La Lettre de Penthes - Editions Alphil et les Editions … · 2016-06-06 · La Lettre de Penthes...

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Le magazine du Domaine de Penthes – Numéro 27, printemps 2016 La Lettre de Penthes Exposition: Rembrandt à Genève ARTICLES Tim Guldimann au Parlement Suisse - France 500 ans d’accords mutuels Artikel auf Deutsch: Seiten 50 und 51 Articles in English: Pages 14, 16, 42, 46 and 48 Les relations entre les Pays-Bas et la Suisse

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Le magazine du Domaine de Penthes – Numéro 27, printemps 2016

La Lettrede Penthes

Exposition: Rembrandt à Genève

ARTICLES

Tim Guldimann au Parlement

Suisse - France 500 ans d’accords mutuels

Artikel auf Deutsch:Seiten 50 und 51

Articles in English:Pages 14, 16, 42, 46 and 48

Les relations entre les Pays-Bas et la Suisse

La Lettre de Penthes - No 27 | 3

SOMMAIRE |

ÉDITIORIAL

Le bureau s’amuse

ARTICLES

Tim Guldimann, un Suisse dans le monde au Parlement

Bernard Barbey, homme de lettres, officier, diplomate

Alfred Baur (1865-1951)

Maurice Fatio, architect of the American high society

Carl Elsener Junior

Les Moriers, une famille étroitement mêlée aux intrigues européennes et proche-orientales

Ferdinand de Saussure :un très discret savant genevois au rayonnement mondial

REVUE LITTÉRAIRE

Livres à lire

Adèle d’Affry (1836-1879). Marcello,Femme artiste entre cour et bohème

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CEUX QUI ONT COMPTÉ POUR PENTHES

MOT DU DIRECTEUR

À TRAVERS LE MONDE

From Florida to GrenadaIn search of the Swiss Abroad

Jana CanigaHonorary Consul in Grenada, West Indies

Julia Anna Flisch (1861-1941)

« Lasst mir die Heimat grüssen ! » Marguerite Nerny Stäger, die älteste Auslandschweizerin Nordamerika

LA VIE DU MUSÉE

Clara d’Atena PizzolatoDe Rome à Genève – du microscope au pinceau

Les relations entre les Pays-Bas et les Suisses

Suisses de France et Français de Suisse : 500 ans d’accords mutuels

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C’est à une présentation informelle du Bureau du Conseil de la Fondation* que je vous convie, puisque le président Rodolphe Imhoof m’en a confié la rédaction. Faire connaissance avec ses membres, rien de plus simple. Le cadre, le restaurant du Domaine de Penthes, à peine la première page de l’année 2016 était-elle tournée. Attablés devant un menu spécialement préparé par l’équipe de Sandro Haroutunian, nous avons donc entamé la discussion. Moi, j’avais des exigences : Que représente le Musée des Suisses dans le Monde pour vous ? Quelle image le Domaine de Penthes donne-t-il à Genève et au monde ? Quel rôle pensez-vous tenir dans cette mission bénévole ? Y a-t-il un message à faire passer ? Comment voyez-vous l’avenir de la Fondation ? Avouons qu’il y avait de quoi couper l’appétit du plus courageux… Les membres du bureau avaient des inquiétudes : Que va-t-on dire ? Qui va nous lire ? Mais rejoignons donc le groupe. Nous en sommes à peine à l’apéritif : le temps de délier les langues. L’avantage, dans ce nouveau bureau, c’est que les uns et les autres se connaissent, plus ou moins bien. Ils ont déjà partagé la séance plénière du Conseil de fondation du Musée, en octobre 2015, dans la salle du Parlement d’Uri, à Altdorf. C’est là que le président Imhoof eut l’idée de cette table ronde, impromptue, et de cet article de présentation sous forme d’édito. Dont acte.

* Le Bureau du Conseil de la Fondation est constitué de quatre membres bénévoles se chargeant de gérer les orientations de l’Institution dans son ensemble.

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De gauche à droite : T. Zehnder, H. Schneebeli, R. Asnar, R. Imhoof

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Le Bureau s’amuse* ParDaniel Bernard

*référence au film: Le Congrès s’amuse (1931), réalisé par Erik Charelle et Jean Boyer.

Les Personnages sont réunis à table et la discussion à bâton rompu a commencé dès le moment de l’apéritif. Les boissons délient

les langues et l’on se permet donc la familiarité d’une fratrie, alors même que la table ronde évoque les chevaliers du même nom.

RODOLPHE (LE PRÉSIDENT) – Mes amis, chers membres du bureau, je vous propose de boire à la santé de Penthes, de sa Fondation et de son musée ! Bonne année !HUBERT – Santé à vous tous et merci de m’avoir admis parmi vous !RONALD – De nous avoir admis, cher Hubert !THIERRY – Bon, eh bien à votre santé. Surtout à la tienne, Président ! Non, pas vous, président, je parle à celui des Amis de Penthes, celui qui nous écoute et nous interviewe…DANIEL – Santé à vous tous réunis. Merci de participer à cette grande première ! À partir de cet instant, tout ce qui sera entendu sera retenu contre vous, mais pour le musée et pour la Lettre de Penthes ! Santé !

Ils boivent et commencent à déguster l’entrée.

DANIEL – Ce que je souhaite c’est que chacun puisse exprimer librement les raisons pour lesquelles il est monté dans ce train qu’est le Musée des Suisses dans le Monde, c’est que vous me disiez ce que vous pensez du positionnement de la fondation et du musée, et enfin que vous évoquiez brièvement l’avenir tel que vous l’imaginez !RODOLPHE – Quarante ans passés dans la diplomatie suisse m’ont convaincu que les meilleurs ambassadeurs de la Suisse, de son image, de ses valeurs, de son influence étaient ceux de nos compatriotes qui ont su dans leur vie conjuguer des racines et des ailes, garder ancré en eux cet attachement à la glèbe natale et prendre leur envol pour découvrir et conquérir d’autres espaces de vie avec ouverture, enthousiasme et engagement. Voilà !HUBERT – Tu veux que l’on mette cela dans le texte ? In extenso ?THIERRY – Si tu veux endormir le monde, oui, mais sinon, il va falloir raboter, rogner, ajuster, c’est son boulot à Daniel, pas vrai ?DANIEL – Rodolphe, défends-toi ! Ce n’est pas mal du tout je trouve. Peut-être la glèbe, à remplacer par la terre natale…

Rodolphe Imhoof : président, ancien ambassadeur de Suisse.

Hubert Schneebeli : vice-président, graphiste, enseignant et homme politique, ancien maire de la commune de Pregny-Chambésy.

Thierry Zehnder : trésorier, homme des finances, toujours plongé dans les chiffres mais ouvert aux arts et à la communication.

Ronald Asnar : avocat, collectionneur suisse de l’étranger puisqu’originaire du Liban avec lequel il a gardé des liens.

Daniel Bernard : président des Amis de Penthes, chargé de l’édito.

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RODOLPHE – Je poursuis. La Fondation pour l’Histoire des Suisses dans le Monde est une plateforme culturelle qui participe au développement de l’image positive de la Suisse, à l’illustration de ses valeurs, à la mise en perspective de ses expériences, au patrimoine laissé par les Suisses dans le monde. C’est la raison principale qui m’a amené à saisir ce défi. Cela va, comme ça ?RONALD – Moi, mes origines, le Liban, me rendent évidemment sensible aux rapports et aux mélanges entre les peuples et les cultures, aux apports réciproques dont peuvent s’enrichir les peuples et les cultures au contact d’autres. Alors je m’y retrouve assez bien dans la définition du président.DANIEL – Et toi, Thierry, tu es bien silencieux.THIERRY – Moi j’ai des mots clés ou des formules toutes faites : « Le seul musée au monde qui parle de l’histoire des Suisses de l’étranger », ou « Un phare pour les Suisses dans le monde et pour les étrangers qui veulent connaître la Suisse, son histoire, son futur », ou encore « La maison des Suisses dans le monde ». Je vis avec mon temps, les slogans, les texto, du rapide, du brut, des tournures comme pour la pub. Il nous faut dépoussiérer !HUBERT – Avec tout le respect pour la poussière ?THIERRY – Bien entendu, on respecte ce qui a été fait, mais on en parle au futur simple.DANIEL – Je prends au vol ! Et toi, Hubert ?HUBERT – Il me semble que l’existence même de la Fondation à Penthes est d’une évidente nécessité. À une époque où beaucoup donnent l’impression de déserter leur identité, leur culture, leur histoire au profit d’autres qui s’imposent sans bataille, il est primordial d’avoir une plateforme qui permet le souvenir de l’histoire passée, témoignage de l’investissement de femmes et d’hommes et de la construction d’un avenir solide de ces expériences et de ces valeurs. RODOLPHE – Messieurs, notre rôle à nous maintenant ? C’est cela Daniel que tu veux entendre ?DANIEL – Oui, aussi. Mais toi tu m’as déjà répondu. On t’écoute Ronald.

RONALD – La Fondation remplit une tâche essentielle, citoyenne et patriotique. En cherchant à se développer, pour devenir un pôle culturel incontournable au cœur de la Genève internationale, en expliquant et transmettant les fondamentaux de l’histoire suisse et leur impact sur la façon dont nous sommes perçus au plan international, nous thématisons les valeurs suisses qui ont contribué à asseoir notre image et nous perpétuons le dynamisme historique des échanges culturels entre la Suisse et le monde. Je vais t’écrire cela, mais j’y ai d’abord réfléchi comme tu vois !DANIEL – Parfait, maître. J’attends ton email.HUBERT – Si je puis me permettre, dès mon arrivée au Conseil municipal en 2003, j’ai œuvré au rapprochement de la commune et de la Fondation, convaincu dès le départ de la nécessité de la défense de points d’intérêts communs au profit de la population de la commune, puis plus généralement de Genève. Alors c’est tout naturellement que j’ai accepté de vous rejoindre, une fois mon mandat terminé au sein de la commune. Curieuse ironie : pour exister et résister aux pressions extérieures, de ce petit bout de pays une poignée de gens se sont exportés. Ils ont dans leur élan disséminé une culture et un savoir-faire qui fait briller la Suisse au-delà de ses montagnes. Plus qu’être reconnaissants, il nous incombe de protéger et de partager cet héritage, suscitant peut-être par l’exemple de nouvelles vocations. Alors nous devons poursuivre, contre vents et marées !RODOLPHE – Merci pour ton enthousiasme, Hubert! Daniel, je sens que tu n’auras plus rien à faire, ou presque, Président !DANIEL – Oui, président, mais gare: « Le secret d’ennuyer est celui de tout dire » !THIERRY – C’est de toi ?HUBERT – Penses-tu, c’est au moins de Rousseau ?RONALD – Non, Bouvier ou …DANIEL – Voltaire, mes amis ! Ceci pour dire qu’il me faudra surtout couper vos élans lyriques, mais je trouve aussi que votre bonne humeur a ceci de positif, si j’ose l’exprimer ainsi, que l’on voit que le bureau est solidaire et enjoué, qu’il

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croit à sa mission, et à celle du musée. Cela fait du bien des fois, de faire le point, non ?THIERRY – Moi je tiens les comptes, et je peux dire que la technique du financier que je suis est plus que positive. On voit les tendances, on analyse les résultats. Or, comme vous le savez tous, après plus de 35 ans de présence, se développer, grandir pour devenir incontournable, éclairer, célébrer et perpétuer le dynamisme de la Suisse dans et avec le monde, jouer pleinement son rôle d’utilité publique, cela a un coût certain! Et c’est là que nous avons, nous, notre rôle à jouer ! Trouver les fonds indispensables à notre mission, exercer une vigilance constante quant à la gestion...RONALD – En termes de culture, je suis par ailleurs passionné d’histoire et d’art, j’exerce notamment en droit de l’art, et suis moi-même collectionneur. Le rôle de la Fondation de la transmettre et de la diffuser me paraît justifié ! Ceci au travers de l’influence qu’ont exercée des Suisses dans le monde, me paraît d’une utilité fondamentale à notre époque, alors que les échanges entre les peuples n’ont jamais été aussi nombreux. Voilà, je vous passe la leçon.RODOLPHE – Bravo Ronald ! Tu vois Daniel, c’est cela que j’aimerais que l’on sente dans ton édito ! La passion personnelle de chacun et l’intérêt collectif, ou pour la collectivité ! Non ?HUBERT – Encore une chose à ajouter : par l’engagement associatif, civique ou politique, le Suisse est un membre actif de la collectivité ; et le politique a pour responsabilité de mettre en place les conditions cadres en vue de faire perdurer le témoignage de ce qui nous a construit. Mon parcours de magistrat communal m’a montré que cela est plus difficile qu’il n’y paraît, Cependant, je suis convaincu que le partenariat entre l’État de Genève et la Fondation va dans ce sens.DANIEL – Je suis sûr que les lecteurs vont comprendre cela, Amis de Penthes ou pas. Encore des idées ?RONALD – Oui, je pense aussi que la Fondation a vocation à s’adresser aussi bien aux Suisses qu’aux étrangers : elle trouve au sein de la Genève internationale un accueil tout indiqué pour développer sa mission et ses activités, et c’est

avec beaucoup d’intérêt et d’enthousiasme que je me suis engagé au sein du bureau du Conseil de la Fondation pour y contribuer.THIERRY – Mais moi aussi !HUBERT – Nous pouvons alors affirmer nous inscrire dans une dynamique à long terme pour être précisément le relais entre les générations, notamment au moyen du développement de programmes pédagogiques pour nos plus jeunes visiteurs...RODOLPHE – Excellent! C’est la raison de ta présence, mon cher. Dites-moi, je n’ai pas vu passer le temps. Un petit café ? Daniel, tu as ce qu’il te faut pour ton papier?DANIEL – Je crois que oui. J’attends donc que vous me mettiez cela par écrit, en trois mots.THIERRY – Et toi, alors ? Tu ne nous as rien dit de tes raisons à toi !DANIEL – Moi, j’ai l’Association des Amis de Penthes à gérer. Alors, si vous le voulez bien, vous vous reporterez à notre article dans ce numéro de la Lettre de Penthes. Et pour répondre au président, oui, volontiers, un petit expresso avant de conclure. Merci à tous.RODOLPHE – Rendez-vous au printemps. Merci messieurs.RONALD – Merci pour votre accueil.HUBERT – Oui, merci.RODOLPHE – Un dernier point et je me tais : la globalisation entraîne, notamment auprès de la jeunesse, un besoin d’enracinement dans les fondamentaux. La Fondation a pour mission d’y contribuer. Pour cela l’Histoire, contée différemment et vue sous un autre angle, est un véhicule indispensable.THIERRY – Rien à ajouter. Post tenebras lux…DANIEL – Si, mes amis, santé au directeur Anselm Zurfluh !

Les quatre personnages s’amusent du bon mot, tellement genevois « Post tenebras lux ». Ils se quittent non sans avoir pris le temps d’immortaliser la scène avec un téléphone portable.

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Tim Guldimann,un Suisse dans le monde au Parlement

Monsieur le Conseiller national, vous êtes le premier parlementaire fédéral qui ait été élu en se présentant comme un candidat « Suisse de l’étranger » ; pouvez-vous nous rappeler les circonstances de cette candidature et de cette élection ?

La limite d’âge est impitoyable pour les fonctionnaires fédéraux, même si on se sent encore apte à fournir du travail. C’est positivement que le Parti socialiste de Zurich a accueilli mon idée de me porter candidat à un siège au Conseil national ; mais il y eut aussi des voix sceptiques. En fin de compte, l’assemblée des délégués me plaça à la dixième place de la liste – sur les sept sièges occupés alors par ce parti dans la Chambre basse. Le message était clair : efforce-toi, aussi

pour le parti. C’est ce que j’ai fait et j’ai obtenu la troisième place parmi les élus socialistes zurichois avec plus de 100 000 voix. Ce résultat a été acquis aussi grâce à ma présence dans les médias.

Votre profil un peu spécial, a-t-il été une aide ou un handicap pour votre élection ?

Je pense avoir rendu la liste socialiste un peu plus colorée et plus diverse. Cela a peut-être contribué à conquérir, pour le parti, deux sièges supplémentaires dans ce canton, alors que c’est la droite nationaliste qui ailleurs a renforcé sa position dans les élections de 2015. Ajoutons qu’en même temps, le candidat socialiste Daniel Jositsch a été brillamment élu au premier tour pour occuper le siège zurichois au Conseil des États.

Vous avez été élu sur la liste du Parti socialiste zurichois : que signifie cette appartenance politique pour vous ?

Je suis un vieux soixante-huitard. Mais si je me compare au gros des socialistes, je suis devenu, il est vrai, un peu plus libéral entre-temps et aussi, après 33 ans au service de la Confédération, plus sceptique à l’égard de l’intervention étatique. C’est sur le plan de l’action sociale, mais aussi quant à l’ouverture du pays sur le monde, que je reste résolument de gauche.

Que répondez-vous à ceux qui estiment qu’habitant Berlin, vous n’êtes pas suffisamment connecté à la réalité suisse de tous les jours pour prendre les décisions qui seront celles du Parlement suisse dans les années à venir ?

Entretien parBénédict de Tscharner

Président honoraire de la Fondation pour l’Histoire des Suisses dans le Monde

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En effet, ma biographie m’a mené loin du Grütli ; en même temps, je suis en mesure de jeter un regard de l’extérieur sur notre pays. Au vu de notre schizophrénie, cela me paraît être une contribution essentielle, car tout en restant un des pays dont l’interaction avec le monde est la plus intense, nous nous délimitons en Europe dans notre culture politique ; et ce « patriotisme de l’isolement » se renforce encore.

Les Suisses de l’étranger, c’est une catégorie d’électeurs, certes, mais ce sont aussi des destins fort différents : l’homme d’affaires habitant Singapour, le retraité de la Côte d’Azur, l’agriculteur du Canada, l’étudiant de Londres, l’ingénieur travaillant en Afrique… Quel lien significatif y a-t-il entre eux ?

Malgré toutes ces différences, les Suisses et Suissesses de l’étranger partagent d’importants objectifs – qui ne sont pas de gauche. C’est ainsi qu’ensemble avec 63 autres signataires, surtout issus du camp bourgeois, j’ai lancé une motion au Conseil national demandant qu’après les nombreuses pannes que nous avons vécues, tous les électeurs de la Cinquième Suisse puissent enfin voter par voie électronique lors des prochaines élections en 2019. Cela dit, je ne prétends pas représenter, avec mes convictions politiques, tous les Suisses dans le monde, même si le Parti socialiste compte le plus important électorat parmi eux.

Il y a les Suisses de l’étranger, mais il y a aussi la Suisse dans le monde : serez-vous, également en tant qu’ancien diplomate, LE conseiller national de la politique étrangère ?

Il est vrai qu’au cours de la campagne électorale, je me suis présenté comme « Internationalrat » ; mais le Conseil national compte 199 autres experts en politique étrangère ! Je ne suis donc pas LE conseiller national de la politique étrangère ; mais je peux tirer le meilleur profit de mon expérience diplomatique. Aujourd’hui,

mon objectif central est bien de sauver – et de développer – les accords bilatéraux avec l’Union européenne. L’idée d’une « clause de sauvegarde » prévue par le Conseil fédéral, les met en danger, car cette clause implique des mesures introduites de façon unilatérale, si elles ne font pas l’objet d’un accord avec Bruxelles. Ainsi, le seul terme devient absurde : une clause fait partie d’un traité et ne peut pas être transformée en un instrument servant à violer ce traité…

On dit que la Suisse a une excellente image dans le monde – et on dit en même temps qu’elle est mal perçue, mal comprise, inaudible, insignifiante… Qu’en dites-vous, vu de Berlin, par exemple ?

La Suisse jouit en effet d’une bonne réputation, pour ne pas dire d’une image presque indestructible. Et pourtant, cette image est mise en cause quand nous nous mettons à violer des obligations internationales ou quand nous tentons de changer les règles du jeu par nos nombreuses initiatives constitutionnelles. Dans le passé, une des forces de la Suisse a été sa fiabilité ; celle-ci est à présent en danger. En effet, nous figurons parmi les 20% des nations économiquement les plus importantes du monde et nous nous rendons nous-mêmes insignifiants en nous complaisant d’être un petit État.

*Conseiller national, ancien ambassadeur de Suisse (Berlin, Téhéran) ; auteur de « Aufbruch Schweiz ! Zurück zu unseren Stärken », entretiens avec Christoph Reichmuth et José Ribeaud, Nagel & Kimche, Zurich 2015 ; version française : « Demain la Suisse. Dialogue avec Tim Guldimann, diplomate et citoyen », Éditions Alphil, Neuchâtel 2015.

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Bernard Barbey,homme de lettres, officier, diplomate

C’est en février 2011 qu’eut lieu, au Centre Général Guisan à Pully, un grand colloque sur la vie et l’œuvre du Vaudois Bernard Barbey (1900-1970). Les actes de ce colloque sont à présent publiés sous la direction de Roger Durand aux Éditions La Baconnière, actes réunissant les exposés, augmentés d’autres textes inédits, ainsi que d’une belle collection de photographies que la famille a mise à la disposition du Comité Bernard Barbey.

Issu d’une famille de notables du Nord vaudois, Bernard Barbey s’est formé aux sciences sociales aux universités de Lausanne et de

Genève. Jeune marié à la Genevoise Andrée Duval, il s’installe à Paris à l’âge de 23 ans où il mène une carrière littéraire très remarquée : introduit par Guy de Pourtalès comme secrétaire de rédaction à La Revue hebdomadaire, il perce dans le monde littéraire avec la publication de l’ouvrage Le Cœur gros que François Mauriac adoube immédiatement. L’écrivain sera couronné par le Prix du roman de l’Académie française en 1951 pour Chevaux abandonnés sur le champ de bataille.

Parallèlement à sa carrière littéraire et à sa vie familiale, le capitaine Bernard Barbey accomplit ses obligations militaires suisses. La Seconde Guerre mondiale le ramène en Suisse où, en 1940, il devient chef de l’état-major particulier du général Henri Guisan, commandant en chef de l’Armée suisse. De cette expérience hors pair, Bernard Barbey tirera le fameux P.C. du Général, apprécié de tous sauf peut-être auprès d’une certaine camarilla militaire…

La paix revenue, Bernard Barbey désire rentrer à Paris ; mais il doit trouver un moyen pour nourrir sa famille. Le général Guisan tente de faire de sa « main droite » un attaché militaire, projet qui n’est pas du tout du goût des militaires de carrière. Max Petitpierre, en revanche, voit dans cette candidature inhabituelle la chance de renforcer la présence culturelle de la Suisse dans la Ville Lumière. Bernard Barbey devient

Le général Henri Guisan

ParBénédict de Tscharner

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donc diplomate, attaché culturel et de presse à la Légation de Suisse à Paris, dirigée alors par Carl Jacob Burckhardt, ancien président du CICR et lui-même une personnalité marquante de la vie littéraire. Des postes similaires avaient déjà été créés à Washington et à Londres ; ces capitales étaient sans doute tout à fait centrales si la Suisse voulait veiller, en ce moment crucial, à ce que sa position de pays neutre et épargné par la guerre soit bien comprise dans le camp des vainqueurs du conflit mondial. À noter que les premiers attachés de presse suisses avaient fait leur apparition en 1930 à Berlin et à Rome…

Bernard Barbey exercera cette tâche pendant vingt ans. Il comprend son rôle comme celui d’un acteur parfaitement intégré dans la vie culturelle parisienne et française où l’on trouve, n’oublions pas, bon nombre de Suisses de renom : Blaise Cendrars, Le Corbusier, Alberto Giacometti, Arthur Honegger – sans oublier le chansonnier Gilles ou encore l’acteur Michel Simon et bien d’autres. Bernard Barbey conçoit son rôle comme celui de facilitateur des échanges et des contacts plutôt que comme d’un agent de promotion, voire de propagande culturelle ; d’ailleurs, il ne dispose d’aucun budget permettant à la représentation diplomatique suisse d’organiser elle-même ou de subventionner des manifestations culturelles en France. Mais sans Bernard Barbey la magnifique exposition de François Daulte des chefs-d’œuvre des collections privées suisses, qui avait déjà fasciné les visiteurs de l’Exposition nationale à Lausanne en 1964, n’aurait pas, en 1967, trouvé le chemin de Paris, à l’Orangerie des Tuileries. Certaines des initiatives de l’attaché culturel apparaissent, aujourd’hui, clairement comme précurseurs du futur Centre culturel suisse que la Fondation Pro Helvetia ouvrira dans le Marais en 1985.

Quatre ans après son retour à Paris, en 1949, la charge de représentant de la Suisse à l’UNESCO s’ajoute au mandat d’attaché de légation ; cette nouvelle charge vaut à Bernard Barbey, dès 1957, le titre diplomatique de ministre plénipotentiaire. En 1964, alors qu’il est proche de sa retraite en

tant que fonctionnaire fédéral, Bernard Barbey est élu membre du Conseil exécutif de l’UNESCO pour quatre ans, élection qui est clairement un témoignage de l’estime exceptionnel en laquelle le tiennent ses collègues. Mentionnons, pour prendre un seul exemple, le rôle important que Bernard Barbey a joué dans le sauvetage, sur initiative de l’UNESCO, des monuments d’Abou Simbel, en Haute-Égypte.

La diplomatie culturelle et scientifique multilatérale, si elle avait déjà été pratiquée au sein de la Société des Nations de l’entre-deux-guerres à travers sa Commission internationale de coopération intellectuelle – où la France joue un rôle de premier plan – est malgré tout un phénomène nouveau dans l’histoire diplomatique suisse, à une époque, rappelons-le tout de même, où la Suisse n’est pas encore membre des Nations unies ! La grande crainte, à l’époque, est une « politisation » de ces organisations internationales sous l’impact des tensions Est-Ouest ou Nord-Sud. On peut affirmer que Bernard Barbey a donné à cette présence suisse de la forme et de la substance.

Fin janvier 1970, une voiture folle fauche Bernard Barbey devant son domicile, avenue Georges-Mandel. C’est la philosophe genevoise Jeanne Hersch qui lui succède auprès de l’UNESCO.

Le Corbusier et Bernard Barbey

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Alfred Baur naît le 7 juin 1865 à Andelfingen d’un père, Johannes Baur, maître-forgeron et agriculteur, dont

l’atelier est installé au pied du château.

Alfred est bon élève. Après une année à Winterthour à l’Industrieschule, il est engagé en 1881 comme apprenti de commerce, chez les Frères Volkart, une importante société active dans le commerce avec l’Inde et Ceylan. L’apprenti Alfred Baur est intelligent, entreprenant, travailleur ; Volkart l’envoie faire un stage à Manchester pour se familiariser avec les méthodes commerciales modernes. En 1884, il est délégué par la maison Volkart pour la représenter à Ceylan.

Alfred a 19 ans quand il part pour Ceylan. Sur le bateau qui fait la traversée se trouve Ferdinand de Lesseps, le constructeur du canal de Suez, alors âgé de 79 ans. Alfred s’en souviendra et dira de lui « que ce grand monsieur aux manières courtoises m’a fortement influencé dans ma trajectoire professionnelle ». Lorsqu’il débarque dans le port de Colombo, Alfred décrit un port bordé de cocotiers et de maisonnettes « bungalows ». À 27 ans, Alfred sera promu fondé de pouvoir de la maison Volkart.

En 1894, c’est le premier retour en Suisse. Alfred regagnera son poste marié avec Eugénie Brunner née Duret, une jeune veuve rencontrée aux bains de Loèche. C’est aussi lors de ce retour

Alfred Baur(1865-1951)

ParVérène Nicollier

Ancienne assistante du conservateur du Musée des arts d’Extrême-Orient

(Fondation Baur)

À chaque publication de la Lettre de Penthes correspond le nom de Suisses qui ont marqué l’histoire de leur pays qu’elle soit scientifique, militaire, économique ou culturelle : de Meuron présente son régiment, Nicollier sa sortie extravéhiculaire dans l’espace, Daniel Peter son chocolat, Bertrand Piccard son ballon, et aujourd’hui, Baur son thé, ses noix de coco et son futur musée. En effet, en 2016, Alfred Baur vient à peine de fêter son 150e anniversaire ; mais qui est-il ?

Estampe d’Utamaro (env. 1792), « Courtisane lisant une lettre »

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au pays que son père donne de l’argent à son fils pour fonder sa propre société. On prête à Johannes les propos suivants : « Cet argent, je ne le reverrai jamais plus. » Pourtant, nous le verrons plus tard, cela fut un bon investissement.

En 1897, Alfred se lance donc à son compte et crée sa propre compagnie The Ceylon Manure Works (Compagnie des engrais de Ceylan). Au début, il ne s’agit que d’une modeste échoppe qui propose des engrais faits de guano et de poudre d’os. Pas de grand succès la première année ; mais Baur persévère. C’est aussi l’année du jubilé de la reine Victoria qui fête ses 60 ans de règne, celle où la ville de Colombo est équipée d’électricité. C’est aussi le temps de la liberté d’entreprendre ; certains s’en plaignent, dont le doyen du Ceylon Medical College qui parle des odeurs envahissantes et malsaines qui viennent de fabriques de thé, d’usines à gaz, de fabriques de savon, de carrières de brique, d’usines d’engrais, de teinturiers, d’entrepôts d’os, etc.

En 1901, Baur déménage ses installations à Kelaniya où l’usine d’engrais se trouve toujours de nos jours. Durant presque un siècle, la société d’engrais fondée par Baur joue un rôle important dans l’île ; une sirène y annonce le début du travail, les pauses et la fermeture. Sept ans plus tard, le patron engage son premier collaborateur suisse.

Alfred Baur se lance à fond dans la mise au point d’engrais et la culture de la noix de coco, plutôt que dans celle du thé qui pourtant fait rage à l’époque et supplante le café. Interrogé alors par un journaliste du Times of Ceylon sur ses choix, Baur répond : « Beaucoup de gens dénigrent les nouvelles méthodes prétendant que les vieilles sont le résultat d’années d’expérience ; dans ma compagnie, nous combinons les deux : l’expérience et la recherche scientifique. » Il lance alors un mélange spécifique d’engrais organique de sa composition qu’il commercialise sous le nom de Baur’s Special Coconut Manure.

Baur surveille lui-même les travaux ; il s’est fait construire un pavillon sur la colline. Quand il le faut, il fait la route de Colombo à Chilaw dans une carriole tirée par un cheval ; le trajet prend une journée. Puis de Chilaw à Palugaswewa, il voyage par char à bœufs. La première voiture automobile est importée à Ceylan en 1902.

Le caoutchouc est une autre importante ressource de Ceylan et Baur a peut-être hésité à l’exploiter également ; en effet, avec l’arrivée de l’automobile et de l’utilisation de pneus dans le monde entier, les commandes de caoutchouc deviennent énormes ; mais Baur reste prudent, les hauts et bas de cette nouvelle industrie lui déplaisent ; il ne se lance donc pas dans ce commerce qu’il qualifie d’aléatoire, mais désire rester « agraire », dans le domaine de sa formation initiale dans le milieu familial.

Les années de la Première Guerre mondiale sont évoquées dans une brochure qui sera éditée en 1997 pour fêter les cent ans de l’entreprise Baur au Sri Lanka. C’est en 1917 que les architectes Maurice Turrettini et Guillaume Revilliod

Alfred et Eugénie Baur à Tournay

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construisent la villa privée de l’entrepreneur sur la colline de Pregny-Chambésy et à 57 ans, Alfred Baur commence sa collection d’œuvres d’art. En 1924, il voyage en Chine et au Japon, où il rencontre Kumasaku Tomita, un marchand japonais qui deviendra un ami. En 1925, il fait transformer le château d’Andelfingen en maison pour personnes âgées. Dès 1926, une correspondance abondante s’établit avec Blow, marchand d’art anglais. En 1928, Baur se lance dans la nourriture pour animaux, mais l’aventure ne dure pas ; l’importation de bois, notamment de tek de Birmanie et de Thaïlande, a plus de succès ; elle sera suspendue pendant la guerre et reprise dans les années cinquante.

Le nom de Ceylon Manure Works est changé en A. Baur & Co. C’est en 1929 que Baur entre en concurrence avec le collectionneur anglais Percival David lors de l’achat de porcelaines chinoises. Il complète sa collection de jades, de porcelaines, de tabatières chinoises.

C’est au cours des années trente que Ceylan et le thé sont devenus synonymes. Baur achète alors les 358 acres d’une plantation. Même en cette période dite de la Grande Dépression, Baur sait donner une nouvelle vie à ses plantations et doubler la dimension de sa fabrique d’engrais.

Sur le marché de l’art, la concurrence est vive. Baur entre en compétition avec George

Eumorfopoulos qui vendra sa collection au Victoria & Albert Museum à Londres « pour un prix dérisoire », Baur dixit.

Pour l’année 1933, on ne retrouve dans les archives qu’une seule lettre de Baur. Les prix du thé, du caoutchouc et de la noix de coco baissent dangereusement. Les plantations ferment, les planteurs travaillent sans salaire ou perdent leur emploi. En 1935, nouvel achat de 303 acres, le Clarendon Estate. Cette immense plantation était devenue une jungle après avoir été, dès 1883, une vaste étendue de culture du café, de cannelle et de quinquina. Lorsque Baur l’acquiert, il entreprend immédiatement une opération de sauvetage. Même le Tea Research Institute a de grands doutes sur le succès de cette entreprise : comment transformer des hectares de jungle et comment récupérer des arbres à thé devenus géants sans les abîmer et empêcher leur productivité ; le travail prendra deux ans. Cette même année, le collectionneur prête des jades chinois à la Royal Academy of Arts à Londres pour une exposition, de même qu’il prêtera des estampes au Kunsthaus de Zurich l’année suivante.

En 1936, une nouvelle usine est ouverte par M. Leiber, un Suisse qui en deviendra le directeur. Le Times of Ceylon écrira : « C’est incroyable que la plantation sauvage de Clarendon soit à nouveau sur la carte des plantations de thé dignes de ce nom. » Clarendon est la première fabrique fonctionnant entièrement à l’électricité ; elle deviendra un exemple pour bien d’autres.

Alfred Baur augmente ses collections et achète des objets d’art chinois et japonais en grande quantité. La correspondance avec les marchands se fait sous forme codée. Un jour, c’est Bisko qui signifie : « Arrêtez tous les achats. » Il renonce à une offre d’achat de Blow pour des surimono (estampes japonaises) pour cause de manifestations à Genève ; il préfère en effet donner du pain aux manifestants.

En 1937, estampes, céramiques et objets d’art japonais quittent le Japon pour la Suisse. C’est au

Pot à eau et vase « peau de pêche », Époque Qing, marque et règne de Kangxi(r. 1661-1722)

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mois de mars 1938 que la société prend le nom d’A. Baur & Co. Ltd et devient donc une société anonyme. Baur rendra visite à son entreprise et à ses employés le 21 décembre et repartira le 11 février 1939 ; ce sera son dernier voyage à Ceylan.

Pendant les années de guerre, toutes les compagnies nourrissent leurs ouvriers à l’usine. Chez Baur aussi : galette de céréales, noix de coco, chili, oignon et… thé. On encourage les ouvriers à planter des légumes et des fruits dans les parties non cultivées des plantations et Baur fournit les engrais, si nécessaire.

Alfred Baur expose jades et céramiques au Musée Ariana. En 1939, il achète une jarre chinoise de la période Song, un des clous de sa collection. Il décide de faire construire un immeuble à Colombo par un architecte suisse. Celui-ci sera inauguré en 1941. Baur écrit à Tomita : « Toutes les nations continuent la course aux armements et s’appauvrissent au lieu de penser à leur bien-être. »

En 1943, les plantations s’agrandissent encore de 300 hectares. De son côté, Tomita continue d’amasser des objets pour Baur, mais n’envoie rien. Une année plus tard, une facture de Tomita pour les achats faits entre 1939 et 1944 annonce que les objets feront le trajet dès la réouverture du transit maritime. Plus tard, le drame d’Hiroshima ne sera jamais mentionné dans les lettres de Tomita.

Lorsque la société Baur fête ses cinquante ans en 1947, Palugaswewa est décrite comme « la propriété la mieux entretenue et au rapport le plus haut du pays si ce n’est de l’Orient ». Les lettres de Tomita sont désormais marquées du sigle OJ pour Occupied Japan.

C’est en 1949 que les objets en provenance du Japon rejoignent l’Europe par le navire SS Mount Davis ; ils seront dédouanés en septembre. Dans le courant de 1950, Baur envoie des photos de l’hôtel particulier Micheli-Ador à son marchand et ami Tomita.

Peu avant la mort du collectionneur, l’achat de l’immeuble qui abritera le musée est conclu. Le 8 de la rue Munier-Romilly a été construit en 1898 et achevé avec le siècle par Charles Gampert et son beau-fils Jean-Louis Cayla. Le public est déjà au courant. Des amis écrivent à Baur : « Quel beau fleuron pour Genève, quelle belle cocarde d’art pour notre ville. »

Alfred Baur meurt le 9 décembre 1951.

Pour marquer le centième anniversaire de la création des activités de Baur au Sri Lanka en 1997, un Fonds du Centenaire Alfred Baur est créé dont le but principal est « l’aide aux conditions de vie, à l’infrastructure et à l’éducation du Sri Lanka rural ».

Baur a donc laissé un patrimoine d’une richesse incroyable : une collection importante, mais aussi un capital permettant de l’entretenir, avec des statuts très précis pour la fondation qui va faire perdurer ses vœux, à savoir faire connaître son musée (qu’il n’a pas connu) et publier le contenu de ses collections. Il a également laissé un capital dont les revenus permettent des dons importants aux œuvres de bienfaisance qui lui tenaient à cœur. Enfin, il a rédigé des directives pour toutes les activités de sa société au Sri Lanka.

La présence d’Alfred Baur à Penthes est toute méritée.

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE :

M. CRICK, H. LOVEDAY, E. NIKLÈS VAN OSSELTAlfred Baur, pionnier et collectionneurFondation Baur et Cinq Continents Éditions Genève et Milan 2015

L. El-Wakil« Transformer un hôtel particulier en musée d’art » dans Bulletin des Collections Baur No 60

Fondation Baur, Genève 1998, pp. 13-61

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Maurice Fatio,architect of the American high society

ByAndrea Taylor-Brochet

My grandfather Maurice Fatio had charm, talent, good looks and impeccable manners; those qualities permitted every aspect of his life until his premature death at age 46. How could he have foreseen that 73 years after his death, a house he had designed for a Texan would be listed as the most expensive home for sale in the United States?

Casa della PortaPalm Beach, Florida

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Maurice was born in Geneva, Switzerland at the turn of the 19th century to a respectable Swiss family in the heart

of Calvinist society. At a young age he was exposed to the privileges of an educated society that prided itself on intellectual wealth rather than on the display of frivolous luxuries. Young Maurice’s forebears belonged to a long line of established bankers, historians and politicians. During his youth he demonstrated a precocious inclination towards the arts and was admitted to the prestigious Zurich Polytechnic School where he studied architecture under Karl Moser. One could imagine that he was subjected to an austere upbringing, being prepared for a career designing large, public building. However, thanks to his mother Marguerite’s penchant for social gaiety, he acquired a knack for quick wit, charm and eloquence. Also, Maurice chose to spend his career designing residential architecture.

At age 23, he left the shores of Lake Leman and crossed the Atlantic with suitcases filled with ambition and letters of introduction. He found a position in the offices of Harrie Lindeberg, a well-known society architect who designed Norman and English-style villas. The doors of New England’s high society were adeptly opened and, by the time he was 26, Maurice was voted the most popular architect in New York. Charming and handsome, he moved easily in the world of Vanderbilts, Rockefellers and Wideners.

In 1925, he moved to Palm Beach, Florida, attracted by the Florida land boom. He brought with him fresh ideas to a community that had reached a saturation point with Spanish-style architecture, where he designed nowadays landmarked houses and luxurious villas. The Italian-Mediterranean style was first used by Maurice in many of his commissions. At the height of the depression, Maurice, the debonair bourgeois gentleman with the irresistible French accent wed Eleanor, the beautiful young socialite whose ancestry reached back to Scottish Royalty. Soon after, they had two children. Maurice and Eleanor were perfectly suited and shared an

affinity for entertainment at the Cotton Club in Harlem, for dinners with the Marx Brothers, for cocktails with the literary members of the Algonquin Club and for strolls on the beach with George Gershwin. Their combined charm led to an inordinate number of wealthy and famous relations who in turn commissioned Maurice with enough plans to sustain his family with a lavish lifestyle. At that time, America’s sober economic climate demanded a new architectural vocabulary that would counterblaance what had come to be perceived as the excesses of the 1920’s. Fatio looked to the Colonial architecture of the Caribbean and the American South for his inspiration. These styles had clean, uncluttered lines and used unpretentious building materials. The houses were light and modern, a welcome contrast to the opulence for which Palm Beach was known. The Reef was Maurice Fatio’s best Modern-style design. Built in 1936, it incorporates Le Corbusier’s, another Swiss architect, five points of architecture. The Reef was possibly the best design of Maurice’s career, as he won a gold medal for “the most modern house in America” in 1937 Paris International Exhibition. Maurice has built over 200 houses in Florida.

By the time World War II broke out, the fairy tale existence of Maurice and Eleanor came to a tragic end – he succumbed to lung disease, the effect of his excessive smoking habit, and shortly after his wife ended her life, broken hearted. Their son Pierre died less than 20 years later. 40 years after Maurice’s death, their only surviving child Alexandra willed her father out of oblivion by meticulously preserving his plans, land marking his houses and publishing a comprehensive book on his accomplishments.

Maurice Fatio

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Carl Elsener Junior

With kind permission ofPerspectives Pictet

Magazine

The family company which started making knives for the Swiss army more than a century ago is now run by the great-grandson of the founder — having diversified from knives and cutlery into timepieces, travel gear, fashion and fragrances.

When Karl Elsener founded a cutlery workshop in 1884 in the village of Ibach in the Canton of Schwyz, his

aim was to provide employment for local people who were forced to emigrate in order to find work. The Original Swiss Army Knife which he developed is still issued to every soldier in Switzerland, but is also widely used around the world because of its quality, functionality and design. Today, Victorinox under the leadership of the fourth generation of the founder’s family is diversifying into other products while never forgetting the values that have sustained it for more than a century.

Most cutlers and knife manufacturers have long ago moved production to low-wage countries, but Victorinox continues to employ 900 people in Ibach, the biggest employer in Schwyz. They make around 60,000 pocket knives a day, almost half of them the traditional Swiss Army Knife, as well as some household knives. The factory makes 15 million parts each month – stamping them from sheet metal, polishing them and heat-treating those that need to be hardened, before assembling the knives and quality checking them. Up to 80 per cent of the knives are sold through retail outlets, and the rest to the corporate market. And 90 per cent are exported, with half the remainder bought by tourists visiting Switzerland who take them home.

With its roots in the heart of Switzerland, Victorinox celebrates its commitment to the Swiss quality that is embedded in its products

and admired around the world. And in the spirit of its 125-year history, the company constantly innovates – there are now 360 models of the little red Swiss Army Knife offering up to 80 functions. The top-of-the-range Swiss Champ, for example, has 33 functions, the SwissFlash® is a USB pocket knife with up to 32GB of digital storage capacity, and the Victorinox Rescue Tool has found life-saving uses for rescue and security services.

Victorinox now has 1,800 employees world-wide, but it retains the culture of a family firm, not having dismissed anyone for economic reasons for more than 80 years. Eight of the eleven children of Carl Elsener Senior, the grandson of the founder who died in June 2013, work for the company – including Carl Elsener

“The Victorinox company has been part of our lives since we were children.”

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Junior, who succeeded his father in 2007 having shared an office with him for more than 30 years. One of his brothers – the family geek – heads the IT department, while another who liked working with his hands is in charge of quality management and customer service for the Swiss Army Knife.

‘We are a very big family, and family values are important to us,’ says Carl Junior. ‘The Victorinox company has been part of our lives since we were children – I was born across the street from the factory, and below us was the office, the warehouse and other departments. Victorinox was our playground, and we earned our first pocket money in the factory on Wednesday and Saturday afternoons by packaging knives in busy periods.

‘It was very important for my father to give us the feeling of the company, and he always introduced us to customers visiting the company from the USA, Germany or Italy. We had to sit quietly and listen, and while we did not always understand the conversation, we understood that these people were very important for our company. My father always said that at the centre of his thinking he put our people, our products and our customers – and that a business which concentrates on those cannot do much wrong in the long-term. He gave every new employee a booklet setting out the company’s history, values and philosophy. In that, he wrote that owner-families should not look at the reserves that the company has built over the years, the machines, the land and the buildings as their property, but as something that is entrusted to them to manage and lead responsibly.’

In line with this philosophy, the family established a Victorinox Foundation in 2000 which now owns 90 per cent of the share capital and reinvests its share of the profits in the business. This will preserve the company’s assets intact through the generations, so that it can continue to develop and remain financially independent. Even before the creation of

the foundation, the family had never drawn a dividend from the company, earning only salaries which are no more than five times the average wage of employees.

The remaining 10 per cent of the shares are in a charitable foundation established in memory of Carl Senior’s mother and father, which uses it to support charitable projects in Switzerland and worldwide – for example, to build hospitals and schools and dig wells in Africa. These ownership arrangements reflect the Christian values that have inspired all four generations of Elseners, of ‘gratitude towards employees, customers and our Creator’, as Carl Junior put it at his father’s funeral.

Victorinox is an iconic company today, but the early days of Karl Elsener’s business were difficult. At first he founded an association of 25 Swiss craftsmen cutlers to cooperate on producing within Switzerland the knives used by the soldiers of the Swiss army. The first delivery

Karl Elsener

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was made in 1891, but the venture almost collapsed because a German firm could mass-produce the knives more cheaply. Karl Elsener persevered but lost all his money and survived only because of the support of relatives and creditors until his products became successful and he voluntarily repaid all the creditors with interest.

After the death of his mother in 1909, Karl Elsener branded his knives with her name of Victoria and in the same year registered the distinctive trademark of the cross and shield which is now protected in more than 120 countries. The invention of stainless steel revolutionised the cutlery industry, and in 1921 the company became known as Victorinox, combining his mother’s name with ‘inox’, derived from the French word for stainless. But it was the Second World War that led to a surge of exports of the Swiss Army Knife which was sold in the PX stores of the US Army, Marines and Air Force.

One of the biggest challenges the company has faced in recent years followed the 9/11 terrorist attacks on the USA in 2001. New airline safety regulations which forbade passengers

from carrying blades on board hit Victorinox hard, since so many of its knives were sold to travellers using airports or given as corporate souvenirs that were no longer useful to travelling executives. ‘After 9/11 sales fell more than 30 per cent overnight’, but the company strained every sinew to maintain its record of not dismissing employees for economic reasons.

‘We only managed to do this because of the reserves we had always built up in good times, which allowed us to go on investing in new markets,’ says Carl Elsener Jr. ‘We stopped hiring, cancelled overtime and retrained some staff assembling the Swiss Army Knives so they could make the household and professional knives. We also moved others to our timepieces division and we even lent around 60 people to companies in the neighbourhood with big orders to fulfil. Before 9/11, we had seen high sales and had asked our people to work overtime to restock the warehouses – so after 9/11 we asked them to consume their outstanding holidays and overtime. With all these measures, we managed to keep on all of our people who appreciated that the family was prepared do everything possible to protect their jobs.’

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By the time of 9/11, Victorinox had already been diversifying its products – a responsibility that Carl Senior had delegated to Carl Junior to allow him to focus on the core knife products and avoid the international travel which he did not enjoy. This suited Carl Junior, who had spent six months in the US working with the public company which imported Victorinox products, and who enjoyed working abroad and learning about new cultures. The diversification was initially prompted by concerns in the 1980s over counterfeiting, as cheap imitations of the pocket knives flooded.

‘My father and I discussed how we could keep production of the Swiss Army Knife in Switzerland and be competitive. Our conclusion was that we should invest in our brand and make it more visible, because people are prepared to pay a little more for a brand and for customer service. Despite all the functions of the Swiss Army Knife, it has one disadvantage – it is carried in the pocket where it cannot be seen. People who buy a brand like to show it off, whether it is a Mercedes car or a Nike shirt, so we needed to make our brand more visible.’

His first project was the launch of the Swiss Army Watch in 1989, like the knives made in Switzerland at the company’s own assembly facilities in the Jura watch-making region. Today the high-performance timepieces account for one in five of the Swiss watches sold in the US. In 1999, Victorinox partnered with a US company to enter the international travel gear market, followed by the launch of a fashion line in the US in 2001 and fragrances in 2007. His wife Veronika leads the brand team which ensures that all the Victorinox products support the values of Swiss quality and reliability behind the little red knives.

The company also opened its first Victorinox store in New York’s trendy SoHo district in 2001, and its first European flagship store in London’s fashionable New Bond Street in 2008. There are now 12 stores in the US, one in Geneva and two

in Germany, where the Swiss Army Knife has always been popular. Victorinox products are sold in more than 130 countries today, and the company is focusing its growth efforts on Latin America and Asia where the prospects are best and people are less likely to assume that knives and cutlery are its only products.

The company is also promoting activities that will encourage the use of a pocket knife by children – something that it believes many parents want to see in today’s world. ‘We are working with an outdoor specialist who has written a book about whittling and has started to give courses about how to do it. The feedback from schools has been incredible, because parents have had enough of computer games and would like their children to play in the woods and work with their hands to make things. And although children today have smartphones and tablets, when a boy is given his first Swiss Army Knife, his eyes still light up.’

Carl Elsener Junior’s tips for entrepreneurs

• The advice given to me by my father remains true today: focus your energy and your passion on your people, on your products and on your customers

• If you want to lead or manage people, you must be yourself – be authentic and able to live the values of your private life in your business. If you have to adopt different values in business, it will be challenging to work with passion and commitment

• Lead your people by example: do not ask them to do something that you would not do yourself

• Go for organic, long-term, sustainable growth – don’t borrow too much

• Stay grounded

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PUBPar

Rhoona Ducrey

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Les Morier,

ParRhoona Ducrey

Un jour d’avril 1799, un jeune homme du nom de Philippe Morier est nommé secrétaire de lord Elgin, ambassadeur britannique à Constantinople. C’est le début d’une ère de près de cent ans pendant laquelle un membre de la famille Morier au moins a des responsabilités importantes au ministère britannique des Affaires étrangères. Pendant cette période, le monde se transformera considérablement.Les pages qui suivent racontent les aventures de cinq membres de la famille Morier, des expériences qui les voient aussi bien en Inde qu’au Mexique, dans le désert d’Égypte ou de Perse, dans les montagnes des Balkans, mais aussi dans les salons les plus distingués d’Europe et dans l’intimité de personnalités qui ont façonné l’histoire de leur temps.

La famille Morier

En 1685, suite à la révocation de l’Édit de Nantes, Abram Morier, cordonnier, fuit la France comme le font 300 000 autres protestants et ce malgré la menace des galères qui pèse sur ceux qui quittent le pays. Avec sa femme et ses deux petits garçons, il s’installe à Château-d’Œx dans le Pays-d’Enhaut et aura six autres enfants.

Un petit-fils d’Abram, Isaac, rejoint un frère à Londres dans le commerce de calicots, puis se rend auprès d’un oncle à Smyrne (Izmir aujourd’hui) ; il aura trois fils qui entreront dans le service diplomatique de Sa Majesté : John Philip (1776-1853), James Justinian (1780) et David Richard (1784-1877), ainsi qu’un quatrième fils du nom de William (1790-1864), qui rejoindra la Royal Navy où il atteindra le grade d’amiral. Robert David (1826-1893), le fils de David Richard, poursuivra la tradition diplomatique de sa famille.

Philip Morier

Comme ses frères, Philippe fait ses études à Harrow en Angleterre ; il y fréquente des cousins (par sa mère), Chabannes-La Palice, qui ont fui la Révolution française et auront une carrière diplomatique importante au service de leur pays. À cette époque, la Turquie devient un centre d’intérêts contestés entre la France et la Grande-Bretagne. Napoléon Bonaparte dit de l’Europe qu’elle est « une taupinière » par rapport à l’Asie, et son ambition, pour contrer les Anglais, est d’utiliser la flotte vénitienne (dont il a acquis le contrôle après ses victoires en Italie) pour prendre Malte, puis l’Égypte et le Levant, avec l’Inde comme but ultime.

En 1798, Bonaparte renverse effectivement les Mamelouks en Égypte ; il entre au Caire, assiège la forteresse d’Acre en Syrie et prend contact avec le sultan de Mysore (Inde), qui résiste encore aux Britanniques. Bonaparte est repoussé à Acre par l’armée britannique, rentre en France en laissant Kléber gérer l’occupation française de l’Égypte. La Turquie envoie ses troupes pour libérer l’Égypte : des Albanais, des Macédoniens, des Géorgiens, des Circassiens et des volontaires venus essentiellement pour piller. Lord Elgin envoie Philip Morier comme officier de liaison avec ces troupes turques. Morier nous a laissé

une famille étroitement mêlée aux intrigues européennes et proche-orientales pendant les luttes de pouvoir du XIXe siècle

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un long récit de la traversée de déserts torrides avec 300 morts par jour, des chevaux incapables de tirer les canons dans le sable et des chameaux chargés d’outres d’eau qui sont volées pendant la nuit. Deux ans plus tard, l’armée « turque » se trouve confrontée aux troupes françaises qui la repoussent et Morier est fait prisonnier pendant un court temps.

En 1803, Philip Morier est envoyé à Janina en Albanie. Ali Pacha, le chef tyrannique de la région d’Épire, étend son influence à l’Albanie centrale et jusqu’au golfe de Corinthe ; il essaie de convaincre les Français, qui sont en conflit avec les Anglais à Corfou et dans d’autres îles ioniennes, de le laisser réunir la Grèce et l’Albanie sous son commandement. Un agent français est envoyé à Janina ; les Britanniques y délèguent Philip Morier, bientôt rejoint par son frère David. Ali Pacha joue les Français contre les Anglais, puis s’allie aux Britanniques quand le Premier Consul voit la victoire lui échapper.

En 1810, Philip Morier est envoyé à la légation de Washington ; par la suite, il sera commissaire en Amérique latine. Après avoir été promu sous-secrétaire d’État à Londres, il part à la cour de Saxe à Dresde. Il mourra à Londres ; sa femme, fille aînée de lord Hugh Seymour, lui a donné six filles !

James Morier

Sir Walter Scott dit de James Morier qu’il est le meilleur auteur de son temps ; il est, en effet, resté célèbre pour son roman Les Aventures de Hadji Baba d’Ispahan. Comme dans ses autres écrits, cette histoire se passe entre la Perse et le Moyen-Orient.

En 1800, Napoléon Bonaparte peut convaincre le tsar Paul Ier de Russie de conclure une alliance dans le but d’avancer vers l’Inde avec l’accord de la Perse. Le tsar lance un contingent de cosaques dans cette aventure ; sans cartes ni bagages, ceux-ci n’avancent pas très loin alors qu’à Saint-Pétersbourg, le tsar meurt assassiné. Mais

les Britanniques comprennent qu’ils doivent faire alliance avec le shah contre la France et la Russie ; un traité est signé avec le shah Fath Ali pour contrer les Français. La guerre est déclarée entre la Russie et la Perse, et le shah demande l’aide des troupes britanniques en accord avec ce traité. Les Britanniques ignorent cet appel et le shah, furieux, se tourne vers la France, d’autant que Napoléon déclare la guerre à la Russie. Une mission politique et militaire française arrive en Perse avec des officiers français qui se mettent à instruire les troupes perses.

En 1807, à Constantinople, James Morier

rencontre sir Harford Jones-Brydges de la Compagnie des Indes qui l’emmène comme secrétaire en mission officielle en Perse. Les deux hommes persuadent le shah de renouer avec l’Angleterre et signent un traité d’amitié. Le shah est d’autant plus facilement acquis à cette perspective qu’entre-temps, Napoléon a persuadé le tsar Alexandre Ier de gagner ensemble l’Inde en passant par la Perse. C’est suite à ce voyage que James Morier écrit Un voyage à travers la Perse, l’Arménie et l’Asie mineure, récit qui a longtemps été considéré comme une des œuvres les plus importantes publiées sur ces régions mal connues du public.

En 1810, James Morier est à nouveau envoyé en Perse pour finaliser le traité ; il décrit longuement son voyage sur deux bateaux de guerre en compagnie de militaires qui sont chargés d’instruire l’armée perse. Le voyage dure seize mois et passe par Madère, Rio de Janeiro, Ceylan, Cochin et Bombay ; de là, des caravanes conduisent les voyageurs par les montagnes et des précipices jusqu’en Perse où ils découvrent que la guerre a de nouveau éclaté entre la Perse et la Russie. L’armée britannique prend part à cette guerre et contribue à une des rares victoires que la Perse a gagnées contre la Russie, qui, elle, compte 500 morts dans ses rangs. Les Britanniques signent avec le shah un traité formel qui prévoit la présence d’une flotte britannique dans la mer Caspienne et le golfe Persique. Entre-temps, l’Angleterre et la Russie se sont alliées

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contre Napoléon et James Morier est envoyé en Russie, près de la frontière perse, pour négocier, avec un général de Tichev, un armistice entre la Perse et la Russie. Ses récits sur cette mission sont truffés d’humour : il raconte comment les Russes ferment toutes les portes pendant les négociations, tandis que les Persans insistent pour avoir continuellement des serviteurs qui entrent et sortent pour apporter des narguilés et des boissons.

En 1814, James Morier devient le chef de la mission britannique à Constantinople.

En 1824, bien qu’à la retraite, James Morier sera encore envoyé au Mexique pour établir des relations diplomatiques avec ce pays qui vient de gagner son indépendance avec l’Espagne.

David Morier

Comme on l’a vu plus haut, David Morier commence sa carrière comme consul général britannique à Janina, en Albanie. Puis il est envoyé en mission en Égypte pour y faire libérer des prisonniers britanniques.

En 1808, à l’ambassade britannique de Constantinople, il s’occupe de la négociation qui conduit au Traité des Dardanelles.

Par l’entremise du général Sebastiani, les Français cherchent à forger une alliance avec les Turcs et finissent par obtenir leur accord pour la désignation d’un envoyé spécial à la Sublime Porte. Sebastiani est en relation constante avec le sultan ; la France parvient à exercer une influence importante sur les décisions turques ; des officiers français commandent des navires de guerre turcs et des bateaux privés français obtiennent le droit de mouiller dans des ports turcs et de pirater les navires britanniques. Le sultan Selim III fait preuve d’une grande admiration pour la culture française. Alors qu’un ultimatum britannique demande l’expulsion de Sebastiani, le sultan organise la défense de Constantinople et la flotte britannique doit se retirer. Le successeur de Sélim III, Abdoul-Hamid I, reçoit en « présent » une cousine de Joséphine de Beauharnais du nom d’Aimée du Bucq de Rivéry ; la jeune femme aura une influence considérable à la cour ; son fils sera le sultan Mahmoud II. Pour Napoléon, Constantinople a une importance stratégique prépondérante en Europe.

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David Morier et son ambassadeur Stratford Canning doivent contrer cette influence en obtenant la paix entre la Turquie et la Russie, ce qui laisserait l’armée russe libre de se concentrer sur une éventuelle offensive de Napoléon. Les services secrets britanniques révèlent aux Russes un document portant sur un accord entre la France et l’Autriche pour défendre la Turquie en cas d’attaque russe ; un autre document, obtenu par Napoléon à Vienne, prévoit l’invasion de la Turquie et son partage entre la France et l’Autriche. Irrités par ce qui précède, Turcs et Russes signent, en 1812, le Traité de Bucarest. Le duc de Wellington estime que la contribution de Morier à la conclusion de ce traité est « le plus important service qu’un individu ait rendu à la Grande-Bretagne et au monde ».

En 1815, David Morier, après avoir fait basculer la Turquie de l’influence française à l’influence britannique, est envoyé en compagnie de l’ambassadeur lord Aberdeen en mission à Vienne pour rétablir les relations diplomatiques avec l’Autriche, relations qui ont été rompues après l’assassinat d’un ambassadeur britannique. Lord Aberdeen, encore sans expérience diplomatique, laisse David Morier gérer les affaires et le considère comme étant « a jewel ». L’Europe vit une époque de grands désordres et, pour atteindre Vienne, David et son ambassadeur doivent passer par la Suède, puis suivre un parcours plein de dangers pour rejoindre finalement les quartiers généraux de l’armée autrichienne et l’empereur. Ils parviennent à éviter d’être capturés par les troupes françaises et même par les troupes russes, alliées, mais sans discipline. David Morier nous a livré de cette aventure des descriptions très vivantes.

Le Dictionnaire des biographies nationales évoque David Morier comme un « acteur aux plus importantes transactions diplomatiques du siècle » : en mai 1814, il accompagne lord Castlereagh à la conférence de Châtillon-sur-Seine où l’on prépare les traités de Paris ; il prend donc part aux négociations pour l’organisation de l’Europe après la chute de Napoléon et il est

tout particulièrement occupé à rédiger les traités de 1815. Enfin, il accompagne son ministre des Affaires étrangères lors de la signature du Traité de Vienne.

Le prochain poste de David Morier est celui de consul général britannique en France, puis, en 1832, il est nommé ministre plénipotentiaire à Berne où il ne reste pas moins de quinze ans. Mais en 1847, il est rappelé à Londres par lord Palmerston à cause de leurs divergences de vues sur la crise constitutionnelle suisse ; en effet, David Morier s’avère être un fervent défenseur d’une grande indépendance des cantons.

Robert Morier

Robert Morier naît à Paris, en 1826, et passe son enfance en Suisse au Hubel, une maison de campagne près de Berne, puis au château d’Oberhofen au bord du lac de Thoune. Il fait ses études à Oxford. Sa vie durant, il s’informe auprès de toutes les couches de la société dans laquelle il travaille, apportant ainsi une vision du monde bien différente à ses supérieurs. Son premier intérêt est l’Allemagne et, étant sur place, il envoie à Londres des rapports très remarqués sur la guerre de 1850 entre le Schleswig-Holstein et le Danemark. En 1853, Robert Morier est envoyé comme attaché d’ambassade à Vienne. Il accompagne son ambassadeur à la conférence d’Olmütz qui réunit les Autrichiens et les Russes. Puis il est envoyé en mission aux extrémités de l’Empire austro-hongrois à l’occasion d’un différend avec les Turcs.

En 1860, Morier fait partie de la suite de la reine Victoria en déplacement à Cobourg. En 1862, il est nommé à l’ambassade britannique à Berlin, mais mène aussi des négociations commerciales à Vienne, où il est reçu régulièrement à la cour ; on garde de lui une description délicieuse de l’impératrice. Il est fait chevalier de l’Ordre du Bain. Ensuite, il est chargé d’affaires à Stuttgart, puis pendant quatre ans à Munich. Durant tout son séjour de 33 ans en Allemagne, Morier sera très impliqué dans les rivalités entre les

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différentes factions qui auront un impact sur la future Allemagne unifiée. Les opposants principaux sont Otto von Bismarck, d’un côté, qui vise une Allemagne impériale et militairement prépondérante sous un régime autocratique, et une Prusse, de l’autre côté, plus libérale et cherchant à faire naître une Allemagne démocratique. Robert Morier est un libéral fervent. Le prince Albert, mari de la reine Victoria, manifeste un intérêt particulier pour la politique allemande et souhaite que l’Allemagne unifiée soit source de stabilité et de paix pour l’Europe, mais aussi que la Grande-Bretagne participe à une alliance avec l’Allemagne afin de se protéger contre d’éventuelles menaces françaises ou russes. Le prince Albert se fait le protecteur de David Morier et compte sur lui pour faire avancer son projet. La fille aînée de la reine Victoria a d’ailleurs épousé le prince Frédéric, successeur au trône de la Prusse, un homme libéral et un adversaire de Bismarck. Voilà ce qu’écrit le prince : « L’excellent Morier est devenu un vrai ami et son talent nous est d’un grand secours. » Quant à Bismarck, il dispose d’un service de renseignements très efficace. C’est donc bien Robert Morier qui sert d’agent de liaison entre la princesse royale et sa mère pour déjouer les espions du chancelier ; le diplomate est souvent reçu en audience privée par la reine. Mais, en fin de compte, Bismarck sort gagnant et Morier est transféré à Lisbonne en 1876. Il approfondit l’ancienne alliance entre le Portugal et la Grande-Bretagne et la coopération dans les affaires coloniales africaines et indiennes. Il accompagne aussi le futur Édouard VII lors d’un retour des Indes en bateau.

En 1881, sir Robert Morier est transféré à Madrid et en 1884, il est nommé à Saint-Pétersbourg. Les relations entre la Russie et la Grande-Bretagne sont tendues à cause des Khanats tatars, indépendants, au nord de la frontière afghane.

Sous prétexte de brigandage à contrôler ou d’exercices militaires à organiser, les Russes avancent vers la conquête d’une frontière mal définie. Les Britanniques sentent l’émir afghan,

leur allié, menacé et, avec lui, l’Inde. Une réunion à la frontière afghane est organisée pour définir un tracé définitif. Les Britanniques y attendent pour traiter un certain général Zelenoï, qui n’arrive jamais, alors que les troupes russes descendent de plus en plus loin vers le sud et franchissent les frontières que les Britanniques sont venus définir. Le 29 mai 1885, les Russes attaquent Pandjeh, une ville afghane. Le Premier ministre Gladstone fait voter au Parlement un crédit de six millions de livres pour défendre cette place et l’armée indienne est mobilisée. Avec fermeté, sir Robert réussit à éviter la guerre et sera nommé Grand-Croix de l’Ordre du Bain et Grand-Croix de l’Ordre de Saint-Michel et Saint-Georges en reconnaissance de ses services dans ces temps de crise.

Plus tard, sir Robert s’impliquera dans de difficiles négociations entre la Russie et la Perse, de même qu’entre la Russie et la Chine. Son objectif principal consiste à améliorer les relations entre la Russie et la Grande-Bretagne pour mener à une alliance entre ces deux pays et contrer la montée en puissance de l’Allemagne. Dans ce but, il propose que la Grande-Bretagne n’intervienne pas dans les affaires russes aux Balkans et qu’en contrepartie, la Russie ne menace pas les intérêts britanniques en Inde et au Moyen-Orient. En cela, il s’oppose à ceux, à Londres, qui veulent voir les pays des Balkans indépendants, comme à la reine Victoria elle-même ; en effet, une de ses petites-filles a épousé le prince Alexandre de Battenberg, proclamé roi de Bulgarie, qui désire rendre son pays indépendant de la Russie. Néanmoins, les efforts de sir Robert pour améliorer les relations avec la Russie produisent des résultats substantiels et il se lie d’amitié avec le tsar Alexandre III.

En 1891, pour des raisons de santé, sir Robert demande son transfert à Rome, mais le tsar s’oppose à son départ et le diplomate accepte de rester à son poste. Il meurt en 1893 à Montreux, non loin de Château-d’Œx où son ancêtre Abram s’est installé 200 ans plus tôt.

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Ferdinand de Saussure :un très discret savant genevois au rayonnement mondial

ParLuc Franzoni

docteur en droit

Il a fallu cent ans après le Cours de linguistique générale, publié trois ans après la mort de Ferdinand de Saussure et qui aura bouleversé le mode de pensée occidental tout en continuant à l’animer, pour que l’on donne à une salle de l’Université de Genève le nom de ce savant si important. C’est une unique occasion d’honorer ce personnage pourtant si discret mais dont l’œuvre est hors du commun, en publiant sa biographie dans cette Lettre de Penthes qui célèbre l’influence et le rayonnement des Suisses dans le monde.

Né en 1857 dans une vieille famille genevoise, issue de l’émigration huguenote française, Ferdinand de Saussure avait une forte

ascendance scientifique dans un cadre éthique austère : naturalistes, géologues, zoologues, entomologistes, biologistes, botanistes, chimistes, pasteurs s’égrainaient au fil des siècles. À la fois nourri par cette tradition qu’il portait en lui, et contrarié par les immenses attentes engendrées par son patronyme et la volonté « d’inventer » son chemin de connaissance et d’excellence, la vie de Ferdinand de Saussure oscilla « entre pulsion de mort et pulsion de vie pour donner lieu aux fondements de la linguistique générale » (Claudia Mejia Quijano, Le Cours d’une vie – Portrait diachronique de Ferdinand de Saussure, Psyché. Éditions Cécile Defaut, Nantes 2008).

Aimé Pictet note de son côté qu’avant de s’orienter définitivement vers la jeune linguistique alors enseignée à Leipzig notamment par l’helléniste distingué Curtius et d’autres maîtres néogrammairiens : « Saussure prend un tas de cours impossibles, un peu de tout, il est autant en théologie qu’en droit, ou sciences. »

À Leipzig il étudie – outre le sanskrit – l’iranien, le vieil irlandais, le vieux slave, le lituanien pendant quatre ans. Respectivement à 20 et 21 ans, il élabore et communique un premier grand mémoire sur les « a » en indo-européen et un deuxième sur le système primitif des voyelles dans les langues européennes qui lui valurent une notoriété immédiate. Il gagne ensuite Paris où il se lie avec tout ce qui compte de linguistes et devient le secrétaire général adjoint de la Société des linguistes en 1882. Il surveille la publication des articles et publie lui-même régulièrement. Il rentre à Genève pour diverses raisons : sa santé toujours fragile, son refus de prendre la nationalité française pour être nommé au Collège de France et la création par l’Université de Genève d’une chaire d’histoire et de comparaison des langues indo-européennes. Il y enseignera jusqu’aux dernières années de sa vie la linguistique générale (1907-1911). C’est la période où il écrit de moins en moins ; la communication avec ses amis, pairs et disciples allant en diminuant.

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Cette période genevoise de Ferdinand de Saussure a été sujette à de très nombreuses interprétations : manque d’ambition, santé fragile, souci exagéré de l’achèvement et de la peur de tout gâcher, ou par la conscience même qu’il avait de l’énormité de la tâche qu’il s’assignait : fonder une linguistique générale dont le champ dépassait de très loin les conceptions de ses pairs… bref un drame de « la solitude scientifique ». Le Cours de linguistique générale, que Ferdinand de Saussure n’écrivit pas lui-même, fut le fruit de deux auditeurs assidus de ces cours, Charles Bailly et Albert Sechehaye qui retranscriront les notes qu’ils avaient prises tout au long de leurs années d’études auprès de Saussure, combinées à des notes d’autres auditeurs et à des notes personnelles de leur maître. Le Cours de linguistique générale eut le succès que l’on sait. Les théories qui sous-tendent la pensée de Ferdinand de Saussure s’articulent autour de la preuve apportée que les langues se sont développées autour de deux sons (système binaire) et que la relation entre le sujet qui s’exprime et celui à qui il s’adresse est déterminante dans le fonctionnement d’un système de signes dans la vie sociale.

Dès lors la pensée de Ferdinand de Saussure est inséparable de l’histoire de l’esprit. Elle se trouve en effet à la base de systèmes philosophiques et anthropologiques, de pans entiers des sciences humaines modernes promus par des savants tels que Claude Lévi-Strauss (structuralisme), Jacques Lacan, Michel Foucault, Roland Barthes et bien d’autres. On peut légitimement comparer le destin scientifique de Ferdinand de Saussure à celui de Marcel Mauss, tous les deux ayant été d’une érudition exceptionnelle tout en étant demeurés enfermés entre les quatre murs de leur bureau de travail. D’autres viendront déployer tous leurs effets en les opérationnalisant sur le « terrain ».

Le Cours de linguistique générale de Ferdinand de Saussure demeure un livre charnière, l’un de ces textes rares qui ont révolutionné et continuent de travailler un mode de pensée de l’aventure humaine dans ce qu’elle a de meilleur.

Ferdinand de Saussure a su porter encore plus haut son riche patronyme et a ouvert à ses successeurs spirituels et ses descendants et collatéraux de nouveaux champs d’investigation scientifique : linguistique, psychanalyse… L’écho d’excellence du patronyme résonne dans de nombreux domaines « ondoyants et divers » de l’esprit et de l’histoire humaine.

Laissons à Charles Bailly ami, disciple et auditeur des leçons de Ferdinand de Saussure le soin de conclure : « Personne plus que lui n’a professé le mépris de la gloire, un détachement plus complet de toute vanité, de tout intérêt personnel... Rien de mesquin ne pouvait aborder cette âme chevaleresque. »

Les citations sont extraites ou empruntées aux sources suivantes :

« Linguistique mon amour », article de Louis de Saussure dans la Tribune de Genève du 28 janvier 2016.

« Ferdinand de Saussure, 1857-1913 », plaquette éditée par Jacques de Saussure son fils en décembre 1962 regroupant des notes de sa mère.

Le Cours d’une vie – Portrait diachronique de Ferdinand de Saussure, Claudia Mejia Quijano, Psyché, Éditions Cécile Defaut, Nantes 2008.

Ferdinand de Saussure, par G. Mounin, Seghers éditeurs, Paris 1968.

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Quatre sujets à découvrir :

– L’évolution de la construction européenne depuis la Seconde Guerre mondiale, les (nombreuses) institutions européennes, leurs actions et interactions ;

– l’évolution des relations entre la Suisse et les instances européennes au cours de la même période, y compris les défis d’aujourd’hui ;

– un petit who’s who de quelques grands négociateurs suisses ;

– et, enfin, deux chapitres sur la coopération transfrontalière régionale, autour de Bâle et du Rhin supérieur, d’une part, autour de Genève et des régions frontalières avec la France, d’autre part.

Le terme de complexité est au centre de cette description : complexité dans l’évolution socio-économique de l’interdépendance entre les peuples européens ; mais complexité aussi dans les institutions et règles de jeu. Pour ce qui est de l’Union européenne, elle n’a pas voulu être un État fédéral, mais elle est bien plus qu’une organisation internationale ordinaire.

Cette publication n’est pas un pamphlet politique pour ou contre « l’Europe », ni pour ou contre une éventuelle adhésion de la Suisse à l’Union européenne ; sur certains points, elle formule des critiques, mais toujours avec la question : comment mieux faire, comment surmonter les difficultés ? Pour ce qui est de la politique suisse, elle suit globalement la politique officielle, qui tâche de sauvegarder la formule du bilatéralisme ; autrement dit : ce texte est « euro-positif » sans être militant.

L’information sur l’Europe : un défi majeur

Bénédict DE TSCHARNER

Suisse – Europe. Portrait d’une relation complexe

Grand Genève – Bassin lémanique – Arc jurassien / Regio Basiliensis

Paul Aenishaenslin, Hans Rudolf Bachmann, Raymond Lorétan (éditeurs), Genève / Bâle 2016

Comment fournir au citoyen suisse l’information qu’il cherche sur la construction européenne ? Des simplifications polémiques sont toujours disponibles ; des analyses scientifiques sont élaborées dans nos instituts et hautes écoles ; mais comment occuper le terrain du milieu, celui d’une information sérieuse, couvrant l’ensemble du sujet, et pourtant facile à lire et à comprendre ? C’est ce défi qu’a tenté de relever Bénédict de Tscharner. En juin 2015, une version en langue allemande est sortie sous le titre de Basler Europa-Brevier. Vieviel Europa braucht die Schweiz ? Wieviel Regio braucht Basel ? L’auteur a ensuite lui-même traduit ce texte en français, l’a retravaillé sur certains points, l’a complété et s’est fait aider par une équipe genevoise de trois membres du think tank Foraus pour ajouter un chapitre sur le Grand Genève, le Bassin lémanique et l’Arc jurassien.

Livres à lire

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La Belgique reconnaissanteJean-Pierre WAUTERS

Mary Widmer-Curtat et le Comité suisse de secours aux réfugiés belges pendant la Grande Guerre

Société d’histoire de la Suisse romande, 2015,Sion 2012

En cette période de commémorations innombrables de la Grande Guerre, cet ouvrage en reconstitue un épisode oublié : l’hospitalité offerte par la Suisse à plus de 9 000 enfants et exilés belges entre 1914 et 1919 dans le cadre d’une initiative privée personnelle. Heureusement, la statue La Belgique reconnaissante le long du lac Léman et le nom de Quai des Belges à Lausanne en constitue encore la trace directe.

C’est à la découverte de cette histoire que Jean-Pierre Wauters, professeur honoraire de la Faculté de médecine de l’Université de Lausanne et président de la Société Royale Union Belge (Lausanne), invite le lecteur. Le début de cette étude est dû au hasard ; en novembre 2013, Isabelle Dalimier, chercheuse à l’Université de Liège, était invitée à parler à l’Union Belge de Lausanne d’une correspondance dont elle venait d’hériter : celle qu’une marraine de guerre lausannoise, Emma Grenier, entretenait avec un soldat belge au front de l’Yser pendant la Grande Guerre. Pour illustrer son propos, l’historienne a demandé aux Lausannois une photo de Mary

Widmer-Curtat. C’était le fil qu’il fallait tirer pour découvrir une histoire oubliée de tous. Archives, lettres, articles de journaux ont permis à l’auteur de reconstituer une aventure que les historiens suisses et belges ont complètement ignorée.

Les Suisses du TennesseeDwight PAGE

The Swiss presence in the history of Tennessee

Swiss American History Society,Chicago 2016

The Swiss Presence in the History of Tennessee by Dr. Dwight Page, Editor-in-Chief of the Swiss American Historical Society Review, tells the exciting story of 300 years of Swiss and Swiss American activities and adventures in the State of Tennessee. The story begins in Switzerland at the beginning of the 18th century, when Swiss authorities compelled many religious dissenters to leave Switzerland for exile in the colony of Pennsylvania. From there, these initial Swiss emigrants migrated south into Virginia, North Carolina and eventually Tennessee. The book then traces these Swiss emigrants’ defense of liberty during the American Revolution, their colonization of Knoxville, Nashville and Memphis during the mid-nineteenth century, and the foundation of the Swiss communities of Gruetli-Lager and Hohenwald, Tennessee. Thus, this new work of history presents the full panorama of Swiss and Swiss American activities in the Volunteer State.

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Génie inventif SuisseDie Bindschedlers

Bürgersinn − Wagemut − Innovation

Schweizer Pioniere der Wirtschaft und Technik

Zürich 2016

« Es sollte also ihnen [meinen Nachkommen] besonders von Wert sein, die Abstammung kennen zu lernen, da diese Stammväter nach meiner Überzeugung wohl die Ehre verdienen, dass man sie in Andenken bewahre und nicht so schnell der Vergessenheit überliefere. Denn nur ihren hohen Tugenden verdanke ich das, was aus mir geworden ist. »

Robert Bindschedler (1844-1901), Andreas Bindschedler (1806-1885),Albert Bindschedler (1814-1871),Rudolf Gottfried Bindschedler (1883-1947),Ernst Rudolf Leo Bindschedler (1915-1991).

Métier sans frontièresFrancis COUSIN

Métier sans frontières

40 ans au service de la diplomatie suisse

Éditions Alphil, Neuchâtel 2016

.« Pour être diplomate, il ne suffit pas d’être bête,

encore faut-il être poli. » Attribuée à Georges Clémenceau, cette boutade continue à faire recette. En fait, que sait-on des diplomates et consuls ? En quoi consiste leur travail, comment se déroule leur vie de nomades ? Durant près de quatre décennies, Francis Cousin, ancien ambassadeur, a exercé aux Affaires étrangères des fonctions administratives, consulaires et diplomatiques. Il donne dans ce livre un éclairage vivant du service extérieur, vu de l’intérieur. Son récit nous emmène en voyage en différentes parties du monde, mettant en exergue les moments forts et les servitudes du métier.

Bien davantage qu’une autobiographie, cette narration aborde des épisodes de l’histoire contemporaine : la guerre au Viêt Nam et celles des Balkans, l’aide humanitaire et la coopération au développement, la problématique du trafic de stupéfiants et la difficile transition de régimes autoritaires vers la démocratie. Au fil des chapitres, des descriptions de pays et de leur culture agrémentent la lecture. Certains épisodes se lisent comme un polar, ainsi celui de l’enlèvement de travailleurs humanitaires jurassiens par des rebelles en Éthiopie.

FRANCIS COUSIN

MÉTIER SANS FRONTIÈRES40 ANS AU SERVICE DE LA DIPLOMATIE SUISSE

« Pour être diplomate, il ne suffit pas d’être bête, encore faut-il être poli ». Attribuée à Georges Clémenceau, cette boutade continue à faire recette. En fait, que sait-on des diplomates et consuls ? En quoi consiste leur travail, comment se déroule leur vie de nomades ? Durant près de quatre décennies, Francis Cousin, ancien ambassadeur, a exercé aux Affaires étrangères des fonctions administratives, consulaires et diplomatiques. Il donne dans ce livre un éclairage vivant du service extérieur, vu de l’intérieur. Son récit nous emmène en voyage en différentes parties du monde, mettant en exergue les moments forts et les servitudes du métier.

Bien davantage qu’une autobiographie, cette narration aborde des épisodes de l’histoire contemporaine : la guerre au Viêt Nam et celles des Balkans, l’aide humanitaire et la coopé-ration au développement, la problématique du trafic de stupéfiants et la difficile transition de régimes autoritaires vers la démocratie. Au fil des chapitres, des descriptions de pays et de leur culture agrémentent la lecture. Certains épisodes se lisent comme un polar, ainsi celui de l’enlèvement de travailleurs humanitaires jurassiens par des rebelles en Ethiopie.

De nombreuses anecdotes pimentent un récit qui permet de mieux connaître, au-delà des clichés habituels, le monde diplomatique et consulaire réputé formel, voire formaliste. À cet égard, il est rafraîchissant d’observer que l’auteur manie volontiers humour et ironie, voire une pointe d’autodérision. Quelques critiques à l’administration sont subtilement distillées au passage.

Francis Cousin est né à Lausanne (Suisse) en 1944. Après un appren-tissage de commerce, un stage bancaire à Düsseldorf (Allemagne), un séjour d’études de l’anglais à Cambridge (Royaume-Uni) et une brève période dans le secteur privé, il entra aux Département Fédéral des Affaires Étrangères (DFAE) en 1965 et fut transféré successivement à Madrid, Caracas, Los Angeles, Hanoï, Berlin-Ouest, La Nouvelle Delhi, Berne, Addis Abeba, Kuala Lumpur, Quito, Bordeaux, Antananarivo, Berne et Tirana.

A partir de 2003, en tant que membre du Pool suisse d’experts pour la promotion civile de la paix, il a effectué des missions d’observation électorales dans une dizaine de pays et assumé d’autres mandats pour le DFAE. De 2004 à 2009, il a siégé à la Commission d’éthique de l’Université de Genève et, durant la même période, à la Commission d’admission au Service civil. De 2009 à 2014, il a présidé le conseil de fondation de l’Institut Suisse d’Études Albanaises (ISEAL).

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ISBN : 978-2-88930-089-1

De nombreuses anecdotes pimentent un récit qui permet de mieux connaître, au-delà des clichés habituels, le monde diplomatique et consulaire réputé formel, voire formaliste. À cet égard, il est rafraîchissant d’observer que l’auteur manie volontiers humour et ironie, voire une pointe d’autodérision. Quelques critiques à l’administration sont subtilement distillées au passage.

La Lettre de Penthes - No 27 | 35

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Les Suissesses à ParisAnne ROTHENBÜHLER

Le Baluchon et le Jupon

Les Suissesses à Paris, itinéraires migratoires et professionnels (1880-1914)

Éditions Alphil, Neuchâtel 2015

Le 12 août 1889, Madeleine L., garde-barrière à Cressier, écrit à l’ambassadeur suisse à Paris une lettre le suppliant de lui renvoyer sa fille, Mar-guerite, arrivée dans la capitale française quelques jours plus tôt.

Comme elle, des milliers de Suissesses sont parties pour la Ville Lumière. En effet, entre 1880 et 1914, les Suissesses représentent l’une des principales populations féminines étrangères de la capitale. À rebours des clichés qui font de la Confédération helvétique un pays de cocagne, se dégage de cette étude une émigration oubliée aussi bien dans le pays de départ que dans le pays d’arrivée. Ces migrantes sont bien souvent do-mestiques, mais les sources révèlent que l’argu-ment économique n’est pas la cause principale de cette migration. Celle-ci s’avère avant tout une affaire d’opportunité professionnelle ou d’une migration d’un type nouveau : les migrations gestationnelles, de quelques mois, qui ont pour but d’accoucher à Paris et d’échapper ainsi aux rumeurs qui entourent les grossesses naturelles.

Par leurs itinéraires, ces femmes montrent qu’elles savent saisir ou provoquer des oppor-tunités, dévoilant ainsi toute leur capacité à être actrices de leur destin. À Paris, les Suissesses se retrouvent au sein d’une colonie helvétique très

bien organisée, consciente du regard que la popu-lation locale porte sur l’Autre et actrice de cette réputation. Au carrefour de plusieurs champs historiographiques (histoire de l’immigration, histoire des femmes, histoire du travail, histoire de la ville et enfin histoire de la Suisse), ce travail, soutenu par des sources originales, dévoile des destins jusqu’alors méconnus.

36 | La Lettre de Penthes - No 27

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Adèle d’Affry (1836-1879)MarcelloFemme artiste entre cour et bohèmeUne exposition du 9 mars au 4 juin 2016

« Adèle d’Affry », « duchesse de Castiglione Colonna », « Marcello » : trois noms, trois iden-tités incarnées en une seule femme. L’exposition honore cette artiste suisse, l’une des rares femmes à s’être affirmée avec un réel succès dans l’art de la sculpture européenne de la seconde moitié du XIXe siècle. Descendante d’hommes politiques et de militaires de la no-blesse fribourgeoise, apparentée par mariage à la prestigieuse famille romaine des Colonna, Adèle est l’amie du couple impérial français. Dès 1863, elle choisit le pseudonyme de Marcel-lo pour exposer au Salon de Paris, espérant ainsi échapper aux préjugés de genre et de rang en vigueur dans le monde artistique de son temps. Tiraillée entre une vie de représentation officielle et un labeur artistique en solitaire à l’atelier, Adèle vit et œuvre intensément entre Fribourg, Paris et Rome. Elle s’éteint prématurément en 1879 à l’âge de 43 ans. L’exposition présente la personnalité et le parcours de cette femme et artiste, singulière et éblouissante, à travers une sélection d’œuvres et d’écrits.

Sous la direction de Gianna A. MinaMarcello. Adèle d'Affry (1836-1879).– Duchesse de Castiglione Colonna– Herzogin von Castiglione Colonna– duchesa von Castiglione Colonna5 Continents Éditions, Milan 2014

Ce catalogue accompagne l’exposition itinérante qui présente l’œuvre de l’artiste d’origine suisse.

Dans cet ouvrage, richement illustré, le lecteur découvre les sculptures, les peintures et les dessins de Marcello, qui dialoguent entre le néoclassicisme et de nouvelles influences artistiques.

La Lettre de Penthes - No 27 | 37

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Ghislain DE DIESBACHLa Double vie de la duchesse ColonnaÉdition de Penthes, Pregny-Genève 2015

Adulée par Carpeaux, Mérimée et Thiers, cajolée par Rossini, chantée par Gounod, convoitée par Napoléon III et beaucoup d'autres, jalousée par la plupart des femmes, la duchesse Colonna est une somme de contrastes et de contradictions, de qualités nuisibles et de brillants défauts.

Telle une héroïne de Henry James, sans espoir et sans but, elle erre de ville en ville, regrettant Rome lorsqu’elle est à Paris et Fribourg lorsqu’elle est à Rome. Elle meurt à 43 ans, indifférente à un monde qu’elle avait déjà abandonné avant qu'elle ne le quitte, seulement préoccupée du sort de ses œuvres, de ces bustes frémissants auxquels elle avait donné le mouvement de la vie en leur sacrifiant la sienne. Tout cela apparaît dans l’importante et remarquable correspondance qui émaille cette biographie qui nous donne un superbe portrait de femme, fait d'ombre et de lumière.

Christiane DOTALMarcello, sculpteur, une intellectuelle de l'ombreFondation Custodia, Paris 2008

Sous la direction de Simone DE REYFF et Fabien PYTHONLes cahiers d'AdèleSociété d’histoire du canton de Fribourg, Fribourg 2014

Ni rêverie ni complaisance narcissique, dans ces écrits personnels, mais les échos d’une vie engagée : échanges artistiques et intellectuels, expérience religieuse, réflexion politique. Adèle d’Affry, duchesse Castiglione Colonna fait cependant leur part aux mondanités.

Sous la direction dePascal GRIENER et Pamella GUERDATSociété d’histoire du canton de Fribourg, Fribourg 2015

Une sculptrice à l’œuvre.Correspondance I

La correspondance artistique de Marcello aborde toutes les dimensions du métier : l’apprentissage, les conditions de travail, les relations avec les praticiens et autres collaborateurs, les expositions et la diffusion commerciale de l’œuvre, sa réception par la critique...

Du Salon au musée.Correspondance II

Lucide, volontaire, et dans l’esprit de l’époque, Marcello développe toute une stratégie pour assurer sa postérité. Ce faisant, Adèle déplace son ambition dynastique et sa volonté de survie sur ses œuvres : « ses filles », dit-elle.

| MOT DU DIRECTEUR MOT DU DIRECTEUR |

Fernando aura vécu 29 ans au service de la Fondation sur ses 33 années d’existence.

Il aura connu tous les changements et vu défiler un nombre incroyable d’employés et de fournisseurs avec lesquels il a entretenu très souvent, voire toujours, par sa bonne humeur et son assiduité au travail, d’excellentes relations. Pour certains de ses collègues, il représentait, une sorte de « Papi ».

Par sa fidélité à la Fondation, sa connaissance de tous les recoins et habitudes, il fut cet aide polyvalent qui offre, avec gentillesse, son labeur à celui qui sollicite sa contribution quand il en a besoin.

Présenté par son frère en mars 1987, il a été engagé pour quelques semaines puis, le temps a passé, passé…

C’est NOTRE mémoire qui s’éteint avec son départ.

Cher Fernando, adeus, nous avons la Saudade et transmettons, à ta femme et à ta fille, nos plus cordiaux messages d’affection.

Les équipes passées et présentes

Ceux qui ont compté pour Penthes...Quand Fernando arrivait au Domaine, en hiver à travers la neige, en été au lever du jour, on l’entendait de loin. D’abord très faiblement, puis de plus en plus fort, la musique emplissait les airs, souvent le fado. Le moteur vrombissait. Arrêté, le silence revenu, Fernando sortait, claquait délicatement la portière et la journée de travail commençait. Il rejoignait la cuisine qui porte son nom, derrière le Restaurant.

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| MOT DU DIRECTEUR MOT DU DIRECTEUR |

Mot du Directeur

Notre institution a toujours fonctionné avec un budget limité au regard de ce que requiert le fonctionnement habituel d’un musée. Outre l’exposition permanente de la collection du Musée des Suisses dans le Monde, nous avons mis en place depuis 2003 un programme connexe d’expositions temporaires afin d’intéresser un public plus large.

Au fil des années, les initiatives et manifestations culturelles découlant de

notre volonté de faire de Penthes un lieu où la Suisse et le monde se rencontrent se sont multipliées. Dans cette volonté d’être un acteur important de la thématique Suisse + Monde, nous avons entrepris d’organiser en 2015 la première Rencontre internationale des Clubs suisses. Compte tenu du succès de cette manifestation et de ses échos très favorables, il a été décidé de reconduire annuellement ce rendez-vous. La seconde édition aura lieu du 1er au 3 août 2016 et aura pour thème « Les traditions suisses : les vivre et les transmettre ».

Le Domaine de Penthes conjugue nature, culture et gastronomie. C’est un cadre idéal pour accueillir les familles et les classes scolaires. Convaincus qu’un musée ayant pour thème l’Histoire se doit de relever le défi de transmettre cette Histoire aux jeunes générations, nous avons inauguré – à la faveur des expositions Histoire Suisse en Briques Lego® et Yakari. Les Suisses à la rencontre des Amérindiens – un programme Jeune Public ainsi que des visites guidées adaptées aux personnes en situation de handicap.

Prendre en charge l’ensemble de ces activités nécessiterait normalement une augmentation conséquente de notre budget de fonctionnement ainsi que le recrutement de collaborateurs supplémentaires. Si nous sommes dans l’impossibilité d’envisager la moindre augmentation de notre budget, je me suis néanmoins refusé à réviser à la baisse notre ambition culturelle par défaut de moyens et à prendre le risque de laisser l’image de la Fondation pour l’Histoire des Suisses dans le Monde se trouver réduite à celle d’un musée quelque peu statique et confidentiel. S’il n’était pas possible d’envisager un développement massif de nos activités, ni la création d’un « nouveau musée », il m’est néanmoins apparu indispensable – pour préparer l’avenir et œuvrer dans le sens de la pérennité de la Fondation – d’étoffer et professionnaliser suffisamment notre offre culturelle de manière à pouvoir ensuite solliciter, sur la base de résultats tangibles et d’un savoir-faire avéré, des mécènes susceptibles de soutenir notre volonté de développement. Comment atteindre cet objectif avec une équipe réduite et fort jeune du musée et des possibilités d’investissement tellement limitées ?

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| MOT DU DIRECTEUR MOT DU DIRECTEUR |

Pour nous aider à résoudre cette équation inhabituelle, nous avons fait appel à un consultant – Français mais connaissant la Suisse – afin qu’il puisse nous apporter un regard extérieur et un support méthodologique à la hauteur de l’enjeu. Il a fallu faire des choix et modifier nos habitudes, tout particulièrement en matière d’organisation du travail, de gestion des projets et de communication.

Le consultant José Pendje avait initialement comme mission d’assister Sandro Haroutunian, notre directeur de la restauration, dans la vaste entreprise que lui avait confiée la Fondation de réorganiser l’activité liée à la restauration (ban-quets, séminaires, mariages, restaurant gastro-nomique) et pour développer conjointement la qualité des prestations et la rentabilité. Le résul-tat de cette opération a apporté une partie de la solution. En effet, notre restaurant a gagné en renommée et le chiffre d’affaires de l’activité a progressé de 50% depuis 2012. Nos clients sont désormais indirectement, de fait, des mécènes de notre action culturelle dans la mesure où les re-venus du restaurant contribuent au financement du Musée.

Afin de nous permettre de trouver les leviers nécessaires et de libérer les énergies pour progresser malgré les contraintes, nous avons élaboré ensemble une vision commune, pour réaffirmer et stabiliser les missions de la Fondation :

– Expliquer la Suisse, par-delà les clichés et à partir de l’Histoire, depuis la constitution de son modèle politique à la renommée du Swiss-Made en passant par sa diversité culturelle.

– Exposer l’Histoire de la Suisse de façon vivante via l’Histoire des Suisses dans le monde.

– Révéler l’apport historique et contemporain des Suisses dans le monde à la culture et à l’image de la Suisse.

– Illustrer à travers les arts et la culture la richesse et le dynamisme des relations Suisse-Monde.

Nos missions culturelles ainsi précisées et partagées, de nouvelles priorités d’action se sont naturellement dégagées et nous avons, par voie de conséquence, gagné en efficience.

Au niveau du Musée, la moyenne d’âge de mes collaborateurs (30 ans) invitait à redouter que le manque d’expérience ne constitue un obstacle majeur à l’atteinte des objectifs. Mais la jeune équipe du Musée a su faire preuve de créativité et de réactivité pour imaginer des solutions à moindre coût. Au final, notre musée a quadruplé le nombre de ses visiteurs depuis 2012 et se hisse désormais dans le premier quart des musées suisses en termes de fréquentation. Ce résultat dépasse largement toutes les espérances et ouvre de nouvelles perspectives. D’importants partenariats ont été tissés avec le monde universitaire et d’autres institutions muséales. C’est une avancée conséquente qui permet notamment d’envisager à l’avenir, le développement de l’activité de recherche de notre Institut.

Malgré l’arrêt du soutien financier de l’État de Genève, en 2015, de nouveaux mécènes nous ont rejoints, conscients de l’opportunité que représente Penthes dans le paysage culturelle de Genève et de la Suisse, et nous permettant ainsi de continuer à développer les activités que nous proposons actuellement. Par ailleurs, nous sommes confiants que de futurs sponsors réaliseront le plein potentiel du domaine et nous rejoindront afin de nous assister dans l’accomplissement de nos ambitions communes.

Le combat engagé n’est jamais gagné d’avance, mais à l’heure où j’écris ces lignes on peut dire que la réactivité et la générosité des grandes institutions, fondations et personnalités de Genève nous permettent d’envisager l’avenir avec confiance.

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From Florida to GrenadaIn search of the Swiss abroadFrom the very beginnings of Switzerland there have been Swiss abroad. This is no simple truism, it is a reality that other countries, like France, for example, do not face. They do not count their expatriate citizens as an integral part of their national experience. All these Swiss abroad are an important, even central, component of Switzerland because their network reaches far beyond Switzerland’s physical borders. Mercenaries, traders, manufacturers – whether of cheese or of watches – bankers, adventurers, poor people, rich people... they all contributed and still contribute to the enterprise known as “Switzerland”.

Many institutions look after the Swiss abroad. There is the OSA in Bern that is primarily

concerned with the political and institutional aspects; Pro Helvetia, Présence Suisse, Swiss Tourism. They all work daily to connect Switzerland efficiently with overseas. The Museum of the Swiss Abroad deals with their history and culture in Geneva. It is the home away from home to all Swiss abroad. The formula Penthes+Switzerland+World is a celebration of Swissness and of “Swiss made” of the past and in the present.

One of our tasks is to go out to visit and meet the Swiss abroad. Obviously we will never be able to meet all 700’000 Swiss officially registered in foreign countries. But it is important to try to engage as many as possible of them and win them over for Penthes and for our Museum. One of the ways to do that is to visit them where they live.

Florida is four times the size of Switzerland and has 19 million inhabitants. Miami and surroundings alone count almost 3 million people, of whom more than 3000 are Swiss officially registered. Many of them are members

ByAnselm Zurfluh

Swiss club president Karolina Galvez-Locher and her daughter Kimberly

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of the numerous Swiss clubs around the Sunshine State. They meet regularly just as they would in Switzerland, in restaurants or around the regulars’ table, to celebrate official festivities like Sammichlaus or the First of August.

The regulars around the table meet to socialize, get reacquainted and exchange information about Switzerland or the USA. Röschti and fondue are not always served but can be part of the ritual. Two Austrians, Franz & Fritz (www.bierhaus.com) who have been living in Miami for years, contribute to a celebration of European solidarity. Very often Swiss German clubs meet together with Austrian or German clubs, French speakers are gently integrated and everyone speaks... English! Here it’s a real blend of Wienerschnitzel, Röschti, yodelling, and Viennese “Gemütlichkeit” – with an American tinge. Everyone feels at home. “Servus”, says Harald and means “Grüezi”! Lovely, it is!

On Sunday we meet in the Ritz to celebrate Sammichlaus – Santa Claus in American! Yes, the snow is missing but the air conditioning is turned down so low you’d think it was December in Switzerland! Old hands and newcomers, Americans and friends of Switzerland, come together; the Honorary Consul is there and writes down things that seem important – the atmosphere is a blend of Swiss congeniality and American business mentality, family party and patriotic celebration. A lot of effort and work went into it – thank you to the organisers (www.facebook.com/SwissClubMiami) – it was a great Sunday!

Orlando is 400 km north of Miami and home to Disneyworld and Universal Studios. We are supposed to go and visit the Swiss Family Treehouse there. For many Americans, the “Swiss” label is synonymous with quality even though they often confuse Switzerland with Sweden or Swaziland...but they know this: chocolate, watches, Matterhorn, Heidi – that’s Switzerland. And the Swiss Robinson with his Victorinox Swiss army knife is also a concept. The

Treehouse is definitely kitsch but it shows what Switzerland has had to offer people abroad: how to achieve perfection in life but processed and presented in the American style, in Disneyland.

About 30 minutes’ drive due west of Orlando on state road 50, through country that is more water than land, we arrive in Clermont, named for the birthplace in France of the manager of the town’s most important company at the end of the 19th century – no, the rest of Florida is not just a real estate project of Disneyworld! Clermont is known in Florida for its hills, about as scarce in Florida as polar bears, but it’s famous for its tower, the Florida Citrus Tower built in 1956 and Florida’s highest structure, at 152m above sea level (including the antenna). Just a few minutes outside of town, we arrive at the Swiss Waterski Resort, founded in 1979 by a Swiss skiing fan, who moved to Florida and had to settle for snow of the liquid variety. The facilities were sufficiently professional that

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Clermont hosted the 28th World Waterskiing championships in 2003. We meet Clint Stadlbaur whose ancestry lies in Austria and who takes us around the Resort that day.

From Miami to Grenada is another 2’500km to the south. In the 18th century, pirates made this their home and in 1983 Americans Marines landed to extinguish a Cuban adventure – the graffiti celebrating this is still there. Twenty-five Swiss live in Grenada permanently, including a welder and a boat builder and the Honorary Consul, Jana Caniga, who with her husband runs the marina Le Phare Bleu at Calivigny Bay (www.lepharebleu.com). The brother of the Andermatt Orascom investor, Samih Sawiris (www.andermatt-swissalps.ch) is investing millions here in a new holiday resort in Grand Anse. George Cohen, Grenada’s UN ambassador in Geneva, will let you have an entire island for Fr. 100’000 (www.calivigny-island.com). There is something here for every budget! Swiss globetrotters and round-the-world sailors land in Le Phare Bleu for some time out, and Dieter, a sailor and musician, welcomes them all. Musicians are always welcome to jam at the Friday night happening which is how we meet the Züri West drummer. If you want to live on an island like Grenada (area 50km by 30km), says Jana, you need a sound life project. Otherwise your adventure will founder. Yes, the sun shines all the time; yes, the average annual water and air temperature is 27°C – but that is not enough to live here. You need more, and that is why some are building their boat, others have a workshop on a boat, some are writing a book... and some are here on business!

Back in Florida we drive to Palm Beach to the Preservation Foundation which houses the archives of the Geneva architect, Maurice Fatio. Conservator Alexander Yves meets us and shows us the impressive archives. Fatio built hundreds of houses for Florida residents, the last one just sold for $100 million. There are plans and photos, enough for us to build up our planned exhibition about Swiss architects abroad.

Every trip brings something new, is an adventure. And every trip has to come to an end. We’re flying back to Zurich from Miami with Swiss. The “Grüezi” at the door of the jet indicates that we are already back in Switzerland...it’s been nice. A big thank you to all of you whom we met, who showed us around and advised us. You all have something in common: your unquenchable enthusiasm for Switzerland!

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Jana Caniga, Honorary consul in Grenada, West Indies

Slovakia-St.Gallen-Zurich-Grenada you’ve taken an unusual path through life...

Actually everything began in 1968 when my parents decided to flee the imminent Soviet invasion of what was then Czechoslovakia to Switzerland. Ever since, I have lived with the idea of having a suitcase under my bed, ready to move on at any time. I had put down roots in

Switzerland of course, but when the time came it was not so difficult for me to cut the ties. I’ve been living here in Grenada with my husband Dieter for 10 years now and this will probably be the last stop: we’ve built up something here that will certainly keep me busy for the rest of my life.

Teacher, journalist, media worker, person in charge of culture, holiday resort builder, and manager - you’ve also chosen an unusual career path...

The career path is actually identical with my life: always mobile... Teaching was a good start but I almost immediately started looking for something else...journalist, student....somehow I got it into my head that I always needed to prove myself to others – and to myself –, to always make new friends, to be a useful member of society: 150% dedication. And so I spent a good part of my life outside of my comfort zone, constantly on the lookout for something else. When my husband Dieter and I landed here on Grenada on a sailing trip in 2004, we decided to call this our new home.

You’ve lived here in Grenada for ten years and it’s been two years since you acquired Grenadian citizenship.

Home is where I live, and citizenship is a necessary social construct that allows me to coexist with others as meaningfully and with as few conflicts as possible. My homeland is

Interview byAnselm Zurfluh

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Switzerland, where I lived for 30 years – now my home is Grenada and as strange as it may sound, it’s my final destination. My suitcase is still made, there under my bed, but I probably won’t use it. Home has to do with people too – of course we have family and friends in Switzerland, but in Grenada, as well. As such, Grenadian citizenship provides us with the security to live in this country as citizens, with all of our investments, even in the future, without forgetting Switzerland.

And you were appointed Honorary Consul in 2015.

Actually, somehow I’d been looking out for Swiss people from the beginning. People with a problem in Grenada, they had my phone number. And so I was able to solve lots of small problems, to be a social and psychological go-between. The islands here are in a consular district that depends on the embassy in Venezuela... Caracas, and each new ambassador makes his “tour des îles”. Ambassador Antonietti asked me once if I wouldn’t represent Switzerland officially. I applied and Bern accepted.

What exactly does an honorary consul do?

No passports, no marriage licences... but the consul checks that the Swiss abroad who are paid their old age security insurance (AHV) are really still alive, with a stamp, of course! It’s about providing care to people in difficult situations – a car accident for example, and do I pay the

deductible? I am the source of information for Swiss who want to come to Grenada but also for Grenadians who’d like to visit Switzerland. It’s also about networking. I represent Switzerland at official events, for instance at the wreath-laying for Grenadian soldiers who died for England in the First and Second World Wars. In brief, it’s a typically Swiss job: you help people out.

And finally – what question would you like to have fielded?

I can only tell you what I don’t want to hear: when are you coming back to Switzerland? How are your ties to Switzerland? That always sounds as though when you live abroad, you’ve forgotten Switzerland. It’s actually the complete opposite. Thanks to the fact that I was integrated into Switzerland, I can also be integrated into Grenada as a Swiss, as a Grenadian. That’s what makes for Swiss specificity... where Jana is, is the homeland.

Thank you

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Julia’s father, Leonhard Flisch, was a Swiss baker and confectioner native to the canton of

Grisons. He emigrated from Europe to America in 1849 and settled in Georgia. In 1859 Leonhard married Pauline Holzapfel whose parents came from Germany. Out of this marriage were born Henry, Julia Anna and Lenny. In Augusta, the Flisch family ran a confectionery shop near the campus of the University of Georgia. It soon became very popular in the student community for its ice cream and candies. Leonhard considered Pauline his wife and his business-partner so that when he had to join the Confederate army (1863), he left her alone to run the family and the sweet shop. Pauline’s intelligence and autonomy as well as Leonhard’s open mind certainly contributed to shape Julia’s personality.

Although their income was uncertain, Leonhard and Pauline Flisch gave their children the best possible education. Julia was soon enrolled in the Lucy Cobb Institute, a well-known establishment for girls, founded in 1854 and providing excellent classical instruction. Julia graduated with honours from that school in 1877. In 1881, looking forward to continue studying, she applied to the University of Georgia but this all-male state institution rejected her application. Julia felt so disappointed and upset that she sent to the Augusta Chronicle on November 20th, 1882 a letter signed by “A young woman” and entitled “Give the girls a chance!”. In this letter she addresses the Southern states and calls for

wider access for women in schools of higher education, thus providing them with social and financial independence. This unconventional opinion of a young person almost created a scandal. Patrick Walsh, the owner and politically influential publisher of the Augusta Chronicle, made Julia’s cause his own and took her under his wing.

During the late ‘90s, secretarial work started to be opened to women. While collaborating regularly as a staff writer at the Augusta Chronicle and on some occasions with Northern newspapers, between 1883 and 1884 Julia studied typing, stenography, telegraphy and bookkeeping in New York (Cooper Union College). Those several editorial jobs provided Julia with an excellent platform for the defense of women’s rights and the spread of her opinions on education.

In 1886 Julia was sent to Augusta by the Chronicle to report on the start of activities at the University of Georgia. In a series of four articles Julia evokes the old days when, as a young woman, she dreamed of becoming a student on that campus and how upset and disappointed she became when her application was rejected because of her gender. Still bitter nine years later, she wrote “Oh! Georgia, little as thou hast done for thy sons, it is yet something, but what hast thou done for thy daughters?”.

Julia Anna Flisch (1861-1941)

ByChristian W. Flisch

Julia Flisch, a feminist scholar, historian and writer, was born in Augusta (Georgia) on 31st January, 1861. She fought for a woman’s right to be educated and socially independent.

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Working during the day as an accountant and as a writer at night she published her first novel, Ashes of Hope, in 1886. The story is about the lives of three young women in Georgia struggling for their independence. This novel is written in a Victorian style similar to Jane Eyre but in Julia’s fiction, instead of getting married because of social conventions, the heroines choose deliberately to get married, thus proving their sense of social independence. Their marriages are presented as true partnerships. Unlike her heroines, Julia remained single all her life.

Julia’s efforts to improve women’s education were rewarded: when the all-male Georgia School of Technology (today Georgia Institute of Technology) opened, over 2000 women signed a claim for the creation of a similar female college. On November 27th, 1889, the inaugural day of the Georgia Normal and Industrial College, the first public female technological school in Milledgeville (nowadays the Georgia College and State University), Julia, the only woman on the panel, made her speech and was loudly cheered. She taught at this college from 1891 and during the summer breaks used to complete her studies at Harvard and Chicago. Then, twenty years after her application had been denied, the University of Georgia gave her the first honorary master’s degree ever granted to a woman in 1899. Having taught history until 1905, she left Milledgeville to enrol at the University of Wisconsin’s Centre for Historical Research in Madison where she obtained (1908) her Master of Arts in history for her study on “Land Legislation in Georgia”. During her time in Wisconsin, Julia published two articles in the American Historical Review in which she stresses the importance of explaining the history of the old Southern states, not only by focusing on the plantation aristocracy, but also by studying the lower classes.

Julia left Madison in 1908 and returned to Augusta where she joined the Tubman School for Girls, founded in 1874. She taught history there for 17 years. While there she challenged and encouraged her female students to choose

academic careers such as law or medicine instead of remaining housewives. Though American women in those days didn’t yet have the right to vote, she exhorted her students to have political opinions.

In 1925, in spite of her male colleagues’ reluctance and hostility, Julia was elected the Dean of Women in the freshly founded Georgia Junior College (today Augusta State University) and became an appreciated professor of history. The same year she published her second novel Old Hurricane. Sally, the heroine, is an independent Georgia woman who provides for her family. In spite of many positive critical articles the book only enjoyed a modest success.

Because of eye troubles, Julia had to retire in 1936. After a life fully devoted to the education and rights of women, she died in Augusta on March 17th, 1941 at the age of 80 and was buried in the Magnolia Cemetery.

Julia Anna Flisch

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«Lasst mir die Heimat grüssen!»

Susann Bosshard-KälinFreie Journalistin BR

Wegen Eugène ist sie vor 86 Jahren ausgewandert. Ohne Begleitung und unerschrocken reiste die Waadtländerin Marguerite Stäger Ende Juni 1929 an Bord der «Empress of Australia» nach Kanada aus. Die Liebe zu ihrem Verlobten aus Yverdon, der Jahre zuvor als Bäcker in Montreal Arbeit gefunden hatte, gab ihr das unerschütterliche Vertrauen; sie wagte die unsichere Zukunft in einer fremden Welt. Heute lebt Marguerite – die älteste Auslandschweizerin im gesamten nordamerikanischen Raum – in einer Altersresidenz, eine Stunde ausserhalb Montreals. In Begleitung von Maurice, ihrem 83-jährigen Sohn, ist eine kurze Visite bei Marguerite möglich. Die zierliche, unaufgeregte kleine Frau mit den hellblauen, wachen Augen, wird am 28. Juli 2015 sage und schreibe 110 Jahre alt. «Ein Besuch aus der Schweiz; lasst mir die Heimat grüssen. Ich bin zwar Kanadierin, aber sehr stolz auf meine Schweizer Wurzeln.»

Marguerite Nerny Stäger, die älteste Auslandschweizerin Nordamerikas wird 110 Jahre alt

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Es grenzt an ein Wunder, dass die Westschweizerin Marguerite Stäger kurz nach

dem Ersten Weltkrieg die Spanische Grippe übersteht. Die Ärzte hatten die 13-Jährige bereits aufgegeben und rieten den verzweifelten Eltern, dem Mädchen einfach noch alles zu erlauben. Und Marguerite wusste schon damals, was ihr gut tat: Sie «verordnete» sich den roten Aigle aus dem eigenen Weinberg und voilà – wird gesund. Wenn ihr damals jemand prophezeit hätte, dass sie am 28. Juli 2015 ihren 110. Geburtstag feiern würde…

Doyenne mit fünf Generationen Nachkommen

Marguerite schart eine grosse Familie um sich – insgesamt vierzig ihrer direkten Nachkommen leben in Nordamerika. Sie selbst hat sieben Kindern in Kanada das Leben geschenkt und im Februar dieses Jahres kam Zoé, die Jüngste des Clans, die fünfte Generation, auf die Welt. «Ich hatte wirklich ein gutes Leben. Manchmal denke ich, Gott hat mich vergessen. Er erinnert sich nicht mehr, dass ich noch immer auf der Welt bin.»

Ihr Sohn, Maurice Nerny, emeritierter protestantischer Pfarrer, kümmert sich rührend um seine alte Mutter und ist sichtlich stolz auf sie: «Maman ist einfach grossartig, eine starke Persönlichkeit, fokussiert und konzentriert wie eh und je. Sie ist keine Frau der vielen Worte, aber liebenswürdig und herzlich. Verunsichern lässt sie sich auch heute noch nicht. Sie lebt für die Familie, wir sind ihr Zentrum. Kürzlich meinte

sie, es sei irgendwie komisch, dass ihre Kinder so alt seien! In der Tat: Meine Schwester Jacqueline ist 85, mein älterer Bruder Jean-Jacques 84, ich selber bin 83jährig; Gisèle ist 80 und meine jüngste Schwester, Rachel wird 70. Zwei meiner Geschwister verlor Maman im Babyalter an Lungenentzündung, ihren Lebensmut hat sie deswegen aber nie aufgegeben. Sie wusste, sie trägt Verantwortung für ihre anderen fünf Kinder – für die Familie.»

Les deux Romands à Aarau

Um Deutsch zu lernen, kam die Waadtländerin Marguerite Stäger, die in Aigle in einer Schreinerfamilie aufwuchs, 1921, als 16-Jährige für ein Haushaltsjahr nach Aarau . Was für ein Zufall, dass ein junger Bäcker-Konditor-

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Lehrling – Eugène Nerny aus Yverdon – täglich frühmorgens die frischen Brötchen ins Haus der Familie lieferte! Sonntags begegneten sich die beiden bald in der protestantischen Eglise Française. Maurice Nerny: «You catch your fish when you can!» - in Aarau gab’s ja nur wenige Romands, so trafen sich die beiden und verliebten sich ineinander.»

1924, mit dem Lehrabschluss in der Tasche, entschied Eugène auszuwandern. Er wollte weg aus der Schweiz, sein Verhältnis zur Stiefmutter war nicht eben das Beste, und das Angebot eines Bäcker-Kollegen in Montreal kam wie gerufen. Maurice Nerny: «Mutter erzählt uns immer wieder, dass sie sich damals noch zu jung gefühlt hätte, um wegzugehen von Zuhause. Schweren Herzens liess sie ihn ziehen; sie verlobten sich aber vor seiner Abreise und schworen sich ewige Liebe.» Fünf Jahre lang gingen Liebesbriefe hin und her über den Atlantik. «Unsere Mutter wollte Geld auf die Seite legen für ihre eigene

Auswanderung. Sie wusste: Eugène ist der Richtige!»

Mutterseelenallein in der neuen Welt

Mitten in den Depressionsjahren, 1929, folgte die 24-jährige Marguerite ihrem Liebsten nach Kanada. Es war ein Abschied für immer, das wusste sie. Und die Reise hatte es in sich! Der Bescheid der Behörden in Cherbourg, sie hätte eine Augenkrankheit hiess sie beim ersten Anlauf unverrichteter Dinge wieder zurück nach Aigle reisen. Erst einen Monat später dann der zweite Versuch. Und wieder allein mit dem Zug über Paris an den Atlantik. Das bedeutete unerwartete Extraausgaben, die die sonst schon mageren Ersparnisse der jungen Frau arg strapazierten. Aber die Vorfreude, ihren Verlobten nach fünf Jahren endlich wieder in die Arme schliessen zu dürfen, liess sie alles vergessen, sogar die Seekrankheit auf hoher See. Trotz Widrigkeiten: Es sei wie in einem Hotel gewesen auf dem

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| À TRAVERS LE MONDE À TRAVERS LE MONDE |

eleganten Schiff, Menschen in Uniform hätten sie bedient: «Ich fühlte mich wie in Hollywood. Und als ich eines Morgens das Frühstück verschlief, wurde mir an einem Extratischchen sogar extra nachserviert.» Wegen Problemen mit Eisbergen in Neufundland landete das Schiff einen ganzen Tag verspätet im Hafen von Québec City. Keine Spur von Eugène! Der stand schon längst wieder in seiner Backstube. Marguerite betrat den neuen Kontinent völlig auf sich allein gestellt. Und auch nach der Zugsfahrt empfing sie niemand an der Windsor Station in Montreal. Ein Porteur half ihr, den schweren Koffer in ein Taxi zu hieven: «Ich wähnte mich in Afrika, alle Portreurs am Bahnhof waren schwarz.», erinnert sie sich. Die Adresse «4738 Rue St. Antoine» hatte sie auf einen kleinen Zettel notiert. Dort, im Arbeiterquartier von Montreal wohnte ihr Eugène im Zimmer einer einfachen Pension. «Die Flachdächer irritierten mich. Ich war an Chalets gewohnt und fand die Häuser schrecklich, wie Köpfe ohne Haare». Wenige Wochen nach

ihrer Ankunft, am 27. Juli 1929 heiraten Eugène und Marguerite. «Wir waren nur zu sechst in der französisch-sprachigen Protestantischen Kirche in Montreal, das Ehepaar Calame und ihr Sohn und der Schweizer Pfarrer, der uns traute. Unsere Hochzeitsreise führte am Nachmittag für ein paar wenige Stunden auf die Ile St. Hélène ausserhalb der Stadt. Fini! In der Früh am nächsten Morgen musste Eugène wieder arbeiten.

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Clara d’Atena Pizzolato

Entretien par Laurence Deonna

reporter, écrivaine, photographe

Petite femme brune, aux yeux d’écureuil, vive, d’une sensibilité à fleur de peau, pistachée à la fois d’humour et de mélancolie, Clara d’Atena Pizzolato a pris à rebours le précepte selon lequel « tous les chemins mènent à Rome » : elle a pris le chemin de Rome à Genève. Suivant par là son mari, engagé comme médecin à l’Hôpital cantonal, Clara a laissé derrière elle toute sa vie, la douceur de Rome, sa famille, ses amis et sa profession de biologiste. Cette profession, elle la pratiquera encore quelques années dans la ville du bout du lac, mais sans grand enthousiasme car cette rupture à la fois géographique, culturelle et émotionnelle va la renvoyer au plus profond d’elle-même, faire vivre ce qui vibre en elle depuis l’enfance et qui ne s’est jamais exprimé : la créativité. Eh oui, on croit son chemin tout tracé et le voici qui bifurque sans prévenir ! Comme l’artiste le dit joliment : « La vie nous envoie ses coups de griffes mais aussi la douceur de ses caresses », et cette caresse-là, c’est l’austère ville de Calvin qui va la lui offrir.

De Rome à Genève – du microscope au pinceau

Sans titre. Acrylique sur toile, 2012

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| LA VIE DU MUSÉE LA VIE DU MUSÉE |

Ainsi vous avez abandonné, à l’âge de 50 ans, la science et sa logique, pour (l’apparente…) irrationalité de l’Art ?

En fait, ce changement s’est avéré moins difficile pour moi que je ne l’aurais craint. Tant à l’École des Beaux-Arts, à l’École des Arts décoratifs (EAD et HEAD), qu’aux cours privés auxquels j’ai participé, j’ai eu la chance d’avoir des professeurs qui n’ont jamais cherché à me formater, qui m’ont permis de grandir sans jamais me juger. Je suis passée du crayon à la terre, puis de la terre au pinceau : tout un parcours. Sans mon tablier, sans mes mains tachées de couleurs ou terreuses jusque sous les ongles, ma vie n’aurait plus de sens. J’aime particulièrement la terre. Cela vous paraîtra sans doute grandiloquent si je vous dis que la création me donne le sentiment que mon âme et moi ne faisons plus qu’un.

Votre vision du monde est-elle différente depuis que vous avez quitté la biologie ?

Absolument, mon regard a changé, je remarque mille choses, mille détails, mille ombres, mille lumières que je ne voyais pas avant.

Vous êtes une artiste étonnamment prolifique et aux sujets et aux talents étonnamment variés. Nouveau chapitre : même les animaux y montrent le bout de leur nez ! Vos paysages n’ont rien d’une banale reproduction de la réalité, rien chez eux de « photographié ». Quant à vos portraits, on y sent une touche qui n’appartient qu’à vous, à votre perception, à votre regard. Une touche vraiment particulière qui révèle l’aura de vos modèles. On vous a d’ailleurs commandé des portraits, n’est-ce pas ?

Oui, ici même, à Penthes ! L’ambassadeur Bénédict de Tscharner, l’ancien président de la Fondation pour l’Histoire des Suisses dans le Monde et grand connaisseur des personnalités suisses, auxquelles il rend régulièrement hommage dans des livres, m’a commandé des dessins pour

illustrer au crayon deux d’entre eux, sur la base de photocopies d’archives. J’étais à la fois attirée et atterrée par cette proposition car c’était une première pour moi. Simple : je n’y avais jamais pensé. Mais je m’y suis attelée. Une aventure un peu folle, mais qui s’avéra très enrichissante.

À crayon vaillant, rien d’impossible ! Quelle réussite ! À propos, quel est le trait le plus difficile à rendre lorsqu’on dessine un visage ?

Vous allez rire, ce sont les dents, lesquelles peuvent rapidement prendre une place disproportionnée ! Le sourire aussi peut facilement tourner à la grimace…

Et les yeux ?

Les yeux, c’est bien sûr l’émotion ! Dessiner, peindre un regard, c’est donner la vie !

Eccomi! Acrylique sur toile, 2011

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L’alter ego marin de la Suisse

Après la chute de Berne, le 5 mars 1798, le général français Brune fait transférer l’ours Martin de la fosse des bords de l’Aar au Jardin des Plantes à Paris, où il retrouve les girafes confisquées au Jardin royal d’acclimatation d’Amsterdam ! Il ne s’agit que d’une introduction légère pour illustrer les liens qui unissent les cantons suisses et les Provinces-Unies, a priori si éloignés l’un de l’autre. Pays de montagnes d’un côté, plat pays de l’autre, Pays-Bas et Suisse ont une proximité plus grande qu’on ne l’imagine et présentent bien des similitudes : une origine germanique qui assume sa différence, une dimension comparable, le goût de la démocratie qu’elle soit alpestre ou commerçante, plusieurs dénominations possibles du pays, une lutte constante pour l’indépendance, l’adoption pour un temps de la neutralité, la diversité des fromages...

Durant la guerre qui opposait les Pays-Bas espagnols à la couronne habsbourgeoise, l’Acte de la Haye (1581) prononcé par les états généraux marqua la déchéance de Philippe II et de ses droits sur les Provinces-Unies. Ainsi, les Suisses, affranchis de la tutelle autrichienne depuis 1291, durent se sentir moins seuls au milieu des grandes monarchies européennes. En 1582, les cantons

protestants adressent aux Hollandais une lettre de félicitation suite à l’accès des sept Provinces-Unies à l’indépendance.

Les relations diplomatiques débutent avec Pieter van Brederode qui, après ses études à Bâle, devient en 1618 envoyé des Provinces-Unies auprès de la Confédération. Durant les négociations autour des traités de Westphalie, le bourgmestre de Bâle, Johann Rudolf Wettstein, délégué des cantons protestants, observa attentivement la manière de négocier des Néerlandais, qui, comme les Suisses, se séparèrent officiellement de l’Empire en 1648. En échange de bons procédés, Suisses et Hollandais servirent d’intercesseurs dans certains conflits. Ainsi, le Schaffhousois Johann Jakob Stokar tenta en vain, en 1653, sur mandat des cantons protestants, de négocier une paix entre l’Angleterre et les Provinces-Unies, de même confession mais dont les rivalités maritimes amenèrent aux guerres anglo-néerlandaises aux XVIIe et XVIIIe siècles. De l’autre côté, Rudolf van Ommeren mena des tractations sur un soutien aux Vaudois du Piémont, adeptes de Valdo, et sur une assistance (qu’il ne put accorder) aux cantons protestants lors de la première guerre de Villmergen en 1655-1656.

Les relations entre les Pays-Bas et les Suisses

Du 22 juin jusqu’au 18 septembre 2016, en collaboration avec la Mission des Pays-Bas auprès des organisations internationales et dans le cadre de la présidence néerlandaise de l’Union européenne, le domaine de Penthes accueille une centaine de gravures du maître de Leyde, Rembrandt. L’occasion pour le Musée des Suisses dans le Monde de revenir sur les liens méconnus et pourtant étroits entre la Confédération helvétique et le royaume des Pays-Bas, dans le volet de l’exposition Quand les Pays-Bas rencontrent les Suisses

ParAlain-Jacques Tornare

docteur en Histoire

Belle de Charrière

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Sur le plan géostratégique, se rapprocher des Provinces-Unies revint alors, pour les XIII cantons souverains, à raffermir corollairement leurs liens avec le Royaume-Uni. Le 10 mars 1690, à Zurich, est signé un traité d’alliance offensive et défensive avec Sa Majesté britannique pour le service des états généraux, Guillaume III d’Orange étant devenu roi d’Angleterre, par son mariage avec Marie de la dynastie Stuart. Déjà, des écrits comme L’Affermissement des républiques de Hollande & de Suisse (1675) avaient présenté les descendants de Guillaume Tell et de Guillaume d’Orange comme des alliés. Cette alliance se renforcera très rapidement, quand le clair-obscur hollandais et les ombrageux Helvètes formeront une riche palette face au Roi-Soleil, l’ennemi commun des protestants, après la révocation de l’Édit de Nantes en 1685.

Le Néerlandais Petrus Valkenier, connu pour ses pamphlets républicains contre Louis XIV, conclut en mars 1693 avec Hercules Capol (de

Flims, docteur en médecine à Leyde en 1665) une capitulation privée qui lui permit de lever officiellement aux Grisons un nouveau régiment de 1600 hommes, rompant ainsi le monopole qu’exerçait la France sur le recrutement des soldats suisses. La même année, Zurich autorisa le recrutement de 800 hommes. Berne (en 1696), Schaffhouse, Neuchâtel et Genève donnant des accords analogues. En 1700, 11 200 Confédérés se trouvèrent au service de la Hollande. Ils participèrent à la guerre de Succession d’Espagne opposant la France à une ligue composée des Habsbourg d’Autriche, du Royaume-Uni et des Provinces-Unies, et se trouvèrent face à des compatriotes au service de France, comme à la bataille de Malplaquet (1709). En 1712, l’envoyé de Berne François-Louis de Pesme (1668-1737), seigneur de Saint-Saphorin, qui avait servi dans l’infanterie hollandaise de 1685 à 1688, signa le pacte et le traité d’union avec les états généraux des Provinces-Unies. Les deux partenaires s’engageaient alors à se secourir réciproquement en cas d’attaque. Genève était comprise dans cette protection.

Faisant suite au Traité d’Utrecht, qui mit fin à la guerre de Succession d’Espagne entre la France et les Provinces-Unis, Baden servit de lieu neutre pour la signature de la Paix de Baden entre la France et l’Empire le 7 septembre 1714, immortalisée par le peintre bâlois Johann Rudolph Huber et dont le tableau se trouve de nos jours au château de Versailles. La Paix de Baden est finalement le premier congrès international tenu et le premier traité de paix signé sur sol confédéré, l’Autriche y recevant notamment les Pays-Bas espagnols. Par la suite, De Pesmes de Saint-Saphorin obtint en 1714 des troupes capitulées supplémentaires, tandis que les Néerlandais promirent une aide financière en cas d’attaque contre Berne. Les III Ligues grisonnes conclurent en 1713 une alliance défensive avec les Provinces-Unies, malgré l’opposition des communes catholiques. La capitulation de 1748 avec tous les cantons protestants (sauf Bâle), Glaris, Appenzell Rhodes-Extérieures, Saint-Gall et Neuchâtel porta à 20 400 l’effectif des

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troupes suisses au service de la Hollande. Les troupes suisses seront finalement licenciées après la fondation de la République batave en 1795, inspirée par l’idéologie de la Révolution française, comme le sera, en 1798, la République helvétique. Neuf mille Suisses serviront à nouveau en Hollande de 1816 à 1829. Certains y resteront à titre individuel. Nicolas Emmanuel Frédéric de Goumoëns (1790-1832), au service des Pays-Bas dès 1816, devient colonel de l’état-major général, et fut tué en décembre 1832 lors du siège de la citadelle d’Anvers par les Français.

Un chassé-croisé d’influences

Au-delà des hommes, les Pays-Bas et les cantons suisses pratiquent intensément les échanges d’idées. Ainsi, la réforme militaire imposée

par la maison d’Orange inspira les nouveaux règlements de service des villes protestantes de Berne (règlement d’exercice de 1615, réforme de l’armée de 1628), Zurich (réformes du colonel Georg von Peblis en 1629, Kriegs-Büchlein de Johann Konrad Lavater en 1644) et Genève, et même de la ville catholique de Fribourg. Les maisons de correction envisagées vers 1630 à Berne et Zurich pourraient avoir leur modèle dans le nouveau Tuchthuis d’Amsterdam. La pensée néerlandaise toucha le politicien zurichois Hans Conrad Heidegger qui reprit, parfois mot à mot, le Politica du néostoïcien hollandais Juste Lipse dans son traité Regentten Kräntzli (1632). Un autre exemple est celui de la délégation suisse composée du huguenot Gabriel Convenant et du Schaffhousois Johann Ludwig Fabricius qui, en 1689-1690, participa à l’épisode militaire de la Glorieuse Rentrée des Vaudois, laquelle vit ces protestants, réfugies à Genève après la révocation de l’Édit de Nantes en 1685, revenir dans les vallées italiennes qu’ils avaient fuies.

Bien entendu, les influences dogmatiques sont nombreuses. Pour exemple, Cornelis Hoen, avocat à La Haye, marque la doctrine de Zwingli, qui, diffusée aux Provinces-Unies par Hinne Rode, inspira à son tour la confession de foi des prédicants de Frise orientale (1528). Inversement, l’influence de Calvin fut considérable aux Pays-Bas.

Sur le plan intellectuel, à Neuchâtel, la romancière Isabelle de Charrière (Belle de Zuylen, 1740-1805)1 née van Tuyll, au château de Zuylen, près d’Utrecht, connue pour son admirable correspondance, apparaît comme un des écrivains qui incarnent le mieux l’esprit et les aspirations des Lumières, tandis que Benjamin Constant (1767-1830) – dont le père Juste Constant de Rebecque avait commandé le 5e régiment suisse au service de la Hollande – fut le père du libéralisme moderne. Son cousin Jean-Victor de Constant-Rebecque (1773-1850), au service de la Hollande au moment de la Restauration, a permis, par son sens tactique et sa détermination, la victoire de Waterloo le 18 juin 1815 2.

Guillaume III d’Angleterre par l’école de Willem Wissing

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Si plusieurs familles d’origine hollandaise firent souche en Suisse, à commencer par les Van Muyden et les Van Berchem respectivement à Lausanne et Genève, plusieurs générations de Constant, originaires des deux grandes cités lémaniques, marquèrent de leurs empreintes les Pays-Bas. Guillaume-Anne de Constant-Rebecque (1750-1830), ancien commandant des Gardes suisses à La Haye, devient gouverneur de Bruxelles en 1815. Son fils Jules-Thierry (1786-1867) est lui aussi général-major dans l’armée hollandaise. Durant la première moitié du XIXe siècle, la communauté helvétique exerce en Hollande un rayonnement particulier. À l’exemple des trois frères Högger, de Saint-Gall, nés à Amsterdam, fils de Daniel, conseiller de la ville d’Amsterdam et délégué hollandais à Hambourg, et petits-fils du fondateur de la banque Högger à Amsterdam. Ainsi, Paul Ivan fut bourgmestre d’Amsterdam et président de la Banque néerlandaise, Johann Wilhelm (1763-1831), envoyé hollandais à Saint-Pétersbourg, et Friedrich Heinrich, colonel fédéral en Suisse (1815), colonel en France du 7e régiment de la Garde (1816-1820) 3.

Sur la longue durée, l’amitié helvético-batave ne se démentit jamais. Ainsi, en 1926, la République de Genève offrit à la princesse Juliana – future reine – un extrait d’état civil qui confirmait sa qualité de citoyenne de Genève. En 2008, on comptait 7076 Suisses vivant aux Pays-Bas et 17 788 Néerlandais en Suisse.

Le Rhin fait le lien

Chacun sait que le Rhin est un fleuve né en Suisse dans le Saint-Gothard qui se jette dans la mer du Nord aux Pays-Bas. Cette magnifique et ancestrale voie de communication a permis à Bâle d’accueillir les plus beaux esprits. Ne dit-on pas que Bâle est la cité d’Érasme de Rotterdam (1466-1536), Hollandais de naissance qui appartient pourtant à la Galerie suisse des Biographies nationales d’Eugène Secrétan4 . En août 1514, Érasme se rend pour la première fois à Bâle et y reviendra à plusieurs reprises avant

de s’y établir définitivement en novembre 1521, attiré par la maison d’édition de Johann Froben, à qui il confia, sa vie durant, presque tous ses écrits. Par ses liens avec la maison Froben, l’auteur de L’Éloge de la Folie devient le centre d’un vaste cercle d’humanistes, amis et admirateurs de toute l’Europe, du Portugal à la Pologne. C’est de Bâle qu’Érasme affronte Luther, dans un véritable combat intellectuel de titans. « Il mourut chez Jérôme Froben, dans la maison Zum Luft. Bâle hérita de sa fortune sous la forme d’une fondation charitable, gérée par Boniface Amerbach. La cité protestante lui rendit hommage, le 18 juillet 1536, par des funérailles à la cathédrale où il est inhumé. En 1538 fut placée sur son tombeau l’épitaphe encore visible aujourd’hui. L’imprimerie Froben lui éleva le plus digne des monuments en publiant ses œuvres complètes, en neuf in-folio, entre 1538 et 1540 5. » Ce grand humaniste connu dans le monde entier a profondément influencé Bâle qui, en retour, impressionna fort les Hollandais au sens propre et figuré: l’auteur et éditeur néerlandais Adam Petri imprima en 1575 à Bâle son histoire du soulèvement des Provinces-Unies contre les Espagnols.

Erasme de Rotterdampar Hans Holbein le Jeune

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Depuis Amsterdam, les Suisses parcourent le vaste monde

Bâle, ville et port sur le Rhin, joue le rôle de porte d’entrée pour la Hollande et c’est dans le port de Bâle que les marins suisses attentent Amsterdam. Le rêve des Amériques passait d’abord par le port de Bâle, la seule ouverture suisse vers la mer. Ainsi, 1088 émigrants partirent d’Estavayer-le-Lac pour Nova-Friburgo le 4 juillet 1819 via le lac de Bienne, Soleure et Brugg par l’Aar puis par le Rhin. L’entrée aux Pays-Bas se fit par Lobit le 26 juillet 1819 et les émigrants furent installés dans un campement à Mijl. Certains y passèrent de longs mois jusqu’au 10 octobre avant d’embarquer à Saint-Gravendeel 6. Johann-August Suter (1803-1880) prit le même chemin, en 1834, avant d’aller fonder Sacramento en Californie. L’immigration suisse en Amérique transitait, au XIXe siècle, par les ports d’Amsterdam ou de Rotterdam. On connaît le rôle important joué par la marine suisse durant la Seconde Guerre mondiale pour le ravitaillement du pays. L’un de ces cargos, le Saint-Cergue joua même les saint-bernards des mers en sauvant notamment, le 26 juin 1942, les 209 naufragés du cargo mixte hollandais Jagersfontein qui venait de se faire torpiller par un sous-marin allemand près des Bermudes. Ces naufragés avaient fui l’occupant japonais en Indonésie. L’écrivain hollandais Erik Hazelhoff Roelfzema (1917-2007), pilote de la Royal Air Force britannique et membre de la résistance hollandaise, a raconté en 1970 dans Soldaat van Oranje (Le Choix du destin) sa fuite à bord du Saint-Cergue en compagnie de Bram van der Stok, un célèbre pilote de chasse hollandais (1915-1993) et deux autres hommes. Le film éponyme fut tourné en 1977 par Paul Verhoeven.

De la Hollande, c’est le monde entier qui s’offre aux Suisses. Révélateur est à ce titre, le fait que le seul régiment suisse à s’être rendu sur tous les continents habités fut celui dont la principauté de Neuchâtel autorisa la levée en 1781 pour le service de la Compagnie des Indes orientales, avant de passer au service de l’Angleterre en

1795. Bien que le roi des Pays-Bas ait dénoncé en 1829 la dernière capitulation (conclue en 1814-1815 avec des cantons protestants et catholiques) et bien que la Confédération ait interdit le mercenariat en 1859, un certain nombre de Suisses servirent aux XIXe et XXe siècles dans les troupes coloniales néerlandaises. Ainsi, le Vaudois Charles-Ferdinand Pahud (1803-1873) fut gouverneur-général des Indes néerlandaises de 1855 à 1861, après avoir dirigé le ministère des Colonies de 1849 à 1855.

Lien insoupçonné et pourtant tellement actuel pour beaucoup de jeunes Suisses, le nom hollandais le plus connu est celui de Tally Weijl, une talentueuse créatrice de mode qui a fait souche en terre helvétique.

Juliana d’Orange-Nassau,Reine des Pays-Bas (1948-1980)

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BIBLIOGRAPHIE :

C. J. BENZIGERDie Schweiz in ihren Beziehungen zu Holland 1921

E. DIETERICHDie Bedeutung der Niederlande für die Schweiz im gegenseitigen Handelsverkehr 1924

E. BONJOURAperçu historique des relations entre les Pays-Bas et la Suisse1969

A. HOLENSTEINThe Republican Alternative2008(avec bibliographie sur les relations bilatérales)

J. KLEYNTJENS et Paul DE VALLIERE« Les Suisses dans l’armée néerlandaise du XVIe au XXe siècle » dans Revue Militaire SuisseBd. 97, 1952, Heft 3 et 6.

Sous la direction de S. RIALDe Nimègue à Java : Les Soldats suisses au service de la Hollande (XVIIe-XXe siècles)Château de Morges & ses musées. Centre d’Histoire et de Prospectives militaires Morges 2014

1 Caroline Calame, « Isabelle de Charrière écrivain (1740-1805) », in Biographies Neuchâteloises, tome I, Éd. Gilles Attinger, 1996, pp. 49-58. Voir Raymond Trousson, Isabelle de Charrière. Un destin de femme au XVIIIe siècle, Slatkine, Genève 2013.

2 Voir notre texte : « Jean-Victor de Constant de Rebecque (1773-1850) ». Version revue et abrégée de la conférence lors de l’Assemblée Benjamin Constant, à Pully, le 4 avril 1998. Annales Benjamin Constant, 22, 1999. Institut Benjamin Constant, Lausanne Éditions Slatkine, Genève – Diffusion France : Honoré Champion Édition, Paris, pp. 103-115.

3 Voir la nouvelle salle Pelet au château de Morges qui consacre plusieurs séquences au service de la Hollande.

4 Lausanne 1873, tome I, pp. 210-226.

5 Dictionnaire Historique de la Suisse [DHS], vol. IV, 2005, pp. 521-522 : article de Peter G. Bietenholz sur « Érasme ». Voir aussi l’article « Pays-Bas » de Thomas Maissene et Kathrin Marthaler, DHS, vol. IX, 2010, pp. 625-630.

6 Martin Nicoulin, La Genèse de Nova-Friburgo. Émigration et colonisation suisse au Brésil 1817-1827, Fribourg, Éditions universitaires, 1973, pp. 139-149.

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Suisses de France et Français de Suisse:500 ans d’accords mutuels

ParAlain-Jacques Tornare

docteur en Histoire

En octobre 2016, le Musée des Suisses dans le Monde célèbrera à sa façon les 500 ans de la Paix perpétuelle entre la Suisse et la France. L’exposition De Marignan à Matignon, qui se veut ludique, permettra à tout un chacun de se faire une idée des rapports exceptionnels entretenus par les deux pays, parfois dans la plus grande discrétion, depuis plus d’un demi-millénaire, l’accent étant mis ici sur quelques faits saillants et des personnages caractéristiques, dans un enchaînement inattendu de célébrités et de découvertes, lesquelles serviront de fil conducteur, de guides, afin de nous permettre d’appréhender la richesse, le foisonnement tous azimuts de la coexistence franco-suisse durant ces cinq siècles, fondée quasi constamment sur un enrichissement mutuel, y compris durant les périodes d’affrontements.

Manuel Valls, Premier ministre de la République française

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Forts de leurs 200 000 expatriés, les Suisses de France forment plus que jamais, la

première communauté helvétique à l’étranger et les Français de Suisse sont si nombreux qu’ils fournissent à eux seuls un des onze députés des Français de l’étranger. Cette présence d’une haute valeur ajoutée de part et d’autre, témoigne des relations constantes entretenues par les deux pays, depuis la Paix perpétuelle de 1516, dite Paix de Fribourg. Sous-évaluée et sous-estimée, l’ampleur de ces relations d’une richesse pourtant inouïe ouvre d’étonnantes perspectives que la commémoration du 500e illustre de manière féconde.

Les rapports France – Suisse fonctionnent parfois sur le mode : « Je t’aime moi non plus », se nourrissant de clichés ancestraux et d’incompréhensions réciproques inhérentes à une proximité trop longtemps prégnante, dont on ne voulait guère connaître les tenants et aboutissants. Voilà qui est curieux, voilà qui nous interpelle, voilà qui atteste de rapports franco-suisses aux enchevêtrements complexes et aux conséquences insolites ! Un an après la salutaire défaite de Marignan, tout nous surprend dans cette si avantageuse Paix de Fribourg, que tous les cantons et leurs alliés signent à l’unisson, ce qui est rarissime à l’époque du Corps helvétique. Avant même de devenir un véritable État de droit en 1798, les Ligues des Hautes Allemagnes sont traitées en puissance, préfigurant une Suisse appelée à s’unir un jour, comme si la Nation ici précédait l’État. Deuxième surprise et non des moindres, la France tenait coûte que coûte à cette Suisse gardienne des grands cols alpins et qui assurait les frontières de France entre Rhin et Rhône. Conséquence naturelle : cette fameuse Paix n’a jamais été formellement révoquée et l’Alliance perpétuelle qui suivra en 1521 sera régulièrement ravivée jusqu’au XIXe siècle, le dernier renouvellement pour un nouveau bail de cinquante ans datant précisément du 27 septembre 1803. La neutralisation de la Suisse en 1815 « dans l’intérêt de l’Europe » prit ensuite le relais. D’un point de vue français, la Suisse si elle n’avait pas existé aurait dû être inventée.

Et c’est ce que fit pour une bonne part son environnement européen. Le rappel des liens qui ont durablement uni la Suisse à la France illustre le constat sans appel que la Suisse ne peut raisonnablement subsister sans relations étroites avec ses grands voisins et qu’il est illusoire de vouloir en faire une île perdue au milieu de l’Europe, au risque de la voir balayer par les vents de l’histoire.

Le rayonnement des Suisses en France est proportionnel au poids qu’eut ce pays dans le processus de réalisation de la Confédération elle-même. Les contacts sont tels entre les deux pays depuis le milieu du XIVe siècle, que ces échanges permanents ont généré une forme de chassé-croisé à nul autre pareil, d’une constance et d’une intensité inégalées. Pour ne citer qu’un exemple : les huguenots français chassés du royaume apportent à Genève leur savoir-faire dans le domaine de l’horlogerie tandis que le Genevois Laurent Mégevand (1754-1814), installé au Locle avec 80 horlogers suisses bannis pour avoir soutenu la révolution en Suisse, implantent, en 1793, une manufacture nationale d’horlogerie à Besançon. Et pour agrémenter le temps qui s’écoule, Henri Louis Pernod transfert de Couvet à Pontarlier la conception d’un breuvage bien connu. Sur le plan de la pensée, il est piquant de constater que Calvin le Picard fera de Genève sa cité, tandis que le citoyen de Genève Rousseau fera d’Ermenonville en Picardie sa dernière résidence. Un bel exemple de chassé-croisé franco-suisse autour de deux théoriciens-moralistes aux antipodes l’un de l’autre !

L’imbrication est telle que certains événements fondateurs pour l’un et l’autre pays sont liés à leurs relations communes. À titre d’exemple et pour n’évoquer ici qu’une période dont je suis spécialiste, que serait le 14 juillet 1789 sans la défense de la Bastille par un détachement du régiment de Salis-Samade qui offrit à la France révolutionnaire sa journée emblématique et fondatrice ? Sans la Garde suisse pour défendre les Tuileries, point de chute aussi spectaculaire de la monarchie le 10 août 1792, et encore moins

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de Trois Glorieuses en juillet 1830. Tandis que la banque suisse protestante, qu’incarne un Jean-Frédéric Perregaux (1744-1808), contribue en 1800 à la création et à la pérennité de la Banque de France, tant la Révolution helvétique de 1798 que l’Acte de Médiation de 1803, qui prépare la Confédération à sa métamorphose de 1847, sont en grande partie l’œuvre de la France. De même, il est souvent fort difficile de déterminer la part française ou helvétique de certains personnages qui vont même jusqu’à passer indistinctement pour Français ou pour Suisses, selon l’endroit où l’on en parle.

De la suissitude se niche dans les moindres recoins du patrimoine de la Grande Nation. Après être descendu au Ritz, construit par César Ritz (1850-1918), de Niederwald en Valais, père fondateur de l’hôtellerie moderne, entrez seulement dans le cabaret du Chat Noir du Grison Louis Rodolphe Salis (1851-1897) et, tout en sirotant une absinthe venue du Val-de-Travers, admirez la célébrissime affiche dessinée

par le Lausannois Théophile-Alexandre Steinlen (1859-1923). Où que vous alliez dans la Ville Lumière, vous n’échapperez pas aux sculpteurs suisses qu’ils se nomment James Pradier (1790-1852) ou Alberto Giacometti (1901-1966), Marcello (née Adèle d’Affry 1836-1879) ou Jean Tinguely (1925-1991). Il en va de même du côté des architectes où les créations du Neuchâtelois Le Corbusier cohabitent en France avec les ponts de Neuilly et de la Concorde créés par Jean-Rodolphe Perronet (1708-1794), voire la Tour Eiffel, dessinée par Maurice Koechlin (1856-1946), sans oublier la cathédrale d’Évry, la seule construite au XXe siècle, et ce par le Tessinois Mario Botta, le musée d’Alésia ou le parc de la Villette que le Vaudois Bernard Tschumi para de rouge. Ouvrez ensuite grandes vos oreilles et écoutez quelques mesures d’Arthur Honegger (1892-1955), « compositeur français de nationalité suisse » ou selon les goûts Où sont les femmes de Patrick Juvet, de La Tour-de-Peilz. En fait que vous aimiez Le vieux Chalet de l’abbé Bovet, Les Trois Cloches du chansonnier Jean

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Villars-Gilles, Saturnin de Ricet Barrier, La Petite Charlotte d’Henri Dès, Foule sentimentale d’Alain Souchon, le Concerto pour un été d’Alain Morisod ou Chihuahua de DJ Bobo vous restez en compagnie de Suisses célèbres. Mais peut-être préférez-vous Déjeuner en paix avec Stéphane Eicher ou prendre Le café au lait au lit avec Pierre Dudan ? Pas de problème, ce sont encore des Suisses comme le jeune homme qui monte, Bastian Baker. Nous pourrions bien entendu répéter l’opération à livre ouvert avec les écrivains, Germaine de Staël, Blaise Cendrars, et tant d’autres comme Guy de Pourtalès, Charles-Ferdinand Ramuz, Jacques Chessex, Jean Starobinski, Philippe Jaccottet ou Joël Dicker et tous ceux qui ont adopté la Suisse comme Jacques Chardonne, Albert Cohen, Henri Guillemin, Frédéric Dard, Georges Simenon, Jean et Alexandre Jardin. Tous les domaines sont concernés, des plus sérieux comme la religion avec Frère Roger, fondateur de Taizé, ou Tarik Ramadan, aux plus légers avec l’humour qu’illustrent Zouc, Bernard Haller ou Gaspard Proust et les dessinateurs Zep ou Derib. Que de monstres sacrés aussi du côté du cinéma, de Michel Simon à Jean-Luc Godard en passant par Jean-Luc Bideau, Marthe Keller, Vincent Perez ou Alain Delon ! Ne pensez pas vous réfugier derrière vos téléviseurs. Un quatuor de choc helvétique occupe le petit écran ces dernières années : Anne Richard (VD) et Jean-François Balmer (NE) ont fait les beaux jours de Boulevard du Palais tandis que Samuel Labarthe (GE) et Élodie Frenck (GE), animent Les Petits meurtres d’Agatha Christie.

Même la politique française a de la Suisse dans les idées. Ont en commun une part d’Helvétie, les Necker, Marat, Pache, Benjamin Constant et autre Napoléon III, dont les seuls papiers d’identité que l’on trouva auprès de lui à sa disparition est son passeport suisse. De nos jours, le plus important de tous est incontestablement Manuel Valls, fils d’une authentique Tessinoise. Mais chut, il n’aime pas trop en parler. Alors venez, car à Penthes, que de découvertes en perspective !

Voir nos ouvrages : La Révolution française pour les Nuls (Paris First – 2009) ; Vaudois et Confédérés au service de France 1789-1798 (Cabédita 1998) – Les Vaudois de Napoléon, des Pyramides à Waterloo 1798-1815 (Cabédita 2003) – La Confédération suisse à l’heure napoléonienne (Genève, Slatkine 2003).

L’auteur de cet article tient pour Suisse Magazine depuis l’été 2005 l’inépuisable chronique intitulée « Ces Suisses qui ont créé la France » (une soixantaine à ce jour) où vous retrouverez la plupart des personnages présentés ici. Voir le site du journal : www.suissemagazine.com

Cathédrale d’Evrypar Mario Botta

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ÉDITEURFondation pour l’Histoire des Suisses dans le MondeChâteau de Penthes18, ch. de l’ImpératriceCH-1292 Pregny-Chambésyt +(0)22 734 90 21www.penthes.ch

RÉDACTIONAnselm ZurfluhCamille Verdier

ONT COLLABORÉ À CE NUMÉROSusann Bosshard-KälinDaniel BernardLaurence DeonnaRhoona DucreyChristian W. FlischLuc FranzoniVéréne NicollierAndrea Taylor-BrochetAlain-Jacques TornareBénédict de TscharnerAnselm Zurfluh

PHOTOSCollection J. B. Mulders – couverture, p. 1Daniel Bernard – p. 2©Marcus Höhn – p. 6©Fondation Baur, Musée des arts d’Extrême-Orient, photo Marian Gérard – p. 10©Fondation Baur, Musée des arts d’Extrême-Orient, photo Hughes Dubois – pp. 11, 12©Alexandra Fatio – pp. 14, 15Pictet Perspectives – p. 16Victorinox – pp. 1, 17, 18, 19Camille Verdier – pp. 21, 23Luc Franzoni – p. 26Clara d’Atena Pizzolato – pp. 1, 36, 37Dominique Quennoz – p. 38Yvan Gonzalez – p. 39Emmanuelle Zurfluh – pp. 42, 43, 44, 46Kimberly Galvez-Locher – pp. 40, 41, 42The Augusta Chronicle – p. 49Musée des Suisses dans le Monde – pp. 54, 55

National Portrait Gallery, Londres – p. 56David Owsley Museum of Art – p. 57www.europe1.fr, photo Maxppp – p. 60Mario Botta, photo Poudou99 – p. 62

CONCEPTION ET RÉALISATIONYvan Gonzalez

CORRECTIONSBéatrice ObergfellPeter Gaechter

PUBLICITÉRégie Kal

IMPRESSIONPCL Presses Centrales SA, Renens

TIRAGE3500 exemplaires

LA LETTRE DE PENTHESLE MAGAZINE DU DOMAINE DE PENTHESNUMÉRO 27 – PRINTEMPS 2016

HUNTSMAN

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