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Le chemin des dames ou le temps des femmes: de la frustration a la sirenite CHANTAL LOUISE PIC& These presentee au Departement d7~tudes kananpaises de IyUniversite Queen's pour l'obtention du grade de Maitrise es Arts Queen's University Kingston, Ontario, Canada Awl 1997 copyright Q Chantal Louise Pichi, 1997

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Le chemin des dames ou le temps des femmes:

de la frustration a la sirenite

CHANTAL LOUISE PIC&

These presentee au Departement d7~tudes kananpaises

de IyUniversite Queen's

pour l'obtention du grade de

Maitrise es Arts

Queen's University

Kingston, Ontario, Canada

A w l 1997

copyright Q Chantal Louise Pichi, 1997

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ABSTRACT

As is usual in Madeleine Ferron's work, each account unfolds around

commonplace events such as the joys and struggles of daily life. The short

story provides a quick, intense glance into the characters' existence. The

focus of this study is time and, more specifically, how this factor affects the

female characters in Le chemin des dames, a compilation of fifteen short

stories. While it has always been diBcult for women to be both efficient and

independent (Beauvoir), Le chemin des dames attests that it is possible to

achieve h s balance as long as one is willing to endure the ups and downs of

the struggle towards personal keedom.

The proposed study examines three ways in which the female

characters experience time: "Temps subtilisk", where time has been stolen

and thereby frustrates those unable to control their difEcult circumstances;

"Temps suspendu" where all characters have come to accept the status quo;

and finally, "Temps assum6" where each woman leads a peaceiid, accepting

life even if all is not perfect.

In the end, some of these characters come out as winners in their

stnrggle for independence, while others are not as fortunate. However, they

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all bear testimony to the fact that this struggle is worth the effort even in the

most difficdt of times.

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A la £in de ce long parcow, je tiens a remercier Madame Lucie Joubert pour son soutien et ses mots &encouragement durant la redaction hisitante de cette these. Ses prkcieux conseils m'ont permis de retrouver le bon chernin. En sacrifiant son temps et ses heures libres, elle m'a fourni les outils indispensables pour mener a bien mon projet.

Je voudrais egalement exprimer ma reconnaissance et mon amour a rnes parents, Catherine et Gaetan, qui ont su me guider par leur appui indefectible et qui ont tout fait pour que j'arrive a 17ach&vement de ce travail. Merci aussi a ma soeur NathaIie, qui, tout en etant absente, m'a fait ressentir son amitie.

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. . ABSTRACT. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

REMERCIEMENTS. . . . . . . . . . . . . . iv

INTRODUCTION. . . . . . . . . . . . . . . . . 1

CHAPITRE I - Temps subtilisi a I'existence conjugale . . 9

CHAPITRE I1 - Temps subtilist a soi-mhe . . . . . . . . . . 18

CHAPITRE ILI - Temps subtilid par le travail . . . . . . . . . 3 1

DEUXI~ME PARTIE TEMPS SUSPENDU

CHAPITRE IV - Temps de la folie . . . . . . . . . . . . . 43

CHAPITRE V - Temps des traditions . . . . . . . . . . . . 52

CHAPITRE VI - Temps onirique . . . . . . . . . . . . . . 6 2

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TROISI~ME PARTIE TEMPS ASSUM&

CHAPITRE W . Temps de la serenite . . . . . . . . . . . 66

. CHAPITRE VIII Le temps de la prise en charge . . . . . . . 74

CHAPITRE IX . Le temps au quotidien . . . . . . . . . . . 79

CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . 87

BIBLIOGRAPHIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93

VITA . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97

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a mes parents

($..I pour qu 'un destin cotuerve sa noblesse il fat avoir le choix d 'y consentir. u

Le chemin des dames

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INTRODUCTION

Moins connue que son illustre fiere Jacques, Madeleine Ferron n'a

toujours pas la reuomee qu'elle merite, malgre I'etendue de son oeuvre.

Les nombreux recueils de nouvelles et romans dont elle est I'auteure se sont

imposes timidement mais toujours de faqon constante dam le rnonde de Ia

litterature, (chisant dans son experience, Madeleine Ferron ecrit pour rendre

compte de son cheminement intenem (Boucher 1994,7), sujet exploite dam

le recueil de nouvelles intitule Le chemin des dames.

d aucun age de sa vie, Da femme] ne reussit a itre a la fois efficace et

independanten (482), ecrit Shone de Beauvoir en 1949. Moins de 30 am

plus tard, Madeleine Ferron publie son recueil Le chemin des dames qui

explore cette question a h i d e de quinze histoires dxerentes. On y Iit m e

certaine difEcult4 a atteindre a la fois efficacite et independauce; Ie recueil,

toutefois, atteste la possEbilit6 d'arriver a un equilibre. Par le biais d'un grand

assortiment de persomages ferninins et par les circonstances personnelles

variees de chacune, l'auteure ne decrit pas seulement la dharcbe

qu'entreprennent ces femmes, mais elle fait ressentir au lecteur la difliculte du

cheminement pour atteindre un but commun: la liberte perso~elle.

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Quelquefois gagnvltes et quelquefois perdantes, ces femmes sont un

temoignage vivant que l'effort en vaut la peine meme si la route vers cette

liberation est parfois ardue.

Cette etude se concentrera sur le temps des femmes: comment

choisissent-elles de s'approprier le temps dont elles disposent pour ameliorer

leur quoticlien et comment certaines assument-elles sans conflit le chemia qui

s'etend devmt elles? Le titre du recueil ctevoque par ailleurs pour le lecteur,

mais pour s'en distinguer aussitdt, des expressions comme "combat" ou "lutte

contre les femmes". [n] n'a aucune connotation guerriere, mais evoque plutdt

l'idee de route, de marche, d'etape, d'itinkraire, p o w d'un point de depart

et d'un point d'arriveen (Boucher 1994, 13). Ainsi, on releve trois faqons

specifiques aux personnages fkrniains de vivre le temps au cows de leur

dimarche individuelle vers ce que chacune peqoit comme etant la Iiberte: Ie

parcours que I'on propose va du temps subtilise, c'est-bdire le temps que

I'on se fait voler, source de k t ra t ion pour celles qui n'anivent pas a

maitriser le temps ou a t'assujettir plutat que d'en itre victimes; on

rencontrera ensuite le statu quo, ou temps suspendu, qui aEecte celles qui

acceptent ou subissent en principe M a t des choses; on aura enfin le temps

assume, celui de la serhite pour celles qui menent une vie paisible mime si

Ieurs situations ne sont pas parfaites.

Dam la premiere partie, on examinera l'existence de quelques

personnages ferninins du recueil qui voient le temps leur etre vole, soit par le

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mari ou la vie conjugale, soit par un manque de volontk devant la necessiti

d'operer des changements dam lew existence, soit par le travail. Par

consequent, le choix de ces femmes de mener une vie libre ne leur apparait

pas evident, ou dans certains cas, ne leur sernble meme pas une option.

Quelques-unes de ces femmes ne mesurent pas vrairnent ou rebent

d'admettre l'injustice de leur situation et sont kvidemment incapables d'agir

pour ameliorer leurs presentes conditions de vie. Madame Heroux de

(L'indiscret canotien) voit sa vie detruite apres la mort de son mari addtere:

la ddcouverte retrospective de l'emploi du temps du mari les mardis Iui cause

une douleu. rendue encore plus aigue par le sentiment d'avoir ete flouee

toutes ces annees. L'aubergiste Josephine Fauteux, elle, n'mive tout

simplement pas a recomaltre qu'elle echappe au bonheur a cause de sa

propre incapacite a saisir la vie; elle choisit plut6t de b l h e r son maxi

innocent.

D'autres sont conscientes de la dficulte dyoccuper une position

subalterne ne pennettant aucun contr6le vis-a-vis du deroulement des

6vhernents quotidiens, mais ne semblent pas envisager tres rapidement la

possibilite d'effectuer une modification; Irene, notarnment, dam &a soiree

manquee)) ne semble {pas s'6panouir aupris d'un mari qui fait passer son

travail avant toub (Boucher 1994, 14). D'autres encore, malheureuses dans

ce rapport de subordination, d e n peuvent plus de subir une teUe existence:

afin d'eviter la perte totale de leurs capacites ou tout simplement pour

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empecher une soumission plus prononcle, ces femmes s'aiEment et

rbgissent pour provoquer le changement d'une situation devenue intolerable

et devant laqueue elles ne peuvent plus fermer les yew. Tel est le cas de

c<L'orgueilleuse)) qui, apres avoir accorde son temps a accommoder un mari

dont la caniere primait, au prix de ses enfants et de son propre bonheur, se

rend compte de sa grave erreur de jugement.

~galement semee d'embbhes est I'existence de la femme au foyer et

de la femme au travd. Valerie Bellerose dam (d,'avancemenb) reagit tres

vite a ce qui Ia rend malbeureuse mime si elle doit en principe Stre satisfaite

de son emploi. Apres des mois dedies a I'obtention d'une promotion, elle se

rend compte non seulement des Micultds d ' S e femme clans un champ

professionnel domind par Ies hornmes, mais de la prouesse necessaire pour

gerer son temps efficacement a h de ne pas s'epuiser inutilement. Pour

madame Breton dam la nouvelle (Les etranges meprises)), cependant, le

besoin de modifier Ie derodement de sa vie n'existe pas. Meme si elle fait le

travail de dew personnes, ce qui lui vole son sommeil et du temps personnel,

elle n'dliche aucun signe d'insatidiction.

Quels que soient les details de chacune des nouvelles, toutes ces

femmes sont a im moment donne, chacune a son tour, assujetties a un pouvoir

quelconque. Pour plusieun de ces femmes, le manque de contr61e vis-a-vis

du dkroulement de leur vie engendre des fhstrations.

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A la deuxieme partie on explore une facette du temps que l'on q d e

de suspendu a cause des caracteristiques communes awc quattre nouvelles

exploities: chacune presente une existence feminine qui donne l'impression

d'8tre figee ou stagnante. On voit que I'existence de ces femmes parait

inchangk parce qu'elles obeissent a des traditions ne pennettant pas

I'evolution de la pende. Pour ces personnages, la vie se poursuit de fagon a

conserver les habitudes etablies oh chaque decision et chaque activite a deja

ke prevue.

D'abord, dans d e s Parques)), trois generations de femmes mknent me

vie a Ia fois dans I'ombre du pdsse cristallise par la mort du wi de la plus

vieilIe et dam l'attente du mariage de la plus jeune: le maintien des traditions

y est parbiculierement evident. Les dew soeurs incarnent une stagnation du

m2me genre dam ((Sophie Lagrange et Ies demoiselles Taylom, qui cette fois

existent ii I'Ccart du progres plutbt par orgueil entete: elles portent avec elles

la honte d'un heritage irnpur. Dam deux des nouvelles, soit {La tricbeusew

dont le personnage eponyme revele B son fils, dam une Iettre, la prktendue

folie qui lui a permis d'ichapper a ses tiches menageres, et ccL7initiatiom, ou

la nouvelle marice decouvre que son mari est en fait un loup-garou, il est

question d'une rupture de I'existence presentee au debut de la narration:

poussees respectivement par le besoin et par le destin, ces femmes entrent

dam un monde pardele qui leur etait inconnu jusque-la pour ressentir une

gamme d'ernotions, telles la fi-ayeur, I'extase et la satisfaction. Ce qui

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ressort, cependant, de chacune de ces nouvelles est le sentiment de

l'acceptation de l'etat des choses: fatalisme, resignation ou bonheur relatif?

Chaque personnage se place differemment devant le temps qui lui est dholu.

La prise en charge des constituantes de sa propre existence, des choix

personnels et de leurs consCquences, ou le temps assume, sera le sujet de Ia

troisieme partie. Les persomages feminins dont il est question sont de

caracteres tres differents, mais chacune entend vivre sa situation pleinement

d m la lucidite, de la faqon qui lui convient, et sans regrets. Ainsi, ale passe

occupe une place prepondkrante dam la conscience)) (Boucher 1994, 16) de

Marie ( d e ballom) qui ne s'est jamais mariee. A l'aide de lettres aonuelles,

elie a plutdt choisi de garder intacts les souvenirs de Pietro, son amour

d'adolescence. Catherine Veilleux, ~L'aftiranchieu, accepte longtemps les

difticultes et les injustices d'un mariage tumultueux et d'un mari violent pour

e f i se gagner le droit a la Iiberte personnelle. Et eafin, dans

d3nterminabIe partie de cartes)), Mazalie C8t6 ne se fait aucun souci, pour

aucune raison, meme la mort d'un mari n'althre pas sa placidite nouveIle:

cette femme (creconaait et assume ses desk sexueis)) (Dansereau, I5 I), tout

simplement.

Qu'eIle soit dlibataire, mariee ou remariee A plusieurs reprises, cette

femme assume le r6le qu'elie s'est elle-m5me attriiue, peu importe les

dEcultes que cela amene ou p o d t amener. Par consequent, par le

bonheur qu'occasio~e la plebe acceptation de ses choix, la serhite lui est

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accessible sans trop de codlit personnel. ProbabIement, pour les gagnantes

de ce recueil, cde bonheur semblerait donc consister a "se mettre en

possession par avance" de l'avenim (Poulet, 134-135) et a voir plus loin que

le quotidien, ou a apprendre a le gker au jour le jour.

Voyons maintenant en ditails les motivations de ces personnages

ferninins et Ies enjeux de leur parcours individuel.

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PREM&RE PARTIE

TEMPS S U B ~ L ~ S E

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a k mariage s 'esr foujours prPsentP de maniPre rudidemenr difirente pour 1 'homme et pour

la /erne. Les deux sexes xont ndcessaires I 'un ri I'rmW, mais cene necessird n 'a jamais

enhe eux de rPciprocifP [...]u

(L'indiscret canotiem aborde Ia question de la double vie: ici, le maxi a

vecu en parallele me existence quail a toujours cachCe i sa femme, lui

subtilisant, a chaque semaine, une journee de sa vie conjugale. Pour madame

Heroux, la decouverte posthume de I'infidelite de son mari remet en question

toute sa vie de couple. La confiance qu'eIle avait en son mari pendant toutes

ces anndes est soudainemeot vioICe Iors de l'enquete qui a c o m e but de

determiner la cause et Ie responsable de da collision entre deux automobiles

[qui] a provoque la mort de quatre persomes de la regioru, (145). A rneswe

que le procb se deroule en cow, on apprend que monsieur Heroux menait

une deuxieme vie, dont madame H&oux ne faisait pas partie. En principe,

cette clandestinite enlevait du temps au couple et a leu mariage qui ne pourra

Ctre ni remplace, ni recupere. On voit toutefois que pour le mari, Ie temps

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qu'iI vole au mariage lui permettait de s'eloigner des tiches familides et

conjugales, de se crier une sorte de rekge exterieur pour s'evader d'une vie

banale.

L'innocence et la confiance apparaissent comme les pivots dominants de

madame Hbrow. EUe n'a jamais soupqonne que son mari puisse &re ailleurs

qu'en voyage d'affaires chaque mardi comme S le lui avait dit. Toutefois, les

circonstances entourant l'accident de voiture ont fait en sorte qu'elle s'est

retrouvee en cour pour h e r sa confiance et pour defendre son mari. Au

proces eIle declare que a[ ...I son mari ne laissait jamais son garage, qu'il Ctait

vaillant a l'ouvrage, toujours sobre et d'une humeur egale)) (147). Pour les

Heroux, les woyages d'affaires)) ne sont que la routine. Parce qu'elle pense

&e au courant des activites de son mari, madame Herowc ne pose pas de

questions et se croit renseignke. On sait cependant qu'elle ignore le vrai but

des sorties, car ces mardis soirs que monsieur Heroux passe iloigne de la

maison figurent tout simplement parmi les activites n o d e s de la semaine.

En effet, ce sont la conflance gratuite et la satisfaction de madame Herow qui

permettent a son mari de continuer sa vie secrete et qui ont par consequent

permis a monsieur Herow de poursuiwe une vie clandestine sous le couvert

d'un voyage dYafEaires hebdomadaire. Pour madame Heroux, l'absence

n'itait pas un mystere jusqu'a ce que son mari soit tuk dam I'accident qui a

tout revel& Elle n'avait jamais soupqonnti et n'aurait probatdement jamais

questionnk son mari au sujet des sorties du mardi si l'accident n'etait pas

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arrive. Toutefois, lors du proces, les details du mardi, qui dessinent toute une

autre vie, Iui sont devoiles pour la premiere fois.

Plusieurs h o m e s se font entendre. Bien sk , ils le connaissaient, mais, a les ecouter, on remarque aussit6t qu'ils ne posskdent qu'une notion fkagmentaire de la vie de monsieur Heroux selon qu'ils abordent le mardi ou la semaine. Une semaine de six jours qui n'a jamais tenu compte du septikme, ce jour escamote. Une semaine parfaite de mari modele et de pere attentif. Une semaine, en fait, complete, puisque le mar& n'etait pas un jour, c'etait une autre vie (153-154).

De toute Cvidence, madame Herow ne co~aissait que le monsieur Heroux de

la sernaine et non ceIui du mardi. Soudainernent, m'est comme si exister,

c3Ctait vivre en mime temps deux vies: la vie v&ue au jour le jour, et d'autre

part me vie toute en deqa et au dela des moments, me vie qui s'etend dam la

duree)) (Poulet, m). Pour elle, cet homme etait un rnari, un garagiste, mais

de plus en plus iI devenait (am personuage arnbigu [...I, un inconnu, un

homme a double'vie, a double face. Un acteur mahomete qui a joue les

scenes Ies plus importantes dam les coulisses!)) (154). L'authenticite de

I'homme comme Cpoux et garagiste, c'est-Mire celui "de la semaine7', est ici

mise en question. On se demande si ce n'etait pas seulernent Ie mar&

qu'kmergeait le mi M. Hkroux: il est impossible, cependant, de le savoir

avec stiretk puisque ses activites se dkroulent en silence et iI beneficie en plus

de l'indulgence habituelle en ces occasions. Traditionnellement, l'homme

n'avait pas a expliquer son ididelite puisqu'elle etait considkree comme

presque oomaie: (hrfais le mari? Mon Dieu, fermons les yeux s'il doit

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chercher et s'il tmuve ailleurs des compensations)> (Gagnon, 25). On pourrait

assumer que Ia vie intime du couple a ete compromise a un moment dam le

mariage. Si <ton pretend [...I que [I]e silence mike est signe d'une intimite

plus profonde que toute parole, [et que] certes nu1 ne songe a nier que la vie

conjugale ne tree une intimite)) (Beauvoir, 310), on voit ici que le silence a

plut6t agi comme m e force destructrice: la dissimulation de la vkrite permet a

monsieur Hdroux de tromper sa femme.

Lorsque madame Heroux decouvre l'existence secrete de son mari, cela

I'oblige a reeduer leur vie de couple du debut a la fin. EUe doit se demander

ce qui etait verite et ce qui etait rnensonge. MEme si elIe a pasd toutes les

annees de mariage ignorante des rialites entourant les activites du mardi soir,

madame Herow. doit soudainement faire face non setdement a la mort subite

de son mari, mais elIe doit subir retrospectivement l'impact emotionnel ci7w.e

vie conjugale remplie de trahison. Elle eprouve m e sorte de vision a rebours

ou ses pensees portent sur chacun des evenements de la vie conjugale et

cherche peutGtre a s'accrocher a ses souvenirs comme temoignage d'une

union autbentique. EUe c<conn&a sans doute [...I un veuvage dif5ciie))

(Boucher 1992, 99) maintenant qu'elle est au courant de la dewcieme

existence: cette dkcouverte se repercute sur toute la duree de sa vie conjugale

et personnelle qui se trouve kr&ocablement souillCe.

Une deuxierne nouvelle du recueil, intitulee c<L7auberge de la tranche

mince)), qui traite du temps subtilise a l'exlstence conjugale, monte l'histoire

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de JosCphine Fauteux: (([ ...I promue patronne de I'auberge suite a la mort de

son mari, avec qui elle etait toujours a couteaux tires, [elle] vit ditricilement

son veuvage)) (Boucher 1992, 99). Contrairemeat a madame Herowc qui

commence ua deuil, on voit dam cette nouvelle l'expdrience du deuil, qui

dome, paradoxalement, une latitude a Jostphine et lui fournit l'occasion de

rattraper de longues anntes de htration. Avant la mort de son mari,

Josephine souhaitait en effet dhontrer ses connaissances en affaires.

Comme son mari avait toujows soh du comptoir de reception de l'auberge,

Josephine n'avait jamais l'occasion d'y travailler elle-mgme: puisque ses

aspirations eiii;eqt -itprim&s, ele choisissait de depenser son energie en se

moquant de son mari.

Josephine, qui r8vait d'une diversion dam sa vie conjugale ma1 engagee et d'une occasion de prouver qu'elle pouvait administrer IYh6tel, avait vu dans cette mutilation, qui gardait Hector a son poste, une injure personnelle. Quand, durant les annbs qui suivirent, elle le croisait entre les portes battanttes [...I, elle ne manquait jamais de souffler un ((Mche)) qui rappelait le chuintement du chat [...I (1 34).

Il semble que lYindEerence de son mari enrageait Jodphine de plus en plus et

que ses contestations se d e s t a i e n t sous fome d'injures visant a blesser

son mari. Malheureusement pour Josephine, Hector passe outre ces

protestations et demeure a la fois desinteresse et indifferent.

Hector ne cillait mSme pas, emmure dans cette forteresse dYindifEerence a l'assaut de laquelle la pawre Josephine se portait en vain (1 34).

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En essayant de provoquer une reaction chez Hector, Josephine cherche

peut-Stre a apporter a leu. miuiage et a leur vie d'aubergistes, qui avaient W

jusqu'a present routiniers, du changement et de I'impr6vu. Toujours

insatisfaite, ne sachant pas quoi faire de son temps, Josephine ne se rend pas

compte qu'elle est la seule a &tre malheureuse et elle a tendance a b lhe r son

mari pour son mecontentement tandis quYHector, lui, est de toute apparence

tres satisfait. Comme une enfant qui s'ennuie et qui veut l'attention de ses

parents, Josephine a besoin dyttre valorisee par son mar- et cherche une

satisfaction personnelle qu'elle croit pouvoir se procurer en travaillant au

comptoir de direction et en demontrant ses pretendus talents

dyadministratrice. Toutefois, elle ne semble pas avoir acquis beaucoup de

maturite d'esprit puisqu'elle choisit des moyens enfantins pour evacuer ses

L'apres-midi, son travail tennine, elle venait rejoindre son mari demkre le comptoir. Elle profitait toujours de cette occasion pour tenter de provoquer chez lui une colere, un degoct, un geste meme brutal, peu 1ui importait la manifestation pourvu qu'elle correspondit a quelque chose qui ressemblait a de l'attention (134).

Apres la mort d'Hector, Joskphine se sent perdue. ((S'apercevant pour

sa part que [son mari] lui servait de repoussoir, [madame Fauteux], devenue

veuve, est demunie, indecise, ailligee par sa disparition, ecrasee par le vide de

sa vie ou rien n'avait eu liew (Boucher 1992, 95). Au lieu de prendre la

releve qu'elle a toujours voulue, d'administrer I'auberge et de tout faire a sa

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fagon, ccelie demeure 1% immobile et perplexe~ (133); elle est pendant un

certain moment incapable de saisir l'occasion qui se presente. Monsieur

Fauteux (Nivant ne pouvait representer qu'un devoir de raison ou d'estime:

idee sans force contre la passion prksente. [Monsieur Fautewc] mort devient

un fant6me de devoir, fat6me que l'on peut fake lever de son passe, tout

m e de sentiments puissants qui agissent actuellement sur l ' h e [...I))

(Poulet, 130). Malgre le f&it que Joskphine s'est plainte tout au long de ses

trente ans de mariage depourvus de passion, eUe ressent soudainement ua

manque accompagne de rancune pour le mari qui a ose mourir. (Comment

avait-il pu se pennettre de mourir, se demands-t-elle, lui, si ponctuel, si range,

qui n'abandonnait jamais son poste, jamais ... n (133).

Une fois le choc de la mort passe, Josiphine a l'intention de garder

l'auberge en bon ordre et en bon etat. Elle est maintenant convaincue que

I'occasion est venue de demontrer ses capacites administratives:

[...I la routine reprit ses &oits. Josephine, emue, alla s'installer derriere le comptoir, a la direction. [...I ctvous n'avez pas a vous inquieter, le service sera le m h e qu'autrefoim.. . (1 37).

Petit a petit, Josephine oublie sa tristesse et commence a se souvenir de tout

ce qui lui manquait au cows de son mariage a Hector. Toute la rancune

accwnulee depuis trente ans de mariage explose. Son incapacite a assumer le

r6le qu'elle a toujours voulu se manifeste en un declin presque immediat et

constant de l'auberge. En meme temps que les affaires diclinent, Josephine,

qui semble avoir oublie ses aspirations administratives, se laisse etoder par

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des souvenirs negatifs, et le moment tellement attendu se perd dam

Trente ans de lutte conjugale pour conquerir ua homme et acquerir le privilege d'&tre son egal! Trente am d'un combat qui itait deveny aprks quelques anndes, une fia en soi, qui avait suscite en elle une haine, solide, presque rassurante, une haine qui avait, A I'occasion de cette maladie, perdu toute sa justitication, qui s'etait effacee subitement, annihilant trente ans de vie conjugale pa. cette fulgurante revelation de ce qu'etait une vie de tendresse (1 38).

Apres taut d'annees passees en fausses accusations de son insatisfaction,

Josephine ne sait que faire du temps qui lui est halement rendu. wlpres la

mort de son man, [madame Fauteux] n'est point libre. Elle est moins libre

que jamais. La mort de [monsieur Fauteux], bien loin d'elargir le cercle

retreci dam lequel elle se meut, ne fait que Ie rendre plus etroit autour d'elIe.

Plus d'appui aucun, un isolement absotu, une faiilesse invincible>> (Poulet,

128).

Deux femmes pour qui l'existence conjugale est compromise par le

deces du conjoint, dew femmes en deroute lorsque l'existence menee en

pardele avec le mari oblige un b d rkajustement du temps Gcn. La

nouvelle cL7indiscret canotien, illustre bien comment le silence peut agir

comme facteur puissant dam un mariage vulnerable. On ne peut ignorer

comment ce silence, qui a permis l'existence marginale que mene monsieur

Heroux et lui a ete essentiel pour assurer le fonctio~ement de sa vie

clandestine, a transcende m h e la mort et a reussi a detruire sa femme. En ce

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qui concerne JosCphine Fauteux, eIle n'a jamais reusi a se satisfaire. Avant

sa mort, monsieur Fauteux n'a pas accord6 a sa femme l'attention voulue,

tandis qu'aprks sa mort, Josephine n'arrive pas a laisser de c6te sa rancune et

est rongee par la preoccupation des souvenirs amen d'une vie conjugale

insatisfaisante. Mais enfin, ce mariage decevant est I'echec de Josephine

elle-msme qui ne pouvait pas identifier ce qui la rendait maheureuse et n'a

pas, par consequent, pu prendre en charge le desespoir qui I'habitait. En

guise d'explication pour son manque de bonheur, Josephine blimait son mari

et a perdu l'occasion de recuperer le temps qu'elle estime lui avoir ete

subtilist pendant le mariage. Josephine, sembIe-t-il, a f i t fausse route en

s'imaginant que son salut residait dam la prise en charge de I'auberge.

Incapable d'assurner le quoticlien aux c6tes d'Hector, elle cst tout aussi

depourvue devant la ndcessit6 de se debroder st&.

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uiCIaIgrd que ce soit IaJemme qui tienne lin&dentent le foyer sur ses kpaules, et mime aussi le 'moral'

de son m i , if ne faudiait pas croire qu 'elle prle d'autorifi a 1 'inrerieur de la fmille.

Lorsqu 'il s'agit de decider, le mari redevienr le chel qu 'il n 'a jamois cesd d'&re. w

Symboliquement, dew nouvelles dans ce m h e recueil toument autour

de deux heroaes prenomees Irene qui partagent une destinee similaire: elles

incarnent la femme en apparence paisible sans debat interieur. Ces deux

femmes en sont un peu rendues au m2me point dans leur vie conjugale: eUes

ont offert un appui et un soutien indefectible a leur mari tout en les laissant

systematiquement prendre Ies decisions familides importantes. h i , dans

Ies nouvelles (<La soiree rnanquee)) et (L70rgueilleuse)>, on presente deux

personnages ferninins a qui Ia vie subtilise Ie temps qui leur appartient en

principe, mais qu'elles ont toujours mis au service des autres. Ce temps vole

dCcoule en partie d'un manque de prise de conscience du probleme et en

partie de leur propre incapacitd a faire comaitre le probleme a leurs epoux et

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a imposer un changement d'attitude a ces derniers. Cette afiirmation

pennettrait peut-Ctre aux deux femmes de jouer un r6le determinant clans les

decisions familiales. Or, chacune des histoires prksente le c6te introspectif

d'un personnage principal et met en evidence le trajet interieur qui, dam

(L'orgueilieuse)), amene Irene a dtcouvrir la necessite de se faire enfin

entendre par son mari, alors que (La soiree manquke)) &voile une femme

insatisfaite, mais incapabIe d'identifier les causes de son malaise. Elle n'a

pas encore la force d'inciter son mari a recomaitre I'inegalite qui existe a

IYintt5rieur du mariage.

((Tant que l'homme conserve la responsabilite economique du couple

[...I c'est lui qui fixe le domicile conjugal d'aprh les exigences de son travail:

[la femme] Ie suit...)) dit Sirnone de Beauvoir (326); cette citation decrit

fidelement l'etat des choses dam (<La soiree manquee}) oh la vie d'lrene

consiste a obeir a son mari et a lui plaire. La nouvelle se developpe autour

d'une soiree planifite par le mari, qui, selon Jean-Pierre Boucher, ofEe <tun

billet de spectacle [a sa feme] pour se k e pardomer de ne pas

I'accompagnem (1992, 99). Meme si I'on peut ne pas souscrire tout a fait a

I'idee de culpabiIitC, iI ressort du texte que la soiree a be1 et bien ete

orchestree pour phire a I'epouse, mais organisee pour convenir aux activites

du mari. Cette soirk sera le moment pour Irene de prendre conscience de

son mecontentment. Que le mari prenne en charge Ia vie quotidieme de

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cette f a~on est habitueUe pomtant, semble-t-il, puisqu'il est clair qu'il a

toujours pris les decisions sans la consulter. En effet, aucun moment de la

soiree n'est laisse a l'imprew: Irene sait qu'elle doit d'abord aller au

spectacle, attendre ensuite son mari a un endroit spbcsque deja dtsigne et

faire enfin un compte rendu de ce spectacle. Accoutumee a ce genre de

situation, Irene ne proteste pas et n'ofie aucune rksistance.

Je vais a Montreal pour sikger au conseil d'administration de ma compagnie, je t'emmene, Iui avait dit son mari avec cette tendresse autoritaire qui le caracterisait ... Je t'ai meme fait acheter un billet pour le spectacle de Fernand Renadt. Je te deposerai a la porte du theitre, te reprendrai a la fin du spectacle ... Le premier libre attend l'autre a la droite du hall pres de l'entree. Tu me repkteras les bons gags et j'aurai l'impression de les avoir entendus moi-meme ... ( 34).

La soirke est bien decoupke a l'avance par un mari prevoyant. De fait,

mgme le temps qu'kne passe loin de son mari est rkgi par Iui puisqu'elle a Ie

mandat de se souvenir des meilleurs moments du spectacle pour les hi

raconter plus tard. Ainsi done, elle vit des moments en apparence agreables,

certes, mais qui ne lui appartiement pas puisque regles par le conjoint.

Jamais obligee de prendre ses propres dkisions, eiie n'a pas tte confbtee a

la necessite de penser aisement par elle-m2me ou de recomaitre qu'elle doit

aussi se plaire a ene-msrne.

La manifestation de ce manque d'autonomie se Iit d'aiileurs dans

ICinsecurite perso~elle d'kene sur laquelle s'ouvre la nouvelle. On

s'aperqoit des I'abord que la soirte en entier se vit dans l'inconfort

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qu'tiprouve Irene face a elle-meme et a m autres. Irene est prkoccupee par

son apparence physique, ce qui se passe autour d'elle et la presence des

autres. Bref, il lui est impossible de s'amuser. Au lieu de profiter de la sortie

pour s'approprier des moments de plaisir dont elle serait l'unique

responsable, elle ne fait que se poser des questions au sujet de sa robe, son

maquillage et ses cheveux. Irene a de toute evidence consacre beaucoup de

temps a perfectionnet son apparence exterieure et malgre sa diligence, elle

demeure insatisfaite.

Apres tant d'efforts et de soirees passes a sa confection, elle n'etait plus tres siire de son choix. Confiontee a toutes ces jeunes femmes dCIwkes qu'elle remarquait autour d'elle, elle doutait de la reussite de sa toilette. Elle imposait a ses Ievres le sourire appropne a cette extraordinaire soiree, mais son cou etait rose de confirsion (34).

Malgre son insecurite perso~elle exageree, (ce n'est apres tout qu'une soiree

au spectacle), on dirait qu'hene a appris a se cornporter et a agir de faqon a

ce que Ies doutes qui I'assaillent ne paraissent pas. Mais, habitude a

fonctiomer "en couple", fidele suivante de son mari, elle eprouve un certain

desarroi a afhnter sede ~ X M U relatif que repr6sente cette soirie en

celibataire; la fausse assurance qu'elle projette est sans doute un mtcanisme

de defense pour empecher m e perte totale de maitrise de soi, mais cette

insecuite qui I'afllige resulte en une incapacite de s'amuser sans son mari,

sans sa permission. Il aurait dtk preferable qu'Irene puisse au moins choisir

I'activite de la soiree-Fernand Renault ne semblant pas I'int4resser

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particulibement a premiere we-meme si 1e moment de la sortie avait dbja

ete dkcidi en fonction du voyage d'affaires du mari. Toutefois, on en

recomait l'improbabilitd: comme il a fallu a Irene tellement de temps pour

choisir sirnplement une robe-la seule ddcision qui lui incornbait et qu'elle

regrette sit6t arrivee au h a l l 4 semble impossible qu'elle ait eu les

ressources pour decider de I'activite, si incongru que puisse paraitre ce

manque #initiative.

La soirie se revele a la mesure de I'incodort general qu7eprouvait

Irene en arrivant a la salle de spectacle.

Irene, figee apres s'ctre donni raison de trouver les blagues ecdees, les mots eventes et les situations prdvues, jugea qu'elle etait meprisable a la fin d'etre mepisante, de n'avoir aucun talent pour s'amuser en societe (37).

On trouve surprenant qu'hene, plut6t passive, se soit autorisee a trouver les

blagues peu amusantes puisque c'est son mari qui lui a fait acheter les billets

et que c'etait son choix qu'elle assiste i cette soiree. On s7attend a ce qu'elle

cherche a se convaincre que le tout etait plaisant, tout comme elle a accepte

volontiers la sortie telle que determinee par son mari. Cette prise de position

est le moment declencheur pour Irene qui se rabat aussit6t sur une sorte

d'auto-censure, un jugement dur pour elle-meme d'avoir ose s' 5 tre avouee

une opinion personnelle qu'elle croit contraire a celle de son mari.

Puisqu'elle ne s'amuse pas, elle s'imagine indigne. De plus, (telle est tiraillke

entre sa culpabilite de ne pas rire avec les autres et son incapacite d'avouer

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son ennui a son m a h poucher 1992, 99). Ainsi, eUe demeure incapable

d'affronter son mari en s'exprimant owertement au sujet du spectacle et

n'anive pas a sortit de sa propre rkserve. Lorsque son mari l'interroge au

sujet de la soiree, elle fait semblant de s'&e amusee pour lui plaire encore

une fois. En s'apercevant que son temoignage some faux, son mari admet

qu'il n'arrivera {(jamais a [la] comprendren (38), ce a quoi repond Irene: dt4e

comprendre n'est pas importanty [...I, je n'y arrive pas moi-rn&rne)) (38). En

fait, {(Fenel se dicouvre d&pouilli[e] [et elle] est a chaque instant infidele a

[elle-meme], si bien que dam cette multiplicite et cette dispersion [elle]

s'aperqoit different[e], a en &re meconnaissable)) (Poulet, 125). Elle n'amve

pas a se saisir en quelque sorte, a voir clairement qui elle est. Bien qu'il soit

attentionne et pleia de bonne volonte, le mari affkhe une inWirence qui le

rend incapable de rernarquer que sa femme soufke de son impuissance et de

son inaptitude a exprimer ses emotions. dl ne cherche pas a comprendre des

sentiments, des reactions qu'elle est inhabile a j u s ~ e r mais qui ont en elle

des racines profondes [...I. [Irhe] n'a d'autres recours que le silence, ou Ies

lannes, ou la violence)) (Beauvoit, 295). Esseatiellernent, I r h e d t besoin

de temps pour arriver a se cornprendre elle-mEme; du temps qu'elle ne reussit

pas a s'accaparer puisquYiI lui est volt5 par I'habitude commode de s'en laisser

depouilier par son mari qui, hi, par la suite, admet ouvertement qu'ii ne

comprend pas le comportemeat inconstant de sa femme.

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Dans cette nouveUe on sent que I'animosite couve et quYIr~ne reagit a

la mainmise de son mari, mais qu'elle cherche quand meme a tout concilier.

Ce manque de reaction envers ce qui met Irene mal a I'aise provient peut-itre

du fait qu'elle n'a jamais reussi a recomaitre l'importance de ses gofits et

qu'elle croit qu'il vaut mieux les sacrifier afin d'assurer le bonheur de son

mari. I1 semble qu'elle ne veuille surtout pas bouleverser le statu quo. On

voit clairement qu7Irene ne se rend pas encore compte des consequences

probables de cette abnegation, comme en temoigne ((L'orgueilleuse~).

Cette seconde nouvelle, qui repose encore sur une femme nommee

Irene, presente une epouse dont le conjoint vient de decrocher un nouvel

emploi dam une ville etrangere: elle le suit, se separant ainsi temporairement

et circonstanciellement de ses enfants. Menee par son maxi qui qense a sa

place, [et] qui [est] la conscience du couple)) (Beauvoir, 296)' I'epouse

s'adapte plut6t ma1 a cette existence. Tout comme l'autre Irene, elle se

retrouve dam un mariage qui lui occasionne beaucoup de frustrations et de

rnecontentement, mais choisit n6anmoins de vine les difficuttes sans revoite

apparente. Dans le cas de (d.,'orgueilleuse~, I'epouse agit c o m e partenaire

silencieuse d'une union censhent egalitaire meme si on perqoit qu'elle est

Maiment releguee au second r6le et qu'interieurement, elle resiste a

I'obligation de jouer ce r61e secondaire. Ici encore, le mari semble aveugle a

la possibilite que sa femme soit affixtee par des decisions unilaterales et

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persiste a prendre les decisions de fa~on spontanie sans avoir examine les

details avec sa famille et sans avoir sonde la reaction de Isentourage.

[...I quand la direction de I'Hydro l'avisa qu'il Ctait mutk sur la C6te-Nord avec me augmentation de salaire, il accepta aussitat, sans une hesitation, sans meme consulter sa femme (1 20).

~ t a n t la femme bonne qu'elle a toujours W, Irene n'ofie aucune resistance

au debut. Meme si elle n'est pas consentante, elle conclut <cqu7il est

preferable [de pleurer] ici, seule, plutat qu'au jour de la rentree devant [slon

marb (122). Conditionnee, elle met en veilleuse ses desirs car ((des qu'elle

pense, qu'elle rhe, qu'elle respire sans consigne, elle trahit 17idCal masculin.

C'est pourquoi tant de fernrnes ne se laissent aller a "&re elle-mbmes" qu'en

l'absence de leur marh (Beauvoir, 3 13). PeutGtre pense-t-elle qu'en faisant

mine d7&tre heureuse et qu'en ne montrant nulle trace d'ennui, elle joue

parfaitement son r6le d'epouse, car ce devouement parfait a son mari apparait

comme un reflexe chez Irene mais l a k e poindre quand meme un certain

malaise. Elle ressent de tres fortes hotions envers les consequences

entrainees par ces decisions. Certains preparatifs sont particulierement

pinibles: c<sa gorge s'etrangla et, a la fin, Ies norns qu'elle cousait [a

I'interieur des veternents des enfants] ktaient d6fonnes par ses larmesn (122).

Malgre la douleur, Irene se croit quand meme obligie de cacher et de retenir

tout ce qu7eIIe ressent devant son mari. EIle prefere sans doute utiliser son

temps a elle, lorsqu'elle est sede-ce qui se rnanifeste de nouveau en temps

subtilise pour ce personnage-pour apaiser sa tn'stesse et son mecontentement

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plutdt que de faire perdre du temps a son mari. Il semble qu71rene arrive

meme a se convaincre que les choix de son mari, quoique penibles, sont les

meilleurs et qu'au fond, avec le temps, tes decisions prises auraient ete les

siennes aussi. Irene demontre encore une fois jusqu'ou eUe est prSte a aller

pour son mari et comment elle n'hbite pas a sacrifier son temps personnel au

temps conjugal. Or, elle aurait peut-Ctre dil orienter cette energie vers la

decouverte de ses propres besoins, pour arriver a comprendre ses propres

reactions emotio~elles pour ensuite discerner plus facilement ses lirnites

personnelles.

Cette emotion imprevue la bouleversa, le temps de lui trouver une justification: pIeurer est une reaction normale pour une mere qui va se separer de ses enfants, se dit-elle; meme si elle est consentante, elle peut, sans dechoir, se pennettre quelques lames (122).

Ainsi, Irene donne, en quelque sorte, I'irnpression d '2tre ktonnie d'6tre

bouleverst5e. Tout comrne Ies dkcisions de son mari lui sont presentkes sans

avertissement, les imotions d'kene surgissent en elle sans qu'elle s'y attende

et sans qu'elle puisse les reprimer. Le fait que ses emotions prennent

soudainement le dessus indique sikement qu'kene n'a pas le type de maltrise

de soi qu'elle souhaite. ( (Come il y a la comaissance de la puissance de la

passion, il y a celle de l'impuissance [d'kene] en face de la passion: c'est [...I

comaitre qu'[eUe] n'est plus maitre de ses sentiments [...I puis c'est connaitre

[...I que [s]a conscience se trouble [...ID (Poulet, 125). La passion prend dam

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ce contexte-ci I'aspect de l'amour indefectible dYIrene pour ses enfants: il ne

faudrait surtout pas qu'elle neglige ce signe qui h i indique lyurgence dyun

changement a effectuer, d'un reajustement a fake dam son mariage.

Toutefois, le contr6le de ses emotions, chose importante et a son avis

indispensable, necessite un effort supreme mSme si elle est profondement

convaincue qu'elle y pa~endra : ((Tout est facile dam la vie, conclut-elle, il

suffit d'itre logique et de contder ses emotions)) (123). Mais cette

apparente facilid ne doit pas tromper ...

Au debut de la nouvelle, on voit qu'lrine cherche comme, l'autre Irene

dans (La soiree manqueen, du temps a se reapproprier qui serait sien, ou elle

await d e temps d'assouvir [sles manics)) (120). La recuperation de son

temps, lorsqu'elle est arrivee a la nouvelle maison, oflikait a Irene I'occasion

de ridiser ses propres desks, o~ elle pourrait investir de l'energie a atteindre

des buts qu'elle se serait elle-mime fixes, qui, pour une fois, ne seraient pas

destines a assurer le bonheur de son mari. L'occasion se presente de se

menager des moments de solitude lors de I'arnenagement; Irene se rend alors

compte que, puisque ce temps seul lui a ete impose par son mari, qui a pris

une decision importante a l'insu de la famille, elle n'a pas envie de s'affairer a

des objectifs individuels et est incapable de gkrer ce temps qw lui est rendu.

Pas un seul aspect de ce temps qui ait ete le choix d'kene: ni le lieu, ni le fait

dY&e doignee de ses enfants, ni le moment de sa vie. Pow cette raison,

Irene continue a eke malheureuse et graduellement elle devient de plus en

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plus dependante du mari, source du probleme. ~ t a n t donne que c'est lui qui

a[travaiIle] dehors et c'est a travers lui que la maison communique avec le

reste du rnonde)} (Beauvoir, 39), Irene ne fait qu'attendre sa rentree pour

commencer a exister.

Elle passa des joumees a guetter son retour. Il etait devenu son unique lien, son ultime moyen de communiquer avec le monde exterieur, ce monde dont elle se sentait de plus en plcs exclue. Un voile leger mais impenetrable la separait des 8tres et des choses (129).

Irene est deconcertee tres rapidement par cette perte d'autonornie:

autrefois accaparee par les tiiches maternelles et menageres, elIe se retrouve

devant un vide a combler. Ce Wde" la forcera a I'introspection; le debat

interieur s'amorce et l'arnknera a recomaitre ses besoins et ses limites.

Les evenements ont fait en sorte de la pousser dam ses derniers

retranchements. I1 est evident qu'hene avait place les besoins de son mari

devant les siens; le demenagernent et les consequences qui s'ensuivirent ont

eu raison de son iquilibre emotif et cette "logique" qui h i est si chere: ce

n'est qu'au moment oii elle devient faible, obsedke et physiquement malade

qu'elle se rend compte de la necessite d'un changement et qu'elle est acculee

a le provoquer. Le constat final qu'exprime Irene au sujet de ses besoins est

des plus bref; on comprend toutefois que la prise de conscience necessaire

pour e n h admettre le tout a son mari est I'aboutissement d'un Iong

processus.

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Je deviens malade ou folle pace que j'ai trop de ma1 a me separer des enfants. C'est aussi simple que $a (1 30).

Chacun des personnages a sa faqon de fonctionner dans un univers

imparfait. Pour Irene dam (&a soirke rnanquier,, on ne saura jamais si eUe

continuera a mener me vie de soumission ou si eUe aussi, comrne I'autre

Irene dans ~L'orgueilleuse)), sera un jour poussee a agir. Les deux k&ne ne

reconnaissent pas assez rapidement l'importance de leurs besoins de femmes

et d'individus, ce qui ne fait qu'aggraver Ieur MllnCrabilitC vis-a-vis de leu.

mari. De plus, on remarque que ces deux femmes ont m e vision tres dure

d'elies-m&me et s'imposent une auto-censure a leurs reactions spontanees aux

situations pknibles. Pour Irene dans (<La soiree manqueev il apparait

inadmissible d'exprimer ses reserves et ses contradictions; non seulement

est-elle irnpuissante face aux decisions de son mari, mais elle ne se permet

meme pas d'opinion personnelle et n'arrive pas a avouer, ni a son mari ni a

elle-meme, que Ie spectacle ne lui plait pas. De la msme faqon,

aL'orgueiUeuse)) n'avoue qu'a la toute £in, aprks s'Ctre dibattue avec ses

emotions pendant des mois, qu'elle est malheureuse a cause du

demknagement et de la separation de ses enfants. Tout au long du trajet

Cmotionnel de cL'orgueilleuse)), on se rend compte qu'elle se critique

constamment a cause de son incapacitC a contrbler les sentiments qui

jaillissent en elle.

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Tout comme I'indique le nom Irene-du grec ~ l p j q qui veut dire

"paix" et aussi "temps de la paix"-ces femmes choisissent de vivre leurs

difficuItes sans revolte et de fiqon en apparence paisible. Elles veulent

sauvegarder farouchement cette paix conjugale au prix sans doute de leur

propre bonbeur.

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CHAPITRE ILI

Temps subtilise Dar le travail

rLa/emme est vouie au maintien de 1 'espPce et ii I 'enbetien du fryer,

c Lsf-ridire u 1 'immanence.>)

Les femrnes et le travail: dew nouvelles traitent la question de ce temps

conquis par la femme, et mettent en evidence deux personnages Eminins

radicalement diEerents. Valerie Bellerose dam (L'avancemenb est une

femme celibataire qui poursuit une vigoureuse camere et qui a travaiHd tres

fort pow obtenir la promotion qu'elle re~oit enfin apres plusieurs annees. La

nouvelle dkbute au moment ou Valerie est ccpromue I...] au poste

d'inspecteun, (97) des Caisses popuiaires, moment tnk anticipi, semblerait-il,

mais qui met I'heroine en presence d'un chauvinisme qui contribuera en partie

a son eventuel egondrement. Valerie se rend compte que le travail dont eIle a

tant recherche la vaIorisation ne lui of ie pas tout ce qu'elle voulait; elIe devra

apprendre a gerer son temps de travail plus efficacement afin d'y retrouver de

la satisfaction. Dam l'autre nouvelle, l'epouse et la mtre de famille qui

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travde sans cesse au bon fonctionnement de sa maisonnCe ne montre aucun

signe de faiblesse rnalgk les tiiches innombrables dont elle est chargCe:

Madame Breton, dans ( L e s Ctranges m6pnses)), <<n7est pas qu'une femme au

foyer attendant le retour de son mari. En plus de s'occuper de la maison et

des enfants, de faire Ie train, de discuter politique avec intelligence, elle

conduit la souffleuse de son mari, la nuit, en pleine tempste de neige))

(Boucher 1992, 100). Pour ces dew femmes, le travail devore le temps qui

serait Ie leur, ce que Valerie Bellerose dCcouvre et regrette, tandis que

madame Breton ne s'en p l h t jamais.

Valerie Bellerose dans (L'avancement)) est engagke dans la cause des

fernmes; ambitieuse, elle semble hstree par un systeme qui rend son but si

penible a atteindre. On remarque, toutefois, qu'il existe chez Valerie un cBte

tres cornpetitif qui engendre I'opportunisme. Ceci expliquerait la

determination soutenue de ValCrie tout au long de sa quite pour un poste

Depuis deux ans deja qu'elle convoitait ce poste, deux ans qu'elle jouait d'intrigues et de conspiration ! Elle pouvait sans remords confesser ce complot puisque ses aspirations persomelies se confondaient avec celles du mouvement feministe auquel elle appartenait. Comment dkpartager parmi les motivations qui engendrent les grandes causes les intirets sup6ieurs des appktits personnels ? Les uns se nounissent des autres. Leur equation est difficile, mais un fait demeure certain: travailler au destin collectif permet aussi m e certaine ambition, con&&-t-elle (98).

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Il est hident qu'au debut VaIdrie a ete poussee a hvailler pour le bien de la

collectivitk dm femmes, mais a mesure que la narration progresse elle semble

Stre en conflit avec les deux volets de sa vie. Petit a petit, elle remarque que

ces dew voies ne sont pas aussi compatibles dans le vrai monde qu'elle

I'aurait voulu et qu'elle a de la diEcdtk a distinguer entre ses ambitions

persomelles et celles du groupe feministe, conflit qu'elle n'avait jamais pense

possible auparavant. Valerie, semble-t-iI, questionne pour la premiere fois la

valeur d'un poste qui requiert une telle ddvotion.

Que gagneraient les femmes a acceder a ce Pouvoir exerce si desastreusement par les homes? Elle cornmengait a s'interroger sur l'orientation de son engagement politique [.,.I (100).

~ t a n t femme, Valerie Belierose a dfi travailler fort a h d'acceder au

poste d'inspecteur des Caisses Popdaires, probablement plus fort qu'aurait

travaille un colIegue masculin. Cependant, elle est, au debut, convaincue que

I'elTort en vaut la peine puisqu'eIle sait qu'elle va halement en profiter de

faqon concrete et qu'elle {(a rkussi dans un monde d'hommem (Boucher

1992, 100). La rdussite de Valirie n'echappe toutefois pas a l'etomement et

aux prejugis de son superkur.

dnspecteur des Caisses Popdaires ... vous Etes promue, mademoiselle Bellerose, au poste d'inspecteur ... )> Ou inspectrice ... se demanda-t-il, &mti de n'avoir pas p r h ce detail et agace d'avoir a en ddcider sur-Ie-champ. Inspectrice ... ? Pourquoi feminiser son titre puisqu'elle veut se conduire en homme ? Inspectem repita-t-il a haute voix d'un ton rnaussade. n se contr6la aussit6t. aExcusez-moi de trouver cette

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nomination un peu surprenante,)) ajouta-t-il, onctuewt. Revoltante etait le mot qui avait jailli des profondeurs de son inconscient. Mais il avait aussit6t rejete ce mot inavouable (97).

Cette attitude condescendante se repete plus loin lorsque Valkrie fait la

comaissance d'un h o m e qui l'a mise en colere par sa conduite sur la grande

route. Quand les dew s'arretent au mtme restaurant et que Valerie lui dit

avec wes [...I mots [...I fortement appuyes)) (101) qu'elle travaille et qu'elle

est occupee, l'etranger, avec une arrogance semblable a celle du patron,

riposte: (&me que Mademoiselle travaille! [...I Elle vend de la dentelle?))

(101). Valerie vit de nouveau l'humiliation du matin et doit, a un certain

niveau, se rendre compte qu'elle sera co&ontee souvent a ce comporternent

puisquYelIe est une femme dans un metier traditionnelIement masculin.

MaIgre ses capacites incontestables qui lui ont valu la promotion, au poste

d'hspectrice, Valerie doit maintenant apprendre a agir dans un milieu

masculin qui ne semble pas accepter facilement la presence d'une femme.

Forced in every way to identie wtth men, yet incessantly reminded of being a woman, she undergoes a transformation into an "it", the domination of personhood lost indeed (Fetterley, ix).

Ayant besoin de montrer son merite, et puisqu'elle n'a subi jusqu'a present

que l'humiliation, Valerie s'empresse de vanter son nouveau poste a l'homme

d'affhires qui s'intdresse a sa destination.

dhis-je vow demander, mademoiselle, ce que vow alIez faire a Saint-David?)) [...I &en s k que vous pouvez my intermgem, repondit mademoiselle Bellerose, ravie de pouvoir enhn exhiber

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sa promotion. (tJe suis inspecteu. des Caisses ... Je vais a Saint-David pour l'inspection annuelle)) (102).

En annonpnt sa promotion avec hate et fierte, elle se place dam une situation

tres inconfortable: elle va se sentir obligee de prouver sa competence a cet

homme qui I'a insdtee quelques minutes avant et qui se retrouvait

soudainement, par hasard, en position subalterne. Toutefois, par orgueil,

Valerie wenait de se condamner a un rythme de travail imprkvisibk et

probablement insupportable)) (104). De toute evidence, VaIerie ne voyait

aucun autre recours; elk a dii faire ce qui lui etait necessaire pour gagner le

respect du duecteur.

A une femme qui entend vivre sa situation dans la lucidite, dam I'authenticite, il ne reste souvent d'autre secours qu'un orgueil stoique (Beauvoir, 3 18).

Parce qu'elle est lucide, Valerie Bellerose n'est plus certaine de vouloir

travailler si fort pow ce qui lui revient. Elle se rend compte qu'il faut faire de

lourds compromis et qu'il faut sacfier beaucoup de choses afin de reussir au

travail, surtout si on est femme. Par consiquent, il est evident que

I'enthousiasme de Valerie du debut de la nowelle se dissipe; elle commence

a perdre son elan et son emploi n'a plus autant d'importance. Valerie

remarque qu'elle ne pourra pas gerer son temps aussi librement ni aussi

facilement si elle veut maintenir sa carriere d'inspectrice. MSme si elle a

reussi, en fin de compte, a impressio~er le directeur de la banque, au

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moment ou il la felicite pour le travail qu'elle a fait, Valerie sait qu'elle a

surpasse ses capacites.

((Vous avez toute mon admiration, vos prkdecesseurs mettaient dew jours a faire ce travail.)) Il Ctait sinctxe. Elle en h t sideree. Cette admiration provoquie si ptniblement se transformait en condamnation definitive. Elle venait de s'obliger a travailler a perpetuite au-dela de ses forces et de son intention (104).

Petit a petit, on voit qu'elle est deque de son choix et se pose des questions

par rapport a l'importance d'un poste bleve qui, soudainement, lui semble

c o m e un plus gros projet a aborder qu'elle ne l'avait pense. De toute fa~on,

etant celibataire, Werie Bellerose a le privilege de pouvoir choisir ce qui Iui

convient le rnieux: m5me si le prix a payer est loud, elle n'a qu'a vivre avec

sa propre conscience. A la fin de la nouvelle, elle arrive a recomaitre qu'en

fait, son temps lui a ete vole par ses ardentes convictions professionnelles,

mais surtout parce qu'elle n'a pas su bien gerer son temps. En cows de route,

Valerie Bellerose s'est perdue de we et semble avoir oublie de porter

attention a ses propres besoins. Pour cette raison, elle ne rdpond pas a ses

propres aspirations malgre tout l'effort consacre a atteindre son but.

Femme tres motivee que rien n'arrete, Valerie Bellerose se sent Iiee a

son travail a cause de la nature opportuniste de son caractbe. Madame

Breton, toutefois, dam ( a s Ctranges meprisesr,, semble repondre

placidement a ses obligations puisqu'elle est femme, epouse et mere de

famille, tout simplement. Des le debut de la nouvelle, on est temoin de la hiite

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de madame Breton qui n'a pas de temps a perdre a cause de ses lourdes

tiiches: d e carreau de la cuisine etait ourle de givre. Le visage de Madame

Breton vint s'y encadrer un instant [...I. Tableau fbgitif )) (107). On dirait

m&me qu'elle n'a jamais connu d'autre possibilite de vie pour une femme et

elle s'y prete sans plaintes, sans questions et sans I'envie d'effectuer des

changements. Toutefois, madame Breton n'est pas completement

t rad i t io~ek. En plus de tout le travail de la maison, eUe accomplit plusieurs

des tiiches plus souvent faites par les hommes. On apprend ce fait par le biais

[...I je demandai combien d'heures etaient requises pour l'entretien des betes. C'est a lui evidemment que je m'etais adressee. Il se tourna vers sa femme: ((Tu mets combien de temps a faire Ie train?)) <<Pas longtemps, repondit-elle simplement, j'ai l'habitude.)) Je baissai la tete, ghee cornme d'une indiscrktion. Et les enfants ? (1 14).

Ce r6le non traditionnel de madame Breton n'appadt pas c o m e geste

intentiomel de sa part pour briser les sterdotypes feminins. On voit plutat une

femme qui, dam l'espoir que toutes les tiches soient bien faites, et faites a

l'heure, a entrepris tout ce que les autres membres de la famille ne font pas.

Jean-Pierre Boucher ecrit: (L'harmonie du couple Breton semble indiquer

qu'en milieu nual, la segregation des tlches n'existait pas, la femme est

I'egale de I'homme)) (1992, 101). Si I'on suivait la logique de Boucher dam

le cas des Breton, on conclurait que, puisqu'ils sont egaux, les tiches

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familiales et de la fenne seraient interchangeables entre le mari et la femme,

ce qui n'est manifestement pas le Gas. Nulle part dam le texte ne fait-on

allusion a monsieur Breton qui s'occupe du travail domestique. Tout autant

que le sentiment dam (d,'avancernenb) est celui d7une femme qui hvaille

pour son propre avancement et pour ses propres objectifs, avec madame

Breton, toute aspiration et toute ambition qui auraient pu exister ont ete

noyees dans les obligations familiales: elle est plut6t prisonnitre de la double

&he. Kistoriquement, Ies femmes ont toujours travaille tres fort, m&me

au-dela de l e w capacites; madame Breton pourrait a elle seule, ainsi que

plusieurs autres meres de farnille

effectivement faire rougir les femmcs d'aujourd'hui quand on pense a tout ce qu'elles faisaient entre deux accouchements, dew repas, deux lainages, deux tricots [...I (Gagnon, 20).

M8me lorsque son mari anive a la maison avec des invites inattendus,

madame Breton [Ies] regarde entrer sans manifester aucune emotiom (1 12).

Siirement, l'arrivee de la visite lui occasionne plus de travail, mais madame

Breton est tellement habituee a travailler tres fort qu'elle ne riagit pas. De

plus, on remarque que monsieur Breton nYofEe pas son aide puisqu'il est

indifferent a ce surplus de travail dont il n'a pas a so& les consequences.

Mal@ le fait que madame Breton travaille plus fort que Ies h o m e s

dam sa famille, l'effort n7apportera probablement pas de satisfaction

persomelie. Lorsque Valerie dans (Cavancemenb est promue, on a

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l'impression d'une victoire gagnee a la fois pour elle ainsi que pour Ies

femmes. Chez madame Breton, on ne voit que l'obligation: elle fait le travail

qui h i est impose. Soit de maniere consciente, soit de maniere inconsciente,

madame Breton estime quc le succes et le bon fonctionnement de la f a d e ,

de la ferme et du mariage ne peuvent pas dipendre de son incertitude

persomelle concernant les tiches obligatoires; elle a donc volontairement

anis sa vie affective entre parentheses)) (l3oucher 1992, 101). Lorsque la

narratrice l'interroge sur son horaire, on dirait une question sur laquelle

madame Breton ne s7Ctait jamais arrZtCe.

(Nous dormez quand, vous?)) Madame Breton me regarda, surprise que son sort puisse m'interesser, puis parut choquee de cette intrusion dans sa vie privee. (%st-ce que vous croyez que je pourrais vivre sans dormir?)) (1 17).

Comrne le temps est subtilisk aux deux femmes par le travail, elies

n'ont pas Ie plaisir de jouir de leur existence. Dans ces nouvelles est illustree

l'idee de la femme qui travaille ayant, par consequent, moins

d'autonornie-idee contraire, semble-t-il, au discours feministe, tel que

sugg6rC par Shone de Beauvoir.

C'est par le travail que la femme a en grande partie h c h i la distance qui la separait du m3e; c'est le travail qui peut seul lui garantir une liberte concrkte (597).

On voit cependant que, malgre l'habilete de VaICrie et de madame Breton a

fonctiomer et a accomplir leur travail sans I'aide d'uo home, elies subissent

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toutes les deux des effets du comportement des hommes qui les entourent, ce

qui annule, encore une fois, l'objectif premier et primordial du travail ferninin.

Valerie Bellerose, pour qui l'existence est synonyme de travail, est entourke

de ctcollegues I...] jalow de sa promotiom (Boucher 1992, 101) parce qu'elle

est femme. Elle parviendra sans doute tres difficilement au bonheur qu'elle

recherchait. T8t ou tard elle se rendra compte qu'elle doit reevaluer ses buts

en fonction de ses besoins de femme. Pour le moment, Valerie a raison de

questiomer son engagement a une carriere qui l'etouffe et devrait essayer de

trouver une faqon de bien gerer ses besoins professionnels ainsi que

personnels.

C o m e elle se hitait vers la sortie du parc, eUe apergut, coince dam l'encoignure d'une muraille, ua chitif Mas en flews. Le m w allait se refermer sur l'arbuste comme un missel sur une flew sechee. Elle s'enfbit en courant (105).

A la fin de la nouvelle il est evident que Valerie mesure avec plus d'acuite les

implications de son travail: son incapacite de gerer son temps de fagon

efficace va bient6t I'accabler si elle n'effectue pas de changements dam sa

vie professiomelIe. Madame Breton, pour sa part, ne donne pas l'impression

de voir sa vie "compromise" par le travail ni d'estimer qu'on lui vole du

temps puisqu'elIe est, tout simplement, trop occupee. Ce n'est probablement

pas elle qui a pis la decision de mener une double tiiche qui englobe le travail

de deux personnes; madame Breton dkmontre clairement que les besoins de

sa famille sont sa priorite et que ses besoins personnels n'existent simplement

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pas: elle croit probablernent qu'elle ne peut pas changer sa situation puisque

le choix de mener sa vie ainsi n'a pas d'abord C t i le sien. Il ne faut pas

toutefois perdre de vue que madame Breton ne montre aucun signe de

desespoir ou mCme de hstration vis-B-vis de ses nombreuses responsabilites

farniliales: il est possible qu'elle soit satisfaite et qu'elle ne changerait rien

meme si elle en avait l'occasion.'

- - -- -

' Une autre nouvelle du recueil qui traite de la femme au travail est (Ce sexe Quivoque) ou d'hiroine [par] sa durete en &hires e f i e le proprietaire du salon fineraire qui dhline son offre d'associatiom (Boucher 1992, 100). Quoique cette dynamique de la relation entre un patron et une employ& figurerait bien dam une etude sur le travail ferninin, la nouvelle ofie peu de prise a I 'hde du temps, theme de la prbente andyse.

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DEUX&ME PARTIE

TEMPS SUSPENDU

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CHAPITRE IV

Temps de la folie

Lorsque j 'oi du temps. je sub seule.

On pourrait appeler (aernps de la folie)) le temps vecu par fa ticheuse

dans la nouvelle eponyme. Par le biais d'une alettre-confession>> (Boucher

1992,99), la tricheuse revele a son fils que les vingt-deux dernieres annees ou

on 1'a crue folle n'etaient que d e moyen extr8me [employe] pour obtenir une

chambre a elle [etJ echapper a son r6le de mere et dyepouse)) (Boucher 1992,

98). La tricheuse a choisi un moment precis de sa vie pour abandomer toute

apparence d'autonomie et feindre de sombrer dam la folie. Cet etat marginal

est l'aboutissement d'une certaine "pratique" a simder des comportements;

on apprend en effet dans la nouvelle que cette femme a souvent reussi a duper

son entourage: ses propres parents, quand elle Ctait enfant, et maintenant son

man', son fils et sa bru ont cru chacun a leur tour a ses supercheries.

Convaincue qu'elle a reussi a survivre aussi longtemps @ice A cette duperie,

la tricheuse ne se sent pas du tout coupable. De toute faqon, eIIe a toujours

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senti la necessite de se mhager des moments a ele sans jamais arriver a

combler ce besoin et n'a jarnais aim6 se consacrer aux autres parce que c'est

eux qui lui volaient la possibilite d'avoir ce temps. Une fois manee, elle a dQ

se sacrifier davantage ii cause de toutes les tiches concernant la maisonnee, la

ferme et surtout les enfants. Malgrk l'abondance du travail, la tricheuse est

arrivee A tout accomplir, mais elle ne r i a i t que du moment ou son temps

serait le sien et ou elle pourrait se retrouver seule ccpuisque [...I le grand leurre

[...I, c'est toujours I'avenir [...I)) (Podet, 135) et I'espoir d'une vie plus

conforme a ses aspirations n'est jamais dispanr. L'avenir, cet inconnu, lui

apparait cornme une duke remplie de possibiIitts. La tricheuse ne sait pas

trop comment elle va arriver a usurper du temps personnel; I'attirance du

plaisir anticipe que ce temps peut of5-k est beaucoup trop forte pour

l'abandomer. Depassee par ce tres puissant desk de solitude, la tricheuse

conclut que de feindre la folie lui permettrait d'acceder au bonheur tant

recherche. Ce point de ddpart de I'autonomie, c'est-a-dire le moment ou elle

se livre a la pretendue folie, consiste en une rupture avec son existence

insupportable. De fhgon ironique, c'est jusiemeni ce qui lui permet

d'echapper a la Maie folie, une folie entrainee par les obligations du rble de

mere, d'epouse et maintenant de grand-mkre.

Comme la tricheuse a depuis toujours eu un besoin de solitude, elle a

l'impression que la reclusion volontaire seule lui apporterait le bonheur car

elle n'a jamais pu se retrouver face a elle-meme. La vie conjugale n'a amen6

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que des obstacles et des detours dam sa quite; ces obstacles tournaient

toujours autour des aches reliCes au r6le d'Cpouse et de mere, que ce soit le

travail de maison lui-meme ou l'obligation conjugale:

Tous ces enfants que j'ai mis au monde, que j'ai aide a grandir, en arrachant de moi cette part de vie que je leur donnais, et qui partaient un bon jour sans meme me remercier, les yew tomes vers des amours qui maCtaient Ctrangeres. Souvent je pleurais doucement sur moi-meme parce que j'aurais aime mourir. Pour reposer dam un cercueil ou il n'y aurait place que pour moi (60).

On ressent facilement l'arnertume de la tricheuse vis-a-vis de sa situation et

on voit clairernent l'insistance sur le desk de se procurer, non sedement du

temps, mais un espace personnel, fbt-ce un cercueil. Parce que les femmes de

l'epoque ((etaient appelkes a rnettre au monde une ou dews, dizaines d'enfants,

let qu'a elles] revenait I'entretien de la maison et bien souvent son

administration)>, en plus d'agir cornme tducatrices aupres des enfants

(Gagnon, 20), on comprend plus facilement le besoin de la tricheuse. Il

semble neanmoins inhabitue1 pour une mere de nounir de la rancune ewers

ses propres enfants pour le travail qu'ils lui ont occasionne ou le temps qu'ils

h i ont innocemment vole; personnage assez rare par I'impression d'kgofsme

qu'il degage, la tricheuse pense uniquement B ce qu'elle croit &re l'injustice

de son sort, itoflee, pense-t-elle, par son devoir de mere car ((la duree tout

entiere [de cette femme] n'est plus a ses propres yew que cornrne un

recommencement sans h de ce qui [la] souille et de ce qui [Ia] he)) (Poulet,

120). C'est pourquoi arrive bientSt un moment charniere qui va pousser la

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tricheuse a agir, a essayer de se defaire du r6le determinant de femme de la

maison, avant qu'elle ne s'effondre. Cet instant qui @]oblige [...I a

considerer desormais [son] existence en termes d'avant et dYapr6s" (Groult,

82-83) se presente lors de la grossesse de sa bru:

I...] je vis ta femme s'immobiliser et faire de la main le geste de reprimer m e nauste. Je fh atterree. J'observai aussitdt que la ligne de sa taiIle ne s'incurvait plus [...I. Je vis sur-le-champ recommencer la ronde des nouveau-nks, les accouchements de Rita, ses relevailies, l'ouvrage qui s'accumule, le rythme des jours qui s,'acceIere, deborde de plus en plus sur les nuits. Je fUs prise de panique (58).

PoussCe a la limite par cette prise de conscience et arrivee au point de

non-retour, la tricheuse prend la decision de changer le rdle central qu'elle

joue dam le bon fonctiomement de la maison. La panique Cprouvee vient

d'wle resurgence d'un passe recent, celui de ses propres accouchements et

tout Ie travail qui s'en &it suivi: l'ampleur de la tiche a accomplir l'efiaie,

m&me par personne interposee. Puisqu'il lui est impossible de modifier les

grandes Iignes extkrieures de sa vie, telles la famille, les enfants, les repas et

le travail de maison, son seuI choix consiste a provoquer le changement pour

eviter de devenir veritablement folle. Heureusement, la tricheuse a, pour ce

faire, recours a un talent qui lui vient de sa jeunesse: feindre la faiblesse.

Quand je d e n pouvais plus d'assumer un rdle au-dessus de mes forces, je simulais I'evanouissement avec un nature1 qui m'etonnait moi-mtme. [...I C'est peut9tre de cette experience, repetee sowent durant ma jeunesse, que m'est venue il y a vingt-dew ans I'inspiration qui m'a sauvee (57).

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La supercherie a laquelle elIe recourt lui servira maintenant pour atteindre son

but le plus grand. Une fois la decision prise d'assmer sa nouvelle vocation

passive, la tricheuse doit tout simplement trouver le moment approprie pour

effectuer le changement voulu car meme alitde, meme mdade, elIe porte

encore le poids des responsabilitCs f d a l e s . Comme d a seule vraie liberte,

c'est lyirrespomabiZite'~~ (Groult, 190), elle attend le moment de se delester de

son r6le. Aussit8t que l'occasion se prksente, ne sachant toujours pas si sa

tentative va lui fournir la solitude tant desiree, la tricheuse risque le tout pour

le tout, consciente ccque du passe [elle] se tourne vers Ie present, ou du

present vers le htur, [mais] rien ne [Iy] assure que l'instant se continue en un

autre, rien ne [ I d garantit que quelque chose fasse le pont entre cet instant et

l'instant suivanb) (Poulet, 27). La tricheuse joue sa vie, ou sa folie, selon le

point de we, puisqu'il faut prendre le risque mime si l'on ne sait pas au ju te

a quoi s'attendre, plut6t que de renoncer a son reve. La premiere etape

decisive de sa qu&te est mise en evidence lorsque, un matin, me de ses filles

lui demande:

((Maman, 06 sont mes bas noirs?)~ Je ne repondis pas, me contentant de deplacer vers elle mon regard voile. Elle eut des yew etonnks puis craintifs. Elle recula jusqu'a la porte et dit: (dtita, tu sais oir soat mes bas?)) Voili, le transfert etait fait. Je me repliais. Je venais d'abandonner la premi6re position (58).

A partir du moment oh elle renonce au premier r61e, il est evident que la

tricheuse est soulagee, fitre de son courage et probablement contente que son

desk ait ete si f a d e a realiser. Ce mouvement tout simple, un regard voile,

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lui a accord6 la liberte qu'elle souhaite depuis tellement longtemps. Peut-Ctre

est-eIle aussi ua peu etounke que ce besoin de solitude dksire depuis toujours

h i soit venu si facilement apes tant de temps passe a en rever. On se

demande & n e si son r6le etait aussi important qu'elle le pensait: ceci semble

suggerer l'interchangeabilite de la personne par rapport a son r6le.

Cependant, toute inquiktude possible est tres vite oubliee, aucune trace de

culpabilite n'est apparente et la tricheuse ne perd pas ce prdcieux temps

retrouve B songer aux consequences pour sa farnille. En effet, la tricheuse

estime que cette nouvelle vie lui est due apres tant d'annees de soufhnce et

de liberte reprirnee.

Le droit que je me recomaissais, qui est de vivre aussi pow moi, j'ai dQ le prendre par la force. Non, pas par la force, ce serait trop glorieux, mais par la ruse ... Maintenant, demere ma folie, je peux voir la vie, l'ecouter (60-61).

Afin d'obtenir ce qu'elle voulait, la tricheuse a dO assujettir les

circonstances a ses desirs; maintenant elle se rend compte de tout ce qui se

passe autour d'elle qui hi avait auparavant echappe. Les details les plus

minuscules attirent dbormais son attention, un peu comme, pour un ctenfant,

[ou] la decowerte d'un lieu [a] I'envergure d'un evenemenb) (Thioret in

Bersianik, 196). On dirait une jeunesse retrouvke et une soif de

l'apprentissage enfin assouvie. Comme enfant, on apprend; comme

grand-mere, la tricheuse doit maintenant reapprendre ce qu'elle n'a pas eu le

temps d'apprecier lors de sa jeunesse. Elle court apres le temps perdu; a

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l'instar de bien des femmes, eIIe as'efforcera avant qu'il ne soit trop tard de

daliser tous ses desks d'enfaat et d'adolescente; [...I celle-ci se remet au

piano, celle-la se met a sculpter, a tcrire, ii voyager [...I)) (Beauvoir, 460).

Pour sa part, la tricheuse a ete privee de ['humble plaisir de la

reflexion. Ayant pu enfin recuperer du temps, la tricheuse decouvre petit a

petit l'etendue des limites auparavant imposees et jusqu'ou elle a kte privee

de la possibilite d'elargir ses horizons. Elle constate que toutes ces

connaissances perdues et tous ses g o b personnels se revelent, c[. . .)

maintenant [qu'elle a] le temps de reflechir et [...I d'ecriren (55) .

Tout en assirnilant le fait que sa nouvelle vie n'impose plus de limites,

la tricheuse decouvre le plaisir que peut apporter un enfant et ddcouvre le

monde avec hi, chose apparemrnent incomue jusque-la. Elle se rend compte

pour la premiere fois comment ces dkcouvertes et ces plaisirs lui ont ete

impossibles avec ses propres enfants a cause du temps qu'elle a etk obligee

de consacrer aux nombreuses tlches familiales. D'ailleurs, dans sa lettre

testament plusieurs annees plus tar4 la tricheuse admet ouvertement (([qu'elle

a] prkferi [les enfants de son fils] aux [sliens parce [qu'elle a] eu ie temps de

Ies aimen, (62). Maintenant qu'elle est IibCrde de toute reponsabilite, la

tricheuse profite de ses petits-eafants et peut leur apporter une attention plus

minutieuse; eUe

[renonce] a les posseder tout entiers, [et] garde pour [eux] w e chaude affection, elle peut jouer dam leur vie un rBle privilegie de divinite tutelaire: ne se recomaissant ni droits ni

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responsabilitb, elle les aime en pure gdnirosite [. . .] (Beauvoir, 475).

Ce qui est le plus important est que la hicheuse recomaissait depuis

tres longtemps qu'il lui etait necessaire, pour la survie, d'avoir du temps hors

norme, mSme marginal et eUe a su ruser, usurper Ie pouvoir qui hi etait

important au bon moment. A noter aussi est le message au fils sur le rdle

qu'il devrait faire jouer a ses filIes. La tricheuse espere sans doute rompre le

rnoule qui l'a dCtruite en faisant r e c o d t r e a son fils l'importance de donner

ctdes responsabilites accrues a isles filles)) (63). Au lieu de s'adresser a la bru

et en choisissant plut6t le fiIs, la tricheuse souligne mombien serait amelioree

notre societe de miles [s'ils] y integr[aient] les femmes~ (63) et comment le

fils peut hi-mcme faire me difference a la maison.

Ce qui ressort le pIus est Ia force du persomage de la tricheuse qui

choisit de faqon consciente de simuler la folie et de vivre ainsi pour s'assurer

du temps personnel -une prise de position indeniablement courageuse.

Lorsqu'elle ctse reconnait sous le signe de la mort, [elIe] cherche des recours

possibles: recours a la sagesse [dam cette lettre qui explique son choix et]

recours a la religiom (Poulet, 4) dam la mesure ou elle n'accepte que Dieu

cornme juge de ses actions: ccTe preEre me presenter tout simplement devant

Dieu et h i dire comme ii toi: j'ai triche pour vivre. ,Te m'en excuse mais ne le

regrette pas)) (65). En choisissant de tout rkvkler a son fils dans une lettre, la

tricheuse CtabIit un lien plus direct pour fake connaih-e l'itat critique des

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imotions qui I'ont obligee a agir. Meme si elle ne regrette rien, elk espkre

sans doute que le ton de la lettre va persuader son fils d'accepter sa dbcision.

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CHAPITRE V

T e m ~ s des traditions

aQuandj 'esnrie longtemps el avec soin mes lasses de Chine, I... ]

je me sens vieillif. w

Temps des traditions, temps fige, temps suspendu: trois descriptions

possibles pour deux nouvelIes du recueil oh on a I'impression que le temps

n'avance pas a cause de lyentStement de certains personnages principaux a

garder intactes et "vivantes" les traditions depassees. ((Trois femrnes de

generations Werentes, recluses dam leur maison-musee, consacrent leur vie

au culte du mari d e b t de la plus vieille)) (Boucher 1992,98) dam la nouvelle

cLes Parquesn. Deux soeurs anglophones qui ne se sont jamais mariees

habitent ensemble dam un milieu hcophone hostile envers les "etrangers"

dans la nouvelle ((Sophie Lagrange et les demoiselles Taylom. La reclusion

volontaire de tous ces personnages jamais sortis de leur petite sphere, cree

une atmosphbre de non-mouvement et de stagnation facilement ressentie du

debut a la fin de la narration. Par consequent, ces femrnes fonctionnent de la

seule faqon qui leur est connue: elles obeissent a des traditions et a des

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conventions. Ces fils communs aux deux nouvelles touchent cbacun des

personnages ferninins de maniere Mirente, selon qu'elles soient veuves,

marikes ou celibataires. Certaines sont fiustrkes de ce manque d'evolution

dam la vie quotidieme. Cette stagnation, et Ies traditions qui en sont la

cause, sont accentuees par le decor intirieur et exterieur des maisons privkes

oh habitent ces femmes qui sont ti la fois priso~itres des traditions et, plus

concretement, du milieu qui annonce et semble en m8me temps assurer la

resistance au changement.

Chez les Taylor, on voit d'abord une complaisance a vivre me

existence sans mouvement et un refis obstine de ceder aux changements qui

adviennent normalement avec Ie temps qui passe. c<L9unilinguisme entete [de

ces deux femmes], dernieres anglophones de la region, a eu l'inconvenient de

les isoler ausi radicalement que si elles se fussent enferrnees dam une t o m

(49). Les soeurs demeurent ensemble depuis tres longtemps; on soupgonne

qu'elles sont toutes les deux satisfaites par rapport au deroulement de leur vie

et qu'elles n'y opposent aucrme objection. Pnisqu'eUes sont essentiellement

recluses, en consCquent pas habituees aux visiteurs, les d e u femmes

per~oivent I'arrivee de David Gosselin, lointain parent, comme un grand

evenement. David (diappe a la porte, [elle] s'ouvre [et] encadre une vieille

femme qui s'immoblise, surprise et hostile)) (48): hostilite d'abord muette

devant ce quelqu'un venu envahir sa demeure privee et troubler la routine.

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Une fois le choc passe, David est invite a entrer: moment inoubliable

car le Iecteur decouvre alors le decor de la maison, surtout ces nombreux

objets recouvrant les surfaces intkrieures qui ajoutent a I'arnbiance d'un

milieu quelque peu bizarre, tel

[...I le fauteuil de peluche prune parseme de cmes de dentelle ainsi que tous les sieges de cet appartement heteroclite. On dirait que les meubles proviennent de nauhges successifs et qu'une derniere vague les a recouverts de dentel1e (49).

Cet aperqu du decor m e n e le passe dont les demoiselles Taylor n'ont jamais

pu se dCf%re: la modernit6 ne figure pas dam leur quotidien. De toute

evidence, elks mettent tout le temps a leu. disposition a la confection d'objets

dicoratifs. Meme si David est venu chez les demoiselles Taylor pour

entendre parler de ses origines, il oe peut s'empkher de remarquer

l'etrangetk du goiit de ces dew soeurs.

Pour ajouter a cette atmosphere rococco, on a l'impression que les

demoiselles Taylor sont guidees par une routine etablie inchangie depuis des

lustres. Certaines faqons d'agir, certains gestes perfectionnes au long des

annees, semblent 6tre devenus des manieres fixes et inchangeables. N'ayant

eu que I'une et l'autre pour compagnie, les soeurs se soat assigne des tiches

qui ne montrent aucun signe d'interchangeabilite ou de spontaneite. Bref,

chacune a son rille.

Enfin, la situation se concrktise, se dit-il, musk, a l'arrivee du plateau d7argent qui porte les objets dcessaires au rituel du the. Mademoiselle Taylor I devient I'officiant. C'est elle qui manoeuvre la W e r e [...I. MademoiselIe Taylor I1 souleve les hgiles tasses de porcelaine. [...I Les deux femmes se

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servent mutuellement en maniant les cuilleres, les biscuits, les serviettes de toile fine avec 1'Btgance que confere I'habitude (50).

D'une perspective exterieure, cependant, les demoiselles Taylor peuvent &e

confondues et sont difficilement diffirenciees a cause de lew comportement

tres semblable et leurs actions qui se completent les unes les autres: les noms

ironiques mademoiselle Taylor I et mademoiselle Taylor 11 que le narrateur

donne aux soeurs en fait foi. Quoique au dtbut elles aient ete bouleversees

par la visite de David, les soeurs sont excitdes par I'anivee du jeune h o m e ,

ccdont la grand-mere irlandaise etait si distinguten (49), mais elles ne

reussissent pas a completement camoufler leur nervosite en sa presence. I1 est

evident qu'elles sont a queIques reprises bousculees dam leur routine

douillette. Le visiteur importun ne se doute de rien et

decide de se debarrasser de cette malheureuse tasse [de the]. Il la pose delicatement sur Ie can6 de dentelIe qui recouvre le bras de son fauteuil. Subitement la vie est perturbee, semble-t-il, I'entretien se met a tourner sur lui-rnbme, l'avenir du monde entier devient irnprevisibIe, les dew. soeurs den finissent plus de se regarder douloureusement. David se demande quel evenement f"achew a pu installer un climat si tragique. Comment peut-il supposer que la destinke d'une tasse de porcelaine I'emporte sw I'evocation d'un si riche passe (5 1).

En effet, les demoiselles Taylor craignent a un moment donne que la visite se

transforme bient6t en ce qui leur pamatrait comme une catastrophe: le bris

d'une tasse de porcelaine. Soudainement, on a I'impression que le temps

s'arrste; d'intensite de Ia sensation fonde cet instanb) (Poulet, xxv), et tout le

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quotidien imperturbable des demoiselles Taylor appadt sur le point de

s'effondrer. On ne peut s'emptcher de remarquer l'importance de I'ecart

entre l'inquietude soulevee par la tasse en position prkcaire et l'insouciance

du visiteur, tout a sa quete genedogique. Ce n'est, aprks tout, qu'une tasse

de porcelaine; elle reprksente cependant pour les soeurs non seulement le

passe evocateur dont e k s se prbccupent quotidiennement, mais toute une

existence qui a su preserver sa dignite malgre le mariage scandaleux de leur

oncle Frank Taylor.

Le narrateur de cette nouvelle remarque que les demoiselles Taylor

((ant le comportement des femmes fiustrees par le mariage, qui reportent sur

leur confesseur une passion dkpe [...In (50) provenant du fait que les dew

soeurs ne se sont jamais mariees. Puisqu'elles ont choisi de mener une vie en

anglais dans une cornmunaute hcophone et qu'elles n'ont jamais voulu

apprendre le h p k , eIles se sont alihkes: leur arbre gknealogique, qui a ete

derange par Ie mariage de la fiancophone Sophie Lagrange a lew ancCtre

Frank Taylor, divoile dorenavant la tache d'un heritage "irnpur". Pour cette

raison, ces dew femmes nounissent une hostilite envers le rnonde exterieur

qui a contribuk a leur isolement. Les descendantes de Frank Taylor

considerent toujours Sophie Lagrange comme un asymbole et une

provocation>, (52)' m&me plusieurs annees plus tard.

Tel que mentiome, ce sont les traditions qui servent ici d'obstacles a

I'avancement des personnages et a I'~vo1ution de leur penste. Dam la

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nouvelle &es Parques)), sont prksentkes trois generations successives de

fernmes personnifiant I'essence des deesses mythiques du mzme norn: Ies

trois personnages fkrninins, la grand-mCre, la fille et la petite-fille,

representent respectivement la mort, la vie et la destinee (Petit Robert). La

grand-mere, dans cette nouvelle, s'assure de la perpetuation du passe: eUe a

confectionne un tombeau 8 la memoire de son mari a l'intkrieur de la maison

familide. La frustration de sa a l e et de sa petite-fille lui echappe parce

qu'elle est a la fois prise dam les souvenirs de sa vie de couple passee et dans

I'aspiration d'un mariage a venir, celui de sa petite-fille.

En effet, le personnage de la veuve tel que presente ici pourrait Etre

pergu comme symbole humain du temps fig& Elle habite avec sa fille (et son

gendre presque completement absent de la narration) et sa petite-fille a qui

eile impose un respect morbide du mari d e b t . Par consequent, personne

dans cette maisombe ne peut Cchapper a I'emprise de la grand-mere. Au

moyen d'objets appartenant a son mari, ou qui le lui rappellent, la veuve a

reussi a garder l'evdnement de la "mort" de son maxi cornme evknement

"vivant". Ainsi, sa file et sa petite-fille ctsont assujetties I'une a I'autre,

pn'sonnieres d'une fonction commune, pritresses d'un meme culte, celui

qu'elles rendent a un mort: le d e h t mari de fa plus vieillen (39).

La question du mariage est la pierre angulaire de cette narration: il

pourrait itre considere comme obstacle a l'kpanouissement de chacune; il est,

en tout cas, a la source d'une existence qui n'evolue pas. Panni les trois

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femmes, la plus vieille est celle a qui on peut attribuer la plus forte resistance

au changement. EUe n'arrive pas a oublier son mari d 6 h t ou a kchapper aux

souvenirs de Ieur temps vkcu ensemble. Elle rehse de se stparer des objets

qui lui sont chers et a donc cree une sorte de mausolee, un lieu de culte dont

le decor mike exprime ce refis d'oublier le passe et emptche 1'evolution

noxmale de la famille. Par consequent, la mere, la dewcierne generation, qui

cclutte pour Cchapper a l'emprise de sa Ipropre] mere)) (43), soufltie en silence.

MSme si eUe n'a jamais connu une autre vie et ne demontre aucune capacite

de denoncer ouvertement ce style de vie, la mere a neanmoins trouve une

faqon de deverser ses sentiments d'amertume et de hstration de faqon

positive.

Malgre son corps de fiIlette impubere, sa robe intemporelle, une passion habite cette femme, sentons-nous, une passion affolee. C o m e m e mouche ou un papdon qui s'abat contre la vitre ou l'abat-jour et se debat dans un bourdomement incessant. Elle lutte obscdment, en se servant cumme palliatif du moyen le plus accessible: l'ecriture (43).

Pour la fille, cette expression &stique cree une vie parallele a I'existence

stagante qu'impose la mere. De plus, t'kriture permet sans doute me

franchise, autrement interdite, sans Limites et sans rt5percussions dam ce

milieu rigide. I1 est possible qu'une partie de la hstration de la mere

provieme du fait qu'elle se rend compte de l'avenir inevitable de sa propre

fille: la plus jeune a inevitablement etC marquee par cette atmosphere de mort

et par les influences rnaIsaines de la grand-mere. Puisque ctle mariage

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demeure toujours la "vocation" normale)) pour une femme (Gagnon, 79, le

cycle se perpetuera a nouveau. Tout c o m e sa mkre, la fille montre deja le

comportement d'une jeune femme fi-ustrke. Cette frustration se manifeste par

sa tendance a trouver refuge, a la fagon de sa mere qui ((consacre [...I une

partie de ses nuits)) (43) a ecrire, dans I'expression artistique, son sed

soulagement. Elle est trks evidemrnent a la recherche d'un moyen pour

exprimer son besoin de lib& et de rnouvement dans un monde beaucoup

trop statique.

Elle ressemble a une jeune novice qui n'assume pas encore sa vocaticn, mais ressent son appel, s'y prepare, attentive et soucieuse. En attendant que sa mere et sa grand-mere lui choisissent un mari, elIe s'occupe a broder et a tisser. Inclinie sur son travail, eUe transforme en imagerie name et romantique ses phantasmes personnels. Elk nous montre aussi les tapis qu'elle a crochetes. Us sont couverts d'oiseaux bleus, des oiseaux mythques qui semblent pr&s a s'envoler (42).

Le choix d'irnages represente sur les tapis de la petite-fille connote

incontestablement son disir de liberte. Que son sentiment d'empnsomement

provienne de I'immobilisme gdnkral de la maisornee ou du fait que la

petite-fille est assujettie a la tradition du rnariage n'est pas clair, mais il est

probable que ces deux aspects ou inquietudes la preoccupent. On se dernande

m h e comment la petite-fille, a qui on impose le mariage, va apprendre ce

qu'est un vrai mariage. Ayant ete dev& dam une maisonnee oh les souvenirs

d'un grand-pere defunt sont continuellement presents et oh il ne semble pas y

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avoir de passion ou meme d'arnour entre ses parents, un portrait rediste de la

vie de couple ne lui est pas accessible.

Ces dew nouvelles exploitent des liens de f a d e bien particuliers: les

deux soeurs dans ((Sophie Lagrange et les demoiselles Taylon, et les trois

genkrations successives dans d e s Parquesu, permettent de souligner la

stagnation des existences individuelles et collectives. Parce qu'elles sont

assujetties aux traditions decoulant de I'entstement, elles partagent toutes la

mime destinee d'une vie figee.

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L'anxiCte de la filIette se traduit par les cauchemars qui la tourmentent et les fantasmes qui la hantent: c'est au moment oh elle sent en soi une insidieuse complaisance que l'idee de viol devient en beaucoup de cas obsddante. Elle se manifeste dam les rhes et dans les conduites a travers quantite de symboles plus ou moins clairs. La jeune fille explore sa chambre avant de se coucher, dam la peur d'y decouvrir quelque voleur am intentions louches; elle croit entendre des carnbrioleurs dam la maison; un agresseur entrer par la fengtre, anne d'un couteau dont il la transperce. D'une maniere plus ou moins Ague, les h o m e s lui inspirent de la fiayeur (Beauvoir, 83).

Dans la nouvelle c(LYinitiatiom se trouve une metaphorisation de cette

angoisse de la soiree de noces pour une jeune mariee: Ie temps semble

prendre soudainement une toute autre dimension, deviant vers une rupture de

la dude reelle pour sombrer dam le rhe . Cette nouvelle, la seule du recueil a

relever de la litteratwe fantastique, incorpore aussi a sa narration ce que l'on

pourrait appeler le temps onirique, ou encore, le temps suspendu. La jeune

femme, a qui l'auteure n'a pas donut5 de prknom, vient tout ju te de se rnarier

I'apres-midi m6me contre Ie gre de ses parents. cLes noces se termherent

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[...I sans satisfaire aux exigences de la traditiom (79) et la suite des

evenements sera a la mesure de cet ecart a la norme. ((1 ...I Devenir femme,

c'est rompre avec le passe, sans recours [...I)) (Beauvoir, 158): le mariage, ce

saut dam I'inconnu, doit maintenant Etre consomme.

Au moment oii le cCremonial de la soiree de noces commence, on est

transporte a l'int6rieur des pendes intimes de la jeune mariee a I'aide du

narrateur. Les ditails de ses sentiments sont tous decrits et observes de faqon

a faire ressentir la crainte, l'excitation et l'incertitude. La jeune femme

comait toutes les etapes necissaires au deroulement de la soiree, meme quel

vstement porter, et pressent leur importance; eUe n'appadt pourtant pas a

I'aise au moment de fianchir le seuil de sa vie d'adulte.

Elle n'eut qu'i relever le couvercle de son cofik; sa robe de nuit etait sw le dessus, blanche, garnie de dentelle, dernier vetement liturgique de la cerkmonie. Elle l'endossa avec une ferveur arudeuse, elle etait fiere de la beaute du vetement mais inquikte du r6le dont il etait le syrnbole (82).

Une fois toute vitue et prite a aller accomplir le due1 de la soiree, la jeune

mariee decouvre son mari dans le lit, endormi. C o m e elle pensait

entreprendre I'acte qu'elIe croit &re le plus significatif de sa vie, la jeune

femme est ccdeconcertee [et] codbe qu'il ne l'efit pas attendue avant de

s'endorrnin) (83). Feu aprks s'stre endormie elle-mbe, la mariee s'eveille et

constate qu'eue est maintenant seuIe dam le lit. Tellement incertaine du

derodement habitue1 de la soiree de noces et tres evidemment anxieuse, la

mariee sort dehors ccahurie, dans l'impuissance ou elle se trouvait de

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comprendre les mysteres de cette nuit [et se demandait] pendant combien

d'heures [elle] s'eternisai[t] encore [...ID (83-84). Pr6occupee par ses

pensees, la jeune marike reste sur la galerie pendant uo long moment.

Soudainement, sans aucune indication prealable, elle est assaillie par un loup

qui vient sauter sur elle: a ce moment precis commence le court trajet dans le

monde du fantastique qui prend la dimension de temps suspendu. La bite

assujettit la mariCe a des actes d'un &rotisme violent)) (Morin, 3), qui durent

seulement, semble-t-il, quelques minutes. Cette agression bouleverse la

rnariee devenue, sans le vouloir, un meceptacle d'une force redoutable))

(Morin, 6). Pendant ces quelques instants, vecus en marge du reel, dam un

espace onirique, on voit

[...I Ie grand rnalheur d'un temps dechire entre un esprit qui se situe dans I'intemporel et le reste qui ne vit que d'une obscure et c o d h e duree (Poulet, 23).

Le mari, sous I'effet d'un sortilege, n'a pas le contdle de ses actions et la

rnariee devient me proie facile. Touefois, les quelques minutes de terreur

passent et elle se retrouve bientdt dans son lit a cbte de son mari, c(un

loup-garou qu'elle d e h e de son sort en accomplissant le geste rituel))

(Boucher 1992,93): eIle IYassomme d'un lourd objet (pour dtlivrer [son] h e

condamnken (85). La rnariee est petit a petit rarnenee a la realite et ade

l'angoisse [elle] est passe[e] a la terreur;-puis a une cime dyemotion

indicib1e;-[la] voici amene[e] doucement, agreablement, a la confianceu

(Poulet, 43).

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I1 sernble que de tout temps, les femmes, victimes d'une education

stricte, aient trouvi d8Ecile de passcr la premi2re soiree avec leur nouveau

mari: cet tvenement engendre habitueiiement l'anxiett devant plusieurs jours

pendant lesquels la mariee a du mal a se situer par rapport au temps. A ce

sujet, Sirnone de Beauvoir h i t :

L'agitation du traditionnel "voyage de noces" &it destinee en partie A masquer ce dksarroi; jetCe pendant quelques semaines hors du monde quotidien, toutes attaches avec la societe etant provisoirement rompues, la jeune femme ne se situait plus dam I'espace, dam le temps, dans la realite (281).

Dans cette nouvelle, la jeune m a d e n'est pas veritablement en voyage

de noces: ce temps "hors du quotidien" dont parle de Beauvoir est ici

remplace par L'assaut du loup-garou. L'apprehension de la jeune femme, qui

se dissipe ensuite, devient alms une metaphorisation pour la pew de la vie

canjugale, maintenant domptee, de la man'Ce. L'agression a permis a la jeune

femme, paradoxalement, de combattre ses craintes. C'est du moins ce dont

elle se rend compte lorsqu'elle se raccroche au temps "reel" pour amorcer sa

vie de couple.

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UL 'mour aulhentique est sans pa&. u

-Georges Poufcr

En reprenant les mots de Tuyle, Sirnone de Beauvoir ecrit: wierge et

martyre, c'est un plkonasme~ (319). EUe aurait peut-Ztre pu avoir en tete

Marie, personnage principal et narratrice dam la premiere nouvelle du recueil

&e ballon>>, qui a passe sa vie a attendre un homme qui ne vient jamais et a

lui etre fidele: Pietro Mastroianni, Italien venu dans la Beauce, ou habite

toujours Marie quarante ans plus tar& pour travailler sur le chemin de fer,

reparti pour son pays natal une fois la tiiche terminee. Apres avoir connu ce

jeune homme setdement quelques semaines pendant son adolescence, Marie,

maintenant ctseptuagknaire)) (20), n'a jamais pu oublier les sentiments

d'amour et de passion que Pietro a fait naitre en elle. Par consequent,

l'existence de cette femme depuis I'aventure vecue avec ce jeune homme

reste essentiellement tourn6e vers le souvenir d'un court passe avec lui.

Meme si eUe sait au fond d7eUe-mtme que Pietro ne reviendra jamais, Marie

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consacre beaucoup de son temps et de son knergie a evoquer des souvenirs et

a attendre de cet hornme les lettres annuelles qui, elles, semblent servir de

substituts a M amour prematurement rompu. A cause de cette devotion

constante aux reminiscences, la vie de Marie n'avance que par petits

morceaux, c'est-&dire lettre par lettre, et elle est en principe prisonniere des

souvenirs d'un pass6 lontain qui risque de ne jamais &re ressuscite. En

racontant son histoire dam un long retour en arriere, Marie montre qu'elle n'a

jamais pu se defaire de I'emprise d'un amour &adolescence. Ce qui n'a pas

cependant ete evoque a la pricedente citation par Simone de Beauvoir est Ia

possibilite d'une femme a I'allure satisfaite, qui, malgre les dBicuItQ qui

persistent, ne regrette pas son choix d'avoir voulu demeurer cilibataire. Tel

est le cas du personnage de Marie, qui apprend la mort de son cher Pietro, par

le biais d'une denzitire lettre de I'Italie. Cet evdnement amene Marie a se

rappeler une demiere fois les souvenirs qu'elle monte dam cette nouveue.

Maintenant plus ilgee, Marie peut regarder sa vie passee dam une

perspective plus claire et s7arr2ter sur les differents moments et les differentes

etapes. Au debut de la nouvelle, eUe compare sa jeunesse a c d e des jeunes

d'aujourd'hui et constate que I'ecart de generations lui fait nmarquer

certaines differences qu'elle prifererait ne pas voir: les diontiQes devenues

poreuses, ne sont plus impermkables aux forces etrangeres~ (20). Parce

qu'elle {(est Beauceronne et vit dam un village, [...I, dont elle n'est jamais

sortie)) (Boucher 1992,92), Marie expIique comment, a son avis, les limites

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bien definies d'autrefois (a-etenaient [...I des f d e s semblables formant un

noyau homogene, rassurant et exclusifb (20). Pour elle, cette securite de jadis

n'existe plus aujourd'hui. En dtpit de son attitude d'exclusivite rkgionale e t

contrairement a l'impression qu'elle n'accepte pas facilement le changement

dans son village, on voit plus loin dans la nouveUe que Marie demontre un

avide intdret pour l'etranger, en particulier 1'Italie. Il est clair que cet interet

est completement rattacht a l'amour qu'elle ressent pour I'immigrant Pietro.

D'apres ce que raconte Marie, les deux ressentaient une passion afEoIante I'm

pour l'autre.

Je sentais inconsciemment que si je rkussissais a Stre seule avec Pietro, il se produirait un evtnement extraordinaire que j'apprehendais et qui m'excitait en meme temps (27).

Petit a petit, on apprend que leur amour n'a jamais ete vecu

physiquement et que Marie a en fait (GexmC les yeux sur I'impetuosite de

[son] desir parce [qu'elle ne pouvait se] soumettre a ses exigences. [Son]

education y avait prew) (27). D'ailleurs, on pourrait mCme dire que Marie et

Pietro ne se sont presque pas connus; non seulement en termes de duree, mais

pace qu'ils n'ont pu s'ofk que ccquelques mots de @em] langues

respectivesu (27). Toutefois, pour Marie, la rencontre et la cannaissance de

Pietro a produit chez elle une attirance pour I'Italie et me fideIite eternelle a

cet homme. ~ t a n t domk son attitude d'exclusivite comue vis-a-vis de la

Beauce, que Marie ait etk tellement dprise de Pietro est un peu surprenant. Il

est toutefois possible que l'attrait de l'exotime, autant pour I'immigmnt que

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pour son pays d'origine, la decouverte de ce qui est different ainsi que la

possibilite d'une fidelite ind6fectiile d'un homme qu'elle ne reverrait plus, l'a

marquee et l'a impressionnee. De l'impossibilite de leur union est nee la

satisfaction que jamais ne serait mine le r8ve de l'homme parfait. Marie peut

entreteni. Ie souvenir de I'amaur innocent a sa fagon et comme bon lui

semble. D'ailleurs, Marie se rend vite compte au moment de sa 'liaison' que

17afKection et l'allegeance premieres de 171talien s'alliaient a son pays

d'origine et qu'il n'y avait pas de possibilite d'avenir pour em. Malgre son

amour pour Pietro, Marie donne I'hpression d'accepter assez facilement le

destin inevitable du couple. Une fois le chemin de fer tennine, les immigrants

lanckrent le ballon, "le but ultime de sa trajectoire, c'etait 1'Italie" (31) et

Marie regarde de tres pres Ia reaction de Pietro, qui, lui, demeurerait encore

un temps dans la Beauce.

La montgoltiere continuait son ascension [...I puisque le but ultime de sa tmjectoire c'etait I'Italie. [...I Je me penchai pour observer Pietro, espemt que cette diction ne le concernait pas. Il se tenait immobile, le regard tendu, et son beau visage ruisselait de lames. Cette ditresse scellait mon sort. Pietro s'envolerait lui aussi un jour, j'en avais la fblgurante revelation (39.

Il est evident que Marie a ete attristee par I'imminence du depart de Pietro; la

faqon dont elle decrit Ie moment ou elIe se rend compte de cette realite

semble quelque peu calme et retenu pour une adolescente en amour. L'ecart

de temps, semble-t-iI, a ifttenue la sensation des vraies emotions. Malgre le

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fait qu'elle professe une passion sans CgaI pour cet homme, on soupGonne que

I'impact de sa perte a ett plus grand que Marie ne s'en souvient quarante ans

plus tard: m e passion souvenue ou rappelee ne peut vraisemblablement pas

ttre aussi forte qu'une passion ressentie au moment m2me de l'evhement.

Pour cette raison, les souvenirs de Marie sont probablement un peu brouilles

par I'ecoulement du temps.

Tel que suggere par Georges Poulet, ccil n'y a [...I pas de passion

reflechie, ni volontaire)) (124), ce qui pourrait aider a expliquer pourquoi la

correspondance entre Marie et Pietro a reussi a engendrer un tel attachement

de la part de Marie. Comrne I'arrivie des immigrants dam la Beauce a

produit un bouleversement et une fascination jamais connus dans la village, on

se demande si, vu le jeune Age de Marie, le fait qu'elle soit impressiomable

ne compte pas pour beaucoup dam la force de cette impression. ccLy&ne [de

Marie etait] en presence du neuf absolw (Poulet, 124) et eIle a maintenant

une empreinte ineffa~able des nouveaux sentiments crees; ainsi, elle n'a

jamais pu ou voulu les oublier. L'Italie, on dirait, est devenue pour Marie un

rive qui I'aide a accepter Ie quoticlien previsible de la Beauce. En outre, ce

qui a pu en partie dormer a Marie la force de maintenir son devouement a

Pietro malgre le fait qu'ils ne se soient jamais rews apres leur adolescence,

est l'idee que cette correspondance soutenue afIichait la fidelite d'un homme,

signe d'un certain pouvoir d'attrait de la femme. Meme si l'on recomait que

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ces lettres ne sont pas assez a eUes seules pour maintenir le dkvouement de

Marie pendant quaraute am, eiles ofient, de toute faqon, un peu de

motivation. Par exemple, au bureau de poste, le jour oii Marie reqoit sa

derniere lettre de I'Italie, les reactions de dew files presentes en apprenant

les details de la correspondance en disent long:

(&Ue correspondait avec un Italien,)) dit-il avec une inflexion emue. dlepuis quarante am, vous vous rendez compte?)) Je confirmai I'indiscretion du commis en inchant Ia tete en direction des jeunes filles qui me regardaient maintenant avec etonnement et gravite. J'en ressentis aussitdt une impression delicieuse. La fidelite d'un homme devient hcilement pour une femme synonyme de victoire (22).

Cette fidelite dkmontre pour une femme et surtout pour Mane, qui n'est

probablement connue dam le vilIage que par son statut de celibataire, qu'elle

a me existence secrete et qu'elle est apres tout "nomale". Tellement

agreable est cette sensation aupres des autres que &me si cette derniere

lettre annonce la mort de son plus grand amour, cela n'enleve pas a Marie le

plaisir momentane cause par Ia reaction de deux femmes qui recomaissent par

leur reaction la valeur de la fidelite d'un homme.

Puisque les lettres de Pietro ne vienneot qu'une fois par an, on a

I'impression que Marie a une existence fhgmentee qui perd peut-Ctre du

dynamisme petit a petit, mais qui reprend sa vigueur une fois la lettre annuelle

reque. On voit aussi que les messages de Pietro ont servi une fonction tres

importante au long des annees ceUe de StimuIer Marie en lui rappelant

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quelques semaines remplies de passion en ranimant tous ces souvenirs

&adolescence et Iui pennettant de maintenir un statut particulier parmi les

gens du bureau de poste. Mais malgre les quelques moments ou Marie

ressent la victoire de la fidklite de Pietro, elle a pay6 cher ses souvenirs

puisqu'elle ne s'est pas mariee. d h e z les paysans, la celibataire est me

paria; eUe demeure la servante de son pere, de ses fieres, de son beau-fiere

[...In (Beauvoir, 260) et elle se retrouve toujours un peu a l'kcart de la societe

qui la mkprise. Quoiqu'elle n'ait jamais avoue ouvertement qu'elle se sent

seule, Marie, au debut de la nouvelle, maintenant d'ige miu-, fait une breve

dusion au fait qu'elle songe de temps a autre a la direction qu'aurait prise sa

vie si elle n'etait pas restee cblibataire.

Je ne pouvais mYemp&cher de me demander ce qu'aurait etd mon destin sans cette implacable loi qui me destina au service des miles de ma f a d e (21).

Malgre ce c6te tres malheureux de son choix, Marie assume les difficultes de

son celibat et ne semble avoir aucun regret: au lieu de choisir une destinee

plus traditionnelle, elle prefirait sans doute viwe lYenchantement de ce qui

aurait pu ltre au moyen de ses souvenirs. De plus, il eldste chez Marie une

skrenite par rapport a son type d'existence, normdement peu souhaitabte a

I'ipoque. Ce manque de conflit interieur apparent est exprime des la

premiere phrase de la nouvelle. On sait en plus que Mzie est, a ce moment,

deja au courant de la mort de Pietro, ce qui souligne qu'elle n'a vraimeent pas

de regrets.

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Les personnes logiques et sereines prdvoient le cerkmonial de leur trkpas. Surtout celles qui ont beaucoup aime la vie; eUes ne voudraient pas se priver de participer a son ultirne manifestation (19).

Les paroles de Marie suggerent une implication active au dkroulement de sa

vie et elle tnaintient cette mCme allure en parlaut de sa propre mort qui

approche sans doute. Au dernier paragraphe de la nouvelle, Marie explique

comment elle aimerait mourir7 tout en continuant a assumer ses choix.

Je veux mourir en regardant monter le soleil pour revoir une derriere fois [le visage de Pietro] inonde de lames et entendre de nouveau le chant dechirant des immigrants. Tout se confondra. Je laisserai la vie en suivant la trajectoire illusoire d'un ballon (32).

Sa vie de celibataire' n'a s3ement pas ete parfaite, mais si Marie avait

a refaire le passC, il est peu probable qu'elle changerait quoique ce soit.

Puisque ((a la connaissance de I'amow se rattache la connaissance de l'objet

aim&) (Poulet, I24), Marie n'arrivait probablement pas a dparer l'image de

Pietro de ce qu'elle percevait comme I'amour authentique.

'Dans la nouvelIe crLa Rolls-Royce de madame Clarkx, Mlle Parent est, elle aussi, demeurie cklibataire et semble assurner son choix sans didt i . Quoiqu'elle crregrette de n'avoir pas rwu Tommy, le chauffeum (Boucher 1992, 98) aprk la mort de leur employeur mutuel, ce qui aurait peut4tre men6 au bonheur, ele rtretourne dam son village, transform&, convaincue maintenant "de cbnnaitre la vmie d e u r des 6tres et des choses", "lavee de [sles prdjugb et de [s]es illusions", "prite pour commencer a neuf'u (Boucher 1992,98).

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u[. ..] 1 'Ppouse d4couvre bierrtbt qu 'eiie n 'a pas en /ace d'elle la hautejigure du Suzerain,

du chefdu Maitre mais un homme; elle ne voit m a n e raison de lui Plre uservie [...Is

Des le debut de la nouvelle d , ' b c h i e ) ) on ressent l'hostilite et la

rage qui couvent, produites, semble-t-2, par une inegalite entre Ie man et la

femme: (Catherine etait releguee au second r61e, un r6le rnueb) (157). En

apprenant que sa femme veut recuperer les cinq d l e dollars qui lui

appartie~ent par contrat de mariage, Albert Veilleu. reagit violemment,

comportement qui lui est habituel. Catherine obtient I'argent convoitk apres

beaucoup de resistance de la part de son mari et apres l'avoir sornmt, ni plus

ni moins, de Iui dormer ce qui lui revient. ElIe 1'a aussit6t investi dam l'achat

d'un restaurant pour assurer une stabilite economique future autant a

elle-mtme qu'a ses filles. Ce projet obIige Catherine a passer une joumee

entiere par semaine loin #Albert et de leur restaurant pour aHer atenir le livre

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de comptabiliten (164) de son nouveau commerce. Grice a son experience au

restaurant familial et a I'aide de I'argent, miadame Veilleu reussit a se

IibCrer de la tutelle economique de son mari)), suggere Jean-Pierre Boucher

(1992, 101). Mais le chemin est Iong: Catherine part chaque mercredi a la

quete d'une meilleure vie pour elle et pour ses mess ce qui hi permet a la fois

de reprendre ses forces et son dnergie pour pouvoir contiduer la routine; cette

sortie hebdomadaire provoque evidemrnent la colere chez un Albert inquiet de

la tournure des evenements. N'en connaissant pas le motif, il est enrag6 par

le mystere qui entoure cette absence. Au debut, son manque de confiance

donne place a toutes sortes d'idees perverses de tromperie: {<il est si

convaincu de ses droits que la moindre autonomie par sa femme lui apparait

comme une rebellion; il voudrait l'empecher de respirer sans Iuh (Beauvoir,

297). Petit a petit cependant, le tout se transfoxme en une attention soutenue

pour sa femme, surtout lors du jour "privilegiC"'4e mercredi. Comme Albert

et sa femme sont maritis depuis vingt-cinq ans, on voit qu'il a f d u tres

longtemps a Catherine pour enfm trouver le courage, non seulement de reagir

a 17inCgalite conjugale, mais d'agir concretement afin de mettre un teme a sa

soumission d'dpouse et de retrouver son seas de liberte. <([ ...I Quand il s'agit

d'idees, d'habitudes qui lui tiennent vraiment a coeur, eIle [...I oppose [a son

mari] une tenacite sournoise)) @eauvoir, 298). Par la force des choses,

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Catherine a ete obligee de garder le motif de ses activitds obscur pour pouvoir

atteindre son but.

Les semaines passaient rondement, sauf que maintenant le mercredi etait le jour choisi par Catherine pour rernonter le mecanisme de toute sa semaine. Albert, devant cette femme qui aureolait ses qualites indkniables d'un parfirm de mystere, devenait de plus en plus attentif. Catherine jugea, un jour, que le moment etait venu de violenter la curiosit6 de son mari et de l'obliger ainsi Q rompre ce silence qui les sdparait. Elle decida donc de ne rentrer qu'a la nuit tombee. Ses previsions etaient justes. A peine avait-elle mis le pied dam la maison qu'il etait accouru a sa rencontre, compl&ternent desarme, hagard et volubile (! 65).

De toute evidence, Albert est pique par le rnystere qui entoure maintenant

Catherine et ses sorties du mercredi. Ce changement aupres de son epouse

est inattendu, inexplicable, meme intrigant. Par consequent, Albert est de

nouveau attire par Catherine, presque comme une abeille vers une fleur, et il

n'y peut rien. Ainsi, elle a soudainement le contr6le de la journee et n'hesite

pas a utiliser ce pouvoir pour faire ressentir a Albert la hstration a laquelle

elle a ete sujette pendant taut d'annees.

Le mystere qui entoure les sorties du mercredi chez les Veilleux n'est

revele a Albert qu'a la fin de la nouvelle, mais sa soufEance est etalee au long

des nombreux mois ou Catherine iravailIe a ses plans secrets. La dodeur

causee par I'incomu-la destination et les activites de sa femme--& par

I'inconnue qu'est devenue Catherine-cette femme, qui <<plus elIe approchait,

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plus il sY6tonnait, a chaque fois davantage, de son allure dkcidee, de cette

assurance qu'il n'avait jamais remarquee)) (1 64), etait devenue insupportable.

Cette unique sortie d'un jour par semaine permet 1e changement qui

transforme Catherine en femme h%re. Par mim&isme, Albert a change

d'attitude envers Catherine malgre lui. Mime si Jean-Pierre Boucher constate

que Catherine accomplit la tiche ((sans pour autant remettre en question leur

mariagel) (1 992, 10 I), on voit quYA1bert a ete pousse a remettre en question la

stabilite de son mariage et de l'engagement de sa femme: I'absence du

mercredi est venue bousculer sa nonchalance et son air de superiorite qui

n'avaient jusqu'a present jamais Cte contestes. Apres la revelation de I'objet

des rnercredis mysterieux, Albert VeiUeux, maintenant un h o m e change,

plus respectueux de son epouse et de ses besoins, reprend une vie conjugale

quelque peu modifiee, n'ayant subi que Ies effets d'une courte periode de

deception. Non seulement apprend-il que Catherine ne le trompait pas et

qu'elle I'airne toujours, mais elle lui annonce que tout le va-et-Gent des mois

recents etait en vue d'ameliorer leur vie de couple et de f a d e . A h de

sauvegarder 1eur union, Catherine suggere par ses paroles qu'elle doit prendre

sa vie en charge et non plus se hisser porter par elfe. Catherine s'est rendu

compte qu'elle etait malheureuse et ((en un instant, ou s'abolissent toute duree

discontinue et toute contrarit%k, [elle] dtcouvre au fond [d'elle-meme] la

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permanence d'un sentiment sur lequel se fonde la vraie dureeu (Poulet, 155),

c'est-a-dire une durie renouveke et redehie. On dirait que Catherine a

toujours compris que la liberte persomelie etait Ia seule faqou de retrouver le

bonheur; a un moment d o ~ i , elle a su ce qu'elle devait faire pour avoir ce

bonheur, mais elle courait un grand risque. C o m e Albert n'etait pas habitue

a un tel esprit de decision chez sa femme, la requCte de Catherine a seme le

doute dam I'esprit de son mari, qui finit par se manifester en u . manque de

confiance qu'il laisse paraitre dam la maison des Veillew: que fait Catherine,

tous ces mercredis qu'elle passe loin de lui? Pour Catherine, I'independance

economique et I'aflirmation de son autonomie lui apportent me satisfaction

qui pennet dorenavant Ie bonheur; un bonheur qu'elle a acquis griice a sa

patience. Si I'afihnation de Catherine a cause un deskquilibre temporaire

dans la vie conjugale, une fois revele le secret entourant les sorties du

mercredi, la relation reprend son cours naturel. (L'affranchie)) illustre un

certain parallelisme avec Cindiscret canotien), nouveUe we dans le premier

chapitre: toutefois, alors que madame Heroux decouvre apres coup avoir ete

trahie le mardi, Albert Veilleu., au contraire, se rend compte que ces

mercredis mysterieux vont renforcer son union. Le temps que lui vole

Catherine permet a la femme d'acquh-ir m e autonomie qui sera benefique aux

deux conjoints

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n&e present n 'est qu 'un instant. JJ

-Georges Poulct

((Remariee cinq fois, Mazalie 28te ne vit pas tres longtemps avec

chacun [de ses maris], s a d le premier et elle regrette [de les epuiser] a la

tiche, mais les remplace aussit8t par un autre avec qui elle comait une

nouvelle relation amoureusen (Boucher 1992, 94-95). La fagon d'itre de ce

personnage dans la nouvelle <<Lainterminable partie de cartes)) consiste a vivre

pleinement et dans le quotidien, car elle sait, intuitivement, cposseder sa vie

dam le moment [...ID (Poulet, xxxii) et elle dkmontre une aisance prononcee a

assurner l'aboutissement de son avenir, de son existence. ~galernent

remarquable-ce qui fait ['essence et I'intirEt du personnage-est la facilite

de Mazalie a accepter avec philosophie ce que plusieurs considereraient

peut-Ctre comme une extr8me malchance: la perte de cinq maris. Toutefois,

pour cette femme, la mort d'un mari n'est pas une raison pour abandonner sa

routine trop longtemps ou pour se priver de ce qu'elle croit Etre les plaisirs de

la vie. MEme si elle passe un temps de deuil ou toute activite n o d e est

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abandonnee, telles les parties de cartes avec ses amis et le soin de son

podailler, on sent chez eLle une certaine hite a reprendre le cours normal des

choses. Dans ce quotidien sont aussi incluses la compagnie d'un mari et la

vie de couple, sujets que developpe la nouvelle. En fait, tout le village est

preoccupe par les activitb et Ia conduite de Mazalie, qui, a son insu, divise

les habitants ((en dew clans antagonistes)} (168). Tous les comrnkrages

toument autour du f ~ t que M a d e observe a peine la duree du deuil

considerbe acceptable par la saciete avant de trouver un autre mari; on

soupponne de plus qu'eIle kourterait ce pwgatoire si elle n'dtait pas sous le

regard constant des villageois. Lorsqu7elle s'approche du cercueil de son

premier mari aux funerailles, on voit que Mazalie songe a w moments intimes

passes aupres de hi. Essentiellement egolste, elle demontre qu'elle est

veritablement incapable de se sentir troublee, m5me par les evenements les

plus graves, ou de supprimer ses pensees plutdt lubriques.

Le croque-mort avait rnal hvaille: monsieur C6te souriait. [...I Regardez-moi cette &$on coquine de sourire ... pensa-t-elle en s'attendrissant graduellement sur d'indiscrets souvenirs provoques justement par ce retroussement des levres ... qui avait tit6 si naturei en certaine occasion (167468).

Ces fbnerailles, evknement sur lequel s70uvre la nouvelle, pennettent a

Mazalie de passer au travers toutes les conventions du deuil: le salon

bemire, l'office religieux, les temoignages de sympathie des voisins ... et

I'intermption de ses parties de cartes. Mazalie obeit tres docilement aux Iois

tacites de son entourage: elle accepte meme que son deuil doive durer un

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certain temps avant de pouvoir reprendre ses activites normales. Toutefois,

pour Mazalie, ctle passe est le passb (Poulet, 29) et il est evident qu'elle a

trks hlte de se remettre dam le quoticlien et de continuer a mener sa vie

comme eUe le f~sait auparavant. Aucun veritable souci concernant la mort de

son mari n'est apparent et, poussee par sa nature sensuelle, eUe se sent

justifiee de reprendre le dessus rapidement pour ne pas perdre du temps a

regretter ce qui ne peut pas 6tre change. En effet, lorsque les amis de Mazalie

viennent chez elle apres les £imerailles, sans doute pour lui o f i leurs

sympathies et leur appui, la veuve ne cache pas le fait qu'elle n'est pas aussi

attristee par la mort que certains ne I'auraient pense. Elle n'a surtout pas

l'intention de se laisser abattre ou &me de ralentir a cause d'un evenement

maintenant passe. M a d e affiche un air plutat independant et decide que ses

besoins premiers commandent; apes tout, ce n'est pas elle qui est morte.

((II est mod, que voulez-vous que j'y fasse?)) s'exclama-t-elle d'un ton navre. cde n'y peux rien. Ca donned quoi et a qui que je ckde au dksespoir? Que je geigne du matin jusqu'au soir? Et que je deperisse, peut-Stre aussi?)) (169)

En considerant les pardes dtroutantes de Mazalie ainsi que Ie ton quasiment

provocateur et cavalier sur lequel elles sont enoncees, on remarque aussitat

qu'elle a une certaine aisance a accepter les difficult& de la vie qui,

maintenant, n'apparaissent peut4tre plus vraiment ou autant comme des

difficultes aprks un tel aveu. A mesure que la nouvelIe progresse, cette f a ~ o n

d'agir parait ripetitive: meme si Mazalie semble airner chacun de ses maris et

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qu'elle leur souhaite d'&e heureux, eUe est au fond Cgoiste par rapport a son

propre bonheur, et cherche pIut6t a se satisfaire a elle-msme: tout simplement,

((son besoin des h o m e s la rend incapable de .-!we seule)) (Boucher 1992,

97). Les hommes qui deviennent des maxis pour cette femme sont,

semble-t-il, des instruments de plaisirs remplagables qui out la tsche

d'accompagner et de satisfaire leur tpouse, mais qui ne sont cependant pas

interchangeables: Mazalie avoue a ses amis en parlant de son premier mari

qu'elle ne pourra (+mais aimer un autre homme de [la mime] f a ~ o m (170).

Cette affirmation n'attCnue pas sa confiance en sa capacite d'aimer a nouveau

et de se retrouver heureuse avec chaque mari different. De fait, lorsqu'elle se

trouve un nouvel homme, Mazalie est toujours tres heureuse de se remettre a

cLvivre" et de hisser de cdte Ie deuil qu'elle considere comrne we imposition

sociale. A aucun moment on ne peut insinuer que ce personnage est content

de la mort de son mari, mais on reconnait que I'impression de perte et de

tristesse causees par cet evenement ne I'emportent pas sur son desir de mener

une vie avec un homme. Chez Mazalie, a[ ...I I ' h e peut tout a coup sentir

renaitre en elle un pass6 revolw (Poulet, xxxiii), mais la femme ne faissera a

ce passe aucune prise sur les possibilitts de bonheur pour I'avenir. I

Aprks avoir observk M d e dam ses deuils successifs, ses amis

s'habituent au rythme plutdt acctiItir6 des changements, sans toutefois resister

a la tentation de quelques commentaires indiscrets a ce sujet. Ils demontrent

de plus qu'ils sont queIque peu impatients a chaque periode de deuiI: les

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parties de cartes metent, les privant aussi de ce plaisir, et ils ont, en fait,

aussi hate que Mazalie de tout recommencer. Est ici Cvidente I'ambivalence

des voisins qui sont pr& a Ia critiquer si eIle "reprend" les cartes trop vite ou

si elle ne les reprend pas msez vite. Par politesse, ctils laisserent passer les

jours qu'exigent Ies convenances)) (173) avant de reprendre la routine des

visites quotidiennes. d ,e premier mois de deuil tennine, Mazalie C6te fit

savoir a ses amis qu7Ss devaient reprendre Ieur habitude et revenir jouer au

charlemagne. 11s accoururent aussit6b) (1 69).

On constate bien vite que Iorsque Mazalie est prete a reprendre les

parties de cartes quotidiennes, ceci demoatre non seulement que le temps de

deuil est officiellement termine, mais qu'elle veut de nouveau se marier.

C o m e toute autre decision qu7eIle prend, le choix d'un homme a epouser se

fait vite et sans ceremonie, mais est cependant precede par un rituel de

seduction. Quoique qu'il n'y ait aucune indication predable pour ses amis

lors d'une des rencontres de cartes, par sa posture et par son expression

faciale, Mazalie se montre pr&e a dQigner son choix de mari. En fait, on

dirait plut6t qu'elle commande I'homme quYeUe croit convenable a la tbche.

((Parfois, I'espace d'un iclair, le moment qui vient Iui apporte l'apparence de

ce [qu'eUe] cherche~ (Podet, xxxii), de ce qu'elle desire et de ce qu'elle

obtiendra sans doute. L'hornme choisi est littkralement "capturt5" et ne peut

pas s'echapper. Ainsi, chez elIe, le soir en question:

il y avail la un couple mar%, deux veufs et un view g q o n . Quand son regard parvint a Ia hauteur du deuxieme veuf, [...I elle

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baissa Ies paupieres, les releva aussitat. EUe fixa l'homme medusi puis laissa tomber son regard comme si la pudeur lui interdisait de imsmettre le message qui empourprait son visage. Le lendemain, le veuf ainsi design4 vint presenter une demande en rnariage qui fut sur-le-champ acceptke (1 7 1).

L'adjectif ''midust" prend ici une valeur presque litterale: telIe une

Meduse, MazaIie a foudroye I'CIu du regard. De plus, pour Ie village,

l'acceptation d'un nouveau mari se voit aussi lorsque M a d e se remet a

s'occuper de son poulailler. Cornme elle a tendance a Ie ddaisser

immediatement apres la mort d'un mari et jusqu'a ce qu'elle en prenne un

nouveau, cette reprise est un autre sigue visible que la periode de deuil est

tenninee. On dirait une energie retrouvee une fois que Mazalie est de

nouveau mariee, une energie qui hi donne envie de reprendre son travail.

Mazalie avait neglig6 son poulailler depuis la mort de son premier man'. EUe s'y affaira de nouveau, ratissa l'allke centrale du potager et s'appuya, h u e , sur son dteau, en remarquant que son coq avait retrouve sa majeste. 11 avantpit lenternent cn levant haut Ies pattes les plumes godies, la crste dressee en oriflamme kcarlate (1 7 1).

((Come pour son coq au poulaillem (Boucher 1992, 97), le nouveau

mari msi bdneficie de cette attention minutieuse qui s'itend jusqu'a hi: ctelIe

surveille [son] alimzntation, fiere de [le] regarder dam une forme dont elle

profite~ (Boucher 1992, 97). Mazalie, semble-t-il, annonce au moyen de son

coq que son mari est en pleine possession de ses capacitds sexuelles. Puisque

cette femme adhkre a cette idee qu'un ((amour qui ne se m d e s t e pas

physiquement, qui demeure enfbui dans le coeur, a le destin d'un enfant

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mort-nen (174) elle est sans doute motivCe a garder son mari en sante pour

qu'il p u k e subvenir am besoins de sa femme.

Avec I'amour d'un mari et la satisfaction sexuelle, Mazalie croit avoir

trouve la recette du bonheur. (&en ne lui paraissait plus ridicule, pIus

trompeur que cette habitude qu'avaient les gem d'evaluer la rkussite d'une

vie sur ses apparences somptuaires, par la qualit6 des richesses accumulees))

(174-175)' ce qui itait le cas justement du voisin qui intervient a la fin de la

nouvelle: a cause des achats qui lui occasionnent de lourdes dettes, Ie voisin

est devenu la cible des railleries de Mazalie. Cet h o m e n'est qu'un ternoin

d'un bonheur qu'il a sans doute recherche lui aussi, mais qu'd n'a jarnais

vraiment trouve. Mazalie n'hesite donc pas A souligner que c'est I'intimite

qui lui dome le plus grand plaisir, tout en vantant les prouesses sexuelles de

son mari.

((Tu es sir7 Armand, que tu ne me I'envies pas, mon coq?)), criait-elle au voisin par dessus la c h r e . Elle eclatait alors d'un rire insolent. Et le voisin, sous I'effet de cette apostrophe, hochait la tZte tristement en regardant cette luxueuse voiture qu'il s7extCnuait a payer. Il etait p a e et nerveux. Le crktin, l'imbecile ...p ensait Mazalie 1. ..] (1 75).

Tout comrne elle a mene sa vie sans regret et de la faqon qui hi

plaisait, Mazalie est sans doute satisfaite et heureuse. Rien ne lui cornplique

la vie et elle ne s'attarde a aucun detail ou ii aucun evenement qui pourrait lui

faire perdre sa joie de vivre. Voila pourquoi il semble tout a fait approprie

que I'on decrive sa propre mort avec cette derniere phrase: cceIle s'est tout

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simplernent eteinte comme une lampe qui n'a plus d'huile)) (1 75). Arrivee au

bout de son energie, Mazalie a tout simplement cessC d'exister, tels que pour

elle I'ont fait chacun de ses maris. Sa vie aura Ctk, comme I'indique le titre de

la nouvelle, une tres longue partie de cartes, a peine interrompue par les deuils

successifs.

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CONCLUSION

Le style d'ecriture de Madeleine Ferron se definit par le developpement

des ctgrands moments de la vie (l'amour, le mariage, la mod) come Ies petits

(le quotidien anodin, les engagements, les contraintes), les emotions (la

dicepion, la colere, le dksir) [et] les debats int6rieurs de la consciencen

@ansereau, 145), dans un style qui se pr6te bien a l'etude du temps humain.

Tout personnage de Madeleine Fenon, peu importe la situation particdiere,

(([ ...I s'inscrit dam une duree pendant laquelle chacun se dbouvre, append a

apprendre et tente de developper b e technique pour Stre heureux7'~~ (Groult,

citee par Joubert 1984, 141). Les fernmes de ce recueil ne font pas exception:

pour la plupart, elles tendent vers une vie ou la liberte persomelle est la

premiere p r i d e .

La disposition des nouvelles semble aider a elucider le parcours

qu'envisageait Madeleine Ferron en ridigeant son ouvrage. dire [son]

recueil, c'est donc cornparer continuellement, mettre en rapport les uns avec

les autres des textes a premiere vue complets en eux-m5mes)> Poucher 1992,

14). L'auteure choisit une progression doquente: Ie recueil s'ouvre sur

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PEASE NOTE

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Marie, la premiere, a choisi d&s un jeune iige de demeurer fidele a ses

souvenirs de Pietro, et, par consCauent, semble mener une vie toumee vers lui

et son pays, mais ccsa narration r&mspective montre que, loin d'&e esclave

de son passe, celle-ci en tire au contraire un enseignemenb) (Boucher 1992,

96), contrairement a Irene dans (La soiree manquie>> qui semble n'avoir rien

appris au sujet de ses besoins personnels et du r6le que joue son maR. Elle se

replie sur elle-mihe et n'anive jamais a decouvrir ce qui la rend malheureuse

ou ce qui hi apportera le bonheur; elie sernble se diriger vers une frustration

plus prononck qui contraste singuherement avec la sdrenite a peine teintee de

nostalgic qu 'ache Marie.

Pour la plus vieille des fernrnes dans d e s Parquew, la nouvelle

suivante, il est aussi question de satisfaction: elle semble avoir atteint un etat

de bien-btre difscile a comprenbe pour le lecteur; la morbidite de la situation

affecte cependant les dew generations qui suivent, impuissantes a acctder a

la libertk qu'elle dksirent. Les dew soeurs dans ((Sophie Lagrange et les

demoiselles Taylom donnent egalement l'impression qu'il n'y aura pas de

changement tant dans Ie deroulement quotidien que dam I'attitude etablie

envers ies traditions. ElIes en sont, en toute apparence, trks contentes.

La cdricheusen, cependant, n'est pas femme a se contenter du statu quo:

elle a dQ reagir pour se tailler un bonheur. Malheureuse pendant de

nombreuses annees comme plusieurs autres personnages, elle n'hesite pas,

lorsque Ie moment opportun se presente, de proceder au changement qui lui

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apportera la plenitude, a sauter de plain pied dam cette nouvelle existence

parallele qu'elle forge a la mesure de ses besoins et jouit de sa nouvelle

situation h6diaternent.

Aprh un bpisode de terreu. fantastique qui tranche, on I'a vu, avec le

reste du recueil, la nouvelle mariee (cL'initiatio1w) joue un r6le clef daas la

liberation de son rnari, le loup-garoy et dans sa propre liberation. Elle sait

rcqu'elle n7eluciderait pas tous les mysteres de la vie, c'est certain, mais le

plus important [...I lui Btait revele)) (86). Tout a tour victime et rkdemptrice,

cette femme amalgame force et faiblesse: elle est pdte a tout pour se menager

un bonheur tranquille.

Valerie Bellerose se croyait aussi pr&e a tout: d'avancemenb) ofEe

une autre perspective. La gestion du temps est le plus gros probleme de

Valerie. Elle n'a qu'a s'occuper d'elle-meme, mais son "avancement" (et

probablement un peu trop d'orgueil) se revele trop difEicile a assumer et elle

se decourage rapidement. On imagine qu'elle aura seulement besoin de se

fake a son nouvel horaire avant de reprendre le dessus: elle a, apres tout,

t ravde tres longtemps a I'obtention de sa promotion. Au contraire, madame

Breton 9Les etmnges mdprisesv), qui doit s'occuper de tout, les enhts, la

maison et la ferme, ne s'est jamais meteie assez longtemps pour remarquer

l'etendue de ses tiches ou pour se considbrer dipourwe de temps personnel:

sa satisfaction c'a jamais mihe &e mise en question. On sait qu'elle

continuera ainsi. A travers ces dew personnages, toutefois, on constate que

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Madeleine Ferron, en 1977, avait deji ctsaisi les defis paralleles qui

attendaient les femmes au travail)) (Joubert, sd) et les enjeux de la double

tiche. Le travail, oui, semble dire Ferron, mais pas a n'importe que! prix.

ccL'orgueilleuse)), personnage tr6s semblable a Irene dans (&a soiree

manqueen, sa soeurjictive powait-on dire, paie cher elle aussi pow assurer

la satisfaction de son mari. Si I'on accepte, par ailleurs, que aces deux Irene

[sont peut-Stre] la &me femme)) (1 994, 14), tel que le suggere Jean-Pierre

Boucher, il serait alors question d'un cheminement d'un m h e personnage, a

travers le recueil, qui dkcide d'affionter ce qui la rend malheureuse et

d'avouer son mkcontentement. Sorte d'echo constructif a la premiere, cette

seconde Wne desarnorce le problerne en regardant la realit6 en face.

Si le mari d'Irene fait quelque peu obstacle a son epanouissement, celui

de Josephine Fauteux, ((L'auberge de la Tranche mince))), en revanche, meurt

assez dt dans la nouvelIe pour pennettre a la femme de se realiser. Elle a

cependant rat6 l'occasion de prendre en charge I'auberge et sa propre

destinee. Par conskquent, eUe demeure perdante du debut a la fin. De la

mBme fagon, la mort du mari, dans (L'indiscret canotien,, signale elle aussi le

debut d'une degradation de l'kquilibre de 1'6pouse. La grande difference,

toutefois, pour madame Herow, est que la mort, tout en revelant les secrets

du mardi, amene une £in au suppose bonheur dont elle beneficiait avant le

deces.

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A l'oppose, cL'manchie)), tres consciente des lacunes de son

mariage, se montre, un jour, capable d'agir lorsqu'elle se sent coincee: a

I'aide de son nouveau projet, elle reussit non seulement a sauvegarder son

mariage, mais l'm6liorer. De plus, elle dbmontre qu'elle sait gerer son

temps pour pouvoir accommoder sa famille, Ie restaurant familial et son

nouveau commerce. Mazalie, la demiere, est la seule, semble-t-i1, a ne pas

elle-mSme subir les effets des diflicultes de la vie. Elle est a la fois trop

preoccupee par ses propres besoins et Ws consciente du fait qu'elle ne peut

rien changer aux evhements passbs.

Cette rapide retrospective des nouvelIes, dans l'ordre choisi par

l'auteure, illustre bien les tiraillernents, les reussites et les echecs de ces

femmes qui representent, halement, nos propres paradoxes. En fait, le destin

que chaque persomage cherche, parfois Mvernent, B modifier est enracine

dans ia ccqugte d'une emancipation de I'esprib~ (Dansereau, 160). C o m e le

resume Rejean Beaudoin,

Ies personnages dissent sur la page, en route vers ua destin aussi discret que possible, ils ne vont pas capter ni retenir l'attention par une force qui les marquerait distinctement, ils passent exactement c o m e tout ce qui nous arrive, sans grand heurt, trahissant tout au plus la tcistesse ou la joie ... (87)

C'est a nous d'aller vers eux, de les sonder, de les decouvrir et d'en

exalter les richesses.

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I- OEUVRES DE MADELEINE FERRON

Le chemin des dames, nouvelles. MontrM, Lemeac, 1994,183~.

Coeur de sucre, contes. Montreal, Htutubise W, coll. cL7Arbre)), no 9, l966,2 19p.

Lafin des loups-garous, roman. Montr6al, Hurtubise HMH, coll. d7Arbre)), no 1 1, 1966,187~.

Le baron icarlute, roman. Montrkd, Hurtubise HMH, CON. (&'Arbre)), no25,1971,175p.

Qzrand le peuple fail la loi. La loi poplaire h SaintJoseph de Beauce. Montrdal, Hurtubise M, 1972,157~.

((A flew de peaw, micro-thkitre. Montreal, ~cr i l s du Canadafrangais, no 38, 1974, p. 169-192.

Les Beaucerons, ces insournis. Petite histoire de la Bearce, 173501867. Montreal, Hurtubise HMH, 1974,174~. (en collaboration avec Robert Cliche).

Hisfoires PdIfiantes, nouvelles. Montreal, La Presse, 1 98 1, l56p.

Stir le chemin Craig, roman. MontrM et Paris, Stanke, 1983,191p.

Un singulier amour, nouvelles. Montr&il, Boreal, 1987, 195p.

Le grand thicitre, nouvelles. Montr6a1, Boreal, 1989,152p.

Adrienne, une saga familiale, recit. Montreal, Boreal 1 993,256~.

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P ARTICLES S U R MADELEINE FERRON

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