La transition énergétique face au défi des métaux critiques

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HAL Id: halshs-02385966 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-02385966 Submitted on 29 Nov 2019 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. La transition énergétique face au défi des métaux critiques Gilles Lepesant To cite this version: Gilles Lepesant. La transition énergétique face au défi des métaux critiques. 2018. halshs-02385966

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HAL Id: halshs-02385966https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-02385966

Submitted on 29 Nov 2019

HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.

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La transition énergétique face au défi des métauxcritiques

Gilles Lepesant

To cite this version:

Gilles Lepesant. La transition énergétique face au défi des métaux critiques. 2018. �halshs-02385966�

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LA TrAnsiTion énergéTique FACe Au DéFi Des MéTAuX CriTiques

études de l’Ifri

Janvier 2018

gilles LePesAnT

Centre énergie

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L’Ifri est, en France, le principal centre indépendant de recherche, d’information et de débat sur les grandes questions internationales. Créé en 1979 par Thierry de Montbrial, l’Ifri est une association reconnue d’utilité publique (loi de 1901). Il n’est soumis à aucune tutelle administrative, définit librement ses activités et publie régulièrement ses travaux.

L’Ifri associe, au travers de ses études et de ses débats, dans une démarche interdisciplinaire, décideurs politiques et experts à l’échelle internationale.

Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que la responsabilité de l’auteur.

Cette étude est publiée dans le cadre du projet ENERGEO financé par le Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégiques (CSFRS).

ISBN : 978-2-36567-784-4

© Tous droits réservés, Ifri, 2018

Comment citer cette publication : Gilles Lepesant, « La transition énergétique face au défi des métaux

critiques », Études de l’Ifri, Ifri, janvier 2018.

Ifri

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Auteur

Gilles Lepesant est géographe, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS – Géographie-Cités, UMR 8504), chercheur associé au Centre de recherches internationales de Science Po (CERI) et à l’Asian Energy Studies Centre (Hong Kong Baptist University).

Il est notamment l’auteur de :

« Implementing EU Renewable Energy Policy at the Subnational Level: Navigating between Conflicting Interests », in D. Arent, C. Arndt, et al. (dir.), The Political Economy of Clean Energy Transitions, Oxford, Oxford University Press, 2017 ;

« Gouvernance et acceptabilité de l’énergie éolienne en Allemagne. Le cas du Brandebourg », in F. Bafoil (dir.), L’Énergie éolienne en Europe. Conflits, démocratie, acceptabilité sociale, Paris, Presses de Sciences Po, 2016.

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Résumé

Si les flux, les gisements et les cours des énergies fossiles alimentent une part importante de l’analyse géopolitique, la réflexion est moins développée concernant les énergies renouvelables. Pourtant, les perspectives de développement de ces énergies (elles ont représenté près des deux-tiers des capacités de production électrique ajoutées en 2016), invitent à considérer de nouvelles vulnérabilités, liées à la disponibilité des métaux critiques, notamment des terres rares, nécessaires aux éoliennes, aux panneaux photovoltaïques et aux dispositifs de stockage d’énergie. Les enjeux sont ici géopolitiques, économiques, environnementaux, et sont dramatisés par une géographie de la production resserrée autour de quelques pôles producteurs (Chine, Amérique latine, Australie, Congo principalement). Le rôle de la Chine en particulier retient l’attention en raison des restrictions aux exportations de terres rares qu’elle applique et compte tenu des investissements qu’elle consent dans le monde pour s’assurer un approvisionnement garanti en plusieurs métaux critiques ainsi que dans les autres maillons de la chaîne de valeur des technologies bas carbone. Ainsi, la Chine est un acteur dominant comme producteur et comme consommateur de métaux critiques : elle représente 88 % de l’offre et 58 % de la demande pour les seules terres rares. Elle représente également 60 % de la capacité mondiale de production de cellules photovoltaïques et 50 % de la capacité mondiale de production d’éoliennes.

La notion même de criticité prête toutefois à discussion tant l’équilibre entre l’offre et la demande varie selon les métaux considérés et évolue au fil du temps. Pour l’ensemble de ces ressources, la grille de lecture adaptée à la géopolitique des hydrocarbures ne vaut que partiellement. Si la géographie de la production est le plus souvent concentrée, la volatilité des cours, les enjeux éthiques et environnementaux, les stratégies d’investissement des acteurs publics et privés hors de leurs pays d’origine, les évolutions technologiques constituent autant de variables à prendre en considération. Le scénario d’une forte hausse de la demande en métaux induite par la montée en puissance des énergies renouvelables paraît avéré. Si la production de ces métaux va devoir fortement croître, il est difficile d’établir s’il y aura des pénuries ou des mouvements haussiers sur les prix tels qu’ils remettent en cause l’expansion très forte des énergies renouvelables. Mais la concentration de ces ressources entre les mains de sociétés chinoises, souvent étatiques, confère à la Chine un avantage

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comparatif certain dans le développement de la chaîne industrielle et la commercialisation de ces biens. Des tensions sur les prix liées à l’offre ou à des manipulations des marchés sont à prévoir.

Les convergences affichées entre l’Union européenne (UE) et la Chine en matière de lutte contre le changement climatique sont apparues plus clairement que jamais à la lumière de l’annonce du retrait des États-Unis de l’accord de Paris sur le climat. Cette communauté d’intérêt avérée ne doit toutefois pas occulter une différence de perception et de stratégie. Si l’UE se préoccupe des conséquences du changement climatique pour la planète, la Chine, elle, s’emploie avant tout à réduire la pollution de ses villes et à détenir les technologies afférentes pour accaparer au maximum la chaîne de valeur des énergies renouvelables.

À défaut de pouvoir relancer une exploration minière ambitieuse, l’UE doit ici investir dans des matériaux alternatifs et dans la constitution de filières de recyclage pour que la transition énergétique ait des retombées tangibles en termes d’emplois industriels sur son territoire.

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Sommaire

INTRODUCTION .................................................................................... 9

LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE DRAMATISE UNE DEMANDE EN MÉTAUX DÉJÀ FORTE .......................................................................... 11

Une mutation des systèmes énergétiques ........................................... 11

Les métaux sollicités par la transition énergétique ............................ 13

Une forte demande… sans effet sur les cours ? .................................. 16

Les métaux de base, véritables matériaux critiques ? ....................... 18

UNE LARGE PANOPLIE DE RISQUES À APPRÉHENDER ..................... 21

Des risques d’épuisement de la ressource limités ? ........................... 21

Une instrumentalisation risquée des métaux critiques ...................... 23

Une stratégie chinoise industrielle plus que géopolitique .................. 25

Une géographie minière resserrée ........................................................ 27

Terres rares : une production concentrée, des ressources éparses .. 27

Métaux pour le stockage d’énergie : une géographie concentrée qui évolue ...................................................................................................... 29

Risques environnementaux et sociaux ................................................. 32

STRATÉGIES EUROPÉENNES D’ADAPTATION .................................... 35

Vers de nouvelles mines en Europe ? ................................................... 35

Stratégies de substitution ................................................................. 37

Perspectives et limites du recyclage ............................................... 38

La stratégie commerciale européenne ............................................ 40

CONCLUSION ...................................................................................... 43

BIBLIOGRAPHIE ................................................................................. 45

ANNEXE 1 : LISTE ET ORIGINE DES MÉTAUX CRITIQUES POUR L’UNION EUROPÉENNE ....................................................................... 49

ANNEXE 2 : LITHIUM (PRODUCTION AND RESOURCES) AND COBALT (PRODUCTION AND RESERVES) .......................................... 53

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Introduction

Les flux, les gisements et les cours des énergies fossiles alimentent une part importante de l’analyse géopolitique1 à travers laquelle l’étude des situations concrètes et des représentations est privilégiée. En revanche, la réflexion géopolitique est moins développée en matière d’énergies renouvelables (EnR). D’une part, ces énergies tiennent encore une place marginale dans le mix énergétique mondial (13 % mais l’éolien et le photovoltaïque ne comptent qu’à hauteur de 1,3 %). D’autre part, l’émergence des EnR n’est en théorie pas de nature à provoquer les mêmes tensions que les énergies fossiles dans la mesure où la matière première n’est pas aussi concentrée territorialement que le sont les hydrocarbures. La production décentralisée que les énergies renouvelables facilitent est de nature – du moins en théorie – à rendre les États moins dépendants d’un cercle restreint de pourvoyeurs de ressources.

Pourtant, de nouvelles vulnérabilités apparaissent, liées à la disponibilité des métaux critiques, notamment des terres rares, nécessaires aux éoliennes, aux panneaux photovoltaïques et aux dispositifs de stockage d’énergie. Face à la croissance des besoins alimentée par l’essor des énergies renouvelables (et par d’autres secteurs comme l’informatique), la capacité des industriels à disposer de ces métaux inquiète en raison des risques d’épuisement de la ressource et de la politique de la Chine (qui fournit environ 90 % des terres rares). Le sujet a été réactualisé par la décision chinoise de réduire les exportations de certains métaux critiques en 2009, décision qui provoqua une flambée des cours. Dans cet « âge du métal rare » (Abraham, 2016), le rôle des métaux critiques est volontiers apparenté à celui du charbon au XIXe siècle et à celui du pétrole dans la géopolitique contemporaine. La thèse est confortée par la formule prêtée à Deng Xiaoping en 1992 : « Le Moyen-Orient a le pétrole, la Chine a les terres rares2. »

1. La géopolitique est ici entendue comme « une méthode globale d’analyse géographique de situations sociopolitiques concrètes envisagées en tant qu’elles sont localisées et des représentations habituelles qui les décrivent », in M. Foucher (1991), p. 35. 2. La formule aurait été prononcée en 1987 à l’occasion d’une tournée dans le sud du pays. Disponible sur : http ://nm.cnr.cn.

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La question des métaux critiques est pourtant plus complexe que ne le laisse penser la formule. Les terres rares s’avèrent abondantes pour la plupart même si la Chine, avec ses coûts salariaux modestes et sa législation environnementale moins stricte qu’ailleurs, détient un rôle clé dans leur production. La notion même de criticité prête à discussion tant l’équilibre entre l’offre et la demande varie selon les métaux considérés et évolue au fil du temps. Au-delà des terres dites rares, d’autres métaux sont appelés à connaître une forte demande dans le contexte de la transition énergétique (le lithium, le cobalt, le nickel notamment). Pour l’ensemble de ces ressources, la grille de lecture adaptée aux hydrocarbures ne vaut que partiellement. Si la géographie de la production est le plus souvent concentrée, la volatilité des cours, les enjeux éthiques et environnementaux, les stratégies d’investissement des acteurs publics et privés hors de leurs pays d’origine, les évolutions technologiques constituent autant de variables à prendre en considération.

En se focalisant sur les métaux nécessaires au secteur photovoltaïque, à l’énergie éolienne et au stockage, l’étude propose un état des lieux des perspectives en matière de production et de consommation. Le rôle de la Chine dans la recomposition de la géographie minière est ensuite discuté de même que les opportunités que représentent pour l’Union européenne (UE) la constitution de filières de recyclage et le recours à des matériaux alternatifs.

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La transition énergétique dramatise une demande en métaux déjà forte

Une mutation des systèmes énergétiques Si le photovoltaïque et l’éolien tiennent une place modeste dans le mix énergétique mondial, les taux de croissance sont spectaculaires, notamment pour le photovoltaïque. À l’échelle mondiale, le coût des panneaux photovoltaïques a chuté de 80 % en une décennie (2005-2015) grâce aux avancées technologiques, aux nouveaux procédés industriels et aux économies d’échelle permises par un marché en croissance. Le coût d’installation des éoliennes terrestre a baissé en moyenne de 30 % au cours des dernières années.

En 2016, la production d’électricité à partir de sources renouvelables représentait 24 % de la production totale d’électricité. Si l’hydroélectricité joue ici un rôle clé (70 % de la production d’électricité à partir de sources renouvelables en dépend), l’éolien (16 %) et surtout le photovoltaïque (5 %) connaissent la plus forte croissance. En 2015, les énergies renouvelables ont représenté plus de la moitié des capacités totales ajoutées et ce chiffre a atteint les deux tiers en 2016 selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Dans le secteur photovoltaïque, la Chine comme les États-Unis ont au cours de la seule année 2016 doublé leurs capacités de production. L’Asie joue un rôle moteur en concentrant plus de la moitié des nouvelles capacités de production (IRENA, 2017). À elle seule, la Chine a installé en 2016 la moitié des capacités de production photovoltaïque dans le monde.

Dans l’UE, la part des renouvelables est passée entre 1990 et 2015, de 4 à 16,5 % du mix énergétique, l’objectif des 20 % à l’horizon 2020 dans le cadre du Paquet Énergie-Climat de 20093 devenant ainsi réaliste.

___________________________________________________ 3. Le paquet législatif fixe trois grands objectifs : réduire les émissions de gaz à effet de serre de 20 % (par rapport aux niveaux de 1990), porter à 20 % la part des énergies renouvelables dans la consommation d’énergie de l’UE, améliorer l’efficacité énergétique de 20 %. Détails sur : https ://ec.europa.eu.

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Réactualisée en 20144, la politique de soutien aux énergies renouvelables (Cruciani, 2017) s’appuie de moins en moins sur de généreux tarifs d’achat, au profit d’instruments les rapprochant des conditions du marché (appels d’offres notamment). Quels premiers enseignements en tirer ? Dans le seul cas français, le soutien sollicité pour le photovoltaïque au sol par les candidats retenus est passé de 107 €/MWh en 2013 à 62 € en 20175. Le 13 avril 2017, l’agence allemande en charge des réseaux publia les résultats de son premier appel d’offres pour des parcs éoliens marins (en mer du Nord). Pour l’un des parcs envisagés, aucun soutien ne fut sollicité par les candidats alors même que les prix du marché avoisinaient 30 € 6.

L’AIE estimait en 2016 que la production d’électricité à partir de sources renouvelables devrait connaître une hausse de 42 % d’ici à 2021. L’année précédente, l’agence envisageait une hausse de 13 % seulement. Pour près de la moitié, cette croissance est imputable à la Chine (AIE, 2016 b). Selon Bloomberg Energy Finance (2016), l’éolien et le photovoltaïque devraient représenter 64 % des nouvelles capacités de production électrique installées d’ici à 2040. À cette date, les coûts de l’éolien devraient avoir diminué de 41 %, ceux du photovoltaïque de 60 %. IRENA (2017) estime que les renouvelables pourraient couvrir 82 % de la demande d’électricité en 2050. L’éolien, le photovoltaïque et le solaire thermique pourraient devenir la principale source d’électricité dans le monde dès 2030.

Dans ce contexte, le scénario d’un mix électrique largement dominé par les énergies renouvelables n’est plus utopique, que ce soit aux États-Unis (Hand et al., 2012) ou en France (ADEME, 2016). Même éloignée, cette perspective augure d’une forte croissance des énergies renouvelables, notamment de l’éolien et du photovoltaïque, deux technologies auxquelles viennent s’ajouter les systèmes de stockage. Ces derniers constituent en effet un complément indispensable pour valoriser des sources d’énergie intermittentes. Ils bénéficient par ailleurs de l’essor de la voiture hybride et électrique dont 2 millions de véhicules étaient recensés dans le monde en 2016 (Mathieu, 2017). Si ce stock ne représente que 0,2 % du parc automobile, l’AIE estime qu’entre 9 et 20 millions de voitures électriques pourraient être déployées d’ici à 2020 et entre 40 et 70 millions d’ici à

___________________________________________________ 4. D’ici à 2030, les États membres se sont engagés à une réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre (par rapport au niveau de 1990), à une part des EnR (énergies renouvelables) d’au moins 27 % et à une amélioration de l’efficacité énergétique de 27 %. 5. Ministère de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer, 2017. Détails sur : www.ecologique-solidaire.gouv.fr. 6. Le projet en question jouit de conditions favorables : important gisement de vent, infrastructures voisines déjà installées et susceptibles d’être valorisées, coûts de connexion non pris en compte, mise en service fixée à une date éloignée. Voir P. Clark, « Dong Energy Breaks Subsidy Link with New Offshore Wind Farms », Financial Times, 14 avril 2017.

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2025 (AIEa, 2017). Selon Bloomberg Energy Finance (2016), la voiture électrique représentera 35 % des ventes en 2040, malgré la remise en cause des subventions décidée par plusieurs pays en 2017. De fait, la parité des coûts entre la voiture électrique et la voiture traditionnelle semble envisageable dès 2023 (UBS, 2017, p. 3). Avec 40 % des voitures électriques vendues dans le monde, la Chine jouera ici aussi un rôle central (AIEb, 2017), que ce soit pour soutenir l’accroissement de la demande mondiale ou pour la freiner au cas où la remise en cause en 2017 des soutiens conséquents qu’elle apporte au secteur briserait la dynamique observée jusque-là7.

À l’instar des énergies éolienne et photovoltaïque, la voiture électrique recourt, notamment pour son moteur et sa batterie, à des métaux dits critiques, tels que les terres rares, le lithium ou encore le cobalt dont la volatilité des cours voire la disponibilité posent question. La transformation des systèmes énergétiques vient en effet soutenir une demande déjà dynamique de ces métaux (notamment dans l’électronique grand public) et dont les gisements sont concentrés dans un nombre limité de pays.

Les métaux sollicités par la transition énergétique Les matériaux concernés rassemblent le groupe des terres rares (qui sont en réalité des métaux et dont les propriétés, plus que les réserves, sont rares) composé de 15 lanthanides, auxquels sont ajoutés l’yttrium et, parfois, le scandium. Ces 17 métaux sont le plus souvent extraits conjointement avec d’autres minerais et demandent, au-delà des activités d’extraction proprement dite, des filières de raffinage. Produits à environ 90 % par la Chine, leur disponibilité est de nature à influer sur les technologies de la transition énergétique et sur la compétitivité des acteurs de cette dernière.

Au-delà des terres rares, d’autres métaux sont jugés critiques. L’UE constitua une première liste en juin 2011. Comprenant 14 métaux8, la liste fut portée à 20 métaux en 20149 puis à 27 en 201710 (cf. annexe 1). Autant de métaux jugés critiques du fait qu’ils jouent un rôle prépondérant dans la

___________________________________________________ 7. S. Fei Ju, « China Puts a Stop to Electric-Car Gold Rush », Financial Times, 27 juin 2017. 8. Communication de la Commission européenne, « Relever les defis poses par les marches des produits de base et les matieres premieres », COM(2011) 25. 9. Communication de la Commission européenne, « Sur la revision de la liste des matieres premieres critiques pour l’UE et la mise en œuvre de l’initiative “Matieres premieres” », COM(2014) 297. 10. Communication de la Commission européenne « relative a la liste 2017 des matieres premieres critiques pour l’UE », COM(2017) 490.

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chaîne de valeur et qu’ils sont fournis par un groupe restreint de pays. Dans la majorité des cas, les métaux identifiés sont peu substituables, ne bénéficient pas d’un taux de recyclage significatif et sont appelés à connaître une forte croissance de la demande.

Si ces métaux ont plusieurs applications, ils sont particulièrement nécessaires aux batteries des véhicules électriques et hybrides, aux panneaux solaires et aux éoliennes. Les aimants permanents (présents dans une partie des éoliennes et dans les voitures électriques) nécessitent ainsi des terres rares (néodyme, praséodyme et dysprosium notamment). Les éoliennes avec boîte de vitesses utilisent moins de terres rares que celles à entraînement direct mais ces dernières sont plus fiables, exigent moins d’entretien et sont par conséquent mieux adaptées à l’éolien marin. Les systèmes photovoltaïques recourent soit à des cellules de silicium, soit à des couches minces où sont associés notamment le tellure, le cadmium (pour les cellules CdTe11), le gallium, l’indium et le sélénium (pour les cellules CIGS12). Les panneaux à base de silicium représentent 90 % du marché, recourent à un matériau abondant (la silice) mais la technologie des couches minces permet des rendements supérieurs (Marscheider-Weidemann et al., 2016). Les batteries des véhicules hybrides et électriques requièrent, elles, dans des proportions variables selon les technologies, du nickel, du cobalt, du lithium et des terres rares (lanthane, cérium, néodyme, praséodyme notamment).

Si les métaux dits critiques sont déjà sollicités par d’autres secteurs, la transformation des systèmes énergétiques change la donne. À titre d’exemple, les quantités d’équivalent Li métal sont inférieures à 1 gramme dans les téléphones portables, de l’ordre de 10 grammes dans les ordinateurs mais 3,3 kilogrammes sont nécessaires dans les véhicules électriques et 1,3 tonne est requise pour un stockage de 8 MWh (ANCRE, 2015, p. 25).

Au final, la demande en métaux critiques de la part du secteur photovoltaïque pourrait s’accroître de 270 % d’ici à 2030 (JRC, 2016). Pour l’énergie éolienne, la demande en dysprosium pourrait augmenter de 660 %, celle de néodyme de 2 200 %. Alonso et al. (2013) confirment l’essor annoncé de la voiture électrique et de l’énergie éolienne et estiment qu’en conséquence la demande en dysprosium sera multipliée par 7 et celle de néodyme par 28 d’ici à 2035. D’ici à 2025, la demande intérieure chinoise pour le néodyme pourrait excéder la production mondiale de 9 000 tonnes, la Chine devenant ainsi un importateur net13. Pour

___________________________________________________ 11. Le tellurure de cadmium (CdTe) est un matériau cristallin composé de cadmium et de tellure. 12. Cuivre, Indium, Gallium, Sélénium. 13. H. Sanderson, « Lithium: the Next Speculative Bubble? » Financial Times, 6 janvier 2017.

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autant, le risque d’un épuisement de la ressource ou d’un renchérissement soudain est difficile à préciser, l’évolution de la demande en métaux critiques pouvant varier sensiblement selon les efforts entrepris pour décarboner le mix énergétique mondial.

La Banque mondiale (2017) estime qu’un scénario 6° C14 induirait une part des EnR dans ce mix de 18 % (contre 14 % en l’état actuel). Dans l’hypothèse où le scénario 2° C prévaudrait, ce chiffre pourrait atteindre 44 % avec des conséquences radicalement différentes en termes de consommation de matériaux critiques (cf. graphique 1).

Graphique 1 – Demande médiane en métaux pour les technologies éoliennes à l’horizon 2050

Évolution de la demande en métaux dans l’hypothèse d’un réchauffement de 2° C et de 4° C, en comparaison avec un scénario 6° C.

Source : Les Échos ; la Banque mondiale.

13. F. Els, « China to Become Net Importer of Some Rare Earths », 2 janvier 2017, disponible sur : www.mining.com. 14. « 6° C scénario » : scénario d’un réchauffement de la planète de 6° C à l’horizon 2100.

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Une forte demande… sans effet sur les cours ? La stratégie industrielle de Pékin, les perspectives des énergies renouvelables, les investissements chinois dans les mines de plusieurs pays ne peuvent qu’avoir un impact significatif sur les cours. De fait, lorsque la Chine imposa des quotas de nature à réduire l’offre en terres rares en 2009, les cours connurent une hausse spectaculaire.

Peu après, l’offre rebondit et plusieurs métaux virent leur cours chuter. Le déclin des marchés des lampes fluorescentes, des batteries NiMH, des disques durs sans oublier le ralentissement de la croissance chinoise et l’ouverture de mines hors de Chine contribuèrent à rendre le marché atone. En 2016-2017, les prix de la plupart des terres rares sont retombés à des niveaux bas, à l’exception du néodyme, du dysprosium et du terbium dont les cours ont été soutenus par les prévisions de demande et par la décision chinoise de renforcer ses stocks15. En 2016, le mineur australien Lynas (unique exploitant non chinois de terres rares à cette date) dut être sauvé par un consortium associant notamment une entreprise publique japonaise (JOGMEC16). En janvier 2017, un des principaux acteurs chinois du secteur, China Northern Rare Earth annonçait une chute de ses profits de 2015 à 2016 de 70 à 90 %. En novembre 2016, un autre groupe chinois (Minmetals Rare Earth) révélait des revenus en baisse de 78 % sur un an et, en septembre de la même année, l’australien Lynas annonçait une perte de 72 millions USD17. Dans un tel environnement, investir dans de nouvelles capacités d’exploration et de production avec des perspectives réalistes en termes de rentabilité s’avère difficile.

Le sort de la mine californienne de Mountain Pass illustre les divergences d’analyse sur ce point. Alors qu’elle satisfaisait 100 % du marché américain et 33 % du marché mondial en 1984 (Argus, 2016), la mine dut fermer en 2002. À la suite des restrictions à l’export imposées par la Chine et de la forte hausse des cours qui s’ensuivit, elle fut rouverte avant que son exploitant (Molycorp) ne déclare faillite en 2015 et ne cède la mine en 2017 à un consortium associant une entreprise chinoise18. Pour certains, Molycorp commit l’erreur de se focaliser sur un matériau très abondant (le cérium). La remontée progressive des prix, la volonté

___________________________________________________ 15. Nikkei Asian Review, « Rare-Earth Metal Prices Climb as China Builds Reserves », 16 juin 2016, disponible sur : https://asia.nikkei.com. 16. Japan Oil, Gas and Metals National Corp. 17. Argus webinar, The Global Demand Outlook for Rare Earths – Where Are the New Markets ?, 2015. 18. Le consortium (MP Mine Operations LLC) associe des acteurs économiques américains, suisses, australiens et un acteur chinois (Shenghe Resources).

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chinoise de fermer les mines clandestines et une stratégie différente pourraient néanmoins la préserver face à la concurrence chinoise. Pour d’autres, la rentabilité de la mine n’est envisageable que dans l’hypothèse d’une crise mondiale d’approvisionnement. De fait, dans plusieurs autres régions dans le monde, de nombreux projets miniers sont à l’étude sans que le niveau des cours permette d’envisager une mise en exploitation.

Au-delà des terres rares, d’autres matériaux dits critiques ont vu depuis 2016 leur cours rebondir, en particulier le lithium, le nickel et le cobalt sans qu’on puisse pour autant préjuger de la suite.

Dans le cas du lithium, son cours a connu une augmentation de 74 % au cours de l’année 2016 malgré une augmentation de la production de 14 % cette année-là19. Le scénario d’un « super cycle lithium » similaire à celui du minerai de fer suscité par la demande chinoise au tournant du XXIe siècle paraît plausible20. Il devrait être impulsé par les nombreux projets d’usine de batteries (dont celle de Tesla aux États-Unis qui prévoit de consommer une quantité de lithium égale à la production mondiale actuelle) qui porteront les capacités produites de 30 GWh aujourd’hui à 175 GWh d’ici à 2020. Le marché du lithium, de l’ordre de 1 milliard USD par an, pourrait tripler de taille d’ici à 202521. Pour autant, d’autres scénarios sont possibles. Le lithium étant abondant, une hausse continue des cours provoquerait assurément l’ouverture de nouvelles mines ou, du moins, une hausse de la production dans le principal pays producteur actuel, à savoir le Chili. Au final, une nouvelle baisse des cours similaire à celle constatée entre 2013 et mi-2015 ne peut donc être exclue (Deutsche Bank, 2016).

Ce n’est au demeurant pas le lithium mais le nickel qui préoccupe certains constructeurs dans la mesure où les quantités utilisées dans les véhicules électriques sont nettement plus significatives. Or, les cours de ce métal, comme ceux de beaucoup d’autres, connaissent une volatilité imputable autant à l’équilibre entre l’offre et la demande qu’aux décisions prises par les États. Le métal coûtait 5 000 USD/tonne au début des années 2000, 9 000 en 2017 après avoir atteint 21 000 USD en 2014 lorsque l’Indonésie introduisit des restrictions à l’exportation de plusieurs métaux (dont le nickel) pour renforcer son secteur aval. Les Philippines devinrent dans la foulée première exportatrice de ce métal. Si l’industrie du raffinage s’est en effet développée en Indonésie (entre autres grâce à des

___________________________________________________ 19. H. Sanderson, « Albemarle Boosts Lithium Demand Forecast on Faster Electric Vehicle Uptake », Financial Times, 16 mars 2017. 20. H. Sanderson, « Electric Car Demand Sparks Lithium Supply Fears », Financial Times, 9 juin 2017. 21. C. Jamasmie, « Chinese-Korean Group to Build $2 Billion Lithium Batteries Plant in Chile », Mining.com, 6 décembre 2016, disponible sur : www.mining.com.

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investissements chinois), les difficultés des entreprises minières et l’état des finances publiques ont conduit le pays à renoncer à une large partie de ces mesures en 2017, provoquant une chute des cours du nickel22.

Autre composant des batteries, le cobalt a vu son cours augmenter de 50 % en un an pour atteindre 21 USD en février 2017 mais en 2007, il était de 50 USD avant de retomber à 10 USD en 2015. La moitié du cobalt consommé dans le monde étant destiné au véhicule électrique (76,6 % en Chine), la croissance du véhicule électrique devrait entraîner des tensions sur le marché23. Research and Markets (2017) anticipe ainsi un écart entre l’offre et la demande de 12 000 tonnes pour 2021. L’élasticité est ici moindre que dans le cas du lithium dans la mesure où la production de cobalt est le plus souvent concomitante de celle d’autres métaux, notamment le nickel et le cuivre. Or, pour les producteurs de nickel, la production de cobalt représente moins de 7 % de leurs revenus (moins de 2 % pour les producteurs de cuivre). L’évolution des cours de ces métaux de base peut donc indirectement affecter les stratégies minières et influer sur l’offre de cobalt. En outre, 60 % de la production mondiale provient de la République démocratique du Congo (RDC), un pays en proie à l’instabilité.

Anticiper l’évolution des cours s’avère d’autant plus difficile que les fonds spéculatifs interviennent, si nécessaire par l’acquisition physique des matériaux en question. En 2017, une demi-douzaine de fonds firent ainsi l’acquisition de 6 000 tonnes de cobalt (soit 17 % de la production mondiale de 201624) et des États ou des industriels ne s’interdisent pas semblables pratiques. Unique certitude : les ressources en question sont finies et le recyclage, même adossé à des politiques efficaces (qui restent à inventer) ne saurait suffire à satisfaire la demande telle qu’elle est envisagée à moyen terme. Ce constat est toutefois loin de ne valoir que pour les terres rares et les matériaux dits critiques. Subjective, dynamique, la notion de criticité pourrait s’appliquer également à certains « métaux de base » (cuivre, zinc, acier, plomb) tant la demande croît fortement en l’absence de solutions de substitution.

Les métaux de base, véritables matériaux critiques ? Comme le rappellent Olivier Vidal et Patrice Christmann de 1900 à 2012, la population mondiale a crû de 1900 à 2012 de 1,7 à 7,2 milliards d’humains

___________________________________________________ 22. « Indonesia Eases Export Ban on Nickel Ore, Bauxite », Reuters, 12 janvier 2017. 23. H. Sanderson, « Electric Carmakers on Battery Alert after Funds Stockpile Cobalt », Financial Times, 23 mars 2017. 24. Ibid.

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(facteur de 4,3), tandis que la consommation de cuivre primaire a crû d’un facteur 34 (ANCRE, 2015, p. 10). Selon eux, « pour satisfaire les besoins de l’humanité d’ici 2050, nous devrons extraire du sous-sol plus de métaux que l’humanité en a extraits depuis son origine ». En 2050, le montant cumulé d’acier, d’aluminium, de cuivre contenu dans les installations hydroélectriques, éoliennes et solaires pourrait représenter 13 fois la production de ces métaux de 2010.

La montée en puissance des énergies renouvelables a un impact significatif sur la demande en métaux de base puisque pour une même puissance nominale installée, les quantités d’acier nécessaires sont jusqu’à 50 a 90 fois plus importantes pour le solaire a concentration que pour le nucléaire. La quantité cumulée d’acier, cuivre et aluminium nécessaire en 2050 pour les infrastructures de production d’électricité a partir d’énergies renouvelables atteindrait 6 a 11 fois la production mondiale totale de 2010. Or, au moins un quart des réserves connues de cuivre se situent dans des pays à la gouvernance jugée déficiente (Vidal et al., 2013). En outre, les délais pour la mise en exploitation d’une mine de cuivre oscillent entre 13 et 23 ans de sorte que l’industrie n’est pas en capacité de répondre à court terme à de fortes oscillations de l’offre et de la demande (Ali et al., 2017). Enfin, si des stratégies de recyclage ou de substitution sont parfaitement envisageables pour les terres rares, trouver des substituts aux métaux de base (notamment l’acier, l’aluminium et le cuivre) s’avère plus compliqué.

Pour autant, les métaux de base font apparaître le même paradoxe que les matériaux dits critiques. En dépit d’une demande soutenue, d’analyses prospectives convergentes sur l’idée que cette demande est appelée à croître, les cours reflètent une autre réalité. Ils demeurent à des niveaux stables tant l’idée d’une offre s’ajustant à la demande prévaut chez les acteurs du marché. Le cuivre illustre ce paradoxe. Bien qu’exploité (et donc recherché) depuis plusieurs siècles, les réserves estimées en 2014 étaient de 700 millions de tonnes, soit le double des réserves annoncées en 1970. Or, entre ces deux dates, 480 millions de tonnes avaient été extraites du sous-sol et les gisements les plus faciles d’accès déjà mis en valeur (USGS, 2015). Si en 2017, une cinquantaine d’années seulement sont assurées au rythme auquel le cuivre est extrait, les cours ne laissent présager aucune pénurie. En janvier 2016, la tonne de cuivre valait le même prix qu’en janvier 2006, après, il est vrai, avoir connu de fortes oscillations.

Établir des scénarios d’offre et de prix pour les matériaux nécessaires à la transition énergétique relève ainsi de la gageure tant les facteurs à prendre en compte sont nombreux (évolution de la demande, stratégie chinoise, tensions géopolitiques, spéculation, opposition des populations

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locales, réglementations environnementales, etc.) et tant les évolutions technologiques peuvent être soudaines. Dans le seul secteur automobile, l’essor de l’auto-partage pourrait ainsi limiter la croissance du parc automobile et réduire la consommation de certains métaux. La montée en puissance du véhicule électrique pourrait réduire sensiblement la demande en plomb mais initier un nouveau cycle de fortes hausses pour le cobalt, le lithium, le cuivre (un véhicule électrique en contient deux fois plus qu’un véhicule classique) à condition… que le succes de l’auto-partage ne finisse pas par obérer les ventes.

La montée en puissance des LED a déjà illustré le rôle que l’évolution technologique peut avoir sur le niveau de criticité d’un métal. Les luminaires classiques recourent à certaines terres rares (principalement l’europium, l’yttrium et le terbium). Du fait, de leur disparition progressive, les tensions sur le marché se sont atténuées surtout pour l’europium dont le cours est passé de 3 000 à 780 USD/kg entre 2011 et 2017. Quelques années auparavant, il avait le statut de métal critique. De même, les évolutions technologiques permettent de nos jours de produire 70 canettes à partir d’1 kilogramme d’aluminium contre seulement 46 en 198525 sans qu’il soit pour autant démontré que le progrès technologique permette de réduire sensiblement la demande globale.

Au final, le scénario d’une forte hausse de la demande en métaux induite par la montée en puissance des énergies renouvelables paraît avéré. En revanche, limiter la notion de criticité aux seules terres rares ne se justifie pas tant d’autres métaux suscitent des interrogations quant à leur disponibilité et aux conditions économiques, sociales et environnementales de leur exploitation. Quant aux métaux jugés communément critiques, anticiper leur disponibilité implique d’appréhender une large panoplie de facteurs à la fois politiques, sociaux, environnementaux et économiques.

___________________________________________________ 25. British Geological Survey, « Peak Metal: Scarcity of Supply or Scare Story? », disponible sur : www.bgs.ac.uk.

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Une large panoplie de risques à appréhender

Dans un contexte marqué par une forte hausse de la demande et par une volatilité des cours, les facteurs de vulnérabilité à explorer sont à la fois la géologie (risque d’épuisement de la ressource), la géopolitique et les stratégies économiques des firmes et des États. La Chine est ici un acteur majeur comme producteur et comme consommateur de métaux critiques : elle représente 44 % des réserves, 88 % de l’offre et 58 % de la demande pour les seules terres rares26 (Argus, 2016). Plus largement, une géographie des métaux critiques s’organise dont les pôles et les flux diffèrent sensiblement de ceux des hydrocarbures.

Des risques d’épuisement de la ressource limités ? Évaluer précisément les risques de pénurie se heurte à plusieurs difficultés. Sur le plan méthodologique, la distinction entre gisements, ressources (gisements connus susceptibles d’être exploités) et réserves (ressources exploitables du point de vue technique et économique) s’impose. Or, les montants des réserves et des ressources peuvent différer sensiblement entre eux et les deux évoluent au fil du temps. En outre, les normes selon lesquelles les sociétés minières communiquent leurs données en la matière reposent certes sur une méthodologie précise27 mais toutes les sociétés ne diffusent pas ces informations. Par ailleurs, l’évaluation de risques de pénurie implique de prendre en compte de manière dynamique les niveaux de production, les réserves et la consommation telle qu’elle est appelée à croître. Enfin, les investissements des sociétés minières dans des campagnes d’exploration sont coûteux et par conséquent étroitement corrélés aux cours des matières premières. Dans ces conditions, écarter ou confirmer tout risque de pénurie apparaît difficile même si l’on peut convenir que pour plusieurs métaux dits critiques, l’ère des gisements faciles touche à sa fin.

___________________________________________________ 26. Les autres pays consommateurs sont les États-Unis (21 % de la demande) et le Japon (10 % de la demande). 27. Une méthodologie mise au point par le CRIRSCO (Committee for Mineral Reserves International Reporting Standards), rattache à l’ICMM (International Council on Mining and Metals).

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Cette question de la disponibilité de la ressource est particulièrement importante dans le cas des terres rares dont la Chine produit environ 90 % des besoins et abriterait approximativement 44 % des réserves (le Brésil 20 %, l’Australie, l’Inde, les États-Unis entre 1 et 2 % chacun28). Loin d’être concentrées dans le sous-sol chinois, les terres rares sont en réalité assez répandues dans le monde. Leurs réserves sont estimées à 115 millions de tonnes pour une consommation annuelle de l’ordre de 150 à 200 000 tonnes (ANCRE, 2015). En outre, selon l’United States Geological Survey (USGS), les réserves situées en mer pourraient être équivalentes à toutes les réserves jusque-là découvertes sur terre (Hein, 2011).

Le quasi-monopole détenu par la Chine ne vient pas de la concentration des ressources dans le sous-sol de ce pays mais d’un désengagement de la plupart des autres pays d’activités d’extraction peu rémunératrices et polluantes. Dans le même temps, la Chine s’est, elle, employée à asseoir sa domination sur le marché des terres rares. Si avant 1965, l’Afrique du Sud, le Brésil, l’Inde étaient les pôles principaux de production, les États-Unis et notamment la mine de Mountain Pass (cf. graphique 2) prirent le relais avant que la Chine ne s’impose grâce à des coûts salariaux bas et à l’absence d’une législation environnementale contraignante.

Graphique 2 – Le basculement de la production de terres rares vers le territoire chinois

Source : USGS (United States Geological Survey).

___________________________________________________ 28. Données disponibles auprès de l’USGS (United States Geological Survey) et consultables sur : www.usgs.gov.

Global Rare Earth Oxide Mine Production

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Dès 1994, le pays assurait la moitié de la production mondiale avant d’atteindre 86 % de part de marché en 1999 (USGS29). Depuis 2010, la Chine joue un rôle moindre, sa part de marché étant passée de 92 à 85 % entre 2010 et 2015. Loin de se limiter à extraire des minerais au profit d’industries manufacturières étrangères, elle a toutefois peu à peu acquis les savoir-faire nécessaires à la constitution d’une chaîne de valeur lui assurant un rôle de premier plan pour les technologies bas-carbone.

Le développement de l’extraction de terres rares a en outre bénéficié de gisements ouverts initialement pour des métaux de base (cas du gisement de fer de Bayan Obo, en Mongolie occidentale qui constitue le principal site de production de terres rares légères). Les terres rares lourdes proviennent principalement, elles, de la région de Canton (Liao, 2016). Dans les deux cas, la production de terres rares a causé de graves dommages à l’environnement notamment en raison de la radioactivité du thorium, de l’uranium et du radium. Les rejets en quantité de produits toxiques dans l’eau, dans les sols ont également des effets désastreux de mieux en mieux documentés sur la santé des populations locales (Jin et al., 2013). Dans ce contexte, les autorités chinoises ont développé des initiatives où se lisent des ambitions à la fois politiques, technologiques et environnementales. Trois priorités ont peu à peu émergé : asseoir le contrôle de Pékin sur un secteur qui compte de nombreuses mines clandestines dans le pays, influencer le marché mondial sans le déstabiliser et acquérir une supériorité technologique.

Une instrumentalisation risquée des métaux critiques Depuis quelques années, les autorités chinoises s’emploient à mieux contrôler un secteur où se sont développées de nombreuses activités et mines clandestines. Les enjeux sont multiples. Le souhait d’écarter tout risque de pénurie est difficile à étayer tant le montant des réserves diffère selon les sources. Selon ses autorités, la Chine disposait en 2015 de 23 % des réserves mondiales. Selon, l’USGS, ce chiffre était de 44 %. Les deux sources concordent néanmoins sur un point : en volume, les réserves chinoises tendent à diminuer30.

Le montant précis des quantités produites et exportées demeure également incertain tant les mines clandestines sont nombreuses. En 2014, l’Association de l’industrie des terres rares chinoises estimait les quantités

___________________________________________________ 29. Ibid. 30. Les autorités chinoises indiquent une diminution de 14 % entre 2002 et 2009, l’USGS de 37 % sur la même période.

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fournies par les gisements du sud à 50 000 et 40 000 tonnes en 2013 et 2014, années pour lesquelles le quota officiel était de 17 900 tonnes… (Liu, 2016). Les données des douanes des pays clients laissent également penser que les chiffres officiels chinois sous-estiment les quantités exportées.

La formule prêtée à Deng Xiaoping en 1992, « le Moyen-Orient a le pétrole, la Chine a les terres rares » a pu suggérer que la grille de lecture adoptée pour appréhender les enjeux géopolitiques des hydrocarbures du Moyen-Orient ne valait que pour les terres rares. La suspension des exportations de terres rares vers le Japon en 2010 à la suite d’un incident impliquant un bateau de pêche chinois interpellé en mer de Chine31 conforta cette lecture de la stratégie chinoise. Les enjeux géopolitiques des matériaux critiques sont également apparus à travers la décision prise en 2017 par la Corée du Nord de suspendre ses exportations de métaux rares vers… la Chine en représailles de sanctions décidées par Pékin32. Le risque géopolitique demeure par ailleurs à travers la dépendance des industriels du secteur de l’armement à l’égard des terres rares nécessaires à certains équipements (lunettes de visée nocturne, blindages, GPS, etc.). L’instrumentalisation des métaux critiques fut par ailleurs évoquée lorsque la Chine introduisit des restrictions à l’exportation (quotas et taxes) pour une série de métaux en 2010. Les risques d’approvisionnement sont-ils pour autant avérés ?

D’une part, les États consommateurs peuvent recourir aux règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). À la suite d’une plainte déposée par l’UE, le Japon et les États-Unis33, un « Groupe spécial » donna ainsi tort à la Chine en mars 2013, puis de nouveau en 2014. La Chine annonça en 2015 la suppression des restrictions à l’export et des taxes à l’exportation et le seul maintien de quotas de production. Si les exportations chinoises chutèrent de 2009 à 2011 en raison des quotas imposés, passant de 25 000 à 8 000 tonnes, elles atteignirent en 2015 23 000 tonnes (Argus, 2016) puis augmentèrent de 50 % en 2016, les principaux clients étant les États-Unis (37 %), le Japon (33 %) puis l’UE (14 %).

D’autre part, au vu des stratégies d’adaptation déployées dans le monde à la suite de la crise des quotas chinois (réouverture de mines, structuration de filières de recyclage, recherche de composants alternatifs), l’instrumentalisation des matériaux critiques ne peut apparaître que

___________________________________________________ 31. B. Keith, « China Still Bans Rare Earth to Japan », The New York Times, 10 novembre 2010. 32. « La Corée du Nord suspend ses exportations de métaux de terres rares vers la Chine », Agence de presse Yonap, 3 mars 2007, disponible sur : http ://french.yonhapnews.co.kr. 33. Cette plainte déposée par les États-Unis, l’Union européenne et le Mexique concernait les restrictions chinoises à l’exportation frappant neuf métaux.

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contre-productive aux yeux des autorités chinoises. En effet, la flambée des prix que les autorités chinoises provoquèrent indirectement conduisit à rendre rentables de nouveaux projets miniers. La mine de Mountain Pass qui avait dû fermer en 2002 fut remise en exploitation en 2012 par Molycorp. En mai 2011 le minier australien Lynas Corporation débuta ses opérations d’exploitation de terres rares dans sa mine de Mount Weld et investit dans une usine de raffinage en Malaisie (où la législation environnementale est moins contraignante qu’en Australie).

La baisse des prix qui suivit la période de tension eut des effets inverses sur les concurrents des producteurs chinois. Lynas se retrouva en difficulté, Molycorp invoqua en 2015 l’article 11 sur les faillites non sans avoir qualifié la politique de ses concurrents chinois en matière de coûts de « prédatrice » (Molycorp, 2012 :10).

En somme, une stratégie chinoise qui organiserait la pénurie à des fins géopolitiques ou économiques ne pourrait que soutenir les cours et encourager ainsi la mise en valeur de mines concurrentes et/ou à la mise sur le marché de technologies alternatives.

Une stratégie chinoise industrielle plus que géopolitique Assurer un meilleur contrôle du secteur des métaux critiques demeure cependant une préoccupation majeure des autorités chinoises. Les mines clandestines sont synonymes de pertes de recettes fiscales, de dommages à l’environnement susceptibles d’attiser le mécontentement des populations et de concurrence déloyale aux entreprises officielles. 14 mines et 28 entreprises ont été en conséquence fermées en cinq ans et 36 000 tonnes de terres rares ont été saisies34. Les autorités ont par ailleurs introduit un système de licences d’exportations accordées dans huit ports seulement et sous condition d’un contrat passé avec un acheteur étranger. Des quotas de production ont été mis en place (dont plus de la moitié pour la seule Mongolie intérieure). En mai 2015, la Chine annonça également l’introduction d’une taxe sur la ressource allant de 7,5 % à 27 %, modulée en fonction des régions (et donc des métaux).

La reprise en mains du secteur s’est par ailleurs traduite par l’introduction en 2016 d’un système de traçabilité des matières premières (dont les terres rares), par une stratégie d’achat et de stockage (en janvier 2017, le bureau national des réserves a ainsi fait l’acquisition

___________________________________________________ 34. « China to Crack Down on Illegal Rare Earth Mining », China Daily, 9 août 2016, disponible sur : www.chinadaily.com.cn.

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de 2 000 tonnes de terres rares) et par un premier plan quinquennal pour l’industrie des terres rares. Ce plan prévoit la consolidation de l’industrie autour de 6 groupes miniers35, démarche qui n’est pas sans rappeler celle que connut le secteur de l’acier quelques années auparavant. Le plan prévoit également une réduction de 20 % des polluants émis, un soutien à l’innovation et au recyclage. À terme, l’objectif affiché par les autorités chinoises est de limiter la production à 140 000 tonnes/an d’ici à 202036. Dans le même temps la demande mondiale est appelée à croître pour atteindre 200 000-240 000 tonnes en 2020 (UNCTAD, 2014).

Si les cours ont retrouvé des niveaux comparables à ceux qui précédèrent la crise de 2010-2011, l’UE demanda de nouveau en 2016 la convocation d’un panel d’experts auprès de l’OMC considérant que les restrictions en question (les taxes à l’exportation comme les quotas) demeuraient en réalité en place pour une série de métaux. Les autorités chinoises ont contesté l’illégalité des mesures prises et ont invoqué, pour les justifier, l’argument écologique. Pour autant, toute restriction à l’exportation procure des avantages comparatifs à l’industrie chinoise et contribue à sa montée en gamme. Les résultats en la matière sont déjà significatifs. La Chine produit les deux tiers des panneaux solaires vendus dans le monde37, recense 5 des 6 premières entreprises du secteur ainsi que le premier producteur d’éoliennes et le premier producteur de batteries lithium-ion.

Les principaux sites de production de batteries dans le monde sont localisés en Chine (l’exception étant le projet encore non concrétisé en 2017 de l’usine Tesla dans le Nevada). Si le constructeur japonais Panasonic demeure le leader mondial de la batterie pour voiture, les Chinois BYD et CATL (Contemporary Technology Ltd) le suivent. Dans la mesure où le coût de la batterie détermine pour environ moitié le prix d’un véhicule électrique, la Chine pourrait ici reproduire la stratégie observée pour les panneaux solaires, à savoir une captation du marché mondial grâce à des prix bas puis une montée en gamme permettant d’assurer un leadership technologique. Au final, l’ambition de la Chine apparaît moins géopolitique que technologique : s’imposer comme un acteur central grâce à une valorisation innovante de ses ressources38. La stratégie « Made in China

___________________________________________________ 35. Northern Rare Earth (Group) High-tech Ltd., China Minmetals Corp., Aluminum Corp. of China (Chinalco), Guangdong Rare Earth Corp., China South Rare Earth Group and Xiamen Tungsten Group (Yu, 2015). 36. « China Puts Limit on Rare Earth Production », Investing News, disponible sur : http://investingnews.com. 37. K. Bradsherapril, « When Solar Panels Became Job Killers », New-York Times, 8 avril 2017. 38. B. Yu, « China’s New Rare Earth Policy and Industry Consolidation after WTO Ruling », 2015 disponible sur : www.semi.org.

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2025 » comme le 13e Plan quinquennal (2016-2020) affichent de fait l’ambition de développer les secteurs avals afin que l’industrie chinoise des terres rares se traduise par la mise sur le marché de biens à forte valeur ajoutée39. Dans le même temps, le paysage minier mondial se recompose, avec des pôles de production situés sur différents continents mais où l’on retrouve les entreprises d’État chinoises.

Une géographie minière resserrée La géographie des métaux nécessaires à la transition énergétique s’organise autour de pôles et de flux différents de ceux du pétrole et du gaz. Acteur majeur dans le secteur des hydrocarbures, le Moyen-Orient y joue un rôle marginal tandis que l’Amérique latine, l’Afrique (partiellement), l’Australie s’imposent comme des points d’appui. Cette géographie évolue au gré des prises de participation opérées par les acteurs publics et privés à travers le monde. Elle diffère selon qu’on considère la production du minerai ou celle du métal raffiné, même si un nombre croissant de pays exigent la constitution d’une base industrielle sur leur territoire pour ne pas être réduits au rôle de simple pourvoyeur de matières premières (cas de l’Indonésie avec le nickel en 2016). Enfin, elle contraste souvent avec le nombre réduit d’acteurs industriels qui se partagent le marché minier dans le monde.

Terres rares : une production concentrée, des ressources éparses

S’agissant des terres rares, la suprématie de la Chine n’est que marginalement contestée. L’Australie, deuxième producteur mondial, fait état d’une production encore modeste (12 000 tonnes produites en 2015, 14 000 en 201640) même si le pays détiendrait les cinquièmes plus grandes réserves connues et a débuté l’exploitation tardivement (2007). Il a affiché son ambition de jouer un rôle clé dans le marché des terres rares, notamment au profit du Japon41. La principale entreprise de terres rares fut convoitée par une entreprise d’État chinoise au début des années 2000 mais les autorités australiennes opposèrent leur véto42. Les autres pays asiatiques producteurs (Thaïlande, Vietnam, Malaisie, Inde) jouent un rôle

___________________________________________________ 39. The Rare Earth Sector Will Turn into a High-End Industry during the Period of the “The-13th Five Year Plan”. 40. Données disponibles auprès de l’USGS (United States Geological Survey) et consultables sur : https ://www.usgs.gov. 41. R. Pannett, « Australia Commits Rare-Earth Supply to Japan », Wall Street Journal, 23 novembre 2010. 42. K. Bradsher, « China Still Bans Rare Earth to Japan », New York Times, 10 novembre 2010.

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secondaire mais sont courtisés par les entreprises japonaises telles que Toyota Tsusho Exploration (en témoigne le projet Dong Pao au Vietnam ou encore la coopération nouée avec Indian Rare Earths Limited (IREL) pour un projet en eaux profondes).

La recherche d’alliances pour atténuer la dépendance à l’égard de la Chine a également conduit Sumitomo à contracter en 2012 avec Kazatomprom, une entreprise kazakhe du nucléaire pour une usine de raffinage de terres rares. Le Kazakhstan signa également un accord avec l’Allemagne en 2012 pour l’exploration de gisements de terres rares43. En Russie, la production demeure modeste (3 000 tonnes en 2016 mais 18 millions de tonnes de réserves selon l’USGS). Un fonds de soutien de 350 millions USD y a été institué en 2017 pour financer l’exploitation de terres rares et constituer des réserves stratégiques même si les obstacles (conditions climatiques dans le nord, difficile accès à la technologie étrangère, cours mondiaux bas) ne manquent pas44.

Si la Chine détient un quasi-monopole en matière de terres rares, ses entreprises investissent néanmoins à l’étranger, notamment à Madagascar (Shenghe Resources), au Congo ou encore au Mali (acquisition en 2017 d’un gisement dans le sud du pays par Shandong Mingrui Group)45. À terme, cette géographie des sites de production de terres rares est susceptible d’évoluer tant les conditions économiques et environnementales de leur exploitation, plus que leur présence effective dans le sous-sol, expliquent la suprématie actuelle de la Chine.

___________________________________________________ 43. M. Eddyfeb, « Germany and Kazakhstan Sign Rare Earths Agreement », New-York Times, 8 février 2012. 44. « Russian Government Plans to Boost Rare Earths Output », Industrial minerals, 2 juin 2017, disponible sur : www.indmin.com. 45. H. Sanderson, « Rise of Electric Cars Accelerates Race for Lithium Assets », Financial Times, 3 janvier 2017.

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Graphiques 3 et 4 – Consommation et production de terres rares dans le monde en 2016

Source : Simmons (2016).

Métaux pour le stockage d’énergie : une géographie concentrée qui évolue

À l’instar des terres rares produites principalement par la Chine, le cobalt, nécessaire au stockage de l’énergie, est fourni par un nombre limité de pays. Le Congo joue ici un rôle clé : le cobalt y est un sous-produit des gisements de cuivre dont le pays assure 65 % de la production mondiale. En 2016, l’investissement privé le plus élevé dans l’histoire du pays a permis au chinois Molybdenum d’acquérir 56 % de la mine de Tenke, riche en cobalt et en cuivre. Le Congo tient une place d’autant plus importante pour la politique de stockage de la Chine que si celle-ci parvient à satisfaire à hauteur de 17 % ses besoins en lithium, 93 % du cobalt qu’elle consomme provient du Congo. Les ambitions technologiques du pays dans la voiture électrique et plus largement dans le stockage d’énergie laissent entrevoir d’autres initiatives similaires même si aucun pays ne rivalise à ce jour avec le Congo (l’Australie, le Canada, la Russie produisaient en 2016 moins de 10 % de la production congolaise46).

La technologie NMC (nickel, manganèse, cobalt) s’imposant de plus en plus parmi les batteries lithium-ion, la demande en nickel croît et les acteurs industriels jusque-là focalisés sur la demande en acier inoxydable investissent désormais dans le marché de la batterie. Les acteurs miniers australiens voient ainsi dans la transition énergétique un relais de croissance après le cycle initié par la demande des pays émergents en métaux de base47. Si les Philippines assurent 20 % de la production

___________________________________________________ 46. Données disponibles auprès de l’USGS (United States Geological Survey) et consultables sur : www.usgs.gov 47. J. Smyth, « BHP Positions Itself at Centre of Electric-Car Battery Market », Financial Times, 9 août 2017.

Consommation en 2016 (155 000 tonnes)

2%#

9%#

89%#

Production en 2016 (175 000 tonnes)

Autres##

Australie#

Chine#

Europe

États-Unis

Japon

Chine

Autres

Australie

Chine

4 %

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mondiale, le Canada, l’Australie, la Russie, la France (à travers la Nouvelle-Calédonie) en assurent chacun environ 10 %. La Russie qui dispose avec Norilsk Nickel du deuxième producteur mondial de nickel pourrait jouer un rôle dans le scénario de la constitution d’une base industrielle en Europe dans le secteur de la batterie. Un accord fut signé en ce sens avec BASF en 2017.

Autre ressource nécessaire aux infrastructures de stockage, le lithium provient principalement d’Australie et d’Amérique latine (en 2016, l’Australie produisit 14 300 tonnes, le Chili 12 000 tonnes, l’Argentine 5 700 tonnes48). En Amérique latine, les lacs salés (salars) d’Argentine, de Bolivie et du Chili abriteraient la moitié des réserves mondiales connues. Dans la région, la géographie explique en partie les différences entre les pays en termes de production (le climat défavorise notamment la Bolivie) mais l’environnement économique et politique est le premier facteur49.

Le Chili peut compter sur un climat d’investissement favorable, sur son énergie bon marché (en raison notamment de l’essor du photovoltaïque) et sur son littoral qui permet des connexions maritimes aisées avec les ports d’Asie. Depuis 2016, les investisseurs asiatiques tentent de bénéficier du changement du cadre réglementaire chilien pour s’approvisionner en lithium. Jusqu’à cette date, le pays concédait en effet l’exploitation des gisements à deux entreprises, le chilien SQM50 et l’américain Albemarle. En 2016, un consortium d’investisseurs asiatiques a obtenu l’agrément pour l’exploitation d’un gisement à compter de 2018. Arguant qu’il consomme à lui seul 20 % du lithium produit dans le monde, le constructeur automobile chinois BYD s’emploie à y sécuriser ses approvisionnements51. Autre acteur industriel chinois, Tianqi a engagé pour sa part une montée au capital de SQM52. Face à la forte demande mondiale, Albemarle est parvenue de son côté à relever en 2017 son quota de production en échange d’un approvisionnement à des conditions privilégiées des entreprises manufacturières chiliennes (cathodes pour batteries notamment).

Acteur secondaire, l’Argentine comble son retard depuis l’alternance politique de 2015. L’offre argentine devrait être multipliée par cinq d’ici à 2020. Le gisement d’Olaroz géré par un consortium argentino-nippo-

___________________________________________________ 48. Données disponibles auprès de l’USGS (United States Geological Survey). Disponible sur : www.usgs.gov. 49. « The White Gold Rush A Battle for Supremacy in the Lithium Triangle », The Economist, 15 juin 2017. 50. Sociedad Quimica y Minera de Chile. 51. H. Sanderson, « Electric Car Demand Sparks Lithium Supply Fears », Financial Times, 6 avril 2017. 52. H. Sanderson, « China’s Tianqi Circles Chilean Lithium Producer SQM », Financial Times, 28 septembre 2016. Times, 8 septembre, 2016.

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australien a produit l’équivalent de 6 % of de la production mondiale en 2016. Détenu par le canadien Lithium Americas, le chilien SQM, le gisement d’Olaroz a également été partagé en 2017 avec Ganfeng Lithium (un des principaux fabricants de batteries chinois) qui a acquis 19,9 % des parts de Lithium Americas53.

En Bolivie, les initiatives prises par le président Evo Morales pour retirer le pays de plusieurs traités internationaux d’investissement et nationaliser une partie du secteur énergétique afin de conserver l’exploitation du lithium sous l’autorité de l’État ont détourné les investisseurs des gisements prometteurs. Le Japon est toutefois parvenu à négocier l’accès à certains gisements54. Des partenariats sont escomptés avec le secteur privé pour développer l’industrie de la batterie mais le pays ne valorise pas encore pleinement des réserves probablement conséquentes (le lac salé d’Uyuni, dans les environs de Potosí, est le plus grand au monde).

Au final, les terres rares ne sont pas les seuls métaux de la transition énergétique à renvoyer à une cartographie resserrée autour d’un nombre limité de pays. Le constat s’impose également dans le cas des autres métaux et est symptomatique d’un secteur minier dont 25 % de la production reposent sur six pays seulement55 (EUMICON, 2015). Une montée en puissance durable des énergies renouvelables ne serait au final pas sans conséquence sur la géographie mondiale de l’énergie. La demande en métaux induite par la transition confère en effet un rôle important à l’Australie, à l’Amérique latine (Chili, Brésil, Pérou, voire à terme Argentine et Bolivie) à l’Afrique (Congo, Afrique du Sud, Zambie) sans oublier en Asie l’Indonésie, les Philippines et la Chine, riche à la fois en métaux de base et en terres rares. Les régions gagnantes de l’ère des hydrocarbures (Moyen-Orient, Afrique du Nord, Asie centrale et dans une moindre mesure Russie) apparaissent ici marginalisées.

Plusieurs pays producteurs de métaux critiques ont d’ores et déjà atteint un niveau de développement et de diversification de leur économie peu comparable avec ceux de la majorité des pays producteurs d’hydrocarbures. Néanmoins, plus de 50 % des réserves de métaux se situent dans des pays dont le revenu par habitant ne dépasse pas 10 USD/jour (Ali, 2017). La question du modèle de développement des pays producteurs se pose donc également pour une grande partie des pays

___________________________________________________ 53. « Lithium Americas Announces US$174 Million Strategic Investment by Ganfeng Lithium », 17 janvier 2017, disponible sur : www.marketwired.com. 54. N. Chambers, « Japan Securing Battery Raw Materials with Economic Aid to Bolivia », gas2.org, 5 avril 2010, disponible sur : http ://gas2.org. 55. Chine, Brésil, Pérou, Afrique du Sud, Zambie, Congo.

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susceptibles de bénéficier des retombées de la transition énergétique. Elle se pose en particulier pour les pays qui confient l’exploitation d’une part significative de leurs ressources à un nombre réduit d’investisseurs, liant ainsi en partie leur avenir économique à la croissance des entreprises et des pays à l’initiative des investissements. La question se pose notamment dans le cas des investissements chinois en Afrique56. L’impact ambigu sur la gouvernance et sur la cohésion sociale de l’exploitation des matières premières dans les pays richement dotés est également réactualisé. Les pratiques en vigueur dans les pays disposant d’une forte industrie extractive varient en effet sensiblement d’un pays à l’autre (Hilpert, Mildner, 2013). Captation des richesses par des clans, fortes inégalités, exercice autoritaire du pouvoir : autant d’effets pervers de l’exploitation des matières premières auxquels les énergies renouvelables seront de plus en plus confrontées à travers leur dépendance à l’égard des métaux critiques57.

De même, les conséquences d’une exploitation accrue des richesses du sous-sol sur l’environnement et les conditions de travail des populations au nom de la transition énergétique sont à considérer. Cette question a jusqu’à ce jour peu affecté les circuits d’approvisionnement. Dans le cas des métaux dits critiques, la donne pourrait évoluer.

Risques environnementaux et sociaux L’exploitation des terres rares comme des autres métaux nécessaires à la transition énergétique s’opère dans des conditions environnementales et sociales de plus en plus souvent dénoncées. En Amérique latine, le bilan carbone de l’exploitation du lithium est avantageux du fait de l’énergie solaire largement répandue (notamment au Chili) mais l’activité requiert de fortes quantités d’eau dans des régions qui en sont déjà peu pourvues. En outre, une demande croissante de lithium imposera l’ouverture de mines dans des gisements minéraux (comme en Australie) pour lesquels la quantité d’énergie nécessaire est supérieure à celle déployée dans le cas de salars d’Amérique latine. Sans oublier que l’obtention du métal nécessite plusieurs étapes dont certaines s’effectuent en Chine, pays dans lequel le charbon demeure une source d’énergie importante.

L’argument écologique peut-il à terme affecter les stratégies d’approvisionnement ? Il peine certes à s’imposer dans les débats relatifs

___________________________________________________ 56. Les risques en la matière seraient évoqués dans un rapport sur la présence chinoise en Guinée rédigés par Christian de Boissieu et Patrice Geoffron dans : A. Izambard, « Ce rapport au vitriol sur la présence chinoise en Afrique », Challenges, 12 avril 2017, disponible sur : www.challenges.fr. 57. Lire à ce sujet les rapports réguliers de Extractive Industries Transparency Initiative, disponible sur : https ://eiti.org.

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aux conditions d’exploitation des métaux nécessaires au secteur de l’informatique. Néanmoins, certains pays durcissent leurs réglementations environnementales, à commencer par la Chine qui s’est attaquée aux mines clandestines. En 2016, les Philippines suspendirent l’activité de plusieurs mines de nickel pour des raisons environnementales, décision qui provoqua un renchérissement des cours mondiaux du métal58.

Dans les pays développés, les énergies renouvelables devraient, en raison des vertus mêmes qui leur sont prêtées, voir leur bilan environnemental davantage questionné jusqu’à affecter les stratégies des acteurs industriels. Ces derniers ont déjà dû infléchir leur approche dans le cas des conditions sociales de l’exploitation des métaux. Plusieurs acteurs du secteur informatique ont ainsi revu leur chaîne d’approvisionnement en cobalt après la révélation que des enfants étaient sollicités dans certaines mines du Congo59.

Dans ce contexte, l’UE dispose de différentes options. Elles vont de l’exploration de nouvelles zones minières à la constitution de filières de recyclage en passant par l’emploi de matériaux de substitution.

___________________________________________________ 58. A. Cang, « Top Chinese Nickel Producer Says Bull Market Just Beginning », 17 août 2016, disponible sur : www.bloomberg.com. 59. T. C. Frankel, « Apple Cracks down Further on Cobalt Supplier in Congo as Child Labor Persists », Washington Post, 3 mars 2017.

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Stratégies européennes d’adaptation

Vers de nouvelles mines en Europe ? Dans l’UE, les sites les plus prometteurs pour les terres rares se situent dans le nord du continent (historiquement, plusieurs terres rares ont été « découvertes » en Suède). Le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) perçoit le sous-sol européen « comme un stock potentiel, en prenant en compte l’Europe continentale (y compris l’ensemble du bouclier scandinave qui comprend la péninsule de Kola en Russie) mais également le Groenland60 ». Le gisement de Kvanefjield (Groenland) est en effet particulièrement prometteur et sa mise en valeur devrait fournir à la fois du zinc, du lithium, de l ’uranium et des terres rares. Par ses réserves supposées en praseodymium, néodyme, dysprosium, terbium, le site pourrait devenir le principal pôle d’extraction de terres rares lourdes hors de Chine. Comme dans le cas d’autres gisements prometteurs dans le monde, un partenaire chinois s’est joint au consortium conduit par Greenland Minerals and Energy (Shenghe Resources à hauteur de 12,5 %61).

Rouvrir des mines en Europe se justifierait-il ? Les principales mines actuellement exploitées sont aux marges de l ’Europe (péninsule ibérique, Scandinavie, Balkans, est de l’Europe). Loin d’être imposée par la seule géologie, cette disposition des ressources minières en périphérie des États ou des groupes d’États se retrouve dans plusieurs régions du monde62. Pourquoi ne pas explorer de nouveaux territoires, appliquer aux métaux la logique des circuits courts et réduire ainsi la dépendance à l’égard d’approvisionnements assurés sur d’autres continents dans des conditions sociales et environnementales déplorables ?

L’acceptation sociale, les risques environnementaux ou les questions de rentabilité constituent ici autant de verrous. Ainsi, l’exploitation d’un des gisements les plus prometteurs de dysprosium en

___________________________________________________ 60. Disponible sur : www.actu-environnement.com. 61. « Greenland Minerals Teams up with Shenghe on Kvanefjeld Development», Mining Weekly, 23 septembre 2016, disponible sur : www.miningweekly.com. 62. M. Jébrak, Quels métaux pour demain ? Les enjeux des ressources minérales, coll. « UniverSciences », Paris, Dunod,2015.

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Europe localisé en Suède (Norra Kärr) fut autorisée puis interdite par les autorités nationales (Tasman Metals, 2016). Plusieurs pays ont peu à peu réduit leurs activités de prospection et d ’exploitation minière (la fin de l’Inventaire minier national français date de 1992) et les filières de formation se sont en partie détournées de la problématique minière. La capacité européenne de raffinage est réduite, y compris pour les métaux de base comme le cuivre, seul un des vingt plus grands raffineurs mondiaux étant localisé en Europe (COMES, 2017). Au final si la part de l’Europe dans l’activité minière était de 50 % en 1850, elle était de moins de 5 % en 2009. La part des États-Unis dans l’activité minière mondiale a également franchi à la baisse le seuil des 10 % dans les années 2000.

Il n’est pas acquis que l’ouverture de nouvelles mines soit une réponse suffisante à la croissance de la demande en matériaux critiques. La Chine dispose non seulement de ressources abondantes mais également de la chaîne de valeur nécessaire au raffinage, notamment des terres rares. En outre, la rentabilité n’est guère assurée pour des matériaux critiques disponibles en faibles quantités et dont les cours peuvent varier brutalement au gré des évolutions technologiques et de la demande chinoise63. Les projets au Groenland, en Russie, en Inde connaissaient ainsi en 2017 des retards imputables à un maintien des cours à un niveau relativement bas64. Pour certains métaux (comme le lithium), le financement est incertain dans la mesure où ils ne peuvent faire l’objet de stratégies de couverture à l’instar d’autres matières premières (le cuivre par exemple). Dans cet environnement, la Chine conserve la capacité d’influer sur les cours mondiaux, de les maintenir si nécessaire à un niveau bas pour dissuader toute ambition concurrente et à un niveau assez élevé pour avantager les industriels implantés sur son territoire.

Fermer et rouvrir des mines au gré de l’évolution des cours comme le font certains producteurs américains de pétrole non conventionnels ne serait guère réaliste dans le cas des métaux critiques. La mise en valeur des gisements exige du temps, qu’il s’agisse des terres rares (Golev et al., 2014), du lithium (sept années se sont écoulées entre l’exploration et l’exploitation commerciale du gisement argentin d’Olaroz) ou des métaux de base. Ali et al. (2017) mettent ainsi en évidence l’allongement des délais pour l’exploitation des mines de

___________________________________________________ 63. B. Fitzgerald, « Rare Earths Market Stirs at Last », The Australian, 7 novembre.2016, disponible sur : www.theaustralian.com.au. 64. F. Els, « US Remains almost Entirely Dependent on China Rare Earths », Mining.com, 4 octobre 2016, disponible sur : www.mining.com.

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cuivre qui se situent désormais entre 13 et 23 années et concluent que l’industrie n’est pas en capacité de répondre à brève échéance à une hausse soudaine de la demande. Dans ce contexte, la montée en puissance de filières de recyclage ou la recherche de technologies de substitution constituent des alternatives.

Stratégies de substitution La volatilité des cours a conduit les industriels à rechercher des solutions de substitution ou du moins à réduire la quantité de matériaux critiques dans leurs installations. Les aimants permanents installés dans les éoliennes et les moteurs des véhicules électriques et qui nécessitent des terres rares ne sont ainsi pas la seule technologie disponible. Le moteur à induction ne recourt pas à ces matériaux et équipe les véhicules de la marque Tesla65. Renault a opte pour un moteur électrique dépourvu de terres rares. Nissan continue d’utiliser des terres rares mais est parvenu a diminuer de 40 % la quantité de dysprosium utilisé. Toshiba a mis au point des aimants samarium-cobalt dépourvu de terres rares (Hatakeyama, 2015, p. 51).

Dans l’éolien, Siemens s’est fixe pour objectif d’éliminer ses besoins en terres rares lourdes pour renforcer l’acceptabilité économique, sociétale et environnementale de ses produits. Certaines éoliennes terrestres sont dépourvues d’aimants permanents (cas de Nordex, d’ENERCON) et pour l’éolien marin, certains industriels comme Vestas ont réduit les quantités nécessaires de néodyme et de dysprosium (Bloomberg, 2010).

S’agissant de l’industrie du panneau solaire, différentes pistes ont été explorées pour limiter le recours au tellurium et à l’indium. Elles vont de l’augmentation du voltage supporté par les cellules des panneaux CdTe à base de cadmium et de telluride (Burst et al., 2016), à l’utilisation de polymères organiques66 ou encore de pérovskite (Ergen et al., 2017).

Pour le stockage d’énergie, la technologie lithium-ion s’impose peu à peu. D’autres solutions apparaissent, que ce soit pour le stockage stationnaire (batteries à flux avec ou sans vanadium) ou pour le stockage mobile (piles à combustible, aluminium-air, sodium-soufre,

___________________________________________________ 65. Il fut inventé par Nikola Tesla au XIXe siècle. 66. Les polymères organiques sont des plastiques issus de ressources renouvelables (plantes, algues ou animaux). Leur coefficient d’absorption de la lumiere étant tres important, les composants organiques peuvent être étalés en couches de faible épaisseur sur des supports flexibles. Deux défis principaux restent à relever : augmenter le rendement des cellules et allonger leur durée de vie.

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batteries a base de plastique et de céramique dépourvues de terres rares67). Néanmoins, le coût ou les limites techniques de ces technologies en limitent pour l’heure les chances d’une commercialisation à grande échelle. La concurrence prévaut principalement entre les différentes variantes de la technologie lithium-ion (NMC, NCA, LFP, LCO, LMO, LTO68). Quelle que soit la technologie qui pourrait in fine prévaloir, l’impact sur la demande de lithium et de cobalt ne serait pas significatif. Dans les équipements portables, la technologie LCO prévaut mais la variante NMC moins riche en cobalt progresse. Les batteries de voitures électriques et hybrides recourent principalement aux technologies NMC, NCA, LMO sauf en Chine où la technologie LFP69, moins efficace mais plus sure que la technologie NMC/NCA, est privilégiée (notamment par BYD) (Mathieu, 2017). Néanmoins, l’intérêt croissant que manifestent les entreprises d ’État pour les gisements de cobalt, notamment au Congo, laisse à penser que la technologie NMC pourrait finir par s’imposer.

Perspectives et limites du recyclage Le recyclage des métaux critiques constitue une autre option permettant à la fois de limiter la dépendance à l’égard des fournisseurs étrangers et de limiter les dégâts causés à l’environnement par l’exploitation minière. Pour l’heure, les quantités concernées sont néanmoins limitées. Recycler les produits en fin de vie est rendu difficile sur le plan économique tant les quantités sont faibles ou intimement mélangées a d’autres matériaux dans les produits finaux. En outre, s ’agissant des infrastructures des énergies renouvelables, les matériaux sont immobilisés pour au moins 10 ou 20 ans dans des proportions nettement moindres que celles qui seront requises à ce moment… si de nouveaux matériaux n’ont pas été introduits entre-temps. L’organisation des circuits de recyclage en grandes filières avec pour chacune des procédés industriels et des acteurs économiques différents constitue un autre obstacle. Les métaux critiques sont en effet pour la plupart des coproduits de métaux de base (gallium et aluminium par exemple) et s’inscrivent difficilement dans un système métallurgique segmenté. Dans ce contexte, les métaux disponibles en faible quantité et aux propriétés chimiques spécifiques sont peu valorisés, surtout

___________________________________________________ 67. Entretien avec Wolfgang Tiefensee, ministre de l’Économie de Thuringe, Les Échos, 13 mars 2017. 68. Respectivement Lithium Nickel Manganese Cobalt, Lithium Nickel cobalt Aluminum Oxide, Lithium Iron Phosphate, Lithium cobalt Oxide, Lithium Manganese Oxide, Lithium Titanate Oxide. 69. Lithium-fer-phosphate

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lorsqu’ils sont utilisés dans des alliages avec d’autres métaux plus abondants (cas du béryllium et du cuivre).

Les faibles quantités disponibles, les ruptures technologiques fréquentes, la volatilité des cours ne garantissent pas aux unités de recyclage des conditions de rentabilité satisfaisantes. Ainsi, en Europe, Solvay/Rhodia débuta en 2011 des activités de recyclage de certaines terres rares (à La Rochelle) mais dut fermer en 2016, une fois les cours retombés à des niveaux antérieurs à la crise de 2010. En 2017, un seul site de production de terres rares demeurait en Europe (NPM Silmet AS en Estonie). En Belgique, Umicore s’est engagée dans le recyclage de batteries lithium-ion mais n’attend une forte hausse des volumes qu’autour de 202570.

Pour 60 métaux étudiés, le United Nations Environment Programme (UNEP) qualifiait en 2014 le taux de recyclage de « désespérément bas ». À peine un tiers des métaux examinés étaient à plus de 50 % recyclés en fin de vie et 34 avaient un taux de recyclage de moins de 1 %71 (UNEP, 2014). Les métaux les plus recyclés sont les métaux de base pour lesquels les flux de déchets sont importants (cuivre, zinc, aluminium, fer) et les métaux précieux comme l ’or dont les cours élevés assurent un recyclage rentable.

À terme, les quantités de déchets recyclables disponibles devraient toutefois croître fortement. Selon l’Université des Nations unies (UNU), la quantité de DEEE (Déchets d’équipements électriques et électroniques) pourrait atteindre 50 millions de tonnes dès 2018. En 2050, 60 à 78 millions de tonnes de déchets de panneaux photovoltaïques devraient être disponibles72. Si la diversité des matériaux qui composent un panneau photovoltaïque complique son recyclage, un marché de plus de 15 milliards USD pourrait émerger d’ici à 205073.

Les unités de stockage devraient abonder également mais de nouvelles techniques seront requises pour atteindre le taux élevé de batteries au plomb recyclées. Pour le lithium et le cobalt, une part très réduite de la ressource utilisée provient à ce jour du recyclage mais avec une durée de 7-8 ans, l’activité de la batterie recyclée devrait monter en

___________________________________________________ 70. H. Sanderson, « Electric Car Growth Sparks Environmental Concerns », Financial Times, 7 juillet 2017. 71. Parmi les dix métaux les mieux recyclés figurent le plomb, l’or, l’argent, l’aluminium, l’étain, le cuivre, le chrome, le nickel, le niobium, le manganèse. 72. Disponible sur : www.irena.org 73. International Renewable Energy Agency (IRENA), International Energy Agency’s Photovoltaic Power Systems Programme (IEA-PVPS), « End-of-Life Management : Solar Photovoltaic Panels », juin 2016, disponible sur : www.irena.org.

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puissance vers 2021. Le recyclage des aimants permanents pourrait contribuer en 2020 a hauteur de 8 a 16 % dans l’approvisionnement en Terres rares (BRGM, 2015). De fait, des activités de recyclage se sont développées, notamment au Japon : Santoku, Hitachi, ShinEtsu, Showa denko, Mitsubishi Materials recyclent le néodyme et le dysprosium des aimants permanents. En outre, la quantité de néodyme et de dysprosium à récupérer dans les véhicules électriques et les éoliennes est nettement plus importante que dans les appareils électroniques (Hoenderdaal, 2013). Pour les métaux de base, le recyclage devra également monter en puissance compte tenu des déséquilibres qui s’annoncent entre l’offre et la demande. Le niveau des cours sera ici un levier important. Dans un contexte de renchérissement de la matière première, la production de cuivre raffiné à partir de déchets a progressé de 11 % durant l’année 201674.

Dans la mesure où elle traite déjà davantage de métaux qu ’elle n’en extrait, l’UE gagnerait à structurer rapidement des filières de recyclage. Les données sur la production secondaire manquent néanmoins et le recyclage des déchets informatiques demeure peu répandu (Commission européenne, 2016) malgré les directives européennes75. L’UE fut une des premières puissances à légiférer sur la gestion des déchets électriques et électroniques. La directive européenne DEEE stipule notamment que tout importateur ou fabriquant de panneaux à énergie solaire établi sur le territoire européen se trouve dans l’obligation de les collecter et de les traiter lorsqu’ils arrivent en fin de vie, notamment à travers un éco-organisme. Le commerce transfrontalier des déchets tend à progresser, indiquant que la valeur du déchet est de mieux en mieux reconnue. Une grande part des déchets continue néanmoins à échapper a la filière agréée (57 % en France) et le taux de réemploi est marginal.

La stratégie commerciale européenne Si la dépendance de l’UE à l’égard des ressources chinoises est significative, la vulnérabilité des industriels européens de la transition énergétique demeure limitée du seul fait de leur nombre réduit. Le constat vaut principalement dans le secteur photovoltaïque pour lesquels les principaux acteurs sont américains, japonais ou chinois. En outre, dans ce secteur, la dépendance à l’égard du tellurium, de l’indium et du gallium est limitée du fait des cours bas de ces matériaux et des alternatives disponibles. La vulnérabilité de l’industrie éolienne est plus

___________________________________________________ 74. Données disponibles auprès de l’International Copper Study Group. Disponible sur : www.icsg.org. 75. Directives relatives à la conception (2002/95/CE) et à la fin de vie des produits électriques (2002/96/CE), modifiée par la Directive 2012/19/UE.

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affirmée en raison des capacités de production implantées en Europe et de la dépendance à l’égard du néodyme et du dysprosium. Dans le cas des batteries pour véhicules hybrides et électriques, les éléments de base (cellules) sont pour la plupart fournis par l’Asie (Japon, Corée du Sud, Chine) et assemblés en Europe. Néanmoins, compte tenu du rôle crucial de la batterie dans un véhicule électrique (elle représente la moitié de son coût) et des risques pour l’emploi d’une remise en cause du moteur thermique, la constitution d’une base industrielle devient une priorité pour certains États, notamment pour l’Allemagne. Les coûts salariaux et les échelles limitées de production questionnent la rentabilité de ces investissements76.

Dans ce contexte, les restrictions aux exportations de métaux actuellement en vigueur dans de nombreux autres pays que la Chine (EUMICON, 2015) constituent un des thèmes prioritaires de la stratégie européenne. Énoncée en 2008 et révisée en février 2011, la Raw Materials Initiative comprend plusieurs volets consacrés notamment au recyclage et à la recherche de matériaux de substitution. S’agissant des enjeux commerciaux, l’UE inclut systématiquement un chapitre consacré à l’énergie et aux matières premières dans ses accords commerciaux, avec pour finalité de limiter au maximum les restrictions aux exportations. Vis-à-vis de la Chine, l’UE déposa plainte à deux reprises avec succès, en 2012 pour neuf métaux77 puis en 2014 au sujet des terres rares, du tungstène et du molybdène. Si la Chine annonça une refonte de ses instruments de contrôle de la production et de l’exportation en 2015, l’UE déposa en juillet 2016 une nouvelle plainte, cette fois-ci au sujet de 11 métaux critiques78. L’UE reproche notamment à la Chine d’imposer des taxes à l’export sur certains métaux ou de s’être assurée un approvisionnement à long terme auprès de pays tiers, notamment pour le cobalt, au bénéfice de son industrie du raffinage79.

L’UE poursuit par ailleurs un dialogue avec les autres pays préoccupés par la disponibilité en métaux critiques, en particulier avec le Japon et les États-Unis qui ont chacun pris des initiatives pour atténuer le risque d’une pénurie de métaux critiques. La capacité de la Chine à contrôler les chaînes d’approvisionnement en matières

___________________________________________________ 76. C. Boutelet, « Les constructeurs automobiles allemands accelerent sur le vehicule electrique », Le Monde, 28-29 mai 2017. 77. Les métaux concernés étaient la bauxite, le coke, le fluorspar, le magnésium, le manganèse, le silicon carbide, le silicon métal, le yellow phosphorus et le zinc. 78. Les métaux concernés étaient l’antimoine, le chrome, le cobalt, le cuivre, le graphite, l’indium, le plomb, le magnésium, le talc, le tantale et l’étain. 79. European Commission, Communiqué de presse, « EU Takes Legal Action against Export Restrictions on Chinese Raw Materials », Bruxelles, 16 juillet 2017, disponible sur : http ://europa.eu.

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premières des industries liées à la transition énergétique est de nature à lui conférer un avantage technologique, lui-même conforté par les prix bas pratiqués pour conquérir les marchés étrangers. Sur ce point précis, l’attitude à observer face aux soupçons de dumping de la part des producteurs chinois de panneaux solaires demeure hésitante, que ce soit aux États-Unis80, en Inde81 ou en Europe où l’UE a acté en 2017 une fin progressive des mesures anti-dumping82.

___________________________________________________ 80. Ed Crooks, « ITC Says Foreign Competition Damaging US Solar Panel Industry », Financial Times, 22 septembre 2017. 81. T. Kenning, « India’s Solar Anti-Dumping Saga: The Industry Anticipates », PVTECH, 27 septembre 2017, disponible sur : www.pv-tech.org. 82. Agence Reuters, « China Welcomes EU Decision on Solar Panel Import Prices », 18 septembre 2017, disponible sur : www.reuters.com.

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Conclusion

Le débat autour des métaux critiques nécessaires à la transition énergétique ne saurait faire l’économie d’une réflexion méthodologique tant l’expression recouvre une réalité diverse. Les terres rares ne le sont pas, les métaux dits critiques semblent abonder et les métaux de base, pourtant jugés peu problématiques, suscitent des analyses divergentes quant à leur disponibilité à terme. Sur le plan géologique, la thèse d’un « peak metal » s’oppose à une analyse dynamique reliant les évolutions de l’offre, non pas à la disponibilité de la ressource, mais aux cycles économiques qui dictent les cours et qui eux-mêmes suscitent ou limitent l’offre. En somme, le risque serait moins géologique qu’économique et politique, et une forte volatilité des cours en serait la principale traduction. La confrontation entre les besoins attendus à terme et les niveaux de production actuels annoncent néanmoins des tensions, surtout dans l’hypothèse où les options alternatives (recyclage, matériaux de substitution) tarderaient à s’imposer.

Le parallèle entre hydrocarbures et métaux critiques n’éclaire pour autant que partiellement les rapports de force noués autour de ces derniers. Dès lors que les réglementations environnementales, l’acceptation sociale, l’équilibre entre l’offre et la demande définissent davantage que la géologie la distribution spatiale de la production, les jeux d’acteurs ne peuvent plus être ceux de la géopolitique des hydrocarbures.

Dans cette géographie de la ressource nécessaire à la transition énergétique, les pôles et les flux ne sont plus ceux dessinés par l’économie du pétrole et du gaz. Le Moyen-Orient y joue un rôle marginal tandis que la Chine, l’Afrique centrale, l’Australie, l’Amérique latine en constituent les points d’appui. Les investissements sont opérés par des entreprises minières, nationales ou étrangères, mais aussi par les constructeurs de batteries, voire d’automobiles qui font ainsi écho à la stratégie d’Henri Ford qui se portait propriétaire de mines dans les années 1920.

De nouveaux flux commerciaux s’organisent pour lesquels l’UE assortit ses accords de dispositions décourageant les restrictions aux exportations. Si l’ouverture de mines nouvelles sur son territoire se heurte à un manque d’acceptation sociale et la contraint à externaliser son approvisionnement en métaux critiques, le sort réservé à l’environnement et aux populations locales dans les pays producteurs pourrait être

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davantage pris en compte par l’UE. Sur le plan industriel, les succès rencontrés dans sa politique commerciale, son rôle précurseur en matière de structuration de filières de recyclage ou les fonds mobilisés pour la recherche de solutions technologiques alternatives contrastent avec sa difficulté à imposer son industrie manufacturière sur les marchés mondiaux.

Par ses investissements dans les terres rares, la Chine a acquis un monopole de fait pour plusieurs métaux mais se distingue en étant parvenue à constituer des activités de raffinage et, plus largement, une chaîne de valeur complète allant de la mine à l’équipement. Du fait des ressources qu’elle détient, de sa législation environnementale peu contraignante, des savoir-faire qu’elle s’emploie à acquérir et plus globalement de son poids dans l’économie mondiale, elle influence en outre les cours des matières premières et par conséquent les stratégies minières et technologiques des autres acteurs. Le risque ici est que l’UE échoue à acquérir les technologies et le savoir-faire nécessaires à la transition énergétique, et que son choix d’avoir soutenu avec ambition la demande sur son marché ne bénéficie au final à l’offre chinoise.

Les convergences affichées entre l’Europe et la Chine en matière de lutte contre le changement climatique sont apparues plus clairement que jamais à la lumière de l’annonce du retrait des États-Unis de l’accord de Paris. Cette communauté d’intérêt avérée ne doit toutefois pas occulter une différence de perception. Si l’UE se préoccupe des conséquences du changement climatique pour la planète, la Chine, elle, s’emploie avant tout à détenir les technologies afférentes.

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Annexe 1 : Liste et origine des métaux critiques pour l’Union européenne (les métaux ajoutés en 2017 sont en gras)

MÉTAUX PRINCIPAUX

PRODUCTEURS (MOY. 2010-2014)

SOURCES (MOY. 2010-2014)

INDICE DE SUBSTITUTION TAUX DE RECYCLAGE

Antimoine Chine (87 %)

Viêt Nam (11 %) Chine (90 %)

Viêt Nam (4 %) 0,91/0,93 28 %

Baryte Chine (44 %) Inde (18 %)

Maroc (10 %)

Chine (34 %) Maroc (30 %)

Allemagne (8 %) 0,93/0,94 1 %

Béryllium États-Unis (90 %)

Chine (8 %) Sans objet 0,99/0,99 0 %

Bismuth Chine (82 %)

Mexique (11 %) Japon (7 %)

Chine (84 %) 0,96/0,94 1 %

Borate Turquie (38 %)

États-Unis (23 %) Argentine (12 %)

Turquie (98 %) 1,0/1,0 0 %

Cobalt

République démocratique du Congo (64 %)

Chine (5 %) Canada (5 %)

Finlande (66 %) Russie (31 %)

1,0/1,0 0 %

Charbon à coke

Chine (54 %) Australie (15 %) États-Unis (7 %)

Russie (7 %)

États-Unis (38 %) Australie (34 %)

Russie (9 %) 0,92/0,92 0 %

Spath fluor Chine (64 %)

Mexique (16 %) Mexique (27 %) Espagne (13 %)

0,98/0,97 1 %

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Mongolie (5 %) Chine (12 %) Afrique du Sud (11 %)

Gallium Chine (85 %)

Allemagne (7 %) Kazakhstan (5 %)

Chine (36 %) Allemagne (27 %) États-Unis (8 %)

0,95/0,96 0 %

Germanium

Chine (67 %) Finlande (11 %) Canada (9 %)

États-Unis (9 %)

Chine (43 %) Finlande (28 %)

Russie (12 %) États-Unis (12 %)

1,0/1,0 2 %

Hafnium

France (43 %) États-Unis (41 %)

Ukraine (8 %) Russie (8 %)

France (71 %) Canada (19 %) Chine (10 %)

0,93/0,97 1 %

Hélium États-Unis (73 %)

Qatar (12 %) Algérie (10 %)

États-Unis (51 %) Algérie (29 %)

Qatar (8 %) 0,94/0,96 1 %

Indium Chine (57 %)

Corée du Sud (15 %) Japon (10 %)

Chine (28 %) Belgique (19 %)

Kazakhstan (13 %) France (11 %)

0,94/0,97 0 %

Magnésium Chine (87 %)

États-Unis (5 %) Chine (94 %) 0,91/0,91 9 %

Graphite naturel Chine (69 %) Inde (12 %) Brésil (8 %)

Chine (63 %) Brésil (13 %)

Norvège (7 %) 0,95/0,97 3 %

Caoutchouc naturel

Thaïlande (32 %) Indonésie (26 %) Viêt Nam (8 %)

Inde (8 %)

Indonésie (32 %) Malaisie (20 %)

Thaïlande (17 %) Côte d’Ivoire (12 %)

0,92/0,92 1 %

Niobium Brésil (90 %)

Canada (10 %) Brésil (71 %)

Canada (13 %) 0,91/0,94 0,3 %

Phosphate naturel Chine (44 %) Maroc (13 %)

États-Unis (13 %)

Maroc (28 %) Russie (16 %) Syrie (11 %)

Algérie (10 %) UE – Finlande (12 %)

1,0/1,0 17 %

Phosphore

Chine (58 %) Viêt Nam (19 %)

Kazakhstan (13 %) États-Unis (11 %)

Kazakhstan (77 %) Chine (14 %)

Viêt Nam (8 %) 0,91/0,91 0 %

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Scandium Chine (66 %) Russie (26 %) Ukraine (7 %)

Russie (67 %) Kazakhstan (33 %)

0,91/0,95 0 %

Silicium métal

Chine (61 %) Brésil (9 %)

Norvège (7 %) États-Unis (6 %)

France (5 %)

Norvège (23 %) France (19 %) Brésil (12 %) Chine (12 %)

Espagne (9 %) Allemagne (5 %)

0,99/0,99 0 %

Tantale

Rwanda (31 %) République

démocratique du Congo (19 %) Brésil (14 %)

Nigeria (81 %) Rwanda (14 %)

Chine (5 %) 0,94/0,95 1 %

Tungstène Chine (84 %) Russie (4 %)

Russie (50 %) Portugal (17 %) Espagne (15 %) Autriche (8 %)

0,94/0,97 42 %

Vanadium Chine (53 %)

Afrique du Sud (25 %) Russie (20 %)

Russie (60 %) Chine (11 %)

Afrique du Sud (10 %)

Belgique (9 %) Royaume-Uni (3 %)

0,91/0,94 44 %

Platinoïdes

Afrique du Sud (83 %) - iridium, platine, rhodium,

ruthénium Russie (46 %)

- palladium

Suisse (34 %) Afrique du Sud (31 %)

États-Unis (21 %) Russie (8 %)

0,93/0,98 14 %

Terres rares lourdes Chine (95 %) Chine (40 %)

États-Unis (34 %) Russie (25 %)

0,96/0,89 8 %

Terres rares légères Chine (95 %) Chine (40 %)

États-Unis (34 %) Russie (25 %)

0,90/0,93 3 %

Source : Communication de la Commission européenne « relative a la liste 2017 des matieres premieres critiques pour l’UE », COM(2017) 490.

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Le « taux de dépendance à l’égard des importations » tient compte de l’approvisionnement mondial et des sources d’approvisionnement effectives de l’UE pour le calcul du risque de pénurie d’approvisionnement ; ce taux est calculé somme suit : Importations nettes de l’UE / (Importations nettes de l’UE + Production intérieure de l’UE).

« L’indice de substitution » est une mesure de la difficulté à substituer la matière première, évaluée et pondérée pour toutes les applications et calculée séparément pour les deux paramètres que sont l’importance économique (« EI ») et le risque de pénurie d’approvisionnement (« SR »). Les valeurs vont de 0 à 1, 1 correspondant à la substituabilité la plus faible.

L’importance économique est corrigée par l’indice de substitution (SIEI), lequel dépend des performances techniques et de l’efficacité des substituts par rapport à leur coût pour diverses applications de chaque matière. Le risque de pénurie d’approvisionnement est corrigé par l’indice de substitution (SISR), lequel dépend de la production mondiale, de la criticité et de la coproduction ou sous-production de substituts pour les diverses applications de chaque matière.

Le « taux de recyclage des matières en fin de vie » mesure le rapport entre le recyclage des vieux métaux et la demande de l’UE pour une matière première donnée, cette dernière correspondant à l’approvisionnement de l’UE en matières primaires et secondaires.

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Annexe 2 : Lithium (production and resources) and cobalt (production and reserves) in a selection of countries and their ranking, year 2016

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