Janin, R. Le Palais Patriarcal de Constantinople

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Raymond Janin Le palais patriarcal de Constantinople In: Revue des études byzantines, tome 20, 1962. pp. 131-155. Citer ce document / Cite this document : Janin Raymond. Le palais patriarcal de Constantinople. In: Revue des études byzantines, tome 20, 1962. pp. 131-155. doi : 10.3406/rebyz.1962.1283 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rebyz_0766-5598_1962_num_20_1_1283

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Raymond Janin

Le palais patriarcal de ConstantinopleIn: Revue des études byzantines, tome 20, 1962. pp. 131-155.

Citer ce document / Cite this document :

Janin Raymond. Le palais patriarcal de Constantinople. In: Revue des études byzantines, tome 20, 1962. pp. 131-155.

doi : 10.3406/rebyz.1962.1283

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rebyz_0766-5598_1962_num_20_1_1283

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LE PALAIS PATRIARCAL

DE CONSTANTINOPLE BYZANTINE

Si l'on connaît assez bien, surtout grâce au Livre des cérémonies, le Palais Sacré habité par la cour impériale, il faut avouer en revanche que l'on est fort mal renseigné sur la résidence du patriarche. Ducange (1) a réuni tous les textes le concernant qui étaient publiés au xvne siècle, mais il n'a pas essayé de préciser l'emplacement de l'édifice, ni d'en donner une description. Depuis lors, aucun auteur ne semble avoir sérieusement tenté d'étudier de plus près la question, sauf R. Guilland dans l'article qu'il a fait paraître sous le titre « Le Thomaïtès et le Patriarcat » dans le Jahrbuch der Ο esterr eichischen Byzantinischen Gesellschaft (2). Sans doute, on ne possède que des détails fragmentaires, mais les renseignements qu'ils fournissent et leur recoupement permettent de préciser de façon satisfaisante certains points importants, ce qui permet d'esquisser la physionomie du patriarcat. C'est ce que nous voudrions faire dans cette étude, sans nous dissimuler qu'elle ne peut être qu'approximative et que toute la lumière ne sera probablement jamais faite.

Noms. Le premier que l'on connaisse est celui α'έπισκοπεΐον, le plus naturel. Lorsque Palladius l'employait dans le premier quart du ve siècle (3), le prélat qui gouvernait l'Église de Constantinople n'était encore qu'un simple évêque, dépendant de la métropole d'Héra- clée de Thrace. Théophane le Confesseur se sert du même terme au début du ixe siècle, mais seulement dans la première partie de sa Chronographie (4), le second concile de Nicée (787) dans son IXe canon (5) et encore Nicéphore Calliste au xive siècle (6). Théophane emploie celui de πατριαρχεΐον à partir du vne siècle (7), ainsi que

(1) Constantino polis Christiana, II, m, 1-5. (2) ν (1956), p. 29-40. (3) Dialogus, c. 8; P. G., xlvii, 27. (4) Éd. de Boor, ι, p. 7812, 155 13. (5) Mansi, xiii, 430 B. (6) Hist, eccl., xvn, 44; P. G., cxlvii, 417 A. (7) i, p. 369 16, 438 3, 439 4.

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Cédrénus (8) ; Nicétas le Paphlagonien, celui de πατριαρχικός οίκος (9) ; Zonaras, celui de ιερόν άνάκτορον (10); Nicétas Choniatès dit ιερόν άρχεΐον, ιερά αρχεία (11), ainsi que Nicolas Mésaritès (12). Notons que le terme de ιερόν άνάκτορον a été parfois faussement traduit par celui de « Palais Sacré » qui désignait la demeure impériale; de même celui de ίερόν άρχεΐον a été compris comme s'il s'agissait de Sainte- Sophie.

Édifices. Le patriarcat formait un ensemble de constructions assez importantes en raison de sa destination. En effet, il s'y trouvait, en dehors de la demeure du patriarche et des clercs attachés à sa personne, les bureaux de l'administration générale de l'Église byzantine et ceux de l'éparchie de Constantinople, des salles de réception et de réunion, des chapelles, sans compter une partie au moins des tribunaux ecclésiastiques.

Disons tout de suite que ces divers édifices formaient deux groupes distincts, au moins à partir du vne siècle : au sud-ouest de Sainte- Sophie et communiquant avec elle, le patriarcat proprement dit, et au sud de l'extrémité orientale de la basilique, le Thomaïtès qui voisinait avec le Macrôn et les Synodoi, si même il ne se confondait pas avec eux. Les tribunes méridionales de Sainte-Sophie, qui reliaient entre eux ces deux groupes, servaient aussi de dépendances, au moins pour la tenue des synodes.

Nous étudierons d'abord le patriarcat proprement dit, puis nous verrons le Thomaïtès, laissant provisoirement de côté les différents services dont l'emplacement ne saurait être déterminé, faute d'indications précises.

I. Le Patriarcat.

La pièce principale qui y est signalée semble bien être le triclinos dit Thettalos, sans doute parce qu'il était décoré de marbres de Thes- salie alors très en vogue. Il en est parlé dès le ixe siècle. Le patriarche Jean VII Grammaticos y était couché lorsqu'il reçut de la cour l'ordre de se préparer à comparaître devant le tribunal qui devait le juger.

(8) Bonn, n, p. 258; P. G., cxxn, 905 D. (9) Vita s. Ignatii, P. G., cv, 549 B. (10) Annales, xv, 12; éd. Dindorf, Leipzig, m, p. 362; P. G., cxxxiv, 1348 B. (11) Bonn, i, 106, 315; P. G., cxxxix, 416 a, 593 D. (12) A. Heisenberg, Nikolaos Mesarites. Die Palastrevolution des Joannes Komnenos,

Munich, 1907, p. 23.

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II en fut chassé après avoir simulé une blessure grave pour ameuter la foule (13). On ne peut situer ce triclinos que dans le patriarcat proprement dit. Des appartements construits par un patriarche Michel (Ier, 1043-1058, ou II, 1143-1146) apparaissent vers la fin du xne siècle : τα οικήματα του πατριάρχου Μιχαήλ (14). Un peu plus tard on rencontre ceux d'un patriarche Xiphilin (Κελλία του Ξιφιλινοΰ), soit Jean VIII (1064-1075), soit Georges II (1191-1198) (14 bis). Enfin le patriarche Arsène Autorianos aménagea les κελλία 'Αρσενίου pendant son second pontificat (1261-1265) (15). Il y avait encore deux sécréta ou bureaux, le grand et le petit, dont nous aurons à reparler. Trois chapelles existaient dans le patriarcat ou tout près de lui; celle de Saint-Alexis, celle de Saint-Théophylacte et celle de Saint-Abercius ; les deux premières virent de nombreux synodes se tenir dans leurs murs ou tout auprès.

Essayons d'abord de localiser l'édifice central. Site. Au début, les deux églises de Sainte-Sophie et de Sainte- Irène,

à peine distantes l'une de l'autre de cent cinquante mètres, formaient un ensemble compris dans la même enceinte, au dire de Socrate (16). Il est donc vraisemblable de penser qu'entre les deux édifices se trouvait une partie au moins des services et sans doute la résidence du chef de l'Église, puisque celui-ci devait, d'après la tradition, avoir son logement près de sa cathédrale, ainsi que le rappelle le XIVe canon du IVe concile de Carthage (397?) : Episcopus non longe ab ecclesia hospitiolum habeat (17). Pendant l'été de 388, les ariens brûlèrent la maison de l'évêque Nectaire (την οίκίαν του επισκόπου Νεκταρίου (18) ; mais aucun des auteurs qui parlent de cet événement n'indique la position de l'édifice, bien que A. M. Schneider ait cru pouvoir le localiser au sud de Sainte-Sophie (19), ce qui est certainement faux à cette date.

Il faut en effet noter que les patriographes appellent Sainte-Irène le « patriarcat » ou le « vieux patriarcat » (πατριαρχεΐον, πάλαιαν

(13) Theophan. contin., Bonn, p. 150; P. G., cix, 165; Syméon Magister, Bonn, p. 648; P. G., cix, 709 B.

(14) Nicétas Ghoniatès, Bonn, i, p. 324; P. G., cxxxix, 601 G. (14bls) A. Heisenberg, Die Unionverhandlungen vom 30 August 1206, Munich, 1923,

p. 17). (15) Miklosich et Müller, Acta et diplomata graeca medii aevi, i, p. 575. (16) Hist, eccl., i, 16; P. G., lxvii, 217 B. (17) Mansi, m, 952 C. (18) Socrate, v, 13; Sozomène, vu, 14; S. Ambrosii Epist. 40; P. L., xvi, 1106 A. (19) Brände in Konstantinopel, B. Z., 41 (1941), p. 382.

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πατριαρχεΐον (20), soit que le patriarcat y fût attenant, soit que Sainte-Irène servît d'église patriarcale. On trouve encore cette appellation de « vieux patriarcat » dans le chrysobulle de Michel VIII Paléologue indiquant les propriétés de Sainte-Sophie (1267) (21).

A la fin du vne siècle, on voit le patriarche fixé dans la partie sud-ouest de Sainte-Sophie, à gauche de la porte méridionale de la basilique appelée la « Belle Porte ». Nous en donnerons plus loin diverses preuves. A quand remontait ce logement? Bien qu'aucun texte (Procope lui-même n'en dit mot dans son De aedificiis) ne permette de le prouver, il est probable qu'il devait sa construction à Justinien, qui aura ainsi complété son œuvre lorsqu'il dota sa capitale de la splendide église qui en fait la gloire. En tout cas ce nouveau patriarcat ne pouvait être antérieur à la nouvelle basilique dont il aurait gêné les travaux; du reste il aurait certainement disparu lors de l'incendie qui détruisit Sainte-Irène, Sainte-Sophie et les édifices voisins pendant la révolte des Nika (532).

Faute d'avoir étudié sérieusement la question, les auteurs modernes ont émis diverses opinions sur l'emplacement du patriarcat. Scariatos Byzantios se contente prudemment de le situer « près de Sainte- Sophie » et il indique les principaux bâtiments qui le composaient (22). A.-G. Paspati lui assigne ses limites : entre le Sénat et Sainte- Sophie (23). J. P. Richter place le patriarcat à droite de l'Augustéon, c'est-à-dire du côté du Sénat (24). E. M. Antoniadès met le Macrôn et le Thomaïtès au sud de Sainte-Sophie, sans localiser le patriarcat lui-même (25). J. Ebersolt opte également pour le sud de Sainte- Sophie (26). A. Vogt conserve le Thomaïtès au sud, mais il place au nord de la basilique la plupart des services du patriarcat (27). A. Heisenberg indique la partie sud-ouest de Sainte-Sophie comme le site du patriarcat proprement dit (28). C'est l'opinion qui paraît la seule admissible, parce qu'elle s'appuie sur des preuves particulièrement solides que nous allons examiner.

De toute façon, le patriarcat ne pouvait être au sud de Sainte-

(20) Pseudo-Godinus, éd. Th. Preger, n, p. 214 en note; Anonyme de Banduri, n° 89; Byzantine de Venise, xxi, u, 29.

(21) Πανδώρα, XV, 1865, p. 30 : περιορισμός του παλαιοϋ πατριαρχείου της τοϋ Θεού Λόγου Ειρήνης. (22) Ή Κωνσταντινούπολις, Ι, Athènes, 1851, ρ. 517-519. (23) Τα βυζαντινά ανάκτορα, Athènes, 1885, ρ. 79. (24) Quellen der byzantinischen Kunstgeschichte, Vienne, 1897, p. 99. (25) "Εκφρασις της 'Αγίας Σοφίας, ι, Athènes, 1907, ρ. 61-67 et plan IZ'. (26) Sainte-Sophie de Constantinople, Paris, 1910, p. 27. (27) Le palais patriarcal, dans Echos d'Orient, xxxix, 1940, p. 86-89. (28) Op. cit., p. 61.

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Sophie, car il aurait masqué la basilique et restreint la largeur de l'Augustéon. Nous en avons d'ailleurs une preuve certaine. Lors du combat du 2 mai 1182, Marie Gomnène et son mari le césar Jean, voulant assurer à leurs troupes la liberté de leurs mouvements, font abattre les constructions qui avaient été élevées entre Sainte-Sophie et l'Augustéon (29). Cela ne peut s'entendre que de bâtiments de peu d'importance et non du patriarcat.

Plusieurs faits concourent à prouver que celui-ci se trouvait bien à l'endroit que nous indiquons.

1. Dans la nuit du 30 août 695, le patrice Léonce, victime de Justi- nien II, débarque avec ses conjurés pour détrôner son persécuteur. Apprenant que celui-ci a donné au patrice et stratège Etienne, dit le Roux (ό 'Ρούσσος), l'ordre de massacrer la population en commençant par le patriarche, il délivre des hommes politiques jetés en prison par Justinien II, ameute la foule et la fait se rassembler au Louter (Αουτήρ), atrium de Sainte-Sophie. Lui-même monte au patriarcat et presse Gallinique Ier de donner son adhésion au mouvement insurrectionnel. Le prélat hésite, mais l'annonce du péril qui le menace personnellement le trouble. Finalement il consent à descendre au Louter et à pousser devant la foule cette exclamation du Psalmiste : « Voici le jour qu'a fait le Seigneur » (30), parole peu compromettante, mais qui est aussitôt considérée comme une approbation (31). Il ressort du fait que l'habitation du patriarche était voisine du Louter et à un étage supérieur.

2. Le 12 mars 815, Léon V l'Arménien, qui veut se débarrasser du patriarche Nicéphore Ier, hostile à sa politique religieuse, soulève contre lui la population; des hommes en armes envahissent la cour de Sainte-Sophie (τα προαύλια της εκκλησίας) en poussant des cris hostiles au prélat et veulent monter au patriarcat. Le patrice Thomas en fait fermer les portes et disperse les manifestants. La nuit suivante, le patriarche est enlevé de son palais et déposé sur la Mésé, devant le Milion (32), d'où il suit que ce dernier devait être assez rapproché du patriarcat et que celui-ci touchait à la cour de Sainte-Sophie, qui ne peut être que le Louter. Même s'il s'agit du vestibule de la « Belle Porte », c'est toujours dans la partie sud-ouest de la basilique.

(29) Nicëtas Chômâtes, Bonn, i, p. 307; P. G., cxxxix, 588 B. (30) Ps. cxvii, 24. (31) Cédrénus, Bonn, i, p. 775; P. G., cxxi, 948 C-849 A; Théophane, i, 369. (32) Anonyme, De Leone, Bonn, p. 358-359.

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Cette hypothèse cependant ne paraît pas probable, car la foule ne devait pas avoir accès à cette porte.

3. En août 963, Bardas Phocas, père de Nicéphore II, a estimé prudent de se réfugier à Sainte-Sophie, sous la protection du patriarche Polyeucte et du peuple, pendant que son fils organise la rébellion en Asie Mineure. L'eunuque Bringas, tout-puissant au palais impérial, est l'ennemi juré de Nicéphore Phocas. Le 9 août, il se rend à Sainte- Sophie, monte au patriarcat et discute avec Polyeucte et les clercs qui l'entourent. Ne pouvant faire admettre son point de vue, il profère des menaces, monte à cheval et se dirige vers le Milion (33). Celui-ci était donc dans le voisinage du patriarcat.

4. Le 31 août 1057, de bon matin, les chefs du parti d'Isaac Ier Comnène, proclamé empereur le 9 juin précédent en Asie Mineure, se présentent en troupe dans la cour de Sainte-Sophie et demandent à grands cris que le patriarche descende, parce qu'ils ont une affaire très importante à traiter avec lui. Michel Cérulaire fait fermer les portes de son palais et celles de l'escalier tournant qui conduit aux tribunes méridionales de la basilique, puis il envoie ses deux neveux parlementer avec les conjurés, mais ceux-ci menacent de les étrangler, si le patriarche ne descend pas. Contraint ou jouant la comédie, le prélat revêt ses habits pontificaux et va s'entendre avec les manifestants (34). Il est clair que l'on se trouve de nouveau dans la partie sud-ouest de Sainte-Sophie, puisque l'escalier tournant est à gauche du Baptistère et que par la tribune méridionale de la basilique on pouvait pénétrer dans le patriarcat. Nous verrons plus loin que l'empereur s'y rendait directement de son métatorion situé à l'extrémité orientale de ces tribunes.

Des quatre faits que nous venons de rapporter il ressort nettement que le patriarcat était voisin de la cour qui précédait Sainte-Sophie, que de là il fallait monter pour avoir accès auprès du patriarche et que, par l'escalier tournant et les tribunes méridionales de la basilique, on pouvait pénétrer dans le patriarcat.

Cependant le fait qui, semble-t-il, justifie pleinement notre localisation est le récit de la bataille du 2 mai 1182, car il permet d'indiquer la place de la plupart des édifices dont il est parlé à propos du patriarcat.

Lors des troubles qui suivirent la mort de Manuel Comnène

(33) De cer., i, 96; Bonn, i, p. 435; P. G., cxn, 804 AB. (34) Cédrénus, Bonn, n, p. 634-635; P. G., cxxn, 364 D-365 A.

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(24 sept. 1180), sa fille Marie, épouse du jeune Rénier de Montferrat devenu le césar Jean, se révolte contre sa belle-mère Marie d'Antioche, régente au nom de son fils mineur Alexis IL Elle recrute des gladiateurs italiens et des aventuriers ibères (géorgiens) venus à Constantinople pour faire du commerce, et tente de renverser le gouvernement. Celui-ci fait venir des troupes de la province et les rassemble dans le palais impérial. Marie et le césar Jean, réfugiés à Sainte-Sophie, se préparent à la lutte. La princesse fait abattre toutes les constructions qui se trouvent entre la basilique et l'Augustéon. De bon matin, leurs troupes prennent position sur la voûte du Milion et occupent l'église Saint-Alexis qui est contiguë à l'atrium de l'Augustéon. De leur côté, les impériaux sortent du Palais sous la direction de l'Arménien Sabbatios (Sembat) et s'établissent au-dessus de l'église Saint- Jean du Diippion qui est devant l'entrée de l'hippodrome. La bataille s'engage vers neuf heures. Les soldats postés au Milion causent beaucoup de mal en raison des traits qu'ils font pleuvoir sur leurs adversaires et qui jettent l'effroi parmi les curieux accourus pour voir le combat. D'autres troupes impériales sortent du Palais et bloquent toutes les issues qui mènent à Sainte-Sophie qu'elles ont reçu mission d'encercler. Fatigués de la lutte, les césariens quittent Saint-Alexis et l'atrium de l'Augustéon, tout en livrant des combats acharnés. Les impériaux l'emportent vers le soir. Le Milion lui-même est abandonné. Aussitôt les troupes de la cour l'occupent, plantent leurs étendards sur le monument et y déposent les images des souverains. Elles brisent les portes occidentales de l'Augustéon à coups de haches et de marteaux. Inférieurs en nombre, les césariens cèdent sous la pluie de traits qui tombent de la voûte du Milion et sont vivement pressés dans l'Augustéon. Ils se replient, protégés en partie par des auxiliaires qui lancent des pierres et des traits du haut du Macrôn et du Thomaïtès. Enfin, chassés de l'Augustéon, ils s'arrêtent à la porte occidentale de Sainte-Sophie, où une mosaïque représente l'archange saint Michel brandissant une épée. Les vainqueurs renoncent à les presser davantage.

Mais tout n'est pas fini. Le patriarche Théodose descend de son palais pour empêcher les soldats de pénétrer dans Sainte-Sophie et de la profaner. En même temps, le césar Jean harangue ses troupes du haut du Macrôn et va se mettre à leur tête au pronaos de Saint-Michel. Sur son ordre le combat reprend avec vigueur. Surpris par cette attaque, les impériaux qui étaient dans l'Augustéon se précipitent vers les portes et bon nombre d'entre eux sont frappés; les autres se

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contentent de lancer des flèches de loin. Le patriarche s'entremet alors pour rétablir la paix. L'amnistie est accordée aux révoltés; Marie Comnène et son époux rentrent au Palais impérial (35).

La position des troupes conduit naturellement à la localisation du patriarcat telle que nous la proposons. Tandis que celles de Marie Comnène et du césar Jean, chargées de défendre Sainte-Sophie, s'établissent au Milion et à Saint-Alexis et s'appuient par ailleurs à l'Augustéon dont les portes sont fermées, celles de la cour se portent en face et occupent l'église Saint- Jean du Diippion. L'église Saint- Alexis, qui est contiguë à l'atrium de l'Augustéon (τη δε τοΰ Αύγουσ- τεώνος αυλαία προσήνωται), comme dit Nicétas Choniatès (36), a vu se tenir dans ses murs au moins vingt-trois synodes, du 14 mars 1072 au 2 janvier 1192, dont quatre devant son entrée (προ τοΰ εύκτηρίου) (37), dix-huit dans les tribunes (κατηχουμενεΐα) de droite (38) et un dans celles de l'ouest (39). Pour qu'il en fût ainsi pendant plus d'un siècle et à tant de reprises, il faut nécessairement admettre que l'église faisait partie du patriarcat lui-même. On ne peut en effet imaginer que le chef de l'Église et ses conseillers allassent si souvent tenir leurs réunions dans un sanctuaire distinct du patriarcat. Il est probable du reste que ce sanctuaire devait sa construction au patriarche Alexis Studite (1025-1043), qui l'aura mis sous le vocable de son patron, saint Alexis de Rome, dit Γ « Homme de Dieu ». Le Synaxaire fixe sa fête au 17 mars, mais il ne parle pas d'une église bâtie en son honneur dans la capitale, ce qui indique une construction relativement tardive. Si les actes des synodes disent tous ναός τοΰ αγίου 'Αλεξίου, Nicétas Choniatès écrit ναός τοΰ 'Αλεξίου (40) et l'Anonyme de Sathas (Théodore Scoutariotès) : ναός τοΰ κΰρ 'Αλεξίου (41), ce qui confirme notre hypothèse qu'elle devait sa construction à Alexis Studite. On s'explique alors, que cette église, tard venue, appartînt au patriarcat. D'autre part, puisqu'elle était voisine de l'atrium de l'Augustéon, elle se trouvait donc au nord-ouest de celui-ci et par le fait même à gauche de la partie sud-occidentale de Sainte-Sophie. Pour être ainsi uni à l'atrium de l'Augustéon, où il se terminait sans

(35) Nicétas Choniatès, Bonn, i, p. 307-313; P. G,, cxxxix, 588-592. (36) Op. cit., Bonn, i, p. 308; P. G., cxxxix, 588 G. (37) V. Grumel, Regestes des Actes du patriarcat de Constantinople, nos 925, 926, 927,

1006. (38) Ibid., n°8 1007, 1014, 1015, 1055, 1065, 1067, 1068, 1072, 1073, 1077, 1085, 1086,

1111, 1118, 1119, 1120, 1179, 1180; R. E. B., xvm, 1960, p. 57. (39) Ibid., n° 1063; R. E. B., xvm, 1960, p. 57. (40) Op. cit., Bonn, i, p. 308; P. G., cxxxix, 588. (41) Μεσαιωνική βιβλιοθήκη, vu, p. 313-314.

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doute, le patriarcat devait occuper une bande de terrain parallèle à la façade occidentale de cette place et se continuer à angle droit le long de la façade septentrionale, comme nous le dirons plus loin.

Le texte de Nicétas Choniatès relatif à la bataille du 2 mai 1182 donne également des précisions sur l'emplacement du Macrôn et du Thomaïtès. C'est ce que nous dirons en parlant de ces édifices. Notons que nous n'avons trouvé aucun texte prouvant l'existence de l'église Saint-Alexis après la fin du xne siècle. Il se peut qu'elle ait disparu dans l'incendie du 19 août 1203, qui dévasta la région, mais nous n'avons aucun document qui puisse le prouver. Le fait qu'aucun synode n'y est signalé après 1192 ne permet pas de dire qu'elle n'existait plus au xine siècle, d'autant que le lieu des réunions épiscopales autour du patriarche n'est pas toujours indiqué dans le libellé des décisions prises.

Fait étrange! Malgré le texte si clair et connu depuis longtemps de Nicétas Choniatès, aucun des plans publiés de la région qui nous occupe ne porte l'église Saint-Alexis, sauf celui de Labarthe, qui la place à l'ouest de Sainte-Sophie (42). Les auteurs qui parlent du patriarcat signalent bien l'existence de ce sanctuaire, mais pas un seul ne semble avoir compris son importance pour la localisation du palais lui-même.

Revenons à la partie septentrionale du patriarcat. Tout d'abord notons que jamais l'empereur et sa suite ne contour

nent l'Augustéon par le nord-ouest pour se rendre à Sainte-Sophie. Quand ils vont de la Chalcé à l'Horloge, à la fête de la Pentecôte et à celle de Noël, ils traversent l'Augustéon : εξέρχεται την πύλην της χαλκής, είτα διαδεύων δια της Μέσης εισέρχεται δια του Αύγουστεώνος (43). De même quand le cortège arrive du forum de Constantin ou du Milion, il passe encore par l'Augustéon pour aboutir à la Porte de l'Horloge : διερχόμενος δια μέσου του Μιλίου και του Αύγουστεώνος εν τη πύλη του Ωρολογίου (44). De la petite place qui se trouvait devant cette porte, l'empereur pouvait aller au Louter en passant par le Grand Portail : εισέρχεται δια του Μεγάλου Πυλώνος επί το μεσαύλιον (45).

(42) Α. Paspati place Saint- Alexis dans l'Augustéon et celui-ci entre l'Hippodrome et le Palais impérial!

(43) De cer., i, 1, § 9; 9, § 5; 23, § 3; Bonn, i, p. 14, 63, 132; P. G., cxn, 149 B-152 A, 252 A, 365 C.

(44) Ibid., ι, 91; Bonn, i, p. 414-415; P. G., cxn, 764 A. (45) Ibid., ι, 91; Bonn, i, p. 415 : P. G., cxn, 764 A; Append, ad. I, Bonn, p. 502; P. G.,

cxn, 953 A. Il est curieux de constater que ce parcours est celui qu'aurait suivi Léon Ier lors de son élévation à l'empire en 457, c'est-à-dire près de quatre-vingts ans avant la cons-

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Un parcours plus compliqué était suivi lorsque la fête de l'Annonciation tombait un dimanche au milieu du Carême. Au lieu de se rendre directement du Palais à l'église Sainte-Marie des Chalcoprateia, où devait se dérouler la cérémonie religieuse, l'empereur pénétrait d'abord dans Sainte-Sophie par la porte du Puits-Sacré, à l'est, rendait un court hommage devant l'autel, traversait la basilique par la nef centrale, sortait par les portes impériales, passait par le narthex, le Louter et l'Athyr pour se rendre au Milion et de là au forum de Constantin où avait lieu une petite cérémonie. Il revenait ensuite sur ses pas pour s'arrêter enfin à l'église des Chalcoprateia (46). Ces divers trajets évitent toujours de longer la façade septentrionale de l'Augustéon. L'obstacle qui s'y opposait ne pouvait être que le patriarcat.

Il nous reste à voir comment celui-ci était relié à Sainte-Sophie. Nous le savons surtout par le trajet que suivaient l'empereur et sa suite à certaines fêtes ou lorsqu'ils se rendaient à l'invitation du patriarche. Le cortège partait du métatorion du basileus qui était situé dans la partie orientale des tribunes méridionales de Sainte- Sophie, parcourait celles-ci et arrivait aux sécréta ou bureaux du patriarcat; de là il pouvait descendre par le grand escalier tournant pour se rendre dans le narthex de la basilique (47).

Comment avait lieu le passage de Sainte-Sophie au patriarcat? Une découverte faite pendant l'été de 1955 permet de l'envisager. On enlevait alors le mortier qui recouvrait les deux murs qui forment l'angle entre les deux contreforts byzantins de l'église à gauche de la porte méridionale dite la « Belle Porte ». On put ainsi constater la présence d'ouvertures murées : 1° deux rangées de fenêtres dans le contrefort qui supporte le minaret de Sélim II et deux autres ouvertures grillées plus petites; 2° une porte ou du moins une large baie à peu de distance de l'angle sur le mur de droite, à la hauteur de la rangée supérieure des fenêtres indiquées ci-dessus, sans compter une petite ouverture située un peu plus haut. C'est certainement par l'intérieur de l'un ou de l'autre de ces contreforts que l'on passait des

truction de la Sainte-Sophie de Justinien. Il traverse en effet l'Augustéon pour arriver à l'Horloge et de là il pénètre dans la cour de la basilique par le Grand Portail. Or celui-ci et l'Horloge ne peuvent appartenir qu'à la Sainte-Sophie de Justinien. L'auteur de ce chapitre du Livre des cérémonies (i, 91) présente donc les choses comme elles se passaient de son temps, d'après une tradition bien établie qui faisait oublier l'état des lieux en 457.

(46) Ibid., ι, 30, § 1-3; Bonn, i, p. 95-97; P. G., cxn, 401 A-404 C. (47) Ibid., ι, 2, 28, 52; Boon, ι, p. 125-126, 157-158, 760-761; P. G., cxn, 357-358 A,

396 BC, 1389 AB, 1392 AB.

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tribunes méridionales de la basilique au palais patriarcal. Cependant on a tout lieu de croire que celui-ci s'étendait jusqu'à l'extrémité du contrefort de droite et c'est probablement par là que se faisait la liaison. Ce contrefort n'a que 5 mètres de diamètre, tandis que l'autre n'en mesure pas moins de 12; la double rangée des fenêtres découvertes sur la façade méridionale de celui-ci montre d'ailleurs qu'il y avait là des appartements ou des services. On y pénètre par les tribunes de la basilique. En tout cas le patriarcat ne pouvait atteindre ce contrefort en raison même de ces fenêtres. On peut pénétrer dans l'autre par les mêmes tribunes pour aboutir au point de jonction avec le patriarcat.

Quant au Grand Portail (Μέγας Πύλων) signalé par le Livre des cérémonies et qui permettait de passer de l'Horloge au Louter, il devait se trouver à la jonction de la basilique et du patriarcat. Le plan d'E. M. Antoniadès le situe (avec un point d'interrogation, il est vrai) à l'extrémité du contrefort de gauche (48). Dans le cas où cette hypothèse serait exacte, la façade orientale du patriarcat devrait être reportée à l'ouest. A notre avis, elle ne paraît pas probable. Lorsque les Turcs établirent le culte islamique à Sainte-Sophie après la conquête de 1453, ils détruisirent sans doute tout ce qui restait du palais patriarcal afin d'isoler la mosquée.

D'après ce que nous pouvons conjecturer à la lumière des textes, le patriarcat proprement dit formait un ensemble entourant à angle droit la partie nord-ouest de l'Augustéon et s'étendait vers le sud jusqu'aux environs de l'atrium de celui-ci, où se trouvait l'église Saint-Alexis. La partie septentrionale, voisine de Sainte-Sophie, avait très probablement une porte donnant sur le Louter et sans doute une autre sur la petite place devant la « Belle Porte », ce qui explique les scènes rappelées plus haut lors des incidents auxquels furent mêlés plusieurs patriarches. Notre plan ne prétend nullement donner les dimensions du patriarcat, sur lesquelles on ne possède aucun renseignement, mais seulement d'en esquisser la configuration générale.

Les sécréta. Quelles étaient les salles qui devaient se trouver au patriarcat? Outre les appartements du chef de l'Église et d'un certain nombre de clercs attachés à sa personne, il y avait d'abord deux sécréta ou bureaux, le petit et le grand. Tous deux étaient décorés d'icônes, de mosaïques dans le petit, de sculptures sur bois dans le grand. Le patriarche iconoclaste Nicétas (765-780) fit détruire les

(48) Op. cit., plan IZ'.

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scènes représentées (49), mais il est probable qu'on les remplaça par d'autres à cause des cérémonies officielles qui se déroulaient dans ces sécréta. C'était dans le petit que les « bois précieux » (τα τίμια ξύλα) étaient exposés le jour de l'Exaltation de la Sainte-Croix. L'empereur, qui arrivait de la partie orientale des tribunes méridionales de Sainte- Sophie, venait les y vénérer. Il pénétrait ensuite dans le grand secreton, où l'accueillaient les patrices et les sénateurs; tous descendaient ensuite par le grand escalier tournant et pénétraient dans le narthex de la basilique par la grande porte pour assister à la cérémonie religieuse (50). Le dimanche de l'Orthodoxie, premier de Carême, l'empereur suivait le même trajet; les patrices et les sénateurs le recevaient encore dans le grand secreton, puis il descendait avec eux par le même escalier tournant et se rendait jusqu'à YAthyr (51) pour y recevoir la procession qui venait de l'église des Blachernes (52).

Comme on le voit, le parcours suivi par le basileus montre nettement que les deux sécréta étaient dans le palais patriarcal et qu'on en descendait par le grand escalier tournant qui aboutit à gauche de l'entrée du Baptistère. On ne peut raisonnablement les imaginer dans les tribunes de l'église en raison même de leur destination et de l'aménagement qu'ils comportaient. Les dîners officiels offerts par le patriarche se donnaient dans le grand secreton que le Livre des cérémonies déclare « splendide » (λαμπρότατος). Après l'office religieux du mardi qui suit le dimanche de la Tyrophagie, deuxième de Carême, le patriarche invitait l'empereur et de nombreux dignitaires (53). Le dimanche de l'Orthodoxie, le dîner était donné aux frais du Grand Oeconomion de l'Église. Y prenaient part, en dehors du souverain, de nombreux dignitaires civils et militaires, des métropolites, des archevêques et des représentants du Sénat suivant le nombre des places disponibles (54). Deux synodes sont signalés dans le grand secreton en juillet 1054 et en novembre 1086 ou 1101 (55), et quatre dans le petit, en 1067, 1071 et 1145 (56).

Le Thettalos et les appartements patriarcaux. Il est certain que le

(49) Théophane, op. cit., i, p. 443. (50) De cer., i, 22; Bonn, i, p. 125-126; P. G., cxn, 357-358 A. (51) L'Athyr ("Αθυρ) était l'entrée de l'enceinte qui entourait la cour devant Sainte-

Sophie. On y montait de la rue par un escalier (γραδήλια) . La cour s'appelait le Louter (Λουτήρ).

(52) De cer., i, 28; Bonn, i, p. 157-158; P. G., cxii, 396 BC. (53) Ibid., ι, 52; Bonn, i, p. 760; P. G., cxii, 1389 AB. (54) Ibid., ι, 52; Bonn, ι, p. 761; P. G., cxii, 1392 AB. (55) V. Grumel, Regestes, nos 867 et 943. (56) Ibid., nos 897, 900, 933, 1019.

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triclinos dit Thettalos se trouvait également au patriarcat, puisque deux synodes s'y tinrent, le 19 décembre 1166 et le 24 février 1197 (57). En effet, ces assemblées ne pouvaient avoir lieu, en temps ordinaire, que dans la demeure patriarcale. Quant à l'appartement du patriarche Michel (τα οικήματα ών δομήτωρ ό πατριάρχης Μιχαήλ), il devait y être aussi, puisqu'il avait servi d'habitation à un chef de l'Église. On le voit mentionné par Nicétas Ghoniatès en 1182. Alexis Gomnène, protosébaste et protovestiaire, cousin du jeune Alexis II, avait profité des difficultés qui suivirent la mort de Manuel Gomnène (24 septembre 1180) pour s'emparer des rênes du gouvernement sous prétexte de protéger le prince et sa mère. Son arrogance et sa dureté lui firent de nombreux ennemis dont la conjuration mit fin à ses agissements. Il fut enlevé de nuit du Palais impérial et conduit sous bonne escorte au patriarcat, où on l'interna dans les appartements qu'avait construits le patriarche Michel (58) et où Théodose Ier le Boradiote venait l'exhorter à la patience. Il n'y resta que quelques jours (59). C'est également au patriarcat que devaient se trouver les appartements du patriarche Arsène Autorianos (τα κελλία Αρσενίου) dans lesquels se tint un synode en juillet 1365 (60) et ceux du patriarche Xiphilin (τα κελλία του Ξιφιλινου (59 bis).

Les oratoires. Le patriarcat possédait plusieurs lieux de culte. Nous avons déjà parlé de l'église Saint-Alexis, voisine de l'atrium de l'Augus- téon. Elle devait être assez grande, puisqu'elle possédait des tribunes dans lesquelles se tinrent plus de vingt synodes. Il existait aussi, au moins depuis le xe siècle, un oratoire dédié à saint Théophylacte, métropolite de Nicomédie, martyrisé pour la cause des images vers 840. Il avait été construit probablement par le patriarche de ce nom (931-956) ou par son père Romain Lécapène. Le dimanche de l'Orthodoxie, ce prélat organisait une réception près de l'oratoire, et l'empereur y prenait part avec les magistroi, les prépositoi et autres invités (61). On ne connaît pas moins de vingt-sept synodes qui se sont tenus dans les pièces voisines de Saint-Théophylacte (εν τοις κατά τον άγιον Θεοφύλακτον κελλίοις), le premier, le 28 novembre 1272(62),

(57) Ibid., n°s 1001 et 1185. (58) De quel patriarche Michel s'agit-il? Michel Ier Gérulaire, 1043-1059?, Michel II

Courcouas, 1143-1146?, Michel III dit d'Anchialos, 1170-1177? (59) Nicétas Choniatès, Bonn, i, p. 324; P. G., cxxxix, 601 BC. (59 ble) A. Heisenberg, Die Unionverhandlungen vom 30 August 1206, Munich, 1923,

p. 17. (60) Miklosich et Müller, op. cit., i, p. 475. (61) De cer., i, 28; Bonn, i, p. 160; P. G., cxn, 400 A. (62) Miklosich et Müller, op. cit., iv, p. 379.

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les autres de mars 1324 au 22 avril 1372 (63). Où se trouvait cet oratoire, dont A. Vogt a nié l'existence (64)? Il est difficile de l'imaginer en dehors du patriarcat. Tout au plus peut-on le supposer dans les tribunes méridionales de Sainte-Sophie. Dans ces tribunes se tinrent en effet plusieurs synodes : deux au xie siècle après le 24 juillet 1054 et le 26 avril 1066 (65), et une dizaine au moins au xive siècle, de juin 1367 au 23 août 1395. Presque tous sont localisés de la façon suivante dans les procès-verbaux des réunions : εν τοις κελλίοις της μεγάλης άγιω- σύνης αύτοΰ (= πατριάρχου) έν τοις κατηχουμενίοις Deux seulement (avril 1368 et 12 mai 1371) spécifient... της αγιότατης του Θεοϋ μεγάλης εκκλησίας (66). D'autres synodes s'y tinrent certainement; les textes ne portent malheureusement aucune indication du lieu de la réunion.

Rien ne nous permet de dire où se trouvait l'église (ναός) signalée au patriarcat, de saint Abercius, évêque de Hiérapolis en Phrygie, martyrisé vers 167. On y faisait, le 30 septembre, la synaxe de saint Grégoire l'Illuminateur, apôtre de l'Arménie, dont le chef y était conservé. Le fait est attesté par le cod. Parisinus 1594 qui est du xne siècle (67). L'église est dite aussi sous le vocable de la Sainte Vierge (ναός της Θεοτόκου ήτοι του άγιου Άβερκίου); en 1086, le hiéromoine Jean y copia de Mosqu. S. S. xxix (68). Il est probable que la synaxe de saint Abercius y avait lieu le jour de sa fête (22 octobre), bien que le Synaxaire n'en dise rien.

Signalons aussi que le 31 octobre on célébrait la dédicace des oratoires du patriarcat (69). A la Ve session du second concile de Nicée (787), il est parlé des « oratoires » du patriarcat (70), d'où l'on peut conclure qu'il y en avait certainement d'autres que ceux que nous avons indiqués, puisque Saint-Théophylacte (xe siècle) et Saint- Alexis (xie siècle) sont de beaucoup postérieurs au concile.

II. Thomaïtès, Macrôn, Synodoi.

Le triclinos dit Thomaïtès devait son existence au patriarche Thomas Ier (607-610), d'après Nicéphore Calliste (71). Il était de

(63) Ibid., ι, p. 98, 99, 102, 104, 106, 107, 109, 110, 111, 132, 135, 136, 137, 139, 140, 143, 144, 146, 149, 151, 155, 156, 164, 456, 592, 594.

(64) Le Livre des cérémonies, Commentaire, i, p. 164. (65) V. Grumel, Regestes, n°3e 869, 896. (66) Miklosich et Müller, op. cit., i, p. 490, 494-495, 538, 540, 555; n, p. 37, 51, 99, 249. (67) Ibid., ι, p. 541, 555. (68) H. Delehaye, Synaxarium Constantino politanum, p. 90, 1. 50-51. (69) H. Delehaye, op. cit., col. 184, ]. 3-4. (70) Mansi, xiii, 189 B. (71) Op. cit., xvni, 44; P. G., cxlvii, 417.

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dimensions considérables, puisque Zonaras le dit grand (μέγας τρίκλινος) (72). Il ne faisait point partie du patriarcat proprement dit, mais il se trouvait à une centaine de mètres plus à l'est, comme nous le montrerons. Il contenait entre autres pièces un métatorion (salon particulier) réservé au patriarche (73). Dans des salles basses voûtées était la bibliothèque patriarcale distincte de celle de Sainte-Sophie (74). Une épigramme de Georges Pisidès loue son protecteur et maître spirituel, le patriarche Sergius (610-638), d'avoir reconstruit et réorganisé la bibliothèque (75). Ce texte permet de croire que le prélat acheva l'œuvre qu'avait entreprise son prédécesseur Thomas Ier. Le triclinos Thomaïtès brûla dans l'incendie de 791, ainsi que les livres, entre autres les commentaires de saint Jean Chrysostome sur la Sainte Écriture (76). Il fut certainement reconstruit et la bibliothèque reconstituée. Nous voyons en effet que, dans une discussion religieuse avec l'empereur Théophile (826-842), saint Théophane Graptos demanda, pour prouver son opinion, que l'on apportât le livre des prophéties d'Isaïe. Le volume fut emprunté à la bibliothèque du Thomaïtès. Théophile, comprenant son erreur, fit semblant de chercher ailleurs la référence que lui indiquait son interlocuteur (77). Aux xie et xne siècles, onze synodes sont signalés dans le Thomaïtès, du 20 avril 1089 au 2 septembre 1177 (78). Il est spécifié que le dernier se tint devant l'édifice, εν τοις προ του Θωμαΐτου μετεώροις κελλίοις (79). Il ne semble pas que l'édifice ait subi de dégâts lors du grand incendie du 19 août 1203, bien qu'il fût sérieusement menacé. S'il y en eut, ils furent réparés, puisque le cardinal Benoît de Sainte-Suzanne y loge en 1214 et que des discussions entre Grecs et Latins y avaient eu lieu en 1206 (79 bis).

L'emplacement du Thomaïtès est nettement indiqué par les textes. Il s'étendait le long de la façade orientale de l'Augustéon et communiquait au nord avec les tribunes méridionales de Sainte-Sophie. Le Livre des cérémonies fournit plusieurs preuves de cette jonction.

(72) Op. cit., xv, 12; éd. Dindorf, Leipzig, m, 362. (73) De cer., i, 50; Bonn, i, 260; P. G., cxn, 524 B. (74) Gédrénus, Bonn, n, 25; P. G., cxxi, 905 D. (75) L. Sternbach, Georgii Pisidae carmina minora, dans Wiener Studien, xiv (1892), 55. (76) Théophane, op. cit., ι, 260; Cédrénus, loc. cit.; Zonaras, xv, 12. (77) Theophan. contin., Bonn, 104-105; P. G., cix, 120 AB; Cédrénus, Bonn, h,

115; P. G., cxxi, 997 BC. (78) V. Grume L.IRegesies, nos 952, 963, 065, 966, 1011, 1012, 1013, 1038, 1125, 1126, 1134. (79) Ibid., n» 1134 (protocole). (79bis) A. Heisenberg, Der Epitaphios des Nikolaos Mesarites auf seinem Bruder Johannes,

Munich, 1923, p. 52; Der Bericht des Nikolaos Mesarites über die politischen und kirchlichen Ereignisse des Jahres 1214, Munich, 1923, p. 21.

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Lorsque la patrice à ceinture (ζωστή) avait fait bénir ses insignes par le patriarche à Sainte-Sophie, les cubiculaires et les silentiaires la faisaient monter, probablement par l'escalier en colimaçon situé derrière l'abside, au métatorion du Thomaïtès; de là elle gagnait la Magnaure par les « passages élevés » (διαβατικά ανώτερα) qui reliaient ce palais à Sainte-Sophie (80). Lorsque l'empereur se rendait de la Magnaure aux tribunes méridionales de la basilique par les « passages élevés » et l'escalier de bois qui permettait d'atteindre ces tribunes, il s'arrêtait d'abord dans son métatorion situé à l'extrémité orientale et y attendait le commencement de la cérémonie (81). Nous avons dit que le patriarche avait son métatorion au Thomaïtès, probablement à peu de distance des tribunes. Lors de la fête de l'Orthodoxie, l'empereur entendait l'évangile de son métatorion; le moment venu, il passait à celui du patriarche, où il attendait celui-ci qui terminait la messe; ensuite ils se rendaient ensemble dans la salle à manger que nous avons vu être le grand secreton du patriarcat (82).

Que le Thomaïtès s'étendît le long de la façade orientale de l'Augus- téon, il suffit pour s'en convaincre de lire ce que disent les auteurs byzantins sur la cérémonie de la proclamation du nouvel empereur par son élévation sur le pavois, au moins telle qu'elle se passait aux xnie et xive siècles. Dans les premiers temps de l'empire, elle avait lieu au Campus de l'Hebdomon, et l'on ne peut dire à quelle époque elle fut instaurée près de Sainte-Sophie. Voici ce qu'en dit le pseudo- Codinus dans son De officiis, qui décrit l'administration byzantine vers le milieu du xive siècle. Lorsque le nouvel empereur a signé sa profession de foi, il monte au Thomaïtès qui est tourné vers l'Augus- téon, où se sont assemblés le peuple et l'armée. En son nom, un sénateur lance à la foule, du haut des degrés de l'Augustéon, de petites enveloppes en étoffe dont chacune contient trois pièces d'or, trois d'argent et trois de bronze, au nombre d'autant de milliers qu'a fixés l'empereur. Ce sont les épicombia ou dons de joyeux avènement. Vient ensuite l'élévation sur le pavois du nouveau basileus. S'il a encore son père, c'est celui-ci et le patriarche qui tiennent le bouclier par devant; si le père est mort, il est remplacé par le plus haut dignitaire; par derrière, ce sont les despotes et les sébastocrators qui soutiennent

(80) De cer., i, 50; Bonn, i, p. 260; P. G., cxii,,524 B. (81) Ibid., ι, 28; Bonn, ι, p. 157; P. G., cxn, 396 B. (82) Ibid., ι, 28; Bonn, ι, p. 160; P. G., cxii, 397 C. (83) De ofliciis, xvii, Bonn, p. 86-88; 7'. G., clvii, 101 B-104 C.

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le bouclier. Après cette cérémonie on se rend à Sainte-Sophie pour le sacre (83).

Pachymère nous a laissé le récit du couronnement de Michel IX, fils d'Andronic II Paléologue, le 21 mai 1295. Après l'office de nuit, auquel assistaient l'empereur et la cour, on se rendit de bon matin à l'endroit accoutumé. La foule qui remplissait l'Augustéon était tellement dense qu'elle semblait ne former qu'une masse. Afin qu'elle pût voir plus facilement la cérémonie, on avait provisoirement enlevé les balustrades qui garnissaient toute la longueur du Macrôn. Les plus hauts dignitaires élevèrent le jeune empereur sur le pavois et l'acclamèrent, aux applaudissements de la foule; puis on se rendit à Sainte- Sophie pour le sacre. L'auteur n'a pas oublié de signaler les épicom- bia (84).

Il existe une divergence de détail entre la description du pseudo- Godinus et le récit de Pachymère. Le premier montre la cérémonie se déroulant au Thomaïtès et le second dit que l'on enleva les balustrades du Macrôn pour permettre à la foule de mieux voir le spectacle, ce qui indique une union étroite entre le Thomaïtès et le Macrôn. Dans son récit du couronnement d'Andronic III Paléologue (2 février 1325), Cantacuzène n'indique pas nettement le lieu où se fit l'élévation sur le pavois (85), mais il ne peut être différent de celui où la cérémonie avait lieu traditionnellement.

Doit-on confondre le Macrôn avec le Thomaïtès? Il serait tentant de le faire et de dire que le Macrôn, conformément au sens de ce mot, était une longue galerie ajoutée sur la façade occidentale du Thomaïtès, peut-être en vue de la cérémonie de l'élévation sur le pavois. Cependant Nicétas Chômâtes semble distinguer nettement les deux édifices dans son récit de la bataille du 2 mai 1182, quand il dit que les auxiliaires des césariens jetaient du haut du Macrôn et du Thomaïtès des pierres et des traits sur les impériaux groupés dans l'Augustéon (86). Toutefois le texte peut s'expliquer par le fait que ces soldats devaient être postés à la fois dans la galerie du Macrôn et dans les étages du Thomaïtès situés au-dessus. D'ailleurs le Macrôn étant nécessairement le long de la façade orientale de l'Augustéon, on ne voit pas où l'on pourrait loger le Thomaïtès en cet endroit si les deux édifices étaient différents. Tout au plus serait-il possible de supposer que le Thomaïtès était la portion du bâtiment comprise entre l'angle de l'Augustéon et

(84) De Andronico, in, 1; Bonn, h, p. 195-196; P. G., cxliv, 215-216. (85) Historiae, i, 41; Bonn, i, p. 195-196; P. G., cliii, 276 C-277 A. (86) Op. cit., Bonn, i, p. 309; P. G., cxxxix, 589-590 A.

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la partie sud-orientale de Sainte-Sophie. Lors de l'incendie de 1203, Nicétas Choniatès signale le Macrôn et les Synodoi, mais il ne dit rien du Thomaïtès (87). Identifie-t-il ce dernier avec les Synodoi? Cela n'est pas impossible, parce que ce terme désigne clairement des salles de réunion, mais qui ne sont pas nécessairement celles des synodes patriarcaux. Nous avons vu que bon nombre de ceux-ci se tinrent, surtout au xie siècle, au Thettalos et à l'église Saint-Alexis, tout aussi bien qu'au Thomaïtès. En tout cas, celui-ci devait comporter au moins trois ou quatre étages, puisqu'il communiquait directement avec les tribunes méridionales de Sainte-Sophie et qu'à cet endroit il y avait des salles plus élevées où eut lieu le synode du 2 septembre 1177 (εν τοις προ του Θωμαΐτου μετεώροις κελλίοις (88). Gela permet de supposer que le Thomaïtès possédait des salles nombreuses et spa- tieuses qui justifiaient ainsi le terme de Synodoi. Certaines pouvaient être des bureaux de l'administration patriarcale.

Jusqu'où s'étendait le Thomaïtès vers le sud? Zonaras dit bien qu'il était grand (89), mais cela ne permet pas d'en préciser les dimensions, même d'une façon approximative. Toutefois, comme la galerie qui s'ouvrait sur la façade orientale de l'Augustéon servait à la cérémonie de l'élévation sur le pavois, le jour du couronnement du nouvel empereur, afin que le peuple assemblé sur la place pût jouir du spectacle, on est en droit de supposer que l'édifice était assez long et atteignait probablement l'extrémité sud-orientale de l'Augustéon. C'est l'hypothèse que concrétise notre plan.

Quant aux Synodoi, on ne voit pas quelle place leur assigner, s'ils constituaient un édifice distinct. Par contre, si le terme désigne les salles du Thomaïtès qui servaient aux réunions, il n'y a plus aucune difficulté. Il n'en est pas tout à fait de même pour le Macrôn. Nicétas Choniatès le distingue du Thomaïtès, comme nous l'avons dit, mais il entendait peut-être par ce mot uniquement la galerie. Le Macrôn était en effet ouvert sur la façade orientale de l'Augustéon, puisque, le 2 mai 1182, les soldats de Marie Comnène et de son époux le césar Jean lançaient de là et du Thomaïtès des projectiles sur les troupes impériales afin de protéger la retraite de leurs camarades contraints de reculer et pressés dans l'Augustéon (90). Ces auxiliaires pouvaient aussi intervenir du Thomaïtès, du haut des étages situés au-dessus de

(87) Ibid., Bonn, i, p. 733; P. G., cxxxix, 936 C. (88) V. Grumel, Regestes, n° 1134 (protocole). (89) Op. cit., xv, 12; éd. Dindorf, Leipzig, m, p. 362. (90) Op. cit., Bonn, i, p. 309; P. G., cxxxix, 589-590 A.

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la galerie. Ainsi s'expliquerait le texte de Nicétas. La scholie dit οίκος Μάκρωνος pour désigner le Thomaïtès et sa galerie. De son côté Pachymère appelle τρίκλινος Μάκρωνος l'endroit où avait lieu l'élévation sur le pavois (91). L'identification semble donc certaine.

III. Bureaux et tribunaux du Patriarcat.

La machine administrative du patriarcat formait un ensemble considérable que l'on peut comparer à un véritable ministère, puisqu'elle s'occupait de tous les intérêts matériels et spirituels de l'Église. Quatre bureaux avaient une importance particulière. Le Chartophy- lakion (Χαρτοφυλάκων = Archives) conservait les procès-verbaux des conciles et des synodes, les lettres des papes, des patriarches et des évêques, ainsi que leurs professions de foi, les Constitutions impériales concernant l'Église, la bibliothèque patriarcale, etc. Ces divers services occupaient certainement plusieurs pièces. Le Grand Gharto- phylax avait la direction de la Chancellerie patriarcale. Le Skeuophy- lakion (Σκευοφυλάκιον = Trésor) était le dépôt des vases sacrés, des objets de prix, des ornements précieux, etc. Il occupait un bâtiment en forme de rotonde à quelques mètres au nord de Sainte-Sophie, à la hauteur du sanctuaire; il est encore debout aujourd'hui (92). Le Grand Œconomion (Μέγα Οίκονόμιον) s'occupait des biens de l'Église et de leur administration. Enfin le Grand Sakellarion (Μέγα Σακελλάρι,ον) exerçait la surveillance sur les monastères pour y maintenir le bon ordre et la discipline. La sacelle patriarcale se trouvait au début du palais patriarcal près de Sainte-Sophie. Ses bureaux brûlèrent en 912, en même temps que les boutiques des ciriers (93). Ils furent certainement réparés, car le métropolite Alexandre de Nicée y fut enfermé pendant un jour et demi en 944-945. La sacelle était à l'étage, non loin du grand secreton (94).

Les procès ecclésiastiques étaient jugés par des tribunaux qui dépendaient de ces quatre services généraux. Le σέκρετον του μεγάλου λουτρού του Οίκονομίου s'occupait de ceux qui regardaient les biens de l'Église; le σέκρετον του Μεγάλου Σακελλαρίου, des procès concernant le clergé séculier et les moines ; il avait son siège près des écuries impériales (95); le σέκρετον Χαρτοφυλακινόν ou ευαγές του Χαρτορύλακος

(91) De Andronico, m, 1; Bonn, π, p. 196; P. G., cxliv, 216 A. (92) F. Dirimtekjn, Le Skevophylakion de Sainte-Sophie, R.E.B., xix, 1961, p. 390-400. (93) Theophan. contin., Bonn, p. 377; P. G., cix, 393 G. (94) J. Darrouzès, Epistoliers byzantins du Xe siècle, Paris, 1960, p. 66. (95) Mansi, x, 856 E.

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σέκρετον jugeait les procès relatifs aux archives et aux affaires matrimoniales; le σέκρετον του Μεγάλου Σκευοφυλακίου avait la compétence pour les questions concernant les objets du culte; dans sa bibliothèque étaient conservés les écrits des hérétiques; le σέκρετον τοΰ Σακελλίου s'occupait des églises paroissiales ; le σέκρετον τοΰ Πρωτεκδι- κείου jugeait les procès criminels et la situation juridique des gens qui recouraient au droit d'asile; il siégeait près de la porte méridionale de Sainte-Sophie (96).

On ne saurait assigner leur place à chacun de ces organismes, car aucun texte ne semble le permettre, à part pour les rares que nous avons pu localiser. Un certain nombre se trouvaient sans aucun doute dans le patriarcat lui-même ou dans le Thomaïtès, mais d'autres étaient probablement entre Sainte-Sophie et Sainte-Irène. Les fouilles pratiquées dans cette région en 1946-1949 n'ont fait découvrir entre Sainte-Sophie et la rue du nord que des débris de constructions anciennes; l'endroit avait d'ailleurs été occupé par des édifices turcs (médressé, imaret, etc.) qui avaient dû faire disparaître ceux de l'époque byzantine. On n'a du reste pas déblayé complètement le terrain, car il faudrait descendre de plusieurs mètres pour être au niveau du vie siècle. Par contre, tout un ensemble de restes de bâtiments de différents âges ont été mis au jour au sud de Sainte-Irène, dont trois fresques mutilées sur les murs d'une cour à portique. On a tout lieu de croire que ces vestiges appartenaient aux services du patriarcat. Malheureusement leur complexité n'a pas permis d'en établir la nature (97).

IV. Brève histoire du Palais patriarcal.

En dehors des faits que nous avons rappelés plus haut, nous pouvons encore signaler un certain nombre d'événements qui intéressent la demeure du patriarche. Où qu'il fût alors, le premier patriarcat brûla certainement lors de la révolte des Nika en janvier 532, puisque l'incendie allumé par les mutins détruisit tous les édifices qui pouvaient l'avoisiner : Sainte-Irène, xénon de Samson, Sainte-Sophie, Augus- téon, etc. (98). Pendant l'incendie de 791, le Thomaïtès fut la proie des flammes avec la bibliothèque patriarcale. Sainte-Sophie échappa au désastre et sans doute le nouveau patriarcat ; le feu contourna en

(96) Είς τό προσκήνιον του νέω, ö καΐ Πρωτεκδικεϊον κικλήσεται (Nicétas Choniatès, Bonn, ι, p. 310; P. G., cxxxix, 589 B).

(97) R.E.B., xiv, 1956, p. 212-213. (98) Théophane, op. cit., i, p. 181.

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effet l'Augustéon pour se propager vers l'ouest (99). En octobre 867, un ouragan arracha la toiture de plomb du patriarcat (100). En 912, les bureaux de la sacelle patriarcale, situés près de la partie sud-occidentale de Sainte-Sophie, brûlèrent en même temps que les magasins de cierges établis probablement sous les portiques du Louter (101). L'incendie que les Flamands allumèrent en représailles, le 19 août 1203, à la mosquée qui se trouvait au-dessous de l'église de la Théotocos des Chalcoprateia, attisé par le vent du nord-est, atteignit Sainte-Sophie, brûla tout ce qui touchait Yandrôn dit Macrôn et les Synodoi et se dirigea vers le Milion, sans doute en suivant la Mésé qui contournait l'Augustéon au sud (102). Il est probable que le patriarcat proprement dit n'eut pas à souffrir, puisque Sainte-Sophie ne semble pas avoir subi de dégâts importants. En effet, l'année suivante, les guerriers de la IVe Croisade se partagèrent les somptueux ornements de l'autel, le revêtement d'argent de l'ambon et des portes, ainsi que les vases sacrés (103). Ils installèrent à Sainte-Sophie un clergé latin et y firent leurs cérémonies. Le patriarche Thomas Morosini et ses successeurs prirent logement dans la demeure de leur collègue byzantin (104)., Des discussions entre Grecs et Latins eurent lieu le 30 août 1206 dans les appartements de Xiphilin (105) et au Thomaïtès, les 29 septembre et 2 octobre de la même année (106). Le cardinal Benoît de Sainte-Suzanne, légat pontifical, logeait au Thomaïtès ; il y reçut Nicolas Mésaritès, délégué de Théodore Lascaris en 1214 (107).

Les voyageurs du Moyen Age qui ont laissé des souvenirs de leur passage ou de leur séjour à Constantinople ne semblent pas avoir porté beaucoup d'intérêt au Palais patriarcal qui était pourtant remarquable ; ils étaient surtout préoccupés de visiter les églises et de vénérer leurs reliques. Deux pèlerins russes seulement en parlent. Vers 1200, le métropolite Antoine de Novgorod en donne une description qui n'est pas exempte de fantaisie et qui doit être corrigée sur plusieurs points.

(99) Théophane, i, p. 467; Cédrénus, Bonn, II, p. 25; P. G., cxxi, 906 D-908 A. (100) Vita s. Ignatii; P. G., cv, 549 B. (101) Theophan. contin., Bonn, p. 377 ; P. G., cix, 393 G. (102) Nicétas Choniatès, Bonn, i, p. 731-733; P. G., cxxxix, 933 C-936 C. (103) Ibid., Bonn, i, p. 758; P. G., cxxxix, 956 CD. (104) R. Janin, « Les sanctuaires de Byzance sous la domination latine », Études byzant

ines, ii, 1944, p. 139-150. (105) A. Heisenberg, Die Unionverhandlungen vom 30 August 1206, Munich, 1923, p. 17). (106) A. Heisenberg, Der Ε pitaphios des Nikolaos Mesarites auf seinem Bruder Johannes,

Munich, 1923, p. 52). (107) A. Heisenberg, Der Bericht des Nikolaos Mesarites über die politischen und kirchli

chen Ereignisse des Jahres 1214, Munich, 1923, p. 21.

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« Au-dessus des tribunes (de Sainte-Sophie) se trouvent les citernes et les entrepôts des patriarches et de l'église. Les légumes de toute espèce destinés à la table des patriarches, les melons, les pommes et les poires sont conservés au fond des citernes dans des paniers attachés à des cordes; ainsi aussi les mange l'empereur. Le bain du patriarche est au-dessus des tribunes; l'eau des fontaines monte par des tuyaux et l'eau pluviale est conservée dans des citernes » (108). L'Anonyme de 1425 à 1430 donne au moins une indication topographique. Il dit que, montant au patriarcat, il arriva près de la porte occidentale du milieu du narthex de Sainte-Sophie (109), ce qui montre que les deux édifices étaient bien contigus. A. Vogt se demandait quel chemin avait dû prendre ce pèlerin, parce que lui-même croyait que le patriarcat était entre Sainte-Sophie et Sainte-Irène (110). La chose était pourtant fort simple. L'Anonyme, venant de la rue, n'avait qu'à franchir l'Athyr et à gravir l'escalier conduisant à l'atrium occidental de la basilique pour trouver le patriarcat sur la droite.

La décadence de l'empire se faisait alors cruellement sentir, non seulement au Palais impérial, fortement délabré et délaissé en faveur des constructions des Comnènes aux Blachernes, mais encore au patriarcat. Dans la première moitié du xive siècle, Nicéphore Grégoras constatait déjà avec tristesse que la demeure du chef de l'Église, « dont la grandeur et la magnificence faisaient l'ornement et comme la citadelle de Sainte-Sophie, construite par les meilleurs architectes et agrandie avec la même splendeur par leurs successeurs, est délabrée et près de la destruction » (111).

Il n'en reste plus rien aujourd'hui, en dehors des ruines que l'on a découvertes au sud de Sainte-Irène, et cela sans doute depuis longtemps, car aucun voyageur n'en parle après la prise de Constantinople par les Turcs (1453). Ceux-ci durent faire disparaître tout ce qui touchait Sainte-Sophie devenue mosquée, par respect pour ce lieu de culte. C'est peut-être alors que furent murées les ouvertures que nous avons signalées plus haut à l'angle formé par les deux contreforts situés à gauche de la « Belle Porte ». Les ruines

(108) B. de Khitrowo, Itinéraires russes en Orient, Genève, 1887, p. 101. Le terme paléoslave rendu par « citerne » est inexact; il signifie « cavité, cellier, garde-manger à l'abri de la chaleur ». On voit difficilement ces «citernes » au-dessus des tribunes de Sainte- Sophie.

(109) Ibid., p. 225. (110) « Le Palais patriarcal », dans Echos d'Orient, xxxix, p. 86-89. La note de la p. 89

rectifie la traduction du mot citerne. (111) Hist, byzantina, xi, 11; Bonn, i, p. 569; P. G., cxlviu, 776 G.

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du Thomaïtès disparurent sans doute à la même époque et pour la même raison.

V. Conclusion.

Nous croyons pouvoir résumer cette étude dans les trois points suivants : 1° le patriarcat proprement dit se trouvait au sud-ouest de Sainte-Sophie et communiquait avec elle; une partie des bâtiments devait lui faire suite le long de la façade occidentale de l'Augustéon, puisque l'église Saint-Alexis, qui lui appartenait, avoisinait l'atrium de cette place; 2° le Thomaïtès s'étendait depuis la partie orientale de Sainte-Sophie, le long de la façade orientale de l'Augustéon, et comprenait probablement les Synodoi; une galerie dite Macrôn, tournée vers l'Augustéon, courait tout le long du Thomaïtès; celui-ci était relié au patriarcat proprement dit par les tribunes méridionales de Sainte-Sophie; 3° les différents organismes de l'administration patriarcale étaient répartis en plusieurs endroits, même en dehors du patriarcat proprement dit et du Thomaïtès; un certain nombre d'entre eux devaient être entre Sainte-Sophie et Sainte- Irène.

Notre plan essaie de déterminer la superficie du patriarcat et du Thomaïtès. Il ne peut le faire que d'une façon hypothétique. Pour obtenir une plus grande précision, il faudrait connaître les limites exactes de l'Augustéon et la distance qui le séparait de Sainte-Sophie. On ne possède malheureusement aucune donnée certaine sur ces deux points. Aussi les auteurs qui parlent du patriarcat diffèrent-ils profondément entre eux. Le plan de J. Labarthe (112), vieux d'un siècle, donne à l'Augustéon 180 mètres sur 130 et y englobe le Baptistère de Sainte-Sophie; il ne dit rien du patriarcat, mais il a du moins le mérite de signaler l'église Saint-Alexis à l'ouest de la basilique. Celui d'A. Paspati (113) est encore plus fantaisiste. Il localise le patriarcat le long de la façade orientale de l'Augustéon et ne lui assigne qu'un espace très restreint. Quant à l'Augustéon, il le place entre l'Hippodrome et le Palais impérial et y localise le Milion, l'église Saint-Alexis, etc.! E. M. Antoniadès (114) donne à l'Augustéon 160 mètres sur 45. Il a dû en restreindre fortement la largeur afin de laisser la place au patriarcat au sud de Sainte-Sophie. Dans ce plan, le patriarcat touche au Baptistère dont il masque les fenêtres méridionales, ce qui ne peut

(112) Le Palais Impérial de Constantinople et ses abords, Paris, 1861. (113) Τα βυζαντινά ανάκτορα και τα περί αυτών ιδρύματα, Athènes, 1885. (114) "Εκφρασις τής 'Αγίας Σοφίας, ι, Athènes, 1907, plan IZ'.

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se concevoir. On ne trouve rien sur le patriarcat dans le plan que J. Ebersolt a publié du Palais impérial (avec Sainte-Sophie) (115); pour lui l'Augustéon s'étend vers le nord jusqu'à toucher le Baptistère, ce que l'on ne peut admettre que difficilement; la place mesure 100 mètres sur 63. Du moins, dans une autre publication, J. Ebersolt met le patriarcat au sud de la basilique (116). Le plan d'A. Vogt est muet au sujet du patriarcat, qu'il croit entre Sainte- Sophie et Sainte-Irène. Pour lui, l'Augustéon mesure 200 mètres sur 85 (117). S. Miranda (118) ne dit rien du patriarcat proprement dit, mais il situe le Thomaïtès le long de la façade septentrionale de l'Augustéon, près du Puits Sacré, c'est-à-dire au sud-est de Sainte- Sophie, et ne lui concède qu'un espace restreint; son Augustéon est le plus vaste : 225 mètres sur 160; on y rencontre d'ailleurs un monument qui ne lui appartient pas, le Milion. Notre plan s'efforce de résoudre les différents problèmes en fonction des textes connus, mais nous ne pouvons nullement prétendre qu'il correspond pleinement à la réalité.

Des divergences notables que nous avons constatées entre les opinions des byzantinistes modernes il faut conclure que la question du Palais patriarcal n'a jamais été sérieusement étudiée. Malgré toutes les recherches, bien des détails concernant le patriarcat et l'Augustéon resteront sans doute toujours douteux et il y a peu d'espoir de les mieux connaître, car les fouilles que l'on a faites dans la région depuis une quarantaine d'années n'ont pas donné de résultats satisfaisants.

R. Janin.

(115) Le Grand Palais de Constantinople et le Livre des cérémonies, Paris, 1910. (116) Sainte-Sophie de Constantinople, Paris, 1910, p. 27. (117) Le Livre des cérémonies. Commentaire, i. Plan. (118) El Gran Palacio Sagrado de Bizancio, Mexico, 1955, plan.