L’ o p e n s c i e n c e a p e r m i s d ’ i d e n t i f i ...

4
27/11/2017 Dépêche AEF : L’open science a permis d’identifier l’infection du blé menaçant la sécurité alimentaire du Bangladesh (Tofazzal Islam) http://www.aef.info/abonne/depeche/575522 1/4 Tofazzal Islam (Bangabandhu Sheikh Mujibur Rahman Agricultural University, Bangladesh) et Sophien Kamoun (laboratoire Sainsbury à Norwich au Royaume-Uni) L’open science a permis d’identifier l’infection du blé menaçant la sécurité alimentaire du Bangladesh (Tofazzal Islam) Par Anne Roy Dans un entretien à AEF, Tofazzal Islam, actuellement chercheur invité à la West Virginia University (États-Unis) dans le cadre du programme Fulbright, explique comment l’open science, l’open access et les réseaux sociaux peuvent se mettre au service de défis scientifiques en situation de crise. En l’occurrence, une infection du blé apparue en février 2016 au Bangladesh, menaçant la sécurité alimentaire de la région. Alors à la tête du département de biotechnologie d’une des principales universités du pays, la Bangabandhu Sheikh Mujibur Rahman Agricultural University, le professeur Tofazzal Islam contacte un collègue au Royaume-Uni. Ensemble, ils séquencent le génome du pathogène, publient leurs données en accès libre et lancent un appel à la communauté scientifique internationale. En quelques semaines, le secret de l’infection est levé : ce "Wheat blast", vient d’Amérique du Sud (1). AEF : Comment avez-vous commencé à travailler sur le "Wheat Blast" ? Tofazzal Islam : Le Wheat blast est une infection végétale qui a fait son apparition de façon soudaine au Bangladesh en février 2016. 15 000 hectares de blé ont été affectés au stade de la floraison et ont dû être détruits. Cela s’est avéré un casse-tête pour le gouvernement, pour les agronomes et pour les agriculteurs : le blé est la deuxième céréale la plus importante au Bangladesh. Le gouvernement a décidé de brûler les cultures infectées. Le 1er mars, j’ai appris la nouvelle de mon ami Sophien Kamoun, chef d’unité au laboratoire Sainsbury à Norwich au Royaume-Uni, qui a posté sur Facebook un article sur le sujet et fait part de son inquiétude. J’ai immédiatement pris contact avec lui et nous avons décidé de trouver l’identité génétique et l’origine de cette maladie. J’ai alors communiqué avec les gens sur le terrain et quand j’ai appris de quoi il s’agissait, j’ai compris que la situation était catastrophique. Cela avait les caractéristiques d’une maladie grave qui sévit en Amérique latine depuis 1985 et qui entraîne une destruction totale des cultures. J’ai donc lancé un appel sur Facebook et Twitter et de nombreux scientifiques ont manifesté un grand intérêt. Toute reproduction ou transmission de cette dépêche est strictement interdite, sauf accord formel d'AEF. AEF Dépêche n°575522 - Paris, le 24/11/2017 15:25:00 - Recherche et Innovation - - 217.114.201.5 - www.aef.info

Transcript of L’ o p e n s c i e n c e a p e r m i s d ’ i d e n t i f i ...

Page 1: L’ o p e n s c i e n c e a p e r m i s d ’ i d e n t i f i ...

27/11/2017 Dépêche AEF : L’open science a permis d’identifier l’infection du blé menaçant la sécurité alimentaire du Bangladesh (Tofazzal Islam)

http://www.aef.info/abonne/depeche/575522 1/4

Tofazzal Islam (Bangabandhu Sheikh MujiburRahman Agricultural University, Bangladesh) etSophien Kamoun (laboratoire Sainsbury àNorwich au Royaume-Uni)

L’open science a permis d’identifier l’infection du blé menaçant lasécurité alimentaire du Bangladesh (Tofazzal Islam)Par Anne Roy

Dans un entretien à AEF, Tofazzal Islam,actuellement chercheur invité à la WestVirginia University (États-Unis) dans le cadredu programme Fulbright, explique commentl’open science, l’open access et les réseauxsociaux peuvent se mettre au service de défisscientifiques en situation de crise. Enl’occurrence, une infection du blé apparue enfévrier 2016 au Bangladesh, menaçant lasécurité alimentaire de la région. Alors à la têtedu département de biotechnologie d’une desprincipales universités du pays, laBangabandhu Sheikh Mujibur RahmanAgricultural University, le professeur TofazzalIslam contacte un collègue au Royaume-Uni.Ensemble, ils séquencent le génome du

pathogène, publient leurs données en accès libre et lancent un appel à la communautéscientifique internationale. En quelques semaines, le secret de l’infection est levé : ce"Wheat blast", vient d’Amérique du Sud (1).

AEF : Comment avez-vous commencé à travailler sur le "Wheat Blast" ?

Tofazzal Islam : Le Wheat blast est une infection végétale qui a fait son apparition de façonsoudaine au Bangladesh en février 2016. 15 000 hectares de blé ont été affectés au stade de lafloraison et ont dû être détruits. Cela s’est avéré un casse-tête pour le gouvernement, pour lesagronomes et pour les agriculteurs : le blé est la deuxième céréale la plus importante auBangladesh. Le gouvernement a décidé de brûler les cultures infectées. Le 1er mars, j’ai appris lanouvelle de mon ami Sophien Kamoun, chef d’unité au laboratoire Sainsbury à Norwich auRoyaume-Uni, qui a posté sur Facebook un article sur le sujet et fait part de son inquiétude. J’aiimmédiatement pris contact avec lui et nous avons décidé de trouver l’identité génétique etl’origine de cette maladie. J’ai alors communiqué avec les gens sur le terrain et quand j’ai apprisde quoi il s’agissait, j’ai compris que la situation était catastrophique. Cela avait les caractéristiquesd’une maladie grave qui sévit en Amérique latine depuis 1985 et qui entraîne une destruction totaledes cultures. J’ai donc lancé un appel sur Facebook et Twitter et de nombreux scientifiques ontmanifesté un grand intérêt.

Toute reproduction ou transmission de cette dépêche est strictement interdite, sauf accordformel d'AEF.

AEF Dépêche n°575522 - Paris, le 24/11/2017 15:25:00 - Recherche et Innovation - - 217.114.201.5 - www.aef.info

Page 2: L’ o p e n s c i e n c e a p e r m i s d ’ i d e n t i f i ...

27/11/2017 Dépêche AEF : L’open science a permis d’identifier l’infection du blé menaçant la sécurité alimentaire du Bangladesh (Tofazzal Islam)

http://www.aef.info/abonne/depeche/575522 2/4

Capture d'écran du premier appel de T. Islam sur FacebookAEF : Quel était votre message ?

Tofazzal Islam : Le message disait : "Quelqu’un a-t-il une idée de ce que peut être cetteinfection ?" J’ai partagé une photo montrant un champ de blé dont les pointes deviennentblanches, sans grains, alors que la plante reste verte. Après 48 heures de discussions, Sophien etmoi avons décidé d’utiliser les approches de génomique pour identifier le pathogène et son originepossible. Je lui ai envoyé des échantillons infectés collectés dans les zones épidémiques auBangladesh. Son équipe a travaillé nuit et jour, même pendant les vacances de Pâques, et endeux semaines nous avons obtenu le séquençage de 5 échantillons infestés et 5 non infectés.Nous avons été surpris de constater que dans la banque de donnée ICB [qui répertorie les ADN debactérie] n’existait qu’une seule séquence correspondant au Wheat blast. La séquence que nousavons trouvée venait du Brésil. Nous l’avons comparée avec notre pathogène : les séquencesétaient quasi similaires. Mais n’ayant qu’une seule donnée à comparer nous n’avons pu tireraucune conclusion.

AEF : Pourquoi avoir ensuite décidé de publier vos données en accès libre ?

Tofazzal Islam : Quand nous avons eu les conclusions préliminaires montrant que le pathogèneétait vraisemblablement un clone de celui qui existait au Brésil, nous avons décidé de rendrepubliques nos données à la communauté scientifique mondiale via un site spécifique "Open wheatblast" - ce que nous avons fait le 19 avril 2016. Comme les séquences génomiques des autreséchantillons de Wheat blast étaient avec d’autres chercheurs, nous voulions que les scientifiquesdu monde entier puissent comparer nos données avec les leurs. Nous avons également envoyé uncommuniqué de presse pour demander à tous les scientifiques de rejoindre notre mission. Nousvoulions qu’ils puissent télécharger nos données de séquençage et les comparer avec leurspropres données. Nous avons partagé le message sur Twitter, Facebook… Par chance, denombreux médias ont publié notre communiqué, dans le monde entier, dont Nature avec un articlesur deux pages et Science.

Les scientifiques du monde entier ont téléchargé nos données et partagé leurs conclusions. Defaçon intéressante, nos conclusions préliminaires et celles faites par plusieurs groupesindépendants étaient identiques. Nous avons donc publié un article rédigé par des scientifiques dequatre continents : Australie, Europe, Amérique du Sud et Asie, d’abord sans peer review et enopen access, sur bioRxiv, de façon à ce que tout le monde puisse le lire, puis sur BMC biology, unjournal international phare, à comité de lecture cette fois, au Royaume-Uni. Nous avons publié lesdonnées dans les quatre mois qui ont suivi l’émergence de cette maladie. Dans l’histoire del’agriculture, c’est un résultat fantastique, fruit d’une collaboration exceptionnelle de 31 chercheursde 4 continents - dont, en France, un chercheur de l’Inra (2) - sans aucun financement ni aucuneinteraction de recherche au préalable.

AEF : Quelles étaient ces conclusions ?

Tofazzal Islam : Le Wheat blast au Bangladesh vient de celui d’Amérique du Sud : il y a deux ans,le Bangladesh a importé de grandes quantités de grains de blé du Brésil. C’est vraisemblablementce qui a causé la transmission du pathogène.

Page 3: L’ o p e n s c i e n c e a p e r m i s d ’ i d e n t i f i ...

27/11/2017 Dépêche AEF : L’open science a permis d’identifier l’infection du blé menaçant la sécurité alimentaire du Bangladesh (Tofazzal Islam)

http://www.aef.info/abonne/depeche/575522 3/4

AEF : Où en êtes-vous aujourd’hui ?

Tofazzal Islam : Aujourd’hui, notre défi consiste à développerdes variétés de blé résistantes à cette maladie, de façon àendiguer l’infection qui, cette année, s’est propagée à denouveaux districts du Bangladesh et a même pénétré l’Inde où4 000 hectares de blé ont été endommagés. Récemment, legouvernement indien a interdit la culture du blé au Bengale del’Ouest. Or, l’Inde est le second producteur de blé après laChine. Si l’infection se répand en Asie, cela seraitcatastrophique et pourrait entraîner une grave crisealimentaire. C’est pourquoi nous devons prendre en main cettesituation de façon urgente. Le problème c’est qu’il n’existe pasbeaucoup de gène candidat résistant contre ce pathogène.Voilà pourquoi nous regardons du côté de l’édition du génome,pour éditer le génome du blé. Le blé contient des gènes quiaident le pathogène à reconnaître qu’il s’agit de blé et à s’yintroduire. Si nous pouvons enlever les gènes concernés, le pathogène ne pourra plus reconnaîtrele blé et la variété sera résistante à l’infection.

AEF : De quels types de financement disposez-vous ?

Peu nous importe de publier un article dans Nature et Science, nous voulons mobiliser lacommunauté scientifique internationale ainsi que les capacités intellectuelles mondiales pour venirà bout cette infection émergente.

Tofazzal Islam : Actuellement, des chercheurs de l’université d’Exeter, du Sainsbury Laboratory etde l’Institut national de biotechnologie agricole au Royaume-Uni collaborent avec nous. Nousavons obtenu un bon financement du Fonds de recherche britannique pour les défis mondiaux duBBSRC (Conseil pour les biotechnologies). Chaque jour, les données qui émanent de noslaboratoires sont publiées sur le site de façon à ce que tout le monde puisse les télécharger,appliquer des idées et collaborer avec nous pour résoudre ce problème aussi vite que possible.Peu nous importe de publier un article dans Nature et Science, nous voulons mobiliser lacommunauté scientifique internationale ainsi que les capacités intellectuelles mondiales pour venirà bout de cette infection émergente. C’est la meilleure façon de gérer cette crise. Nous espéronsque de nouveaux chercheurs du monde entier vont nous rejoindre.

AEF : De quelle aide des institutions disposez-vous ?

Tofazzal Islam : Le gouvernement du Bangladesh prend l’affaire très au sérieux. Pour lui, lasécurité alimentaire est la première des priorités. Mais dans un pays en développement, il estdifficile de combattre rapidement une nouvelle infection végétale. Cela prend plusieurs années, etsi on attend autant, le blé pourrait avoir complètement disparu. Il faut une action rapide, lameilleure façon était donc d’engager la communauté scientifique mondiale, les ressources et lescompétences scientifiques mondiales.

Quand le problème est apparu, le gouvernement a aussi pris des initiatives. Mon initiative étaitquant à elle totalement indépendante, sans bureaucratie. C’est ce qui nous a permis d’agir aussirapidement. Plusieurs organisations internationales dont le CYMMT (International Maize andWheat Improvement Center), USaid, la FAO ont également travaillé avec le Centre de recherchesur le blé qui dépend du gouvernement du Bangladesh. Mais nous avons été les premiers àdéterminer l’identité génétique et l’origine du Wheat blast au Bangladesh grâce à notre approchecollaborative. Notre expérience montre que l’open science et l’open data sont les meilleurs moyenspour répondre rapidement à l’émergence d’une nouvelle infection qui menace la sécuritéalimentaire. Le gouvernement du Bangladesh m’apporte beaucoup de soutien. Notre programmefait aussi l’objet d’articles dans les médias locaux : ils nous soutiennent beaucoup aussi parce quec’est une approche qui place l’humain au cœur de nos recherches.

Page 4: L’ o p e n s c i e n c e a p e r m i s d ’ i d e n t i f i ...

27/11/2017 Dépêche AEF : L’open science a permis d’identifier l’infection du blé menaçant la sécurité alimentaire du Bangladesh (Tofazzal Islam)

http://www.aef.info/abonne/depeche/575522 4/4

(1) Cette infection, le fungus magnaporthe oryzae, constitue une grave menace pour la production du blé dans plusieurs pays d'Amérique du Suddepuis son apparition dans l’État de Parana au Brésil en 1985.

(2) Pierre Gladieux.