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Cet article donne une introduction dans l’ouvrage politico-économique le plus important du GIC. Il essaye de clarifier les malentendus les plus importantes qui continuent de marquer sa réception. 1. Origine et signification des “Principes fondamentaux” L’ouvrage Principes fondamentaux de la production et de la distribution communistes (plus tard abrégé en Principes fondamentaux) du Groep(en) van In- ternationale Communisten (GIC) est un texte im- portant de la gauche communiste sur les pro- blèmes économiques de la période de transition du capitalisme au communisme. Le GIC décrit l’intérêt des Principes fondamentaux ainsi : « Dès que le gouvernement de la classe ouvrière est de- venu un fait dans un pays industrialisé, le prolétariat se trouve confronté à la tâche de mener à bien la trans- formation de la vie économique sur de nouvelles bases, celles du travail collectif. L’abolition de la propriété privée est facilement déclarée, et ce sera la première mesure du système politique instauré par la classe ou- vrière. Mais ce n’est là qu’un acte juridique qui est destiné à fournir des bases légales au processus écono- mique réel. La transformation réelle et le véritable tra- vail révolutionnaire ne fait alors que commence. » 1 . La signification courante de ce texte ne se limite pas à la réponse apportée aux questions qui se poseront immédiatement lorsque la classe ou- 1) GIC, « Marxisme et communisme d’État : le dépérisse - ment de l’État » - Amsterdam : Groepen van Internatio- nale Communisten, 1932. La citation est identique au premier paragraphe de Max Hempel (pseudonyme de Jan Appel), Marx-Engels und Lenin : Über die Rolle des Staates in der proletarischen Revolution [« Marx-Engels et Lénine : Sur le rôle de l’État dans la révolution proléta- rienne »], in Proletarier (Berlin) n° 4-6, mai 1927. Les deux textes correspondent amplement aux "Principes fonda- mentaux" et ils peuvent en être considérés comme une étude préliminaire. vrière se sera emparée du pouvoir politique. Les Principes fondamentaux présentent un intérêt sup- plémentaire dans le débat entre les jugements portés par la gauche italienne et par la gauche germano-hollandaise sur les leçons des révolu- tions ouvrières de 1917-1923. Ce débat se heurte encore à une ignorance mutuelle des opinions de chacune d’elles. En raison du manque de traduc- tions complètes de l’édition finale des Principes fondamentaux de l’année 1935, et parfois du fait de l’existence d’extraits limités et de l’absence de connaissance des études préliminaires aux Prin- cipes fondamentaux 2 , toutes sortes de malentendus sont nés qui ont fait obstacle à la discussion jus- qu’à aujourd'hui. Par-delà Marx, Engels et Lénine Les Principes fondamentaux sont une élaboration du concept d’une nouvelle société, concept que Karl Marx et Friedrich Engels ont tiré des contra- dictions internes du capitalisme et de l’action au- tonome de la classe ouvrière de leur époque, en particulier dans les révolutions bourgeoises de 1848 et dans la Commune de Paris de 1871. Dans la première édition des Principes fondamentaux 2) Pour une vue d’ensemble exhaustive des différentes pu- blications ayant des liens avec les textes complets, voir aaap.be . Si on cherche un bref résumé des Principes fon- damentaux, on peut choisir parmi les titres suivants qui sont rangés ici du plus simple au plus complexe : Sparta - cus 1961 (original en néerlandais), Mattick 1938 partie 1 , partie 2 (original en anglais), ou Mattick 1934 (original en anglais). 1 Le G.I.C. et l’économie de la période de transition Une introduction

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Cet article donne une introduction dans l’ouvrage politico-économique le plus important du GIC.Il essaye de clarifier les malentendus les plus importantes qui continuent de marquer sa réception.

1. Origine et signification des “Principesfondamentaux”

L’ouvrage Principes fondamentaux de la productionet de la distribution communistes (plus tard abrégéen Principes fondamentaux) du Groep(en) van In-ternationale Communisten (GIC) est un texte im-portant de la gauche communiste sur les pro-blèmes économiques de la période de transitiondu capitalisme au communisme. Le GIC décritl’intérêt des Principes fondamentaux ainsi : « Dès que le gouvernement de la classe ouvrière est de-venu un fait dans un pays industrialisé, le prolétariatse trouve confronté à la tâche de mener à bien la trans-formation de la vie économique sur de nouvelles bases,celles du travail collectif. L’abolition de la propriétéprivée est facilement déclarée, et ce sera la premièremesure du système politique instauré par la classe ou-vrière. Mais ce n’est là qu’un acte juridique qui estdestiné à fournir des bases légales au processus écono-mique réel. La transformation réelle et le véritable tra-vail révolutionnaire ne fait alors que commence. »  1.

La signification courante de ce texte ne se limitepas à la réponse apportée aux questions qui seposeront immédiatement lorsque la classe ou-

1) GIC, « Marxisme et communisme d’État : le dépérisse-ment de l’État   » - Amsterdam : Groepen van Internatio-nale Communisten, 1932. La citation est identique aupremier paragraphe de Max Hempel (pseudonyme deJan Appel), Marx-Engels und Lenin : Über die Rolle desStaates in der proletarischen Revolution [« Marx-Engels etLénine : Sur le rôle de l’État dans la révolution proléta-rienne »], in Proletarier (Berlin) n° 4-6, mai 1927. Les deuxtextes correspondent amplement aux "Principes fonda-mentaux" et ils peuvent en être considérés comme uneétude préliminaire.

vrière se sera emparée du pouvoir politique. LesPrincipes fondamentaux présentent un intérêt sup-plémentaire dans le débat entre les jugementsportés par la gauche italienne et par la gauchegermano-hollandaise sur les leçons des révolu-tions ouvrières de 1917-1923. Ce débat se heurteencore à une ignorance mutuelle des opinions dechacune d’elles. En raison du manque de traduc-tions complètes de l’édition finale des Principesfondamentaux de l’année 1935, et parfois du fait del’existence d’extraits limités et de l’absence deconnaissance des études préliminaires aux Prin-cipes fondamentaux 2, toutes sortes de malentendussont nés qui ont fait obstacle à la discussion jus-qu’à aujourd'hui.

Par-delà Marx, Engels et LénineLes Principes fondamentaux sont une élaborationdu concept d’une nouvelle société, concept queKarl Marx et Friedrich Engels ont tiré des contra-dictions internes du capitalisme et de l’action au-tonome de la classe ouvrière de leur époque, enparticulier dans les révolutions bourgeoises de1848 et dans la Commune de Paris de 1871. Dansla première édition des Principes fondamentaux

2) Pour une vue d’ensemble exhaustive des différentes pu-blications ayant des liens avec les textes complets, voiraaap.be. Si on cherche un bref résumé des Principes fon-damentaux, on peut choisir parmi les titres suivants quisont rangés ici du plus simple au plus complexe : Sparta-cus 1961 (original en néerlandais), Mattick 1938 partie 1,partie 2 (original en anglais), ou Mattick 1934 (originalen anglais).

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Le G.I.C. et l’économiede la période de transition

Une introduction

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(en allemand), les rédacteurs du GIC relatent quece n’est qu’après avoir achevé leurs études qu’ilsavaient eu connaissance de la Critique du pro-gramme de Gotha de Marx. En conséquence lesmesures économiques que le GIC a proposéesavaient déjà été avancées par Marx 3. Détestanttoute scolastique, le GIC a analysé de manière cri-tique les idées réformistes d’économie planifiéequi avaient été développées après Marx et Engels.Le GIC montre dans les six premiers chapitresque les bolcheviks ont appliqué en Union sovié-tique une conception capitaliste d’État de l’écono-mie planifiée, conception qu’ils avaient emprun-tée au réformisme. En outre, dans son édition fi-nale de 1935 en néerlandais, le GIC critique la va-riante d’économie planifiée du communisme li-bertaire telle qu’elle avait été appliquée parl’anarcho-syndicalisme en 1936 en Espagne 4.Mais surtout, le GIC se fonde sur les mouvementsrévolutionnaires des conseils en Russie et en Alle-magne de 1917 à 1923.Pour une bonne compréhension des Principes fon-damentaux, il est nécessaire d’appréhender lecadre politique dans lequel le GIC propose sesmesures économiques. Comme cela est claird’après la citation susmentionnée, le GIC présup-pose une révolution prolétarienne triomphantedans laquelle les travailleurs dominent un terri-toire industriel de taille raisonnable. Dans cetterévolution, la classe ouvrière, massivement orga-nisée en conseils, a écrasé l’État bourgeois et, àpartir de ce moment-là, elle exerce la dictature duprolétariat au moyen de ces mêmes conseils surune société et une économie qui affichent encorepresque toutes les caractéristiques du capitalisme.Dans la mesure où la résistance de la classe capi-

3) Voir Principes fondamentaux de production et de distributioncommunistes, 1930, chap. XIX. Le GIC dit dans la versionallemande p. 135 « Ces gloses marginales n'étaient dispo-nibles qu'après la fin de notre étude », ce qui est mal traduiten « Ces gloses marginales, nous voulons d’abord les utiliserpour notre conclusion ».

4) GIC, Principes fondamentaux de production et de distributioncommunistes, 1930, chap. I à VI. GIC, « Les fondementsthéoriques de l’ouvrage : "Principes fondamentaux de produc-tion et de distribution communistes" », 1931, voir aaap.be.L’édition de 1935 est augmentée de réponses à plusieurscritiques. Malheureusement, elle n’a jamais été traduitedu néerlandais dans d’autres langues.

taliste et des autres classes vaincues faiblit et où larévolution prolétarienne se répand de par lemonde, cet “État ouvrier” dépérit. Tel est briève-ment le cadre politique que le GIC, pense-t-onsouvent à tort, a négligé en faveur de l’aspect“économique”. Il faudrait noter que l’oppositionconceptuelle de l’“économie” et de la “politique”est typiquement une approche léniniste. Les Prin-cipes fondamentaux ne négligent pas l’aspect “po-litique”, mais le GIC prend une position diffé-rente de celle de Lénine en mettant l’accent sur lefait que la dictature du prolétariat est l’exercicemassif du pouvoir de la classe ouvrière par lesconseils, et non pas la dictature d’un parti avecl’aide de l’État. Le lecteur des Principes fonda-mentaux ne devrait pas s’attendre à une analyseplus poussée de la Révolution russe parce que cen’était pas le but de ce texte. De même, les Prin-cipes fondamentaux ne s’intéressent à aucune desformes supérieures du communisme, mais ils seconcentrent sur la période qui suit immédiate-ment la révolution et sur les mesures écono-miques qui doivent assurer que les travailleurscontinueront à exercer le pouvoir sur la société.

C’est dans ce cadre politique que le GIC se foca-lise sur les aspects économiques de la phase detransition. La classe ouvrière utilise le pouvoirqu’elle détient sur les moyens de production pourabolir le travail salarié dans tous ses aspects. Ellefait cela en tant que classe révolutionnaire, encommençant résolument à mettre fin à la divisionentre le travail intellectuel et le travail manuel eten révolutionnant les relations sociales en tantque masse organisée en assemblées généralesd’entreprise et en conseils. Marx pensait à cetteorganisation quand il écrivait sur «  l’associationdes producteurs libres et égaux ». Avec cette as-sociation, les rapports de production effectuentun saut immédiat de la production pour le profità la production pour les besoins sociaux. À longterme, la classe ouvrière amènera l’économie dela pénurie à l’abondance : elle permettra ainsi l’in-tégration des autres classes dans «  l’associationdes producteurs libres et égaux », dans laquelle letravail se transformera en développement de lapersonnalité unique de chaque individu. Le prin-cipe de la consommation de chacun en fonction

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des besoins s’étendra à une partie toujours pluslarge de la production.

Jan Appel et le GIC

La première étape de ce texte, issu de la gauchecommuniste germano-hollandaise, a été effectuéepar l’ouvrier révolutionnaire allemand expéri-menté Jan Appel qui fut membre du SPD, puisprésident des “revolutionäre Obleute” à Ham-bourg, cofondateur de la Ligue Spartacus,membre du KPD(S), cofondateur du KAPD, co-fondateur du GIC en 1927 aux Pays-Bas, et aprèsla Seconde Guerre mondiale, membre du Com-munistenbond “Spartacus” 5. Ses premières idéeslui en sont venues en raison du chaos économiquequi régnait à la fois en Allemagne immédiatementaprès la Première Guerre mondiale et en Russieaprès la Révolution d’Octobre. En tant que délé-gué du KAPD au Comité Éxécutif de l’In-ternationale Communiste de 1920 ainsi qu’au III°Congrès de l’Internationale Communiste en 1921,il avait vu que les ouvriers de l’usine de textileProkhorov et de la gigantesque usine métallur-gique Poutilov étaient impuissants face au chaosque les bolcheviks provoquaient dans l’économie,et en particulier que le travail salarié continuait àexister 6.

Une interview de Paul Mattick montre qu’ilsavaient entretenu des contacts réciproques à lasuite de la vague révolutionnaire qui s’était pro-duite dans la Ruhr en Allemagne. Jan Appel futarrêté par la police pour avoir volé un commer-çant du marché noir. Ses camarades du KAPD

5) Jan Appel (1890-1985) .6) Notes d’une conversation de F. O. avec Appel en 1977

(collection AAAP).

s’inquiétaient du fait qu’il soit reconnu comme unrévolutionnaire recherché par la police, et qu’ilrisquait alors d’être condamné à une longuepeine de prison, pour avoir détourné un bateauvers la Russie en 1920. Armés de pistolets et degrenades, les camarades d’Appel, y compris PaulMattick, vinrent au tribunal dans l’intention de lelibérer en cas de nécessité. Mais cela ne fut pasnécessaire, car il ne fut pas reconnu comme “pi-rate” et il ne fut condamné qu’à une courte peinede prison 7 dans un premier temps. C'est à cetteoccasion qu’Appel a pu lire Le Capital et qu’il aété à même de rassembler et d’élaborer ses idéessur la base des fragments de Marx portant sur lapériode de transition. Ultérieurement, il a été re-connu et il dut purger une sévère condamnationde prison à Hambourg pour “piratage”. À la suited’une amnistie générale, il fut libéré et il émigraaux Pays-Bas au tournant des années 1925-1926pour travailler au chantier naval Conrad d’Haar-lem. Appel emmena ses notes avec lui aux Pays-Bas qui devinrent les Principes fondamentaux. En1926, il présenta ses idées en faveur d’une pro-duction et une distribution communistes lors dedeux réunions. La première, dans laquelle Appelfit une introduction, eu lieu à la Pentecôte, et laseconde se tint deux semaines plus tard. Les par-ticipants étaient des membres ou des ex-membresdu KAPN : Henk Canne Meijer, Piet Coerman(Bussum), l’ingénieur Jordens (KAPN de la sec-tion Zwolle) et Hermann Gorter. Ce dernier réagitde manière extrêmement critique. Gorter fit appelà L’État et la révolution de Lénine et il dit que laproduction devait être organisée comme le ser-vice de la poste et les chemins de fer. Selon Appel,Gorter se mit dans tous ses états, de sorte qu’Ap-pel demanda aux autres participants ce qui n’al-lait pas avec lui. Gorter était alors déjà malade 8. Ilest mort le 15 septembre 1927. Le GIC était alors

7) Plutte, Geoffroy (sous la direction de), Die Revolution warfür mich ein grosses Abenteur. Paul Mattick in Gespräch mitMichael Buckmiller, Münster, 2013, pp. 41/43. La révolu-tion fut une belle aventure : Des rues de Berlin en révolte auxmouvements radicaux américains (1918-1934) / Paul Mat-tick ; traduit de l’allemand par Laure Batier et MarcGeoffroy ; préface de Gary Roth ; notes de Charles Reeve.- Montreuil : L’Échappée, 2013.

8) Sur la base des notes prises lors de la conversation de F. O. avec Appel (collection AAAP).

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Jan Appel (1890 – 1985), instigateur des "Prin-cipes fondamentales". Photo: Maastricht, 1978

(Source: A.A.A.P.)

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constitué en particulier de Coerman, Canne Mei-jer, Appel et Herman de Beer. Ensuite, le GIC dé-veloppa le texte de base de Jan Appel, et c'estCanne Meijer qui prit soin de sa rédaction.

Trois études préliminaires

Cela a conduit à trois études préliminaires dontdes parties ont été incluses dans la première édi-tion imprimée du texte, lequel a été publiée en1930 par l’Allgemeine Arbeiter Union de Berlin.Ces études préliminaires sont extrêmement im-portantes étant donné qu’elles montrent le cadrepolitique des Principes fondamentaux de manièreplus claire que l’édition de 1930 de ce derniertexte.

Le texte source de Jan Appel est paru en 1928 entrois épisodes dans Klassenstrijd sous le pseudo-nyme de Piet de Bruin sous le titre de : « Aante-keningen over communistische economie ». Cetexte fait directement référence à l’expérience pra-tique de la révolution en Russie :« Les tentatives qui ont été effectuées en Russie pourconstruire le communisme ont dessiné un domainedans le champ de la pratique qui ne pouvait être traitéjusqu’ici que par la théorie. La Russie a essayé de déve-lopper une vie économique, du moins en ce quiconcerne l’industrie, selon les principes commu-nistes... et elle a complètement échoué en le faisant »  9.

Dans un deuxième temps, le GIC a publié uneétude portant sur le problème des relations entrel’industrie et le secteur agricole, et donc entre lesouvriers et les paysans, un obstacle majeur dansla Révolution russe. Le GIC a complété l’expé-rience russe avec l’attitude des paysans dans laRévolution allemande. Le GIC tire de cette étudela conclusion politique importante suivante :« La révolution sociale, que le communisme considèrecomme une nouvelle loi de mouvement pour la distri-bution des produits, a quelque chose à offrir aux pay-sans. Outre l’exemption de tous les baux, hypothèqueset dettes d’entreprise, la distribution uniforme du pro-duit social entraîne l’égalité directe entre la ville et la

9) Pour le texte original complet en néerlandais voir « Aan-tekeningen over communistische economie ». La pre-mière partie a été publiée dans A Free Retriever Digest vol.1#04, 22 août 2017 : « Extracts from : ‘Notes on commu-nist economy » by Piet de Bruin (Jan Appel), 1928 (Partie1 à 3).

campagne, ce qui a pour conséquence pratique de favo-riser l’agriculteur. Mais c’est le prolétariat agricole, leparia de la société capitaliste, qui fait un puissant bonden avant, de sorte qu’il a tout intérêt à faire entrerl’agriculture dans la production communiste » 10.

Cette approche des paysans est complètementdifférente de l’attitude incohérente des bolcheviks: assurances apportées, peu avant Octobre 1917,sur la distribution de la propriété de la terre auxpaysans ; approvisionnement obligatoire desvilles après la révolution ; concessions à la pro-priété privée de la terre au cours de la NEP ; fi-nalement, collectivisation forcée sous Staline et,par voie de conséquence, problèmes durablesd’approvisionnement alimentaire. La perspectivepolitique mentionnée ci-dessus découlait des re-cherches du GIC sur les récents développementsdans le secteur agricole. Ce sujet faisait suite àune vieille discussion datant d’avant la PremièreGuerre mondiale dans la social-démocratie hol-landaise 11 et à la remarque bien connue de Gor-ter, dans sa Lettre ouverte au camarade Lénine, surla différence d’importance des paysans dans la ré-volution à l’est et à l’ouest. Ces recherches ontfourni au GIC les idées suivantes :« (...) que l’agriculture actuelle est caractérisée par laspécialisation et qu’ainsi elle s’est complètement trans-formée en une “production de marchandises”. Uneaugmentation de la productivité a été obtenue grâce àla technologie moderne sans que la concentration desentreprises en une seule main. Ce développement estparallèle à celui des coopératives agricoles qui asso-cient des exploitations agricoles en communautés d’in-térêts, mais les agriculteurs perdent souvent leur “li-berté” (par exemple, comme dans beaucoup de cas, dedisposer de leur produit). Il est caractéristique, bienque très compréhensible, que le mouvement ouvrier ac-tuel ne désire pas voir ce développement capitalistedans l’agriculture. Compréhensible parce que ces pers-pectives de croissance ne correspondent pas à leurthéorie communisme d’État. L’exploitation agricole estsocialisée, les fermes sont rassemblées et elles agissent

10) GIC, « Ontwikkelingslijnen in de landbouw » (Ontwik-keling van het boerenbedrijf), 1930. Voir pour une posi-tion récente : « Over het agrarische vraagstuk ».

11) Voir « Eenige opmerkingen bij de voorstellen van deagrarische commissi e  » / Ant[on]. Pannekoek [Met eenantwoord van H. Gorter] in: De Nieuwe Tijd, 1904, p. 409-420.

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collectivement, et pourtant elles ne sont absolumentpas appropriées à une administration d’État. Naturel-lement, le mouvement ouvrier soi-disant socialiste nedéduit pas de cela que c'est la théorie communisted’État qui est erronée, mais il conclut que le commu-nisme est impossible à moins que l’agriculture ne sedéveloppe selon les perspectives qu’elle doit suivre se-lon le marxisme scolastique.(...) La position du Groupe des Communistes Interna-tionaux par rapport à la nature de la révolution prolé-tarienne tire son origine, pour une part non négli-geable, du développement que l’entreprise paysanne aconnu dans les pays capitalistes hautement développés.C'est précisément le fait que l’agriculture se soit impli-quée de manière optimale dans le travail social, quel’agriculture ait été intégrée dans le processus de la di-vision sociale du travail, qu’elle ait avancé en directionde la production industrielle et que pourtant elle nepuisse pas être incorporée organiquement dans le “so-cialisme” ou le “communisme”, qui jette de fortsdoutes sur la cohérence des théories “communistes”.Toutes les théories relatives à la “nationalisation” ou àla “socialisation” apparaissent comme rien d’autrequ’une distorsion réformiste des buts prolétariens »  12.

La troisième étude préliminaire du GIC a été pu-bliée seulement en 1932 aux Pays-Bas, comme labrochure Marxisme en staatscommunisme; het af-sterven van de staat 13. Jan Appel avait déjà publiéce texte en allemand en 1927. Dans « Marxismeen staatscommunisme », le GIC critique l’identifi-cation de la nationalisation à la socialisation et ducapitalisme d’État au socialisme, identificationque Lénine avait empruntée au réformisme dansL’État et la révolution. Contrairement au renforce-ment de l’État qui en découlait et qui contrastaitavec le dépérissement de l’État qu’espérait Lé-nine, le GIC colle à la position de Marx selon la-quelle c’est l’association des producteurs libres etégaux, c'est-à-dire les conseils ouvriers, qui pren-dra le contrôle des moyens de production. Iln’était donc que naturel pour le GIC que lesconseils ouvriers exercent leur dictature sur la so-ciété également en matière économique, à savoir

12) GIC, « Ontwikkelingslijnen in de landbouw » (Ontwikke-ling van het boerenbedrijf) 1930.

13) GIC, « Marxisme et communisme d’État : le dépérissementde l’État » - Amsterdam : Groepen van InternationaleCommunisten, 1932.

en contrôlant la production et la distribution entant qu’association des producteurs libres etégaux. De cette manière-là, il est possible quecette dictature (”l’État prolétarien”) s’éteigne vrai-ment dans le développement ultérieur du com-munisme.

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2. Malentendus et anti-critiqueDans ce qui précède, il a été fait référence auxmalentendus qui sont nés au fil du temps et quiétaient dus aux médiocres traductions et résumésde Principes fondamentaux, ainsi qu’à la mécon-naissance des trois études préliminaires. Cettesection présente les plus importants de ces mal-entendus et elle les corrige avec des références àla version de 1935 des Principes fondamentaux.

La première critique a été celle d’Hermann Gorterlors de la présentation de la première ébauche deJan Appel. Malheureusement, cette critique n’aété transmise que par voie orale. Le recours deGorter à L’État et la révolution de Lénine pour ap-puyer son opinion selon laquelle la productiondevrait être organisée à la façon du service despostes et à celle des chemins de fera a reçu sa ré-ponse dans la critique de Lénine par Appel dansla version originale en allemand de 1927 de labrochure du GIC : Marxisme en staatscommu-nisme; het afsterven van de staat 1.

1) GIC, Marxisme et communisme d’État : le dépérissement del’État - Amsterdam : Groepen van Internationale Com-munisten, 1932.

Idéaux présupposés d’absolueégalité

Anton Pannekoek a été lui aussi tout d’abordsceptique et il n’a d’ailleurs pas voulu rédiger uneintroduction à ce qu’il considérait comme un planutopique. Après lecture, il s’est très facilementavéré que c’était davantage une critique de l’opi-nion selon laquelle l’organisation de la produc-tion devait être faite par l’État 2. Dans son livreDe Arbeidersraden (1946), Pannekoek a consacrédix pages à résumer les Principes fondamentaux 3.Dans son ouvrage de référence sur la Gauche

communiste hollandaise et allemande, Bourrinetsuggère que Pannekoek critique “implicitement”les Principes fondamentaux dans De Arbeidersra-den. Parmi beaucoup d’autres idées fausses, quimontrent que l’auteur ne connaît pas la versiondes Principes fondamentaux revue et corrigée en1935, Bourrinet présuppose faussement que leGIC emploie une idée absolue de “justice” et de“distribution égale” 4.

2) Anton Pannekoek, Herinneringen, 1982, p. 215.3) Anton Pannekoek, Les conseils ouvriers, [Traduit de l’an-

glais]. – [Paris] : Bélibaste, [1974]. – 499 p., Éditions Spar-tacus, [en deux tômes], 2010.

4) Pour la plus récente édition en anglais, en partie revue etcorrigée, voir The Dutch and German Communist Left(1900-68), Brill, p. 358/363. Bourrinet prépare actuelle-

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Couverture des "Grundprinzipien" Première édi-tion (A.A.U.D., Berlin, 1930)

Couverture de la deuxième édition, et supplé-mentée et révisée, en langue néerlandaise

(G.I.C., Janvier 1935)

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Dans son introduction à la réédition de la pre-mière édition allemande en 1970, Paul Mattickavait déjà critiqué la distribution fondée sur lesheures de travail que le GIC proposait au débutde la phase de transition. De plus, cette introduc-tion contient toutes sortes de points qui sont inté-ressants pour la discussion, mais qui dépassent lecadre de ce texte. « Les possibles injustices d’unedistribution liée au temps de travail » que Mattickindiquait, à savoir qu’en dépit de l’égalité for-melle il n’y a d’égalité ni du travail, ni des condi-tions de vie des travailleurs, étaient connus aussibien du GIC que de Marx, et la solution es-sentielle en était l’évolution vers un stade supé-rieur du communisme où ce qui prévaudra c'estde prendre en fonction des besoins et de donneren fonction des capacités. Mattick simplifie le pro-blème en partant de l’hypothèse que « dans lespays capitalistes avancés (...) les forces sociales deproduction sont suffisamment développées pour pro-duire des moyens de consommation en abondance »et que « dans les conditions d’une économie com-muniste, il est possible de produire une abondancede moyens de consommations, ce qui rend le calculde la participation individuelle [au travail collectif]superflu » 5. Premièrement, nous ne savons pasquelles seront les dévastations dues à la destruc-tion de l’environnement, aux guerres impéria-listes, aux crises économiques et à la guerre civileentre le capital et le travail, que la classe ouvrièrevictorieuse héritera du capitalisme. Deuxième-ment, Mattick ne pose pas la question : « qui tra-vaillera si la consommation est libre ? ». La transi-tion de la pénurie à l’abondance dans les formessupérieures du communisme n’est pas seulementune question de développement technique desforces productives. La révolution est également"l’auto-éducation" des forces productives hu-maines grâce à laquelle «  la classe [le prolétariat]qui renverse l'autre de balayer toute la pourriture

ment une édition revue en langue française, voir Panto-polis. La première édition de cette Thèse a également étédistribuée par le CCI comme étant son propre “travailcollectif”. Voir aussi la critique de Corvo: « Council com-munism or councilism? - The period of transition  ».

5) Voir Introduction / Paul Mattick .

du vieux système qui lui colle après et de devenirapte à fonder la société sur des bases nouvelles » 6.C'est à l’intérieur du groupe Daad & Gedachte, surla base étroite de son propre résumé des Principesfondamentaux, que des discussions ont émergé àla fin des années 1970 sur les inégalités existantesen matière de paye, si celle-ci est calculée en fonc-tion des heures travaillées. Outre des propositionsintéressantes destinées à compenser ces inégali-tés, le groupe avance des idées d’égalité qui ne setrouvent pas dans les écrits du GIC 7.Au début de la période transitoire, lorsque la so-ciété a encore les caractéristiques du capitalisme,le terme de “liberté”, qui figure dans « l’associa-tion des producteurs libres et égaux », a uneconnotation négative en tant qu’il est opposé à ce-lui d’oppression, et pas encore la connotation dulibre développement des qualités unique dechaque individu. De la même façon, le terme“d’égalité”, immédiatement après la révolutionprolétarienne, nous rappelle que l’égalité formelledu droit civil des “producteurs égaux” dissimuletoutes sortes de formes réelles d’inégalité. L’éga-lité est traitée dans les Principes fondamentaux de1935 au chapitre IX sous le titre « Rechtvaardige’verdeling ? » :« Dans la production communiste, nous demandonspar conséquent que le temps de travail soit la mesurede la consommation. Chaque travailleur détermine parson travail en même temps sa part dans les stocks so-ciaux de biens de consommation. Ou bien, comme le dit Marx : “ Il reçoit de la sociétéun bon constatant qu'il a fourni tant de travail (défal-cation faite du travail effectué pour les fonds collectifs)et, avec ce bon, il retire des stocks sociaux d'objets deconsommation autant que coûte une quantité égale deson travail. Le même quantum de travail qu'il a fournià la société sous une forme, il le reçoit d'elle, en retour,sous une autre forme.”  8 (Voir la fin du chapitre III).

6) Marx/Engels : L’idéologie allemande.7) Daad & Gedachte, Maar hoe dan? Enige gedachten over een

socialistische samenleving: Discussie.8) Traduit de l’original allemand. Traduction française comme

publié par marxists.org : « Le producteur reçoit donc indivi-duellement - les défalcations une fois faites - l'équivalent exactde ce qu'il a donné à la société. Ce qu'il lui a donné, c'est sonquantum individuel de travail » (Marx, Gloses marginales auprogramme du Parti Ouvrier allemand , Partie 1 ).

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« Cela est mal interprété comme étant une distribution“juste” du produit social. Et c'est vrai dans ce sensque personne ne peut manger s’il se roule les pouces,comme les actionnaires le font quand leur seule occu-pation est d’encaisser les dividendes. Mais la justice neva pas plus loin qu’avec ce cas-là. À première vue, ilsemble que toute différence de salaire soit abolie, et quetoutes les fonctions de la vie sociale, que le travail soitintellectuel ou manuel, donne des droits égaux auxstocks sociaux. Mais si l’on y regarde de plus près, laloi de l’égalité fonctionne de manière très injuste.Prenons deux travailleurs, tous deux donnant à la so-ciété le meilleur de leurs capacités. Mais l’un est céli-bataire, tandis que l’autre a une famille avec cinq en-fants. Un autre est marié, mais le mari et la femme tra-vaillent tous les deux de sorte qu’ils ont un “double”revenu  9. En d’autres termes, le même droit aux res-sources sociales devient une grande injustice dans laconsommation pratique. La distribution selon la règle du temps de travail nepeut donc jamais découler de la justice. La règle dutemps de travail a les mêmes défauts que toute autrerègle. Cela signifie : une règle juste n’existe pas et nepeut jamais exister. Quel que soit le critère que l’onchoisisse, il sera toujours injuste. Et cela parce qu’em-ployer un barème signifie ignorer les différences indivi-duelles en matière de besoins. Une personne a peu debesoins, une autre en a beaucoup. Un homme peut ain-si satisfaire tous ses besoins avec son allocation defournitures, tandis qu’un autre manque de toutessortes de choses. Ils donnent tout ce qu’ils peuvent à lasociété, et pourtant le premier peut satisfaire ses be-soins et le second ne le peut pas.Cette imperfection est inhérente à tout barème. End’autres termes, la définition d’une mesure de laconsommation est une expression de l’inégalité de laconsommation.La demande de droits égaux sur les stocks sociaux n’arien à voir avec la justice. Au contraire, c’est une re-vendication politique par excellence que nous posonsen tant que travailleurs salariés. Pour nous, l’abolitiondu travail salarié est le point central de la révolution

9) Note de F. C. : Cet exemple indique erronément que lemariage bourgeois et la famille bourgeoise continuerontà exister durant la période transitoire. Mais les commu-nistes proposeront une individualisation des revenus quiassurera que ceux qui forment un ménage le font sur labase seulement de l’affection personnelle et non pascontraints par une dépendance économique mutuelle.

prolétarienne. Tant que le travail n’est pas la norme dela consommation, il y a un “salaire”, qu’il soit élevé oufaible. Dans tous les cas, il n’y a pas de lien directentre la quantité de biens produits et le salaire. Enconséquence, la gestion de la production, la distribu-tion des biens et aussi la plus-value ainsi produite,échoient nécessairement aux “instances supérieures”.Cependant, si le temps de travail est le critère pris pourla consommation individuelle, cela veut dire que le tra-vail salarié a été aboli, qu’il n’y a plus de plus-valueproduite, et que par conséquent il n’y a plus besoin“d’instances supérieures” pour distribuer le “revenunational”.Le besoin d’un droit égal sur les ressources sociales nedépend donc pas de la “justice” ou de tout autre sorted’évaluation morale. Il est fondé sur la conviction quec’est seulement de cette manière-là que les travailleurssalariés pourront garder le contrôle de l’économie.C'est à partir de “l’injustice” du droit égal que la so-ciété communiste commencera à se développer »  10.

Incompréhension du cadre politique

Concernant la Gauche italienne en exil, c'est unecritique plus politique qui a été faite par elle desPrincipes fondamentaux. Cependant Mitchell,dans un très long écrit dans Bilan, de 1936 à 1937,a ignoré les prémisses politiques trouvées à la foisdans les études préliminaires et dans l’édition de1935 des Principes fondamentaux. En conséquence,sa conclusion équivaut en partie à constater uneévidence : « Dans la prochaine révolution, le prolétariat vaincraindépendamment de son immaturité culturelle et deses lacunes économiques, à condition qu’il ne comptepas sur la “construction du socialisme” mais sur ledéveloppement de la guerre civile internationale » 11

Hennaut avait déjà rédigé en 1936 pour Bilan unrésumé en français des Principes fondamentaux 12.Connaissant l’édition hollandaise, Hennaut a for-mulé en 1935 dans Bilan de manière beaucoup

10) Principes fondamentaux, 1935, chapitre IX sous le titre« Rechtvaardige’ verdeling   ?  ».

11) Mitchell Problèmes de la période de transition.12) « Production et distribution communistes » (Bilan, résu-

mé par Adhémar Hennaut, 1935).

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plus prudente et plus précise ce à quoi Bilan pen-sait, à savoir à la question de l’État prolétarien :

« C’est pour cela qu’une révolution, si “mûre” fût-elle, ne peut jamais être un processus mécanique. Ilest possible que telle ne soit pas non plus l’opinion denos camarades hollandais et que la lacune que noussignalons ne résulte que de la nécessité qu’il y avaitd’abstraire en quelque sorte et de montrer, pour laclarté de l’exposition, l’évolution économique commeétant complètement séparée de l’intervention poli-tique, mais il importe quand même de faire plus declarté sur ce point. Il est vrai qu’ils affirment quelquepart que l’État reste nécessaire au prolétariat après laprise du pouvoir. Il s’agit d’un “État” d’une natureparticulière, qui n’est déjà plus, en réalité, un État,comme Lénine, après Marx, le montrait d’ailleurs. Ils’agit d’un État qui « ne puisse pas ne pas dépérir »,alors que le marxisme a mis en relief que l’État étaittoujours l’instrument d’oppression d’une classe surune autre. Il est possible que, pour la clarté de l’expo-sition, il faille remplacer dans la terminologie l’ex-pression d’“État prolétarien” par une autre plus adé-quate. Mais, avec ces explications, on comprendra noscritiques. L’exposé des Hollandais énonce la nécessitéd’un “État prolétarien” qui ne pourrait pas s’évaderde sa fonction d’instrument de répression de lacontre-révolution »  13.

La Gauche italienne a présenté dans Bilan et dansInternationalisme d’intéressantes positions surl’État dans la phase de transition. Malheureu-sement, la discussion entre les positions de laGauche communiste italienne et de la Gauchecommuniste hollandaise a été bloquée pendantdes décennies en raison du mépris pour le cadrepolitique que la GIC a utilisé 14. Certains de cesmalentendus persistants ont été propagés parGilles Dauvé.Après Mai 1968, la Gauche germano-hollandaisea été redécouverte en France. Cette redécouvertes’est produite sous le couvert des illusions petites-bourgeoises et artisanales de l’“autogestion ou-vrière” économique dans des usines occupées iso-

13) A. Hennaut, « Les internationalistes hollandais sur le programme de la révolution prolétarienne », 1935. Voir aussi « Production et distribution communistes » (Bilan, résumé par Adhémar Hennaut, 1935).

14) Dans le reader « G.I.C. Grondbeginselen der communis-tische productie’ I. De politieke randvoorwaarden ».

lées - par exemple, l’usine de montres LIP - ausein du capitalisme. Après que certains textescommunistes des conseils aient été nouvellementtraduits ou republiés à partir de sources peuclaires, Authier et Barrot (ce dernier nom étant lepseudonyme de Gilles Dauvé) ont publié en 1976une première historiographie en français de Lagauche communiste en Allemagne 1918-1921. Lesauteurs reprenaient la critique formulée par Bor-diga concernant l’obsession supposée de laGauche communiste allemande pour les formesd’organisations (conseils, parti) au détriment deleur contenu, c'est-à-dire du programme commu-niste. Bordiga indiquait que tant que le PartiCommuniste de Russie au pouvoir adhérerait neserait-ce que “programmatiquement” à la révolu-tion mondiale, la Russie serait gouvernée par unedictature du prolétariat 15. Bordiga n’identifiaitpas le capitalisme d’État et le socialisme, commeLénine le fait dans L’État et la révolution avant laRévolution d’Octobre. Bordiga en appelait auxdéclarations de Lénine à l’époque de la luttecontre les communistes de gauche, et plus tarddans la défense de la NEP. Lénine, qui était deve-nu plus analytique après la Révolution d’Octobre,défendait le capitalisme d’État comme une avan-cée économique vers le socialisme, mais il le qua-lifiait de capitalisme. À propos de ces subtilitésnon négligeables dans la défense du capitalismed’État par Lénine et par Bordiga, il est importantde souligner que Bordiga acceptait le substitutionléniniste de l’activité de masse et de l’organisationde masse par l’organisation minoritaire du parti,tandis que les gauches hollandaise et allemandese sont ralliées à la position selon laquelle lesconseils ouvriers sont les organes de masse de ladictature du prolétariat. Mais cette vision deschoses est rejetée, dans un style léniniste, du pointde vue substitutionniste du bordiguisme, commeexprimant la priorité de la forme organisation-nelle sur le contenu programmatique, si ce n’estsimplement comme “économisme”. Avec le re-cours bordiguiste à la primauté du programme,Authier et Barrot ont qualifié toute la gauche ger-

15) Voir en particulier : « Bilan d’une révolution (1967-1991), conclusion de la partie I: Les grandes leçons d’Oc-tobre 1917 ».

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mano-hollandaise de “conseilliste” 16, lui déniantson caractère “communiste”.Le plus grand crime que le GIC a commis auxyeux d’Authier et de Barrot est de proposer d’in-troduire l’heure de travail moyenne socialementnécessaire comme unité de calcul dans une éco-nomie qui connaît encore la pénurie. En introdui-sant une unité générale de comptabilité, les rap-ports de valeur seraient maintenus. Pour prouvercela, ils invoquent Bordiga qui avait été le seulpendant longtemps à avoir répété que le commu-nisme ne connaît plus de valeur. Les calculs nedevaient être appliqués qu’à des quantités phy-siques, « mais non pas en vue de quantifier, de ré-guler, un échange qui n’existe plus » 17. C'est dansce contexte qu’Authier et Barrot font référence àdeux fragments du vaste ouvrage de Bordiga surla Structure économique et sociale de la Russie d’au-jourd'hui  18. Cependant, il est dit en premier lieudans ces fragments que, dans le socialisme, l’ac-cumulation de valeur est remplacée par la pro-duction de valeurs d’usage (p.191). Deuxième-ment, Bordiga indique que les bolcheviks utili-saient la monnaie comme moyen de calcul dansleur planification, et il est d’accord avec Boukha-rine lorsque ce dernier exprime sa préférencepour une planification en nature ou en quantitésphysiques (p. 205). Les bolcheviks ont appliquécette planification en nature au cours du Commu-nisme de guerre, ce qui a été généralement recon-nu comme un échec complet, après lequel la NEPa été introduite. La planification en quantités phy-siques a été analysée par le GIC dans Les prin-cipes fondamentaux 19.

16) Authier/Barrot, « La Gauche Communiste en Allemagne1918-1921 », Paris, 1976 p. 18.

17) Ibidem, p.227.18) Bordiga, « Structure économique et sociale de la Russie

d’aujourd’hui »; II Développement des rapports de pro-duction après la révolution bolchevique, Paris.

19) En allemand : GIK « Die Ausgangspunkte der Grundprin-zipien kommunistischer Produktion und Verteilung », Ch. III Die Distribution der Produktionsmittel und Konsumgü-ter in ‘Natura’ als bolschewistisches Ideal, p. 167. En an-glais: GIC, « The Basic Theoretical Foundations of the Work “Fundamental Principles of Communist Production and Dis-tribution” », Ch. III The Distribution of Means of Produc-tion and Consumption “in Natura” (by Barter) as a Bol-

Authier et Barrot se réfèrent à la critique de Prou-dhon par Marx comme second argument contre letemps de travail en tant qu’unité de calcul. Ce-pendant, en 2013, David Adam a montré que lespropositions du GIC sont parfaitement conformesà Marx. Au fil de ses aventures politiques, Barrot/Dauvé est devenu le principal idéologue du cou-rant de la “communisation” 20.Confronté à l’argument d’Adam, Dauvé tourne ledos à Marx :« Dans Marx’s Critique of Socialist-Money Schemes &the Myth of council Communism’ Proudhonism , (lib-com.org, 2013), David Adam réfute mon ancienne cri-tique de la vision conseilliste du communisme en ar-guant que la notion de valeur du GIC est la même quecelle de Marx. Que la discussion soit devenue plutôtdifficile n’est ni de la faute de David Adam ni de lamienne, c'est seulement dû au fait que la question estcompliquée. Dans le passé, j’ai voulu contester le GICau nom de l’analyse de la valeur de Marx en faisantune référence particulière aux Grundrisse. Je metsmaintenant en avant l’argument selon lequel il y aquelque chose de hautement discutable dans la visionmême de Marx, à la fois dans Le Capital et dans lesGrundrisse, que le GIC a marché sur les traces deMarx et qu’il a eu tort de le faire : loin d’être un ins-trument utile et juste de mesure, le temps de travail estconsanguin au capitalisme. C’est davantage qu’un liencausatif : le temps de travail est la substance de la va-leur. Marx était certainement un précurseur du projetconseilliste » 21.Par souci d’exhaustivité, il faut noter ici que l’ou-vrage de Bordiga : Structure économique et socialede la Russie d’aujourd'hui contient un chapitredans lequel il mentionne les bons de travail (avecle nombre d’heures travaillées) que Marx, dans sa

shevik Ideal. En hollandais : GIC, Grondbeginselen van de communistische productie en distributie, Ch. II De distributie van productiemiddelen en consumptie in natura als bolsjewistisch ideaal et GIC, « Grondbeginselen van de com-munistische productie en distributie », Ch. XII De opheffing van de markt.

20) Sur cette histoire peu ragoûtante, voir : Bourrinet, « Dic-tionnaire biographique d’un courant internationaliste »,lemme Dauvé.

21) Gilles Dauvé, « Value, time and communism : re-readingMarx », présenté comme Chapitre d'une nouvelle éditiond'Eclipse & Re-Emergence of the Communist Movement, (àparaître chez PM Press, automne 2014).

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Critique du programme de Gotha, proposait commeun droit à la consommation au cours du premierstade de la société socialiste. Bordiga dit qu’il arencontré en Union soviétique toutes sortes de ca-tégories purement capitalistes telles que l’argent,l’épargne, les comptes bancaires, l’intérêt, le cré-dit, mais jamais ces certificats de travail 22. Cecirend l’appel de Dauvé à Bordiga pour le moinsdiscutable.

Assez parlé maintenant des malentendus persis-tants sur les Principes fondamentaux par manquede connaissance du texte concerné, en particulierdans le monde francophone. Et pour finir, lais-sons le GIC parler pour lui-même.

La dictature économique du prolétariat

C'est sous le titre de « La dictature économiquedu prolétariat » que le GIC a présenté sa visionpolitique dans l’édition de 1935 des Principes fon-damentaux:« Pour finir, nous devons consacrer quelques mots à ladictature du prolétariat. La dictature est une chose évi-dente pour nous, et l’on n’a donc pas nécessairementbesoin de parler d’elle, étant donné que la réalisationde la vie économique communiste n’est pas différentede la dictature du prolétariat. La mise en œuvre del’économie communiste ne signifie rien d’autre quel’abolition du travail salarié, ce qui entraîne le droitégal aux stocks sociaux pour tous les producteurs.C'est également l’abolition des privilèges de certainesclasses. L’économie communiste ne donne à personnele droit de s’enrichir aux dépens du travail des autres.Celui qui ne travaille pas, ne mange pas. L’applicationde ces principes n’est en aucun cas “démocratique”. Laclasse ouvrière les met en œuvre avec la plus violenteet sanglante des luttes. Il ne peut pas être question de“démocratie” dans le sens d’une coopération desclasses, telle qu’on la connaît aujourd'hui dans les sys-tèmes parlementaire et syndical.Mais si nous regardons la dictature du prolétariat dupoint de vue de la transformation des relations so-ciales, des relations réciproques entre les hommes, alorsla dictature est la véritable conquête de la démocratie.Le communisme ne veut pas dire autre chose que le faitque l’humanité entre dans une phase culturelle supé-rieure, étant donné que toutes les fonctions sociales

22) Bordiga, idem, Le ‘bon’ de Marx, p. 221 et suivantes.

sont placées sous la direction et le contrôle de tous lestravailleurs, et qu’ainsi ceux-ci prennent leur destin enmain. Autrement dit, la démocratie est devenue leprincipe de vie de la société. De ce fait, une démocratieessentielle, enracinée dans la gestion de la vie socialepar les masses laborieuses, est exactement la mêmechose que la dictature du prolétariat.Il était de nouveau réservé à la Russie de faire de cettedictature une caricature en présentant la dictature duparti bolchevik comme la dictature de la classe prolé-tarienne. De cette manière, il a fermé la porte à une vé-ritable démocratie prolétarienne, c'est-à-dire à l’admi-nistration et à la direction de la vie sociale par lesmasses elles-mêmes. La dictature du parti est la formedans laquelle la dictature du prolétariat est en réalitécontrecarrée. En plus de la signification sociale de la dictature, je-tons un regard sur son contenu économique. Dans lasphère économique, la dictature agit de telle manièrequ’elle impose une application générale des nouvellesrègles sociales auxquelles la vie économique est sujette.Les travailleurs eux-mêmes peuvent ajouter toutes lesactivités sociales à l’économie communiste s’ils ac-ceptent ses principes, s’ils mettent en œuvre la produc-tion pour la communauté sous la responsabilité de lacommunauté. C'est tous ensemble qu’ils mettent enpratique la production communiste.Il est évident que les différents domaines du secteuragricole ne suivront pas immédiatement les règles de lavie économique communiste, c'est-à-dire qu’ils ne sejoindront pas à la communauté communiste. Il est éga-lement probable que certains travailleurs compren-dront le communisme de telle manière qu’ils voudrontgérer les entreprises de manière indépendante, maisnon pas sous le contrôle de la société. Au lieu du capi-taliste privé du passé, ce sera alors l’organisation del’entreprise qui agira en tant que “capitaliste”.À cet égard, la dictature économique a pour fonctionspécifique d’organiser le secteur économique selon lesrègles générales, dans laquelle la comptabilité socialepar le bureau général de comptabilité, remplit unefonction importante. Nous trouvons dans les comptessociaux l’enregistrement des flux de biens dans la vieéconomique communiste. Cela ne signifie rien d’autreque ceux qui ne font pas partie du système de compta-bilité sociale ne peuvent pas obtenir de matières pre-mières. En effet, dans le communisme, rien n’est“acheté” ni “vendu”. Les producteurs ne peuvent

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qu’obtenir des produits et des matières premières de lapart de la communauté pour une distribution ou unetransformation supplémentaire. En revanche, ceux quine désirent pas inclure leur travail dans le processusde travail régulé socialement s’excluent de la commu-nauté communiste. C'est ainsi que la dictature écono-mique mène à l’auto-organisation de tous les produc-teurs, qu’ils soient petits ou grands, qu’ils soient in-dustriels ou agricoles. En réalité, cette dictature s’abo-lit immédiatement à partir du moment où les produc-teurs intègrent leur travail dans le processus social etoù ils travaillent selon les principes du contrôle socialet de l’abolition du travail salarié. C'est donc aussi unedictature qui “meurt” automatiquement dès que la viesociale tout entière est établie sur les nouvelles fonda-tions de l’abolition du travail salarié. C'est égalementune dictature qui n’exerce pas son pouvoir en em-ployant la baïonnette, mais qui procède avec les loiséconomiques du développement du communisme. Cen’est pas “l’État” qui s’acquitte de la dictature écono-mique, mais c'est quelque chose de plus puissant quel’État : les lois du développement économiques » 23.Les Principes fondamentaux ne fournissent certespas le dernier mot concernant les mesures que lesconseils ouvriers pourront prendre après leurconquête du pouvoir politique. Mais c'est le GICqui jusqu’à présent a produit l’analyse la pluscomplète et la plus profonde des expériences ré-volutionnaires de la période 1917-1923. C'est auxnouvelles générations de travailleurs révolution-naires qu’il revient d’aller de l’avant en utilisantcomme marchepied ce qui a été accompli il y acent ans.

Fredo Corvo, Mai 2018.Traduction: des camerades francophones, 2018 et 2019.Relecture: Fredo Corvo, Mai 2019.

23) . « Principes fondamentaux », 1935, dans Ch. XVI sous letitre : De economische dictatuur van het proletariaat.

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Résumé de l’articleL'importance actuelle des Principes fondamentauxde la production et de la distribution communistepar le(s) Groupe(s) des Communistes Inter-nationaux (GIC) est double. Les textes de 1930(première édition en allemand) et de 1935 (der-nière édition révisée et complétée en néerlandais,par manque de traduction inconnue à l'étranger)traitent des problèmes qui se posent immédiate-ment après la prise du pouvoir politique par laclasse ouvrière. En raison du manque de traductions, et d'extraitslimités, à l‘exception de quelques extraits, le texteest l'une des pierres d'achoppement dans le dé-bat entre la gauche communiste néerlandaise etitalienne. Cette situation est encore aggravée parmanque de connaissance des études préliminairesaux Principes fondamentaux. A l'aide de résuméset de citations de textes inconnus, deux malenten-dus et critiques sont clarifiés. Premièrement, les idéaux d'égalité absolue qui luisont attribués à tort, alors que le GIC, comme

Marx dans sa Critique du programme de Gotha, asouligné la disparité réelle dans une répartitionfondée sur le nombre d'heures travaillées.Deuxièmement, contrairement à l'approche éco-nomique limitée présupposée de la période detransition par le GIC, le cadre politique dans le-quel le GIC a traité les problèmes économiques, aété décrit dans les études préliminaires et l'édi-tion de 1935. Une attention particulière est accordée aux idéesfausses qui ont été répandues pour la premièrefois par Authier et Barrot (Dauvé) dans les paysde langue française et qui se perpétuent dans lesvisions du mouvement de "communisation" et au-delà. David Adam a montré que le GIC n'est pasproudhoniste, mais que ses vues sont semblablesà celles de Marx. Ici on montre que Authier etBarrot ont cité Bordiga de façon douteuse et queBordiga dans les dernières pages de son Structureéconomique et sociale de la Russie d'aujourd'hui re-tombe sur les "bons de travail" qu'ils ont rejetés.

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Cette article apparut au premier comme supplément à ‘A Free Retriever’s Digest’ Vol.2 #3 (June - July 2018). Vouspouvez trouver sa version anglaise actuelle (1.1, Mai 2019) ici sur son web blog en ligne : https://afreeretriever.word-press.com/.