L'âge d'or d'Athènes

10
BALZAC ET NAPOLÉON PAR GONZAGUE SAINT BRIS LES GRANDS CONQUÉRANTS DU PÔLE SUD ALL 6,90 €/BEL 6,30 €/CAN 9,50 $CAN/DOM 6,50 €/ESP 6,50 €/GR 6,50€/ITA 6,50 €/PORT-CONT 6,50 €/LUX 6,50 €/MAR 58,00 DH/MAY 7,90 €/CH 11 FS/TOM AVION 1550,00 XPF/TOM SURFACE 880 XPF/TUN 6,50 TND AOÛT 2011 - N° 776 C omment la cité antique invente la démocratie M 05067 - 776 - F: 5,50 E

description

Financièrement, La Grèce est devenue l'un des" mauvais élèves" de l'Europe. Autre temps, autres moeurs : du VIII° au VI° siècle, Athènes "invente" la démocratie.

Transcript of L'âge d'or d'Athènes

Page 1: L'âge d'or d'Athènes

BALZAC ET NAPOLÉON PAR GONZAGUE SAINT BRIS

LES GRANDS CONQUÉRANTSDU PÔLE SUD

ALL 6,90 €/BEL 6,30 €/CAN 9,50 $CAN/DOM 6,50 €/ESP 6,50 €/GR 6,50€/ITA 6,50 €/PORT-CONT 6,50 €/LUX 6,50 €/MAR 58,00 DH/MAY 7,90 €/CH 11 FS/TOM AVION 1550,00 XPF/TOM SURFACE 880 XPF/TUN 6,50 TND

AOÛT 2011 - N° 776

Comment la cité antique invente la démocratie

M 0

5067

- 77

6 - F

: 5,5

0 E

Page 2: L'âge d'or d'Athènes

4 historia août 2011

contributeurs

DR

- Gil

Lef

auco

nn

ier

Gil

Lef

auco

nn

ier

- DR

Claude MosséGrande spécialiste de la Grèce antique, elle a signé de multiples ouvrages, dont le récent Au nom de la loi. Justice et politique à Athènes à l’âge classique (Payot, 2010).

anne LogeayMaître de conférences à l’université de Rouen (Humanité et monde contemporain), elle enseigne la littérature et l’histoire des idées.

saber MansouriHelléniste et arabisant, il enseigne à l’École pratique des hautes études. Dernier ouvrage paru : Athènes vue par ses métèques – Ve-IVe siècle av. J.-C. (Tallandier, 2011).

annie schnapp-GourbeillonMaître de conférences à Paris-8, elle a notamment écrit Aux origines de la Grèce, XIIIe-VIIIe siècles avant notre ère (Les Belles Lettres, 2002).

sommaire Août 2011

6 aCtuaLité

15 dossierL’âge d’or d’AthènesLa démocratie y est apparue au terme d’une longue évo-

lution qui va du VIIIe au VIe siècle avant notre ère. La cité

est successivement dirigée par des rois, puis des aristo-

crates, et enfin des tyrans. Paradoxalement, le nouveau

régime n’est pas issu d’une volonté populaire mais de

l’engagement d’hommes politiques tels que Dracon, So-

lon, et surtout Clisthène, le père de la démocratie. Mais

dans cette Grèce rêvée, n’est pas citoyen qui veut.

MoMents d’histoire46 Et Sodome la pécheresse fut détruite…

Aujourd’hui encore le nom de la cité – et de Gomorrhe, sa

sœur jumelle des rives de la mer Morte – reste attaché à

une pratique que la morale a réprouvée et qui est encore

punie de mort dans certains pays. Mais qu’en dit la Bi-

ble, puisque c’est là que débute l’histoire ?

50 Lusignan, berceau des rois d’OrientNée, selon la légende, des amours de la fée Mélusine et

d’un comte dans un château au seuil du Poitou, cette

dynastie va régner du XIIe au XVe siècle sur trois États :

Jérusalem, Chypre et la Cilicie. Non sans tragédie.

56 Balzac, l’autre conquête de l’EmpereurL’écrivain vénère tant Napoléon Ier qu’il le cite pas

moins de 514 fois dans son œuvre. Il se sert de la vie de

son idole et s’inspire de ses batailles pour créer des per-

sonnages de l’histoire littéraire.

62 Scott coiffé sur le poteau au pôle SudLa conquête des pôles est la grande aventure de la fin du

XIXe siècle et du début du XXe. Après le Nord, explora-

teurs et aventuriers mettent cap au Sud. Dix ans après

une tentative avortée en 1902, une expédition britanni-

que, placée sous le commandement de Robert Falcon

Scott, parvient en janvier 1912 – au terme d’une marche

de plus de 1 400 kilomètres dans le blizzard et le froid

intense – au point 90° de latitude Sud. Le plus extrême du

globe. Seulement voilà, le Norvégien Roald Amundsen

est passé un mois avant les cinq compagnons… Le cal-

vaire des Anglais ne fait que commencer !

66 à L’affiCheDes spectacles, des expositions, des DVD, du théâtre…

76 Livres

93 L’inédit du MoisLouis Jouvet plaide pour le théâtre public

95 noMs de noMs !Berger

96 Mots Croisés

97 un iLLustre inConnuThomas Cook

98 L’idée reçueLa Terre tourne autour du Soleil,dixit Galilée

Page 3: L'âge d'or d'Athènes

août 2011 historia 5

Ph

otos

DR

-Bal

tel/

Sip

a - D

R

Pierre VernayDurant ces trente dernières années, il a parcouru les territoires glacés. Ses photos ont donné matière à des livres, dont Terres arctiques (éditions du Rouergue, 2009).

Gonzague saint BrisOn ne présente plus l’écrivain-historien. Son Balzac, une vie de roman (Télémaque, 2011) est le fruit de trente ans de travail pour le président de la société Honoré de Balzac de Touraine.

Marig ohanianL’Harmattan a fait paraître une étude, Tiridate III, roi d’Arménie (2003), et des livres pour la jeunesse : Un rubis pour le roi (2005) et Le Voyage de Sibil en Grèce (2003).

anne BernetElle a notamment publié l’unique biographie de Brutus (Perrin, 2001), une étude sur la gladiature et plusieurs livres sur les débuts du christianisme.

Livres : spécial Romans historiques, p. 76

Dossier : L’âge d’or d’Athènes, p. 15Comment la cité antique invente la démocratie

Neu

e P

inak

oth

ek/a

kg-

imag

es - P

hot

os D

R

Page 4: L'âge d'or d'Athènes

N

18 historia août 2011

en un clin d’œil Athènes, lA cité-étAtSelon la tradition mythique, il faut compter parmi les exploits de Thésée d’avoir réalisé le synœcisme des peuples de l’Attique, c’est-à-dire le regroupement de villages aboutissant à l’établissement d’une administration commune, de cultes communs, d’institutions politiques communes. Probablement s’est-il

agi, en fait, d’un processus graduel, avec pour résultat la formation de la polis – les Grecs désignent par ce terme un ensemble, ville et territoire (la chôra) par opposition à la ville elle-même – d’une région qui se présentait jusque-là comme un agglomérat de bourgades. Athènes (les Athènes) représente donc le

cœur politique d’un territoire extrêmement vaste, à la superficie d’environ 2 650 km2 : une péninsule aux côtes profondément découpées qui s’avance dans la mer Égée, tout en culminant à plus de 1 400 m avec le mont Parnès et le Cithéron à l’ouest. Pourtant, avec un climat chaud l’été, des pluies violentes

L’agora, cœur social et politique

AcropoleUne des collines d’Athènes devenue, à partir du VIe siècle, un espace sacré dédié aux dieux et plus particulièrement à Athéna, déesse protectrice de la cité. L’espace aménagé mesure 270 m dans sa plus grande longueur, 156 m dans sa plus grande largeur.

portique de Zeus éleuthéros Lieu de culte et de rencontre de la population athénienne, il a sans doute abrité aussi des fonctions administratives et judiciaires.

héliéeLe plus grand tribunal de la ville. Son bâtiment est en plein soleil, d’où son nom tiré de hélios.

BouleutérionIl accueille les membres de la Boulé, ou Conseil des Cinq Cents. La salle de délibérations est en hémicycle.

héphAïstéion Ce temple dédié aux deux divinités de l’artisanat, Héphaïstos et Athéna, s’élève en bordure des quartiers artisanaux. Il mesure environ 14 m sur 32 m et reste très bien conservé.

AréopAgeColline dédiée au dieu Arès, elle donne son nom au tribunal qui y siège. Constitué d’ex-archontes, celui-ci juge les crimes commis contre les citoyens et les oliviers sacrés.

ecclésiA Assemblée populaire des 6 000 citoyens athéniens, sur la colline de la Pnyx. Pour prendre la parole, il faut s’inscrire et le temps de parole est limité à 10 minutes par personne. Celui qui parle porte une couronne de lauriers et est ainsi protégé par les dieux. On ne peut ni l’interrompre ni l’agresser, sous peine de mort.

Autel des douZe dieuxConsacré aux douze principales divinités du Panthéon (Zeus, Héra, Poséidon, Déméter, Hestia, Apollon, Artémis, Héphaïstos, Athéna, Arès, Aphrodite et Hermès), c’est le point à partir duquel on mesure toutes les distances.

Page 5: L'âge d'or d'Athènes

N

août 2011 historia 19

l’hiver, des plaines de dimensions réduites, et une végétation pauvre dans l’ensemble, à l’exception de la plaine d’Éleusis, le territoire de l’Attique est relativement désavantagé, si bien qu’après plusieurs siècles de crise politique et sociale latente, l’aristocrate Solon, tout en se refusant au partage des

terres, procède à l’effacement des dettes et met en place une série de réformes constitutionnelles qui apaisent les tensions et stabilisent les Athéniens dans leur territoire. En dépit des réformes de Clisthène, le déséquilibre ville-campagne perdure et favorise l’exode rural. Au Ve siècle, Thémistocle dote la ville d’une

enceinte de 9 km, complétée sous Périclès par l’édification des Longs Murs qui relient Athènes au port du Pirée. À partir de 449, la politique de grands travaux d’embellissement de l’Acropole, symbolisée par la frise du Parthénon, consacre cette supériorité artistique, religieuse, intellectuelle et politique. L Anne Logeay-Vial

L’agora, cœur social et politique

10 km

Éleusis

Salamine

Athènes

Le Pirée

Cap Sounion

EUBÉE

BÉOTIE

ATTIQUE

Mésogée

Astu

Paralia

Paralia

Mont Parnès1 412 m

Golfe Saronique

MERÉGEE

Frontière terrestreFrontière maritime

Marathon

Secteur ruralSecteur urbainSecteur côtier

L’Attique

La ville

La ville est délimitée par une muraille, percée de huit portes. La Voie sacrée qui aboutit à l’Acropole est empruntée lors de la fête des Panathénées, en l’honneur d’Athéna. La procession est menée par des jeunes filles. Toute la population, hommes, femmes, enfants, esclaves, étrangers, y participe.

250 m

Long M

ur nor

d

Long Mur sud

Versle Pirée

Enceinte du Ve siècle

Voie sacréedu IVe siècle

Portesacrée

Parthénon

Acropole

Agora

La réforme de Clisthène en 508 repose sur la réorganisation de l’espace civique. Les anciennes structures politiques fondées sur la richesse et les groupes familiaux sont remplacées par un système de répartition territoriale. La région est ainsi divisée en trois secteurs. On estime la population athénienne à 30 000 habitants, dont le cinquième seulement de citoyens.

pArthénon Construit au milieu du Ve siècle, c’est le plus grand (75 m x 30 m) temple de l’Acropole. Il accueille la statue en or et ivoire d’Athéna Parthénos, la vierge.

info

grap

hie

s : H

ugu

es P

iole

t

Page 6: L'âge d'or d'Athènes

Dossier l’âge D’or D’athènes

42 historia août 2011

éric Vial« Nos actuelles démocraties se sont esquissées plutôt dans l’Angleterre médiévale, où un relatif équilibre ouvre la voie au libéralisme politique. »

face à face La question est de savoir si nos institutions seraient tenues pour démocratiques par un citoyen de l’Antiquité.

Notre démocratie, fille d’Athènes ?

Il est assez habituel de pointer du doigt les lacunes de la démocratie antique et, en particulier, l’exclusion des femmes, des étrangers, des esclaves. Il ne l’est

pas moins de battre sa coulpe en faisant remarquer que nos démocraties, elles aussi, sont imparfaites et l’ont très longtemps été davantage encore : quelle que soit l’opinion que l’on peut avoir sur le lien entre nationalité et citoyenneté, le vote tardif des femmes est assez emblématique. Il est sans doute plus stimulant de montrer que nos institutions ne seraient pas tenues pour démocratiques par un Athénien de l’Antiquité, pour de tout autres raisons, dont l’autonomie de l’exécutif et la faiblesse du contrôle populaire : cela force à s’interroger sur d’apparentes évidences. Peut-être ajoutera-t-on que dans notre démocratie actuelle, le même Athénien apercevrait une forme du « système mixte ».Reste qu’entre la cité antique et nous, la filiation même semble bien, elle aussi, une fausse évidence. Car, depuis, trop de conquêtes, d’empires ou de royaumes, avec ou sans restes de structures électives, de nouveaux éparpillements et de privatisations du pouvoir politique, féodal ou royal se sont succédé pour que l’on puisse trouver une continuité ; celle-ci n’est guère plus forte qu’avec Vaishali, dans l’État indien du Bihar, réputé avoir été l’une des premières, sinon la première démocratie au monde, avant même le miracle grec.Certes, des structures locales peuvent rappeler la démocratie athénienne, avec assemblées d’habitants ou de chefs de famille, et magistrats élus, avec des objectifs restreints comme les marguilliers ou fabriciens gérant le temporel des paroisses, mais parfois aussi dans le cadre d’un véritable autogouvernement : on pense aux

cantons suisses dits « primitifs », ou aux Escartons de la région de Briançon, officialisés en 1343, avec leurs consuls et leurs communautés villageoises réunies plus de deux fois par mois. Ou encore aux « républiques pyrénéennes » où le rôle du tirage au sort, le quitus en fin de mandat, la responsabilité des consuls sur leurs biens rappellent fort Athènes. Cependant, ces démocraties locales, plus ou moins achevées, peuvent difficilement passer pour un héritage grec, et nous n’en sommes nous-mêmes les héritiers que de façon très partielle. Nos actuelles démocraties se sont plutôt esquissées dans l’Angleterre médiévale, quand un relatif équilibre de forces entre le monarque et une infime minorité commence à ouvrir la voie au libéralisme politique, puis, de révolution en évolution, à une démocratie représentative du reste bien tardive. L’essor de la route puis du rail, l’ouverture des horizons au-delà de l’immédiat, l’alphabétisation et la presse ont sans doute joué au XIXe siècle un rôle bien plus fondamental que les souvenirs antiques.Ceci ne signifie pas que le modèle athénien n’a pas marqué la pensée politique, encore que la Rome républicaine ait été manifestement plus présente encore aux esprits, mais l’un et l’autre ont été adaptés aux besoins et aux réalités des époques moderne et contemporaine, et passablement phantasmés, utilisés comme mythe justificateur et propulseur : en ce sens d’ailleurs, notre démocratie est peut-être bien fille de la Grèce, mais d’une Grèce qu’elle a rêvée, reconstruite et pour ainsi dire enfantée, engendrant ainsi les ancêtres nécessaires pour justifier sa propre naissance. LProfesseur à l’Université de Cergy-Pontoise

Jacq

ues

Gra

f

Page 7: L'âge d'or d'Athènes

août 2011 historia 43

Il paraît oiseux de confronter la démocratie grecque aux gouvernements démocratiques actuels. Le pouvoir souverain du peuple s’exerce directement

dans la première et, sous les seconds, à travers des représentants élus. Or, dans l’Antiquité, la représentation était caractéristique du gouvernement aristocratique, le mode de désignation démocratique étant le tirage au sort. Le mot démocratie a très vite connu une évolution, jusqu’à désigner à l’époque hellénistique un mode de gouvernement où une communauté politique s’administre librement sans dépendre d’un autre État. L’idée actuelle, qui veut qu’il n’y ait pas de liberté sans démocratie, est déjà utilisée par les souverains hellénistiques pour leur propagande, puis par Rome. À cette revendication, grecque par excellence, de la liberté s’ajoute celle de l’égalité des citoyens devant la loi (isonomie) et d’une égalité dans l’accès aux charges politiques, nul cens n’étant requis. Cependant, pour les Grecs, le processus de démocratisation ne représente pas un progrès, mais un moindre mal quand monarchie et aristocratie ont dégénéré ; toute leur réflexion souligne qu’un régime n’est pas a priori meilleur que les autres, car chaque cité doit adopter celui qui convient le mieux à ses réalités sociales. Ainsi, au tournant de l’ère chrétienne, pour Strabon, l’Empire romain, étant donné ses dimensions, ne peut être gouverné que par un seul homme, qui assure paix et sécurité à tous, tel un père vis-à-vis de ses enfants. De façon générale, un régime politique est bon lorsque les gouvernants recherchent l’intérêt de la communauté, et non le leur propre. Sans quoi, monarchie, aristocratie et démocratie dégénèrent en tyrannie, oligarchie et démagogie. On s’éloigne

encore davantage de ce qui est communément admis aujourd’hui, quand il s’agit de l’exercice du pouvoir. Dans la démocratie antique, le démos est souverain au sens où tout citoyen peut tour à tour commander et être commandé. La délégation de pouvoir, l’archè (traduit par magistrature), nécessaire au fonctionnement des institutions, toujours brève, est démocratique si elle s’obtient par tirage au sort, tout citoyen étant par principe apte aux charges concernées. Seules sont électives les fonctions militaires et financières, requérant compétences spécifiques ou fortune personnelle. Dans tous les cas, la communauté exerce un contrôle étroit sur les détenteurs de ce pouvoir exécutif : contrôle préalable à l’entrée en charge, contrôle régulier pour les stratèges durant leur charge, et surtout reddition des comptes devant les tribunaux, à la sortie de charge. En effet, c’est le démos qui délibère, juge, vote les décrets proposés par les citoyens, contrôle les comptes, juge le comportement des magistrats. L’exécutif ne peut qu’appliquer ses décisions – on en est loin aujourd’hui…Mais peut-être les ressemblances les plus évidentes résident-elles dans des dysfonctionnements, encore que les réponses diffèrent. La participation des citoyens est problématique, aujourd’hui comme hier, mais les Grecs ont tenté de l’assurer par des indemnités pour les pauvres, voire des amendes pour les riches. Pour assurer le respect des lois, gage de pérennité d’une liberté bien comprise, ils ont mis en avant non pas le nombre et la précision des lois, mais l’éducation à la vertu, car une communauté politique ne peut vivre sans culture partagée. Nous aurions beaucoup à apprendre d’eux. LMaître de conférences à l’Université de Provence

Brigitte Sabattini« Les ressemblances résident dans les dysfonc-tionnements. La participation des citoyens est problématique aujourd’hui comme hier. »

face à face La question est de savoir si nos institutions seraient tenues pour démocratiques par un citoyen de l’Antiquité.

Notre démocratie, fille d’Athènes ?

D.R

.

Page 8: L'âge d'or d'Athènes

56 historia août 2011

moments d’histoire France xixe siècle

Par Gonzague Saint Bris

« Tourangeau, élevé dans la vallée de l’Indre qui lui était chère, je suis fasciné par l’inspiration et le souffle de Balzac. »

Le grand écrivain vénère tant Napoléon Ier qu’il le cite 514 fois dans son œuvre. Il se sert de la vie de son idole et s’inspire de ses

batailles pour créer des personnages de l’histoire littéraire.

Balzac, l’autre conq uête de l’Empereur

Napoléon est partout présent dans l’œuvre de Balzac, et ce dernier n’a peur de rien, pas même de se com-parer à l’Empereur. Son défi : « Ce qu’il a commencé par l’épée, je l’achèverai par la plume ». Comme l’écrit l’acadé-micien Dominique Fernandez, dans

L’Art de raconter : « Le mythe de Na-poléon est ici à l’œuvre – comme on le retrouvera chez Stendhal ou Hugo. Et le fabuleux dynamisme intellectuel et littéraire qui permet à un débutant à peine sevré du lait maternel d’écrire des romans encore embarrassés, sans doute, de tics d’époque et de bric-à-brac romantique, mais animés d’une telle fougue, jetés sur le papier avec un punch si magistral, que le lecteur de l’an 2000 s’y replonge avec intérêt… Le premier écrit qu’il ait signé de son nom, El Verdugo (1830), raconte un épisode féroce de la guerre d’Espagne, avec une économie de moyens digne de Mérimée. à la geste napoléonienne

se rattache également La Vendetta, nouvelle aussi implacable que son titre. Adieu contient quinze pages sur le passage de la Bérésina parmi les plus fortes qu’ait inspirées le specta-cle d’une déroute militaire. Le déses-poir des soldats volant des chevaux pour les dépecer et les dévorer, les tourmentes de neige, l’angoisse mor-telle de l’hiver russe, les incendies, les pillages, l’épuisement de ceux qui se laissent brûler dans les f lammes du feu de camp par une subite indiffé-rence à la vie, tout est décrit avec l’œil du clinicien et un cœur pénétré de compassion. La littérature mondiale est riche de témoignages analogues :

la main sur le cœur. « Bonaparte a prouvé qu’il y avait plusieurs siècles dans cent ans », écrit Balzac dans ses fameux carnets où il esquissait les trames de ses romans et les traits de ses personnages. •1842, d’après le daguerréotype de Louis-Auguste Bisson.

Page 9: L'âge d'or d'Athènes

août 2011 historia 57

plus important de Balzac concernant la légende napoléonienne, morceau de bravoure quand un voltigeur de la Garde nommé Goguelat fait le récit des campagnes glorieuses de l’Em-pereur dans une grange, devant des paysans ébahis.

à la recherche de témoignages, en quête du mythe

Reste ce roman fantôme, La Ba-taille, toujours évoqué, jamais achevé. Ce roman mort-né dont nul mieux que Tetsuo Tanayama, grand balzacien japonais, peut nous conter l’étrange destin. De ce livre acquis par Louis Mame, l’éditeur de Balzac, au début de 1830, en même temps que trois autres

romans historiques, i l remarque que « le sujet de l’œuvre a légèrement changé : il ne s’agit plus de la bataille de Marengo en 1800, mais de celle de Wagram, en 1809. En 1832, La Bataille est un des plus urgents projets de l’an-née. Au mois de mai, Balzac s’adresse au capitaine Périolas, professeur à l’école spéciale militaire, pour lui demander des renseignements sur la bataille de Wagram.

L’étude de Marcel Bouteron nous a décrit le personnage de cet of-ficier. à la suite d’un accident, Balzac n’a pu se rendre chez Périolas ; mais par son intermédiaire, l’auteur em-prunte, à la bibliothèque de l’école spéciale militaire, des ouvrages tels que Le Guide du pontonnier par A-F. Drieu ou l’Atlas qui lui correspond… La Bataille finit par se rattacher, dans l’intention du romancier, au cycle des Scènes de la vie militaire. L’Intro-

Balzac, qui n’a pas été témoin et tire de sa propre imagination le tableau du désastre, l’emporte en véracité et en puissance sur tous les peintres de guerres. » On retrouve l’idole d’Ho-noré partout dans La Comédie humai-ne : dans les toutes premières pages de La Femme de trente ans, dans Les Chouans, dans Une ténébreuse affaire où Laurence de Saint-Cygne rencon-tre Napoléon au bivouac à la veille de la bataille d’Iéna, dans El Verdugo, dans une histoire corse La Vendetta, dans Une passion dans le désert qui se passe durant la campagne d’égypte à travers l’histoire d’un soldat de De-saix, dans Le Colonel Chabert et sur-tout dans Le Médecin de campagne. Ce roman fut écrit en soixante-douze heures de labeur ininterrompu et l’auteur en corrigeant les épreuves y enterra, suivant sa propre expression, soixante nuits. Là se trouve le texte le

Balzac, l’autre conq uête de l’Empereur

Col

l. p

rivé

e/M

usé

e de

s le

ttre

s et

man

usc

rits

, Par

is -a

doc-

phot

os

la main sur le cœur. « Bonaparte a prouvé qu’il y avait plusieurs siècles dans cent ans », écrit Balzac dans ses fameux carnets où il esquissait les trames de ses romans et les traits de ses personnages. •1842, d’après le daguerréotype de Louis-Auguste Bisson.

Page 10: L'âge d'or d'Athènes

98 historia août 2011

Historia rétablit chaque mois une vérité historique, en allant à l’encontre d’une notion aussi communément admise qu’erronée.l’idée reçue

observations. Le savant scrute l’univers, calcule, compare les planètes et les astres. •Peinture de Johann Brandstetter, 2002.

Joh

ann

Bra

nd

stet

ter/

akg-

imag

es

Bien sûr, aujourd’hui, tout le monde sait cela. Mais à l’époque, l’astronome et physicien italien était le premier à le découvrir : faux

C’e s t à C op er n ic qu’est attribuée la découverte de l’hé-liocentrisme. L’An-t iquité en avait déjà eu l’intuition. Le Grec Philolaos

de Crotone, au Ve siècle av. J.-C., émet l’hypothèse que la Terre n’est pas au centre de l’univers. Elle tournerait en un jour autour d’un « feu central » dont la lumière serait reflétée par le Soleil. Des astronomes indiens au Ve et au XIIe siècle élaborent dans leurs travaux des théories affirmant que la Terre tourne autour du Soleil et mentionnent même la loi de la gra-vité. Mais le géocentrisme, défendu par Aristote et Ptolémée et repris par l’Église, qui place la Terre immobile au centre de l’univers, perdure.

Malgré des avancées dans le domaine astronomique au Moyen Âge, il faut attendre le XVIe siècle pour que la théorie de l’héliocentrisme soit érigée en système. On la doit au cha-noine, médecin et astronome polonais Nicolas Copernic (1473-1543). Ses re-cherches aboutissent à la rédaction de son ouvrage De revolutionibus orbium cœlestium (Des révolutions des sphères célestes) achevé vers 1530 et publié à Nu-remberg en 1543 peu de temps avant sa mort. Dans un premier temps, le livre ne provoqua ni sermons enflammés sur le fait qu’il contredisait les Saintes Écritures, ni débats virulents parmi les hommes de sciences. Il s’agissait pourtant bien d’une révolution, la

« révolution copernicienne » nommée ainsi par analogie avec ses découver-tes. Le système de Copernic repose sur l’observation que la Terre tourne sur elle-même, et fait un tour sur son axe en une journée appelée révolution. Il prétend également que la Terre fait le tour du Soleil (deuxième révolution), et non l’inverse, en un an. Il affirme enfin que les autres planètes, comme la Terre, tournent toutes autour du Soleil. Les critiques, notamment re-ligieuses, de ce système finissent par se multiplier. Luther le traite de sot, et réticences et oppositions sont éga-lement nombreuses dans les milieux scientifiques.

Si le savant Johannes Kepler reprend et confirme certaines des thèses de Copernic, son héritier est vé-ritablement Galilée (1564-1642), astro-nome et physicien italien. Il confirme par ses découvertes les cohérences du système copernicien dont il se fait un fervent défenseur, tout en prouvant les failles du système géocentrique. Convoqué par le Saint-Office en 1616, le De revolutionibus orbium cœlestium de Copernic est mis à l’index. Galilée poursuit néanmoins ses travaux et protégé par le pape Urbain VIII, qui lui avait commandé l’ouvrage, il publie en 1632 Dialogue sur les deux grands systèmes du monde, éloge de l’héliocen-trisme autant que raillerie sur le géo-centrisme. La discussion se déroule à Venise entre un partisan du système copernicien, un défenseur du système de Ptolémée et un troisième interlocu-

teur impartial. Le scandale est cette fois-ci trop grand. Lâché par le pape, à nouveau convoqué par le Saint-Of-fice, qui lui reproche de n’avoir pas respecté l’interdiction de 1616, Galilée est condamné à la prison à vie (peine commuée en résidence à vie par Ur-bain VIII) et l’ouvrage interdit. Il faut attendre 1757 pour que le pape Benoît XIV lève la censure sur les ouvrages traitant de l’héliocentrisme et que la recherche scientifique ne rencontre plus d’obstacles sur cette question.LOlivier Tosseri

La Terre tourne autour du Soleil, dixit Galilée