n’a pas été arrimé la veille. Mauvais temps pour les mécaniciens…

PUMA SA330 renversé par les rafales de vent.

5. Fin de mission Le retour vers la France s’approche et en dépit de l’intérêt de la mission, nous sommes tous impatients.

La relève est là. Les consignes se transmettent et nous chargeons les soutes de l’aéronef avec nos paquetages. Les portes sont fermées et c’est à ce moment que l’on nous annonce une panne. Le départ est reporté d’une journée. C’est donc une soirée de plus à passer sur place. Nous décollons enfin et faisons une escale technique à Islamabad pour ravitailler en carburant. Il fait chaud et nous restons 2 heures environ assis à l’intérieur de l’avion car il nous est interdit de sortir. Nous poursuivons notre vol retour et les hôtesses nous servent le repas. Elles disposent de grosses boites de conserves de type collectivité d’où elles extraient la nourriture pour la déposer sur nos plateaux ! Il faut préciser qu’il s’agit d’un avion de l’Aéroflot.

L’arrivée se fait en soirée à Paris CDG mais aucun moyen de transport ou de logement n’est prévu pour nous. Qu’à cela ne tienne ! Nous partirons vers Toulouse demain par le train. En attendant, notre capitaine nous emmène à Paris afin de patienter. C’est un premier bond vers la gare d’Austerlitz et nous passons la nuit dans le quartier de Saint-Michel. Cela est parfait pour des parachutistes. Le diner au restaurant grec nous permet de passer une partie de la soirée. Le reste de la nuit se passe en terrasse car il fait un temps agréable. Le CNE DUFOUR, grand seigneur, est un hôte très agréable et il est unanimement apprécié. Un

Page 12: (Le Mékong V2) Mekong V2.pdf · l’ADC Pierre (ELA), l’ADJ FELKAR (ELA),le SCH CHAZALET (ECS), le SGT X (ECS) mécanicien chargé des moyens techniques. Environ quinze militaires

dernier trajet en métro et nous sommes tous dans le train qui nous emporte vers Toulouse. Le voyage se passe vite car nous sommes tous assoupis. Un bus nous attend à Matabiau et nous voici au quartier. La procédure habituelle s’enchaine sans accroc et nous nous égayons, impatients de retrouver nos familles. L’ADC PIERRE et moi-même sommes célibataires et logeons en chambres cadres. Rien ne nous pousse à partir très vite et sommes libres. Aussi, le CNE SOUPART et le COL DUC nous invitent au cercle. Nous sommes assis et sommes peu bavard. Cela intrigue un peu nos chefs mais il nous faut nous remettre dans le contexte après ces sept mois intenses et passionnants.

Peut-être s’agit-il de ce que nos anciens nomment le mal jaune ? …