Forme phonologique, exposants morphologiques et structures ...nlampitelli/Lampitelli-These.pdf ·...
Transcript of Forme phonologique, exposants morphologiques et structures ...nlampitelli/Lampitelli-These.pdf ·...
Universite Paris Diderot (Paris 7)Ecole doctorale de Sciences du Langage
U.F.R. Linguistique
Numero attribue par la bibliotheque
a a a a a a a a a a
These
Nouveau regime
Pour obtenir le grade deDocteur en Sciences du Langage
Discipline : Linguistique
Presentee et soutenue publiquementpar
Nicola Lampitelli
le 8 juillet MMXI
Forme phonologique, exposantsmorphologiques et structuresnominales : etude comparee del’italien, du bosnien et du somali
Directeur de these :
Jean Lowenstamm
Composition du jury :
Mme Sabrina Bendjaballah CNRS-LLFM David Embick University of Pennsylvania (pre-rapporteur)M Jean Lowenstamm Universite Paris-Diderot (Paris 7) (directeur)M Philippe Segeral Universite Paris-Diderot (Paris 7)Mme Sophie Wauquier Universite Paris 8 (pre-rapporteur)
[...] flesse sibi, et gelidis haec evolvisse sub antris
mulcentem tigris et agentem carmine quercus :
qualis populea maerens philomela sub umbra
amissos queritur foetus, quos durus arator
observans nido implumis detraxit
P. Vergilius M., Georgicon Libri, IV : 511-513.
A te, ovunque tu sia.
i
Considerate vostra semenza
fatti non foste a viver come bruti
ma per seguire virtute e canoscenza
Dante Alighieri, Divina Commedia, Inf. XXVI : 118-120.
Animula vagula blandula,
hospes comesques corporis
quae nunc abibis in loca
pallidula, rigida, nudula
nec, ut soles, dabis iocos..
P. Æ. T. Hadrianus, Carmina.
A mamma, a papa, a Ale, a Gio, a Lollo, ai miei amici piu cari.
Tornero...
ii
Quem mihi dabis qui aliquod pretium tempori ponat,
qui diem æstimet, qui intellegat se cotidie mori ?
L. A. Seneca, Epistules Morales ad Lucilium, liber I, 2.
iii
Nunc est bidendum,
nunc pede libero pulsanda tellus !
Q. Horatius F., Odes, I, 37, 1.
A Anne.
iv
v
vi
Remerciements
Une these est un e!ort remarquable, probablement superieur a ce qu’on croit avant
de commencer. Mais une these est, aussi, l’aboutissement d’un chemin de formation et le
debut d’un autre.
Quant au chemin qui va se terminer, il a commence en septembre 1987, lorsqu’on m’a
appris a lire et a ecrire...
Je tiens donc a remercier cinq personnes qui ont eclaire, chacune a sa facon, le parcours
de mon education.
Merci a Sergio Blazina, pour la facon dont il chantait l’Inferno de Dante en terminale.
Sa lecon est toujours presente en moi. Je remercie aussi Alessandro Vitale Brovarone pour
la maniere dont il m’a appris a connaıtre un Moyen Age de poetes et d’ecrivains, mais
surtout de langues et de manuscrits. Son appui a faire de la recherche a ete fondamental.
A mon arrivee a Paris, Philippe Segeral a cru en moi en acceptant de diriger ma
maıtrise, il m’a appris a observer des faits phonologiques et morphologiques et il m’a
transmis beaucoup de passion pour la science. Je le remercie avec plaisir. Merci aussi a
Jean Lowenstamm pour l’influence qu’il a eu sur ma formation de linguiste, notamment
en ce qui concerne le regard que j’ai pris sur la phonologie. Une partie des hypotheses de
cette these doivent beaucoup a ses enseignements.
Finalement, je remercie David Embick, parce qu’il a accepte de m’inviter a Philadelphie
pour discuter de morphologie (et de football). Les entretiens avec lui a l’automne 2009
ont ete tres importants pour le developpement de mon travail.
Je remercie profondement les pre-rapporteurs ainsi que tous les autres membres du
vii
jury.
Arnela et Margot ont droit a un remerciement special.
Arnela a dedie beaucoup de temps a m’expliquer sa tres belle langue maternelle. Sa
passion et sa disponibilite ont ete fondamentales pour mon travail sur le bosnien.
Margot a lu et corrige le manuscrit final, en m’aidant a faire semblant d’etre un
locuteur natif du francais. Toutes les erreurs restent bien evidemment les miennes, mais
leur nombre est sans doute inferieur qu’avant sa relecture.
Merci a vous deux !
Merci, bien evidemment, a mes amis, ou qu’ils soient sur cette Terre.
Je ne vais pas en faire une liste, parce que j’ai peur d’en oublier quelques-uns. Merci
en tout cas a chacun d’entre eux, parce que souvent les seuls soulagements pendant ce
long travail ont ete de bonnes soirees entre potes.
Les annees mythiques de la rue d’Enghien et les fetes a Ciconio sont inoubliables pour
beaucoup d’entre nous ! Surtout ce soir-la, 9 juillet 2006...
viii
Introduction
Problematique
L’objectif de cette these est de caracteriser la relation entre la substance phonologique
et les proprietes morpho-syntaxiques lors du processus de formation des mots.
Plus particulierement, il est question de comprendre comment le signifiant est organise,
a l’interieur d’un systeme morphologique donne, par rapport aux proprietes morpho-
syntaxiques exprimees par ce meme systeme.
Nous allons donc explorer la facon dont trois langues non apparentees - l’italien, le
bosnien et le somali - organisent leurs systemes nominaux. Nous allons proposer une
forme phonologique pour chacune des proprietes morpho-syntaxiques retrouvees dans les
systemes nominaux des trois langues mentionnees.
Plus precisement, notre hypothese principale prevoit que chaque categorie ne peut etre
associee qu’a une seule sequence phonologique donnee.
En s’inspirant de la dichotomie saussurienne basee sur l’opposition entre le signifiant et
le signifie, le rapport entre la substance phonologique et les proprietes morpho-sytanxiques
occupe une place centrale dans la reflexion proposee par diverses theories morphologiques
et phonologiques contemporaines (cf. Spencer & Zwicky, 1998).
En ce qui concerne la linguistique generative et post-generative, le debat a commence
avec SPE (Chomsky & Halle, 1968). La theorie proposee par Chomsky & Halle postule
l’existence d’un systeme de regles phonologiques et morphophonologiques s’appliquant
aux representations sous-jacentes des phonemes et des morphemes. L’idee centrale est
que les processus morphophonologiques sont tous reguliers et s’appliquent des lors que
leur contexte d’application est satisfait.
Dans ce systeme, chaque mot a une representation phonologique de base pouvant etre
1
modifiee par l’application successive de regles.
Ensuite, la discussion a continue sur deux chemins paralleles mais independants.
D’une part, la recherche a ete developpee dans le champs de la phonologie. De nouvelles
approches phonologiques, telles que la phonologie autosegmentale (Goldsmith, 1979), la
phonologie lexicale (Kiparsky, 1982), ou, plus recemment, la theorie de l’optimalite (Prince
& Smolensky, 1993) ont critique le systeme propose par SPE.
D’autre part, SPE a provoque des reactions theoriques en ce qui concerne la problema-
tique de la formation des mots et de leur rapport avec le signifiant. En e!et, la morpho-
phonologie de Chomsky & Halle prevoit que la substance phonologique est associee a une
ou plusieurs proprietes morphosyntaxiques a travers l’application d’une regle. Aucune
scission n’est faite entre la substance phonologique et les proprietes qui lui sont liees.
Ce dernier chemin est celui qui nous interesse dans cette these.
A la suite de SPE, la linguistique generative a reagi en s’interessant enfin a la forma-
lisation d’une theorie morphologique generative. Ainsi, on peut reconnaıtre l’existence de
deux grands axes de recherche.
D’un cote, Arono! (1976) a developpe une theorie de la formation des mots basee sur
l’hypothese que les processus morphologiques sont declenches par l’application de regles
de formation du mot (cf. anglais Word Formation Rules, WFR) ciblant exclusivement les
lexemes. Ainsi, les operations morphologiques sont independantes des processus phonolo-
giques.
La presence d’un lexique actif est pourtant indispensable dans l’approche proposee
par Arono!. En e!et, les WRF s’appliquent aux lexemes qui sont des entites dotees aussi
bien d’une substance sonore que d’un sens (linguistique et extra-linguistique).
De l’autre cote, a partir de Williams (1981, 1994) et Di Sciullo & Williams (1987), on
a fait l’hypothese que les mots sont construits comme les syntagmes. Par consequent, on a
postule la presence d’une structure syntaxique a l’interieur du mot. Plus particulierement,
on a fait l’hypothese qu’un mot est une projection maximale XP, selon le modele syn-
taxique X-barre.
Dans cette optique, les morphemes sont interpretes comme des mots tres courts, syn-
taxiquement lies entre eux. En ce qui concerne la relation entre la forme et le sens des
2
morphemes, celle-ci consiste en un rapport lexical entre un nœud terminal portant une
etiquette categorielle et une sequence phonologique donnee.
Le role d’un lexique actif est, dans ce cas-la aussi, fondamental. Ainsi, les mots sont
classes dans le lexique et contiennent des informations liees a leur forme ainsi qu’a leur
sens. Ils contiennent aussi une information concernant la structure syntaxique dans la-
quelle ils peuvent etre inseres.
L’innovation de cette approche consiste en l’elimination de la frontiere entre les mots
et les syntagmes : ces deux unites sont sujettes au meme et unique mecanisme.
Plusieurs approches syntaxiques a la formation des mots ont ete ensuite proposees
(Baker 1988, Hale & Keyser 1993, Halle & Marantz 1993 et Borer 2005, parmi les plus
importantes), chacune se caracterisant par rapport a certains traits de l’architecture du
systeme syntaxique et par rapport a la position assumee vis-a-vis du lexique.
Dans cette these, je prends la point de vue de Halle & Marantz (1993) ou les au-
teurs dessinent les lignes essentielles de la Morphologie Distribuee, une theorie postulant
la formation syntaxique des mots et dont la caracteristique fondamentale est d’adopter
l’hypothese selon laquelle la substance audible des morphemes est separee, a la fois, de
leur structure et de leur sens. Autrement dit, la Morphologie Distribuee nie l’existence
d’un lexique actif au sens de la theorie d’Arono! (1976) ou de Williams (1981).
Plus particulierement, l’association entre la substance phonologique et une propriete
morpho-syntaxique donnee a lieu a travers un mecanisme de type realisationnel. Ce pro-
cessus relie une sequence sonore a une ou plusieurs proprietes morpho-syntaxiques parti-
culieres, exprimees a l’aide de matrices de traits morpho-syntaxiques. Chaque matrice de
trait est appellee ! morpheme ".
Le morpheme saussurien est donc interprete de facon di!erente par la Morphologie
Distribuee : il perd son statut de ! signe " et devient une unite abstraite depourvue de
toute substance sonore.
Dans les quatre chapitres de cette these, nous allons nous occuper d’analyser la facon
dont les morphemes au sens de la Morphologie Distribuee recoivent de la substance sonore.
Plus precisement, le but principal est de caracteriser le fonctionnement du mecanisme
realisationnel postule par cette theorie : nous expliciterons donc une position theorique
a l’interieur du debat sur le rapport entre les sequences phonologiques et les categories
3
grammaticales.
La position que je vais defendre est pourtant possible grace a l’adoption d’un cadre
phonologique particulier, celui de la phonologie CV (Lowenstamm, 1996). Ce cadre est
issu des principes de la Phonologie Autosegmentale (Goldsmith, 1979) et il est fonde sur
l’idee que la seule syllabe possible est celle formee par une stricte alternance d’attaques C
et de noyeaux syllabiques V. Les sequences phonologiques sont donc audibles seulement
lorsqu’elles sont associees a un niveau gabaritique forme d’unites CV.
En suivant Bendjaballah (2003) et Lowenstamm (2008), je vais montrer que la sub-
stance phonologique associee aux categories morpho-syntaxiques doit etre representee au
moyen de l’approche CV.
Ainsi, apres un chapitre de discussion et de presentation des hypotheses qui sous-
tendent les analyses proposees, les trois chapitres qui suivent sont dedies chacun a l’etude
d’une des langues mentionnees au debut de cette introduction : l’italien, le bosnien et le
somali.
Chacune de ces langues est utilisee en tant qu’etude de cas.
Plan de la these
La chapitre 1 se divise en deux parties.
La premiere est dediee a la presentation des outils theoriques. D’abord, les aspects
de la Morphologie Distribuee concernant la facon dont cette theorie manipule les objets
phonologiques sont detailles.
Nous allons donc discuter de la notion de morpheme, du mecanisme realisationnel,
de l’insertion tardive et de la competition entre les objets phonologiques. Ensuite, le
cadre phonologique CV est illustre dans ses details les plus importants pour les analyses
presentees dans ce travail. Nous allons explorer l’hypothese selon laquelle les morphemes
peuvent etre constitues seulement par des parts de gabarit, dont l’unite minimale est la
syllabe CV.
Quant a la deuxieme partie, elle s’occupe entierement de developper l’hypothese sur
l’interpretation de la relation entre les exposants phonologiques au sens de la Morpho-
logie Distribuee et les categories morpho-syntaxiques. Je vais montrer, a l’aide de deux
4
exemples, tires respectivement du francais et de l’arabe, que nous pouvons proposer un
mecanisme realisationnel ou chaque propriete n’est associee qu’a une seule sequence pho-
nologique.
Le chapitre se conclut en formalisant cette proposition.
Ensuite, le chapitre 2 a comme objectif d’analyser les noms de l’italien.
Plus particulierement, notre attention se focalise sur les voyelles finales des noms de
l’italien. Ces voyelles sont porteuses, a la fois, d’une information relevant du genre, du
nombre et d’une troisieme propriete qui sera etiquettee ! voyelle thematique ".
Cette derniere propriete joue un role central dans le systeme nominal de la langue :
le but du chapitre est de montrer qu’en posant un exposant phonologique precis - une
unite CV -, nous pouvons expliquer le fonctionnement et la formation de tous les noms
basiques et non-derives de l’italien.
La partie finale du chapitre est dediee a un detour dans l’histoire de la langue.
Dans le chapitre 3, j’analyse les noms du bosnien.
Je montre que la voyelle finale de chaque nom se comporte comme la voyelle finale
etudiee en italien, a une di!erence pres : contrairement a l’italien, le bosnien a cinq cas
syntaxiques ouvertement marques, ainsi que trois genres et deux nombres. Cette situation
implique la presence de trente marques casuelles a analyser.
L’hypothese centrale de l’analyse du bosnien consiste a demontrer que chaque nom de
la langue est forme d’une sequence de trois morphemes dont les exposants phonologiques
font surface en fusionnant entre eux. Le resultat est une voyelle dont le timbre varie entre
/a/, /e/, /i/ /o/ et /u/.
Nous allons donc assister a une gradation de di"culte entre le chapitre 2 et le chapitre
3, a propos notamment de la complexite du bosnien par rapport a l’italien.
Finalement, le chapitre 4 s’occupe des noms du somali.
Le but principal de ce dernier chapitre est montrer que le mecanisme d’interface entre le
systeme syntaxique de formation des mots et les sequences phonologiques developpe dans
les trois chapitres precedents rend compte d’un systeme nominal fort complexe comme
celui du somali.
En e!et, le nom du somali est caracterise par la presence d’un accent tonal ainsi que
5
de plusieurs a"xes. En outre, on reconnaıt l’existence de classes flexionnelles, etablies sur
la base de ressemblances formelles entre les noms.
Je montre que, grace a l’application de la theorie phonologique CV, nous pouvons par-
venir a decomposer le systeme nominal du somali en isolant un seul exposant phonologique
par categorie morpho-syntaxique.
L’hypothese centrale est donc constituee de l’individuation d’un marqueur unique du
genre feminin, du nombre pluriel et des trois cas syntaxiques presents dans la langue.
La conclusion du chapitre est dediee a une courte discussion de la notion de paradigme,
ou le point de vue defendu dans cette these sera explicite.
6
Chapitre 1
Du caractere abstrait de la
phonologie
1.1 Introduction
Ce chapitre vise deux objectifs : d’une part, presenter les cadres theoriques dans les-
quels les analyses proposees dans cette these se situent ; d’autre part, poser quelques
questions a propos de la relation entre la formation d’un mot et sa forme phonologique,
en prenant le point de vue de ces memes cadres theoriques.
Dans la premiere partie du chapitre (section 1.2), nous allons voir les principes de
base de la Morphologie Distribuee (dorenavant DM) (Halle & Marantz, 1993, 1994; Ma-
rantz, 1997, 2001; Halle, 1997a; Embick, 2010), une theorie morphologique basee sur
une approche syntaxique a la formation des mots. DM occupe une place centrale dans le
developpement des hypotheses presentees dans ce travail. Ensuite (section 1.3), je presente
deux theories phonologiques ayant aussi un role crucial pour la comprehension des ana-
lyses que je vais proposer. Il s’agit de l’hypothese CV (Lowenstamm, 1996; Scheer, 2004)
et de la theorie des Elements (Kaye et al., 1985). L’hypothese CV propose l’existence d’un
type unique de syllabe, formee d’une attaque (C) et d’un noyeau (V). Quant a la Theorie
des Elements, elle est une theorie des representations phonologiques visant a proposer une
structure interne des segments.
La deuxieme partie est consituee des sections 1.4, 1.5 et 1.6. En partant de l’analyse
du pluriel nominal de l’anglais proposee par DM, nous allons voir que cette hypothese
7
contient des stipulations a eviter. Ainsi, a l’aide de deux exemples, tires respectivement
du francais et de l’arabe classique, je vais illustrer la proposition centrale de ce travail,
consistant en une interpretation du mecanisme du spell-out.
1.2 La Morphologie Distribuee
La Morphologie Distribuee (Halle & Marantz, 1993, 1994; Marantz, 1997, 2001; Halle,
1997a; Embick, 2010) se caracterise par le fait d’etre une theorie interpetant les elements de
la syntaxe et de la morphologie en tant qu’objets distincts et non pas comme le resultat
d’un processus de production morpho-phonologique unique. En outre, la DM postule
l’absence d’un lexique actif, ou les lexemes seraient classes en tant qu’objets dotes a
la fois de son et de sens. 1 Dans cette section, je vais passer en revue quelques notions
fondamentales de la theorie DM, en essayant d’en decortiquer les merites et les limites.
1.2.1 Traits fondamentaux de la theorie DM
Les presupposes theoriques de DM se situent dans l’axe de la syntaxe generative, et
en particulier ils suivent le Programme Minimaliste (cf. Chomsky, 1995).
Toutefois, l’innovation centrale de l’approche de DM concerne le fait que tout comme
une phrase est bien composee de syntagmes projetes d’une tete Xo, on peut postuler
l’existence d’une telle structure aussi dans les mots.
Au debut des annees quatre-vingt-dix, Morris Halle et Alec Marantz publierent deux
articles ou ils presentaient une nouvelle approche a la formation des mots (cf. Halle &
Marantz, 1993, 1994). Cette hypothese est aussi connue sous l’etiquette de ! single engine
hypothesis ", ou, par engine, on entend syntaxe.
Ainsi, la composante morphologique de la Grammaire n’a pas de statut independant
dans ce modele. De plus, son champs d’action est distribue entre la syntaxe et l’interieur
d’un processus realisationnel. C’est pour cela que ce programme de recherche est connu
comme ! Morphologie Distribuee ".
Dans cette theorie, le lexique perd tout statut d’entite active dans la formation du
mot. En e!et, les unites minimales douees d’un signifie sont les racines. Celles-ci n’ont
1. Cf. le concept de ! signe " saussurien.
8
pas de categorie, ni de forme phonologique. Ensuite, la syntaxe etablit la relation entre
les racines d’un cote et les categories et la forme phonologique de l’autre.
Ensuite, la notion de morpheme a ete revisee. En e!et, DM considere que le morpheme
correspond a une matrice de traits morphosyntaxiques, depourvus de tout contenu phono-
logique. Chaque nœud terminal de la structure syntaxique devra donc etre associe a une
matrice de traits. Nous allons voir que les morphemes recoivent un contenu phonologique
lors de la computation post-syntaxique, a travers un mecanisme appele ! spell-out ".
Dans un souci de clarte, je montre ci-dessous le schema de l’architecture de la Gram-
maire telle qu’elle est postulee par la DM en particulier et plus en general par le cadre
Minimaliste : 2
(1) Le modele de l’architecture de la Grammaire
Derivation syntaxique
Les nœuds terminaux sont prets a etre interpretesspell-out
Forme phonologique Forme semantique
Le schema (1) nous montre qu’au moment ou les nœuds terminaux de la structure
syntaxique sont prets a etre interpretes, une division a lieu entre une branche allant vers
la forme phonologique (dorenavant PF) et une allant vers la forme semantique.
Au cours de ce travail, je vais me concentrer sur la branche gauche du schema ci-
dessus. Celle-ci represente une des thematiques centrales de la theorie DM, notamment
le processus realisationnel responsable d’associer une forme a chaque morpheme. Comme
nous venons de voir, ceci a ete etiquette avec le nom de ! spell-out " ou ! Vocabulary
Insertion " et chaque exposant phonologique qui est insere sur un nœud terminal est
appele ! Vocabulary Item " (dorenavant VI). Ces derniers sont des objets audibles et
phonologiquement bien formes (cf. Halle & Marantz, 1993, 1994). Chaque VI contient
une information concernant son propre contexte d’insertion.
Nous allons maintenant explorer les hypotheses que DM fait concernant la facon ou
se deroule l’insertion du materiel phonologique sur les nœuds syntaxiques.
2. Pour un schema exhaustif, voir Harley & Noyer (1999).
9
1.2.2 L’insertion tardive et le Subset Principle
Le processus de spell-out est un mecanisme qui fournit du materiel phonologique aux
morphemes domines par les nœuds terminaux. Son fonctionnement est lie a deux hy-
potheses cruciales de la theorie DM : l’insertion tardive et le Subset Principle.
Nous allons d’abord explorer le concept d’insertion tardive. Comme nous pouvons
voir en observant la branche gauche du schema (1), le spell-out se situe apres la Syntaxe.
Dans ce type d’architecture de la grammaire, le materiel phonologique ne peut pas etre
manipule par les nœuds syntaxiques : cette situation decoule de l’hypothese de l’! insertion
tardive " (cf. anglais Late Insertion, Marantz 1995), selon laquelle l’insertion des segments
et des suprasegments phonologiques n’a lieu qu’apres la syntaxe. La consequence de cette
hypothese est que le spell-out devient un mecanisme crucial afin qu’on puisse e!ectivement
prononcer la suite de morphemes dans un mot donne. En e!et, le spell-out cree une relation
entre une matrice de traits et une sequence phonologique audible.
Le fait que l’insertion ait lieu seulement apres la syntaxe, permet au systeme de generer
des phrases et des mots sans se soucier du contenu phonologique, notamment sans prendre
en compte les allormorphes, qui sont traditionnellement un des grands soucis de la theorie
morphologique. Nous reviendrons sur ce point plus tard dans ce chapitre.
Ensuite, la question concerne la facon dont le spell-out fonctionne. Comme nous avons
brievement observe plus haut, le processus d’insertion du materiel phonologique a comme
cible les morphemes associes aux nœuds terminaux. Ainsi, une liste de VI doit etre dressee.
Cette liste contient tous les exposants phonologiques pouvant etre inseres dans un nœud
donne. Afin qu’un VI soit insere sur un nœud donne, il faut que deux conditions soient
satisfaites :
(2) Conditions d’insertion d’un VI :
a. la matrice de traits associee au VI doit etre equivalente a celle du nœud
terminal ;
b. le contexte d’insertion doit etre satisfait.
Je vais montrer de suite l’application de ces deux conditions a l’aide d’un exemple : le
pluriel nominal de l’anglais. Comme il est connu, en anglais le pluriel nominal prend trois
formes di!erentes : a cote du su"xe regulier /z/, on retrouve /@n/ et un su"xe zero :
10
(3) Les morphemes du pluriel nominal de l’anglais : 3
a. /z/ : cat ‘chat’, dog ‘chien’, church ‘eglise’, etc.. (liste ouverte)
b. /@n/ : ox ‘bœuf’, child ‘enfant’, etc.. (liste fermee)
c. su"xe zero : deer ‘daim’, moose ‘elan’, etc.. (liste fermee)
Selon la formalisation de la DM, les trois formes de su"xes de pluriel ci-dessus cor-
respondent aux VI suivants :
(4) VI du pluriel anglais
a. [+pl] !" zero /#DEER,
#MOOSE, etc.. (liste (3-c))
b. [+pl] !" /@n/ /#OX,
#CHILD, etc.. (liste (3-b))
c. [+pl] !" /z/ / ailleurs (liste ouverte).
Comme nous pouvons voir des trois exemples en (4), chaque VI est associe au morpheme
[+pl]. La condition (2-a) est donc satisfaite. Maintenant, nous pouvons remarquer que tous
les VI n’ont pas le meme contexte d’insertion : (4-a) peut etre insere seulement si une des
racines de la liste en (3-c) est epelee. De facon equivalente, (4-b) peut etre epele seulement
si une des racines de la liste en (3-b) est presente dans la structure. Finalement, le VI
(4-c) n’a pas de contextes d’insertion particuliers. Il est donc le VI par defaut. 4
Ainsi, si nous prenons la racine#OX, le VI (4-b) est choisi : il satisfait le contexte
d’insertion, notamment l’adjacence a la racine en question.
Il peut y avoir des cas bien plus complexes, ou les matrices de traits associees aux VI
ne contiennent qu’un sous-ensemble des traits contenu dans le nœud terminal. Prenons,
par exemple, le verbe latin laudo ‘louer, faire l’eloge de quelqu’un’, et examinons la 2S du
preterit et du present, respectivement :
(5) 2S du latin : 5
a. laudav-istI ‘tu louas’
b. lauda-s ‘tu loues’
En ce qui concerne le latin, nous savons que la deuxieme personne du singulier est
3. Les pluriels a alternance vocalique tels que foot vs. feet ‘pied(s)’ ne sont pas consideres.4. Cf. la notion de Elsewhere Condition, Kiparsky (1972).5. Je laisse de cote les marqueurs de temps, mode et aspect.
11
toujours marquee par -s, sauf dans le cas du preterit. Ainsi, nous pouvons en conclure que
la 2S est marquee, par defaut, par -s. Inversement, la 2S prend la forme de l’exposant istI
seulement lorsqu’une condition ulterieure est satisfaite : le preterit. Par consequent, les
deux VI suivants peuvent etre proposes :
(6) VI pour la 2S du latin :
a. [2S, +passe] !" istI
b. [2S] !" s
Les deux VI, (6-a) et (6-b) peuvent etre inseres lorsqu’un nœud terminal contient le
trait [2S]. Afin de gerer le conflit entre plusieurs VI pouvant etre associes a la meme matrice
de traits, Halle (1997a) a propose un outil theorique, le Subset Principle (dorenavant
subp). En voici la definition, tiree de Halle (1997a) :
The phonological exponent of a Vocabulary Item is inserted into a mor-
pheme if the item matches all or a subset of the grammatical features specified
in the terminal morpheme. Insertion does not take place if the Vocabulary
Item contains features not present in the morpheme. Where several Vocabu-
lary Items meet the conditions for insertion, the item matching the greatest
number of features specified in the terminal morpheme must be chosen.
Ainsi, si le nœud terminal est associe a une matrice contenant seulement les traits de
la 2S, seul le VI (6-b) peut etre epele, selon subp.
Les deux exemples montres soulevent deux questions cruciales : d’une part, ils posent le
probleme de la competition entre les VI ; d’autre part, ils ne fournissent aucune information
sur la nature des relations entre les exposants phonologiques.
Nous allons d’abord nous occuper de la competition entre les VI, ensuite (cf. section
1.4), nous allons aborder le deuxieme probleme.
1.2.3 Les notions de blocage et de competition
Sur la base de l’hypothese du subp, Embick & Marantz (2008) ont developpe une
theorie de la ! competition " entre les objets phonologiques afin de montrer comment
chaque VI tente de s’associer a un nœud donne a l’occasion de l’epel.
Si les traits associes au VI en question correspondent a ceux du nœud, l’exposant
12
phonologique doit y etre associe. Cependant, il arrive que plusieurs VI puissent en principe
etre associes : lorsque c’est le cas, ces objets sont en competition entre eux.
La reflexion de Embick et Marantz part de l’observation du phenomene appelle ! blo-
cage ". Selon cette notion, a l’interieur d’un paradigme donne, certaines formes sont
bloquees en faveur de formes exceptionnelles. Par exemple, dans le cas du pluriel de l’an-
glais, le pluriel grammatical oxen ‘bœufs’ bloque le pluriel regulier *oxes. 6 Cette idee
prevoit qu’il existe une competition entre des mots, auquel cas nous aurions le mot oxen
qui gagne sur *oxes.
Par contre, l’hypothese des auteurs est que le blocage n’est pas une notion valable
dans un systeme linguistique. En fait, la competition entre les exposants phonologiques
n’a lieu qu’au niveau des morphemes, c’est-a-dire au niveau des nœuds terminaux. Par
consequent, ce n’est pas oxen qui bloque la formation de *oxes. Il s’agit plutot du VI /@n/
(cf. (4-b)) qui gagne la competition avec le VI /z/ (cf. (4-c)).
L’exemple sur lequel Embick et Marantz se concentrent concerne la comparaison entre
glory ‘gloire’ d’un cote et curiousity ‘curiosite’ de l’autre. Remarquons d’abord que nous
devons rejeter *gloriousity (cf. la grammaticalite de glorious et de curious). Inversement,
les noms en -ness sont bien formes, dans les deux cas : gloriousness et curiousness.
Ces exemples montrent, plausiblement, que deux exposants exprimant la categorie
! nom " existent : autrement dit, dans ce cas, la tete n a, dans les termes de la theorie
DM, deux VI possibles, un etant -ity et l’autre etant -ness. Il reste neanmoins glory :
quelle est la nature phonologique de l’exposant morphologique de nominalite ?
Embick et Marantz (2008 : 22-23) admettent que chaque VI declenche une competition
seulement au niveau du nœud terminal avec les autres VI partageant les memes traits
morpho-syntaxiques : ainsi, -ity et -ness se trouvent dans cette situation. Leurs VI sont
les suivants :
(7) VI pour ity et ness :
a. n !" -ity / X (X =#CURIOUS,
#ATROC, [a, able], [a, al], etc..)
b. n !" -ness
Le VI (7-a) ayant un contexte d’insertion bien plus restreint que celui du VI (7-b),
gagne toujours la competition dans les contextes specifies dans son entree, selon ce que
6. Cf. Arono! (1976) pour une autre analyse du blocage morpho-phonologique.
13
subp predit.
Maintenant je montre les structures pour curiousity et glory, respectivement :
(8) n
#CURIOUS n
ity
(9) n
#GLORY n
zero
Des deux exemples ci-dessus, nous pouvons deduire la presence d’un morpheme zero
(cf. (9)) oppose a un des deux exposants proposes pour la tete n : -ity. Pour Embick &
Marantz, le morpheme zero gagne la competition avec le VI (7-a) dans le contexte de la
racine#GLORY. Inversement, la racine
#CURIOUS correspond au contexte d’insertion
du VI associe a -ity.
La comparaison entre les adjectifs relies aux deux noms en question est interessante :
(10) a
#CURIOUS a
zero
(11) a
#GLORY a
ous
La situation representee par les deux adjectifs curious ‘curieux’ et glorious ‘glorieux’
est inversee par rapport aux noms plus haut dans la page. Nous pouvons en e!et remarquer
qu’un exposant zero est associe au VI insere dans le contexte de la racine#CURIOUS,
alors que la racine#GLORY selectionne un VI dont l’exposant est -ous. Les VI utilises
dans ce cas sont :
(12) VI pour une tete adjectivale :
a. a !" -ous / X (X =#GLORY,
#ATROC, etc..)
b. a !" zero / Y (Y=#CURIOUS, etc..)
Finalement, la comparaison s’acheve en montrant les deux exemples suivants :
14
(13) n
aP nness
#CURIOUS a
zero
(14) n
aP nness
#GLORY a
ous
Ici, la tete n est ajoutee aux structures adjectivales montrees precedemment. L’epel
de la categorie lexicale n correspond a l’exposant -ness dans les deux cas. Ainsi, nous
pouvons voir la raison ayant amene Embick & Marantz a postuler que le VI -ness est le
cas par defaut : il nominalise toute tete adjectivale, sans avoir besoin d’une reference a
un contexte specifique d’application.
En conclusion, la theorie de Embick & Marantz propose de considerer que *glority est
agrammatical parce qu’au niveau du nœud n, dans la structure (9), le VI -ity (7-a) ne
peut pas etre insere parce que son contexte d’application n’est pas satisfait.
Dans le reste de cette these, je me pencherai sur la notion de competition entre les
VI afin de montrer que nous pouvons nous en debarasser. En e!et, la competition est
une consequence de subp. A son tour, ce principe a ete formule afin de regler le choix
du bon candidat parmi une liste de deux ou plusieurs VI pouvant etre inseres sur un
nœud donne. Mon hypothese est qu’etant donne un morpheme, il n’existe qu’un seul VI
candidat a l’insertion.
Cependant, avant d’entrer dans les details, nous devons illustrer les principes de deux
theories phonologiques utiles a nos propos.
1.3 Deux outils phonologiques
1.3.1 L’hypothese CV
Le panorama de la phonologie moderne est tellement vaste qu’il faudrait discuter d’un
nombre tres grand de theories phonologiques capables de repondre a notre problematique.
15
Cependant, nous pouvons sans doute faire une grande distinction entre des theories
phonologiques communement connues sous le nom de rule-based et d’autres theories
connues sous le nom de constraint-based.
En particulier, ces deux grands courants sont respectivement celui de la phonologie
issue des SPE de Chomsky et Halle (1968) et celui de la Theorie de l’Optimalite (Prince
& Smolensky 1993 ; dorenavant OT)
En ce qui concerne les representations phonologiques, j’adopte une hypothese specifique
sur la structure syllabique. Il s’agit de l’hypothese CVCV (cf. Lowenstamm, 1996), qui
reste neutre sur la question de l’organisation de base de la phonologie.
Cette approche est issue principalement du cadre general de la Phonologie Autosegmen-
tale (cf. Goldsmith, 1979; McCarthy, 1981) qui se base sur l’idee tres simple selon laquelle
les objets phonologiques peuvent etre adjacents a un certain niveau de representation,
mais etre finalement eloignes les uns des autres a un autre niveau. Un des exemples les
plus celebres concerne l’arabe classique, selon l’analyse proposee par McCarthy (1981) :
(15) consonnes k t b
gabarit C V C V C katab ‘ecrire’ forme 1
voyelles a
Le niveau squelettal, etiquette ! gabarit ", est le site d’association des autosegments.
Ces derniers sont divises en deux groupes : sur le niveau etiquette ! consonnes ", on
retrouve les consonnes faisant partie de la racine trilittere#KTB liee a l’idee d’ecrire.
Sur le niveau etiquette “voyelles”, nous avons /a/, qui est responsable de la vocalisation
propre a l’actif de l’accompli de l’arabe classique. Cette representation permet donc de
considerer la racine comme un morpheme continu a un certain niveau de la derivation.
L’existence de principes d’association impose ensuite aux trois autosegments de s’associer
au squelette selon la facon montree ci-dessus.
McCarthy a propose que le gabarit puisse etre considere comme un morpheme, puis-
qu’il s’agit d’un objet doue, a la fois, de contenu phonologique et de sens. Par exemple,
le systeme verbal de l’arabe classique contient une forme, dite forme 2, ayant un sens
premierement causatif. Cette forme est reconnaissable grace a la gemination de la deuxieme
consonne du radical. Du point de vue du gabarit, la forme 2 est donc caracterisee par la
sequence CVCCVC. La representation de la forme 2 est montree ci-dessous :
16
(16) consonnes k t b
gabarit C V C C V C kattab ‘faire ecrire’ forme 2
voyelles a
Les formes causatives des verbes partagent donc le meme gabarit CVCCVC. Les structures
syllabiques des formes 1 et 2 ne dependent donc pas de l’identite des segments, mais
seulement du gabarit. En ce sens, le gabarit est un morpheme. La forme 3 illustre une fois
de plus que le gabarit impose la structure syllabique :
(17) consonnes k t b
gabarit C V V C V C kaatab ‘echanger des lettres’ forme 3
voyelles a
La forme 3 est caracterisee par la sequence CVVCVC. Le gabarit peut donc etre defini
comme une sequence de positions consonantiques et vocaliques imposant une prosodie
fixe.
L’hypothese CVCV (Lowenstamm, 1996; Scheer, 2004) propose une vision plus ra-
dicale, centree sur l’idee que la seule syllabe possible est celle formee par une stricte
alternance d’attaques C et de noyeaux syllabiques V. Chaque mot a un niveau CVCV
dans sa representation phonologique. Une syllabe ouverte a voyelle longue [baa] ou une
consonne geminee [abba], ont les representations suivantes :
(18) Representations pour une voyelle longue et une consonne geminee :
a. b a
[baa] C V C V
b. a b a
[abba] C V C V C V
Les noyaux vides sont gouvernes selon les principes de la Phonologie du Gouvernement
(cf. Kaye et al., 1985; Kaye, 1990).
L’avantage de cette approche a la structure syllabique peut etre compris pleinement si
on compare les representations des formes 2 et 3 proposees par McCarthy (cf. (16) et (17))
17
avec celles proposees par Guerssel & Lowenstamm (1990). Je montre d’abord la forme 2 :
(19) consonnes k t b
gabarit C V(CV)C V C kattab ‘faire ecrire’ forme 2
voyelles a
L’hypothese sur une structure syllabique unique impose que le gabarit devienne une
sequence d’unites CV. Celle-ci est donc l’unite minimale de la representation d’un mot.
Le site entre parentheses correspond a une unite appellee ! derivationnelle " par Guerssel
& Lowenstamm. 7 Son individuation permet une generalisation remarquable, notamment
l’explication de la forme 3 a l’aide du meme gabarit :
(20) consonnes k t b
gabarit C V(CV)C V C kaatab ‘echanger des lettres’ forme 3
voyelles a
Une question importante soulevee par ces representations concerne le nombre d’unites
CV qu’on doit inserer.
Est-ce le nombre d’unites selectionnees par des contraintes lexicales, morphologiques
ou phonologiques ? Autrement dit, est-ce que les unites CV font partie de la representation
lexicale des mots, des morphemes ou des phonemes ? Ou encore, on pourrait poser la
question de savoir si les unites CV peuvent etre des morphemes a part entiere. La reponse
a ce probleme sera devoilee au fil des trois chapitres suivants, notamment en se basant
sur les travaux de Lowenstamm (2008) et de Bendjaballah & Haiden (2008).
Trois etudes de cas seront exploitees afin de repondre a ces questions. En particulier,
une partie des analyses que cette these propose, s’occupe de justifier et expliquer le fonc-
tionnement de la representation autosegmentale appliquee a la morphologie, en suivant
une ligne de travaux importants qui vont de Segeral (1995) a Rucart (2006), en passant
par Bendjaballah (1999), Boye (2000), Barillot (2002), Scheer (2004) et d’autres.
7. Je reviendrai sur ce point plus tard dans le chapitre, cf. infra section 1.5.2.
18
1.3.2 La Theorie des Elements
La Theorie des Elements (cf. Kaye et al., 1985, 1990) (dorenavant TE) est une theorie
des representations segmentales. Sa proposition centrale consiste en l’idee que tout seg-
ment est le resultat d’une operation de fusion entre des elements primitifs.
Plus specifiquement, la TE considere que chaque element primitif est une matrice de
traits phonologiques : par consequent, chaque segment est le resultat d’une combinaison de
matrices. Cette situation est valable aussi bien pour les consonnes que pour les voyelles. 8
Quant a ces dernieres, cinq matrices de base sont presentes dans les representations
vocaliques. L’observation initiale sur le statut des voyelles (et des consonnes aussi) derive
plus generalement de la theorie de la marque : le fait que [a], [i] et [u] sont les trois voyelles
presentes dans tous les systemes vocaliques des langues naturelles et en meme temps les
trois voyelles peripheriques dans le triangle vocalique, leur assigne un statut de voyelles
non-marquees.
Il est, cependant, important de souligner le fait que l’unite premiere qui constitue
un segment est l’Element, les traits constituant les matrices n’etant pas accessibles aux
processus phonologiques.
Les representations des segments vocaliques contiennent les Elements I, A, U, !, et N
et leurs matrices sont constituees des traits suivants : [! arriere], [! haut], [! arrondi],
[! bas], [! ATR] (c’est-a-dire advanced tongue root, utilisee pour distinguer les voyelles
tendues [+ATR], des voyelles non-tendues [-ATR]) et [! nasal].
Ces matrices sont montrees ci-dessous :
(21) Les Elements primitifs selon TE
A
+arriere
-haut
-arrondi
-ATR
-nasal
+bas
U
+arriere
+haut
+arrondi
-ATR
-nasal
-bas
I
-arriere
+haut
-arrondi
-ATR
-nasal
-bas
!
+arriere
+haut
-arrondi
+ATR
-nasal
-bas
N
+arriere
+haut
-arrondi
-ATR
+nasal
-bas
8. Segeral (1995 : 32-45) explique de facon tres claire le fonctionnement de TE, ainsi en montrant lesgrandes avantages mais aussi les quelques limites.
19
Chaque Element est caracterise par une et une seule valeur de trait marquee (au sens
de Chomsky & Halle 1968), ceci etant note par le caractere gras dans les representations
ci-dessus. KLV appellent trait chaud le trait marque de chaque Element.
Les Elements I, A et U se comportent comme des autosegements, residant sur des
lignes autosegmentales au sens de Goldsmith (1979), dont l’etiquette correspond au trait
chaud de l’element qu’elles portent. Ainsi A se trouve sur la ligne [-HAUT], I sur la ligne
[-ARRIERE] et U sur celle nommee [+ARRONDI].
Les Elements sont associes aux positions par des lignes d’association ainsi formant une
grille avec les lignes autosegmentales :
(22) Les lignes autosegmentales et les Elements
-ARRIERE I I I
+ARRONDI U U U
-HAUT A A A
x x x x x
Lorsqu’aucun Element n’occupe l’intersection entre une ligne d’association aux posi-
tions et une ligne autosegmentale, la voyelle dite froide (v0) apparaıt a cette place. Cette
voyelle est caracterisee par une matrice n’ayant aucun trait chaud, comme il est montre
ci-dessous :
(23) La voyelle froide
v0
+arriere
+haut
-arrondi
-ATR
-nasal
-bas
Cette voyelle est realisee en surface avec le timbre [1] lorsqu’aucun autre Element n’est
present aux intersections au-dessus d’une position donnee.
20
Dans une langue donnee, le systeme vocalique peut prevoir, parametriquement, des
lignes autosegmentales separees ou fusionnees. Trois possibilites logiques existent : (1)
elles sont completement fusionnees en une ligne, cf. (24-a) ; (2) les lignes [-ARRIERE] et
[+ARRONDI] sont fusionnees, ainsi on a un systeme a deux lignes, cf. (24-b) et (3) les
lignes sont totalement separees, cf. (24-c) :
(24) a. -A/+R/-H I A v0 U
x x x x
b. -ARR/+ROND I U v0 I U
-HAUT v0 v0 A A A
x x x x x
c. -ARRIERE I I v0 I v0
+ARRONDI v0 U U U v0
-HAUT v0 v0 A A A
x x x x x
La premiere representation correspond au systeme de langues comme l’arabe classique,
la deuxieme a celui de l’espagnol ou de l’italien et finalement nous avons un systeme
vocalique plus complexe, comme celui du francais ou de l’allemand.
Le type de configuration des lignes autosegmentales conditionne la possibilite des
Elements de se combiner entre eux afin de former des voyelles plus complexes. Par exemple,
dans le cas d’un systeme comme celui en (24-b), U et I ne peuvent jamais se combiner en
une expression complexe, alors que les deux peuvent se combiner individuellement avec
A, resultant en des voyelles moyennes.
KLV appellent fusion l’operation de combinaison entre les Elements : celle-ci s’applique
aux matrices de base (cf. (21)) en les combinant en Elements plus complexes resultant,
en surface, en voyelles. 9
9. Attention : ici, le terme fusion n’a rien a voir avec celui que nous allons mentionner plus bas apropos d’un mecanisme homonyme developpe par DM et concernant les nœuds syntaxiques.
21
Les combinaisons entre deux ou plusieurs matrices d’Elements suivent un principe tres
simple : a chaque fusion, la tete de l’operation (conventionnellement soulignee et placee a
droite) recoit la valeur correspondant au trait chaud de l’autre element, appele operateur.
La fusion est une operation asymetrique. Ainsi, A.U = [o] alors que U.A = [6].
Quant a la voyelle froide, n’ayant aucun tres chaud a transmettre, elle laisse la tete
inchangee lorsqu’elle est operateur. Par contre, si elle est la tete, la voyelle froide n’est
neutre par rapport a l’operation de fusion que dans un cas : celui de A.
En e!et, d’un cote on a v0.U = [u] et U.v0 = [u] mais de l’autre v0.A = [a] et A.v0 =
[@]. Dans ce dernier cas, c’est le trait [! bas] qui intervient dans la fusion, ainsi rendant
la voyelle [-bas] et [-haut].
Un aspect ulterieur de la TE doit etre mentionne avant de conclure et d’analyser
l’imparfait du francais. Il s’agit notamment du Charme, une propriete concue comme
inherente a chaque Element et ayant une influence sur leur comportement. Le charme est
note par un signe en exposant a la droite du symbole de l’Element :
(25) Le charme :
a. charme positif : +
b. charme negatif : -
c. charme neutre : 0
Le charme regle certains comportements des Elements par rapport a la distribution
syllabique ainsi qu’au regard du Gouvernement. 10
Mais la propriete du charme qui nous interesse le plus ici concerne le fait que seuls
peuvent se combiner des Elements de charme di!erent, alors que ceux de charme neutre
peuvent se combiner entre eux.
En particulier, les Elements vocaliques que nous venons d’etudier sont organises de la
facon suivante par rapport au charme :
(26) a. charme positif : A+, !+, N+ ;
b. charme neutre : I0, U0, v0.
La theorie du Charme necessite une longue discussion qui n’a pas de place dans ce
10. Cf. en particulier Kaye et al. (1990) pour la notion de gouvernement en phonologie.
22
travail, tout comme quelques autres details qui ne sont pas cruciaux pour les analyses
presentees ici.
La Theorie des Elements s’avere cruciale en ce qui concerne une partie des analyses
proposees par cette these, notamment au regard de l’imparfait du francais (cf. section
1.4.2), de la voyelle finale des noms de l’italien (cf. section 2.4.1) et du bosnien (cf. section
3.5.1) et finalement du marqueur du pluriel du somali (cf. section 4.5.1). Cependant, je
ne montrerai les representations des voyelles qu’au moment de la presentation de chaque
probleme analyse a l’aide de TE.
1.4 Le francais entre phonologie, morphologie et syn-
taxe
En DM, l’alternance phonologique de formes morphologiquement liees entre elles est
expliquee en utilisant deux methodes distinctes. D’une part, la theorie utilise des listes
de VI, comme nous avons vu plus haut dans la section 1.2.2, l’insertion de ces VI etant
gouvernee par le subp ; d’autre part, DM fait recours a des regles d’ajustement (cf. Halle,
1992), responsables de modifier le materiel phonologique.
La frontiere entre ces deux systemes opposes correspond a la di!erence qu’on reconnaıt
classiquement entre l’allomorphie et l’allophonie (cf. Troubetzkoy, 1939; Chomsky & Halle,
1968). L’exemple du pluriel de l’anglais nous aidera a eclairer cette opposition. Reprenons
donc la liste des morphemes du pluriel de l’anglais en (3), repetee ci-dessous :
(27) Les morphemes du pluriel nominal de l’anglais :
a. /z/ : cat ‘chat’, dog ‘chien’, church ‘eglise’, etc.. (liste ouverte)
b. /@n/ : ox ‘bœuf’, child ‘enfant’, etc.. (liste fermee)
c. su"xe zero : deer ‘dain’, moose ‘elan’, etc.. (liste fermee)
Selon la terminologie classique, la liste (27) contient trois allomorphes du pluriel
de l’anglais. Autrement dit le pluriel [pl] nominal de l’anglais se realise de trois facons
di!erentes selon l’existence d’un contexte donne. Crucialement, les contextes ne peuvent
pas etre predits par rapport a des generalisations phonologiques : en fait, il n’y a aucune
relation entre le materiel de la racine et le type de pluriel utilise. DM a formalise cette
situation en utilisant la notion de VI, comme nous avons discute plus haut en (4) :
23
(28) VI du pluriel anglais
a. [+pl] !" zero /#DEER,
#MOOSE, etc.. (liste en (27-c))
b. [+pl] !" /@n/ /#OX,
#CHILD, etc.. (liste (27-b))
c. [+pl] !" /z/ / ailleurs (liste ouverte).
Nous avons vu que les trois VI ci-dessus sont en competition entre eux et ils sont
inseres selon subp. 11
Considerons maintenant que l’allomorphe (28-c) gagne la competition parce que, par
exemple, la racine#CAT est inseree dans la structure. Ainsi, la sequence /kæt + z/
doit faire surface comme [kæts]. Dans ce cas, nous avons a!aire a un exemple classique
d’allophonie, puisque le morpheme /z/ est devoise au contact d’une consonne sourde. La
phonologie generative depuis Chomsky & Halle (1968) tranche sur la question en posant
une regle de devoisement. Contrairement au choix des allomorphes en (27), la forme de
surface [s] realisee par l’allomorphe /z/, peut etre predite sur le plan phonologique. Nous
avons a!aire a une alternance conditionnee phonologiquement. 12
Il s’agit du meme chemin emprunte par la DM. En e!et, DM postule que la compo-
sante phonologique possede un ensemble de regles qui gerent la realisation de ce type de
modifications phonologiques :
(29) Ajustements phonologiques
a. /z/ $% [-VOISE] / C[!V OISE]
b. /kæt+z/ $% [kæts]
L’architecture du mecanisme realisationnel propose par DM scinde la morphophonolo-
gie standard en deux composantes de la Grammaire : l’une de nature syntaxique et l’autre
post-syntaxique.
Le systeme propose par DM n’est donc pas innovateur au regard de la morphophono-
logie, puisque cette derniere est tout simplement fractionnee en deux systemes distincts.
En particulier, la presence d’un choix de VI correspondant au meme morpheme diminue
la portee de la theorie en ce qui concerne son pouvoir de faire des generalisations sur les
11. Dans une version primitive de la DM, Halle (1992) et Noyer (1992), traitent les morphemes ayant desrealisations phonologiquement di!erentes comme des morphemes abstraits, etiquettes Q. Ces morphemesn’ont pas d’exposants fixes, mais ils peuvent faire surface sous plusieurs formes phonologiques. L’hypothesesur le morpheme Q a ete entierement reprise par la notion de VI developpee par DM.12. Cf. Kiparsky (1996).
24
relations phonologiques entre les exposants.
Ce point, souleve d’abord par Bendjaballah (2003), vise le fonctionnement du spell-out,
responsable de l’insertion des VI en (28). Il doit etre ra"ne afin de reduire considerablement
(voire elimininer) toutes les alternances entre des formes qui ne sont phonologiquement
pas liees entre elles.
Ainsi, je propose d’interpreter di!eremment le fonctionnement du spell-out, et je pose
l’existence d’une relation univoque entre un morpheme et un exposant phonologique
donne. Afin d’illustrer les bases de mon hypothese, je propose de regarder le paradigme
de l’imparfait du francais, notamment celui des verbes reguliers en -er.
1.4.1 L’imparfait des verbes du francais : un probleme theorique
Puisque traditionnellement on reconnaıt une certaine opacite du francais a la decompo-
sition en morphemes distincts et non amalgames, la morphologie verbale presente un defi
tres interessant pour les propos de mon travail.
Le tableau ci-dessous montre les six formes flechies du verbe chanter a l’imparfait de
l’indicatif : 13
Table 1.1 – Imparfait de chanter
pronom verbe API1S je chantais SatE2S tu chantais SatE3S il/elle/on chantait SatE1P nous chantions SatjO2P vous chantiez Satje3P ils chantaient SatE
En depit des apparences des formes en orthographe standard, la colonne portant les
notations en API montre de facon plutot nette qu’il y a une sequence qui se repete dans
toutes les cases [Sat] suivie tantot de [E], tantot de [jO] ou encore de [je].
Nous pouvons ainsi a"rmer que la premiere sequence, celle que l’on retrouve dans les
six formes, correspond a l’exposant phonologique de la racine!
CHANT(E), alors que les
13. Voir Boye (2000 : 121-183 ; 363-399) pour une analyse morphophonologique des verbes irregulierset reguliers du francais. Cf. aussi Bonami & Boye (2003) pour une analyse plus recente.
25
autres sequences sont sans doute les exposants d’un ou plusieurs morphemes flexionnels.
Quant a ces morphemes flexionnels, nous pouvons supposer, sans trop entrer dans les
details, qu’il s’agit de marqueurs de nombre et de personne, ainsi que d’un marqueur de
temps/aspect (et peut-etre de mode, aussi).
La DM standard n’a aucun autre moyen de resoudre cette situation qu’en posant une
liste ordonnee de VI, sur la ligne des celles que j’ai montrees en (7) ou plus haut encore
en (4). Ainsi, cette liste pourrait avoir la forme suivante :
(30) VI pour l’imparfait de l’indicatif du francais
a. [je] !" Imparfait, indicatif, 2P ;
b. [jO] !" Imparfait, indicatif, 1P ;
c. [E] !" ailleurs.
Puisque nous avons trois formes phonologiquement di!erentes, nous devrions postuler
trois VI. Il est important de souligner qu’en ce qui concerne les deux premiers, le plus
specifie est celui ayant un plus grand nombre de traits marques (cf. Chomsky & Halle
1968 ou plus recemment Calabrese 2010). Quant au dernier exposant, il correspond a la
realisation de quatre personnes : nous en deduisons qu’il doit etre insere par defaut, selon
ce qu’on appelle Elsewhere Condition (cf. Kiparsky 1972).
Une solution posant des VI comme ceux ci-dessus en (30), equivaut a une situation ou
chaque exposant -[je], [jO], [E]- exprime plusieurs proprietes morphologiques, notamment
le mode, le temps/aspect, la personne, le nombre et la voyelle thematique. Dans ce cas,
nous serions amenes a considerer que chaque VI est forme d’un exposant phonologique
indecomposable.
Cependant, la nature phonologique de ces exposants merite d’etre observee plus atten-
tivement : nous venons de voir qu’il y a toujours une voyelle moyenne ([e]/[E] d’un cote
et [o] nasal de l’autre) precedee de zero ou de [j]. Nous avons donc des voyelles moyennes
dans toutes les personnes de l’imparfait. En depit du fait que DM ne peut pas saisir les
relations phonologiques entre les exposants, je vais montrer que cette situation n’est pas
negligeable puisqu’on peut viser un nombre majeur de generalisations sur la structure de
l’imparfait.
Ensuite, nous relevons un probleme de nature conceptuelle. Ceci concerne le pouvoir
de faire des generalisations sur l’ensemble du systeme verbal du francais. La liste ci-dessus
26
ne permet pas de predire comment les paradigmes des autres temps sont organises par
rapport aux exposants phonologiques. Pour etre plus clair, la liste des VI pour l’imparfait
de l’indicatif donnee plus haut ne predit pas que nous allons retrouver ailleurs dans le
systeme une division entre un exposant pour la 2P, un pour la 1P et un pour les quatre
autres formes, par exemple. Ou encore, cette liste ne peut pas nous renseigner sur le fait
qu’il y a toujours /O/ a la 1P d’un verbe (partons, partions, partirons, partirions, etc..). 14
En conclusion, la liste (30) ne nous dit rien a propos de la flexion des formes verbales
autres que l’imparfait : le fait qu’elles soient eventuellement egales a celles de l’imparfait
(cf. 1P) est un hasard.
En principe, il est concevable d’analyser di!eremment les representations phonolo-
giques des exposants que nous venons d’observer. En fait, je considere qu’une theorie
morphologique doit pouvoir faire des generalisations concernant la nature phonologique
des exposants exprimant une meme propriete morphologique. Dans le cas de l’imparfait du
francais, il s’agit de decouvrir s’il existe un marqueur unique pour chacune des proprietes
mentionnees plus haut : le mode, le temps/aspect, la personne, le nombre et la voyelle
thematique. Pour cette raison, je fais une hypothese precise, liee a la fois a la nature des
morphemes et a leurs exposants phonologiques. Celle-ci est enoncee de la facon suivante :
(31) Hypothese : chaque morpheme a un exposant phonologique donne et celui-ci s’ap-
plique a chaque occurrence du meme morpheme. L’allomorphie que nous pouvons
eventuellement observer en surface est le resultat d’une elaboration phonologique
et non pas de la presence d’une liste de VI.
Considerons maintenant les formes verbales du tableau 1.1. En suivant mon hypothese,
je vais montrer que nous pouvons poser l’existence d’un nombre egal de morphemes et
d’exposants phonologiques correspondant. Ensuite, je vais montrer que ces exposants se
combinent entre eux et font surface a travers des modifications purement phonologiques.
A partir de la sous-section suivante, je vais proposer une chemin analytique base sur
le principe de la decomposition morphologique.
14. Sauf au passe simple, ou on retrouve /am/ : chant-ames.
27
1.4.2 La Theorie des Elements et les verbes du francais
En suivant l’hypothese (31), je propose de decomposer les six formes de l’imparfait de
l’indicatif du verbe chanter a l’aide de la Theorie des Elements (Kaye et al., 1985).
Premierement, nous nous attendons a ce qu’un verbe a l’imparfait soit le resultat de
la fusion des morphemes suivants : 15
(32) Morphemes plausibles dans une forme d’imparfait :
a. La racine
b. La temps/aspect
c. La personne
d. Le nombre
e. La voyelle thematique
Quant a (32-a), je peux facilement poser que sa forme phonologique est /Sat/.
Par contre, les deux categories de temps et aspect sont di"cilement discernables en
francais (en general dans les langues romanes), puisqu’il y a un systeme mixte pou-
vant exprimer un vrai temps (le passe simple) ou bien l’aspect (l’imparfait, justement).
Cette discussion n’etant pas fondamentale pour mon travail, je pose tout simplement que
la categorie temps/aspect est exprimee a l’aide d’un exposant phonologique unique en
francais.
Ensuite, il y a les categories destinees a l’accord syntaxique, autrement connues sous
l’expression ! F-features " : en francais, la personne et le nombre sont concernes lorsqu’on
parle des verbes. 16 Etant donne cette situation, nous nous attendons a ce que la racine
soit suivie d’au moins trois morphemes exprimant, respectivement, le temps/aspect, la
personne et le nombre.
Pourtant, nous n’observons que des formes composees principalement d’une voyelle
(cf. [E]) ou d’une semivoyelle suivie d’une voyelle (cf. [jO] et [je]). Dans cette situation, il
semble tres complique de pouvoir imaginer qu’a un certain niveau de representation nous
avons trois morphemes qui deviennent ensuite un objet phonologiquement unitaire a un
autre niveau de representation (la surface). On voit clairement que la voie de l’amalgame
est plus simple.
15. Le terme ! fusion " est utilise ici sans aucune valeur theorique.16. L’utilisation du participe passe impose l’accord en genre, aussi.
28
En revanche, si on adopote la Theorie des Elements (cf. section 1.3.2), on peut faire une
hypothese sur les exposants phonologiques de chaque propriete morphologique presente
dans le paradigme de l’imparfait. Je vais d’abord montrer les representations proposees
par TE des quelques segments vocaliques du francais dont nous allons nous servir.
Voici donc les quatre expressions vocaliques ayant pour resultats les voyelles du francais
a l’etude :
(33) Expressions vocaliques pour quatre voyelles du francais
a. [E] = (A0.I0)0
b. [e] = (!+.(A+.I0))0
c. [O] = (N+.(A0.U0))0
d. [i] = (!+.I0)0
Quant a leurs representations, les details sont montres ci-dessous :
(34) La representation des voyelles du francais (donnees non exhaustives) :
nasalite N
ATR ! !
-ARRIERE I I v0 I
+ARRONDI v0 v0 U v0
-HAUT A A A v0
surface [E] [e] [O] [i]
Dans la suite de ce travail, les expressions vocaliques seront citees avec moins de details
techniques, sous une forme simplifiee, cf. A.I = [E], par exemple.
A la lumiere des informations ci-dessus, nous sommes maintenant prets a decomposer
les terminaisons de l’imparfait du francais, en redessinant les donnees du tableau 1.1.
En regardant les algorithmes en (33), nous pouvons deduire la structure des voyelles du
paradigme de l’imparfait. Par consequent, chaque forme verbale correspond a la sequence
racine + elements de la flexion + consonne de liaison. Quant a cette derniere, sa presence
sera expliquee plus tard dans la section suivante 1.4.3.
29
Voici un tableau contenant l’agencement des donnees selon la description que je viens
de donner : 17
Table 1.2 – Decomposition de l’imparfait de chanter
pronom racine flexion liaison forme1S je Sat A.I z SatE2S tu Sat A.I z SatE3S il/elle/on Sat A.I t SatE
1P nous Sat I + A.U z SatjO2P vous Sat I + A.I z Satje3P ils Sat A.I t SatE
A la lumiere des donnees ci-dessus, le comportement de deux objets est a remarquer.
Tout d’abord, nous pouvons observer que l’element /I/ apparaıt dans toutes les formes.
Le meme comportement appartient a l’element /A/, puisqu’il apparaıt aussi dans toutes
les formes. Par consequent, on gagne la possibilite evidente de faire deux generalisations
sur la nature des morphemes flexionnels.
Ainsi, je propose que l’element /I/ soit le marqueur de la categorie temps/aspect, plus
en particulier, je pose que /I/ est l’exposant de l’imparfait : 18
(35) L’element /I/ est le marqueur de l’imparfait
Quant a l’element /A/, la situation est un peu plus complexe. Nous pouvons, tout
d’abord, observer dans le tableau 1.2, la situation suivante : aux personnes 1S, 2S, 3S et
3P l’element /A/ est combine a /I/, alors qu’aux 1P et 2P, il est combine respectivement a
/U/ et /I/. En conclusion, l’element /A/ tantot precede le marqueur de l’imparfait (mais
il est fusionne avec celui-ci en une voyelle complexe) et tantot il suit ce meme marqueur
/I/, cependant en fusionnant soit avec /U/, soit avec /I/.
De quelle propriete /A/ est-il l’exposant phonologique ?
Par rapport a la liste (32), il nous reste l’attribution des exposants phonologiques pour
les morphemes de nombre et de personne. Ainsi, nous pourrions supposer que /A/ est le
17. Je suis reconnaissant a Ph. Segeral pour m’avoir o!ert un si bel exemple de decomposition mor-phologique. Cf. aussi Bendjaballah (2003), un travail pionier en ce sens.18. Voir par exemple Boye (2000) ou Bonami & Boye (2003) pour une analyse en classes flexionnelles
du francais.
30
marqueur d’une de ces deux categories. Pourtant le nombre et la personne sont marques
a l’extremite droite en francais. De plus, si /A/ etait l’exposant du nombre, il ne pourrait
pas apparaıtre au singulier aussi bien qu’au pluriel. Par contre, s’il etait l’exposant de la
personne, on aurait un seul morpheme pour la premiere, deuxieme et troisieme personne.
Les donnees montrent qu’au singulier il n’y a pas de di!erence entre les personnes, mais
au pluriel trois formes existent : [SatjO], [Satje] et [SatE].
Nous pouvons aussi remarquer le fait que /A/ suit l’exposant de l’imparfait /I/ a la
1S, 2S, 3S et 3P, alors qu’il le precede a la 1P et 2P. Cette situation complexe ne plaide
pas en faveur de son interpretation en tant qu’exposant de nombre et de personne.
Deux options nous semblent encore plausibles : soit il s’agit du marqueur du mode
verbal (ici l’indicatif) soit nous avons a!aire a une propriete dont le trait saillant est la
mobilite meme a l’interieur du mot (autrement dit il s’agit d’un morpheme flottant).
Regardons attentivement l’endroit ou /A/ apparaıt a chaque fois : il s’agit toujours
de la syllabe tonique. 19
Par consequent, je propose que l’accent tonique est marque par la presence de l’element
/A/. Je ne rentrerai plus dans les details de cette hypotheses, mais je pose tout simplement
que :
(36) L’element /A/ est assigne a la syllabe tonique
Nous pouvons finalement revenir aux morphemes d’accord en nombre et en personne.
L’hypothese la plus plausible est que ces derniers sont marques par les voyelles de
liaison : /z/ et /t/. Deux observations s’imposent a propos des ces marqueurs. Tout
d’abord, il y a /t/ aux 3e personnes, alors que /z/ marque les 1e et 2e ; ensuite, il semble
qu’on ne peut pas faire de distinction ulterieure entre les marqueurs du nombre d’un
cote et les marqueurs de personne de l’autre. Nous pouvons ainsi conclure qu’il y a une
distinction entre deux ensembles de marqueurs d’accord : ceux portant la specification
[+3pers.] et ceux n’ayant pas ce trait.
Voici la formalisation de cette situation : 20
19. Du point de vue de la comparaison des langues romanes, les personnes 1 et 2 du pluriel sontgeneralement caracterisees par un deplacement de l’accent vers la droite, phenomene qui existait deja enlatin : amo 1S vs. am´amus 1P, et qui dependait des regles moraıques d’assignation de l’accent.20. Cf. la distinction entre les pronoms je et tu propres au discours et le il propre au recit proposee
par Benveniste (1966).
31
(37) Marqueurs d’accord en nombre et personne :
a. /t/ est le marqueur du trait [+3pers.] correspondant a la 3e personne ;
b. /z/ est le marqueur du trait [-3pers.] correspondant a la 1e et 22 personnes.
A ce point de l’analyse, on peut montrer les donnees du tableau 1.2 agencees de facon
a ce que chaque exposant corresponde a une propriete morphologique dans une grille :
Table 1.3 – Decomposition de l’imparfait de chanter : la grille 21
pronom racine accent imp. accent ? 1-2P 3P API1S je Sat A I z [SatE]2S tu Sat A I z [SatE]3S il/elle/on Sat A I t [SatE]1P nous Sat I A U z [SatjO]2P vous Sat I A I z [Satje]3P ils Sat A I t [SatE]
L’analyse proposee pour l’imparfait du francais aboutit a un niveau de generalisation
profond, puisque nous avons pu poser l’existence d’un exposant distinct et independent
pour plusieurs morphemes.
Il reste cependant l’attribution d’un role a deux objets : /U/ et /I/, respectivement
aux 1P et 2P.
Une premiere hypothese est qu’ils appartiennent aux representations respectives de
la premiere et de la deuxieme personne. Si c’est le cas, on doit les ajouter dans la
representation de 1S et 2S, aussi :
(38) Representations pour les 1e et 2e personnes :
a. 1S : Sat + A + I + Uz $% *[SatEu] ou *[Satay]
b. 1P : Sat + I + A + Uz $% [SatjO]
c. 2S : Sat + A + I + Iz $% [SatE]
d. 2P : Sat + I + A + Iz $% [Satje]
21. La colonne etiquettee “accent” apparaıt deux fois puisque, comme nous venons de remarquer,l’accent n’occupe pas la meme position dans toutes les formes. En revanche, le point d’interrogationindique le fait que nous n’avons pas encore attribue un role aux objets apparaissant dans cette colonne.
32
En faisant l’hypothese que la premiere personne est marquee par la sequence /Uz/ et
la deuxieme personne par /Iz/, on peut expliquer trois formes sur quatre, seule (38-a)
etant agrammaticale.
La deuxieme hypothese plausible a un statut moins generalise : les Elements /U/ et
/I/ sont les marqueurs de pluralite respectivement dans les environnements de la 1P et
de la 2P. Dans ce cas, nous aurions a!aire a deux allomorphes du pluriel. Cette situation
peut exister, mais nous devrions pouvoir repondre a une question successive : pourquoi
on n’aurait aucun marqueur du pluriel a la 3P ?
Je propose de laisser cette question ouverte pour l’instant et d’y revenir plus tard, au
moment de la presentation de l’hypothese centrale de ce travail, cf. infra sec. 1.4.4.
1.4.3 La representation autosegmentale de l’imparfait
Dans cette sous-section, je propose des representations pour les formes de l’imparfait
du francais contenues dans le tableau 1.3. Comme il a deja ete mentionne, je construis
mes analyses sur l’hypothese CVCV proposee par Lowenstamm (1996).
Nous pouvons commencer par la representation de la racine [Sat]. Celle-ci contient deux
syllabes CV, la derniere position vocalique etant vide, comme il est montre ci-dessous :
(39) La racine : S a t
C V C V
Ensuite, la question concerne le statut des exposants phonologiques auxquels nous
avons attribue un role morphologique. On peut supposer que la premiere voyelle apres la
racine occupe la place soulignee dans la representation ci-dessus. 22
Si c’est le cas, l’element /I/ n’a pas de squelette dans sa representation (contrairement
a la racine, par exemple) tout comme /A/.
Je propose donc les quatre configurations suivantes pour les trois formes du singulier
ainsi que pour la 3P :
22. La tradition linguistique indoeuropeenne considere que chaque racine est associee a une voyellethematique, et appelle ! theme " la sequence racine + voyelle thematique. Nous ne nous occuperons pasde ce probleme en analysant le francais, mais nous reviendrons sur la notion de voyelle thematique plustard, cf. infra ch. suivant, section 2.5.1, ou on discutera des noms de l’italien.
33
(40) a. personne z
accent A
imp. I
racine S a t
gabarit C V C V 1S : [SatE]
b. personne z
accent A
imp. I
racine S a t
gabarit C V C V 2S : [SatE]
c. personne t
accent A
imp. I
racine S a t
gabarit C V C V 3S : [SatE]
d. personne t
accent A
imp. I
racine S a t
gabarit C V C V 3P : [SatE]
Tout d’abord, selon les principes autosegmentaux chaque morpheme est sur un niveau
de representation independent, etiquette a gauche.
Ensuite, nous devons remarquer que les consonnes de liaison sont flottantes : comme
34
il a deja ete dit, un autosegment ne peut pas faire surface s’il n’est pas associe a un
support squelettal. Ici, c’est bien le cas : les contextes ou les consonnes de liaison font
surface concernent crucialement des mots commencant par une voyelle (des mots ayant
une position C initiale vide, dans le cadre CVCV). Cette situation equivaut, dans nos
representations, a une position consonantique libre :
(41) La liaison en CVCV :
a. Les enfants : [lezafa]
b. l e z a f a
C V + C V C V
En conclusion, l’exemple de l’imparfait des verbes du francais nous montre que la
decomposition phonologique d’une forme morphologique apporte des avantages dans la
comprehension du systeme, notamment en deplacant le point de vue vers une representation
plus abstraite. Une des premieres consequences est de pouvoir attribuer un exposant pho-
nologique a un nombre majeure de categories.
Sur la base de la decomposition de l’imparfait du francais, je propose une analyse
implementee dans le cadre de la DM. Dans mon analyse, chaque exposant phonologique
correspond a une et une seule matrice de traits, autrement dit a un seul morpheme.
La sous-section suivante illustre ma proposition.
1.4.4 L’imparfait du francais et la syntaxe
L’analyse morphophonologique de l’imparfait du francais donnee dans le tableau 1.3
est repetee ci-dessous :
35
Table 1.4 – Decomposition de l’imparfait de chanter
pronom racine accent imp. accent ? 1-2P 3P API1S je Sat A I z [SatE]2S tu Sat A I z [SatE]3S il/elle/on Sat A I t [SatE]1P nous Sat I A U z [SatjO]2P vous Sat I A I z [Satje]3P ils Sat A I t [SatE]
La discussion concernant le materiel dans la colonne etiquettee ! ? " a ete laissee
ouverte. Nous avons remarque que les deux elements, /U/ et /I/, sont lies a la premiere
et a la deuxieme personne. Ces deux objets n’apparaissent qu’au pluriel.
Maintenant, je fais l’hypothese qu’ils appartiennent respectivement a la representation
de la premiere et de la deuxieme personne, sans prendre en consideration le nombre :
(42) Les exposants de la 1e et 2e personne :
a. 1e = /Uz/
b. 2e = /Iz/
Par consequent, on peut agencer le tableau 1.4 de la facon montree ci-dessous :
Table 1.5 – Les exposants de l’imparfait
pronom racine accent imp. accent 1e pers. 2e pers. 3e pers. API1PS je Sat A I Uz [SatE]2PS tu Sat A I Iz [SatE]3PS il/elle/on Sat A I t [SatE]1PP nous Sat I A Uz [SatjO]2PP vous Sat I A Iz [Satje]3PP ils Sat A I t [SatE]
En suivant les principes de DM, chaque exposant phonologique est mis en relation avec
des categories morpho-syntaxiques. La liste des VI correspondant au materiel contenu dans
le tableau 1.5 est montree ci-dessous :
36
(43) VI pour l’imparfait du francais :
a. RACINE !" Sat ;
b. Accent !" A ;
c. Imparfait !" I ;
d. 1e pers. !" Uz ;
e. 2e pers. !" Iz ;
f. 3e pers. !" t.
Une observation est cruciale. Dans la liste (43), la relation entre chaque exposant pho-
nologique et chaque categorie morpho-syntaxique est univoque. Autrement dit, chaque
propriete morpho-syntaxique est exprimee toujours par le meme materiel phonologique.
Cette situation ne decoule pas de l’architecture proposee par DM, mais de l’analyse pho-
nologique de l’imparfait du francais montree dans les sous-sections precedentes (1.4.1,
1.4.2 et 1.4.3).
Maintenant nous devons nous concentrer sur la structure syntaxique de l’imparfait. Je
propose la structure suivante : 23
(44) Structure de l’imparfait du francais :
AgrP
Agr TP
T AspP
Asp voiceP
voice vP
v#RACINE
Num/Pers. Imp. Sat
Selon la theorie syntaxique minimaliste courante, on presuppose qu’une langue donnee
23. Cf. Embick (2000 : 195) pour une structure identique proposee pour le perfait du latin.
37
exploite un sous-ensemble des nœuds terminaux en les associant a des matrices de traits
morpho-syntaxiques, les autres nœuds restant inactives. Dans le cas du francais auquel
on a a!aire ici, la tete v est vide, tout comme voice et T.
En suivant Embick (2010) et Embick & Noyer (2007), j’admets la creation d’une tete
complexe qui a lieu en PF, juste apres l’insertion des sequences phonologiques dues au
spell-out.
En prenant la forme 3S chantait, nous nous retrouvons face a la situation montree
ci-dessous :
(45) Tete complexe pour chantait :
Agr
T Agr
Asp T
voice Asp
vP voice
#RACINE v imparfait 3S
Sat I t
CVCV
La racine possede son propre gabarit lexical. Ensuite, /I/ est insere sous le nœud Asp,
alors que /t/ est insere sous Agr. Le singulier n’est pas marque.
Le pas suivant concerne la linearisation des morphemes : celle-ci va avoir lieu selon
les principes des representations autosegmentales. Puisque les trois segments de la racine
occupent les trois premieres positions du gabarit, seule la position V finale (soulignee en
(45)) peut acceuillir du materiel. Ceci est forme par l’exposant de l’imparfait, celui de la
3e personne et celui de l’accent. Ce dernier marqueur, /A/, est insere au moment de la
linearisation, puisqu’il s’agit d’un phenomene strictement phonologique.
38
Voici la representation de la linearisation :
(46) Linearisation pour chantait :
accent A
3e pers. t
imp. I
racine S a t
gabarit C V C V 3S : [SatE]
Nous pouvons remarquer que la representation ci-dessus est identique a celle montree
en (40-c). Nous avons applique les resultats de l’analyse phonologique aux principe de
DM. Il est clair que ma proposition consiste en un mecanisme d’interface entre la structure
syntaxique et la computation phonologique.
Maintenant, nous devons nous occuper du pluriel. La liste des VI en (43) ne contient
aucun exposant pour ce nombre. Je fais donc l’hypothese que celui-ci est marque par une
unite squelettale CV. La comparaison entre la 1P chantions et la 1S chantais corrobore
cette hypothese.
Observons d’abord la tete complexe de la forme chantions :
39
(47) Tete complexe pour chantions :
Agr
T Agr
AspP T
voiceP Asp
vP voice
#RACINE v
Sat I Uz
CVCV CV
Par rapport a la forme du singulier, on ajoute tout simplement la sequence /Uz/ en
tant qu’exposant de 1e pers. et l’exposant CV propre au pluriel. Ensuite, la linearisation
se deroule sans problemes :
(48) Linearisation pour chantions :
accent A
1e pers. Uz
imp. I
racine S a t
gabarit C V C V C V 1P : [SatjO]
Ici, on voit tres bien que l’apport de la syntaxe est de justifier l’adjonction de la syllabe
supplementaire CV, puisque j’ai a pose qu’il s’agit du spell-out de la matrice [+pl]. 24
24. Une des proprietes de l’Element /I/ est de pouvoir etre assigne aussi bien a une position V (enfaisant surface en tant que [i]) qu’a une position C, en faisant surface en tant que [j], comme c’est le casici (cf. Kaye & Lowenstamm, 1984).
40
Quant a l’assemblage des exposants phonologiques, en (48) tous les elements s’associent
au squelette et forment la sequence attendue : [SatjO].
En revanche, la forme 1S chantais n’a pas de CV du pluriel dans sa representation.
Commencons par en montrer la tete complexe, selon la mecanique que nous venons d’illus-
trer :
(49) Tete complexe pour chantais :
Agr
T Agr
Asp T
voice Asp
v voice
#RACINE v
Sat I Uz
CVCV
Puisque /Uz/ est l’exposant de 1e pers., il doit apparaıtre dans la structure de 1S
chantais. Maintenant, la seule position squelettale libre est le V final dans la representation
de la racine (souligne en (49)), par consequent le materiel /Uz/ tente de s’y associer.
Essayons de voir la derivation de cette forme dans les details. La racine est epelee avec
son gabarit lexical :
(50) Spell-out de la racine Sat :
racine S a t
gabarit C V C V
41
Ensuite, les exposants de l’imparfait, /I/, et celui de la 1e personne, /Uz/, sont epeles :
(51) Insertion de /I/ et /Uz/ :
1e pers. Uz
imp. I
racine S a t
gabarit C V C V
La voyelle /U/ contenue dans l’exposant de la 1e personne tente de fusionner avec
/I/, selon les regles prevues par la Theorie des Elements. Selon cette theorie, /U/ est le
resultat de l’expression vocalique suivante :
(52) [u] = (N+.U0)0
Maintenant, si cette expression vocalique fusionne avec l’element /I/, le resultat est
une voyelle anterieure arrondie et nasale :
(53) [y] = (I0.(N+.U0))0
La voyelle [y] est exclue de l’inventaire phonologique du francais. Donc, elle ne peut
pas etre formee. Ainsi, seul l’element /I/ s’associe a la position V du gabarit de la racine. 25
Ensuite, l’exposant de l’accent est insere et se combine a cet element :
(54) Linearisation pour chantais :
accent A
1e pers. Uz
imp. I
racine S a t
gabarit C V C V 1S : [SatE]
25. Cf. la linearisation de chantions en (48), ou les deux elements, /I/ et /U/, ne se combinent pas,et ils s’associent a deux positions di!erentes. Des phenomenes semblables seront discutes a propos del’italien et du bosnien, cf. section 2.4 et section 3.5.1, respectivement.
42
Donc, la forme attendue est bien [SatE], ou la voyelle /E/ represente les exposants /I/
et /A/, marquant respectivement l’imparfait et l’accent.
En conclusion, j’ai montre que l’interpretation que je fais de la relation entre les ma-
trices des traits morpho-syntaxiques et les exposants phonologiques peut rendre compte de
facon satisfaisante des six formes de l’imparfait. Cette hypothese limite considerablement
le nombre de VI en competition entre eux, puisque tous les contextes d’insertion sont
di!erents les uns des autres. Chaque contexte ne correspond qu’a une seule categorie.
La section suivante illustre un exemple tire de l’arabe classique en nous apportant un
autre argument en faveur de notre approche.
1.5 Le verbe en arabe classique
Cette section a trois objectifs : d’abord, illustrer quelques aspects de la morphophono-
logie verbale de l’arabe classique a la lumiere de l’approche CVCV ; ensuite, montrer que
DM n’o!re pas d’analyses satisfaisantes et finalement montrer l’avantage d’appliquer a
l’arabe l’analyse proposee pour le francais dans la section precedente 1.4. La derniere partie
a comme but d’illustrer les lignes essentielles d’un cadre theorique fonde sur la conjonc-
tion de deux hypotheses : d’une part, la formation des mots est syntaxique, d’autre part
les exposants phonologiques sont des autosegments devant s’associer a un niveau gabari-
tique. Ce cadre a ete developpe a partir de Lowenstamm (2008) et Bendjaballah & Haiden
(2008).
1.5.1 Les morphemes discontinus de l’arabe classique
La phonologie generative s’est souvent interessee a l’arabe classique, notamment en
ce qui concerne la morphophonologie verbale (cf. Brame 1970, Guerssel & Lowenstamm
1990, 1996, McCarthy 1981, 2005 et Ussishkin 2003 parmi les travaux les plus importants).
L’arabe classique est une langue afro-asiatique appartenant a la famille semitique.
Sa caracteristique principale concerne l’organisation morphologique, douee d’un systeme
qu’on appelle traditionnellement non-concatenatif. Cette situation se decrit facilement en
considerant que les morphemes lexicaux (les racines) sont formes, en arabe, principalement
par trois consonnes : ces morphemes ne sont pas prononcables en isolation, puisqu’ils sont
43
discontinus et n’ont pas de structure syllabique.
Pour qu’elles deviennent prononcables, les trois consonnes radicales sont croisees avec
des melodies ou modeles vocaliques, apportant les informations grammaticales : le temps/as-
pect, la diathese, la distinction verbe/nom, le nombre, le cas, etc..
Tout mot en arabe classique (et plus generalement en semitique) est donc le resultat
d’une operation de croisement entre les consonnes radicales et les melodies vocaliques.
Afin de mieux illustrer ce que je veux dire par la, je montre quelques formes construites
a partir de la racine#KTB ‘ecrire’ :
(55) Morphologie non-concatenative :
a. Racine :#KTB ‘ecrire’
b. kataba ‘il a ecrit’
c. kutiba ‘il a ete ecrit’
d. jaktubu ‘il ecrit’
e. kaatib ‘ecrivain’
f. kitaab ‘livre’
g. kutub ‘livres’
La liste ci-dessus montre de facon claire qu’une meme racine triconsonantique est
vocalisee de plusieurs facons di!erentes. Ainsi, une melodie vocalique donnee correspond
a une forme morphologique flechie ou derivee du lexeme de base. Dans ce travail j’adopte
la perspective de l’existence d’une racine triconsonantique (cf. McCarthy, 1981; Guerssel
& Lowenstamm, 1990, 1996). Selon cette perspective, la racine est un objet abstrait et
ses trois consonnes sont adjacentes au niveau sous-jacent. 26
Quant aux formes de l’arabe, la tradition a reconnu l’existence d’un nombre fixe de
patterns melodiques recurrents (qui sont appeles binyan ou formes), aussi bien dans les
formes nominales que dans celles verbales. En particulier, les formes verbales de l’arabe
classique sont strictement organisees en dix formes principales (cf. McCarthy 1981 pour
une vision d’ensemble) pour chaque paradigme aspectuel :
26. Une autre vision plaide en faveur de l’existence de formes deja vocalisees, ainsi bloquant l’acces aune racine triconsonantique abstraite, cf. par exemple Bat-El (2003) ou Ussishkin (2003).
44
Table 1.6 – Les dix formes verbales de l’arabe classique
forme accompli inaccompli1 kataba jaktubu2 kattaba jukattibu3 kaataba jukaatibu4 Paktaba juktibu5 takattaba jatakattabu6 takaataba jatakaatabu7 nkataba jankatibu8 ktataba jaktatibu9 ktabba jaktabbu10 staktaba jastaktibu
Comme nous avons deja mentionne plus haut, cf. section 1.3.1, Guerssel & Lowens-
tamm (1990) (dorenavant G&L) ont propose l’existence d’un gabarit unique pouvant ex-
pliquer toutes les formes du tableau ci-dessus. La structure de ce gabarit est une sequence
d’unites CV, et comporte une unite optionnelle entre CV1 et CV2 :
(56) Gabarit unique pour l’arabe classique : CV1 [der.CV] CV2 CV3
L’hypothese defendue par G&L est que nous pouvons deriver toutes les formes du
paradigme verbal de l’arabe classique tout simplement en posant la representation (56)
dans la structure de chaque binyan de la langue. Par consequent, la sequence de CV
ci-haut est un morpheme a part entiere.
Comme je vais montrer dans les chapitres suivants, mes analyses adoptent la meme
perspective que G&L, ayant comme but d’etablir une relation univoque entre un exposant
phonologique et une propriete morphologique. Dans le cas de l’arabe classique, le gabarit
(56) est l’exposant phonologique d’une propriete liee au verbe. Je ferai une hypothese sur
le statut du gabarit unique plus tard, en 1.5.3.
La sous-section suivante illustre le detail de la forme 1 de l’arabe classique.
1.5.2 Le gabarit unique et les representations autosegmentales
La forme 1 correspond a la conjugaison de base et elle est caracterisee, a l’accompli, par
la sequence C1V1C2V2C3 suivie des marqueurs flexionnels. En revanche, a l’inaccompli,
45
la forme 1 est caracterisee par la sequence C1C2V2C3 precedee et suivie des marqueurs
flexionnels. 27
Le timbre de V1 est toujours /a/ a l’accompli, alors qu’a l’inaccompli cette voyelle est
absente. Par contre, V2 change par rapport a la racine qu’on utilise, comme il est montre
en ce qui suit (V2 etant soulignee) :
(57) Vocalisation de la forme 1 : 28
a. accompli &% inaccompli
b. C1V1C2V2C3 &% C1C2V2C3
c. labis-a &% ja-lbas-u ‘s’habiller’
d. katab-a &% ja-ktub-u ‘ecrire’
e. dQarab-a &% ja-dQrib-u ‘frapper’
f. kabur-a &% ja-kbur-u ‘grandir’
Pour la suite de mon raisonnement, je vais me concentrer tout simplement sur le
paradigme du verbe kataba ‘ecrire’ afin de montrer toutes les formes flechies des deux
aspects, comme le tableau ci-dessous illustre :
27. C1, C2 et C3 indiquent les trois consonnes radicales, alors que V1 et V2 les voyelles apparaissant,respectivement, entre C1 et C2 et entre C2 et C3.28. Cf. Guerssel & Lowenstamm (1996) : le timbre de V2 a l’inaccompli peut etre deduit selon le chemin
apophonique, cf. infra dans ce chapitre.
46
Table 1.7 – La forme 1 en arabe classique : kataba 29
accompli inaccomplisg.1S katabtu Paktubu2Sm katabta taktubu2Sf katabti taktubiina3Sm kataba jaktubu3Sf katabat taktubupl.1P katabnaa naktubu2Pm katabtum taktubuuna2Pf katabtunna taktubna3Pm katabuu jaktubuuna3Pf katabna jaktubnaduel2D katabtumaa taktubaani3Dm katabaa jaktubaani3Df katabataa taktubaani
La racine est formee par les trois consonnes /k/, /t/ et /b/.
Ensuite, nous pouvons remarquer que les deux premieres voyelles de l’accompli ont le
timbre /a/, alors qu’a l’inaccompli nous avons /a/ et /u/. Plus precisement, a l’accompli
il y a une voyelle en V1 et une en V2, alors qu’a l’inaccompli, il y a une voyelle qui
precede C1 (dorenavant etiquettee V0), aucune voyelle en V1 et /u/ en V2, comme je l’ai
brievement esquisse plus haut. Toutes les formes commencent par C1 a l’accompli, alors
qu’elles commencent par une consonne qui n’appartient pas a la racine a l’inaccompli.
Cette consonne precede V0 et est une des consonnes suivantes : /P, t, j, n/.
Le schema suivant resume cette situation :
(58) Schemas prosodiques de la forme 1 :
a. accompli : C1aC2aC3+flexion
b. inaccompli : /P, t, j, n/+a+C1C2uC3+flexion
29. Traditionnellement, l’accompli est appele ! conjugaison su"xee ", alors que l’inaccompli est connucomme la ! conjugaison prefixee ".
47
G&L ont propose que la premiere voyelle, /a/, marque la diathese active : cette voyelle
occupe la position V1 a l’accompli et la position V0 a l’inaccompli. En revanche, la
deuxieme voyelle (/a/ ou /u/) marque l’aspect accompli ou inaccompli. 30 Dans les deux
cas, ces deux voyelles occupent la position V2. Le gabarit sousjacent est toujours le meme,
et chaque forme est caracterisee par des regles d’association particulieres : par exemple,
comme nous avons remarque, le morpheme /a/ marquant la forme active change de posi-
tion sur le gabarit selon qu’on soit a l’accompli ou a l’inaccompli.
La liste de ces morphemes peut donc etre formalisee comme il est montre ci-dessous :
(59) Morphemes pour un verbe de l’arabe classique :
a. structure syllabique : CV1 [der.CV] CV2 CV3 (cf. (56))
b. forme active : /a/ (V1 ou V0)
c. accompli : /a/ (V2)
d. inaccompli : /u/ (V2)
Les representations autosegmentales proposees par G&L sont basee sur la liste (59).
Je propose de prendre la 3Sm de l’accompli et de l’inaccompli pour la forme 1 :
(60) 3Sm de l’accompli et de l’inaccompli pour la forme 1 :
a. 3Sm a
accompli a
actif a
racine k t b
gabarit C V [CV]C V C V [kataba]
30. L’analyse citee s’applique a toutes les formes de l’arabe classique, celles du tableau 1.6, mais icil’on ne peut pas discuter ca dans les details.
48
b. 3Sm j u
inaccompli u
actif a
racine k t b
gabarit C V [CV]C V C V [jaktubu]
La syllabe [CV] n’est activee que si nous avons a!aire a une derivation. Il s’agit, par
exemple, du cas en (60-b) (formation de l’inaccompli) ou encore de celui ou on derive les
formes 2 et 3, montrees ci-dessous en (61) :
(61) 3Sm de l’accompli pour les formes 2 et 3 :
a. 3Sm a
accompli a
actif a
racine k t b
gabarit C V [CV]C V C V [kattaba]
b. 3Sm a
accompli a
actif a
racine k t b
gabarit C V [CV]C V C V [kaataba]
Comme il a ete montre pour les representations de l’imparfait du francais, les analyses
que je viens de presenter ont l’avantage de poser un niveau de representation independent
pour chaque morpheme, au sens de la phonologie autosegmentale. Une telle approche
aboutit a l’attribution d’un exposant phonologique unique correspondant a chaque pro-
priete morphologique.
Dans la sous-section suivante, nous allons verifier si les representations autosegmen-
tales que nous venons de voir sont compatibles avec une approche syntaxique de la for-
49
mation des mots.
1.5.3 L’accompli et l’inaccompli de l’arabe et la syntaxe
La facon dont DM prevoit l’insertion d’objets phonologiques ne nous permet pas de
separer les morphemes sur plusieurs niveaux de representations, puisque les exposants
phonologiques correspondant aux morphemes sont associes aux nœuds terminaux toujours
apres la syntaxe. Ainsi, DM doit postuler des relations entre des sequences phonologiques
donnees et des traits morpho-syntaxiques, en faisant toujours reference a des contextes
d’insertion. 31
Considerons, d’abord, la racine. Ce morpheme lexical prend deux formes a l’interieur
du paradigme de la forme 1 : /katab/ dans le cas de l’accompli et /aktub/ dans le
cas de l’inaccompli. Par consequent, l’on doit postuler deux VI correspondant aux deux
realisations des allomorphes :
(62) VI pour la racine :
a. ‘ecrire’ !" /katab/ / accompli ;
b. ‘ecrire’ !" /aktub/ / inaccompli.
En (62) on considere que la racine est une sequence prosodiquement bien formee.
Ainsi, les deux Vi ci-dessus sont incompatibles avec les representations autosegmentales
montrees dans dans la sous-section precedente. Selon l’analyse de G&L, la racine n’est
pas vocalisee et elle n’est formee que de trois consonnes.
Cette situation trouve une di"culte ulterieure lorsqu’elle doit rendre compte du passif.
En e!et, la melodie vocalique change entre l’actif et le passif, comme il est montre ci-
dessous : 32
31. Cf. Halle (1997a) pour une analyse partielle du systeme verbal de l’arabe classique (entre d’autreslangues : hebreu biblique, arabe egyptien et caha).32. Cf. McCarthy (1981) pour le vocalisme d’ensemble des paradigmes du passif. Les deux sequences
que j’ai isolees au passif apparaissent dans toutes les formes.
50
(63) 3Sm a l’actif et au passif :
a. actif
(i) 3Sm accompli : kataba
(ii) 3Sm inaccompli : jaktubu
b. passif
(i) 3Sm accompli : kutiba
(ii) 3Sm inaccompli : juktabu
Etant donne cette situation, on doit elargir notre liste d’allomorphes par rapport a la
racine, puisque nous devons rendre compte de la presence de /kutib/ et /uktab/ aussi :
(64) VI pour la racine (corrige) :
a. ‘ecrire’ !" /katab/ / accompli, actif
b. ‘ecrire’ !" /aktub/ / inaccompli, actif
c. ‘ecrire’ !" /kutib/ / accompli, passif
d. ‘ecrire’ !" /uktib/ / inaccompli, passif
La liste ci-dessus stipule l’existence de quatre allomorphes de la racine, perdant ainsi la
possibilite de generaliser la presence d’une voyelle donnee. Nous avons vu que le vocalisme
de la forme 1 est fixe, et il peut donc etre derive de facon systematique.
Un autre probleme surgit si on accepte les VI en (64). Comme nous avons observe,
l’accompli possede un schema prosodique du type C1aC2aC3+flexion (montre en (58-a)),
alors que l’inaccompli a le schema suivant : /P, t, j, n/+a+C1C2uC3+flexion (cf. (58-b)).
Ainsi, les VI des a"xes doivent contenir l’information concernant leur position par rapport
aux VI de la racine.
Prenons, par exemple, la 2e personne. Il semble bien qu’elle est marquee, dans les trois
nombres, par /t/ (cf. tableau 1.7). Ainsi, nous pouvons proposer les deux VI suivants : 33
(65) VI pour la 2e personne :
a. 2e !"#RACINE.t / accompli
b. 2e !" t.#RACINE / inaccompli
33. A ce propos, cf. Noyer (1992 : 85-87) ou l’auteur montre des listes de VI pour les a"xes de l’inac-compli. Ces VI contiennent la refrence de leur position par rapport au stem.
51
Maintenant, considerons la structure ci-dessous (cf. celle proposee pour l’imparfait du
francais en (44)) :
(66) Structure de base :
AgrP
Agr TP
T AspP
Asp voiceP
voice vP
v#RACINE
Dans la liste en (64), le contexte d’insertion fait reference a l’aspect verbal (accompli
ou inaccompli) et a la diathese (actif ou passif). Ces deux categories sont introduites par la
tete Asp et la tete voice, respectivement. Ainsi, chaque VI de cette liste cree une relation
entre un exposant phonologique et au moins trois nœuds terminaux : la racine, la tete
Asp et la tete voice. DM analyse cette situation en appliquant une operation syntaxique
sur les nœuds terminaux des tetes complexes, appellee Fusion. Cette operation consiste a
reunir deux ou plusieurs nœuds syntaxiques sous une etiquette unique, ainsi permettant
l’insertion du VI contenant les traits propres aux categories du nœud fusionne. 34
Ainsi, nous pouvons a"rmer qu’une analyse suivant le chemin montre ci-dessus ne
peut pas parvenir a des generalisations utiles a la comprehension du systeme verbal de
l’arabe classique. Cette analyse prevoit de nombreuses stipulations, notamment en ce qui
34. L’operation de Fusion est discutee en detail dans les chapitres suivants, cf. ch. 2 section 2.3.1 et ch.3 section 3.4.
52
concerne la nature des exposants phonologiques et leur contexte d’insertion. 35
Les generalisations que nous avons vues dans la sous-section precedente en suivant
l’analyse de G&L, en particulier en ce qui concerne l’exposant de la diathese, de l’as-
pect, etc.., ne peuvent pas etre saisies par une analyse DM standard. Seule une analyse
separant le niveau consonantique propre a la racine du niveau vocalique peut saisir les
proprietes morphosyntaxiques liees a la distribution des voyelles. 36 En outre, en acceptant
les representations autosegmentales, nous pouvons contraindre la position des a"xes et
des su"xes en posant un nombre fixe de positions gabaritiques disponibles a la flexion.
En suivant Lowenstamm (2005, 2008), je souhaite montrer qu’on peut deriver la forme
de chaque allomorphe de la liste (64) en separant le materiel segmental du niveau ga-
baritque. Ce dernier est, comme nous avons vu en discutant des analyses de G&L, a
considerer comme l’exposant d’un morpheme a part entiere. Par consequent, un VI sera
assigne a cet objet. 37
Reflechissons sur un point encore : le gabarit, ou pour mieux dire, le pattern melodique
est toujours predictible : chaque forme de 1 a 10 est associee a une sequence donnee de
positions C et de positions V. Ainsi, si on connaıt celle concernant la forme 2, par exemple,
on peut construire un verbe bien forme en prenant une racine quelconque :#QTL $%
/qattal/ ‘tuer’ a l’accompli. Toutes les racines ne rentrent pas dans tous les patterns
vocaliques, mais ceci est sans importance ici.
Le premier probleme a resoudre concerne les quatre entrees pour la racine que nous
avons etablies en (64), respectivement pour l’accompli et l’inaccompli de l’actif et du pas-
sif. Maintenant, la position V2 est traditionnellement reputee comme etant une position
! thematique " en semitique (cf. Goldenberg, 1994) : autrement dit, nous avons a!aire a
une voyelle lexicale dont le timbre n’est pas forcement predictible. 38
35. Il est interessant de remarquer qu’a l’interieur de DM, les travaux se divisent entre ceux preferantune decomposition radicale et jusqu’aux plus petits morceaux (cf. en particulier, Halle (1992) pour lelituanien, Halle & Vaux (1998) pour le latin et l’armenien et Calabrese (1998) encore pour le latin) etceux preferant des listes de VI basees sur une simple observation des terminaisons en surface (cf. enparticulier Muller (2004) pour le russe et Weisser (2006) pour le serbo-croate).36. Noyer (1992 : 98-101) analyse la racine en posant l’existence d’une contrainte prosodique de struc-
ture VCCVC pour l’inaccompli. Cf. McCarthy (1981).37. Cf. d’autres travaux allant dans cette direction, plus au moins explicitement : Arbaoui (2010); Faust
(En prep.); Faust & Lampitelli (A par.).38. Cf. Guerssel & Lowenstamm (1996) pour une analyse apophonique de ces voyelles en arabe classique,
Segeral (2000) pour l’akkadien. En ce qui concerne la voyelle thematique en general, cf. ch. suivant, section
53
En e!et, cette voyelle ne semble pas etre predictible en arabe classique : nous avons
reconnu quatre alternances vocaliques di!erentes entre les formes de l’accompli et leurs
correspondant a l’inaccompli. Cette voyelle a une deuxieme propriete interessante : elle
alterne entre l’accompli et l’inaccompli, comme nous avons deja observe. L’exemple (57)
est repete ci-dessous :
(67) Vocalisation de la forme 1 :
a. accompli &% inaccompli
b. C1V1C2V2C3 &% C1C2V2C3
c. labis-a &% ja-lbas-u ‘s’habiller’
d. katab-a &% ja-ktub-u ‘ecrire’
e. dQarab-a &% ja-dQrib-u ‘frapper’
f. kabur-a &% ja-kbur-u ‘grandir’
G&L Guerssel & Lowenstamm (1990, 1996) ont developpe une analyse des alternances
de V2. Ils ont propose une directionalite au sens du changement vocalique. En particulier,
ils ont decouvert qu’il y a une logique dans les alternances de V2 entre l’accompli et
l’inaccompli de la forme 1. Cette logique est formalisable en un chemin vocalique allant
de zero a /u/. Voici l’algorithme, appele ! chemin apophonique " :
(68) Apophonie : Ø$% i $% a $% u $% u
Chaque fois ou on a une derivation dans le systeme verbal de l’arabe classique, la
voyelle V2 change selon le schema ci-dessus. 39
Ainsi, V2 ne vehicule que l’information concernant l’aspect, puisque son timbre peut
toujours etre predit selon le schema (68). Cette situation peut etre interpretee syntaxi-
quement en posant que la tete categorielle Asp introduit la voyelle V2, justement.
Si V2 est introduite par Asp, quel est l’exposant de la tete v ? Autrement dit, quel est le
materiel phonologique exprimant la categorie ! verbe " ? Je fais l’hypothese que cet objet
est le gabarit. En e!et, toutes les formes verbales de 1 a 10 peuvent etre representees
a l’aide du gabarit unique CV1 [inflCV] CV2CV3 propose par G&L. Ainsi, une racine
associee a cet objet devient un verbe. 40
2.5.1 ou on discute de cette position en indoeuropeen.39. Cf. Segeral (1995) pour l’extension de la theorie de l’apophonie.40. Cf. Arbaoui (2010) en ce qui concerne la derivation detaillee des 10 formes de l’arabe classique dans
54
Quant a la diathese, nous avons vu que deux marqueurs peuvent etre isoles. Nous
avons, d’une part /a/ pour l’actif, d’autre part /u/ pour le passif.
En revanche, il semble bien que l’exposant du temps verbal ne soit pas present en
arabe. On ne veut pas entrer dans les details, mais la di!erence entre les deux formes
verbales existant dans la langue est plutot basee sur l’opposition aspectuelle fini/non
fini que sur la distinction passe/non passe. Pour cette raison, je ne representerai pas de
contenu dans la projection TP dans nos figures. 41
Finalement, la tete de la projection AgrP doit introduire les traits de nombre, de
personne et genre.
Commencons par montrer la liste suivante, contenant les VI de la racine, de la categorie
v, de la diathese et de l’aspect : 42
(69) VI pour un verbe de l’arabe :
a. ‘idee d’ecrire’ !"#KTB ;
b. verbalite !" CV1 [der.CV] CV2CV3 ;
c. actif !" a ;
d. accompli !" a ;
e. inaccompli !" u.
Ayant etabli une liste de VI, nous devons passer a l’etape concernant l’insertion du
materiel phonologique dans la structure. Comme nous avons montre pour l’imparfait du
francais (cf. (45)), la structure est transformee en une tete complexe :
le meme cadre theorique.41. Pour l’architecture syntaxique des verbes de l’arabe voir les references classiques : Fassi Fehri (1993);
Shlonsky (1997) et Benmamoun (2000).42. Cf. la liste des morphemes proposee en (59).
55
(70) Tete complexe pour un verbe de l’arabe :
Agr
T Agr
Asp T
voice Asp
vP voice
#RACINE v
Les nœuds terminaux de la tete complexe contiennent les traits morpho-syntaxiques
que les VI mettent en relation avec des exposants phonologiques. Par exemple, la derivation
de la 3Sm de l’accompli de la forme 1 kataba ‘il a ecrit’ est illustree ci-dessous : 43
(71) Tete complexe de kataba Acc. 3Sm :
Agr
T Agr
Asp T
voice Asp
v voice
#RACINE v
ktb a a a
CV1[CV]CV2CV3
43. La syllabe entre crochets carres [CV] correspond a celle etiquettee [inflCV] dans le gabarit (56).
56
La linearisation de cette forme a lieu de la facon suivante :
(72) Linearisation de kataba Accompli 3Sm
3Sm a
accompli a
actif a
racine k t b
verbalite C V [CV]C V C V [kataba]
Quelques precisions s’imposent a la vue des deux representations ci-dessus. Tout
d’abord, la syllabe inflexionnelle [inflCV] n’est pas activee a l’accompli de la forme 1,
comme nous avons deja observe. Elle est le site des operations morphologiques creant l’in-
accompli de la forme 1 et les formes de 2 a 10. Ensuite, la linearisation (72) montre que
l’analyse syntaxique de la formation des mots proposee par DM peut expliquer les alter-
nances propres a la morphologie non-concatenative de l’arabe seulement si on considere
plusieurs niveaux de representations pour les exposants phonologiques.
Regardons maintenant comment nous pouvons representer la forme 3Sm de l’inaccom-
pli, jaktubu ‘il ecrit’, en commencant par sa tete complexe :
57
(73) Tete complexe pour jaktubu acc. 3Sm :
Agr
T Agr
Asp T
voice Asp
v voice
#RACINE v
ktb a u j—u
CV1[CV]CV2CV3
Ensuite, observons la linearisation de cette forme :
(74) Linearisation de jaktubu inaccompli 3Sm :
3Sm j u
inaccompli u
actif a
racine k t b
verbalite C V [CV]C V C V [jaktubu]
L’unite inflexionnelle [inflCV] est activee a l’inaccompli, comme nous pouvons voir
ci-dessus. La presence des traits morpho-syntaxiques propres a cet aspect, declenche l’ac-
tivation de cette syllabe.
En ce qui concerne le morpheme d’accord, l’exposant de la 3Sm semble bien corres-
pondre a la sequence discontinue /j—u/. Ces deux segments n’ont a disposition que la
premiere position C et la derniere position V du gabarit, puisque les segments de la racine
58
et les voyelles marquant la diathese et l’aspect occupent les positions internes. Quant a
l’unite [inflCV], elle ne peut etre activee qu’en exploitant une seule position, selon l’hy-
pothese de G&L (1990). Je ne continuerai pas l’analyse des marqueurs de personne, de
nombre et de genre puisqu’ils ne demeurent pas cruciaux pour les propos de ce travail.
En revanche, nous pouvons voir que les representations que je propose ne requierent
pas la liste d’allomorphes de la racine vue en (64) et que je repete ci-dessous :
(75) VI pour la racine, a eliminer :
a. ‘ecrire’ !" /katab/ / accompli, actif ;
b. ‘ecrire’ !" /aktub/ / inaccompli, actif ;
c. ‘ecrire’ !" /kutib/ / accompli, passif ;
d. ‘ecrire’ !" /uktib/ / inaccompli, passif.
L’hypothese defendue par ce travail permet d’integrer les representations autosegmen-
tales proposees, ou la racine est vue comme un morpheme independent, a l’approche DM
sans devoir stipuler la liste (75) contenant quatre VI en competition entre eux.
DM standard ne peut pas acceder aux sequences phonologiques et rendre compte
de proprietes communes aux segments phonologiques. Dans l’approche de Lowenstamm
(2008) on admet l’insertion tardive du materiel phonologique, mais on admet aussi qu’on
puisse decomposer les formes morphologiques en objets basiques. Ces objets sont mis en
relation avec une seule categorie.
En conclusion, une approche strictement syntaxique a la formation du verbe de l’arabe
ne peut pas saisir la structure interne des morphemes et, par consequent, elle ne peut pas
rendre compte d’une situation ou la structure syllabique est predictible a l’interieur du
paradigme verbal. Pour DM standard, le fait d’avoir un gabarit predictible est un hasard.
Inversement, si on accepte un niveau abstrait de representation CVCV... permettant
de placer les consonnes radicales et les voyelles morphologiques sur deux (ou plusieurs)
niveaux independents et separes, on aboutit a une situation ou la racine triconsonantique
est le resultat d’un seul et unique VI : 44
(76) VI pour la racine de l’arabe : ‘ecrire’ !"#KTB
44. Cependant, toutes les approches visant a rendre compte de restrictions prosodiques aux mots d’unelangue comme l’arabe ne menent pas forcement a la conclusion que la racine est une entite independante.Par exemple, Ussishkin (2003) considere que la racine est une unite basee sur des contraintes prosodiques.
59
Comme il a ete annonce precedemment, l’analyse du verbe de l’arabe classique n’avait
pas comme but d’etre exhaustive et complete, mais elle avait la vocation de presenter
quelques arguments en faveur du cadre propose de l’interface entre la syntaxe et la pho-
nologie.
Les points qui nous interessent le plus sont d’un cote celui concernant l’avantage
representationnel qu’il peut y avoir par rapport a la racine de l’arabe et de l’autre celui
concernant le statut du gabarit, qui peut etre vu en tant que morpheme a part entiere.
Le modele DM integre a la phonologie CVCV apporte de nombreux avantages.
La section suivante, la derniere de ce chapitre, decrit et presente la proposition que ce
travail defend.
1.6 La formalisation de la proposition
La configuration theorique que je propose est une interpretation de l’interface entre la
syntaxe et la phonologie a l’interieur de l’approche DM.
En admettant une formation des mots de type syntaxique, les trois hypotheses ci-
dessous doivent etre acceptees aussi :
(77) Hypotheses de base
a. un morpheme est une matrice de traits en syntaxe proprement dite ;
b. une matrice de traits recoit un contenu phonologique grace a l’operation de
spell-out ;
c. la composante phonologique peut imposer des ajustements aux sequences
d’objets phonologiques.
Les trois hypotheses en (77) ont ete formulees par DM standard, et elles constituent
notre point de depart.
Comme nous avons vu tout au long de ce chapitre, je critique la facon ou les objets
phonologiques se trouvent en competition entre eux afin de pouvoir etre assignes a un
nœud terminal donne. La consequence de cette hypothese est qu’il peut y avoir plusieurs
objets phonologiques correspondant au meme trait dans une matrice donnee, l’application
60
du subp reglant l’objet gagnant.
Cependant, nous pouvons concevoir une architecture legerement di!erente, quoi que
basee sur les memes principes et sur les hypotheses en (77). C’est en e!et ce que j’ai
voulu montrer a partir des deux exemples tires du francais et de l’arabe classique : on
peut decomposer une forme morphologique en objets basiques en gagnant en nombre de
generalisations et en nombre de predictions sur la forme des mots.
Maintenant, en presupposant une approche syntaxique a la formation des mots, on
part d’une structure comme celle qui suit : 45
(78) Structure syntaxique de base pour un nom/verbe/adjectif :
zP
z yP
y xP
x#RACINE
Chaque nœud terminal est porteur d’une matrice de traits, chaque matrice de traits
etant l’equivalent d’un morpheme.
En suivant le modele de l’architecture de la Grammaire postule par les theories telles
DM standard (cf. plus haut (1)), j’admets que les morphemes-matrices de traits ne
contiennent aucune substance phonologique, puisqu’ils ne sont que des listes de traits
binaires.
Ensuite, comme nous avons deja vu, l’operation d’insertion des VI a lieu. Ce mecanisme
fournit un contenu phonologique aux matrices associees aux nœuds terminaux.
Ma proposition concerne crucialement la relation entre le materiel phonologique et les
matrices de traits. En particulier, je pose que le processus du spell-out se deroule de facon
tres contrainte, selon les trois principes suivants :
45. Cf. Embick & Noyer (2001, 2007); Embick (2009, 2010) et Marantz (1997, 2001, 2008).
61
(79) Principes generaux :
a. Chaque nœud terminal est associe a une categorie morphologique ;
b. Chaque categorie morphologique correspond a une matrice de trait :
(i) genre : [+F], [-F], etc..
(ii) nombre : [+pl], [-pl], etc..
(iii) mode : [+fini], [-fini], etc..
c. Le spell-out se compose de :
(i) un seul exposant phonologique par combinaison de traits dans une ma-
trice ;
(ii) un rapport biunivoque entre les exposants et les matrices.
Ainsi, etant donne la structure (78), chaque nœud terminal est associe a une matrice
de traits :
(80) Association nœud-matrice de traits :
a. x0 : [!T1, !T2] ;
b. y0 : [!T3] ;
c. z0 : [!T4, !T5, !T6] ;
d. T = trait indefini.
Chaque matrice ci-dessus a une serie de combinaisons possibles par rapport a la valeur
de ! ; par exemple, quatre possibilites existent pour (80-a) :
(81) Combinaisons possibles pour une matrice de deux traits :
a. 1 : [+T1, -T2] ;
b. 2 : [+T1, +T2] ;
c. 3 : [-T1, -T2] ;
d. 4 : [-T1, + T2].
Dans les exemples que nous avons vus pour le pluriel de l’anglais, liste (28), plusieurs
VI peuvent correspondre a la meme matrice de traits.
Dans mon analyse, cette situation n’est pas possible, puisqu’elle contredit le prin-
cipe (79-c) : l’association entre un exposant et une combinaison de traits est strictement
univoque.
62
En voici un exemple :
(82) Spell-out
a. [+T1, -T2] !" sequence phonologique 1 ;
b. [+T1, +T2] !" sequence phonologique 2 ;
c. [-T1, -T2] !" sequence phonologique 3 ;
d. [-T1, + T2] !" sequence phonologique 4 ;
e. *[+T1, +T2] !" sequence phonologique 5 ;
f. *[+T1, +T3] !" sequence phonologique 6 ;
g. *[+T1] !" sequence phonologique 7.
Tout d’abord, cette configuration impose qu’il y ait une seule sequence phonologique
par categorie donnee. Par exemple, etant donne une langue a trois genres, les matrices 1
a 3 en (81) peuvent representer respectivement le masculin, le feminin et le neutre. Les
VI (82-a), (82-b) et (82-c) seraient ainsi les exposants associes a chaque genre.
Selon les principes que je viens de poser en (79), le masculin, le feminin et le neutre
sont toujours exprimes par les trois VI mentionnes. Autrement dit, on ne prevoit pas
d’operations sur les nœuds (cf. la fusion, Halle & Marantz 1994), ni sur les traits des
matrices (cf. l’impoverishment, Noyer 1992; Halle 1997a).
Cette situation a comme consequence l’interdiction de VI tels (82-e), (82-f) ou (82-g)
normalement permis par DM standard. En e!et, dans le premier cas, (82-e) est un allo-
morphe de (82-b), puisque les deux matrices sont egales, alors qu’il y a deux sequences pho-
nologiques di!erentes. Lorsqu’une telle situation se verifie, il faut postuler des contextes
d’insertion (par exemple : liste de racines, accompli, etc..). C’est ce que nous avons vu
avec la liste (28) concernant l’anglais ou encore avec les listes de la racine de l’arabe en
(62).
Quant aux autres VI, (82-f) et (82-g) sont interdits a la fois par le principe (79-a)
et par (79-b). En particulier, nous avons a!aire a des matrices qui partagent un trait
[+T1] entre elles et avec deux autres VI (notamment, (82-a) et (82-b)) : etant donne cette
situation, ces VI sont en competition entre eux afin de pouvoir etre inseres.
Le principe (79-b) impose qu’une categorie morphologique soit associee a une seule
matrice de traits, ainsi evitant les situations de competition entre les VI, comme ce serait
le cas en admettant (82-f) et (82-g), justement. Si on elimine ces types de VI, nous pouvons
63
nous debarasser de la competition entre les VI et donc l’insertion se passe par un simple
controle entre la matrice specifiee dans le VI et celle assignee au nœud terminal.
Le systeme gagne en transparence et en fluidite.
Finalement, une consequence ulterieure de cette approche est que nous allons avoir
a!aire a une computation phonologique assez complexe, manipulant, en l’occurrence, des
objets tres abstraits.
Les trois chapitres suivants sont dedies a l’analyse detaillee de trois systemes nomi-
naux : celui de l’italien, celui du bosnien et celui du somali. Les analyses proposees suivront
l’hypothese presentee dans ce chapitre et formalisee dans cette section. Je montrerai aussi
que le caractere abstrait de la phonologie est une situation necessaire afin de maintenir le
rapport d’univocite entre les sequences phonologiques et les matrices de traits.
1.7 Conclusion du chapitre
Au debut du chapitre, j’ai commence en presentant d’une part la theorie DM, d’autre
part deux theories phonologiques : l’hypothese CVCV et la Theorie des Elements.
A partir de la section 1.4, nous avons observe comment DM explique l’alternance
phonologique entre de formes morphologiquement liees entre elles. En particulier, j’ai
discute les trois allomorphes du pluriel de l’anglais et de la liste de VI en (28). Ces objets
sont en competition pour l’insertion sur un nœud terminal. Ensuite, je me suis concentre
sur une regle phonologique (en (29)) rendant compte du devoisement d’un de ces trois
exposants du pluriel dans le contexte d’une racine se terminant par consonne sourde.
Ma critique a concerne le rapport entre le premier type de phenomene (allomorphie
contextuelle) et le deuxieme (allomorphie conditionnee phonologiquement) : pourquoi
doit-on avoir deux phenomenes rendant compte de di!erences que nous observons en
surface (les di!erents types de pluriel de l’anglais) ?
En suivant Bendjaballah (2003), j’ai donc fait l’hypothese qu’un seul et unique type
de computation existe : un systeme postulant l’utilisation de la syntaxe afin de construire
les mots, mais exploitant la phonologie (et rien d’autre que la phonologie) pour expliquer
toutes les allomorphies et les allophonies en surface.
La flexion de l’imparfait du francais nous a servi comme exemple central dans le
developpement de l’interpretation du spell-out que je propose. A la lumiere de la decompo-
sition e!ectuee en utilisant la Theorie des Elements, nous avons remarque qu’on pouvait
64
attribuer a chaque objet phonologique une propriete morphologique precise. J’ai donc
integre l’analyse autosegmentale de l’imparfait du francais au cadre de DM.
Ensuite, j’ai esquisse une analyse du verbe de l’arabe classique. En partant des hy-
potheses de Guerssel & Lowenstamm (1990, 1996), j’ai montre que ces analyses sont
compatibles a l’approche syntaxique a la formation des mots et elles expliquent de facon
convaincante un certain nombre de generalisations.
Finalement, j’ai propose une interpretation de la relation entre la syntaxe et la pho-
nologie (cf. section 1.6), s’articulant sur les points suivants (cf. (79)) :
(83) Principes generaux :
a. Chaque nœud terminal est associe a une categorie morphologique ;
b. Chaque categorie morphologique correspond a une matrice de trait :
(i) genre : [+F], [-F], etc..
(ii) nombre : [+pl], [-pl], etc..
(iii) mode : [+fini], [-fini], etc..
c. Le spell-out se compose de :
(i) un seul exposant phonologique par combinaison de traits dans une ma-
trice ;
(ii) un rapport biunivoque entre les exposants et les matrices.
La consequence la plus radicale de mon approche est l’abandon de la competition et,
par consequent, du subp.
Les trois chapitres suivants illustreront l’application de l’hypothese sur le spell-out aux
systemes nominaux de l’italien, du bosnien et du somali.
65
66
Chapitre 2
De l’italien et de ses noms
2.1 Introduction
Ce chapitre est dedie a l’etude approfondie du systeme nominal de l’italien. Le but
principal est de montrer la validite de l’hypothese sur le rapport entre les categories mor-
phologiques et les exposants phonologiques que j’ai proposee dans le chapitre precedent
(cf. supra sec. 1.6). Plus particulierierement, ce chapitre vise deux objectifs : d’une part,
proposer une nouvelle analyse de la formation des noms en italien ; d’autre part, demontrer
que l’approche defendue dans ce travail o!re un nombre majeur de generalisations sur le
systeme de l’italien. En ce qui concerne les donnees, les noms simples et non derives seront
au centre de l’investigation.
Le chapitre s’organise comme suit : d’abord, les donnees et quelques premieres obser-
vations distributionnelles et descriptives sont presentees. Ensuite, on discute des analyses
possibles. Finalement, une analyse en termes d’interface syntaxe-phonologie est illustree ;
le chapitre se conclut sur une discussion des avantages empiriques et theoriques d’un tel
choix.
2.2 Les noms de l’italien
2.2.1 Le corpus de noms
Les noms de l’italien representent un defi tres interessant pour la theorie morphologique
a cause de trois aspects particuliers, que je peux resumer de la facon suivante :
67
(1) a. l’obligation de se terminer par une voyelle ;
b. l’alternance vocalique entre le singulier et le pluriel ;
c. la presence de patrons vocaliques clairement distincts reliant le singulier au
pluriel (o-i, a-e, e-i, etc..).
Les noms de l’italien di!erent donc de facon considerable par rapport a ce qu’on peut
observer dans la plupart des langues romanes ou :
(2) a. un nom ne doit pas obligatoirement se terminer par une voyelle ;
b. le pluriel est de type consonantique (forme par un morpheme /s/ en espagnol,
catalan et portugais, par exemple) ;
c. il n’y a pas de patrons facilement discernables entre une forme donnee du
singulier et le pluriel correspondant.
Le contraste entre (1) et (2) souleve deux problemes : d’une part, celui de la plura-
lisation au moyen d’une voyelle opposee a la pluralisation au moyen d’une consonne et
d’autre part, celui du rapport entre la forme d’un nom au singulier et la forme de sa
contrepartie au pluriel.
Du point de vue diachronique, les deux problemes mentionnes relevent d’une situation
bien connue de la linguistique romane traditionnelle, a savoir l’isoglosse du pluriel en
roman (cf. Meyer-Lubke 1890-1902; Tagliavini 1972 parmi d’autres). 1
Inversement, sur un plan synchronique, le point crucial est que, comme nous l’avons
evoque en (1-a), le lexique de l’italien est presque exclusivement compose de mots se
terminant en voyelle. Il existe tres peu d’exceptions a cette generalisation et lorsque c’est
le cas, il s’agit de mots d’emprunts. 2
Maintenant, considerons le corpus suivant etabli sur la base de mes competences de
locuteur natif ainsi que sur Lorenzetti (2002) et sur Saltarelli (1970). Les donnees sont
rangees en deux groupes selon que les noms sont variables ou invariables au pluriel.
1. Je reprends les details du probleme classique de l’isoglosse du roman plus tard, cf. infra section 2.8.2. En voici quelques exemples : bar ‘bar’, film ‘film’, jeans [dZins] ‘jeans’, lapis ‘crayon’, software
[softwer] ‘logiciel’, pallet ‘pallet’, sport ‘sport’, pantheon ‘pantheon’, etc.. Quant aux mots d’origine latine,trois prepositions peuvent se terminer en consonne (in ‘en, dans’, per ‘pour’ con ‘avec’) ainsi que l’articledefini masculin il ‘le’.
68
Ainsi, les noms contenus dans le tableau 2.1 changent toujours selon leur nombre,
alors que ceux dans le tableau 2.2 ne changent jamais : 3
Table 2.1 – Noms variables de l’italien 4
genre singulier pluriel glose1 M lupo lupi ‘loup’2 F mano mani ‘main’3 F rosa rose ‘rose’4 M poeta poeti ‘poete’5 F ala ali ‘aile’6 M cane cani ‘chien’7 F nave navi ‘navire’
3. Les noms sont ecrits en orthographe italienne. La seule observation importante concerne le faitqu’un accent graphique marque l’accent tonique. Lorsqu’il n’y a pas d’accent graphique, l’accent toniqueest sur la penultieme ou sur l’antepenultieme.
4. Dans mon corpus, j’ai choisi de ne pas inclure les noms comme uovo ‘œuf’, ayant un singuliermasculin mais un pluriel qui est feminin : uova ‘œufs’. Selon Lorenzetti (2002), ces noms ne represententpas plus que le 1% du lexique de l’italien contemporain et, en plus, le processus de pluralisation a traversle changement de genre n’est plus productif (ce n’est pas le cas en somali, comme on verra au chapitre4). En voici une liste non-exhaustive : muro ‘mur’, membro ‘membre’, osso ‘os’, braccio, ‘bras’ et corno‘corne’. Du point de vue historique, ces noms derivent des neutres de la deuxieme declinaison du latin,caracterises justement par le singulier du nominatif et de l’accusatif en -um et les pluriels correspondanten -a. Au passage vers l’italien, le pluriel a ete interprete comme etant du feminin, alors que le masculina suivi la derivation des masculins de la meme declinaison.
Cependant, le pluriel en -i existe pour certains des noms de ce groupe. Par exemple, nous avons mura‘les murs’ (d’une ville) oppose a muri ‘les murs (d’une chambre)’. Rohlfs (1966-1969) souligne le faitque le pluriel en -a a souvent une interpretation de nom de collectif non-comptable, comme les exemplesci-dessous illustrent (cf. aussi Acquaviva 2007 sur ce point) :
(i) a. leles
muramurs
dellade-la
cittaville
dide
RomaRome
‘les murs de la ville de Rome’b. i *muri della citta di Romac. i
lesmembrimembres
delde-le
partitoparti
‘les membres du parti’d. le *membra del partito
Pour plus de details sur l’origine de ces noms, cf. Rohlfs (1966-1969 : vol. 2, 35-37). Pour une analysemorpho-semantique recente, cf. Acquaviva (2007).
69
Table 2.2 – Noms invariables
genre singulier pluriel glose1 M stereo stereo ‘chaıne hi-fi’2 F moto moto ‘moto’3 M mitra mitra ‘mitraillette’4 F siga siga ‘cigarette’5 M pome pome ‘apres-midi’6 F specie specie ‘espece’7 M brindisi brindisi ‘toast’8 F crisi crisi ‘crise’9 M falo falo ‘foyer’10 F popo popo ‘excrement’11 M para para ‘parachutiste’12 F citta citta ‘ville’13 M ca!e ca!e ‘cafe’14 F merce merce ‘grace’15 M menu menu ‘menu’16 F virtu virtu ‘vertu’17 M supplı supplı ‘boulette de riz’18 F pipı pipı ‘urine’19 M bar bar ‘bistrot’20 F e-mail e-mail ‘courriel’
Les donnees en 2.1 et en 2.2 posent un certain nombre de questions :
(3) a. est-ce qu’il y a un degre de predictibilite pour discerner un nom variable d’un
nom invariable ?
b. etant donne un nom variable (cf. tableau 2.1), peut-on predire sa voyelle finale
par rapport au nombre, ou au genre, ou a d’autres parametres ?
c. est-ce qu’il y a un lien entre la presence d’une voyelle finale et la bonne for-
mation d’un nom, en italien ?
Dans un premier temps, je ferai quelques observations sur un plan strictement des-
criptif, ensuite je commencerai l’analyse proprement dite.
Quant aux donnees en 2.2, apres une discussion generale dans la sous-section suivante,
je me concentrai sur les problemes qu’elles posent plus bas, cf. infra section 2.7.
70
2.2.2 Deux generalisations
Comme il a deja ete remarque, en italien un nom se termine par une voyelle. Cette
a"rmation est valable pour tous les noms dans le tableau 2.1 et pour la quasi-totalite des
noms dans le tableau 2.2.
Nous pouvons ainsi deduire que tous les noms variables se terminent par une voyelle.
Quant aux deux groupes de noms se terminant par une consonne (lignes 19 et 20,
tableau 2.2), je voudrais attirer l’attention sur deux faits. Tout d’abord, il s’agit majo-
ritairement de noms d’emprunts ; ensuite ces noms constituent une infime minorite du
lexique en termes statistiques.
Avant de se concentrer exclusivement sur les noms variables, il faut encore considerer
la position de l’accent tonique.
En e!et, par rapport a la position de la syllabe portant l’accent tonique, nous pouvons
discerner deux groupes : celui des noms accentues sur la syllabe finale (oxytons) et celui
des noms accentues sur une syllabe autre que la finale (paroxytons ou proparoxytons).
Tres etonnement, aucun des noms dans le tableau 2.1 n’est oxyton, alors qu’un nom dans
le tableau 2.2 peut aussi bien etre oxyton que (pro)paroxyton.
Cette situation nous mene a une generalisation interessante, notamment que si un nom
se termine en voyelle accentuee, alors il est aussi invariable.
Nous avons donc a!aire a une situation ou les noms variables doivent exclusivement
etre oxytons et se terminer par une voyelle, alors que les noms invariables ne subissent
aucune des ces contraintes. Cette situation est resumee ci-dessous :
(4) Deux generalisations :
a. un nom variable se termine par une voyelle ;
b. un nom variable n’est pas oxyton.
Ces deux generalisations ne sont pas valables pour les noms invariables, comme les
donnees du tableau 2.2 nous montrent. En e!et, un nom invariable peut se terminer par
une consonne (cf. film ‘film’) ou bien, s’il se termine par une voyelle, il peut etre aussi
bien oxyton (cf. citta ‘ville’) que (pro)paroxyton (cf. moto ‘moto’). Trois groupes peuvent
donc etre identifies : celui des noms invariables a voyelle atone, celui des noms oxytons
et finalement celui des noms se terminant par une consonne. Chaque groupe est l’objet
d’une analyse detaillee, cf. respectivement les sous-sections 2.7.1, 2.7.2 et 2.7.3.
71
Nous commencerons par considerer les noms variables et nous concentrerons sur les
aspects morpho-phonologiques de la voyelle finale.
2.2.3 Les noms variables et une definition pour voyelle finale
Les noms variables sont caracterises par une voyelle finale atone. En e!et, les deux
generalisations que j’ai proposees en (4), sont a considerer comme deux conditions neces-
saires et fondamentales afin qu’on puisse classer un nom donne dans le groupe des noms
variables.
Cependant, nous devons remarquer aussi qu’un nom est a considerer ! variable " si
et seulement si une troisieme condition est satisfaite : par rapport au singulier, la voyelle
finale atone doit changer de timbre au pluriel.
Ainsi, nous pouvons definir la voyelle finale apparaissant dans un nom selon les trois
proprietes suivantes :
(5) Definition de voyelle finale (desormais Vfin)
a. Vfin est une voyelle apparaissant seulement a la finale absolue d’un nom ;
b. Vfin est une voyelle atone ;
c. Vfin change de timbre lorsque le nom est au pluriel.
Au vu d’une telle situation, la solution la plus logique semble etre de type phono-
logique : Vfin doit apparaıtre pour satisfaire quelque principe phonologique de bonne
formation du mot.
En particulier, on pourrait penser qu’en italien les noyaux finaux ne peuvent pas
rester vides, contrairement a ce qui se passe en francais par exemple. Au sens du cadre
phonologique adopte ici, cette situation correspond a la representation suivante :
(6) a. x y z w
gabarit C V C V grammatical
b. x y z
gabarit C V C V impossible
c. /x, y, z, w/ = autosegments
Plus precisement, la phonologie du gouvernement (Kaye et al., 1990) explique l’agram-
72
maticalite de (6-b) en posant l’existence de la relation de ! gouvernement " ayant lieu
entre des positions V, de droite a gauche. Puisque les details de cette theorie n’ont pas
d’importance ici, je n’en dirai pas plus, mais je me limite tout simplement a constater
que selon ce que cette theorie predit, la possibilite d’avoir des V vides finaux depend d’un
choix parametrique.
Or, il semblerait qu’en italien un tel parametre soit active, comme nous venons de le
constater.
Pourtant, il existe au moins deux indices jouant contre la presence d’un parametre sur
les noyaux finaux vides. En particulier, si Vfin est une voyelle dont la distribution est
exclusivement controlee par la phonologie, on pourrait s’attendre a ce que :
(7) a. il n’y ait qu’un seul timbre de Vfin ;
b. il n’y ait que des noms se terminant par une syllabe ouverte.
Aucune des deux a"rmations ci-dessus n’est vraie. D’un cote, Vfin apparaıt sous
quatre timbres di!erents : [a], [o], [e] et [i] ; de l’autre cote, il existe des noms se terminant
par diphtongue ou par hiatus, comme il est montre ci-dessous : 5
Table 2.3 – Noms a diphtongue ou hiatus finaux
diphtongue singulier glose pluriel glose1 -jV [printSipjo] ‘principe’ [printSipji] ‘principes’2 -wV [Salakkwo] ‘gaspilleur’ [Salakkwi] ‘gaspilleur’
hiatus singulier glose pluriel glose3 -eV [marea] ‘maree’ [maree] ‘marees’4 -eV [nukleo] ‘noyau’ [nuklei] ‘noyaux’5 -oV [boa] ‘bouee’ [boe] ‘bouees’
Prenons par exemplemarea ‘maree’. Sa representation phonologique prevoit la presence
de deux positions V occupees a la fin du mot, alors que la postion C entre les deux est vide
5. Je considere que les semi-voyelles [j] et [w] sont des allophones de /i/ et /u/, respectivement. Parconsequent, une sequence de deux voyelles en syllabe finale d’un mot peut faire surface de deux faconsdi!erentes. D’une part, si la sequence sous-jacente est /i,u/ + V, nous avons une diphtongue, d’autre part,si la sequence sous-jacente est V[-haute] + V, nous avons a!aire a un hiatus. Cf. Kaye & Lowenstamm(1984).
73
(cf. (8-a)) Cette situation est redondante si on accepte la presence d’un parametre impo-
sant de remplir les noyaux vides, puisque si on enlevait la derniere voyelle (Vfin), nous
aurions a!aire a une situation egalement grammaticale (cf. (8-b)). Ces deux configurations
sont montrees ci-dessous :
(8) a. m a r e a
gabarit C V C V C V grammatical
b. m a r e
gabarit C V C V C V grammatical
Je propose donc de considerer ce probleme en distinguant deux plans d’observation.
Tout d’abord, la presence d’une voyelle finale est bien une contrainte de niveau phonolo-
gique et donc l’italien a bien un parametre obligeant les noyaux finaux a ne pas etre vides.
Ensuite, je propose de considerer la nature de cette voyelle comme ayant une origine qui
ne releve pas exclusivement de la phonologie. En particulier, je vais montrer qu’il s’agit
de contraintes morpho-syntaxiques, liees a l’architecture du nom.
Nous pouvons ainsi supposer l’existence d’un parametre supplementaire, imposant la
presence de Vfin a droite d’une racine, entendue au sens de la DM. Ce parametre est
defini comme suit :
(9) En italien, une racine est obligatoirement suivie de Vfin, dont la nature est d’ori-
gine morpho-syntaxique.
2.2.4 Vfin des noms variables
En regardant les noms dans le tableau 2.1, on s’apercoit que seules les voyelles [i], [e],
[a] et [o] apparaissent a la finale.
Cependant, la question fondamentale qui nous interesse ici concerne le rapport entre
l’ensemble des Vfin possibles et l’inventaire vocalique de l’italien en syllabe atone finale.
Une fois ce rapport etabli, nous pourrons mieux comprendre s’il existe des restrictions
quant au timbre de Vfin.
Par consequent, je me permets un tres court detour dans le systeme des voyelles de
l’italien.
74
Comme Rohlfs (1966-1969 : vol. 1, 5-12) l’explique, a la suite du passage du systeme
quantitatif du latin a celui qualitatif du latin tardif d’abord et de l’italien ensuite, sept
voyelles se sont formees en syllabe tonique, resultant en un systeme a quatre degres,
montre ci-dessous :
(10) Systeme vocalique en syllabe tonique
i u
e o
E O
a
Par contre, le systeme vocalique en syllabe atone a suivi des developpements plus
compliques (Rohlfs 1966-1969 : vol. 1, 160-189). Tout d’abord, l’evolution a ete di!erente
selon que la syllabe etait post-tonique ou pre-tonique ; autrement dit, une meme voyelle
peut avoir subi deux processus phonologiques di!erents selon sa position par rapport a
l’accent tonique.
Ainsi, cinq voyelles ont ete conservees en syllabe pre-tonique. Ce systeme est montre
en ce qui suit :
(11) Systeme vocalique en syllabe pre-tonique
i u
e o
a
Voici cinq exemples de noms ayant une de ces voyelles en position pre-tonique :
(12) Exemples de voyelles pre-toniques (la tonique etant soulignee) :
a. venditore ‘vendeur’
b. ru[>dZ]ada ‘rouille’
c. monastero ‘monastere’
d. pennello ‘pinceau’
e. boscaglia ‘bois, maquis’
75
Quant a la position post-tonique, deux situations doivent etre distinguees. D’un cote,
il y a des syllabes post-toniques qui ne sont pas finales, de l’autre nous avons a!aire a des
syllabes post-tonique finales. Dans le premier cas, nous avons exactement le meme systeme
qu’en syllabe pre-tonique, cf. (11), alors qu’en syllabe finale, celle qui nous interesse ici,
la situation est plus complexe. 6
Plus en details, l’evolution historique du systeme vocalique du latin a donne un systeme
de quatre voyelles en position finale, notamment parce que /u/ en est exclu, comme il est
montre ci-dessous :
(13) Systeme vocalique en syllabe finale
i
e o
a
Rohlfs (ibid. : 185) dit clairement que */u/ final atone n’existe pas en Toscane, mais
il n’en explique pas les raisons.
Or, ce systeme correspond exactement a celui qu’on retrouve dans l’ensemble de
timbres possibles pour Vfin :
(14) Ensemble de Vfin possibles
i
e o
a
La situation illustree ci-dessus est vraie pour tout nom ayant une flexion.
Si un nom se termine par [u], alors ce [u] est tonique et conformement a la generalisation
(4-b), il n’a jamais de pluriel phonetiquement distinct du singulier (cf. menu ‘menu’ sg.
et pl.).
Ainsi, la situation reflete exactement l’evolution du systeme vocalique qu’on vient d’es-
6. Puisque la grande majorite de mots de l’italien sont paroxytons, ! post-tonique " equivaut souventa ! position finale ".
76
quisser. Plus particulierement, deux exemples sont interessants afin de montrer l’abaisse-
ment de I et u en syllabe finale :
(15) Evolution des voyelles finales
a. turrIm $% torre ‘tour’
b. lupum $% lupo ‘loup’
Pourtant, nous avons bien /i/ en syllabe finale, comme il est montre plus haut. La
raison de la presence de /i/ final est a retrouver dans le fait qu’il existe des cas d’evolution
I $% [i], comme dans les pluriels de la deuxieme declinaison : lupI $% lupi ‘loups’, par
exemple. Par contre, aucun exemple n’existe (a ma connaissance) de u final qui se soit
maintenu en italien. Ce fait est probablement la cause de l’asymetrie du systeme vocalique
en syllabe finale.
Nous avons donc a!aire a une situation ou l’ensemble de timbres possibles pour Vfin
correspond a l’ensemble possible de voyelles apparaissant en syllabe finale. Mais nous
avons remarque que la presence de /i/ est probablement liee a la presence de I a la finale
de certains noms, notamment aux pluriels de la deuxieme declinaison latine.
Par consequent, je propose d’observer la distribution de ces voyelles en fonction du
nombre :
(16) Vfin au singulier
e o
a
(17) Vfin au pluriel
i
e
La voyelle [i], dont la presence en syllabe finale suite au phenomene d’abaissement
mentionne ci-dessus est en question, n’apparaıt en e!et qu’au pluriel. Inversement, [o]
et [a] apparaissent seulement au singulier, alors que [e] est opaque en ce qui concerne le
nombre.
Quant aux deux ensembles de Vfin montres ci-dessus, nous avons a expliquer leur
fonctionnement au sein d’un mecanisme de formation des noms.
Je propose de commencer par une esquisse d’analyse selon une approche DM stan-
dard. Ensuite, je montre qu’une telle analyse n’o!re pas plus du point de vue formel que
77
ce que les representations (16) et (17) peuvent deja nous faire comprendre. Ensuite, je
commencerai a presenter et developper mon analyse.
2.3 Analyses possibles pour les noms variables
Cette section illustre deux analyses possibles pour les noms de l’italien. Nous allons voir
d’abord comment la DM standard pourrait analyser ces donnees, en discutant quelques as-
pects techniques. Ensuite, nous allons montrer l’analyse de ces noms proposee a l’interieur
d’une autre approche postulant egalement la formation syntaxique des mots. Il s’agit de
l’approche relevant de ce que l’on appelle Superset Principle (cf. Caha, 2009).
2.3.1 Une analyse selon DM standard
La theorie DM standard o!re des outils tres precis pour la description de la distri-
bution de Vfin par rapport au nombre et au genre. En s’appuyant sur des travaux tels
Embick & Noyer (2007); Halle (1997b); Muller (2004, 2005) parmi les plus significatifs,
on commencera d’abord par montrer a quel type de representation une approche de ce
type conduit.
Reprenons les donnees de l’italien ou l’on observe une variation entre la forme du
singulier et celle du pluriel, cf. 2.1. Celles-ci sont rappelees dans le tableau ci-bas :
Table 2.4 – Noms variables de l’italien
genre singulier pluriel glose1 M lupo lupi ‘loup’2 F mano mani ‘main’3 F rosa rose ‘rose’4 M poeta poeti ‘poete’5 F ala ali ‘aile’6 M cane cani ‘chien’7 F nave navi ‘navire’
Selon l’hypothese centrale de DM, les donnees ci haut doivent etre expliquees en pos-
tulant la presence d’une racine qui subit une operation dite merge 7 avec une tete nomi-
7. La traduction francais correspond a ! fusion ". Mais tout au long de cette these j’utiliserai plutot
78
nalisante n. Ainsi, on a une structure comme celle qui suit :
(18) Structure de rosa ‘rose’
nP
n[+F, -pl]
#ROS
Comme nous avons vu dans le chapitre precedent (cf. sec. 1.4.4), une tete complexe est
creee a partir de la structure ci-dessus. La tete complexe n’a pas de niveaux de projections
di!erents, mais elle est caracterisee par un niveau unique. Le spell-out a lieu lors de la
formation de la tete complexe. Comme nous avons vu, le spell-out fournit le contenu
phonologique aux morphemes. Il s’agit de l’insertion des VI.
Voici le detail de la tete complexe pour la structure (18) :
(19) Tete complexe pour rosa ‘rose’
n
#ROS n
[+F, -pl]
Pour le cas illustre ci-dessus, un VI possible est le suivant :
(20) [+F, -pl] !" a / ROS, etc.. (liste).
La premiere question qui s’impose en observant le tableau 2.4 et le VI (20) concerne
le degre de generalisation du formalisme utilise. Il semblerait qu’en italien les racines
fusionnent avec la projection nP et ensuite elles ont besoin de “remplir” la tete de cette
projection fonctionnelle avec du materiel qui est, par hasard, correspondant a une marque
de genre et de nombre. Or, le caractere stipulatif d’une telle formalisation est assez clair :
le terme anglais, puisque le terme francais induit a confusion a cause du fait que fusion est une autreoperation postulee par DM, comme nous avons vu au chapitre precedent, cf. section 1.5.3. Nous reparlonsde la fusion plus bas de cette section, aussi.
79
on a des donnees, on les observe et on ecrit, a partir de ces donnees, une liste d’entrees
du vocabulaire. Ces dernieres correspondent au spell-out des matrices de traits.
Mais qu’est-ce qui se passe lorsqu’on veut formaliser l’ensemble des donnees en 2.4 ?
En voici une possibilite :
(21) VI pour l’italien
a. [+F, +pl] !" e / ROS, etc.. (liste) ;
b. [+F, -pl] !" o / MAN (liste exhaustive) ;
c. [+F, -pl] !" a / ROS, AL, etc.. (liste di!erente de celle en (21-a)) ;
d. [-F, -pl] !" a / POET, etc.. (liste) ;
e. [-F, -pl] !" o / LUP, etc.. (liste) ;
f. [+pl] !" i / ailleurs ;
g. [-pl] !" e / ailleurs.
Si nous acceptons les VI tels qu’ils sont presentes en (21), nous allons avoir tout de
suite trois problemes de nature conceptuelle :
(22) Problemes avec une analyse DM :
a. on analyse toutes les occurences deVfin en tant qu’allormophes d’un morpheme
amalgame [genre, nombre] ;
b. on ne fait aucune prediction sur le rapport entre une forme donnee au sin-
gulier et sa forme correspondante au pluriel ;
c. il n’y a pas de site accueillant le nombre dans la structure (18).
Quant a (22-a), il indique le fait que chaque Vfin est l’exposant de deux categories
morphologiques, notamment le genre et le nombre.
Par contre, le probleme (22-b) met plus specifiquement en lumiere une limite technique
des approches syntaxiques a la formation des mots (j’y reviendrai a plusieurs reprises) :
la liste (21) ne peut pas predire quelle voyelle du pluriel correspond a une Vfin donnee
au singulier. Par exemple, pour DM, le fait d’avoir [a] au sg. et [e] au pl. pour un des
groupes du tableau 2.4 est un hasard.
Finalement, (22-c) releve de la structure (18) : il n’y a pas de projection pouvant
accueillir le trait [! pl]).
Au vu de ces problemes, nous sommes obliges d’introduire une nouvelle projection
80
pour le nombre, comme il est montre en ce qui suit : 8
(23) Structure de rosa ‘rose’, version revisee
numP
num[-pl]
nP
n[+F]
#ROS
Le structure ci-dessus resoud le probleme (22-c), puisque num accueille le trait concer-
nant l’expression du nombre, c’est-a-dire [-pl], alors que l’autre tete, n porte le trait du
genre [+F]. Cependant, comment peut-on avoir un morpheme amalgame (cf. probleme
(22-a)) ? Il n’y a aucune information dans la structure qui fasse en sorte que le processus
realisationnel associe une seule marque aux deux morphemes.
Afin de repondre a ce probleme, nous devons faire appel a un processus central de
la theorie DM standard. Il s’agit de la fusion (Halle & Marantz 1993, 1994) que j’ai
brievement mentionnee dans le ch. precedent, cf. sec. 1.5.3. Nous avons vu que cette
operation consiste a reunir deux ou plusieurs nœuds syntaxiques sous une etiquette unique.
Crucialement, l’ebauche d’analyse presentee en (21) prevoit que chaque Vfin est l’ex-
posant phonetique de deux nœuds terminaux.
L’introduction du processus de fusion a comme consequence la diminution du nombre
de nœuds de la structure en permettant l’epel de l’exposant contenant tous les traits des
nœuds en question. En termes pratiques, la fusion serait declenchee par une regle qui
opere sur les nœuds de la structure, comme montre ci-dessous :
8. En ce qui concerne numP, cf. Borer (2005); Calabrese (1998); Embick & Noyer (2007); Lowenstamm(2008); Ritter (1993); Svenonius (2004) parmi les plus importants.
81
(24) Realisation de fusion en italien :
a. VI : [+F, +pl] !" e / ROS, etc.. (liste), cf. (21-a)
b. fusion : [n !F].[num !pl] =" [n.num !F, !pl] / liste de racines.
c. num
n [n.num+F, +pl]
#ROS e
d. forme de surface : [rose] ‘roses’ F, pl.
Si on observe la structure syntaxique ci-dessus, on remarquera que le nœud qui resulte
de l’operation de fusion contient un morpheme complexe constitue par deux traits faisant
reference a deux categories distinctes : le genre et le nombre.
L’ajout d’un mecanisme supplementaire pour expliquer pourquoi deux morphemes
distincts au plan structurel sont epeles sous la forme d’un seul VI alourdit la theorie,
en reduisant son pouvoir explicatif. Il est assez evident qu’une solution ignorant un tel
procede ne serait pas seulement plus elegante, mais aussi theoriquement plus desirable.
La consequence de l’introduction de fusion est l’existence du probleme releve en
(22-a) : toutes les occurrences des voyelles finales des noms de l’italien sont traitees comme
des morphemes amalgames. Si nous nous debarrassons de la fusion, nous pouvons nous
debarrasser de ce probleme, aussi.
Par contre, si on garde cette configuration, nous avons les VI en (21) qui se retrouvent
en competition entre eux afin d’etre inseres sur le nœud num-n a travers l’operation de
spell-out.
Quant au probleme (22-b), l’introduction de fusion n’aide nullement a ce qu’on s’en
debarasse, puisque nous n’avons aucun moyen pour formaliser le lien phonologique entre
une Vfin donnee au singulier et son homologue au pluriel.
C’est justement sur ces points que le travail presente dans cette these intervient en
proposant que l’on interprete de facon legerement di!erente la competition entre les objets
du vocabulaire lors de leur passage en spell-out. En ce qui concerne l’italien, on voit
clairement le caractere fondamentalement a posteriori d’une telle approche : on observe
les terminaisons vocaliques s’accordant en genre et en nombre et on postule que c’est la
82
structure qui doit etre modifiee par des operations qui operent au niveau abstrait. 9
La sous-section suivante illustre une autre analyse syntaxique possible des noms de
l’italien.
2.3.2 L’analyse de Taraldsen (2009a) des noms de l’italien
Parmi les approches syntaxiques a la formation des mots, on retrouve un programme
de recherche connu sous l’appellation de Nanosyntax (Starke 2001, Caha 2009) qui se
propose en particulier de demontrer que le spell-out a comme cible non pas les seuls
nœuds terminaux mais aussi les autres niveaux de projections, en particulier les niveaux
XP (cf. sur ce sujet Fabregas 2010, ou encore Basic 2009). Afin de bien illustrer ce que
cette theorie propose, voici la definition du Superset Principle (desormais ssp) :
(25) Superset Principle (cf. Caha 2009 : 55) : A phonological exponent is inserted into
a node if its lexical entry has a (sub-)constituent that is identical to the node
(ignoring traces).
L’innovation de ce cadre theorique consiste a considerer que le spell-out s’applique a
n’importe quel niveau de projection dans la structure. La di!erence entre cette approche
et DM standard se fait exclusivement sur ce point.
Parmi les travaux menes a l’interieur de cette approche, il y en a qui se revelent forte-
ment connectes au sujet du present travail : il s’agit notamment de Taraldsen (2009a). En
particulier, celui-ci discute une variete de l’italien, celle de Colonnata (Toscane) en utili-
sant la comparaison des donnees de cette langue avec celles de l’italien comme argument
pour l’approche dont il est question en cette section.
Tout d’abord, voici quelques donnees : 10
9. Acquaviva (2009) propose l’existence de regles assignant la classe aux racines. Voici un example dece type de regle :
(i) [classe : ] !" 1ere / [genre : feminin].
Cette regle consiste a assigner la classe 1 (celle des noms se terminant en -a pour Acquaviva) dansle contexte du feminin. Il faut remarquer que ce type de regle doit faire reference a une liste donnee deracines, puisque tous les feminins ne se terminent pas en -a, cf. nave ‘navire’ F sg.10. Donnees tirees par Taraldsen de Manzini & Savoia (2005 : vol. 3, 543-762). J’ai ajoute l’exemple 4,
en le tirant de la meme source.
83
Table 2.5 – Les noms en Colonnata (donnees non-exhaustives)
genre singulier glose genre pluriel glose1 M om ‘homme’ M omi ‘hommes’2 F Dona ‘femme’ F Donja ‘femmes’3 M kan ‘chien’ M kan(i) ‘chiens’4 F lutS ‘lumiere’ F lutS(i) ‘lumieres’
Deux faits sont importants a la vue des donnees ci-dessus : trois formes du singulier
n’ont pas de marqueur (le nom se termine par une consonne, contrairement a l’italien
standard) et leurs pluriels respectifs sont marques par /i/. Quant a l’autre forme (celle
en 2), le singulier est marque par /a/, alors que le pluriel est marque par /ja/ : Donja ‘les
femmes’.
Taraldsen donne la representation suivante pour la structure des noms ci-dessus : 11
(26) Structure de Donja ‘femmes’
numP
num[!pl]
genP
gen[!F]
N=#
j a#DON
Ensuite, il faut considerer que l’operation move est employee afin que#DON monte
jusqu’a la position de specifieur de la tete num. On forme ainsi le bon ordre des morphemes :
(27) Linearisation :#DON + j + a = [Donja]
Contrairement a la formation des tetes complexes postulee par DM, l’application de
l’operation de mouvement proposee par Taraldsen ne prevoit que le deplacement du nœud
11. A la place de #, Taraldsen utilise tout simplement la tete N, ce detail n’etant pas crucial pournotre raisonnement.
84
N. Mais si on presuppose un mouvement de#DON, pourquoi ne deplacerait-on pas gen
aussi ? Taraldsen reste vague a ce sujet et semble ne pas considerer une telle situation.
Ensuite, les entrees suivantes sont proposees pour donja ‘femmes’ :
(28) Liste d’entrees pour le Colonnata
a. [+F] !" a / DON, etc.. (liste) ;
b. [+pl] !" i / DON, OM, KAN, etc.. (liste).
L’argument crucial que Taraldsen utilise en faveur de l’approche du Superset Principle
est justement le fait que si on considere la theorie DM standard, on ne peut pas expliquer
comment deux nœuds terminaux peuvent etre epeles par un seul objet du vocabulaire.
Nous avons vu que les pluriels feminins se terminant en -e (cf. rose ‘roses’ F pl.) peuvent
etre analyses par DM grace a l’apport de la transformation resultant de la fusion.
Inversement, le principe ssp predit qu’une telle situation peut etre geree en postulant
tout simplement l’entree suivante :
(29) [+F, +pl] !" e / DON, ROS, etc.. (liste).
La ressemblance avec l’entree montree plus haut (cf. (21-a)) est cruciale : si on considere
le Superset Principle, une fois enoncee l’entree ci-dessus, le travail d’analyse est acheve,
puisque (29) peut etre inseree directement a un nœud non-terminal, notamment numP.
De maniere generale, l’approche telle qu’elle est concue par Taraldsen (2009a) prevoit
que les entrees comme celle en (29) sont en competition avec d’autres entrees du meme
type afin d’etre associees a ce qu’on appelle subtree, c’est-a-dire une partie d’un arbre
syntaxique. Ceci est regle par le Best Fit Principle (cf. Taraldsen 2009b : 5), qui prevoit
que le candidat avec la distribution la moins restreinte est insere. 12
Ainsi, l’analyse relevant du ssp peut expliquer aussi bien les pluriels du type donja
que ceux comme rose, en posant les entrees montrees respectivement en (28) et en (29).
Les deux principes, ssp et subp, manipulent donc la meme idee : celle de la competition
entre les VI. Dans le premier cas elle a lieu au niveau des nœuds terminaux alors que dans
12. Cf. la definition donnee par Taraldsen : ! If A and B are in the candidate set for the lexicalizationof syntactic structure by the Elsewhere Principle, but the structural description of B properly includes thestructural description of A, A wins ".
85
le second, elle a lieu au niveau des nœuds non-terminaux.
Cependant, un fait fondamental n’est generalement pas pris en compte par les ap-
proches ssp : que se passe-t-il, du point de vue technique, lorsqu’on a a!aire a un syn-
tagme nominal, tel ‘la lettre a Marie’, ou on a la sequence [a Marie] en tant qu’argument
du nom ‘lettre’ ? 13
La structure de cette phrase est representee ci-dessous :
(30) ‘la lettre a Marie’
DP
D NP
la N PP
lettre P NP
a Marie
Comme nous pouvons le voir, une approche basee sur ssp ne peut pas rendre compte
de la phrase ci-dessus en (30), puisque lors du passage en spell-out, le VI correspondant
a [N lettre] est domine par le meme nœud non-terminal qui domine aussi le PP. Ainsi,
l’on aurait un spell-out unique de toute la partie de la structure qui est au-dessous du NP
dont “lettre” est la tete.
La solution proposee par Taraldsen (2009a,b) est l’obligation, pour les syntagmes
comme ‘a Marie’, de se deplacer plus haut dans la structure, mais la raison de ce deplacement
reste obscure. Et, si on complique les choses en analysant une phrase semblable en italien
(cf. ci-dessous) ou le N porte des marques phonologiques visibles de genre et de nombre,
on s’apercoit que l’approche ssp est en defaut.
Voici l’exemple en italien :
13. Je suis reconnaissant a Dave Embick d’avoir attire mon attention sur ce point.
86
(31) L-eD-f.pl
letter-eN-f.pl
aPrep
MariaNpropre
‘Les lettres a Marie’
La theorie basee sur le ssp predit qu’un spell-out de nœuds non-terminaux s’applique
a la structure de cette phrase. Or, Taraldsen (2009a) dit explicitement que d’un cote on
doit ignorer les traces (la definition du Superset Principle prevoit cette situation, cf. (25))
lors du passage en spell-out, et de l’autre cote, que les syntagmes comme a Maria se
deplacent dans une position haute dans la structure, en quittant donc la position ou ils
seraient la cible de l’insertion du vocabulaire.
Voici les details techniques :
(32) Structure de le lettere a Maria ‘les lettres a Marie’
DP
D numP
le num genP
[+pl] gen NP
[+F] N PP
letter P NP
a Maria
La representation en (32) montre un DP complexe, ou le N letter- prend un PP comme
complement. Ainsi, les deux traits de genre et de nombre ([+F] et [+pl] respectivement),
vont devoir etre epeles aussi. Si on presuppose un spell-out syntagmatique s’applicant a
des nœuds non-terminaux, on a quelques soucis a rendre compte de la sequence observee
des morphemes dans la phrase en question.
87
Selon cette approche, les entrees du vocabulaire possibles sont les suivantes : 14
(33) Entrees pour La lettera a Maria
a. [+F, racine] !" LETTER ;
b. [+F, +pl] !" e (cf. l’entree (29)) ;
c. [Preposition] !" a ;
d. [N] !" Maria.
Les entrees (33-a) et (33-b) sont en competition pour l’insertion dans un nœud non-
terminal, respectivement genP et numP. La facon dont cette competition est resolue ne
nous interesse pas ici, mais on observe que, dans les deux cas, on provoquerait le spell-out
de toute la structure en-dessous de genP ou numP. Or, la sequence [a Maria] est incluse
dans ce spell-out et elle ne serait donc jamais audible !
Maintenant on comprend pourquoi le mouvement doit etre postule. Mais cette situa-
tion ne demontre pas, a priori, la superiorite de l’approche ssp sur celle de DM standard,
quoi que Caha (2009) et Fabregas (2010) en disent.
Cependant, il faut reconnaıtre que ssp permet de se debarasser de certaines operations
de la theorie DM standard qui sont, comme il a ete montre plus haut, peu souhaitables
dans une approche non-lexicaliste, comme fusion par exemple.
Finalement, je voudrais souligner que l’approche defendue par le programme de Nano-
syntax ne se debarrasse pas des outils propres a DM. En particulier, la competition entre
les objets du vocabulaire reste telle qu’elle est, la seule chose di!erente etant le principe
qui designe l’objet gagnant (cf. ssp a la place du subp).
La section suivante propose d’emprunter un chemin completement di!erent pour abor-
der la question des noms de l’italien. Ce chemin est centre sur l’interpretation de la com-
plexite phonologique des exposants, prenant ainsi un point de vue di!erent vis-a-vis de
Vfin.
2.4 La phonologie appliquee a la morphologie
Cette section se propose de regarder Vfin a la lumiere de la Theorie des Elements
(Kaye et al. 1985, 1990) et montre qu’une approche de ce type implique que la Theorie
14. Taraldsen (2009a) explicite les deux premieres (qui sont celles qui nous interessent le plus).
88
morphologique admette un niveau infrasegmental pour la composante phonologique.
L’hypothese centrale est que Vfin est un objet phonologiquement complexe. Plus
particulierement, je fais l’hypothese que Vfin a une structure interne, qui n’est pas visible
en surface, mais qui pourrait par elle-meme expliquer de facon simple et predictible le
mecanisme en jeu dans la formation d’un nom en italien :
(34) Hypothese sur Vfin :
a. Vfin doit avoir une structure interne complexe ;
b. La structure interne de Vfin doit etre de nature morpho-phonologique.
Il faut souligner qu’on est parvenu a l’hypothese ci-dessus en suivant un raisonne-
ment lineaire et en eliminant d’autres hypotheses qui semblaient meme plus plausibles a
premiere vue.
Maintenant il faut demontrer que les deux a"rmations en (34) ne sont pas seulement
correctes, mais qu’elles sont en e!et la suite logique de notre hypothese de depart sur
l’architecture de la morphologie. En particulier, la presence d’une structure phonologique
peut etre evidente, puisque nous avons a!aire a des voyelles. Quant a la structure morpho-
logique, je vais montrer que la Theorie des Elements peut etre appliquee a l’explication
morphologique. Ensuite, je montrerai les relations que chaque Element apparaissant dans
Vfin entretient avec les categories morpho-syntaxiques.
2.4.1 La Theorie des Elements et les noms de l’italien
Cette section vise a expliquer la distribution de Vfin dans le systeme nominal de
l’italien. Plus en detail, j’utilise la Theorie des Elements que nous avons su"samment
presentee dans le chapitre precedent, section 1.4.2, lors de la decomposition des formes de
l’imparfait du francais.
Notre point de depart est le tableau montrant les voyelles apparaissant en position de
Vfin (cf. (16) et (17), respectivement pour le singulier et pour le pluriel) :
89
(35) Vfin au singulier et au pluriel
a. singulier
e o
a
b. pluriel
i
e
En suivant (34), on considere que chaque voyelle apparaissant ci-dessus a une structure
phonologique sous-jacente.
Comme nous avons pu le constater, la TE est un outil theorique tres puissant puis-
qu’elle prevoit une structure phonologique interne pour chaque segment. En ce qui concerne
ce travail, nous avons concentre l’attention sur les seules voyelles, en particulier celles qui
nous servaient pour decrire le francais.
Quant a l’italien, je montre d’abord les expressions vocaliques pour les cinq voyelles
apparaissant en syllabe atone [a], [e], [i], [o] et [u] : 15
(36) Expressions vocaliques pour cinq voyelles de l’italien
a. [a] = !.A
b. [e] = !.(A.I)
c. [i] = !.I
d. [o] = !.(A.U)
e. [u] = !.U
Etant donne un systeme a quatre degres en syllabe tonique et a trois degres en syllabe
atone, la representation des voyelles de l’italien ne prevoit que l’utilisation de deux lignes
autosegmentales, une reservee a l’Element /A/ et l’autre aux Elements /I/ et /U/. Cette
situation est illustree ci-dessous, pour les cinq voyelles atones : 16
15. Le charme des Elements n’est pas considere, puisqu’il ne demeure pas crucial pour nos analyses.16. Le trait [+ATR] ne concerne que les deux voyelles moyennes fermees [e] et [o]. Sa presence est
justifiee par le fait que la valeur negative de ce trait, [-ATR], indique les voyelles moyennes ouvertes [E]et [O] n’apparaissant qu’en syllabe tonique. Par consequent, ce trait ne sera plus represente lors de lacitation des expressions correspondant a [e] et [o].
90
(37) La representation des voyelles de l’italien :
ATR ! !
ARRIERE/ARRONDI v0 I I U U
HAUT A A v0 A v0
surface a e i o u
Tout comme pour le cas du francais, nous pouvons maintenant appliquer les expres-
sions vocaliques a la decomposition de Vfin.
A la lumiere de la TE, l’on peut decomposer aisement le systeme de Vfin montre en
(35) :
(38) Vfin au singulier et au pluriel
a. singulier
A.I A.U
A
b. pluriel
I
A.I
On discerne les consequences de l’application de TE aux ensembles de Vfin de l’ita-
lien : une situation qui semblait opaque et peu predictible, apparaıt maintenant plus
claire.
Je voudrais d’abord faire trois generalisations importantes a la lumiere des donnees
en (38) :
(39) a. l’element /A/ apparaıt dans toutes les occurrences du singulier ;
b. l’element /I/ apparaıt dans toutes les occurrences du pluriel.
c. l’element /U/ apparaıt toujours en combinaison avec un autre element et
seulement au singulier.
Ces observations nous menent inevitablement a nous poser des questions a propos
du role des Elements formant chaque Vfin. Nous avons vu que leur nature est bien
91
phonologique, mais leur distribution semble souligner qu’il y a une relation tres etroite
entre un Element donne et une propriete morphologique, notamment le nombre.
La sous-section suivante illustre d’abord l’analyse de Vfin a la lumiere du rapport
entre les Elements et le nombre. Ensuite, je developperai des hypotheses sur la relation
entre les Elements et le genre, aussi.
2.4.2 Les elements comme morphemes
L’objectif vise par cette sous-section est de montrer que les elements sont des mor-
phemes (pas forcement visibles en surface).
Depuis Segeral (1995), on a propose que les elements basiques au sens de KLV (1985,
1990) peuvent en e!et etre exploites a des fins morphologiques. Ceci equivaut a dire que
chaque element est porteur d’une information morphologique donnee. Nous avons vu,
par exemple, que Guerssel & Lowenstamm (1996) proposent que l’element /A/ marque
la diathese active en arabe classique (cf. ch. prec., sous-section 1.5). Ou encore, nous
avons decompose les marqueurs flexionnels de l’imparfait du francais en proposant un
role morphologique pour chaque element (cf. ch. prec., sous-section 1.4.2).
L’idee de fond, que l’on poursuit dans ce travail aussi, est que chaque element faisant
partie d’une voyelle marque une propriete morphologique donnee (cf. Bendjaballah 2003).
La consequence d’une telle approche est tout de suite evidente : on peut avoir a!aire a
des morphemes n’apparaissant pas en surface sous leur forme de base. Comme il a ete
mentionne dans le chapitre precedent, lorsqu’on accepte l’idee de decomposer des segments
phonologiques en morceaux plus petits, qui ne sont donc pas visibles en surface, on obtient
un niveau superieur d’abstraction. Cette situation est de toute evidence causee par le fait
que tous les objets phonologiques exprimant une categorie morphologique donnee ne font
pas forcement surface. Ainsi, on est oblige de postuler des phenomenes phonologiques qui
manipulent et arrangent les sequences phonologiques afin de nous donner les formes de
surface. A premiere vue, l’abstraction reside dans le nombre d’objets disparaissant entre
la forme profonde et la surface.
Cependant, comme nous commencons a le voir pas apres pas, cette approche semble
mener vers un systeme plus transparent ou on a une association biunivoque entre une
categorie morphologique et son exposant.
Quant a l’italien, la decomposition de Vfin montree en (38), nous invite a explorer le
92
rapport entre les elements d’un cote et le nombre et le genre de l’autre.
Les elements et le nombre
Revenons donc aux occurrences decomposees de Vfin en italien, reproduites ci-haut
en (38). Je propose d’observer d’abord les donnees du singulier et ensuite celles du pluriel,
pour pouvoir avancer methodiquement. Voici le singulier :
(40) Vfin decomposee au singulier
A.I A.U
A
A la vue de ces donnees et a la lumiere de toutes les considerations faites ci-dessus, on
ne peut que deduire que l’element /A/ est lie au singulier, d’une maniere ou d’une autre.
Par consequent, on est conduit a poser que :
(41) L’Element /A/ marque le singulier (dorenavant : Asg).
Maintenant, regardons le pluriel, puisqu’il montre une situation parallele a celle du
singulier :
(42) Vfin decomposee au pluriel
I
A.I
La encore, la seule hypothese plausible est que :
(43) L’Element /I/ marque le pluriel (dorenavant : Ipl).
93
Quelques questions surgissent a la lumiere de (41) et (43). 17 Tout d’abord, on peut
se poser la question de l’utilite d’un marqueur du singulier pour une langue n’ayant que
deux nombres. Autrement dit, etant donne une langue a deux genres, n’est-il pas plus
plausible que celle-ci exprime l’alternance sg. vs pl. tout simplement en exploitant une
alternance entre zero et un marqueur audible ? Pourtant, les donnees dementent cette
option et montrent clairement qu’il y a une relation entre /A/ et le singulier.
Ensuite, une autre question s’impose : quel est le role des deux autres elements appa-
raissant au singulier, notamment /U/ et /I/ ? Cette question est liee a un autre probleme,
concernant l’element /A/ apparaissant au pluriel a cote de Ipl (dans les pluriels en [e]
rose ‘roses’, cf. (42)). Quel est son role ? On doit evidemment exclure qu’il soit Asg alors
qu’on exclut que /I/ apparaissant au singulier a cote de Asg soit le marqueur du pluriel. 18
Afin de repondre a ces questions, je propose d’agencer di!eremment les donnees. En
particulier, je voudrais montrer les noms du tableau 2.1 organises selon le type de Vfin
qui leur est associee. Plus precisement, chaque occurrence de Vfin est organisee sur deux
colonnes : une reservee au nombre et l’autre etiquettee provoisoirement par un point
d’interrogation.
Voici le tableau des noms et de leur Vfin decomposees :
17. L’hypothese plaidant en faveur d’un marqueur unique de pluriel /i/ est supportee aussi par unargument base sur la comparaison des pluriels des varietes d’italien. Comme j’ai montre plus haut,section 2.3.2, dans le dialect de Colonnata, un nom feminin peut etre pluralise par la palatalisation de laconsonne radicale : donja ‘femmes’ vs. dona ‘femme’.
Ce type de pluriels montrent de facon claire et nette qu’il n’y a qu’un seul exposant de pluriel estceci a la forme d’un /i/. Manzini & Savoia (2005, vol. 3, 574-575) montrent un tableau contenant lesterminaisons nominales d’un echantillon de dialectes italiens, organisees par genre et par nombre : le Mpl. est marque par /i/ ou par /(o)s/, alors que le F pl. par /e/, /as/, /i/ et /ja/ justement. En outre, il ya aussi des cas ou le M et le F sont tous les deux marques par /@/, mais il s’agit des dialectes neutralisantles voyelles post-toniques (San Vittore, FR, par exemple). Quant au pluriel en /s/, cf. infra section 2.8ou on parle de l’origine historique du pluriel italien.18. On remarque aussi une coıncidence particuliere : dans les deux cas, l’element que l’on n’attend pas
se trouve dans la combinaison /A.I/=[e].
94
Table 2.6 – Les noms et leur Vfin decomposee
genre sg. ? exemple pl. ? exemple glosea M Asg U lupo Ipl lupi ‘loup(s)’b F Asg U mano Ipl mani ‘main(s)’c F Asg rosa Ipl A rose ‘rose(s)’d M Asg poeta Ipl poeti ‘poete(s)’e F Asg ala Ipl ali ‘aile(s)’f M Asg I cane Ipl cani ‘chien(s)’g F Asg I nave Ipl navi ‘navire(s)’
Une observation interessante concerne la distribution des elements par rapport au
nombre et aux groupes. Nous avons la certitude que Asg et Ipl marquent respectivement
le singulier et le pluriel puisqu’ils ont une distribution totalement predictible en fonction
du nombre. 19
Par contre, deux situations meritent notre attention. D’une part, /U/ apparaıt seule-
ment au singulier dans les groupes (a) et (b) et d’autre part, /I/ apparaıt dans les groupes
(f) et (g) seulement au singulier, aussi.
Les deux faits suivants vont nous aider a eclairer la situation que nous venons d’ob-
server :
(44) a. le groupe 2.6.b est forme par un seul item, celui dans le tableau mano ‘main’ ;
b. le groupe 2.6.e est forme par deux items, outre celui dans le tableau, il y a
arma ‘arme’.
En ce qui concerne le premier objet, l’anomalie se situe dans le fait qu’il se termine
en [o], qui est normalement un marqueur du masculin. En e!et, il s’agit d’un nom posant
des problemes dans plusieurs langues romanes, a cause de son appartenance a la IVe
declinaison du latin.
19. Du point de vue de la linguistique historique, la question est : pourquoi a-t-on /i/ en italien (eten roumain), alors que les langues romanes occidentales (francais, espagnol, catalan, portugais, occitan,etc..) ont herite le /s/ propre a l’ACC pl. du latin ? Autrement dit, a quoi doit-on cette isoglosse parmiles langues romanes ? Il faut quand meme remarquer que notre hypothese se conforme a l’idee generaleque /i/ est e!ectivement le marqueur du pluriel en italien, cf. Meyer-Lubke (1890-1902) par exemple. Jereviens sur ce point plus tard, cf. infra 2.8.
95
Ainsi, il est interessant de comparer comment manus a evolue dans quelques langues
romanes :
(45) Comparaison entre le latin et les langues romanes :
a. latin : manus (IVe declinaison), F
b. francais : main [mE], F
c. espagnol : mano, [mano], F
d. portugais : mao [m5w], F
En latin, manus appartient a la IVe declinaison, qui a un nominatif en -us, comme la
IIe declinaison, celle des noms en majorite masculins.
En francais, ‘main’ est feminin. Pourtant il se termine en voyelle nasale, alors qu’histo-
riquement les feminins latins ont maintenu la consonne nasale, puisqu’elle etait suivie de
/a/ qui est devenu [@]. 20 Cf., par exemple, les pairs [bO] M - [bOn] F, [italjE] M - [italjEn]
F, etc.. 21
En espagnol la situation est un peu moins exceptionnelle, puisqu’il y a plusieurs noms
feminins se terminant en [o] et ayant un pluriel, cf. moto ‘moto’, foto ‘photo’, etc.. Mais
la majorite des noms en [o] appartient au genre masculin. 22
Finalement, le cas du portugais ressemble a celui du francais : les diphtongues nasales
comme celle de mao sont propres aux noms masculins : sabao ‘savon’, pao ‘pain’, chao
20. Si on regarde attentivement le lexique du francais, on s’apercoit que les noms feminins se terminanten [E] sont extremement rares, voire quasiment absents. Mis a part ‘main’, il existe le groupe de nomscomme ‘putain’ et ‘nonnain’, historiquement issus d’une declinaison qu’on a reconstruite et qui pourraitavoir la forme suivante : *putta, *puttanis. Ainsi, on a pu justifier les formes de l’ancien francais et cellesdu francais contemporain, montrees ci-dessous :
(i) la declinaison de *putta
a. cas sujet *putta $% pute ;b. cas regime *puttane $% putain.
Pour tous les details concernant cette declinaison ainsi que l’evolution phonetique entre le latin et l’ancienfrancais, cf. La Chaussee (1989).21. Dell (1974) interprete en synchronie ces memes faits, en proposant une representation sous-jacente
qui ressemble beaucoup a un stade historique plus ancien de la langue.22. Cf. Harris (1991).
96
‘sol’, cao ‘chien’, sao ‘saint’ (cf. santa [s5t5] ‘sainte’ au feminin). 23
Quant aux deux noms feminins du groupe 2.6.e, leur anomalie se situe dans le fait
qu’ils ont un pluriel [i], alors que tous les autres noms feminins ayant un singulier en [a]
ont un pluriel en [e]. Cette situation semble aussi bien problematique pour mon analyse.
La seule remarque possible est que les formes du singulier ale et arme existent en italien
contemporain, mais elles sont considerees des variantes litteraires. Quant a l’etat plus
ancien de la langue, les deux formes du singulier arma et arme coexistaient. La meme
situation a ete reconstruite pour ala. 24
Etant donne ces considerations, je propose de ne plus considerer ni le nom mano, ni
les deux noms arma et ala en ce qui concerne mes analyses de l’italien.
Revenons donc aux donnees productives. Je propose de reconsiderer le tableau 2.6 sans
les deux groupes ‘deviants’, comme il est montre ci-dessous :
Table 2.7 – Les noms et leur Vfin decomposee
genre sg. ? exemple pl. ? exemple glosea M Asg U lupo Ipl lupi ‘loup(s)’b F Asg rosa Ipl A rose ‘rose(s)’c M Asg poeta Ipl poeti ‘poete(s)’d M Asg I cane Ipl cani ‘chien(s)’e F Asg I nave Ipl navi ‘navire(s)’
Les donnees ci-dessus montrent un certain nombre d’informations de facon claire.
Tout d’abord, si un nom a l’Element /U/ au singulier alors il est masculin et son
pluriel est [i]. Ensuite, si un nom selectionne une Vfin = Asg sans que d’autre Element
n’apparaisse, alors il peut etre soit feminin soit masculin. S’il est feminin, son pluriel est
toujours [e] (cf. rosa sg. vs rose ‘rose’), alors que s’il est masculin, son pluriel est toujours
[i] (cf. poeta sg. vs poeti ‘poete’).
Finalement, il y a un troisieme groupe de noms, ayant l’Element /I/ au singulier
(cf. cane ‘chien’ et nave ‘navire’). Ces noms sont caracterises par le fait qu’on ne peut
23. Cf. Azevedo (2005).24. Cf. le Tesoro della Lingua Italiana delle Origini (http ://tlio.ovi.cnr.it/TLIO/index2.html) pour
les donnees.
97
nullement predire leur genre a partir du timbre de Vfin, mais on peut seulement en
connaıtre le pluriel : celui-ci est [i] dans les deux cas. 25
Apres ces dernieres observations, il faut revenir a la question concernant le role des
Elements additionnels /U/, /A/ et /I/. Ce discours nous emmene au rapport entre les
Elements et le genre.
La nominalite sive le genre
Prenons d’abord /A/ et /U/. Leurs distributions sont tres interessantes, puisque le
premier Element /A/ n’apparaıt qu’au pluriel des noms exclusivement feminins, alors que
le second /U/ apparaıt dans le cas oppose : il est toujours au singulier dans des noms
exclusivement masculins.
La situation peut etre schematisee de la facon suivante :
Table 2.8 – La distribution de /A/ et /U/
genre singulier pluriela M [o] U [i]b F [a] [e] A
Une premiere observation s’impose a la vue des donnees ci-dessus : pourquoi les deux
Elements /A/ et /U/ ont-ils une distribution asymetrique par rapport au nombre ? Autre-
ment dit, pourquoi ces deux objets apparaissent soit seulement au singulier soit seulement
au pluriel ? Nous pourrions penser qu’ils ont des rapports avec le nombre.
Cependant, cette a"rmation semble etre contredite par un autre fait : il semble evident
qu’il y a un lien entre chaque Element et un genre donne. Ainsi, /A/ peut etre associe au
feminin et /U/ au masculin.
De toute evidence, il s’agit d’un probleme de point d’observation des donnees. En e!et,
si nous considerons le fait qu’on a deja des marqueurs pour le singulier et pour le pluriel,
l’analyse la plus plausible paraıt celle menant au lien entre ces deux Elements et le genre.
Si /A/ et /U/ sont lies respectivement au feminin et au masculin, alors ils doivent etre
representes dans chaque occurrence du genre correspondant. Par consequent, je propose
25. La distribution du genre masculin et le feminin a l’anterieur du groupe des noms en [e] est egale enitalien contemporain, cf. Lorenzetti (2002).
98
de considerer que /A/ et /U/ sont toujours presents respectivement au feminin et au
masculin. Afin de mieux expliquer, je montre un tableau comme celui en 2.8, dans lequel
les cases grises contiennent les Elements ajoutes :
Table 2.9 – La distribution de /A/ et /U/
genre surface sg. ? surface pl. ?a M [o] Asg U [i] Ipl Ub F [a] Asg A [e] Ipl A
L’hypothese selon laquelle /A/ est toujours present au feminin (groupe de rosa) et /U/
est toujours present au masculin (groupe de lupo), provoque plusieurs consequences sur
l’organisation des donnees, notamment en ce qui concerne les relations entre les groupes
et le genre.
Tout d’abord, en regardant les donnees dans le tableau ci-dessus, je fais l’hypothese
que : 26
(46) Le rapport entre /U, A/ et le genre :
a. l’Element /U/ marque le masculin ;
b. l’Element /A/ marque le feminin.
Ensuite, reprenons encore une fois les donnees, en modifiant le tableau 2.7 selon l’hy-
pothese concernant la distribution de /U/ et /A/. Le nouveau tableau est montre ci-
dessous :
26. Ces a"rmation s’alignent a la vision traditionnelle, cf. Rohlfs (1966-1969) pour la linguistiquehistorique et Dressler & Thornton (1996) pour la linguistique synchronique.
99
Table 2.10 – Les noms et leur Vfin decomposee
genre sg. ? exemple pl. ? exemple glosea M Asg U lupo Ipl U lupi ‘loups’b F Asg A rosa Ipl A rose ‘roses’c M Asg poeta Ipl poeti ‘poetes’d M Asg I cane Ipl cani ‘chiens’e F Asg I nave Ipl navi ‘navires’
A la lumiere des donnees dans le tableau 2.10, les deux a"rmations en (46) imposent
la discussion des quatre points enumeres ci-dessous :
(47) Problemes
a. quels sont la distribution et le role de /I/ (en 2.10.d et 2.10.e) ?
b. pourquoi le groupe de poeta est-il le seul a ne pas avoir d’Elements addition-
nels au sg. ?
c. quelle est la relation entre les formes de surface et les sequences d’Elements
qu’on postule ?
d. quelle est la relation entre le genre et les Elements ?
Le point en (47-a) concerne la distribution reelle ainsi que le role de l’autre Element
additionnel, /I/, apparaissant lorsque Vfin = [e] au singulier. Le point (47-b) pose le
probleme de l’absence de tout objet autre que le marqueur du sg. /Asg/ dans Vfin du
groupe de poeta ‘poete’. Ensuite, (47-c) pointe vers le fait qu’il faut expliquer quelle est
la consequence de la presence de /U/ au pluriel, lorsqu’il est associe a Ipl. La fusion,
au sens de Kaye et al. (1985), entre /Ipl/ et /U/ ne semble pas etre permise en italien.
Finalement, est-ce que l’on peut a"rmer que /A/ marque le feminin et /U/ le masculin
dans tout le systeme ?
Nous allons nous occuper de chacun de ces problemes dans ce qui suit.
Quant au premier point, celui concernant la distribution de /I/, je propose de considerer
qu’il est present aussi bien au singulier qu’au pluriel, exactement comme /A/ et /U/.
Ainsi, /I/ apparaıt dans la combinaison formant Vfin = [e] dans les groupes de cane et
nave. En suivant cette hypothese, nous allons avoir la situation montree dans le tableau
100
ci-dessous :
Table 2.11 – La distribution de /I/
genre surface sg. ? surface pl. ?a M [e] Asg I [i] Ipl Ib F [e] Asg I [i] Ipl I
Concernant le role de cet element additionnel, la question est plus complexe. Nous
avons deja remarque que les deux groupes ayant Vfin = [e] au singulier ne permettent
aucune prediction en ce qui concerne le genre du nom. Ainsi, /I/ ne semble pas du tout
etre specifie par rapport au genre, puisqu’il marque aussi bien des masculins que des
feminins.
Cette situation est opposee a celle des deux autres Elements additionnels dont on
a discute ci-dessus. On peut donc relier ces trois Elements /A/, /U/ et /I/ a un seul
probleme concernant le rapport qu’ils ont avec la racine qui semble les selectionner. Nous
allons nous occuper de ce point plus tard, dans la section 2.5.1.
Maintenant, il faut se concentrer sur un fait tres important : chaque occurrence de
Vfin est le resultat d’une combinaison entre un marqueur de nombre (Asg et Ipl) et un
Element additionnel, sauf pour le groupe de poeta, cf. (47-b) plus haut.
Je fais une hypothese tres simple, consistant a poser que les noms comme poeta ‘poete’
n’ont aucun Element additionnel. Cette situation est en e!et la quatrieme possibilite lo-
gique pouvant etre exploitee par un nom : etant donnes les trois Elements /A/, /U/ et /I/,
chaque nom peut selectionner soit un de ces objets, soit aucun. Nous avons donc quatre
possibilites. La langue les exploite toutes. Je considere donc que l’Element additionnel
101
associe au groupe de poeta est zero (dorenavant ø). 27
Nous pouvons maintenant nous concentrer sur le point (47-c), a savoir quelle est la
relation entre la sequence sous-jacente d’Elements et la forme attestee de Vfin.
Quant au groupe de rosa, au sens de la Theorie des Elements, /A/ fait surface comme
[a] et la sequence de deux Elements /A.A/ aussi. 28 Le pluriel de ce groupe ne pose pas
non plus de probleme, puisque la sequence /A.Ipl/ fait surface comme [e].
Ensuite, en ce qui concerne les occurrences contenant /I/, le singulier est forme aussi
par la sequence /A.I/. Par consequent, elles ne posent aucun probleme. Les pluriels cor-
respondants sont aussi tres simples a expliquer : nous avons a!aire a deux sequences du
meme Element : /I.I/. La voyelle attendue en surface est bien [i].
C’est le pluriel de lupi qui impose une reflexion sur la validite de mon hypothese sur la
distribution des Elements additionnels. Afin de trouver une solution, je propose de suivre
les principes de la Theorie des Elements.
Selon la Theorie des Elements, la representation des voyelles de l’italien est constituee
de deux lignes autosegmentales etiquettees, respectivement, [ARRIERE/ARRONDI] et
[HAUT]. La premiere accueille les Elelements /I/ et /U/, alors que la seconde est le site
de representation de /A/. Lors de la presentation de la TE dans le chapitre precedent,
nous avons souligne le fait que, lorsque seulement deux lignes sont postulees, la langue en
question va avoir un inventaire vocalique reduit a 5 ou 7 voyelles orales. Ceci est le cas
de plusieurs langues, y compris l’italien.
27. La comparaison entre les noms de l’italien et les verbes de l’arabe classique de la forme 1 estinteressante. Comme nous avons mentionne dans le chapitre precedent (cf. section 1.5.2, ex. (57)), chaqueverbe selectionne une voyelle occupant la position V2 : labis-a ‘s’habiller’, katab-a ‘ecrire’, dQarab-a‘frapper’ et kabur-a ‘grandir’. Ainsi, trois timbres apparaissent en surface : [i], [a] et [u].
Dans leur analyse, Guerssel & Lowenstamm (1996) proposent que chaque racine est associee a un desElements primitifs /A/, /U/ ou /I/. En outre, il proposent de distinguer, au niveau sous-jacent, les deuxcas ou V2 fait surface en tant que [a] : katab-a ‘ecrire’ et dQarab-a ‘frapper’. En e!et, si on considerel’imperfectif, le [a] de katab-a alterne avec [u] (jaktub-u), alors que celui de dQarab-a alterne avec [i](jadQrib-u).
A partir de cette observation et en suivant un raisonnement ne pouvant pas etre reproduit ici, G&Lproposent que dans le premier verbe [a] est bien la realisation de l’Element /A/, alors que dans le
deuxieme, il s’agit d’une voyelle epenthetique, la racine#DQRB etant associee a zero.
Ainsi, les verbes de l’arabe classique se divisent en quatre groupes, chacun pouvant selectionner soitun des trois Elements primitifs soit zero, exactement comme les noms de l’italien.28. Du point de vue strictement phonologique, l’OCP interdit deux elements identiques adjacents au
meme niveau de representation. Comme on l’a vu, l’OCP est actif dans la TE. Il faut donc postuler queles deux elements /A/ ne sont pas au meme niveau : ce sera en e!et ce que je proposerai.
102
En particulier, la configuration proposee par la TE implique que l’Element /I/ et
l’Element /U/ ne puissent jamais se combiner en une expression vocalique, qui resulterait,
par exemple, en une des voyelles suivantes : [y], [œ] ou encore [ø].
Ainsi, l’operation /I.U/ ou /U.I/ est phonologiquement impossible en italien. Si ces
deux Elements sont forces a rester adjacents, la TE predit qu’un seul des deux peut
faire surface. Il faut quand meme souligner qu’on ne peut pas savoir lequel des deux sera
e!ectivement l’objet gagnant.
Nous avons donc une deuxieme question, a la lumiere de ces considerations. Pourquoi
a-t-on [i] en surface et non pas [u], etant donne que la TE interdit a l’italien la formation
d’une voyelle anterieure arrondie ?
Je propose que c’est /I/ l’Element gagnant lorsqu’il est en competition avec /U/ pour
faire surface. Plusieurs arguments existent en faveur de cette hypothese. Tout d’abord,
il faut considerer que [y] n’existe pas en italien, ni dans le lexique natif ni dans les mots
d’emprunt.
Ensuite, Valdman (1973) cite quelques exemples de creoles a base lexicale francaise
ou on peut observer le meme phenomene de remplacement : ‘depute’ [depyte] devient
[depite].
Ou encore, les emprunts grecs au latin, comme celui de anal[y]sis, montrent qu’en
latin, puisque [y] ne faisait pas partie de l’inventaire vocalique, [i] etait la voyelle qui le
remplacait. 29
Finalement, nous allons voir que la meme situation existe en bosnien, mais je le mon-
trerai dans le chapitre suivant. Il faut juste souligner le fait que les emprunts recents au
francais contenant [y] remplacent systematiquement cette voyelle par [i] : ‘bureau’ [byKo]
devient [biro]. 30
En conclusion, je considere que /I/ fait surface et que /U/ reste flottant, sans trouver
29. Dans toutes les langues romanes, le mot derive de analysis est prononce avec un [i].30. Jean Lowenstamm (C.P.) a attire mon attention sur le fait qu’en yiddish aussi l’on a a!aire a un
phenomene fort semblable : lorsque l’on pluralise a travers l’Umlaut des noms ayant un [u] ou un [o]toniques, leurs formes de pluriel montrent [i] et [e] a la place, respectivement, des voyelles attendues [y]et [ø]. Ceci parce qu’en yiddish [y] et [ø] sont phonologiquement impossibles, au sens de TE. Les deuxexemples suivants montrent cette situation : tux sg. vs. tix pl. ‘piece(s) de tissu’ et noz sg. vs. nezer pl.‘nez’.
Quant a l’italien, Passino (2009) propose la meme solution a ce probleme.
103
d’association possible a une ligne autosegmentale.
Nous pouvons maintenant porter notre attention sur le quatrieme probleme souleve
ci-dessus en (47-d), concernant en particulier le rapport entre les Elements additionnels
/A/, /I/ et /U/ et le genre.
Nous avons remarque que /A/ et /U/ sont toujours lies a un genre donne. Cette
situation est evidente en observant le tableau 2.9. Les hypotheses en (46) vont en e!et
dans cette direction, puisqu’elles proposent que /A/ marque le feminin et /U/ le masculin.
Maintenant, etant donnee une racine -par exemple#LUP- et etant donne son genre
-ici masculin-, nul ne peut dire si l’element qui y sera associe est /U/ plutot que /I/.
Inversement, nous savons que /A/ ne peut pas apparaıtre.
Or, l’italien a deux genres, sans aucun doute : le masculin et le feminin. 31 Ceci est
visible sur les determinants et l’adjectif, lorsqu’on observe les accords a l’interieur du
NP : 32
(48) L’accord dans le NP
a. lo/quellole/ce-M.sg
stancofatigue-M.sg
gattochat-M.sg
biancoblanc-M.sg
‘Le/ce chat blanc fatigue’
b. la/quellala/cette-F.sg
studiosasavante-F.sg
francesefrancais-sg
‘La/cette savante francaise
c. la/quellala/cette-F.sg
menteesprit-sg
superioresuperieur-sg
‘Le/cet esprit superieur’
d. le/quellela/cette-F.pl
mentiesprit-pl
superiorisuperieur-pl
‘Les/ces esprits superieurs’
31. Toutes les approches recentes a l’italien sont d’accord sur ce point, cf. Acquaviva (2009); Passino(2009); Ferrari (2005); Thornton (2001) parmi les plus significatives.32. L’article defini masculin a trois allomorphes au singulier. La distribution de chaque allomorphe est
geree par la phonologie : la forme [lo] etant exploitee devant des noms commencant par une sequence/s+C/ ([lo+skwalo] ‘le requin’), la forme [l] devant des noms commencant par une voyelle ([l+asino]‘l’ane’) et finalement, la forme [il] est utilisee devant des consonnes simples ([il+pane] ‘le pain’) ou desgroupes consonantiques du type /occlusive+liquide/ ([il+treno] ‘le train’). Larsen (1998) propose la formesous-jacente /ilo/.
104
Si les genres sont bien deux en italien, il est di"cile de penser que /U/, /A/ et /I/
puissent marquer le masculin et le feminin de facon univoque. Nous avons trois Elements
(plus zero, cf. poeta), mais deux genres. Pour cette raison, je pose que les hypotheses (46)
s’appliquent a tout le systeme des noms de l’italien. Ces deux hypotheses sont repetees
ci-dessous :
(49) Les marqueurs de genre :
a. l’Element /U/ marque le masculin ;
b. l’Element /A/ marque le feminin.
A la lumiere de ces hypotheses, nous devons expliquer l’alternance entre les marqueurs
de genre d’une part et l’Element /I/ ou l’absence d’Element, d’autre part. Comme nous
avons mentionne, cette alternance semble liee au type de racine choisie :#LUP impose
la presence de /U/, alors que#KAN celle de /I/. Ainsi, nous avons a!aire a un selection
de type lexical. Dans la section 2.5.1, je vais ra"ner les hypotheses en (49), en proposant
une interpretation des Elements additionnels liee a la notion de ! voyelle thematique ".
En conclusion, nous avons deux ensembles de noms. D’une part, ceux comme lupo
‘loup’ et rosa ‘rose’ et d’autre part, ceux comme poeta ‘poete’, cane ‘chien’ et nave ‘navire’.
Le premier ensemble contient les noms dont le genre est deductible a partir de Vfin, alors
que le deuxieme ensemble contient les noms marques par l’Element additionnel /I/ ou par
zero.
Cette situation est recapitulee dans la tableau ci-dessous :
Table 2.12 – Vfin : marqueur de nombre et Element additionnel
genre sg. El. add. exemple pl. El. add. exemple glosea M Asg U lupo Ipl U lupi ‘loup(s)’b F Asg A rosa Ipl A rose ‘rose(s)’c M Asg ø poeta Ipl ø poeti ‘poete(s)’d M Asg I cane Ipl I cani ‘chien(s)’e F Asg I nave Ipl I navi ‘navire(s)’
A partir de la section suivante, je vais montrer qu’on peut rendre compte du fonc-
tionnement et de la distribution des Elements additionnels si on suit ma proposition
105
d’interface entre la syntaxe et la phonologie, selon les principes que j’ai montres dans
le chapitre precedent lors de l’analyse de l’imparfait du francais et du verbe de l’arabe
classique (cf. supra sous-sections 1.4.4 et 1.5.3).
2.5 Elements, lexicalite et structures syntaxiques
Cette section vise quatre objectifs : d’abord proposer une hypothese sur le rapport
lexical entre une racine et un Element additionel, ensuite montrer la structure de base
d’un nom de l’italien et poser les VI pour les categories morphologiques apparaissant
dans un nom. Finalement, montrer la computation phonologique des exposants apres la
formation d’une tete complexe.
2.5.1 La notion de voyelle thematique
La ! voyelle thematique " (dorenavant VT) est un objet morphologique propre aux
noms et aux verbes des langues indo-europeennes. Il s’agit d’une voyelle associee aux ra-
cines verbales ou nominales n’ayant aucun role specifique autre que celui d’etre necessaire
pour des raisons de bonne formation du mot.
Ainsi, en indo-europeen, une racine peut etre caracterisee par la presence d’une voyelle
entre sa frontiere droite et les su"xes flexionnels. La sequence racine + VT a toujours
ete appelee ! theme " ou ! stem ". Cependant, des racines sans VT existent et elles ont
ete appelees ! athematiques " (cf. Benveniste 1984; Grundt 1978). Il s’agit pourtant d’un
objet mysterieux dont on connaıt la position et le comportement au fil de l’evolution
jusqu’aux langues modernes, mais dont on ne connaıt pas le role semantique. Il semble
s’agir d’un morpheme fonctionnel n’ayant aucune propriete morpho-semantique ; pour
cette raison, il est di"cile de considerer VT un morpheme au sens saussurien.
Dans ce travail, je propose que la distribution des Elements additionnels entrant dans
la formation de Vfin est en e!et liee a la propriete VT.
En particulier, il faut souligner qu’a l’interieur du paradigme de DM standard, Oltra-
Massuet (1999) a propose l’introduction d’une tete Th adjointe a toute categorie fonc-
tionnelle d’un verbe du catalan afin d’introduire les elements thematiques du verbe. Il
s’agit d’une hypothese importante que je reprends partiellement, mais je vais montrer que
la ! thematicite " est exprimee par la presence des Elements additionnels ainsi que d’un
106
trait [! VT], et non pas seulement par la presence d’une categorie syntaxique.
Considerons maintenant quelques proprietes importantes de VT.
Tout d’abord, une di!erence cruciale existe entre les VT des noms et celles des verbes :
ces dernieres doivent necessairement presenter une position thematique remplie, alors
qu’en ce qui concerne les noms, il en existe n’ayant pas de VT. Un exemple tire de
l’italien illustre facilement cette situation, en faisant la comparaison entre une racine tiree
du lexique natif#TIR ‘tir, tirer’ et une racine empruntee a l’anglais
#FILM :
Table 2.13 – VT en italien
nom sg. glose pl glosetiro ‘tir’ tiri tirs *tirfilm ‘film’ film films *film-o/i
verbe 1PS glose 2PS glose 3PS glosetiro ‘je tire’ tiri ‘tu tires’ tira ‘il tire’filmo ‘je filme’ filmi ‘tu filmes’ filma ‘il filme’
Etant donne une racine empruntee, telle#FILM, l’italien impose une VT lorsque celle-
ci entre dans une structure verbale : en particulier, le verbe filmare ‘filmer’ appartient a
la 1e conjugaison, comme tous les verbes formes a partir de noms d’emprunt. Ainsi, il est
impossible d’avoir un verbe sans VT entre la racine et les su"xes flexionnels.
Quant a un nom, il n’y a pas les memes contraintes : ainsi, aussi bien tiro ‘tir’ que
film ‘film’ sont bien formes, la seul di!erence etant le fait que, comme nous avons deja
remarque, les noms se terminant par une consonne sont invariables, cf. tableau 2.2.
Ce dernier point necessite une precision : du point de vue phonologique, les formes
*tir et film sont aberrantes, la deuxieme encore plus que la premiere. Pourtant film est
un nom bien forme, alors que ce n’est pas le cas pour *tir.
Par consequent, il est clair que nous avons a!aire a des contraintes morpho-syntaxiques,
liees a la structure du nom et du verbe, ainsi qu’a la structure des morphemes. La pho-
nologie n’a pas de responsabilite dans cette a!aire.
Ce point sera repris plus bas, lorsque l’on parlera des noms d’emprunts (cf 2.7.3), pour
107
l’instant, revenons a la discussion sur VT.
Une autre propriete interessante de VT des noms et des verbes est le fait qu’elle est le
reflet d’une exigence morphologique, n’ayant aucune valeur semantique (cf. Grundt 1978).
Prenons par exemple les verbes du latin, sachant que la racine#LAUD indique l’idee de
‘louange, louer’. Si on connaıt la racine et les morphemes flexionnels correspondant au
temps present de l’indicatif, par exemple, on ne peut pas predire sans faille quelle sera la
forme bien formee :
(50) VT en latin : le verbe
a. ‘louange, louer’ &%#LAUD
b. 2S !" -s
c. 1P !" -mus
d. ‘tu loues’ = *lauds
e. ‘nous louons’ = *laudmus
f. VT = a, a, e, e, etc..
Les bons resultats sont respectivement laudas et laudamus, alors que *laudemus ou
*laudemus ou encore *laudimus sont a exclure. La VT est une propriete lexicale et idio-
syncratique des racines.
Finalement, il est interessant de remarquer que le fait que VT est une propriete lexicale
la rapproche du genre, qui est aussi une propriete intrinseque aux racines des noms. En
reprenant le latin, si on considere les cinq declinaisons, chacune d’entre elles est marquee
par une VT specifique (cf. Meiser 1998) : la premiere ayant -a-, la deuxieme -o-, et ainsi
jusqu’a la cinquieme :
(51) VT en latin : le nom
a. VT = a : rosa, Ie ;
b. VT = o : lupus, IIe ; 33
c. VT = i ou zero : mens, civis, IIIe ;
33. La VT = o est visible a l’accusatif pluriel, par exemple, lupos. Quant au nominatif, des phenomenesphonologiques ont eu lieu entre la forme archaıque et celle du latin classique. Je ne considere pas cesproblemes ici.
108
d. VT = u : manus, IVe ;
e. VT = e : dies, Ve ;
Cependant, en latin, il y a un degre de predictibilite en ce qui concerne le genre. En
particulier, si on considere les deux premieres declinaisons, la premiere a une majorite de
noms feminins, alors que la deuxieme contient une majorite de masculins. La troisieme est
mixte, alors que la quatrieme et la cinquieme sont constituees, respectivement, par une
majorite de noms masculins (et neutres) et feminins. Du point de vue historique (Meyer-
Lubke 1890-1902; Tagliavini 1972; Rohlfs 1966-1969 parmi les plus importants), l’italien
a justement garde les trois premieres declinaisons, en les interpretant en tant que groupes
en [a], en [o] et en [e], respectivement.
Nous pouvons finalement revenir aux donnees de l’italien et aux Elements additionnels
/U/, /A/ et /I/.
A la lumiere de la discussion sur les proprietes de VI, je fais l’hypothese que les
Elements additionnels apparaissant dans Vfin sont les marqueurs de genre. Ainsi, /U/
est associe au M, alors que /A/ est associe au F, selon l’hypothese (46). Ensuite, le timbre
de l’Element additionnel peut varier, notamment en devenant /I/ ou zero. Ce changement
est l’expression de la propriete ! voyelle thematique ".
Ainsi, la structure accueille les Elements additionnels dans la tete n, puisque celle-la
est consideree comme la projection etant responsable de la nominalite. 34 Comme nous
venons de voir, VT est une propriete inherente aux noms, qu’on doit connaıtre.
En ce qui concerne l’italien, etant donne une racine, elle est associee a une propriete
lexicale VT qui influence l’exposant morphologique du genre. Il y a donc trois groupes :
le premier est caracterise par la distinction entre le masculin (/U/) et le feminin (/A/) ;
le deuxieme est caracterise par un seul Element qui n’est pas specifie pour le genre (/I/)
et, finalement le troisieme groupe est forme par les noms n’ayant aucun Element addi-
tionnel (ø), cf. poeta ‘poete’. Ces Elements seront dorenavant appeles ! elements de la
racine " (RE). Le tableau ci-dessous montre l’organisation des racines de l’italien selon
les trois groupes que je viens de distinguer :
34. Voir Kihm (2005) et Lowenstamm (2008) pour une interpretation semblable : la tete n est le genrepour ces auteurs.
109
Table 2.14 – Les racines de l’italien et leur Vfin
# groupe RE genre Vfin (sg./pl.) exemple glose
a#LUP 1 U M [o] vs. [i] lupo ‘loup’
b#ROS 1 A F [a] vs. [e] rosa ‘rose’
c#KAN 2 I M [e] vs. [i] cane ‘chien’
d#NAV 2 I F [e] vs. [i] nave ‘navire’
e#POET 3 zero M [a] vs. [i] poeta ‘poete’
La propriete VT correspond donc a la relation entre un RE et une racine donnee : cette
derniere selectionne le timbre de l’Element, par rapport au genre. Un nom masculin aura
/U/, /I/ ou zero, alors qu’un nom feminin ne pourra avoir que /A/ ou /I/. Nous verrons
plus tard (cf. section 2.6.1), comment cette situation peut etre formalisee a l’interieur de
notre approche.
Maintenant, nous pouvons deduire que chaque Vfin est le resultat d’un algorithme
de la forme suivante :
(52) Algorithme de Vfin
a. Vfin = [(Asg, Ipl) + (A, I, U, ø)]
b. ou :
(i) (Asg, Ipl) = marqueur de nombre ;
(ii) (A, I, U, ø) = RE, associes au genre/groupe
Il ne reste qu’a definir comment la structure peut associer le bon RE a une racine
donnee. Embick & Halle (2005) proposent d’etiqueter la racine avec ce qu’ils appellent
! diacritique ". Autrement dit, ils adjoignent aux racines des indices souscrits [i], [ii], [iii],
etc... indiquant la declinaison a laquelle la racine devra etre associee. Il s’agit sans aucun
doute d’une solution possible.
Mais ma proposition va dans une autre direction. En particulier, mon analyse prevoit
la decomposition de Vfin en elements primitifs, permettant ainsi d’associer un exposant
phonologique a une proprete lexicale, qui ne serait pas explicable sans cela. Par contre,
une solution avec un diacritique ne se pose pas le probleme de savoir quel est le bon
exposant, puisque celui-ci est deja code dans la racine.
Je propose donc qu’une tete Th est adjointe aux categories fonctionnelles en PF,
110
comme il est montre dans la sous-section suivante. A cette idee, on ajoute celle de Acqua-
viva (2008) des nœuds lexicaux (cf. anglais lexical nodes, L-nodes), selon laquelle l’on a
l’echange des informations lexicales lors de l’operation merge. Les racines sont depourvues
de toute information categorielle et morphophonologique, donc les diacritiques (c’est-a-
dire les informations qui ne sont pas pertinentes en syntaxe, comme l’appartenance a une
conjugaison donnee) doivent etre, a la limite, des proprietes des VI, et non pas des racines.
Ici, ceci se passe lorsqu’une racine donnee accomplit le merge avec la premiere tete
fonctionnelle au-desssus d’elle, c’est-a-dire nP.
Par consequent, chaque racine de l’italien est associee a un RE donne, qui se manifeste
lorsque la racine entre dans une structure de type nP. Quant a la propriete d’exhiber Vfin,
nous avons vu qu’un nom peut ne pas avoir cette voyelle en se terminant par une consonne.
Je pose que le fait de pouvoir avoir une voyelle finale est la consequence de la presence
du trait [!VT]. Par consequent, mon approche permet l’identification d’une typologie de
racines de l’italien, selon le type de RE qui sera epele lors du merge. En voici un schema :
(53) Typologie de racines de l’italien
a. x
#POET zero
[+VT]
b. x
#KAN I
[+VT]
c. x
#ROS A
[+VT]
d. x
#LUP U
[+VT]
En conclusion, les racines thematiques sont celles selectionnant le trait [+VT] ainsi
que le RE, alors que les racines athematiques sont celles selectionnant le trait [-VT].
La sous-section suivante montre les structures syntaxiques que je propose pour les
noms de l’italien.
2.5.2 Les structures syntaxiques des noms italiens
Nous sommes donc sur le chemin de la decomposition de Vfin. L’algorithme (52)
montre que chaque Vfin des noms de l’italien est formee par la fusion d’au plus deux
elements, dont un est obligatoirement le marqueur de nombre, Asg ou Ipl, et l’autre est
ce que j’ai appele Element additionnel. Ce dernier marque le genre, selon l’hypothese (49)
et fait surface en prenant quatre timbres di!erents : /U/, /A/, /I/ et zero.
111
Ainsi, reprenons les structures que j’ai presentees au debut de ma discussion theorique,
notamment la structure complete en (23) contenant deux projections fonctionnelles, nP
et numP. Elle est reproduite ci-dessous :
(54) Structure de base pour un nom
numP
num nP
n#RACINE
Au fil du chapitre precedent, j’ai montre qu’on peut concevoir un systeme realisationnel
base sur un rapport biunivoque entre une categorie et un exposant phonologique.
Ma proposition consiste en un modele d’interface entre la phonologie et la structure
syntaxique. La liste de VI enoncee plus haut (cf. (21)) n’est plus valable pour notre
analyse, puisqu’elle ne prevoit pas la decomposition de Vfin. Par consequent, le but est
de trouver des relations entre les Elements primitifs de Vfin et chaque nœud terminal de
la structure ci-dessus.
La structure de base doit donc renseigner les informations concernant la racine ainsi
que la propriete lexicale VT, le genre et le nombre.
En suivant la litterature, je propose que le nombre est place dans la tete num, alors
que le genre est dans n. 35
Ensuite, je propose que la propriete VT, exprimee par la presence du trait [!VT], est
introduite par la tete n, exactement comme le genre. En e!et, il s’agit de deux proprietes
qui dependent de la racine : cette derniere selectionne un genre donne mais aussi la
presence de la voyelle thematique ou son absence. La presence du genre et de VT dans n
est ainsi justifiee par un rapport de merge direct, exprimant la lexicalite. La racine impose
donc une valeur a chacun des deux morphemes [!F] et [!VT] introduits par n. 36
Finalement, nous devons nous occuper de la racine. A ce point de la derivation,
on n’a pas de materiel phonologique, ainsi la racine ne peut pas etre la sous sa forme
35. La litterature est tres vaste sur l’architecture de la structure nominale : Alexiadou (2004); Alexiadouet al. (2007); Calabrese (1998); Embick & Halle (2005); Embick (2010); Halle (1997a); Halle & Vaux(1998); Halle & Nevins (2009); Kihm (2002); Lowenstamm (2008); Noyer (1992) parmi les plus significatifs.36. Cf. Acquaviva (2008).
112
morpho-phonologique. Il faut donc supposer qu’il y a une matrice de traits phono-morpho-
semantiques qui sont ensuite interpretes au moment du passage a PF et LF a travers le
spell-out. 37
Par un souci de clarte, je considere que les racines sont des suites de segments associees
a un sens donne mais elles ne deviennent prononcables qu’a partir de la formation d’une
tete complexe, c’est-a-dire apres avoir ete epelees.
En reprenant la structure ci-dessus (54), je considere l’exemple lupo ‘loup’. La premiere
etape est figuree ci-dessous :
(55) Structure pour lupo ‘loup’ M, sg.
numP
num[-pl]
nP
n[-F]
[+VT]
#LUP
Dans la sous-section suivante, nous allons voir les exposants phonologiques des categories
morpho-syntaxiques presentes dans la structure ci-dessus (64).
2.5.3 La forme phonologique des exposants
En ce qui concerne l’interface syntaxe-phonologie qu’on decrit ici, je considere que
les nœuds terminaux sont associes a des portions de squelette CVCV, qui doivent etre
minimalement de la taille d’une syllabe CV (cf. Arbaoui 2010, Lowenstamm 2008 et
chapitre precedent sec. 1.6).
L’idee cruciale qu’on herite du modele CVCV est qu’une syllabe formee de la seule
sequence de deux positions CV peut etre un morpheme. L’association de chaque nœud
terminal a son exposant phonologique se fait lors du passage en spell-out.
Selon la theorie courante (cf. Chomsky 2005; Marantz 2001; Embick 2010), le spell-out
avance par phases, qui sont cycliques. Lorsqu’une phase est accomplie dans la derivation, le
37. Levinson (2010) est un exemple de tentative, a l’interieur du paradigme DM, de definir une ontologiedes racines d’un point de vue semantique.
113
contenu de son complement est envoye au spell-out qui lui donne une forme phonologique,
en bloquant toute autre operation. Nous avons montre les lignes de ce systeme dans le
chapitre precedent.
Maintenant, la theorie CVCV prevoit l’existence de morphemes contenant seulement
des (auto)segments, ou bien seulement des morceaux de squelette, ou encore des morphemes
mixtes, ou les segments peuvent deja etre associes aux positions C et V.
A ce sujet, Bendjaballah & Haiden (2008) ont propose une typologie du mecanisme
de spell-out, en s’appuyant sur des donnees du berbere. Leur travail propose une serie
de formes abstraites pour les morphemes en utilisant, a la fois, les outils de la theorie
phonologique CVCV et de la DM standard. Leur hypothese consiste a considerer les
quatre types de spell-out suivants :
(56) Typologie de spell-out
a. l u p
b. C V C V
c. l u p
C V C V
d. zero
Dans le premier cas, on a l’epel d’une sequence de segments adjacents, sans support
squelettal : autrement dit, ces segments sont inaudibles, dans les termes de la phonologie
autosegmentale.
Le deuxieme cas concerne l’epel d’une ou plusieurs syllabes CV. Il s’agit seulement de
positions pretes a accueillir des (auto)segments flottants.
Le cas suivant, celui du spell-out combine correspond au cas standard, c’est-a-dire a
un exposant phonologiquement independant, puisqu’il est audible, grace au fait que les
segments sont epeles en etant deja associes a des positions squelettales. 38
Finalement, on a le cas du silence, ou aucun objet phonologique n’est epele : il s’agit
du cas du morpheme-zero, comme on en verra dans ce travail.
Nous avons maintenant a proposer un type de spell-out pour chaque propriete mor-
38. Les autosegments peuvent, bien evidemment, etre aussi epeles avec des positions C et V mais sansy etre associes.
114
phologique de l’italien. La liste compte la racine, le nombre, les RE (lies au genre) et
VT.
En ce qui concerne les racines de l’italien, je propose de considerer qu’elles ont leur
propre gabarit, ainsi ayant le spell-out de type (56-c) (cf. le cas du francais, supra sec.
1.4.4). L’argument principal decoule de la constatation que la structure syllabique des
racines de l’italien n’est pas predictible, ne suivant aucun patron particulier. Il y a des
racines se terminant aussi bien par une voyelle comme#MARE (cf. marea ‘maree’) que
par une consonne comme#LUP (cf. lupo ‘lupo’), ou bien il y a des racines ayant des
syllabes fermees comme#TEST (cf. testa ‘tete’) etc.. Puisqu’on ne peut pas predire la
melodie syllabique, il est coherent de poser que celle-ci est codee dans l’entree lexicale.
Pour un souci de clarte, le VI d’une racine de l’italien est illustre ci-dessous en prenant
l’exemple de lupo ‘loup’ :
(57) ‘loup’ !" L U P
C V C V
Les deux morphemes rentrant dans Vfin sont, quant a eux, d’un type di!erent. Je
postule qu’ils sont du type (56-a), celui des exposants sans aucun squelette. Ainsi, au
passage en spell-out, ces Elements sont epeles sans leur portion de gabarit. Donc, ils
doivent trouver une position afin de faire surface.
A premiere vue, on pourrait penser que cette position est la position V vide dans la
representation des racines, qui est souvent vide puisqu’une bonne partie des racines se
terminent par consonne dans la langue.
Cependant, a chaque fois qu’une position de ce type est libre, Vfin n’est pas forcement
presente : c’est le cas de film, deja mentionne, ayant la representation suivante dans les
termes de la phonologie CVCV :
(58) Representation phonologique de film ‘film’ M, sg/pl
f i l m
C V C V CV
Comme l’on peut voir, le dernier point vocalique V est libre dans le squelette du nom
ci-dessus.
Inversement, les noms comme marea ont une racine n’ayant pas de positions V libres :
115
(59) Representation phonologique de la racine de marea ‘maree’ F, sg
m a r e
C V C V
Pourtant, marea a une Vfin bien visible : [a].
Je propose donc de considerer que les Elements formant Vfin sont bien des autoseg-
ments epeles sans aucune portion de gabarit et je propose aussi que le site d’association
pour Vfin est une syllabe CV epelee independement. Cette syllabe est bien evidemment
un spell-out de type (56-b).
Maintenant il faut observer que, lorsque cette syllabe CV est epelee, le nom va avoir
une Vfin en surface, inversement aucune Vfin n’est possible, puisqu’il n’y a pas de site
prepare a cette fin.
Par consequent, je propose que CV est le spell-out du trait [+VT], alors que [-VT] a
un spell-out nul ou zero.
Selon la typologie des racines de l’italien montree en (53), une racine est thematique
si elle est associee, lorsqu’elle entre dans une strucutre, au trait [+VT]. La consequence
de ce fait implique notamment la presence d’une syllabe CV qui est le site de realisation
de Vfin.
Finalement, je peux donner la liste exhaustive de VI pour l’italien :
(60) VI pour l’italien
a. [-pl] !" Asg
b. [+pl] !" Ipl
c. [-F] !" U
d. [+F] !" A
e. [+VT] !" CV
La liste de VI presente trois avantages remarquables.
Le premier concerne le nombre d’entrees que l’on a par rapport a la premiere liste (cf.
(21)), cinq contre sept.
Le deuxieme concerne le fait que chaque exposant phonologique correspond a une seule
propriete morphologique : c’est-a-dire qu’on a etabli une correspondance directe entre une
116
categorie et un exposant.
Finalement l’on ne doit plus postuler la condition ‘ailleurs’ (Elsewhere Condition),
qui est importante en DM standard, puisque ces objets ne sont pas en competition pour
l’insertion au sens de Embick & Marantz (2008).
Mon approche est a la fois plus contrainte et plus economique.
La sous-section suivante illustre la linearisation des exposants phonologiques lors de
la formation des tetes complexes.
2.5.4 La linearisation et la computation phonologique
Cette sous-section montre la formation de tetes complexes ainsi que la facon dont les
exposants se combinent entre eux avant de faire surface.
Comme on a deja eu l’occasion de le montrer a plusieurs reprises, une tete complexe
ne correspond qu’a une seule tete syntaxique, ou les niveaux de projection sont annules
et ou l’ordre des morphemes devient celui qui est e!ectivement atteste en surface.
En termes de phonologie SPE, cette etape correspond a la forme sous-jacente des
phonemes (et des morphemes). 39 Puisque la tete complexe contient les exposants pho-
nologiques qui ont ete inseres au moment du spell-out, elle est donc le lieu de l’interface
entre la structure et la forme.
La tete complexe est ainsi le produit de la derivation syntaxique : a partir de ce
moment-la, la computation phonologique peut avoir lieu selon mon hypothese illustree au
chapitre precedent (cf. ex. 1.5).
Quels sont les phenomenes qui peuvent avoir lieu une fois la derivation syntaxique
achevee ? La reponse est simple, puisqu’elle decoule de l’architecture proposee : on peut
avoir toute sorte de phenomenes phonologiques manipulant les segments ainsi que les
gabarits, selon le modele autosegmental et CVCV.
En reprenant la structure de lupo ‘loup’ montree en (64), nous pouvons ainsi deriver
la tete complexe pour ce nom. La tete complexe est donc formee lors du passage de la
structure en PF.
Je propose que le materiel phonologique est introduit par des nœuds Th adjoints a
chaque projection fonctionnelle selon les lignes de la proposition de Oltra-Massuet (1999).
39. Cf. Scheer (2008) pour une discussion a propos du rapport entre la forme sous-jacente et la structurea travers la litterature generative la plus importante.
117
Les sections suivantes aideront a comprendre l’utilite d’un tel choix.
La tete complexe de lupo est montree ci-dessous :
(61) Tete complexe pour lupo, Vfin = Asg + /U/
num
num Th
n num Asg
n Th
#LUP n [MU]
[VTCV]
Chaque matrice de traits est associee a l’exposant correspondant selon la liste de VI
montree en (60).
Ainsi, nous avons l’exposant du sg. Asg sous le nœud num et les exposants du genre
et de la propriete VT (respectivement /U/ et CV) sous le nœud n.
La linearisation ainsi que la computation phonologique entre les exposants suit la
formation d’une tete complexe. Je montre la linearisation de lupo ‘loup’ en ce qui suit :
(62) Linearisation phonologique pour lupo M, sg.
Nombre Asg
Genre U
Racine l u p
Gabarit C V C V + CVVT [lupo]
Les exposants se combinent entre eux selon les principes de la TE et ensuite aux
positions C et V selon les principes de la phonologie autosegmentale.
Ainsi, nous avons montre que les Elements peuvent etre interpretes en tant qu’ex-
posants morpho-syntaxiques, et nous avons propose une hypothese sur l’exposant de la
118
propriete VT. Ensuite, nous avons montre que le systeme de formation du nom propose
par DM peut etre integre aux propositions defendues dans ce travail.
Maintenant, nous devons illustrer le fonctionnement de l’integralite du systeme pro-
pose, notamment en expliquant l’allomorphie des exposants de genre. Nous devons aussi
montrer les predictions que notre mecanisme fait concernant d’autres aspects du systeme
morphologique de l’italien.
La section suivante est dediee a ces objectifs.
2.6 Le mecanisme de formation des noms
Cette section illustre le fonctionnement du mecanisme de formation des noms que je
propose. Ce mecanisme se base sur les hypotheses avancees lors de la section precedente.
En particulier, nous allons partir de la structure (54) et de la liste des VI (60).
Ainsi, les trois parties de cette section completent notre chemin d’investigation. D’abord,
je montre les analyses des noms ayant Vfin = [a] et Vfin = [e] ; ensuite je propose de
tester le pouvoir de mes analyses en regardant le comportement du diminutif. Finalement
je montrerai que mon analyse peut etre appliquee aux verbes et aux deverbaux.
2.6.1 Les noms variables
Sur la base des propositions illustrees dans la section precedente, le fonctionnement
du mecanisme de formation d’un nom peut se resoudre a trois etapes :
(63) Mecanisme de formation d’un nom
a. La structure syntaxique proprement dite ;
b. Le spell-out des nœuds terminaux ;
c. La creation d’une tete complexe.
Cette sous-section vise a generaliser ce systeme a tous les noms variables de l’italien.
Dans la premiere etape, les traits [!pl], [!F] et [!VT] sont integres a la structure
montree en (54), que je repete ici pour rosa ‘rose’, cane ‘chien’ et poeti ‘poetes’.
119
(64) Structure de base pour rosa ‘rose’ F sg, cane ‘chien’ M sg et poeti ‘poetes’ M pl.
a. numP
num[-pl]
nP
n[+F][+VT]
#ROS
b. numP
num[-pl]
nP
n[-F]
[+VT]
#KAN
c. numP
num[+pl]
nP
n[-F]
[+VT]
#POET
Ensuite, le spell-out a lieu.
Les racines des trois noms rosa ‘rose’, cane ‘chien’ et poeti ‘poetes’ ont les VI suivants,
selon ce que j’ai propose pour lupo en (57) (cf. la typologie de spell-out en (56-c)) :
(65) VI pour les racines de l’italien
a. ‘rose’ !" R O S
C V C V
b. ‘chien’ !" K A N
C V C V
c. ‘poete’ !" P O E T
C V C V C V
Quant aux autres VI indispensables a la bonne formation d’un nom, il s’agit de la
meme liste montree plus haut en (60). Cette liste est repetee ci-dessous :
(66) VI pour l’italien
a. [-pl] !" Asg
b. [+pl] !" Ipl
c. [-Fl] !" U
d. [+F] !" A
e. [+VT] !" CV
En suivant l’hypothese centrale de ce travail, les VI ci-dessus en (65) et en (66) se
combinent entre eux afin de construire un nom bien forme apres la creation d’une tete
120
complexe.
Voyons alors comment tout cela se deroule, en prenant le premier des trois exemples
que nous sommes en train de discuter : rosa ‘rose’. La tete complexe suivante peut etre
derivee (cf. la premiere approximation en (61)) :
(67) Tete complexe pour rosa F, sg.
num
num Th
n num Asg
n Th
#ROS n [VTCV]
CVCV [FA]
La tete complexe ci-dessus montre que les nœuds terminaux sont associes aux expo-
sants phonologiques, selon les predictions des VI en (66). La facon dont ces exposants se
combinent est illustree en ce qui suit :
(68) Linearisation phonologique pour rosa F, sg.
Nombre Asg
Genre A
Racine R O S
Gabarit C V C V + CVVT [rosa]
Cette representation est coherente avec nos hypotheses et elle montre clairement l’idee
de l’association entre un exposant phonologique et un seul nœud terminal : lors de la
computation phonologique, on assiste en fait a la fusion de deux exposants phonologiques
afin de former une seule voyelle : [a].
121
Une precision s’impose en regardant la linearisation de la forme rosa. Pourquoi Asg
n’est pas associe a la position vocalique vide sur le gabarit de la racine ? Nous avons deja
discute de ce point dans la section 2.5.3, en particulier en montrant les exemples film et
marea, jouant contre l’hypothese que la position de Vfin soit le V vide dans le gabarit de
la racine. Pour cette raison, j’ai propose la presence d’un CV externe et independant des
positions vides a l’interieur du gabarit radical. Cet argument sera repris lorsqu’on traitera
les emprunts en italien (cf. section 2.7.3).
Maintenant, nous devons nous occuper des alternances entre les exposants de genre
/U/ et /A/ d’une part, et l’Element /I/ (cf. (69) ou nave) ou zero (cf. poeta) d’autre
part. Nous avons vu que cette alternance ne depend que de la racine, et nous l’avons
reliee a la propriete VT. Ainsi, nous pourrions interpreter ce phenomene comme un cas
d’allomorphie, ou le marqueur de genre attendu ne fait pas surface, mais est remplace par
un autre objet.
En ce sens, je fais l’hypothese que /I/ et zero sont le resultat d’une regle d’allomorphie
du type propose par Embick (2010).
Les regles d’allomorphie s’appliquent entre les objets phonologiques et agissent entre
deux objets se trouvant dans la meme phase. La condition requise est une stricte adjacence
lineaire entre les nœuds terminaux responsables de declencher l’allomorphie. 40 Ainsi, dans
la tete complexe (67) plus haut, la racine#ROS est adjacente au contenu du nœud Th
adjoint a la tete n puisque ces deux objets se trouvent dans la meme phase (dont n est
la tete) et puisqu’ils sont lineairement adjacents. 41
En conclusion, les marqueurs de genre en italien sont bien deux : /U/ pour le masculin
et /A/ pour le feminin.
Les noms cane ‘chien’ M sg. et poeta ‘poete’ M sg. peuvent donc etre expliques a l’aide
d’une regle d’allomorphie. Au moment de la computation phonologique on a les deux
structures suivantes, respectivement (69) pour cane M, sg et (70) pour poeta M, sg :
40. Cf. Embick (2010 : 20-21).41. Cf. Embick (2010 : 29-49).
122
(69) Tete complexe de cane M, sg.
num
num Th
n numAsg
n Th
#KAN n [VTCV]
CVCV [-FU]
(70) Tete complexe de poeta M, sg.
num
num Th
n numAsg
n Th
#POET n [VTCV]
CVCVCV [-FU]
Selon l’application du VI correspondant au masculin ([-F] !" U), le trait [-F] est
epele en tant que /U/ dans les deux cas montres ci-dessus. La prediction a propos de
Vfin est que celle-ci sera [o] dans les deux cas.
C’est a cet endroit que les regles d’allomorphie entrent en jeu. Comme nous avons vu,
elles operent sur les sequences phonologiques, tout en tenant compte de la position des
nœuds qui introduisent les VI. Ainsi, on a une neutralisation de l’alternance U vs. A en
faveur soit de I, soit de zero.
Voici les regles que je propose :
(71) Regles d’allomorphie
a. U, A $% I /#KAN,
#NAV,
#DENT, etc..
b. U, A $% zero /#POET,
#PROBLEM etc..
Leur application prepare ensuite l’input pour la computation phonologique, representee
ci-dessous :
123
(72) Linearisations pour cane M, sg et poeta M, pl.
Nombre Asg
Genre I
Racine K A N
Gabarit C V C V + CVVT
[kane]
Nombre Asg
Genre ø
Racine P O E T
Gabarit C V C V C V + CVVT
[poeta]
Comme nous l’avons mentionne plus haut, pour que les regles d’allomorphie s’ap-
pliquent, il faut que l’exposant subissant l’allomorphie soit adjacent a celui qui la declenche.
Pour le cas en question, s’agissant respectivement de U et de la racine, ces deux objets
sont bien adjacents selon la condition de localite exprimee ci-dessous :
(73) Adjacence : racine!U,A. 42
La prediction qu’on fait a travers cette condition est remarquable : lorsque l’adjacence
n’est pas verifiee, on doit s’attendre a ce qu’aucun phenomene d’allomorphie ne soit
observe. La sous-section suivante va justement illustrer des cas de ce type.
2.6.2 Les diminutifs
L’analyse menee jusqu’ici ne prend pas en compte les noms derives comme, par
exemple, les diminutifs.
La derivation sur base nominale est un processus tres productif en italien, et elle est
caracterisee par un nombre assez eleve de su"xes derivationnels disponibles. Je montre
quelques exemples ci-dessous, a partir de la racine#PAST :
(74) Quelques noms :
a. pasta ‘pates’
b. pastaio ‘celui qui fait les pates’
c. pastella ‘pastelle’
d. pasticcio ‘tourte’
42. Le symbole ! ! " indique l’adjacence.
124
e. pastina ‘petites pates’
f.#PAST
Dans l’exemple (74-a) on a un nom non-derive, alors que les deux en (74-b) et (74-e),
par exemple, sont clairement formes a partir de la meme racine (74-f).
Cependant, la question qui nous interesse ici concerne la voyelle finale d’un nom derive.
En particulier, il faut comprendre s’il y a un rapport entre la voyelle finale d’un nom derive
et la racine de base et si on peut predire le timbre de cette voyelle par rapport au genre et
au nombre. En ce qui concerne les noms simples, nous avons vu qu’etant donne une racine,
le timbre de Vfin n’est que partiellement predictible. Autrement dit, on doit connaıtre
la liste d’application des deux regles d’allormophie (71), toutes choses etant egales, afin
de predire correctement la forme de surface de Vfin.
Maintenant, je propose de se concentrer sur le comportement des voyelles finales des
diminutifs, puisqu’ils sont tres productifs en italien. Dans le tableau qui suit, on montre
un corpus de noms a leur forme de base ainsi qu’a leur forme de diminutif :
Table 2.15 – Les diminutifs en italien
singulier plurielgenre basique dim. basique dim. glose
1 M vaso vasino vasi vasini ‘vase’2 F rosa rosina rose rosine ‘rose’3 M dente dentino denti dentini ‘dent’4 F nave nave navi navine ‘navire’5 M poeta poetino poeti poetini ‘poete’6 M film filmino film filmini ‘vase’
L’observation fondamentale concerne le timbre de Vfin lorsqu’on a une forme de
diminutif : la presence de ce dernier implique la predictibilite totale de la voyelle qui
apparaıt a la finale, sans exception. Meme si on prend le seul nom se terminant en [o] en
etant feminin mano ‘main’, on aura un diminutif “regulier” : manina ‘petite main’ sg. et
manine ‘petites mains’ pl.
Afin de mieux voir cette situation, voici un tableau ne contenant que les occurrences
de Vfin a la forme de base et celle des voyelles apparaissant dans les diminutifs :
125
Table 2.16 – Voyelles finales des diminutifs
singulier plurielgenre basique dim. basique dim. glose
1 M [o] [a] [i] [i] F lupo2 F [a] [a] [e] [e] F rosa3 M [e] [o] [i] [i] F dente4 F [e] [a] [i] [e] F nave5 M [a] [o] [i] [i] M poeta6 M * [o] * [i] M film7 F [o] [a] [i] [e] F mano
Ces faits amenent a une conclusion simple :
(75) Lorsqu’on a un diminutif, Vfin = [o] si le nom est M et Vfin = [a] si le nom est
F, independement du timbre de Vfin du nom de base.
En suivant De Belder et al. (2010) et Lampitelli (2010), je considere que la tete Lex
introduit le morpheme du diminutif, ici -in, qui entre en rapport de merge direct avec
la racine. 43 Cette premiere operation inhibe la possibilite, pour la racine, d’avoir une
influence sur le timbre du RE, puisque ce dernier se trouve sous le nœud Th adjoint a la
tete n. Par consequent, les regles (71) sont a priori bloquees.
Voici donc la structure de base pour un diminutif :
43. Wiltschko & Steriopolo (2007) ont propose aussi une typologie de diminutifs par rapport a leurposition dans la structure.
126
(76) Structure de base pour un diminutif
numP
num nP
n LexP
Lex#RACINE
[!pl] [!F][!VT]
Dim
Sur la base de cette structure on derive une tete complexe, tout comme pour les noms
simples.
Le spell-out du diminutif est de type complexe, celui forme aussi bien d’autosegments
que de positions squelettales (comme les racines, cf. (56-c)). Les morphemes du diminutif
sont des objets ayant aussi un contenu semantique (par exemple, l’idee de “petit”) : en
ce sens, ils sont a rapprocher des racines. 44 Ces morphemes sont aussi lexicalises dans
plusieurs langues, y compris en italien. Par exemple, cf. pane ‘pain’ et panino ‘sandwich’
ou encore aquila ‘aigle’ et aquilone ‘cerf volant’. 45 Cette situation justifie donc le spell-out
de type complexe.
La forme du VI du DIM est montree ci-dessous :
(77) VI pour le diminutif : DIM !" C V
i n
Voici les representations d’un nom feminin ayant Vfin = [a] (rosina ‘petite rose’ F,
sg.) et d’un nom masculin ayant Vfin = [e] (dentino ‘petite dent’ M, sg.) :
44. Pour plus de details sur le statut des morphemes derivationnels, cf. Lowenstamm (2010).45. De Belder et al. (2010) proposent un merge direct entre la racine et lex0 en s’appuyant sur ces
donnees.
127
(78) Tetes complexes du diminutif
a. num
num Th
n num Asg
n Th
Lex n [VTCV]
# Lex [FA]
ros in
CVCV CV
b. num
num Th
n num Asg
n Th
Lex n [VTCV]
# Lex [-FU]
dent in
CVCVCV CV
Les deux tetes complexes ci-dessus montrent que l’exposant du diminutif se trouve
entre la racine et la tete n. Ainsi, la racine et le contenu de Lex sont epeles dans la meme
phase, dont n est la tete.
128
Maintenant, puisque la racine#DENT fait partie du groupe de racines declenchant
la regle d’allomorphie (71-a) (U, A $% I), nous nous attendons a ce que la marqueur U
du masculin devienne I dans le contexte de cet objet.
Or, la condition sur l’adjacence (73) n’est pas satisfaite, puisque la racine#DENT
n’est pas adjacente au marqueur de genre U, a cause de la presence de -in dans Lex.
Alors, la prediction est que dans le contexte du diminutif, le marqueur du masculin U fait
surface. Par consequent, la voyelle finale est /Asg.U/=[o].
Cette situation est montree dans les representations suivantes, ou la linearisation de
rosina et dentino sont illustrees :
(79) Linearisation de rosina et dentino
a. Nombre Asg
Genre A
Diminutif i n
Racine r o s
Gabarit C V C V + C V + CVVT [rosina]
b. Nombre Asg
Genre U
Diminutif i n
Racine d e n t
Gabarit C V C V C V + C V + CVVT [dentino], [*dentine]
Comme on voit ci-dessus dans la representation des linearisations, la premiere voyelle
du diminutif doit forcement etre associee au slot V libre dans le gabarit de la racine (sou-
ligne en (79)). Or, il semblerait que cette position puisse enfin etre occupee, contrairement
a ce qu’on avait statue, c’est-a-dire que cette position etait indisponible a la flexion. Ce-
pendant, comme l’on vient de le rappeler, le diminutif si bas n’est pas considere comme
etant flexionnel (cf. De Belder et al. 2010). En outre, le contenu de la racine et celui de la
tete Lex sont epeles au meme moment, puisqu’ils sont dans la position de complement de
129
n, qui est la tete de la premiere phase. Cette situation est favorable a ce que cette position
puisse eventuellement etre occupee par du materiel epele a l’interieur de la meme phase.
Le diminutif est donc un argument en faveur de notre analyse, d’autres exemples
similaires seront tires ulterieurement des noms du bosnien, dont le diminutif presente
aussi un paradigme tres interessant.
La sous-section suivante s’occupe de montrer un test ulterieur afin de montrer la
validite de mes hypotheses.
2.6.3 Un test croise
La derniere etape de l’analyse des noms variables passe a travers un test croise qui
part de l’idee generale que si on a un nom, un verbe et un nom deverbal partageant la
meme racine, ils doivent bien contenir des bouts egaux de structure.
Je propose de prendre un nom simple, un verbe et un deverbal formes sur la racine#CACCI : caccia ‘chasse’, cacciare ‘chasser’ et cacciatore ‘chasseur’. 46
En suivant notre hypothese en (67), le nom F sg. caccia doit etre represente de la
maniere suivante :
(80) Tete complexe de caccia ‘chasse’ :
num
num Th
n num Asg
n Th
#CACCI n [VTCV]
CVCVCV [FA]
La linearisation est montree ci-dessous :
46. Nota : la racine en question est prononcee : [kattS], le < i > n’etant qu’orthographique.
130
(81) Linearisation de caccia ‘chasse’ :
Nombre Asg
Genre A
Racine k a t tS
Gabarit C V C V C V + CVVT
L’etape suivante concerne la comparaison entre la structure du nom ci-dessus et celle
du verbe cacciare ‘chasser’ qu’on represente a une forme conjuguee, la 3eme du singulier
de l’imparfait : cacciava ‘(il) chassait’. 47
Une liste possible de VI est la suivante :
(82) VI pour un verbe italien :
a. [+VT] !" CV
b. groupe 1 !" A
c. 3S !" A
d. imparfait !" v
C V
Le premier VI correspond a la propriete VT qui est propre aux racines de l’italien,
comme il a ete montre plus haut : je postule ainsi sa presence, puisqu’il s’agit de la meme
racine employee dans le nom caccia plus haut. L’entree (82-b) correspond a l’exposant [a],
propre au premier groupe. Selon la meme approche que pour les noms, on scinde la voyelle
thematique traditionnelle en deux objets plus abstraits. L’hypothese qu’on fait pour les
verbes est qu’ils ont obligatoirement une position VT (due a la syllabe CV de l’entree
correspondant au trait [+VT]) et que par consequent, l’entree (82-b) est a considerer
comme etant la marque du groupe (en parallele avec le genre dans les noms).
Ensuite, on a le VI (82-c). Je suis Boye (2000) qui a demontre qu’a travers la TE, on
peut deduire que le marqueur de la troisieme personne du singulier dans les verbes est
/A/. Finalement on a /-v-/, marqueur de l’imparfait qui doit avoir sa portion de gabarit
deja presente dans la representation. 48
47. Je choisis l’imparfait pour une raison tres simple : la tete T0 (temps) est remplie, alors qu’au presentce ne serait pas le cas.48. Il va de soi que l’analyse presentee predit que le morpheme /A/ propre a la troisieme personne du
131
Une fois ces entrees etablies, je vais montrer la tete complexe et la linearisation pour
le verbe flechi en question. Voici une possible representation de la tete complexe :
(83) Tete complexe de cacciava ‘(il) chassait’ 3S de l’imparfait
T
T Agr
v T [3psA]
v Th CV
#CACCI v [VTCV] v
CVCVCV [gr.1A]
La linearisation des exposants est montree ci-dessous :
(84) Linearisation de cacciava ‘(il) chassait’ 3S de l’imparfait
3PS A
Temps v
Groupe A
Racine k a t tS
Gabarit C V C V C V + CVVT+ C V [kattSava]
L’utilite du test propose apparaıt lors de l’analyse de la troisieme forme qu’on construit
sur la racine#CACCI : il s’agit d’un nom deverbal se terminant en -(t)ore, correspondant
grossierement au morpheme francais -eur.
Afin de rendre compte des cas de nominalisations comme celui-ci, la theorie syntaxique
singulier doit etre analyse en deux objets ulterieurs, un correspondant au nombre et l’autre a la personneseule. Ce travail n’etant pas dedie a la morphologie verbale, on ne considerera pas ce point en detail. Onnotera qu’on pourrait postuler qu’un des deux morphemes abstraits est phonologiquement zero sans quececi ne change notre analyse.
132
courante (cf. Alexiadou et al. 2007) propose de postuler la presence d’une tete v ainsi que
d’une tete n dans la structure du nom. Ceci correspond donc a deux phases : la premiere
inclut la racine et la tete verbale, la deuxieme contient la tete nominale et la morphologie
flexionnelle liee.
La structure d’une nominalisation agentive de ce type peut etre comme il est montre
ci-dessous :
(85) Nominalisation en italien : le su"xe -(t)ore
numP
num nP
n vP
v#RACINE
[!pl] /tor/[+VT][groupe 1]
La tete v contient le trait [+VT], comme dans la representation de cacciava en (80).
Le su"xe de l’agentif, -(t)or est introduit par la tete n, puisqu’il s’agit du morpheme
responsable de la nominalisation du segment de structure verbale vP.
Quant a la voyelle finale, elle ne peut pas etre imposee par la racine#CACCI. En
e!et, la regle (71) ne peut pas s’appliquer, parce que la racine n’est ni adjacente a la tete
n, ni dans la meme phase que la tete n : ces deux situations sont dues a la presence de la
tete v.
Par consequent, le nœud Th sera adjoint a la tete n en PF, mais celui-ci ne contiendra
pas les epels des traits de genre et de VT exiges par la racine, mais ceux imposes par
/tor/ meme. Ainsi, /tor/ declenche lui-meme la regle d’allomorphie (71-a), puisqu’il est
adjacent au marqueur de genre /U/.
Finalement, la tete num introduit le trait de nombre. Ce trait doit etre interprete
isolement sans postuler de fusion avec d’autres projections. Il est important de remarquer
que si on n’avait pas fait l’hypothese d’une scission entre le nombre et le genre/groupe, on
devrait postuler un seul VI pour la sequence /tor+I+A/ = [tore], mais aussi l’application
133
de la fusion entre les traits de n et ceux de num. 49 Une approche qui decompose les objets
morphologiques en plusieurs elements de base permet donc une vision plus generalisee et
plus precise.
On a pose que la forme sous-jacente du morpheme nominaliseur est /tor/ meme si ni
les theories, ni les auteurs ne s’accordent sur ce point. 50 Ainsi, notre VI est le suivant :
(86) VI de l’agentif : agentif !" t o r
C V C V
La tete complexe, s’etablit comme suit :
(87) Tete complexe pour cacciatore ‘chasseur’
num
num Th
n num Asg
n Th
v n CV
v Th CVCV [-FU]
#CACCI v [[VT]CV] tor
CVCVCV [gr.1A]
La linearisation de cacciatore ‘chasseur’ est montree ci-dessous :
49. L’approche ssp pourrait predire une seule entree [tore] pour le nœud non-terminal numP (en faisantmonter la racine en PF), en evitant ainsi fusion. Cependant, on perdrait toute generalisation sur lesexposants de genre, de nombre ainsi que sur la forme sous-jacente du morpheme /tor/.50. Cf. par exemple une analyse en OT : Burzio (2003).
134
(88) Linearisation de cacciatore ‘chasseur’ M, sg.
Nombre Asg
Genre I
Agentif t o r
Groupe A
Racine k a t tS
Gabarit C V C V C V + CVVT+ C V C V + CVVT [kattSatore]
Les trois exemples caccia, cacciava et cacciatore montrent que les hypotheses sur le
fonctionnement du mecanisme de la formation d’un nom suivent un chemin correct. En
outre, nous pouvons remarquer que la structure de caccia ‘chasse’ en (80) est identique a
la structure du su"xe nominaliseur -tore, montree ci-dessus en (87).
Le su"xe -tore se comporte donc comme un nom, en imposant l’allomorphie a l’Element
additionnel marquant le genre, exactement comme le nom simple et non derive cane
‘chien’.
Ainsi se termine cette section cruciale pour notre travail, puisqu’elle a montre que
la theorie enoncee au premier chapitre (cf. section 1.6) rend compte de tous les noms
variables de l’italien.
Ce qui suit est dedie a l’etude des noms invariables.
2.7 Les noms invariables
Cette section est dediee a l’analyse des noms invariables (tableau 2.2), qui avaient
ete mis a l’ecart afin de mieux se concentrer sur le probleme de l’alternance vocalique
observee a la finale des noms dits pour cela “variables”.
Bien que les noms invariables soient tres minoritaires, il convient d’en rendre compte
a l’aide de l’analyse proposee dans ce travail. Pour la clarte, je repete les donnees dans le
tableau ci-dessous :
135
Table 2.17 – Noms invariables
genre singulier pluriel glose1 M stereo stereo ‘chaıne hi-fi’2 F moto moto ‘moto’3 M mitra mitra ‘mitraillette’4 F siga siga ‘cigarette’5 M pome pome ‘apres-midi’6 F specie specie ‘espece’7 M brindisi brindisi ‘tost’8 F crisi crisi ‘crise’9 M falo falo ‘foyer’10 F popo popo ‘excrement’11 M para para ‘parachutiste’12 F citta citta ‘ville’13 M ca!e ca!e ‘cafe’14 F merce merce ‘grace’15 M menu menu ‘menu’16 F virtu virtu ‘vertu’17 M supplı supplı ‘boulette de riz’18 F pipı pipı ‘urine’19 M bar bar ‘bistrot’20 F e-mail e-mail ‘courriel’
Quelques precisions s’imposent a la vue de ces donnees, compte tenu des analyses deja
e!ectuees. Ainsi, nous pouvons remarquer que :
(89) Les noms invariables
a. Les groupes 1 a 18 incluent exclusivement des noms se terminant en voyelle.
b. Les groupes 19 et 20 incluent exclusivement des noms se terminant en conson-
ne.
c. Lorsque le nom se termine en voyelle, elle peut etre soit accentuee (gr. 9 a
18) soit atone (gr. 1 a 8).
A la lumiere de telles observations, on a deux types de questions. La premiere, evidente,
concerne les noms se terminant en consonne : pourquoi n’ont-ils pas de Vfin (du moins
pas en surface) ?
136
Quant aux noms se terminant en voyelle, qu’est-ce qui fait que cette voyelle finale ne
change pas entre le singulier et le pluriel ?
Nous avons vu dans les sections precedentes que la presence de Vfin est en fait un
phenomene assez complexe, qui ne depend pas que d’une seule propriete des noms.
En e!et, selon l’algorithme propose (cf. (52)), deux objets apparaissent dans chaque
Vfin : d’une part le marqueur du nombre, d’autre part un Element additionnel, lie au
genre.
Quant au marqueur du nombre, Asg ou Ipl, on doit supposer qu’il est present dans
toutes les structures nominales : des le merge d’une projection nP, on insere numP. Si on
a numP, on doit obligatoirement avoir les traits de nombre qui seront donc epeles selon
les modalites vues plus haut, cf. les VI (60). La premiere hypothese est donc que les deux
marqueurs de nombre, Ipl et Asg, sont toujours epeles par la structure d’un nom.
Ensuite, nous avons l’Element additionnel. Sa presence depend du trait [!F], s’ac-
cordant au genre inherent impose par la racine. Dans ce cas-la aussi, il faut postuler la
presence de ce trait puisque le trait de genre est forcement introduit par la tete n dans
une structure nominale.
Pourtant, nous avons vu que Vfin est associee a une portion de gabarit, une syllabe
CV, qui est externe au gabarit de la racine et qui depend exclusivement du spell-out du
trait [+TV]. Jusqu’ici, toutes les structures montrees sont associees a [+VT].
Si le trait [VT] correspond, suite a notre hypothese (cf. 2.5.1), a la propriete ! voyelle
thematique " entendue en tant que position vocalique entre la racine et les su"xes flexion-
nels aussi bien dans les noms que dans les verbes, alors nous pouvons en deduire que son
absence entraıne le manque de Vfin en surface.
Je propose donc que la propriete VT soit reduite a l’alternance entre zero [-VT] et CV
[+VT]. Cette situation est traditionnellement reconnue par les etudes indo-europeennes,
ou on a toujours fait la di!erence entre des racines a-thematiques et des racines themati-
ques. 51
Ainsi les noms invariables ont la meme structure de base proposee pour les noms
variables (cf. (64)) :
51. Cf. Benveniste (1984); Meiser (1998). Il vaut la peine de rappeler qu’en grec ancien il existe aussides verbes a-thematiques.
137
(90) Structure generalisee pour tout nom en italien
numP
num[!pl]
nP
n[!F][!VT]
#RACINE
Par consequent, l’entree du vocabulaire pour [-VT] est la suivante :
(91) [-VT] !" zero (ø).
Sur la base de ces observations et considerations, on peut montrer comment notre
analyse rend compte des noms invariables. Pour un souci de clarte d’exposition, je propose
d’analyser ces noms en suivant les trois sous-ensembles qu’on a definis plus haut : les noms
se terminant en voyelle atone, les noms se terminant en voyelle tonique et les noms se
terminant en consonne, quasiment tous d’origine etrangere.
2.7.1 Les noms a voyelle atone invariable
Les noms invariabales se terminant en voyelle atone sont de deux types : ceux comme
specie ‘espece’ et ceux comme pome ‘apres-midi’. Dans le deuxieme cas, le mot a une autre
forme, variable et longue, alors que dans le premier cas, il n’y a que la forme en question.
Ainsi, pour les noms tels pome, on parle de noms abreges (cf. pomeriggio vs. pome).
Quant a specie, je pose que la racine impose un trait [-VT] a la tete n. Par consequent
le [e] final apparaissant en surface fait partie de la racine elle-meme. C’est ainsi qu’on
explique le fait qu’il ne change jamais. De plus, le manque de CV supplementaire dans
la tete n explique le fait que les deux marqueurs de genre et de nombre sont obliges de
rester flottants. Dans le cadre CVCV un objet flottant n’est pas audible.
Voici la representation que je propose pour la tete complexe de specie :
138
(92) Tete complexe de specie ‘espece’ F sg. :
num
num Th
n num Asg
n Th
#SPECIE n [FA]
[-VT]
CVCVCV
La linearisation de cette forme est montree ci-dessous :
(93) Linearisation de specie F sg. :
Nombre Asg
Genre A
Racine s p e tS e
Gabarit C V C V C V
Les noms des groupes 6, 7 et 8 du tableau 2.17 se comportent comme specie.
Par contre, pourquoi les noms abreges n’ont-ils pas de flexion ? Si on considere que
tout nom abrege a une forme longue ayant une flexion, on peut faire l’hypothese que la
cause du manque de flexion n’est pas structurale, mais phonologique. Autrement dit, si
on represente un nom abrege comme la consequence d’un debranchement des associations
entre les positions C et V et les autosegments, on peut expliquer aussi pourquoi la forme
courte n’a pas de flexion. 52 Les noms comme pome ont donc un trait [+VT] dans leur
structure, mais Vfin n’est pas audible : les autosegments dont elle est formee restent
flottants a cause du debranchement qu’on vient de mentionner.
52. Cf. les noms ayant des alternances voyelle-zero en bosnien, cf. infra section 3.7.3.
139
Ainsi, les representations phonologiques respectivement pour pome et pour pomeriggio
sont les suivantes :
(94) pome et pomeriggio ‘apres-midi’ M sg. :
a. Nombre Asg
Genre U
Racine p o m e r i dZ dZ
Gabarit C V C V C V C V C V + CVVT [pome]
b. Nombre Asg
Genre U
Racine p o m e r i dZ
Gabarit C V C V C V C V C V + CVVT [pomeridZdZo]
Le processus de debranchement des positions du gabarit s’applique apres la derivation
syntaxique. Ainsi, la forme abregee ne peut en aucun cas avoir une flexion : celle-ci
est presente dans la forme sous-jacente mais elle ne peut pas faire surface a cause du
debranchement. Je crois qu’il est inutile, voire anti-economique, de proposer que le manque
de flexion pour les noms abreges releve de la syntaxe. En e!et, si c’etait le cas, il faudrait
postuler deux structures pour deux mots ayant clairement le meme sens et la meme racine.
De plus, le fait que les deux formes coexistent est un argument ulterieur pour penser qu’il
n’y a qu’une structure et qu’au moment de la linearisation en PF, si on veut une forme
abregee, on debranche tout simplement les autosegments. 53
Les noms des groupes 1 a 5 du tableau 2.17 suivent les patrons montres en (94).
2.7.2 Les noms oxytons
La situation des noms oxytons est tres interessante. En regle generale, un nom oxyton
n’a pas de pluriel distinct du singulier.
Cependant, il existe un nombre mineur de noms oxytons ayant une forme paroxytone
a voyelle finale variable, par exemple cf. citta vs. cittade, ce dernier etant F et sg. (cf.
53. Notre hypothese laisse ouvert aussi le fait qu’on puisse appliquer l’abregement a n’importe quelnom.
140
groupe de nave). Les formes comme cittade, virtude (cf. virtu), etc.. sont tres savantes.
Je propose le meme chemin d’analyse parcouru dans la sous-section precedente. Ainsi,
pour un nom oxyton tel ca!e, n’ayant aucune autre forme possible, on suppose que la
racine a la forme#KAFFE, tout comme on a fait pour specie.
La tete complexe de ce type de noms est montree ci-dessous :
(95) Tete complexe pour ca!e ‘cafe’ M sg. :
num
num Th
n num Asg
n Th
#KAFFE n [[-F]U]
[-VT]
CVCVCV
Les marqueurs de genre et de nombre restent donc flottants, comme il est montre dans
la representation de la linearisation :
(96) Linearisation pour ca!e M sg. :
Nombre Asg
Genre U
Racine k a f e
Gabarit C V C V C V
Il est interessant d’observer un nom derive de ca!e.
Si on prend un diminutif, par exemple, on va avoir la forme ca!eino ou bien ca!ettino,
la forme *ca"no etant toujours agrammaticale. La distribution de ces trois formes decoule
tout simplement de la representation que j’ai proposee ci-dessus en (95) : la voyelle finale
est ancree dans la forme sous-jacente de la racine et donc elle ne peut pas etre e!acee au
141
moment de la derivation.
Ainsi, en postulant tout simplement l’absence de la propriete VT dans ce type de
racines, on derive le manque de flexion ouverte : aucune position V n’est libre pour
pouvoir accueillir les marqueurs flottants.
Par contre, les noms oxytons comme citta ayant une forme “longue”, peuvent etre ana-
lyses comme ayant subi un phenomene de debranchement des autosegments, parallelement
a la situation que j’ai proposee pour les noms abreges, cf. (94). Ainsi, voici la representation
phonologique :
(97) citta et cittade ‘ville’ F sg. :
a. Nombre Asg
Genre I
Racine tS i t a d
Gabarit C V C V C V C V + CVVT [tSitta]
b. Nombre Asg
Genre I
Racine tS i t a d
Gabarit C V C V C V C V + CVVT [tSittade]
La racine#CITTAD declenche une regle d’allomorphie transformant l’element /A/ en
/I/ (cf. (71)). Bien evidement, ce type de regle peut tres bien avoir lieu, mais la condition
d’adjacence (73) doit etre respectee : ici c’est bien le cas, puisqu’il n’y a aucun objet entre
la racine et le marqueur de genre A. On a ainsi explique la presence de /I/ dans les deux
representations ci-dessus.
Observons maintenant le diminutif : citta ‘ville’ devient en fait cittadina, mais jamais
*cittaina ou *cittina. Or, il s’agit -comme par hasard- de l’apparition d’un /-d-/ entre la
racine et le su"xe /-in/. Seulement si on pose une representation sous-jacente comme celle
en (97), on peut rendre compte de la forme du diminutif sans prevoir de regles ad-hoc afin
de faire apparaıtre cette consonne. La representation de cittadina est montree ci-dessous :
142
(98) Diminutif de citta, F sg.
Nombre Asg
Genre A
Diminutif i n
Racine tS i t a d
Gabarit C V C V C V C V + C V + CVVT [tSittadina]
Le su"xe du diminutif -in etant interpose entre la racine et l’Element A marquant le
genre [+F], la regle d’allomorphie (71) n’est pas declenchee. Vfin est donc [a].
Cette sous-section nous a montre que les noms invariables se terminant en voyelle
tonique se divisent en deux groupes (tout comme les noms paroxytons) : ceux ayant le
trait [+VT] et donc la syllabe CV et ceux ayant le trait [-VT] et aucune syllabe.
Cette situation implique que, dans le premier cas, la cause de l’absence de flexion
n’est pas due a la structure du nom, mais a la phonologie : j’ai propose d’interpreter
l’abregement en tant que debranchement des autosegments des positions CV. Quant au
deuxieme cas, le fait de ne pas avoir une syllabe CV entraıne a lui tout seul le manque de
flexion visible.
2.7.3 Les noms d’origine etrangere
En regardant le tableau 2.17, il ne reste qu’a etudier le cas des groupes 19 et 20,
ceux contenant les noms se terminant en consonne. La plupart de ces noms sont en e!et
d’origine etrangere, mais il y a aussi quelques exemples de nom appartenant au lexique
natif, comme lapis ‘crayon’. 54
Ainsi, la question fondamentale (qui avait deja ete soulevee plus haut, cf. section 2.5.3),
pour ce genre de noms est la suivante :
(99) Pourquoi les noms se terminant en consonne, ayant ainsi une position V vide dans
leur gabarit, n’ont jamais de pluriel visible ?
54. Il y a beaucoup d’acronymes, tels ASL [azl] ‘CPAM’, FIAT [fiat] ‘Fiat’, etc..
143
Cette situation a ete montree plus haut, notamment a l’aide de l’exemple de film ‘film’,
dont la repesentation (58) est repetee ci-dessous :
(100) Representation phonologique de film ‘film’ M, sg/pl
f i l m
C V C V CV
Nous avons vu que les deux marqueurs de nombre et de genre sont toujours epeles
lorsque les tetes n et num sont dans la structure. Cependant, j’ai propose que Vfin peut
faire surface seulement si une syllabe CV externe au gabarit de la racine est presente :
ceci depend, comme nous avons vu, du trait [+VT].
A la lumiere de ces considerations, on deduit que la tete complexe de film est comme
celles de specie (cf. (92)) et de ca!e (cf. (95)). Autrement dit film est associe a un trait
[-VT], comme la structure ci-dessous illustre :
(101) Tete complexe pour film ‘film’ M sg. :
num
num Th
n num Asg
n Th
#FILM n [[-F]U]
[-VT]
CVCVCV
La linearisation se deroule comme suit :
144
(102) Linearisation pour film ‘film’ M sg. :
Nombre Asg
Genre U
Racine f i l m
Gabarit C V C V C V
Nous pouvons donc expliquer le marque de flexion dans film sur la base de deux
situations. D’une part, la site accueillant les Elements de Vfin depend du trait [+VT] (la
racine#FILM est associee a [-VT]) ; d’autre part, le slot V en derniere position dans le
gabarit de la racine peut etre occupe seulement si l’operation morphologique a lieu avant
le spell-out du complement de la phase dont n est la tete.
Avec ce dernier exemple, j’ai montre la totalite des types de noms existant en italien,
tout en proposant une theorie de l’interpretation de l’interface entre la phonologie et la
syntaxe.
Avant de conclure ce chapitre, je souhaite faire un detour sur l’origine du marqueur
du pluriel Ipl de l’italien, notamment en comparant celui-ci au cas de l’espagnol.
2.8 Un detour diachronique
2.8.1 L’isoglosse du pluriel roman
Le cas du pluriel roman est tres interessant du point de vue de la linguistique diachro-
nique a cause du phenomene bien connu de l’isoglosse.
De maniere generale, la forme des noms des langues romanes est la continuation des
accusatifs du latin (cf. Meyer-Lubke 1890-1902; Rohlfs 1966-1969; Ernout 1953; Renzi
& Andreose 2003). Ceci peut etre facilement vu en comparant les donnees du tableau
suivant :
145
Table 2.18 – Accusatif latin et noms romans : le singulier
cas latin italien portugais espagnol roumain francais1 NOM pons * * * * *2 ACC pontem [ponte] [pont@] [pwente] [pod] [pO]
Tout en considerant les changements phonologiques ayant eu lieu dans chaque variete,
seulement pour le francais on pourrait eventuellement postuler que la forme attestee [pO]
derive aussi bien de pons que de pontem. Cependant, la theorie la plus soutenue est
justement que toutes les langues romanes ont poursuivi l’utilisation du cas ACC dans la
forme des noms. 55
Par contre, en observant un tableau comparatif des pluriels romans, l’on s’apercoit
que la theorie classique n’est pas sans faille :
Table 2.19 – Accusatif latin et noms romans : le pluriel
cas latin italien portugais espagnol roumain francais1 NOM lupı [lupi] * * [lupi] ‘loup’2 ACC lupos * [loBuS] [loBos] * ‘loup’
Mis a part le francais, le tableau ci-dessous montre clairement que ni l’italien ni le rou-
main ne peuvent etre expliques tout simplement en postulant la theorie de la continuation
de l’accusatif du latin, a travers le latin vulgaire jusqu’aux vulgaires nationaux. 56
C’est ainsi que la tradition philologique, notamment celle basee sur l’etude des varietes
du vulgaire italien et de ses dialectes (cf. Meyer-Lubke 1927; Rohlfs 1966-1969; Tekavcic
1972) a propose que la base morphologique des pluriels de l’italien (et du roumain) etait
55. Il existe, bien evidemment, des exceptions mais je les laisse de cote puisque ce travail n’est pas unerecherche philologique, cf. Meyer-Lubke (1890-1902).56. J’ai omis les donnees du francais pour deux raisons.Tout d’abord, ‘loup’ n’est pas un mot de tradition directe, mais il s’agit d’un emprunt posterieur du
francais a l’occitan. La forme lupu(m) a donne [lø], utilise seulement dans l’expression ‘a la queue leuleu’.
Ensuite, le francais a evolue a travers des stades tres bien documentes d’ancien francais, ou deux cassyntaxiques existaient : la cas sujet et le cas regime. Au singulier, on avait CS murs et CR mur, alorsqu’au pluriel on avait CS mur et CR murs. Cette situation complique un peu l’analyse des pluriels dufrancais, meme si on accepte que le morpheme du francais est bien le /s/ de l’accusatif du latin qu’onretrouve aussi au pluriel du cas regime. Pour plus de details, cf. La Chaussee (1989) et Zink (1986).
146
en fait le pluriel du nominatif, respectivement de la premiere declinaison pour les noms F
et de la deuxieme pour les noms M. Ceux en [e] auraient ete formes par analogie avec les
autres. La comparaison entre ces formes est montree dans le tableau ci-dessous :
Table 2.20 – Le pluriel latin et italien
Cas Decl. 1 Decl. 2 Decl. 3M F M F M F 57
Lat. NOM poetae rosae lupı fagı duces pacesLat. ACC poetas rosas lupos fagos duces paces
M F M M M FIt. – poeti rose lupi faggi duci pacifr. – ‘poetes’ ‘roses’ ‘loups’ ‘chenes’ ‘leaders’ ‘paix’
Comme on peut voir, les noms issus de la troisieme declinaison ont bien Vfin = [i] en
italien, alors que les deux formes du latin (NOM et ACC) ne justifient pas telle situation.
C’est pour cette raison qu’on a parle d’analogie, ainsi que pour le cas de poeta. Quant aux
noms F de la deuxieme declinaison, ils ont souvent change de genre en italien.
De maniere generale, les donnees de ce tableau montrent que c’est le nominatif qui
a le plus de ressemblance formelle avec les pluriels de l’italien. La position traditionnelle
veut donc qu’on considere une base commune d’accusatif latin pour les noms au singulier,
alors que pour le pluriel il faut distinguer les langues romanes occidentales (espagnol,
portugais, catalan, francais, etc..) ayant continue le /s/ de l’accusatif, de celles orientales
(italien et roumain, principalement) ayant continue le /i/ du nominatif.
Cependent, Reichenkron (1939), Abischer (1960), Maiden (1996) et plus recemment
D’hulst (2006) ont propose d’expliquer la forme du pluriel feminin en [e] de l’italien
en regardant la forme -as de l’accusatif. En particulier, on peut postuler une evolution
phonetique comme celle montree par le schema ci-dessous :
(103) Schema d’evolution phonetique du pluriel
a. rosas $% *rosaj $% *rosai $% rose
b. s $% S $% j $% i (cf. Reichenkron, 1939; Straka, 1979)
57. J’ai evite de montrer le neutre (decl. 2 et 3) puisqu’il a souvent ete reanalyse comme etant dumasculin : templum ‘temple’ $% tempio masculin.
147
Mis a part la theorie du changement phonetique, pour laquelle on peut trouver des
arguments dans d’autres phenomenes (cf. le cas du Gascon traite par Rohlfs 1977), l’idee
presentee ci-dessus est interessante pour une raison cruciale : si elle est vraie, elle permet
d’unifier l’analyse des noms romans en les faisant deriver tous de l’accusatif.
Il faut quand meme souligner le fait qu’aucun des auteurs ayant parcouru l’idee (103),
n’a jamais propose le meme chemin pour les noms masculins derivant de la deuxieme
declinaison.
Un des arguments les plus exploites concerne l’utilisation d’accusatifs pluriels a la place
du nominatif attendu. Il s’agissait d’une pratique assez repandue a un moment donnee (a
partir du II siecle apres J-C) et elle a ete etudiee en detail par Vaananen (1934). En voici
un exemple :
(104) filiosfils
etet
nepotesneveux
memoriaen-memoire
patridu-pere
posueruntposerent
Les fils et les neveux ont construit [ceci] en memoire de leur pere
La forme filios est clairement un nominatif, sans aucun doute. 58
La question etant strictement de nature philologique, je n’irai pas plus loin dans l’expli-
cation des theories diachroniques, mais je montrerai les raisons de cet apercu historique. 59
Mon hypothese est que tous les pluriels et tous les singuliers des langues romanes
sont la continuation morphophonologique des accusatifs latins : les decalages entre les
formes de l’italien (et du roumain) et celles des accusatifs latins sont explicables a travers
l’application des propositions defendues par cette these.
Ainsi, en reprenant les donnees du tableau 2.20, je fais l’hypothese schematisee ci-
dessous :
58. La comparaison des terminaisons du pluriel des dialectes de l’Italie est interessante. Par exemple,l’on peut remarquer que le corpus de Manzini & Savoia (2005 : 3, 574-575) reporte sept varietes oule pluriel est /s/ pour les deux genres, parmi lesquels l’on retrouve du sarde (Ittiri SS, Siliqua CA etLuras SS), du frioulan (Forni di Sotto UD, Traversio PD etc..) et du franco-provencal (Cantoira TO). Ilpourrait s’agir d’un indice de la presence de nominatifs en -s dans les parlers neolatins du territoire dela peninsule.59. Un argument en faveur de l’evolution /s/ $% /i/ peut etre tire de quelques faits de l’italien. Par
exemple le marqueur de la 2S est en e!et -i, alors qu’en latin il y avait -s : ami vs. amas ‘tu aimes’. C’estun parallele interesant avec le cas des noms. La meme transformation phonetique est visible dans tousles mots monosyllabiques se terminant en -s en latin : nos, vos, post, etc.. Dans tous ces cas-la, -s a eteremplace par (ou est devenu) -i : noi, voi, poi, etc.. Pour l’evolution /s/ $% /i/ cf. Straka (1979).
148
(105) Hypothese de changement morpho-phonologique
a. (lat) lupos $% *lupoi $% (it) lupi
b. (lat) rosas $% *rosai $% (it) rose
La sous-section suivante est dediee a expliquer comment mon approche rend compte de
ce probleme de diachronie, tout en proposant une ebauche pour une theorie du changement
morphologique.
2.8.2 Pour une theorie du changement
La proposition presentee dans ces pages se base sur un travail precedent qui a evolue
a travers quelques communications (voir Lampitelli, 2008a,b, 2009).
Le point de depart est la structure des noms du latin, pour laquelle je suis Calabrese
(1998) en proposant la representation ci-dessous :
(106) Structure d’un nom du latin
KP
K[cas]
numP
num0
[!pl]nP
n0
[!F][!VT][decl.]
#RACINE
Par rapport a ce que nous avons vu pour l’italien, j’ajoute la projection K(ase)P (cf.
Bittner & Hale, 1996; Legate, 2008) responsable de la gestion du cas morpho-syntaxique,
ouvertement marque en latin. 60
Quant au genre, le latin en a trois. Nous n’entrons pas dans les details d’une analyse
formelle en termes de traits, puisque ce point ne demeure pas crucial pour l’analyse du
latin, cf. l’analyse du bosnien, ch. suivant, section 3.5.2.
60. Lors de l’analyse des noms du bosnien et du somali, on reviendra sur la projection KP, cf. les deuxchapitres suivants.
149
Ensuite, conformement a ce que nous avons vu sur la voyelle thematique plus haut
(cf. supra 2.5.1), on doit postuler la presence du trait [!VT] dans la tete n : toutes les
langues indoeuropeennes manifestent ce phenomene de facon consistante. Je propose que
le spell-out de la propriete VT est bien une syllabe CV, comme je l’ai largement demontre
pour l’italien.
En ce qui concerne le latin et la voyelle thematique propre a chaque declinaison,
traditionnellement on reconnaıt la situation suivante, presentee sous forme de VI (cf.
Ernout, 1953; Meiser, 1998) :
(107) VI des voyelles thematiques du latin
a. Ie !" a
b. IIe !" o
c. IIIe !" zero
d. IVe !" u
e. Ve !" e
Je fais donc l’hypothese que la voyelle thematique du latin est due a la fois a la presence
du trait [+VT] et des exposants ci-dessus (107), en creant ainsi un parallele avec le cas
de l’italien.
En ce qui concerne les exposants de nombre et de cas, des travaux en DM standard
proposent, de maniere generale, l’operation fusion entre les deux nœuds -num et K- afin
de justifier la presence d’un seul exposant a chaque fois (cf. notamment Halle & Vaux,
1998; Calabrese, 1998). Bien qu’on n’ait pas comme but de demontrer qu’en latin ces deux
marqueurs sont separes et non pas fusionnes sous un meme nœud num/K0, je propose les
VI suivants :
(108) VI pour le nombre et le cas
a. [+pl] !" s
C V
b. ACC !" C V
L’argument crucial pour soutenir le VI correspondant au pluriel, une syllabe CV et un
autosegment /s/, vient du fait que la plupart des pluriels du latin (sur les cinq declinaisons)
150
manifestent l’allongement de la voyelle thematique typique a la declinaison. 61
Cet allongement est explicable, dans les termes de la theorie phonologique CVCV
seulement si on considere une syllabe CV en plus dans la representation sous-jacente. 62
En ce qui concerne le cas ACC, je pose tout simplement que son exposant correspond
a une simple unite CV, sans entrer dans les details.
Prenons maintenant lupos ‘loup’ ACC, M, pl. et rosas ‘roses’ ACC, F, pl. et construi-
sons leurs tetes complexes, sur la base de la structure (106).
(109) Tetes complexes de lupos et rosas
a. K
K Th
num K CV
num Th
n num CV
n Th s
#LUP n [[VT]CV]
CVCV [decl.IIe o]
61. Dans la Ie, seule la terminaison -ae du NOM et du VOC (rosae ‘roses’) n’a pas de voyelle longue,mais il s’agit d’une diphtongue. La meme chose se passe pour les cas directes de la IVe : cornua ‘cornes’.Les deux autres terminaisons sans voyelle longue sont, respectivement, a des neutres pluriels (IIe : templa‘temples’ ; IIIe maria ‘mers’) et Ibus, DAT et ABL de la IIIe (ossIbus ‘aux os’), IVe (currIbus ‘aux chars’).Quant a la presence de /s/, une partie remarquable de formes plurielles contiennent cette consonne, cf.Meiser (1998); Tantucci (1975).62. La racine etant impenetrable pour les memes raisons qu’on a vu pour l’italien.
151
b. K
K Th
num K CV
num Th
n num CV
n Th s
#ROS n [[VT]CV]
CVCV [decl.Ie a]
La facon dont la linearisation marche pour ces deux formes est illustree ci-dessous :
(110) Linearisation pour lupos et rosas
a. Cas syllabe
Nombre s
Decl. o
Racine l u p
Gabarit C V C V + CVvt+ CVpl+ CVacc [lupos]
b. Cas syllabe
Nombre s
Decl. a
Racine r o s
Gabarit C V C V + CVvt+ CVpl+ CVacc [rosas]
152
Maintenant, je fais une hypothese concernant le changement linguistique. Je propose
de regarder ce phenomene en tant que perte de certains objets presents dans la structure
(106). En particulier, je pose la definition montree ci-dessous :
(111) Le changement se manifeste sous la forme de “perte” :
a. d’une ou plusieurs projections ou nœuds de la structure syntaxique (chan-
gement morpho-syntaxique) ;
b. d’une ou plusieurs unites syllabiques CV (changement morpho-phonologique) ;
c. eventuellement changements phonetiques des segments.
Si on compare la tete complexe du latin rosas F pl. ACC a celle de l’italien rose F pl,
nous avons a!aire a une situation interessante. Les deux representations correspondant
respectivement a celles en (109-b) et en (67) sont montrees ci-dessous :
(112) Comparaison des tetes complexes du latin et de l’italien :
a. K
K Th
num K CV
num Th
n num CV
n Th s
#ROS n [VTCV]
CVCV [decl.Iea]
153
b. num
num Th
n num Ipl
n Th
#ROS n [VTCV]
CVCV [FA]
Dans les deux cas le nœud Th adjoint a n contient le spell-out du trait [VT] et un
autre element : le marqueur de la declinaison pour le latin et celui du genre pour l’italien.
En faisant l’hypothese que le changement est induit par la perte de portions de struc-
ture, on peut remarquer que la representation de l’italien n’a ni de projection KP ni de
CV dans le nœud Th adjoint a num. Selon notre proposition, le changement est du a cette
di!erence, formalisee comme il est montre ci-dessous :
(113) Le changement entre l’italien et le latin
a. perte de la projection KP ;
b. perte du CV de la tete num.
Le phenomene (113-a) est commun a la majorite des langues romanes, alors que le
fait decrit par (113-b) est plus specifique a l’italien. La typologie du changement semble
donc etre compatible a une approche basee sur des parametres specifiques a une langue
donnee.
De fait, en acceptant l’hypothese de Reichenkron (1939) et de Maiden (1996) sur le
changement phonetique s $% i, j’ai ensuite simplement formalise le passage d’une langue
exprimant ouvertement le cas et le nombre vers une langue n’ayant plus ni de cas ni de
CV sous-jacent au marqueur de pluriel.
Comme nous avons vu precedemment, l’absence de CV sous num entraıne une conse-
quence fondamentale : le marqueur autosegmental du pluriel (mais aussi celui du sin-
gulier), n’a pas de possibilite autonome de faire surface, devant toujours chercher une
154
position libre sur un des gabarits introduits par d’autres spell-out. Nous avons vu qu’en
italien cette position est o!erte par le spell-out de [+VT].
Avant d’aller a la conclusion du chapitre, il est interessant d’observer un phenomene
que nous avons deja remarque plus haut (cf. supra 2.4.2), c’est-a-dire le fait qu’en espagnol
il semble y avoir moins de restrictions sur l’apparition du pluriel en surface.
Tout d’abord, ceci est marque par /s/ ; la syllabe sous-jacente dans la tete num n’a
probablement pas bouge, autrement on ne pourrait pas entendre cette consonne.
Si c’est le cas, alors le nœud Th adjoint a num a son propre CV, qui est ainsi le
spell-out du trait [+pl], avec l’autosegment /s/ :
(114) Spell-out du pluriel en espagnol : [+pl] !" s
C V
Autrement dit, le marqueur du pluriel de l’espagnol est identique a celui qu’il y avait
en latin. La situation est ainsi coherente avec les faits presentes au debut de cette section.
La prediction que cette situation fait concerne le domaine d’application du pluriel. Etant
donne son statut de morpheme phonologiquement independent, on predit qu’il puisse faire
surface des qu’il est epele, c’est-a-dire des qu’il y a une structure contenant la projection
numP ayant le trait [+pl].
Si c’est le cas, en espagnol on devrait pouvoir pluraliser les noms abreges et les mots
d’origine etrangere ainsi que les noms oxytons, trois categories qui sont toujours invariables
en italien, comme nous avons vu supra 2.7. La raison du manque de flexion est causee par
l’absence de syllabe CV autrement fournie par [+VT].
La prediction est en e!et facilement demontrable, en regardant les donnees ci-des-
sous : 63
63. Les donnees sont reproduites en orthographe standard.
155
Table 2.21 – Noms de l’espagnol
genre singulier glose genre pluriel glose1 F foto ‘photo’ F fotos ‘photos’2 F peli ‘film’ F pelis ’tostes’3 M lıder ‘leader’ M lıderes ‘bistrots’4 F e-mail ‘courriel’ F e-mail(e)s ‘courriels’5 M lobo ‘loup’ M lobos ‘loups’6 F rosa ‘rose’ M rosas ‘roses’
Les exemples 1 et 2 sont deux noms abreges, ayant ainsi une forme longue corres-
pondante : fotografia et pelıcula, respectivement. Aucune restriction a leur pluriel n’est
observee. Les deux noms suivants, 3 et 4 sont des emprunts. La aussi, le pluriel /s/ fait
surface, grace a l’apport d’une voyelle, qui est probablement epenthetique, la sequence
-C[s]# etant interdite a la finale. Finalement, les deux noms en 5 et 6 sont reguliers.
En suivant Harris (1991), on peut faire l’hypothese qu’en espagnol les voyelles finales
ne sont pas des marqueurs de genre, mais des marqueurs de mot (cf. word-marker). Ainsi,
on peut postuler un exposant zero pour le genre, mais on doit prevoir que la structure
ait une information sur le marqueur de mot a epeler. Ainsi, la voyelle thematique a le
spell-out canonique CV, sur lequel le marqueur de mot est associe. Le pluriel est ensuite
linearise a droite, sur sa portion de gabarit.
Si on considere peli, on a la racine et son marqueur de mot egal a /a/ (cf. la forme
“longue” pelıcula), ensuite le marqueur de nombre. Mais, puisqu’il s’agit d’un nom abrege,
on doit postuler la desassociation deja vue pour l’italien (cf. section 2.7). Cette situation
est montree de suite, ou je propose d’abord la tete complexe de pelis ‘films’ :
156
(115) Espagnol : tete complexe de pelis ‘films’ F, pl.
num
num Th
n num CV
n Th s
#PELIKUL n CV
CVCVCVCV a
Ensuite, je montre la linearisation :
(116) Espagnol : linearisation de pelis ‘films’ F, pl.
Nombre s
Marqueur de mot a
Racine p e l i k u l
Gabarit C V C V C V C V + C V + C V
La desassociation des autosegments du gabarit semble avoir lieu lors du spell-out du
complement de la premiere phase, qui est la tete n. C’est ainsi qu’on peut postuler le fait
qu’un spell-out posterieur, tel celui du trait [+pl], puisse etre audible, pourvu qu’il ait son
propre gabarit, bien evidemment.
Mon detour a travers l’isoglosse du pluriel roman se termine sur l’exemple ci-dessus.
Il ne s’agit pas d’une analyse exhaustive du changement linguistique, mais plutot d’une
proposition et d’une idee qui decoulent de mes hypotheses sur les noms de l’italien.
En particulier, j’ai voulu montrer que dans l’histoire de la langue il y a quelques indices
interessants en faveur de l’architecture proposee, notamment en ce qui concerne le rapport
entre la voyelle thematique du latin et les marqueurs de genre et de nombre en italien
157
d’un cote, et la di!erence entre le pluriel de l’espagnol et celui de l’italien, de l’autre.
Ces situations sont les miroirs de moments cruciaux dans l’evolution morphophonolo-
gique et syntaxique du latin vers les langues romanes.
2.9 Conclusion du chapitre
Mon approche permet donc une economie considerable de projections et de VI, tout
en eliminant les operations comme fusion.
La discussion a ete centree sur le systeme nominal de l’italien que l’on a parcouru des
noms variables aux noms invariables.
Ma proposition prevoit une structure syntaxique simple et minimale, emmenant toutes
les informations morphologiques sous forme de matrices de traits. L’architecture concue
prevoit le passage a travers une etape appelee spell-out, ou tous les morphemes recoivent
leur contenu phonologique. Ensuite, la linearisation ainsi que la computation phonologique
ont lieu.
Le point fondamental de cette analyse est l’hypothese selon laquelle il n’existe qu’un
seul exposant phonologique par categorie morpho-syntaxique.
Je propose que la composante phonologique, basee sur le modele CVCV, rend compte
de toute modification et computation ulterieures, notamment la fusion entre les elements
vocaliques et les associations entre les autosegments et les positions gabaritiques.
La question qu’on doit se poser maintenant concerne le pouvoir explicatif de cette ap-
proche. Comme il est facilement comprehensible, il s’agit d’une approche qui pose beau-
coup de restrictions a la forme des exposants phonologiques des morphemes, mais qui a
a!aire a une quantite remarquable d’operations phonologiques. Par consequent, la pho-
nologie devient tres abstraite, a tel point qu’on doit faire appel a des regles d’allomorphie
pour resoudre certains cas.
Le chapitre suivant, consacre a une langue a trois genres et cinq cas morpho-syntaxiques
-le bosnien-, apportera des arguments supplementaires en faveur de mes hypotheses.
158
Chapitre 3
Le bosnien
3.1 Introduction
Ce chapitre illustre le fonctionnement du systeme nominal du bosnien, langue appar-
tenant au groupe du slave meridional (avec le slovene et le bulgare, parmi d’autres). 1
Le bosnien est caracterise par un systeme nominal base sur trois genres (masculin,
feminin et neutre), deux nombres (singulier et pluriel) ainsi que cinq cas syntaxiques
distincts. 2
Le but principal est de montrer la validite des hypotheses sur le rapport entre les
categories morpho-syntaxiques et leurs exposants phonologiques, que nous avons explorees
lors des chapitres precedents.
1. Le bosnien (bosanski jezik) appartient a l’unite linguistique appelee ! serbo-croate " a l’epoque del’ancienne Federation de Yougoslavie et il est actuellement une des trois langues o"cielles de la Bosnie-Herzegovine (avec le croate et le serbe).
Du point de vue strictement linguistique, le serbo-croate est une langue litteraire unique ayanttrois groupes dialectaux principaux : le tchakavien (cakavski), le kaıkavien (kajikavski) et chtokavien(stokavski). Le bosnien est base surtout sur ce troisieme groupe dialectal (cf. Browne 1993, Browne & Alt2004 et Corbett & Browne 2008). La desagregation de la Federation de Yougoslavie en 1991 ainsi que lesfaits politiques qui en ont suivi, ont amene chaque Republique nee de la scission de la Federation a poserdes distinctions parmi les varietes de la langue litteraire standard.
En ce qui concerne la traduction en francais, la grammaire traditionnelle prevoit l’utilisation duterme ! bosniaque " (cf. bosnjak). Or, les ressortissants de la Bosnie-Herzegovine considerent que cetadjectif denote les habitants de Bosnie de religion musulmane, ainsi ne representant qu’une partie de lapopulation. Dans ce travail, j’emploie donc le terme ! bosnien " pour denoter la langue de la populationde la Bosnie-Herzegovine, en ne posant aucune distinction concernant leur confession religieuse. Mesdonnees relevent entierement d’une informatrice nee et scolarisee en Bosnie-Herzegovine.
2. Dans ce travail le cas vocatif ne sera pas pris en consideration, etant donne son statut particulierdu point de vue morphologique et syntaxique.
159
Plus particulierement, ce chapitre vise deux objectifs : d’un cote, etendre au bosnien
l’approche analytique propose pour l’italien, de l’autre cote, montrer que la comprehension
des marques casuelles des noms du bosnien est plus e"cace si ces dernieres sont in-
terpretees en tant qu’objets ayant une structure phonologique interne.
Le chapitre s’organise comme suit : apres la presentation des donnees (cf. section 3.2),
nous allons explorer l’hypothese selon laquelle chaque nom du bosnien est marque par trois
morphemes correspondant, respectivement, au genre, au nombre et au cas (cf. sections
3.3 et 3.4). Ensuite, la section 3.5 presente les VI pour chacune des trois proprietes que
l’on vient de mentionner. Les sections 3.6, 3.7, 3.8 et 3.9 illustrent finalement les analyses
que je propose.
3.2 La declinaison en bosnien
Les noms du bosnien peuvent etre classifies selon deux criteres.
Ainsi, nous pouvons considerer d’une part l’approche traditionnelle des etudes de
slavistique (cf. Browne 1993, Meillet & Vaillant 1969, Vaillant 1966, et Popovic & Popovic
1969) selon laquelle l’on classifie les noms par rapport a la terminaison du genitif singulier
et, d’autre part, une approche plus recente (cf. Corbett & Browne 2008; Hammond 2005;
Weisser 2006 parmi les plus interessantes) qui utilise la terminaison du nominatif singulier.
Selon l’approche traditionnelle, on reconnaıt l’existence de trois declinaisons : celle
du genitif en -a, celle du genitif en -e et une troisieme concernant les noms ayant un
genitif singulier en -i. L’argument fondamental derriere ce type de classification releve
de la diachronie de la langue et il est fait remonter jusqu’au stade du proto-slave. En
particulier, on considere l’existence de declinaisons a partir du stade de l’indoeuropeen :
ainsi, chaque groupe flexionnel du bosnien est l’heritier d’une declinaison donnee.
En e!et, la linguistique indo-europeenne a postule l’existence de trois grands groupes
(cf. Benveniste 1984) : celui des themes en -o (normalement incluant des noms masculins
et neutres, cf. donnees du tableau 3.1), celui des themes en -a (normalement des feminins,
cf. donnees du tableau 3.2) et celui des noms a-thematiques (normalement masculins et
160
feminins, cf. donnees du tableau 3.3). 3
Les trois tableaux suivants sont dedies aux groupes de noms partageant la marque du
genitif -a, -e et -i, respectivement : 4
Table 3.1 – Classification traditionnelle du systeme nominal : le genitif en -a 5
groupe -a 1 groupe -a 2genre M M Neu Neunombre sg. pl. sg. pl.NOM okvir okvir-i sel-o sel-aGEN okvir-a okvir-a sel-a sel-aDAT/LOC okvir-u okvir-ima sel-u sel-imaACC okvir-(a) okvir-e sel-o sel-aINSTR okvir-om okvir-ima sel-om sel-imaglosses ‘cadre’ ‘cadres’ ‘village’ ‘villages’
3. Chacun des groupes mentionnes peut etre reconnu en latin, aussi : cf. Meiser (1998) pour unecomparaison avec les declinaisons de cette langue.
En outre, cette classification des noms est etroitement liee a la notion de voyelle thematique que nousavons deja vue lorsqu’on parlait de l’italien (cf. supra section 2.5.1).
4. Pour le bosnien aussi, j’utilise l’orthographe standard. Celle-ci est basee sur l’alphabet latin enCroatie et dans une partie de la Bosnie, notamment celle a majorite croato-musulmane. La Serbie, leMontenegro ainsi que la Republique Serbe de Bosnie utilisent l’alphabet cyrillique. Par un souci declarte, voici les conventions specifiques au serbo-croate : s = [S], c = ["tC], c = ["tS], c = ["ts], dz = ["dZ], h= [x], j = [j] et nj = [ñ].
5. Le datif et le locatif etant toujours identiques (y compris dans les adjectifs et les pronoms), jepropose l’etiquette unique DAT/LOC (cf. Corbett & Browne 2008; Hammond 2005; Popovic & Popovic1969).
Quant aux noms masculins, ils sont marques par -a au singulier de l’accusatif lorsque le referent estanime. On reviendra sur ce point plus bas dans ce chapitre.
161
Table 3.2 – Classification traditionnelle du systeme nominal : le genitif en -e
groupe -e 1 groupe -e 2genre F F M Mnombre sg. pl. sg. pl.NOM kuc-a kuc-e sudij-a sudij-eGEN kuc-e kuc-a sudij-e sudij-aDAT/LOC kuc-i kuc-ama sudij-i sudij-amaACC kuc-u kuc-e sudij-u sudij-eINSTR kuc-om kuc-ama sudij-om sudij-amagloses ‘maison’ ‘maisons’ ‘juge’ ‘juges’
Table 3.3 – Classification traditionnelle du systeme nominal : le genitif en -i
groupe -igenre F Fnombre sg. pl.NOM stvar stvar-iGEN stvar-i stvar-IDAT/LOC stvar-i stvar-imaACC stvar stvar-iINSTR stvar-i/ju stvar-imagloses ‘chose’ ‘choses’
Chaque groupe est la continuation historique des groupes nominaux reconstruits en
indoeuropeen : les noms ayant un GEN en -a sont ceux ayant un theme en -o ; ceux ayant
un GEN en -e, derivent des themes en -a et finalement les noms consideres a-thematiques
ont un GEN en -i.
Ainsi, en depit du fait que ce dernier groupe contenait aussi bien des noms masculins
que des feminins, en bosnien le groupe ayant un GEN en -i ne comprend que des noms
feminins. Par contre, deux genres sont associes a chacun des autres groupes : celui en -a
contient aussi bien des masculins que des neutres et le groupe en -e contient des feminins
et, dans une moindre mesure, des masculins. 6
6. Traditionnellement on reconnaıt l’existence d’oppositions de longueur ainsi que d’accentuation to-nale pour les voyelles du serbo-croate, comme il a ete montre par Matesic (1970) : il y a un accent tonal
162
Quoique coherente avec les autres systemes nominaux des langues slaves et plus
generalement des langues indoeuropeennes, cette classification est absolument incoherente
si on regarde les donnees du bosnien en synchronie.
Prenons d’abord le groupe ayant un genitif en -a (cf. tableau 3.1) : il y a deux pa-
radigmes legerement di!erents. Le premier a trois types d’alternances di!erentes entre
singulier et pluriel aux cas directs (zero vs. -i NOM et zero vs. -e ou a vs. -e a l’ACC).
Les noms ayant ce paradigme sont tous masculins. Au contraire, le second a seulement
une alternance -o sg. vs. -a pl. aux cas directs (les noms neutres : selo ‘village’ 7).
Ensuite, en ce qui concerne le groupe des genitifs en -e, nous avons a!aire a une
situation opposee : les deux paradigmes sont absolument egaux, mais le genre du nom est
soit feminin (kuca ‘maison’), soit masculin (sudija ‘juge’).
Finalement, le groupe en -i est constitue d’un petit groupe de noms etant toujours
feminins.
Nous pouvons donc remarquer que la classification que je viens de montrer ne tient
pas compte du genre. Plus particulierement, cette situation entraıne une division entre le
groupe et le genre, puisque le rapport entre ces deux entites n’est pas univoque.
En e!et, cette division n’est justifiee fondamentalement que sur un plan diachronique
qui fait remonter l’appartenance des noms aux groupes des racines de l’indoeuropeen.
Inversement, la deuxieme approche a la classification des noms du bosnien se base sur
le principe de correspondance entre le genre et le groupe.
A ce propos, Corbett & Browne (2008) remarquent que le bosnien est assez conserva-
teur du point de vue de la morphologie : cinq cas ont ete conserves ainsi qu’une bonne
correlation entre le genre et une declinaison donnee.
Le tableau ci-dessous montre cette classification des noms du bosnien :
montant et un descendant qui peuvent etre soit longs soit courts. Ainsi les voyelles varient par rapporta la longueur et a la hauteur. En particulier, l’accent court descendant a!ecte seulement la premieresyllabe d’un mot : les monosyllabiques peuvent ainsi avoir seulement un accent descendant. Cependant,aucun accent ne peut se retrouver sur une voyelle finale. Magner & Matejka (1971) ont demontre que cesysteme n’est pas si bien conserve selon les jugements de beaucoup de locuteurs (y compris mon infor-matrice). Ces derniers ont tendance a ne plus distinguer la longueur sur les voyelles (surtout si elles sontatones). Puisque les marqueurs de genre/nombre/cas sont toujours inaccentues, je ne considererai pas cephenomene et la longueur est donnee seulement pour un souci de precision.
Cf. Zec & Zsiga (2010) pour une analyse de l’interaction entre le ton et l’accent en serbe. D’ulterieursdetails sur la distribution du ton peuvent etre consultes en Zec (1999).
7. En indo-europeen, le neutre montre normalement du syncretisme entre les cas directs.
163
Table 3.4 – Classification basee sur la correspondance genre-groupe
groupe 1 groupe 2 groupe 3genre M M F F Neu Neunombre sg. pl. sg. pl. sg. pl.NOM okvir okvir-i kuc-a kuc-e sel-o sel-aGEN okvir-a okvir-a kuc-e kuc-a sel-a sel-aDAT/LOC okvir-u okvir-ima kuc-i kuc-ama sel-u sel-imaACC okvir-(a) okvir-e kuc-u kuc-e sel-o sel-aINSTR okvir-om okvir-ima kuc-om kuc-ama sel-om sel-imagloses ‘cadre’ ‘cadres’ ‘maison’ ‘maisons’ ‘village’ ‘villages’
Deux observations sont cruciales a la vue des donnees du tableau ci-dessus :
(1) a. Le groupe 1 contient seulement des noms masculins ;
b. Le groupe 3 contient seulement des noms neutres.
Ainsi, on sait que tout nom ayant les marques casuelles du groupe 1 du tableau 3.4
est forcement masculin, et parallelement, tout nom ayant les marques casuelles du groupe
3 du meme tableau est forcement neutre.
Il s’agit d’une prediction tres importante, puisque cela limite les exceptions au groupe
2. En e!et, la majorite de ces noms est de genre feminin, mais il existe quand meme une
minorite de noms masculins (cf. tableau 3.2). Ces noms seront traites plus tard, dans la
derniere section du chapitre, cf. section 3.9.1.
Quant aux noms ayant un genitif en -i (tableau 3.3), nous avons deja remarque qu’ils ne
representent qu’un petit ensemble de noms. Pour cette raison, je les laisse momentanement
de cote et je les traiterai aussi plus tard, cf. section 3.9.2.
En conclusion, nous constatons qu’en bosnien le genre correspond a la declinaison avec
un tres bon degre de predictibilite. Par consequent, les marques casuelles apparaissant a
la fin de tout nom sont aussi des marques de genre.
La section suivante s’occupe de commencer une analyse de ces marqueurs.
164
3.3 L’interpretation des marques casuelles :
Vfin en bosnien
Cette section vise a soulever quelques questions concernant l’interpretation des marques
casuelles apparaissant dans chaque nom du bosnien.
En ce qui concerne leur nature phonologique, elles sont quasiment toutes formees
d’une voyelle. La situation est tres interessante : on a a!aire a un systeme articule en
six cas et en trois genres et la quasi-totalite des marques est constituee d’une voyelle.
Dans deux cas seulement, on n’a pas qu’une voyelle, mais soit il y a du materiel
supplementaire, soit il n’y a aucune marque.
Dans ce dernier cas, il s’agit du masculin singulier du nominatif : on a a!aire a la seule
marque casuelle correspondant a un zero phonologique (cf. okvir NOM sg.). Quant au
premier cas, la consonne /m/ apparaıt a droite de la voyelle de la terminaison a l’INSTR
(sg. et pl.) ainsi qu’au DAT/LOC pluriel (cf. okvirom INSTR sg., okvirima INSTR pl.
et okvirima DAT/LOC pl.). Cette consonne peut a son tour etre suivie d’une voyelle
(toujours /a/ et toujours au pl.) ou bien etre finale absolue du mot.
Je propose de resumer la situation ci-dessous :
(2) Nature phonologique des marques casuelles
a. La seule marque phonologiquement zero est le M sg. NOM. 8
b. Les marques casuelles sont formees d’une voyelle. Lorsqu’une consonne ap-
paraıt :
(i) seul /m/ est accepte dans une marque casuelle,
(ii) des lors que /m/ est present, soit il est suivi d’un zero (INSTR sg.), soit
de /a/ (DAT/LOC et INSTR pl.).
Reprenons maintenant la correlation entre le genre et le groupe, cf. section 3.2. Nous
avons vu qu’il y a de bons indices pour considerer que le genre et le groupe coıncident, au
moins pour le groupe 1 (noms masculins) et le groupe 3 (noms neutres). Pour l’instant,
8. Depuis Jakobson (1948), l’interpretation la plus acceptee de ce zero dans les systemes nominauxdes langues slaves, consiste en une voyelle appellee yer qui est e!acee par une regle phonologique. Histo-riquement, cette voyelle etait /1/, c’est-a-dire une voyelle centrale haute. Cependant, en serbo-croate leyer apparaıt en surface sous la forme d’un [a], cf. les noms masculins ayant des alternances a vs. zero,tel macak (NOM) ‘chat’ vs. mackom (INSTR) ‘avec le chat’, etc.. Cf. Halle & Nevins (2009) pour uneanalyse recente de ces noms. Cf. infra section 3.7.3 pour l’analyse proposee dans ce travail.
165
je propose de generaliser cette situation et de considerer qu’elle est toujours vraie, en
etendant cette consideration au groupe 2 (noms feminins).
Par consequent, le genre est ouvertement marque sur tout nom du bosnien, et la
marque qui semble accomplir cette tache est la marque casuelle dont il a ete question
ci-haut, cf. (2). On a donc a!aire a une marque de nature fondamentalement vocalique
qui vehicule des informations liees aux cas syntaxiques (elle varie en fonction) et au
genre/groupe (elle varie aussi en fonction).
Si on observe le comportement de cette marque par rapport au nombre, on s’apercoit
qu’elle varie aussi toujours entre le singulier et le pluriel de chaque genre et de chaque
cas syntaxique.
Ces observations sont resumees ci dessous :
(3) Marques de genre et marques de nombre
a. Le genre est ouvertement marque sur les noms par une voyelle ;
b. Le genre coıncide avec la declinaison ;
c. Le nombre est ouvertement marque sur les noms par la meme voyelle.
d. La cas est marque par la meme voyelle.
Les observations en (2) et les a"rmations en (3) nous amenent a poser l’hypothese suivante
sur ces marques vocaliques :
(4) Hypotheses sur les marques vocaliques
a. La voyelle finale de chaque nom dans le tableau 3.4 marque le genre, le nombre
et le cas.
b. Cette voyelle correspond a trois proprietes morpho-syntaxiques.
Il s’ensuit qu’il ne vaut plus la peine de parler de ! marques casuelles ", mais plutot
de ! marques de genre/nombre/cas ". Pour un souci de simplicite, je les appellerai Vfin,
comme il a ete le cas pour l’italien.
Etant donne que Vfin marque trois categories morphosyntaxiques, nous devons pro-
poser une analyse expliquant la distribution de chaque occurrence de cette voyelle par
rapport a ces trois proprietes : le genre, le nombre et le cas.
Deux solutions me paraissent envisageables. D’une part, nous pouvons considerer que
166
Vfin est un morpheme amalgame (ou porte-manteau), d’autre part nous pouvons faire
l’hypothese que chaque propriete a un exposant phonologique independant, meme si cela
ne semble pas visible en surface.
Dans le premier cas, nous aurions a!aire a une relation entre un exposant phonologique
(c’est-a-dire chaque occurrence de Vfin) et un morpheme de type {genre, nombre, cas},alors que dans le deuxieme cas, nous aurions a!aire a une situation ou Vfin a une struc-
ture interne complexe, formee de plusieurs objets phonologiquements independants (cf.
l’analyse de l’italien, ch. prec., section 2.4).
Les deux hypotheses que nous venons d’envisager concernent donc la nature de Vfin.
Le choix de la meilleure approche entre les deux entraıne une consequence fondamentale
pour le role de Vfin.
D’une part, si Vfin est un morpheme amalgame, il marque -comme nous venons de
mentionner- trois proprietes indivisibles qui forment une matrice unique ; d’autre part,
si Vfin a une structure phonologique interne, les trois categories morphosyntaxiques -
genre, nombre et cas- sont marquees par des objets distincts a un certain niveau de
representation, se reunissant tous en surface dans Vfin.
Ainsi, nous venons de poser deux questions concernant respectivement la nature de la
voyelle finale des noms du bosnien et son role par rapport a la relation avec les categories
morphosyntaxiques presentes dans la structure d’un nom. La reponse a la deuxieme ques-
tion decoule du point de vue accepte vis-a-vis de la premiere.
Cette situation est resumee ci-dessous :
(5) Les hypotheses sur Vfin
a. Sur la nature de Vfin :
(i) S’agit-il d’un morpheme amalgame ?
(ii) S’agit-il d’un morpheme ayant une structure interne complexe ?
b. Sur le role joue par cet objet :
(i) Vfin correspond a la fois aux trois proprietes {genre, nombre, cas} ;(ii) Vfin est formee de trois objets phonologiques :
un de ces objets marque le genre,
un de ces objets marque le nombre,
un de ces objets marque le cas.
167
A partir de la section suivante, je m’occupe de montrer le chemin analytique le plus
valable afin de rendre compte de la distribution des occurrences de Vfin. Plus parti-
culierement, la section suivante illustre que la meilleure solution pour la comprehension
de la nature de Vfin implique la presence d’une structure phonologique a l’interieur de
cet objet.
3.4 Sur la nature de Vfin
Cette section s’organise en deux sous-sections, explorant respectivement les deux hy-
potheses sur la nature de Vfin illustrees plus haut en (5-a).
Dans les deux cas, je propose de demarrer le raisonnement a partir de la structure
syntaxique sous-jacente d’un nom que nous avons deja exploitee (cf. la section 1.4 pour la
discussion theorique et la section 2.4 en ce qui concerne l’application au cas de l’italien).
En ce qui concerne le bosnien, on reparcourt le meme chemin d’investigation en se
basant sur la structure proposee ci-dessous :
(6) Structure de base et tete complexe
KP
K numP
num nP
n#RACINE
K
num K
n num
#RACINE n
Par rapport a la structure de l’italien, il faut remarquer que le bosnien explicite le cas
syntaxique en surface. Cette situation est le reflet d’une categorie fonctionnelle ulterieure,
K(ase)P(hrase) (syntagme du cas), selon la tradition minimaliste courante (cf. Bittner &
Hale 1996; Legate 2008). Plusieurs auteurs ont propose des structures fort semblables a
celle en (6), a partir de Halle (1992, 1997a); Halle & Vaux (1998) et Calabrese (1998)
pour passer aux plus recentes de Muller (2004) et Weisser (2006). 9
9. Cf. la structure proposee pour le latin, ch. prec., section 2.8.
168
Je m’occupe d’abord d’esquisser une analyse postulant que Vfin est un morpheme
amalgame.
3.4.1 Morpheme amalgame
En suivant les principes de DM, je vais explorer la facon dont cette theorie pourrait
analyser la situation preconisee par l’hypothese selon laquelle Vfin est un morpheme
amalgame.
Ainsi, on postule qu’il est l’exposant de trois proprietes morphologiques : le genre, le
nombre et le cas. Cette hypothese prevoit qu’une Vfin donnee - prenons, par exemple,
Vfin = [e] (kuce ‘maisons’, F, pl., NOM) - est la condensation phonologique de trois
morphemes. Ces trois morphemes ne sont etablis que sur une base theorique, puisqu’au-
cune forme phonologique particuliere ne leur est attribuee.
Dans une telle approche, les trois proprietes exprimees par la voyelle [e] sont toujours
un morpheme unique a tous les niveaux de representation.
Prenons maintenant la structure (6) : on s’apercoit qu’on a bien trois nœuds/morphemes
mais qu’une seule voyelle en est l’exposant phonologique. Nous avons vu que la theorie a
remarque ce probleme, et elle a essaye de le resoudre en proposant certaines operations
syntaxiques, parmi lesquelles figure la fusion (cf. chapitre precedent, section 2.3.1). Nous
avons vu que cette operation s’applique aux nœuds et elle agit de sorte que deux ou
plusieurs nœuds soient reecrits sous une seule etiquette.
Pour le cas de Vfin = [e], il faut postuler l’application de fusion a un moment donne
de la derivation, afin que le VI suivant puisse etre insere dans la structure :
(7) [+F, +pl, NOM] !" [e]
Etant donne (7), fusion s’applique aux nœuds suivants : n, num et K, en les transfor-
mant en un seul nœud incluant les traits de chacun. Voici le detail de cette operation :
169
(8) Fusion s’applique en bosnien 10
a. [n !F].[num !pl].[K K] =" [n.num.K !F, !pl, K] / liste de racines.
b. K
num n.num.K
n
!
KUC e
c. forme de surface : [kuce] ‘maisons’ F, pl, NOM.
L’esquisse de solution presentee en (8) correspond a l’analyse qui considere Vfin en
tant que morpheme amalgame.
Ce chemin analytique correspond a une reponse a"rmative a la question (5-a-i), plus
haut.
Cependant, un grand probleme surgit : une telle analyse de Vfin, combinee a une
liste ordonnee de VI comme celui en (7), n’arrive pas a saisir le fait que chaque Vfin est
formee par une et une seule voyelle. En ces termes, ce ne serait qu’un accident.
En e!et, Vfin n’est composee que par des voyelles. Plus particulierement, chaque
occurrence de Vfin est formee par une et une seule voyelle. Ces deux generalisations ne
peuvent pas etre expliquees par l’approche analytique que je viens de decrire.
De plus, j’ai deja souligne le fait que l’utilisation d’operations supplementaires comme
la fusion n’est pas positif pour la theorie, puisque cela limite le pouvoir de faire des
generalisations et des predictions valables.
Ainsi, nous allons explorer l’hypothese opposee, selon laquelle Vfin doit avoir une
structure phonologique complexe.
3.4.2 Morpheme phonologiquement complexe
Cette sous-section vise a expliciter l’hypothese selon laquelle Vfin est un objet com-
plexe ayant une structure interne.
Une telle hypothese tente d’expliquer pourquoi, a l’interieur d’un paradigme donne,
les morphemes exprimant les memes proprietes morphologiques sont phonologiquement
10. Cf. cette regle de fusion a celle proposee pour l’italien, cf. ch. prec., ex. (24).
170
semblables. Dans le cas du bosnien, par exemple, nous avons vu que toutes les marques
de genre/nombre/cas sont formees par une voyelle unique.
En outre, il faut souligner qu’une analyse devant avoir recours a des operations comme
fusion, n’exploite pas une propriete cruciale des objets phonologiques, c’est-a-dire, le fait
qu’ils peuvent avoir une structure interne. 11
Comme nous avons vu dans les deux chapitres precedents, l’hypothese centrale de
cette these est que le rapport entre une propriete morphologique donnee et son expo-
sant phonologique est mieux compris si on accepte que les morphemes ont une structure
phonologiquement complexe. En particulier, j’ai fait l’hypothese que chaque propriete pho-
nologique correspond a un exposant phonologique independant apparaissant dans tout le
systeme, sans exception.
L’hypothese plaidant en faveur d’une structure interne dans Vfin impose donc que
deux ou plusieurs objets phonologiques entrent dans la composition de chaque occurrence
de cette voyelle.
Par consequent, nous avons a!aire a une situation parallele a celle montree pour l’ita-
lien dans le chapitre precedent. La di!erence est dans le nombre d’occurrences de Vfin
dans les deux langues : quelques unites en italien, alors qu’en bosnien il faut rendre compte
d’un systeme de trente-six marques phonologiquement complexes.
Le chemin a prendre est extremement simple : on decortique chaque occurrence de
Vfin en plusieurs objets phonologiquement primitifs, ensuite on fait une hypothese sur
le role de chacun d’entre eux par rapport a la structure proposee pour le bosnien, cf. (6).
En regardant cette structure, nous deduisons qu’il va y avoir au moins trois morphemes :
un marqueur de cas, un marqueur de nombre et un marqueur de genre/declinaison.
Je propose donc la sequence sous-jacente suivante : 12
(9) Racine + Genre + Nombre + Cas
Le but des sections suivantes est de demontrer que l’hypothese qu’on est en train d’ex-
11. Comme nous avons deja mentionne, Bendjaballah (2003) est probablement la premiere a avoirexplicite cette critique vis-a-vis des theories comme DM.12. Plusieurs travaux postulent une sequence sous-jacente de morphemes fort semblable a la notre, cf.
Halle & Nevins (2009) pour le serbo-croate, Calabrese (1998) pour le latin et l’italien et Halle & Vaux(1998) pour le latin et l’armenien.
171
plorer est la seule pouvant rendre compte du fonctionnement de Vfin. En particulier, les
deux a"rmations suivantes resument notre point de depart pour analyser les occurrences
de Vfin :
(10) Vfin est un objet ayant une structure interne :
a. il a une structure phonologique complexe ;
b. chaque categorie morphosyntaxique dans la structure (6) correspond a un et
un seul objet phonologique contenu dans Vfin.
La section suivante est dediee a etablir la nature des exposants de chaque morpheme
de la sequence (9) ci-dessus, en demarrant des hypotheses en (10).
3.5 Elements, racines et exposants dans les noms du
bosnien
Nous venons de decider de suivre l’hypothese plaidant en faveur d’une structure interne
dans Vfin.
Dans cette section, je me concentre donc sur les occurrences deVfin en faisant d’abord
une hypothese sur sa structure phonologique. Ensuite, je commence l’analyse par le NOM
et je m’occupe du statut des racines ainsi que des exposants de genre, de nombre et de
cas.
3.5.1 Les occurrences de Vfin
Afin de comprendre quelle est la structure interne deVfin, il faut reprendre les donnees
du tableau 3.4 et isoler toutes les occurrences de ce morpheme complexe. Le resultat est
montre ci-dessous :
172
Table 3.5 – Occurrence de Vfin en bosnien
groupe 1 groupe 2 groupe 3M F Neusg. pl. sg. pl. sg. pl.
NOM zero i a e o aGEN a a e a a aDAT/LOC u i i a u iACC (a) e u e o aINSTR o i o a o i
En tenant compte de la sequence (9) et de l’hypothese enoncee en (10), chaque Vfin
ci-dessus est le resultat de trois morphemes sous-jacents qui sont linearises selon l’ordre
des nœuds terminaux de la tete complexe montree plus haut en (6) et repetee ci-dessous :
(11) Tete complexe d’un nom du bosnien :
K
num K
n num
#RACINE n
Maintenant, si on tient compte du fait que seul le M sg. NOM est marque par un zero
phonologique (cf. okvir ‘cadre’), alors ce zero doit etre une sequence de trois morphemes-
zero. Chaque zero est donc l’exposant de chaque nœud terminal de la tete complexe
ci-dessus (en excluant la racine).
Autrement dit, si on prend un nom masculin okvir ‘cadre’, ayant la racine#OKVIR,
et si on considere la sequence en (9), chacun des morphemes y apparaissant doit etre
phonologiquement nul. Cette situation est illustree ci-dessous :
173
(12) Les morphemes zero :
a. Racine + Genre + Nombre + Cas
b. Racine Gen Nom Cas
okvir ø ø ø [okvir]
Grace aux hypotheses sur la structure complexe de Vfin, l’observation attentive des
donnees nous emmene forcement a la representation ci-dessus. Il s’agit d’un chemin ana-
lytique regulier et oblige.
Afin de pouvoir continuer notre analyse, il faut accepter l’idee qu’un morpheme dont
l’exposant phonologique est zero est un morpheme a part entiere. Toutes les theories
n’acceptent pas cette situation, puisque certaines se limitent a observer que s’il n’y a
rien en surface (comme le M sg. NOM en bosnien), on n’a probablement rien dans la
structure non plus. En ce qui concerne DM, le morpheme zero est un morpheme comme
les autres, ayant juste un VI dont l’exposant phonologique n’est pas audible. Ainsi cette
situation ne nous pose aucun probleme supplementaire, ni sur un plan theorique, ni sur
celui analytique. 13
Nous devons maintenant reconstruire la forme sous-jacente de chaque occurrence de
Vfin.
En ce qui concerne Vfin = zero, je propose que chaque morpheme zero est l’exposant
d’une propriete morphologique donnee, comme il est montre ci-dessous :
(13) Categories ayant des exposants zero
a. genre : le M est marque par zero (dorenavant : ø).
b. nombre : le sg. est marque par zero.
c. cas : le NOM est marque par zero.
Ensuite, en ce qui concerne les autres occurrences de Vfin, vu le statut exclusivement
vocalique de ces marqueurs, on peut a nouveau faire appel a la Theorie des Elements (Kaye
et al. 1985, 1990) afin de decomposer chaque Vfin en autosegments primitifs, comme on
13. Comme nous avons deja remarque, ce zero derive historiquement d’un yer, qui a disparu en bosnien.Cf. supra, section 3.3.
174
a fait pour le francais (cf. chapitre 1 section 1.4.2) et pour l’italien (cf. chapitre precedent,
section 2.4.1).
Dans un souci de precision, je montre les expressions vocaliques pour les cinq phonemes
vocaliques du bosnien ci-dessous : 14
(14) Expressions vocaliques du bosnien
a. [a]=/A/
b. [e]=/A.I/
c. [i]=/I/
d. [o]=/A.U/
e. [u]=/U/
La sous-section suivante est dediee a l’observation des occurrences decomposees de
Vfin selon les expressions vocaliques ci-dessus. Je propose ensuite des VI pour les trois
genres ainsi qu’une typologie de racines nominales pour le bosnien.
3.5.2 Les racines et le genre
En procedant de mon hypothese sur les trois morphemes zero en (12), et en s’appuyant
sur les expressions vocaliques du bosnien au sens de TE montrees en (14), on peut agencer
les donnees du tableau 3.5 en decomposant toutes les occurrences de Vfin.
Cette situation est montree dans le tableau ci-dessous :
Table 3.6 – Occurrences de Vfin decomposee
groupe 1 groupe 2 groupe 3M F Neusg. pl. sg. pl. sg. pl.
NOM ø I A A.I U.A AGEN A A A.I A A ADAT/LOC U I I A U IACC (A) I.A U I.A U.A AINSTR A.U I A.U A A.U I
14. Ces representations ne tiennent pas compte du charme des Elements.
175
Nous allons d’abord nous concentrer sur le NOM.
En e!et, les occurrences de ce cas (les cases en gris dans le tableau ci-dessus) sont les
moins complexes du point de vue phonologique, puisqu’elles sont formees de deux objets
au plus : l’un correspondant au genre et l’autre au nombre. Le cas NOM est toujours
marque par zero, selon l’hypothese en (13-c).
Nous nous attendons donc a ce que les formes de ce cas soient moins opaques.
Voici un tableau montrant toutes les occurrences possibles du NOM pour les groupes
1, 2 et 3 :
Table 3.7 – NOM en detail
groupe singulier genre pluriel genre gloses1 okvir M okvir-i M ‘cadre(s)’2 kuc-a F kuc-e F ‘maison(s)’3.a sel-o Neu sel-a Neu ‘village(s)’3.b polj-e Neu polj-a Neu ‘champs’
Par rapport aux donnees classees au debut du chapitre (cf. tableau 3.4), ainsi qu’au
tableau 3.6, le tableau ci-dessus contient un sous-groupe ulterieur : celui des noms neutres
ayant une voyelle finale egale a [e] (cf. groupe 3.b). A premiere vue, cette situation paraıt
compliquee, puisqu’elle nous pose un probleme de plus en ce qui concerne les occurrences
de Vfin. Plus precisement, il s’agit d’un sous-groupe de noms neutres ayant Vfin = [e]
seulement aux cas directs du singulier, c’est-a-dire au NOM et ACC singuliers. 15
Pourtant, les problemes disparaissent des qu’on considere les donnees du tableau 3.7
decomposees comme celles du tableau 3.6 :
Table 3.8 – Terminaisons decomposees du NOM au complet
masculin feminin neutresingulier zero A A.U - A.Ipluriel I A.I A
Voici apparaıtre un ensemble interessant d’informations :
15. Cf. Browne (1993) pour plus de details sur ces noms. Il est curieux de remarquer que cette memeclasse est formellement masculine ou feminine en italien, alors qu’en bosnien il s’agit toujours d’un neutre.
176
(15) a. en regardant le M dans le tableau 3.8, on deduit que l’Element /I/ marque
le pluriel (Ipl) ;
b. en regardant le F dans le tableau 3.8, on deduit que l’Element /A/ marque
le feminin (A) ;
c. le Neu pl. contient l’Element /A/ seul ;
d. le Neu sg. a deux Vfin contenant l’Element /A/ combine soit avec /U/ soit
avec /I/.
La situation est extremement claire en ce qui concerne le masculin et le feminin. Dans le
premier cas, le singulier est zero, comme attendu, alors que le pluriel contient seulement le
marqueur du nombre Ipl. Parallelement, le feminin singulier contient l’exposant du genre
A, alors que son pluriel est le resultat de la fusion de A avec Ipl : [e].
Quant au neutre, une precision s’impose. En e!et, dans le tableau 3.8, on voit claire-
ment que l’Element /A/ apparaıt dans toute occurrence du neutre : il est seul au pluriel,
alors qu’il est accompagne soit de /U/ soit de /I/ au singulier.
Je fais donc l’hypothese que la presence de deux sous-groupes de noms neutres est liee
a ces deux elements : si on a /U/ alors Vfin = [o] et si on a /I/, alors Vfin = [e].
Cette consideration nous aide a faire une hypothese supplementaire : si l’alternance
entre deux formes du neutre au NOM singulier est due a l’alternance d’un element a
l’interieur de leur Vfin, alors les deux elements qui alternent entre eux sont deux expo-
sants de la meme propriete. La situation est plus claire si on considere que l’alternance
existe seulement aux cas directs et que cette alternance n’implique pas un changement
d’accord avec les adjectifs, les determinants ou les pronoms :
(16) L’alternance [o] vs. [e] au NEU :
a. jednoun-NEU.sg.NOM
selovillage-NEU.sg.NOM
‘un village’
b. jedno/*jedneun-NEU.sg.NOM
poljechamps-NEU.sg.NOM
‘un champs’
Par consequent, il s’agit de deux marques d’une et une seule propriete : le genre neutre.
177
Il existe, en e!et, une hypothese concernant ces noms. La voyelle [e] apparaıtrait
seulement lorsque la derniere consonne de la racine (donc celle a contact avec la voyelle
finale) appartient au groupe de consonnes suivant (cf. en particulier Browne & Alt 2004) :
(17) Consonnes a e!et palataliseur : c [ts], ts [tS], dz [dZ], s [S], z [Z] et lj [L]
Or, a ma connaissance il existe un seul contre-exemple a cette hypothese : more
‘mer’. 16 Quelle que soit la cause de la palatalisation dans ce cas precis, notre hypothese
semble valable : l’Element marquant le neutre est donc /U/. L’alternance entre /U/ et
/I/ est due a l’e!et palatalisateur des consonnes listees ci-dessus en (17).
Pour l’instant je laisse de cote l’autre Element apparaissant au NEU sg, /A/, puisqu’il
sera analyse dans la section suivante.
Revenons a nos observations sur les donnees du tableau 3.8. Nous sommes finalement
en mesure de faire la liste des VI en ce qui concerne le genre, tout comme on a fait pour
l’italien.
Le seul probleme est le fait qu’il y a un genre de plus, mais en suivant Lowenstamm
(2008) on peut resoudre cette impasse facilement en postulant que le neutre represente
l’absence de genre, en etant caracterise par la matrice [-genre].
Par consequent, la liste complete de VI pour le genre est la suivante :
(18) VI pour le genre
a. [+genre, -F] !" ø.
b. [+genre, +F] !" A.
c. [-genre] !" U.
Ayant etabli les exposants du genre, je souhaite mentionner un point theorique tres
interessant. Je pense notamment au statut des racines en bosnien.
Comme nous avons deja vu lors du chapitre precedent, le debat sur la racine est plutot
central en DM, surtout depuis la parution de Embick & Halle (2005). Leur travail a propose
qu’une partie des informations idiosyncratiques peuvent etre definies sous la forme d’un
diacritique lexicalement associe a la racine a laquelle cette information appartient. Ainsi,
16. Je renvoie a Browne (1993); Hammond (2005) pour quelques details supplementaires
178
la racine latine#ROS serait associee au diacritique [Ie decl.], indiquant l’appartenance a
la premiere declinaison de la langue : rosa ‘rose’, Ie decl. NOM sg.
Or, personne ne peut contester que cette information doit etre apprise en la memorisant,
puisque rien ne nous dit comment pourrait-on autrement la predire.
Cependant, comme nous avons vu lors de l’analyse de l’italien (cf. chapitre precedent,
section 2.4), nous pouvons reduire cette information a un Element primitif (cf. les RE de
l’italien) qui s’associe a un marqueur de nombre afin de former la voyelle finale d’un nom.
Ainsi, le diacritique est e!ace en faveur de l’hypothese suivante : les informations
lexicales sont introduites par un nœud au moment du premier merge avec la racine (cf.
Marantz 1995; Acquaviva 2008).
Il reste tout de meme le fait qu’on ne peut pas prevoir l’utilisation d’un VI donne a
priori, mais on est oblige de connaıtre la racine qu’on emploie. Dans le cas du bosnien, je
propose qu’au moment du premier merge entre la racine et une tete x, on epelle un des
VI ci-dessus (liste (18)) selon le genre impose par la racine. Cette situation est illustree
ci-dessous a l’aide d’un exemple par groupe :
(19) Racines du bosnien
a. x
#OKVIR zero
b. x
!
KUC A
c. x
#SELou#POLJ
U
Comme pour l’italien, je propose que le materiel phonologique est introduit par des
nœuds Th adjoints a chaque projection fonctionnelle (cf. Oltra-Massuet 1999). Ainsi, les
Elements lexicaux marquant le genre sont epeles dans le nœud Th adjoint a la premiere
tete fonctionnelle, n (cf. infra, section 3.6).
L’architecture proposee pour les racines du bosnien ressemble en e!et a celle preconisee
pour l’italien lors de la discussion sur la notion de voyelle thematique (cf. ch. prec. section
2.5.1). Nous avons vu que cette propriete lexicale correspond, en italien, a deux exposants :
le premier est celui du trait [VT] (l’unite CV), alors que l’autre depend du trait du genre
(A ou U). Par contre, le bosnien est plus simple, puisque la voyelle thematique se realise
uniquement a travers les trois exposants du genre : zero, A et U. Nous verrons les details
179
du mecanisme de formation des noms dans la section suivante.
En ce qui concerne les exposants correspondant aux racines, je propose encore de
suivre l’analyse preconisee pour les racines de l’italien.
Ainsi, le type de spell-out que chaque racine requiert est de type combine gabarit-
autosegments (cf. la typologie du spell-out au chapitre precedent : (56-c)). La raison pour
laquelle on peut a"rmer que le type de spell-out pour les racines du bosnien est bien celui
combine, se base sur deux indices : premierement, il s’agit d’une langue a morphologie
concatenative, et deuxiemement, les racines du bosnien sont des unites prononcables en
isolation, cf. les racines des noms masculins.
Dans les deux cas, on a une situation parallele a celle de l’italien, langue indo-
europeenne comme le bosnien.
Voici les VI des racines :
(20) VI pour les racines du bosnien
a. ‘cadre’ !" O K V I R
C V C V C V C V
b. ‘maison’ !" K U C
C V C V
c. ‘village’ !" S E L
C V C V
Avant d’illustrer les VI de nombre et de cas, nous devons nous concentrer sur un
probleme que les representations des racines ci-dessus soulevent.
Ce probleme consiste en l’observation suivante : quel est le site de realisation de Vfin ?
Autrement dit, quelle position V accueille Vfin afin qu’elle fasse surface ? Nous pourrions
penser, a premiere vue, que ce site est la position V finale dans la representation d’une
racine, comme il est montre en (20) (la position V est soulignee).
Nous avons remarque une situation fortement semblable en traitant les noms de l’ita-
lien (cf. ch. prec., section 2.5.3) et nous avons propose que Vfin fait surface en s’associant
a un site externe, qui est l’exposant du trait [+VT]. Je reprends cette hypothese pour le
cas du bosnien, notamment en proposant que la position V finale dans la representation
180
d’une racine n’est pas accessible a la flexion. Une syllabe externe sera donc necessaire.
Puisque le bosnien n’a pas de trait [!VT], cette syllabe externe devra faire partie de la
representation d’une des categories apparaissant dans un nom : le genre, le nombre ou le
cas.
La sous-section suivante vise a etablir les exposants phonologiques du nombre et des
cas syntaxiques, notamment en montrant que les VI du cas ont une syllabe CV dans leur
representation.
3.5.3 Les VI de nombre et de cas
Reprenons le tableau 3.8 montrant les occurrences de Vfin du NOM decomposees :
Table 3.9 – Terminaisons decomposees du NOM
masculin feminin neutresingulier zero A A.U - A.Ipluriel I A.I A
On avait observe que si l’on regarde le masculin et le feminin, on en deduit que
l’Element /I/ marque le pluriel. Or, le neutre est un probleme pour cette generalisation.
Je fais de toute facon l’hypothese que l’exposant du pluriel est /I/ dans le cas du NEU
aussi. Rappelons-nous de la structure (6) : selon cette hypothese, le NEU NOM pl. doit
avoir une structure formee par la sequence des morphemes sous-jacents ci-dessous :
(21) Racine Gen Num Cas
sel U Ipl ø [*selu] [*seli] ‘villages’
Cependant, cette sequence fait une mauvaise prediction, puisque la forme correcte
est [sela]. La question concerne donc l’apparition de [a] en surface, comment peut-il se
retrouver dans la sequence sous-jacente et faire surface tout seul ?
J’expliquerai plus tard pourquoi l’exposant du pluriel n’est pas visible dans les noms
neutres et j’expliquerai aussi le role du seul Element visible /A/, cf. infra section 3.6.3.
181
Pour l’instant, continuons avec l’hypothese selon laquelle un seul exposant de pluriel
existe.
Ce type de situation decoule en e!et de nos hypotheses, puisque j’ai propose l’existence
d’un seul exposant pour chaque propriete morphologique donnee. Ici, nous avons deux
versions du nombre et par consequent, nous allons avoir deux VI : un pour le singulier et
l’autre pour le pluriel.
La liste est montree ci-dessous :
(22) VI pour le nombre en bosnien
a. [-pl] !" ø ;
b. [+pl] !" Ipl.
La ressemblance avec l’italien est remarquable : la nature phonologique du marqueur
du pluriel dans les deux langues est identique. Il faut souligner le fait que cette situation
serait totalement indechi!rable si on n’abordait pas le probleme de la nature phonologi-
quement composite des morphemes.
En ce qui concerne les exposants des cas, la question est plus complexe.
D’abord, nous devons nous occuper de la representation qu’on peut faire d’un systeme
casuel de ce type. Il s’agit de choisir comment representer les cas sous forme de matrices
de traits, tout comme on l’a fait pour le nombre et pour le genre.
Quant a la decomposition des cas syntaxiques en matrices de traits, plusieurs approches
existent dans la litterature, parmi lesquelles je mentionne Franks (1995), Halle (1997a),
Halle & Vaux (1998) et Alexiadou & Muller (2008). 17
Le premier travail est entierement dedie a la morphosyntaxe du slave. En s’appuyant
notamment sur des exemples du russe, l’auteur y traite en detail de la facon dont on
peut rendre compte des cas a l’aide d’une matrice de traits, en discutant quelques tra-
vaux precedents et en proposant un nouveau systeme. Cependant, le systeme propose par
Franks (1995) ne permet pas de rendre compte du syncretisme entre le DAT et le LOC,
qu’on observe en bosnien.
17. L’idee de la representation du cas en matrices de traits binaires remonte a Jakobson (1962) et ason analyse du russe.
182
C’est exclusivement sur la base de cet argument que je suis principalement Halle
(1997a) et secondairement Halle & Vaux (1998). D’ailleurs, je ne souhaite pas proposer
une theorie des traits de cas, mais seulement en exploiter une propriete pour decrire mon
systeme. En e!et, nous n’avons besoin que d’une theorie pouvant decomposer tous les cas
du bosnien en matrices de traits.
Ainsi, je propose les matrices suivantes :
Table 3.10 – Decomposition des cas en traits binaires
NOM -oblique +structurel -superieurGEN +oblique +structurel -superieurACC -oblique +structurel -superieur
DAT/LOC +oblique ! structurel +superieurINSTR +oblique -structurel -superieur
Selon cette classification, le trait [!oblique] separe le NOM et ACC ([-oblique]) du
GEN, DAT/LOC et INSTR ([+oblique]). Ensuite, le trait [!superieur] separe le NOM,
GEN, ACC et INSTR du DAT/LOC, marque [+superieur]. Finalment, le trait [!structurel]
forme aussi deux ensembles : d’un cote nous avons le NOM, GEN et ACC ([+structurel])
et de l’autre l’INSTR ([-structurel]). Le DAT/LOC en est exclu, puisqu’il n’est pas specifie
en ce qui concerne ce trait.
En e!et, afin de rendre compte du syncretisme, on est oblige de neutraliser la di!erence
entre la matrice du DAT et celle du LOC, en eliminant la valeur pour le trait [structurel].
Chaque ensemble determine par la meme valeur d’un trait forme ce qu’on appelle une
! classe naturelle ". 18
Ensuite, nous devons nous occuper des exposants des matrices montrees ci-dessus.
Reprenons donc les occurrences decomposees de Vfin (cf. tableau 3.6), repetees ci-
dessous pour une meilleure comprehension :
18. Cf. Alexiadou & Muller (2008) pour plus de details.
183
Table 3.11 – Occurrences de Vfin decomposee
groupe 1 groupe 2 groupe 3M F Neusg. pl. sg. pl. sg. pl.
NOM ø I A A.I U.A AGEN A A A.I A A ADAT/LOC U I I A U IACC A I.A U I.A U.A AINSTR A.U I A.U A A.U I
La colonne grisee est celle qui nous interesse ici.
En e!et, d’apres l’hypothese sur les morphemes zero (cf. (12)), le materiel phonologique
pour les occurrences du masculin singulier ne peut exprimer que le cas.
Le tableau suivant illustre le detail de la colonne grisee du tableau 3.12 :
Table 3.12 – La decomposition du masculin singulier
M sg. cas VfinNOM ø ø ø zeroGEN ø ø A [a]DAT/LOC ø ø U [u]ACC ø ø A [a]INSTR ø ø A.U [o]
Ainsi, nous pouvons deduire que le materiel phonologique apparaissant dans la colonne
etiquettee “cas” ci-dessus correspond a la liste d’exposants des cas. Je fais l’hypothese que
l’unite CV externe servant a accueillir la realisation de surface de Vfin est epelee dans
les VI des cas, comme il est montre ci-dessous :
(23) VI pour les cas en bosnien
a. NOM : [-oblique, +structurel, +superieur] !" zero
CV
184
b. GEN : [+oblique, +structurel, -superieur] !" A
CV
c. DAT/LOC : [+oblique, !structurel, -superieur] !" U
CV
d. ACC : [-oblique, +structurel, -superieur] !" A
CV
e. INSTR : [+oblique, -structurel, -superieur] !" A.U
CV
Chaque nœud terminal de la structure recoit donc une matrice donnee correspondante
a un des cas ci-dessus (par rapport au systeme qui rend compte de la facon dont les NP
recoivent leur cas des tetes verbales, prepositionnelles ou adjectivales, cf. Legate 2008).
En ce qui concerne la nature phonologique des VI ci-dessus, il y en a plusieurs ayant la
forme d’un simple Element au sens de KLV. Par contre, celui correspondant a l’INSTR est
plus complexe, puisqu’il est forme par la combinaison de deux Elements. Il faut souligner
qu’on n’a que trois Elements, ainsi pour un systeme de cinq marqueurs, il est bien possible
que la langue exploite plusieurs fois la meme expression vocalique, ou bien l’option zero.
Quant a la presence de l’unite CV, deux arguments sont apportes dans la section
suivante, un relevant de la theorie DM et l’autre, plus important, du comportement d’un
groupe particulier de noms masculins.
Nous pouvons donc nous occuper de montrer la structure des noms du bosnien a la
lumiere des resultats obtenus jusqu’ici : ceci est l’objectif principal de la section suivante.
3.6 Les structures des noms du bosnien
Cette section illustre le fonctionnement du mecanisme de formation d’un nom du
bosnien, tout en partant des hypotheses avancees lors des sections precedentes. Nous
allons suivre le meme chemin analytique que j’ai propose pour l’italien (cf. ch. prec.
section 2.6).
Plus particulierement, cette section se divise en trois parties : la premiere se concentre
sur l’explication de quelques details supplementaires concernant lemerge cyclique du point
185
de vue de la theorie de la phase (cf. Chomsky, 2005). 19 La deuxieme partie s’occupe de
montrer la structure profonde et le spell-out des categories concernant les noms au NOM.
Finalement, on illustre les tetes complexes ainsi que leurs linearisations pour les memes
noms.
3.6.1 Le merge des categories et la cyclicite
En suivant l’approche adoptee pour l’italien, je considere que la formation d’un nom
du bosnien se deroule a travers trois etapes successives, repetee ci-dessous : 20
(24) Mecanisme de formation d’un nom
a. La structure syntaxique proprement dite ;
b. Le spell-out des nœuds terminaux ;
c. La creation d’une tete complexe.
Le point de depart est donc la structure deja montree en (6) et repetees ci-dessous :
(25) Structure de base pour le bosnien
KP
K! oblique
! structurel! superieur
numP
num! pluriel
nP
n! genre! feminin
#RACINE
Une fois la structure ci-dessus etablie, le spell-out est active. Comme nous avons vu
en discutant le cas de l’italien, ce mecanisme avance par phases.
En e!et, les structures sont representees ici en tant qu’objets uniques et complets,
cependant leur creation a lieu par des derivations sequentielles (cf. Embick 2010 : 37).
19. Cf. ch. prec., section 2.6.20. Cf. exemple (63), ch. prec. section 2.6.
186
Plus precisement, selon la theorie des phases, le spell-out est declenche a chaque mo-
ment demerge entre une tete de phase et une partie de la structure. Ainsi, le premier merge
voit l’union de la racine et de la tete categorielle n. Puisque cette derniere est une tete de
phase, le spell-out est declenche. Par consequent, on donne un contenu phonologique au
complement de la tete declenchant l’operation. Puisque dans ce cas le complement est la
racine, le spell-out donne du contenu phonologique a cette derniere.
Ensuite, on continue les merge sequentiels : apres n, on a num et K. Puisqu’aucune de
ces deux tetes n’est cyclique au sens de Embick (2010), aucun spell-out n’est declenche.
Autrement dit, le contenu de n, num et K est insere plus tard dans la derivation, no-
tamment au moment ou une autre tete de phase est inseree. Il s’agit probablement de la
projection DP, qui prend normalement KP comme complement. 21
L’hypothese la plus contraignante de la theorie des phases concerne le fait que lors-
qu’on conclut une phase en envoyant le contenu de son complement au spell-out, le materiel
phonologique devient audible et il n’est plus accessible aux operations phonologiques suc-
cessives. 22
Dans le cas qu’on examine ici, ceci veut dire que lorsque la racine est envoyee au
spell-out, elle peut eventuellement subir des operations phonologiques. Mais, quand les
exposants des trois categories fonctionnelles n, num et K sont envoyes au spell-out suc-
cessif (celui declenche par D), il ne peut plus y avoir de computation phonologique globale,
incluant le materiel de la racine et celui de ce dernier spell-out. En gros, nous allons avoir
d’abord la phonologie de la racine, ensuite celle de Vfin. 23
On comprend maintenant qu’on peut envisager une computation phonologique pour
les exposants des tetes n, num et K si et seulement si elles sont epelees dans la meme
phase. Parallelement, la phonologie de la racine a deja fait son travail.
Nous avons donc a!aire a deux spell-out, un concernant la racine et l’autre incluant
les exposants de n, num et K.
Le schema ci-dessous illustre la situation que je viens de decrire :
21. Je ne vais pas entrer dans les details, mais pour plus d’informations sur la structure du NP, cf.Alexiadou et al. (2007).22. Cf. la notion de Phase Impenetrability Condition (PIC), cf. Chomsky (2005).23. Kaye (1995) parle de cycles phonologiques en les appelant domains : il s’agit d’une idee qui a
beaucoup de points en commun avec l’idee de phase en syntaxe. Je reviens plus tard sur ce point, cf.3.7.3. Quant a une vision d’ensemble sur la question des cycles, des domaines et des phases a l’interfaceentre la phonologie et la syntaxe dans la litterature a partir de SPE, cf. Scheer (2008).
187
(26) Spell-outs successifs en bosnien :
a.#RACINE
x x x
etape 1 C V C V ====> phonologie
b. n num K
x x x
etape 2 C V ====> phonologie
Nous verrons que l’hypothese de l’impenetrabilite phonologique de la phase peut limi-
ter fortement le champs d’action de la phonologie.
En ce sens, les donnees du bosnien presentent un defi important pour la notion de
phase. Dans certains cas, le cycle phonologique ne semble pas correspondre a la phase
syntaxique.
Ainsi, en m’inspirant des critiques de Lowenstamm (2010) et de Scheer (2010), je
proposerai une interpretation moins stricte de cette notion, cf. infra section 3.7.3.
La sous-section suivante montre les structures profondes et les VI, en prenant trois
exemples, respectivement un nom M, un nom F et un nom NEU.
3.6.2 La structure profonde et le spell-out
Etant donnee la structure syntaxique montree en (25) contenant les matrices de traits
correspondant aux categories de genre, de nombre et de cas, nous allons nous occuper du
NOM.
Prenons les trois exemples suivants, un pour chaque genre de la langue : okvir ‘cadre’
M sg. NOM, kuca ‘maison’ F sg. NOM et selo ‘village’ NEU sg. NOM.
Je montre les representations syntaxiques pour chacun de ces exemples en ce qui suit :
188
(27) Structure profonde pour okvir ‘cadre’ M sg. NOM, kuca ‘maison’ F sg. NOM et
selo ‘village’ NEU sg. NOM :
a. KP
K-obl+str+sup
numP
num-pl
nP
n+gen-F
#OKVIR
b. KP
K-obl+str+sup
numP
num-pl
nP
n+gen+F
!
KUC
c. KP
K-obl+str+sup
numP
num-pl
nP
n-gen
#SEL
Au moment du premier merge, les racines s’associant a la projection nP imposent les
valeurs pour les traits [!gen ; !F]. Nous avons vu en 3.5.2 que la lexicalite est exprimee
a travers le merge de la racine avec la premiere projection fonctionnelle. Par rapport au
cas de l’italien (cf. ch. precedent, section 2.5.1), en bosnien cette information lexicale se
limite au genre seul, la propriete VT n’etant pas pertinente en bosnien.
Ensuite, numP prend nP comme complement. Sa tete, num, accueille le trait du
189
nombre. Finalement, la projection KP domine la structure et sa tete est le site de realisation
du morpheme exprimant le cas, ici le NOM.
La structure peut donc etre envoyee au spell-out.
L’insertion du materiel phonologique a lieu a l’etape suivante. Selon la typologie de
Bendjaballah & Haiden (2008) (cf. ch. prec. (56)) les VI du bosnien ont des formes
di!erentes de spell-out.
Nous avons vu que les racines ont leur propre gabarit epele au moment de l’insertion
du vocabulaire. Ensuite, le genre et le nombre declenchent des VI du type autosegmental
simple, puisque seulement un Element flottant est epele.
Finalement, nous avons la projection KP pour laquelle j’ai propose un spell-out de
type combine, autosegmental et gabaritique (cf. la typologie de spell-out, ch. prec, ex.
(56-c)), en suivant l’idee, deja soutenue pour la cas de l’italien, que Vfin se realise sur
une position V externe a celle finale du gabarit de la racine.
La liste des VI utiles a la creation d’un nom du bosnien au NOM est resumee ci-
dessous : 24
(28) VI utilises au NOM :
a. ‘cadre’ !" O K V I R
C V C V C V C V
b. ‘maison’ !" K U C
C V C V
c. ‘village’ !" S E L
C V C V
d. [+genre, -F] !" ø.
e. [+genre, +F] !" A.
f. [-genre] !" U.
g. [-pl] !" ø ;
h. [+pl] !" Ipl.
24. Cf. les listes (18), (20), (22) et (23).
190
i. NOM : [-oblique, +structurel, +superieur] !" zero
CV
La sous-section suivante s’occupe de montrer comment les exposants de la liste ci-
dessus se combinent entre eux lors de la formation des tetes complexes.
3.6.3 Tetes complexes et representations autosegmentales
Les tetes complexes des noms du bosnien sont formees de la meme facon que celles
proposees pour l’italien. En particulier, comme il a ete mentionne lors de la discussion sur
le statut des racines du bosnien (cf. supra section 3.5.2), le nœud Th est adjoint a chaque
tete fonctionnelle. Ce nœud est le site de realisation du materiel phonologique.
Cette sous-section est divisee en deux parties. La premiere s’occupe d’illustrer les
tetes complexes des noms masculins et feminins, alors que la deuxieme partie montre le
fonctionnement du neutre.
Les noms masculins et feminins
Nous commencons par les tetes complexes des noms comme okvir ‘cadre’, M sg. NOM.
Comme nous avons deja remarque, les morphemes du masculin, du singulier et du no-
minatif ont tous un exposant phonologique egal a zero (cf. l’hypothese sur les morphemes-
zero en (13)). Il s’agit donc du cas morpho-phonologiquement le plus simple dans le
systeme de la declinaison du bosnien. En e!et, mis a part le spell-out de la racine, le seul
materiel phonologique insere dans la structure correspond a l’unite CV externe introduite
par la tete K.
Ainsi, la tete complexe correspondant a cette architecture est illustree ci-dessous :
191
(29) Tete complexe de okvir ‘cadre’, M sg. NOM :
K
K Th
num K CV
num Th zero
n num zero
n Th
#ROOT n zero
okvir
CVCVCVCV
La linearisation suit dans la derivation :
(30) Linearisation de okvir ‘cadre’, M sg. NOM :
Cas ø
Nombre ø
Genre ø
Racine o k v i r
Gabarit C V C V C V C V + CVK okvir [okvir]
La representation du pluriel est montree ci-dessous :
192
(31) Tete complexe de okviri ‘cadres’, M pl. NOM :
K
K Th
num K CV
num Th zero
n num Ipl
n Th
#ROOT n zero
okvir
CVCVCVCV
La linearisation de cette tete complexe est dans ce qui suit :
(32) Linearisation de okviri ‘cadres’, M pl. NOM :
Cas ø
Nombre Ipl
Genre ø
Racine o k v i r
Gabarit C V C V C V C V + CVK okviri [okviri]
Tous les pluriels masculins se terminent en -i au NOM.
La comparaison entre la linearisation du singulier okvir et du pluriel okviri montre que
l’unite syllabique CV externe au gabarit est le site de realisation de Vfin. En e!et, nous
avons fait l’hypothese que la position V finale dans le gabarit de la racine (soulignee dans
193
les representations) n’est pas accessible a la flexion (cf. supra, section 3.5.2), en suivant le
meme chemin propose pour les noms de l’italien.
Nous avons deux arguments en faveur de cette configuration : d’une part, la notion
de phase oblige un tel choix, d’autre part, l’existence de noms masculins se terminant en
voyelle au sg. du NOM plaide en faveur d’une position externe pour accueillir la flexion.
En ce qui concerne l’argument de la phase, le gabarit de la racine est inaccessible a
cause de l’impenetrabilite phonologique d’un exposant ayant deja subi le spell-out. En
e!et, selon la theorie de la phase, nous ne pouvons pas postuler que Vfin se realise sur
une position gabaritique contenue dans le spell-out de la racine, puisque cette derniere est
epelee dans une phase precedente (celle dont n est la tete). 25 Inversement, les exposants
contenus dans Vfin sont epeles dans une phase successive. Cette situation est identique a
celle des noms de l’italien se terminant en consonne, tels film (cf. ch. prec. section 2.7.3.).
Par contre, le deuxieme argument est a retrouver dans le comportement des noms M
oxytons se terminant par une voyelle. Prenons par exemple tabure : il s’agit d’un nom
emprunte au francais tabouret. Dans les deux langues, ce nom est oxyton.
L’exemple ci-dessous montre tres clairement que nous avons a!aire a un masculin :
(33) a. jedanun-M.sg.NOM
taburetabouret-M.sg.NOM
un tabouret
b. jedniun-M.pl.NOM
tabureitabouret-M.pl.NOM
des tabourets
Le point crucial est que Vfin est une voyelle complexe qui n’est jamais accentuee. 26
Par consequent, on a a!aire a un nom se terminant en voyelle ou la voyelle finale n’est
pas Vfin, tout comme dans l’italien specie ‘espece’ ou ca!e ‘cafe’ le [e] final est invariable
(cf. ch. prec., la representation (95)).
Ainsi je propose que la representation de la racine de tabure est la suivante :
25. Nous verrons qu’il y a un cas ou cette position est ouverte a Vfin, ainsi defiant la PIC. Cf. infra,section 3.7.326. Comme nous avons largement observe, Vfin est atone en italien aussi.
194
(34) Racine de tabure ‘tabouret’ M sg. NOM :
Racine t a b u r e
Gabarit C V C V C V
Maintenant, puisque ce nom prend une marque de pluriel, cf. (33-b), nous deduisons
qu’il peut avoir toutes les marques casuelles du paradigme masculin. Cette situation est
illustree ci-dessous : 27
Table 3.13 – Paradigme de tabure
genre M Mnombre sg. pl.NOM tabure tabure-iGEN tabure-a tabure-aDAT/LOC tabure-u tabure-imaACC tabure tabure-eINSTR tabure-om tabure-imagloses ‘tabouret’ ‘tabourets’
Le tableau ci-dessus montre que le nom tabure se comporte de toute evidence comme
un nom masculin se terminant en consonne, cf. okvir.
Cette situation particuliere du bosnien est reconnue par Corbett & Browne (2008)
aussi, lorsqu’ils soulignent le fait qu’en serbo-croate tous les noms prennent les marques de
genre/nombre/cas, a la di!erence des autres langues slaves, ou plusieurs noms invariables
existent.
Dans le cadre phonologique dans lequel on travaille, la seule solution pour expliquer
la presence de marques casuelles en surface impose qu’elles soient associees a une position
V. Or, si la racine des noms comme tabure a la representation montree plus haut en (34),
on n’a aucune position V libre sur le gabarit.
Par consequent, il faut postuler la presence d’un CV supplementaire. Cette syllabe est
fournie par le spell-out de K.
La representation de la tete complexe de taburei ‘tabourets’ est montree ci-dessous :
27. Mon informatrice accepte toutes les formes du tableau 3.13 en les percevant comme regulierementformees.
195
(35) Tete complexe de taburei ‘tabourets’, M pl. NOM :
K
K Th
num K CV
num Th zero
n num Ipl
n Th
#ROOT n zero
tabure
CVCVCV
La linearisation nous montre que seule une position externe au gabarit peut accueillir
la realisation de Vfin :
(36) Linearisation de taburei ‘tabourets’, M pl. NOM :
Cas ø
Nombre Ipl
Genre ø
Racine t a b u r e
Gabarit C V C V C V + CVK taburei [taburei]
Les noms comme tabure sont l’argument crucial pour postuler la presence de la syllabe
CV epelee exterieurement a la racine. En e!et, l’existence de cet argument rend la notion
196
de phase absolument ininfluente pour notre analyse.
Ensuite, nous devons nous occuper de la tete complexe d’un nom F ainsi que de sa
linearisation. Je propose d’en montrer seulement le pluriel, en commencant par la tete
complexe :
(37) Tete complexe de kuce ‘maisons’, F pl. NOM :
K
K Th
num K CV
num Th zero
n num Ipl
n Th
#ROOT n A
kuc
CVCV
La linearisation d’un nom feminin est representee ci-dessous :
197
(38) Linearisation de kuce ‘maisons’, F pl. NOM :
Cas ø
Nombre Ipl
Genre A
Racine k u c
Gabarit C V C V + CVK kuce [kuce]
Les noms feminins ne provoquent aucun probleme particulier a l’analyse proposee ici :
en ce qui concerne leur NOM, il su"t d’ajouter le spell-out /A/ correspondant au VI
du genre feminin et la structure derive facilement la forme de surface attendue, grace,
notamment, a la fusion entre /A/ et /Ipl/.
Le neutre au NOM
Au contraire, les noms neutres posent un probleme en ce qui concerne leur representa-
tion au NOM. Nous avons deja remarque plus haut (cf. supra le tableau 3.8 et la section
3.5.3) que l’Element /A/ est toujours present dans Vfin du neutre, alors qu’on ne connaıt
pas ni son origine, ni son role.
Par un souci de clarte, je montre les donnees du NEU ci-dessous :
Table 3.14 – Le NOM du NEU
neutre exemplessingulier A + U/I selo poljepluriel A sela poljagloses ‘village(s)’ ‘champ(s)’
Puisque l’alternance entre [o] et [e] au singulier est due a un contexte phonologique
precis (la presence d’une consonne a e!et palatalisateur, cf. liste (17)), nous pouvons
a"rmer que la caracteristique principale du NEU est, on le rappelle, le syncretisme entre
le NOM et l’ACC. En observant les donnees (cf. tableau 3.6 plus haut), on s’apercoit que
Vfin correspond a [a] aussi bien au NOM qu’a l’ACC seulement dans le cas du NEU. En
e!et, selon notre liste de VI, /A/ est l’exposant de l’ACC et non pas du NOM.
198
Par consequent, je fais l’hypothese que le syncretisme est du a l’utilisation de l’expo-
sant /A/ aussi bien au NOM qu’a l’ACC. Afin d’avoir cette situation, une operation sur
les matrices de traits de cas (cf. supra tableau 3.10) est a postuler, notamment afin de
neutraliser la di!erence entre les deux matrices. En particulier, le trait [! superieur] doit
etre manipule de la facon illustree ci-dessous : 28
(39) Syncretisme NOM-ACC au neutre :
a. [-obl., +str., +sup.] (NOM) $% [-obl., +str., -sup.] (ACC)
b. VI unique : ACC/NOM !" A
Ainsi, le NOM et l’ACC ont le meme exposant phonologique a cause de la neutrali-
sation des matrices de traits correspondant a chaque cas. Cette situation a lieu dans le
contexte du neutre.
On derive donc facilement la bonne representation d’un nom neutre, comme il est
montre ci-dessous :
28. Cf. Franks (1995) pour une analyse semblable du syncretisme en slave. Franks utilise la neutrali-sation d’un trait afin d’expliquer pourquoi dans une langue donnee deux ou plusieurs cas ont le memeexposant.
199
(40) Tete complexe de selo ‘village’, Neu sg. NOM :
K
K Th
num K CV
num Th A
n num zero
n Th
#ROOT n U
sel
CVCV
La linearisation illustre la formation de Vfin = [o] :
(41) Linearisation de selo ‘village’, Neu sg. NOM :
Cas A
Nombre
Genre U
Racine s e l
Gabarit C V C V + CVK selo [selo]
La representation du singulier ne su"t pourtant pas a resoudre tous les problemes lies
au neutre.
S’il est vrai que le singulier est explique par notre hypothese, le pluriel reste un enigme,
comme la representation (21), repetee ci-dessous, avait deja illustre :
200
(42) Racine Gen Num Cas
sel U Ipl A [*sele] [*selo] ‘villages’
Au moment de la computation phonologique, trois elements doivent etre fusionnes
entre eux afin de former une voyelle complexe. Mais, comme il a deja ete souligne pour
l’italien, les elements /U/ et /I/ sont associes a la meme ligne autosegmentale, de sorte
qu’ils ne puissent plus fusionner entre eux pour former des voyelles anterieurs et arrondies,
comme [y] ou [ø]. Ainsi, dans le cas du neutre ci-dessus, l’on attend que [o] ou [e] fassent
surface.
Mais on retrouve [a]. Du point de vue technique, il faut trouver une explication au fait
que ni /U/ ni /I/ ne font surface.
Je propose de faire appel a deux regles d’allomorphie (cf. Embick, 2010), comme celles
exploitees pour l’italien (cf. ch. prec. section 2.6). Les deux regles suivantes peuvent etre
postulees :
(43) Allomorphie du NEU NOM/ACC :
a. UNEU $% zero / Ipl.
b. Ipl $% zero / ANOM/ACC.
La premiere regle e!ace l’exposant du NEU, /U/, dans le contexte du pluriel. Nous
verrons plus tard, cf. infra section 3.8 que cette regle nous servira a expliquer d’autres cas
d’allomorphie (cf. AR2 en (83-b)). Quant a la deuxieme, elle e!ace l’exposant du pluriel
aux cas directs. Le statut theorique des regles de ce type etant largement demontre par
Embick (2010), cependant leur exploitation a!aiblit le pouvoir de mes analyses. Une
solution visant a expliquer l’alternance entre le singulier [o] et le pluriel [a] ne faisant pas
appel a ce systeme serait donc preferable.
La presentation du fonctionnement du NOM se termine sur cet exemple. Nous avons
montre que Vfin est le resultat d’une operation phonologique reunissant trois Elements
epeles dans trois nœuds syntaxiques di!erents.
La section suivante traite quelques faits mettant en jeu nos representations, comme
les diminutifs, les masculins en -ov ainsi que les noms ayant des alternances V-zero.
201
3.7 Des arguments supplementaires
L’objectif de cette section est d’apporter des arguments supplementaires en faveur des
analyses que nous venons de voir.
En particulier, nous allons analyser d’abord le comportement des su"xes du diminutif
et de l’augmentatif, ensuite les noms monosyllabiques prenant un augment de la racine
(-ov ou -ev) dans le paradigme du pluriel et finalement les noms montrant l’alternance
entre une voyelle et zero au niveau de la position entre l’avant-derniere et la derniere
consonne de la racine.
Je montrerai que ces trois ensembles de donnees peuvent etre analyses a l’aide du
systeme que j’ai propose dans les sections precedentes de ce chapitre.
3.7.1 Les diminutifs
Le bosnien exploite de facon productive les alteratifs du nom, notamment le diminutif
et l’augmentatif. Dans certains cas, le choix d’un morpheme specifique depend de la variete
regionale ou sociale de la langue : mon informatrice, par exemple, percoit le su"xe -
(c)urina -moyennant une idee de grand, grossier- comme originaire de la campagne, par
rapport a un plus “standard” -(c)etina.
De toute facon, il est interessant d’examiner le comportement des alteratifs afin d’ob-
server le rapport entre Vfin du nom de base et la terminaison d’un su"xe de diminutif
(DIM) ou d’augmentatif (AUG).
Concentrons-nous, tout d’abord, sur les donnees du tableau suivant : 29
29. Cf. Steriopolo (2008 : ch. 4) en ce qui concerne la morphologie evaluative du russe.
202
Table 3.15 – Diminutifs et augmentatifs en bosnien
groupe A groupe Bsg. g. pl. g. sg. g. pl. g.
bas. okvir M okviri M konj M konji Mdim. okvir-cic M okvir-cici M konj-ic M konj-ici Maug. okvir-etina F okvir-etine F konj-curina F konj-curine F
‘cadre’ ‘cadres’ ‘cheval’ ‘chevaux’
groupe C groupe Dsg. g. pl. g. sg. g. pl. g.
bas. kuca F kuce F casa F case Fdim. kuc-ica F kuc-ice F cas-ica F cas-ice Faug. kuc-etina F kuc-etine F cas-urina F cas-urine F
‘maison’ ‘maisons’ ‘verre’ ‘verres’
groupe E groupe Fsg. g. pl. g. sg. g. pl. g.
bas. drvo N drva N pivo N piva Ndim. drv-ce N drv-ca N piv-ce N piv-ca Naug. drv-etina F drv-etine F piv-curina F piv-curine F
‘arbre’ ‘arbres’ ‘biere’ ‘bieres’
groupe G groupe Hsg. g. pl. g. sg. g. pl. g.
bas. sudija M sudije M stvar F stvari Fdim. sudij-ic M sudij-ici M stvar-cica F stvar-cice Faug. sudij-etina F sudij-etine F stvar-cetina F stvar-cetine F
‘juge’ ‘juges’ ‘chose’ ‘choses’
Les donnees sont organisees de la facon suivante : les groupes A et B contiennent,
respectivement, deux noms masculins et leurs alteratifs. Les cases C et D contiennent
egalement deux noms avec leurs alteratifs, mais il s’agit de noms feminins. Ensuite, les
groupes E et F contiennent deux neutres, apparies a leurs alteratifs.
Finalement, les groupes G et H contiennent, respectivement, un masculin irregulier
en -a (sudija) et un feminin en zero (stvar). Leurs alteratifs respectifs sont egalement
203
montres.
Tout d’abord, nous pouvons remarquer que la forme du DIM est toujours predictible
par rapport au genre du nom de base : nous observons la presence de -(c)ic pour le M,
-(c)ica pour le F et -ce pour le NEU. 30
Regardons ensuite l’augmentatif, ou deux su"xes di!erents apparaissent : -(c)urina et
-(c)etina. Le sens est absolument le meme pour les deux su"xes, la seule di!erence etant
au niveau du registre de la langue, comme il a deja ete mentionne. La caracteristique
frappante des su"xes de l’AUG est qu’ils changent le genre du nom de base (cf. les
cases grises) : un nom a l’augmentatif est toujours F en bosnien. Les formes *-(c)etin
ou *-(c)urin sont totalement agrammaticales. La situation est donc la suivante : on a un
toujours un su"xe AUG imposant le genre feminin.
Etant donne ces observations, nous pouvons tirer les deux generalisations suivantes
concernant, respectivement, le DIM et l’AUG :
(44) a. le DIM ne change jamais le genre du nom de base ;
b. l’AUG impose toujours le feminin au nom de base.
La generalisation (44-a) impose donc que les noms des groupes G et H (sudija ‘juge’
M en -a et stvar ‘chose’ F en zero) se terminent avec le timbre attendu de Vfin lorsqu’ils
sont au DIM. Ainsi, nous avons sudijic ‘petit juge’ M et stvarcica ‘petite chose’ F. Les
deux formes du DIM sont donc totalement regulieres par rapport aux genre.
A la lumiere de ces faits, on peut tirer une premiere conclusion sur Vfin dans les
alteratifs du bosnien :
(45) Alteratifs du bosnien :
a. lorsqu’on a un diminutif :
(i) si le nom est M, alors Vfin = ø.
(ii) si le nom est F, alors Vfin = [a]
(iii) si le nom est NEU, alors Vfin = [e]. 31
30. Ce dernier a un allomorphe ulterieur : sce. Cf. kinasce ‘petit cinema’ vs. kino ‘cinema’. Je ne vaispas analyser ce su"xe puisque je n’ai qu’un seul exemple dans mon corpus.31. On pourrait penser que Vfin change dans le cas du neutre, puisqu’on a toujours [e]. Mais cette
voyelle est precedee par [ts], une des consonnes a e!et palataliseur du bosnien, cf. (17). Comme il aete montre, ces consonnes provoquent la palatalisation de l’element /U/ $% /I/, visible en surface avec
204
b. lorsqu’on a un augmentatif, le nom est toujours feminin (Vfin = [a]).
Nous allons d’abord etudier le comportement du DIM.
Le fait que le su"xe du DIM regularise le timbre de Vfin par rapport au genre
impose par la racine, semble etre le reflet d’une situation plus generale que nous avons
deja remarquee : en bosnien le genre et la declinaison (ou le groupe flexionnel) coıncident.
Par consequent des qu’on fait une operation morphologique sur un nom, celui-ci doit etre
insere dans le groupe correspondant a son genre, meme si le nom de base ne semble pas
regulier. Cette situation est identique a celle rencontree en italien, cf. ch. prec. section
2.6.2.
Je propose donc que le su"xe du diminutif s’interpose entre la racine et l’exposant
phonologique du genre. Cette position, nous l’avons vu a plusieurs reprises, correspond a
un site qui bloque les allomorphies eventuelles declenchees par la racine et ayant comme
cible les exposants de genre, de nombre et de cas. 32
Ainsi, je reprends la structure proposee pour les diminutifs de l’italien (cf. ch. precedent
(76)) et je considere que DIM est introduit dans la structure par la tete Lex en bosnien
aussi. Je montre la structure de base pour un diminutif, integree avec la projection KP,
dans ce qui suit :
l’alternance [o] vs. [e].32. A ce propos, cf. la section 3.9, ou deux groupes de noms, ceux comme sudija ‘juge’ et ceux comme
stvar ‘chose’ sont analyses justement en postulant des regles d’allomorphie. Comme nous venons de levoir, ces noms sont reguliers dans le paradigme du DIM.
205
(46) Structure de base pour un diminutif
KP
K numP
num nP
n LexP
Lex#RACINE
[cas] [!pl] [!F][!gen]
Dim
A partir de la structure ci-dessus, on derive une tete complexe.
En ce qui concerne l’exposant du DIM, chaque genre semble imposer une forme par-
ticuliere, comme le tableau ci-dessous l’illustre :
Table 3.16 – Formes du su"xe diminutif
sg. IPA g. pl. IPA g.dim. -(c)ic [("tS)i"tC] M -(c)ic-i [("tS)i"tCi] Mdim. -(c)ic-a [("tS)i"tsa] F -(c)ic-e [("tS)i"tse] Fdim. -c-e ["tse] N -c-a ["tsa] N
Si on part de l’idee qu’il y a bien trois formes du su"xe du diminutif, une pour chaque
genre, on doit postuler la presence de trois VI. Chaque VI correspondrait ainsi a une
matrice incluant le genre et le trait [+DIM], selon les principes de DM standard :
(47) VI pour trois su"xes du diminutif
a. [+DIM, (+gen, -F)] !" (c)ic ;
b. [+DIM, (+gen, +F)] !" (c)ica ;
c. [+DIM, -gen] !" ce.
206
Cette situation est peu souhaitable, pour au moins deux raisons. Tout d’abord, elle va
contre nos hypotheses sur l’architecture de l’interface entre la syntaxe et la phonologie.
En e!et, si on l’accepte, le trait [+DIM] a trois VI se trouvant en competition entre eux.
Mais nous avons vu que ma proposition va dans la direction opposee : il n’y a pas de
competition et donc il n’y a qu’une seule forme sous-jacente du su"xe du diminutif.
La deuxieme raison consiste en le fait qu’on ne peut pas nier que les trois VI en (47)
sont phonologiquement lies les uns aux autres. En particulier, si on considere que /"ts/
$% ["tC] i #, 33 on peut faire l’hypothese que les trois allomorphes partagent la consonne
/"ts/.
Je considere donc que le DIM a un une forme sous-jacente unique, comme montre
ci-dessous :
(48) Forme sous-jacente du DIM : /i"ts/
Un argument supplementaire a l’hypothese ci-dessus nous est o!ert par la diachronie :
en e!et, la forme reconstituee du diminutif du slave commun est */iko/ (cf. Meillet, 1965;
Grandi, 2003; Halla-aho, 2006). Un phenomene de “palatalisation” explique pourquoi on
est passe de la velaire a une a!riquee.
Afin de rendre compte des trois formes attestees en surface, je fais d’abord une hy-
pothese sur la forme du spell-out du diminutif. Mes hypotheses concernant le fonctionne-
ment du spell-out imposent, comme nous avons vu a plusieurs reprises, un seul VI pour
chaque categorie. Ainsi, les di!erences que nous observons en surface entre les allomorphes
du DIM sont entierement de la responsabilite de la phonologie.
Je propose donc un VI unique pour le DIM du bosnien :
(49) VI pour le DIM du bosnien : [+DIM] !" C V
i "ts
Prenons maintenant un exemple pour chaque genre afin de montrer comment on predit
la creation de la forme du su"xe qu’on attend. Le F est le cas le plus simple et on en
predit facilement la tete complexe :
33. Il s’agit d’une position de palatalisation en bosnien, alors que dans le cas du feminin, la consonneen question est suivie par /a/, une consonne qui bloque toute palatalisation.
207
(50) Tete complexe de casica ‘petit verre’ :
K
K Th
num K CV
num Th
n num
n Th
Lex n [FA]
# Lex
cas i"ts
CVCV CV
La linearisation se deroule sans problemes particuliers, comme il est montre ci-dessous :
(51) Linearisation de de casica ‘petit verre’ :
Cas ø
Nombre ø
Genre A
Diminutif i "ts
Racine c a s
Gabarit C V C V + C V + CVK casica ["tSaSi"tsa]
Puisque le VI du diminutif est unique et les VI du genre, du nombre et du cas, ont
208
deja ete etudies, je ne vais pas montrer les tetes complexes des diminutifs du masculin et
du feminin.
Par contre, les linearisations de ces noms doivent etre expliquees. Prenons les deux
exemples suivants : konjic ‘petit cheval’ et pivce ‘petite biere’.
Je montre d’abord comment se deroule la linearisation d’un nom DIM au M :
(52) Linearisation de konjic ‘petit cheval’ M, sg. NOM :
Cas ø
Nombre ø
Genre ø
Diminutif i "ts
Racine k o ñ
Gabarit C V C V + C V + CVK konjic /koñi"ts/
Comme nous avons remarque, la consonne a!riquee sous-jacente /"ts/ propre au VI du
DIM, fait surface en tant qu’a!riquee palatale ["tC]. Plus precisement, cette palatalisation a
lieu lorsque la sequence /i"ts/ est en fin de mot. La regle suivante doit donc etre postulee :
(53) /"ts/ $% ["tC] i #
Par consequent, l’application de (53) produit la forme attendue en surface :
(54) /koñi"ts/ % [koñi"tC]
Quant au DIM du NEU, la linearisation est montree ci-dessous :
209
(55) Linearisation de pivce ‘petite biere’ NEU, sg. NOM :
Cas A
Nombre ø
Genre I 34
Diminutif i "ts
Racine p i v
Gabarit C V C V + C V + CVK pivce [piv"tse]
Dans le cas du NEU, l’allomorphie du su"xe du DIM se produit a travers l’elision du
/i/ appartenant au VI /i"ts/. Je propose tout simplement l’application d’une regle d’allo-
morphie a!ectant le su"xe du diminutif lorsqu’il est adjacent a des racines declenchant
l’accord au neutre : 35
(56) Regle d’allormophie : /i"ts/ $% ["ts] / Neutre
Par contre, l’exposant du neutre /U/ subit la palatalisation due a la presence de
l’a!riquee /"ts/, comme il a ete deja remarque, cf. supra (17) et cf. l’exemple suivant : srce
‘cœur’ NEU, sg. NOM.
Nous pouvons maintenant nous concentrer sur l’augmentatif.
Puisque l’AUG impose le genre feminin, on a deux hypotheses possibles sur sa position
dans la structure : (i) il est introduit par la tete n puisqu’il impose un genre ou bien (ii)
il est introduit par Lex0 puisqu’il s’agit d’un su"xe alteratif tout comme le diminutif.
Je propose d’explorer la premiere hypothese, selon laquelle l’AUG est un exposant de
la tete n. Je considere que si un su"xe impose le genre au nom alors il doit bien etre
l’expression de la tete n.
La structure suivante montre la position de l’AUG :
34. /I/ est le resultat de la palatalisation typique du NEU lorsqu’on a une consonne de la liste (17), cf.supra section 3.5.2.35. La position V soulignee dans la representation (55) est en principe accessible a la voyelle /i/ du
su"xe du DIM, puisque la racine et la tete Lex sont dans la meme phase.
210
(57) Structure d’un nom AUG
KP
K numP
num nP
n#RACINE
[cas] [!pl] AUG[+F]
La position de l’AUG montree ci-dessus est equivalente a celle du su"xe agentif /tor/
‘-teur’ que nous avons analyse en italien (cf. ch. prec. section 2.6.3, ex. (87)) : dans le cas
de l’italien, /tor/ impose l’appartenance du nom a une classe donnee de noms, notamment
celle ayant Vfin = [e]. Cette situation a lieu parce que le su"xe /tor/ est introduit par
la tete n.
Parallelement, en bosnien, l’AUG impose l’appartenance du nom altere a la classe des
noms feminins, ayant donc Vfin = [a]. 36
Ensuite, je propose le VI suivant pour l’AUG : 37
(58) VI pour le DIM en bosnien : [+AUG] !" C V C V C V
c e t i n
La consonne c est flottante, puisqu’elle ne fait surface que dans certains contextes.
Ces contextes n’etant pas clairs sur la base de mon corpus, je ne m’en occuperai pas. En
tout cas, mon analyse prevoit les deux formes de l’AUG : aussi bien [etina] que ["tSetina]
peuvent etre formees.
36. Une ligne de recherche future doit se pencher sur des donnees telles jezicurina ‘grande gueule(quelqu’un qui parle beaucoup)’, formee a partir du nom jezik ‘langue’. Nous avons a!aire ici a un su"xederivationnel. Mon corpus etant limite, je n’ai pas pu poursuivre ma recherche en suivant cette ligne.37. Comme on a vu, il existe deux su"xes de l’augmentatif en bosnien, mais leur utilisation depend
entierement du choix du locuteur puisque la structure de la langue n’impose aucune des deux variantes.Pour cette raison, on ne peut pas parler de competition entre ces deux morphemes. Plutot, on peut penserque le trait [+AUG] a deux realisations phonologiques dont la selection renvoie completement a des faitsextra-linguistiques, desquels je ne m’occupe pas dans ce travail.
211
Finalement, je montre la tete complexe de drvetina ‘gros arbre’ :
(59) Tete complexe de drvetina ‘gros arbre’ :
K
K Th
num K CV
num Th
n num ø
n Th
# n [FA]
drv cetin
CVCV CVCVCV
La linearisation de cette forme est montree en ce qui suit :
(60) Linearisation de drvetina ‘gros arbre’ :
Cas ø
Nombre ø
Genre A
Augmentatif c e t i n
Racine d r v
Gabarit C V C V + C V C V C V + CVK drvetina [drvetina]
La redondance des positions V libres dans la representation ci-dessus est expliquee
212
comme suit.
Quant a la position V dans le gabarit de la racine (soulignee, a gauche), nous avons
etabli qu’elle n’est pas ouverte a la flexion. Or, nous discutons un cas de derivation.
Cependant, une frontiere de phase existe, puisque la racine est le complement de la phase
dont n est la tete. Par consequent, aucune interaction n’est possible, en principe.
Quant a la deuxieme position V soulignee, elle est vide puisque la syllabe CVK doit
etre epelee. En e!et, l’exposant du cas prevoit l’insertion de cette unite CV externe, qui
est donc toujours epele lorsque la tete K est presente dans une structure.
En conclusion, l’AUG marche comme un su"xe nominalisateur en bosnien. Il a un
comportement que nous avons rapproche de celui du su"xe agentif /tor/ etudie en italien.
La sous-section suivante s’occupe de montrer comment les noms masculins prenant
l’augment -ov au pluriel sont analyses selon mes hypotheses.
3.7.2 Les masculins en -ov
En bosnien il existe des noms monosyllabiques tres interessants du point de vue de la
flexion du nombre. Ces noms sont caracterises par l’ajout de la syllabe -ov (ou -ev) dans
leur paradigme du pluriel, comme il est montre ci-dessous :
Table 3.17 – Les noms en -ov
groupe A groupe Bgenre M M M Mnombre sg. pl. sg. pl.NOM drug drug-ov-i kljuc kljuc-ev-iGEN drug-a drug-ov-a kljuc-a kljuc-ev-aDAT/LOC drug-u drug-ov-ima kljuc-u kljuc-ev-imaACC drug-a drug-ov-e kljuc-a kljuc-ev-eVOC drug-e drug-ov-i kljuc-e kljuc-ev-eINSTR drug-om drug-ov-ima kljuc-om kljuc-ev-imaglosses ‘ami’ ‘amis’ ‘cle’ ‘cles’
Trois observations s’imposent a la vue des donnees de ce tableau. Tout d’abord, Vfin
est la meme que celle du paradigme du M, cf. tableau 3.4. Deuxiemement, la syllabe -ov est
213
inseree entre la racine et Vfin, seulement au pluriel . Finalement, -ov a un allomorphe
-ev - qui nous permet d’observer, a nouveau, l’alternance [o] vs. [e], comme dans le cas de
Vfin propre aux cas directs du neutre (cf. selo ‘village’ vs. srce ‘cœur’, cf. aussi la liste
(17) et la section 3.5.2).
Ce dernier point est facilement explicable. En e!et, la presence de [e] n’est due qu’a
l’e!et de palatalisation de la derniere consonne radicale /"tS/. Il s’agit donc d’un phenomene
phonologique regulier. Par consequent, je pose qu’il n’y a qu’un seul su"xe qui s’ajoute
a droite de la racine dont la forme sous-jacente est : /ov/.
Ensuite, /ov/ apparaıt toujours entre la racine et Vfin. Ce fait est un indice en faveur
de l’hypothese selon laquelle on a a!aire a un objet de nature lexicale, dont on ne peut
pas forcement predire la distribution et en meme temps dont on exclut l’appartenance
au groupe des morphemes flexionnels, tels que, par exemple, les trois morphemes faisant
partie de Vfin. 38 En e!et, Vfin ne change jamais en fonction de /ov/ et, de plus, tous les
noms monosyllabiques ne prennent pas forcement cet augment au pluriel, cf. par exemple
konj ‘cheval’ vs. konji ‘chevaux’. Il semble bien que le fait de declencher /ov/ au pluriel
releve d’une propriete de la racine, et donc, d’un objet qui est bas dans la structure (cf.
Marantz 1997, 2001).
Finalement, ce su"xe /ov/ apparaıt seulement au pluriel : il alterne donc avec zero,
au singulier.
En tenant compte des observations que nous venons de faire, je propose d’abord la
representation suivante pour les racines de ce groupe de noms :
(61) ‘ami’ !" d r u g o v
C V C V C V
Dans le cadre CVCV, un segment qui alterne avec zero peut etre represente comme
etant un segment flottant qui n’est pas associe a une position gabaritique donnee. De cette
maniere il n’est pas audible en surface. La condition de non-association des autosegments
est une propriete de la representation lexicale.
38. Nous verrons que les formes du DIM degagent tout doute concernant la nature non inflexionnellede l’augment /ov/.
214
Au contraire, la condition pour que ces deux autosegments soient audibles depend
du contexte : dans ce cas, il s’agit du pluriel nominal. Comme on a montre plusieurs
fois, le genre M est marque par ø, donc l’exposant Ipl propre au pluriel est adjacent a la
racine. Cette situation se verifie parce qu’aucun objet ne s’interpose entre la tete num (qui
accueille l’exposant du pluriel) et la racine. La racine peut donc declencher l’allormophie
lorsqu’elle “voit” l’exposant du pluriel.
Par consequent, je fais la prediction que ces noms ne peuvent etre que M. Puisqu’un
nom F ou NEU doit toujours avoir un Element entre la racine et Ipl (l’exposant du genre,
/A/ pour le F et /U/ pour le NEU), la possibilite que /ov/ soit active dans le contexte
du pluriel est toujours bloquee. En e!et, il se trouve que les noms de ce groupe sont
exclusivement masculins.
Ensuite, je propose que l’augment /ov/ est introduit par la tete Lex. Cette tete, que
nous avons mentionnee a plusieurs reprise, fournit une unite CV. De cette facon, /ov/ est
insere dans la meme phase que la racine, au dessous de nP.
La structure du pluriel drugovi est representee ci-dessous :
215
(62) Tete complexe de drugovi ‘amis’ M pl NOM :
K
K Th
num K CV
num Th
n num Ipl
n Th
Lex n ø
# Lex
drugov
CVCVCV CV
La linearisation se deroule sans problemes :
(63) Linearisation de drugovi ‘amis’ M pl NOM :
Cas ø
Nombre Ipl
Genre ø
Racine d r u g o v
Gabarit C V C V C V + CVlex+ CVK drugovi [drugovi]
La representation ci-haut montre que la tete Lex fournit le CV necessaire afin que
/ov/ soit audible. Par contre, le CVK n’est pas accessible, puisqu’il se retrouve en dehors
de la phase epelee avec la racine (n etant la tete de cette phase).
216
L’association des autosegmentes /o/ et /v/ n’a lieu que dans le contexte du pluriel,
c’est-a-dire a la presence de l’exposant Ipl. L’allomorphie de la racine peut donc avoir lieu
seulement si la racine est adjacente a l’exposant du pluriel. Cette condition est exprimee
de la facon suivante :
(64) Adjacence : racine!Ipl.
Avant de conclure, il est interessant d’observer le comportement des diminutifs des
noms du groupe en -ov.
Etant donne le su"xe du diminutif /i"ts/, quelle est la forme correcte pour ‘les petits
amis’, drugici ou drugovici ?
Le mecanisme propose predit, en e!et, que la forme grammaticale est drugici, c’est-a-
dire de la forme sans l’augment /ov/.
Du point de vue de la representation proposee plus haut pour drugovi, lorsqu’on cree
un diminutif, la tete Lex introduit aussi bien le su"xe DIM /-i"ts/ que l’unite syllabique
CV. De cette maniere, la racine n’est plus adjacente au su"xe Ipl, donc la condition pour
que /ov/ fasse surface n’est pas satisfaite (cf. (64)).
Nous pouvons ainsi constater que /ov/ et /ic/ sont en distribution complementaire au
pluriel, puisqu’ils ne peuvent jamais co-exister, *drugovici etant agrammatical.
Ainsi, nous pouvons a"rmer que l’augment /ov/ n’est pas l’expression de la flexion. Si
c’etait le cas, il devrait apparaıtre lorsque la racine#DRUG est inseree dans un contexte
de pluriel, que ce soit dans un nom de base ou bien altere par un DIM.
Par consequent, la seule possibilite est la forme drugici, comme il est montre ci-dessous :
217
(65) Tete complexe de drugici ‘petits amis’ M pl NOM (DIM) :
K
K Th
num K CV
num Th
n num Ipl
n Th
Lex n ø
# Lex
drugov i"ts
CVCVCV CV
La linearisation du DIM drugici est montree ci-dessous :
(66) Linearisation de drugici ‘petits amis’ M, pl, NOM (DIM) :
Cas ø
Nombre Ipl
Genre ø
Dim i "ts
Racine d r u g o v
Gabarit C V C V C V + CVlex+ CVK drugici [drugi"tCi]
Ma solution utilise a la fois une explication phonologique (cf. liee a la representation
218
specifique de la racine) et une explication morpho-syntaxique, basee sur le principe de
localite entre les nœuds terminaux (cf. la condition d’adjacence en (64) et l’agrammatica-
lite de la forme *drugovici). Par ailleurs, l’analyse que je propose explique aussi que ces
noms ne peuvent etre que masculins.
La sous-section suivante presente un phenomene mettant fortement en cause l’approche
basee sur la notion de phase.
3.7.3 Les alternances V vs. zero et o vs. l
En bosnien il existe deux groupes de noms ayant des alternances au niveau de la
racine. Ces alternances ont lieu entre d’une part, les formes du NOM sg. et du GEN pl.
et, d’autre part, celles des autres cas.
Le premier groupe presente l’alternance voyelle-zero entre la derniere et l’avant-derniere
consonne de la racine ; le deuxieme groupe montre l’alternance entre /o/ et /l/ le long du
paradigme (cf . Browne & Alt 2004 : 18-22 pour quelques details supplementaires).
Observons, tout d’abord, les donnees ci-dessous : 39
39. En discutant avec Miloje Despic (University of Connecticut), que je remercie profondement, j’ai puverifier que les noms montrant les alternances voyelle-zero ne semblent pas avoir des restrictions en cequi concerne la premiere voyelle. Tous ces noms se terminent en VCaC# au NOM sg, ou V peut etre unedes cinq voyelles suivantes : /a, e, i, o, u/.
Voici un exemple pour chaque voyelle : zavrsetak NOM sg. vs. zavrsetka GEN sg. ‘fin’ ; pisac NOMsg. vs. pisca GEN sg. ‘ecrivain’ ; lonac NOM sg. vs. lonca GEN sg. ‘poele’ et trupac NOM sg. vs. trupcaGEN sg. ‘morceau, tronc, stupide’.
219
Table 3.18 – Les alternances dans les noms
groupe A groupe Bgenre M M M Mnombre sg. pl. sg. pl.NOM vrabac vrapc-i misao misl-iGEN vrapc-a vrabac-a misl-a misal-aDAT/LOC vrapc-u vrapc-ima misl-u misl-imaACC vrapc-a vrapc-e misl-o misl-eVOC vrapc-e vrapc-i misl-e misl-eINSTR vrapc-om vrapc-ima misl-om misl-imaglosses ‘moineau’ ‘moineaux’ ‘pensee’ ‘pensees’
L’alternance voyelle-zero est une caracteristique commune des langues slaves, et on la
retrouve en polonais, en tcheque, en russe, etc.. (cf. Scheer, 1997), alors que l’alternance
entre /l/ et /o/ est typique au serbo-croate (cf. Corbett & Browne, 2008).
On doit tout d’abord faire quelques considerations a propos des donnees ci-dessus.
Le groupe A a une forme /vrapa"ts+zero/ au NOM sg. qui alterne avec une forme
radicale ayant la forme /vrap"ts+Vfin/. Seul le GEN pl. ne suit pas cette generalisation,
puisqu’on retrouve la forme /vrapa"ts+Vfin/. 40
La premiere impression qu’on a, c’est que la racine /vrap"ts/ est possible si et seulement
si Vfin n’est pas zero. Si Vfin = ø (le cas du NOM), on insere /a/ pour eviter une
sequence consonantique interdite a la finale du mot.
Cependant, le GEN pl. est problematique, puisqu’en depit du fait que Vfin n’est pas
zero, la racine a la forme a deux voyelles, /vrapa"ts/, comme s’il s’agissait du NOM sg.
Cette situation est bien connue dans la litterature et elle cree un nombre de problemes
aux theories phonologiques et morphologiques, voir par exemple : Kaye (1995), Bailyn
& Nevins (2008), Halle & Nevins (2009), Scheer (1997), Scheer (1999), parmi les plus
interessants.
Quant au groupe B, nous pouvons observer le meme type d’alternance de la racine
entre le NOM et les autres cas. Pourtant, une alternance supplementaire doit attirer
40. Le voisement de /p/ en [b] est le resultat d’une position intervocalique, cf. l’adjectif srpski ‘serbe’et le nom du Pays Srbija ‘Serbie’ (/r/ peut etre vocalique en serbo-croate, comme dans l’exemple citeici).
220
notre attention. En regardant la majorite des cas, on peut penser que la racine a la forme
sous-jacente suivante : /misl/, alors que le NOM est [misao] en surface.
L’hypothese acceptee est que /l/ devient [o] lorsqu’il se trouve en fin de mot. Ainsi,
on peut postuler une racine unique /misl/ dans toutes les formes. La presence du /a/ est
due au fait qu’une sequence de deux consonnes en fin de mot est interdite.
En ce qui concerne le GEN pl, il se comporte exactement comme celui de l’autre
groupe : la racine prend la forme /misal/ ou le deuxieme /a/ n’est pas attendu, puisque
Vfin n’est pas zero.
Etant donne ces considerations, je considere qu’un seul groupe de noms a lieu d’exister.
Ainsi, nous avons a!aire a un phenomene unique d’alternance voyelle-zero, ou la voyelle
alternante est historiquement un yer se realisant comme [a] en serbo-croate (cf. Browne,
1993; Browne & Alt, 2004; Corbett & Browne, 2008; Halle & Nevins, 2009; Jakobson,
1948; Scheer, 1997). Cependant, il faut expliquer pourquoi le GEN pl., qui a bien une
marque non-nulle en position de Vfin, prend la forme de la racine correspondant a celle
du NOM. 41.
La theorie phonologique a developpe plusieurs outils afin de rendre compte des alter-
nances dont il est question ici. Je vais rapidement en passer trois en revue.
Une approche basee sur les regles, sur la ligne de SPE, explique cette situation en
posant les deux representations sous-jacentes /vrapc/ et /misl/ pour les racines et en
postulant les deux regles suivantes :
(67) Regles phonologiques :
a. ø =" [a] / C C#
b. /l/ =" [o] / #
Ces deux regles doivent bien evidemment etre strictement ordonnees, (67-a) s’appli-
quant avant (67-b) afin d’eviter la formation d’une forme agrammaticale : *miso. Il s’agit
d’un phenomene d’opacite, puisque l’application de (67-b) e!ace le contexte d’application
de la premiere (cf. le phenomene de counter-feeding, Idsardi 1999, 2000 et Bakovic 2007,
41. On peut aussi bien avoir un phenomene d’alternance voyelle-zero dans une racine ayant un /l/ enposition finale prenant un pluriel avec l’augment /ov/ : pijetao M sg. NOM vs. pijetla M sg. GEN etpijetlovi M pl. NOM vs. pijetlova M pl. GEN ‘coq(s)’.
221
A paraıtre). Cependant, les deux regles ci-dessus ne peuvent pas expliquer la derivation
du GEN pl., puisque (67-a) ne declenche pas l’epenthese de [a] dans un contexte ou la
racine est suivie d’une voyelle.
Ensuite, nous pouvons traiter ce type d’alternances dans le cadre de la phonologie du
gouvernement (Kaye et al., 1990; Kaye, 1995). Selon cette theorie, lorsqu’un zero n’est
pas gouverne, une voyelle doit etre inseree. Ici, on a exactement ce type de phenomene :
les deux positions “x” soulignees en (68) sont gouvernees si et seulement si la position
V a leur droite a un contenu phonologique non-zero. Lorsqu’elles sont gouvernees, elles
peuvent etre vides, donc faire surface en tant que zero :
(68) Les alternances V-zero dans la phonologie du gouvernement : le GEN sg.
a. v r a p a "ts a
x x x x x x x vrapca GEN sg.
b. m i s a l a
x x x x x x misla GEN sg.
Inversement, lorsqu’elles ne sont pas gouvernees (c’est le cas en (69)), elles doivent
avoir un contenu phonologique non-zero : les deux representations nous montrent que cet
objet est deja present, il su"t juste qu’il soit associe a la position V pour qu’il fasse
surface :
(69) Les alternances V-zero dans la phonologie du gouvernement : le NOM sg.
a. v r a p a "ts
x x x x x x x vrabac NOM sg.
b. m i s a l
x x x x x x misao NOM sg.
La solution preconisee par la representation ci-dessus est aussi mise en di"culte par
le GEN pl. Puisque la position du /a/ faible subissant l’alternance est gouvernee, alors
cette voyelle ne doit pas etre associee au gabarit.
Dans ce contexte, Kaye (1995) propose, en ce qui concerne des alternances equivalentes
en polonais, de considerer qu’il y a des domaines phonologiques di!erents. Ainsi, tous les
222
cas, sauf le NOM sg. et le GEN pl., sont derives en un seul domaine phonologique, alors
que ces deux exceptions relevent du fait qu’ils necessitent deux etapes. Dans le cas du
GEN pl., le premier domaine derive [vrabac], ensuite le deuxieme derive la forme attestee
[[vraba"ts]a], comme il est montre ci-dessous :
(70) Les alternances V-zero dans la phonologie du gouvernement : le GEN pl.
a. v r a p a "ts
x x x x x x x domaine 1 [vraba"ts] GEN pl.
b. v r a p a "ts a
x x x x x x x domaine 2 [[vraba"ts]a] GEN pl.
Lors du domaine 1, la forme /vraba"ts/ est derivee : la voyelle /a/ associee a la position
“x” soulignee n’etant pas gouvernee, elle doit donc faire surface. Ensuite, lors du domaine
2, le marqueur du GEN /a/ est su"xe en s’associant a la derniere position “x” disponible.
Puisque les frontieres de domaine sont impenetrables aux operations phonologiques (cf.
Kaye 1995), la position “x” soulignee n’est pas gouvernee (en depit des apparences) et
donc la voyelle /a/ instable doit faire surface : /vraba"ts/ devient [vraba"tsa] GEN pl.
L’analyse ci-dessus explique l’alternance V-zero entre le GEN pl. et le GEN sg., mais
elle le fait en deplacant la frontiere de domaine de maniere arbitraire. La question concerne
donc la facon dont cette frontiere doit etre determinee.
Ainsi, la ressemblance avec les predictions de la theorie de la phase est absolument
remarquable.
La litterature phonologique a ete recemment defiee par l’approche basee sur les con-
traintes, autrement connue comme OT (Prince & Smolensky, 1993). En particulier, Cho-
ciej (2009) aussi analyse les alternances V-zero du polonais. Cependant, si on prend les
contraintes et les hierarchies proposees, on n’arrive pas a resoudre toutes les derivations
des noms du bosnien. Les contraintes que Chociej (2009) propose sont les suivantes :
(71) Contraintes exploitees :
a. DEP = chaque segment de l’output a un correspondant dans l’input ;
b. NUCLEUS = chaque mot doit avoir au moins une syllabe ;
c. *COMPLEX CODA = les codas de plus d’un segment sont interdites ;
223
d. ALIGN-R = la frontiere droite de l’input doit coıncider avec la frontiere
droite de l’output ;
e. IDENT = chaque segment de l’input doit etre indentique a son correspondant
dans l’output ;
f. MAX = permet une violation par chaque segment present dans l’input n’etant
pas present dans l’output ;
g. AGREE (Voisement) = impose l’accord du trait [voise] aux occlusives entre
deux voyelles.
La derniere contrainte (71-g) a ete ajoutee pour expliquer le voisement qu’on observe
en bosnien, a la di!erence du cas du polonais. La hierarchie de ces contraintes est plausi-
blement la suivante :
(72) NUCLEUS >> AGREE >> IDENT >> MAX >> DEP >> *COMPLEX-
CODA (*C-C) >> ALIGN-R.
Commencons par la derivation du NOM sg., en prenant l’exemple vrabac. La forme en
input est clairement /vrapc+ø/ :
Table 3.19 – Alternances en OT : le NOM sg.
/vrap!ts+ø/ NUC AGR IDENT MAX DEP *C-C AL-R
☞ ! vrap"ts *vrapa"ts * * * *vraba"ts * * * *
La contrainte *C-C etant trop profonde, on ne peut pas deriver la forme attendue :
[vraba"ts]. On pourrait donc changer l’ordre des contraintes, et ainsi deriver la bonne
forme. Si on fait ce choix, cependant, on s’expose a d’autres problemes : la derivation du
GEN sg. ne serait pas possible avec un ordre di!erent des contraintes :
224
Table 3.20 – Alternances en OT : le GEN sg.
/vrap!ts+a / NUC AGR IDENT MAX DEP *C-C AL-R
☞ vrap"tsa *vrapa"tsa * * * *vraba"tsa * * * *
Comme on peut voir, la hierarchie des tableaux 3.19 et 3.20 donne l’output correct
pour le GEN sg. alors que pour le NOM sg. elle derive une forme agrammaticale. Ainsi,
si on change l’ordre pour deriver le NOM sg., on en conclut qu’on ne pourra plus deriver
le GEN sg.
Pourtant, on peut remarquer que le GEN pl. non plus ne peut pas etre correctement
derive avec l’ordre des contraintes des deux tableaux ci-desssus : en e!et, il correspond
au troisieme candidat du tableau 3.20. Etant donne que l’on aurait la meme sequence
d’input (le genitif est toujours marque par /a/, le output que OT predit est a nouveau
[vrapca].
Par consequent, afin de deriver correctement aussi bien le singulier que le pluriel du
GEN, une approche OT doit pouvoir changer l’ordre des contraintes en fonction de la
forme que l’on veut creer.
La question est tres epineuse et elle ne semble pas avoir de solution simple et satisfai-
sante dans aucune des trois approches mentionnees jusqu’ici.
Revenons a nos analyses et essayons de parvenir a une solution aux problemes souleves
par les alternances entre /a/ et zero.
Notre approche combine la phonologie CVCV a une approche syntaxique de la forma-
tion des mots. Ainsi, nous pouvons proposer une representation pour les racines de noms
montrant l’alternance V-zero.
Comme nous avons deja vu (cf. les noms ayant l’augment -ov, cf. supra 3.7.2 et les
noms abreges de l’italien, cf. ch. prec. section 2.7), dans le cadre CVCV, les voyelles qui
alternent avec zero sont des autosegments flottants (cf. Scheer, 2004; Zikova, 2008), tout
comme n’importe quel autre segment alternant avec zero.
En ce qui concerne les deux exemples reportes ci-dessus vrabac et misao, je propose
la meme representation, ou la voyelle subissant l’alternance est un /a/ flottant. Quant a
225
la liquide /l/, il s’agit aussi d’une consonne flottante dans la representation, puisqu’elle
alterne avec [o].
Voici les representations des racines de vrabac et misao, respectivement :
(73) vrabac ‘moineau’ M sg. NOM, et misao ‘pensee’ M sg. NOM :
a. ‘moineau’ !" v r a p a "ts
C V C V C V C V
b. ‘pensee’ !" m i s a l
C V C V C V
Selon le mecanisme que j’ai propose, la derivation du NOM sg. a lieu sans aucun
probleme. En e!et, la racine est envoyee au spell-out. Puisque la voyelle instable /a/ n’est
pas gouvernee, elle fait surface. Lors du spell-out suivant, Vfin propre au M sg. NOM est
creee. Puisqu’il s’agit de la sequence des morphemes-zero, nous allons deriver [vraba"ts],
la forme attendue.
Cette derivation est montree ci-dessous, en partant de la tete complexe :
226
(74) Tete complexe de vrabac ‘moineau’, M sg. NOM :
K
K Th
num K CV
num Th zero
n num zero
n Th phase 2 : le genre, le nombreet le cas sont epeles
#RACINE n zero
vrapac
CVCVCVCV phase 1 : la racine est epelee
La linearisation du NOM sg. est illustree ci-dessous :
(75) Linearisation de vrabac ‘moineau’, M sg. NOM :
Cas ø
Nombre ø
Genre ø
Racine v r a p a "ts
Gabarit C V C V C V C V + CVK vrabac [vraba"ts]
La systeme propose predit donc que /a/ n’alterne pas, meme si elle est instable. Cette
situation decoule de la configuration proposee (cf. la linearisation ci-dessus) : puisque le
site de realisation de Vfin est externe, la position V soulignee dans le gabarit de la racine
n’est normalement jamais gouvernee.
227
Regardons les details du NOM pl., ou nous allons trouver la situation que je viens de
decrire. Voici la tete complexe de vrapci :
(76) Tete complexe de vrapci ‘moineaux’, M pl. NOM :
K
K Th
num K CV
num Th zero
n num Ipl
n Th phase 2 : le genre, le nombreet le cas sont epeles
#RACINE n zero
vrapac
CVCVCVCV phase 1 : la racine est epelee
La linearisation montre l’existence d’un probleme, comme il est explicite de suite :
(77) Linearisation de vrapci ‘moineaux’, M pl. NOM :
Cas ø
Nombre Ipl
Genre ø
Racine v r a p a "ts
Gabarit C V C V C V C V + C V *[vraba"tsi]
Notre systeme predit, incorrectement, que la voyelle instable fait surface, suite au fait
que l’exposant du pluriel, Ipl, ne gouverne pas le site V souligne.
228
Comme nous avons vu, ce groupe de noms a pose de nombreux problemes de representa-
tion a plusieurs theories phonologiques. En ce qui concerne ce travail, je propose de
considerer, en suivant Scheer et al. (2009), Scheer & Zikova (2009), Scheer (2010) et
Zikova (2008), que l’association de la voyelle instable au site gabaritique V est de nature
lexicale, ainsi peu predictible.
En particulier, Scheer (2010) remarque que la frontiere de la phase ne correspond pas
forcement a celle de la derivation phonologique.
En e!et, a la di!erence de ce qui est montre en (77), la linearisation doit se passer de
la facon suivante :
(78) Corrige : linearisation de vrapci ‘moineaux’, M pl. NOM :
Cas ø
Nombre Ipl
Genre ø
Racine v r a p a "ts
Gabarit C V C V C V C V + CVK vrapci [vrap"tsi]
La situation illustree ci-dessus pose un probleme a la theorie des phases, puisque
l’exposant Ipl s’associe sur la derniere position V du gabarit de la racine, alors que cette
position se trouve dans la phase precedente a celle du morpheme du pluriel. En principe,
aucun phenomene phonologique ne peut avoir lieu entre ces deux objets (l’exposant du
pluriel et le gabarit).
Pourtant, la voyelle /a/ instable est gouvernee, puisqu’elle ne fait pas surface.
Le but du chapitre etant la decomposition de Vfin en bosnien, je n’entrerai pas
davantage dans les details de ce probleme theorique. 42
Je propose de laisser l’analyse des deux exemples du GEN sg. et pl. pour la section
suivante (cf. infra section 3.8.3) qui s’occupe notamment des cas autres que le NOM.
42. Deux solutions semblent envisageables. D’une part, postuler une regle d’ajustement ou une reglepost-cyclique e!acant la voyelle /a/ de la sequence /vraba"tsi/ ; d’autre part, considerer que la PIC estviolee par la classe de racines ayant des /a/ instables, cf. Scheer (2010) et Scheer et al. (2009). Pourtant,on devrait expliquer sur la base de quel principe on peut violer la PIC (cf. la meme question soulevee apropos de la solution de Kaye, 1995).
229
3.8 La machine morphologique : du GEN a l’INSTR
Cette section a pour objectif d’analyser les noms du bosnien lorsqu’ils sont marques
par un cas autre que le NOM.
Plus particulierement, cette section se divise en trois parties. Dans la premiere (sous-
section 3.8.1), j’illustre les predictions que notre systeme fait a propos des Vfin des cas
du GEN a l’INSTR ; dans la deuxieme (sous-section 3.8.2) je propose un mecanisme afin
d’expliquer les formes qui sont exceptionnelles par rapport a nos predictions et, finalement,
dans la troisieme (sous-section 3.8.3) je m’occupe du GEN sg. et pl. des noms ayant les
alternances V-zero.
3.8.1 Les sequences morphemiques
Cette sous-section s’occupe de montrer l’analyse des cas autres que le NOM.
Dans le systeme propose, chaque categorie est associee a un nœud terminal correspond
de facon biunivoque a un et un seul exposant phonologique. Par consequent, pour expliquer
le bosnien, il faut tout simplement poser des listes de VI montrant l’exposant pour chaque
propriete morphologique (cf. les listes (17), (22) et (23) respectivement pour le genre, le
nombre et le cas).
Ces ingredients de base sont repetes ci-dessous dans une liste unique :
(79) VI pour les noms du bosnien
a. M : [+genre, -F] !" ø.
b. F : [+genre, +F] !" A.
c. NEU : [-genre] !" U.
d. sg. : [-pl] !" ø ;
e. pl. : [+pl] !" Ipl.
f. NOM : [-oblique, +structurel, +superieur] !" zero
CV
g. GEN : [+oblique, +structurel, -superieur] !" A
CV
230
h. DAT/LOC : [+oblique, !structurel, -superieur] !" U
CV
i. ACC : [-oblique, +structurel, -superieur] !" A
CV
j. INSTR : [+oblique, -structurel, -superieur] !" A.U
CV
Etant donne une racine#RACINE et etant donne son genre, nous pouvons deriver
la forme de surface de Vfin, tout simplement en appliquant l’insertion des exposants
phonologiques montres ci-haut en (79). 43
Chaque forme est donc construite en assemblant les exposants phonologiques qui sont
le spell-out des morphemes qui composent sa structure.
Je propose de commencer par un tableau contenant toutes les occurrences de Vfin.
Chaque case du tableau contient une sequence de trois exposants phonologiques, le premier
etant celui correspondant au genre, le deuxieme celui du nombre et finalement il y a
l’exposant du cas.
Ainsi, voici le tableau contenant les sequences sous-jacentes qu’on predit pour tout le
systeme :
Table 3.21 – Sequences morphemiques sous-jacentes selon mes hypotheses
groupe 1 groupe 2 groupe 3M F Neusg. pl. sg. pl. sg. pl.
NOM ø.ø.ø ø.Ipl.ø A.ø.ø A.Ipl.ø U.ø.A U.Ipl.AGEN ø.ø.A ø.Ipl.A A.ø.A A.Ipl.A U.ø.A U.Ipl.ADAT/LOC ø.ø.U ø.Ipl.U A.ø.U A.Ipl.U U.ø.U U.Ipl.UACC ø.ø.(A) ø.Ipl.A A.ø.A A.Ipl.A U.ø.A U.Ipl.AINSTR ø.ø.[A.U] ø.Ipl.[A.U] A.ø.[A.U] A.Ipl.[A.U] U.ø.[A.U] U.Ipl.[A.U]
43. La liste en (79) est plus economique qu’une liste au sens DM standard, comme celle proposeepar Weisser (2006) pour le croate, par exemple (le croate a exactement les memes terminaisons degenre/nombre/cas que le bosnien).
231
Nous observons trente sequences morphemiques sous-jacentes dont on doit rendre
compte.
La premiere ligne correspond au NOM, le cas qui a deja ete discute et analyse. Par
contre, les autres lignes correspondent chacune aux occurrences de Vfin divisees par cas
syntaxique.
Nous devons maintenant verifier le rapport entre les sequences d’exposants qu’on predit
et la forme de Vfin attestee en surface. Ainsi, toutes les sequences ne produisent pas la
voyelle attendue en surface. Il y a donc un desaccord entre une Vfin predite et une
Vfin observee. Les couleurs sur les cases du tableau ci-haut 3.21 nous aident a mieux
comprendre ce fait.
Commencons par les cases qui ne posent aucun probleme : les cases blanches. Les
sequences contenues dans ces cases derivent la bonne occurrence de Vfin. Ainsi, on a le
M sg., qui est caracterise par deux morphemes zero et par l’exposant du cas. Ensuite, on
a le reste des occurrences du NOM (sauf celle du NEU pl.) : comme nous venons de le
rappeler, ces noms-la ont deja ete analyses dans les deux sections precedentes.
Ensuite, nous avons d’autres cases blanches : le M pl. ACC, le F sg. INSTR et F pl.
ACC, ainsi que le DAT/LOC, ACC et INSTR du NEU sg. Dans tous ces cas, l’application
de la theorie des Elements ainsi que de le fonctionnement du mecanisme propose plus
haut dans ce chapitre, expliquent le rapport entre la sequence sous-jacente et la voyelle
en surface.
Afin de resumer cette situation, deux tableaux montrant seulement les cases blanches
(respectivement pour le M, F d’un cote et le NEU de l’autre) sont montres ci-dessous :
232
Table 3.22 – Les cases blanches : de bonnes predictions : M et F
groupe 1 groupe 2M M F Fsg. sg. pl. pl. sg. sg. pl. pl.sequence Vfin sequence Vfin sequence Vfin sequence Vfin
NOM ø.ø.ø zero ø.Ipl.ø [i] A.ø.ø [a] A.Ipl.ø [e]GEN ø.ø.A [a]DAT/LOC ø.ø.U [u]ACC ø.ø.(A) ([a]) ø.Ipl.A [e] A.Ipl.A [e]INSTR ø.ø.[A.U] [o] A.ø.[A.U] [o]
Table 3.23 – Les cases blanches : de bonnes predictions : NEU
groupe 3NEU NEUsg. sg. pl. pl.sequence Vfin
NOM U.ø.A [o]GENDAT/LOC U.ø.U [u]ACC U.ø.A [o]INSTR U.ø.[A.U] [o]
En regardant les tableaux ci-dessus, on peut tirer quelques conclusions interessantes.
Tout d’abord, le M sg., le NEU sg. ainsi que le NOM sont les cas qui posent le moins de
problemes a notre analyse. L’ACC aussi est plutot facilement derivable, ainsi que l’INSTR
sg. des trois genres.
Inversement, le GEN pose des problemes a tous les niveaux, sauf au M sg. Quant au
nombre, c’est le pl. qui est plus problematique que le sg ; en ce qui concerne le genre, c’est
le F le plus di"cilement predictible.
Il est interessant de souligner que les cas, le nombre et le genre les plus marques
sont ceux qui posent des problemes a mes analyses. En e!et, le GEN, le DAT/LOC et
l’INSTR sont marques [-direct] ; le pluriel est marque [+pluriel] et le feminin est [+genre,
233
+feminin]. Si l’on tient compte de ces faits, la situation est moins etonnante. 44
Revenons donc au tableau 3.21 pour se concentrer sur les cases grises. Nous avons deux
groupes : celui des cases gris-clair et celui des cases gris-fonce. La raison de cette division
en deux ensembles est claire lorsqu’on compare les sequences morphemiques predites par
notre theorie avec celles e!ectivement attestees.
Voici un tableau contenant seulement les expressions vocaliques correspondant aux
voyelles que nous ne predisons pas :
Table 3.24 – Sequences morphemiques attestees mais non predites
groupe 1 groupe 2 groupe 3M F NEUsg. pl. sg. pl. sg. pl.
NOM AGEN A A.I A A ADAT/LOC Ipl I A IplACC U AINSTR Ipl A Ipl
Deux observations sont cruciales.
D’une part, les cases gris-clair ont toutes une occurrence de Vfin = [i], et elles
partagent aussi le fait d’etre toutes au pluriel. Ainsi, l’element qu’on voit en surface est
le marqueur de pluriel : Ipl.
D’autre part, les cases gris-fonce semblent majoritairement etre representees par la
voyelle [a] faisant surface. En particulier, toutes les occurrences du F pl. ainsi que celles
du NEU pl. ayant cette couleur ont Vfin = [a].
La sous-section suivante se concentre sur les cases grises, en proposant deux chemins
d’analyse, un pour les cases gris-clair et l’autre pour les cases gris-fonce.
44. Cf. Calabrese (2010).
234
3.8.2 Phonologie vs. Allomorphie
Selon notre approche, la computation phonologique s’active apres la formation d’une
tete complexe dont les nœuds terminaux sont associes aux exposants phonologiques (cf.
liste (79) en ce qui concerne le bosnien).
Le tableau 3.21 montre toutes les predictions que notre systeme fait a propos de Vfin.
Comme nous venons d’observer, les cases blanches sont explicables sans aucun probleme,
alors que celles colorees ont besoin d’une analyse supplementaire.
Je propose de commencer par les cases gris-clair. Ensuite, je m’occuperai des cas gris-
fonce.
Cases gris-clair
En ce qui concerne les cases gris-clair, il s’agit d’expliquer pourquoi quatre sequences
morphemiques di!erentes ont le meme output en surface, notamment la voyelle [i]. Nous
avons remarque que dans les quatre cas, il s’agit du pluriel (M DAT/LOC et INSTR d’un
cote et NEU DAT/LOC et INSTR de l’autre).
Pour plus de clarte, je montre les sequences qu’on predit suivies de ce qu’on observe
en surface :
Table 3.25 – Les cases gris-clair
groupe 1 groupe 3M NEUpl. predit pl. atteste pl. predit pl. atteste
DAT/LOC ø.Ipl.U Ipl U.Ipl.U IplINSTR ø.Ipl.[A.U] Ipl U.Ipl.[A.U] Ipl
Nous avons a!aire a exactement la meme situation observee pour l’italien, notamment
a la combinaison entre deux Elements se trouvant sur la meme ligne autosegmentale : /I/
et /U/. Comme nous avons vu a plusieurs reprises, le systeme phonologique du bosnien
possede cinq voyelles : /a/, /e/, /i/, /o/ et /u/.
Selon les predictions de la theorie des Elements (Kaye et al., 1985), dans un systeme
a cinq voyelles, /I/ et /U/ ne peuvent pas s’associer en une expression vocalique, etant
donne qu’ils sont associes a la meme ligne de representation. Crucialement, toutes les com-
235
binaisons predites dans le tableau ci-dessus, produisent des voyelles anterieures arrondies.
Pourtant, ces voyelles ne peuvent pas exister en bosnien.
Prenons, par exemple, le DAT/LOC du neutre. La structure impose la sequence :
U.Ipl.U.
Ceci se deroule de la facon suivante :
(80) Tete complexe de selima NEU, pl, DAT/LOC :
K
K Th
num K CV
num Th U
n num Ipl
n Th
#RACINE n U
sel
CVCV
La linearisation est montree ci-dessous :
236
(81) Linearisation de selima NEU, pl, DAT/LOC :
Cas U
Nombre Ipl
Genre U
Racine s e l
Gabarit C V C V + CVK seli(ma)
Etant donne la representation ci-dessus, nous avons le meme probleme detecte pour
le pluriel lupi ‘loups’ de l’italien. Je rappelle que la TE n’explique pas explicitement quel
Element fait surface dans un cas comme celui-ci. Je propose a nouveau que ce soit /I/.
En outre, nous devons tenir compte du fait qu’en bosnien les emprunts au francais
comme ‘b[y]reau’ sont prononces en remplacant [y] par [i], [biro], en demonstration du
fait que c’est /I/ qui gagne la competition.
Quant a la forme de surface, la syllabe [ma] est ajoutee apres la derivation. Je pro-
pose une regle ajoutant la sequence [ma] a la forme de surface, sur la base des regles
d’allomorphie que nous avons vues pour l’italien. Cette regle est montree ci-dessous :
(82) Vfin $% Vfin + /ma/ / pl.DAT/LOC/INSTR
En conclusion, l’application de la TE explique le timbre atteste de Vfin, alors que la
regle ci-dessus impose l’ajout de la sequence [ma].
Regardons maintenant l’INSTR dans le tableau 3.25. L’Element /A/, aussi, apparaıt
dans la representation de l’exposant du cas. En e!et, le spell-out de l’INSTR est la com-
binaison /A.U/=[o]. Afin de rendre compte de la forme de surface, je propose que si un
des deux Elements est e!ace, l’autre est e!ace aussi, puisqu’ils font partie du meme objet
phonologique.
Par consequent, la TE bloque la fusion entre Ipl et l’exposant complexe [A.U] en
obligeant ce dernier a ne pas s’associer a une position V libre dans la structure.
Nous pouvons maintenant concentrer notre attention sur les cases gris-fonce.
237
Cases gris-fonce
Les cases gris-fonce sont les plus compliquees du systeme.
Afin de mieux comprendre ce qui se passe entre une sequence morphemique donnee et
la voyelle de surface, je propose de comparer les tableaux 3.21 et 3.24 en ce qui concerne
leurs cases gris-fonce.
La comparaison est montree ci-dessous :
Table 3.26 – Les cases gris-fonce : M et F
groupe 1 groupe 2M F Fpl. predit pl. atteste sg. predit sg. atteste pl. predit pl. atteste
GEN ø.Ipl.A A A.ø.A A.I A.Ipl.A ADAT/LOC A.ø.U I A.Ipl.U AACC A.ø.A UINSTR A.Ipl.[A.U] A
Table 3.27 – Les cases gris-fonce : NEU
groupe 3NEUsg. predit sg. atteste pl. predit pl. atteste
NOM U.Ipl.A AGEN U.ø.A A U.Ipl.A AACC U.Ipl.A A
La caracteristique principale des sequences morphemiques des deux tableaux ci-dessus
est le fait que dans la quasi totalite des cas c’est l’Element /A/ qui fait surface (sauf pour
les trois cas du F sg).
En outre, dans deux de ces cas (DAT/LOC et ACC du F sg.), l’Element faisant surface
n’est pas present dans la representation qu’on predit et il n’est pas /A/.
Ainsi, nous pouvons diviser les problemes en deux groupes : les sequences predisant une
mauvaise Vfin qui est neanmoins contenue dans la sequence sous-jacente et les sequences
238
dont l’element faisant surface n’est pas present.
Concentrons-nous sur le premier groupe. Celui-ci contient toutes les occurrences du
GEN (sauf le M sg.), les pl. des cas directs du NEU (NOM et ACC) et les pl. du DAT/LOC
et de l’INSTR du F.
Le GEN est sans aucun doute le cas le plus complexe en bosnien, comme nous avons
vu en discutant des alternances voyelle-zero dans les noms (cf. supra section 3.7.3). Tout
comme il a ete montre pour l’italien, je propose de faire appel a la notion d’allomorphie,
en suivant la theorie de la localite de Embick (2010).
En particulier, je propose d’integrer une liste de regles d’allomorphie dans mon systeme,
afin qu’elles puissent gerer les changements d’elements inattendus. Ainsi, en ce qui con-
cerne le GEN, je propose les regles suivantes :
(83) Allomorphie du GEN :
a. AR1 : Element $% zero / AGEN.
b. AR2 : UNEU $% zero / Ipl.
La regle (83-a) e!ace tout element se trouvant a gauche de l’exposant du GEN, ainsi
expliquant le GEN M pl, le GEN F pl, et le GEN NEU sg. L’utilisation de (83-b) est
donc imposee afin d’expliquer l’e!acement du marqueur du Neu U lorsqu’il se trouve
adjacent au marqueur de pluriel Ipl. Cependant, nous pouvons remarquer que cette regle
est identique a celle proposee pour expliquer le pluriel du NOM/ACC du NEU (cf. ??).
En e!et, le NOM/ACC pl. du NEU a ete analyse, grace a l’introduction de deux regles,
cf. supra (43). Quant a la regle (43-a), elle est identique a regle AR2 ci-dessus en (83-b).
Celle-ci e!ace le marqueur du NEU dans toutes les occurrences de pluriel. Inversement, la
sequence qui reste au pluriel, /Ipl.A/, doit faire surface en tant que [a] seulement. Pour
cette raison, j’ai propose la regle (43-b), repetee ci-dessous :
(84) NOM/ACC pl. du NEU
AR3 : Ipl $% zero / ANOM/ACC.
Les regles d’allomorphie doivent etre proprement ordonnees : (84) trouve son contexte
239
de realisation si et seulement si (83-b) a deja eu lieu.
Passons maintenant aux cas problematiques du F. Le DAT/LOC pl. d’un cote et
l’INSTR pl. de l’autre posent des soucis a nos hypotheses.
En e!et, il faut eclairer pourquoi les sequences /A.Ipl.U/ et /A.Ipl.[A.U]/ font sur-
face comme [a]. Leurs equivalents M et NEU /ø.Ipl.U/ et /ø.Ipl.[A.U]/ ont ete expliques
facilement en exploitant la theorie des Elements, puisque c’est [i] qui fait surface. La
combinaison entre le genre F et les cas DAT/LOC et INSTR doit donc provoquer l’allo-
morphie.
Nous constatons que /A/ fait surface en etant le premier objet de la sequence /I.U/
ou /I.[A.U]/. Les regles suivantes formalisent la situation qu’on vient de remarquer :
(85) Allomorphie du DAT/LOC et INSTR pl. du F :
a. AR4 : Ipl.U $% zero / AF DAT/LOC et INSTR.
b. AR5 : Ipl.[A.U] $% zero / AF DAT/LOC et INSTR.
Les regles ci-dessus e!acent le materiel phonologique se trouvant entre l’exposant du
feminin A et les exposants du DAT/LOC et de l’INSTR.
Nous pouvons maintenant nous concentrer sur le groupe ou l’Element faisant surface
n’est pas present dans la representation : il s’agit du DAT/LOC et de l’ACC sg. du F.
Je propose la presence des regles montrees ci-dessous :
(86) Allomorphie du DAT/LOC et ACC sg. du F :
a. AR6 : DAT/LOC $% /I/ / # AF
b. AR7 : ACC $% /U/ / # AF
c. AR8 : Element $% zero / # DAT/LOC-ACCsg.
Les regles (86-a) et (86-b) imposent aux exposants du DAT/LOC et de l’ACC de faire
surface respectivement en tant que /I/ et /U/. Ensuite, la regle (86-c) e!ace tout objet
phonologique se trouvant a gauche des exposants de DAT/LOC ou de l’ACC.
Avant de conclure la section, nous devons discuter encore d’un cas particulier. Il s’agit
de l’ACC sg. du M. En e!et, ce cas est marque tantot par [a], tantot par zero. La distinction
240
est faite sur la base de l’animacite du referent : s’il s’agit d’un etre anime, alors l’ACC est
epele avec [a], autrement il est zero.
Je propose la regle d’allomorphie suivante, e!acant l’exposant de l’ACC lorsque le
referent est inanime :
(87) Allomorphie de l’ACC sg. M
AR9 : AACC $% zero /#[ref. inanimes]
Nous avons deja remarque que la condition fondamentale pour l’application des regles
d’allomorphie est l’adjacence des objets phonologiques concernes par les changements. La
condition d’adjacence est montree ci-dessous :
(88)#RACINE!K (K est utilisee pour n’importe quel exposant de cas)
Ainsi, dans le cas ci-dessus, l’exposant de l’ACC doit etre adjacent a la racine. Ce type
de situation n’a lieu qu’au M sg., puisque le genre M et le sg. sont marques, respective-
ment, par zero. Autrement dit, je fais la prediction qu’on ne peut pas avoir d’allomorphie
lorsqu’on n’a pas d’adjacence entre la racine et le marqueur de cas.
Regardons le pluriel de l’ACC. L’exposant Ipl est epele, comme on peut voir dans
le tableau 3.21. Par consequent, l’allomorphie ne peut jamais avoir lieu puisque la racine
n’est plus adjacente au spell-out de l’ACC.
C’est en e!et le cas, comme la tete complexe suivante montre :
241
(89) Tete complexe de okvire M pl. ACC inanime ‘cadres’ :
K
K Th
num K CV
num Th A
n num Ipl
n Th
#RACINE n ø
okvir
CVCVCV
La linearisation montre bien la situation mentionnee :
(90) Linearisation de okvire M pl ACC inanime ‘cadres’ :
Cas A
Nombre Ipl
Genre ø
Racine o k v i r
Gabarit C V C V C V C V + C V okvire [okvire]
La representation ci-dessus montre que la racine n’est pas adjacente a l’exposant pho-
nologique du cas, /A/. La regle (87) a comme condition l’adjacence en (88) et donc elle
ne peut pas etre appliquee. Ainsi, on predit que Vfin = [e] au pl. sans considerer le degre
242
d’animacite du referent.
La sous-section suivante se concentre sur le GEN des noms ayant des alternances et
sur le groupe de noms F se terminant par une consonne au NOM sg stvar ‘chose’, cf.
supra section 3.2.
3.8.3 Le GEN des noms ayant des alternances
A la lumiere de l’analyse proposee pour le GEN, nous pouvons maintenant revenir aux
noms ayant des alternances V-zero que nous avons traites dans la sous-section 3.7.3.
En particulier, nous allons nous occuper de l’alternance suivante que nous observons
au GEN, entre le singulier et le pluriel :
(91) GEN sg. vrapca ‘du moineau’ - GEN pl. vrabaca ‘des moineaux’
Comme nous avons remarque dans la section 3.7.3, dans les deux cas du GEN ci-dessus,
Vfin = [a]. Pourtant, au singulier, la voyelle instable /a/ ne fait pas surface (entre /p/
et /"ts/), alors qu’au pluriel nous observons que la voyelle est presente (soulignee ci-haut).
Selon nos analyses, le GEN pl est facilement analysable, comme la tete complexe
ci-dessous montre :
243
(92) Tete complexe de vrabaca ‘moineaux’, M pl. GEN :
K
K Th
num K CV
num Th A
n num Ipl
n Th
#RACINE n zero
vrapac
CVCVCVCV
La linearisation aussi montre que l’application de la regle AR1 (cf. (83-a)) e!ace le mar-
queur Ipl et maintient le seul exposant du GEN, /A/ :
(93) Linearisation de vrabaca ‘moineaux’, M pl. GEN :
Cas A
Nombre ø, AR1
Genre
Racine v r a p a "ts
Gabarit C V C V C V C V + CVK vrabaca [vraba"tsa]
244
La position V soulignee n’est pas gouvernee, par consequent le /a/ instable doit faire
surface. 45
Inversement, le GEN sg. nous pose des problemes.
Pour cette raison, je propose de l’analyser comme nous avons fait pour le NOM pl.
Ainsi, l’exposant /A/ du GEN et celui du pluriel (qui est phonologiquement zero, grace
a l’application de l’AR1) s’associent a la derniere position V du gabarit, contrairement a
ce que la theorie des phases predit.
Cette situation est illustree a l’aide de la linearisation du GEN sg. vrapca ci-dessous
(cf. le NOM pl. supra (77)) :
45. Il est interessant de remarquer une propriete phonologique commune aux cas marques par le trait[+oblique] : GEN, DAT/LOC et INSTR. Comme il a ete souligne au debut du chapitre (cf. tableau 3.4),certains locuteurs considerent que le GEN pl. est long. Si cette situation est vraie, alors les marques descas obliques occupent, dans les termes de la theorie CVCV, deux unites CV :
(i) marques du GEN, DAT/LOC et INSTR pluriels :
GEN A
gabarit C V C V [a]
DAT/LOC A m a
gabarit C V C V [ama]
INSTR A m a
gabarit C V C V [ama]
Dans le cas du GEN, la voyelle longue [a] devrait se gouverner elle-meme, en laissant ainsi la voyelle/a/ instable dans une position non-gouvernee (cf. Kaye et al. 1990) :
(ii) Linearisation de vrabaca ‘moineaux’, M pl. GEN :
Cas A
Nombre ø, AR1
Genre
Racine v r a p a "ts
Gabarit C V C V C V C V + CVK vrabaca [vraba"tsa]
Il reste, cependant, un probleme : cette solution ne resoud pas du tout la question de l’impenetrabilitephonologique des phases, puisque l’exposant /A/ devrait s’associer, a la fois, a la derniere position V dugabarit et a la syllabe externe CVK, c’est-a-dire a deux positions appartenant a deux phases di!erentes.
245
(94) Linearisation de vrapca ‘moineau’, M sg. GEN :
Cas A
Nombre ø, AR1
Genre ø
Racine v r a p a "ts
Gabarit C V C V C V C V + C V vrabca [vrap"tsa]
Puisque l’exposant du GEN /A/ est associe a la position V sur le gabarit de la racine,
la voyelle instable /a/ est gouvernee. Par consequent, elle ne fait pas surface.
Comme on a deja remarque plus haut (cf. supra section 3.7.3), ces alternances ont
pose beaucoup de problemes a la theorie phonologique, et elles posent aussi un defi a
l’idee d’une derivation syntaxique strictement basee sur les phases.
Pourtant, ces alternances n’a!ectent pas les hypotheses sur la decomposition de Vfin
en bosnien proposees dans ce chapitre.
La derniere section de ce chapitre s’occupe d’analyser les groupes de noms masculins
ayant une Vfin=[a] (sudjia ‘juge’ M, sg. NOM) et ceux feminins se terminant par une
consonne : stvar ‘chose’ F, sg. NOM.
3.9 Deux groupes “exceptionnels”
Cette section propose une analyse pour deux groupes exceptionnels de noms. Nous
avons d’une part les noms masculins ayant un paradigme identique a celui des noms
feminins en -a (cf. sudija ‘juge’ M sg. NOM, cf. tableau 3.2) et d’autre part les noms
feminins ayant une paradigme particulier que nous avons appele declinaison en -i (cf.
stvar ‘chose’ F sg. NOM, cf. tableau 3.3).
3.9.1 Le groupe sudjia
Comme nous avons vu au debut du chapitre, certains noms masculins ne suivent pas
le groupe 1 ayant Vfin = zero au singulier du nominatif. Ces noms masculins ont plutot
246
un paradigme identique a celui des noms feminins en -a, comme kuca ‘maison’ F sg. NOM
et ils ne representent qu’une minorite.
Leur declinaison complete est montree ci-dessous :
Table 3.28 – Le masculin en -a
genre M Mnombre sg. pl.NOM sudij-a sudij-eGEN sudij-e sudij-aDAT/LOC sudij-i sudij-amaACC sudij-u sudij-eINSTR sudij-om sudij-amagloses ‘juge’ ‘juges’
Etant donne l’identite des occurrences de Vfin avec celles apparaissant dans un nom
F comme kuca ‘maison’, nous n’avons qu’une seule possibilite d’analyse pour les noms
comme sudija ‘juge’.
L’hypothese que je fais consiste en e!et a considerer que les racines telle#SUDJI
imposent que l’exposant du genre soit A. Cette situation est exceptionnelle puisque ces
noms sont masculins et donc nous nous attendons que l’exposant de genre soit zero (cf.
okvir ‘cadre’).
Je propose l’application d’une regle d’allomorphie due a l’adjacence entre la racine#SUDJI et l’exposant de genre. Celle-ci transforme l’exposant zero en l’exposantA propre
au F.
Voici la regle et la condition d’adjacence :
(95) Allomorphie de sudija ‘juge’ :
a. AR10 : zeroM $% A /#SUDJI
b. adjacence :#SUDJI!zeroM
Maintenant, prenons l’exemple du pl. NOM, sudije ‘juges’ et montrons sa tete com-
plexe :
247
(96) Tete complexe de sudija ‘juge’ M sg. NOM :
K
K Th
num K CV
num Th zero
n num Ipl
n Th
#RACINE n zero
sudij
CVCVCV
La linearisation nous montre comment les exposants se combinent :
(97) Linearisation de sudija ‘juge’ M sg. NOM :
Cas ø
Nombre Ipl
Genre A
Racine s u d i j
Gabarit C V C V C V + CVK
Avant d’examiner l’autre groupe de noms ayant un comportement exceptionnel vis-a-
vis de la flexion du genre, j’attire l’attention sur un fait fondamental.
L’analyse des noms comme sudija ‘juge’ qu’on vient de proposer nous donne une
prediction tres claire. Cette derniere peut etre resumee comme suit : lorsque l’adjacence
248
(95-b) n’est pas satisfaite, les racines comme#SUDJI doivent avoir un comportement
regulier en ce qui concerne l’expression phonologique du genre. Autrement dit, l’exposant
du genre doit etre zero si un objet phonologique quelconque s’interpose entre la racine et
l’exposant meme.
Nous avons deja vu un exemple de ce type : il s’agit des formes du DIM (cf. supra
section 3.7.1, tableau 3.15). En e!et, la forme du DIM de sudija ‘juge’ est sudijic ‘petit
juge’, *sudijica etant agrammatical.
Par consequent, la tete complexe de sudijic M sg. NOM DIM est la suivante :
(98) Tete complexe de sudijic ‘petit juge’ :
K
K Th
num K CV
num Th
n num zero
n Th
Lex n ø
# Lex
sudij i"ts
CVCVCV CV
La linearisation aussi se deroule sans problemes particuliers, comme il est montre
ci-dessous :
249
(99) Linearisation de sudijic ‘petit juge’ :
Cas ø
Nombre ø
Genre ø
Diminutif i "ts
Racine s u d i j
Gabarit C V C V C V + C V + CVK sudijic [sudiji"tC]
La racine n’etant pas adjacente a l’exposant de genre, la regle d’allomorphie AR10 en
(95-a) est bloquee. Le paradigme du DIM des noms exceptionnels en -a est donc regulier
et predictible. 46
La sous-section suivante illustre le fonctionnement de la declinaison en -i.
3.9.2 Le groupe stvar
Cette derniere sous-section est dediee au groupe de noms feminins ayant une declinaison
particuliere, souvent appelee declinaison en -i (cf. tableau 3.3). Les donnees sont repetees
ci-dessous :
Table 3.29 – La declinaison en -i
groupe en -igenre F Fnombre sg. pl.NOM stvar stvar-iGEN stvar-i stvar-IDAT/LOC stvar-i stvar-imaACC stvar stvar-iINSTR stvar-i stvar-imagloses ‘chose’ ‘choses’
A premiere vue, il semble s’agir d’un probleme pour mes analyses, surtout en ce qui
46. L’AUG ne sera pas traite puisqu’il impose, comme nous avons vu, le genre F et donc tous les nomsont le meme paradigme.
250
concerne les instances de Vfin au singulier. En e!et, aucune des occurrences du singulier
ne correspond a une des formes de surface de Vfin ni du groupe 1 (celui des noms
masculins) ni du groupe 2 (celui des noms feminins).
Pourtant, ces noms sont clairement feminins, comme l’accord demontre : jedna stvar
‘une chose’. De plus, le su"xe -ost, propre aux noms abstraits, suit cette declinaison tout
en declenchant un accord feminin aussi, cf. par exemple mladost ‘jeunesse’.
Concentrons-nous d’abord sur une hypothese concernant les sequences sous-jacentes
de Vfin.
Je propose donc de considerer qu’on a zero au singulier pour le genre ainsi que pour le
nombre. Au pluriel, on a toujours zero pour le genre et Ipl pour le nombre. Les exposants
de cas sont zero pour le NOM et l’ACC et /I/ pour les autres cas.
Cette situation est illustree ci-dessous :
Table 3.30 – Sequences morphemiques pour stvar
groupe en -igenre F Fnombre sg. pl.NOM ø.ø.ø ø.Ipl.øGEN ø.ø.I ø.Ipl.IDAT/LOC ø.ø.I ø.Ipl.IACC ø.ø.ø ø.Ipl.øINSTR ø.ø.I ø.Ipl.I/Ugloses ‘chose’ ‘choses’
En regardant les donnees ci-dessus, nous pouvons voir que les hypotheses que je viens
de faire sont fondees. Tout d’abord, le genre est marque par zero et c’est pour cette raison
qu’on reconnaıt l’exceptionnalite de ces noms. Ensuite, le singulier est zero, alors que le
pluriel est Ipl selon les hypotheses courantes.
Quant aux cas, je postule que leurs exposants subissent des transformations allomor-
phiques dans le contexte des racines de ce groupe.
La solution peut donc etre trouvee dans le mecanisme des regles d’allomorphie, no-
tamment en postulant une regle transformant les marqueurs de cas marques par le trait
[-obl(ique)] en zero et ceux marques [+obl] en /I/, comme il est illustre ci-dessous :
251
(100) Allomorphie
a. AR11 : Element[!oblique] $% zero /#RACINE (liste...).
b. AR12 : Element[+oblique] $% /I/ /#RACINE (liste...).
La fait d’avoir une division allomorphique entre les cas [-obl] et ceux [+obl] est
absolument concevable, puisqu’il s’agit de classes naturelles. Ces deux regles sont bien
evidemment declenchees par l’adjacence de la racine aux marqueurs de cas. Dans le cas
contraire, aucune regle ne peut etre activee.
Voici la condition d’ajacence :
(101)#RACINE!K (K est utilisee pour n’importe quel exposant de cas)
Cette a"rmation nous pousse a controler si on n’a pas de cas ou les deux regles (100-a)
et (100-b) pourraient etre bloquees. Si on regarde bien le tableau 3.30, on s’apercoit tout de
suite que le marqueur du nombre Ipl se trouve exactement dans une position intermediaire
entre la racine et chaque marqueur de cas. Ainsi, au pluriel, l’allomorphie des marqueurs
de cas ne peut pas avoir lieu.
Ce fait a une consequence sur les representations du pluriel du tableau ci-haut : on est
ainsi oblige de postuler que les marqueurs de cas sont en e!et les exposants par defaut,
selon la liste de VI en (79). Cette situation est montree ci-dessous :
Table 3.31 – Sequences morphemiques predites pour stvar
groupe en -igenre F Fnombre sg. pl.NOM ø.ø.ø ø.Ipl.øGEN ø.ø.I ø.Ipl.ADAT/LOC ø.ø.I ø.Ipl.UACC ø.ø.ø ø.Ipl.øINSTR ø.ø.I ø.Ipl.[A.U]gloses ‘chose’ ‘choses’
Les trois cases colorees sont celles pour lesquelles quelques precisions s’imposent.
Les deux cases gris-clair sont explicables en faisant appel a la Theorie des Elements.
En particulier, les Elements /U/ et /I/ se trouvant sur le meme niveau phonologique, la
252
fusion entre ces deux objets est impossible : nous observons que c’est [i] qui fait surface,
tout comme dans le cas du M et du NEU (DAT/LOC et INSTR) ainsi que dans le cas du
pluriel de l’italien.
Quant a la case gris-fonce, il s’agit du GEN pluriel.
A la place du [a] attendu en surface, il y a [i]. Comment peut-on expliquer ce fait,
sachant que les sequences montrees dans le tableau ci-dessus predisent la voyelle [e] ?
La solution est tres simple : si on considere que la regle AR1 (83-a) s’applique avant
les deux regles AR10 (100-a) et AR11 (100-b), on permet a la racine d’etre adjacente au
marqueur du GEN /A/.
La situation que je viens de decrire est montree ci-dessous : 47
(102) a. stvar+ø+Ipl+A (forme sous-jacente)
b. stvar+ø+ø+A (AR1 : e!acement d’Element ajacent a l’exposant du GEN)
c. stvar+ø+ø+I (AR12 : allomorphie due au groupe stvar)
d. [stvari]
Par un souci de clarte, je montre la tete complexe ainsi que sa linearisation pour la
forme du DAT/LOC sg. :
47. En ce qui concerne le probleme de l’ordre des regles cf. Kiparsky (1968).
253
(103) Tete complexe et linearisation pour stvari ‘chose’, F sg. DAT/LOC :
a. K
K Th
num K CV
num Th U
n num zero
n Th
#RACINE n zero
stvar
CVCVCV
b. Cas I , AR12
Nombre ø
Genre ø
Racine s t v a r
Gabarit C V C V C V C V + C V
La forme derivee par la structure ci-dessus apres l’application de AR11 (100-b) est
celle attestee : [stvari]. On peut voir clairement que la racine et la marque du DAT/LOC
se trouvent adjacents (aucun objet non-nul entre les deux).
Les noms comme stvar ne sont donc pas un probleme pour nos analyses.
Nous avons ainsi analyse tous les noms basiques non-derives du bosnien et nous pou-
vons aller aux conclusions de ce chapitre.
254
3.10 Conclusions du chapitre
Ce chapitre avait deux buts : proposer une analyse des noms du bosnien, et montrer que
l’interpretation de la relation entre la structure syntaxique et les exposants phonologiques
proposee dans les deux chapitres precedents est correcte.
En particulier, j’ai montre qu’en acceptant une composante phonologique abstraite,
on peut postuler un systeme d’objets phonologiques ayant une relation biunivoque avec
le nœud terminal dont ils sont le spell-out.
L’hypothese centrale de ce chapitre concerne donc Vfin en bosnien.
Seulement si l’on accepte que cet objet a une structure phonologique interne on peut
saisir le fonctionnement et la distribution de Vfin en surface. La consequence de cette
approche est un niveau d’abstraction majeur en ce qui concerne les representations pho-
nologiques (cf. Segeral & Scheer 2001 et Bendjaballah 2003).
Dans cette approche, le fait d’avoir un exposant unique exploite par tout le systeme
decoule de l’hypothese de depart plaidant en faveur d’une stricte decomposition.
Mes propositions peuvent avoir une consequence plutot radicale pour l’architecture
concue par DM. En parvenant a utiliser des explications phonologiques pour toute deriva-
tion de type morphologique, on peut donc concevoir d’eliminer le Subset Principle ainsi
que l’operation de Fusion.
Une question semble neanmoins cruciale : que se passe-t-il lorsque le systeme qu’on
doit analyser n’exploite pas exclusivement des voyelles, comme il a ete le cas pour l’italien
et le bosnien ?
Le grand avantage de nos hypotheses se base justement sur le fait qu’on peut exploiter
la theorie des Elements afin de decomposer les voyelles utilisees comme marqueurs dans
les deux langues.
Le chapitre suivant est dedie a decomposer le systeme des noms de base du somali,
langue ayant une morphologie nominale fort complexe, n’exploitant pas exclusivement des
voyelles a des fins flexionnelles.
255
256
Chapitre 4
Le somali : morphologie nominale
4.1 Introduction
Ce chapitre constitue la quatrieme et derniere etape de mon travail, et il est centre
sur l’analyse des noms du somali.
Le but principal est de montrer la validite de l’hypothese sur l’interpretation de la
relation entre la phonologie et la syntaxe que cette these defend.
Plus particulierement, ce chapitre vise trois objectifs : proposer, d’abord, l’existence
d’un seul et unique marqueur de pluriel ; ensuite faire l’hypothese que le feminin est
marque par une unite CV sous-jacente detectable en surface en tant que deplacement de
l’accent tonal et, finalement, montrer que la position de l’accent tonal par rapport aux
voyelles marque le cas morpho-syntaxique.
Le chapitre est structure de la facon suivante. La section 4.2 presente quelques ca-
racteristiques fondamentales de la phonologie et de la morphologie du somali, alors que
la section 4.3 illustre les donnees sur lesquelles se basent nos analyses ainsi que quelques
observations generales. Apres avoir montre une analyse DM standard des noms du somali
(section 4.4), les sections 4.5 et 4.6 illustrent respectivement la decomposition des noms
et leurs structures syntaxiques. Les deux dernieres sections sont dediees au bilan sur les
resultats obtenus sur le somali (section 4.7) et a la discussion de la notion de paradigme
(section 4.8).
Ce dernier point se situe autour de l’observation que l’approche suivie par ce travail
257
mene a se debarasser de la conception selon laquelle il existe des paradigmes actifs sur
le plan morphologique. Le paradigme en tant que systeme de relations entre des formes
flechies d’un seul lexeme n’a pas raison d’etre puisque toute forme est construite a partir
d’ingredients de base qui sont assembles grace au mecanisme grammatical qu’on propose.
4.2 Apercu de la langue
Dans cette section, je m’occupe d’illustrer quelques faits saillants de la phonologie et
de la morphologie du somali.
Le somali appartient a la branche est-couchitique de la famille des langues afroasia-
tiques et plus precisement au groupe des langues appelees ! lowland east-cushitic ".
Traditionnellement, on reconnaıt la presence de 22 phonemes consonantiques, reportes
dans le tableau ci-dessous en orthographe somali standard : 1
Table 4.1 – Phonemes consonantiques du somali
Lab. Dent. Retr. Pal. Vel. Uvul. Pharyn. Glott.OCCL. sourds t k q ’ [P]
sonores b d dh [ã] gNAS. m nFRIC. sourds f s sh [S] kh [x] x [è] h
sonores c [Q]AFFRIQ. sonores j ["dZ]LIQ. r, lAPPR. w y [j]
Sur le plan phonologique, trois faits, dont la connaissance est necessaire pour la
comprehension des donnees presentees plus tard, doivent etre mentionnes.
Tout d’abord, seulement certaines consonnes peuvent geminer en surface, celles-ci
etant : 2
(1) Consonnes geminables en somali : b, d, dh, g, l, m, n, r.
1. Cf. Saeed (1993), ainsi que Godon (1998) et Bendjaballah (1999). Les crochets carres marquent lecaractere correspondant en API lorsque celui-ci n’est pas equivalent a la lettre utilisee dans le systemeorthographique.
2. Cf. Saeed (1993 : 26-27, 295).
258
Ensuite, m, t et k sont neutralisees en position de coda syllabique en faveur de n, d
et g respectivement : 3
(2) Neutralisation en coda syllabique :
a. sg. laan ‘branche’, *laam
b. pl. laamo ‘branches’
Finalement, la sequence /l+t/ fait surface en tant que fricative palatale sourde [S]
lorsqu’on a la combinaison d’un nom et du determinant su"xe ou bien d’un verbe et d’un
su"xe flexionnel : 4
(3) La sequence /l+t/ :
a. meel + ta $% meesha ‘la place’, F sg.
b. gal + tay $% gashay ‘(tu) es entre’
Quant au vocalisme, le somali a cinq timbres vocaliques : a, e, i, o et u. Pour chaque
voyelle, une paire longue-breve existe, entraınant ainsi des paires minimales, comme celle
montree ci-dessous : 5
(4) tag ‘aller’ (imperatif 2S) vs. taag ‘lever’ (imperatif 2S)
En ce qui concerne les phenomenes suprasegmentaux, les voyelles du somali peuvent
etre a!ectees par un ton.
Plus particulierement, selon Hyman (1981), le somali est une langue a accent tonal
(dorenavant AT). L’AT se manifeste donc sous forme d’une modification de la frequence
3. Cf. Saeed (1993 : 26).4. Cf. Saeed (1993 : 26, 301).5. La situation est plus complexe sur le plan phonetique : en e!et, chaque timbre vocalique peut etre
articule comme etant avance ou retracte, selon que le trait ATR est active ou pas. Ainsi, deux seriesvocaliques existent : d’une part, nous avons les voyelles [+ATR] ([i], [e], [æ], [8] et [0]) ; d’autre part nousavons celles [-ATR] ([I], [E], [a], [o] et [u]).
En outre, Saeed (1993 : 20-22) souligne le fait qu’une harmonie vocalique est presente dans la langueen ce qui concerne le trait [#ATR] : dans un mot donne, toutes les voyelles doivent avoir la meme valeurpour ce trait.
A partir de Armstrong (1934), le statut de ce systeme a ete l’objet d’un grand debat. Cependant lesphenomenes concernant les voyelles et leur statut de phonemes ne sont pas cruciaux pour mon analyseet pour cette raison je n’entre pas dans les details.
259
fondamentale (pour cette definition cf. aussi Godon, 1998). Ainsi, le ton peut etre defini
en tant que ton haut H contrastant avec une absence de ton.
Son assignation ne tient compte que des positions V du gabarit : autrement dit, l’AT ne
prend pas en compte les consonnes. Les voyelles longues comptent comme deux positions
V, et le placement de l’accent est limite aux deux dernieres positions vocaliques du mot : 6
(5) La position de l’AT 7
a. qaan ‘chameau male’ vs. qaan ‘dette’
b. ceesaan ‘mouton’ vs. ceesaan ‘chevre’
c. ınan ‘garcon’ vs. inan ‘fille’
Tout nom du somali est a!ecte par au plus un AT.
Ainsi, je considere que l’AT est une caracteristique saillante de chaque nom.
Quant a la morphologie nominale du somali, deux faits doivent etre soulignes : d’une
part des cas morpho-syntaxiques distincts existent, d’autre part des classes flexionnelles,
dont le nombre varie selon les analyses, sont presentes dans le systeme.
En ce qui concerne les cas, Andrzejewski (1964), Banti (1988), Orwin (1995), Puglielli
& Siyaad (1984), Saeed (1993) et Saeed (1999) concordent sur leur nombre : le somali
a un NOM(inatif), un GEN(itif), un ABS(olutif) et un vocatif. Ce dernier ne sera pas
traite.
L’ABS est considere le cas pour defaut, celui que l’on doit connaıtre afin de deriver les
formes nominales aux autres cas, cf. Andrzejewski (1964), Banti (1988 : 14), Puglielli &
Siyaad (1984 : 55-58 et 94-108) et Saeed (1993 : 138). Ainsi, la forme d’un nom a l’ABS
doit etre apprise et elle n’est jamais derivee.
La notion d’ABS impose neanmoins une precision. En e!et, l’etiquette ! absolutif " est
normalement utilisee pour decrire le cas exprimant la fonction sujet d’un verbe intransitif
et la fonction objet d’un verbe transitif dans les systemes casuels ergatifs (cf. Legate,
2008).
Le somali n’est pourtant pas une langue ergative. Selon Saeed (1993 : 138), l’ABS est
le cas : ! which nouns show when they are direct or inderect object, or adverbials, or (as
6. Cf. Saeed (1993) pour plus de details sur les approches a l’accent tonal du somali.7. Cf. Puglielli & Siyaad (1984 : 55-56).
260
we shall see later) when they are focused. "
L’ABS est donc utilise soit lorsqu’un nom est un sujet focusse, soit lorsqu’il est l’objet
direct ou indirect (focusse ou non-focusse).
Cette situation ne demeurant pas cruciale pour le developpement de mes analyses, je
ne rentrerai pas dans les details de la representation syntaxique du cas ABS en somali. 8
L’autre caracteristique fondamentale du systeme morphologique nominal du somali
concerne la presence de classes flexionnelles.
Andrzejewski (1964) est le premier a avoir explicitement divise les noms du somali
en classes, appelees ! declinaisons ". Il propose l’existence de huit declinaisons, qui se
8. Frascarelli & Puglielli (2005, 2007b,a) ont propose que le marquage de l’ABS sur le sujet est duprincipalement au role predicatif du DP focusse dans le format d’une Small Clause (dorenavant SC) quia traditionnellement ete exploitee pour rendre compte des phrases copulaires et existentielles (cf. Moro,1988, 1991, 1997). Dans leur analyse, c’est le Focus Marker (note FM dans les gloses) qui implique lapresence d’une structure a copule, ou le DP focusse est le predicat (DP2 dans la structure ci-bas), alorsque l’information presupposee est apportee par une relative dans la position sujet. 9
Leur proposition peut etre schematisee de la facon suivante :
(6) Structure de la phrase focussee du somali :
a. CALIALI
baaFM
Somalisomali
ahetre.PRES
‘C’est Ali qui est somali’b. IP
Ii
I Small Clause
FM [DP[CP[IPrelative]]] DP2
baa Somali ah ALI
Le DP2 est celui qui recoit la marque de l’ABS.Puisque les positions a l’interieur d’une SC ne sont pas argumentales, les DP ne peuvent pas recevoir
de cas selon la pratique habituelle de la theorie syntaxique. Ce type de configuration explique pourquoiun sujet, en somali, ne prend le cas NOM que s’il n’est pas focusse. Autrement il est a l’ABS.
261
distinguent sur la base de parametres strictement tonals : de cette maniere, un nom
singulier partageant le meme patron tonal qu’un nom pluriel est range dans la meme
classe flexionnelle, cf. Andrzejewski (1964) pour tous les details, ou bien Godon (1998 :
36-37) pour un resume.
Hyman (1981) suit le meme principe, mais il donne encore plus d’importance au fait
que la meme classe de noms partage le comportement tonal pas seulement entre le M et le
F et le sg. et le pl., mais surtout dans di!erentes structures syntaxiques. Ainsi, il propose
l’existence de seulement trois groupes nominaux, qui ne prennent pas en compte les cas
syntaxiques. Un nom a l’ABS peut donc se retrouver dans la meme classe qu’un nom au
GEN, si l’AT est associe a la meme position : naag ‘tete’ F sg ABS et ilık ‘dent’ M sg
GEN. Dans les deux cas, l’AT est sur la derniere voyelle.
Banti (1988) propose cinq classes flexionnelles en se basant sur la position de l’AT et
le genre du nom, mais sans tenir compte du nombre.
Ensuite, Puglielli & Siyaad (1984) ne considerent pas l’existence de classes, mais ils
divisent les noms par rapport au genre : ainsi, les M ont l’AT sur la penultieme et les F
sur la derniere.
Finalement, Orwin (1995), Saeed (1993) et Saeed (1999) (tout comme Godon 1998)
proposent une classification des noms tout en partant d’un principe lie a la formation
du pluriel : une classe flexionnelle de noms est definie sur la facon dont un nom forme
son pluriel. Il s’avere que les noms d’un meme groupe ont un AT sur la meme position
vocalique. Les donnees de base que ces systemes considerent sont celles de l’ABS.
Dans la section suivante je vais presenter les donnees du somali en suivant l’approche
d’Orwin et de Saeed. J’expliquerai aussi les raisons de ce choix.
Avant de conclure, nous devons nous concentrer sur un phenomene morpho-phonolo-
gique concernant le determinant, dont la connaissance est utile pour comprendre un rai-
sonnement crucial.
Le determinant est toujours su"xe au nom et il a deux formes de base, une pour le
M, /ka/, et une pour le F, /ta/.
Chaque forme subit pourtant des modifications phonologiques dependant du segment
final du nom auquel le determinant est su"xe. Saeed (1993 : 161-163) les a repertoriees,
ensuite Barillot (2002) en a propose une analyse :
262
(7) Modifications phonologiques du determinant
a. La forme du M /ka/ :
(i) /ka/ $% [ha] / voyelle breve (a/e/o) ;
(ii) /ka/ $% [ga] / voy. longue, voy. breve (autre que a/e/o), glides, /g/ ;
(iii) /ka/ $% [a] / C gutturale ;
(iv) /ka/ $% [ka] / ailleurs.
b. La forme du F /ta/ : 10
(i) /ta/ $% [da] / voyelle, C gutturale, /d/ ;
(ii) /ta/ $% [ãa] / /ã/ ;
(iii) /ta/ $% [ta] / ailleurs.
Nous pouvons observer qu’il n’y a jamais de neutralisation entre les formes de surface,
ainsi on peut toujours reconnaıtre le genre du determinant (donc du nom, aussi). Au
moment de la presentation des donnees, tout nom est propose aussi bien en sa forme
simple qu’en sa forme su"xee avec le determinant.
Cette derniere configuration, composee du nom suivi du determinant, a ete appellee
! premodifier form " (dorenavant premodif) par Orwin (1995 : 40-41). Il s’agit, selon
Orwin, de toute configuration ou le nom n’est pas le dernier element du groupe nominal.
Le dernier element peut donc etre un determinant, un adjectif, etc..
Nous ne rentrerons pas dans les details de cette configuration syntaxique puisque nous
n’aborderons le premodif qu’en ce qui concerne la sequence nom + determinant. Cette
sequence est interessante vis-a-vis du comportement du nom, qui est notre seul objectif
(cf. section suivante). 11
Nous allons maintenant pouvoir montrer les donnees.
10. Lorsqu’un nom F se termine en -l et il est su"xe par la forme /ta/ du determinant, on a a!aire ala sequence /lt/, deja mentionnee en (3). Celle-ci fait surface en tant que [S].11. Saeed (1993), Orwin (1995) et Puglielli & Siyaad (1984) a"rment que lorsqu’un nom est en pre-
modif, il est toujours marque par l’ABS, independamment de la position syntaxique du NP dont il faitpartie.
263
4.3 Le nom en somali
4.3.1 Les donnees
Dans ce travail, j’adopte une classification basee sur Saeed (1993, 1999) et Orwin
(1995). 12
La raison d’un tel choix a une double origine : d’une part, comme deja mentionne, la
classification de Saeed et d’Orwin rassemble dans le meme groupe des noms partageant
la facon dont ils forment leur pluriel, d’autre part, ils ne considerent que l’ABS pour
determiner les classes flexionnelles. En e!et, les formes du NOM et du GEN peuvent etre
derivees de celles de l’ABS. 13
Nous pouvons maintenant passer a l’introduction de deux tableaux, contenant respec-
tivement les formes de chaque classe et les exemples.
Les tableaux sont montres en ce qui suit :
Table 4.2 – Classes flexionnelles
singulier plurielforme genre AT forme genre AT
1 *-o F+ v v # -o M v v #2 *-e M+ v v # -Co (-yo) F v v #3 C(V)ViCViC M v v # C(V)VCCo M v v #4 C(V)VC M v (v) # C(V)VCaC M v v #5 *CVC M v v # F v v #
Dans la premiere colonne, ‘forme’ indique les restrictions phonologiques s’appliquant
12. Une classification etablie par Ph. Segeral a aussi ete tenue en consideration, cf. notes du seminairesur l’afar et le somali, annee universitaire 2007-2008, Univ. Paris-Diderot.13. Par rapport aux classifications de Saeed (1993, 1999) et d’Orwin (1995), je n’inclus pas celles qui
seraient les classes 6 et 7, respectivement.Celles-ci sont caracterisees par des noms su"xes au singulier : la premiere contient exclusivement des
feminins se terminant en -o (cf. sheeko ‘histoire, compte’), alors que la deuxieme contient exclusivementdes masculins se terminant en -e (cf. bare ‘enseignant’). Dans les deux cas, un su"xe specifique de plurielest utilise : sheekooyin ‘histoires’ et barayaal ‘enseignants’.
Selon Puglielli & Siyaad (1984) et plus recemment Lecarme (2002), ces noms sont tous derives (cf.sheeg ‘raconter’ et bar ‘enseigner’) et ils sont donc en contraste avec ceux des autres classes, qui sontsimples et non derives. Pour cette raison, je ne les traiterai pas, cf. Lecarme (2002 : 128-132) pour uneanalyse ou les su"xes du sg. -o et -e d’une part et ceux du pl. -oyin et -yaal d’autre part, sont traitescomme etant des exposants de la tete n.
264
dans chaque classe, alors que dans la troisieme colonne, l’etiquette ‘AT’ montre la posi-
tion de l’AT par rapport aux voyelles. Dans la deuxieme colonne, ‘F+’ et ‘M+’ indiquent,
respectivement, que les feminins et les masculins sont majoritaires dans ce groupe parti-
culier.
Le tableau suivant montre un exemple pour chaque classe :
Table 4.3 – Exemples
singulier plurielN nu premodif genre N nu premodif genre gloses
1.a naag naagta F+ naago naagaha M ‘femme’.b galab galabta galbo galbaha ‘apres-midi’
2.a albaab albaabka M+ albaabbo albaabbada F ‘porte’.b darıiq darıiqa dariiqyo dariiqyada ‘route’
3 ılik ıligga M ilko ilkaha M ‘dent’4 mıis mıiska M miisas miisaska M ‘table’5 madax madaxa M madax madaxda F ‘tete’
Dans les deux tableaux ci-dessus, les cases grises indiquent les classes ou le genre
change au pluriel. Ce phenomene est appele ! polarite de genre " (cf. Lecarme 2002) et
il consiste dans le changement de genre lors de la pluralisation d’un nom. 14
En principe, tout nom des classes 1, 2 et 3 peut etre pluralise a l’aide du changement de
genre seul. Lorsque la polarite de genre a!ecte un nom, celle-ci est toujours accompagnee
d’un phenomene interessant : l’AT change de position, cf. madax sg. M vs. madax pl. F
‘tete(s)’ cl. 5.
En ce qui concerne le contenu de chaque classe, la premiere inclut tous les noms dont
la forme du singulier ne se termine pas en -o, et dont le pluriel se termine en -o et est
masculin. La majorite de ces noms sont feminins au singulier et l’AT est toujours sur la
voyelle finale.
Les noms de la sous-classe 1.b ont un comportement legerement di!erent en ce qui
concerne la deuxieme voyelle du stem (dorenavant V2) : celle-ci alterne avec zero au pluriel
(cf. galab sg. vs. galbo pl. ‘apres-midi(s)’).
14. Par exemple, nous avons trois cas residuels en francais : les trois noms amour, delice et orgue sontmasculins au singulier mais feminins au pluriel.
265
Inversement, la classe 2 contient des noms dont le singulier ne se termine pas en -e, et
dont le pluriel est feminin et se termine en -o. Au singulier, ces noms sont majoritairement
masculins et l’AT est toujours sur l’antepenultieme position vocalique. 15
Comme nous pouvons le voir du tableau 4.3, la sous-classe 2.a est caracterisee par la
gemination de la derniere consonne du stem dans le contexte du pluriel. Au contraire, si
cette derniere consonne est une gutturale, j ou s, alors la geminee attendue est remplacee
par la sequence -Cy : il s’agit de toutes les consonnes ne pouvant pas etre geminees et qui
sont exclues de la liste (1).
Ensuite, les classes 3 et 4 contiennent exclusivement des noms masculins qui ne
changent pas leur genre au pluriel.
Les noms de la classe 3 sont bisyllabiques au singulier et les deux voyelles sont iden-
tiques : C(V)ViCViC. L’AT est sur la penultieme position vocalique. Au pluriel, le su"xe
-o est ajoute et V2 est e!acee. Par consequent, la forme de ces pluriels est CV(V)CCo.
La classe 4, aussi, contient des noms ayant une structure syllabique predictible de
forme C(V)VC. Il s’agit d’une syllabe fermee ayant soit une voyelle courte, soit une voyelle
longue. Le genre de ces noms est masculin et l’AT est associe a la penultieme position
vocalique, a moins que le nom ait une voyelle courte. Dans ce dernier cas, l’unique voyelle
porte l’AT : dab ‘feu’. Le pluriel de la classe 4 est interessant : d’abord, la voyelle /a/ est
inseree a droite du stem, ensuite la copie de la derniere consonne du stem est ajoutee a
sa droite. 16
Nous avons finalement la classe 5. Les noms de cette classe sont les seuls qui ne
pluralisent pas en ajoutant un su"xe segmental. En e!et, ces noms ont 1 a 3 syllabes,
ils ont l’AT sur la penultieme position vocalique au pluriel et ils sont tous masculins au
singulier. Par contre, leur pluriel a l’AT sur la derniere voyelle et il est toujours feminin.
Le seul changement formel entre le singulier et le pluriel est donc le deplacement de l’AT
15. Orwin (1995 : 33) a"rme que ces noms ont souvent plus qu’une syllabe.16. Selon Banti (1988), Puglielli & Siyaad (1984) et Saeed (1999), les pluriels des classes 1 a 4 ont un
AT sur la derniere voyelle. Cependant, Saeed (1993) et Orwin (1995) proposent que ces pluriels n’ont pasd’AT du tout.
Du point de vue phonetique, Le Gac (2001 : 109-152) a montre que les pluriels en -o ont bien un ton Hlorsqu’ils sont focusses, alors qu’aucun AT n’est present lorsqu’ils ne sont pas focusses. Cette situation estclairement contradictoire, mais il sera montre qu’elle n’a!ecte pas les analyses proposees dans ce travail.
266
d’une position vocalique vers la droite.
La sous-section suivante fait quelques observations supplementaires qui demeurent
fondamentales afin d’introduire nos analyses.
4.3.2 Les premieres observations
Le but de cette sous-section est de mettre de l’ordre dans les donnees que nous venons
d’illustrer afin de pouvoir entamer l’analyse respectivement du marqueur du pluriel, du
feminin et du cas ABS.
Commencons donc par resumer les criteres pour l’identification des classes, comme il
est montre ci-dessous :
(8) Criteres pour l’identification des classes :
a. la position de l’AT au singulier :
(i) sur la penultime position vocalique (cl. 2, 3, 4 et 5),
(ii) sur la derniere voyelle (cl. 1).
b. la forme du pluriel :
(i) le su"xe -o (cl. 1 et 3),
(ii) la gemination de la consonne finale et la su"xation de -o (cl. 2),
(iii) la reduplication de la consonne finale et l’infixation de -a- (cl. 4),
(iv) aucun su"xe (cl. 5).
c. le genre du pluriel par rapport au singulier :
(i) M (sg. = F : cl. 1),
(ii) F (sg. = M : cl. 2 et 5),
(iii) M (sg. = M : cl. 3 et 4).
Nous pouvons faire une serie d’observations a propos des criteres ci-dessous.
D’abord, la position de l’AT au singulier est predictible par rapport au genre : en e!et,
les noms feminins ont un AT final (classe 1), alors que les masculins ont un AT sur la
penultieme position vocalique (classes 2 a 5). Il semble donc que nous avons a!aire a une
relation entre la position de l’AT et le genre. Par consequent, nous pouvons a"rmer que :
267
(9) Connexion entre l’AT et le genre au singulier :
a. l’AT est associe a la voyelle finale des noms feminins ;
b. l’AT est associe a la voyelle penultieme des noms masculins.
La forme du pluriel, aussi, est tres interessante par rapport a son genre.
Les pluriels redupliques (classe 4) sont masculins et derivent toujours de noms mascu-
lins. Ainsi, nous pouvons generaliser que le genre peut changer au pluriel seulement si le
pluriel est forme par la su"xation de -o (classes 1 et 3), par la gemination de la consonne
finale et la su"xation de -o (classe 2) ou bien par aucun su"xe (classe 5).
En outre, si un nom donne est pluralise seulement par le deplacement de l’AT vers
la droite, alors son singulier est forcement masculin (classe 5). Comme nous avons deja
remarque, le deplacement tonal est le seul phenomene visible en surface ayant lieu aux
pluriels de la classe 5, tels madax ‘tetes’ F pl.
Une observation plus attentive du systeme nominal du somali nous montre que le
deplacement tonal est lie a deux autres alternances morpho-syntaxiques : d’une part,
nous avons le changement de genre, d’autre part le changement de cas.
Ainsi, si l’on deplace l’AT, on peut entraıner une di!erence de genre, de nombre ou
de cas, comme le tableau ci-dessous illustre :
Table 4.4 – L’AT et la flexion
forme 1 forme 2 gloses1 nombre madax sg. madax pl. ‘tete(s)’2 genre ınan M inan F ‘garcon’ vs. ‘fille’3 cas geri ABS gerı GEN ‘girafe’
Le premier exemple correspond aux donnees de la classe 5 et il concerne l’alternance
entre le singulier et le pluriel. L’exemple en 2 nous montre deux lexemes distincts dont
la seule di!erence est la position de l’AT. Finalement, le dernier exemple montre que la
position de l’AT peut entraıner une di!erence au niveau du cas morpho-syntaxique.
Nous allons montrer, a partir de la section 4.5, que les alternances ci-dessus peuvent
etre expliquees par un seul principe imposant une position fixe a l’AT.
Cependant, nous allons d’abord nous occuper d’une analyse de ces noms selon les
principes de DM standard. Ceci est le but de la section suivante.
268
4.4 Le nom somali et DM standard
Comme nous avons montre pour les donnees de l’italien et du bosnien, DM est en
di"culte lorsqu’on ne postule pas de structure interne pour les exposants des marqueurs
flexionnels.
Nous avons montre aussi que la structure syntaxique o!re plusieurs tetes fonctionnelles,
chacune etant associee a une matrice correspondant a une propriete morphologique.
Pourtant, si on ne decompose pas les formes nominales, un objet phonologique unique
doit etre mis en relation avec plusieurs tetes fonctionnelles. En e!et, afin qu’un marqueur
flexionnel donne soit associe a toutes ces proprietes morphologiques, une operation sur
les nœuds est necessaire : il s’agit de la fusion, comme nous avons mentionne a plusieurs
reprises.
Nous savons que le somali a deux genres, deux nombres et trois cas syntaxiques : cette
situation est proche a celle du bosnien illustree lors du chapitre precedent. Pour cette
raison, je pose raisonnablement la meme structure de depart, montree ci-dessous : 17
(10) Structure profonde d’un nom du somali
KP
K numP
num nP
n#RACINE
Des qu’on veut analyser les noms du somali, nous devons tout d’abord nous rendre a
l’evidence que la fusion doit etre postulee.
On aurait donc la regle de fusion s’appliquant aux tetes n, num et K, de la facon
montree ci-dessous : 18
17. Cf. la structure proposee pour le bosnien, ex. (6) ch. precedent.18. Cette operation s’applique de la meme facon que pour les donnees de l’italien et du bosnien, cf.
respectivement chapitre 2, ex. (24) et chapitre 3, ex. (8).
269
(11) Fusion s’applique en somali
a. [n !F].[num !pl].[K K] =" [n.num.K !F, !pl, K] / liste de racines.
b. K
num n.num.K
n
#RACINE exposant
Ainsi, nous pourrions dresser une liste d’exposants phonologiques correspondant aux
matrices de traits resultant de la fusion. Ces matrices contiendraient un trait de genre,
un trait de nombre et ceux relatifs aux cas.
La liste suivante montre quelques exemples de VI du type qu’on vient de decrire :
(12) Liste de VI pour les noms du bosnien (limitee a l’ABS) :
a. [ABS, +pl, -F] !" -o / liste 1 (naag, galab, etc..) ; 19
b. [ABS, +pl, +F]!" gemination de la derniere consonne + o / liste 2 (albaaab,
darıiq, etc.. ) ;
c. [ABS, +pl, -F] !" -o / liste 3 (ılig, etc..) ;
d. [ABS, +pl, +F] !" AT sur la derniere V / liste 4 (madax, etc..) ;
e. [ABS, -pl, +F] !" AT sur la derniere V / liste 1 (naag, galab, etc..) ;
f. [ABS, -pl, -F] !" AT sur la penultieme V / liste 2 (albaaab, darıiq, etc) ;
g. [ABS, -pl, -F] !" AT sur la penultieme V / liste 3 (ılig, etc..) ;
h. [ABS, -pl, -F] !" AT sur la penultieme V / liste 4 (madax, etc..).
i. etc..
La liste ci-dessus n’est pas exhaustive, puisqu’on veut seulement esquisser une analyse
du type de DM standard.
Deux observations sont pourtant fondamentales au vu des VI en (12).
D’une part, nous pouvons remarquer que le singulier (cf. VI (12-e) a (12-h)) est correle
19. L’on aurait besoin d’une regle de readjustment pour expliquer pourquoi certains noms ont l’al-ternance voyelle-zero entre le sg. et le pl. Ensuite, il faudrait une deuxieme regle pour expliquer lesdeplacement de l’AT au pluriel.
270
a l’apparition de l’AT, de quelque maniere que ce soit, puisque chaque VI inclut une
indication au positionnement de ce dernier. On verra que l’AT est fondamental dans la
formation d’un nom mais pas en ce qui concerne le nombre, comme on peut croire en
regardant les VI en (12).
D’autre part, il faut aussi remarquer que la polarite de genre n’est qu’un hasard que
l’on decrit sous forme de matrices de traits : la liste 2 a un sg. [-F] (cf. VI (12-f)) mais un
pl. [+F] (cf. VI (12-b)).
Nous allons proposer une explication au changement de genre au pluriel, ainsi qu’au
deplacement tonal.
A l’interieur des approches syntaxiques a la formation des mots, Lecarme (2002) a
propose una analyse de la polarite de genre que nous allons rapidement reparcourir.
Dans son analyse, Lecarme (2002) traite les su"xes de pluriel declenchant la polarite
de genre comme des functional stems, a la facon dont on analyse habituellement ceux que
l’on appelle light verbs : do, go, be, etc...
La structure proposee pour les pluriels des classes 2 et 1 (F et M, respectivement) sont
les suivantes :
(13) Les pluriels a polarite selon Lecarme (2002 : 129)
DP
D nP
N n
ınan (M) -Co (F)
[inammo] ‘garcons’ cl. 2
DP
D nP
N n
inan (F) -o (M)
[inamo] ‘filles’ cl. 1
Cette analyse decompose les pluriels en deux objets distincts, un correspondant a la
racine, l’autre a l’exposant flexionnel, et ce fait est souligne lorsque l’auteur a"rme que
! N and n must then be two morphemes, with two VIs inserted. "
Comme nous pouvons le voir, chaque racine (ici etiquetee tout simplement N) a un
genre inherent (celui du nom au singulier). Ensuite, lors du merge avec nP, la tete n a un
271
spell-out correspondant a une matrice de deux traits : le genre et le nombre (le cas n’est
pas traite par Lecarme). Ainsi, Lecarme considere qu’on a deux informations sur le genre
chaque fois ou on construit un pluriel exhibant la polarite.
L’approche de Lecarme ressemble remarquablement a l’esquisse d’analyse DM que j’ai
montree avec la liste de VI en (12). En outre, deux problemes restent apparemment sans
solution.
Le premier concerne la forme du su"xe du pluriel : pour Lecarme il y en a deux, -Co
et -o. Or, on ne peut pas nier que ces deux su"xes partagent un segment, celui-ci etant
la voyelle o. Dans l’analyse de Lecarme, il s’agit d’un fait accidentel.
Inversement, nous pouvons penser que nous avons a!aire a un marqueur unique de
pluriel, en generalisant ainsi la formation du pluriel. Nous allons nous occuper de ce fait
dans la section 4.5.1.
Quant au deuxieme probleme, dans les deux structures ci-dessus en (13) aussi bien le
spell-out de N que celui de n portent un AT. Pourtant, en surface, un seul AT est present
sur le nom. 20
Il faut obligatoirement prevoir l’intervention d’un mecanisme e!acant un des deux AT,
et Lecarme le fait en postulant notamment que celui du su"xe du pluriel elimine l’autre.
En suivant ce chemin d’analyse, on ne pourra jamais trouver une relation entre la
position de l’AT et un cas syntaxique donne. Dans notre analyse, nous allons montrer que
la position de l’AT marque le cas morpho-syntaxique en somali, cf. infra, section 4.5.4, et
que nous n’avons qu’un seul AT par structure nominale.
La consideration generale que nous pouvons faire a propos des analyses montrees ci-
haut est que si l’on ne decompose pas les morphemes, on ne peut pas parvenir a saisir
certaines generalisations sur la forme de leurs exposants phonologiques.
On perd ainsi toute possibilite d’un lien phonologique entre les exposants d’un meme
morpheme, comme on peut voir clairement en comparant les entrees (12-a) et (12-c), par
exemple. Ces deux VI s’appliquent au meme morpheme [ABS, +pl, -F] et ils, sont par
principe (cf. le Subset Principle), en competition entre eux. Pourtant, on doit maintenir
la distinction en deux listes puisqu’autrement on perdrait la generalisation sur le fait que
20. Comme nous l’avons deja mentionne, en somali il n’y a qu’un seul AT par mot : Lecarme (2002 :130) aussi le reconnaıt explicitement.
272
le sg. de la liste 1 est F (cf. VI (12-e)) alors que celui de la liste 3 est M (cf. VI (12-g)).
Je propose donc de reprendre l’approche poursuivie a travers les donnees de l’italien
et du bosnien, notamment en regardant comment on peut decomposer chaque marque
nominale apparaissant dans un nom du somali aussi.
La section suivante s’occupe de reprendre les generalisations proposees par Godon
(1998) et d’illustrer comment on peut parvenir a isoler un exposant phonologique indepen-
dant pour chaque propriete morphologique presente dans un nom du somali.
4.5 La decomposition du systeme
Cette section vise a proposer les exposants phonologiques des categories morpholo-
giques de nombre, de genre et de cas ainsi que ceux des racines du somali.
Les analyses qui y sont presentees se posent dans le terrain fertile de nombreux travaux
dedies entierement ou partiellement a cette langue et qui ont vu lumiere dans la meme
periode (cf. Godon 1998, Bendjaballah 1999, Segeral & Scheer 2001, Barillot 2002 et
Barillot & Segeral 2005 parmi les plus importants).
La section est structuree de la facon suivante : je propose d’abord l’existence d’un
marqueur du pluriel unique (cf. 4.5.1), ensuite je vais faire l’hypothese que certaines
racines du somali ont un gabarit fixe dans leur representation (cf. 4.5.2). La sous-section
4.5.3 s’occupe de reprendre une hypothese cruciale, proposee initialement par Godon
(1998), et consistant en l’idee que le genre feminin est marque par une unite CV sous-
jacente s’ajoutant a droite de la racine. Je vais montrer que cet objet est responsable du
deplacement de l’AT visible en surface. Finalement, la sous-section 4.5.4 illustre les VI
des trois cas morpho-syntaxiques.
4.5.1 Le marqueur unique de pluriel
Dans cette sous-section, je vais postuler la presence d’un marqueur de pluriel unique
en somali. Cet objet correspond a la voyelle [o]. Par consequent, le deplacement tonal (cf.
tableau 4.4, ex. 1 : madax ‘tete’ vs. madax ‘tetes’, classe 5) n’est pas une strategie de
pluralisation, mais la consequence d’un autre phenomene, que nous verrons plus tard, cf.
sous-section 4.5.3.
273
Les trois points suivants constituent les arguments en faveur de l’hypothese d’un mar-
queur unique :
(14) a. la directionalite du deplacement tonal ;
b. les restrictions sur la reduplication, cf. classe 4 ;
c. le su"xe -o n’a pas de genre inherent et il alterne avec -a- lorsque le nom
est su"xe par le determinant.
Nous allons commencer par observer que le deplacement tonal, en depit du fait qu’il
est en principe applicable a n’importe quel nom, presente cependant une restriction liee
a la directionalite de son application.
Il ne marche, en e!et, que dans un sens, c’est-a-dire, on peut pluraliser un nom M
ayant au moins deux positions vocaliques en deplacant l’AT a droite, mais on ne peut
jamais pluraliser un nom F en deplacant l’AT vers la gauche. Cette situation est illustree
ci-dessous :
(15) Directionalite du deplacement tonal
a. buug ‘livre’ M sg. ABS $% buug ‘livres’ F pl. ABS ;
b. naag ‘femme’ F sg. ABS *$% *naag ‘femmes’ M pl. ABS.
La situation est particuliere, puisque la polarite marche dans les deux sens : un nom
M est F au pluriel (classes 2 et 5), alors qu’un nom F est M au pl (classe 1 : naag ‘femme’
F vs. naago ‘femmes’ M). Dans le premier cas, la pluralisation est accompagnee soit du
deplacement tonal, soit de la su"xation, alors que dans le deuxieme cas c’est la su"xation
seule qui implique la pluralisation.
Je fais donc l’hypothese que le deplacement de l’AT ne su"t pas tout seul a pluraliser
un nom.
Quant a la reduplication, son application est tres restreinte.
En e!et, ce phenomene s’applique lorsque deux conditions sont satisfaites. D’une part,
la presence d’une structure syllabique fixe C(V)VC, d’autre part le genre masculin.
La premiere condition impose au nom d’avoir seulement une syllabe fermee, a voyelle
courte ou longue. Dans les termes de la theorie CVCV, la representation d’une syllabe
fermee ayant une voyelle courte est CVCV, alors que celle d’une syllabe fermee a voyelle
274
longue est CVCVCV. Par consequent, la sequence CV1+(CV)+CV2 represente les deux
situations, ou les parentheses indiquent l’optionalite de la longueur vocalique.
Ainsi, mıis ‘table’ M sg. ABS a la representation suivante : 21
(16) Representation de mıis ‘table’ M sg. ABS :
a. pos-V 2 1 -
AT AT
Consonnes m s
Gabarit C V(CV)C V mıis
Voyelles i
La pluriel miisas ‘tables’ est forme en reduplicant la derniere consonne. Puisque une
consonne geminee n’est pas admise a la finale, la langue doit eviter cette situation : *miiss.
Plus generalement, les codas biconsonantiques sont interdites en somali, une voyelle doit
donc etre inseree. Nous pourrions donc penser que la voyelle -a- est inseree pour empecher
une sequence consonantique interdite. Dans ce cas, -a- serait une voyelle epenthetique.
Or, le somali adopte deux strategies lorsqu’il doit eviter les clusters consonantiques
finaux : soit on copie la premiere voyelle du stem, soit il y a epenthese de la voyelle /i/.
Ces deux situations sont montrees ci-dessous, a l’aide de quelques noms d’emprunt :
(17) Strategies pour eviter les codas consonantiques :
a. anglais film $% somali fılin ‘film’
b. arabe bahr $% somali baxar ‘mer’
c. arabe qalb $% somali qalbi ‘cœur’
d. anglais bank $% somali banki ‘banque’
Par consequent, -a- n’est pas la voyelle epenthetique et elle est inseree dans les pluriels
de la classe 4 pour une autre raison.
Je fais donc l’hypothese, en suivant Godon (1998), que cette voyelle est le marqueur
de pluriel :
21. Le niveau etiquette ! pos-V " indique la position de l’AT par rapport aux positions vocaliques. Cespositions sont numerotees. Les positions V vides finales ne sont pas comptees, cf. Kaye (1990) pour uneanalyse des noyaux vides finaux dans le cadre de la phonologie du Gouvernement.
275
(18) Hypothese sur le pluriel : /a/ est l’exposant du trait [+pl] en somali (classe 4)
En ce qui concerne la representation du pluriel miisas, le gabarit de cette forme doit
etre CV1+(CV)+CV2+CV3, comme il est montre ci-dessous :
(19) Representation of miisas ‘table’ M pl. ABS :
a. pos-V 2 1 -
AT TA
Consonnes m s
Gabarit C V(CV)C V C V miisas
Voyelles i
Pluriel a
Afin d’unifier les representations du singulier et du pluriel, je propose de considerer
que les noms de la classe 4 ont un gabarit unique de la forme CV1+(CV)+CV2+CV3. Les
racines de ce groupe ont la forme /C1(V)VC2C2/ et le deuxieme C2 fait surface seulement
au pluriel, lorsque l’exposant du pluriel -a- est insere. C2 propage donc a droite seulement
lorsqu’une condition particuliere est satisfaite : le pluriel.
Nous pouvons ainsi faire une consideration ulterieure concernant les noms de cette
classe. La presence d’un gabarit unique sous-jacent au singulier et au pluriel, implique
que le gabarit et le trait du nombre soient dissocies. En e!et, je fais l’hypothese que le
gabarit CV1+(CV)+CV2+CV3 est l’expression d’une contrainte lexicale liee a un groupe
particulier de racines (cf. sous-section 4.5.2), alors que -a- est l’exposant du pluriel.
Il nous reste a analyser les classes 1, 2 et 3 qui pluralisent a l’aide du su"xe -o. Cet
objet a deux proprietes interessantes.
D’abord, il semble etre independant du genre, puisqu’il pluralise aussi bien des noms
M qui deviennent F au pl. (classe 2) que des noms F qui deviennent M au pl. (classe 1)
ou encore des noms M qui restent M au pl. (classe 3).
Ensuite, il alterne avec -a-. Cette situation a lieu lorsqu’un nom pluriel est dans une
configuration de premodif, comme il est montre ci-dessous : 22
22. D’autres exemples sont montres dans le tableau 4.3.
276
(20) Alternance -o vs. -a-
a. naago ‘femmes’ $% naagaha ‘les femmes’
b. garbo ‘epaules’ $% garbaha ‘les epaules’
c. albaabbo ‘portes’ $% albaabbada ‘les portes’
L’alternance entre -o et -a- ne peut avoir lieu que dans le contexte d’un nom pluriel,
de la facon montree ci-dessus. 23
Nous devons aussi considerer qu’il existe des [a] finaux ainsi que des [o] intervocaliques,
comme il est montre ci-dessous :
(21) a. [a]# : naagaha ‘les femmes’, galabta ‘l’apres-midi’, etc..
b. Co(o)C : qodob ‘article’, gorgor ‘vautour’, xoog ‘force’, qolay ‘sac’, etc..
Par consequent, je fais l’hypothese que cette alternance est due a la formation du
pluriel. Nous avons donc a!aire a deux allomorphes du pluriel.
En particulier, si on analyse les voyelles [o] et [a] dans les termes de la theorie des
Elements (Kaye et al. 1985), nous obtenons les expressions vocaliques suivantes :
(22) Expressions vocaliques
a. [o] = /A.U/
b. [a] = /A/
L’Element /A/ apparaıt dans les deux voyelles [o] et [a].
Je propose donc l’existence d’un su"xe phonologiquement complexe dont la structure
est la suivante :
23. En e!et, il y a un seul autre exemple de ce type d’alternance dans la morphologie du somali. Lesverbes de la conjugaison 3, connus aussi comme les verbes ! autobenefactifs " (cf. Saeed 1993 : 51-58 etOrwin 1995 : 82-84) comme qaado ‘prendre pour soi-meme’, joogso ‘arreter’, etc...
Ces verbes sont caracterises par un -o final a l’imperatif singulier, qui est la seule forme verbale sansa"xes. Les formes verbales finies sont construites en ajoutant des su"xes au stem de l’imperatif singulier.Crucialement, le -o final est toujours remplace par -a-, comme quelques exemples du passe montrent :1S joogsa-day ‘j’ai arrete’, 2S joogsa-tay ‘tu as arrete’, 1P joogsa-nnay ‘nous avons arrete, 2P joogsa-teen‘vous avez arrete’, etc...
277
(23) Structure du su"xe [o] :
[o]
Pluriel A
U
L’expression vocalique /A.U/ correspond a la representation sous-jacente du su"xe
[o].
Nous pouvons donc expliquer l’alternance entre [o] et [a] en prenant les formes naago
et naagaha, par exemple :
(24) Alternance du su"xe -o :
a. Consonnes n g
Gabarit C V C V C V [naago] ‘femmes’
Voyelles a A
U
b. Consonnes n g k a
Gabarit C V C V C V C V [naagaha] ‘les femmes’
Voyelles a A
U
La consonne /k/ du determinant subit la modification decrite par la regle (7-a-i),
montree dans la section 4.2.
Etant donnee la representation du su"xe [o] en (23), je propose de generaliser son
application en l’etendant aux pluriels de la classe 4, ceux qui redupliquent la derniere
consonne du stem.
Nous pouvons donc traiter l’alternance entre le su"xe [o] dans les pluriels des classes
1, 2 et 3 d’une part et l’infixe [a] dans les pluriel de la classe 4 comme deux realisations
d’un su"xe du pluriel unique, ayant la forme sous-jacente (23).
Les deux exemples suivants montrent cette situation :
278
(25) Alternance du su"xe du pluriel :
a. Consonnes n g
Gabarit C V C V C V [naago] ‘femmes’
Voyelles a A
U
b. Consonnes m s
Gabarit C V C V C V C V [miisas] ‘tables’
Voyelles i A
U
L’exposant du pluriel nominal du somali est donc unique et il s’applique a tous les
noms.
Quant au singulier, il est de toute evidence marque par un exposant zero.
Par consequent, les VI pour le nombre peuvent etre formalises de la facon suivante :
(26) VI pour le nombre du somali
a. [-pl] !" ø
b. [+pl] !" A
U
Selon l’hypothese de base que je defends dans ce travail, les VI ci-dessus s’appliquent a
tout le systeme nominal du somali. Ainsi, le pluriel doit apparaıtre dans toutes les classes,
de 1 a 5.
Pourtant, nous avons vu que ce su"xe ne fait pas surface dans le groupe 5 : les noms
comme madax sg. vs. madax pl. n’ont aucune trace de ce marqueur dans leur forme de
pluriel. 24 Dans la sous-section 4.6.2, je m’occuperai d’analyser ces pluriels afin qu’ils ne
contredisent pas mes generalisations.
La sous-section suivante reprend l’analyse du gabarit fixe CV1+(CV)+CV2+CV3 que
24. Le deuxieme [a] de [madax] ne peut pas etre l’allomorphe [a] de /A.U/ comme les exemples suivantsle montrent : balli sg. et ballı ‘mare, etang’ ; ey sg. et ey pl. ‘chien’ ; awr sg. et awr pl. ‘chameau male’ ;boon sg. et boon pl. ‘chasseur’ etc..
279
l’on a retrouve dans les noms de la classe 4.
4.5.2 Le gabarit et les racines
Les racines du somali peuvent avoir une longueur fixe. En e!et, les classes 3 et 4
contiennent des noms ayant une structure syllabique predictible.
Dans la sous-section precedente, j’ai fait l’hypothese que les noms de la classe 4 par-
tagent un gabarit ayant la taille suivante : CV1+(CV)+CV2+CV3. La forme de ce gabarit
rappelle celle du gabarit propose par Guerssel & Lowenstamm (1996) pour les verbes de
l’arabe classique que nous avons deja mentionne (cf. ch. 1, section 1.5). Dans la propo-
sition de G&L, l’unite derivationnelle (CV) est optionnelle et elle est activee par une
operation morphologique donnee (la formation de l’imperfectif, la formation du passif, la
creation de la forme 2, etc..). Inversement, en somali, cette unite n’est pas derivationnelle,
mais son utilisation depend exclusivement d’un groupe de racines donnees. Ainsi, il s’agit
d’une activation strictement lexicale.
Il se trouve que le gabarit fixe CV1+(CV)+CV2+CV3 corresponde parfaitement aux
noms de la classe 3, aussi.
Comme nous avons deja mentionne en discutant les donnees du tableau 4.3, cette classe
contient des noms bisyllabiques ayant une structure C(V)ViCViC (ou V1=V2). Cette
structure equivaut, dans les termes de l’approche CVCV, a la sequence CV1+(CV)+CV2+CV3.
Si nous tenons compte du fait que les noms de ces deux classes sont exclusivement
masculins et ne montrent jamais de polarite de genre, nous pouvons facilement faire
l’hypothese que la distinction entre la classe 3 et la classe 4 n’est qu’apparente.
Les trois representations suivantes illustrent bien cette situation :
280
(27) garab ‘epaule’ M sg. ABS, dab ‘feu’ M sg. ABS et mıis ‘table’ M sg. ABS :
a. pos-V 2 1 -
AT TA
Consonnes g r b
Gabarit C V(CV)C V C V [garab] cl. 3
Voyelles a
b. pos-V 1 -
AT TA
Consonnes d b
Gabarit C V(CV)C V C V [dab] cl. 4
Voyelles a
c. pos-V 2 1 -
AT TA
Consonnes m s
Gabarit C V(CV)C V C V [mıis] cl. 4
Voyelles i
La syllabe entre parentheses n’est activee que si la voyelle est longue, comme dans
le cas de mıis ‘table’. Comme nous avons vu dans l’introduction aux caracteristiques
phonologiques de la langue, la longueur vocalique est une propriete lexicale, qui entraıne
aussi des paires minimales. Ainsi, la presence d’une voyelle longue n’est pas predictible a
partir d’un contexte morphologique precis, mais est plutot une propriete de la racine.
En ce qui concerne les noms de classe 3, l’identite entre V1 et V2 peut etre expliquee
en posant que seulement V1 existe dans la representation de la racine. Ainsi V2 resulte de
la propagation de la premiere voyelle (comme l’on peut voir ci-dessus). De cette facon, on
peut expliquer les alternances entre V2 au singulier et zero au pluriel (Barillot & Segeral
2005 et Godon 1998 : 66-69). On reviendra sur ce point lors de la discussion du pluriel,
cf. infra section 4.6.2 representation (74).
En conclusion, je propose l’existence d’un seul groupe de noms, que je vais appeler
281
classe 3/4, et dont les caracteristiques saillantes sont les suivantes :
(28) Classe 3/4
a. les racines ont un gabarit fixe et uniforme : CV1+(CV)+CV2+CV3 ;
b. les noms sont tous masculins ;
c. les noms ne subissent pas de polarite de genre.
Au contraire, les noms des classes 1, 2 et 5 ne requierent aucune restriction gabaritique,
comme nous pouvons le voir des donnees du tableau 4.3.
En ce qui concerne le statut des racines du somali, je propose de considerer l’existence
d’une dichotomie.
D’une part, nous avons des racines associees a un niveau CVCV, dont la longueur varie
en fonction du nombre de segments qui font partie de la racine. Ces racines impliquent
les classes 1, 2 et 5, c’est-a-dire celles dont les noms n’ont pas de gabarit fixe.
En ce qui concerne leur representation, ces racines ont un spell-out de type combine, ou
les segments sont epeles associes a une sequence de positions C et V, exactement comme
dans le cas de l’italien et du bosnien. 25
Ces spell-outs sont montres ci-dessous :
(29) VI des racines a gabarit lexical
a. ‘femme’ !" n a g
C V C V C V cl. 1
b. ‘porte’ !" a l b a b
C V C V C V C V C V cl. 2
c. ‘tete’ !" m a d a x
C V C V C V cl. 5
D’autre part, nous avons les racines selectionnant un gabarit dont la taille est fixe et
qui impliquent la formation des noms de la classe 3/4. Je propose de considerer que le
gabarit n’est pas present dans la representation de ces racines, leur spell-out etant donc
25. Cf. ch. 2, section 2.5.3 et ch. 3, section 3.5.2 pour l’italien et le bosnien, respectivement. Cf. aussila typologie de spell-out proposee par Bendjaballah & Haiden (2008), ch. 2, section 2.5.3, ex. (56).
282
de type segmental simple, comme il est montre ci-dessous :
(30) VI des racines a gabarit fixe
a. ‘table’ !" MIIS cl. 3/4
b. ‘feu’ !" DAG cl. 3/4
c. ‘epaule’ !" GARB cl. 3/4
Dans les termes de la Phonologie Autosegmentale, un segment n’est pas audible tant
qu’il n’est pas associe a une position du squelette. Ainsi, les racines montrees en (30)
doivent avoir un gabarit afin d’etre audibles. Cet objet est donc introduit a travers un
spell-out successif a celui de la racine et il a la forme suivante :
(31) VI du gabarit fixe
Gabarit !" CV1+(CV)+CV2+CV3
La question que nous devons eclairer concerne la projection introduisant le gabarit
ci-dessus. Nous allons proposer une reponse plus tard, dans la sous-section 4.6.2, ou on
discutera des structures des noms des classes 1 a 5.
Nous pouvons donc conclure que la dichotomie des racines consiste en la presence
de deux types d’objets radicaux. Dans un cas, les racines entrent dans la structure avec
leur positions squelettales C et V, alors que dans le deuxieme cas elles ne sont que des
sequences d’autosegments inaudibles.
La sous-section suivante se concentre sur l’exposant du genre et sur la polarite.
4.5.3 L’exposant du feminin et la polarite de genre
Godon (1998 : 71-82) fait l’hypothese que le feminin des noms du somali depend de
la presence d’une unite CV sous-jacente. Plus particulierement, une syllabe CV ajoutee
a droite du gabarit d’un nom masculin est responsable du deplacement tonal et, par
consequent, de l’interpretation au feminin. Cette syllabe est externe au gabarit de la
racine.
Ainsi, la di!erence des patrons tonals du masculin et du feminin est la consequence
de la presence de cette unite abstraite, comme il est montre ci-dessous :
283
(32) ınan ‘garcon’, M vs. inan ‘fille’, F : 26
a. pos-V 2 1 -
AT AT
Consonnes n m
Gabarit C V C V C V [ınan] M sg.
Voyelles i a
b. pos-V 2 1 -
AT AT
Consonnes n m
Gabarit C V C V C V + CVF [inan] F sg.
Voyelles i a
Les arguments en faveur de l’hypothese sur l’exposant du feminin sont les suivants :
(33) Arguments en faveur de F = CV
a. la gemination de la derniere consonne du radical dans les pluriels F (cl. 2) ;
b. l’alternance de l’AT entre le sg. (M) et le pl. (F) dans la classe 5 ;
c. la generalisation sur la position de l’AT (2e position V a partir de la droite).
Nous allons d’abord nous concentrer sur les points (33-a) et (33-b), ensuite sur la
generalisation concernant la position de l’AT.
Le premier argument concerne un phenomene ayant lieu dans la classe 2. Les pluriels
de cette classe ont la caracteristique frappante de geminer la derniere consonne du stem
du singulier. Ainsi, le su"x -o tout seul ne su"t pas afin de creer un pluriel de classe 2
bien forme (cf. les donnees du tableau 4.3).
Cette situation est montree ci-dessous :
26. Comme nous avons deja montre, /m/ est neutralise en faveur de [n] lorsqu’il est en coda syllabique.La forme sous-jacente est donc /inam/ pour [ınan] et [inan].
284
(34) Gemination au pluriel de la classe 2 :
albaab ‘porte’ M sg. ABS $% albaabbo ‘portes’ F pl. ABS
Inversement, les pluriels de la classe 5 ne montrent aucun su"xe segmental, contraire-
ment a ce qu’on attend. En e!et, cette classe est caracterisee par des noms formant leur
pluriel par un simple deplacement de l’AT :
(35) Le deplacement tonal de la classe 5 :
madax ‘tete’ M sg. ABS $% madax ‘tetes’ F pl. ABS
Ainsi, d’une part, nous avons les pluriels feminins (classes 2 et 5) qui sont formes soit
par l’ajout du su"x -o et par la gemination a la frontiere droite du stem de la racine,
soit par un simple deplacement tonal (sans l’ajout du su"xe -o) ; d’autre part, les pluriels
masculins (classes 1 et 3/4) ne sont formes que par la su"xation de -o.
L’hypothese concernant l’exposant du feminin explique cette di!erence. En posant une
unite CV externe au gabarit de la racine, nous pouvons donc rendre compte a la fois de
la gemination de la classe 2 (cf. (34)) et du deplacement de l’AT de la classe 5 (cf. (35)).
Cette situation est illustree ci-dessous, a l’aide de la comparaison entre un singulier et
un pluriel des classes 2 et 5, respectivement :
285
(36) CV additionnel au pluriel feminin (classes 2 et 5) : albaab ‘porte’ and madax ‘tete’
a. pos-V 2 1 -
AT AT
Consonnes l b b
Gabarit C V C V C V C V C V [albaab] M sg.
Voyelles a a
b. pos-V 2 1 -
AT AT
Consonnes l b b
Gabarit C V C V C V C V C V + CVF [albaabbo] F pl.
Voyelles a a
Pluriel A
U
c. pos-V 2 1 -
AT AT
Consonnes m d x
Gabarit C V C V C V [madax] M sg.
Voyelles a
d. pos-V 2 1 -
AT AT
Consonnes m d x
Gabarit C V C V C V + CVF [madax] F pl.
Voyelles a
Pluriel A
U
286
Les exemples ci-dessus montrent que l’unite CV du feminin explique d’un cote la
gemination du pluriel de la classe 2, puisqu’elle fournit une position consonantique supple-
mentaire et de l’autre cote, le deplacement de l’AT dans la classe 5. En e!et, nous avons
remarque plus haut (cf. (9)) que l’AT est sur la penultieme voyelle au M mais sur la
derniere au F. Cette situation correspond exactement a l’alternance entre le singulier
madax M ‘tete’ et le pluriel madax F ‘tetes’ ou aux exemples montres en (32).
Cette derniere observation nous mene au dernier argument en faveur de l’hypothese
sur le marqueur du feminin.
La presence de la syllabe CV entraıne la generalisation suivante concernant la position
de l’AT :
(37) L’AT est toujours associe a la deuxieme position V activee a partir de la droite
(a l’exclusion de la derniere)
Les representations en (32) et en (36) montrent que le pluriel de la classe 2 albaabbo
est la seule exception a la generalisation ci-dessus. Comme nous avons deja remarque, les
pluriels de cette classe portent un AT sur le su"xe du pluriel : [o].
Par contre, si le su"xe -o n’apparaıt pas en surface, comme dans la classe 5, l’AT est
bien associe a la deuxieme position a partir de la droite. Je reviendrai sur ce point plus
tard, cf. sous-section 4.6.2.
Avant de montrer les VI du genre, nous devons souligner un fait important. L’hy-
pothese sur l’exposant du feminin ne contredit pas certains phenomenes similaires observes
dans d’autres langues afroasiatiques.
D’abord, dans son analyse des noms du rendille, Oomen (1981 : 44-48) propose, pour
le proto-couchitique, un su"xe du feminin ayant la forme *-at. 27 En acceptant cette
hypothese, il en decoule que tous les noms avaient un ton penultieme, exactement comme
dans le cas du somali. Apres la perte de ce su"xe, la distinction de genre est faite, en
surface, seulement sur la base de l’accentuation.
Oomen (1981 : 51-53) propose aussi un su"xe accentue *-at pour le pluriel. Selon
elle, a la perte de la consonne, la voyelle *-a serait devenue -o. Cette derniere correspond
27. Plus precisement, elle propose le su"xe *-et pour le rendille et *-at en tant que marqueur historiquecommun. Le rendille a des cas de polarite de genre fortement semblables a ceux du somali.
287
au pluriel du rendille contemporain. Cette situation semblerait confirmer l’alternance a/o
visible dans les noms du somali.
Ensuite, le su"xe du feminin typique au semitique est aussi *-at. Certaines langues,
comme l’arabe, ont perdu la consonne, mais la voyelle est encore audible : madrasa ‘ecole’.
Nous avons en e!et un exemple similaire en somali, qui pourrait donc etre interprete
comme un su"xe *-at. Il s’agit de la marque du GEN -eed, qui n’est su"xe qu’aux
noms feminins. 28 Ces derniers sont, par hypothese, les seuls a avoir une syllabe CV
supplementaire pouvant accueillir du materiel segmental.
Finalement, nous avons un dernier indice dans le nubi, une langue creole a base arabe.
Dans cette langue, quelques noms distinguent leur singulier du pluriel tout simplement en
changeant la position de l’accent (cf. Kihm 2010) : gidıda sg. vs. gidida pl. ‘poulet(s), bele
sg. vs. bele pl. ‘pays’ et siadun sg. vs. siadun pl. ‘proprietaire(s)’. Le somali se comporte
exactement comme le nubi par rapport a l’alternance prosodique entre le singulier et le
pluriel.
Nous pouvons maintenant revenir a l’hypothese sur le marqueur du feminin.
En termes DM, les exposants de genre peuvent etre formalises de la facon suivante :
(38) VI du genre
a. M !" zero
b. F !" CV su"xe
Le masculin est, tout comme le singulier, marque par un exposant zero. En e!et,
comme Godon remarque aussi, un nom M est un nom simple, non derive et n’ayant
aucun gabarit (cf. classe 3/4).
En conclusion, nous pouvons a"rmer que l’AT est independant du genre. Je vais
proposer qu’il est en e!et l’exposant du cas morpho-syntaxique, cf. sous-section 4.5.4.
Quant a l’hypothese sur l’exposant du F, nous venons de voir que sa presence explique
la gemination observee sur les pluriels de la classe 2 (cf. (36-b)), ainsi que l’alternance de
l’AT entre le sg. et le pl. de la classe 5. Finalement, l’introduction de cette unite explique
un phenomene plus general, concernant notamment la position de l’AT dans les classes 1
28. Nous allons le traiter plus tard, cf. sous-section 4.5.4.
288
a 5.
La sous-section suivante est dediee a l’etude des exposants des cas syntaxiques.
4.5.4 Les cas
Cette sous-section s’occupe de montrer les exposants des marques casuelles.
Je vais proposer que l’AT est l’objet phonologique concerne et que sa position determine
l’assignation d’un cas donne.
Etant donne qu’aucun nom n’a jamais d’AT au-dela de la deuxieme voyelle a partir
de la droite, seules trois possibilites sont envisageables :
(39) a. l’AT est sur la deuxieme position vocalique a partir de la droite ;
b. l’AT est sur la premiere position vocalique a partir de la droite ;
c. l’AT est absent.
Ainsi, l’ABS correspond a la premiere situation, le GEN a la deuxieme et le NOM a
l’absence du ton haut.
En ce qui concerne les matrices de traits generant leurs exposants, je propose que
l’ABS n’est associe a aucun trait. Cette situation decoule du fait que l’ABS est assigne,
comme nous l’avons rapidement vu au debut du chapitre, a des NP ne se trouvant pas
dans des positions argumentales (cf. Frascarelli & Puglielli 2005; 2007b; 2007a). Quant
aux deux autres cas, les matrices proposees pour le bosnien sont reprises :
(40) Les matrices pour les cas du somali : 29
a. NOM : [-oblique, (+structural, +superieur)] ;
b. GEN : [+oblique, (+structural, -superieur)] ;
c. ABS : [defaut]
Nous pouvons maintenant nous occuper des exposants de chaque matrice.
Commencons par l’ABS.
Comme nous avons vu (cf. supra, sous-section 4.2), l’ABS est le cas par defaut, celui
que l’on doit connaıtre afin de deriver les formes du NOM et du GEN. Les donnees sur
29. Si on ne tient compte que du somali, on peut simplifier ulterieurement les matrices du NOM et duGEN. En e!et, nous pourrions poser que le NOM = [-oblique] et le GEN = [+oblique].
289
lesquelles nous avons travaille jusqu’a maintenant sont en e!et des noms a l’ABS.
Considerons les exposants des autres marqueurs flexionnels, le genre et le nombre. Nous
avons deja attribue un role au su"xe -o (le pluriel), nous avons explique la gemination de
la classe 2 (la syllabe CV du feminin), nous avons aussi explique le deplacement tonal (la
meme syllabe CV) et finalement nous avons introduit un objet sous-jacent pour donner
un exposant au genre feminin.
Le seul materiel phonologique restant exclu de nos analyses est donc l’AT. 30
Nous avons pourtant fait l’observation que l’AT a une position fixe a l’ABS, qui
n’est detectable qu’en considerant l’unite CV du feminin. Cette position correspond a
la deuxieme voyelle a partir de la droite, sans tenir compte du genre.
Dans un souci de clarte, je repete l’exemple (32), montrant un M et un F a l’ABS :
(41) ınan ‘garcon’, M vs. inan ‘fille’, F :
a. pos-V 2 1 -
AT AT
Consonnes n m
Gabarit C V C V C V [ınan] M sg.
Voyelles i a
b. pos-V 2 1 -
AT AT
Consonnes n m
Gabarit C V C V C V + CVF [inan] F sg.
Voyelles i a
Des representations ci-dessus, nous deduisons que l’ABS est marque par un AT sur la
deuxieme voyelle a partir de la droite.
Par consequent, le VI associe a ce cas est le suivant :
(42) ABS : [defaut] !" AT sur la deuxieme position vocalique
30. Il ne faut pas confondre le role du deplacement tonal avec le role du ton en lui-meme : le premierdepend d’une contrainte l’obligeant a se poser toujours sur la deuxieme voyelle en comptant de droite agauche, alors que le deuxieme n’a pas ete etudie.
290
Ensuite, nous avons le NOM.
Comme Saeed le remarque (1993 : 142), le NOM est caracterise par l’absence de l’AT :
! subject case lowers high tones ". En outre, les noms feminins ajoutent un su"xe -i. Les
donnees du NOM, comparees a celles de l’ABS, sont montrees dans le tableau ci-dessous :
Table 4.5 – Le NOM
absolutif nominatif classe genre nombre gloses1 warqad warqad-i 1 F sg. ‘lettre’2 warqado warqado 1 M pl. ‘lettres’3 albaab albaab 2 M sg. ‘porte’4 albaabbo albaabbo 2 F pl. ‘portes’5 mıis miis 3/4 M sg. ‘table’6 miisas miisas 3/4 M pl. ‘tables’7 madax madax 5 M sg. ‘tete’8 madax madax-i 5 F pl. ‘tetes’
Les donnees ci-dessus montrent trois choses. Premierement, le NOM n’a jamais d’AT ;
ensuite le su"xe -i s’ajoute aux noms F et, finalement le su"xe -o propre au pluriel
bloque l’apparition de -i, cf. albaabbo ‘portes’, F pl. NOM (classe 2).
Quant au premier point, je fais l’hypothese qu’aucun ton ne marque le NOM, en
suivant donc les analyses traditionnelles citees a plusieurs reprises.
Au contraire, le comportement du su"xe -i impose quelques reflexions supplementaires.
Du point de vue syntaxique, cet objet est toujours su"xe au dernier element d’un groupe
nominal, comme le contraste suivant montre :
(43) a. run-iverite.NOM‘(une) verite’ (sujet)
b. runverite.ABS
iyoet
been-imensonges.pl.NOM
‘verite et mensonges’ (sujet)
Cette situation fait partie d’un phenomene plus general qui impose la marque du NOM
au dernier element d’un groupe nominal, alors que tous les autres elements prennent la
291
marque de l’ABS (cf. Saeed 1993 : 143-144). Cette situation est visible dans les exemples
suivants :
(44) a. ninhomme.NOM‘un homme’ (sujet)
b. nın-kuhomme.ABS-Det.NOM‘l’homme’ (sujet)
c. nın-kahomme.ABS-Det.ABS
iyoet
gabadh-ufille.ABS-Det.NOM
‘l’homme et la fille’ (sujet)
En ce qui concerne le comportement des noms, nous pouvons tout simplement re-
marquer que la marque du NOM est syntaxiquement associee a un seul element. 31 Cette
situation impose une analyse syntaxique complexe qui n’a pas de raison d’etre dans une
etude morpho-phonologique. 32 Pour cette raison, nous allons nous concentrer seulement
sur l’alternance formelle entre les ABS et les NOM.
Plus particulierement, nous allons devoir observer trois faits phonologiques interessants
concernant le comportement du su"xe -i. Ils sont enumeres ci-dessous :
(45) Comportement du su"xe -i
a. il ne declenche pas la palatalisation ;
b. il declenche la neutralisation de /m/ a l’intervocalique ;
c. il ne declenche pas l’alternance V-zero dans la classe 1.
Nous allons maintenant analyser ces points en detail afin de montrer qu’il s’agit de
trois aspects d’un phenomene unique.
En ce qui concerne la palatalisation, le su"xe -i du NOM ne palatalise jamais la
derniere consonne du stem du nom auquel elle s’ajoute, cf. naag ‘femme’ ABS vs. naagi
31. Le determinant (/ka/ M et /ta/ F) change de voyelle lorsqu’il est au NOM : /ku/ et /tu/. Cf. Saeed(1993 : 140-147).32. Il n’y a pas, a ma connaissance, d’analyses de ce fait particulier. Cependant, tous les auteurs
remarquent que la marque du NOM n’a!ecte que le dernier element du NP. Une analyse syntaxique del’ABS est a ete proposee par Frascarelli & Puglielli (2005, 2007a,b).
292
‘femme’ NOM, *naaji. Cette situation est en contraste avec un su"xe phonologiquement
identique -i, qui marque le causatif : noog ‘etre fatigue’ vs. nooj-i ‘fatiguer’ ; joog ‘s’arreter’
vs. jooj-i ‘arreter, bloquer’ ; nuug ‘sucer’ vs. nuuj-i ‘allaiter’ ou daaq ‘s’ecorcher’ vs. daaj-i
‘faire ecorcher’. 33
Quant a la neutralisation de /m/, nous avons vu au debut du chapitre que cette
consonne est neutralisee en finale absolue en faveur de [n]. Ainsi, inan F sg. ABS ‘fille’
correspond a inamo M pl ABS ‘filles’. On s’attend donc de trouver la forme *inami au
NOM singulier.
Pourtant, ce n’est pas le cas, puisque la forme grammaticale est inani, ou un /n/
inattendu fait surface a l’intervocalique.
Finalement, le dernier fait concerne les noms de la sous-classe 1.b : galab F sg. ABS
‘epaule’. Ces noms sont caracterises par l’alternance entre V2 et zero. V2 est donc e!acee
lorsqu’une voyelle suit la derniere consonne radicale : galbo M pl. ABS.
Pourtant, dans ce cas aussi, le su"xe du NOM n’entraıne pas une forme attendue,
puisque nous avons galabi F sg. NOM ‘epaule’, alors que *galbi est agrammatical.
Le tableau suivant resume les trois situations que je viens de decrire :
Table 4.6 – Proprietes phonologiques du su"xe du NOM 34
singular pluralf. simple premodif f. simple premodif
cl. 1 F naagi naag-tu M naago naagu-hu ‘femme(s)’cl. 1 M galabi galab-tu F galbo galbu-hu ‘epaule(s)’cl. 1 F inani inan-tu M inamo inamu-hu ‘filles(s)’cl. 2 M inan ınan-ku F inammo inamma-du ‘garcon(s)’
Afin de resoudre les problemes souleves par ces trois phenomenes phonologiques de-
viants, je propose de considerer qu’entre le gabarit de la racine et la position V a laquelle
le su"xe du NOM est associe il y a une position V supplementaire qui est vide.
Sa presence, ainsi que le fait qu’elle soit vide, implique que le -i ne puisse pas avoir
d’e!ets palatalisateurs puisqu’il est trop loin de la consonne du stem. Ensuite, si le -i
33. Cf. Bendjaballah (1998) et Bendjaballah (1999).34. L’alternance entre le -o final en naago, galbo et inamo et le premier -u- dans leurs correspondants
en premodif, est un exemple du phenomene que l’on appelle ! transparence des gutturales ". Dans cettesituation, les voyelles subissent de l’harmonie a travers une gutturale qui est donc transparente.
293
n’est pas adjacent a /m/, cette consonne est donc en position de coda : /inam#+i/.
Finalement, la position V2 ne peut pas etre gouvernee si le -i n’occupe pas la premiere
position V a droite de V2. 35
Les representations suivantes illustrent les trois situations que l’on vient d’analyser :
(46) Representations gabaritiques du NOM :
a. NOM i
Segments n a g
Gabarit C V C V C V + C V [naagi] ‘femme’, F
b. NOM i
Segments g a l a b
Gabarit C V C V C V + C V [galabi] ‘epaule’, F
c. NOM i
Segments i n a m
Gabarit C V C V C V + C V [inani] ‘fille’, F
d. NOM i
Segments i n a m
Gabarit C V C V C V [inan] ‘garcon’, M
Les representations ci-dessus montrent deux choses importantes. D’une part, elles illus-
trent la situation particuliere du su"xe -i vis-a-vis de la palatalisation, de l’alternance
V-zero et de la neutralisation de /m/. En e!et, la presence de la position V soulignee
implique les comportements que nous venons de decrire. D’autre part, elles donnent une
indication claire sur la raison de cette situation : le su"xe -i n’est pas sur le gabarit de la
racine puisqu’il est associe a une unite CV externe. Par consequent, une position V reste
vide.
Je fais l’hypothese que cette unite externe est l’exposant du F. Crucialement, le su"xe
-i du NOM n’apparaıt que lorsqu’un nom est F.
En ce qui concerne l’exposant phonologique du NOM, je fais l’hypothese suivante :
35. Cf. les alternances V-zero en bosnien, cf. ch. precedent, section 3.7.3.
294
(47) VI pour le NOM : [-oblique, +structural, -superieur] !" I (flottant)
Les details du fonctionnement de l’exposant du NOM seront montres plus tard, au
moment de l’analyse des structures syntaxiques des noms du somali, cf. infra section
4.6.3.
Nous pouvons maintenant passer au dernier cas, le GEN.
En ce qui concerne ce cas, la situation est beaucoup plus simple : l’AT est toujours
sur la derniere position vocalique du nom. En outre, les feminins sont caracterises par la
su"xation de -eed (sg) et de -ood (pl) (cf. Saeed 1993 : 148-149). 36
Le tableau suivant montre les donnees du GEN comparees a celles de l’ABS :
Table 4.7 – Le GEN
absolutif genitif classe genre nombre gloses1 warqad warqad-eed 1 F sg. ‘lettre’2 warqado warqad-(ood) 1 M pl. ‘lettres’3 albaab albaab 2 M sg. ‘porte’4 albaabbo albaabb-(ood) 2 F pl. ‘portes’5 mıis miıs 3/4 M sg. ‘table’6 miisas miisas 3/4 M pl. ‘tables’7 madax madax 5 M sg. ‘tete’8 madax madax-ood 5 F pl. ‘tetes’
Sur la base des donnees du tableau ci-dessus, le GEN semble relativement simple a
formaliser. D’abord, je fais l’hypothese que l’AT est associe a la derniere position V.
Ensuite, je considere que le su"xe -eed est l’exposant par defaut, -ood etant le cor-
respondant pluriel. En e!et, ce dernier su"xe contient la voyelle -o a laquelle nous avons
36. Saeed dit explicitement que seulement certains noms feminins ajoutent le su"xe -eed, mais il n’ex-plique pas sur la base de quel critere on peut les distinguer. En outre, il n’est pas clair en ce qui concerneles noms F pluriels dont le singulier est M (cf. classe 2) : ! feminine plural nouns ending in -o add -od ",naagood ‘des femmes’ (GEN). Cet exemple montre en e!et un nom qui n’est feminin qu’au singulier,puisque son pluriel est masculin. Orwin (1995 : 66) est plus explicite, et a"rme que les noms femininsau singulier formant un pluriel en -o sont su"xes par -ood au GEN pl. Finalement, Puglielli & Siyaad(1984 : 105) disent que tous les pluriels en -o (M et F) prennent le su"xe -ood.
Quant aux pluriels de la classe 5, qui sont feminins, seule Godon (1998 : 28-31) mentionne l’exemplemadaxood F pl GEN.
295
attribue le role de marqueur de pluriel. Dans la section 4.6.3 je montrerai les details de
cette alternance.
Quant au VI du GEN, je propose le spell-out suivant :
(48) VI pour le GEN : [+oblique, +structural, -superieur] !" eed + AT sur la derniere
position V
Ainsi, le VI du GEN est un spell-out complexe, compose a la fois d’un AT et d’un
su"xe segmental.
Avant d’introduire l’analyse des structures syntaxiques des noms du somali, je presente
brievement le bilan des resultats obtenus dans cette section.
La liste suivante resume les hypotheses que j’ai proposees :
(49) Les resultats :
a. Le marqueur du pluriel est unique et son exposant phonologique est /A.U/ ;
b. Le marqueur du feminin est une syllabe CV, externe au gabarit de la racine ;
c. La polarite de genre n’est qu’un phenomene apparent ;
d. Les racines se divisent en deux groupes du point de vue de leur spell-out :
(i) celles n’ayant pas de gabarit fixe. Elles sont epelees avec leur gabarit
(classes 1, 2 et 5) ;
(ii) celles ayant un gabarit fixe, ayant la forme CV1+(CV)+CV2+CV3
(classe 3/4).
e. La position de l’AT depend exclusivement du cas morpho-syntaxique :
(i) l’ABS impose la deuxieme position V a partir de la droite ;
(ii) le GEN impose la derniere position V ;
(iii) le NOM impose l’absence de l’AT du nom.
La section suivante integre ces resultats a des structures syntaxiques en proposant une
analyse de la formation des noms des classes 1 a 5.
296
4.6 La mecanique du nom somali
Cette section vise a montrer le mecanisme de formation des noms du somali. Dans la
sous-section 4.6.1, je presente la structure de base que j’utilise pour les analyses ; ensuite,
la sous-section 4.6.2 illustre les tetes complexes et les linearisations de l’ABS des classes 1
a 5 et, finalement, la sous-section 4.6.3 s’occupe du NOM et du GEN des memes classes.
4.6.1 La structure du nom somali
Pour analyser les noms du somali, j’adopte la meme structure syntaxique que j’ai
exploitee pour le bosnien et pour l’italien.
Plus particulierement, je vais reprendre les lignes essentielles de la derivation syn-
taxiques en les resumant ci-dessous : 37
(50) Mecanisme de formation d’un nom
a. La structure syntaxique proprement dite ;
b. Le spell-out des nœuds terminaux ;
c. La creation d’une tete complexe
La structure est donc celle que nous avons utilisee pour les analyses precedentes : 38
(51) Structure profonde d’un nom du somali :
KP
K numP
num nP
n#RACINE
Une fois la structure ci-dessus creee, le spell-out s’active. Dans le cas du somali, les
exposants entrant en jeu dans la formation du nom concernent deux VI pour le genre,
deux pour le nombre, trois pour les cas et ceux reserves aux racines. Nous avons vu que
37. Cf. ch. precedent, sous-section 3.6.1, ex. (24).38. Cf. ch. precedent, sous-section 3.6.1, ex. (25).
297
ces dernieres ont deux types de spell-out di!erents en somali, contrairement a l’italien et
au bosnien.
La liste de tous les VI est montree ci-dessous :
(52) VI pour les noms du somali :
a. [-F] !" zero ;
b. [+F] !" CV ;
c. [-pl] !" zero ;
d. [+pl] !" A.U ;
e. NOM : [-oblique, +structural, -superieur] !" I (flottant) ;
f. GEN : [+oblique, +structural, -superieur] !" eed + AT sur la derniere
position V ;
g. ABS : [defaut] !" AT sur la deuxieme position vocalique ;
h. Gabarit !" CV1+(CV)+CV2+CV3
i. Les racines :
(i) sans gabarit : ‘table’ !" MIIS cl. 3/4, etc..
(ii) avec un gabarit : ‘femme’ !" n a g
C V C V C V cl. 1, etc..
Lors de la derniere etape, la tete complexe suivante est formee :
298
(53) Tete complexe d’un nom du somali :
K
K Th
num K Cas
num Th
n num [!pl]
n Th
#RACINE n [!F]
Les deux sous-sections suivantes sont dediees a montrer comment les exposants de la
liste en (52) se combinent dans des tetes complexes et, ensuite, comment ces objets sont
linearises.
4.6.2 Les classes 1 a 5
Cette sous-section vise a illustrer la formation de l’ABS. Elle est divisee en trois
parties : la premiere est dediee aux classes 2 et 5, celles dont les noms sont masculins au
singulier et feminins au pluriel. Ensuite, nous allons nous occuper de la classe 3/4, celle qui
ne montre pas de polarite de genre et dont les noms ont un gabarit fixe qui est introduit
par un spell-out successif a celui de la racine. Finalement, la classe 1 est analysee : il s’agit
de la seule dont les noms sont feminins au singulier, mais masculins au pluriel.
Commencons donc par les noms M des classes 2 et 5.
Classes 2 et 5
Analysons d’abord la classe 2, en prenant l’exemple suivant :
(54) Classe 2 : albaab M sg. ABS vs. albaabbo F pl. ABS ‘porte(s)’
299
L’analyse que je propose pour le singulier est montree ci-dessous :
(55) Tete complexe de albaab ‘porte’, M sg. ABS
K
K Th
num K TA2e V
num Th
n num zero
n Th
#ROOT n zero
albaab
CVCVCVCVCV
Puisque les noms de la classe 2 sont masculins au singulier, deux exposants-zero sont
inseres dans les nœuds n et num, respectivement pour le genre et le nombre. Seul le cas
a un exposant audible : l’AT sur la deuxieme position vocalique (a partir de la droite).
La linearisation de cette forme est montree en ce qui suit :
(56) Linearisation de albaab ‘porte’ M sg ABS :
pos-V 2 1 -
AT AT
Segments a l b a b
Gabarit C V C V C V C V C V [albaab]
300
Quant a l’association de l’AT, j’ai deja mentionne le fait que les V vides finaux ne
comptent pas comme des positions actives. 39 Cette situation est vraie dans toutes les
representations que nous allons montrer ensuite.
Passons maintenant au pluriel des noms du groupe 2, qui deviennent feminins grace
notamment a l’ajout de l’unite CV du feminin. Cette syllabe supplementaire est visible,
comme nous avons deja remarque, a travers la gemination de la derniere consonne de la
racine : albaabbo ‘portes’.
Nous devons, d’abord, nous occuper de la raison pour laquelle le systeme a epele cette
syllabe marquant le genre feminin au pluriel alors que le singulier s’accorde au genre
oppose.
Godon (1998) a propose que tout geste morphologique est accompagne d’une syllabe
CV en somali. Le point est que ce geste morphologique tantot ajoute une syllabe (classes
2 et 5) et tantot il semble bien l’eliminer (classe 1, cf. infra dans la meme sous-section).
Nous avons donc a!aire a une propriete extremement lexicale des racines nominales du
somali.
En suivant l’approche utilisee pour l’italien et le bosnien, je propose d’utiliser une
regle d’allomorphie au sens de Embick (2010), dont la motivation sera claire plus tard, au
fur et a mesure que l’analyse avance. La regle AR1 est montree ci-dessous :
(57) AR1 : zero $% CVF / # A.U[+pl]
La regle ci-dessus prevoit l’insertion de l’exposant du feminin, une unite CV, dans
le contexte du pluriel. En outre, pour que AR1 soit activee, il faut que la racine soit
adjacente a l’exposant du pluriel.
Ensuite, la position de l’AT est a discuter. Nous avons remarque que les pluriels en -o
echappent a la generalisation sur la position de l’AT a l’ABS. 40 En e!et, ces pluriels sont
accentues sur la derniere position V, c’est-a-dire l’exposant du pluriel meme. 41 Inverse-
ment, les pluriels n’ayant pas de su"xe -o, ont bien l’AT sur la position prevue : madax
‘tetes’, F classe 5.
39. Sur les noyaux vides finaux, cf. Kaye (1990).40. Cf. supra, sous-section 4.5.3, ex. (36).41. Nous avons aussi observe qu’il n’y a pas d’accord sur le statut de l’accentuation de cette voyelle :
selon Banti (1988), Puglielli & Siyaad (1984) et Saeed (1999) le su"xe -o porte un AT, alors que pourSaeed (1993) et Orwin (1995) il est atone.
301
Nous avons donc une situation ou la presence du su"xe /A.U/ bloque l’assignation de
l’AT. Je fais l’hypothese que le su"xe /A.U/ impose a l’AT de s’arreter sur la position V
ou lui-meme se realise, la position V finale :
(58) Le marqueur /A.U/ attire l’AT sur sa propre position V.
Ainsi, la tete complexe pour les pluriels de la classe 2 est montree en ce qui suit :
(59) Tete complexe de albaabbo F pl. ABS ‘portes’ :
K
K Th
num K TA2e V
num Th
n num A.U
n Th
#ROOT n zero
albaab
CVCVCVCVCV
La tete complexe contient les exposants du pluriel et celui de l’ABS. Ensuite, l’unite
CV du feminin est inseree au moment de la linearisation, puisqu’il s’agit du produit d’une
regle d’allomorphie.
Cette situation est montree ci-dessous :
302
(60) Linearisation de albaabbo ‘portes’ F pl. ABS :
pos-V 2 1 -
AT AT
Segments a l b a b
Gabarit C V C V C V C V C V + C V [albaabbo]
Pluriel A
U
En depit de ce que l’exposant de l’ABS prevoit, l’AT est associe a la derniere position
V, celle ou se realise aussi le su"xe de pluriel -o.
Nous pouvons maintenant passer a la representation des noms de la classe 5, ceux qui
font un pluriel par simple deplacement tonal. Aucune marque segmentale ne semble donc
faire surface.
Quant au singulier de cette classe, il est identique a celui de la classe 2. Par consequent,
la representation de madax ‘tete’ M sg ABS est equivalente a celle proposee en (55) pour
albaab ‘porte’.
Inversement, le pluriel est plus complique a analyser, puisque le su"xe -o n’y apparaıt
pas.
Je considere que nous avons a!aire a un phenomene d’e!acement du su"xe /A.U/ du
pluriel dans le contexte des racines de la classe 5, formalisable de la facon suivante :
(61) AR2 : /A.U/[+pl] $% zero / # (racines classe 5)
Sachant que ces noms sont aussi sujets a l’AR1 (57), on prevoit l’apparition d’une
syllabe CV supplementaire au pluriel, ainsi declenchant le changement de genre et le
deplacement de l’AT.
Nous avons maintenant deux observations cruciales a faire.
D’une part, nous faisons la prediction qu’en appliquant les regles (57) et (61), les
pluriels de la classe 5 ont un AT sur la deuxieme position a partir de la droite, qui
correspond a la position reguliere. Ceci est du au fait que le su"xe /A.U/ est e!ace, et
donc il ne peut pas attirer l’AT. Autrement dit, le principe (58) ne peut pas etre applique.
303
D’autre part, les pluriels comme madax ‘tetes’ sont interessants vis-a-vis de l’accord
qu’ils declenchent avec le verbe. En e!et, ces pluriels peuvent, a la fois, etre accordes a
la 3S feminin ou a la 3P (au pluriel il n’y a pas de distinction de genre), cf. Puglielli &
Siyaad (1984 : 81-85) :
(62) Accord verbal des pluriels de la classe 5
a. dibıdutaureaux.le-ABS
wayF-elle/ils
cabbayasaaboire-PRES-3Pers.-sg-F
‘Les taureaux boivent’
b. dibıdutaureaux.le-ABS
wayF-elle/ils
cabbayaanboire-PRES-3Pers.-pl
‘Les taureaux boivent’
Seuls les pluriels de la classe 5 se comportent comme il est montre en (62).
Cette situation suggere que l’accord singulier est declenche si et seulement si le pluriel
segmental n’apparaıt pas. Par contre, l’interpretation du pluriel n’est pas a!ectee par
l’absence, en surface, du su"xe /A.U/. Le fait qu’un pluriel de la classe 5 et seulement de
cette classe puisse declencher l’accord a la 3S du feminin est un indice clair sur l’existence
d’un phenomene empechant le su"xe /A.U/ de faire surface. A ce propos, nous avons
propose la regle AR2, (61).
La construction de la tete complexe du pluriel madax ‘tetes’ F pl ABS est montree
ci-dessous :
304
(63) Tete complexe de madax ‘tetes’ F, pl., ABS
K
K Th
num K AT2e V
num Th
n num A.U
n Th
#RACINE n zero
madax
CVCVCV
Au moment de la linearisation, deux modifications ont lieu : l’unite CV du feminin est
inseree (cf. AR1 (57)) et le su"xe de pluriel n’est pas associe et il ne fait donc pas surface
(cf. AR2 (61)).
La linearisation est montree de suite :
(64) Linearisation de madax ‘tetes’ F, pl., ABS :
V-pos 2 1 -
AT AT
Segments m a d a x
Gabarit C V C V C V + C V [madax]
Pluriel A
U
305
Les pluriels de la classe 5 sont exceptionnels en ce qu’il prevoient la non-association
du su"xe /A.U/.
En conclusion, nous pouvons nous debarasser de la distinction entre les classes 2 et 5
(dorenavant 2/5) : il n’existe qu’un seul ensemble de racines se comportant toutes de la
meme maniere et sujettes aux regles (57) et (61) ainsi qu’au principe (58).
Classe 3/4
La caracteristique principale des noms de cette classe est la presence d’un gabarit
fixe de forme CV1+(CV)+CV2+CV3, comme nous avons deja observe en 4.5.2. En outre,
tous les noms de cette classe sont masculins et ne changent jamais de genre au pluriel. Ce
dernier point est en e!et predit par le mecanisme que je propose, comme je vais montrer.
En ce qui concerne la representation de la tete complexe des noms de la classe 3/4,
nous devons nous concentrer sur la projection introduisant le gabarit.
Nous avons vu que les racines 3/4 ont des spell-out de type segmental simple (cf. (16)
et (30-c)). En outre, nous avons pose un VI pour le gabarit et nous avons fait l’hypothese
que celui-ci est introduit par une projection externe a la racine.
Je propose donc que la projection LexP introduit le trait dont l’exposant est le gabarit
CV1+(CV)+CV2+CV3. Ce trait est lexicalement associe aux racines de la classe 3/4.
Cette proposition se conforme aux analyses du materiel lexical present dans les noms du
bosnien (cf. les pluriels en -ov, ch. precedent, sous-section 3.7.2 ou les diminutifs, sous-
section 3.7.1) et de l’italien (cf. les diminutifs, ch. 2, sous-section 2.6.2).
Par consequent, si une racine entre dans la derivation sans aucun gabarit dans sa
representation, le systeme oblige l’operation de merge avec la tete Lex qui fournit un
gabarit pour defaut ayant la forme CV1+(CV)+CV2+CV3.
Cette situation est montree ci-dessous :
306
(65) Tete complexe de mıis ‘table’ M sg. ABS :
K
K Th
num K AT2e V
num Th
n num zero
n Th
Lex n zero
# Lex
miis CV-CV-CVCV
La tete Lex fournit le support squelettal aux segments de la racine. Les exposants de
genre et de nombre sont zero, puisqu’il s’agit respectivement du M et du sg.
La linearisation se deroule comme suit :
(66) Linearisation de mıis ‘table’ M sg. ABS :
pos-V 2 1 -
AT AT
Segments m i s
Gabarit C V(CV)C V C V [mıis]
Nous avons deja observe que la syllabe entre parentheses n’est exploitee que si V1 est
longue, comme dans le cas a l’etude ici.
En outre, nous devons remarquer que C2 ne se propage pas sur la derniere position
C disponible. Cette situation est probablement due a la contrainte empechant les codas
307
complexes de type *CC# en somali.
Inversement, au pluriel C2 se propage a droite, et le cluster C2C2 est brise par la
presence du su"xe du pluriel, qui fait surface en tant que /a/ : misas ‘tables’.
La representation de la tete complexe du pluriel est montree ci-dessous :
(67) Tete complexe de miisas M pl. ABS ‘table’ :
K
K Th
num K AT2e V
num Th
n num A.U
n Th
Lex n zero
# Lex
miis CV-CV-CVCV
Au moment de la linearisation, le principe (58) impose a l’AT de s’associer a la meme
position V accueillant le su"xe du pluriel. Ce dernier, on le rappelle, fait surface en tant
que [a], comme il est montre en ce qui suit :
308
(68) Linearisation de miisas ‘tables’ M pl. ABS :
Pos-V 2 1 -
AT AT
Segments m i s
Gabarit C V-CV-C V C V [miisas]
Pluriel A
U
La representation ci-dessus pose une question et souleve une observation.
La question qui est posee en regardant la linearisation de miisas ‘tables’ concerne le
site d’association du pluriel. Pourquoi est-il infixe ? La forme *missa est en e!et agram-
maticale.
Godon a fait appel a un principe d’antigemination propose par McCarthy (1986). En
ce qui concerne ce travail, je fais l’hypothese que le marqueur de pluriel s’associe a la
premiere position V disponible par rapport a la linearisation du singulier. Cette position
est celle soulignee ci-dessus, comme on peut le voir en comparant (68) a (66). La consonne
C2=/s/ propage seulement apres pour repondre a une contrainte lexicale.
Ensuite, l’observation concerne la regle d’allomorphie AR1 (57), repetee ci-dessous :
(69) AR1 : zero $% CVF / # A.U[+pl]
Cette regle prevoit que la racine#MIIS declenche l’apparition du CV du feminin
lorsqu’elle se trouve au contact avec le pluriel. Il s’agit de la situation que nous venons de
voir pour les noms 2/5.
La condition d’application de cette regle est l’adjacence de la racine au su"xe du
pluriel, formalisee de la facon suivante :
(70) Adjacence :#RACINE!A.Upl
Autrement dit, aucun objet phonologique ne peut se trouver entre la racine et l’expo-
sant du pluriel, qui est introduit par la tete num.
309
Les pluriels de la classe 3/4 ne satisfont pas la condition d’adjacence en (70), puisque
la tete Lex, se trouvant entre la racine#MIIS et l’exposant du pluriel, a un contenu
phonologique non-nul. Celui-ci est le gabarit CV1+(CV)+CV2+CV3.
La situation qu’on vient de decrire peut etre comprise en regardant la tete complexe
(67).
Par consequent, le mecanisme propose predit que les pluriels comme miisas ne peuvent
jamais avoir d’unite CV supplementaire au pluriel et donc ils ne peuvent jamais etre
feminins au pluriel.
Ainsi, nous avons explique pourquoi la classe 3/4 n’a jamais de polarite de genre.
Classe 1
La classe 1 contient des noms feminins au singulier et masculins au pluriel (la situation
inverse a celle de la classe 2/5).
Le singulier ne pose aucun probleme de representation, puisqu’on a un feminin ayant
l’AT sur la derniere position vocalique, comme on s’attend.
La tete complexe de naag ‘femme’ est montree ci-dessous :
310
(71) Tete complexe de naag ‘femme’ F sg. ABS :
K
K Th
num K AT2e V
num Th
n num zero
n Th
#RACINE n CV
naag
CVCVCV
La linearisation est montree en ce qui suit :
(72) Linearisation de naag ‘femme’ F sg. ABS :
pos-V 2 1 -
AT AT
Segments n a g
Gabarit C V C V C V + CVF [naag]
Dans la classe 1, la syllabe du F est presente au singulier, comme nous pouvons le voir
ci-dessus.
Au contraire, le pluriel est problematique : les hypotheses faites dans ce travail nous
menent a predire un pluriel toujours feminin de forme *naaggo.
Pourtant, le pluriel est bien masculin et aucune gemination de la derniere consonne
311
n’est observee : naago ‘femmes’ M pl ABS.
En outre, la regle AR1 (57) ne peut pas s’appliquer. A cause de la presence du CV
du F dans la structure, la condition d’adjacence (70) n’est pas satisfaite (on n’a pas zero
entre la racine et le marqueur du pluriel).
Observons d’abord la tete complexe de ce pluriel :
(73) Tete complexe pour naago ‘femmes’, M pl. ABS :
K
K Th
num K AT2e V
num Th
n num A.U
n Th
#RACINE n CV
naag
CVCVCV
Par rapport a la representation du singulier, on ajoute l’exposant du pluriel, toutes
les autres proprietes etant egales.
Maintenant, puisque le pluriel bien forme est naago, masculin, le CV exposant du F
qui est present des le singulier, doit etre e!ace ou ignore d’une maniere ou d’une autre.
Alors que Lecarme (2002) propose la solution montree plus haut en (13) ou /o/ est
l’exposant de la matrice [+pl, +M] dans le contexte des racines du groupe 1, Godon
(1998 : 89-90) constate tout simplement la perte du CV supplementaire. Cette hypothese
est supportee par deux faits : le pluriel des noms ayant des alternances et celui des noms
312
se terminant par -n (/m/). Les deux types de noms appartiennent, crucialement, a la
classe 1.
Voici la representation de la linearisation de galab au sg. et au pl. :
(74) Linearisations du sg. et du pl. de galab ‘apres-midi’ (classe 1) :
a. pos-V 2 1 -
AT AT
Segments g a l a b
Gabarit C V C V C V + CVF [galab] F sg.
b. pos-V 2 1 -
AT AT
Segments g a l a b
Gabarit C V C V C V + CVF [galbo] M pl.
Pluriel A
U
Godon souligne le fait que si le pluriel etait associe a la derniere position V (celle sur
la syllabe CV du F, externe au gabarit de la racine), on ne pourrait pas avoir d’alternance
V-zero en V2 entre le sg. et le pl. : ceci parce que la position montrant l’alternance ne
serait pas gouvernee au pluriel. Par consequent, l’exposant /A.U/ est forcement associe a
la position soulignee ci-dessus.
Une situation semblable est observable lorsque la derniere consonne de la racine est
/m/. Comme nous avons vu a plusieurs reprises, cette consonne ne fait jamais surface
en position de coda, l’allophone [n] se trouvant dans ce contexte. L’exemple classique est
inan ‘fille’ F sg. Puisque le pluriel est [inamo], on doit postuler que l’exposant /A.U/ est
adjacent a la racine, autrement on ne peut pas avoir un [m] en surface. 42
La representation de cette situation est montree ci-dessous :
42. Cf. le cas oppose, le NOM inani, ou on a un indice plaidant en faveur du fait que l’exposant /I/est associe a une position externe au gabarit. Cf. supra, sous-section 4.5.4.
313
(75) Linearisations du sg. et du pl. de inan ‘fille’ (classe 1) :
a. pos-V 2 1 -
AT AT
Segments i n a m
Gabarit C V C V C V + CVF [inan] F sg.
b. pos-V 2 1 -
AT AT
Segments i n a m
Gabarit C V C V C V + CVF [inamo] M pl.
Pluriel A
U
Ce deuxieme exemple montre aussi que le CV du feminin n’est pas le site de realisation
du su"xe du pluriel dans la classe 1.
Une contrainte lexicale impose donc que celui-ci soit associe sur la derniere position V
du gabarit de la racine. En outre, selon le principe (58), l’AT est bien associe au su"xe
[o].
La linearisation de naago ‘femmes’ est montree de suite :
(76) Linearisation de naago ‘femmes’ M pl ABS :
pos-V 2 1 -
AT AT
Segments n a g
Gabarit C V C V C V + CVF [naago] M pl.
Pluriel A
U
En conclusion, le pluriel du groupe 1 implique la non-activation de la syllabe CV du
314
feminin, ainsi provoquant l’interpretation masculin du genre.
La sous-section suivante est dediee a l’analyse du NOM et du GEN.
4.6.3 Le nominatif et le genitif
Cette sous-section se divise en deux parties.
Dans la premiere, je m’occupe du NOM en montrant les structures d’un nom F inan
‘fille’ (classe 1) et d’un nom M ınan ‘garcon’ (classe 2). Dans la deuxieme, j’analyse le
GEN en reprenant aussi un nom F et un nom M.
Le NOM
Comme nous avons vu, le NOM est caracterise par l’absence de l’AT et par la su"xa-
tion de l’exposant flottant /I/ aux noms feminins.
Dans cette sous-section, je vais montrer les tetes complexes et les linearisations en
utilisant un nom de classe 2/5, ınan ‘garcon’ et un de classe 1, inan ‘fille’.
Deux objectifs sont vises : d’une part, montrer que le mecanisme que nous avons
propose pour l’ABS rend compte du NOM, aussi. La seule di!erence etant l’exposant du
cas. D’autre part, le systeme propose explique pourquoi seulement les noms F ont un
su"xe segmental au NOM.
Commencons par la tete complexe du NOM de inan, F :
315
(77) Tete complexe de inani ‘fille’ F sg. NOM (classe 1) :
K
K Th
num K I
num Th
n num zero
n Th
#RACINE n CV
inam
CVCVCV
La derivation du F se deroule sans problemes, l’exposant /I/ s’associant sur la position
V de l’exposant du F, l’unite CV.
Cette situation est illustree par la linearisation de la forme inani :
(78) Linearisation de inani ‘fille’ F sg. NOM (classe 1) :
NOM I
Segments i n a m
Gabarit C V C V C V + CVF [inani]
Nous constatons donc que le NOM n’a pas d’AT et pour cette raison aucune position
V n’est marque par un ton haut.
Ensuite, comme nous avons demontre lors de l’analyse de l’exposant du NOM (cf.
supra, sous-section 4.5.4, ex. (46)), l’Element /I/ marquant ce cas est associe a une position
externe. Par consequent, la consonne /m/ fait surface en tant que [n], comme si elle se
316
trouvait en fin de mot. En e!et, je fais l’hypothese que la position V vide (soulignee)
entraıne que /m/ se comporte comme a la final d’un mot.
Nous avons vu que deux autres arguments phonologiques plaident en faveur de cette
hypothese : le su"xe /I/ ne declenche pas la palatalisation (cf. naagi F sg NOM ‘femme’
et non pas *naaji et il ne declenche pas non plus l’alternance entre V2 et zero (cf. galabi
F sg NOM ‘apres-midi’ et non pas *galbi).
Il est interessant de comparer la tete complexe et la linearisation de la forme inani
‘fille’ F, sg., NOM avec celle du pluriel, ou la forme attendue contenant /m/ apparaıt :
inamo M, pl. NOM ‘filles’.
Voici d’abord la tete complexe du pluriel :
(79) Tete complexe de inamo ‘filles’ M pl NOM :
K
K Th
num K I
num Th
n num A.U
n Th
#RACINE n CV
inam
CVCVCV
Les pluriels de la classe 1 sont masculins, comme nous avons vu a plusieurs reprises. Se-
lon l’analyse que j’ai proposee dans la sous-section precedente, cf. ex. (76), l’interpretation
du masculin est donnee par la non-activation de la syllabe CV du feminin.
Ainsi, lors de la linearisation, le su"xe du pluriel /A.U/ est associe a la derniere
317
position V du gabarit de la racine, alors que l’exposant /I/ du NOM ne peut pas faire
surface, puisque l’unite du F est inactive :
(80) Linearisation de inamo ‘filles’ M pl NOM (classe 1) :
NOM I
Segments i n a m
Gabarit C V C V C V + CVF [inamo]
Pluriel A
U
Il existe un autre cas ou l’exposant du NOM reste flottant. Il s’agit du singulier de la
classe 2, qui est masculin aussi.
La tete complexe de inan ‘garcon’ M sg NOM est montre en ce qui suit :
(81) Tete complexe de inan ‘garcon’ M sg NOM (classe 2) :
K
K Th
num K I
num Th
n num zero
n Th
#RACINE n zero
inam
CVCVCV
318
Dans le cas d’un M singulier, l’unite CV du F n’est pas epelee. Ainsi, l’exposant du
NOM pouvant faire surface seulement en s’associant a cette unite ne sera pas audible,
comme la linearisation suivante montre :
(82) Linearisation de inan ‘garcon’ M, sg. NOM (classe 2) :
NOM I
Segments i n a m
Gabarit C V C V C V [inan]
La position V souligne n’est jamais accessible a l’exposant /I/ du NOM.
Inversement, les pluriels du groupe 2 activent l’unite CV supplementaire, selon l’ap-
plication de la regle d’allomorphie AR1 en (57). Ils sont donc F.
Crucialement, l’exposant du NOM ne peut pas faire surface, puisque la syllabe CV
est occupee par la gemination de la derniere consonne et par le su"xe du pluriel /A.U/,
comme il est montre ci-dessous : 43
(83) Linearisation de inammo ‘garcons’ F, pl. NOM (classe 2) :
NOM I
Segments i n a m
Gabarit C V C V C V + CVF [inammo]
Pluriel A
U
L’exposant du NOM /I/ ne peut pas faire surface, puisqu’il n’y a pas de positions V
disponibles.
43. En somali, la position V soulignee dans les deux representations (82) et (83) n’est pas toujoursinaccessible a la flexion, contrairement au cas de l’italien et du bosnien.
En e!et, nous avons vu que le su"xe du pluriel peut tantot y etre associe, comme dans les plurielsde la classe 1 (ABS et NOM). Inversement, les pluriels de la classe 2 utilisent l’unite CV du F.
Ces situations defient la notion de phase syntaxique. En e!et, la racine est le complement de la phasedont n est la tete et elle est epelee en premiere. Par contre, les tetes n, num et K sont epelees dans unephase successive. Ainsi, selon la theorie de la phase, il ne peut pas y avoir d’interaction phonologiqueentre ces deux spell-outs successifs.
Dans le chapitre precedent, nous avons presente ce probleme dans les details, cf. ch. prec. section 3.6.
319
La representation ci-dessus est equivalente a celle de l’ABS du pluriel des noms de la
meme classe, montree en (60), a un detail pres : le NOM est marque par l’exposant /I/
et par l’absence de l’AT, alors que l’ABS est marque par un AT.
Nous pouvons maintenant nous occuper du GEN.
Le GEN
Le GEN est caracterise par un AT sur la derniere voyelle et par l’ajout d’un su"xe
dans le cas des noms F. Ce su"xe est -eed pour le singulier et -ood pour le pluriel.
Quant a leur nature phonologique, ces deux su"xes sont caracterises par la consonne
/d/ precedee par -ee au singulier et par -oo au pluriel. Cette derniere voyelle a le meme
timbre, crucialement, que le su"xe du pluriel -o. La seule di!erence consiste en la longueur.
En e!et, du point de vue de la theorie des Elements (Kaye et al. 1985, 1990) les voyelles
moyennes /e/ et /o/ ont les deux representations suivantes :
(84) Expressions vocaliques
a. [o] = /A.U/
b. [e] = /A.I/
L’Element /A/ est en commun aux deux su"xes.
Je fais l’hypothese que nous n’avons qu’un seul su"xe du GEN dont la representation
autosegmentale est la suivante :
(85) Representation du su"xe -eed : I
A d
C V /ed/
L’allongement vocalique observe en surface est du au fait que la voyelle /A.I/ s’associe
a deux positions V, comme je vais montrer de suite.
Le VI du GEN (52-f) doit donc etre modifie et la representation que je propose est
montree ci-dessous :
320
(86) VI du GEN : !" AT sur la derniere position V + I
A d
C V
Les noms F au singulier sont facilement derivables.
Prenons un nom de la classe 1, naag ‘femme’ sg F ABS. Le GEN des singuliers de
cette classe est caracterise par la su"xation de -eed, comme la tete complexe suivante
montre :
(87) Tete complexe de naageed ‘de la femme’ F sg GEN :
K
K Th
num K Kderniere V
/ed/num Th
n num zero
n Th
#RACINE n CV
naag
CVCVCV
La linearisation montre comment le su"xe -eed fait surface :
321
(88) Linearisation de naageed ‘de la femme’ F sg GEN :
pos-V 1 -
GEN AT
I
Segments n a g A d
Gabarit C V C V C V + CVF[CV] [naageed]
Inversement, les noms M au singulier imposent quelques observations supplementaires.
La tete complexe de albaab ‘porte’ M sg. GEN est la suivante :
(89) Tete complexe de albaab ‘porte’, M sg. GEN :
K
K Th
num K TAderniere V
/ed/num Th
n num zero
n Th
#ROOT n zero
albaab
CVCVCVCVCV
La linearisation de cette forme est montree en ce qui suit :
322
(90) Linearisation de albaab M sg GEN ‘porte’ :
pos-V 1 -
GEN AT
I
Segments a l b a b d
Gabarit C V C V C V C V C V [CV] [albaab]
La question que la representation ci-dessus souleve concerne le su"xe -eed : pourquoi
ne fait-il pas surface ? En e!et, seule la consonne /d/ a, en principe, un site de realisation,
alors que l’expression vocalique /A.I/ a besoin de l’unite CV du F, comme nous avons vu
dans l’exemple precedent naageed.
Je considere que le manque de l’exposant du F est la cause de l’absence du su"xe
en surface. Ainsi, si l’unite CV du F est absente (ces noms sont M au singulier), aucun
segment du su"xe du GEN ne fait surface.
Finalement, nous devons analyser les pluriels, qui sont plus compliques.
Nous avons vu que les auteurs ne sont pas d’accord sur la distribution du su"xe -ood
par rapport au genre du singulier et du pluriel. 44 Seuls Puglielli & Siyaad (1984 : 105)
disent explicitement que tous les pluriels sont su"xes, au GEN, par cet exposant.
Sur la base de cette constatation, nous pouvons observer que nos analyses predisent,
en e!et, que tous les noms sont su"xes au GEN.
Commencons par un nom de la classe 1, qui est M au pluriel :
44. Cf. supra, sous-section 4.5.4.
323
(91) Linearisation de naagood ‘des femmes’ M pl GEN (classe 1) :
pos-V 1 -
GEN AT
I
Segments n a g A d
Gabarit C V C V C V + CVF[CV] *[naagod]
Pluriel U
A
La sequence /A.U/ s’associe a la position V soulignee, comme dans tous les pluriels
de la classe 1. Inversement, l’unite CV du F n’est pas activee, puisque comme nous avons
remarque, ces pluriels sont M. 45 Ainsi, la sequence /A.I/ n’a pas de site auquel s’associer
pour faire surface. La forme que la linearisation ci-dessus predit est donc *[naagod].
Je postule donc une regle rendant compte de ce phenomene :
(92) AR3 : /o/ $% [oo] pl. GEN.
Les pluriels F de la classe 2 montrent que cette regle est fondamentale pour expliquer
leur derivation correctement, aussi. La tete complexe de albabbood ‘des portes’ F pl GEN
(classe 2) est montree ci-dessous :
45. Cf. supra, sous-section 4.6.2.
324
(93) Linearisation de albaabbood ‘des portes’ F pl GEN (classe 2) :
pos-V 1 -
GEN AT
I
Segments a l b a b A d
Gabarit C V C V C V C V C V + CVF[CV] *[albaabbod]
Pluriel U
A
Dans le cas des pluriels de la classe 2, l’unite CV est activee (elle est inseree par l’AR1,
(57)) puisque ces noms sont F. Ainsi, la sequence /A.U/ du pluriel s’associe a la position
V soulignee, comme il a deja ete montre. La sequence du pluriel bloque donc l’association
de la sequence /A.I/ propre a l’exposant du GEN.
Pourtant, la voyelle qui fait surface est courte, donc la regle (92) doit etre appliquee
dans ce contexte aussi.
Le GEN est donc explique au moyen des outils que notre mecanisme met en place.
La section suivante dresse un bilan general des resultats obtenus a propos de l’analyse
des noms du somali.
4.7 Bilan sur le somali
L’analyse du systeme nominal du somali nous a apporte des arguments supplementaires
en faveur d’une interpretation restrictive de l’approche syntaxique a la formation des mots
plaidee par DM.
En demarrant des generalisations de Godon (1998), j’ai montre qu’on peut postuler
la presence d’une liste d’exposants phonologiques ainsi que l’existence de deux types de
representations pour les racines, de trois regles d’allomorphie et d’un principe pour pouvoir
decrire le fonctionnement de tout le systeme nominal.
La liste complete de tous les VI entrant en jeu dans la formation d’un nom du somali
325
est montree ci-dessous :
(94) Liste des exposants phonologiques et des regles d’allomorphie :
a. Les racines
(i) RACINE !" X Y Z
cl. 1 et 2/5 C V C V C V
(ii) RACINE !" cl. 3/4#PQR
b. Les VI de genre
(i) [-F] !" zero ;
(ii) [+F] !" CV ;
c. Les VI de nombre
(i) [-pl] !" zero ;
(ii) [+pl] !" A.U ;
d. Les VI de cas
(i) NOM [-obl., +str., +sup.] !" I ;
(ii) GEN [+obl., +str., -sup.] !" eed + AT sur la derniere V ;
(iii) ABS [defaut] !" AT sur la penultieme V.
e. VI pour le gabarit des racines 3/4 : Gabarit !" CV1+(CV)+CV2+CV3
(i) AR1 : zero $% CVF / # A.U[+pl]
(ii) AR2 : /A.U/[+pl] $% zero / # (racines : madax, etc..)
(iii) AR3 : /o/ $% [oo] pl. GEN.
(iv) principe : le marqueur /A.U/ attire l’AT sur sa propre position V.
En regardant attentivement la complexite des donnees du tableau 4.3, nous pouvons
conclure de facon satisfaisante que les analyses proposees dans ce chapitre ont ameliore
la comprehension d’une partie des problemes que les noms du somali posaient.
Plus particulierement, j’ai explique qu’un nombre eleve de generalisations peuvent etre
atteintes si on admet la decomposition du systeme en objets phonologiques de base. En
outre, chaque objet phonologique doit correspondre a une et une seule categorie morpho-
syntaxique.
Cette discussion est etroitement liee a la notion de paradigme, que j’ai utilise dans ce
travail sans lui donner de contenu theorique.
La section suivante, la derniere de ce chapitre, propose un court debat a propos du
326
paradigme, en illustrant le point que je soutiens.
4.8 Le paradigme
La liste ci-dessus en (94) nous fournit l’occasion de conclure ce chapitre en discutant,
quoique brievement, la notion de paradigme.
En e!et, depuis les approches linguistiques traditionnelles, on parle de ! conjugai-
sons " et de ! declinaisons " afin de ranger les mots en classes flexionnelles. Ainsi, on
apprend que le latin a quatre conjugaisons verbales et cinq declinaisons nominales.
Chaque conjugaison, par exemple, determine un modele de flexion pour une classe
donnee de verbes. Ainsi, amare ‘aimer’, laudare ‘louer’, regnare ‘regner’, etc.. appar-
tiennent a la 1ere conjugaison et, pour cette raison, ils partagent le meme nombre de
formes par rapport a certaines proprietes morpho-syntaxiques : le temps, l’aspect, la per-
sonne, le nombre, etc.. Autrement dit, ces verbes partagent un paradigme, un modele de
conjugaison.
Le paradigme est donc l’ensemble des combinaisons de proprietes morpho-syntaxiques
et de formes di!erentes pour chacun des verbes mentionnes.
Par exemple, le verbe anglais to give ‘donner’ a le paradigme suivant (exemple tire de
Carstairs-McCarthy 1998) :
(95) Paradigme de to give :
a. passe : gave
b. 3PS du non-passe : gives
c. passif : given
d. progressif : giving
e. basique : give
L’exemple ci-dessus montre qu’une propriete morpho-syntaxique donnee (ex. le temps :
passe), correspond a une forme du lexeme give. Par lexeme, on entend l’ensemble de
formes flechies d’un mot, sans aucune nuance theorique particuliere.
La liste (95) contient, en e!et, toutes les formes flechies du verbe to give. La derniere
forme give est celle de base, utilisee dans tous les cas ou aucune des autres formes ne peut
327
pas etre exploitee.
Deux observations s’imposent en regardant ces donnees.
Tout d’abord, il faut soulever la question concernant le rapport que les formes du
paradigme ci-dessus entretiennent entre elles. En particulier, est-ce qu’elles sont phonolo-
giquement liees les unes aux autres ?
Ensuite, le deuxieme point decoule de la premiere question, et il concerne le degre de
derivation entre les formes du paradigme. Est-ce qu’on peut concevoir une forme basique
sur laquelle toutes les autres formes sont construites, ou bien est-ce que chaque forme est
derivee independamment a partir d’un ensemble d’exposants basiques ?
Je crois que la reponse a ces questions depend crucialement du role et du degre d’abs-
traction que l’on attribue a la phonologie.
En e!et, on ne peut pas contester le fait que gives est l’expression audible de cer-
taines proprietes morpho-syntaxiques, notamment du lexeme signifiant ‘donner’, du temps
present, de l’aspect inaccompli, de la troisieme personne et du nombre singulier.
Au contraire, on peut discuter sur le statut phonologique de la sequence [gIvz], surtout
en ce qui concerne le rapport entre cette sequence et les autres du meme paradigme : [gIv],
[gIv@n], etc..
Le travail presente dans cette these participe au debat sur la relation que les formes
des paradigmes entretiennent entre elles au sens des questions que je viens de soulever.
Reprenons l’exemple du somali. Les etudes citees, telles Andrzejewski (1964), Hyman
(1981) ou Saeed (1993), ont toujours declare que le somali a des declinaisons nominales.
La di!erence entre ces analyses est fondee sur la methode et sur les contraintes a utiliser
pour classer les noms en groupes. Inversement, toutes les etudes concordent sur l’existence
de classes flexionnelles.
Quant a mes analyses, je n’ai pas explicite la position theorique adoptee vis-a-vis de
la notion de classe ou declinaison.
Cependant, il est clair qu’en acceptant l’idee de classes ou de declinaisons en somali,
on deduit que chaque nom se comporte selon un schema preetabli. Prenons un nom du
groupe 4 mıis ‘table’, par exemple. Selon l’idee traditionnelle, le paradigme est le suivant :
328
(96) Paradigme de mıis :
a. ABS, NOM, GEN pl. miisas
b. NOM sg. miis
c. GEN sg. miıs
d. ABS sg. mıis
La liste ci-dessus nous dit une chose importante : afin de pouvoir utiliser correctement
le lexeme signifiant ! table " en somali, on doit connaıtre une liste de quatre entrees (ceci
est valable pour le nom non-determine). Une fois la liste apprise, il faut connaıtre les
correspondances entre une entree donnee et un ensemble donne de proprietes morpho-
syntaxiques : autrement dit, il faut en connaıtre le paradigme.
En suivant cette approche, on doit fournir une liste de ce type pour au moins un nom
par declinaison, puisqu’il y a des exceptions.
Ce type d’approche consiste, fondamentalement, en l’observation des formes de surface.
Elle se base sur la creation de liens entre une forme de surface donnee et des proprietes
morpho-syntaxques.
Il s’agit, notamment, de l’approche poursuivie par OT, en particulier par la theorie
des ! Paradigmes Optimaux " (OP-OT, cf. McCarthy 2005). 46
Comme McCarthy a"rme explicitement, l’idee traditionnelle ! d’analogie ", le cycle
phonologique propose par SPE ainsi que les theories comme OT ont un but commun :
rendre compte des ressemblances de surface entre de formes morphologiquement reliees.
La particularite saillante de la theorie OP-OT est que les candidats consistent en des
paradigmes entiers qui sont evalues dans leur integralite. Ainsi, cette theorie force, de fait,
l’identite phonologique entre les formes du paradigme. Cette situation est la consequence
du fait que McCarthy introduit des contraintes, appellees OP-constraints ou contraintes
optimales, qui obligent la ressemblance entre les formes (pour les details, cf. McCarthy
2005 : 5-6).
Un exemple aidera a mieux comprendre le fonctionnement de cette theorie. Considerons
le paradigme d’un verbe de l’arabe classique, comme celui montre au ch. 1, tableau 1.7,
repete ci-dessous :
46. Cf. aussi Kenstowicz (2005) et Burzio (1998, 2003), qui ont propose des interpretations des para-digmes basees sur l’observation des ressemblances des formes de surface.
329
Table 4.8 – La forme 1 en arabe classique : kataba ‘ecrire’
accompli inaccomplisg.1S katabtu Paktubu2Sm katabta taktubu2Sf katabti taktubiina3Sm kataba jaktubu3Sf katabat taktubupl.1P katabnaa naktubu2Pm katabtum taktubuuna2Pf katabtunna taktubna3Pm katabuu jaktubuuna3Pf katabna jaktubnaduel2D katabtumaa taktubaani3Dm katabaa jaktubaani3Df katabataa taktubaani
McCarthy prend la forme sous-jacente hypothetique /kataab/ 47 et demontre que OP-
OT peut deriver, correctement, les formes de surfaces attestees : [kataba, katabtu, etc..]. 48
En particulier, on peut exploiter deux contraintes generales de l’arabe, introduites
pour de raisons independantes. Il s’agit, notamment, de *µµµ] et *APP-#, empechant,
respectivement, les syllabes a trois mores et la possibilite pour les codas consonantiques
de se relier a la syllabe suivante. Ces deux contraintes sont de type markedness, donc elles
sont en haut du classement reserve aux contraintes (il s’agit d’une notion de base de la
theorie OT).
McCarthy propose alors la contrainte optimale suivante : OP-IDENT-WT. Cruciale-
ment, cette derniere bloque toutes les sequences dont les formes ne se ressemblent pas par
rapport a la longueur vocalique.
Une quatrieme contrainte est introduite, mais elle n’est pas cruciale pour notre dis-
cussion : IO-IDENT-WT.
47. Cette forme n’est pas verbale en arabe classique.48. McCarthy prend en e!et le verbe /faQal/ ‘faire’. Ici, j’utilise /katab/ puisqu’il s’agit du verbe qu’on
a exploite pour montrer ce paradigme. En ce qui concerne les exemples montres ici, les deux verbes sontequivalents.
330
Le tableau est montre ci-dessous :
Table 4.9 – Paradigmes en OT
/kataab/ + (a, tu, ..) *µµµ] *APP-# OP-ID-WT IO-ID-WT
☞ a. kataba, katabtu **b. kataaba, kataab"tu * !c. kataaba, kataabµtu * !d. kataaba, katabtu * ! *
Le candidat en (d) est crucial. Il s’agit de celui dont les formes ne respectent pas la
contrainte optimale OP-ID-WT. C’est justement cette contrainte qui oblige les formes du
paradigme a se ressembler les unes aux autres. Dans le cas en question, la longueur voca-
lique n’est pas la meme, donc ce candidat est elimine. Au contraire, le premier candidat
gagne parce qu’il est conforme a l’uniformite du paradigme, mais aussi parce qu’il respecte
les deux contraintes generales de l’arabe mentionnees plus haut (b. et c. ne respectant pas
les deux contraintes *µµµ] et *APP-#).
Je ne vais pas rentrer dans les details, puisqu’ils ne sont pas cruciaux pour mon rai-
sonnement.
Cependant, deux considerations sont importantes.
Tout d’abord, cette theorie predit qu’il ne peut pas y avoir d’alternances voyelle-
zero ou voyelle breve-voyelle courte dans les formes du paradigme, comme on vient de
voir. Ensuite, afin de deriver une forme grammaticale d’un lexeme, il faut en connaıtre,
forcement, tout le paradigme.
En ce qui concerne le premier point, McCarthy (ibidem : 40-43) reconnaıt que les
contraintes optimales OP sont basees sur l’exclusion de toute alternance a l’interieur
du paradigme, notamment en ce qui concerne le stem. Pour cette raison, lorsqu’il doit
analyser les alternances voyelles-zero des verbes creux de l’arabe, il est oblige d’ajouter
une contrainte ad-hoc *CiV.CiV interdisant la sequence de deux consonnes egales separees
d’une voyelle.
Voici les donnees :
(97) a. /samam/ forme sous-jacente
b. samamtu ‘j’ai empoisonne’
331
c. samma ‘il a empoisonne’
Seulement en introduisant la contrainte *CiV.CiV en haut du classement du tableau
4.9, on peut deriver cette alternance en utilisant la theorie OP-OT. Autrement, on pourrait
deriver soit deux formes contenant la voyelle /a/, soit deux formes contenant un zero.
En conclusion, OP-OT doit changer l’ordre des contraintes, ou en ajouter de nouvelles,
afin d’expliquer les alternances ayant lieu entre de formes morphologiquement liees. 49
En ce qui concerne la deuxieme observation, l’approche OP-OT rend compte des res-
semblances phonologiques entre des formes liees sur le plan morpho-syntaxique en postu-
lant leur appartenance a un paradigme donne. Autrement dit, OP-OT observe toutes les
formes flechies d’un lexeme, en fait une liste et postule des contraintes hierarchisees qui
imposent une fidelite phonologique a l’ensemble des formes qui ont servi comme point de
depart.
De fait, cette approche ne predit pas que les formes flechies d’un lexeme vont avoir
des ressemblances formelles. Elle fait plutot le chemin inverse, en postulant que la res-
semblance phonologique est un ensemble de contraintes a ne pas violer.
Revenons au somali.
L’analyse proposee par ce travail a emprunte un chemin completement di!erent que
celui de OP-OT.
En particulier, l’approche proposee ne se base pas sur l’observation des formes de
surface. Au contraire, elle est fondee sur l’hypothese qu’il faut decomposer ces formes pour
etablir la nature phonologique correspodant a l’exposant de chaque propriete morpho-
syntaxique. La forme de surface est ensuite reconstruite.
Ainsi, les ressemblances phonologiques entre des formes flechies sont derivees et predites
par la creation d’un mecanisme de derivation morpho-phonologique.
La consequence la plus frappante est que la notion de paradigme n’est pas exploitee a
des fins analytiques, mais seulement pour l’observation des donnees.
Si on reprend l’exemple du paradigme de mıis, l’hypothese defendue dans cette these
est que ce nom est forme en mettant ensemble plusieurs objets phonologiques et en faisant
49. Nous avons vu que la theorie OT est forcee de changer l’ordre des contraintes afin d’expliquer lesalternances V-zero en bosnien aussi. Cf. supra section 3.7.3.
332
un certain nombre d’operations sur les sequences phonologiques.
On postule, en fait, que ce nom est forme par la racine#MIIS, le morpheme du
singulier zero , le morpheme de l’ABS AT et le gabarit CV1+(CV)+CV2+CV3.
Il en decoule que tous les noms du somali sont crees a travers l’application succes-
sive d’operations phonologiques qui s’appliquent afin de creer une forme audible tout en
respectant les regles imposees par la phonologie de la langue.
La liste proposee plus haut en (94) contient en e!et tous les objets phonologiques de
base ainsi que les regles rendant compte des exceptions. Il s’agit de l’ensemble complet de
tous les ingredients. Aucune notion de paradigme n’est donc indispensable.
Je conclus en reprenant Bobaljik (2008), lorsqu’il a"rme que :
To predict the surface form of a word, it is su"cent to know the constituent
pieces of that word, their hierarchical arrangement, and the general phonology
of the language. Reference to other members of that word’s paradigm is neither
needed nor possible.
4.9 Conclusions du chapitre
Les donnees du somali semblaient, a premiere vue, indechi!rables au sens des propo-
sitions des trois chapitres precedents.
En particulier, la decomposition de ces donnees ne paraissaıt pas possible.
Pourtant, en suivant le travail de Godon (1998), j’ai montre qu’on peut en e!et isoler
un certain nombre d’objets phonologiques correspondant a des categories donnees. J’ai
propose un exposant unique du pluriel /A.U/, l’unite CV marquant le F et le gabarit fixe
CV1+(CV)+CV2+CV3.
Finalement, j’ai fait l’hypothese que les racines n’ont pas d’AT lorsqu’elles rentrent
dans la structure, puisque celui-ci est l’exposant du cas.
Dans la deuxieme partie du chapitre, un mecanisme de formation des noms a ete mis
en place en reprenant les sytemes proposes pour l’italien et le bosnien.
Nous avons donc pu verifier que les hypotheses sur la nature phonologique des expo-
sants des categories etaient vraies, puisqu’on a pu reconstruire les formes de l’ABS, du
NOM et du GEN en postulant seulement trois regles d’allomorphie.
333
334
Conclusion generale
A travers l’exploration des systemes nominaux de l’italien, du bosnien et du somali, ce
travail a montre un mecanisme de formation du nom base sur l’hypothese d’une relation
univoque entre un exposant phonologique et une categorie morpho-syntaxique donnee.
En observant la facon dont la theorie DM standard traite les alternances phonologiques
entre des formes morphologiquement liees entre elles, j’ai developpe, en suivant Bendja-
ballah (2003), un cadre analytique dont l’idee centrale est que chaque propriete morpho-
syntaxique n’est associee qu’a un seul exposant phonologique. Plus particulierement, j’ai
propose une interpretation du mecanisme realisationnel qui est au centre du systeme de
formation des mots tel qu’il est concu par la theorie DM : le spell-out.
L’argumentation est fondee sur deux exemples cruciaux : d’une part, j’ai analyse l’im-
parfait de l’indicatif d’un verbe en -er du francais, d’autre part j’ai esquisse une analyse
du systeme verbal de l’arabe classique.
L’imparfait du francais a ete aborde a l’aide de la theorie des Elements, une theorie des
representations des segments phonologiques permettant la decomposition des voyelles et
des consonnes en Elements de base. La decomposition phonologique des su"xes verbaux
du francais a donc montre qu’on peut attribuer a chaque objet phonologique une et une
seule propriete morpho-syntaxique.
J’ai ensuite integre l’analyse phonologique de l’imparfait du francais au cadre analy-
tique de DM, en proposant une interpretation restrictive du fonctionnement du spell-out :
chaque matrice de trait ne doit etre associee qu’a un seul objet phonologique.
Parallelement, l’exemple tire de l’arabe classique nous a servi a montrer que l’ana-
335
lyse proposee par Guerssel & Lowenstamm (1996) se prete de facon evidente au modele
analytique defendu dans cette these.
G&L ont en e!et propose de decomposer les formes verbales de l’arabe classique en
isolant les morphemes de la racine, du temps, de la diathese, etc.. L’hypothese fondamen-
tale concerne le role du gabarit, qui est vu en tant que morpheme a part entiere compose
d’unites CV, au sens de Lowenstamm (1996).
En transposant les analyses de G&L dans le systeme de DM, j’ai montre que ce dernier
peut rendre compte de la formation des verbes de l’arabe classique seulement si on accepte
que le spell-out consiste en une liste de VI individuellement associes a une seule categorie.
Mon hypothese plaide donc en faveur de l’existence d’un seul et unique type de com-
putation. Dans le systeme que je propose, on postule l’utilisation de la syntaxe afin de
construire les mots, mais l’exploitation de la phonologie (et rien d’autre que la phonologie)
pour expliquer toutes les allomorphies et les allophonies en surface.
Les principes generaux qui sous-tendent cette hypothese peuvent etre resumes de la
facon suivante (cf. supra ch. 1, sous-section 1.6, ex. (79)) :
(98) Principes generaux :
a. Chaque nœud terminal est associe a une categorie morphologique ;
b. Chaque categorie morphologique correspond a une matrice de traits :
(i) genre : [+F], [-F], etc..
(ii) nombre : [+pl], [-pl], etc..
(iii) mode : [+fini], [-fini], etc..
c. Le spell-out se compose de :
(i) un seul exposant phonologique par combinaison de traits dans une ma-
trice ;
(ii) un rapport biunivoque entre les exposants et les matrices.
Les principes ci-dessus ont deux consequences majeures.
D’une part, ils eliminent la necessite de postuler la competition pour l’insertion sur
un nœud terminal donne entre les objets phonologiques.
D’autre part, les generalisations possibles sur un systeme morphologique donne aug-
336
mentent. Cette situation est etroitement liee au fait que les representations phonologiques
atteignent un niveau d’abstraction plus profond.
En e!et, l’analyse presentee pour chacune des trois langues etudiees avait un but
principal : montrer que chaque propriete morphologique correspond a la meme substance
phonologique dans tout le systeme.
Quant a l’italien, j’ai propose de regarder la voyelle finale, apparaissant dans les noms
variables, comme un objet ayant une structure phonologique interne. L’application de la
theorie des Elements nous a servi pour isoler les Elements de base a l’interieur de chaque
voyelle finale.
Ainsi, j’ai pu proposer un marqueur unique pour les deux genres (masculin et feminin)
et les deux nombres (singulier et pluriel).
Chaque matrice de trait ne correspond qu’a un seul exposant phonologique, le recours a
la competiton et au Subset Principle est donc superflu. Cette situation decoule du fait que
nous n’avons jamais a!aire a deux VI phonologiquement di!erents, pouvant etre inseres
dans le meme nœud. En e!et, le systeme developpe dans ce travail ne prevoit pas cette
configuration.
Ensuite, j’ai transpose l’approche analytique utilisee pour l’italien au systeme du bos-
nien.
A travers l’analyse de cette langue, j’ai montre qu’on peut rendre compte du fonction-
nement des trente occurrences de la voyelle finale dans les noms seulement si on accepte
que cette voyelle a une structure complexe de nature phonologique.
J’ai donc suggere le meme chemin d’interpretation pour cet objet que celui que j’ai
propose pour Vfin en italien. En e!et, j’ai demontre que chaque occurrence de la voyelle
finale correspond, au niveau sous-jacent, a une sequence de trois objets phonologiques.
Chacun de ces objets est associe, respectivement, au genre, au nombre et au cas.
La majeure complexite du bosnien par rapport a l’italien nous a aussi permis de mon-
trer un degre d’abstraction superieur en ce qui concerne les representations phonologiques.
En e!et, j’ai montre comment mon systeme peut deriver correctement le timbre de la
voyelle finale en surface lorsque la sequence sous-jacente semble en predire une di!erente.
337
En suivant Embick (2010), j’ai donc propose un systeme gerant ce type d’allomorphies.
Enfin, je me suis occupe du systeme nominal du somali.
Dans l’analyse de cette langue, aussi, j’ai montre que l’interpretation correcte des
donnees impose la decomposition phonologique des formes morphologiques de surface.
Ainsi, en suivant Godon (1998), j’ai propose un marqueur unique pour le pluriel et le
feminin. J’ai aussi suggere une dichotomie representationnelle pour les racines du somali,
basee sur la distinction entre des racines a gabarit fixe et des racines a gabarit variable.
Enfin, j’ai montre que l’accent tonal ne fait pas partie de la representation d’un nom, mais
il est associe a un morpheme independant : le marqueur du cas.
L’approche poursuivie en analysant le somali a montre, de facon nette, son pouvoir
de faire des generalisations concernant le fonctionnement du systeme. Par exemple, nous
avons pu generaliser l’exposant du pluriel et du feminin, en postulant leur application des
lors que les traits [+pl] et [+F] sont epeles.
Par consequent, nous pouvons nous debarrasser de la notion de ! classe flexion-
nelle " et, plus generalement, de celle de ! paradigme ".
En e!et, le somali montre plusieurs modeles flexionnels en ce qui concerne le pluriel.
Ainsi, si on considere seulement l’ensemble de formes de surface, nous sommes obliges de
postuler la presence de plusieures classes flexionnelles. Chaque classe correspond a une
facon de former le pluriel.
Inversement, l’approche decoulant de mon hypothese predit que les formes sous-jacentes
de tous les noms pluriels de la langue contiennent un seul exposant renvoyant au pluriel :
la sequence d’Elements /A.U/.
La notion meme de paradigme devient donc ininfluente, comme il est montre dans le
dernier paragraphe du dernier chapitre.
338
Lo duca e io per quel cammino ascoso
intrammo a ritornar nel chiaro mondo ;
e sanza cura aver d’alcun riposo,
salimmo su, el primo e io secondo,
tanto ch’i’ vidi de le cose belle
che porta ’l ciel, per un pertugio tondo.
E quindi uscimmo a riveder le stelle.
Dante Alighieri, Divina Commedia, Inf. XXXIV : 133-139.
339
340
Bibliographie
Paul Abischer (1960). “La finale -e du feminin pluriel italien”. In : Studi Linguistici
Italiani 1 , pp. 5–48.
Paolo Acquaviva (2007). Lexical Plurals. Oxford : Oxford University Press.
— (2008). “Roots and Lexicality in Distributed Morphology”. Ms. University College
Dublin.
— (2009). “The Structure of Italian Declensional System”. In : Fabio Montermini,
Gilles Boye, Jesse Tseng (eds.), Selected Proceedings of Decembrettes 6, Morphology
in Bordeaux . Somerville, Mass : Cascadilla Press, pp. 50–62.
Artemis Alexiadou (2004). “Inflection Class, Gender and DP Internal Structure”. In :
Gereon Muller, Lutz Gunkel, Gisela Zifounun (eds.), Explorations in Nominal
Inflection, Berlin : Mouton de Gruyter, pp. 21–50.
Artemis Alexiadou, Liliane Haegeman, Melita Stavrou (2007). Noun phrase in the
generative perspective. Berlin : Mouton de Gruyter.
Artemis Alexiadou, Gereon Muller (2008). “Class features as probes”. In : Asaf Ba-
chrach, Andrew I. Nevins (eds.), Inflectional Identities , Oxford : Oxford University
Press, pp. 101–155.
Bogumil Witalis Andrzejewski (1964). The Declensions of Somali Nouns . London :
School of Oriental and African Studies.
Nor El-Houda Arbaoui (2010). Les dix formes de l’arabe classique a l’interface
phonologie-syntaxe. Pour une deconstruction du gabarit . These de doctorat, Univer-
site Paris 7.
341
Lilias Armstrong (1934). “The phonetic structure of Somali”. In : Mitteilungen des
Seminars fur orientalische Sprachen 37 , pp. 116–161.
Mark Aronoff (1976). Word Formation in Generative Grammar . Cambridge, Mass. :
MIT Press.
Milton Azevedo (2005). Portuguese. A Linguistic Introduction. Cambridge : Cambridge
University Press.
John F. Bailyn, Andrew I. Nevins (2008). “Russian genitive plurals are impostors”.
In : Asaf Bachrach, Andrew I. Nevins (eds.), Inflectional Identities, Oxford : Oxford
University Press, pp. 237–270.
Mark Baker (1988). Incorporation : a Theory of Grammatical Function Changing . Chi-
cago : University of Chicago Press.
Eric Bakovic (2007). “A revised typology of opaque generalisations”. In : Phonology
24 , pp. 217–259.
— (A paraıtre). “Opacity deconstructed”. In : Marc van Oostendorp, Colin Ewen,
Bernard Hume, Keren Rice (eds.), The Blackwell Companion to Phonology , Blackwell
Publishing.
Giorgio Banti (1988). “Two Cushitic Systems : Somali and Oromo”. In : Harry van der
Hulst, Norval Smith (eds.), Autosegmental studies on pitch accent , Dordrecht : Foris,
pp. 11–49.
Xavier Barillot (2002). Morphophonologie gabaritique et information consonantique
latente en somali et dans les langues est-couchitiques. These de doctorat, Universite
Paris 7.
Xavier Barillot, Philippe Segeral (2005). “On phonological processes in the “3rd
conjugation” of Somali”. In : Folia Orientalia 41 , pp. 115–131.
Outi Bat-El (2003). “The fate of the consonantal root and the binyan in Optimality
Theory”. In : Recherches Linguistiques de Vincennes 32 , pp. 31–60.
342
Monika Basic (2009). “Two types of prepositions in Serbian and the nature of Spell-out”.
In : Sylvia Blaho, Camelia Constantinescu, Bert Le Bruyn (eds.), Proceedings of
ConSOLE XVI . pp. 1–20.
Sabrina Bendjaballah (1998). “La palatalisation en somali”. In : Linguistique Africaine
21 , pp. 5–52.
— (1999). Trois figures de la structure interne des gabarits. Activite morphologique du
niveau squelettal des representations phonologiques en berbere, somali et bedja. These
de doctorat, Universite Paris 7.
— (2003). “The internal structure of the determiner in Beja”. In : Jacqueline Lecarme
(ed.), Research in Afroasiatic Grammar II. Selected Papers from the Fifth Conference
on Afroasiatic Languages, Paris, 2000 , Amsterdam/Philadelphia : Benjamins, pp. 35–
52.
Sabrina Bendjaballah, Martin Haiden (2008). “A Typology of Emptiness in Templa-
tes”. In : Jutta Hartmann, Veronika Hegedus, Henk van Riemsdjik (eds.), The
Sounds of Silence : Empty Elements in Syntax and Phonology , Amsterdam : Elsevier.
Elabbas Benmamoun (2000). The Feature Structure of Functional Categories. A Com-
parative Study of Arabic Dialects . Oxford : Oxford University Press.
Emile Benveniste (1966). Problemes de linguistique generale. Paris : Gallimard. Tomes
I et II.
— (1984). L’origine des noms en indo-europeen. Paris : Klincksieck.
Maria Bittner, Kenneth Hale (1996). “The structural determination of Case and
agreement”. In : Linguistic Inquiry 27 , pp. 1–68.
Jonathan David Bobaljik (2008). “Paradigms (Optimal and Otherwise) : A Case for
Scepticism”. In : Asaf Bachrach, Andrew I. Nevins (eds.), Inflectional Identities ,
Oxford : Oxford University Press, pp. 29–54.
Olivier Bonami, Gilles Boye (2003). “Suppletion et classes flexionnelles dans la conju-
gaison du francais”. In : Langages 152 , pp. 102–126.
343
Hagit Borer (2005). In Name Only. Structuring Sense, t. 1. Oxford : Oxford University
Press.
Gilles Boye (2000). Problemes de morpho-phonologie verbale en francais, espagnol et
italien. These de doctorat, Universite Paris 7.
Michael Brame (1970). “Arabic phonology : implications for phonological theory and
historical semitic”. MIT.
Wayles Browne (1993). “Serbo-Croat”. In : Bernard Comrie, Greville Corbett (eds.),
The Slavonic Languages , New York : Routledge, pp. 306–387.
Wayles Browne, Theresa Alt (2004). A handbook of Bosnian, Serbian and Croatian.
SEELRC.
Luigi Burzio (1998). “Multiple Correspondence”. In : Lingua 103 , pp. 79–109.
— (2003). “Output-to-Output Faithfulness in Phonology : The Italian Connection”. In :
Lingue e Linguaggio 1 , pp. 69–104.
Pavel Caha (2009). The nanosyntax of case. These de doctorat, Universitetet i Tromsø.
Andrea Calabrese (1998). “Some remarks on the Latin case system”. In : Jose Lema,
Esthela Trevino (eds.), Theoretical Analyses of Romance Languages. Selected Papers
from the 26th Linguistic Symposium on Romance Languages (LSRL XXVI), Mexico
City, 28-30 March 1996 . Amsterdam/Philadelphia : Benjamins, pp. 71–126.
— (2010). “Investigations on markedness, syncretism and zero exponence in morphology”.
In : Morphology 21 , 2, pp. 283–325.
Andrew Carstairs-McCarthy (1998). “Paradigmatic structure : inflectional para-
digms and morphological classes”. In : Andrew Spencer, Arnold Zwicky (eds.), The
Handbook of Morphology , Oxford : Oxford University Press, pp. 322–334.
Joanna Chociej (2009). “Patterns in Polish vowel-zero alternations”. In : Actes du
congres annuel de l’Association canadienne de linguistique 2009 / Proceedings of the
2009 annual conference of the Canadian Linguistic Association .
Noam Chomsky (1995). The Minimalist Program. Cambridge, Mass. : MIT Press.
344
— (2005). “On Phases”. In : Jean-Roger Vergnaud, Robert Freidin, Carlos Per-
egrın Otero, Maria Luisa Zubizarreta (eds.), Foundamental issues in linguistic
theory : essays in honor of Jean-Roger Vergnaud , Cambridge, Mass. : MIT Press, pp.
133–166.
Noam Chomsky, Morris Halle (1968). Sound Patterns of English. Berlin/New York :
Mouton de Gruyter.
Greville Corbett, Wayles Browne (2008). “Serbo-Croat. Bosnian, Croatian, Montene-
grin, Serbian”. In : Bernard Comrie (ed.), The World’s Major Languages , New York :
Routledge, pp. 330–346.
Marijke De Belder, Noam Faust, Nicola Lampitelli (2010). “On a inflectional and a
derivational diminutive”. In : Artemis Alexiadou, Hagit Borer, Florian Schafer
(eds.), Roots , Oxford : Oxford University Press. Soumis.
Francois Dell (1974). Les regles et les sons. Paris : Klincksieck.
Yves D’hulst (2006). “Romance plurals”. In : Lingua 116 , pp. 1303–1329.
Anna MariaDi Sciullo, EdwinWilliams (1987). On the definition of word . Cambridge,
Mass. : MIT Press.
Wolfgang U. Dressler, Anna M. Thornton (1996). “Italian Nominal Inflection”. In :
Wiener Linguistische Gazette 57-59 , x, pp. 1–26.
David Embick (2000). “Features, Syntax and Categories in the Latin Perfect”. In :
Linguistic Inquiry 31 , 2, pp. 185–230.
— (2009). “Limits on Stem alternation”. Communication a UC SC, novembre 2009.
— (2010). Localism versus Globalism in Morphology and Phonology . Cambridge, Mass. :
MIT Press.
David Embick, Morris Halle (2005). “The status of stems in Morphological Theory”.
In : Twan Geerts, Ivo van Ginneken, Haike Jacobs (eds.), Romance Languages
and Linguistic Theory, Selected Proceedings from Going Romance 2003, Amsterdam.
Amsterdam : John Benjamins, pp. 37–72.
345
David Embick, Alec Marantz (2008). “Architecture and Blocking”. In : Linguistic
Inquiry 39 , 1, pp. 1–53.
David Embick, Rolf Noyer (2001). “Movement operations after syntax”. In : Linguistic
Inquiry 32 , 4, pp. 555–595.
— (2007). “Distributed Morphology and the Syntax-Morphology Interface”. In : Gillian
Ramchand, Charles Reiss (eds.), Oxford Handbook of Linguistic Interfaces , Oxford :
Oxford University Press, pp. 289–324.
Antoine Ernout (1953). Morphologie historique du latin. Paris : Klincksieck.
Anotonio Fabregas (2010). “An argument for phrasal spell-out : Indefinites and inter-
rogatives in Spanish”. In : Peter Svenonius, Gillian Ramchand, Michal Starke,
Knut Tarald Taraldsen (eds.), Nordlyd , CASTL, Tromsø, t. 36, pp. 129–168.
Http ://www.ub.uit.no/baser/nordlyd.
Abdelkhader Fassi Fehri (1993). Issues in the Structure of Arabic Clauses and Words .
Dordrecht : Kluwer.
Noam Faust (En prep.). Problemes de morphosyntaxe de l’hebreu moderne. These de
doctorat, Universite Paris 7.
Noam Faust, Nicola Lampitelli (A par.). “How vowels point to syntactic structure :
roots and skeletons in Hebrew and Italian”. In : Camelia Constantinescu, Bert
Le Bruyn, Dragana Surkalovic (eds.), Proceedings of ConSOLE XVII, Nova Go-
rica.
Franca Ferrari (2005). A syntactic analysis of the nominal systems of Italian and
Luganda : how nouns can be formed in the Syntax . These de doctorat, New York
University.
Steven Franks (1995). Parameters of Slavic Morphosyntax . Oxford : Oxford University
Press.
Mara Frascarelli, Annarita Puglielli (2005). “The Focus System in Cushitic Lan-
guages”. In : Paolo Fronzaroli, Paolo Marrassini (eds.), Proceedings of the 10th
Hamito-Semitic Congress. Afroasiatic Linguistics . Firenze, pp. 333–358.
346
— (2007a). “Focus in the Force-Fin System. Information Structure in Cushitic Lan-
guages”. In : Aboh Enoch, Katharina Hartmann, Malte Zimmermann (eds.), Focus
Strategies : Evidence from African languages, Berlin : Mouton de Gruyter, pp. 161–184.
— (2007b). “Focus markers and universal grammar”. In : Azeb Amha, Maarten Mous,
Graziano Sava (eds.), Omotic and Cushitic Language Studies. Papers from the Fourth
Cushitic and Omotic Conference, Leiden 10-12 April, 2003 . Koln : Rudiger Koppe, pp.
169–185.
Elsa Godon (1998). “Aspects de la morphologie nominale du somali : la formation du
pluriel”. Memoire de DEA, Universite Paris 7.
Gideon Goldenberg (1994). “Principles of Semitic Word Structure”. In : Gideon Gol-
denberg, Shlomo Raz (eds.), Semitic and Cushitic Studies, Wiesbaden : Harrassowitz,
pp. 29–64.
John Goldsmith (1979). Autosegmental Phonology . New York : Garland Press. Version
publiee d’une these de doctorat au MIT, 1976.
Nicola Grandi (2003). “Matrici tipologiche vs. tendenze areali nel mutamento morfolo-
gico. La genesi della morfologia valutativa in prospettiva interlinguistica”. In : Lingue
e linguaggio 3 , pp. 105–145.
Alice Wyland Grundt (1978). “The Functional Role of the Indo-European Theme Vo-
wel”. In : Pacific Coast Philology 13 , pp. 29–35.
Mohand Guerssel, Jean Lowenstamm (1990). “The derivational morphology of the
Classical Arabic verbal system”. Ms. UQAM & Universite Paris 7.
— (1996). “Ablaut in Classical Arabic Measure I Active Verbal Forms”. In : Jacqueline
Lecarme, Jean Lowenstamm, Ur Schlonsky (eds.), Studies in Afroasiatic Gram-
mar , Amsterdam/Philadelphia : John Benjamins, pp. 123–134.
Kenneth Hale, Samuel Jay Keyser (1993). “On argument structure and the lexical
expression of syntactic relations”. In : Kenneth Hale, Samuel Jay Keyser (eds.), The
View from Building 20 , Cambridge, Mass. : MIT Press, pp. 53–110.
347
Jussi Halla-aho (2006). Problems of Proto-Slavic Historical Nominal Morphology. On
the Basis of Old Church Slavic. These de doctorat, University of Helsinki.
Morris Halle (1992). “The Latvian declension”. In : Gert Booj, Jaap van Marle
(eds.), Yearbook of Morphology 1991 , Dordrecht : Kluwer Academic, pp. 33–47.
— (1997a). “Distributed Morphology : Impoverishment and Fission”. In : Benjamin
Bruening, Yoonjung Kang, Marta McGinnis (eds.), Papers at the Interface, MIT
Press, t. 30 de MIT Working Papers in Linguistics , pp. 425–449.
— (1997b). “On Stress and Accent in Indo-European”. In : Language 73 , 2, pp. 275–313.
Morris Halle, Alec Marantz (1993). “Distributed Morphology and the Pieces of In-
flection”. In : Kenneth Hale, Samuel Jay Keyser (eds.), The View from Building 20 ,
Cambridge, Mass. : MIT Press, pp. 111–176.
Morris Halle, Alex Marantz (1994). “Some Key Features of Distributed Morphology”.
In : Andrew Carnie, Heidi Harley, Thomas Bures (eds.), Papers on Phonology and
Morphology , MIT Press, t. 21 de MIT Working Papers in Linguistics , pp. 275–288.
Morris Halle, Andrew I. Nevins (2009). “Rule Application in Phonology”. In : Eric
Raimy, Charles Cairns (eds.), Contemporary Views on Architecture and Representa-
tions in Phonology , Cambridge, Mass. : MIT Press, pp. 355–382.
Morris Halle, Bert Vaux (1998). “Theoretical aspects of Indo-European nominal mor-
phology : The nominal declensions of Latin and Armenian”. In : Jay Jasanoff,
H. Craig Melchert, Lisi Olivier (eds.), Mir Curad : Studies in Honor of Clavert
Watkins, Institut fur Sprachwissenschaft der Universitat Innsbruck, pp. 223–240.
Lila Hammond (2005). Serbian. An essential grammar . New York : Routledge.
Heidi Harley, Rolf Noyer (1999). “State-of-the-Article : Distributed Morphology”. In :
Glot International 4 , 4, pp. 3–9.
James Harris (1991). “The exponent of gender in Spanish”. In : Linguistic Inquiry 22 ,
3, pp. 27–62.
Larry Hyman (1981). “Tonal Accent in Somali”. In : Studies in African Linguistics 12 ,
2, pp. 169–203.
348
William Idsardi (1999). “Phonological Opacities”. Communication a University of Ca-
lifornia a Irvine, mai 1999.
— (2000). “Clarifying Opacity”. In : The Liguistic Review 17 , pp. 337–350.
Roman Jakobson (1948). “Russian conjugation”. In : Word 4 , pp. 155–167.
— (1962). “Beitrag zur allgemeinen Kasuslehre. Gesamtbedeutungen der russischen Ka-
sus.” In : Selected Writings , Berlin : Mouton de Gruyter, t. 2, pp. 23–71.
Jonathan Kaye (1990). “‘Coda’ licensing”. In : Phonology 1 , 7, pp. 301–330.
— (1995). “Derivations and Interfaces”. In : Jacques Durand, Francis Katamba (eds.),
Frontiers of Phonology , London/New York : Longman, pp. 289–332.
Jonathan Kaye, Jean Lowenstamm (1984). “De la syllabicite”. In : Francois Dell, Da-
niel Hirst, Jean-RogerVergnaud (eds.), Forme Sonore du Langage, Paris : Hermann,
pp. 123–159.
Jonathan Kaye, Jean Lowenstamm, Jean-Roger Vergnaud (1985). “The internal
structure of phonological elements : a theory of charm and government”. In : Phonology
Yearbook 2 , pp. 305–328.
— (1990). “Constituent structure and government in phonology”. In : Phonology Yearbook
7 , pp. 193–231.
Michael Kenstowicz (2005). “Paradigmatic Uniformity and Contrast”. In : Laura
Downing, Tracy AlanHall, RenateRaffelsiefen (eds.), Paradigms in Phonological
Theory , Oxford : Oxford University Press, pp. 145–169.
Alain Kihm (2002). “What’s in a Noun : Noun Classes, Gender, and Nounness”. Ms.
Universite Paris 7/LLF.
— (2005). “Nouns class, gender, and the lexicon/syntax/morphology interfaces : A com-
parative study of Niger-Congo and Romance Languages”. In : Guglielmo Cinque,
Richard Kayne (eds.), The Oxford Handbook of Comparative Syntax , Oxford : Oxford
University Press, pp. 459–512.
349
— (2010). “Plural formation in Nubi and Arabic”. Communication a BAAL’s First
Conference on Afroasiatic Grammar, Universite Paris 7, 25-27 novembre 2010.
Paul Kiparsky (1968). “Linguistic universals and linguistic change”. In : Emmon Bach,
Robert T. Harms (eds.), Universals in Linguistic Theory , New York : Holt, Reinhart
& Winston, pp. 170–202.
— (1972). “‘Elsewhere’ in Phonology”. In : Steven Anderson, Paul Kiparsky (eds.),
A Festschrift for Morris Halle, New York : Holt, Rinehart & Winston, pp. 11–49.
— (1982). “From cyclic phonology to lexical phonology”. In : Harry van der Hulst,
Norval Smith (eds.), The structure of phonological representations , Dordrecht : Foris,
pp. 130–175.
— (1996). “Allomorphy or Morphophonology ?” In : Rajendra Singh (ed.), Trubetzkoy’s
Orphan : Proceedings of the Montreal Roundtable ‘Morphophonology : Contemporary
Responses’ , Amsterdam/Philadelphia : Benjamins, pp. 12–31.
Francois de La Chaussee (1989). Initiation a la morphologie historique de l’ancien
francais. Paris : Klincksieck.
Nicola Lampitelli (2008a). “The case of Italian nominal plural : diachrony and synchro-
ny”. Communication a 38th Linguistic Symposium on Romance Languages, University
of Illinois at Urbana-Champaign, 6-8 avril 2008.
— (2008b). “How the syntactic change interferes on morphology : Romance plural isoglos-
ses”. Communication a 39th Poznan Linguistic Meeting, University of Poznan, 11-14
septembre 2008.
— (2009). “#, Th, n and num/K in Romance nouns : a cross-linguistic account”. Com-
munication a Atoms and Laws of The Noun Phrase Conference, Universiteit Utrecht,
2-3 juillet 2009.
— (2010). “Nounness, gender, class and syntactic structures in Italian nouns”. In : Rei-
neke Bok-Bennema, Brigitte Kampers-Manhe, Bart Hollebrandse (eds.), Ro-
mance Languages and Linguistic Theory 2008. Selected papers from ‘Going Romance’
Groningen 2008 . Amsterdam : John Benjamins, pp. 195–214.
350
Bergeton U!e Larsen (1998). “Vowel length, Raddoppiamento Sintattico and the selec-
tion of the definite article in Italian”. In : Paul Sauzet (ed.), Langue et Grammaire II
et III, Phonologie, Paris : Universite Paris 8, pp. 87–102.
David Le Gac (2001). Structure prosodique de la focalisation : le cas du somali et du
francais. These de doctorat, Universite Paris 7.
Jacqueline Lecarme (2002). “Gender ‘Polarity’ : Theoretical Aspects of Somali Nomi-
nal Morphology”. In : Paul Boucher (ed.), Many Morphologies, Somerville, Mass. :
Cascadilla Press, pp. 109–141.
Julie Anne Legate (2008). “Morphological and Abstract Case”. In : Linguistic Inquiry
39 , pp. 55–101.
Lisa Levinson (2010). “Arguments for Pseudo-Resultative Predicates”. In : Natural
Language and Linguistic Theory 28 , 1, pp. 135–182.
Luigi Lorenzetti (2002). L’italiano contemporaneo. Roma : Carocci.
Jean Lowenstamm (1996). “CV as the only syllable type”. In : Jacques Durand,
Bernard Laks (eds.), Current Trends in Phonology , Manchester : Salford, pp. 419–441.
— (2005). “Deconstructing the Binyan”. Communication aux 7e Rencontres du Reseau
francais de phonologie. Universite d’Aix-en-Provence.
— (2008). “On little n,# and types of nouns”. In : JuttaHartmann, VeronikaHegedus,
Henk van Riemsdjik (eds.), The Sounds of Silence : Empty Elements in Syntax and
Phonology , Amsterdam : Elsevier, pp. 105–143.
— (2010). “Derivation by Phase and A"xes as Roots”. In : Artemis Alexiadou, Hagit
Borer, Florian Schafer (eds.), Roots , Oxford : Oxford University Press : Oxford.
Soumis.
Thomas F.Magner, LadislavMatejka (1971). Word Accent in Modern Serbo-Croatian.
University Park : Pennsylvania State University Press.
Martin Maiden (1996). “On the Romance Inflectional Endings -i and -e”. In : Romance
Philology 2 , pp. 147–182.
351
Maria RitaManzini, Leonardo Savoia (2005). I dialetti italiani e romanzi. Morfosintassi
generativa. Alessandria : Dell’Orso.
Alec Marantz (1995). “Cat as a Phrasal Idiom”. Ms. MIT.
— (1997). “No escape from syntax : don’t try morphological analysis in the privacy of
your own Lexicon”. In : Alexis Dimitriadis (ed.), Proceedings of the 21st Annual
Penn Linguistics Colloquium. t. 4 de University of Pennsylvania Working Papers in
Linguistics , pp. 201–225.
— (2001). “Words and Things”. Ms. MIT.
— (2008). “Phases and Words”. In : Sook-Hee Choe (ed.), Phases in the theory of
grammar . Dong In, University of Seoul, pp. 201–225.
Josip Matesic (1970). Der Wortakzent in der serbocroatischen Schriftsprache. Heidel-
berg : C. Winter.
John J. McCarthy (1981). “A Prosodic Theory of Nonconcatenative Morphology”. In :
Linguistic Inquiry 12 , pp. 373–418.
— (1986). “OCP e!ects : Gemination and antigemination”. In : Linguistic Inquiry 17 ,
pp. 207–263.
— (2005). “Optimal Paradigms”. In : Laura Downing, Tracy Alan Hall, Renate
Raffelsiefen (eds.), Paradigms in Phonological Theory , Oxford : Oxford University
Press, pp. 170–210.
Antoine Meillet (1965). Le slave commun. Paris : Honore Champion.
Antoire Meillet, Andre Vaillant (1969). Grammaire de la langue serbo-croate. Paris :
Librarie Honore Chamption.
Gerhard Meiser (1998). Historische Laut- und Formenlehre der lateinische Sprache.
Wissenschaftlichte Buchgesellschaft.
Wilhelm Meyer-Lubke (1890-1902). Grammatik der Romanischen Sprachen. Leipzig :
Reisland.
352
— (1927). Grammatica storica della lingua italiana e dei dialetti toscani . Torino : Loes-
cher. Trad. italienne de Italienische Grammatik, 1890.
Andrea Moro (1988). “Per una teoria unificata delle frasi copulari”. In : Rivista di
Linguistica Generativa 13 , pp. 81–110.
— (1991). “The Raising of Predicates : Copula, Expletives and Existence”. In : Lisa
Cheng, Hamida Demirdache (eds.), Papers on Wh-Movement , MIT Press, t. 15 de
MIT Working Papers in Linguistics , pp. 76–98.
— (1997). The Raising of Predicates . Cambridge : Cambridge University Press.
Gereon Muller (2004). “A Distributed Morphology Approach to Syncretism in Russian
Noun Inflection”. In : Olga Aranaudova, Wayles Browne, Maria Rivero, Dani-
jela Stojanovic (eds.), Formal Approaches to Slavic Linguistics, The Ottawa Meeting
2003 . Ann Arbor, Mich : Michigan Slavic Publications, pp. 353–374.
— (2005). “Syncretism and Iconicity in Icelandic Noun Declension : A Distributed Mor-
phology Approach”. In : Geert E. Booj, Jaap van Marle (eds.), Yearbook of Mor-
phology 2004 , Dordrecht : Springer, pp. 115–146.
RolfNoyer (1992). Features, position and a"xes in autonomous morphological structure.
These de doctorat, MIT.
Isabel Oltra-Massuet (1999). “On the Constituent Structure of Catalan Verbs”. In :
Karlos Arregi, Benjamin Bruening, Cornelia Krause, Vivian Lin (eds.), Papers
on Morphology and Syntax, Cycle Two, MIT Press, t. 33 de MIT Working Papers in
Linguistics , pp. 279–322.
AntoinetteOomen (1981). “Gender and plurality in Rendille”. In : Afroasiatic Linguistics
8 , 1-4, pp. 35–75.
Martin Orwin (1995). Colloquial Somali : A Complete Language Course. New York :
Routledge.
Diana Passino (2009). “An Element-based Analysis of Italian Inflection”. In : Fabio
Montermini, Gilles Boye, Jesse Tseng (eds.), Selected Proceedings of Decembrettes
6, Morphology in Bordeaux . Somerville, Mass : Cascadilla Press, pp. 63–75.
353
Alexandre Popovic, Michel Popovic (1969). Manuel pratique de serbo-croate. Paris :
Klincksieck.
Alan Prince, Paul Smolensky (1993). “Optimality Theory : Constraint Interaction in
Generative Grammar”. Rutgers Center for Cognitive Science, New Brunswick.
Annarita Puglielli, Mohamed Siyaad (1984). “La flessione del nome”. In : Annarita
Puglielli (ed.), Studi Somali 5 : Aspetti morfologici lessicali e della focalizzazione,
Roma : Min. A!ari Esteri, Dir. Generale per la Cooperazione allo Sviluppo, pp. 53–112.
Gunter Reichenkron (1939). Beitrage zur romanischen Lautlehre. Jena-Leipzig : Gro-
nau.
Lorenzo Renzi, Alvise Andreose (2003). Manuale di Linguistica e Filologia Romanza.
Bologna : Mulino.
Elyzabeth Ritter (1993). “Where’s gender ?” In : Linguistic Inquiry 24 , pp. 795–803.
Gerhard Rohlfs (1966-1969). Grammatica storica della lingua italiana e dei suoi dialetti .
Torino : Einaudi.
— (1977). Le Gascon. Tubingen : M. Niemeyer.
Pierre Rucart (2006). Morphologie gabaritique et interface phonosyntaxique. These de
doctorat, Universite Paris 7.
John Ibrahim Saeed (1993). Somali Reference Grammar . Kesington, Maryland : Dun-
woody Press.
— (1999). Somali . Amsterdam/Philadelphia : John Benjamins.
Mario Saltarelli (1970). A Phonology of Italian in Generative Grammar . Den Haag-
Paris : Mouton.
Tobias Scheer (1997). “Vowel-zero alternations and their support for a theory of conso-
nantal interaction”. In : Pier Mario Bertinetto, Livio Gaeta, Georgi Jetchev,
David Michaels (eds.), Certamen Phonologicum III , Torino : Rosenberg & Sellier,
pp. 67–88.
354
— (1999). “Aspects de l’alternance schwa-zero a la lumiere de “CVCV””. In : Recherches
linguistiques de Vincennes 28 , pp. 87–114.
— (2004). A Lateral Theory of Phonology , t. 1 : What is CVCV, and why it should be ?
Berlin/New York : Mouton.
— (2008). “Spell out you Sister !” In : Natasha Abner, Jason Bishop (eds.), Proceedings
of the 27th West Coast Conference on Formal Linguistics. Somerville, Mass. : Cascadilla
Press, pp. 379–387.
— (2010). “What the initial CV is initial of”. Communication aux 8e Rencontres du
reseau francais de phonologie, Orleans 1-3 juillet 2010.
Tobias Scheer, Attila Starcevic, Marketa Zikova (2009). “StudenAta”. Communi-
cation a SinFonIJA 2, 24-26 septembre 2009, Sarajevo.
Tobias Scheer, Marketa Zikova (2009). “Havlık vs. Lower : Slavic vowel-zero alternan-
tions and a unified phase theory”. Communication a FASL 18, 15-17 mai 2009, Cornell
University, Ithaca NY.
Philippe Segeral (1995). Une theorie generalisee de l’apophonie. These de doctorat,
Universite Paris 7.
— (2000). “Theore de l’apophonie et organisation des schemes en semitique”. In : Jac-
queline Lecarme, Jean Lowenstamm, Ur Schlonsky (eds.), Research in Afroasia-
tic Grammar : Papers from the Third Conference on Afroasiatic Languages, Sophia-
Antipolis, 1996 , Amsterdam/Philadelphia : Benjamins, pp. 263–300.
Philippe Segeral, Tobias Scheer (2001). “Abstractness in phonology : the case of
virtual geminates”. In : Katarzyna Dziubalska-Kolaczyk (ed.), Constraints and
preferences , Berlin and New York : Mouton, pp. 311–337.
Ur Shlonsky (1997). Clause Structure and Word Order in Hebrew and Arabic. An Essay
in Comparative Semitic Syntax . Oxford : Oxford University Press.
Andrew Spencer, Arnold M. Zwicky (eds.) (1998). The Handbook of morphology .
Oxford : Oxford University Press.
355
Michal Starke (2001). Move dissolves into Merge. These de doctorat, Universite de
Geneve.
Olga Steriopolo (2008). Form and Function of Expressive Morphology : A Case Study
of Russian. These de doctorat, University of British Columbia.
Georges Straka (1979). “Remarques sur la desarticulation et l’amuıssement de l’s im-
plosive”. In : Les sons et les mots. Choix d’etudes de phonetique et de linguistique,
Paris : Klincksieck, pp. 443–464.
Peter Svenonius (2004). “On the Edge”. In : David Adger, Cecile de Cat, George
Tsoulas (eds.), Peripheries : Syntactic Edges and their E!ects, Dordrecht : Kluwer,
pp. 261–287.
Carlo Tagliavini (1972). Le origini delle lingue neolatine. Bologna : Patron. (4e edition).
Vittorio Tantucci (1975). Urbis et Orbis lingua. Bologna : Poseidona.
Knut Tarald Taraldsen (2009a). “Lexicalizing gender and number in Colonnata”. Ms.
Universitetet i Tromsø.
— (2009b). “The nanosyntax of Nguni noun class prefixes and concords”. Ms. Universi-
tetet i of Tromsø.
Pavao Tekavcic (1972). Grammatica storica dell’italiano. Bologna : Mulino.
Anna Thornton (2001). “Some reflections on gender and inflectional class assignment
in Italian”. In : Chris Schaner-Wolles, John R. Reminson, Friedrich Neubarth
(eds.), Naturally ! Linguistic studies in honor of Wolfgang Ulrich Dressler , Torino :
Rosenberg and Sellier, pp. 479–487.
Nicolaı Troubetzkoy (1939). Principes de phonologie. Paris : Klincksieck. Trad.
francaise 1976.
Adam Ussishkin (2003). “Templatic e!ects as fixed prosody : The verbal system in
Semitic”. In : Jacqueline Lecarme (ed.), Research in Afroasiatic Grammar II. Selec-
ted Papers from the Fifth Conference on Afroasiatic Languages, Paris, 2000 , Amster-
dam/Philadelphia : Benjamins, pp. 511–530.
356
Veikko Vaananen (1934). “Le nominatif pluriel en -as dans le latin vulgaire”. In :
Neuphilologische Mitteilungen XXXV 4 , pp. 81–95.
Andre Vaillant (1966). Grammaire comparee des langues slaves . Paris : Klincksieck.
Albert Valdman (1973). “Some aspects of decreolization in Creole French”. In : Tho-
mas A. Sebeok (ed.), Current Trends in Linguistics, Vol. 11 : Diachronic, areal, and
typological linguistics, Den Haag/Paris : Mouton.
Philipp Weisser (2006). “A Distributed Morphology Analysis of Croatian Noun Inflec-
tion”. In : Gereon Muller, Jochen Trommer (eds.), Subanalysis of Argument Enco-
ding in Distributed Morphology , Linguistische Arbeits Berichte 84, Universitat Leipzig,
pp. 131–142.
Edwin Williams (1981). “On the notions “lexically related” and “head of a word””. In :
Linguistic Inquiry 12 , pp. 245–274.
— (1994). “Remarks on lexical knowledge”. In : Lingua 94 , pp. 7–34.
Martina Wiltschko, Olga Steriopolo (2007). “Parameters of Variation in the Syntax
of Diminutives”. In : Milica Radisic (ed.), Proceedings of the 2007 Annual Conference
of Canadian Linguistic Association.
Draga Zec (1999). “Footed Tones and Tonal Feet : Rhythmic Constituency in a Pitch
Accent Language”. In : Phonology 16 , 2, pp. 225–264.
Draga Zec, Elisabeth Zsiga (2010). “Interaction of Tone and Stress in Standard Serbian”.
In : Draga Zec, Wayles Browne (eds.), Formal Approaches to Slavic Linguistics, The
Ithaca Meeting 2009 . Ann Arbor, Mich. : Michigan Slavic Publications.
Marketa Zikova (2008). “Why are Case Markers in the Czech Nominal Declension not
Cyclic Su"xes ?” In : Frank Marusic, Rok Zaucer (eds.), Studies in Formal Slavic
Linguistics. Contributions from Formal Description of Slavic Languages 6.5 , Frankfurt
am Main/Berlin : Peter Lang, pp. 325–335.
Gaston Zink (1986). Phonetique historique du francais . Paris : PUF.
357
Table des matieres
Remerciements vii
Introduction 1
Problematique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1
Plan de la these . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
1 Du caractere abstrait de la phonologie 7
1.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
1.2 La Morphologie Distribuee . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
1.2.1 Traits fondamentaux de la theorie DM . . . . . . . . . . . . . . . . 8
1.2.2 L’insertion tardive et le Subset Principle . . . . . . . . . . . . . . . 10
1.2.3 Les notions de blocage et de competition . . . . . . . . . . . . . . . 12
1.3 Deux outils phonologiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
1.3.1 L’hypothese CV . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
1.3.2 La Theorie des Elements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19
1.4 Le francais entre phonologie, morphologie et syntaxe . . . . . . . . . . . . 23
1.4.1 L’imparfait des verbes du francais : un probleme theorique . . . . . 25
1.4.2 La Theorie des Elements et les verbes du francais . . . . . . . . . . 28
1.4.3 La representation autosegmentale de l’imparfait . . . . . . . . . . . 33
1.4.4 L’imparfait du francais et la syntaxe . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
1.5 Le verbe en arabe classique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
1.5.1 Les morphemes discontinus de l’arabe classique . . . . . . . . . . . 43
1.5.2 Le gabarit unique et les representations autosegmentales . . . . . . 45
1.5.3 L’accompli et l’inaccompli de l’arabe et la syntaxe . . . . . . . . . . 50
1.6 La formalisation de la proposition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60
359
1.7 Conclusion du chapitre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64
2 De l’italien et de ses noms 67
2.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
2.2 Les noms de l’italien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
2.2.1 Le corpus de noms . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
2.2.2 Deux generalisations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
2.2.3 Les noms variables et une definition pour voyelle finale . . . . . . . 72
2.2.4 Vfin des noms variables . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74
2.3 Analyses possibles pour les noms variables . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78
2.3.1 Une analyse selon DM standard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78
2.3.2 L’analyse de Taraldsen (2009a) des noms de l’italien . . . . . . . . . 83
2.4 La phonologie appliquee a la morphologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88
2.4.1 La Theorie des Elements et les noms de l’italien . . . . . . . . . . . 89
2.4.2 Les elements comme morphemes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92
Les elements et le nombre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93
La nominalite sive le genre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98
2.5 Elements, lexicalite et structures syntaxiques . . . . . . . . . . . . . . . . . 106
2.5.1 La notion de voyelle thematique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 106
2.5.2 Les structures syntaxiques des noms italiens . . . . . . . . . . . . . 111
2.5.3 La forme phonologique des exposants . . . . . . . . . . . . . . . . . 113
2.5.4 La linearisation et la computation phonologique . . . . . . . . . . . 117
2.6 Le mecanisme de formation des noms . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119
2.6.1 Les noms variables . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119
2.6.2 Les diminutifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 124
2.6.3 Un test croise . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130
2.7 Les noms invariables . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135
2.7.1 Les noms a voyelle atone invariable . . . . . . . . . . . . . . . . . . 138
2.7.2 Les noms oxytons . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140
2.7.3 Les noms d’origine etrangere . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143
2.8 Un detour diachronique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145
2.8.1 L’isoglosse du pluriel roman . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145
2.8.2 Pour une theorie du changement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149
360
2.9 Conclusion du chapitre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 158
3 Le bosnien 159
3.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159
3.2 La declinaison en bosnien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 160
3.3 L’interpretation des marques casuelles :
Vfin en bosnien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165
3.4 Sur la nature de Vfin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 168
3.4.1 Morpheme amalgame . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 169
3.4.2 Morpheme phonologiquement complexe . . . . . . . . . . . . . . . . 170
3.5 Elements, racines et exposants dans les noms du bosnien . . . . . . . . . . 172
3.5.1 Les occurrences de Vfin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 172
3.5.2 Les racines et le genre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 175
3.5.3 Les VI de nombre et de cas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 181
3.6 Les structures des noms du bosnien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185
3.6.1 Le merge des categories et la cyclicite . . . . . . . . . . . . . . . . . 186
3.6.2 La structure profonde et le spell-out . . . . . . . . . . . . . . . . . . 188
3.6.3 Tetes complexes et representations autosegmentales . . . . . . . . . 191
Les noms masculins et feminins . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191
Le neutre au NOM . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 198
3.7 Des arguments supplementaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 202
3.7.1 Les diminutifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 202
3.7.2 Les masculins en -ov . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 213
3.7.3 Les alternances V vs. zero et o vs. l . . . . . . . . . . . . . . . . . . 219
3.8 La machine morphologique : du GEN a l’INSTR . . . . . . . . . . . . . . . 230
3.8.1 Les sequences morphemiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 230
3.8.2 Phonologie vs. Allomorphie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 235
Cases gris-clair . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 235
Cases gris-fonce . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 238
3.8.3 Le GEN des noms ayant des alternances . . . . . . . . . . . . . . . 243
3.9 Deux groupes “exceptionnels” . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 246
3.9.1 Le groupe sudjia . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 246
3.9.2 Le groupe stvar . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 250
361
3.10 Conclusions du chapitre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 255
4 Le somali : morphologie nominale 257
4.1 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 257
4.2 Apercu de la langue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 258
4.3 Le nom en somali . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 264
4.3.1 Les donnees . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 264
4.3.2 Les premieres observations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 267
4.4 Le nom somali et DM standard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 269
4.5 La decomposition du systeme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 273
4.5.1 Le marqueur unique de pluriel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 273
4.5.2 Le gabarit et les racines . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 280
4.5.3 L’exposant du feminin et la polarite de genre . . . . . . . . . . . . . 283
4.5.4 Les cas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 289
4.6 La mecanique du nom somali . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 297
4.6.1 La structure du nom somali . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 297
4.6.2 Les classes 1 a 5 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 299
Classes 2 et 5 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 299
Classe 3/4 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 306
Classe 1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 310
4.6.3 Le nominatif et le genitif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 315
Le NOM . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 315
Le GEN . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 320
4.7 Bilan sur le somali . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 325
4.8 Le paradigme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 327
4.9 Conclusions du chapitre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 333
Conclusion generale 335
Bibliographie 341
Table des matieres 359
362