Estime de soi - excerpts.numilog.com

34

Transcript of Estime de soi - excerpts.numilog.com

Page 1: Estime de soi - excerpts.numilog.com
Page 2: Estime de soi - excerpts.numilog.com

Estime de soi Perspectives développementales

Page 3: Estime de soi - excerpts.numilog.com
Page 4: Estime de soi - excerpts.numilog.com

textes de base

en psychologie

Estime de soi Perspectives développementales

sous la direction de Monique Bolognini

Yves Prêteur

F. Bariaud M. Bolognini Ch. Bouissou C. Bourcet N. Cascino M.-P. Cazals Ch. Cooley S. Geldof S. Harter A. Lamia

M. De Léonardis

O. Lescarret G. Lévêque N. Oubrayrie B. Pierrehumbert B. Plancherel Y. Prêteur

C. Safont-Mottay F. Sordes-Ader K.Tamagni Bernasconi

P. Tap B. Vial

delachaux et niestlé

Page 5: Estime de soi - excerpts.numilog.com

Collection textes de base en psychologie

dirigée par

Jean-Paul Bronckart

ISBN 2-603-01090-5

Cet ouvrage ne peut être reproduit, même partiellement et sous quelque forme que ce soit (photocopie, décalque, microfilm, duplicateur ou tout autre procédé analogique ou numérique) sans une autorisation de l'éditeur.

Composition: Montserrat Acarin Maquette: K@

© Delachaux et Niestlé S. A., Lausanne (Switzerland) Paris 1998. 79, route d'Oron - 1000 Lausanne 21 - Switzerland. Tous droits d'adaptation, de reproduction et de traduction réservés pour tous pays.

Page 6: Estime de soi - excerpts.numilog.com
Page 7: Estime de soi - excerpts.numilog.com
Page 8: Estime de soi - excerpts.numilog.com

LES AUTEURS Docteure en psychologie, Directrice de

recherche CNRS, Université de Paris V. Docteure en sciences sociales, Cheffe

d'unité de recherche, Service Universitaire de Psychiatrie de l'Enfant et de l'Adolescent, Lausanne.

Docteure en psychologie, attachée d'enseignement et de recherche, Université de Toulouse-le- Mirail.

Docteur en psychologie, Maître de conférences, Université de Tours.

Docteure en psychologie, Maître de conférences, Université de Toulouse-le Mirail.

Docteure en psychologie, Maître de conférences, Université de Toulouse-le Mirail.

Psychologue diplômée, Flemalle, Belgique. Docteure en psychologie, Professeure de

psychologie, Université de Denver, États-Unis. Psychologue diplômée, attachée d'enseignement

et de recherche, Université de Toulouse-le Mirail. Docteure en psychologie, Maître de

conférences, Université de Toulouse-le-Mirail. Docteure en psychologie, Maître de

conférences, Université de Toulouse-le-Mirail. Chargée de recherche, Université de Toulouse-le Mirail. Docteure en psychologie, Maître de

conférences, Université de Toulouse-le Mirail. Docteur en psychologie, Chef d'unité

de recherche, Service Universitaire de Psychiatrie de l'Enfant et de l'Adolescent, Privat-docent, Université de Lausanne.

Docteur en psychologie, Chef de projet de recherche, Service Universitaire de Psychiatrie de l'Enfant et de l'Adolescent, Lausanne.

Docteur en psychologie, Maître de conférences, Université de Toulouse-le Mirail.

Docteure en psychologie, Maître de conférences, Université de Toulouse-le Mirail. Psychologue diplômée, Université de Toulouse-le Mirail.

Psychologue diplômée, Office d'études et de recherches, Bellinzone, Suisse.

Docteur en psychologie, Professeur à l'Université de Toulouse-le-Mirail. Chargée de recherche, Université de Toulouse- le-Mirail.

Page 9: Estime de soi - excerpts.numilog.com
Page 10: Estime de soi - excerpts.numilog.com

Préface

Pierre Tap*

N'est-il pas imprudent et risqué de publier aujourd'hui un ouvrage de psychologie à visée scientifique sur le thème de l'estime de soi? Dans une société où l'indivi- dualisme apparaît comme le fait des nantis, alors même que les dépressions et les stratégies écono- miques provoquent, pour d'autres, la dépréciation et la stigmatisation ou le déni des droits de l'homme, on peut en effet se demander si parler d'estime de soi n'est pas d'un autre âge (passé ou futur!). Ce jugement pourrait se trouver aggravé par le fait que les méthodes de mesure et d'analyse de l'estime de soi sont fondées sur l'autoévaluation, et donc sur l'intros- pection (intro-spectare: regarder en dedans de soi), fondée sur la conscience de soi, dont on a pendant longtemps avancé le caractère inobservable et peu fiable. Dans l'ouvrage collectif sur la Psychologie de la

* Professeur de psychologie sociale du développement. Directeur de l'U.F.R. de Psychologie à l'Université de Toulouse Le Mirail.

Page 11: Estime de soi - excerpts.numilog.com

connaissance de soi (1975) Didier Anzieu écrit à ce propos: «Est-il possible de parler scientifiquement de la connaissance de soi?... Chercher à se connaître soi- même passe pour honteux, comme une masturbation». Il y a une trentaine d'années, il était également dange- reux pour le chercheur, parce que «mal vu» par la com- munauté scientifique, de développer des recherches sur l'identité personnelle ou collective, du fait de ses relents conservateurs, associés au déni du changement ou à l'exaltation de «l'âme des peuples». Aujourd'hui, du fait des pressions de la réalité sociale, les travaux sur l'identité se sont largement multipliés, dans des orientations évidemment fort différentes selon les disci- plines, les sous-disciplines, les auteurs, leur idéologie ou leurs valeurs de référence. Mais ces travaux mettent l'accent sur la nécessité de réintroduire la diversité sociale et culturelle (pouvoirs, valeurs, oeuvres, effets de sens), au-delà des malheu- reux clivages entre comportementalistes, cognitivistes ou «affectivistes». On peut facilement montrer que l'intérêt porté à l'iden- tité comme à l'estime de soi est le résultat de l'évolu- tion des populations comme de l'évolution des idées. Par exemple, le mot clé de l'économie des entreprises, comme des structures médico-sociales ou de santé, est aujourd'hui la recherche de la qualité du service, avec l'accord négocié et motivé des personnels, et en rela- tion avec les objectifs de l'établissement. On constate vite qu'un tel objectif oblige constamment à vérifier que les personnels sont satisfaits. Ils ne peuvent l'être que s'ils ont le sentiment que la qualité du service va dans le même sens que la qualité de leur vie (senti- ment de valeur, d'être cause, d'être acteur reconnu,

Page 12: Estime de soi - excerpts.numilog.com

etc.). L'objectif fondamental est dès lors d'analyser la capacité des chercheurs à proposer des instruments adéquats, et la capacité ou la volonté des personnes de mesurer et exprimer leur satisfaction, leur motiva- tion, leurs aspirations, et leur sentiment de valeur per- sonnelle. Le présent ouvrage s'inscrit parfaitement dans cette ambition, même si les efforts d'opérationnalisation et de vérification prennent nécessairement le pas sur l'analyse des enjeux sociaux et personnels. Les auteurs sont cependant très conscients de ces enjeux, puisque la plus grande partie de l'ouvrage concerne des popu- lations en situations difficiles (échec scolaire, troubles pubertaires, cancer, séropositivité, privation d'emploi). J'ai formulé naguère le constat selon lequel l'identité n'est évoquée qu'à partir du moment où elle se trouve en danger. C'est évidemment vrai, a fortiori, de l'esti- me de soi qui est la tonalité affective de la représenta- tion de soi. Etudier l'estime de soi, c'est affirmer d'emblée que la personne est capable de mesurer sa propre valeur, et qu 'elle peut exprimer cette évaluation à d'autres par de multiples médiations (actes, paroles, attitudes explici- tées). Le chercheur doit pouvoir proposer des instru- ments permettant d'analyser, qualitativement et quanti- tativement, le résultat de cette auto-analyse. Etudier l'estime de soi, c'est aussi réintroduire les valeurs comme objet de la science du sujet en dévelop- pement, en action ou en interaction. Les premiers psy- chologues scientifiques ont été forcés de prendre leurs distances par rapport aux idéologies, aux valeurs, aux philosophies... pour affirmer la possibilité d'étudier et d'objectiver les processus psychiques et la dynamique

Page 13: Estime de soi - excerpts.numilog.com

des conduites. Mais il importe aujourd'hui de réintro- duire les valeurs; non pas les nôtres, mais celles des sujets étudiés, comme éléments et déterminants majeurs du fonctionnement de leurs systèmes d'action et de pensée, et des processus d'adaptation et d'orien- tation qu'ils développent dans leur vie quotidienne. Cette réintroduction favorise justement une meilleure appréciation des influences socioculturelles dans les modalités d'appropriation par les individus des valeurs et des normes collectives. Tout ceci oblige à com- prendre comment se développe cette appropriation (socialisation) mais aussi comment la personne (enfant ou adulte) opère des choix, manifeste des rejets et des oppositions par rapport à tous les possibles, et à tra- vers ces choix et refus, comment elle en vient à tirer parti des situations et à se personnaliser (par le dépas- sement, le retrait, la stratégie utilitaire ou la solution à moindre coût... selon les moments et les situations ou selon la hiérarchie des valeurs servant d'ancrage). Je voudrais donc ouvrir mon propos en fonction du contexte culturel qui est le nôtre, de façon à mieux situer le présent ouvrage, dans sa spécificité historique et sa prospective.

Naviguer à l'estime Dans l'index de l'Encyclopaedia Universalis, qui va ici me servir de prototype de la référence culturelle, le terme d'estime n'est associé qu'à la «navigation» (systè- me de..., histoire de la...). «La boussole... ne permet que la navigation à l'estime, on définit la position du navire d'après l'angle de sa direction avec celle du nord et la distance parcourue: c'est le point de fantai- sie». Naviguer à l'estime implique donc d'utiliser des

Page 14: Estime de soi - excerpts.numilog.com

moyens approximatifs pour s'orienter. On peut, je crois avec intérêt, utiliser cette image comme métaphore de la navigation de soi, où l'estime de soi serait active (associée à l'estimation du contexte, de la situation) nécessairement articulée à l'itinéraire personnel. Il n'est pas neutre de constater par ailleurs que le mot «estime de soi» n'apparaît pas dans l'index de l'Encyclopaedia Universalis (aucun texte prévu sur ce concept) A l'intérieur de l'ensemble des textes de l'Encyclopédie, le terme n'apparaît que 13 fois (contre 1211 fois pour «estime» et 1615 fois pour «soi»). Ce son- dage culturel (en langue française) devient dès lors par- ticulièrement intéressant et significatif. Parmi les 13 textes, il est logique de trouver celui sur la «personnali- té»; deux autres textes concernent des religions («boud- dhisme indien», et «justification» liée au salut dans le christianisme), quatre se rapportent à la psychiatrie ou à la psychanalyse (psychose maniaco-dépressive; états dépressifs; mécanismes de défense; topique-psychana- lyse) et cinq autres à des champs sociologiques ou psy- chosociaux (la jeunesse; la gérontologie; le chômage; l'assimilation sociale et la sociologie électorale). Le der- nier texte concerne Horace, poète latin (65-8 av. J.-C.), étrange rencontre qui montre au moins que la question de l'estime de soi n'est pas nouvelle au niveau de la vie des p e r s o n n e s et d e sa t raduc t ion d a n s l ' a r t

1. Grâce au CD-Rom associé à l'Encyclopaedia Universalis, il est pos- sible de connaître très précisément le nombre de fois où un mot appa- raît dans l'index (titres des textes incluant le mot) ou dans l'ensemble des textes (liste des textes où le mot intervient au moins une fois): esti- me de soi = 0/13; estime = 1/1211; soi = 6/1615. 2 Selon l'auteur de l'article "Horace moralise volontiers (proposant une exégèse des lieux communs de la sagesse contemporaine). Dans une société qui se défait tout doit être repris à la base, essayer de se situer vis-à-vis du pouvoir et de l'argent, reconquérir les voies de l'amitié et de l'estime de soi.. Ces préoccupations avaient leur place dans les entre- tiens.. Horace les prend à ce niveau et sans prétention à la profondeur"

Page 15: Estime de soi - excerpts.numilog.com

Pour les deux textes religieux, il est clair que l'estime de soi est ce qu'il faut combattre pour atteindre le salut. Dans le bouddhisme indien, le salut (par trans- migration) n'est réalisé pour les Vijnanavadin que par «l'effort pour ramener le psychisme de fond à la pureté de la réalité telle qu'elle est». Il faut, pour cela, éliminer les «quatre afflictions: vue de soi, égarement à propos de soi, estime du soi, amour du soi». Dans le christianis- me, la notion biblique de «justification» est issue de «l'idée fondamentale selon laquelle la justice n'est pas estime de soi, mais relation de l'homme à celui qui le juge, c'est-à-dire Dieu». C'est ce dernier qui estime la valeur des croyants, au moment du jugement dernier (séparant justes et injustes). Dans l'article sur la Jeunesse (de l'adolescence aux rôles de la vie adulte), A.M. Rocheblave-Spenlé évoque le fait que l'adolescent ne peut plus considérer l'amour et la sécurité dispensés par ses parents comme «garants« de sa valeur personnelle. Le relâchement ou la rupture de ces liens modifient corrélativement chez l'adoles- cent son attitude à l'égard de lui-même... il est obligé de chercher autre part les fondements de l'estime de soi ». Nous avons ici un exemple significatif de l'in- fluence d'autrui sur la construction et l'évolution de l'estime de soi. A propos du chômage, Raymond Ledrut montre que «certains chômeurs réagissent de façon assez agressive à l'égard de la société», vivant leur situation sur le mode de l'humiliation. «Ils sont d'autant plus revendi- catifs que leur personnalité est menacée par la perte de l'estime de soi». A propos de la gérontologie (troubles psychiques au 3ème âge), M. Druenne-Ferry affirme que «(la vieillesse)

Page 16: Estime de soi - excerpts.numilog.com

entraîne l'individu dans une lutte contre la perte de l'estime de soi et contre la culpabilité d'être». Les tech- niques de prévention devraient permettre à l'individu vieillissant de garder confiance en soi et estime de soi. Les textes psychiatriques et psychanalytiques mettent l'accent sur les troubles de l'économie narcissique (incluant la perte de l'estime de soi et la culpabilité), associés à un idéal du moi exigeant, ou à l'impossibili- té de se dessaisir du moi idéal de toute-puissance infantile. Le texte sur «topique (psychanalyse)» rappelle que «le surmoi différencie une partie du moi. Il pro- vient de l'intériorisation des images parentales... D'une telle identification naît la conscience morale, avec notamment l'estime de soi-même et les sentiments de culpabilité». Les mécanismes de défense du moi, selon Fenichel, seraient tous des défenses contre les affects (angoisse, culpabilité). Ils seraient «en fin de compte, moyen d'éviter le déplaisir que causerait la panique traumatique ou la perte d'estime de soi». Comme on le voit l'estime de soi navigue entre le surmoi (société intériorisée) et le moi (qui se leurre lui-même en se défendant). Ce surfing, à la mode Internet, a eu, me semble-t-il, l'avantage de mettre en évidence les deux points sui- vants: 1. Dans notre culture judéo-chrétienne, l'estime de soi apparaît constamment associée à l'égoïsme et à la cul- pabilité. Mais on constate aussi, du côté des cher- cheurs, que l'estime de soi n'est évoquée que lorsque elle a été perdue ou en danger de l'être; et ceci aussi bien chez l'adolescent que chez l'adulte en perte d'em- ploi, ou chez la personne du 3ème âge.

Page 17: Estime de soi - excerpts.numilog.com

Il y a dans bien des démarches de recherche ce que j'ai appelé le biais d'indésirabilité. Le chercheur s'at- tend à trouver une identité déstructurée et une estime de soi faible, si ce n'est des troubles pathologiques, chez la personne vivant une situation difficile. Les textes proposés dans le présent ouvrage montreront qu'il n'en n'est, heureusement pas toujours ainsi. Même si les situations de crise ont des conséquences psychologiques négatives, elles peuvent aussi amener le sujet qui les vit à réagir, à faire face, à lutter, à déve- lopper des capacités nouvelles d'adaptation, de créa- tion et de contrôle. 2. Par ailleurs l'estime de soi apparaît comme un pro- duit social (familial en particulier): confondue avec la construction de la conscience morale, elle est présen- tée comme socialement déterminée, et elle s'opère psychologiquement par le triple processus de l'identifi- cation, de l'intériorisation et de l'appropriation. Conscience et estime de soi: de la tonalité affective à la valeur normative Dans la logique des «Textes de base», le lecteur trouve- ra plus loin la reproduction de textes d'auteurs ayant joué un rôle capital dans l'histoire de la psychologie de l'estime de soi: William James et Charles H. Cooley. J'aime beaucoup ces deux auteurs et les textes qui authentifient ici leur influence. Ils représentent pour- tant des orientations contradictoires, aujourd'hui conflictuelles. Bolognini et Plancherel aspirent à mon- trer le caractère complémentaire des deux auteurs et des deux démarches. Cela revient à supposer, en défi- nitive, que la personnalisation (que valorise James) et la socialisation (que valorise Cooley) s'interstructurent

Page 18: Estime de soi - excerpts.numilog.com

dans un même processus: le développement de la per- sonne en situation et en interactions sociales. Il nous faut oeuvrer pour mieux comprendre comment s'opère cette interstructuration. William James, considérant l'estime de soi comme «la conscience de la valeur du moi», met l'accent sur la dynamique intrapersonnelle et intrapsychique, sur la diversité des moi(s), sur le rôle éminent des émotions dans la construction de soi et l'émergence de la valeur personnelle, sur l'importance de l'articulation entre le moi actuel et les aspirations. Il s'intéresse à la person- nalité en tant que structure, rigide ou souple, aux fron- tières précises ou diffuses. Il oppose l'avoir à l'être, l'expansion à la rétraction, la richesse à la pauvreté du contenu. En un mot, il s'intéresse au sujet pour lui- même, dans une optique humaniste, positive et opti- miste, à la mode stoïcienne: «Nous sommes maîtres de nos satisfactions intérieures» et nous minimisons ce qui ne dépend pas de nous. Charles H. Cooley, comme beaucoup d'entre nous aujourd'hui, associe l'estime de soi à l'approbation d'autrui, à l'appropriation par le sujet de données attri- butives, et attribuées. La perception de soi (self-feeling) est le résultat d'un effet de miroir social ( looking glass self): ma valeur est déterminée par la façon dont les autres me valorisent; mon image dépend de la façon dont ils me perçoivent, etc. Mais le texte proposé ici montre l'importance que Cooley accorde aux aspects émotionnels de cette appropriation, sur l'exemple de la possessivité conflictuelle d'un jouet. La conscience et l'estime de soi apparaissent en effet très tôt (Cooley évoque ses propres enfants, à 2-3 ans), dans l'action possessive du «à moi-, «c'est le mien». L'affirmation de

Page 19: Estime de soi - excerpts.numilog.com

soi se construit d'abord dans l'appropriation d'objets mais aussi dans la tentative de possession de l'autre Tel est le paradoxe qui amène l'enfant à construire son identité et sa valeur à travers les miroirs de l'action sociale. Mais on aurait tort de considérer l'apprentissa- ge social comme un jeu purement imitatif et dépen- dant. Les identifications et la prise en compte des points de vue d'autrui sur soi sont réels, mais l'enfant puis l'adolescent et l'adulte, vont se servir de ces iden- tifications pour s'ancrer dans une dialectique complexe fondée sur la confiance en soi et en autrui, mais constamment remaniée à partir des expériences, des projets réalisés ou abandonnés. Comme l'indiquait Philippe Malrieu (1967) «l'affirma- tion et l'objectivation de soi n'attendent pas la crise de trois ans pour se manifester. Bien avant trois ans l'en- fant a conquis une première forme de conscience de soi, conscience d'une initiative ayant valeur sociale, valeur de dépassement, et qui à ce titre est signifiée à autrui» (p. 343). L'enfant organise ses comportements et ses représentations à travers des activités interac- tives. «Lorsque l'enfant attend les félicitations d'autrui, estime ses oeuvres, cherche à aider, adopte à l'égard d'un jeune enfant les attitudes d'autrui, il y a autre chose que le sentiment du moi: une attitude de direc- tion du moi par la considération du personnage... c'est l'opposition entre deux attitudes, l'une de dépassement des infériorités, l'autre d'inquiétude sur ses propres

3. Le point de vue de l'autre comme miroir pour soi ne doit pas faire oublier les nombreux travaux sur les conduites réelles de l'enfant devant le miroir, en particulier les travaux de Zazzo (1987, 1993) sur la différen- ce d'attitudes des jumeaux face à leur reflet spéculaire (miroir réel) ou face à leur frère ou soeur (derrière une vitre). La valeur de soi passe à la fois par l'identification à autrui (ressemblant ou différent) mais aussi par la différenciation et l'autonomisation du sujet en relation avec autrui.

Page 20: Estime de soi - excerpts.numilog.com

capacités, qui constitue la structure fondamentale de la conscience de soi» (p. 338-339). On voit sur cet exemple l'importance de l'affectivité dans la construction et l'évaluation de soi. Mais l'esti- me de soi implique un au-delà de l'émotion, vers le sentiment et la valeur. Comme l'indiquait Piaget, «la valeur est une dimension générale de l'affectivité» (1962). Les valeurs peuvent être autocentrées, c'est-à-dire entrer dans une stratégie d'autovalorisation de l'action propre. Elles sont alors à l'origine d'un enrichissement fonctionnel dans la mesu- re où la valorisation de personnes, d'objets ou de situations par rapport auxquels l'individu se trouve «intéressé», peuvent être la source d'activités nouvelles. Mais, progressivement, aux valeurs «d'utilisation ou de réussite» vont se substituer des «valeurs de connaissan- ce et de compréhension» (1959). Ce progrès impliquera nécessairement la mise en place de «systèmes de régu- lations affectives... tendant vers l'équilibre réversible caractérisant la volonté» (1951) Ce modèle optimiste et optimal n'évoque pas les difficultés de régulations, les blocages de la volonté, l'impossibilité à se donner ou à se voir attribuer une valeur, l'incapacité ou la dif- ficulté à construire des idéaux ou à organiser et réali- ser un projet. L'ensemble des remarques qui précèdent permettra dès lors au lecteur, du moins je l'espère, de mieux com- prendre certaines contradictions dans le présent ouvra- ge. Plusieurs auteurs (Susan Harter, Bariaud et Bourcet

4. Les valeurs ainsi socialisées tendent à se subordonner à un idéal (logique, droit, morale). Si Piaget admet les liens étroits entre les valeurs et les règles (le seul moyen de conserver les valeurs est de les rendre obligées, et obligatoires), il montre cependant la nécessité de les diffé- rencier. Le sentiment de valeur de soi, par exemple, ne se confond pas avec l'autonomie (auto-normé).

Page 21: Estime de soi - excerpts.numilog.com

en particulier) évoquent le fait que la capacité à conceptualiser le soi n'apparaît pas avant 8 ans, alors que Cooley et Malrieu montrent la précocité de l'affir- mation de soi et de sa valeur dans l'action et dans l'in- teraction. Dès la deuxième année l'enfant manifeste des conduites d'appropriation, d'autocentration par l'intérêt, d'incertitude ou d'assurance dans la gestion de ses activités. Mais l'enfant devra attendre encore long- temps pour acquérir la capacité à se décrire et à s'ana- lyser de façon abstraite (à conceptualiser son image propre).

L'estime de soi et la dynamique des valeurs On a vu combien l'estime de soi ou sentiment de valeur personnelle (SVP) dépend du jugement des autres. Mais on évoque aussi l'erreur fondamentale liée à la surévaluation de soi, le fait que le jugement d'au- trui dépend aussi de la façon dont le sujet s'évalue lui- même et se donne valeur. On pourrait citer d'innom- brables auteurs à propos de cette affirmation. Quelques exemples: «Tu vaudras aux yeux des autres ce que tu seras à tes yeux» (Cicéron); «Autant vaut l'homme comme il s'estime» (Rabelais dans Pantagruel); «Il arrive souvent que l'on nous estime à proportion que nous nous estimons nous-mêmes» (Vauvenargues dans Réflexions et maximes); «Avoir de la considération pour soi vous attire quelquefois celle des autres» (Chamfort dans Pensées, maximes et anecdotes ) etc. Mais un problème majeur est lié à la difficulté à diffé- rencier la «valeur réelle» (l'être) et la «valeur affichée»,

5. On pourrait jouer sur ce sigle en évoquant le fait que, dans certaines situations les personnes semblent dire «S.V.P., donnez-moi un senti- ment de valeur personnelle».

Page 22: Estime de soi - excerpts.numilog.com

le paraître, le faire-valoir en quelque sorte, que l'on suppose d'emblée être un «moyen de compensation», sans savoir clairement ce que le sujet est censé com- penser. Quelques remarques sur la notion de valeur peuvent nous aider à avancer: 1. Etymologiquement la valeur est référée au courage, à la vaillance (valere. être fort, valeureux). On peut tirer de ce premier sens, la première fonction axiolo- gique: la valeur de soi est une force et une quête d'en- gagement et de légitimation. Mais, à ce titre, elle est «susceptible de prendre toutes les formes. Elle est généreuse ou brutale, stupide ou éclairée, furieuse ou tranquille selon l'âme qui la pos- sède» (J.-J. Rousseau dans Discours sur la vertu des héros). Les sentiments normatifs n'ont pas pour effet de bloquer des émotions préalables, ils peuvent au contraire susciter des émotions primitives (cf. les senti- ments idéologiques suscitant les passions politiques ou religieuses dès l'adolescence; les mécanismes sectaires fondés sur la toute-puissance du gourou et sa transmis- sion aux adeptes, etc). 2. La valeur est souvent réduite à sa fonction utilitaire d'estimation. Elle est alors appréciation, détermination d'un prix, mesure de ce que la chose (ou la personne) vaut ou coûte. Pour Condillac, la valeur des choses est fondée sur leur utilité, ou ce qui revient au même, sur l'usage que nous en pouvons faire. Se pose alors la

6. On sait que dans bien des développements historiques et idéolo- giques l'identité a pu se substituer à l'âme, mais en gardant certains de ses attributs: essence de l'être, noyau dur de soi-même (la base, l'essen- tiel, le focal..), ce autour de quoi s'organisent les significations de soi. Mais l'être et la valeur (la qualité) s'interstructurent dans le devenir et la poursuite d'un but (individuel et collectif tout à la fois).

Page 23: Estime de soi - excerpts.numilog.com

question de l'estimation quantitative des qualités. On retrouve ici un débat bien ancien en psychologie sociale sur l'attitude, inobservable et peu fiable, elle aussi En 1928, Thurstone avait répondu par un article provocateur «Attitudes can be measured». On peut en dire autant des valeurs, y compris de la valeur de soi: l'estime de soi est mesurable. Le présent ouvrage le montrera aisément. Mais reste posée la question de la distance entre l'étiquette et le produit qu'elle affiche. Par exemple l'image de soi peut être construite sur une réputation en contradiction avec le sentiment véritable de la valeur de soi. «L'art de se faire valoir l'emporte souvent sur ce que l'on vaut et la réputation sans mérite laisse souvent loin derrière le mérite sans réputation». Il y a discordance, dissonance entre la valeur réelle (ou que le sujet s'attribue) et la valeur sociale (la répu- tation). Bien entendu, la, «réputation» peut être bonne ou mauvaise, meilleure ou moins bonne que le senti- ment de valeur personnelle. L'équilibre de l'estime de soi n'est donc pas seulement obtenu par la bonne arti- culation entre le soi réel et le soi idéal; il est aussi direc- tement dépendant de la relation entre le soi perçu et le soi attribué (par les parents, les pairs... cf. Rodriguez- Tomé, 1972). 3. La valeur peut être considérée aussi comme le pro- duit de la projection de soi, défensive ou créatrice. Elle ne serait que légitimation-justification évaluative des instincts, des désirs projetés sur les choses ou sur les autres, produit des ancrages passés, des attachements

7. Or l'estime de soi est attitude à l'égard de soi, associée à la repré- sentation de soi, dont elle est la dimension énergétique. 8. Extrait des Réflexions et maximes du chancelier suédois Oxenstiern (1583-1657).

Page 24: Estime de soi - excerpts.numilog.com

infantiles dont on ne veut ou peut se défaire sans crise identitaire. Ou bien la valeur apparaît comme libre création d'un individu engagé, manifestant son pou- voir, sa capacité à se projeter hors de soi dans la quête idéalisée d'une réalisation de soi, par dépassement de conflits. 4. La valeur est engagée dans une temporalité, un ryth- me ou une durée. En musique, on le sait, le terme valeur s'applique à la durée relative d'une note, évo- quée par sa figure. La valeur mesure le temps, le temps organise les valeurs comme des perspectives (même s'il ne faut pas confondre idéaux et projets). Il reste vrai, en tous cas que la dynamique cognitivo- temporelle de la prévention, de la prévoyance, de la prévision ou de la prospection ne peut minimiser la dynamique affective de la projection de soi. 5. La valeur de soi, on l'a vu, commence par l'affirma- tion possessive (mes personnages, mes propriétés, mes compétences...). S'affirmer c'est déjà voter pour soi, contre le néant ou contre la mort. Je ne puis me saisir dans l'acte de conscience le plus élémentaire, sans m'y attribuer une valeur laudative. Le besoin de se faire valoir, de se faire aimer et reconnaître, est en quelque sorte constitutif de la représentation de soi. Mais les valeurs ne se limitent pas aux projections. Elles se vivent comme contradictoires; elles oscillent entre un niveau lyrique, héroïque, où elles se livrent sous l'as- pect d'une toute-puissance triomphante parce qu'inté- gratrice, comme promesse illusoire de consensus, de réconciliation et d'harmonie progressives, et un niveau dramatique où la valeur devient péjorative, culpabili- sante, infériorisante, stigmatisante, la permanence de l'échec pouvant éventuellement s'imposer.

Page 25: Estime de soi - excerpts.numilog.com

Nous avons vu que l'autre intervient nécessairement dans la construction et l'évaluation positive de soi. Mais il peut aussi participer à ses troubles (confusion, séparation), à sa déstructuration (pressions asservis- santes) ou à sa restructuration (soutien social). L'affectivité socialisée, par les émotions et par les senti- ments, est donc le médiateur obligé des valeurs et des représentations. La valeur et l'identité peuvent être per- çues comme ce qui doit être conservé et défendu. Mais, par les processus de valorisation et d'identisa- tion, la personne peut construire une orientation, un devenir, une perspective, un mieux être, un mieux faire, dans le jeu des aspirations et des anticipations collectives. La valeur devient sociale quand elle se transforme en norme et en règle et participe à l'afficha- ge, à l'attribution d'identités sociales. Elle reste ou devient culturelle quand elle dynamise les potentialités créatrices, oriente et donne sens à l'identité, aux pra- tiques, aux aspirations et aux projets.

L'estime et la structure de soi: unité (cohérence) et diversité (dimensions, facettes ou masques) L'estime de soi, comme sentiment de valeur personnel- le, s'articule avec d'autres sentiments importants qui ensemble vont participer à la construction et à l'évolu- tion de la représentation de soi. On verra comment les différents auteurs de cet ouvrage les font intervenir et en définissent l'interaction. Je me contenterai donc ici de proposer une description de l'image de soi comme système dynamique de représentations et de senti- ments sur soi ou à propos de soi. Le sentiment d'identité, associé à la mémoire de soi et aux attitudes temporelles, concerne la façon dont la

Page 26: Estime de soi - excerpts.numilog.com

personne perçoit et organise ses ancrages (histoire per- sonnelle, familiale...), construit une continuité de soi, intègre les changements dans une problématique de conservation, de «mêmeté». Le sentiment d'approbation et de reconnaissance, asso- cié à la dynamique de socialisation et aux stratégies infantiles d'attachement, rend la personne affective- ment dépendante, selon des tonalités différentes: de l'affection à l'affectation en passant par l'attachement (cf. Pierrehumbert et al.) et le soutien social. Il faut noter à propos des stratégies d'attachement, l'impor- tance de la confiance. Les théoriciens de l'attachement considèrent à ce propos que les «attachés confiants» se caractérisent simultanément par la confiance en autrui, la mise en place de conduites d'attachement, et la confiance en soi Dit autrement, la confiance en soi serait nécessairement associée à la confiance à l'égard des objets d'attachement, et réciproquement. Erikson (1966) évoque lui aussi l'existence d'une «confiance fondamentale» durant les premiers mois de la vie, sens originaire de la bienveillance-malveillance, manifestée à travers soins et nourrissage. La confiance implique- rait d'apprendre à se fier à la similitude, à la continuité des «pourvoyeurs extérieurs», mais aussi à soi-même. La solution du conflit nucléaire entre la confiance et la méfiance serait la première tâche du moi. Cette solu- tion faciliterait la mise en place ultérieure du sentiment

9. Le terme d'affectation présente quelque ambiguïté sémantique inté- ressante, puisqu'il signifie à la fois 1. destiner à un usage déterminé (affecter une personne dans un service); 2. faire ostentation de (affecter de grands airs); 3. feindre, simuler; 4. prendre forme; 5. exercer une action sur, ressentir une impression pénible. Plusieurs de ces définitions seraient à traduire opérationnellement pour l'analyse de l'expression discordante de soi dans l'interaction avec autrui ou l'intégration sociale. 10. Sur ces aspects cf. Pierrehumbert et al. (1996).

Page 27: Estime de soi - excerpts.numilog.com

d'identité, se combinant plus tard avec le sentiment de bien-être, d'être soi-même et pourtant aussi de devenir ce que les autres attendent de lui qu'il devienne. Le sentiment de propriété et d'appropriation, associé aux prolongements possessifs de soi: (attributs, quali- tés, avoirs et territoires, personnages, rôles et fonc- tions, valeurs et appartenances), amène la personne à se distancier, à se séparer et à s'autonomiser ou au contraire à revendiquer, prendre, s'opposer et se défendre. On notera ici également, l'hypothèse de l'existence d'une violence fondamentale (Bergeret, 1984, 1994), non confondue avec l'agressivité, mais plutôt associée à un instinct de conservation et de défense de soi (alors que le soi n'est pas encore consti- tué). Même si cette hypothèse se discute, elle met l'ac- cent sur le problème de l'existence d'une structure bio- psychologique, n'ayant que peu à voir avec la dyna- mique sociale dans lequel le sujet se trouve impliqué. Le sentiment d'unité et de cohérence est associé à l'existence supposée d'une «personnalité» (que l'on peut définir comme la fonction de contrôle, de coordi- nation et de hiérarchisation des conduites en relation avec les nécessités de l'action et de la permanence du moi). Bien entendu la personnalité ne saurait se rédui- re à son versant cognitif (conscience de soi, représen- tations). Mais elle intervient pour limiter les discor- dances et les dissonances (affectives et cognitives), pour gérer les multiples clivages entre comportements et représentations. Mais si le principe de non-contra- diction oblige la personne à réviser les rapports entre ses pensées, ses dires et ses actes, à éviter les cloison- nements entre les conduites et les incohérences dans les opinions et les décisions, on constate souvent que

Page 28: Estime de soi - excerpts.numilog.com

la défense d'une certaine «tranquillité» mentale ou affective (ne pas se poser de problème, ne pas s'oppo- ser à autrui ou se séparer de lui), amène la personne à masquer, à se cacher, à maintenir ou créer des sépara- tions internes, des dysharmonies fonctionnelles, à iso- ler certains secteurs de sa vie. Se trouve ainsi mis en avant le problème fondamental posé par les auteurs du présent ouvrage. La personne a des identités multiples, chacune associée à un rôle (de sexe, d'âge, scolaire, familial, professionnel), à des pratiques et à des lieux de vie. On peut obtenir de la personne une multiplicité d'évaluations partielles de soi associées à ces différentes identités et pratiques. Par exemple, l'identité scolaire (être élève) implique une estime de soi scolaire (et une anxiété scolaire, aussi). Mais à cette diversité d'identités référées à des milieux, groupes ou catégories, se surajoute une diver- sité associée aux différents «miens» (mon corps, mes performances, mes intérêts, mes désirs et aspira- tions...).

Focalisation, diffusion et dynamique du changement de valeur (hommage au caméléon) Le sentiment de valeur personnelle est-il la somme de ces estimes de soi partielles liées aux contextes sociaux et aux attributs multiples? Ou bien doit-on, avec Susan Harter, supposer l'existence d'une évalua- tion globale de soi fondée sur la valeur abstraite et non focalisée de soi? Lié à cette question: comment s'articulent les «miens», le «soi» et le «je». L'identité per- sonnelle est-elle dissociée, confondue ou articulée avec les multiples identités sociales que j'assume, par mon sexe, mon âge, mes fonctions parentales ou

Page 29: Estime de soi - excerpts.numilog.com

professionnelles? Je suis plusieurs... mais quelle est la part authentique de moi dans chacun de mes rôles? Comment les réussites et les échecs, les aspirations et les projets, les modalités conviviales ou conflictuelles vécues avec les autres protagonistes de la scène (conjugale, familiale, scolaire) orientent-ils mon éva- luation? Le présent ouvrage pose la question. Plusieurs pistes sont proposées pour y répondre. J'évoquerai mon hypothèse par une image. On sait que le caméléon est le symbole (à connotation négati- ve) de cette capacité à faire varier les tonalités (les couleurs) selon les contextes (les décors). Mais le caméléon a une structure très élaborée: changer de couleur en fait partie... Il change de couleur, mais il ne change pas de peau (de structure). Je puis, comme le caméléon, faire varier l'évaluation de mon rapport au monde et adopter des conduites différentes selon les contextes et les interlocuteurs, utiliser diverses facettes de ce que je suis, m'en servir comme masque (pour me défendre ou pour dissimuler ma véritable représentation) sans pour autant changer de structure (laquelle, bien sûr, ne se réduit ni à des sentiments ni à des représentations). Il faut noter que bien des auteurs évoquent l'idée que les identités sociales (et les estimes de soi qui leur sont liées) construites par socialisation, seraient autant de masques, de faux self (Winnicott), derrière lesquels se cache la «vraie person- nalité». A titre d'exemples certains psychologues sociaux évoquent l'idée que l'individu se personnalise plus hors du travail que dans le travail (ce qui suppose que celui-ci serait dépersonnalisant). Mais il se peut qu'une partie de moi (négative ou positi- ve) tende à diffuser sur l'ensemble de ma personnalité

Page 30: Estime de soi - excerpts.numilog.com

(et avec elle l'angoisse provoquant un changement de mesure de ma valeur). Par exemple, le fait d'être mau- vais élève peut ou non diffuser sur la représentation que l'enfant a globalement de lui-même (cf. Prêteur et Vial, Pierrehumbert et al., Lamia, de Leonardis et Lescarret, à propos de l'estime de soi liée au sexe, à l'âge, à l'école ou à la famille). Par exemple encore, le fait d'être gravement malade (cf. Sordes-Ader sur les adolescents cancéreux) ou en voie de l'être (cf. Levêque sur les séropositifs) peut provoquer la remise en question de l'identité personnelle, et avec elle de l'estime de soi globale. Changer de couleur c'est une chose (je veux dire changer d'attitude à propos de soi, changer de comportement en fonction du contexte...), mais changer de peau c'est tout à fait autre chose (je veux dire vivre une crise d'identité avec la souffrance psychique que cela implique). Changer de peau sup- pose une déstructuration, une remise en question fon- damentale de soi et la nécessité vécue de changer de vie et de structure. C'est la raison pour laquelle l'estime de soi est si souvent liée à l'anxiété, à l'angoisse ou au stress, dans des situations supposées déstructurantes. Mais ce que le présent ouvrage montre également c'est la nécessité d'orienter les travaux dans le sens d'une prise en compte du temps, et par lui d'une analyse des changements, de l'évolution des pratiques et des éva- luations. La méthode longitudinale devient alors un moyen de décrire et expliquer les modalités d'articula- tion entre la structure du soi, l'estime de soi, le senti- ment d'identité et le projet de soi, en relation avec le positionnement social (cf. Bouissou, Bariaud et Bourcet, Harter...).

Page 31: Estime de soi - excerpts.numilog.com

A propos du rapport entre la conformité et la désirabi- lité sociale d'une part et l'estime de soi d'autre part, j'ai proposé l'idée qu'en se conformant l'enfant se confir- me paradoxalement dans sa spécificité, en s'identifiant l'enfant renforce son identité et son estime de soi, mais aussi ses capacités d'autonomisation. Je laisserai sur ce point le dernier mot à l'une de mes petites-filles (Marine, 5 ans). Alors qu'on lui proposait de relever les vitres de la voiture pour lui éviter d'avoir du vent, elle répondit, en levant le menton (pour manifester sa fierté et son refus de «privilège»): « C'est pas un problème. J'ai le goût de tout le monde». Il faut parfois minimiser l'affirmation de soi et assumer les règles collectives, pour faciliter sa propre intégration sociale (ça n'empêche par les sentiments ... de soi!). Mais quelques jours plus tard, Marine questionne sa mère: «Maman, tu préfères être toi-même ou comme tout le monde?» sa mère: «Je préfère être moi-même»; Marine: «Parce que tu sais, maman, des fois je préfère être moi-même et des fois je préfère être comme tout le monde!».

Page 32: Estime de soi - excerpts.numilog.com

Première partie

Orientations théoriques

Page 33: Estime de soi - excerpts.numilog.com

Directeur de la collection: Jean-Paul Bronckart

Quelle est la signification de "l'estime de soi" ? Quel rôle joue- t-elle dans les rapports sociaux et dans le développement de la personne humaine ? Comment peut-elle être favorisée et utilisée dans les activités pédagogiques ? Quels sont les effets qu'exercent sur elle la maladie ou les difficultés sociales ? Cet ouvrage regroupe quatorze textes de base qui tentent de répondre à ces importantes questions. Outre les contributions théoriques de valeur historique (celles de W. James et de Ch. Cooley), il propose trois ensembles de travaux plus contemporains. Le premier décrit et analyse les mécanismes de développement de l'estime de soi dans l'enfance, à la puberté et à l'adolescence. Le deuxième propose une méthode d'évaluation de l'estime de soi des élèves, et analyse le rôle que l'image de soi peut jouer dans les démarches éducatives, scolaires ou familiales. Le troisième ensemble analyse les modifications de cette image qui sont consécutives à la maladie ou à la privation d'emploi, et suggère des voies pour y remédier.

Monique Bolognini, Docteur en Sciences Sociales, est responsable d'une Unité de Recherche à l'Université de Lausanne. Yves Prêteur, Docteur en Psychologie, est Maître de Conférences à l'Université de Toulouse le Mirail.

clelachaux et niestlé

Page 34: Estime de soi - excerpts.numilog.com

Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement

sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

Cette édition numérique a été réalisée à partir d’un support physique parfois ancien conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

Elle peut donc reproduire, au-delà du texte lui-même, des éléments propres à l’exemplaire qui a servi à la numérisation.

Cette édition numérique a été fabriquée par la société FeniXX au format PDF.

La couverture reproduit celle du livre original conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

*

La société FeniXX diffuse cette édition numérique en accord avec l’éditeur du livre original, qui dispose d’une licence exclusive confiée par la Sofia ‒ Société Française des Intérêts des Auteurs de l’Écrit ‒

dans le cadre de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012.