Introduction à la vie artificielle

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Printed with joliprint Introduction à la vie artificielle - 31/08/2001 D epuis toujours l’Homme rêve de devenir le dieu créateur en concevant la vie, de nou- veaux êtres. Nous n’avons jamais été aussi près de réaliser ce défi bien que nous en soyons encore très loin. La vie est l’un des aspects les plus complexes qui existe. Et la vie artificielle ? Un dossier pour comprendre le concept de vie artificielle. © DR Mais en fait qu’est ce que la vie ? Rien que d’ap- préhender cette notion a suscité de nombreuses controverses au fil des siècles. Aujourd’hui encore, les réponses ne sont pas unanimes. Ce dossier propose ainsi une tentative de définition du concept de vie pour mieux comprendre les pro- blématiques et les domaines d’application de la vie artificielle. Avant de parler de la vie artificielle, reprenons quelques définitions (récentes) de la vie. J. Doyne Farmer et Alleta d’A. Belin ont proposé une liste de propriétés minimales que l’on retrouve chez tous les êtres vivants. Qu’est-ce que la vie ? © irh- unicef.fr Les caractéristiques premières de la vie La vie est une structure dans l’espace- temps, plutôt qu’un objet matériel spéci- fique. En effet, les cellules d’un être vivant sont remplacées à de nombreuses reprises ; La vie implique un mécanisme d’autore- production. Cela peut se présenter soit sous forme directe, soit sous forme indirecte au travers d’autres organismes comme le cas des virus ; Un être vivant comprend une description de lui-même qu’il utilise pour se reproduire. En effet, tous les êtres vivants connus stoc- kent une description d’eux-mêmes sous la forme de chaînes d’acides nucléiques présentes dans les chromosomes des cel- lules, l’ADN ; Un être vivant possède un métabolisme qui convertit la matière ou l’énergie de l’envi- ronnement dans les formes et les fonctions utiles de l’organisme. Le métabolisme peut être emprunté à d’autres organismes ; Un être vivant interagit fonctionnellement avec son environnement. Il réagit à des stimuli, qui permettent d’anticiper des mo- difications de l’environnement et de l’alté- rer. De plus, les organismes contrôlent leur propre environnement interne (local) ; Un être vivant est composé d’un ensemble de structures interdépendantes qui consti- tuent son identité. Une manifestation évi- dente de cette propriété est la mort. Si l’on sépare plusieurs parties vitales d’un orga- nisme, il meurt ; Une forme vivante reste stable malgré les perturbations dues à l’environnement. Les êtres vivants sont capables de s’adapter à des modifications sensibles de leur milieu, en conservant ainsi leur identité ; Les êtres vivants ont une capacité d’évolu- Jérôme Damelincourt http://www.futura-sciences.com/fr/doc/t/robotique-1/d/decouverte-de-la-vie-artificielle_19/c3/221/p1/#xtor=AL-40 Page 1 Futura-Sciences

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Jérôme Damelincourt Depuis toujours l'Homme rêve de devenir le dieu créateur en concevant la vie, de nouveaux êtres. Nous n'avons jamais été aussi près de réaliser ce défi bien que nous en soyons encore très loin. La vie est l'un des aspects les plus complexes qui existe. Et la vie artificielle ? Mais en fait qu'est ce que la vie ? Rien que d'appréhender cette notion a suscité de nombreuses controverses au fil des siècles. Aujourd'hui encore, les réponses ne sont pas unanimes. Ce dossier propose ainsi une tentative de définition du concept de vie pour mieux comprendre

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D epuis toujours l’Homme rêve de devenir le dieu créateur en concevant la vie, de nou-veaux êtres. Nous n’avons jamais été aussi

près de réaliser ce défi bien que nous en soyons encore très loin. La vie est l’un des aspects les plus complexes qui existe. Et la vie artificielle ?

  Un dossier pour comprendre le concept de vie artificielle. © DR 

Mais en fait qu’est ce que la vie ? Rien que d’ap-préhender cette notion a suscité de nombreuses controverses au fil des siècles. Aujourd’hui encore, les réponses ne sont pas unanimes. 

Ce dossier propose ainsi une tentative de définition du concept de vie pour mieux comprendre les pro-blématiques et les domaines d’application de la vie artificielle.

Avant de parler de la vie artificielle, reprenons quelques définitions (récentes) de la vie. J. Doyne Farmer et Alleta d’A. Belin ont proposé une liste de propriétés minimales que l’on retrouve chez tous les êtres vivants.

Qu’est-ce que la vie ? © irh-unicef.fr 

Les caractéristiques premières de la vie

•  La vie est une structure dans l’espace-temps, plutôt qu’un objet matériel spéci-fique. En effet, les cellules d’un être vivant sont remplacées à de nombreuses reprises ;

•  La vie implique un mécanisme d’autore-production. Cela peut se présenter soit sous forme directe, soit sous forme indirecte au travers d’autres organismes comme le cas des virus ;

•  Un être vivant comprend une description de lui-même qu’il utilise pour se reproduire. En effet, tous les êtres vivants connus stoc-kent une description d’eux-mêmes sous la forme de chaînes d’acides nucléiques présentes dans les chromosomes des cel-lules, l’ADN ;

•  Un être vivant possède un métabolisme qui convertit la matière ou l’énergie de l’envi-ronnement dans les formes et les fonctions utiles de l’organisme. Le métabolisme peut être emprunté à d’autres organismes ; 

•  Un être vivant interagit fonctionnellement avec son environnement. Il réagit à des stimuli, qui permettent d’anticiper des mo-difications de l’environnement et de l’alté-rer. De plus, les organismes contrôlent leur propre environnement interne (local) ;

•  Un être vivant est composé d’un ensemble de structures interdépendantes qui consti-tuent son identité. Une manifestation évi-dente de cette propriété est la mort. Si l’on sépare plusieurs parties vitales d’un orga-nisme, il meurt ; 

•  Une forme vivante reste stable malgré les perturbations dues à l’environnement. Les êtres vivants sont capables de s’adapter à des modifications sensibles de leur milieu, en conservant ainsi leur identité ;

•  Les êtres vivants ont une capacité d’évolu-

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tion au niveau des générations successives de l’espèce. Nous reviendrons ultérieure-ment sur cette propriété. 

L’autopoïèse comme critère essentiel à la vie

La compréhension de cette liste a l’avantage d’être assez  aisée même pour  des  non-biologistes.  Par contre, elle a eu quelques controverses, en parti-culier une fourmilière répondrait à l’ensemble de ces propriétés. Maturana et Varéla ont proposé une définition plus stricte de la vie se résumant à une seule propriété qu’ils considèrent comment néces-saire et suffisante : l’autopoïèse. 

L’organisation  autopoïétique  caractérise  le  fait qu’un être vivant est un réseau de transformations dynamiques fabricant ses propres composants (mé-tabolisme), et qui construit une barrière topologique (membrane), qui à son tour, est la condition néces-saire du fonctionnement en tant qu’unité du réseau de transformations qui l’a engendrée. Ce qui signifie que les êtres vivants sont continuellement en train de s’autoproduire. 

Bien sûr, le fait de posséder une organisation n’est pas le propre des êtres vivants seuls, mais se re-trouve chez tout ce qui peut être analysé comme un système. Ce qui caractérise cependant les êtres vivants, c’est que leur organisation est telle que leur seul produit est eux-mêmes, et l’absence de sépa-ration entre le producteur et le produit. L’être et le faire d’une unité autopoïétique sont inséparables, et c’est là leur mode particulier d’organisation.

Pour la vie artificielle, il n’existe pas de définition aussi générique que celle de Maturana et Varela.

Comment définir la vie artifi-cielle ? © DR 

Le terme de vie artificielle est apparu en 1989 lors de la première conférence de Santa Fe. D’ailleurs aujourd’hui encore, l’université de Santa Fe reste le principal lieu de ce domaine. La définition donnée lors de cette conférence par Langhton est « l’étude de systèmes construits par l’Homme qui présentent des comportements caractéristiques des systèmes vivants naturels ». 

Aujourd’hui il est clair que cette définition est vague et incomplète. Mais elle a eu le mérite de créer un nouveau domaine de recherche qu’est la vie arti-ficielle. Lors de la création du site VIA, nous avons réfléchi longuement à une définition pertinente de notre vision de la vie artificielle. Elle a l’avantage d’avoir été réalisée par un groupe d’étudiants ayant des approches différentes (informatique, biologie, robotique, sciences cognitives, intelligence artifi-cielle…). De plus ce groupe était encadré par John Steward, biologiste reconnu. 

Nous avons opté comme J. Doyne Farmer et Alleta d’A. Belin pour une liste de propriétés minimales. Les différentes discussions sur le forum ont montré que les internautes avaient une vision cohérente avec la notre. 

Voici donc ces propriétés. 

Les caractéristiques premières de la vie artificielle

•  L’être humain a contribué au processus d’apparition de tout système de vie artifi-cielle. Évidemment nous ne pouvons pas parler d’un produit artificiel si nous le trou-vons dans la nature. 

•  Un système de vie artificielle est autonome. Il n’existe pas de robot ayant une complète autonomie (énergétique, fonctionnelle, in-dépendant de son environnement) ;

•  Un système de vie artificielle est en interac-tion avec son environnement. Il en a une 

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perception et parfois même une représen-tation. Cette perception aura une influence sur les actions de ce système ; 

•  Il y a émergence de comportements dans un système de vie artificielle. Pour la notion précise d’émergence de comportements, vous pourrez vous référer à Van de Vijver (« émergence et explication », numéro spécial Emergence and explanation, Intelletica vol2 n°25, 1997). Disons que pour simplifier cela correspond à un comportement résultant d’une coordination spécifique et non prévue à l’intérieur du système (cette coordination n’est pas programmée) d’un ensemble de fonctions basiques. Un exemple assez frap-pant est les flies.

D’autres propriétés ne sont pas indispensables mais restent néanmoins très présentes.

•  Un système de vie artificielle peut se repro-duire lui-même. Cette propriété très intéres-sante ne peut pas actuellement être réalisée dans des domaines fortement présents de la vie artificielle comme la robotique. Néan-moins elle a contribué à l’un des succès de la vie artificielle (avec les automates cellu-laires par exemple) ;

•  Un système de vie artificielle possède une capacité d’adaptation. Là aussi cela dépend des domaines, nous retrouvons cette capa-cité d’adapter (c’est à dire la possibilité d’uti-liser un comportement prévu pour une per-ception A pour un comportement A’ proche du comportement A) en robotique, pour les mondes virtuels... Mais par exemple les automates cellulaires ne possèdent pas cette propriété, par contre elle est très présente en robotique ;

•  Un système de vie artificielle n’est pas une unité. À l’opposé de la vie, un système de vie artificielle peut être réparti en plusieurs endroits : exemple, un robot et un ordina-

teur peuvent effectuer les calculs reliés par ondes. Même à l’intérieur d’un ordinateur, rien ne garantit que les octets de ce système sont tous regroupés.

Les théories qui diffèrent 

Tout comme John Steward considère que les virus ne sont pas vivants, en utilisant notre définition nous ne classons pas les virus informatiques dans la vie artificielle (pas de comportement émergent). 

Le point de vue de Jean-Claude Heudin est un peu différent. Il estime que les acteurs du domaine de-vaient se revendiquer comme acteur de la vie arti-ficielle pour considérer que ce domaine appartient effectivement à la vie artificielle.

La vie artificielle peut donc être définie et créée. Une fois réalisée, quels sont les domaines d’ap-plication ?

La vie artificielle se trouve par exemple dans le domaine des automates cellu-laires. Ici, une structure géométrique réalisée avec un automate cellulaire. © 

Screen circles 

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Voici quelques domaines de la vie artificielle (selon notre vision) :

Je ne présenterai pas ces domaines ici. De nombreux principes régissent la vie. Dans le cadre de la vie artificielle, certains ont été repris et d’autres ont été copiés pour pouvoir simuler des aspects du vivant. Je vais vous présenter sommairement les principaux. 

La cognition située

Les robots construits lors des travaux d’intelligence artificielle entre les années soixante et quatre-vingt, fonctionnent en réalisant les tâches suivantes :

•  perception des données de l’environnement ;

•  construction d’un modèle (2D ou 3D) de l’environnement ;

•  planification des actions à partir de ce mo-dèle ;

•  action du robot. 

Nous pouvons noter que c’est un contrôle complè-tement linéaire (perception, traitement, action) et centralisé (il y a un programme face à un monde modélisé ). 

Rodney  Brooks  (en  robotique, mais  Piaget  avait déjà souligné cet aspect) aura une vision totalement différente avec en particulier un texte célèbre (In-telligence without reason, préparé pour L’IJCAI 91, Computers and Thought). La cognition située stipule que la cognition ne peut exister que si elle se trouve incarnée (dans un corps, avec des perceptions) et mise en situation (donc avec des boucles percep-tion-action). 

Les systèmes multiagents

Provenant aussi de l’intelligence artificielle, les sys-tèmes multiagents sont aujourd’hui à la base de la compréhension de l’interaction des agents (animats, entités virtuelles) et son environnement. Les sys-tèmes multiagents se sont fortement inspirés des 

sociétés d’Insectes comme les fourmis, les termites ou encore les abeilles. En fait, chaque Insecte a une vision très partielle de son environnement, et une in-telligence très réduite. Pourtant l’interaction de leurs travaux collectifs permet d’obtenir des résultats très intéressants comme la construction de termitières, la recherche et le ramassage de la nourriture chez les fourmis (à l’aide des phéromones). Nous pou-vons remarquer dans l’intelligence d’un système multiagent ou d’une société d’insectes que « le total est supérieur à la somme des parties ». 

Les réseaux neuronaux

Avec la création du neurone formel en 1943 par Mc Culloch et Pitts, et par les travaux qui suivirent de Hebb, l’informatique s’est dotée de nouvelles ap-proches que sont les réseaux neuronaux. Ils permet-tent en particulier l’apprentissage, la reconnaissance de formes…

Directement inspirés du fonctionnement (simpli-fié) du cerveau, la connaissance n’est plus symbo-lique. Les expériences sur COG montrent d’excel-lents exemples d’apprentissages à partir de réseaux neuronaux. 

Les algorithmes génétiques

Les algorithmes génétiques proviennent aussi du fonctionnement du vivant. Ils sont directement ins-pirés du néo-darwinisme. L’idée est de présenter des échantillons (de comportements par exemple) et de conserver ceux qui sont le mieux adaptés au problème (plus quelques-uns moins adaptés mais permettant une diversité de la population). Ensuite, on réalise un croisement entre les échantillons sélec-tionnés et on teste à nouveau. Des résultats amusants donnent par exemple l’apprentissage de la marche pour un robot, ou le jeu proie-prédateur.

La vie artificielle représente donc un champ de recherche interdisciplinaire. Elle allie en effet la robotique, la biologie, l’informatique... Elle peut 

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être réalisée sous la forme de programmes infor-matiques ou de robots.

La vie artificielle peut se présenter sous forme de programme informa-tique. © DR 

La vie artificielle est présente aujourd’hui dans de nombreux domaines et devient la clé de voûte de la robotique humanoïde. Elle permet également de mieux comprendre le comportement des animaux, des Hommes. 

Aujourd’hui l’approche est avant tout bottom-up, c’est à dire que l’on programme les aspects les plus simples qui feront émerger de nouveaux compor-tements. 

Lorsqu’on parle de vie artificielle, on touche généra-lement à l’intelligence artificielle. C’est ainsi que la vie artificielle est à la base des robots humanoïdes, des drones et des programmes informatiques les plus évolués.

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