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Centre national de coopération au développement (CNCD) La stratégie DSRP-PPTE en R. D. Congo Arnaud Zacharie Directeur du service de recherche et de programmes [email protected] Bruxelles - Juillet 2003

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Centre national de coopération au développement (CNCD)

La stratégie DSRP-PPTE en R. D. Congo

Arnaud ZacharieDirecteur du service de recherche et de programmes

[email protected]

Bruxelles - Juillet 2003

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Introduction

Si, lors de la conférence de Berlin qui se termine en février 1885, l’immense Congo devient une colonie placée sous la souveraineté du roi de la petite Belgique, Léopold II, c’est parce que ce dernier a su tirer les fruits de la rivalité entre les trois puissances de l’époque (la Grande-Bretagne, la France et les Etats-Unis), tout en se présentant comme un humaniste cherchant à enrayer la traite des Noirs opérée par les Arabes. A l’époque, le territoire congolais est présenté comme une colonie ouverte aux marchands de toute l’Europe. Sur fond de chicottes, de mains coupées ou de viols, la mission « civilisatrice » de Léopold II fera du Congo la colonie la plus lucrative d’Afrique, grâce à l’exploitation du cuivre, du caoutchouc, de l’ivoire ou de l’hévéa. Ce n’est qu’en 1908, sous la pression internationale, que le gouvernement belge destitue Léopold II de la colonie congolaise. L’exploitation des richesses naturelles ne diminuera pas pour autant. Elle traversera les deux guerres mondiales.

L’indépendance du Congo est proclamée le 30 juin 1960. Lors de la cérémonie officielle, le Premier ministre congolais fraîchement élu, Patrice Lumumba, réalise un discours imprévu et qui contraste radicalement avec la vision de l’ancien colon : « Nous avons connu que la loi n’était jamais la même selon qu’il s’agissait d’un Blanc ou d’un Noir : accommodante pour les uns, cruelle et inhumaine pour les autres. Nous avons connu les souffrances atroces des relégués pour opinions politiques ou croyances religieuses. Exilés dans notre propre patrie, notre sort était vraiment pire que la mort elle-même ». Très vite, le Colonel Mobutu, appuyé par les puissances occidentales, se retrouve à la tête de l’armée qui entre en guerre contre les « Lumumbistes ». Le 17 janvier 1961, Patrice Lumumba et deux de ses collaborateurs sont assassinés. Cinq ans et des dizaines de milliers de morts plus tard, la quête d’une indépendance « contrôlée » est parachevée par le second coup d’Etat de Mobutu. C’est le début d’une dictature de trente-deux années dans le Zaïre de Mobutu.

Les années 1970 sont celles de la « kleptocratie mobutiste », c’est-à-dire des emprunts bancaires massifs, des détournements de fonds, de la corruption et des « éléphants blancs », ces projets de développement pharaoniques allant de la ligne à haute tension Inga-Shaba à l’aciérie de Maluku. La crise de la dette extérieure des années 1980 débouche ensuite sur les années d’austérité, de la politique de la rigueur menée par le Premier ministre Kengo wa Dondo, en étroite collaboration avec le FMI et la Banque mondiale. Les coupes sombres dans le budget de l’Etat et dans les dépenses sociales poussent les populations à mener des stratégies de survie. Même Mobutu, inquiet de voir sa cassette personnelle tronquée, exprimera son désaccord.

La « démocratisation » du début des années 1990 ne sera que poudre aux yeux et l’immense espoir soulevé par l’organisation d’une Conférence nationale souveraine sera de courte durée. Il faudra attendre le mois de mai 1997 pour que l’Alliance des forces démocratiques pour la libération (AFDL) de Laurent-Désiré Kabila renverse le dictateur et fonde la République démocratique du Congo (RDC). Mais dès le 2 août 1998, un mouvement de rébellion de militaires banyamulenge (des Congolais tutsis de souche rwandaise) marque le début d’un conflit d’une extrême complexité, impliquant toute la région des Grands Lacs et faisant plus de 3 millions de morts en RDC.

L’assassinat le 16 janvier 2001 de Laurent-Désiré Kabila, remplacé par son fils Jospeh, marquera le début d’une nouvelle ère menant au dialogue inter-congolais, à un fragile processus de paix et à un gouvernement de transition. Simultanément, la reprise des relations avec la communauté financière internationale, la liquidation des arriérés de la dette extérieure contractée par Mobutu et la rédaction d’un document intérimaire de stratégies de réduction de la pauvreté (DSRP-I) a permis à la RDC d’entrer de plain-pied dans la stratégie DSRP-PPTE. C’est là le début d’un long processus censé sortir le pays de l’ornière dans laquelle il se trouve.

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I- Le DSRP intérimaire de la RDC

Le Document intérimaire de stratégies de réduction de la pauvreté (DSRP-I) de la République démocratique du Congo (RDC), publié à Kinshasa en mars 2002, compile une liste détaillée de réformes à mettre en place pour sortir le pays du marasme dans lequel il se trouve. Il a été traduit en quatre langues pour accroître son accessibilité auprès des populations congolaises.

Dans ce pays de 2 350 000 km², tout semble à reconstruire, y compris les statistiques et les indicateurs fiables permettant de mettre à jour l’ampleur de la pauvreté et les résultats des stratégies mises en œuvre. Par exemple, le DSRP-I estime qu’environ 80% des quelque 52 millions d’habitants vivent avec moins de 0,20 dollars par jour, tandis que la banque mondiale estime de son côté que 70% de la population vivent avec moins de 1 dollar par jour. L’enjeu est d’autant plus crucial que le pays est le seul en Afrique à partager ses frontières avec neuf pays voisins, ce qui en fait le cœur de l’Afrique, mais aussi le centre des convoitises des armées étrangères et des mouvements rebelles avides de contrôler une partie de l’incommensurable richesse des sols et sous-sols congolais. Entre 1998 et 2000, le DSRP-I souligne que 3 millions de personnes sont mortes des conséquences des conflits en RDC, dont 350 000 sont victimes de violences directes et 2 150 000 sont victimes de la malnutrition et de la maladie.

Le processus d’élaboration du DSRP-I a débuté en avril 1999 par l’organisation d’un séminaire organisé par le ministère du plan et du commerce et mettant en valeur l’approche de la dynamique communautaire. En octobre 2001, dans la foulée d’un accord de programme signé avec le FMI (juin 2001-mars 2002), le gouvernement a affirmé son désir de « transformer sa honte et le défi qu’elle renferme en opportunité pour éradiquer une bonne fois pour toutes le virus et la pandémie de la pauvreté dans notre pays ». Le DSRP-I est la première concrétisation de cette volonté affichée par le gouvernement de Kinshasa.

Des mécanismes de consultation ont été mis en place, mais de manière très artificielle et avec des résultats très modestes étant donnée la situation d’insécurité prévalant dans plusieurs régions du pays. Toutefois, le mécanisme a débouché sur la définition de trois secteurs prioritaires en matière de pauvreté : la santé, l’éducation et le cadre de vie (accès à l’eau potable, à l’électricité, à l’hygiène, à l’habitat, etc.).

Statistiques socio-économiques de la RDCcomparées à la moyenne de l’Afrique subsaharienne

RDC Afrique subsaharienne

Population (en millions d’habitants)PIB/habitant (en USD)Croissance de la population (en %)Taux de mortalité infantile (pour 1000)Taux de mortalité des enfants (pour 1000)Taux d’alphabétisation des hommes (en %)Taux d’alphabétisation des femmes (en %)Personnes souffrant de malnutrition (en %)Taux de scolarisation primaire (en %)Espérance de vie à la naissance (en années)Taux d’accès à l’eau potable (en %)

54111,32,712820749,74473

51,650

26,1

6594702,89116285713359

46,954

Source : DSRP-I (2002), FMI (2003) et PNUD (2000 et 2003).

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II- Les trois piliers du DSRP-I

Le DSRP-I s’articule en trois piliers censés permettre la réalisation d’un cycle de développement par étapes :

1) Paix et bonne gouvernance ; 2) Stabilisation macroéconomique et croissance pro-pauvre ; 3) Dynamique communautaire.

Pilier I : Paix et bonne gouvernance

Ce premier pilier comporte quatre axes : 1) Restaurer et consolider la paix intérieure (journées de réconciliation, signature

d’un Pacte national de réconciliation, réinsertion des enfants-soldats) ;2) Prendre en charge les victimes des conflits (désarmement, destruction des armes,

réinsertion des combattants démobilisés, réhabilitation des infrastructures) ;3) Garantir la stabilité aux frontières (dialogues intra-communautaires dans les pays

limitrophes, conférence des Grands-Lacs sur la paix, etc.) ;4) Assurer la bonne gouvernance politique (promotion de la participation des

populations, dialogue inter-congolais, élections libres, constitution) et administrative et judiciaire (mise en place d’une administration décentralisée, réforme du système judiciaire, promulgation d’une loi anti-corruption, création d’une école de formation des hauts cadres de l’administration publique).

Pilier II : Stabilisation macro-économique et croissance pro-pauvre

Ce second pilier est le plus étoffé. Les années 1997-2000 ont vu l’économie congolaise, pourtant déjà guère fringante, s’effondrer littéralement : chute du PIB de 5,5% par an en moyenne, effondrement du taux d’investissement brut jusqu’à 1/5ème de la moyenne africaine, accroissement du taux d’inflation jusqu’à 511,2% en 2000, détérioration des échanges extérieurs et explosion du service de la dette jusqu’à 800% des exportations !

Pour répondre à cet état de fait, pas moins de neuf axes ont été définis, dans le but de garantir une croissance durable ─ ce qui implique selon le DSRP-I de stabiliser le cadre macro-économique, de libéraliser l’économie, de réhabiliter les infrastructures et de relancer les secteurs productifs :

1) Stabiliser et assainir l’environnement macro-économique (maîtrise de l’inflation et des dépenses budgétaires, libéralisation, etc.) ;

2) Disposer d’un cadrage macro-économique réaliste, ce qui implique un pilotage de l’économie en quatre paliers successifs, seul le dernier palier permettant une croissance suffisante pour la réduction de la pauvreté (8,1% de croissance annuelle minimum prévue à partir de 2009 pour 5% d’inflation) ;

3) Promouvoir l’épargne et l’investissement pour une croissance pro-pauvre (protection de l’investissement privé, incitation à l’épargne privée, élargissement de l’assiette fiscale, etc.) ;

4) Promouvoir l’emploi (promouvoir l’activité du secteur privé, formation des ressources humaines locales, politique salariale « réaliste ») ;

5) Réhabiliter les routes et les infrastructures (réhabilitation des routes nationales, modernisation des voies ferrées, sécurisation des voies fluviales, accès à l’eau potable et à l’électricité) ;

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6) Promouvoir les secteurs productifs et les exportations, via l’appui par l’Etat de l’initiative privée dans les secteurs porteurs de croissance (agriculture, pêche, élevage, mines, commerce) ;

7) Réhabiliter et reconstruire le cadre de vie socio-économique des populations pauvres, via des actions spécifiques dans les secteurs de l’agriculture et de l’alimentation, de l’éducation (dont l’objectif d’y allouer au minimum 10% du budget), de la santé (minimum 15% du budget) et de l’assainissement du cadre de vie ;

8) Prendre en charge les victimes des catastrophes naturelles (aide humanitaire, nouveaux sites d’habitat pour les pauvres menacés par les érosions, prévention des catastrophes) ;

9) Promouvoir la coopération bilatérale et multilatérale, ce qui implique d’enrayer la diminution des flux d’aide, de négocier le problème de la dette extérieure, de signer un accord avec les institutions financières internationales et de créer un Comité de coordination des partenaires de développement sur le DSRP.

Pilier III : Dynamique communautaire

Le troisième et dernier pilier du DSRP-I concerne la stratégie d’appui à la dynamique communautaire, c’est-à-dire une stratégie qui prend en compte les efforts des populations et privilégie un processus de gestion participatif au détriment d’une bureaucratisation partiellement responsable des échecs antérieurs. Ce pilier se décline en quatre axes :

1) Améliorer et consolider le cadre institutionnel et de gouvernance à la base, ce qui implique d’identifier les organisations de base, de mettre en place un cadre contractuel (une Charte communautaire de réduction de la pauvreté), d’appuyer en priorité les initiatives dans les secteurs générateurs de revenus, etc. ;

2) Créer un cadre fédéré de mobilisation de la dynamique communautaire (sensibilisation en province, formation, etc.) ;

3) Créer un dispositif national d’appui à la dynamique communautaire, définissant les droits et obligations du gouvernement et des populations dans la dynamique participative ;

4) Créer à la base les conditions d’une croissance équitable et d’un développement durable, en facilitant à moyen et long terme le passage des stratégies de survie des populations à des stratégies de croissance et de développement humain dans des secteurs prioritaires (agriculture et élevage, infrastructures, éducation, santé, cadre de vie, promotion de la femme).

La mise en œuvre des stratégies est également divisée en trois phases :1) 2000-2002 : processus de paix, bonne gouvernance et stabilisation macro-

économique ;2) 2002-2005 : soudure entre la stabilisation macro-économique et la croissance pro-

pauvre (réhabilitation des infrastructures, du capital humain et des capacités de gouvernance) ;

3) 2005-2010 : relance de l’économie nationale et croissance forte, durable et pro-pauvre.

Cette troisième phase, qui devrait débuter au moment où le DSRP final sera rédigé (début 2005), reste évidemment dépendante de la capacité de l’Etat à mobiliser des capitaux en suffisance, ce qui est loin d’être acquis.

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III- Le financement du DSRP

Le financement des stratégies de DSRP dépend de la mobilisation des ressources budgétaires de l’Etat, des capacités financières des populations de base et de la mobilisation des ressources extérieures, avec notamment la participation à l’initiative pour l’allégement de la dette des pays pauvres très endettés (initiative PPTE).

L’initiative PPTE

L’initiative PPTE, limitée au mieux à quarante-deux pays, a été lancée par le G7 en 1996 à Lyon, puis « renforcée » en juin 1999 à Cologne. Son but est de rendre le remboursement de la dette des pays les plus pauvres « économiquement soutenable », c’est-à-dire en général ramener son niveau à 150% de leurs revenus d’exportation. Or, comme le souligne l'OCDE, « la mise en œuvre intégrale de l'initiative ne se traduira pas par une diminution de la valeur nominale de la dette, car les allégements prendront pour l'essentiel la forme de remises d'intérêts et de dons destinés à financer le service de la dette, et non de réductions directes de l'encours de cette dette »1. En outre, pour déterminer le montant de l'allégement octroyé, les experts du FMI et de la Banque mondiale se basent sur des projections de croissance des exportations, du PIB, des recettes publiques, etc. Or, les experts de Washington se basent sur des projections irréalistes. Par exemple, dans le cas de l'Ouganda, du Honduras, du Nicaragua et de la Tanzanie, le FMI et la Banque mondiale tablent pendant vingt ans sur une augmentation annuelle de 9% des recettes d'exportation et sur une croissance annuelle de 6% à 10% aussi bien pour le PIB que pour les recettes publiques, ce qui entre en contradiction avec les chiffres moroses de ces dernières années. Vu qu'on retrouve cet optimisme dans pratiquement tous les cas, il suffira par exemple d'une chute des cours des matières premières ou d'un tassement de l'aide publique au développement pour que la dette extérieure de ces pays recommence son effet boule de neige. Ainsi, l’initiative vise moins le règlement définitif du problème de la dette extérieure des pays pauvres que le règlement du problème des arriérés impayés : l’opération vise à remplacer les vieilles dettes rééchelonnées par de nouveaux prêts à un taux d’intérêt avantageux, tout en pérennisant les politiques du Consensus de Washington (certes désormais teintées de « participation », de « bonne gouvernance » et de « lutte contre la pauvreté »). De nombreux rapports de l’ONU font le même constat et plusieurs pays devront même, malgré l’initiative, rembourser davantage en 2005 qu’en 1999.

Or, comme le souligne le DSRP-I lui-même, « l’état actuel des connaissances, des institutions et des outils d’analyse ne permettent pas de présenter des propositions détaillées et précises sur le financement des activités DSRP. Le DSRP final élucidera cet aspect ». Cet état de fait est d’autant plus préoccupant que, toujours selon le DRSP-I, la phase de reconstruction/réhabilitation visée « suppose un volume additionnel d’investissements qui ne peut être soutenu que par des financements extérieurs appropriés, en attendant la maturation des mécanismes de financement interne ». En effet, les pouvoirs publics et les populations congolaises sont dans un tel état de délabrement qu’il serait illusoire d’espérer mobiliser à court ou à moyen terme les ressources intérieures nécessaires à l’énorme défi qui attend le pays.

1 OCDE, « Rapport sur les statistiques de la dette extérieure », 2000.

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Les sources de financement externe

Les sources de financement externe pour un pays pauvre comme la RDC ne sont pas légion. Elles proviennent soit des institutions financières internationales (essentiellement les Facilités pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance du FMI et les prêts concessionnels de l’Agence internationale pour le développement de la Banque mondiale), soit des prêts bilatéraux des pays partenaires (qui sont également les principaux actionnaires du FMI et de la Banque mondiale).

Problème : la RDC a hérité d’une dette extérieure colossale accumulée par le Zaïre de Mobutu et quasiment impayée depuis 1993. Or, les statuts du FMI et de la Banque mondiale en font des « créanciers prioritaires », ce qui signifie que les prêts qu’ils octroient doivent être remboursés intégralement et en priorité. La RDC se trouve donc au début des années 2000 dans une situation irrégulière, ce qui légitime dans le même temps la diminution de l’aide publique au développement versée par les pays partenaires (les cinq principaux créanciers de la RDC sont les Etats-Unis, la France, la Belgique, l’Allemagne et l’Italie). Dépendant des ressources extérieures pour financer sa reconstruction, le pays doit régler de manière urgente le problème de ses arriérés, afin de régulariser sa situation financière, de profiter de nouveaux prêts et de participer à l’initiative PPTE.

La « régularisation » de la dette extérieure

La dette extérieure totale de la RDC est évaluée près de 13 milliards de dollars. Les arriérés représentent les trois quarts de la dette totale, essentiellement due aux pays du Club de Paris (le cartel des Etats créanciers) et aux institutions multilatérales. En 1993, le Zaïre de Mobutu, en rupture avec la communauté financière internationale, avait stoppé tout remboursement. Ils n’ont véritablement repris qu’après la mort de Laurent-Désiré Kabila et l’arrivée de son fils Joseph. Le budget 2002 a ainsi enregistré une augmentation de 1 139% du service de la dette par rapport au budget 2001. La Belgique est un des principaux créanciers de la RDC : la dette congolaise à son égard s’élève à environ 1 milliard de dollars.

Source : FMI (2003).

Anatomie de la dette extérieure de la RDC(décembre 2001)

Composition de la dette Dette en millions USD

Part du total

Arriérés en millions USD

Part du total

Total

Multilatéral Groupe Banque mondiale BIRD IDA Banque africaine de dév. FMI Union européenne

Bilatéral et commercial Club de Paris Autres bilatéraux Commercial Dette à court terme

13 879,6

3 362,51 359,7

1281 231,71 186,3502,9168,1

10 380,49 779,6

435165,8136,8

100%

24,2%9,8%0,9%8,9%8,5%3,6%1,2%

74,8%70,5%3,1%1,2%1%

10 925,2

1 806,2317,6128

189,6785,9502,979,6

8 982,38 486,4346,8149,1136,8

100%

16,5%2,9%1,2%1,7%7,2%4,6%0,7%

82,2%77,7%3,2%1,4%1,3%

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L’opération de « régularisation » du paiement de la dette extérieure s’est dessinée en deux temps : en juin 2002 pour la dette multilatérale et en septembre 2002 pour la dette due au Club de Paris.

La première phase a consisté à régler le remboursement des arriérés de la RDC envers le FMI et la Banque mondiale. Le processus vise à garantir le remboursement par une opération de « consolidation », c'est-à-dire en remplaçant les arriérés impayés et impayables par de nouvelles dettes à un taux d'intérêt « concessionnel » de 0,5%. Concrètement, quatre pays (Belgique, France, Suède, Afrique du Sud) ont prêté la somme nécessaire à la RDC pour qu’elle rembourse ses arriérés au FMI. Ensuite, le FMI a prêté la somme nécessaire à la RDC pour rembourser ces prêts d’Etats. Dans le même temps, la Banque mondiale a octroyé un crédit à la RDC pour que le pays liquide ses arriérés à son égard. Au final, la RDC a troqué ses arriérés multilatéraux contre une nouvelle dette à 0,5% due au FMI et à la Banque mondiale2.

La seconde phase a consisté à régler le remboursement des arriérés dus aux quatorze pays créanciers rassemblés dans le Club de Paris3. La dette due par la RDC au Club de Paris est évaluée en septembre 2002 à 10,3 milliards de dollars4, dont près de 90% sont des arriérés accumulés depuis le dernier accord entre le Club de Paris et le Zaïre, en 1989. L’accord de septembre 2002 a consisté à restructurer 9,9 milliards de cette dette selon les termes de Naples5. Le Brésil, pays créancier de la RDC mais non membre du Club de Paris, a également signé cet accord. Le montant des dettes annulées est évalué à environ 4,6 milliards de dollars, ce qui correspond au montant des arriérés sur le principal de la dette extérieure congolaise, et le montant des dettes rééchelonnées est évalué à 4,3 milliards de dollars. Les calculs du FMI estiment que cet accord permet de libérer 300 millions de dollars pour le DSRP (ou 5% du PIB de la RDC en 2002).

Si on additionne la portée de ces deux phases, 60% du stock total de la dette extérieure de la RDC ont été restructurés (20% pour la première et 40% pour la seconde). Il en résulte une nouvelle dette à laquelle va s’ajouter le stock des nouveaux emprunts que le pays va immanquablement devoir contracter dans le futur pour financer sa reconstruction6. En 2004, le service de ces nouvelles dettes pourrait atteindre, selon les estimations du FMI, 29% du budget de l’Etat, dépassant ainsi les budgets additionnés de santé et d’éducation prévu à terme par le DSRP-I − respectivement 15 et 10% du budget.

Projection du service de la dette de la RDC2001 2002 2003 2004 2005

Service de la dette avant programme7 (en millions USD)Service de la dette après programme (en millions USD)Service de la dette après programme (en % des revenus)

727,8…218

588,838,3

8

625,5155,1

22

578,3258,8

29

573,3290,9

27

Source : FMI (2003).

2 A côté d’une Facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance (FRPC) du FMI de 420 millions de DTS (543 millions USD), de six tranches de prêts FRPC du FMI de 37 millions USD (26,7 millions DTS) pour un montant total de 207 millions USD et du crédit de « refinancement » de la dette multilatérale de 450 millions USD de la Banque mondiale octroyés en juin 2002, la Banque mondiale a prêté 150 millions de dollars en avril 2002 pour un programme de réintégration (auxquels se sont ajoutés 350 millions de prêts bilatéraux) et 454 millions (sur deux ans) en août 2002 dans le cadre du Programme de reconstruction et de réhabilitation multisectorielle de son Agence internationale pour le développement (AID).3 Autriche, Belgique, Canada, France, Allemagne, Italie, Japon, Pays-Bas, Norvège, Espagne, Suisse, Suède, Royaume-Uni, Etats-Unis. Cinq de ces quatorze pays (Etats-Unis, France, Belgique, Allemagne et Italie) concentrent 65% des créances totales du Club de Paris envers la RDC.4 Soit 0,6 milliard de plus que la première évaluation en 2001.5 Le G7 de Naples avait décidé en 1994 de permettre des allégements de dette allant jusqu’à 67% des dettes restructurées et des rééchelonnements d’autres dettes.6 En décembre 2002, à Paris, les pays partenaires ont confirmé leur décision d’engager 2,5 milliards de dollars dans les trois prochaines années pour la reconstruction, la lutte contre le SIDA, la réintégration des combattants, le budget et le renforcement des capacités.7 Le programme inclut les rééchelonnements, les nouveaux financements et l’estimation de l’allégement de dette de l’initiative PPTE renforcée.

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L’initiative PPTE

Ces opérations de consolidation de la dette extérieure de la RDC, liées à la mise en oeuvre d’un premier programme avec le FMI entre juin 2001 et mars 2002 (staff-monitored program), puis d’un second programme triennal signé en juin 2002, permettent à la RDC de répondre aux conditions de la première phase de l’initiative PPTE. Le point de décision de l’initiative, initialement prévu en mars 2002, a été atteint le 24 juillet 20038.

A ce stade, la RDC se voit gratifiée d’une aide intérimaire et le staff du FMI calcule le montant de l’allégement de dette que le pays pourrait recevoir au point d’achèvement de l’initiative, prévu en 2006. Dans le cas de la RDC, l’aide intérimaire sera des plus modestes, les créanciers estimant que les termes de la restructuration opérée en 2002 ont été suffisamment importants et qu’il ne reste désormais que très peu de créances datant d’avant les premiers rééchelonnements de la dette du Zaïre au début des années 19809. Le FMI estime que l’aide intérimaire permettra une réduction du service de la dette de 35 millions de dollars en 2003, puis de 73 millions en 2005.

La RDC est donc appelée à focaliser toute son attention sur l’application du programme DSRP-PPTE défini avec ses créanciers, les critères de performance étant scrupuleusement contrôlés tous les six mois par le staff du FMI, dont l’avis favorable détermine le versement effectif des tranches de prêts de 26,7 millions de DTS10 octroyés dans le cadre de la Facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance (FRPC)11. Les critères de performance portent sur les conditionnalités liées au DSRP-I, et plus particulièrement en ce qui concerne le FMI, les mesures de stabilisation macro-économique (pilier II du DSRP-I). Aucune nouvelle accumulation d’arriérés de la RDC envers le FMI ne sera admise. Pour garantir le paiement à temps de ses obligations, le gouvernement devra maintenir un excédent de 8 millions de DTS dans sa comptabilité avec le FMI.

Le parcours du combattant en quatre phases de l’initiative PPTEPour être éligible pour un allégement de dette, un pays pauvre très endetté (PPTE) doit suivre un véritable parcours du combattant qui se divise en quatre étapes :

1. La première phase : un pays doit d'abord adopter un programme triennal de réformes avalisé par le FMI et la Banque mondiale. Pendant ce temps, il reçoit un allégement bilatéral (Club de Paris), selon les termes de Naples (67%), et a accès aux prêts « concessionnels » du FMI, de la Banque mondiale et des Etats créanciers.

2. Le point de décision : à la fin de la première phase, une analyse de « soutenabilité » de la dette du pays endetté, effectuée par le FMI et la Banque mondiale, détermine le montant de l’allégement octroyé au terme de l’initiative. Si la dette du pays est jugée « soutenable », il n'est pas éligible pour l'allégement multilatéral. Si sa dette est toujours « insoutenable », il est élu pour la seconde phase et bénéficie d’une aide intérimaire.

3. La seconde phase : une fois élu pour l'initiative, un pays doit se lancer dans une nouvelle phase de réformes avalisées par le FMI et la Banque mondiale. Cette période est « flottante », c’est-à-dire qu’elle peut être plus courte ou plus longue selon qu’un pays enregistre ou non de bonnes performances de manière soutenue. Durant cette phase, le pays endetté peut se voir accorder une restructuration de créances bilatérales ou un prêt de la Banque mondiale.

4. Le point d'achèvement : au point d'achèvement, le pays endetté se voit accorder l’allégement calculé dès le point de décision. Ces allégements consistent essentiellement

8 Seuls trois critères de performance du FMI ont été manqués de peu (plancher des actifs étrangers et plafond des actifs domestiques et des crédits au gouvernement de la banque centrale), en plus de l’abolition des dépenses budgétaires financées par la banque centrale sans l’autorisation du ministère des Finances et du critère structurel de l’établissement de nouvelles procédures pour les dépenses.9 Dans le cas de la RDC, la date butoir (cut off date) est le 30 juin 1983.10 Les DTS sont les droits de tirage spéciaux, la « monnaie » du FMI.11 Les 420 millions engagés en juin 2002 avaient pour but de compenser les 403 millions d’arriérés.

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en remises d'intérêts et en dons destinés à financer le service de la dette. Ils sont octroyés annuellement et étalés tout au long des échéances, c’est-à-dire sur plusieurs décennies.

IV- Les conditionnalités de la stratégie DSRP-PPTE

La stratégie de reconstruction/réhabilitation du DSRP-I et l’initiative PPTE de restructuration de la dette reposent sur les nombreuses conditionnalités du programme appuyé et contrôlé par le staff du FMI et de la Banque mondiale, ainsi que par l’ONU en matière de sécurité.

Le processus de paix

La stabilité politique et militaire est évidemment une condition sine qua non à la reconstruction du pays. Les accords de paix de Lusaka, signés en 1999, ont bien eu du mal à s’affirmer. Le pillage des ressources naturelles par des armées rebelles soutenues par des forces étrangères ont pérennisé l’instabilité dans nombreuses régions de la RDC. Notamment, le Mouvement de libération du Congo (MLC)12, soutenu par l’Ouganda, et le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD-Goma)13, soutenu par le Rwanda, se sont livrés aux pires exactions.

En outre, le rapport de l’ONU sur l’exploitation illégale des ressources naturelles en RDC (2002) a révélé de nombreuses activités illégales aussi bien du côté des zones rebelles que des zones gouvernementales. Le président Joseph Kabila a réagi en suspendant six membres de son équipe cités dans le rapport et en opérant un remaniement ministériel le 17 novembre 2002. Quelques mois plus tôt, des accords de paix avaient été signés par Joseph Kabila avec le Rwanda (juin 2002) et l’Ouganda (septembre 2002). Le 11 novembre 2002, les présidents Kabila (RDC) et Kagame (Rwanda) ont également signé un accord pour étendre de trois mois la période de désarmement et de rapatriement des anciens soldats hutus rwandais.

Ces accords ont été suivis par l’organisation à Pretoria (Afrique du Sud) du dialogue inter-congolais, rassemblant l’opposition politique non-armée, les armées rebelles et des représentants de la société civile. Parrainé par le président sud-africain Thabo M’Beki et par l’envoyé spécial du secrétariat général de l’ONU Moustapha Niasse, le dialogue inter-congolais a débouché sur un accord signé le 17 décembre 2002. Fruit des pressions américaines et britanniques, cet accord a permis le retrait progressif des troupes étrangères et le partage du pouvoir au sein d’un gouvernement de transition incluant toutes les parties du conflit. Cette logique a été inscrite dans la constitution de transition adoptée en mars 2003.

12 Créé en octobre 1998, le MLC est majoritairement composé d’anciens mobutistes et contrôle une partie des territoires allant de l’Equateur au Congo oriental. 13 Créé en août 1998 à Kigali par des anciens alliés congolais de Joseph Mobutu et de Laurent-Désiré Kabila, le RCD contrôle de vastes territoires allant du Kivu au Kasaï et du Maniema au Katanga.

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Des élections libres et transparentes sont prévues dans deux ans et une nouvelle constitution devra être définitivement adoptée.

Un peu plus tôt, le 5 décembre 2002, la résolution 1445 du Conseil de sécurité de l’ONU a décidé d’augmenter les troupes de maintien de la paix de la MONUC (Mission de l’ONU pour le Congo) de 5 500 à 8 700 hommes, afin de combler le vide sécuritaire laissé par le retrait progressif des troupes étrangères. Cette décision n’a pas empêché en 2003 des massacres perpétrés dans l’Ituri (région du Nord-Est de la RDC riche en matières premières).

Malgré cette instabilité, le gouvernement de transition a été lancé début juillet 2003. Composé d’un président, de quatre vice-présidents, de trente-six ministres et de vingt-trois vice-ministres, ce gouvernement rassemble quasiment tous les acteurs politiques de la RDC, y compris de nombreux acteurs incarnant les maux les plus atroces qui ont tiraillé le pays par le passé.

Aux postes de vice-présidents, on trouve Jean-Pierre Bemba (président du MLC), Azarias Ruberwa (leader du RCD-Goma), Arthur Zahidi N’Goma (qui a évincé Etienne Tshisekedi comme porte-parole de l’opposition politique) et Yerodia N’Dombassi (qui représente le gouvernement Kabila). Chacune de ces composantes a en charge une commission : la commission économique et financière pour le MLC ; la commission politique, de défense et de sécurité pour le RCD ; la commission sociale et culturelle pour l’opposition politique ; la commission pour la reconstruction et le développement pour le gouvernement de Kinshasa.

Le processus de paix reste des plus fragiles, mais l’espoir d’une sortie de la guerre, certes mêlé à la méfiance de chacune des parties, semble enfin réel. En outre, le processus de transition sera contrôlé de prêt : outre la présence des institutions financières internationales et de la MONUC, dont la présence sera renforcée en septembre 2003, l’Américain William Swing, nouveau représentant spécial de l’ONU, dirigera le Comité international de suivi de la transition (CIAT). Sur le plan intérieur, le processus sera contrôlé par un bureau présidentiel renforcé. Les tâches urgentes à réaliser sont de taille : fin définitive de la guerre, réunification du pays, liberté de circulation, intégration des forces armées, etc.

Le droit international devrait aussi jouer un rôle important. Certes, au nom de l’indispensable réconciliation, l’amnistie pour les délits politiques a été décrétée. Mais il n’en est rien pour les crimes pour lesquels la toute jeune Cour pénale internationale de La Haye (CPI) est compétente. En faisant de la RDC le soixantième pays à ratifier les statuts de la convention de Rome, le gouvernement de Joseph Kabila a permis la naissance officielle de la CPI en juillet 2002. Il a démontré, en portant plainte contre Jean-Pierre Bemba pour les actes présumés de cannibalisme opérés dans l’Ituri par le MLC, que son acte de ratification n’était pas gratuit et qu’il était déterminé à lutter contre les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. Un mois après sa prise de fonction en juin 2003, le procureur de la CPI, Luis Moreno-Ocampo, a confirmé cette tendance en annonçant que le premier cas dont se chargera la Cour portera sur le conflit en Ituri, qui a fait 5 000 victimes au cours des douze derniers mois. La Cour a reçu six dossiers sur la question, rapportant de nombreux crimes tous aussi atroces les uns que les autres : amputations, décapitations, cannibalisme, mutilations sexuelles des femmes, transmission du SIDA par le viol, esclavage pour l’exploitation des mines, exploitation illégale de l’or, du pétrole et des ventes d’armes par des entreprises.

En définitive, ceux qui se risqueraient à replonger le pays dans les conflits armés devraient immanquablement se retrouver sérieusement isolés. Cette avancée pourrait soutenir la mise en œuvre du pilier I du DSRP-I et le développement des conditionnalités issues du pilier II, qui visent la stabilisation macro-économique et la croissance pro-pauvre.

Les conditionnalités macro-économiques et structurelles

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Le FMI, via deux programmes successifs14, et la Banque mondiale visent le rétablissement des grands équilibres économiques en trois étapes :

1) Mettre un terme à l’hyperinflation et restaurer la stabilité macro-économique via des politiques fiscales et monétaires appropriées ;

2) Stimuler l’activité du secteur privé et soutenir le rétablissement de l’économie par des réformes structurelles et sectorielles ;

3) Promouvoir une gestion efficace des ressources publiques et stimuler la confiance du secteur privé.

Afin de contrôler de près les opérations, un bureau permanent du FMI et de la Banque mondiale a été ouvert à Kinshasa.

Le programme 2001-2002 (SMP) a cherché à briser le cercle vicieux de l’hyperinflation et de la dépréciation de la monnaie. Différents types de mesures ont été mis en œuvre dans ce but : rigueur budgétaire et centralisation des revenus et des dépenses publiques ; unification des taux de change multiples, mise en place d’un régime de change flottant et libéralisation des prix ; réformes de l’environnement judiciaire et réglementaire (nouvelle législation bancaire, nouveaux statuts pour la banque centrale, nouveaux codes du travail, des mines et de l’investissement, nouveau code forestier, établissement d’un certificat d’origine pour l’exportation des diamants, réforme des entreprises publiques, contrôle du système bancaire, etc.).

Selon le staff du FMI, tous les objectifs fixés par le programme 2001-2002 ont été atteints de manière satisfaisante, à l’exception du taux d’inflation, atteignant 18% fin 2002 au lieu des 13% visés. Les trois premiers trimestres de 2002 avaient pourtant été encourageants, le taux d’inflation ne dépassant pas 11%, après des taux de 511% et de 135% enregistrés en 2000 et 2001, mais des dépenses publiques imprévues ont dû être opérées en octobre et novembre, notamment suite à l’insécurité dans le Nord-Est du pays et aux pertes financières de la banque centrale, ce qui a également entraîné une dépréciation du franc congolais.

Ajoutées aux réformes structurelles et sectorielles, ces mesures de stabilisation ont entraîné un début d’intérêt des investisseurs internationaux, avec l’investissement de 94 millions de dollars de Vodacom (Afrique du Sud) dans un nouveau service de téléphonie mobile ou le lancement d’un programme triennal pour accroître la production de pétrole offshore avec Chevron-Texaco (Etats-Unis). A l’opposé, la Banque congolaise et son bureau de change ont été liquidés par le gouvernement suite à la détection de transactions frauduleuses.

Le programme 2002-2005 (PRGF) vise l’approfondissement de ces réformes de stabilisation et de reconstruction. Dans l’esprit du Consensus de Washington et des priorités affirmées en mars 2002 à Monterrey lors du sommet mondial sur le financement du développement, l’investissement privé et le commerce représentent les deux sources privilégiées de croissance. Le programme table prioritairement sur :

• L’augmentation des investissements étrangers dans le cadre du Projet de reconstruction et de réhabilitation (EMRRP) de la Banque mondiale et des stratégies sectorielles ;

• L’augmentation de l’exportation des ressources naturelles, censée représenter entre un tiers et la moitié de la croissance annuelle du PIB.

14 Un staff-monitored program (SMP) en 2001-2002 et un poverty reduction and growth facility program (PRGF-program) en 2002-2005.

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Prévisions économiques 2002-2005 du FMI pour la RDCPrévisions de base 2002 2003 2004 2005

Croissance du PIB (évolution en %)Exportations de biens (évolution en %)Balance des comptes courants15 (en % du PIB)Service de la dette après allégement (en % des exports)Service de la dette après allégement (en % du budget)Service de la dette après allégement16 (en % du budget)

314,8-3,23,58,38,6

56,3-5

13,222,532,5

620,7-8,618,429,543,9

722,3-7,817,127,436,9

Source : FMI (2003).

Dans ce but, le programme prévoit l’approfondissement des réformes en matières fiscale, budgétaire, monétaire et financière, structurelle, administrative et technique.

Politique fiscale

La collecte des revenus fiscaux a été des plus minces depuis plusieurs années. En 2001 et 2002, elle s’est améliorée, mais dans des proportions totalement insuffisantes. L’objectif de 8,3% du PIB fixé pour 2003, à comparer aux 16,8% fixés pour les dépenses, reste un des plus faibles de toute l’Afrique subsaharienne. Les réformes en matière de fiscalité, qui ont pour but d’améliorer la collecte des revenus, de stimuler l’investissement privé et d’élargir l’assiette fiscale, comportent plusieurs étapes :

• La centralisation des revenus, opérée dans le cadre de la réunification du pays, et un contrôle des recettes et des dépenses. Les revenus issus du secteur pétrolier et de la plupart des entreprises publiques sont désormais centralisés sur un compte de la banque centrale, ce qui devrait également être réalisé en 2003 pour la taxation de la consommation d’essence et les contributions de la Gecamines. En outre, un décret présidentiel impose que toute dépense opérée par la banque centrale reçoive l’aval du ministre des Finances ;

• Le renforcement des capacités administratives, ce qui implique notamment la modernisation des agences de collecte et de l’équipement, la gestion interne et l’informatisation des systèmes d’information. Dans le même esprit, les capacités des provinces seront également renforcées, sous la houlette de la Banque mondiale ;

• La simplification et la rationalisation des tarifs douaniers et du système de taxation, ce qui implique notamment une réforme tarifaire compatible avec les accords régionaux de la COMESA (le Marché commun des Etats d’Afrique australe), une simplification de la fiscalité sur les entreprises selon les recommandations de la Banque mondiale (mars 2003) et l’introduction d’une TVA en 2004.

Politique budgétaire

Dans le but de limiter les dépenses, fixées pour 2003 à 16,8% du PIB, la rigueur budgétaire sera scrupuleusement contrôlée :

• La facture des salaires devrait augmenter de 35% (2,5% du PIB) pour financer les salaires des 144 000 employés des services publics et pour assumer les pensions

15 Incluant l’aide et avant allégements de dette.16 Sans le montant de l’aide.

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alimentaires des 35 à 40 000 employés qui seront mis à la retraite en 2003. Les salaires dans les services publics devraient augmenter de 21% et ceux des militaires et des policiers de 6% ;

• Les dépenses de sécurité devraient diminuer du fait du retour à la paix. Seront réalisés dans ce but un audit des dépenses utiles, un échéancier pour la liquidation des arriérés domestiques et un plan d’action pour garantir le contrôle des dépenses et éviter toute nouvelle accumulation d’arriérés ;

• Les dépenses en capital, alimentées par l’aide extérieure, devraient augmenter d’au moins 5% du PIB ;

• Les dépenses sociales, qui sont censées augmenter dans le cadre d’une stratégie pro-pauvre, seront définies en collaboration avec la Banque mondiale, dont l’aval est nécessaire à la continuation du programme.

Pour garantir la transparence de la politique budgétaire du pays, plusieurs mesures doivent être opérées en collaboration avec le FMI et la Banque mondiale, dont une réforme des règles et procédures comptables du gouvernement et l’ouverture d’un compte spécial auprès de la banque centrale pour enregistrer les ressources issues de l’initiative PPTE.

Parallèlement, un aperçu des conditions de vie a été réalisé en octobre 2002 sur 10 000 habitants urbains et ruraux avec l’aide de l’UNICEF. Un aperçu national de la pauvreté par zones géographiques est en préparation, afin de prendre la mesure des dégâts sociaux et d’alimenter la rédaction du DSRP final en 2005.

Politique monétaire et financière

La politique monétaire de la banque centrale doit viser la stabilisation des prix dans un contexte de régime de change flottant. Le gouvernement ne peut jamais être en déficit envers la banque centrale, comme le stipulent les nouveaux statuts de cette dernière. La banque centrale a également toutes les responsabilités en matière de supervision bancaire.

Le secteur financier de la RDC regroupe quatorze banques et cinq institutions financières, auxquelles il faut ajouter cent quatre-vingt trois coopératives de crédit et vingt-sept institutions de micro-finance. Sur les quatorze banques, seules onze sont actives. En 2001, une restructuration du secteur bancaire a été opérée en collaboration avec le FMI et la Banque mondiale : six institutions ont été placées en liquidation et d’autres ont subit un audit. En septembre 2002, seules trois banques possédaient le capital requis. Le rôle du système bancaire dans l’économie est très limité et l’intermédiation bancaire est quasiment inexistante. En 2002, un nouveau cadre légal a été établi17.

Réformes structurelles et sectorielles

Le gouvernement met en œuvre, avec le soutien de la Banque mondiale, toute une série de réformes structurelles et sectorielles couvrant les entreprises publiques, le secteur financier, le secteur minier, le secteur forestier, l’agriculture, les infrastructures, la bonne gouvernance, la lutte contre la corruption et le renforcement des capacités. Parmi ces réformes figurent un nouveau cadre légal régissant les diverses formes de participation privée dans les entreprises publiques et la restructuration de l’entreprise d’Etat du secteur minier, la Gecamines, incluant un plan de licenciement de 11 000 employés co-financé par la Banque mondiale.

17 La principale réforme porte sur la loi du 2 février 2002 sur l’activité et le contrôle des institutions de crédit (loi bancaire) qui remplace la loi du 14 janvier 1972.

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Assistance technique

Les capacités administratives dans la plupart des ministères et institutions sont très faibles et un programme de renforcement des capacités techniques a été mis en œuvre :

• Deux mission du FMI en 2001 et 2002 ont chapeauté les réformes techniques en matière de politiques fiscale, monétaire, de taux de change et de gestion de la banque centrale ;

• Une mission de la Banque mondiale a financé une assistance technique pour la réforme des entreprises publiques, la restructuration du secteur bancaire, la gouvernance, la lutte contre la corruption, etc. ;

• L’Union européenne finance une assistance technique pour la réforme de la justice, l’Organisation internationale du travail (OIT) apporte une assistance technique pour élaborer le nouveau code du travail et la Belgique et le PNUD apportent une assistance technique pour la réforme de la fonction publique.

Pour garantir la coordination de l’assistance technique, un Comité de coordination de l’assistance technique a été créé avec l’aide de la Banque mondiale.

V- Analyse critique de la stratégie DSRP-PPTE en RDC

La RDC est un pays qui a été plongé dans un état de profonde décomposition politique, économique et sociale. L’unité du pays est elle-même loin d’être acquise, tant les incommensurables richesses naturelles dont le pays regorge sont convoitées par des forces internationales et des armées rebelles qui ont déchiré le pays pendant des années. Face à un tel constat, on ne peut que prôner une démarche volontariste impliquant toutes les forces nationales et internationales en faveur de la renaissance du pays. Dans ce cadre, la stratégie DSRP-PPTE a le mérite d’exister. Le DSRP-I représente un état des lieux du colossal chemin à parcourir pour la reconstruction du pays. Il vise aussi la collection de statistiques fiables sur l’ampleur de la pauvreté et l’évolution de la stratégie mise en place pour s’y attaquer. Enfin, l’initiative PPTE aborde la restructuration d’une dette extérieure qui représente un des principaux fardeaux financiers du pays. Cependant, malgré ces aspects positifs, de nombreuses faiblesses existent. Il convient de les mettre en lumière, tant elles sont susceptibles à terme de fortement réduire l’efficacité de la stratégie, voire de déboucher sur un dramatique échec.

Un fragile processus de paix

L’assassinat en janvier 2001 de Laurent-Désiré Kabila, remplacé au pied levé par son fils Joseph, a débouché sur une nouvelle ère diplomatique en RDC, surtout après que les attentats du 11 septembre 2001 aient incité les Etats-Unis à « siffler la fin de la récréation » dans les zones de non droits faisant le lit des terroristes. Appuyé par les principaux créanciers du pays (Etats-Unis, France, Belgique), Joseph Kabila a soutenu l’ouverture du dialogue inter-congolais, qui a rassemblé toutes les forces armées et non-armées à Sun City (Afrique du Sud) à partir du 25 février 2002. Confirmé à son poste de président, Joseph Kabila a accepté de signer l’accord de Sun City (avril 2002), stipulant un partage du pouvoir entre toutes les parties. Confirmé en décembre 2002 à Pretoria, puis inscrit dans la constitution de transition en mars 2003, ce partage du pouvoir a été concrétisé par la naissance en juillet 2003 d’un gouvernement de transition composé d’un président, de quatre vice-présidents, de trente-six ministres et de vingt-trois vice-ministres.

Certaines voix s’élèvent pour qualifier ce processus de paix de victoire de l’impunité et de récompense offerte aux seigneurs de la guerre qui ont déchiré le pays ces dernières

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années. D’autres affirment au contraire que la meilleure façon de garantir qu’aucune armée rebelle ne viendra à nouveau s’attaquer au pouvoir est d’associer temporairement toutes les factions à ce pouvoir. En réalité, ces deux visions antagonistes sont difficilement contestables, ce qui illustre la fragilité du processus. Un choix politique, davantage issu de rapports de force que de débats d’idées, a cependant été opéré. Il permet d’alimenter un espoir de paix, mais la route devant mener à des élections libres et démocratiques reste incertaine et semée d’embûches.

Les armées rebelles vont devoir se muer en partis politiques, ce que le MLC de Jean-Pierre Bemba, proche des milieux d’affaires américains et à la tête des Affaires étrangères et du Budget, semble pressé de réaliser. Mais la CPI, en charge de plusieurs accusations à son encontre pour des crimes de guerre et contre l’humanité, pourrait le stopper net dans ses ambitions politiques, même s’il est peu probable que des dirigeants en vue dans le processus de paix soient inquiétés par la justice. Plus inquiétante encore pourrait être la transition du RCD-Goma, en charge de l’Economie et, surtout, de la Défense. A la tête de l’armée de terre, où il devra cependant composer avec deux adjoints issus du MLC, son comportement sera immanquablement scruté avec méfiance. Le RCD-Goma a annoncé la fin officielle de la guerre à Goma le 12 juillet 2003, mais son fonctionnement opaque rend difficile toute estimation de sa volonté et de ses capacités à gouverner.

Quant à l’opposition politique non armée et à la société civile congolaises, elles sont autant fragmentées qu’affaiblies par tant d’années de malheurs et de violences. L’opposition politique s’organise en vue de sa participation au gouvernement de transition et un Conseil consultatif de la société civile (COCSOC) a été mis en place en février 2002, mais tout reste à faire et il est difficile d’évaluer les forces réellement en présence. Cette situation laisse planer un sérieux doute sur l’application effective de la dynamique communautaire et participative prônée par le DSRP-I, qui représente pourtant un enjeu considérable.

Enfin, le comportement des pays voisins, des puissances occidentales et des organisations internationales reste primordial. Les 5 500 casques bleus envoyés en décembre 2000 en mission d’observation par la MONUC ont été contraints par leur mandat d’assister passivement aux massacres récurrents perpétrés dans la région. L’augmentation des troupes à 8 700 casques bleus en décembre 2002 n’a en rien permis d’éviter de nouveaux massacres en Ituri, ce qui a poussé le Conseil de sécurité de l’ONU à créer une force multinationale sous commandement français en mai 2003, appelée Artemis. Un nouveau mandat courrant jusqu’en juillet 2004 permettra à la MONUC de disposer en septembre 2003 de 10 800 casques bleus autorisés à agir de manière plus active pour protéger les civils et le personnel humanitaire, mais entre-temps de nouveaux massacres ont été perpétrés fin juillet 2003 en Ituri, à quelques dizaines de kilomètres de Bunia, seule ville relativement sécurisée, ce qui a poussé le nouveau président de l’Assemblée nationale et ancien lieutenant de Jean-Pierre Bemba, Olivier Kamitatu, à envoyer une mission parlementaire dans la région. En définitive, la capacité des différentes factions congolaises à temporairement gouverner ensemble l’immense RDC, le comportement des voisins rwandais et ougandais, la politique africaine des Etats-Unis et des pays européens et, en définitive, l’avenir du contrôle des richesses naturelles congolaises détermineront si oui ou non la fragilité du processus de paix lui sera fatal. Une réponse négative permettrait de mener le pays aux élections libres prévues dans deux ans et qui s’annoncent, elles aussi, un processus fragile.

Une définition minimaliste du rôle de l’Etat

La fragilité du processus démocratique en RDC repose également sur la faiblesse de l’Etat de droit, laminé par des décennies de colonisation, de dictature mobutiste et de guerre civile. Or, la conception de l’Etat qui ressort du dialogue inter-congolais et du DSRP-I se

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révèle ambiguë. Aucun débat n’a été mené sur la nature de la République et de la démocratie à mettre en œuvre, ce qui rend aléatoire la réunification du pays prévue par le DSRP-I. Le traditionnel clivage entre les tenants du fédéralisme, qui a tendance à se confondre en RDC avec un régionalisme nationaliste à tendance ethnique, et les tenants d’un Etat centralisé, dont l’idéal a été exterminé par Mobutu et, dans une moindre mesure, L. D. Kabila, n’a pas été tranché. Comme le souligne Mwayila Tshiyembé, directeur de l’Institut panafricain de géopolitique de Nancy, « aucune solution durable n’a été proposée à la crise de légitimation de l’Etat et du pouvoir, ni à celle de représentation et de redistribution des responsabilités. (…) En effet, comme les institutions, la Loi fondamentale est une production sociale censée transcender les rivalités d’intérêts et les enjeux de pouvoir, pour fonder une communauté politique et un projet de société démocratique articulant le ″vouloir vivre ensemble″ sur la diversité des peuples, des cultures, des langues, des religions, des terroirs et des systèmes de droits de la RDC. Or, la Constitution de transition prive de sens les institutions mises en place en les laissant flotter sur le corps social sans jamais le pénétrer. Dans ce sens, il est à craindre que les élections générales prévues dans deux ans ne soient un rendez-vous manqué, quel que soit par ailleurs leur degré de transparence »18.

Cette déconnexion entre les institutions de transition et le corps social est confirmée par le processus d’élaboration du DSRP. Le chapitre III du document intérimaire énonce notamment les actions prioritaires émanant des consultations des communautés de base. Les conclusions tirées par ses rédacteurs trahissent une conception minimaliste du rôle de l’Etat, réduit à promouvoir les initiatives privées créatrices de croissance, parmi lesquelles celles des populations ayant été contraintes d’organiser des activités de survie dans quasiment tous les secteurs de la société congolaise. Selon le document intérimaire, « une des leçons qui émergent de l’analyse de ces priorités est la prépondérance qu’occupent les biens et les services publics dans la formulation des domaines d’intervention pour réduire la pauvreté. Souvent, les priorités sont formulées sous forme de liste des attentes à l’endroit de l’Etat. Cette approche contraste avec le fait que la défaillance historique de l’Etat dans ces domaines est universellement reconnue. Reconnaître l’incapacité de l’Etat et en même temps formuler une liste des attentes à son endroit est une contradiction. Elle relève d’une conception providentielle de l’Etat dont les origines se tracent au modèle paternaliste de la colonisation. Elle a été renforcée par le modèle de gestion dictatoriale de l’Etat indépendant qui s’en est suivi à son bénéfice. L’importance attribuée à la gouvernance dans les causes de la pauvreté est un indicateur, dans une large mesure, de cette ″culture de l’Etat Providence″ »19.

Ainsi donc, la demande des populations de voir prendre en charge par l’Etat les biens et les services publics serait une contradiction du fait que l’Etat congolais a été pillé depuis des décennies par des colons, par une dictature, puis par des forces étrangères. C’est pourtant ce pillage méthodiquement opéré depuis des décennies qui a poussé les populations à mener des activités de survie dont elles sont aujourd’hui légitimement fatiguées20. Aussi, la « culture de l’Etat Providence » exprimée par ces populations ne signifie pas obligatoirement, comme l’affirme le DSRP-I, la volonté d’un retour à un Etat bureaucratique, dictatorial ou colonisé. Il peut également s’agir d’un Etat de droit démocratique garantissant à ses populations l’accès aux services sociaux de base. Bien que contraire à la conception néolibérale de l’Etat, cette alternative soulevée par les populations congolaises semble la seule capable de relever le défi de la reconstruction politique et sociale d’un immense pays à initialement réunifier.

18 M. Tshiyembé, « Transition à hauts risques au Congo-Zaïre », Le Monde Diplomatique, juillet 2003.19 Document intérimaire, p. 20.20 Les activités de survie du secteur informel doivent pallier la quasi absence d’emploi dans le pays. En 2000, l’emploi n’occupait que 2% de la population totale et 4% de la population active, contre respectivement 8% et 18% en 1958.

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Des conditionnalités surabondantes

A l’image des stratégies DSRP-PPTE entamées dans d’autres pays, les conditionnalités y afférant, désormais définies par le gouvernement après consultation de la société civile et aval des institutions financières internationales, sont pléthoriques. Aux conditionnalités macro-économiques et structurelles des programmes d’ajustement structurel (PAS) imposées dans les années 1980, s’ajoutent désormais des conditionnalités de « bonne gouvernance », de « lutte contre la pauvreté » et de « participation ». Dans le cas du DSRP-I de la RDC, la bonne gouvernance, basée sur une conception néolibérale de l’Etat, implique le retour à la paix et la réhabilitation des institutions politiques, administratives et judiciaires (pilier I). La lutte contre la pauvreté est quant à elle illustrée par le concept de « croissance pro-pauvre » qui traverse le pilier II. Enfin, la participation passe par la dynamique communautaire (pilier III). Or, cette stratégie aux allures exhaustives pose problème.

D’abord, le DSRP-I ne prévoit une croissance suffisante pour réduire la pauvreté qu’à partir de 2009 (8,1% de croissance minimum pour 5% d’inflation), ce qui rend impossible toute réduction significative de la pauvreté à court terme et risque de mener à la construction d’un cycle de croissance économique reposant sur un cimetière social. D’ailleurs, le DSRP-I admet que « même ce taux réaliste (de 8,1% de croissance) est très difficile à réaliser à court et moyen termes. (…) En d’autres termes, ces projections suggèrent que la RDC ne sera pas en mesure d’atteindre les objectifs internationaux de réduction de la pauvreté absolue d’ici 2015 »21.

Ensuite, dans le but de pallier les graves carences démocratiques et sociales des programmes d’ajustement structurel, la stratégie DSRP-PPTE cherche à ajouter aux réformes d’hier de nouvelles préoccupations. Ainsi, la stratégie table notamment sur une corrélation entre croissance économique et réduction de la pauvreté, mais cette idée séduisante de « croissance pro-pauvre », au demeurant peu claire, ne va pas de soi. Comme le souligne la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) : « Il n'est pas exclu qu'une stratégie trop axée sur la lutte contre la pauvreté soit mauvaise pour la croissance. (…) Il n'est donc pas impossible qu'en ajoutant des conditions de lutte contre la pauvreté à leurs programmes d'ajustement, le FMI et la Banque mondiale ne conduisent les pays dans une impasse, en leur imposant des objectifs inconciliables à court terme »22. En effet, promouvoir la croissance globale de l’économie et mener des politiques sociales ciblées sur les populations les plus pauvres peuvent mener à des choix inconciliables. Or, le DSRP-I de la RDC, bien que très étoffé, reste très général dans la définition des politiques à mener23. Comment dès lors garantir des politiques substantielles dans chacun de ces domaines et établir si besoin est des priorités ? Il est à craindre que ce choix soit opéré de facto par les créanciers, surtout que le gouvernement sera focalisé sur l’élaboration du DSRP final.

Des réformes largement issues du Consensus de Washington

Le caractère énigmatique et peu réaliste du concept de « croissance pro-pauvre » est d’autant plus inquiétant que les conditionnalités macro-économiques et structurelles continuent de privilégier les réformes issues des programmes d’ajustement structurel. On retrouve en effet toutes les recettes traditionnelles du Consensus de Washington :

21 Document intérimaire, p. 33.22 CNUCED, Rapport sur les PMA, 2000, p. 155-171.23 Entre autres exemples de bonnes intentions vagues et lapidaires du DSRP-I, citons la stratégie énoncée en matière de malnutrition : « Il est prévu de mener des actions allant dans le sens du renforcement des activités garantissant la sécurité alimentaire » (p. 38).

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• Retour aux grands équilibres macro-économiques (stabilisation des prix, taux de change flottant, libéralisation des prix et des mouvements de capitaux, abaissement des barrières commerciales, rigueur budgétaire, etc.) ;

• Réformes structurelles impliquant des liquidations et des licenciements massifs (dans le cas de la Gecamines, qui a contribué par le passé jusqu’à 60% du budget de l’Etat mais qui traîne aujourd’hui une dette de 1,4 milliards de dollars, le cabinet britannique de consultants International Mining Consultants, adjudicataire du contrat d’audit de la Banque mondiale, envisage le transfert des actifs les plus rentables vers une nouvelle structure, alors que près de 11 000 salariés sur un total de 24 000 subissent un plan de licenciement) ;

• Croissance tirée par les exportations de matières premières et par l’investissement privé international.

Dans les nombreux pays pauvres où ces recettes ont été appliquées, les résultats ont souvent été dramatiques : dégradation des termes de l’échange, pénurie d’épargne et de capitaux privés, démantèlement des services publics, endettement extérieur, croissance faible ou inégalement répartie. Alors que les capitaux privés ont tendance à s’investir là où existe une croissance préalable et que le marché mondial des matières premières est en surproduction chronique, la stratégie se base sur une croissance tirée par l’investissement privé et l’exportation de matières premières. Certes, cela ne signifie pas obligatoirement que la RDC opère un retour vers les années Kengo wa Dondo. Le DSRP-I fixe d’ailleurs un objectif − certes insuffisant en regard de la situation sociale du pays − de 25% pour les budgets cumulés d’éducation et de santé24. Mais il est à craindre qu’en cas de croissance, d’aide ou de revenus d’exportation moindres que prévu, des choix douloureux doivent être opérés.

Le poids des institutions financières internationales risque dès lors d’être déterminant. En effet, la RDC dépend financièrement des tranches de prêts du FMI et de la Banque mondiale. Elle vient de consolider ses arriérés en contractant une nouvelle dette à leur égard. Selon le DSRP-I, les dépenses sociales, censées augmenter dans le cadre d’une stratégie pro-pauvre, sont définies en collaboration avec la Banque mondiale, dont l’aval est indispensable. Quant au FMI, il conditionne le versement de ses prêts à la satisfaction de critères de performance liés à la mise en œuvre de son programme. Aucun arriéré multilatéral n’est désormais admis. Le risque est dès lors grand de voir les priorités des institutions financières internationales privilégiées en cas de choix à opérer, surtout que les capacités de gestion du gouvernement de transition sont évidemment très faibles25. La stratégie prendrait alors la forme d’un toit posé sur des murs politiques lapidaires sans la moindre fondation sociale : la « maison RDC », totalement à reconstruire, serait dans ce cas bien peu solide.

Ce scénario n’est pas exclu. C’est d’ailleurs celui qui est craint par le Rapport 2002 de la CNUCED sur les pays les moins avancés (PMA) : « les nouvelles stratégies de réduction de la pauvreté s’efforcent de faire en sorte que la croissance économique profite davantage aux pauvres, tandis que les politiques d’ajustement n’ont généralement pas réussi et ne peuvent pas réussir à produire une croissance économique durable suffisamment forte pour réduire de manière significative la pauvreté. En conséquence, l’approche DSRP risque de laisser les pays concernés dans la pire des situations »26.

Un financement aléatoire24 Ce sont d’ailleurs deux des trois seuls objectifs chiffrés du DSRP-I, avec la parité hommes-femmes (50/50) visée dans les organes de décisions à la base.25 On le constate déjà avec la stratégie d’appui aux infrastructures, financée par la Banque mondiale et gérée intégralement par la firme Louis Berger International. 26 CNUCED, Rapport sur les PMA, 2002.

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La pire des situations est d’autant plus probable pour la RDC que les prévisions de financement de la stratégie ne sont pas garanties.

D’abord, les projections de croissance et de revenus sur lesquelles se base le plan de financement semblent peu crédibles. Croissance du PIB de 7% dès 2005, croissance annuelle des exportations de plus de 20% à la même époque : ces projections ne correspondent en rien aux chiffres dramatiques enregistrés depuis des années27. Comme de coutume, les experts des institutions financières internationales tablent sur des résultats guère réalistes. Il suffira donc d’une croissance du PIB ou des revenus d’exportation moindres que prévu pour que la stratégie soit mise à mal.

Dans le même ordre d’idée, il est loin d’être certain que le montant de l’aide extérieure nécessaire à la bonne marche de la stratégie soit effectivement versé. Comme le souligne le DSRP-I : « Une mission conjointe de l’OMS et de l’UNICEF en juin 2001 a estimé que le minimum d’investissement initial nécessaire pour arrêter la mortalité et renverser définitivement les indicateurs de santé serait de 350 millions USD par an, alors que les interventions des bailleurs de fonds n’ont été que de 82,19 millions USD entre 1998 et 2001 »28. Le plan financier de la stratégie prévoit en 2005 un déficit de financement de plus de 800 millions de dollars à combler par l’aide extérieure et de nouveaux prêts. Une nouvelle fois, si les montants prévus ne sont pas atteints, la stratégie risque de sombrer pour cause de sous financement, comme cela s’est passé dans de nombreux pays pauvres sous ajustement.

Exigences de financements pour la RDC (prévisions 2002-2005 du FMI)(en millions de dollars)

2002 2003 2004 2005Déficit de financement avant régularisationDéficit de financement après assistance humanitaireDéficit de financement après liquidation des arriérésDéficit de financement après aide au service de la detteDéficit de financement après nouveaux prêts

-830-650-508-283

0

-1 229-1 084-1 084-672

0

-1 381-1 255-1 255-859

0

-1 354-1 240-1 240-831

0Source : FMI (2003).

Déjà, dans une déclaration du 23 juillet 2003, le directeur général du FMI, Horst Köhler, regrettait que « suite à des dépenses de sécurité imprévues et à un déficit de financement extérieur, l’objectif fixé pour les dépenses sociales et de réduction de la pauvreté du gouvernement n’a pas encore été matérialisé. Etant donnée la fragile situation de sécurité, cela va requérir un important soutien permanent de la communauté internationale pour maintenir la paix et la sécurité »29.

Enfin, le montant de la dette extérieure allégé dans le cadre de l’initiative PPTE reste totalement insuffisant. Dans le scénario le plus optimiste retenu par le FMI, le service de la dette extérieure de la RDC atteindrait 290 millions de dollars en 2005, ce qui reste conséquent, surtout pour un pays connaissant une telle pénurie de revenus. Selon ce scénario, le service de la dette atteindrait dès 2004 près de 30% des revenus gouvernementaux. Sans le montant de l’aide prévu, c’est plus de 43% des revenus gouvernementaux qui seraient affectés au seul service de la dette. Ce fardeau, issu des dettes contractées par feu Mobutu et qui a déjà

27 Illustration de la faiblesse économique congolaise, la croissance du PIB a été positive en 2002 pour la première fois depuis treize ans.28 Document intérimaire, p. 9.29 IMF, Press Release N°03/124, « IMF completes the second review under the Democratic Republic of the Congo’s PRGF arrangement and approves US$ 37 millions disbursement », July 24, 2003.

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été restructurée neuf fois dans les années 1970 et 198030, risque de peser très lourd pour le gouvernement et les populations congolaises. Surtout qu’un scénario moins optimiste n’est pas exclu et que les nouveaux prêts prévus pour combler le déficit de financement impliqueront de nouvelles dettes. En définitive, malgré l’initiative PPTE, la RDC est susceptible de se retrouver à terme dans une situation d’endettement extérieur insoutenable.

VI- Les pistes alternatives

Dans la foulée de la Conférence de Berlin, qui avait débouché en 1885 sur le partage du gâteau africain entre les puissances coloniales, l’Etat du Congo avait été présenté comme une colonie internationale ouverte aux marchands européens, qui ne s’étaient pas fait prier pour répondre à cette invitation. Sous la dictature de Mobutu, l’exploitation des richesses naturelles de cet immense territoire a été pérennisée au profit du clan présidentiel, qui s’est enrichi à mesure que la population s’appauvrissait et que les caisses de l’Etat se vidaient. Enfin, le conflit des Grands Lacs a vu des seigneurs de la guerre et des armées rebelles piller les matières premières du pays et s’enrichir en les exportant illégalement.

Dans ce pays riche rempli de pauvres, dire que le pillage systématique a assez duré est malheureusement une lapalissade. La quasi-totalité des Congolais vivent dans des conditions sanitaires et sociales inacceptables. La stratégie DSRP-PPTE a officiellement la prétention de rompre avec cette réalité. Cependant, elle continue en partie à opter pour un modèle de développement centré sur l’intégration à un marché mondial instable et fortement concurrentiel, sans que la construction initiale de fondations internes suffisamment solides ne soit garantie. Plus grave, le financement de la stratégie est loin d’être acquis et le problème de la dette extérieure, officiellement réglé via les allégements de l’initiative PPTE, reste en réalité des plus présents. Par conséquent, le processus de paix, s’il est un jour définitivement acquis, ne mènera pas automatiquement à un cycle de développement durable et à une réduction conséquente de la pauvreté en RDC. En réponse à ce constat, plusieurs pistes alternatives sont à prendre en compte.

L’annulation de la dette

La totalité de la dette congolaise a été contractée sous la dictature de Mobutu. La corruption, les détournements de fonds et les « éléphants blancs » sont les principales origines de cette dette. Quasiment impayée depuis 1993, après que la rupture entre Mobutu et la communauté financière internationale ait été consommée, elle a gonflé de manière mécanique avec l’accumulation des centaines de millions de dollars d’intérêts à payer chaque année. L’opération de restructuration n’a en réalité visé que la liquidation des arriérés multilatéraux et bilatéraux. Il en résulte, pour ce pays à totalement reconstruire, un nouveau fardeau

30 Avant l’accord de restructuration du 13 septembre 2002, la dette du Zaïre a été restructurée le 16 juin 1976, le 1 décembre 1977, le 11 décembre 1979, le 9 juillet 1981, le 20 décembre 1983, le 18 septembre 1985, le 15 mai 1986, le 18 mai 1987 et le 23 juin 1989. Entre-temps, la rupture entre Mobutu et la communauté financière internationale a été consommée à partir de 1992.

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financier issu de l’ancien et qui risque de rogner, selon les projections traditionnellement optimistes du FMI, près d’un tiers des revenus gouvernementaux.

L’annulation de cette dette permettrait de libérer des fonds indispensables au financement des services sociaux de base et à la reconstruction du pays. Pour les créanciers, les sommes en jeu sont parfois dérisoires, mais pour l’Etat congolais et son maigre budget, elles sont considérables. Une telle annulation est d’autant plus légitime que la dette congolaise correspond parfaitement à la doctrine de la dette odieuse existant dans le droit international. En effet, selon Alexander Sack, théoricien de cette doctrine, « si un pouvoir despotique contracte une dette non pas selon les besoins et les intérêts de l’Etat, mais pour fortifier son régime despotique, pour réprimer la population qui le combat, cette dette est odieuse pour la population de l’Etat entier. Cette dette n’est pas obligatoire pour la nation : c’est une dette de régime, dette personnelle du pouvoir qui l’a contractée; par conséquent, elle tombe avec la chute de ce pouvoir »31. Comment dès lors imposer aux populations congolaises d’entamer une stratégie de réduction de la pauvreté en assumant le fardeau d’une dette contractée par leur ancien tyran ?

Une politique économique et sociale volontariste

Le mythe ─ véhiculé par le Consensus de Washington ─ selon lequel un cycle de développement ne peut reposer que sur la libéralisation et l’investissement privé international ne correspond en rien à la réalité historique. De la Grande-Bretagne aux Etats-Unis et du Japon à la Corée du Sud, les exemples de croissance économique dopée par la protection des industries naissantes et stratégiques sont légion au cours de ces deux derniers siècles. En d’autres termes, il n’est pas possible d’« importer » un cycle de développement économique et social. Cela ne signifie évidemment pas que la RDC doit se couper du monde extérieur et diaboliser le commerce et l’investissement international. Cela signifie simplement qu’aucun investissement privé durable ne surviendra sans la construction initiale de fondations économiques et sociales suffisamment solides et performantes. Cela signifie également qu’aucune nouvelle industrie congolaise ne verra le jour et qu’aucun producteur congolais ne survivra sans la mise en œuvre d’une stratégie allant dans ce sens.

En clair, la constitution d’un solide marché intérieur est primordiale si on veut éviter que la stratégie DSRP-PPTE de la RDC équivaille à lancer un frêle petit radeau dans une mer agitée remplie de paquebots. Cela implique de réfléchir à une politique commerciale qui ne se limite pas à abolir les droits de douane et les contrôles de capitaux, mais tente de privilégier certains secteurs et produits susceptibles d’apporter des revenus suffisamment conséquents pour lancer un cycle de développement durable partiellement endogène. Dans le même ordre d’idée, le secteur agricole doit faire l’objet d’une attention particulière et les cultures vivrières doivent être encouragées dans le but de promouvoir une sécurité alimentaire vaguement évoquée dans le DSRP-I.

Une démocratie encrée dans la dynamique communautaire

Tout comme il est impossible d’« importer » un cycle de développement économique et social, il n’est pas davantage possible d’« importer » une démocratie ou de la parachuter artificiellement « par le haut ». Le pilier III du DSRP-I répond à cette réalité en prônant une dynamique communautaire « participative ». Se limiter à une déclaration de bonnes intentions serait en la matière catastrophique. Cela implique d’intégrer les associations et les communautés de base dans l’élaboration, la réalisation et l’évaluation de la stratégie de développement. Le rôle de l’Etat est ici primordial, notamment en matière d’éducation et de

31 Lire Adams Patricia, Odious debts, Probe International, 1991.

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formation. Mais il ne pourra être démocratiquement efficace que s’il prend véritablement en compte les besoins et les droits des populations, ce qui implique notamment de rompre avec l’a priori péjoratif exprimé à l’encontre de la « culture de l’Etat Providence » par le DSRP-I.

Une stratégie durablement cohérente

La fragilité des bases sur lesquelles repose la stratégie DSRP-PPTE en RDC implique que les différents éléments qui la composent (financement, cohésion des différents piliers, séquençage des réformes, etc.) soient analysés et mis en œuvre de manière cohérente, sans quoi la stratégie risque de se limiter rapidement aux réformes traditionnelles d’ajustement structurel. Par exemple, la mise en œuvre de privatisations accélérées sans garantie de régulations et de contrôles publics adéquats aboutirait au fiasco constaté par le passé dans nombre de pays sous ajustement. Parallèlement, un financement extérieur trop limité condamnerait purement et simplement tout espoir de réussite. Cela implique, comme pour toutes les autres pistes alternatives, une véritable volonté politique internationale motivée par les droits humains davantage que par l’exploitation des ressources naturelles congolaises.

VII- Entretien avec Souleymane Sow, représentant de la Banque mondiale à Kinshasa

Comment se déroulent les réformes structurelles et sectorielles chapeautées par la Banque mondiale en RDC ?

Les réformes commencent à avancer après une période d’immobilisme s’expliquant par le fait que le gouvernement a été fort pris par la réunification du pays et par les réformes économiques et sociales. Cependant, tout reste fragile d’un point de vue économique. Le problème est que les pouvoirs publics ont très peu de moyens. C’est pourquoi nous mettons en œuvre toute une série de réformes qui visent à attirer les investissements privés internationaux.

En quoi consistent ces réformes ?

D’abord, de nouveaux codes ont été mis en œuvre pour l’exploitation des mines et des forêts. Ensuite, un programme de développement du secteur privé et de la compétitivité, basé sur la privatisation et la restructuration d’entreprises publiques, a été lancé. La mise en place d’un cadre juridique pour les investissements privés étrangers et nationaux (protection des investissements, facilités administratives, diminution et simplification des taxes) et une réforme du système bancaire sont également prévus. Enfin, les chaînes de dépenses seront automatisées, ce qui permettra une vérification stricte du budget et constitue un outil important dans la lutte contre la corruption. Cette réforme est en cours mais nous connaissons certains problèmes en matière de technologies.

Plusieurs de ces réformes font déjà grincer des dents à Kinshasa, à commencer par les plans sociaux dans les entreprises publiques à privatiser. Que répondez-vous à ces critiques ?

Le programme de privatisation et de restructuration, co-financé par les Etats-Unis et la France, implique un programme de réinsertion. Par exemple, le plan social à la Gecamines qui prévoit 11 000 licenciements et qui a débuté le 11 août 2003 permet aux anciens travailleurs qui n’ont pas envie de partir à la retraite de suivre une formation et de se faire financer, via un micro-crédit, un éventuel projet. Un nouvel organisme, la COPELEP, sera créé en septembre à cet effet en remplacement de la BCECO, très critiquée. L’OCPT connaîtra également un plan social par la suite et la liquidation de trois banques est en cours, mais cela prend du temps avec les bailleurs de fonds, les syndicats, l’administration. Ces mesures sont inévitables, car on ne veut pas que le gouvernement injecte le peu

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de moyens qu’il a dans des entreprises publiques mal gérées et mises sous tutelle par l’Etat, comme cela a été le cas un peu partout ailleurs en Afrique.

Quelles sont les garanties apportées par le code forestier pour éviter que la forêt, jusqu’ici inexploitée et qui représente un des poumons de la planète, ne soit détruite à terme ?

Une étude a été réalisée pour analyser le type de concessions et le rythme d’exploitation compatibles avec le rythme de régénération de la forêt. Une formation est également prévue pour impliquer les populations locales dans ces exploitations et assurer un contrôle des sites.

Les moyens disponibles pour la mise en œuvre de la stratégie de réduction de la pauvreté laissent également à désirer. Quelle est votre analyse de la situation ?

Pour l’instant, très peu d’argent entre dans ce pays. Le système bancaire est en lambeaux et n’octroie quasiment aucun crédit, car les taux d’intérêt sont très élevés. Les échanges sont également très faibles et dans de nombreuses régions du pays, on constate un retour au troc. Or, qui dit absence de banques dit absence de traces des mouvements de fonds. La situation est dès lors difficilement contrôlable. Mes collègues de Washington ne comprennent d’ailleurs pas toujours pourquoi il est aussi difficile d’injecter de l’argent dans l’économie du pays. D’un point de vue macro-économique, le pays a retrouvé la croissance en 2002 après treize ans de récession. Mais le taux de croissance reste à peine plus élevé que la croissance démographique. Or, même avec un taux de 7 ou 8%, comme cela est prévu pour 2005 dans les projections du FMI, ce serait insuffisant. Nous avons calculé qu’avec un taux moyen de 7% de croissance, il faudrait soixante ans pour que le pays revienne au niveau social qu’il connaissait en 1960 !

N’est-ce pas un paradoxe dans un pays regorgeant de richesses ?

On parle beaucoup des richesses de la RDC, mais elles sont non renouvelables et ont créé de nombreux malheurs par le passé sans profiter aux populations locales. Quoi qu’il en soit, nous voulons exploiter cette réalité avec une stratégie claire. Par exemple, je constate qu’il y a ici un gigantesque fleuve rempli de poissons, mais je ne vois aucune activité aux alentours. La pêche, la forêt, l’élevage, …les activités à promouvoir ne manquent pas.

A ce sujet, le document intérimaire de réduction de la pauvreté (DSRP-I) définit une liste détaillée de réformes à mener, mais sans que leur financement ne soit le moins du monde défini. De son côté, le FMI prévoit un trou de 800 millions de dollars à boucher par les financements extérieurs qui doivent encore être en partie matérialisés. La stratégie n’est-elle pas condamnée d’entrée ?

En réalité, on ne sait pas trop sur quoi s’est basée la rédaction du DSRP-I. On ne connaît pas le niveau social du pays et les statistiques sont peu fiables. Mais les 800 millions prévus par le FMI me paraissent très sous-estimés. Je me dis que c’est impossible : il y a ici des écoles et des hôpitaux sans toit, avec des sols meubles et donc très dangereux, on ne prend même pas en compte les endroits où il n’existe aucune infrastructure. On ne sait pas exactement quel est le niveau de scolarisation, ni même le niveau de la population scolarisable. Actuellement, ce sont les parents qui paient les enseignants pour l’éducation de leurs enfants, ce à quoi il faut ajouter le coût des livres, etc. Comment voulez-vous qu’ils prennent cela en charge alors qu’ils n’ont pas d’emploi ? Evidemment, les parents sacrifient la scolarisation des enfants capables de travailler pour la survie de la famille. Il n’existe pas non plus de recensement démographique, de fécondité, etc. Quand je constate le taux de malnutrition ici, je suis désarçonné : je pourrais comprendre cela au Sahel, mais ici, avec des sols si riches ! Une étude sur le niveau de vie de la population est prévue et le questionnaire est prêt, mais on attend toujours les financements. Le gouvernement congolais n’a pas les moyens pour financer cela ! Le problème est donc le manque de moyens pour la stratégie, ce qui fait du DSRP une liste de tâches sans moyens suffisants pour les mettre en œuvre. En outre, les bailleurs de fonds rechignent à verser dans un pot commun géré par le gouvernement les fonds promis pour l'élaboration du DSRP final, dont le

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calendrier connaît des retards d'exécution. Les pays créanciers ont bien du mal à mettre la main à la poche et préfèrent financer des projets bien précis.

Comment comptez-vous résoudre le problème du financement, notamment celui des aspects sociaux ?

La priorité est pour nous l’attraction de capitaux privés internationaux. En outre, 55% des ressources dégagées par les allégements de la dette doivent être affectés aux dépenses d’éducation (25%) et de santé (30%). Le gouvernement doit faire comme s’il devait rembourser toute sa dette pour garantir la part du service de la dette à affecter aux dépenses sociales. Au total, les allégements de dette permettront de dégager 34 millions de dollars en 2003 et 100 millions en 2004. Si la RDC rencontre pour 2006 les sept grands critères de performance définis par sa stratégie, il atteindra le point d’achèvement de l’initiative PPTE et se verra octroyer de nouveaux allégements. Si les sept critères ne sont pas atteints, l’échéance sera repoussée jusqu’à ce que cela soit le cas. Enfin, il faut absolument accentuer les recettes de l’Etat. Actuellement, on trouve toute une série de produits importés sans qu’il n’y ait la trace de la moindre taxe effectivement payée ! Il y a des intouchables ici qui ne se sentent pas concernés par les taxes et les droits à payer. Il faut que cela change et c’est au ministre des Finances à s’occuper de cela.

Propos recueillis par Arnaud Zacharie (Kinshasa, 19 août 2003).Bibliographie

Adams Patricia, Odious debts, Probe International, 1991.Bourque André, Lindiro Kabrigi Jean-Pierre, Brittain Victoria and Georges Tshionza, Civil society, a factor for peace in RDC, May 2003.Braeckman Colette, Le dinosaure : Le Zaïre de Mobutu, Fayard, 1992.Braeckman Colette, Les nouveaux prédateurs. Politique des puissances en Afrique centrale, Fayard, 2003.CNCD, Pour l’annulation des créances belges sur la République démocratique du Congo, Bruxelles, juin 2002.CNONGD, Analyse critique du DSRP-I. Pistes de solutions, Kinshasa, décembre 2002.CNUCED, Rapport sur les PMA, 2000.CNUCED, Rapport sur les PMA, 2002.IMF, Democratic Republic of the Congo : Letter of intent, Kinshasa, January 2002.IMF, Democratic Republic of the Congo : 2003 Article IV Consultation, Washington, June 2003.PNUD, Rapport sur le développement humain 2000, Economica, 2000.PNUD, Rapport sur le développement humain 2003, Economica, 2003.République démocratique du Congo, Document intérimaire de stratégies de réduction de la pauvreté, Kinshasa, mars 2002.Tshiyembé Mwayila, « Transition à hauts risques au Congo-Zaïre », Le Monde Diplomatique, juillet 2003.Verschave François-Xavier, Noir silence, Les Arènes, 2000.Zacharie Arnaud et Toussaint Eric (sous la direction de), Afrique : Abolir la dette pour libérer le développement, Syllepse/Cadtm, 2001.Zacharie Arnaud et Malvoisin Olivier, FMI. La main visible, Labor, 2003.

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Tables des matières

Introduction……………………………………..…………………………………… p. 1I- Le DSRP intérimaire de la RDC…………………………………………………. p. 2II- Les trois piliers du DSRP-I……………………………………………………… p. 3

Pilier I : Paix et bonne gouvernance………………………………………….. p. 3Pilier II : Stabilisation macro-économique et croissance pro-pauvre…………. p. 3Pilier III : Dynamique communautaire………………………………………... p. 4

III- Le financement du DSRP…………………………………………………….…. p. 5Les sources de financement externe…………………………………………… p. 6La « régularisation » de la dette extérieure………………………………….… p. 6L’initiative PPTE……………………………………………………………… p. 8

IV- Les conditionnalités de la stratégie DSRP-PPTE……………………………… p. 9Le processus de paix………………………………………………………….. p. 9Les conditionnalités macro-économiques et structurelles…………………….. p. 10

V- Analyse critique de la stratégie DSRP-PPTE en RDC……………………....… p. 14Un fragile processus de paix………………………………………………….. p. 14Une définition minimaliste du rôle de l’Etat…………………………………. p. 15Des conditionnalités surabondantes………………………………………….. p. 16Des réformes largement issues du Consensus de Washington………………. p. 17Un financement aléatoire…………………………………………………….. p. 18

VI- Les pistes alternatives………………………………………………………….. p. 20L’annulation de la dette………………………………………………………. p. 20Une politique économique et sociale volontariste……………………………. p. 21Une démocratie encrée dans la dynamique communautaire…………………. p. 21Une stratégie durablement cohérente………………………………………… p. 21

VII- Entretien avec S. Sow (Banque mondiale)…………………………………… p. 22Bibliographie………………………………………………………………………... p. 24

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Centre national de coopération au développement (CNCD/Opération 11.11.11), 9 Quai du commerce, 1000 Bruxelles (Belgique), +32.(0)2.250.12.30, [email protected].

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