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Sur la Brèche Sur la Brèche Revue des Instituts Départementaux de l'Ecole Moderne pédagogie Freinet de la Somme et de l'Oise UNIVERSITE RENE DESCARTES PARIS V MAITRISE DES SCIENCES DE L ’EDUCATION M. Lelièvre ( Histoire) DE LA LEÇON DE CHOSES À LA MAIN À LA PATE L’ENSEIGNEMENT DES SCIENCES À L'ÉCOLE de la RÉPUBLIQUE (1887-2001) Claude Annie TERNAT La Pommerie 2107 rue de la Source 45160 OLIVET Merci à Elisabeth PLE Pierre GUERIN Marcel PAULIN Guy BARON Pour leur aide précieuse. N° CTPP en cours Dir de publication : O. Francomme, 10 Le Plouy Louvet 60110 Herchies Site : http://idem6080.lautre.net N N   O   87 - 88 87 - 88 Mars – avril 2005 1 1 ÈRE ÈRE  P  P ARTIE ARTIE

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Sur la BrècheSur la BrècheR evue  des   In s t i t u t s  Dépa r temen taux  de   l 'E co l e   Mode rne  pédagog ie   Fre ine t  de   l a  Somme  e t  de   l 'O i se

UNIVERSITE RENE DESCARTESPARIS V MAITRISE DES SCIENCES DE L’EDUCATIONM. Lelièvre ( Histoire)

DE LA LEÇON DE CHOSESÀ

LA MAIN À LA PATEL’ENSEIGNEMENT DES SCIENCES 

À L'ÉCOLE de la RÉPUBLIQUE(1887­2001)

Claude Annie TERNAT

La Pommerie2107 rue de la Source45160 OLIVET

Merci à

Elisabeth PLE

Pierre GUERIN

Marcel PAULIN

Guy BARON

Pour leur aide précieuse.

N° CTPP en coursDir de publication :O. Francomme, 10 Le Plouy Louvet60110 Herchies

Site : http://idem6080.lautre.net

NN  OO  87 ­ 8887 ­ 88Mars – avril 2005

11ÈREÈRE P PARTIEARTIE

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IDEM 60 ­ 80 Introduction

Dans sa conférence de presse présentant le plan de rénovation des sciences, en juin 2000, le nouveau ministre de l’Education Nationale J. Lang, n’hésitait pas à citer deux références :

 « Dans les souvenirs heureux de l’école, on trouve souvent la leçon de choses. L’opération ‘La main à la pâte’, cette heureuse   initiative   de   G.   CHARPAK  et   de   l’Académie   des   sciences,   relayée   par   l’Institut   National   de   la   Recherche pédagogique, constitue un effort très prometteur de la modernisation de la leçon de choses. » 

Ces références posent question : la leçon de choses d’une part, qui semble devenir mythique  et la référence à une méthode qui serait importée d’Amérique grâce sur l’initiative d’un savant français, à savoir ‘ La main à la pâte’  et qui moderniserait cette très ancienne leçon de choses, d’autre part. N’y aurait­il rien d’autre entre ces deux références dans l’histoire de l’enseignement des sciences ? Ces références mêmes sont à interroger. 

Nous essaierons de remonter aux origines de l’enseignement des sciences dans l’école républicaine : la leçon de choses. De quoi s’agit­il exactement ? Quelle est son origine ? A quoi se réfère­t­elle en   matière de conception des sciences,  de conception des apprentissages ? Quels sont alors les enjeux ? Nous essaierons de saisir   les différentes interprétations de la leçon de choses par les enseignants, son évolution et son abandon tardif bien au­delà des années 70.

L’autre référence de J. Lang est ‘La main à  la pâte’. Quelle est son origine ? Y a­t­il des liens avec la  leçon de choses ? Avec la culture pédagogique française ? Avec d’autres propositions novatrices ?

Il semble bien qu’il y ait eu une crise de l’enseignement des sciences depuis les années 90. George Charpak, prix Nobel de physique, est allé voir ce qui se faisait outre­Atlantique, en matière d’éducation scientifique auprès des jeunes élèves. Il en est revenu enthousiaste, jugeant qu’il était temps d’imiter les Américains dans leur expérience « Hands on » et d’introduire en France, un programme du même type intitulé « La main à la pâte ». Titre évocateur, qui montre bien l’aspect essentiel de cette démarche : l’implication directe des enfants dans les expériences scientifiques.

N’existait­t­il  donc  rien en France depuis  la   leçon de choses,  en  termes pédagogiques,  pour qu’il  nous  faille importer des démarches américaines ? Rien qui ne se fasse avec  la participation,  l’implication des enfants dans  la construction d’un savoir scientifique ? A­t­on oublié la recherche dans l’enseignement des sciences, dans les années 70 et l’avènement d’une profonde réflexion dans la didactique des sciences ? 

Il semble bien qu’il y ait eu d’autres modèles français de l’enseignement des sciences, une autre démarche, dans les années 70 et 80, pratiquée de façon minoritaire mais extrêmement féconde et qui semble aujourd’hui avoir été effacée des références de l’école.

Nous explorerons ici un modèle pédagogique, issu de plusieurs courants de recherche. L’un élaboré il y a plus de 70 ans par un pédagogue novateur, Célestin Freinet, (1896­1966), fondateur de l’ICEM et créateur d’une coopérative pédagogique,   la   CEL.   Ces   héritiers,   dans   les   années   70   produisirent   des   documents   scientifiques   tout   à   fait remarquables à   l’intention des enfants  et des maîtres :   les  BT  sciences  (Bibliothèque de Travail).  Ce courant,   fut largement rénové et enrichi par la recherche en didactique impulsée par l’INRP, d’une part et par le jeu de rencontres et d’échanges autour de militants proches du mouvement Freinet, d’autre part.

  A l’occasion de nos recherches, nous avons découvert un certain nombre de documents pédagogiques issus de ces différents courants. Parmi eux, certains ont été élaborés, dans l’Aube, il y a une vingtaine d’années, notamment par Pierre Guérin, ancien compagnon de Freinet, et par Marcel Paulin, professeur d’Ecole Normale, lié à un groupe de recherche INRP. Ils se sont trouvés à la croisée des chemins, entraînant avec eux un groupe d’enseignants dans un travail considérable dans le domaine de la recherche pédagogique en sciences.

 Il est passionnant de se rendre compte de l’importance et de la qualité de ce travail, de chercher à comprendre comment ces personnalités ont pu jouer un rôle central de relais et de liens entre des instances et des mouvements totalement   différents   (l’Ecole   Moderne,   l’INRP,   l’Ecole   Normale,   les   groupes   départementaux   de   rénovation pédagogique, …), avec un rayonnement certain sur toute la France…. Et de se demander si cette culture pédagogique n’a pas été le terreau nécessaire et indispensable pour la réussite de la mise en place de ‘La main à la pâte’.

Est­il possible qu’aujourd’hui il n’en reste rien, en termes de culture pédagogique ? Aux enseignants héritiers directs ou indirects de Célestin Freinet, aux chercheurs de l’INRP, dont l’initiateur avait été Victor Host, les propos très médiatisés de G. Charpak ont pu semblés injustes en même temps qu’ils renvoyaient à l’oubli un travail considérable concernant l’enseignement des sciences en France.

Le Plan de Rénovation des Sciences et de la Technologie à l’Ecole (le PRESTE) qui arrive en juin 2000 et les nouveaux programmes de mars 2002 se réfèrent largement à la démarche de ‘La main à la pâte’, avec des finalités plus ambitieuses encore.   

La France aurait­elle importé un nouveau modèle ou bien un jeu de filiations plus subtil sous­jacent aurait­il fonctionné ? Quelles sont les continuités ou les ruptures qui existent dans l’enseignement des sciences à l’école primaire en France depuis la leçon de choses ? Quels sont aujourd’hui, les nouveaux enjeux ? 

Nous explorerons dans un premier temps les deux références citées par Jack Lang : La leçon de choses et La main à la pâte. 

Nous chercherons ensuite, les filiations qui nous amènent à l’enseignement des sciences aujourd’hui en mettant 

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IDEM 60 ­ 80en parallèle  deux modèles  pédagogiques :   « Hands on »  l’américain,  devenu  « La Main à   la  pâte »  et   l’héritage du tâtonnement expérimental de Célestin Freinet, enrichi par la recherche didactique des années 70.

Présentation des sources utilisées• Les instructions officielles : 1887, 1923; 1938; 1945, 1969, 1989, 1995, 1996, 2000, 2002, les BO concernant la 

consultation sur les documents d’application des programmes de 1995, le rapport de l’IGN sur la Main à la pâte de 1999, la conférence de presse de J. Lang du 20 juin 2000, le BO du 15 juin 2000 présentant le PRESTE.

• Les manuels de sciences que j’ai étudiés proviennent du musée de l’éducation de Troyes (Aube). Outre le matériel pédagogique important (mobilier, cartes murales, collections venant de musées scolaires, …), les livres sont très nombreux. Je n’ai pu étudier  tous  les manuels de sciences, dans le cadre de cette étude. J’ai donc opéré  une sélection  parmi   les  manuels   concernant   l’enseignement  des   sciences   jusqu’aux années  70,  pour   les  mettre  en parallèle avec les textes officiels. Je me suis également appuyée sur le livre de pédagogie de G. Compayré pour étudier l’origine de la leçon de choses et ses différentes interprétations. Notre étude n’est donc pas exhaustive et de ce fait, les analyses peuvent n’être que partielles.

• Les documents pour les élèves (BT sciences)  m’ont été fournis par  Pierre Guérin, ainsi qu’un grand nombre d’explications sur le fonctionnement des groupes BT, sur la conception, l’élaboration des BT.

• Les documents pour les maîtres (collection Tavernier) trouvés pour certains au musée de l’éducation, d’autres chez Marcel Paulin, nous ont permis de comparer les thèmes étudiés, les démarches et le nom des gens impliqués dans la rédaction. Il y aurait là une piste à explorer que je n’ai pas eu le temps de creuser : il faudrait rencontrer et interroger Raymond Tavernier, qui lui aussi s’est trouvé à la croisée des chemins. Il enseignait à l’école normale d’Orléans, ville qui fut donc un autre pôle de rayonnement de la rénovation pédagogique en sciences.

• Les   documents   de   la   recherche   (INRP)  m’ont   été   fournis   par  Marcel   Paulin,   ainsi   que   de   nombreux renseignements concernant le travail des groupes INRP sciences et les échanges avec le groupe BT sciences.

• Le site Internet de « La main à la pâte »

• Les témoignages d’acteurs de différents mouvements de rénovation pédagogique en sciences notamment Pierre Guérin  (instituteur à la retraite, ancien compagnon de Freinet, responsable des  BT son puis des  BT sciences à la CEL), Marcel Paulin (ancien professeur agrégé de physique à l’école normale de Troyes), Elisabeth Plé  (actuelle professeur agrégé de physique à l’IUFM de Troyes, …) Qu’ils soient vivement remerciés, leur aide, leur témoignage m’ont été essentiels.

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IDEM 60 ­ 8011 LLAA LEÇONLEÇON DEDE CHOSESCHOSES

De quoi parle­t­on lorsque l’on cite la leçon de choses ? A quoi au juste se réfère Jack Lang lorsqu’il dit qu’elle fait partie des « souvenirs heureux de l’école primaire ». Pour ma part, j’ai le souvenir rébarbatif, de leçons faites à partir d’un livre d’images vieillot, peu attractif, avec des résumés à apprendre par cœur dont le sens et l’intérêt m’apparaissaient bien minces. Mais s’agissait­il des mêmes leçons ? 

Aux origines de la leçon de chosesAux origines de la leçon de choses

Il nous semble intéressant d’aller explorer ce qu’il y a derrière cette leçon de choses qui semble aujourd’hui prendre des allures quelque peu mythiques.

Les origines

Le terme « leçon de choses » apparaît en France dès 1867. Il est introduit par Marie Pape Carpantier longtemps directrice du cours normal pour les salles d’asile (anciennes écoles maternelles). Il s’agissait pour elle d’une méthode d’enseignement en général non liée à une discipline en particulier : « La leçon de choses enseigne par les réalités mêmes,  et de chaque réalité elle fait sortir une connaissance utile et un bon sentiment. »1

Une méthode pour laquelle elle ne cache pas son enthousiasme :  « Mais qui fait donc la valeur des leçons de choses ? A quoi tient qu’elles sont si réputées, si hautement recommandées, et qu’elles sont en effet, si profitables ? » … « Ah ! cela tient à une grande loi terriblement méconnue, qui ne veut pas qu’il y ait de patient en éducation ; qui veut que l’élève y soit un agent actif, aussi actif que le maître » et  « qu’il soit son collaborateur intelligent dans les leçons qu’il en reçoit … »2

Il fallait pour elle, que l’observation des choses passe par une perception détaillée de la qualité des choses. Pour cela, la leçon, minutieusement préparée devait suivre un ordre invariable, dérivé, d’après elle de « la marche naturelle  que l’esprit suit dans ses perceptions », à savoir : attirer l’attention de l’enfant sur la couleur,  la forme, l’usage et la matière ou les éléments constitutifs de l’objet étudié.

Il s’agit donc au départ essentiellement  d’une méthode  promue par les défenseurs de pédagogie nouvelle, qui mettent en avant une conception des apprentissages qui passent par les sens, très adaptée aux jeunes enfants. Dans l’esprit de M. Pape­Carpantier, cette méthode ne saurait se limiter aux sciences : « Il faut d’abord vous rappeler que la  leçon de choses n’est point une branche spéciale d’enseignement, mais une forme qui s’adapte à tous les sujets … »3

Dans son Cours de pédagogie théorique et pratique,  G. Compayré, affirme que cette méthode nous vient d’Amérique (décidément !) : « Pratiquée en Amérique, sous le nom de leçon sur les objets  (objects   lesson),   la   leçon   de   choses   est   l’application   du   principe   que   Rousseau   et   Pestalozzi   ont popularisé, à savoir : qu’il faut placer dans l’enseignement, les choses avant les mots, que les sens et  particulièrement la vue, sont les facultés qui se développent les premières, et que c’est à elles qu’il faut  s’adresser. »4 

Arrivée des sciences dans l’école républicaine

La  leçon  de   choses  va  passer  des   salles  d’asile  où   elle  est   considérée  comme une  méthode  d’enseignement générale,  à   l’enseignement  primaire  où  elle  va  prendre   le  nouveau statut  de  discipline scientifique.  C’est  que   les sciences prennent une toute nouvelle place dans l’école républicaine.

Dès1882, dans les grandes lois scolaires de J. Ferry, les sciences ne sont plus facultatives et « les éléments de sciences naturelles, physiques et mathématiques »5  figurent parmi les contenus d’enseignement obligatoires et sont même associées aux mathématiques. Et ceci dès le cours élémentaire. Cette association n’est pas anodine ; elle semble mettre en place un nouveau modèle d’enseignement pour les enfants de l’école du peuple, un enseignement des sciences dépendant des mathématiques comme dans le modèle savant. 

La leçon de chosesLa leçon de choses : les ambiguïtés : les ambiguïtés

La leçon de choses sera donc en amont des leçons de sciences du cours moyen et du cours supérieur. Elle doit y amener, elle doit être un pallier intermédiaire. Elle concernera d’abord le cours élémentaire.

Si les programmes annexés à l’arrêté du 28 juillet 1882 ne citent pas ‘la leçon de choses’, ils y font implicitement 

1 M. PAPE­CARPANTIER, Conférences faites à la Sorbonne, en 1867 (cité par G. Compayré)2 Ibidem3 Ibidem4  G. COMPAYRE,  Cours de pédagogie  théorique et  pratique,  Librairie classique Paul Delaplane,  Paris,  1899, (Musée aubois de l’Education, n° d’inventaire 4650)5 article 1er de la loi du 28 mars 1882

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IDEM 60 ­ 80allusion quant   à   la   méthode   à   utiliser   pour   enseigner   notamment   le   ‘commencement’   des   sciences:  «   En   tout  enseignement le maître pour commencer, fait voir et toucher les choses, met les enfants en présence de réalités concrètes… »,  « L’enseignement primaire est essentiellement intuitif, c’est à dire qu’il compte avant tout sur le bon sens naturel, sur la force  de l’évidence, sur cette puissance innée qu’a l’esprit humain de saisir du premier regard et sans démonstration, non pas  toutes les vérités, mais les vérités les plus simples et les plus fondamentales. »

C’est en 1887 que  la  leçon de choses  apparaît  dans  les  instructions officielles en étant clairement reliée aux sciences. Dans les programmes du cours élémentaire, « les éléments usuels des sciences physiques et naturelles » prennent le titre de ‘leçons de choses’. Puis les instructions officielles de 1923 étendront cette appellation aux leçons de sciences du cours moyen.

Mais qu’est­ce que la leçon de choses ? S’agit­il d’une méthode générale ? S’agit­il de discipline scientifique ?

Tentative de définition

Au musée de l’éducation de l’Aube, nous avons trouvé un ouvrage particulièrement intéressant, celui de Gabriel Compayré, (ancien élève de l’école normale supérieure, agrégé de philosophie, et recteur de l’Académie de l’université de   Lyon) :  Cours   de   pédagogie   théorique   et     pratique6,   s’adressant   aux   écoles   normales   et   dont   nous   avons particulièrement étudié le chapitre III, consacré aux leçons de choses. (En 1899, c’est déjà la quinzième édition.)

G. Compayré en cherchant une définition de la leçon de chose qui vaille pour l’école primaire propose plusieurs citations :• Celle de  M.H. Spencer :  « L’objet déclaré des  leçons de choses c’est  de donner à   l’enfant  l’habitude d’observer à  

fond. »• Celle  de  Narcisse Platrier :  « La   leçon de choses  est  une  méthode d’enseignement,  une  des  applications  de   la  

méthode intuitive »7

• Celle de Wickersham : « Les leçons de choses peuvent être définies comme étant des leçons destinées à  enseigner les débuts des connaissances par l’usage même des objets. »

• Celle de M. Bain, pédagogue anglais : « Les leçons de choses doivent s’étendre à tout ce qui sert à la vie et à tous les  phénomènes de la nature. […] Elles passent ensuite à des objets que les élèves ne peuvent apprendre à connaître que par  des descriptions ou des figures, et finissent par l’étude des actions les plus cachées des forces naturelles. »8

G. Compayré présente sa propre position : « l’introduction des leçons de choses dans le cadre des études scolaires  est le résultat de cette tendance moderne qui pousse les pédagogues à développer de plus en plus le caractère éducatif de l’enseignement. » Il ajoute : « La leçon de choses vaut moins par les connaissances qu’elle communique que par la manière dont elle les communique… »9

D’emblée, il y a divergence entre ceux qui pensent qu’il s’agit d’une méthode générale d’enseignement, ceux qui pensent qu’il s’agit d’acquérir des connaissances sur les phénomènes de la nature y compris les actions les plus cachées des  forces naturelles (c’est à dire des connaissances scientifiques), ceux qui pensent enfin que c’est l’aspect éducatif qui est important (à savoir c’est le moyen d’enseigner, par ce biais autre chose que ce qui est apparent). 

Il semblerait que la leçon de choses se veuille être tout à la fois.

Entre méthode active et démarche scientifique

La leçon de choses  se veut donc à la fois relever d’une méthode pédagogique particulière, fondée sur l’activité sensorielle des élèves à partir de  ‘choses’  réelles, concrètes, proches d’eux, amenant à des connaissances pratiques et d’une démarche proche de la conception de la science de l’époque qui permette, par la suite, d’accéder à une véritable culture scientifique.

Cette leçon de choses nous vient, nous l’avons vu, des anglo­saxons plus empiristes et utilitaristes que les Français mais   aussi   des   Allemands.   Elle   a   à   voir   avec   une   certaine   conception   de   la   science   (fortement   imprégnée   de positivisme).   Une   science   dont   la   démarche   est   dite  intuitive  mais   qui   est   en   fait   une   démarche   inductive.   De l’observation on tire des faits que l’on généralise selon un procédé rigoureux d’exposition. Une science conçue comme apportant une réponse à tout, et dont l’enseignement aura pour but de présentées des vérités avérées.

[C’est déjà là peut­être que se situe une rigidité qui va se trouver en contradiction avec une méthode active qui privilégierait le questionnement et l’initiative des élèves.]

Certains scientifiques républicains comme Paul Bert, se sont fait les défenseurs d’une méthode d’enseignement qui soit proche de la démarche scientifique de l’époque et se sont engagés dans cette réforme de l’enseignement des 

6  G. COMPAYRE,  Cours de pratique pédagogie théorique et pratique, Librairie classique Paul Delaplane, Paris, 1899, p.294 (Musée aubois de l’Education, n° d’inventaire 4650)7 N. PLATRIER, Article Leçons de choses in le Dictionnaire de la pédagogie, de F. BUISSON, cité par G. Compayré8 BAIN, Sciences de l’éducation, p184, cité par G. COMPAYRE, p. 2959  G. COMPAYRE,  Cours de pratique pédagogie théorique et pratique, Librairie classique Paul Delaplane, Paris, 1899, p.294 (Musée aubois de l’Education, n° d’inventaire 4650)

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IDEM 60 ­ 80sciences à l’école primaire. Etait­ce possible ?

Comme le dit Jean Hébrard, pour les législateurs « apprendre par les choses c’est apprendre à lire dans le monde visible qui nous entoure l’évidence des relations qui lient entre eux les objets et les phénomènes. C’est possible dès l’école  primaire, si l’on enseigne à l’enfant qu’il peut se servir de ses sens pour appréhender avec ordre et rigueur les qualités des  objets qui sont autour de lui. »10

La méthode préconise donc essentiellement l’observation en s’appuyant sur la perception des sens et surtout en faisant  rentrer   les choses à   l’école,  que  les  élèves puissent  observer,   toucher,  comparer,  … se  laisser  pénétrer  par l’évidence née de cette observation car ce sont « les choses qui font la leçon » et non les mots (une distance est prise avec un enseignement qui serait trop abstrait).

Il est ensuite fait appel à  l’intuition des élèves. C’est à dire qu’il s’agit d’utiliser un enseignement  ‘actif’, sous forme ‘d’entretien collectif et familier’.

Entre deux modèles opposés : les connaissances usuelles et la formation scientifique

La conception pédagogique de la leçon de choses n’est pas si simple à cerner. Pour P. Kahn, elle est écartelée entre deux modèles opposés : « le modèle des ‘connaissances usuelles’ issu de la tradition d’un enseignement primaire en vue des  usages de la vie et le modèle ‘épistémologique’ d’une première formation à la culture ‘positive’ propre à la science»11. 

Pour lui, ces deux modèles tirent  ‘la leçon de choses’ dans deux axes inverses. Le premier axe la tire vers  une culture du concret (en direction d’enfants promis, pour la majorité, à la vie active dès 13 ans) tandis que le deuxième prétend faire de la leçon de choses un préambule à la démarche scientifique elle­même.

Les ambiguïtés permettent de nombreuses interprétations.

Interprétations autour de la leçon de chosesInterprétations autour de la leçon de choses

Les instructions officielles et la volonté du législateur sont une chose ; l’application de la loi en est une autre. Comment est interprétée, pratiquée la leçon de choses ?

Dès l’introduction de la leçon de choses à l’école primaire, les ambiguïtés ne manquent pas. A tel point que G. Compayré se sent obligé de dissiper les malentendus autour de ce terme : « Comme toutes les nouveautés, la leçon de  choses est devenue un grand mot vague, que chacun a interprété à sa manière. »12 

Méthode générale ou discipline scientifique

Ces leçons de choses sont tellement à la mode que parfois on ne sait plus dans quels champs disciplinaires elles s’exercent.  G. Compayré  s’en offusque: « Outre qu’on les a célébrées avec un enthousiasme excessif, on les a appliquées  indistinctement à toutes les parties de l’enseignement. Il y a eu des leçons de choses en morale, en Histoire ; on a confondu les leçons de choses avec les expériences et les démonstrations de la science. »13Pour lui les leçons de choses ne sont donc pas la science.

Les leçons de choses doivent se limiter à certains domaines et il est d’accord avec M. Bain lorsqu’il dit que : « La leçon de choses ouvre aux élèves trois vastes domaines, l’histoire naturelle, les sciences physiques et les arts utiles ou tout ce  qui sert aux besoins journaliers de la vie ordinaire. »

Par contre, il estime que M. Bain va trop loin lorsqu’il dit que les leçons de choses « passent ensuite à des objets  que les élèves ne peuvent apprendre à connaître que par des descriptions ou des figures, et finissent par des actions les plus  cachées des forces naturelles. »14Cette définition est pour lui trop large, « puisqu’elle tend à embrasser les parties les plus  hautes des sciences physiques. »

Voici donc un deuxième sujet de désaccord : doit­on ou non s’approcher d’un enseignement scientifique ?

« Nous persistons à croire que la leçon de choses doit être seulement un instrument de début. » Pour G. Compayré la leçon   de   choses   n’est   donc   point   un   enseignement   scientifique,   elle  « doit   être   maintenue   dans   le   domaine   des connaissances où il s’agit réellement de choses qu’on puisse montrer… » et elle « ne peut être qu’une initiation élémentaire aux connaissances de cette espèce ». 

Sur ce point, il s’éloigne de la position de Paul Bert et met l’accent sur la méthode. 

10  J.   HEBRARD,   Histoire   de   l’enseignement   scientifique   (XIXème   siècle),   INRP,   1998, http://www.inrp.fr/lamap/main/historique/peuple.htm 11 P. KAHN, La leçon de choses : Pour une archéologie des savoirs scolaires. Penser l’éducation, n°8, décembre 200012  G. COMPAYRE,  Cours  de pédagogie   théorique et  pratique,  Librairie classique Paul  Delaplane,  Paris,  1899, p.294 (Musée aubois de l’Education, n° d’inventaire 4650)13  Ibidem, p29614 M. Bain, cité par G. COMPAYRE, ibidem. P. 295

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IDEM 60 ­ 80Une méthode mais laquelle ?

Pour G. Compayré, « Le maître est moins un professeur qui expose qu’un excitateur de l’intelligence. » et la leçon de choses « est une méthode vivante d’enseignement, où le maître fait preuve de sagacité, d’invention, où il dispose, avec liberté toujours, avec originalité s’il le peut, les connaissances familières qu’il veut communiquer à ses élèves… »15 Mais qu’est­ce à dire ?   Qu’est­ce   que   la   sagacité ?   Qu’est­ce   que   la   liberté ?   Qu’est­ce   que   l’originalité   …   en   termes   de méthode pédagogique?

Un problème existe  au  niveau  de   la  définition  des  méthodes  actives.  G.  Compayré  dit   que   la   leçon  de choses « doit  être  une   conversation  perpétuelle. »16  Il   s’agit   d’une  méthode  «   où  à   l’exposition,   il  [le  maître]  mêle  l’interrogation, où  il   fait  appel sans cesse et  en s’inspirant des circonstances,  des réponses déjà   faites,  à   l’initiative de  l’enfant. »17 Le maître donc expose et interroge, mais fait aussi appel à l’initiative de l’enfant, mais laquelle ? 

Mais M.H. Spencer, cité par G. Compayré, prétend que c’est surtout l’enfant qui doit parler « D’après lui, il faut  seulement provoquer l’enfant à  les   découvrir  (les faits)  par son observation personnelle. Dans la leçon de choses, c’est  l’enfant surtout qui doit parler. »18

Le pédagogue américain  Johonnot  dit que les  leçons de choses  ne doivent jamais être tirées d’un livre et que « L’instruction nouvelle fait appel à  l’expérience, et provoque une activité intense des facultés d’observation. Elle nourrit  l’esprit de connaissance réelle et l’arrache à l’état d’inattention et de passivité qui était le résultat de l’ancienne routine. »19 

Mais qui est actif ? Qui fait les expériences ?

Augustin Boutan, dans l’article Expérience du Dictionnaire de pédagogie de Ferdinand Buisson, n’envisageait pas que les élèves de l’école primaire puissent faire des expériences en classe. Etre actif se limiterait donc à l’observation et au questionnement.

Les différentes formes de la leçon de choses

G. Compayré  reconnaît « qu’il y a différentes manières d’appliquer ce procédé pédagogique » et il cite encore une fois M. Bain qui distingue trois formes de la leçon de choses :• 1° « La leçon de choses peut consister à mettre un objet concret sous les yeux de l’élève à titre d’exemple pour lui 

faire saisir une idée abstraite : par exemple on lui présente quatre pommes, quatre noix, pour éveiller en lui la notion du nombre  quatre.

• 2° La leçon de choses peut consister à mettre en jeu les cinq sens, à faire voir, toucher, observer, les qualités de certains objets : sous cette forme la leçon de choses n’est que l’éducation des sens.

• 3°  La   leçon de choses  peut  être  employée  pour  augmenter   le  nombre  de conceptions,  pour   faire  acquérir   la connaissance d’objets, de faits, de réalités formées soit par la nature soit par l’industrie, […] la leçon de choses cultive la faculté de conception et d’imagination. »20

Entre ces trois formes de ‘leçon de choses’, il y a bien des écarts, bien des interprétations possibles, même si la troisième forme semble être la forme souhaitable à utiliser pour enseigner les sciences. 

Très vite G. Compayré fait état de ce qu’il appelle des dérives.

Les dérives

Ces difficultés à donner une définition de la méthode à utiliser pour la leçon de choses, au milieu d’interprétations diverses, semblent mettre en évidence, qu’il existe, sur le terrain, des pratiques différentes de la leçon de choses.

Et  G. Compayré  fait  état  des agacements des pédagogues:  «M.H. Spencer se plaint  avec raison que dans les  manuels de leçons de choses, on indique longuement une liste de faits que l’on  dira  à  l’enfant. »21  On rejoint donc les habitudes d’exposition de la pédagogie ancienne.  «  L’esprit formaliste et scolastique  reprend toujours ses droits, et les  leçons de choses sont devenues bien vite une nouvelle mécanique scolaire. »22

 Et de citer en exemple une interprétation rapportée par Mademoiselle Chalumet : « En assistant avec assiduité,  pendant un certain temps, aux leçons de ce professeur, nous nous assurâmes, en effet, que pour lui l’enseignement des leçons  de choses consistait à verser à flots des explications verbeuses. »23 sur les élèves.

  Johonnot, déjà cité, s’indigne de certains comportements :  « …il s’est trouvé des maîtres assez profondément  

15  G. COMPAYRE, op. cité16  G. COMPAYRE.,op. cité, p. 29917 G. COMPAYRE,op. cité18 G. COMPAYRE, op. cité, p 30019 JOHONNOT, Principles and Practice of teaching, cité par G. COMPAYRE, p.29720 M. BAIN, cité par G. COMPAYRE, p.29821 G. COMPAYRE,op. cité, p.29922 cité par G. COMPAYRE, op. cité, p. 294

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IDEM 60 ­ 80stupides pour obliger leurs élèves à apprendre par cœur les modèles de leçons de choses donnés dans les manuels. »24 Dans certaines écoles on en est même venu « à dicter des leçons de choses ! »

Toutes ces interprétations viennent à mon sens, de la difficulté à rompre avec la culture pédagogique d’une époque qui oblige, si l’on veut vraiment employer une méthode active, à reconsidérer complètement les conceptions sur les apprentissages. C’est ce que n’hésiteront pas à faire les mouvements de pédagogie nouvelle.

A partir de nos sources, nous explorerons ce qu’il en est de ces ambiguïtés liées à la réforme de l’enseignement des sciences dans l’école primaire de la République naissante. Paul Bert en fut un des artisans, ministre de l’Instruction publique   en   1881,   il   est   aussi   un   scientifique   éminent   qui,   s’attelant   à   la   tâche,   écrivit   plusieurs   manuels d’enseignement. 

N’est­ce pas là qu’il faut aller décrypter la volonté, les intentions, les conceptions, les ambitions des législateurs ?

L’enseignement scientifique d’après Paul BertL’enseignement scientifique d’après Paul Bert

Il n’est pas si facile de se faire une idée précise de la pédagogie active préconisée, ni de la démarche scientifique servant de référence, sans y aller voir d’un peu plus près.

Nous   avons   choisi,   au   musée   de   l’Education   de   l’Aube   un   ouvrage   de  Paul   Bert :  La   deuxième   année  d’enseignement scientifique  (Zoologie et  botanique,  Physique,  Chimie,  Physiologie) à   l’intention du Cours Supérieur (c’est à dire des élèves de 11 à 13 ans), rédigé en 1881 mais réédité en 1902 pour la 44ème édition (c’est dire le succès de cet ouvrage !).

Les leçons présentées ici viennent donc après la ‘leçon de choses’ (qui au départ doit se faire sans manuel) et voici ce  que  dit   l’auteur  dans   le  premier   chapitre   sur   la  division  du  monde  animal :  « Nous  avons,   l’année  dernière   et  auparavant appris bien des choses sur l’histoire d’un grand nombre d’animaux, soit en faisant des leçons de choses, soit en lisant les livres de lecture, soit en regardant et en expliquant des images. » …

« Nous n’allons pas maintenant que vous voici grands, vous redire les mêmes choses pêle­mêle. Non ; nous allons au contraire y mettre de l’ordre, […] Il faut suivre ce que les naturalistes appellent une classification. »

La leçon de choses prépare donc à la vraie leçon de sciences. Mais quelle est­elle cette leçon de science destinée à l’école   du   peuple ?   En   entrant   dans   le   livre   cité,   nous   pensons   être   mieux   éclairés   sur   les   conceptions   liées   à l’enseignement scientifique à l’école primaire.

Les références à la science

Dans son avant­propos, Paul Bert cite Lakanal pour définir la conception de son livre en disant qu’il ne faut pas confondre les ‘élémentaires et les ‘abrégés’ : « Resserrer, contracter un long ouvrage, c’est l’abréger ; présenter les premiers germes   et   en  quelques   sortes   la  matinée  d’une   science,   c’est  l’élémenter ; »  Et   il   ajoute :   « J’ai   voulu   faire  un   livre  élémentaire et non un abrégé »

Ainsi,  nous voyons,  quelle  est,  pour  Paul Bert,   l’ambition d’un enseignement  des  sciences :   « Prendre  dans  chaque   science   les   faits   dominateurs,   fondamentaux,   les   exposer   avec   assez   de   détails   pour   qu’ils   apparaissent   bien  clairement à l’esprit de l’enfant et se fixent solidement dans sa mémoire, négliger les faits secondaires, …, telles sont les  règles que je me suis imposées »25

Dans  l’exemple cité  plus haut dans le premier chapitre de Zoologie sur  la division du monde animal,   il  est clairement fait  référence aux méthodes de  classification  des  naturalistes.   Il  s’agit  bien d’enseigner  l’essentiel  de la science savante selon ses méthodes, à l’ensemble des élèves de l’école du peuple et non de la science au rabais.

Retrouve­ton ici l’opposition entre le modèle des « connaissances   usuelles » issu de la tradition et le modèle « épistémologique » d’une première formation à la culture positive propre à la science, comme le prétend P. Kahn ?26 La présentation   de   l’ouvrage   de  Paul   Bert,   son   contenu,   apparaissent   très   encyclopédiques,   peu   tournés   vers   des connaissances pratiques. Cela a peut­être été ressenti comme une faiblesse, car la 43ème édition de l’ouvrage de Paul Bert a été augmentée d’un supplément comportant un chapitre sur :• a.  La science appliquée (p.325). Comme son nom l’indique il s’agit de mettre des principes étudiés en relation 

avec   des   applications   que   l’on   trouve   dans   la   vie   moderne,   par   exemple :  comment   rendre   l’eau   potable,   la  distillation,  la fabrication du gaz d’éclairage,  les  appareils  de chauffage,  la météorologie,   la machine à  vapeur,   la  lumière électrique, le télégraphe, la photographie, le phonographe …

• b. des conseils pratiques d’hygiène  (p. 347) qui portent sur l’alimentation,  les effets  de l’alcool,   le tabac,   le vêtement,…

24 JOHONNOT, op. cité25 P. BERT : La deuxième année d’enseignement scientifique, cours supérieur, rédigé en 1881 édité en 1902, 44ème édition, Paris Armand Colin (Musée aubois de l’Education, 3.5.05 BER)26 P. KAHN, La leçon de choses : Pour une archéologie des savoirs scolaires. Penser l’éducation, n°8, décembre 2000

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IDEM 60 ­ 80On trouve donc, ici une volonté de faire le lien entre les connaissances théoriques et leur application dans la vie 

pratique, d’expliquer le rôle des découvertes scientifiques dans le développement industriel notamment, de justifier des recommandations concernant l’hygiène et la santé. 

Connaissances usuelles et formation à l’esprit scientifique ne nous semblent pas ici correspondre à deux modèles opposés.   Il   s’agit   d’une   certaine   façon,   pour   le   nouvel   Etat   républicain   d’éduquer   les   classes   populaires,   par l’intermédiaire de l’école, à la modernité, à la santé … et à la morale. 

Le rôle des sciences pour l’Etat éducateur

Paul Bert met également l’accent sur le rôle des sciences dans l’enseignement : « Ce n’est pas par enthousiasme de  profession que  j’attribue aux sciences physiques et  naturelles  un rôle  absolument prépondérant  dans  l’enseignement et  surtout dans l’enseignement primaire. » 

Alors que, la grammaire, l’histoire sont des disciplines trop abstraites « Il en est tout autrement pour les sciences  naturelles qui exercent les sens, en donnant une habitude de voir juste et de tout voir […] et pour les sciences physiques, qui  en outre de l’observation appellent à leur aide l’expérimentation, et habituent ainsi à ne rien croire sans que la preuve suive  immédiatement l’affirmation. »27

Les sciences ont donc un rôle éducatif éminent : « L’idée de la toute puissance des lois naturelles […] ressort, sans  qu’il soit besoin de le dire, de l’étude des sciences naturelles et physiques, et s’empare de l’esprit. Plus de sorcellerie, plus de  superstitions niaises, et cela, sans la moindre polémique. 

Dans cette nouvelle place donnée aux sciences à l’école, il y a également l’idée que l’enseignement des sciences va être un moyen de lutter contre l’obscurantisme, les superstitions, les préjugés, le poids de l’Eglise sur les mentalités.

Mais d’un autre côté,  l’enseignement des sciences a une autre visée. Le modèle scientifique de référence est fortement influencé par le positivisme dont Jules Ferry était un adepte, comme l’ont montré L. Legrand28, P Kahn29 et C. Lelièvre30. Auguste Comte explique bien comment la philosophie positive va permettre « la connaissance précise des  règles générales convenables pour procéder sûrement à la recherche de la vérité. »31

 De l’observation de la nature se dégagent des lois, des lois immuables, des vérités premières qui ne sauraient être remises en cause. Il y a un ordre dans la nature comme il y a un ordre dans la société qui lui non plus ne saurait être contesté. C’est de cela qu’il faut s’imprégner. C’est une des évidences que nous enseignent ces ‘choses qui nous font la leçon’. Il s’agit par­là, d’assagir le peuple, pour l’éloigner de la tentation révolutionnaire.

Jules Ferry en bon positiviste a des visées éducatives très claires lorsqu’il donne aux sciences la place et  les méthodes indiquées dans les programmes de 1887. Il s’agit d’éduquer le peuple, par le biais des sciences pour l’amener à l’Etat positif et  en finir avec les soulèvements populaires.

D’où l’importance de la place accordée à l’enseignement des sciences dans l’école du peuple.

Des manuels pour chaque école

L’Etat aura donc besoin de mettre de gros moyens au service de cette ambition. Il n’existait pas de professeur de sciences dans les écoles normales et les maîtres étaient mal formés dans le domaine scientifique. 

Il faudra attendre le décret du 5 juin1880, pour que l’on recrute des professeurs de sciences, à la suite du rapport de l’inspecteur A. Boutan sur l’état de l’enseignement des sciences dans le primaire, demandé par Jules Ferry. Paul Bert sait donc en écrivant cet ouvrage, qu’il travaille pour des milliers d’écoles qui ne possèdent rien en ce qui concerne les sciences :  

« Je n’ai pas oublié que j’écrivais, non pour des établissements secondaires mais pour des écoles primaires, qui sont encore aujourd’hui dénuées d’instruments scientifiques et de collections d’histoire naturelle. »

On ne peut qu’être impressionné par l’immense tâche à laquelle s’est attelé Paul Bert. Comment mettre la science à la portée de tous les enfants sans la dévoyer ? Et l’on est pénétré de respect pour ce livre de 370 pages avec ses 550 gravures légendées, traitant de zoologie, de physique, de chimie, de physiologie et qui s’adresse aux élèves de 11 à 13 ans de toutes les écoles primaires de France.

« J’ai tâché de faire en sorte que mes leçons pussent être répétées dans le plus humble hameau. »32

Les méthodes actives, le matériel

Qu’en est­il des méthodes actives préconisées ? La leçon est conçue comme un ‘entretien collectif et familier’ dans une proximité avec les élèves, avec leur questionnement, leurs intérêts.

27 Ibidem28 L. LEGRAND, L’influence du positivisme dans l’œuvre scolaire de jules Ferry, Marcel Rivière, Paris , 196129 P. KAHN, De l’enseignement des sciences à l’école primaire. L’influence du positivisme. Hatier, 199930 C. LELIEVRE, Jules Ferry. La République éducatrice, Hachette, 199931 A. COMTE, Cours de philosophie politique, Classiques Hachette, 1943 p. 4432 Ibidem

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IDEM 60 ­ 80« Comme procédé de fonctionnement, j’ai choisi la forme directe : le maître parle, comme il le ferait dans sa 

classe, interrompu de temps en temps par quelques réflexions, parfois embarrassantes de ses meilleurs élèves.  La leçon court ainsi alerte et vivante. »

Mais cette leçon est écrite de bout en bout par Paul Bert ; comment peut­elle être transmise ? La transmission se fera par la lecture : « Ce livre est fait pour être lu et relu » 

Quelles conceptions sur les apprentissages transparaissent derrière cette indication méthodologique ? C’est en lisant et en écoutant que l’on apprend. D’où :  « La lecture à haute voix est le plus fécond des exercices scolaires ». Par la lecture à haute voix, l’élève acquiert « des mots qui ne font pas partie du vocabulaire usuel. » « Il apprend par imitation à  exprimer sa pensée »  et enfin, il assimile  « une foule de connaissances ». Le rôle du maître est de dégager  « la notion essentielle de la leçon, celle que l’enfant doit graver dans sa mémoire. » 

Mais,   en   physique   et   en   chimie,   il   doit   également   recourir   à   l’expérimentation.  « Il   est   indispensable   que l’instituteur exécute devant les enfants quelques expériences… » Que l’instituteur se rassure, ces expériences sont décrites dans le livre, et puis le matériel nécessaire à ces expériences est des plus simples : « Les instruments que j’emploie pour  les expériences existent dans les plus modestes ménages. »

  Pour l’histoire naturelle, il s’appuiera sur ce que les enfants auront trouvé dans leur environnement, comme minéraux, végétaux, animaux et qu’ils seront tout heureux d’apporter à l’école et qui constitueront le musée scolaire. Celui­ci doit être simple, il ne s’agit pas d’acquérir des collections chères que l’on n’ose toucher. « Il faut bien se mettre  dans la tête qu’un objet d’histoire naturelle destiné à  l’enseignement doit être  manié, et par suite forcément disloqué et  cassé. »33

La leçon de sciences par Paul Bert

Il faut pénétrer dans le livre pour bien en comprendre l’esprit. C’est l’étonnement qui saisit d’abord le lecteur­pédagogue (d’aujourd’hui) concernant notamment la démarche. Paul Bert a une manière à lui de présenter des faits complexes avec clarté et simplicité. Mais (sachant que ses leçons ne seront peut­être que lues), il leur donne une forme littéraire de ‘documentaire dialogué’ assez inattendue pour un lecteur d’aujourd’hui

La démarche

 La leçon est à la fois présentée de façon très structurée et en même temps dialoguée comme s’il s’agissait d’un roman qui raconterait le dialogue entre le maître et ses élèves ; comme si l’on était dans la classe. Les questions des enfants, les réponses du maître sont déjà tout écrites. En voici un extrait tiré du chapitre sur les vertébrés, chapitre 9 sur les animaux à sang chaud et à sang froid (Nous reproduisons exactement l’italique et le gras qui sont dans le texte soulignant ce qui est important,  ainsi que les numéros qui indiquent où se trouvent les réponses aux questions  posées en bas de page) :

« Pierre, quand vous mettez la main sur un chien ou sur un cheval, le sentez­vous chaud ou froid ? ­  Chaud, Monsieur. – Oui. Et quand vous saisissez un oiseau, une poule, par exemple, la sentez­vous chaude ou froide ? – Très  chaude, Monsieur. – Bon. Et si vous prenez un lézard dans la main ou un serpent ? – Oh ! Monsieur, un serpent, je n’oserais jamais ; il me mordrait, et on en meurt. – Je ne vous conseillerais pas en effet de toucher une vipère ; mais voici une jolie petite couleuvre à collier (fig. 18), gracieuse et inoffensive. Mettez bravement la main sur elle, il n’y a aucun risque. Que sentez­vous ? –1. Monsieur, elle est toute froide. ­ Bien et cette grenouille ? – froide aussi. Et mon poisson rouge que je tire du bocal ?­ Froid comme le serpent et la grenouille.

2. Voici donc une nouvelle et très grande différence entre les animaux. Il y a des animaux à sang chaud, ce sont les mammifères et les oiseaux. 3. Il y a des animaux à sang froid, ce sont les Reptiles et les amphibiens,… les Poissons et avec eux tous les animaux sans os et sans vertèbres,… les invertébrés comme on dit souvent. »34

En bas de chaque page, il y a des questions (ex : 1. Une couleuvre est­elle chaude ou froide ?) la réponse se trouve dans la phrase indiquée par le numéro 1..Il y a, à la fin de chaque chapitre un résumé à apprendre par les élèves et des  « sujets de rédaction d’un genre simple »  sont prévus pour chaque résumé (ex : Les quatre grandes divisions du règne animal).

Contradiction entre méthode active et conception des apprentissages

Comment Paul Bert envisage­t­il le déroulement de cette leçon ‘toute faite’ transposée dans une classe ? ✔ La leçon doit­elle être construite dans le même esprit  que le chapitre du livre ? Auquel cas le 

maître se procurera une couleuvre, une grenouille et un poisson rouge ; la leçon doit­elle couler alerte et vivante de la même façon que ce qui est écrit ? Mais alors les questions des enfants seront sans doute différentes et la leçon ne sera pas la même que celle qui est écrite.

✔ La leçon doit­elle être faite en lisant ou faisant lire la leçon (comme indiqué dans le préambule ) ? Un peu comme une lecture commentée,  en s’appuyant sur les gravures ou en interrompant la 

33 Ibidem34 Ibidem p. 14

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IDEM 60 ­ 80lecture pour présenter les vrais animaux ? Mais alors les enfants seront passifs.

Cette présentation de la leçon n’est pas claire et peut prêter à toutes sortes d’interprétations. Evidemment aucune de  ces  deux  démarches  ne   correspond  à   ce  que   l’on  appelle   aujourd’hui  des  méthodes  actives.  D’ailleurs  on  ne comprend pas bien en quoi ces démarches sont actives (bien que la première situation soit plus propice à rendre l’élève actif) puisque l’élève n’a ici aucune initiative.

Derrière   cette   confusion  nous  pensons  que  c’est   la   conception  des  apprentissages  qui  est  à   l’origine  de  ce tiraillement. Il me semble que la majorité des pédagogues de l’époque pensent :

✗ qu’il suffit de voir pour comprendre d’où la pédagogie du ‘faire voir’

✗ qu’il suffit d’écouter pour apprendre d’où la pédagogie de la lecture à haute voix, celle de la répétition, celle du ‘par cœur’

✗ qu’il suffit d’imiter pour accéder au raisonnement d’où la pédagogie de la démonstration du maître qui fait les expériences, qui énoncent les raisonnements et les vérités valides,

et que toute ces attitudes peuvent être comprises pour Paul Bert et la majorité des pédagogues de son époque, comme des attitudes où l’enfant est actif.

Il me semble que c’est là que se trouve la véritable contradiction des leçons de sciences et de la leçon de choses, et que c’est le problème majeur que les maîtres auront à résoudre. S’il faut écouter pour apprendre, il faut donc faire silence pour entendre le maître ou celui qui lit la leçon. Et cela ne va pas de pair avec des élèves qui questionnent spontanément, qui agissent, qui expérimentent, qui cherchent … surtout si la classe est nombreuse.

Mais ce livre représente en lui­même une synthèse déjà riche d’un grand nombre de données scientifiques (il est sans doute autant fait pour le maître que pour les élèves). Il a un grand succès (si l’on en croit le nombre de rééditions), il sert peut­être de savoir de référence et ce savoir devient disponible, par le biais de l’instituteur jusqu’au fin fond des campagnes.

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IDEM 60 ­ 8022 L’L’ÉVOLUTIONÉVOLUTION DEDE LEÇONSLEÇONS DEDE SCIENCESSCIENCES ETET DEDE LALA LEÇONLEÇON DEDE CHOSESCHOSES

Les leçons de sciences (cours moyen et supérieur) et  la leçon de choses (au cours élémentaire) doivent trouver leurs marques, entre les ambiguïtés du départ, les grandes ambitions des législateurs pour un enseignement scientifique qui  soit  actif  et   la  rigidité  d’une certaine culture pédagogique qui  a ses  conceptions sur  l’apprentissage.  Mais des ajustements se font.

Le manuel de Lalanne et Bidault 1895

Un autre livre de sciences, écrit 14 ans après celui de Paul Bert, nous a semblé intéressant : « Les sciences à l’école  primaire, avec leur application à l’hygiène et à l’Agriculture », Cours moyen et supérieur, seconde édition, de J.B. Lalanne etBidault35. 

La démarche scientifique est bien inductive : « Nous partons toujours du fait, de l’expérience, pour en déduire la loi  et ses conséquences.. »…Les auteurs s’appuient sur des expériences à montrer : « C’est encore pour ne point se payer de mots  que  les  auteurs  emploie   la  méthode expérimentale :   les  130 expériences  qu’on trouvera dans  l’ouvrage  sont   très  simples, faciles à monter, et tout à fait convaincantes ; elles ont été faites devant les enfants pendant plusieurs années. » C’est le maître qui réalise l’expérience et qui montre ce qu’il faut voir. Les expériences servent à convaincre, à prouver.

La méthode est présentée ainsi : «  Rappelons que la meilleure méthode est celle qui fait agir beaucoup d’élèves ; on pourra donc faire étudier ou lire les leçons, faire réciter les résumés ; mais ce qui sera mieux encore ce sera de s’attacher aux  devoirs, d’en faire rédiger beaucoup… » 

Comme pour Paul Bert, l’élève actif, c’est celui, qui lit, qui apprend par cœur, qui récite, qui fait des devoirs… Cet ouvrage se présente différemment de celui de Paul Bert surtout dans la forme (la forme manuel), même si le fond reste sensiblement le même. La nouveauté par rapport à l’ouvrage de Paul Bert  concerne la rédaction et l’ordre des leçons. Il commence par la Chimie et la Physique, pour la bonne raison qu’il est plus facile d’étudier les plantes à partir  du printemps et qu’il est important d’avoir acquis quelques notions de chimie pour pouvoir comprendre la digestion.

Il nous semble intéressant de donner la structure de chacune de ces leçons :­ 1. énonciation d’une vérité scientifique (ex : l’air est un mélange de plusieurs gaz : oxygène, azote, gaz 

carbonique, vapeur d’eau). 1. L’air contient de l’oxygène­ 2. expérience qui prouve cette vérité  (ex : on plonge une allumette incandescente dans un bocal, elle 

reste incandescente quelques instants avant qu’elle ne s’éteigne complètement, on la plonge dans un flacon rempli d’oxygène, elle se rallume. 

­ 3. On donne la signification de cette expérience : (ex : Par ces expériences on voit :que l’oxygène entretient la combustion très activementque l’air entretient la combustion mais à un degré moindre

­ deuxième énonciation : l’air contient environ1/5 d’oxygène­ expérience qui prouve ce fait : on met une bougie allumée dans un bocal retourné dans un plat rempli 

d’eau ; quand la bougie brûle l’eau monte dans le bocal, quand elle s’éteint, on constate que l’eau a monté dans 1/5 du volume du bocal.

­ Il y a 3 vérités scientifiques ainsi présentées, la dernière étant que l’air ayant servi à la respiration est vicié (preuve apportée par l’expérience montrant l’eau de chaux qui se trouble)

­ 4. Application dans la vie courante : ex : il faut aérer les habitations (essuyer mais non épousseter…, etc­ 5. Résumé : les vérités scientifiques sont résumées.­ 6. Questions du certificat d’étude  ( ex : Quels sont les gaz principaux qui composent l’air ? différence 

entre l’air et l’oxygène ? …)­ 7. Devoirs d’intelligence et de réflexion (ex : Pourquoi l’air d’une salle de classe se vicie­t­il plus vite que 

l’air d’un appartement ?…)­ 8. Problèmes (ce sont des problèmes de mathématiques utilisant les unités de mesure autour du thème de 

l’air)­ 9. Rédactions (ex : un grand vent vient d’abîmer les récoltes et les arbres de votre commune. Expliquer à votre  

jeune frère ce que c’est que le vent, l’air et l’atmosphère.)­ 10. Lecture  (ici un morceau choisi de  M. Proust, ayant pour titre  L’haleine de l’homme est mortelle pour  

l’homme et qui raconte un fait divers arrivé à bord d’un bateau à moteur, où des passagers sont morts parce qu’ils étaient enfermés trop nombreux dans une petite cabine non aérée.)

­ 11. Tableau d’hygiène avec deux colonnes : I Ce qu’il faut faire et II Ce qu’il ne faut pas faire (ex :sur l’air)

Remarques

1. Un effort certain a été fait dans cet ouvrage pour lier au mieux les faits scientifiques avec leur application ou leurs conséquences dans la vie courante, cela n’apparaît ni contradictoire, ni relever de modèles opposés. 

35 J.B. LALANNE et BIDAULT, « Les sciences à l’école primaire, avec leur applications à l’hygiène et à l’Agriculture », Cours moyen et supérieur,1895, Bibliothèque d’éducation, seconde édition

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IDEM 60 ­ 80On pourrait même dire que la Révolution industrielle découle des applications des découvertes scientifiques. Dans la deuxième édition, des ajouts ont été faits en invoquant «  l’état actuel de la science »

2. La démarche annoncée (  « nous partons toujours du fait, de l’expérience pour en déduire la loi »),  n’est pas celle qui est écrite dans le livre. On commence par édicter un fait scientifique, écrit en gras en tête de chapitre et en dessous on décrit une expérience qui prouve  ce fait. Une contradiction apparaît donc au niveau de la démarche scientifique ; elle se prétend inductive mais elle ne l’est pas vraiment.

3. Juste sous l’expérience décrite dans le livre, il est indiqué ce qu’il faut voir et ce qu’il faut déduire ( Par cette  expérience, on voit que… par conséquent on peut affirmer que…)

4. Les sciences sont l’occasion de travailler d’autres domaines scolaires : les mathématiques, la rédaction, la lecture de textes   littéraires,   le  raisonnement,   la  mémoire … Cette   idée d’interdisciplinarité  est   totalement actuelle.  [Aujourd’hui l’on est convaincu que les activités scientifiques permettent de travailler des compétences  langagières : le discours argumentatif, par exemple] Ce manuel est rédigé de façon plus structurée, plus simple (il n’y a plus cette forme littéraire dialoguée). Mais 

malgré  ce qui est dit,  la forme sous laquelle est rédigé   le manuel, n’implique pas que les enfants soient dans une démarche scientifique, fusse­t­elle inductive ni dans une pédagogie active. 

Mais quel est le rôle du manuel ? Il n’est peut­être que la conclusion d’une leçon qui aura été menée par le maître par le biais de  méthodes actives  en partant  « du fait, de l’expérience pour en déduire la loi ». Encore une fois l’utilisation du manuel pour construire la leçon dépendra de l’interprétation du maître.

Les instructions officielles de192336

Les   instructions   officielles   de1923   recadrent   les   choses.   Elles  sont   signées   par  Léon   Bérard,   ministre   de l’instruction publique et des beaux­arts. Ces nouvelles instructions, vont être la pièce maîtresse du système scolaire français,   retouchée   simplement   et   complétée   par   les   instructions   de   1938   et   1945.   Pour  J.   Ferrier  « C’est  l’épanouissement du modèle de la IIIème République et la longue durée des instructions officielles qui conservent une relative  continuité. »37 

Les IO de 1887 sont réaffirmées. On déplore que, malgré les recommandations, les élèves ne soient pas assez actifs. Les instituteurs, avec leur culture pédagogique traditionnelle ‘des bras croisés’ semblent avoir du mal à mettre en pratique des leçons de sciences avec des enfants actifs. 

Un enseignement pratique et éducatif

Au sortir de la Grande Guerre on réaffirme l’activité nécessaire des élèves, « faire plus simple pour que le maître  soit  plus   libre. »  « On élimine   ce  qui  est   trop  abstrait,   on  privilégie   l’expérimentation ».  Cet  enseignement  doit  être pratique, il doit être un enseignement par l’action. La France est à reconstruire, il y a urgence à être pragmatique. « l’enseignement scientifique doit armer les travailleurs, augmenter le rendement de leur activité productrice […] aussi doit­il s’adapter aux besoins divers de ses élèves »38 Et les programmes de sciences comporteront des chapitres différents selon que les élèves sont au bord de la mer, à la campagne, à la ville, qu’ils sont garçons ou filles, « tout en conservant partout  sa méthode, méthode expérimentale propre à éveiller et entretenir la curiosité intellectuelle »

Une démarche toujours intuitive et inductive

La méthode pédagogique concernant les sciences est réaffirmée. Il est toujours fait référence à une démarche « intuitive et inductive », le maître « se sert d’objets sensibles », il fait « voir et toucher les choses », et à partir de réalités concrètes, il doit amener les élèves à dégager les idées abstraites, à généraliser. Il s’agit ainsi de former le jugement de l’enfant en l’amenant à observer, à raisonner par lui­même. 

Pour cela, le maître s’appuiera sur des  « méthodes actives » faisant appel à l’effort de l’élève. Il est fait référence à Montaigne et à Rousseau., « Que partout on s’ingénie à rendre la classe plus animée et plus vivante.»   [Il semblerait donc que les classes ne le soient pas]. 

L’enfant expérimentateur

On assiste à une redéfinition de l’enfant actif. Il faut ne pas tomber dans la routine, ne pas laisser l’écolier passif « nous préférons l’expérimentation qui lui assigne un rôle actif » 

C’est sur ce point que les IO de 1923 apportent quelque chose de nouveau : « Les élèves prendront part, autant  que possible, aux expériences en physique et en chimie, aux manipulations et aux dissections en histoire naturelle » et les IO sont encore plus audacieuses « Ainsi, ils prendront l’habitude de voir, de fixer leur attention, d’observer avec méthode, de  préciser   leurs   constatations,  d’imaginer,  parfois,  des   expériences  de  contrôle. »  Ces  propositions   sont   absolument étonnantes, elles renouent avec la volonté d’une véritable démarche scientifique pour les élèves. 

36  Instructions   relatives   au   nouveau   plan   d’études   des   écoles   primaires,   20   juin1923  in   Bulletin   administratif   de l’instruction publique p. 7537 J. FERRIER, Les inspecteurs des écoles primaires 1835­1995, l’Harmattan, 1997, p.55538 Ibidem

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IDEM 60 ­ 80On donne des pistes pour faire comprendre ce que sont des méthodes actives. On encourage des situations 

incitatrices telle la classe promenade et la constitution d’un musée scolaire. Ces instructions officielles gardent d’aussi grandes ambitions, qu’en 1882/87  : « Nous devons former en eux  (les 

élèves) l’Homme et le citoyen qu’ils seront demain.» C’est une éducation complète de l’individu qui est envisagée par ces textes officiels.

Les instructions officielles de 193839

Elles  font  suite aux arrêtés  du 23 mars et  du 11  juillet  1938,  qui  réorganisent   les  trois  dernières  années d’enseignement primaires depuis que Jean Zay, ministre du Front Populaire a fait voter, le 9 août 1936, une loi qui porte l’obligation scolaire à 14 ans. Il faut donc réaménager les horaires et programmes des cours supérieurs 1ère et 2ème 

année et définir ceux de la classe de fin d’étude, nouvellement créée. Par la même occasion, quelques modifications seront apportées aux IO de 1923.

L’action sur les choses plutôt que l’aspect des choses

Ces  instructions  nous donnent  d’abord des   indications   indirectes  sur   la  façon dont  les   IO de 1923 ont  été appliquées, sur les critiques (sans doute par le biais des inspecteurs) qui ont été faites, mais surtout elles nous semblent comporter des éléments novateurs non négligeables qui entrent, du coup, en contradiction avec la rigidité et l’étendu des programmes.

On constate que les résultats décevants de la pratique de  la leçon de choses,  entraînent des réflexions et des réajustements. Nous en retiendrons l’affirmation d’une autre conception des apprentissages, qui privilégie l’action sur les ‘choses’ à l’étude de l’aspect des ‘choses’.

Référence à « L’éducation Nouvelle »

Un esprit nouveau est perceptible, à mon sens, dans ces nouvelles instructions concernant la pédagogie.  Jean Zay, ministre de l’instruction donne une impulsion très forte aux méthodes inspirées de l’Education Nouvelle.   « Il s’agit  de mettre à profit les leçons qui se dégagent de toutes les expériences pédagogiques faites en France et à l’étranger au cours  de ces dernières décades. De toutes ces tentatives que l’on groupe sous le nom général d’Ecole Nouvelle et qui visent à faire  un  appel direct à l’activité spontanée de l’enfant, nous avons beaucoup à tirer. » 

Est­ce que ce ne sont pas ces groupes qui ont su le mieux appliquer l’esprit de la leçon de choses ? Dès le 9 octobre 1936 une circulaire conseille de proscrire ou de réduire au minimum le recopiage et l’application mécanique des règles. On insiste sur l’intérêt de la classe promenade. On demande aux maîtres d’innover. 

Des injonctions contradictoires

Mais dans le même temps, rien de ce qui se faisait dans les anciennes instructions n’est réellement abrogé. Plus que jamais les maîtres se trouvent face à une double injonction : innover, mais ne pas changer l’édifice si complexe des emplois du temps et des programmes.

Les grandes lignes sont les mêmes qu’en 1923. Cet enseignement reste à la fois   utilitaire  pour préparer les enfants à la vie et éducatif  pour cultiver leur esprit.  Mais plusieurs interprétations de la leçon de choses sont toujours possibles.

Les écarts entre les injonctions des IO et les pratiques de la leçonLes écarts entre les injonctions des IO et les pratiques de la leçon de chosesde choses

Les instructions officielles sont de plus en plus claires quant à ce qu’il convient de faire pour rendre les élèves actifs. Mais ce message est­il entendu ? Est­il compris ?

Etude de manuels de leçons de choses : la démarcheLes programmes sont  plus simples pour que les maîtres soient plus libres. Les auteurs et les éditeurs ont usé de 

cette liberté [latitude laissée à l’interprétation ?] pour présenter des manuels très différents. 

Nous avons choisi deux livres de leçons de choses de 1928 qui se réfèrent aux IO de 1923. Nous nous attacherons à en étudier la présentation pour débusquer la conception de l’activité des élèves qu’elle sous­tend. :

­ 1.   le   manuel   de   P.   Ledoux40  (ancien   instituteur,   professeur   au   collège   Chaptal),  Leçons   de   choses,   cours élémentaire, 13ème édition. Nous reproduisons ici, les pages 14 et 15 sur La respiration. 

Dans la préface, on explique que chaque leçon est ainsi présentée sur une double page qui comprend :

✔ « 1° Sur la page de gauche, un texte à lire, rédigé sous la forme d’une leçon de choses ; » La forme de la leçon de choses serait donc un texte à lire ? Ce n’est dit nulle part dans les instructions, mais cela rejoint la forme des anciens manuels et la conviction que c’est en lisant, à voix haute que l’on apprend.

✔  2° « ..sur la page de droite, des exercices oraux et écrits : questions de contrôle et d’intelligence, devoirs et  

39 Programmes et instructions de1938, édité par la fédération générale des pupilles de l’école publique, 193840  P.   LEDOUX,  Leçons   de   choses,   cours   élémentaire,   13ème  édition,   Hachette,   Paris   1928,   Musée   aubois   de 

l’éducation, n°inventaire 598, classement :TOI

Sur la Brèche 88-89 14 / 58 Mars – avril 2005

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IDEM 60 ­ 80résumés qui permettent au maître de s’assurer que la leçon a été comprise et retenue. » Les exercices oraux ne sont rien d’autres que des questions de lecture ; quant aux exercices écrits et aux devoirs, ce sont des exercices de français. Le résumé à apprendre par cœur reste une constante de la leçon de science depuis les origines, preuve tangible que l’on sait. (mais quel est le sens des mots « le sang se purifie » ?)

✔ « Les quatre gravures de la page de gauche sont le complément théorique du texte ; les trois gravures de la page de droite représentent au contraire des scènes pittoresques, dont l’analyse provoquera la réflexion des élèves ». On nous explique que ce sont  les illustrations qui font l’originalité de ce manuel, car l’enfant est  « tout yeux » et que c’est la vue qui lui fournit « aussi rapidement autant de connaissances distinctes et précises ». On retrouve ici la conception que c’est en voyant que l’on apprend. La connaissance ‘saute aux yeux’, en quelque sorte et ‘s’empare’ de l’esprit.

✔ « Pour rendre l’enseignement plus concret, nous avons proposé, par endroits, des expériences d’une exécution des plus facile. »  Voici les expériences recommandées sous le titre :  exercices d’observation, dont seul le deuxième a un rapport avec la leçon : « Comptez combien de fois vous respirer par minute. » N’est­ce pas la partie de la leçon qui devrait être première dans l’esprit de la leçon de choses ?

✔ « A la fin de chaque leçon quelques gravures au trait. » Les enfants ont à reproduire des poumons et un cœur isolés puis une fenêtre. Nous avons cherché l’intérêt d’un tel exercice et nous avons trouvé que c’est « afin de donner satisfaction à leur besoin d’activité. » Méthodes actives et activités occupationnelles semblent ici être confondues.

Voici donc une interprétation des méthodes actives à mettre en œuvre dans une leçon de choses : « Les élèves sont  de la sorte, constamment occupés de l’œil ou de la main, et leurs facultés d’observation et d’initiative sans cesse sollicitées. » 

On pourrait remarquer, d’autre part que le contenu scientifique de cette leçon n’est pas très rigoureux (notion de sang pur et impur, la liaison avec la circulation sanguine est incompréhensible …)­ 2. Le manuel de L. Pastouriaux (Ancien élève de l’école normale de St Cloud, agrégé de sciences physiques) et 

E.Lebrun41  (Ancien élève de l’école normale de St Cloud, Directeur d’école normale). Tous deux sont d’anciens instituteurs. Voici la reproduction d’une double page sur :  L’air et la vie : la respiration (p. 80). Notons que ce livre s’adresse à des cours élémentaires et au cours moyen 1ère année et que la leçon se situe à un niveau supérieur de complexité. 

✔ I. Observations et expériences. La leçon commence par un questionnaire. C’est par là que commence la leçon. Voici ce qu’en disent les auteurs : C’est là que  « l’instituteur doit porter son premier effort, le plus  délicat, le plus difficile, celui qui exige le plus de préparation, de réflexion … » « Nous ne pouvons que l’aider dans ce travail en lui suggérant des questions à poser, des expériences à faire ». Ce sont donc des suggestions qui doivent permettre à l’instituteur de construire sa leçon, c’est « une impulsion ».

✔ II  Leçon.   Il   s’agit   ensuite   « de préciser  et  de   coordonner   les   connaissances   tirées  de   l’observation et  des  expériences »  et  pour cela  la  lecture attentive de  la  leçon est   indispensable.  Cette   lecture doit se  faire posément et doit être répétée, si besoin est. Les auteurs précisent leur conception des apprentissages : « les  connaissances  ont   leur double   racine … 1°  dans   la  perception attentive  du réel ;  2°  dans   son expression  verbale. »

✔ III Résumé. Il est à apprendre  par cœur pour fixer les idées principales  « autour desquelles les autres se réveilleront quand besoin sera. ».  [Il  s’agira donc de refaire des  liens de  sens  qui  auront été  construits pendant les apprentissages.]

✔ IV   Exercices   d’application.   Ils   sont   une   dernière   étape   qui   incite   l’élève   à   mettre   en   œuvre   les connaissances acquises par un effort personnel de recherche et d’action.  «S’ajoutant à   la récitation du résumé ils   permettront   un   meilleur   contrôle   de   l’efficacité   des   leçons   que   de   simples   questions   de   pure  mémoire. » [Nous sommes dans un véritable contrôle des connaissances qui se fait dans des situations qui nécessitent un transfert]

Si   la  part  de   la  lecture  et  du par  cœur reste   importante,   la  démarche suggérée  dans cet  ouvrage est  bien conforme à  l’esprit des instructions officielles concernant les  méthodes actives  (mais un des auteurs est directeur d’école normale) en même temps que le contenu scientifique est plus rigoureux (mais il y a un scientifique parmi les rédacteurs).

Le contenu : Quelles leçons donnent les choses ?

D’abord quelles sont  les choses que l’ont étudie à l’école ? Nous nous appuierons sur un manuel rédigé par les auteurs précédents édité  12 ans après, en 1940,   mais concernant cette fois­ci,   le seul cours élémentaire. Dans la démarche et le contenu il ressemble totalement à celui que nous avons étudié précédemment, les recommandations méthodologiques sont exactement les mêmes.. mais il  est mieux illustré  et  plus facile à  étudier. Il  est écrit  par  L. Pastouriaux  (devenu  inspecteur général),  E.  Lebrun  (devenu directeur honoraire  d’école  normale)  auxquels   s’est adjoint  V. Régnier  (docteur es sciences, professeur à l’école normale de la Seine). Ce sont donc presque les mêmes 

41 L. PASTOURIAUX E.LEBRUN, « Leçons de choses cours élémentaire et cours moyen » Paris, Delagrave, 1928

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IDEM 60 ­ 80auteurs: « Apprenons à observer – leçons de choses – cours élémentaire »42. 

Quelles sont donc les choses qui sont étudiées ? Il y a neuf chapitres dans le livre, qui traitent:­ 1. Les outils de l’écolier (la craie, l’ardoise, le crayon, le papier, le porte­plume)­ 2. Les outils de la maison ( le couteau, la scie, le marteau, balançoire, levier, tenaille..)­ 3. Solides , liquides et gaz ( les liquides, la glace, le vent et l’air, d’autres gaz…)­ 4. Le chauffage, les vêtements ( l’allumette, le feu dans la cheminée, le poêle de la classe, le fil, la laine, nos 

vêtements …)­ 5. Les minéraux, pierres et métaux (le calcaire, le plâtre, le verre, les métaux, le sel ..)­ 6. Quelques leçons sur l’homme ( la main, le nez, la bouche, l’œil, soyons propres..)­ 7. Quelques leçons sur les animaux (chien , lapin, vache, une plume, l’œuf de poule..) ­ 8. Les végétaux et leurs produits utiles ( géranium, giroflée, grain de blé, la farine, le pain, un morceau de 

sucre, une grappe de raisin, une pomme, le vin et le cidre, …)­ 9. Activités dirigées, classes­promenades (le long de la route, le feu en plein air, observons chaque jour qui 

passe, récoltons des fleurs pectorales…)Ce sont effectivement des choses qui font partie de l’environnement proche de l’élève, des choses extrêmement 

banales. Nous avons cherché les liens qui étaient élaborés entre la chose étudiée et la construction de connaissances.Le lien entre la chose et la description

Chaque chose est décrite avec des détails concernant l’aspect, la mesure, le goût, l’odeur, le toucher… avec le souci de faire acquérir un vocabulaire précis :

Le bâton de craie. Il sert à écrire sur le tableau. C’est un corps solide, blanc. Il a quatre longues faces  plates, ou planes, rectangulaires, c’est à dire en forme de rectangle. Ses bouts sont carrés. Sentez­le : il n’a pas  d’odeur. Goûter­le : il n’a aucune saveur.   Ou encore : « Mon crayon neuf : il est long et rond ; sa forme est  celle d’un cylindre : il est cylindrique. »

La leçon de choses est ici, surtout, un exercice de vocabulaire.

Le lien entre la chose et la notion scientifique

On part de l’observation d’un objet familier, mais après l’avoir décrit, on s’intéresse à son origine, en édictant des connaissances scientifiques, en faisant le lien avec l’application de cette notion scientifique dans la vie courante   :  

En géologie : ­ la craie du tableau provient d’une roche extraite dans des  carrières, nombreuses surtout  dans les  

environs de Paris. Elle est tendre, friable, perméable­ l’ardoise est une roche que l’on trouve en couches épaisses dans des carrières, les ardoisières, c’est 

une roche dure, imperméable et inaltérable qui se clive facilement­ Le crayon a une mine en graphite ou plombagine mêlée d’argile 

En chimie :­ L’allumette : « le frottement dégage de la chaleur qui enflamme le phosphore ; le soufre brûle ensuite  

puis le bois. La combustion du soufre produit un gaz d’odeur suffocante : le gaz sulfureux.. »­ Le sel de cuisine est formé de grains qui sont de petits solides cristallisés. Il se dissout dans l’eau ; on 

le retrouve en faisant évaporer l’eau salée.En biologie

­ La giroflée : « Par ses racines la plante puise une partie de ses aliments dans le sol. D’autres aliments de la plante sont puisés dans l’air. »

En physique :­ L’air est un gaz invisible, élastique, compressible­ Le levier, pour l’utiliser au mieux « il faut placer le point d’appui très prêt du fardeau et appuyer sur  

le levier le plus loin possible de ce point d’appui. »Le lien entre une notion scientifique et le fonctionnement de la chose

Le lien est fait entre une notion scientifique et son application dans la vie courante Ainsi explique­t­on comment fonctionnent les objets étudiés en relation avec un principe scientifique étudié, comme dans cette leçon sur la tenaille qui vient juste après celle sur les leviers : « Quand on arrache un clou, l’une des branches joue le même rôle que le pied de biche du déballeur : elle agit comme un levier. »

Le lien entre les choses et la vie pratique

Ces conseils sont très nombreux. Ils concernent la sécurité: « Les allumettes sont dangereuses » ou encore :  « chaque année des imprudents perdent la vie, pour avoir patiné alors que la  glace n’était pas assez  épaisse » 

42 PASTOURIAUX, LE BRUN, REGNIER, « Apprenons à observer Leçons de choses Cours elementaire », Delagrave, Paris, 1940

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IDEM 60 ­ 80Ils concernent aussi l’hygiène : « les vêtements se salissent : il faut les nettoyer régulièrement », « Il y  

a des microbes sur la peau » ou encore « Lavez vos mains à l’eau et au savon avant chaque repas ».Le lien entre la chose et la morale

La fin du chapitre sur la fabrication du pain comporte un paragraphe qui est bien le reflet de la pensée d’une époque où  la faim peut sévir encore dans les milieux pauvres :  « Respecter le pain C’est  le plus précieux de tous les  aliments Il faut pour le produire, les rudes travaux du cultivateur, du meunier, du boulanger » Puis il y a cette injonction que l’on trouverait bien dans un catéchisme :  « Ne jetez jamais de pain. Gaspiller le pain est une vilaine et mauvaise  action » 

Remarques :

Quelles leçons donnent les choses ? Qu’y a­t­il derrière ce qui est montré ? Les questions  et   les  observations  proposées   induisent  qu’il   suffit  de décrire  précisément  pour connaître.  En 

voulant simplifier ce livre pour le cours élémentaire, les auteurs ont supprimé les liens de complexité entre la chose et son explication scientifique. Est­ce plus clair pour l’enfant ? [A mon sens cela devient plus obscur]

Le lien avec la science existe mais il est ténu, surtout il n’emmène plus vers un système d’explication global comme dans le livre de Paul Bert et les expériences proposées ne sont pas des recherches qui emmènent l’enfant sur un chemin de questionnement et de découverte, elles  sont autant de preuves d’une vérité qui ne se remet pas en cause.

La leçon de choses se veut si claire si simple, qu’elle montre les choses isolées de leur contexte, sans lien de complexité, des choses immobiles, des choses mortes. La chose est détachée de son système d’explication global : la pomme, la grappe de raisin, le géranium sont isolés de leur cycle en tant que  partie d’une plante. [Qu’est­ce qui est commun à tous ces végétaux et qui peut permettre de construire un modèle explicatif ?]

Le meilleur exemple de cette  chose  isolée de son système d’explication globale, nous l’avons trouvé dans la leçon sur  l’œuf de poule p168. Après la description minutieuse de l’œuf une fois cassé (ch. 1 et 2), accompagné d’un croquis montrant les différents éléments :  la coquille, les membranes, le blanc, le jaune, le germe, les tortillons, le chapitre 3 s’intitule :  L’œuf couvé devient un poussin :  « Après la ponte, la poule couve. Dans un coin tranquille, elle  s’accroupit sur son nid et chauffe ses œufs. Alors, chose étonnante, le germe se développe ! Un petit poussin se forme peu à  peu, se nourrissant du blanc et du jaune. »43 

Chose étonnante en effet ! Par quel miracle un être vivant se développe­t­il ? C’est bien là tout le mystère et l’essentiel de la question qui est laissé dans l’ombre, à savoir la reproduction.

La pensée induite derrière cette approche des choses  les unes après les autres, (parfois sans lien réel) est une pensée très analytique qui va du simple au complexe, mais souvent supprime le complexe. Elles montrent un monde figé qui se décrit plus qu’il ne se comprend.

Cependant tout cela ne dit pas comment l’instituteur construira sa leçon de façon active, face aux contraintes de la classe, aux pressions implicites de l’institution et de la société.

Les difficultés de la pratique

Lors d’un précédent mémoire, en étudiant les instructions officielles parallèlement aux rapports d’inspections de deux instituteurs entre les deux guerres, j’avais été frappée par l’aspect  contradictoire  de ces mêmes instructions puisque, depuis 1882 elles ont un aspect cumulatif. Rien de ce qui a été institué précédemment n’est jamais supprimé. L’ancien et le nouveau coexistent dans les mêmes textes.

J’avais constaté alors les difficultés que les instituteurs avaient à résoudre, entre la rigidité de la forme imposée (emploi du temps, contenus des programmes, discipline …) et l’esprit des instructions officielles qui impliquait plus de liberté  ou de distance avec les programmes. Sans compter les difficultés matérielles que génère l’exigence d’un enseignement expérimental. Nous citerons en exemple une remarque tirée du rapport d’inspection de Pierre Fort en 1933   :  « Evidemment   le   matériel   est   extrêmement   réduit,   il   faut   cependant   arriver   à   donner   un   enseignement  expérimental » et « Rendre plus actif un certain nombre d’élèves. »44

Ou bien c’est le trop grand nombre d’élèves qui rend plus difficile toute pédagogie active, comme on le voit dans cette leçon sur la respiration faite par Henriette Fort : elle a beaucoup d’élèves dans une classe de ville où elle vient d’arriver  : 49 élèves ! répartis sur deux niveaux différents, CE2 et CM1 et on imagine aisément comment a pu tourner cette leçon de sciences avec une cinquantaine d’élèves que la maîtresse s’évertuait à rendre actifs en leur proposant de faire des observations et des expériences sur leur propre corps. Leçon à laquelle l’inspecteur fait allusion lors d’un rapport d’inspection  en 1934:

 « Leçon du jour : le mécanisme et les organes de la respiration. On cherche  ­ et on a du mérite à le faire devant les ricanements  des   élèves   qui   ne   sont   pas   encore   habitués   à   cette   manière   de   procéder   ­   à   faire   sur   soi­même   des  constatations. »45

43 Ibidem44 C.A. TERNAT, De la pédagogie traditionnelle à la pédagogie Freinet 1928­1966, Paris 2000, p. 2345 Ibidem, Bulletin d’inspection de H. Fort du 13. 03. 1934

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IDEM 60 ­ 80Il ajoute cependant cette remarque en guise d’encouragement :

« Les  efforts  déployés  mériteraient  mieux  que   la   semi­hostilité  des  élèves.  Persévérez   cependant :   en   fin  d’année  scolaire,  un certain  nombre d’enfants   seront  gagnés  par  ces méthodes  qui,  seules,  peuvent  amener à   la véritable  éducation. Du courage ! »46

Malgré ces encouragements, il faut savoir que la note de cette institutrice est baissée d’un demi­point, ce qui laisserait entendre que la méthode est peut­être bonne, mais que la discipline est plus importante.

Ces ricanements des élèves nous poussent à une réflexion : les élèves eux­mêmes ne comprennent pas cette façon de   faire   qui   est   contraire   à   ce   que   véhicule   l’école   comme   valeurs,   auxquelles   la   société   reste   profondément attachée, comme la discipline, exigence qui revient très souvent dans les rapports d’inspection. L’enfant doit obéir et apprendre à se soumettre à l’école comme dans la famille, comme l’ouvrier ou l’employé à ses supérieurs. Dans les instructions,   il   est   souvent   fait   allusion  aux  « bonnes  habitudes »  que   l’enfant  doit   acquérir,   aux   apprentissages mécaniques qui doivent s’installer sans trop de réflexions. Alors se mettre à faire une recherche   personnelle sur sa propre façon de fonctionner ; pensez donc, quelle rigolade et quelle occasion de chahut ! 

Cette  discipline   va  aussi   avec  la  morale  toujours   gardienne  des   valeurs   conservatrices,  même si   celle­ci   a tendance à évoluer dans la forme. Cette éducation morale correspond également à l’éducation que les enfants reçoivent dans les familles. La répression du mouvement  et du bruit, (« Tais­toi » et « Tiens­toi tranquille ») se retrouve à l’école, où l’on se doit d’être silencieux  (c’est le maître qui parle sauf s’il vous interroge), et le corps immobile (assis droit à sa table, les bras croisés ou debout et en rang), sauf pendant la récréation. On constate donc qu’une résistance existe face aux propositions novatrices des instructions de 1923 et de 1938 et qui vient de la société elle­même.

L’évolution de la leçon de choses après la guerreL’évolution de la leçon de choses après la guerre

Les historiens ont été frappés par la longévité des instructions officielles de 1887, remaniées en 1923 et 1938 dans la forme mais pas vraiment sur le fond. Cette continuité perdure après la guerre, malgré quelques aménagements, quelques valses hésitations entre plusieurs interprétations de la  leçon de choses, et ceci jusqu’en 1969 dans les textes (avec l’arrivée du tiers temps pédagogique),  mais la leçon de choses dans la pratique, perdure bien au­delà.

Les instructions officielles de 1945, de 1953, de 1957Après la seconde guerre mondiale, les instructions officielles de 1945 font état de pratiques décevantes (relevées 

sans doute par les inspecteurs.), concernant la leçon de choses : « Trop souvent, les leçons de choses se réduisent à l’étude  d’un manuel ou d’un résumé ; les élèves n’en retiennent que des mots, pour eux, vides de sens. »47

On insiste auprès  «  des maîtres qui donnent encore un enseignement livresque, de le rendre concret »  On précise encore ce qu’est une méthode active :  « L’apprentissage de l’observation n’est possible que si l’élève observe, s’il a un rôle  actif au cours des leçons de choses. C’est lui qui doit décrire les faits tombant sous ses sens. » Dans ces recommandations, on voit, en creux, toutes les erreurs d’interprétations des méthodes actives, toutes les dérives des leçons de choses. Les instructions jugent nécessaires de préciser le rôle du maître qui est :  « de solliciter  l’observation, de l’orienter, de la  rectifier au besoin, d’aider à en fixer les résultats sur le cahier […] établis d’abord au tableau, avec la collaboration de toute  la classe. » 

Il est précisé que si cette démarche est bien respectée : « dans ces conditions, le livre de leçon de choses est inutile  pour l’élève. » Il pourra à la rigueur servir de guide au maître pour avoir des modèles de préparation de ses leçons.

Toujours est­il que le texte des IO de 1945, en précisant la méthode de la leçon de choses restreint ses ambitions « Les leçons de choses doivent être des exercices d’observation sur les choses familières aux enfants puisque c’est faire … la  première opération de la science du monde extérieur, la seule qui leur soit accessible : l’observation. »

Ainsi   s’opère,   par   la   même   occasion,   une   marche   arrière,   avec   la   suppression   de   l’expérimentation   dans l’enseignement  et  du coup on pourrait  croire  à  un  éloignement  de   la   référence  à   la   science.  Or,  on précise  que l’observation est la première opération de la science.

En 1953, les Instructions sur les classes de fin d’étude, réhabilitent la méthode scientifique et l’expérimentation : « des faits aux lois et aux applications ».

Mais le retour en arrière est bel et bien confirmé en 1957. On réaffirme comme au XIXème siècle que la chose  détient la vérité et que les méthodes actives consistent à faire observer les élèves, à analyser, classer, définir, conclure…et il   n’est  plus  question  d’expérimenter.  Depuis   les  ambiguïtés  des  origines  de   l’enseignement  des   sciences  à   l’école primaire, nous n’avons guère avancé ! … Sauf qu’une culture pédagogique de la leçon de choses  s’est ancrée dans les savoir­faire des instituteurs, dans les écoles normales, que tous n’abandonneront pas l’expérimentation et que comme nous l’avons vu tout au long de cette étude, nous aurons toujours plusieurs interprétations. 

46  Ibidem47 Instructions officielles de 1945

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IDEM 60 ­ 80Etude de manuels

En fait, cela change peu de chose, à la présentation structurelle des manuels. Certes ils se sont améliorés sur le plan formel, ils sont en couleur, ils sont plus grands, l’impression est meilleure, mais le contenu a peu évolué. Les IO de 1945 avaient expliqué l’inutilité des manuels, mais ils étaient dans les armoires et ils n’ont cessé de servir. Dès 1953 avec le revirement de la position officielle, de nouveaux manuels sortent.

Nous avons choisi d’étudier pour leur grande diffusion les livres suivants :

Le livre de A Godier, S. Moreau et M. Moreau48, « Les leçons de choses au cours élémentaire »

Ce livre s’appuie sur les IO de 1945 qui soulignent l’importance de l’observation avec une citation reprise dans l’avant­propos : « Quelques observations bien conduites valent mieux que l’examen rapide de nombreux faits », il importe donc pour les auteurs de ménager une place pour les observations prolongées. Mais ils ajoutent qu’à l’observation doit s’ajouter « un travail d’enregistrement et d’assimilation ainsi qu’un travail de mémorisation. » Ce qui explique la présence de nombreux schémas, croquis, résumés, exercices d’application et questionnaires qui doivent faciliter le contrôle du maître. La démarche a donc peu changé.

 Voici une leçon sur l’air (p. 42­43). On reconnaîtra la leçon sur une double page qui comprend : 

a. Les observations à partir de questions sur un objet b. La lecturec. Le résuméd. Des questions plus largese. Un exercice de vocabulairef. Une frise (à reproduire ou non)

Le contenu lui aussi, s’est un peu modifié : l’ordre des leçons a varié selon une autre thématique. La structure du livre est basée sur les saisons :

­ I . L’automne (rentrée oblige): le marron, le gland, le raisin, le vin, le vinaigre, le champignon, la noix, la carotte, la pomme, l’orange, la pomme de terre

­ II. L’hiver : L’alcool à brûler, l’huile, le pétrole, l’essence, la bougie, le bois, le charbon, le charbon de bois, la houille, le sel, le sucre, le lait, l’argile, la craie, le crayon, la plume, les métaux, la lampe électrique, la balance, les textiles

­ III. Le printemps :  les bourgeons du marronnier, le haricot, la germination, la feuille de lilas, la giroflée, la primevère, le bouton d’or, le radis, la grenouille, le têtard, l’escargot, le papillon du chou, le vers à soie, le hanneton, le petit pois, la cerise, le lis

Les choses sont toujours minutieusement décrites mais toujours étudiées isolément sans système explicatif. Pire la structuration selon la saison occasionne un ‘mélange’ des choses que l’enfant aura bien du mal à classer. Les parties végétales, fruits ou légumes sont étudiées indépendamment de la plante dont ils proviennent. L’on voit la germination étudiée au printemps, de fruits que l’on a vus à la rentrée (comme le marron ). Et la notion de cycle n’est pas abordée. 

La leçon sur l’œuf est très semblable au livre de 1940 et l’énonciation plus lapidaire encore : « Si l’œuf est couvé,  le germe se développe et se transforme en poussin »

La simplification voulue ici encore pour le cours élémentaire empêche toute construction d’un système explicatif. Observons ce qu’il en est au cours moyen.

Le livre de M Orieux et M. Everaere49, Leçons de choses au cours moyen

Dans le préambule, les auteurs expliquent qu’il s’agit d’apprendre aux élèves à observer avec méthode, à décrire avec précision, à traduire leurs observations par des schémas. Ce livre de cours moyen reprend les grandes lignes du livre de Pastouriaux du cours moyen de 1928. 

La démarche est sensiblement la même comme dans cette leçon sur l’air (p. 2 et 3) mais la disposition a changé. La leçon est disposée sur une double page comme pour montrer que le temps de l’expérimentation active est différent du temps de la synthèse des résultats. On retrouve :

a. Des expériences qui sont dessinées sur la page de gauche, et qui invitent le maître ou l’enfant à les reproduire,   avec   des   indications   et   des   questions   pour   orienter   l’observation.   Les   auteurs   font référence aux méthodes actives : les enfants agissent, découvrent. « L’activité est guidée, l’attention est  maintenue par le questionnaire… ». 

48 A GODIER, S. MOREAU et M. MOREAU, Les leçons de choses au cours élémentaire, 1954, F. Nathan

49 M Orieux et M. Everaere, Leçons de choses au cours moyen, 1954, édition de 1957, Hachette

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IDEM 60 ­ 80b. Sur la page de droite, on reprend les conclusions des observations et des expériences et on fixe « les  

résultats avec les explications écrites dans lesquelles on retrouvera celles données par le maître. »c. Des phrases de résumé à apprendre par cœur portent sur des notions scientifiques qui ont été mises 

en évidence (ex : l’air est un gaz).

d. Des travaux personnels qui «offrent les éléments d’une activité individuelle … et donnent de l’initiative  aux élèves. » Ce sont des expériences que l’élève peut faire lui­même (ex : Collez un bout de papier au fond d’un bol,   retournez­le  plongez­le  bien droit  dans une bassine d’eau; puis   retirer   le  bol   sans l’incliner ; le papier est­il mouillé ? Pourquoi ?)

Les contenus sont un peu différents. La structure du livre est la suivante :

• I Notions sur l’air et les combustions : l’air, les gaz, deux combustions, lampe à pétrole , réchaud à alcool, l’oxygène et la combustion, l’oxydation des métaux, le bois, le charbon de bois, la houille, le pétrole, l’essence et le mazout, le gaz d’éclairage et le butane, le gaz carbonique

• II L’eau : ses changements d’état, ses propriétés dissolvantes : l’eau et la glace, la vapeur d’eau, l’eau ses propriétés dissolvantes

• III  L’homme :  Notre corps,   les os,   le squelette,   le cerveau,  les nerfs,   la vue et   l’ouïe,  la digestion la circulation, la respiration, le rôle du sang et son épuration, la peau 

• IV Quelques animaux : le chat, le chien, la taupe, le lapin, le porc, la vache, le cheval, les mammifères, les oiseaux, le lézard, le gardon, la grenouille, la moule, le hanneton, le vers à soie, les insectes

• V Quelques plantes à fleurs : les diverses parties d’une plante, une plante respire, se nourrit, une plante se  reproduit,   la  giroflée,   le pois,   la  carotte,   le   fraisier,   la  pomme de terre,   le bleuet,   le  blé,   le châtaigner, quelques plantes nuisibles, les fruits

Nous retrouvons ici une structuration qui respecte mieux les divers domaines scientifiques. C’est surtout, à notre sens, en biologie que les contenus sont abordés différemment sur le plan scientifique : les plantes sont étudiées dans leur système d’évolution complet. De même chez l’homme, les grandes fonctions sont abordées dans leur complexité (même s’il manque ici la reproduction). Le maître peut construire sa leçon de façon active (en suivant les indications de la page de gauche) ou pas, en allant directement à la page de droite.

Un modèle pédagogique de référence ou des modèles ?

Sur plus d’un demi­siècle s’est construit un modèle de référence de l’enseignement des sciences solidement ancré dans la culture pédagogique, mais qui a toujours pu être interprété de manière différente. 

Pour P. Kahn, ce modèle est structurellement le même depuis les instructions de 1882­87. Il est emblématique de l’enseignement de l’école primaire. C’est le modèle de la pédagogie inductive partant des faits pour aller aux idées. Qu’il y ait ou non expérience, l’observation « est le point d’ancrage permanent de cette pédagogie » mais au­delà des sciences, la leçon   de   choses   est  « l’illustration   exemplaire   d’une   démarche   pédagogique   dont   la   valeur   est   affirmée   pour   tout  enseignement. »50

A l’appui de cette thèse, il cite les instructions de 1945 qui semblait entériner une certaine forme de démarche pédagogique qui recommandait l’observation pour d’autres disciplines que   les sciences. Ainsi en géographie :  « C’est  donc de l’observation des faits géographiques et de leur représentation figurée que les élèves aidés du maître, tireront la  substance des leçons ». Ainsi en Histoire : « on devra saisir toutes les occasions de ménager une large part à l’observation : observation d’images  ayant  une valeur  documentaire   certaine,  observations  de portrait,  de  monuments  … ».  Ainsi  en mathématiques :  « L’observation  doit  également   avoir  une   large   part   dans   l’enseignement   de   l’arithmétique   et   de   la  géométrie à l’école primaire »

Ce modèle a pu donner des leçons intéressantes qui donnaient une large part à l’activité des élèves. Mais il a pu conforter également un modèle plus caricatural où il n’y a pas la place pour les vraies questions des élèves, un modèle dans  lequel c’est  le maître qui pose des questions que  les élèves ne se posent  pas,  le maître qui fait  observer en montrant ce qu’il y a à voir, qui explique, qui déduit, qui généralise pour que la connaissance se construise dans l’esprit des élèves qui apprennent par cœur des résumés insipides preuve tangible de cette connaissance. Mais n’est­ce pas toute la société qui a conforté un certain modèle d’enseignement ?

Etait­ce le seul modèle possible issu de la leçon de choses ?Je dirais pour ma part, que dès le début du siècle, mais surtout avec les instructions de 1923, la leçon de choses, 

pouvait   induire  non pas  un mais  plusieurs  modèles  pédagogiques  dont  certains  pouvaient  amener  à  modifier   les conceptions   sur   les   apprentissages.   Souvenons­nous   de   M.   Pape   Carpentier,   déjà   citée : « Ah ! cela tient à une grande loi terriblement méconnue, qui ne veut pas qu’il y ait de patient en éducation ; qui veut que l’élève y soit un agent actif, aussi actif que le maître » et  « qu’il soit son collaborateur intelligent dans les leçons qu’il en reçoit … »51

50 P. KAHN, op. cité51 M. PAPE CARPANTIER , conférences de la Sorbonne, cité par G. COMPAYRE, op. cité

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IDEM 60 ­ 80Les  mouvements  de  pédagogie  nouvelle  ont  pour   leur  part,   interprété   les  méthodes actives  différemment, 

préparant à leur manière, un renouveau de l’enseignement des sciences, ce que nos verrons plus loin.

Mort et survivance de la leçon de choses

Les années 60, voit peu à peu l’abandon de ce modèle. En 1969 arrive le tiers temps pédagogique. Une nouvelle didactique  des   sciences  apparaît   en   rupture   avec  la   leçon  de   choses.  C’est  un  moment   fécond  pour   la   recherche pédagogique en sciences, (ce que nous verrons). Mais c’est un moment de désarroi pour nombre d’instituteurs. Entre 1969 et 1976 les anciens textes cohabitent avec la notion de tiers temps pédagogique. 

Les   instructions   de   1977   mettent   en   avant   les  activités   d’éveil  qui   transforment   les   normes   culturelles   et pédagogiques de l’école primaire. On passe de la méthode inductive au constructivisme (Jean Piaget), c’est l’enfant qui, en agissant sur le réel, construit ses connaissances. L’accent est mis sur la démarche. On part du questionnement de l’enfant et de ses représentations. On passe de la culture. des choses à une culture de la démarche (parfois au détriment des contenus, le savoir de référence n’étant pas toujours clairement identifié). 

Les activités d’éveil seront parfois mal comprises et mal acceptées par la majorité des instituteurs, il en reste une impression de confusion. En 1885, Jean­Pierre Chevènement rétablit les disciplines et l’éveil semble disparaître de la mémoire collective. 

Les références ont changé ; l’école primaire ne signifie plus pour la majorité des enfants, la fin de la scolarité. L’arrivée du collège unique (1975), les réformes du système scolaire, changent les finalités de l’école primaire. 

Parallèlement,  on constate  une crise  de   la   formation des  maîtres  et  une grave  crise  de   l’enseignement  des sciences. Une enquête de l’INRP en 1986 révèle que seulement 20% des enseignants pratiquent réellement des activités scientifiques et techniques dans leur classe. Il semblerait que la majorité des enseignants ne sachent plus enseigner les sciences. 

La loi de 1889 sur l’organisation de l’école en cycles, les programmes de 1995 redéfinissent les compétences à acquérir et les contenus des programmes en sciences. Des documents d’application sont envoyés dans les écoles en 1999. Une consultation a lieu sur ces documents auprès des enseignants et je ne peux résister au plaisir de reproduire un extrait concernant les sciences. Voici la synthèse qui en est faite dans le BO du 29 juin 2000 :

En très grande majorité les synthèses jugent négativement l’évolution de l’initiation à la démarche scientifique suggérée par le document d’application. Les activités à mettre en œuvre privilégieraient en effet l’observation  (« le  maître expérimente, les élèves manipulent et observent »)…Trop de place est faite au discours du maître, au détriment de la phase de tâtonnement et de recherche des élèves. « Les expériences ne sont là que pour vérifier des hypothèses : tout est  conduit par le maître et ne laisse pas suffisamment la place aux déductions des enfants ».  La tendance au recours à  la leçon de choses est perçue comme s’apparentant à un retour en arrière (« observer, expliquer, apprendre, retenir »).52 

La leçon de choses a décidément la vie dure !Il est amusant de voir que ce sont des enseignants qui reprochent aux rédacteurs des programmes de continuer 

à faire perdurer l’esprit de la leçon de choses. Il faut dire que ces documents d’application des programmes de 95 étaient parus pendant la période d’expérimentation de La main à la pâte qui prônait une toute autre démarche. 

Et du même coup, les enseignants se posent des questions :

« On s’interroge très majoritairement sur la prise en compte réelle des acquis de l’opération  La main à la pâte dans les propositions qui sont faites ? Est­elle toujours d’actualité ? »

Fidèles à eux­mêmes, les auteurs des textes officiels renouaient avec les contradictions. Au plus haut niveau, cette conception de l’enseignement des sciences reste profondément ancrée dans la mémoire collective et perdure !

Car comment enseigner les sciences à l’école primaire ? … Et lorsqu’on ne sait plus comment faire, on ressort la vieille leçon de choses « ce souvenir heureux » de l’école, … et qui a la vie dure.

Souvenir heureux et mythique.

52  Bulletin officiel de l’éducation nationale,  Synthèse nationale de la consultation sur les documents d’application des  programmes de l’école élémentaire, n°3, 29 juin 2000

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IDEM 60 ­ 8033 AAUXUX ORIGINESORIGINES DEDE ‘L ‘LAA MAINMAIN ÀÀ LALA PÂTEPÂTE’’

Dans  sa   conférence  de  presse  présentant   le  plan de  rénovation des   sciences  et  de   la   technologie  à   l’école primaire, en juin 2000 voici ce que dit J. Lang : « La désaffection des étudiants pour les sciences est très préoccupante. », « Je souhaite inverser cette tendance en agissant à tous les niveaux : à l’université, au lycée, au collège et, bien évidemment  à l’école où tout se joue. »  Le développement de la culture scientifique à l’école primaire, est décrété enjeu majeur pour la société.

Après avoir exploré la  leçon de choses  nous allons explorer de même cette autre référence de Jack Lang pour l’enseignement des sciences à l’école primaire :  ‘La main à la pâte », « cette initiative heureuse de Georges Charpak »,  pour nous demander quels liens existent, s’il en existe, avec une culture pédagogique de l’enseignement des sciences à l’école primaire en France.

Le système américainLe système américain : «: « Hands onHands on »»  Aux USA, Léon Lederman, scientifique de renom (prix Nobel et professeur à l’université de Columbia) avait 

constaté avec stupeur le niveau incroyablement bas de la population sur le plan de la culture scientifique.  Alors que le monde est de plus en plus dominé par les sciences et la technologie, les gens sont de moins en 

moins   capables   de   comprendre   les   phénomènes   scientifiques.   C’est   à   la   suite   de   ce   constat   qu’il   s’intéresse   à l’enseignement des sciences dans les écoles américaines. 

A Chicago, dans les années 90, il lance un programme intitulé  « Hands on »  ( mot à mot : les mains dedans), s’adressant aux élèves des écoles de 6 à 13 ans. Son programme supposait des moyens importants dans trois directions différentes :

­ former des enseignants

­ proposer du matériel aux classes

­ élaborer des programmes.

C’est dans une école pauvre de Chicago que  L. Lederman  entraîne son ami  Georges Charpak  (Docteur en sciences physiques, Prix Nobel en 1985, titulaire de la chaire Joliot Curie à l’école supérieure de physique chimie à Paris).  Ce   dernier   est   alors   totalement   séduit :   «   J’avais  été ébloui   par   le   bonheur   des   enfants.   C’était   une  école  relativement typique avec 99% de noirs dont la plupart étaient en dessous du seuil de pauvreté. Il régnait pourtant une très  grande gaîté dans cette école »53 

Les caractéristiques du système américainLes caractéristiques du système américainSi nous héritons du système américain, il semble intéressant d’en comprendre les caractéristiques.

Quelques données historiques 54

La mise en place du programme « Hands on », puis du programme « Inquiry » (terme qui signifie investigation), trouve ses origines dès 1957. Les Etats Unis se sont sentis humiliés par le lancement du premier spoutnik soviétique. Ils ont attribué cet échec à la mauvaise qualité de l’enseignement des sciences dans l’école publique. Dans les années 1960 / 70, ils ont essayé un certain nombre de réformes qui ont toutes échoué. C’est alors que la communauté scientifique américaine s’est mobilisée. 

Jean Piaget55, lui­même, relate le début de cette expérience avec une certaine admiration. L’un des principaux courants est parti de l’Académie des sciences à  Washington, avec d’éminents physiciens comme  G. Zacharias  et  F. Friedman du MIT (Massachusetts Institute of Technology). Ils se sont particulièrement élevés contre la discordance qui existait entre l’esprit de la recherche scientifique et l’enseignement des sciences à l’école. En 1959, une conférence d’experts comprenant des mathématiciens, des physiciens, des biologistes et des psychologues, se tient à Woods Hole, dont les travaux ont été résumés et interprétés par J. Bruner56.

Le   MIT   fonde   alors   une   section   de   l’enseignement   des   sciences   dans   laquelle   des   scientifiques   de   renom s'investissent avec des psychologues et des éducateurs. Des méthodes didactiques sont mises au point, et de nombreuses applications sont expérimentées par des petits groupes de travail qui se mettent à l’œuvre dans les écoles publiques (par exemple,  R. Karplus,  physicien à  Berkeley en Californie met au point  un dispositif  dont  il  a étudié   lui­même les résultats, pour initier les jeunes élèves à la relativité des points de vue).

  Ces essais de recherche didactique, impulsés par la communauté scientifique sont à l’origine des programmes actuels  pour   l’enseignement  des  sciences  dans  les  écoles  américaines  volontaires.  Toute  une  série  d’ouvrages   très conceptuels  avait  alors  été      publiée ;  ouvrages  qui   inspireront  d’ailleurs   la   recherche   française  (  M. Paulin  dira 

53 G. CHARPAK, L’alphabétisation scientifique des enfants, Spécial recherche en éducation­ Fenêtre sur cours n° 114 nov.199654 cf. annexe155 J. PIAGET, Psychologie et pédagogie,  Denoël/Gonthier, 196956 J. BRUNER The process of education, Harw.Univ. Press 1961

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IDEM 60 ­ 80notamment que ces ouvrages  ont  mis en  lumière  certains grands concepts directeurs,  organisateurs  de  la pensée, importants à travailler avec les élèves). 

  Il est à noter qu’un français,  Goéry Delacôte  qui dirige aujourd’hui le musée des sciences à San Francisco, l’Exploratorium, (musée qui joue un rôle important dans la formation des instituteurs américains), était par ailleurs en rapport  avec  les groupes de recherche sur  l’enseignement des sciences en France,  dans  les années 80,  (   Il   fut  en particulier   le directeur de thèse  de  J.L.  Martinand,  chercheur à   l’INRP).  Dès  les  années  70­80,  des  allers­retours avaient lieu entre les deux côtés de l’Atlantique. 

Plusieurs programmes dans un système contractuel

Comment concrètement s’est organisé ce système dans les écoles américaines ? Le système scolaire américain étant très décentralisé, il y a eu plusieurs programmes différents. L’un avec L. Lederman qui négocie école par école de manière indépendante et signe un contrat seulement si 70% des instituteurs sont favorables à son programme. Ainsi à Chicago, en 1998, sur 400 000 élèves, 40 à 50 000 élèves sont dans le système Lederman.

  Par contre à Pasadena, c’est un autre programme, financé en partie par l’Etat de Californie, qui est proposé par un institut de recherche scientifique très en pointe, celui de CALTECH. Ce programme, Science for Early Educational Development a pour initiales  SEED57  (qui veut dire « graine » en anglais). Les chercheurs se sont personnellement investis ; ils ont créé un pavillon pour la formation des enseignants ; des enseignants spécialisés y ont été détachés ; des mallettes de matériel ont été conçues pour les maîtres et leurs élèves. A Pasadena, les 25 000 élèves que compte l’école publique,  adhèrent  à   ce  programme.   Il   s’agit   là  de  quartiers  particulièrement  déshérités  dans   la  banlieue  de  Los Angeles, avec un public essentiellement hispanophone. 

La responsabilité  de  l’enseignement des sciences est du ressort du maître de  la classe ; ce qui est  considéré comme fondamental et c’est pour cela que les enseignants sont particulièrement soutenus dans ce programme (matériel et formation)58.

  D’autres expériences sont menées, comme par exemple à Boston, où un autre programme se construit auprès d’élèves plus favorisés.

Un système soutenu par de gros moyens

. Moyens en formation : Lorsqu’un contrat est signé, un centre de pilotage intervient pour former les instituteurs et fournir des remplaçants, le temps de la formation. Un moniteur peut ensuite être mis à la disposition de l’école en cas de difficultés rencontrées par les enseignants. (A Pasadena59, des stages d’une semaine pendant les vacances sont organisés à l’institut scientifique, la 1ère  année, avec le suivi d’un formateur deux fois par semaine. La 2ème  année le formateur vient seulement en cas de besoin et la 3ème  année, ils font partie d’un groupe de travail pédagogique).

. Moyens didactiques :  Le contenu des programmes est élaboré par des groupes composés de scientifiques de haut niveau. Les méthodes d’enseignement sont élaborées avec le plus grand soin 60.

. Moyens politiques et financiers : Cette expérience a été largement soutenue par la bureaucratie de Washington et  par   la  National  Science  Foundation  qui   joue aux Etats Unis  un peu le  rôle  du Centre national de  la  recherche scientifique en France. Celle­ci dispose d’un budget annuel de trois milliards de francs pour aider au développement de l’enseignement scientifique, mais seulement pour ceux qui sont en rapport avec les projets proposés, ce qui est, bien sûr, une façon d’encourager fortement les écoles et les Etats.

Quelle démarche pour une école très décentralisée ?

Aux USA, l’école très décentralisée, est un lourd handicap lorsque l’on veut entreprendre des réformes. C’est pourquoi il a fallu contacter chaque école. Pour donner plus de solidité à ce projet, le système a été organisé de bas en haut,   de   façon   très   dirigée.   Par   exemple,   toutes   les   classes   inscrites   dans   le   système  Lederman  ont   les  mêmes programmes de physique, biologie, géologie, et autres sciences de la nature à raison de 1 heure par jour, 5 jours par semaine.

Un système procurant des outils

Tous les deux mois,  les instituteurs reçoivent une caisse avec du matériel pour 36 élèves et un manuel. Ce manuel est si précis qu’il dispense, paraît­il, l’enseignant de tout effort pour concevoir l’organisation des leçons. « Il y avait une véritable colonne vertébrale qui étaient injectée dans l’école. »  (G. Charpak)61. Les enseignants sont formés à partir de ces mallettes.

  Le gouvernement appuie fortement ces initiatives et à sa demande, le National Research Council, bras séculier de l’Académie des sciences, a réalisé, après cinq années de travail, un guide pour tous les enseignants qui se lancent 

57 cf annexe 258 cf. Annexe59 cf annexe 360 cf. annexe61 G. CHARPAK, « A propos de la main à la pâte », Actes du colloque, BNF,INRP,30,31 janvier 1999.

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IDEM 60 ­ 80dans l’aventure.

Une démarche centrée sur l’activité de l’enfant

Les  enfants   réalisent  eux­mêmes  les  expériences  avec   le  matériel   fourni.  Chaque enfant  possède  un  cahier d’expériences qu’il rédige seul et sur lequel il doit :

­ noter les mots nouveaux­ répondre à la question posée avec les mots adéquats­ dessiner l’expérience

Ces cahiers sont souvent mal tenus en début d’année mais s’améliorent au fur et à mesure. ; ils sont le reflet des apprentissages des enfants. Cette démarche favorise d’autres acquisitions comme la lecture, la production d’écrits, le raisonnement.   L’expression   orale   et   l’argumentation   sont   plus   particulièrement   favorisées   par   le   travail   en   petits groupes.

  On familiarise   les élèves avec la notion d’erreur ( recherche des causes de l’erreur, etc.…), ce qui est jugé capital dans la démarche.

La motivation très forte

Les mises en situation « de faire », semblent passionner les enfants. Ce bonheur d’apprendre dont font preuve les élèves, apparaît comme un levier essentiel de la motivation.

Le système américainLe système américain : points forts, points faibles: points forts, points faiblesAvant de voir comment ce système sera transposé en France, recensons les points forts et les points faibles de ce 

système.

Les points forts

­ Les moyens financiers  sont très importants pour les écoles volontaires ; mais aussi  les moyens humains (personnel détaché), les moyens matériels (mallette, fiches…), les moyens en formation (heures   dégagées   pour   le   travail   en   groupe   des   enseignants,   accompagnement   par   des scientifiques…) 

­ Le soutien de la communauté scientifique : les moyens didactiques  sont assurés grâce au soutien et au concours de la communauté scientifique qui s’est beaucoup impliquée dans l’élaboration des programmes, la conception de « leçon standard » et des mallettes accompagnant ces leçons..

­ Une   pratique   rigoureuse   et   régulière   des   sciences :   le   contrat,   les   programmes,   les   tests, permettent  sans doute dans ce système centralisé  un suivi  au plus près de  l’enseignement des sciences.

­ Le statut de l’erreur ; celle­ci est systématiquement étudiée et en aucun cas considérée comme une « faute ».

Les points faibles

­ Le système hiérarchisé, du haut vers le bas, avec la leçon « clé en main », si elle peut sembler être une facilité pour l’enseignant, dans un premier temps, risque d’être quelque peu rigide. Les classes sont toutes différentes, est­il possible avec ce système de suivre les centres d’intérêt des élèves ? de s’adapter   au   groupe   classe ? Il   semble   pourtant   qu’une   certaine   initiative   soit   laissée   aux enseignants : par exemple, à Pasadena, dans les classeurs mis à leur disposition, ils peuvent insérer leurs propres ajouts. 

­ Le maître considéré comme exécutant, ne risque­t­il pas de perdre une partie de ses initiatives riches et nécessaires, notamment dans sa capacité à réagir aux suggestions des élèves ? Ne risque­t­il pas également de moins s’impliquer dans sa propre préparation, sa propre formation ?

­ Le matériel  « fait pour » peut laisser sous­entendre qu’il soit nécessaire d’utiliser du matériel de laboratoire pour faire des sciences au lieu d’utiliser du petit matériel provenant plus ou moins de la vie courante. 

­ La décentralisation de l’école américaine : Ce système ne concerne que les écoles ayant signé un contrat. Toutes les écoles américaines ne sont pas concernées par la rénovation de l’enseignement des sciences. Donc beaucoup d’enfants ne profiteront pas de cette rénovation.

La transposition du programme «La transposition du programme « Hands onHands on » en France» en France

 Enthousiasmé par cette expérience américaine, Georges Charpak arrive à convaincre le gouvernement français (pourtant à la veille des élections de 1995) d’importer ce programme en France. 

Il faut dire que l’enseignement des sciences à l’école primaire et dans le secondaire se porte mal. En 1996 André Giordan, didacticien des Sciences, pousse un cri d’alarme :  « … si l’on évalue l’enseignement des sciences de manière  globale, c’est la catastrophe…l’école n’apporte pas les compétences attendues en matière de démarche scientifique. Dans le  

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IDEM 60 ­ 80même temps, elle crée de l’ennui et du désintérêt. Le questionnement des élèves diminue au cours de leur scolarité »62

Le lancement de l’idée

Georges Charpak  réussit également à médiatiser ses idées en participant à des émissions de télévision et en répondant à de nombreuses interviews.

  Il est donc envoyé en mission avec de nombreux inspecteurs généraux qui, eux aussi, rentrent convaincus de l’intérêt de l’expérience. L’INRP achète alors tous les manuels américains et fait venir les caisses de matériel pour en évaluer le coût. Ceci pour pouvoir opérer un démarrage en force de cette expérience que G. Charpak baptise « la main à la pâte ». 

  Pierre Léna, directeur de l’INRP, propose autour de ce projet, une réunion aux ‘Treilles’ qui regroupe un public très varié qui se sent concerné (responsables de l’Education Nationale, chercheurs scientifiques, enseignants dans les IUFM et dans les écoles maternelles et élémentaires). Il s’agit de ranimer l’enseignement des sciences à l’école primaire et de réfléchir à sa mise en œuvre pour aider les enfants à construire une démarche autonome, « un peu comparable à  celle des chercheurs ». Les vertus de la pratique scientifique sont mises en avant : « …le raisonnement scientifique offre un puissant moyen d’accroître les capacités de réflexion, d’argumentation et de jugement des enfants »63 

  G. Charpak a repéré un grand avantage de notre système éducatif, sur le système éducatif américain, c’est sa grande centralisation. Avantage indéniable, si l’ambition de « La main à la pâte » est de généraliser cette expérience à l’ensemble des élèves français.

Ne pas copier mais transposer

  Il ne s’agira pas d’une simple transposition de l’expérience américaine puisque le système français est différent. Il y a en effet des programmes nationaux (89 et 95 ), un volume horaire prévu plus restreint pour les sciences que dans les programmes américains, une formation continue parallèle institutionnalisée (non réservée aux sciences) … et sans doute, des pratiques et une culture pédagogiques différentes.

L’équipe de G. Charpak devait  tenir compte de toutes  ces différences et proposer aux écoles volontaires d’abord, un projet qui soit adapté et cohérent. 

«« La main à la pâteLa main à la pâte », mise en place », mise en place

  L’enjeu est de taille. L’Education Nationale a quelque peu bafouillé en matière de programmes et d’instructions officielles quant à l’enseignement des sciences à l’école primaire pendant plusieurs décennies jusqu’aux programmes de 1995. Les enseignants ont­ils eu du mal à s’y retrouver depuis l’abandon de la leçon de choses puis des activités d’éveil? Toujours est­il  que  les sciences sont paraît­il,  globalement,  très peu ou très mal enseignées et qu’il  y a urgence à proposer  une démarche  claire,  des  objectifs,  des  contenus,  des  outils… pour  promouvoir  une véritable  éducation scientifique dès l’école élémentaire.

Comment conduire une opération d’une telle envergure, d’une telle ambition ?Il   s’agira   de   rechercher   une   adaptation   du   système   américain   au   système   français,   par   des   propositions 

susceptibles d’être acceptées et comprises par les enseignants de l’école primaire. Une expérimentation prudente et progressive de l’opération, soutenue par l’Education Nationale et par de gros moyens pédagogiques et logistiques est proposée aux écoles volontaires sous le label de « La main à la pâte ». Mais s’agit­il seulement d’une transposition de l’expérience américaine ? 

Le début de l’expérimentation

En avril 1996, un séminaire réuni au Futuroscope de Poitiers lance l’opération qui fonctionne d’abord à titre expérimental. La  DIV  (délégation interministérielle à la ville) s’implique dès le début de l’opération en donnant de l’argent  et  s’affirme comme un partenaire  efficace et   incontournable  (première  nouveauté   française).  Au cours de l’année 1996/97, 334 classes volontaires issues de 5 départements, s’engagent dans le dispositif. Les Bulletins officiels des 21 mars et 5 septembre 1996 présentent l’action :

La main à la pâte est essentiellement un dispositif au service d’une démarche constructiviste d’appropriation des savoirs par l’exploration et l’expérimentation, tout en exploitant et en consolidant la maîtrise des langages, avec un accompagnement  (personnes ressources, du matériel, des outils pédagogiques) et  un dispositif  (stages, colloques, dispositifs départementaux). L’INRP sert de soutien logistique à la réflexion pédagogique.

Les premiers succès

En 1997/98 de nouveaux départements rejoignent les premiers avec 4000 classes supplémentaires. Pour clarifier l’engagement volontaire et éviter les dérives, une charte en 10 principes est élaborée et diffusée.

  A la rentrée 1998, le département de la Seine­Saint­Denis entre également dans le projet. Il faut dire qu’est ici 

62 A. GIORDAN, L’enseignement des sciences, spécial recherche en éducation, Fenêtre sur cour n°114, novembre 199663G. CHARPAK, La main à la pâte, les sciences à l’école primaire, Flammarion,1996  

 

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IDEM 60 ­ 80mis en avant   la  possibilité  d’améliorer   le  comportement  social  des  publics   scolaires  difficiles,  par   la  pratique  des sciences.

Cette opération se révèle être une véritable réussite. Plus de 5000 enseignants adhèrent au projet, 15% des écoles sont connectées au site Internet ( avec plus de 10 000 visites au premier semestre 1999, et fin mars 2000, et 210 000 fin 2000 !).  Pour 1999/2000, en réponse à un nouvel appel d’offre, trois nouveaux départements, dont Paris, s’engagent massivement, et 31 de façon plus restreinte. 

Comment expliquer cet engouement ? La première hypothèse est l’importance des moyens mis en œuvre qui va convaincre nombre d’enseignants de la faisabilité et de l’intérêt d’un tel enseignement, la deuxième est plus subtile : le terrain de l’enseignement des sciences en France n’est pas vierge ; la démarche préconisée n’est pas toute nouvelle.

Convaincre de la validité de la démarche

La démarche pédagogique

La   démarche   proposée   est   clairement   présentée :   elle   privilégie   la   construction   des   connaissances   par l’exploration,   l’expérimentation   et   la   discussion.  C’est   une   pratique   de   la   science   en   tant   qu’action,  interrogation, investigation,   expérimentation,   construction   collective   qui   est   visée   et   non   pas   l’apprentissage   d’énoncés   figés   à mémoriser. (Nous retrouvons ici l’esprit des instructions de 1923)

Les élèves réalisent eux­mêmes des expériences  pensées par eux et discutent pour en comprendre l’apport.  On apprend par l’action, en s’impliquant ; On apprend progressivement en se trompant ; On apprend en interagissant avec ses pairs et avec de plus experts, en exposant son point de vue, en le confrontant à d’autres points de vue et aux résultats expérimentaux pour en tester la pertinence et la validité. (On retrouve ici le  constructivisme  de J. Piaget enrichi de l’interactionnisme de Vigotski)

L’enseignant propose,  éventuellement à  partir  d’une question d’élève, des situations permettant  l’investigation raisonnée ; il guide, il fait expliciter et discuter les points de vue ; il fait énoncer des conclusions valides par rapport au savoir scientifique ; il gère des apprentissages progressifs.

Convaincre de la faisabilité

Imposer d’en haut ne suffirait pas si ce qui est visé concerne l’évolution des pratiques ; il vaut mieux convaincre. L’accent est mis sur la démarche : elle est totalement en rupture avec celle de  la leçon de choses, telle qu’elle était pratiquée dans les années 60/70 ; elle reprend à son compte les recherches en didactique des années 70, mais pour aider les enseignants, la démarche expérimentale est clarifiée et structurée selon des moments­clés repérés :

­ 1. Mise en place d’une situation proche de l’intérêt de l’enfant avec questionnement libre.­ 2. A partir de ce questionnement, formuler un problème scientifique­ 3. Faire émerger les représentations initiales des enfants au sujet de ce problème­ 4. Organiser la confrontation des idées des enfants, lister les hypothèses d’explication,­ 5.  Rechercher des données pour savoir qui a raison et mettre en place des activités  par petits 

groupes : Observation, expériences, mesures …­ Recherche documentaires, enquêtes …­ Comparaison, classement, identification …­ 6.  Mise   en   commun   et   temps  de   synthèse  pour   construire   un   système  explicatif   opératoire : 

Résumé, tableau, schéma, maquette, etc…Un engagement volontaire est proposé ; et pour éviter les dérives, cet engagement se fera sur la base d’une 

charte contenant 10 principes.

Les 10 principes de la charte64

On retrouve ici l’idée américaine du contrat qui engage l’enseignant. Celui­ci ne participe au projet que s’il est d’accord pour respecter les principes suivants (seuls les six premiers étant obligatoires) :

1. Les   enfants   observent   un   objet   ou   un   phénomène   du   monde   réel,   proche   et   sensible   et expérimentent sur lui.

2. Au cours  de  leur   investigation,   les enfants argumentent  et   raisonnent,  mettent  en commun et discutent  leurs  idées et   leurs résultats,  construisent  leurs connaissances,  une activité  purement manuelle ne suffisant pas.

3. Les   activités   proposées   aux   élèves   par   le   maître   sont   organisées   en   séquences   en   vue   d’une progression   des   apprentissages.   Elles   relèvent   des   programmes   et   laissent   une   large   part   à l’autonomie des élèves.

4. Un   volume   minimum   de   deux   heures   par   semaine   est   consacré   à   un   même   thème   pendant plusieurs semaines.  Une continuité  des activités et des méthodes pédagogiques est assurée sur 

64 A. AJCHENBAUM, I. CATALA, B. DESBEAUX­SALVIAT, S. ERNST, D. JASMIN, C. LARCHER, Y. RENOUX, E. SALTIEL, Enseigner les sciences à l’école maternelle et élémentaire, L’opération La main à la pâte, guide de découverte, Académie des sciences, INRP, Ministère de l’éducation nationale, de la recherche et de la technologie, INRP, Paris, 1999.

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IDEM 60 ­ 80l’ensemble de la scolarité.

5. Les enfants tiennent chacun un cahier d’expériences avec leurs mots à eux.6. L’objectif majeur est une appropriation progressive, par les élèves, de concepts scientifiques et de 

techniques opératoires, accompagnée d’une consolidation de l’expression écrite et orale.7. Les familles et/ ou le quartier sont sollicités pour le travail réalisé en classe.8. Localement, des partenaires scientifiques (université, grandes écoles) accompagnent le travail de la 

classe en mettant leurs compétences à disposition.9. Localement,   les   IUFM   mettent   leur   expérience   pédagogique   et   didactique   au   service   de 

l’enseignant.10. L’enseignant peut obtenir auprès du site Internet  (http://www.inrp.fr/lamap/) des 

modules à mettre en œuvre, des idées d’activités, des réponses à ses questions. Il peut  aussi   participer   à   un   travail   coopératif   en   dialoguant   avec   ses   collègues,   des  formateurs, des scientifiques.65

Le maître dans cette relation conserve la responsabilité pédagogique de sa classe et des apprentissages qui y  sont visés.

Les six premiers principes concernent la démarche pédagogique pour bien situer le cadre didactique qui est ici retenu. 

Le point 5 et le point 8 sont nouveaux et inspirés du système américain : le partenariat scientifique est un point fort du programme « Hands on » [et le point 7 est original et inédit dans la reconnaissance officielle d’un partenariat, bien que la participation des parents ait de tout temps, été sollicitée par l’école].

  Enfin, le dernier point nous semble le plus intéressant, il est nouveau et totalement français :  il invite aux échanges sur Internet ; des échanges à la fois entre collègues mais aussi avec des scientifiques, [Le terme coopératif est même employé ; il ne vient pas du programme américain] !

De gros moyens mis en place

Georges Charpak avait bien vu qu’une des conditions de la réussite était de s’en donner les moyens. Pour ce faire, deux stratégies vont être utilisées conjointement : obtenir le soutien de l’institution d’une part et convaincre le maximum   d’enseignants   de   la   validité   de   la   démarche   grâce   à   une  médiatisation  de   grande   ampleur   utilisant notamment l’Internet (outil technologique de première importance pour les années 2000, s’il en est !).

Des moyens financiers et d’assistance pour les classes engagées volontaires

Des avantages financiers ont été consentis sous forme de subvention (à hauteur de 1500F par classe), à investir en matériel et documentation. Les classes volontaires bénéficient également du dispositif d’accompagnement prévu par chaque département.

Des moyens pédagogiques

Il   y   a   eu   les   bulletins   officiels,   les   brochures   de   présentations   de  « La   main   à   la   pâte »,   mais,   ce   n’était évidemment pas suffisant.

­ Une nouvelle brochure intitulée : guide de découverte  a été envoyée dans les inspections (oct. 99) pour être largement diffusée auprès des enseignants. Ce guide : « enseigner les sciences à l’école  maternelle et élémentaire » présente l’opération de façon détaillée. Il est accompagné d’un cédérom, copie du site Internet, qui contient des fiches de connaissances, élaborées par l’Inspection Générale, pour les maîtres et correspondant aux différentes parties du programme.

­ Le matériel  préconisé est simple mais pour ceux qui ne sont ni récupérateurs ni bricoleurs, des mallettes pédagogiques sont proposées et mises sur le marché, par des éditeurs privés. Il faut donc les acheter.

­  L’accompagnement des scientifiques est une idée neuve venant des Américains. Elle peut donner le  sentiment d’une certaine sécurité  aux enseignants qui craignent parfois  de ne pas  maîtriser suffisamment les savoirs scientifiques et ont peur d’être mis en difficulté par certaines questions des élèves.

­ Le cédérom est une copie du site Internet de  La main à la pâte,  en date du 1er  septembre 99, il permet   de   consulter   une   quantité   de   documents   directement   utilisables   pour   faire   la   classe (activités,  contenus scientifiques,  conseils  pédagogiques,  etc. ).  Ce cédérom est  conçu pour  les écoles non encore connectées, il permet de consulter le site qui est déjà très fourni, (sans proposer les mises à jour hebdomadaires) en même temps qu’il permet une familiarisation avec l’utilisation du site Internet de La main à la pâte.

­ Un outil technologique vecteur des échanges : Ce qui est ici mis en place avec Internet est à mon sens un des éléments les plus novateurs. On peut s’informer, trouver des aides pédagogiques mais 

65  Enseigner les sciences à l’école maternelle et élémentaire, l’opération La main à la pâte, guide de découverte, op. cité

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IDEM 60 ­ 80on peut aussi intervenir, faire des remarques, apporter des compléments, questionner le réseau de consultants   scientifiques   ou   pédagogiques,   participer   en   quelque   sorte,   à   l’élaboration   et   au perfectionnement de cet outil de communication. Car il est possible également de contribuer au site en envoyant ses propres propositions d’activités …On peut également s’abonner à la  liste de diffusion. Cette liste est conçue comme un lieu de réflexion, elle permet d’entrer en communication avec d’autres collègues enseignants qui pratiquent les sciences en classe et veulent échanger. Ces échanges ont donc lieu par le biais de la messagerie électronique. [Nous sommes ici en droite ligne avec les échanges coopératifs entre adultes tels que les concevaient un pédagogue bien français Célestin Freinet. ]

Le soutien de l’Institution et de la communauté scientifique

Au niveau national est prévu un groupe de pilotage qui dépasse la seule Education Nationale et qui est élargie à la communauté   scientifique (idée originale prise  au programme américain :  Hands on) et,  nouveauté   française,  la politique de la ville est associée à l’expérience dés le début.   Ce groupe de pilotage comprend des représentants de :

­ la direction de l’enseignement scolaire,

­ la direction de la technologie,

­ l’Académie   des   sciences,  (des   membres   sont   impliqués   dans   l’appui   aux   écoles,   aux circonscriptions, aux IUFM, participation aux colloques, rencontres, etc.)

­ l’Institut National de recherche pédagogique,  (site Internet, mallettes pédagogiques, brochures, cédérom, actions de formation, etc.…  

­ l’Inspection Générale de l’éducation Nationale,

­ la conférence des directeurs d’IUFM,

­ la délégation interministérielle à  la ville   (souci d’un partenariat efficace entre les écoles et les communes) .

Au niveau de chaque département, des réseaux de terrain doivent être constitués autour   des  IUFM, avec des conseillers pédagogiques pour aider et favoriser le travail entre enseignants. Pour convaincre, il faut que l’opération semble faisable et cela même lorsque le maître n’a pas de connaissances scientifiques très élaborées. Il s’agit donc de mettre à disposition de l’enseignant des aides et des outils facilement accessibles.

Cette opération de « la Main à la pâte » a bien quelques similitudes avec le système américain (que nous avons repérées), il y a des emprunts au niveau de l’implication de la communauté scientifique, au niveau des moyens, la démarche est assez proche, certes, mais il y a trop d’ajouts qui nous rappellent ‘quelque chose’, les instructions de 1923 …entre autres, mais pas seulement.

Et puis  cette démarche  d’investigation et d’expérimentation par les enfants eux­mêmes est­elle si nouvelle ? Nous vient­elle véritablement d’outre atlantique ? Ou bien ne faisait­elle pas déjà partie de notre culture pédagogique ? C’est ce que nous nous proposons d’aller rechercher. 

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IDEM 60 ­ 8044 EENTRENTRE LALA LEÇONLEÇON DEDE CHOSESCHOSES ETET ‘ ‘LALA MAINMAIN ÀÀ LALA PÂTEPÂTE’’

Est­ce à dire qu’il ne s’était rien passé de novateur en France dans l’enseignement des sciences à l’école primaire depuis la leçon de choses telle qu’elle était caricaturée dans les années 60/70 ? 

Si l’on se réfère aux instructions de 1923, la leçon de choses, ne pouvait­elle prendre un autre chemin ?

La leçon de chosesLa leçon de choses : un autre chemin: un autre chemin

Nous avons vu la diversité des modèles issus de l’esprit des leçons de choses. Il nous semble donc intéressant de retourner du côté des pédagogies nouvelles, notamment du côté du mouvement Freinet, pour voir comment ont été interprétées les méthodes actives. 

Les idées de la pédagogie nouvelle et Célestin Freinet Les idées de la pédagogie nouvelle et Célestin Freinet

En introduisant  la leçon de choses  à l’école primaire, Jules Ferry, nous l’avons vu, s’inspirait de  Rousseau, de Pestalozzi, des Américains comme J. Dewey dont le concept­clé était qu’il fallait partir de l’enfant. Un autre concept­clé en découlait :  les  méthodes actives.  Pour Luc Bruliard et Gérald Sclemminger ces deux grands concepts66,  qui vont souvent ensemble, sont à la base de la pédagogie moderne, élaborée au début du siècle.

La   méthode   sous   tendue   par   la   leçon   de   choses,   fait   clairement   référence  aux  méthodes   actives   dans   les instructions de1882/87 aussi bien que dans celles de 1923 et encore plus en 1938. Pourtant, nous en avons vu les différentes interprétations.

Or   il   existait   d’autres   interprétations   des  méthodes   actives  plus   en   rapport   avec   l’esprit   des   textes   et   qui impliquaient d’autres conceptions des apprentissages. Ce que nous constatons en nous tournant vers les mouvements de pédagogie nouvelle.

Les   spécialistes   des  méthodes   actives  se   retrouvent   surtout   dans   les   mouvements   proches   de   l‘ « Education Nouvelle », qui vont creuser à leur manière ce nouveau concept pédagogique. Notons dans cette mouvance, l’émergence d’un certain nombre de méthodes :

­ Adolphe  Ferriére  et  l’école active,  pour qui, l’expérience, l’activité manuelle et pratique sont au centre de la pédagogie.

­ Célestin Freinet et l’Ecole moderne (que nous étudierons plus particulièrement) ­ La méthode d’O. Decroly avec l’implication de l’enfant dans le rapport social et la méthode globale 

de l’apprentissage de la lecture­ la méthode de M. Montessori qui consiste en la construction de matériel pédagogique adapté aux 

enfants.­ La   méthode   de  R.   Cousinet  qui   organise   le     travail   libre   par   groupe   et   propose   un   travail 

coopératif.­ Etc.

Célestin Freinet et les méthodes actives

Il faut dire quelques mots de l’homme, sans s’étendre abusivement. Né à Gars en 1896, Célestin Freinet, est gravement blessé pendant la guerre en 1917. Il ne reprendra son métier 

d’instituteur qu’après quatre ans de convalescence difficile et une invalidité à 70%. Cette expérience sera fondamentale dans son parcours   intellectuel de  jeune  instituteur  idéaliste,  profondément humaniste,  choqué  par   la guerre ;  son engagement politique sera l’illustration de cet idéal : proche du mouvement pacifiste, un temps du parti communiste, c’est un militant syndicaliste de la Fédération Unitaire de l’Enseignement (majoritairement anarcho­syndicaliste) ; il se sent du côté  des gens simples du peuple et aspire au développement  d’une « école populaire ».  Son rêve sera de changer la société en changeant l’école. 

On le voit participer dès 1923, au congrès de la Ligue internationale pour l’Education Nouvelle, dont la branche française deviendra en 1929 le GFEN (Groupe Français d’Education Nouvelle). Le congrès a lieu à Territet­Montreux. C’est   là   qu’il   rencontre   notamment  Adolphe  Ferrière  dont   le   livre  « L’école   active »  a   été   une   de   ses   premières références. 

  Il visite des écoles à l’étranger, en URSS (où il rencontre des pédagogues dans le plein bouillonnement d’une révolution   russe   encore   jeune   et   imaginative),   …Il   s’inspire   de   ces   expériences   pour   repenser   la   pédagogie   en s’appuyant également sur ses propres pratiques de terrain, il innove…

Les grandes lignes de la pédagogie de l’Ecole moderneComment opérationnalise­t­il les méthodes actives, en partant de l’intérêt des enfants ? 

Les éléments novateurs de sa pédagogie sont :  la correspondance scolaire  (dès 1924),  l’imprimerie  (1926) 

66 L. BRULIARD et G. SCHLEMMINGER, Le mouvement Freinet : des origines aux années quatre­vingt, L’harmattan, 1996, p. 89­115

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IDEM 60 ­ 80avec  l’édition  des   textes  d’enfants  dans  une   revue :  ‘la   gerbe’  (1927)  pour  une  plus   large  diffusion  auprès  des collègues et des classes intéressées (ce qui permet l’établissement d’un vaste réseau d’échange), le travail individualisé en autonomie (inspiré d’une méthode américaine : le plan  Dalton) avec des fichiers autocorrectifs et progressifs. Le fonctionnement de la classe se fera dans le cadre d’une gestion coopérative avec des rôles sociaux de responsabilité pour les élèves. «  On prépare la démocratie par la démocratie à l’école. »

Les enfants doivent pouvoir apprendre par eux­mêmes, à partir de sujets qui les intéressent et faire profiter de leurs recherches d’autres classes qui sont intéressées. Pour pouvoir éditer, fabriquer du matériel, le diffuser, il crée la Coopérative d’Enseignement Laïc, la CEL (1928). C’est par elle que sont publiées des fiches documentaires à l’intention des élèves sur toutes sortes de sujets (histoire, géographie, sciences…) ainsi que les fichiers autocorrectifs. Puis en 1932, des brochures documentaires sont élaborées puis éditées : les « Bibliothèque de Travail » ou BT (collection qui existe toujours). la CEL deviendra plus tard les  PEMF (1986).

Puis en 1947  il crée un  mouvement pédagogique distinct de la CEL, qui   s’appelle désormais l’ICEM (Institut Coopératif de l’Ecole Moderne) auquel il se consacrera jusqu’à la fin de sa vie (le 8 octobre 1966)  

  Il a, au départ, une autre conception de l’enfant qui est un être humain en devenir, à respecter comme tel, à éduquer, à la responsabilité et à l’autonomie, en futur citoyen, avec des valeurs d’entraide et de solidarité. Quoi de plus judicieux, de plus efficace, sur le plan pédagogique, que de partir des centres d’intérêt de l’enfant et de le rendre acteur, auteur, chaque fois que cela est possible. Les méthodes actives s’imposent dans cette conception.

Pour Célestin Freinet il s’agit d’enseigner autrement et le fonctionnement de la classe, selon les éléments présentés plus haut va se trouver considérablement modifié.

Un moteur pour une évolution des démarches pédagogiques en sciences

Ces modifications dans le fonctionnement de la classe vont avoir de profondes répercussions.

Pierre Clanché    (professeur en sciences de l’éducation à  Bordeaux) fait   la remarque suivante 67:   « Une des intuitions centrales de Freinet, continuellement corroborée par l’expérience peut se résumer ainsi : l’introduction progressive  et   raisonnée   dans   une   classe   de   techniques   radicalement   nouvelles   (…)   induit   un   certain   nombre   d’effets   sur   le comportement des enfants et l’atmosphère de la classe et conduit à une perpétuelle interrogation sur le fonctionnement de  l’institution scolaire et sur les modalités d’appropriation du savoir » 

Célestin Freinet, nommé à Bar sur Loup (en 1920), organise très vite « les classes promenades » encouragées par les   IO de  1923,  mais,   très  vite  aussi,   il   constate  que   la   richesse  de   leur  exploitation,  met  plus  en   relief   encore l’inefficacité et l’ennui des leçons magistrales et des méthodes ‘mécaniques’.

Freinet et l’apprentissageFreinet et l’apprentissage : le tâtonnement expérimental: le tâtonnement expérimental

  Ces grandes options pédagogiques remettaient en effet, complètement en question les modèles d’apprentissage de l’époque et notamment la « leçon » traditionnelle : «  … la tare essentielle de la ‘leçon’,  c’est d’être administrée par le maître qui sait ou prétend savoir, à des élèves qui sont censés tout ignorer. Il  ne viendrait à l’idée de personne de penser que l’enfant, avec ses expériences propres et ses connaissances diverses et diffuses, a lui aussi à renseigner le maître. » « Nous ajouterons d’ailleurs que nul ­maître ou enfant­ n’aime être considéré comme ignorant ; tout être  humain veut connaître et progresser, mais par des voies plus efficaces et qui lui sont personnelles. »68 

  C. Freinet a de nouvelles conceptions sur les apprentissages, qui découlent du fonctionnement de sa classe et en retour, le justifient ; il pense que les connaissances s’élaborent de façon progressive, la pensée de l’enfant se construit par approximations successives et par différenciation de plus en plus fine. Pour lui le moteur de l’apprentissage c’est le tâtonnement expérimental, processus unique, essentiel, universel.

Le tâtonnement expérimental et la démarche scientifique

  Freinet  est   ici   l’héritier   des   courants   pédagogiques   qui   depuis   la   Renaissance   (surtout   dans   les   milieux protestants) ont privilégié l’activité des élèves mais il ne s’appuie sur aucune théorie psychologique ou pédagogique précise.  Sans doute,   fait­il  de nombreux emprunts et  s’inspire­t­il  des pédagogues novateurs rencontrés à   la  Ligue Internationale pour l’Education Nouvelle. Plus sûrement, il se fie à une intuition issue de sa pratique et de l’observation de ses élèves.

  Quel est  le rapport  entre le tâtonnement expérimental et   la science ? Dans un texte,   l’un des rares textes théoriques, il rattache le tâtonnement expérimental à sa théorie de la connaissance : «  Notre théorie psychologique du tâtonnement expérimental, … est critiquée et rejetée de parti pris par ceux qui … la considèrent comme s’opposant à la  science(…) il n’y a nullement opposition entre les méthodes scientifiques et le tâtonnement expérimental. C’est le progrès  scientifique qui se fait par tâtonnement expérimental. »

67 P. CLANCHE, « Que reste­t­il des grands ancêtres ? » in Le monde de l’éducation nov. 96 , 

68 C. FREINET, Technique Freinet de l’école moderne. A. Colin 1964.

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IDEM 60 ­ 80« C’est  en marchant  que   l’enfant  apprend à  marcher ;   c’est   en parlant  que  l’enfant  apprend à  parler ;   c’est   en 

dessinant qu’il apprend à dessiner. Nous ne croyons pas qu’il soit exagéré de penser qu’un processus si général et si universel  doive être exactement valable pour tous les enseignements, le scolaire compris. »

« Encore  faudrait­il,   certes,  avant  de critiquer  notre  audace,  comprendre parfaitement  ce  qu’est   ce   tâtonnement  expérimental, qu’on confond très souvent avec la pratique des essais et des erreurs et qu’on croit mû souverainement par un hasard qui ne ferait fond sur aucune fixation des acquisitions.

Nous   apportons   un   élément   nouveau   à   cette   pratique   des   essais   et   des   erreurs :   c’est   la   perméabilité   à l’expérience. »69

Il  préconise  donc d’utiliser  cette  démarche qui  est  à   la  base  de  tous   les  apprentissages : « Laissez   l’enfant   tâtonner,  allonger   ses   tentacules,   expérimenter   et   creuser,   enquêter   et   comparer,  fouiller livres et fiches, plonger sa curiosité dans les profondeurs capricieuses de la connaissance, à la  recherche parfois ardue de la nourriture qui lui est substantielle. »70

Il s’agit de favoriser  la libre découverte par les enfants des grandes lois de la science. Pour cela, il faut beaucoup expérimenter, observer, comparer, poser des questions, imaginer des hypothèses. Cependant Freinet n’est guère précis quant au déroulement de cette démarche :  « Il y aura à  examiner le nombre, l’ordre et le rythme d’acquisition de ces  expériences tâtonnées. »

André  Giordan  regrette que Freinet n’ait pas poussé   plus avant cette intuition pour construire une véritable démarche scientifique : « Il est dommage que Freinet n’ait pas pu ou n’ait pas pris le temps de corroborer ses idées. Il les  aurait   certainement   enrichies.   Il   aurait   vu   très   rapidement   les   possibilités   mais   aussi   les   limites   du   tâtonnement expérimental »71 

Les limites du tâtonnement expérimental

Les recherches actuelles dans le domaine de la psychologie cognitive, de la didactique et de l’épistémologie des sciences, confirment bien que la pensée d’un apprenant ne se comporte nullement comme un système d’enregistrement passif, que la vérité ne saute pas aux yeux, que la connaissance ne s’imprime pas telle quelle, comme sur un disque vierge.  L’élève mobilise des savoirs déjà   là.  Mais,  ces savoirs mobilisés sont  parfois  erronés et  appartiennent à  un système explicatif élaboré par l’enfant : ce sont les représentations spontanées qu’A. Giordan appelle des conceptions. 

« En effet,  pour qu’il  y ait  compréhension d’un modèle  ou mobilisation d’un concept,   l’ensemble de la  structure  mentale de l’élève doit être réorganisé. A cette fin, une véritable stratégie conceptuelle doit être mise en place par l’élève et  lui seul peut aller à l’encontre de ses conceptions tout en s’appuyant sur ces dernières.

Dans ce contexte, le tâtonnement expérimental s’il peut être un moteur au départ devient rapidement caduc car il  ne permet pas le dépassement des obstacles. »72

  Il   faut  donc envisager  une  hypothèse  pédagogique complémentaire  pour  permettre  à   l’enfant  d’apprendre contre un processus d’explication erroné mais présent dans sa pensée. 

Les interprétations du tâtonnement expérimental

Ce flou laissé par C. Freinet autour de ce concept central qu’était le tâtonnement expérimental a donné lieu à des interprétations différentes :

1. Le tâtonnement expérimental entièrement libre  laissant la priorité absolue à l’activité des élèves qui expérimentaient, certes,  mais dont les recherches ne débouchaient pas forcément, avec une position du maître très en retrait qui ne prenait pas en compte la structuration ni l’acquisition de connaissances. Ce fut une des dérives que l’on trouva dans certaines classes. Du moment que les élèves avaient expérimenté, peu importait le résultat.   Il   va   sans   dire   que   cette   interprétation   était   loin   de   la   conception   des apprentissages qu’avait Freinet, qui ne concevait pas que des connaissances puissent se construire au hasard « sans aucune fixation des acquisitions ».

2. Le tâtonnement expérimental au service d’une construction des savoirs avec un rôle important dévolu au maître comme garant des apprentissages structurés en fonction d’un savoir scientifique maîtrisé. C’est en effet le maître qui lors de la mise en commun, provoque, conduit une organisation des résultats trouvés par les élèves dans le but d’une élaboration des connaissances. 

69 C. FREINET, Les méthodes naturelles dans la pédagogie moderne, Bourrelier, 195670 C. FREINET , Les dits de Mathieu – Delachaux et Nestlé 196771 A. GIORDAN, De la pédagogie Freinet au modèle allostérique, in Mises à jour et perspectives, sous la direction de P. CLANCHE, Presse universitaire de Bordeaux, 1994.72 A. GIORDAN, ibidem

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IDEM 60 ­ 80  Cette deuxième option, bien plus exigeante mais aussi plus féconde fut celle de la majorité des enseignants 

héritiers de Freinet qui participèrent à la recherche dans les chantiers ICEM­sciences. C’est  à  ceux­là  que nous nous  intéresserons car  c’est  eux que nous rencontrerons au croisement  des divers 

chemins de la recherche et qui participeront à l’élaboration d’une véritable culture pédagogique de l’enseignement des sciences en France.

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IDEM 60 ­ 8055 LLAA CROISÉECROISÉE DESDES CHEMINSCHEMINS

Existerait­il  des   liens qui pourraient  nous mener  du  tâtonnement expérimental  vers  la  démarche d’éveil ?  Les mouvements de pédagogie nouvelle n’auraient­ils pas préparé le terrain à la recherche en didactique en sciences qui a construit   la démarche d’éveil des activités scientifiques, dans les années 70­80 ? Recherche aujourd’hui oubliée, décriée ou largement minimisée. 

Pourtant, une minorité d’enseignants étaient bien et depuis longtemps plus en avance que les groupes américains de Lederman. Ce que G. Charpak a  découvert ultérieurement et qu’il a eu l’honnêteté de reconnaître : « Après m’être exprimé à  la télévision, j’ai reçu de nombreuses lettres d’instituteurs et j’ai découvert qu’il y avait en France beaucoup  d’expériences isolées de très haute qualité ».

Des   recherches   antérieures,   m'avaient   amenée,   à   rencontrer     certains   acteurs   de   ce   morceau   d’histoire, instituteurs, professeurs obscurs qui pourtant ont eu un rôle important. Nous nous intéresserons plus particulièrement à quelques­uns uns de ces enseignants là, qui, pour certains, étaient héritiers de Célestin Freinet, et qui ont travaillé à construire un autre modèle d’enseignement des sciences en France.

Les chantiers ICEM-sciences, les BT et la rechercheLes chantiers ICEM-sciences, les BT et la rechercheC’est après ce détour qui visait à replacer la démarche de Freinet dans son contexte, que nous pouvons présenter 

l’évolution de cette démarche dans le cadre des  chantiers  ICEM­sciences. Il s’agissait de stages de l’ICEM organisés pendant les vacances où se retrouvaient des militants intéressés par une recherche pédagogique sur un thème donné.

Ces chantiers visaient la fabrication d’outils pédagogiques que sont les BT. (Bibliothèque de travail). Outils pour les élèves, pour les maîtres, avec la collaboration d’autres maîtres, d’autres élèves. N’oublions pas qu’en 1932, lorsque la CEL publie les premières BT, il n’existe pas de documentation pour les élèves en dehors des manuels scolaires.

L’organisation des groupes BT

La fabrication d’outils  était  essentielle dans la technique Freinet.  Pour  lui,  c’était  un moyen   de changer  le rapport des élèves aux savoirs. La production des BT faisait partie de ces techniques. L’originalité de cette fabrication est qu’elle reposait sur une large coopération entre enseignants, sur la base du volontariat.

  Les enseignants de  l’ICEM  se retrouvaient chaque année en congrès autour de  Célestin Freinet  et  c’est  là souvent que s’organisait le travail. Les sujets émanaient des classes elles­mêmes. La BT était élaborée par une équipe de volontaires (comprenant souvent des spécialistes) ; elle était expérimentée dans une classe plus particulièrement, puis renvoyée dans les classes intéressées pour y être testée et revenir ensuite à l’équipe, enrichie de remarques du terrain pour être remaniée avant la parution.

  Une nouvelle génération de BT vit le jour avec le développement de l’audiovisuel : les BTson sous l’impulsion de  Pierre Guérin  , instituteur dans l’Aube et proche collaborateur de  Freinet  (de 1946 à sa mort) qui fit dans ce domaine un travail novateur considérable.

  Pierre   Guérin  avait   alors   des   responsabilités   importantes   à   la  CEL  et   c’est   autour   de   ce   personnage extrêmement  dynamique  que   se   forma   le   groupe   ‘BT  sciences’   qui   s’ouvrit   largement   aux  autres   courants  de   la recherche.

Le groupe BT sciences et la recherche INRP

  Pierre Guérin est maître d’application à l’école Chanteloup à Ste Savine (Aube) dans une classe comprenant des handicapés moteurs. Il pratique les sciences selon les intuitions de Freinet sur le tâtonnement expérimental, avec un   système   de   fiches   permettant   de   guider   les   élèves   dans   leurs   expérimentations   et   leurs   réflexions.   Il   reçoit régulièrement des normaliens, futurs instituteurs, en stage dans sa classe. C’est dans ce cadre, que  Marcel Paulin, professeur agrégé de physique à l’Ecole Normale de Troyes, en inspectant les élèves maîtres, fait la connaissance de Pierre Guérin.  « Je suis enthousiasmé par le travail de P. Guérin, par sa méthode qui me semble proche d’un véritable  travail de recherche.» dira M. Paulin.

 Ayant sympathisé et après quelque temps de réflexion, tous deux décident de rédiger des  BT  spécifiquement consacrées aux sciences physiques, avec l’idée d’aider les élèves et les maîtres à s’approprier une démarche scientifique qui   paraît   particulièrement   féconde.   Nous   sommes   au   début   des   années   70   entre   les   textes   sur   le   tiers   temps pédagogique (1969) et les instructions de 1977 sur les activités d’éveil.

  La première  BT  sciences naît en 1974 de leur travail à tous les deux ; elle est intitulée :  « A la découverte de l’inertie ».  Lors d’un stage de recyclage,  M. Paulin  constate  que le  titre  semble rebutant  à  certains collègues.  Une nouvelle présentation des BT sciences fut trouvée. Ainsi naquit la série des Pourquoi ?.

  Le groupe va alors s’étoffer des collègues de l’ICEM qui travaillaient avec P. Guérin dans son groupe BTson et qui   avaient   la  même conception  de   l’enseignement  des   sciences.  Ces   collègues   viennent  de   toute   la  France   (M. Leboutet et  A. Debord de Limoges,  P. Chaillou de Chartres,  C. Richeton de la Gironde…), mais aussi et de plus en plus des collègues de l’Aube comme Pierre Magin qui, dès la deuxième BT sera un des piliers du groupe. 

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IDEM 60 ­ 80  De nombreux enseignants   n’adhèrent plus à la forme pédagogique de  la leçon de choses dont le modèle est 

gravement  remis  en questions.  Le véritable  but  du groupe  BT sciences  est  de  produire  des  outils  utilisables  plus directement  par   les  élèves   et   les  enseignants   en  utilisant   la   forme  de   la  BT,  dans   le   cadre  d’une   rénovation  de l’enseignement des sciences.

 L’équipe se réunit une fois par mois, fait le point sur le travail élaboré dans les classes, sur la façon dont le sujet a été abordé dans d’autres classes, étudient les remarques et suggestions des autres collègues. Le groupe de Troyes fait ensuite le choix pour construire la BT. 

  Pendant une quinzaine d’années, ce groupe a été très productif avec la parution de la série des « Pourquoi ? » dans les revues BT, en même temps qu’il progressait sur les chemins de la didactique vers plus de connaissances et de rigueur scientifiques, grâce à  un processus d’auto formation.  

Marcel Paulin et Pierre Guérin sont actifs dans la rénovation à d’autres niveaux : au niveau de l’école normale et du département pour aider les instituteurs sur le terrain et leur procurer de réels outils. Ils participèrent notamment au groupe départemental de   « rénovation pédagogique »  sur les sciences en liaison avec le groupe académique, sous l’égide de  l’inspecteur d’Académie de  l’époque.  Tous ces travaux se sont réalisés plus ou moins en  liaison avec  la formation initiale et le recyclage des enseignants dans le cadre de l’école normale et ceci depuis les années 70.

Autour de Pierre Guérin et de Marcel Paulin, le groupe BT sciences va s’ouvrir à d’autres influences, notamment celle de la recherche en didactique.

Pour   les   didacticiens   des   sciences,   l’évolution   du   tâtonnement   expérimental   correspond   à   la   fois   au développement cognitif de l’enfant mais aussi à la démarche scientifique telle qu’elle se conçoit aujourd’hui. En quelque sorte, les chemins se croisent. Comme le dit Pierre Guérin : « Entre Freinet et les didacticiens des sciences c’est surtout la  formulation et le langage qui changent, mais la démarche de base, était la même. »  

La rénovation pédagogique dans le contexte des « activités d’éveil »

Le contexte  des années 70 est une période de rupture profonde. Les références à la science ont changé: les travaux de Bachelard poussent à reconsidérer la démarche scientifique. Les savoirs à acquérir ont changé de nature… Pour lui, on trouve d’un côté des représentations et des modes de raisonnement anciens bien ancrés et bien adaptés à la majorité des situations et de l’autre côté des savoirs plus techniques qui exigent une rupture avec le sens commun et c’est le rôle des pédagogues de trouver des stratégies pour que cette rupture puissent avoir lieu.

La connaissance ne « saute pas aux yeux », ne « s’empare pas de l’esprit » comme on le pensait à l’époque de Jules Ferry. Voici ce qu’en dit Gaston Bachelard73 pour nous éclairer :

«   Les   connaissances   longuement   amassées,   patiemment   juxtaposées,   avaricieusement   conservées,   sont suspectes. »

«   La connaissance du réel est une  lumière qui projette toujours quelque part des ombres.  Elle n’est  jamais immédiate et pleine. » 

« Le réel n’est jamais ce qu’on pourrait croire mais il est toujours ce qu’on aurait dû penser. » «  En fait, on connaît contre une pensée antérieure. » «  L’esprit scientifique ne désire savoir que pour s’interroger de nouveau… »

La recherche INRP

Les années 70 voient arriver le  « tiers temps pédagogique »  et les  « activités d’éveil ». Les méthodes  d’éducation nouvelle ont fait leur chemin, les références à J. Piaget , à H. Wallon, à C. Freinet, entre autres, sont nombreuses dans les  courants  de   la  recherche  pédagogique.  C’est  dans ce contexte,  que des  chercheurs  de   l’INRP  se  proposent  de développer à l’école primaire, une nouvelle démarche, une nouvelle attitude scientifique.

L. Legrand était alors directeur de l’INRP, il existait déjà des groupes de recherche en  français. C’est Victor Host (naturaliste) qui impulsa la création d’un groupe de recherche en sciences. Son rôle sera semble­t­il fondamental, dans l’équipe qu’il va constituer autour de lui, dont feront partie  Marcel Paulin,  puis  Pierre Guérin. Dans ce groupe on trouve une majorité de naturalistes et un petit nombre seulement de physiciens, mais  V. Host  saura toujours être à l’écoute  de chacun ;  alliant  extrême gentillesse  et  exigence.  Cet  homme à   l’esprit  ouvert,   féru de  psychologie,  au courant de tous les travaux de pédagogie sur le plan international,  a su dynamiser son équipe. Aux dires de certains, c’est lui l’inventeur « de la pédagogie par objectif ».  M. Paulin  parle de lui avec beaucoup d’admiration :  « Il savait  trouver dans nos travaux, ce qu’il y avait de meilleur et le mettre en avant » . Il fut donc à l’origine des publications de l’INRP sur «Les activités d’éveil scientifique à l’école élémentaire »74.

Une   partie   de   la   recherche   portera   notamment   sur   les   représentations   des   élèves   et   sur   la   démarche pédagogique, avec des préoccupations nouvelles :

­ Quel est le point de départ d’une leçon de sciences ?

73 G. BACHELARD, La formation de l’esprit scientifique, Paris, 193874 Revue INRP : Les activités d’éveil à dominante intellectuelle au cours préparatoire n°51Les activités d’éveil scientifique à l’école élémentaire, physique et technologie n°74

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IDEM 60 ­ 80­ Comment transforme­t­on un point de départ en problème scientifique ?

­ Quelles sont les activités que les élèves peuvent mener pour chercher des éléments de réponse au problème posé ?

­ Comment élargir les réponses trouvées pour en faire des connaissances ?

­ Quel type de trace l’élève doit­il conserver de son activité ?

­ Quelle évaluation doit­on faire ?

Cette équipe de recherche INRP a les caractéristiques suivantes :

­ elle est pluridisciplinaire : Il s’agit d’une équipe ouverte, qui comprend, des didacticiens des sciences comme J.L. Martinand et A. Giordan,  qui ont souvent soutenu et éclairé les idées de V. Host, mais aussi des instituteurs, des professeurs de mathématiques, de philosophie, des psychologues,

­ elle est pluri­hiérarchique : il peut y avoir des inspecteurs généraux, des inspecteurs de circonscription, des professeurs,  des  maîtres   formateurs  et  des   instituteurs  qui   restent   les  plus  nombreux et  dans  les classes  desquels s’effectue le travail avec les élèves assurant ainsi une liaison constante avec le terrain. 

Les  productions  de ce  groupe  seront  de  deux  ordres :   il   y   aura   les  publications   INRP  en  direction  des chercheurs et des spécialistes d’une part et la rédaction et l’édition de livres du maître, dans la collection Tavernier, en direction des enseignants (Raymond Tavernier, professeur de sciences à l’école normale d’Orléans faisant lui­même partie du groupe de recherche), d’autre part. 

Par ailleurs, on retrouve comme collaborateurs de ces livres, outre les nombreux enseignants impliqués dans la recherche, un certain nombre d’instituteurs ayant travaillé avec P. Guérin et M. Paulin. 

Les liens entre le groupe INRP et le groupe BT sciences

Pendant une vingtaine d’années, le  groupe BT sciences diffusera dans l’Aube, par le biais de la formation initiale et de la formation continue, une culture scientifique inspirée du modèle Freinet, largement enrichie par la recherche en didactique des sciences. En effet des liens informels mais réels existaient entre ces deux groupes :

­ des personnalités   'charnières'  se trouvaient  dans  les deux groupes (cf.  croquis)  comme  Marcel Paulin, Pierre Guérin, puis ensuite Elisabeth Plé.

­ A partir de 1982, des stages BT sciences ont lieu chaque année à l’Ecole Normale dans le cadre de la formation continue. Les deux équipes se rencontrent alors et les gens du groupe INRP assistent aux stages BT.

C’est d’ailleurs grâce à ses liens, qu’Elisabeth Plé  (nouveau professeur de sciences agrégée à l’Ecole Normale, après la retraite de Marcel Paulin), en 1982, fut, elle aussi, introduite dans le circuit et participa au travail du groupe BT, ainsi qu’aux stages de formation continue à la suite de Marcel Paulin. 

En 1987, aux BT qui s’adressent plutôt aux CM et aux collèges, s’ajoute une nouvelle parution : les BTj, destinées à  un public plus  jeune.  E. Plé  participe à   l’élaboration des  BTj  n°  322  « Flotte ou coule ? »  et  n°  350  « La voiture électrique ».

Elle travaille également avec JP. Jaubert, au sein des PEMF et devient collaboratrice et conseillère scientifique, notamment en astronomie. En 1990, elle passe un DEA de didactique. Et en sept. 90, Jacqueline Agabra, du groupe de recherche INRP, présente à un stage BT, fait appel à E. Plé pour participer au groupe de recherche INRP.

On le voit, les liens, les allers­retours, les échanges entre la didactique (via le groupe INRP) et le groupe BT, plus proche du terrain et de l’ICEM, étaient nombreux, riches et complémentaires (cf. croquis).

De même, si l’on observe les listes de collaborateurs des BT sciences, ceux des livres de la collection Tavernier et ceux des  productions  de   l’INRP  sur   les  activités   scientifiques,  on constate  que  les  mêmes noms reviennent d’une production à l’autre. Il y a une dynamique, une communauté d’idées qui traversent ces différents groupes et qui vont dans le sens d’une même conception de l’enseignement des sciences à l’école élémentaire. 

On constate, d’autre part, que les sujets d’étude sont à peu près les mêmes, que ce soit dans le groupe BT, dans les productions du groupe de recherche  INRP  ou dans les livres de la collection  Tavernier  (en ce qui concerne la physique notamment).

 « Que je sois à  l’INRP, dans le groupe BT, dans la rédaction des Tavernier, à l’Ecole Normale, dans le groupe de rénovation pédagogique ou dans les classes avec les collègues, mes positions et mes idées étaient les mêmes. » dira encore Marcel Paulin.

L’on voit aussi le rôle de plaque tournante qu’ont joué Pierre Guérin et Marcel Paulin : le premier à la tête des publications de la  CEL  (puis les  PEMF), en même temps que chef de file d’un certain nombre d’enseignants dans la mouvance de  l’Ecole Moderne  et   le  deuxième qui  était  un élément  moteur dans  la  recherche  en didactique des sciences.

Dans le croquis (page précédente), nous avons essayé  de montrer les liens qui existaient entre les différents groupes et la place centrale qu’occupaient Marcel Paulin et Pierre Guérin.

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IDEM 60 ­ 80  Jean­Louis Martinand  (professeur des universités)  75  rend d’ailleurs hommage à  Pierre Guérin, au détour 

d’une présentation de son parcours professionnel : « …j’ai eu la chance de m’insérer, avec la responsabilité des sciences  physiques et  de   l’éducation  technologique,  dans  les  équipes  INRP  qui   reconstruisait   l’éducation scientifique à   l’école…rencontrant alors des collègues biologistes comme J.P. Astolfi ou  A. Giordan, des innovateurs du mouvement Freinet comme Pierre Guérin. J’ai pu ainsi contribuer à ce qui me paraît avoir été le courant théorique majeur de la didactique  des sciences en France. »

Un autre vibrant hommage, posthume celui­là, sera rendu à Victor Host par Pierre Léna lors du colloque INRP qui s’est tenu à la BNF, les 30 et 31 janvier 1999, à propos de « La main à la pâte » :

« Il y a d’admirables instituteurs qui n’ont pas oublié les travaux pionniers de Victor Host, disparu l’an dernier et  auquel je rends ici hommage. »

  Il   nous   apparaît   en   effet   important   de   souligner   ici,   combien   dans   cette   petite   tranche   de   l’histoire   de l’enseignement des sciences qui nous intéresse, des hommes, avec leurs convictions, leur engagement, leur implication personnelle ont été des acteurs de tout premier plan.

Mais que sont devenus les enseignants de l’ICEMMais que sont devenus les enseignants de l’ICEM ??

La diminution des militants de l’Ecole Moderne

  Il n’y a plus de groupe ICEM dans l’Aube et le petit local dans le collège des Jacobins, où l’on allait chercher le matériel,   n’existe  plus  depuis   longtemps.  Pourtant   les   enseignants   ‘Freinet’  étaient  nombreux,   il   y   a   encore  une quinzaine d’années. Que sont­ils devenus ? Beaucoup sont à la retraite aujourd’hui. Il y en a apparemment de moins en moins aujourd’hui, et pas du tout chez les jeunes qui semblent ignorer jusqu’au nom du grand pédagogue.

  Mais il est difficile de les recenser puisque se réclamer de la pédagogie  Freinet, c’est d’abord se reconnaître dans des idées, dans une certaine façon de faire la classe, de concevoir les apprentissages, l’éducation de l’enfant vers le citoyen… ce n’est nullement payer une cotisation.

 Jean­Marie Fouquier, membre de l’institut, estime à 30 00076 en France, le nombre d’enseignants influencés peu ou prou par l’ICEM. Célestin Freinet lui­même aurait du mal à y retrouver ses petits. On rencontre parfois des maîtres se réclamant de lui et qui pourtant n’ont pas son approche humaniste. Inversement des enseignants ayant glané ici et là, des idées, des techniques dans le patrimoine pédagogique commun, fonctionnent dans le même esprit, sans pourtant se réclamer ouvertement de lui. Il faudrait une Histoire du mouvement Freinet dans l’Aube, pour mieux en saisir les impacts et les évolutions. Dans le département, ces enseignants étaient plutôt implantés à la campagne dans la période de  l’après guerre.  Mais,  une évolution s’est  produite  sur  deux plans différents :  vers   les  villes,  et  dans  la hiérarchie (certains sont devenus Maîtres formateurs). 

S’il y a apparemment moins de militants aujourd’hui, que peut­on dire de ce qu’a été leur influence ?

Influence des militants « Freinet » dans la diffusion des idées

Certaines   fortes  personnalités  ont  marqué   localement   le  monde  enseignant,   et   l’on  ne   saurait   réduire   leur influence à un aspect quantitatif. A ce sujet, on pourrait s’appuyer sur l’intéressante étude faite par Serge Moscovici sur L’innovation   et   l’influence  des  minorités77,  qui  montre   comment  des  minorités,   lorsqu’elles   cherchent  à   convaincre, lorsque le contexte se prête à une recherche de solution et d’innovation, combien leur influence peut être importante, surtout dans le domaine privé, même si leur influence publique est faible: « Ceci signifie en clair qu’une minorité peut  changer les perceptions ou les jugements des individus sans que ce changement se manifeste dans le groupe ».

  On peut dire que ces fortes personnalités, ouvertes aux autres, prêtes à être solidaires, à aider ceux qui étaient en difficulté, ont exercé une sorte de rayonnement horizontal. Ainsi des réseaux de classes coopératives se sont formés dans certains secteurs géographiques. Des pratiques pédagogiques scolaires spécifiques, se sont  intégrées alors aux pratiques pédagogiques courantes de certains instituteurs sans pour autant que ceux­ci se réclament de l’Ecole Moderne.

  Un deuxième axe de rayonnement, plus vertical celui­là, mais encore plus efficace, à mon sens, a été le rôle tenu par les Maîtres formateurs de l’Ecole Moderne, qui ont reçu quantité  de jeunes en formation dans leur classe pendant plus de 20 ans. Mais, comment mesurer les effets de la diffusion des idées ? A notre avis, si l’Aube n’est pas une exception dans le paysage français, il y a fort à parier que la diffusion de certaines idées de Freinet va  bien au­delà des 30 000 sympathisants recensés. 

  Il faut dire que les pistes sont quelque peu brouillées, car la loi d’orientation de 89 (qui définit les cycles à  l’école primaire) et les programmes de 95 ont largement repris certaines grandes options de Freinet. Notons, parmi elles, entre autres :

« L’enfant au centre du système éducatif »

75 JL. MARTINAND, « Chemins de praticiens », in Perspectives documentaires en éducation, n°34, INRP, 1995     76 JM. FOUQUIER,  « Une nébuleuse floue »,  in  « Que reste­t­il des grands ancêtres ? », Le monde de l’éducation,  n°242, nov. 1996, p31.77  S. MOSCOVICI, L’innovation et l’influence des minorités, in Psychologie sociale, PUF, 1988, p.89,

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IDEM 60 ­ 80« le respect du rythme de l’enfant »« la différenciation pédagogique »« donner du sens aux apprentissages » etc.

On remarque les mêmes emprunts concernant  La Main à   la pâte :  L’enseignant  « peut aussi participer à  un travail coopératif en dialoguant avec ses collègues, des formateurs, des scientifiques » comme dans l’histoire du groupe BT sciences que nous avons retracée.

Comme si les idées de Freinet avaient ‘diffusé’ dans les textes officiels ?

Mais à cette époque, le souci pour réduire  l’échec scolaire n’était pas à l’ordre du jour. Aujourd’hui, il l’est. Or, dans ce domaine, il faut dire que les idées de Freinet apportaient quelques réponses.

Les militants Freinet et l’évolution des techniques

Le limographe, l’imprimerie, les boîtes enseignantes… ont disparu des classes et ne se retrouvent plus qu’au Musée de l’éducation à l’IUFM de Troyes. Or, on sait l’importance des outils et de leur utilisation par les élèves dans la pédagogie Freinet. Il n’est pas étonnant alors, que les premiers à utiliser les techniques nouvelles, poussés par leur goût pour la recherche et l’innovation pédagogique, aient été ces mêmes enseignants. Très vite, chez les militants Freinet l’utilisation  du   minitel,   puis  du   fax   avait  été   repérée   comme  pouvant   faciliter   la   correspondance   scolaire   et   les échanges. Que dire, bien sûr de l’arrivée du traitement de texte dans les écoles pour remplacer la lourdeur et la lenteur de l’imprimerie, dans l’élaboration des journaux scolaires et autres productions de textes d’enfants ? Les premiers reliés à Internet dans un souci d’utilisation pédagogique ont aussi été ceux­là, et j’ai l’exemple d’un maître d’un tout petit village du Pays d’Othe qui fut un des premiers à obtenir de la mairie un branchement de son école sur le ‘Web’. Quel changement de l’environnement  pour ces élèves ! Par L’Internet, le monde entier était devenu « voisin ».

Nous avancerons donc  l’hypothèse qu’il  existe  partout  en France,  de  façon diffuse peut­être  et   isolée :  de l’intérêt, du  ‘déjà  là’, du  ‘prêt à  capter’  et peut­être même une attente, un questionnement pédagogique face à la difficulté ressentie aujourd’hui, de faire la classe en général et d’enseigner les sciences en particulier. 

Cette hypothèse semble corroborée par Georges Charpak lui­même après plusieurs années d’expérimentation de La main à la pâte. 

Les   actes   du   colloque   sur   « La   main   à   la   pâte »   s’ouvrent   en   janvier   1999   sur   une   réhabilitation   de l’enseignement des sciences en France.  G. Charpak78  reconnaît qu’il y a eu   là, une des conditions de la réussite du projet .

« Ce qui nous donnait cette foi dans notre réussite, c’est le fait qu’on avait eu le temps de voir qu’il y avait en France un terreau formidable, car il y avait eu un certain nombre d’expériences analogues (…) il y avait des milliers d’instituteurs  en France qui avaient fait un peu cela et qui étaient prêts à se lancer dans l’aventure pourvu qu’on leur apporte de l’aide ».

78 G. CHARPAK, « A propos de la main à la pâte », Actes du colloque, BNF,INRP,30,31 janvier 1999

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IDEM 60 ­ 8066 EETUDETUDE COMPARATIVECOMPARATIVE DESDES BT BT SCIENCESSCIENCES ETET DEDE ‘ ‘LALA MAINMAIN ÀÀ LALA PÂTEPÂTE’’

Nous avons retrouvé un maillon, comblé un vide nous semble­t­il dans l’histoire de l’enseignement scientifique en France. 

Une autre interprétation de la leçon de choses et des méthodes actives pouvait mener, de façon minoritaire certes, dans le cadre des mouvements de pédagogie nouvelle, à une démarche pédagogique rénovée pour l’enseignement des sciences à l’école primaire. Et ceci de façon non confidentielle.

La main à la pâte n’arrive pas dans un désert pédagogique. Il n’y a pas ‘rien’ entre la mort de la leçon de choses et cette méthode dite américaine. Mais arrivé à ce point, il nous paraît intéressant de comparer les deux approches.

Les caractéristiques des BT sciencesLes caractéristiques des BT sciencesLes BT renvoie directement à des pratiques de classe réellement effectuées. Nous essayerons donc d’en repérer la 

démarche

La genèse des BT

  Nous l’avons vu, ce qui fait l’originalité des BT, dès le début des parutions en 1932, c’est qu’elles sont produites à partir des enquêtes et reportages faits dans les classes et parus parfois dans les journaux scolaires. Peu à peu, elles se spécialisent : histoire, géographie, sciences avec souvent la participation de personnes spécialisées (nous l’avons vu pour les sciences)

Ces BT ne sont pas un manuel « venu d’en haut », elles sont réalisées à partir de questions d’enfants, à partir de sujets qui les  intéressent, proches souvent de leur environnement.

Ces publications ont énormément de succès. Après la guerre, la  CEL publie jusqu’à 30 BT par an. A partir des années  60,   certains   sujets   sont  approfondis  dans  des   suppléments,   les  SBT.  Après  1965,  des  BT  junior,   les   BTj  paraissent pour les plus jeunes. C’est vers cette période aussi que naissent les BTson . Il s’agit de reportages qui sont enregistrés sur disques puis sur cassettes. C’est Pierre Guérin qui, là aussi, en est le principal réalisateur. Il faut voir (entendre plutôt) la qualité des questions posées par des enfants aux grands scientifiques de l’époque : Jean Rostand, Haroun Tazieff,  Paul Emile Victor,  Yves Coppens,  Jacques Tixier  etc.…Ces enregistrements sont accompagnés de diapositives   et   d’un   livret   illustré   permettant   de   rentrer   dans   une   démarche   globale   ou   simplement   pour   une information ponctuelle. La collection s’est ensuite enrichie, pour les plus petits, des J magazine, et  pour les élèves de collège, d’une série de BT2, puis d’une nouvelle collection : Périscope.

Ces outils sont une mine pour l’exploitation en classe et peuvent être directement utilisés par les élèves… Au maître d’organiser sa séquence comme il l’entend, selon les entrées choisies. 

Une démarche scientifique centrée sur l’initiative et l’activité des élèves

Cette  démarche  est   suggérée  en  en­tête  des  BT  sciences.  Par  exemple,  dans   la  BT  n°  886  sur   les   isolants thermiques « Pourquoi ça tient chaud ? » des indications d’ordre méthodologique sont données à l’enseignant:

« Cette BT, réalisée comme les précédentes dans la série des « Pourquoi ? », à   partir des questions d’enfants et de  comptes rendus d’expériences, n’est pas destinée obligatoirement à une utilisation linéaire.(…) Nous pensons que les élèves  doivent d’abord exprimer leurs questions et expérimenter  sans la BT. Celle­ci pourra ensuite leur apporter de nouvelles  pistes de recherche, des explications et surtout une méthode de travail. On pourra, en se reportant à la table des matières,  pénétrer dans le reportage à l’endroit correspondant à la question posée…Par exemple, la laine chauffe­t­elle ?…p.2 » 

Des méthodes de travail suggérées

   La BT, d’après la façon dont elle est conçue, suggère bien sûr, une démarche, une organisation, des méthodes :­ le point de départ est souvent lié à une question du quotidien , ex : comment l’eau peut­elle monter 

toute seule de la chaudière aux radiateurs ?­ les enfants formulent des questions­ ils conçoivent des expériences ­ ils expérimentent­ ils notent les résultats, dessinent, font des tableaux­ ils   établissent   des   conclusions   qui   sont   présentées   à   la   classe,   ce   qui   peut   relancer   d’autres 

questions, d’autres recherches …  Peu à peu, sous la conduite du maître et dans un cadre rigoureux, on arrive à la construction d’un concept 

élaboré par les enfants, à leur niveau, débarrassé des représentations erronées  comme « la laine, ça chauffe »La BT relate donc les problèmes soulevés par les élèves et les hypothèses émises ; les expériences réalisées sont 

représentées   sous   forme de   schémas (mis  au  propre) ;  des  photos  montrent   les  élèves   en   train  de   réaliser   leurs expériences. Les conclusions sont indiquées dans un encart de couleur.   Des explications sont ensuite apportées en termes scientifiques. Le reportage se continue souvent par des exemples d’application du principe étudié, dans la vie courante. (Rejoignant ainsi le souci de la leçon de choses d’étudier les applications dans la vie courante des grands principes scientifiques)

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IDEM 60 ­ 80La BT entre reportage et aide méthodologique

  Mais il n’y a pas de leçon toute faite, de méthode à suivre à la lettre. La BT reste un documentaire, ce n’est pas un livre du maître ni un manuel, ni une fiche de préparation ; elle est conçue comme un reportage sur des élèves d’une classe, en train d’expérimenter sur un sujet scientifique donné ( il s’agit en fait de la synthèse du travail réalisé dans plusieurs classes).

  Du coup, puisqu’il s’agit d’un documentaire pouvant servir de référence, ne sont retenues que les questions et propositions intéressantes sur le plan scientifique. N’apparaissent pas alors les tâtonnements, les conflits entre enfants, les difficultés éventuelles du maître à répondre à certaines questions, tout ce qui fait la réalité de la classe. 

Voici un extrait de dialogue retranscrit dans la BT n°872 dans le reportage « Pourquoi ça chauffe ? » p.5« Comment l’eau peut­elle monter toute seule de la chaudière aux radiateurs ? interroge Véronique.

­ C’est peut­être parce qu’elle est chauffée ?

­ Si on essayait de chauffer de l’eau dans une bouteille ?

­ … Oui, on verra bien ce qui se passe ! »

Il n’y a qu’une question d’enfant qui soit retranscrite, qu’une hypothèse, qu’une suggestion d’expérience. Pour un enseignant rompu aux méthodes Freinet, il est évident qu’il y a une organisation de la classe qui est ici nécessaire avec un temps de questionnement, de recherche, d’expérimentation par groupe, de synthèse…et que, forcément, il y a du tâtonnement, de fausses pistes dues à des représentations erronées Mais ce n’est peut­être pas évident pour quelqu’un qui fonctionne de façon plus traditionnelle. 

Du côté des élèves, il n’y a pas de cahier d’expériences comme dans la méthode « Hands on ». Les dessins, les notes du travail de groupes ne sont pas forcément gardés, chaque maître est libre d’organiser sa trace écrite comme il l’entend. Si la trace écrite semble indispensable, la présentation peut être variée : dessins et notes résumées sur cahier ou classeur individuel ou album pour envoi aux correspondants ou archives de classe ; l’essentiel étant que cette trace écrite s’élabore à la suite d’un dialogue entre les élèves et le maître : « Tout un travail de maîtrise de la communication » comme dit Pierre Guérin.

La production du groupe BT sciences et son évolutionLa production du groupe BT sciences et son évolution

Ces méthodes suggérées, cette démarche sous­jacente vont évoluer, nous l’avons dit, avec l’auto formation du groupe, influencé par les progrès de la didactique. 

Les sujets traités par le groupe ayant fait l’objet d’une parution

La collection BT inaugure une série de reportages sur les sciences qui démarre en1974 et qu’on appellera la série des « Pourquoi ? »

Sept. 74 N° 790  A la découverte de l’inertie Nov. 75 n° 814  Pourquoi ça tombe ? Dec. 76 n° 835  Vers l’infiniment petitAvr. 77 n° 844  Pourquoi ça fond ? Dissolution et moléculesMars. 78 n° 859  Pourquoi ça s’évapore ? Févr. 79 n° 872  Pourquoi ça chauffe ? Janv. 80 n°886  Pourquoi ça tient chaud ? Juin 80 n° 893  Pourquoi des radiateurs ? Chauffer et refroidirJuin 81 n° 909  Les thermomètres : pourquoi ça monte ?Mars82 n° 919  Les thermomètres : pour quoi faire ?Juin 82 n°924  Comment construire des thermomètres ?Mars 84 n°949  Pourquoi ça peut cuire au soleil ?Mai 86  n°978  Pourquoi c’est froid le métal ?Mai 87 n°988  Pourquoi ça flotte ?Oct. 88 n°1001 L’électricité statique : pourquoi ça attire ?A cette liste, il faut ajouter les deux BTj : n°322 Flotte ou coulen°350 la voiture électriqueDe 1974 à 1988, le groupe produit en moyenne une BT par an. Quand on sait le temps nécessaire à l’élaboration 

d’une revue, à sa correction et à sa parution, on peut dire que le groupe a été extrêmement actif pendant cette période, sachant qu’en plus, d’autres sujets incomplètement aboutis sont restés dans les tiroirs.

L’évolution des BT

On constate une évolution tant, dans la présentation des BT sciences que dans la démarche. ­ 1. Observons une des premières, le n° 835, « Vers l’infiniment petit » :La présentation :  Le reportage est signé par la « commission »sciences de l’ICEM avec comme collaborateurs : 

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IDEM 60 ­ 80M.Suscillon et  P.  Peguin  du CNRS de  Grenoble,  M. Paulin,  M.Pelissier  et   les  classes  de  R.  André,  P.  Chaillou,  J. Constantin, P. Guérin, P. Magin et C.Richeton.

Toutes les photos sont en noir et blanc (contraintes techniques et financières); il n’y a pas de photos d’enfants en action ; la disposition des textes et des photos n’accroche pas bien l’œil, le texte est parfois ardu. 

La démarche :  le   sujet   ici  ne permet  pas  d’envisager  de démarche expérimentale,  mais  malgré   tout  on ne demande pas à l’enfant comment il s’imagine l’infiniment petit, quelle en est sa représentation, on s’adresse simplement à lui :  « As­tu regardé l’intérieur d’une montre avec une loupe ? ».  Il s’agit d’un reportage informatif qui ne sous­tend aucune démarche scientifique, aucune activité de recherche. 

­ 2. Observons le n° 872 « Pourquoi ça chauffe ? »

La présentation :  le reportage est signé  chantier ICEM  Sciences à l’école élémentaire­ Les collaborateurs :  R. André,  P. Chaillou,  J. Constantin,  R Coquard,  P.Guérin,  M. Leboutet, B. Levi,  P. Magin,  M. Paulin, C. Richeton et leurs classes. 

La  commission  est  devenue  chantier.   Le   titre  est  plus  accrocheur.   Il   y  a  quelques  photos couleur, des dessins, des encarts, la lecture est plus aisée.

La démarche :  les enfants sont photographiés en action, Le reportage commence par des observations d’enfants qui débouchent sur une question, une hypothèse et   des expériences (voir analyse plus haut). Une démarche scientifique est bien, ici, suggérée.

­ 3. Observons maintenant une des dernières le n°988 « Pourquoi ça flotte ? »

La présentation : Le reportage n’est plus signé par un groupe mentionné ICEM, mais par des individualités : JC Braux, P. et M.Ciret, R. Coquard, A. Debord, A. Delisée, L. Forspagnac, P. Guérin, S. Ghisalberti, j. Gye­Jacquot, C. Helly, V. Jolly, L. et M. Leboutet, P. Magin, M. Paulin, E. Plé, C. Simonnot et O. Tartary.

On retrouve un certain nombre de  participants parmi les plus actifs mais aussi beaucoup de nouveaux, dont Elisabeth Plé, nouveau professeur de sciences à L’Ecole Normale depuis 1982. Il y a un conseiller pédagogique et quatre Maîtres formateurs. Serait­ce parce que le groupe s’institutionnalise (en quelque sorte) qu’il perd son label ICEM, alors que les mêmes personnalités dynamiques sont toujours là ?

La présentation a gagné en qualité. Le format a changé, il est plus large, les illustrations et les dessins sont plus soignés ; des petits personnages (style BD) font des commentaires, présentent  des tableaux, animent le texte pour le rendre plus explicite, plus facile à pénétrer par les élèves.

La démarche a, elle aussi, évolué : On part d’exemples observés dans la vie courante sur ce qui flotte et ce qui coule et l’on invite les élèves à en faire autant et à les classer. Ce n’est plus une remarque d’enfant qui est présentée comme point de départ mais c’est une situation qui est proposée par la BT et qui renvoie à un problème : « Maintenant,  pouvez­vous  dire  pourquoi  ça  flotte  ou  ça coule ? »  Parmi  les  hypothèses  émises  par   les  élèves  est  retranscrite  une représentation erronée :  « Isabelle :   Je pense que ça flotte quand c’est léger et que ça coule quand c’est lourd. »  Il est clairement mis en avant ici qu’il faut partir des représentations mentales des élèves pour qu’ils puissent construire un autre   modèle   explicatif.   Un   certain   nombre   d’expériences   sont   proposées   pour   arriver   à   un   premier   niveau   de conclusion ( que cela ne dépend pas du poids, mais de la matière et pour les objets en matières qui ne flottent pas, cela dépendra de comment ils sont creux ). Les formulations sont au niveau de ce que peuvent comprendre les enfants (ce qu’on nomme le niveau de formulation d’un concept). Le reportage se continue avec l’étude de la poussée d’Archimède selon le même schéma. 

 On remarque ici les apports de la didactique79. En fin de reportage, on retrouve les conseils d’utilisation cités plus haut mais avec quelques termes différents :

  «  Les BT de la série des pourquoi ? décrivent une démarche d’appropriation du savoir » « …ces brochures peuvent  être utilisées comme recours documentaire pour aider à la généralisation des résultats et à leur interprétation. » 

  Une  page  entière  d’explication est  proposée  ensuite  au  maître  pour  prévenir  des  difficultés  du  sujet,  des exigences nécessaires à la démarche, etc. 

Qu’en est-il aujourd’hui du groupe BT sciences

A partir  de1991, le groupe s’est posé  des questions quant à   l’objet des publications :  le reportage était­il   le meilleur moyen pour faire passer une démarche pédagogique auprès des enseignants ?

  Les BT sciences ne semblent pas avoir eu le succès escompté au plan national, lorsqu’elles n’étaient pas relayées en formation. Si elles eurent un grand succès, dans l’Aube et on comprend pourquoi, il n’en fut pas de même dans de nombreuses régions de France. Est­ce parce qu’elles étaient noyées dans la parution des autres BT ? Est­ce parce que le niveau était trop élevé pour les élèves ? C’est cette dernière question que se pose aujourd’hui Marcel Paulin, car dans l’élaboration des BT, c’était également les connaissances du maître et sa pratique pédagogique qui étaient visées ; la BT se voulait être un outil didactique efficace : 

79 cf. les remarques d’A. GIORDAN sur les conceptions des élèves

Sur la Brèche 88-89 40 / 58 Mars – avril 2005

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IDEM 60 ­ 80 « J’ai bien conscience d’avoir fortement influencé les choses en ce sens. J’ai voulu fournir aux maîtres et aux élèves­

maîtres un outil suffisamment élaboré (d’ailleurs très apprécié par les maîtres qui en ont acheté des paquets !)…Il reste à  savoir si j’ai bien fait ; aujourd’hui, les BT sciences ont été retirées du catalogue et j’ai parfois des remords car elles étaient  aussi destinées aux enfants et étaient peut être d’un niveau trop élevé. » 

 Etait­ce seulement cela ?  D’autres éléments ont dû jouer : se sont ajoutées les difficultés financières des éditions PEMF, des tensions entre 

les divers responsables, puis une certaine distance s’est établie entre  P. Guérin  et  l’ICEM.  Il  a quitté  son poste de responsable au PEMF. Un autre groupe a publié un fichier sciences bricolage sans rigueur scientifique dans lequel Pierre Guérin n’a plus reconnu l’esprit Freinet, ni toute la rigueur et les avancées qu’avait apportées la didactique…

  Pour autant, le groupe existe toujours dans l’Aube, sur un mode moins productif et plus réflexif. Son objectif est de transformer des  BT  en  fiches,  plus maniables pour  l’enseignant sur  les  thèmes suivants :  isolants,  évaporation, mélanges et solutions (éditées par le CRDP fin 2000). Mais il semble que la dynamique d’antan se soit perdue.

Cette   étude   visait   à   montrer   la   qualité   de   ce   qui   se   faisait   dans   l’Aube   en   matière   de   sciences   à   l’école élémentaire,  le dynamisme des équipes engagées dans la recherche, dans la production et  dans la diffusion d’une culture scientifique toujours vivante aujourd’hui.

Quels moyens de diffusion ?

Reste alors à se poser la question des moyens que se donnait l’ICEM, et plus particulièrement le groupe  BT sciences au cours de ces vingt dernières années productives, pour ne pas rester en marge et fonctionner de façon confidentielle. On peut se demander également quels étaient les moyens mis à la disposition des enseignants pour que cette culture scientifique disponible puisse se diffuser et s’actualiser dans les pratiques.

Tout le travail fourni par les enseignants qui ont participé à l’élaboration des  BT  sciences,  était entièrement bénévole. La diffusion des BT sciences a longtemps relevé d’une vente ‘militante’. Si elle était importante dans l’Aube (et pour cause) et là où il y avait des relais par les personnes impliquées, on peut penser que cette diffusion a été insuffisante sur l’ensemble de la France.  Il  semble que par la suite elle n’ait  pas été  défendue et  soutenue par le mouvement lui­même après le départ de Pierre Guérin.

Les moyens en formation

  Institutionnellement les moyens sont limités à la formation initiale et à la formation continue (les stages BT notamment). Nous avons vu le rôle important qu’ont joué ces relais institutionnels en matière de diffusion d’une culture scientifique, du fait de la présence de professeurs d’Ecole Normale (Marcel Paulin, puis, après lui, Elisabeth Plé), de maîtres formateurs et de conseillers pédagogiques dans les groupes BT. On peut donc dire qu’une certaine démarche scientifique  a  bien  été   enseignée,  présentée,  défendue,  pendant  une   trentaine  d’années   et   ce,   avec  une   certaine continuité. Les ouvrages de référence étaient en particulier ceux de la collection Tavernier (issus du groupe INRP), très répandus dans l’Aube et qui étaient porteurs de cette même démarche.

  Mais en fait, la véritable formation reposait sur un réseau d’échanges, de relations personnelles et horizontales, à  partir  de  motivations et  d’engagements  individuels.   Il  s’agissait  essentiellement  d’une  auto formation  (réunions ICEM, stages et congrès Freinet, qui permettait les échanges d’idées et d’expériences …), sur le volontariat (M. Paulin proposait bénévolement un recyclage en sciences pour les maîtres volontaires le samedi après­midi)  et également sur le réseau d’entraide des enseignants de  l’Ecole Moderne. Dans les années 70/80 certains instituteurs ‘Freinet’ sont devenus ‘maîtres formateurs’ et c’est dans leur classe que de nombreux jeunes ont pu se former. C’est en travaillant avec eux, en échangeant sur les difficultés et les réussites des uns et des autres que l’on se pénétrait de cet esprit Freinet, de cette communauté d’idées où l’on retrouvait l’origine de la démarche, ce « tâtonnement expérimental » cher à Freinet. 

Que le mouvement perde de la vigueur [et c’est ce qui s’est passé]. Que les éléments moteurs du groupe partent en retraite …et c’est un maillage du réseau de diffusion qui s’affaiblit !

Un certain fonctionnement de la classe, une certaine conception des apprentissages

Les BT étaient testées dans les classes ‘Freinet’. Mais ces classes avaient déjà un fonctionnement particulier. Or ce fonctionnement est ici important ; il existe avant la séquence de sciences, il permet son bon déroulement. Car il exige des élèves des compétences particulières qui vont être la condition de la réussite des séquences de sciences, dans les situations de travail autonome, de travail de groupe, des compétences de communication (prendre la parole à son tour, respecter l’autre, écouter, s’exprimer pour être compris, comprendre ce que l’autre veut dire…), autant d’attitudes qui s’éduquent et s’exercent au niveau de toutes les activités de la vie de la classe; 

­ Les   interactions   élèves/élèves    sont   favorisées   par   le   travail   de   groupe ;   chaque   groupe   mène   ses expériences, ses recherches et doit trouver un moyen de les communiquer au grand groupe notamment, par écrit dessin, schémas, présentation de montages expérimentaux ; ainsi, en permettant la confrontation des points de vue, les interactions sont une aide aux apprentissages, à la construction du raisonnement, à la capacité d’argumenter. La solidarité et l’entraide se pratiquent en vue d’élaborer un savoir commun. Le tutorat,   (c’est  à  dire   le   soutien d’un élève qui  a  déjà   compris  et  qui  essaie  d’aider  un camarade)  est fréquemment pratiqué… un élève comprendra mieux l’explication de tel élève plutôt que celle du maître. L'élève tuteur du même coup aura clarifié sa pensée.

Mars – avril 2005 41 / 58 Sur la Brèche 88-89

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IDEM 60 ­ 80­ Les relations maître/élèves  sont également différentes. Le maître n’est pas seulement 

celui qui sait [d’ailleurs il ne sait pas tout], il est aussi l’organisateur, celui qui, à partir du questionnement,   aide   à   la   formulation   du   problème   scientifique,   celui   qui   guide, encourage, relance, aide à l’élaboration des conclusions et connaissances scientifiques ; ce n’est pas seulement un dispensateur de connaissances, mais  un médiateur  ( et l’on rejoint   ici   les   positions   de   Vigotski   sur   le   rôle   des   interactions   sociales   dans   les apprentissages.)

­ La motivation : Comme dans la méthode américaine, on constate une forte motivation et un grand intérêt des enfants pour les séquences de sciences, où ce sont eux qui cherchent, qui posent les questions, qui manipulent. Il n’est pas rare que pendant le temps de travail de sciences l’on voit certains enfants ne pas descendre en récréation parce qu’ils sont trop passionnés par une recherche qu’ils veulent mener à son terme. 

­ Les échanges avec d’autres classes, par le biais de la correspondance scolaire, peuvent donner du sens et accroître   l’intérêt   du   travail   entrepris :   on   peut   recevoir   des   questions,   demander   un   complément d’information, on peut envoyer un compte rendu d’expérience, comparer avec les résultats d’une autre classe, etc...On travaille aussi pour les autres qui sont ailleurs, différents… le monde est un livre ouvert.

  Le modèle Freinet reposait donc sur un autre fonctionnement de la classe. Les collègues qui rejoignaient le groupe BT sciences, sans appartenir à l’ICEM, acceptaient les nouvelles règles du jeu, faisaient fonctionner les élèves en petits groupes en les mettant en situation de recherche, avec prise de parole, émission d’hypothèses, discussion, expérimentation, mise en commun, etc.…. 

Mais que peut­on dire de la leçon de sciences, telle qu’elle peut transparaître dans une BT sciences ? Il nous faut y aller voir de plus près :

Comparaison entre les fiches de «Comparaison entre les fiches de « la main à la pâtela main à la pâte » et les BT» et les BT sciencessciences

Nous  l’avons vu,   l’opération  ‘La  main à   la  pâte’  propose  très  vite  de  mettre  des  outils  à   la  disposition des enseignants sur le site Internet. Il nous semble, donc, intéressant ici, de tenter une mise en parallèle des deux types d’aide proposés aux enseignants pour conduire une séquence de science en classe : les  BT  sciences de la série des « Pourquoi ? » (présentées plus haut) et les fiches de La main à la pâte80 publiées sur Internet. Nous choisirons le même sujet d’étude : les thermomètres. Il existe trois BT sur le sujet (s’adressant au cycle3) : 

­ le n° 909 Les thermomètres : pourquoi  ça monte ?­ le n° 919 Les thermomètres : pour quoi faire ?­ le n° 924 Comment construire et graduer des thermomètres ?

Les fiches de  La main à la pâte  comportent un module « Découverte du thermomètre à alcool »  en 7 séquences (s’adressant au cycle 2). Ces documents ne concernant pas le même niveau d’élèves, nous nous attacherons donc plus aux grandes étapes de la démarche qu’aux contenus de savoirs à acquérir.

Nous choisirons la première BT81 et les trois premières séquences des fiches82, pour voir quelles propositions, sur la démarche, sur le fonctionnement de la classe, sont implicitement conseillées à l’enseignant, pour mettre en œuvre la démarche. 

Le questionnement

Nous observerons successivement comment est introduit puis conduit le questionnement, d’abord dans la  BT, puis dans les fiches de « la main à la pâte », pour repérer quelles indications sont données au maître, de façon plus ou moins explicite.

­ Dans la BT, c’est un incident du quotidien qui est à l’origine du questionnement : en récréation, un ballon envoyé par un élève maladroit, a cassé le thermomètre de la classe, suspendu à l’extérieur de la fenêtre. En ramassant le thermomètre cassé, un élève remarque que ça ne coule pas.

Valérie : Le produit rouge qui est dedans, qu’est­ce que c’est ?Laurent : Mon frère m’a dit que c’était de l’alcoolValérie : Si c’était de l’alcool, ça devrait couler ?Philippe : Et puis, un liquide ne monte pas quand on le chauffe !Valérie : Il n’y a que le lait qui monte !

   C’est cette discussion entamée par un groupe d’élèves, qui est reprise en classe comme point de départ d’une séquence de sciences. On retrouve là, le souci de la BT de partir du quotidien des élèves, d’exploiter les évènements de la vie courante qui posent des questions, pour rester au plus près de ce qui intéresse les enfants. C’est une façon aussi 

80 http//www.inrp.fr/lamap/activites/mesure_temperature/thermo/thermo81 cf annexe 482 cf annexe 5

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IDEM 60 ­ 80pour la BT de démarrer le reportage. Il s’agit donc de répondre à deux interrogations des enfants :

1. Pourquoi le liquide ne s’écoule­t­il pas, alors que le thermomètre est cassé ?

2. Un liquide peut­il monter quand on le chauffe ?La première question correspond à une surprise, à un étonnement qui focalise l’attention des élèves. La deuxième 

est   la   transposition  de   cette  question  en  problème scientifique.   (Aujourd’hui,   l’on  dirait  qu’il   s’agit   de   retenir   la question « productive »). Les enseignants de la  BT  ont choisi de répondre à cet étonnement, tout de suite, par des expériences avec des tubes de différentes grosseurs. Sur les photos on voit des élèves faire des expériences avec un tube à essai, avec le tube d’encre d’un stylo à bille, avec une pipette en verre très fine. La conclusion est la suivante :

D’après nos expériences, les liquides que nous avons utilisés ne coulent pas quand ils sont dans un tube fin.L’indication implicite qui est donnée ici, sur la conduite de la classe, est qu’il est important de répondre à une 

préoccupation qui semble pour l’instant prioritaire aux élèves, de les suivre, en quelque sorte, dans un premier temps, pour créer ce climat de confiance réciproque propice à la recherche.

  La deuxième question vient d’une affirmation :  un liquide ne monte pas quand on le chauffe,  a dit Philippe. Il s’agit là d’une représentation erronée qui est un obstacle majeur à la compréhension du fonctionnement du thermomètre. Ici,   la  BT  invite   les   élèves   à   vérifier   leurs   certitudes   apparentes   et   les   enseignants   à   travailler   à   partir   des représentations mentales de leurs élèves. [Il est amusant de noter que la forme littéraire que prend la BT va ressembler un peu à la leçon dialoguée de Paul Bert]

­ Dans  les   fiches  « La main à   la pâte »,  le  point  de  départ   se   fait   sous   la   forme d’une  phase d’exploration à partir de l’observation de différents thermomètres apportés en classe. C’est à partir de cette phase d’exploration que se fait le questionnement des élèves :

Que fait le thermomètre quand il ne peut plus « baisser » ?Comment il sait que c’est la bonne température ?Qu’est­ce qui fait que ça monte ou descend ?Pourquoi peut­il éclater ?Pourquoi il y a un « C » sur le thermomètre ?Pourquoi il y a des traits ?Pourquoi le rouge est toujours en bas ?Comment il sait s’il fait chaud ou froid ?La fiche indique qu’il faut :Dégager   parmi   toutes   les   questions   posées   celle   qui   va   engager   la   classe   dans   un   processus   de   recherche   et  

d’expérimentation. La question « Qu’est­ce qui fait que ça monte ou descend ?» apparaît très vite comme primordiale.Nous sommes là aussi dans la détermination  de la question productive. Mais que fait­on des autres questions ? 

Sont­elles purement et simplement éliminées ? Ne risque­t­on pas du coup, de désintéresser des enfants encore jeunes (cycle 2) ? Un  « mot du maître »  cependant,  précise que  beaucoup d’enfants pensent  que  le  thermomètre « sait »  ou « pense ». Comment justement ne pas travailler sur cet anthropomorphisme du jeune enfant qui fait ici obstacle ? Il est dit également Nous aurons à cheminer dans les notions de causalité. Mais ce n’est guère explicite !

 Il est demandé aux enfants de représenter les différents thermomètres pour affiner leur sens de l’observation et d’effectuer des remarques sur les façons de représenter. Une importance est donnée au dessin, ce qui est une indication intéressante pour l’utilisateur de la fiche. Quel est le but de ces dessins ?

  Une erreur d’interprétation peut ici apparaître : plusieurs fois on parle de  « représentations » pour parler des dessins des élèves, qu’il s’agit d’analyser. C’est ainsi, bien sûr, que l’on peut accéder à leurs « représentations mentales », notion qui justement ici n’est pas clairement abordée, ce qui peut introduire de la confusion.

Organisation de la phase d’expérimentation

Dans chacun des outils on trouve une phase d’expérimentation. Quelles indications trouve­t­on pour expliquer le déroulement et l’organisation des phases d’expérimentation, selon chacun des outils présentés ?

­ Dans la BT, des élèves proposent des expériences pour répondre à la question : Un liquide peut­il  « monter » quand on le chauffe ?

Voici quelques propositions d’élèves :

Sylvestre :Il faudrait mettre de l’eau dans une casserole et chauffer.Corinne :Il faudrait repérer le niveau !Paul : Pourquoi de l’eau ? On pourrait essayer avec toutes sortes de liquides.Corinne : On pourrait utiliser autre chose qu’une casserole : un verre, des bouteilles.  Il est montré que ce sont les élèves qui suggèrent les pistes de travail et les expériences. Si dans la classe, les 

propositions étaient trop pauvres, la BT semble suggérer au maître d’étendre la recherche. [C’est ce qui se passait dans les classes Freinet qui demandaient à leurs correspondants par exemple]. Au jeune lecteur de la BT (elle est un outil pour les élèves, ne l’oublions pas), on propose :

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IDEM 60 ­ 80« Tu peux essayer. Tu trouveras aux pages suivantes les résultats d’expériences réalisées par ces enfants. Tu pourras  

comparer avec tes résultats. » Cette phase d’expérimentation est présentée sous forme de reportage :  plusieurs expériences de groupe de deux 

élèves sont rapportées en photo et en croquis ; ce qui suppose que les enfants ont fait leur recherche par groupe de deux. 

­ Dans les fiches « La main à la pâte », la question 

« Qu’est ce qui fait que ça monte ou descend ? » est devenue « Comment faire monter le liquide dans le thermomètre ? » à laquelle s’est ajoutée une deuxième question :

 « Quelle partie du thermomètre faut­il chauffer pour faire monter le liquide ? » Tiens   comment   les  enfants   savent­ils   qu’il   y   a  un   liquide ?   [D’ailleurs   s’agit­il   réellement  de  questions  des 

enfants ?] Les suggestions d’expériences sont là aussi, proposées par les élèves :

Tenir le thermomètre vers le soleilLe chauffer avec le doigt, la main.Avec de l’eau chaude.Souffler sur le thermomètreUtiliser les allumettes ou le briquet du maître.Envelopper le thermomètre avec de la laine.Approcher le thermomètre de la lumière du tableau.Ce qui indique que les élèves ont à imaginer des expériences possibles pour trouver des réponses (Mais il n’y a 

aucune expérience permettant de répondre à la deuxième question.)Quelles sont les conditions de réalisation de ces expériences ? La fiche indique simplement que l’expérimentation 

se fait de façon individuelle ou en petits groupes. Or ce n’est pas du tout pareil de travailler seul ou en groupes, sur le plan de l’organisation de la classe, de la disposition du matériel et surtout sur le plan des échanges et des interactions. La gestion de la classe est totalement différente selon les cas, on  sous­entend ici qu’elle est équivalente.

Analyse des résultats, la phase de mise en commun

­ Dans la BT, on suppose que les différents groupes ont communiqué leurs résultats à leurs camarades. Mais il n’est   pas   dit   clairement,   comment.   Or   cette  phase   de   mise   en   commun  est   délicate.   Comment   les   élèves communiquent­ils en grand groupe ? Ont­ils simplement expliqué oralement leurs expériences ? Ont­ils écrit sur leur cahier ? Ont­ils fait de grandes affiches avec croquis et explication ? Sur la BT, par contre, il y a des croquis modèle et une conclusion claire quant aux résultats :

« Un   liquide   ne   coule   pas   toujours.   Il   monte   quand   on   le   chauffe,   donc   il   peut   y   avoir   un   liquide   dans   le  thermomètre. » 

Mais   rien  n’est  dit,   sur   le   rôle  du  maître  dans  cette  difficile  gestion  des  groupes  et  de   la  parole ;  aucune expérience ne pose de problème ; il n’y a pas de situations inattendues ; en quelque sorte « tout baigne ».

­  Dans les fiches « La main à la pâte », les expériences faites sont dessinées sur le cahier de sciences ou sur une feuille de classeur  « pour faciliter l’analyse des représentations »  [Mais desquelles parle­t­on ? Quelle est le résultat de cette analyse ?]

Il faut ensuite faire une synthèse avec les enfants sur :

­ ce qu’ils ont fait

­ ce qu’ils ont observé

­ ce qu’ils pensent avoir démontré

   Mais comment se passe cette synthèse ? Rien n’est dit à ce sujet. Dans ‘le mot du maître’, on signale que certains enfants en restent à une approche ludique : 

« l’objet réagit,  mais pourquoi ? Que peut­on faire pour qu’il réagisse autrement ? La notion de causalité   est à  travailler. » [Mais, encore une fois, comment travailler cette notion?]

L’émergence du problème scientifique

Il s’agit là, d’une phase essentielle. Comment est­elle abordée en liaison avec le questionnement initial, dans chacun des cas.

­ Dans la BT, le problème scientifique est intitulé : « Au cœur du mystère »

Valérie : Pourquoi l’eau monte­t­elle ?Laurent : C’est mystérieux, on n’a pourtant pas ajouté d’eau !

Sur la Brèche 88-89 44 / 58 Mars – avril 2005

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IDEM 60 ­ 80Philippe : Elle vient bien de quelque part…je n’y comprends plus rien !Laurent : Ce n’est pas possible, elle ne peut pas passer à travers le verre !Valérie : Il faudrait quand même faire l’expérience avec une bouteille vide plongée dans une casserole d’eau chaude.(L’expérience est tentée, mais l’eau ne passe pas dans la bouteille vide)

Valérie : Mais alors, d’où vient­elle ? C’est de plus en plus mystérieux.Saïd : Mais il n’y en a peut­être pas davantage ?

Pour vérifier Laurent a eu l’idée de peser.

  Cette discussion traduit bien le climat de recherche, sur le mode de l’enquête ou de l’énigme qui   s’instaure  dans   la   classe.  La  BT  montre  bien qu’il   faut   admettre  plusieurs  hypothèses,   les vérifier, continuer à chercher… Mais là encore le scénario se déroule trop bien, sans accroc, comme si les élèves venaient rapidement et naturellement à cette dernière hypothèse. [Mais il s’agit là sans doute d’une exigence de la publication]

L’expérience  montre  en effet,  que si   l’eau prend plus  de  place,  elle  ne  pèse  pas  plus   lourd.  Cette  dernière expérience de la pesée semble avoir apporter une preuve formelle. C’est alors que dans la conclusion, le maître apporte le terme scientifique : « Ce phénomène est appelé la dilatation de l’eau ».

  Il faudra expliquer dans la synthèse une situation qui doit sembler bien paradoxale à plus d’un élève : « …d’un côté il y en a plus (le volume) et de l’autre, il y en a pareil (la masse)

Notons ici,  la place du maître, qui après avoir suivi les élèves, les a guidés, puis est intervenu enfin, pour la construction d’un savoir scientifique, au moment opportun. 

­ Dans les fiches de « La main à la pâte », une situation problème émerge du déroulement des expériences : les thermomètres réagissent de manières différentes dans les mêmes situations. Pourquoi ? 

« Si je trempe mon thermomètre à l’envers dans l’eau chaude, il ne réagit pas de la même façon. Pourquoi ? »   Les élèves, là aussi, vont proposer des expériences, non pas pour répondre à la question, mais plutôt pour 

vérifier que tous les thermomètres réagissent de la même manière, dans les mêmes situations, il s’agit aussi de:  « chauffer alternativement le réservoir et la tige et observer ce qui se passe. »

 Le détour fait ici est intéressant puisque la question se pose ; mais du coup, on perd le fil, on est loin de la question de départ, et on ne cherchera pas non plus à répondre, par des expériences, à la question productive repérée. On harmonisera les situations pour que les thermomètres donnent les mêmes résultats,  mais on perdra de vue  le pourquoi.

Il n’est pas facile ici, de suivre le déroulement de l’action entre la situation problème de départ et les moyens d’y répondre, comme si dans cette séquence, il existait deux logiques : celle des élèves et celle du maître qui ne sont pas forcément en adéquation. C’est alors la logique du maître qui l’emporte [comme dans la leçon de choses ! eh oui !]

Synthèse et traces écrites

­   Dans la BT,  Les différentes étapes de la démarche sont clairement repérables, les phases de synthèse sont suggérées régulièrement par un encart de couleur qui met bien en évidence la conclusion ou la notion à laquelle on aboutit,  par exemple sur  le phénomène de la dilatation. On remarquera que  la  BT  prend soin de faire décrire  le phénomène avec les mots de l’enfant avant d’en donner une définition en termes plus scientifiques.

Il reste, malgré tout, à expliquer ce phénomène : c’est encore l’apport du maître qui explique ce « mystère » par l’agitation   des   molécules.   La  BT  illustre   l’explication   par   des   dessins   montrant   des   particules   qui   remuent   et   se bousculent quand on chauffe l’eau : leur nombre ne change pas mais elles prennent plus de place. Le mystère éclairci, il est plus facile ensuite d’expliquer la contraction et de passer à l’application de cette découverte sur les thermomètres.

Cette situation est particulièrement intéressante, car de la simple observation [chère à la  leçon de choses], la vérité  scientifique ne saute pas aux yeux. Et tout le cheminement décrit  vise bien à  démonter une représentation erronée issue des éléments perceptifs. « si je vois plus d’eau, c’est qu’il y en a plus ». Il faut ici raisonner contre ses sens et construire un autre modèle explicatif. 

 Le reportage continue avec des expériences qui se rapportent à la construction du thermomètre, pour bien voir le liquide monter. Puis, il se termine avec quelques applications de la dilatation des liquides, dans la vie courante. On retrouve le souci des  BT, de toujours bien ancrer la connaissance des élèves, dans l’observation du monde qui les entoure [ce qui était également le souci des leçons de choses]

  Quant à la trace écrite, il n’en est pas vraiment question et il est sans doute regrettable que ce ne soit pas des croquis d’élèves qui illustrent les expériences dans les BT. Par contre les encarts de couleur sont une suggestion claire pour le maître quant aux notions scientifiques qui sont à construire avec les élèves et à retenir. A lui d’organiser sa trace écrite comme il le souhaite.

­ Dans les fiches de « La main à  la pâte », les phases de synthèse restent très floues, puisqu’il n’y a que des titres donnés au maître sans autre indication :

Représentation des expériences faites – Mise en commun – Analyse des expériences et des représentations

Mars – avril 2005 45 / 58 Sur la Brèche 88-89

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IDEM 60 ­ 80Identification des acquisitions : Faire une synthèse avec les enfants sur :

­     ce qu’ils ont fait­ ce qu’ils ont constaté

­ ce qui leur semble « anormal » [Mais qu’entend­on par « anormal » ?]

Formaliser la conclusion : comment utiliser un thermomètre ?Nous sommes loin de la question de départ qui était :  « Qu’est­ce qui fait que ça monte ou descend ? » Pourquoi 

cela s’est­il transformé en « Comment utiliser un thermomètre ? » [on retourne à l’étude de la fonction des choses sans explication comme dans une certaine interprétation de la leçon de choses]

On est donc loin de la rigueur scientifique et de la démarche affichée dans les principes de La Main à la pâte. Comment quelqu’un d’étranger à cette démarche peut­il s’y retrouver avec une telle fiche ? Par contre la fiche insiste sur les dessins « scientifiques » :

Différencier un dessin scientifique d’un dessin libre.Un dessin permet de communiquer, de se faire comprendreElaborer collectivement, à partir de l’analyse précédente les premiers éléments d’un codage collectif.L’accent  est  vraiment  mis  sur   l’importance du dessin,  [bien qu’on ne sache pas  exactement  quelles  sont   les 

exigences et les critères de ce dessin scientifique]. Cette fiche a peut­être été hâtivement mise en ligne, elle présente peu de rigueur quant à la démarche annoncée 

et peu de clarté dans la mise en œuvre; il en existe sans doute d’autres mieux conçues sur d’autres sujets, [je l’avais choisie en fonction du thème d’étude. On trouve de tout sur Internet !]

Remarques

Ces   deux   outils   se   réclament   d’une   démarche   similaire   et   se   veulent   être  une  aide   pédagogique  pour   les enseignants  de   l’école  primaire  en vue  de  les  guider  pour construire   leur   leçon de sciences.  Nous établirons  une comparaison sur les points suivants :

. La présentation la plus attrayante, la plus « parlante » reste malgré tout la BT, par rapport à la sécheresse de la fiche. Cet aspect vivant du dialogue de la classe que retranscrit la BT convient bien au mode « reportage » qu’a choisi la  BT  pour   s’adresser   aux   jeunes   lecteurs.   Ce   texte   illustré,  même  s’il   est   sûrement   édulcoré   et   raccourci,   rend passionnant le sujet pour le maître comme pour ses élèves. (N’oublions pas que la  BT  peut être un outil utilisable également dans la classe comme relance, comme complément d’information, comme fiche guide, etc…)   On perçoit bien quelle doit être l’atmosphère de questionnement et de recherche.

.  La rigueur scientifique  se   trouve  plus  du côté  de  la  BT.  La  démarche  se  veut  proche  de  la démarche scientifique. L’objectif de la leçon est de construire un concept scientifique au niveau de la compréhension des élèves, avec leurs mots. Cette démarche est bien aboutie dans la BT où l’on retrouve plus facilement les grands principes de « La main à la pâte » alors que dans la fiche (pourtant du même nom) ces éléments sont plus difficilement repérables. 

Le droit à l’erreur est reconnu, dans la BT, on tient compte des propositions erronées des élèves sur lesquelles on travaille. L’erreur, comme dans la démarche américaine est considérée comme une étape provisoire, les erreurs font partie du tâtonnement expérimental et ne sont pas sanctionnées ce qui permet le libre questionnement de l’enfant, délivré de la peur de « dire une bêtise ».

.  La place  importante  du croquis scientifique  est  par  contre  mieux souligné   (même s’il  n’est  pas  assez explicité) dans la fiche que dans la BT. Il n’y a pas de dessin d’enfants dans la BT.

. La maniabilité  de l’outil, sa facile diffusion, sont du côté des fiches Internet qui permettent d’inclure des documents d’enfants (notamment des croquis) ainsi que des remarques de collègues sur le déroulement de la leçon ou des suggestions. Il est possible, n’oublions pas, de consulter des documents scientifiques et de correspondre avec des scientifiques  en  cas  de  besoin.   Les    BT sciences  par   contre,  n’étant  plus  éditées,   sont  devenues  des  documents historiques rares donc  inutilisables.

. La conduite de la classe, si elle est suggérée dans les grandes lignes, surtout dans la BT, les difficultés les plus importantes en semblent occultées, dans les deux dispositifs. La gestion de la classe  reste peu lisible dans les deux documents. Comment accéder aux représentations mentales des élèves et en tenir compte ? Quelle est la place du maître ? Comment organiser le travail des élèves en groupes ? Comment saisir ce qui se passe dans chaque groupe ? Comment  gérer   les  phases  de  mise  en  commun ?  Comment   atteindre   les  objectifs  prévus   sans   court­circuiter   les initiatives et les recherches des élèves ? Comment faire pratiquer des expériences quand on a beaucoup d’élèves et peu de place ? Comment ne pas se laisser déborder par les réactions, les questions inattendues et parfois, l’activité un peu débordante des élèves ? Comment aider les élèves à dépasser ce qui fait obstacle à la compréhension d’une notion ? 

  Autant   de   questions   plus   ou   moins   importantes   qui   se   posent   à     un   enseignant   qui   travaille   de   façon traditionnelle et qui a envie de se lancer dans l’expérience de « La main à la pâte ».

Sur la Brèche 88-89 46 / 58 Mars – avril 2005

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IDEM 60 ­ 80De ces deux documents, l’un a été édité en 1981, c’est la BT, qui aujourd’hui est rayée du catalogue, l’autre a 

été mise en ligne en 1998, c’est la fiche de ‘La main à la pâte’. Mais la plus rigoureuse, la plus riche, la plus proche de la démarche prônée par la main à la pâte, c’est encore aujourd’hui la BT.

Que fallait­il chercher outre­atlantique ce qui existait chez nous ?

L’étude des fiches en ligne met en lumière ce que nous avons débusqué depuis le début de ce travail, à savoir les difficultés à interpréter et à appliquer une méthode pourtant clairement explicitée. Comme pour la mise en œuvre de la  leçon de choses à ses origines on peut affirmer des principes et les interpréter dans un esprit plus ou moins lointain. Les fiches de ‘La main à la pâte’ ne sont pas à l’abri d’interprétations multiples. Mais de façon plus générale, il existe bien une difficulté à enseigner les sciences, une difficulté à sortir de la leçon de choses, une difficulté à faire classe.

Les difficultés à appliquer un scénario

Vous avez dit « méthodes actives » ? Mais comment faire ? Depuis plus d’un siècle nous tournons autour de cette question. Si c’était si simple, nous n’y serions pas encore. Mais il n’y a pas que l’ambiguïté des termes.

Aujourd’hui   encore,   à   partir   d’une   démarche   clairement   explicitée,   se   pose   la   question   de   la   maîtrise   du déroulement de la leçon. 

Nous emprunterons à Elisabeth PLE les remarques qu’elle fait, dans un article sur la recherche en didactique83, à propos des difficultés de gestion de la classe par des enseignants à partir d’un même « scénario ». Il s’agit d’un dispositif didactique qui a été mis en place pour essayer de déconstruire la représentation des élèves selon laquelle « l’air n’est  pas de la matière ». 

La   première   séance   est   centrée   sur   une   activité   expérimentale   qui   consiste   à   enfoncer   un   verre   en   plastique  transparent,  au  fond duquel  on a  collé un sucre,  dans  un bac   transparent   rempli  d’eau,   tout  en  le  maintenant  bien  verticalement, l’ouverture vers le bas.

 Les élèves doivent :   ­      Anticiper sur le résultat de l’expérience (écrit individuel)

­ Confronter avec le fait observé (expérience faite par l’enseignant)

­ Vérifier le fait observé par des expériences proposées par les élèves

­ Rechercher une explication (individuelle)

  La description de la séance montre d’abord comment le résultat de l’expérience est  nié par un grand nombre d’élèves et comment l’enseignant met au défi ses élèves de prouver par des expériences, que l’eau  « monte » dans le verre. Il permet ainsi « une négociation » entre son projet et les idées des élèves. Devant les résultats des expériences qu’ils avaient conçues eux­mêmes, c’est alors seulement que s’est « fissuré » l’obstacle que constituait leur représentation erronée.

  Des enseignants ont repris cette séquence avec l’idée de s’en tenir autant que possible au scénario initial. E. Plé présente deux cas dans lesquels ce scénario a dérivé :

Dans le premier cas, celui du leader incontrôlé, le projet du maître se trouve court­circuité par un élève qui enlève l’adhésion du groupe. En essayant de continuer à suivre le scénario, le maître se trouve alors   déphasé  par rapport à la nouvelle situation, ce qui aboutit à une démobilisation des élèves, et un échec pour ceux qui n’avaient pas réellement admis que l’eau ne montait pas et qui, du coup, ne franchissent pas l’obstacle.

Dans le deuxième cas, la dérive vient d’une stratégie à la fois hésitante et trop directive. La maîtresse valorise à l’excès la construction conceptuelle sans impliquer les élèves dans le conflit cognitif et dans la recherche, ce qui aboutit également à une démobilisation des élèves et à une inefficacité du dispositif. La logique du scénario est basée sur le conflit cognitif, alors que la logique de la maîtresse est basée sur celle de la démonstration, qui est sans doute son mode de fonctionnement habituel.

La conclusion d’E. Plé est la suivante : 

« Ces exemples montrent à quel point le scénario en lui­même n’a pas d’efficacité garantie. Il ne joue son rôle que si  toutes les décisions de l’enseignant concourent à créer un climat de construction collective de connaissances.

Elle résume la difficulté à gérer le fonctionnement de la classe ainsi :

« Cette   mise   en   œuvre   est   particulièrement   délicate   car   elle   mobilise   des   procédures   qui   sont   habituellement  antagonistes :   objectif   conceptuel   et   souplesse   adaptative ;   opposition   par   le   conflit   et   coopération   entre   élèves ; déstabilisation et reconstruction conceptuelle.

J’ajouterais, pour ma part, que ce qui est en jeu dans cette souplesse pédagogique, dans cette capacité à écouter et à s’adapter à la demande des élèves (ce qu’il faut savoir faire), relève d’options plus générales quant à la conception des   rapports   du   maître   au   savoir,   du   maître   aux   élèves,   des   élèves   entre   eux   et   sur   le   fonctionnement   des apprentissages. 

83  E.  PLE,Transformation  de   la  matière  à   l’école  élémentaire :  des  dispositifs   flexibles  pour   franchir   les  obstacles,  in Obstacles : travail didactique revue : Aster, n°24, INRP, 1997

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IDEM 60 ­ 80Et il n’est pas inintéressant de constater, au cours de cette action de formation comme avec l’étude de la fiche 

issue  du   site  de  La main  à   la  pâte,  à  quel  point   les  démarches  anciennes,   les   conceptions  sur   l’acte  d’enseigner parasitent et freinent le processus de formation des enseignants. 

Une certaine forme de la leçon de choses serait­elle inscrite dans l’inconscient collectif de tout enseignant ?

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IDEM 60 ­ 8077 L’EL’ETATTAT ÉDUCATEURÉDUCATEUR : : LESLES NOUVEAUXNOUVEAUX ENJEUXENJEUX

Après avoir étudié   les deux systèmes (le système américain et  le système Freinet enrichi par la didactique), systèmes à la fois très différents dans l’esprit et qui se rejoignent pourtant dans la démarche, nous comprenons mieux comment un mélange de ces deux systèmes a pu « faire souche » dans l’école française, et comment l’expérience de « La main à la pâte » a été une sorte de compromis à la française incluant des éléments d’une culture pédagogique issue de la recherche didactique des années 70/80. 

Mais nous sommes en France dans un état centralisé et si l’expérience est concluante, à plus d’un titre, elle sera généralisée car nous héritons d’un Etat qui se veut  éducateur  en matière d’enseignement. Quels sont les enjeux au niveau scientifique ? Sont­ils importants ? Y en a­t­il d’autres ? [Car il y a toujours d’autres enjeux dans l’éducation, que ceux ouvertement annoncés].

Pour cela, le ministère de l’Education Nationale demande un rapport à l’inspection générale. S’il est favorable, l’enseignement des sciences à l’école fera l’objet d’un plan de rénovation qui s’inspirera de l’expérience. 

Il   faut  avant de nous pencher sur   les enjeux de  l’enseignement des sciences  le   resituer  dans  les nouvelles références d’aujourd’hui ?

Les enjeux de l’enseignement des sciencesLes enjeux de l’enseignement des sciencesMais d’abord il nous faut redéfinir la science pour savoir ce que signifie enseigner les sciences.  

Qu’est-ce que la science aujourd’hui ?

 Claude Camus, professeur agrégé de biologie à l’IUFM de Franche Comté propose la définition de Jean Perrin qui dit :  « La science est un mouvement de pensée qui permet de passer du visible compliqué pour aller vers de l’invisible  simple (la loi, le modèle, le schéma) »84

Pour C. Camus, la pensée scientifique se nourrit entre autre, d’une démarche « modélisante », un modèle étant un système explicatif provisoire. Une assertion scientifique est vraie tant qu’on n’a pas prouvé qu’elle est fausse. A cette recherche de la construction du modèle qui permet de comprendre le réel il faut y ajouter le principe de  la pensée complexe  cher à  Edgar Morin  pour qui, le monde est complexe mais pas compliqué. Pour le comprendre, il faut en repérer les éléments et surtout les interdépendances pour déboucher ainsi sur une vision globale.

D’abord qu’enseigner ?

Faut­il enseigner des savoirs ou les outils pour acquérir ces savoirs ? Les deux sans doute ; mais quelle est la nature de ces savoirs ?

André  Giordan  pense que le projet de l’école n’est plus d’enseigner une masse de connaissances :  « 50% des notions enseignées aujourd’hui seront obsolètes dans les 20 années à venir, de très nombreuses autres seront produites »… « Ce qui est principal, c’est d’introduire chez l’enfant une disponibilité, une ouverture sur les savoirs ; une curiosité d’aller  vers   ce   qui   n’est   pas   évident »,   « L’autre   priorité,   c’est   le   développement   de   démarches   d’investigation… »   « Ces apprentissages ne sont pas simples, ils n’ont quelques chances de passer que s’ils sont commencés tôt, dès la maternelle. »85

Claude Camus86 explique dans son article que chaque discipline scientifique s’est engagée dans un travail de toilettage pour dégager l’essentiel ce qu’on appelle les « concepts­noyaux », ceux qui ont un pouvoir explicatif fort ; par exemple en biologie 12 à 15 concepts sont suffisants pour construire chez l’enfant « une relation éclairée vis à vis de son corps, vis à vis des êtres vivants et de son environnement »

Il ne faut donc pas voir une discipline scientifique « comme un sac de connaissances qui grossit tous les jours mais  comme une toile d’araignée qui relie les concepts principaux entre eux. »87 De ce fait on peut donner du temps au temps et ne pas s’affoler de la vision encyclopédique que peuvent donner les manuels et qui sont souvent fait pour séduire le maître.

Qu’est-ce qu’apprendre en sciences?

C’est encore A. Giordan que nous citerons : « Apprendre ce n’est pas seulement construire des savoirs » Mais il faut commencer par déconstruire les idées en place dans la tête de l’élève et « faire avec pour aller contre »

« Apprendre   c’est   autant  évacuer   des   savoirs   non   adéquats   que   s’en  approprier   d’autres   C’est   le   résultat   d’un  processus de transformation multiple »

Jean­Loup Canal, professeur à l’IUFM de Toulouse, chargé de mission au centre départemental de l’Aveyron, cite quant à lui cette remarque décapante   d’Evry Schatzman:  « Un enseignement de la science qui n’apprend pas à  

84 J. PERRIN, cité par C. CAMUS, in, Promouvoir l’enseignement scientifique, revue Echange n°40, janv. 2001 85 A. GIORDAN, L’enseignement des sciences, spécial recherche en éducation, Fenêtre sur cour n°114, novembre 199686 C. CAMUS, in, Promouvoir l’enseignement scientifique, revue Echange n°40, janv. 2001 87 Ibidem

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IDEM 60 ­ 80penser, n’est pas un enseignement de la science, il est un enseignement de la soumission. » . Il s’agirait donc essentiellement d’apprendre à penser.

Une fois situées les références à la science quelles vont être les attentes de l’institution par rapport à un certain enseignement des sciences ? Pour cela nous tirerons des éléments du rapport de l’inspection générale sur l’évaluation de La Main à la pâte.

Le rapport de l’Inspection Générale sur «Le rapport de l’Inspection Générale sur « La main à la pâteLa main à la pâte »»8888

  Il s’agit d’une première évaluation de l’opération, entreprise de mars à juin1999 à la demande du ministère. L’objet n’est pas ici d’en faire un résumé exhaustif,  nous mentionnerons seulement quelques éléments qui nous ont semblé intéressants, en rapport avec notre propos.

Comparaison entre ceux qui sont dans le projet et ceux qui ne le sont pas

  L’enquête conclut  globalement à   l’excellence de  la méthode  « même là  où  celle­ci  n’est  pas officialisée  et  en  l’absence des moyens d’assistance au maître qui sont attribués  par l’opération ». Nous avancerons l’hypothèse que si des maîtres ont pu s’approprier une démarche sans aucune aide, c’est qu’ils y étaient prêts (cf.  notre hypothèse d’une culture pédagogique scientifique déjà là, issue des groupes de recherche que nous avons étudiés).

  La différence globale est forte entre les départements engagés dans l’action et ceux qui ne le sont pas. Dans le premier cas,    la démarche implique l’activité  et  la réflexion de l’élève ; dans l’autre la démarche est descriptive et affirmative. Le rapport reconnaît cependant que cette remarque n’a de valeur que globale car « de très bonnes séquences  ont été observées dans des lieux éloignés des pôles d’excellence et non répertoriés ». L’hypothèse des enquêteurs est qu’il s’agit là du « rayonnement de l’opération ». Il est vrai que le site Internet de ‘la main à la pâte’ étant libre d’accès, il sera toujours  difficile  de  mesurer  exactement   l’impact  de  cette  opération,  mais  pour notre  part,  nous  ferons  la  même hypothèse que précédemment.

Aspects positifs de l’expérience

Le rapport note qu’il y a des effets induits qui dépassent la simple acquisition de connaissances. De nombreux maîtres ont constaté que cette démarche rejaillit sur l’ensemble de leur enseignement. Le rapport parle même d’une véritable « révolution pédagogique ». Notamment, on peut apprécier l’effet positif sur : 

­ la qualité de l’attention,­ le respect et l’écoute mutuelle,  ­ les élèves en difficulté,­ l’amélioration des capacités d’expression,­ l’amélioration de l’esprit logique.

Dans un chapitre intitulé : Les effets sur le comportement social et moral le rapport dit ceci :  « Les séquences observées   frappent    d’une part,  par   la qualité de  l’attention des enfants,  d’autre  part  par celle  de  leur comportement  collectif », … « Au cours des phases de réflexion et d’argumentation comme au cours des phases d’expérimentation ou de  réalisation,   les   enfants   se   parlent   et   s’écoutent   en   se   témoignant  un   respect  mutuel.   Les   résultats   obtenus   sont  particulièrement manifestes dans des contextes sociologiques où ces comportements n’ont rien d’habituel »89

D’autre part, lorsque le contexte est multiculturel, « on note de façon très sensible l’apport unificateur d’activités  tournées vers la science, patrimoine de l’humanité » Les sciences seraient donc perçues au­delà de la culture nationale comme une possible culture commune.

On connaissait les réponses positives et les solutions qu’apportait la pédagogie  Freinet  pour gérer les classes difficiles ou très hétérogènes, la pédagogie prônée ici étant proche, les effets induits qui rejaillissent sur l’ensemble de l’enseignement ne nous semblent pas surprenants.

Quelques difficultés observées

Quant à l’acquisition de connaissances proprement scientifiques, on constate des acquis non  négligeables malgré quelques réserves. Certaines dérives ont été parfois observées dans certaines conduites de classes :

­ une dérive « tout méthodologique »  dans des classes  où   l’acquisition de connaissances est  un objectif mineur,   voire   inexistant.   On   manipule   pour   manipuler,   sans   construction   d’une   réelle   démarche scientifique.

­ une dérive « tout technologique »  c’est l’attitude qui consiste à réaliser un objet technique sans aucune problématique, l’activité étant conçue comme uniquement technologique.

­ une dérive   « relativiste »  se  produit  parfois  au moment où   il   s’agit  de   faire  énoncer  des  conclusions valides ; certains enseignants ne voient pas l’intérêt de les confronter aux savoirs scientifiques constitués sous prétexte qu’ « il n’y a pas de certitudes scientifiques ». Des conclusions scientifiquement fausses peuvent alors persister dans les traces écrites comme dans les mémoires des élèves. 

  L’on notera avec amusement que l’on assiste à des dérives comme pour la mise en application de la leçon de 

88 Ce rapport peut être consulté sur Internet (http://www.inrp.fr/lamap/main/rapport/rap_igen.htm)89 Ibidem

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IDEM 60 ­ 80choses ou comme dans l’interprétation du tâtonnement expérimental dans le mouvement Freinet, face à des exigences de construction des savoirs et de rigueur scientifique.                        

La corrélation entre la formation initiale et les résultats observés

Alors que des progrès nets existent sur le plan du comportement et des acquisitions langagières, c’est moins net concernant l’acquisition des connaissances scientifiques (« acquis non négligeables »). Une hypothèse peut être émise : les enseignants n’ayant pas de formation scientifique sont de loin, les plus nombreux (75%).

Mais un paradoxe intéressant a retenu notre attention : si ceux qui ont une formation scientifique, sont, au départ   plus   à   l’aise   vis   à   vis   de   l’enseignement   des   sciences,   ils   ne   maîtrisent   pas   forcément   pour   autant   cet enseignement à l’école primaire, en ayant du mal à déterminer ce qui est compréhensible pour un enfant selon son âge, ce qui est essentiel de ce qui l’est moins, et les objectifs qu’ils visent sont parfois inaccessibles : « De fait, les meilleures séquences observées étaient conduites par des maîtres d’orientation littéraire. » 

Est­ce le souci de la maîtrise de la langue orale et écrite qui rend les littéraires plus performants ou le souci de se mettre au niveau de ce que peuvent comprendre les élèves (eux­mêmes ayant eu des difficultés ?) ou encore le souci de la gestion de la bonne communication dans la classe ? On peut avancer plusieurs hypothèses. Il ne faut donc pas voir la formation initiale défectueuse en sciences comme le principal obstacle. 

Remarques

   Nous ferons plusieurs remarques à propos des observations relevées par le rapport de l’Inspection Générale :­ Les effets positifs sur le comportement  surtout dans les quartiers difficiles nous semblent en relation avec 

la puissance médiatrice de la parole, lorsque les élèves apprennent à s’en servir. ­ Les effets positifs concernant  les acquisitions langagières  touchent à  la fois  l’expression orale (il  faut 

émettre  des  hypothèses,  expliquer  son point  de vue,  présenter  des   résultats…) mais   la  représentation schématique, le passage à l’écrit permettent, d’atteindre un autre niveau, jugé essentiel par la didactique, puisqu’il   favorise  l’élaboration et   la   structuration des connaissances.  Les  différents  niveaux de  langage permettent de ‘fabriquer de la pensée’.

­ Un paradoxe  est relevé,  concernant le nombre de classes non rattachées à   l’opération et qui pourtant pratiquent   un   enseignement   des   sciences   dans   l’esprit   de   l’opération.   S’agit­il  « du   rayonnement pédagogique » de « La main à la pâte » ? Ou peut être, simplement, une culture pédagogique ancienne s’est­elle trouvée   réactivée par  les nouveaux outils  disponibles ? Notre hypothèse est que cette  pratique de l’enseignement des sciences s’en est trouvée renforcée, car elle était fondée sur un  savoir­faire existant déjà là.

­ Les réserves émises, quant aux effets sur les connaissances scientifiques, sont à corréler avec les dérives répertoriées.  Et  comme pour   l’application  de  la   leçon  de  choses  que  nous  avons  étudiée,   il  existe  des difficultés   d’interprétation,   d’une   part,   ce   qui   renvoie   à   la   qualité   des   outils,   du   soutien   et   de l’accompagnement scientifique proposés à l’enseignant et des difficultés d’application, d’autre part, dans la mise en œuvre de la méthode, ce qui renvoie à la difficulté de conduire la classe.

La généralisation de l’expérienceLa généralisation de l’expérience : les enjeux: les enjeux

Le Plan de Rénovation de l’Enseignement des Sciences et de la Technologie à l’Ecole (PRESTE) voit le jour en juin  2000.   Il   est  officiellement  présenté  par  J.  Lang  dans  une  conférence  de  presse.  Dans   la  note  adressée  aux Inspecteurs qui accompagne le Bulletin Officiel  n°  23 du15/06/2000 qui présente  le PRESTE,  il  est dit  ceci :  « Le développement de la culture scientifique, auquel contribue l’enseignement des sciences et de la technologie à l’école est  un enjeu majeur pour notre société et chacun de ses citoyens. »

En quoi est­ce un enjeu majeur ? Au­delà des sciences quelque chose de plus important se jouerait­il pour les citoyens?

Les enjeux scientifiques

Ce sont les enjeux les plus apparents. Ils sont de deux ordres : le premier au niveau de la  « production » des vocations scientifiques, le deuxième au niveau de la culture générale du public pour les questions scientifiques. 

La crise des vocations scientifiques

La situation est critique dans l’enseignement car il y a une crise grave des vocations, avec une grave érosion des effectifs dans les filières scientifiques ; l’enseignement des sciences à l’école est largement mis en cause : insuffisant en primaire, trop théorique et rébarbatif en collège et en lycée.  Guy Ourisson dans un rapport  sur « la désaffection des étudiants pour les  études scientifiques »90  plaide pour le rétablissement des expériences et des travaux pratiques en collège et en lycée. Le premier enjeu sera donc de réconcilier les étudiants avec les filières scientifiques, de façon à mettre la France en bonne position sur le plan de la recherche, c’est une question qui a des retombées économiques 

90 sur Internet :  www.education.gouv.fr/rapport/ourisson/default.htm

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IDEM 60 ­ 80importantes.

Débat scientifique, débat de société

La communauté scientifique s’est mobilisée, on l’a vu pour l’école, car c’est l’école qui est en première ligne pour permettre l’acquisition  d’une culture scientifique. 

  Mais   elle   s’est   aussi   sentie   investie   d’une   certaine   responsabilité   pour   vulgariser   la   science   auprès   d’un public plus large; elle se mobilise dans les médias, dans de nouvelles formes de présentation des musées, participe à de nombreuses actions de démocratisation des sciences et techniques (fêtes de la science…) car il y a de nouveaux enjeux de choix de société qui peuvent être sous­jacents. 

Des questions d’ordre scientifique se posent plus que jamais au citoyen : l’effet de serre et le réchauffement de la planète, les OGM, les manipulations génétiques, les problèmes éthiques autour de l’étude du génome humain … Le citoyen doit être informé, pouvoir comprendre et faire des choix en intervenant dans le débat démocratique.  Jean Rosmorduc,  historien des sciences estime pour sa part que :  « Sans un minimum de connaissances et de recul, nos  contemporains resteront étrangers à leur époque. » 

Ceci d’autant plus que l’on assiste à une montée des fanatismes, à la puissance des sectes, à l’attirance, toujours présente pour les pratiques irrationnelles de prédiction de l’avenir et ceci même dans les milieux intellectuels. « Il est  tristement remarquable que les professeurs aient un niveau de croyance au paranormal supérieur à la moyenne française. »  dit  Henri  Bosch,   chercheur  à   l’Université  de  Nice qui  dénonce en même temps  qu’il  déplore  ce  qu’il   appelle  de véritables virus intellectuels. 

Des enjeux d’apprentissage plus larges

L’objectif premier est bien de développer une certaine pratique des sciences à l’école primaire, mais ce n’est pas le seul objectif.  En effet  le rapport  de l’inspection générale émet des réserves quant à   l’acquisition de connaissances scientifiques et pourtant l’opération est jugée largement positive. C’est donc qu’au­delà des sciences il y a d’autres aspects positifs, d’autres enjeux.

On note dans le rapport que des progrès ont été réalisés dans le domaine de La maîtrise des langages (qui est également un objectif transversal mis en avant, notamment dans le principe 6 qui vise « la consolidation de l’expression orale   et  écrite ».)  Des  progrès   sont  perçus   sur   le  plan  de  l’oral  d’abord,   (pour  présenter,   expliquer,   questionner, argumenter) qui est une grande priorité de l’école aujourd’hui…et sur le plan de  l’écrit, d’autre part, puisqu’il faut garder des traces du travail effectué, sous des formes différentes, observations, informations, résultats d’expériences, conclusions, tableaux, schémas, etc. Que cette façon d’enseigner les sciences puisse permettre de tels progrès semble donc tout à fait intéressante !

Pratiquer les sciences de cette manière, c’est chercher à s’exprimer de façon rationnelle et logique. Il s’agit bien ici d’élaborer des outils langagiers pour  « apprendre à  penser ». On se souviendra que la  leçon de choses  avait, elle aussi,   des   ambitions   d’apprentissage   langagier  mais   qui   étaient  plus   orientées   vers   l’acquisition   d’un   vocabulaire descriptif précis.

Sophie Ernst91, professeur de philosophie en IUFM et chargée de mission à l’INRP évoque quant à elle, un enjeu d’ordre psychologique:

« Ce qu’apportent aussi les sciences, c’est que, partant d’un problème, on apprend le détour : on s’oblige à ne pas  répondre tout de suite, à programmer les étapes…cela demande d’écrire et de mettre en relation des faits ; de laisser une question en suspens qui devra être réglée plus tard…c’est un point essentiel si on veut agir sur le « tout, tout de suite » qui  empêche les enfants de se structurer ? Autre enjeu, la nécessité d’être compris par les autres pour pouvoir entrer ensemble  dans des raisonnements avec l’apprentissage de la décentration de soi que cela implique. »

Maîtrise des langages, structuration de la pensée, de la personne mais aussi éducation du comportement.…

Les enjeux d’éducation du citoyen

La dimension citoyenne y a été ajoutée : «  Les sciences forment la personnalité de l’enfant et sont une véritable  éducation à l’esprit civique » nous dit la brochure de présentation de La main à la pâte. Voilà un aspect qui ne doit rien à « Hands on » et qui est typiquement français.

Il faut peut­être voir ici dans le souci d’éducation au civisme, les traces d’une société travaillée par la violence à laquelle l’école n’échappe plus même si elle a pris une forme que l’on appelle incivilités. 

Il nous semble important de noter les nouvelles préoccupations de l’Ecole de la République depuis les années 90 qui débouchent sur des injonctions dans le domaine de  l’éducation civique. Les valeurs reviennent en force dans les programmes de 1995. Elles y sont toujours dans les nouveaux programmes 2002.

Nous avons parlé de la puissance médiatrice de la parole. Mettre en mots, c’est dépasser les pulsions agressives, c’est différer, c’est symboliser, c’est apprendre la maîtrise de soi. La psychanalyse le dit depuis longtemps : chaque fois que le langage s’interpose, la violence recule. La confrontation des idées comporte l’acceptation de l’autre. Travailler ensemble à construire un savoir commun c’est aussi se construire soi en tant qu’être social.

91 S. ERNST « La logistique est indispensable » in  Sciences : l’épreuve des faits Fenêtre sur cours, n°190, mai 2000

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IDEM 60 ­ 80L’on pourrait parler, dans les quartiers sensibles d’un relatif échec de l’intégration qui devait se faire par le biais 

d’une culture commune dispensée par l’école. Or, cette culture commune n’a pu se définir clairement dès qu’elle a quitté   l’ethnocentrisme. La culture scientifique ne pourrait­elle alors prendre  le relais  comme culture (cette   fois­ci universelle) commune ? Comme patrimoine de l’humanité ?

Jean Loup Canal, dans un article sur L’éducation scientifique et la formation du citoyen, rappelle que la naissance des   sciences  a   eu   lieu  dans   la  Grèce  Antique.  La  participation  à   la   vie  politique  a  développé   l’art  oratoire  pour convaincre.  Cette  pratique  a  entraîné  une   recherche  de   l’argumentation,  « une   justification  des   faits  observés,  une  méthodologie de la preuve, une remise en cause de préjugés et de présupposés, un esprit critique parallèlement au mythe et à  la croyance religieuse »92

Il  y aurait  eu peu à  peu un glissement de ces compétences vers les lois de la nature, et  la recherche de la démonstration serait née de la pratique de la démocratie. Elle aurait ainsi « permis l’émergence de l’esprit scientifique. » C’est l’hypothèse construite par Lloyd93. Bien sûr,  « Une meilleure approche de l’enseignement des sciences ne saurait  résoudre tous les maux de notre société », mais Jean­Loup Canal pense que chacun doit œuvrer pour une formation qui soit la plus humaniste possible.

Le plan de rénovation de l’enseignement des sciences et de la technologie à l’école voit donc le jour le 20 juin 2000. C’est un projet de grande envergure qui s’inspirant de l’expérience de La Main à la pâte, étend cet enseignement à toutes les classes du cycle 3.

92 J.L. CANAL, L’Education scientifique et la formation du citoyen, in Animation et Education, n°156, mai­juin 200093 G.E.R. LLOYD, Magie, raison et expérience, Flammarion, 1990

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IDEM 60 ­ 80 C CONCLUSIONONCLUSION

  Nous voici arrivés au bout d’un travail, qui, par certains côtés a pris l’allure d’une enquête historique, parfois complexe et difficile, à propos de l’enseignement des sciences en France. C’est avec étonnement parfois, que nous avons trouvé un fil logique et que nous l’avons suivi dans son déroulement. Un fil qui nous a menés de la leçon de choses au « tâtonnement expérimental » pour arriver jusqu’à « la main à la pâte », non sans un petit détour outre atlantique.

  De   l’étude   de  la   leçon   de   choses  nous   pourrions   constater   d’abord   son   extraordinaire   longévité,   tout   en remarquant très vite qu’il y en avait plusieurs interprétations.   Que c’est la société tout entière qui a privilégié une interprétation qui allait dans le sens de la soumission à la parole du maître, ce qui n’était pas forcément dans l’esprit des textes de 1923. C’est une façon d’enseigner si profondément enfouie dans les mémoires qu’elle est présente encore aujourd’hui et fait surface dans une certaine manière de conduire la classe. 

Il y avait une autre interprétation possible de la leçon de choses dans le respect des textes mais qui très vite remettait en cause les conceptions sur les apprentissages et poussait à reconsidérer les démarches pédagogiques. Ce fut le chemin qui mena vers le tâtonnement expérimental et qui devait préparer le terrain à une véritable rupture avec la leçon de choses dans les années 70 en ce qui concerne la démarche. Et cette démarche, pour l’essentiel, ne nous vient pas d’Amérique.

La démarche   scientifique  prônée  par   « La main  à   la   pâte »   est   issue  d’une   longue  évolution  des  pratiques pédagogiques qui, depuis le début du protestantisme jusqu’à nos jours mettent l’enfant en situation d’agir sur le monde. Elle est  l’héritière de tout  un courant de recherche venu des mouvements de pédagogie nouvelle.  Nous avons vu comment elle s’est concrétisée, il y a plus de vingt ans, dans l’Aube, mais aussi en France, autour des groupes BT et, dans le cadre des activités d’éveil, autour des groupes de recherche de l’INRP, avec une production d’outils de grande qualité, qui, aujourd’hui encore, peuvent servir d’aide et de référence aux enseignants

Nous   avons   rencontré   au   cours   de   nos   recherches,   des   personnalités   totalement   engagées,   convaincues, impliquées dans une recherche exigeante et qui ont impulsé une forte dynamique à l’enseignement des sciences en France. Avec la part due, au hasard des rencontres et à  l’émergence, de courants plus profonds, qui viennent de loin et nous dépassent. Cette histoire est un peu la leur. Elle a enrichi notre patrimoine pédagogique commun; les traces en sont vivantes, encore aujourd’hui, qu’on ne saurait renvoyer à l’oubli.

   L’autre fil que l’on peut dérouler depuis la leçon de choses, venant de l’époque de Jules ferry est celui d’un Etat fortement éducateur qui entend faire passer par le biais de l’enseignement des sciences autre chose que des sciences. Aujourd’hui, il s’agit de former les esprits non à un monde immuable ayant atteint ‘l’état positif ’, mais à un monde incertain, fluctuant, à un monde en perpétuel changement. Et l’école a en charge d’apprendre à fabriquer  des outils  pour penser. 

  La tradition française ajoute, également, une autre mission à l’enseignement scientifique : celle  de former les  citoyens qui puissent intervenir dans le débat mais qui puissent aussi vivre ensemble en partageant une culture commune au­delà des origines ethniques différentes.

Dans notre système centralisé, l’Etat a décidé d’étendre l’expérience de la main à la pâte à l’enseignement des sciences dans tout le cycle 3 avec le Plan de Rénovation de l’Enseignement des Sciences et de la Technologie à l’Ecole (le PRESTE). C’est chose faite depuis juin 2000.

  A l’aube des années 2000, la science se trouve brusquement mise au premier plan, comme si, dans le manque de repères idéologiques que nous connaissons aujourd’hui, elle incarnait des valeurs sûres. Pour  Pierre Léna94,  « la  science est un acte profondément moral de vérité, elle a partie liée avec les mœurs personnelles ». Yves Quéré95, quant à lui, repère cinq enjeux de la culture scientifique : le goût de la vérité, la faculté de modestie, l’esprit de justesse, le don d’imagination et le sens de la langue. 

Le   fil   vient   jusqu’à   nous,   sous   l’habillage   des   sciences,   mais   avec   toujours   la   même   question :  comment construire l’homme de demain ? 

94 P. LENA,  « A propos de la main à la pâte », Actes du colloque, BNF,INRP,30,31 janvier 199995 Y. QUERE, Ibidem

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IDEM 60 ­ 80BBIBLIOGRAPHIEIBLIOGRAPHIE

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Les instructions officielles : 1887, 1923; 1938; 1945, 1969, 1989, 1995, 1996, 2000, 2002, 

Textes officielsRapport de l’IGN sur la Main à la pâte de 1999,Conférence de presse de J. Lang du 20 juin 2000,BO du 15 juin 2000 présentant le PRESTE

BO, 29 juin 2000 Synthèse nationale de la consultation sur les documents d’application des programmes de l’école  élémentaireLivres et manuels du musée de l’éducation de l’Aube :

P. BERT :  La deuxième année d’enseignement scientifique, cours supérieur, rédigé en 1881 édité en 1902, 44ème 

édition, Paris Armand Colin 

G. COMPAYRE, Cours de pédagogie théorique et pratique, Librairie classique Paul Delaplane, Paris, 1899

A GODIER, S. MOREAU et M. MOREAU, Les leçons de choses au cours élémentaire, 1954, F. Nathan 

J.B. LALANNE et BIDAULT, « Les sciences à l’école primaire, avec leur applications à l’hygiène et à l’Agriculture »,  Cours moyen et supérieur,1895, Bibliothèque d’éducation, seconde édition

P. LEDOUX, Leçons de choses, cours élémentaire, 13ème édition, Hachette, Paris 1928, L. PASTOURIAUX E.LEBRUN, « Leçons de choses cours élémentaire et cours moyen » Paris, Delagrave, 1928

PASTOURIAUX, LE BRUN, REGNIER,  « Apprenons à  observer Leçons de choses Cours élémentaire »,  Delagrave, Paris, 1940

R. TAVERNIER , L’éveil par les activités scientifiques, Piles, ampoules, aimants, guide du maître du CE au CM, 1975 Bordas

R. TAVERNIER , L’éveil par les activités scientifiques, L’enfant s’interroge sur son corps, guide du maître du CE au CM, 1976 Bordas

R. TAVERNIER , L’éveil par les activités scientifiques, La vie des plantes, guide du maître du CE au CM, 1977 Bordas

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Table des matières Introduction.............................................................................................................................................2Présentation des sources utilisées............................................................................................................3

1La leçon de choses............................................................................................................................4Aux origines de la leçon de choses..................................................................................................4

Les origines.................................................................................................................................4Arrivée des sciences dans l’école républicaine...........................................................................4

La leçon de choses : les ambiguïtés ...............................................................................................4Tentative de définition................................................................................................................5Entre méthode active et démarche scientifique..........................................................................5Entre deux modèles opposés : les connaissances usuelles et la formation scientifique..............6

Interprétations autour de la leçon de choses...................................................................................6Méthode générale ou discipline scientifique...............................................................................6Une méthode mais laquelle ?......................................................................................................7Les différentes formes de la leçon de choses..............................................................................7Les dérives..................................................................................................................................7

L’enseignement scientifique d’après Paul Bert................................................................................8Les références à la science.........................................................................................................8Le rôle des sciences pour l’Etat éducateur..................................................................................9Des manuels pour chaque école.................................................................................................9Les méthodes actives, le matériel ..............................................................................................9La leçon de sciences par Paul Bert ...........................................................................................10Contradiction entre méthode active et conception des apprentissages....................................10

2L’évolution de leçons de sciences et de la leçon de choses.............................................................12Le manuel de Lalanne et Bidault 1895......................................................................................12Remarques................................................................................................................................13Les instructions officielles de1923...........................................................................................13Les instructions officielles de 1938...........................................................................................14

Les écarts entre les injonctions des IO et les pratiques de la leçon de choses...............................14Le contenu : Quelles leçons donnent les choses ?.....................................................................15Les difficultés de la pratique.....................................................................................................17

L’évolution de la leçon de choses après la guerre.........................................................................18Etude de manuels.....................................................................................................................19Un modèle pédagogique de référence ou des modèles ?..........................................................20Mort et survivance de la leçon de choses.................................................................................21

3Aux origines de ‘La main à la pâte’..................................................................................................22Le système américain : « Hands on »............................................................................................22Les caractéristiques du système américain...................................................................................22

Quelques données historiques .................................................................................................22Plusieurs programmes dans un système contractuel................................................................23Un système soutenu par de gros moyens ................................................................................23Quelle démarche pour une école très décentralisée ?...............................................................23

Le système américain : points forts, points faibles........................................................................24Les points forts.........................................................................................................................24Les points faibles......................................................................................................................24

La transposition du programme « Hands on » en France...............................................................24Le lancement de l’idée..............................................................................................................25Ne pas copier mais transposer..................................................................................................25

« La main à la pâte », mise en place ............................................................................................25Le début de l’expérimentation .................................................................................................25Les premiers succès .................................................................................................................25Convaincre de la validité de la démarche ................................................................................26Les 10 principes de la charte....................................................................................................26De gros moyens mis en place...................................................................................................27Le soutien de l’Institution et de la communauté scientifique....................................................28

4Entre la leçon de choses et ‘la main à la pâte’.................................................................................29La leçon de choses : un autre chemin...........................................................................................29Les idées de la pédagogie nouvelle et Célestin Freinet .................................................................29

Célestin Freinet et les méthodes actives...................................................................................29Un moteur pour une évolution des démarches pédagogiques en sciences...............................30

Freinet et l’apprentissage : le tâtonnement expérimental.............................................................30Le tâtonnement expérimental et la démarche scientifique.......................................................30

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IDEM 60 ­ 80Les limites du tâtonnement expérimental.................................................................................31Les interprétations du tâtonnement expérimental....................................................................31

5La croisée des chemins....................................................................................................................33Les chantiers ICEM-sciences, les BT et la recherche......................................................................33

L’organisation des groupes BT..................................................................................................33Le groupe BT sciences et la recherche INRP.............................................................................33La rénovation pédagogique dans le contexte des « activités d’éveil »......................................34La recherche INRP.....................................................................................................................34Les liens entre le groupe INRP et le groupe BT sciences...........................................................35

Mais que sont devenus les enseignants de l’ICEM ?......................................................................36La diminution des militants de l’Ecole Moderne........................................................................36Influence des militants « Freinet » dans la diffusion des idées..................................................36Les militants Freinet et l’évolution des techniques....................................................................37

6Etude comparative des BT sciences et de ‘la main à la pâte’..........................................................38Les caractéristiques des BT sciences.............................................................................................38

La genèse des BT......................................................................................................................38Une démarche scientifique centrée sur l’initiative et l’activité des élèves................................38Des méthodes de travail suggérées..........................................................................................38La BT entre reportage et aide méthodologique ........................................................................39

La production du groupe BT sciences et son évolution..................................................................39Les sujets traités par le groupe ayant fait l’objet d’une parution..............................................39L’évolution des BT.....................................................................................................................40Qu’en est-il aujourd’hui du groupe BT sciences........................................................................40Quels moyens de diffusion ?.....................................................................................................41Les moyens en formation..........................................................................................................41Un certain fonctionnement de la classe, une certaine conception des apprentissages.............41

Comparaison entre les fiches de « la main à la pâte » et les BT sciences.....................................42Le questionnement...................................................................................................................42Organisation de la phase d’expérimentation.............................................................................43Analyse des résultats, la phase de mise en commun................................................................44L’émergence du problème scientifique.....................................................................................45Synthèse et traces écrites.........................................................................................................45Remarques................................................................................................................................46Les difficultés à appliquer un scénario......................................................................................47

7L’Etat éducateur : les nouveaux enjeux...........................................................................................49Les enjeux de l’enseignement des sciences..................................................................................49

Qu’est-ce que la science aujourd’hui ?......................................................................................49D’abord qu’enseigner ?.............................................................................................................49Qu’est-ce qu’apprendre en sciences? .......................................................................................49

Le rapport de l’Inspection Générale sur « La main à la pâte ».......................................................50Comparaison entre ceux qui sont dans le projet et ceux qui ne le sont pas..............................50Aspects positifs de l’expérience................................................................................................50Quelques difficultés observées ................................................................................................50La corrélation entre la formation initiale et les résultats observés............................................51Remarques................................................................................................................................51

La généralisation de l’expérience : les enjeux...............................................................................51Les enjeux scientifiques............................................................................................................51Des enjeux d’apprentissage plus larges....................................................................................52Les enjeux d’éducation du citoyen............................................................................................52

Annexes.................................................................................................................................................59

AnnexesAnnexe 1 : Historique des programmes américains.Annexe 2 : Programmes de science à l’école élémentaire dans le projet SEED de PasadenaAnnexe 3 : l’aide à l’enseignant dans sa classe dans le programme de PasadenaAnnexe 4 : Bibliothèque de travail : les thermomètres pourquoi ça monte ?Annexe 4 : Description du reportage

Annexe 5 : Fiches de « la main à la pâte » : découverte du thermomètre à alcool

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