ElliottErwitt AMERICANEXPRESS€¦ · phrases célèbres. Celle de Napoléon: «On s’engage et...

20
AMERICAN EXPRESS Au cours des deux décennies 1950 et 1960, Elliott Erwitt photographie l’Amérique en pleine expansion. La course au progrès, l’hyper- consommation, la gloire de Hollywood, des stars, de Marilyn... Mais aussi la guerre froide, le défi de Cuba, le deuil après l’assassinat de Kennedy. Et, au cœur même de cette société considérée comme la plus moderne du monde, l’envers noir du décor : le racisme. Ses photos exceptionnelles sont entrées dans l’histoire des Etats-Unis et du XX e siècle. Elliott Erwitt

Transcript of ElliottErwitt AMERICANEXPRESS€¦ · phrases célèbres. Celle de Napoléon: «On s’engage et...

Page 1: ElliottErwitt AMERICANEXPRESS€¦ · phrases célèbres. Celle de Napoléon: «On s’engage et puis on voit.» Celle du maréchal Foch: «Le temps passé en reconnaissance est ra-rement

AMERICAN EXPRESSAu cours des deux décennies 1950 et 1960, Elliott Erwitt

photographie l’Amérique en pleine expansion. La course au progrès, l’hyper-consommation, la gloire de Hollywood, des stars,

de Marilyn... Mais aussi la guerre froide, le défi de Cuba, le deuil aprèsl’assassinat de Kennedy. Et, au cœur même de cette société

considérée comme la plus moderne du monde, l’envers noir du décor :le racisme. Ses photos exceptionnelles sont entrées dans l’histoire

des Etats-Unis et du XXe siècle.

Elliott Erwitt

8lb_Erwitt USA:PolkaMag 9/10/08 18:35 Page 34

Page 2: ElliottErwitt AMERICANEXPRESS€¦ · phrases célèbres. Celle de Napoléon: «On s’engage et puis on voit.» Celle du maréchal Foch: «Le temps passé en reconnaissance est ra-rement

8lb_Erwitt USA:PolkaMag 9/10/08 18:35 Page 35

Page 3: ElliottErwitt AMERICANEXPRESS€¦ · phrases célèbres. Celle de Napoléon: «On s’engage et puis on voit.» Celle du maréchal Foch: «Le temps passé en reconnaissance est ra-rement

8lb_Erwitt USA:PolkaMag 9/10/08 18:35 Page 36

Page 4: ElliottErwitt AMERICANEXPRESS€¦ · phrases célèbres. Celle de Napoléon: «On s’engage et puis on voit.» Celle du maréchal Foch: «Le temps passé en reconnaissance est ra-rement

novembre 2008 - janvier 2009 I 37

Double page précédenteELLIOTT ERWITTWYOMING, 1954L’Amérique puissante, qui avance. «Celle qui s’engage puis voit»,selon la devise d’Elliott Erwitt empruntée à Napoléon.

ELLIOTT ERWITTNEW ROCHELLE, NEW YORK, 1955Desperate housewife: scène de famille dans une cuisine américaine.

ELLIOTT ERWITTLAS VEGAS, NEVADA, 1954

C’est encore le temps du western! La joueuse a un air de pionnièreet le bandit-manchot est un cow-boy.

8lb_Erwitt USA:PolkaMag 9/10/08 18:35 Page 37

Page 5: ElliottErwitt AMERICANEXPRESS€¦ · phrases célèbres. Celle de Napoléon: «On s’engage et puis on voit.» Celle du maréchal Foch: «Le temps passé en reconnaissance est ra-rement

38 I polka magazine #3

8lb_Erwitt USA:PolkaMag 9/10/08 18:35 Page 38

Page 6: ElliottErwitt AMERICANEXPRESS€¦ · phrases célèbres. Celle de Napoléon: «On s’engage et puis on voit.» Celle du maréchal Foch: «Le temps passé en reconnaissance est ra-rement

novembre 2008 - janvier 2009 I 39

ELLIOTT ERWITTRENO, NEVADA, 1961

Des stars autour d’une étoile lors du tournagedes «Misfits», réalisé par John Huston. Clark Gable

succombera à une crise cardiaque à la fin du tournage etMarilyn Monroe disparaîtra un an après

la sortie du film. Autour de l’actrice on voit son mari,

Montgomery Clift et Clark Gable.

8lb_Erwitt USA:PolkaMag 9/10/08 18:35 Page 39

Arthur Miller, Frank E. Taylor, Eli Wallach, John Huston,

Page 7: ElliottErwitt AMERICANEXPRESS€¦ · phrases célèbres. Celle de Napoléon: «On s’engage et puis on voit.» Celle du maréchal Foch: «Le temps passé en reconnaissance est ra-rement

40 I polka magazine #3

ELLIOTT ERWITTMOSCOU, URSS,1959Richard Nixonet NikitaKhrouchtchev.«Personne n’étaitplus anti-Nixon quemoi», raconteErwitt, et pourtantcette photo a étéchoisie pour sacampagneprésidentielle. Etrien ne laisse voir laréalité de la scène:au moment où lephotographe appuiesur le déclencheur,Khrouchtchev lâche,en russe, au vice-présidentaméricain: «Va tefaire foutre.» Uneanecdote dont sedélecte lephotographe,parfait russophone.

ELLIOTT ERWITTLA HAVANE,CUBA, 1964Ernesto «Che»Guevara.

LOS ANGELES,CALIFORNIE,1960John F. Kennedy.l’année de sonélection. Erwittdeviendra unvisiteur régulier dela Maison-Blanche.

Page de droiteMIAMI BEACH,FLORIDE, 1968Cette jeune femmeest à la tribunede la Conventionnationale desrépublicains. C’estla fin de l’Amériquedes années 60.Le sénateur RobertKennedy se lancedans la course à laMaison-Blanche.Favori à l’investituredémocrate, ilest assassiné enjuin 1968, lamême année queMartin Luther King.Nixon sera éluprésident.

8lb_Erwitt USA:PolkaMag 9/10/08 18:36 Page 40

Page 8: ElliottErwitt AMERICANEXPRESS€¦ · phrases célèbres. Celle de Napoléon: «On s’engage et puis on voit.» Celle du maréchal Foch: «Le temps passé en reconnaissance est ra-rement

8lb_Erwitt USA:PolkaMag 9/10/08 18:36 Page 41

Page 9: ElliottErwitt AMERICANEXPRESS€¦ · phrases célèbres. Celle de Napoléon: «On s’engage et puis on voit.» Celle du maréchal Foch: «Le temps passé en reconnaissance est ra-rement

42 I polka magazine #3

8lb_Erwitt USA:PolkaMag 9/10/08 18:36 Page 42

Page 10: ElliottErwitt AMERICANEXPRESS€¦ · phrases célèbres. Celle de Napoléon: «On s’engage et puis on voit.» Celle du maréchal Foch: «Le temps passé en reconnaissance est ra-rement

novembre 2008 - janvier 2009 I 43

ELLIOTT ERWITTCAROLINE DU NORD, 1950L’Amérique de la ségrégation.Bien que l’abolition de l’esclavagesoit proclamée depuis 1865, lesamendements à la Constitutionresteront lettre morte pendant prèsd’un siècle. Des artifices législatifsempêcheront 90 % des Noirs devoter. La ségrégation raciale,dans les années 1880, s’installedans les écoles, restaurants,terrains de jeux, églises... D’un côtéles Blancs, de l’autre les Noirs.Après la Seconde Guerre mondiale,le président Truman déclarela ségrégation racialeinconstitutionnelle. Mais ellecontinue d’être pratiquée dans lesEtats du Sud. Le pasteurMartin Luther King invite à ladésobéissance civile etJohn F. Kennedy se bat pourl’égalité raciale. Depuis 1986,le Martin Luther King’s Day(en janvier) est férié aux Etats-Unis.(Lire l’éditorial p. 11.)

ELLIOTT ERWITTFORT DIX, NEW JERSEY, 1951

Elliott Erwitt n’a jamais couvertles guerres. Ses photos de soldats

correspondent à la période de son servicemilitaire. Elles lui valent de remporter un

concours organisé par le magazine « Life »et les félicitations de son général.

8lb_Erwitt USA:PolkaMag 9/10/08 18:36 Page 43

Page 11: ElliottErwitt AMERICANEXPRESS€¦ · phrases célèbres. Celle de Napoléon: «On s’engage et puis on voit.» Celle du maréchal Foch: «Le temps passé en reconnaissance est ra-rement

première photo de chien paraît en 1946 mais lesuccès commence avec une commande du «NewYork Sunday Times Magazine » sur la mode deschaussures de femmes. Elliott décide de les photo-graphier avec les yeux d’un chien «parce qu’il voitplus de chaussures que n’importe qui».

L’extravagance du décor à l’entrée del’appartement s’arrête à la porte. Le maître deslieux est calme, laisse filer de longs silences.«Tout est tellement simple qu’il n’y a rien à dire.Expliquer ce qu’il y a dans une photo, c’est stu-pide. Dans la photo, on ne pense pas, sinon lerésultat est ennuyeux.» Aucune philosophie, au-cune religion ne le guide, mais il retient desphrases célèbres. Celle de Napoléon : « Ons’engage et puis on voit. » Celle du maréchalFoch: «Le temps passé en reconnaissance est ra-rement gaspillé. » Ou celle de Flaubert : « Uneœuvre d’art n’est jamais finie, elle est simplementabandonnée. » Pour Elliot Erwitt, l’œil est aussiimportant que le cœur. Le temps, la contempla-tion, la curiosité, le sens visuel et aussi la chancesont les atouts qui mènent à «l’instant critique»,au moment impossible, à « l’idéal insaisissable»où tout est en harmonie. «Une très belle photo estirrationnelle, rien à voir avec la volontéconsciente ou le désir du photographe.» Et il re-mercie la Providence d’avoir toujours été avec lui.

Cet homme doux que sa quatrième femme dit«taciturne» n’a pas toujours eu la vie facile. Né en1928 à Neuilly-sur-Seine de parents russes qui ontfui Staline, Elio Romano Ervitz passe les dix pre-mières années de sa vie en Italie. Il parle italien àl’école et russe à la maison. Les origines juives deson père ne sont pas bienvenues au pays de BenitoMussolini et la petite famille traverse l’Atlantique.Elio Romano Ervitz a 10 ans, il se retrouve à NewYork à l’école élémentaire sans connaître un seulmot d’anglais. Dire « Hello Elio » tord la

langue des Américains, alors il s’appellera Elliott.Sa solitude et sa timidité l’aident à développer songoût pour la photo. Il ne cesse de regarder lesautres. Ses yeux voient des gens tristes, heureux,comiques, des gens plutôt comme lui.Après la sé-paration de ses parents, son père, qui deviendraplus tard moine bouddhiste au Japon, l’emmène àLosAngeles. Elliott a 14 ans, il est le photographedes bals du lycée, et, à 15 ans, il subvient déjà seulà ses besoins, fait des petits boulots et développeles photos de stars de Hollywood. Le dépôt detrain photographié par Henri Cartier-Bresson serapour lui une révélation: «C’était une scène acces-sible à tous, ni modèle ni installation spéciale, seu-lement son équipement personnel.» EugèneAtgetet Modigliani le confirment dans sa vocation, maisil gardera toute sa vie le goût de la liberté, le bon-heur d’être responsable de son propre temps. Lestatut de free-lance est son choix.

Les lattes des stores en bois filtrent la bellelumière new-yorkaise. Le rythme de notre conver-sation est étrange, l’atmosphère du salon couvreles silences. Les objets de la pièce prennent lerelais. Comme le maître des lieux, ils invitent àrire. Le poisson géant peint par l’un de ses amis estplutôt comique. Les grands canapés sont clas-siques comme nos verres remplis de vin blanc. Lapièce n’a pas de style précis, c’est une délicieusealchimie de simplicité, de raffinement, de maliceet de douceur.

Une fois les verres vides, nous descendonsau rez-de-chaussée dans le coffre au trésor : sonstudio photo. Sont accrochées au mur les photosqu’il aime et celles qui l’ont rendu célèbre. Latable de travail en bois est entourée de grandsmeubles à tiroirs. Tout est remarquablement orga-nisé. Mio, un jeune Japonais, a numérisé son tra-vail et référencé 799 images de chiens, parmi lesmilliers de photos. Avec Marilyn Monroe, ses

44 I polka magazine #3

Partisan d’Obama, Elliott Erwittest un immigrant enAmérique. Il estle Charlie Chaplin de la photo

par B r i g i t t e B r a g s t o n e , envoyée spéciale à New York

L’ascenseur capitonné grimpe jusqu’au

huitième étage et m’abandonne sans pré-

venir sur un palier minuscule et obscur.

Le hall d’entrée de l’immeubleétait plus rassurant, il annonçait leluxe spacieux des beaux apparte-ments new-yorkais. Une impres-

sion étrange d’être prise au piège et enfermée dansune boîte bien gardée: deux soldats japonais poin-tent un doigt vers moi et, au-dessus, une têted’élan grandeur nature regarde la scène. Un rienm’aurait fait partir en courant si je n’étais arrivéedevant la porte du célèbre photographe américainElliott Erwitt. L’éclairage digne d’une maison han-tée laisse lire les mots : « Please, no singing, nodancing, no swearing, this is a respectable house.Danger de mort.» La note est donnée, je sonne.

L’amateur de farces et de calemboursm’accueille en personne et en toute simplicité. Delarges bretelles retiennent son pantalon, ses che-veux argentés et bouclés font penser à GrouchoMarx et l’expression de son visage s’arrête au sou-rire. Celui qui depuis l’âge de 14 ans se promènetoujours avec un appareil – «Quand je l’ai, je nevois pas tellement de photos à prendre. Et si je nel’ai pas, je vois des photos partout» – a saisi dansson objectif aussi bien des célébrités – MarilynMonroe, le Che... – que les gens de la rue et...beaucoup de chiens.

Le grand salon en angle domine CentralPark, côté ouest. Bien élevé, Sammy, le cairnterrier de 14 ans, abandonne sa place toutechaude sur le canapé pour accueillir le visiteur.«Les chiens sont comme les gens avec des poilsen plus», se plaît à dire Erwitt. Son goût pour lagent canine lui est venu avec le temps, lorsqu’il aconstaté qu’elle était souvent présente sur sesplanches-contact. «Les chiens sont partout et ilsne demandent rien pour être publiés ! » Sa

ELLIOTT ERWITT

8lb_Erwitt USA_TEXTE:PolkaMag 9/10/08 18:14 Page 44

Page 12: ElliottErwitt AMERICANEXPRESS€¦ · phrases célèbres. Celle de Napoléon: «On s’engage et puis on voit.» Celle du maréchal Foch: «Le temps passé en reconnaissance est ra-rement

novembre 2008 - janvier 2009 I 45

chiens remportent un grand succès chez les collec-tionneurs. «Marilyn était accessible, intelligente,aimable, très généreuse. On ne pouvait pas faireune mauvaise photo d’elle. Mais elle était plusbelle sur le papier qu’en vrai», dit-il.

Son hobby, son travail, comble Elliott Erwitt.

Il lui a permis de vivre, d’élever ses six

enfants, d’avoir eu quatre femmes, et de

posséder une belle maison de vacances à

East Hampton. Vivre dans le grandluxe ou dans le dénuement n’aaucune importance pour lui. Il a

connu les deux et ne craint pas les temps difficiles.L’octogénaire au regard doux et coquin qui

préfère les gens aux paysages, montre un mondede villes : « J’aime les fleurs en plastique. » Sonobjectif trouve de la légèreté aux choses sérieuses.Ses photos font rire ou pleurer, à la manière deCharlie Chaplin, un autre immigrant. S’il n’ajamais peur – « Ça va peut-être venir » –, il n’ajamais couvert les guerres – «Ça ne m’intéressepas. » Son service militaire s’est déroulé enEurope. C’était au moment de la guerre de Corée.Toujours armé d’un Leica durant cette période, ilprend des photos de soldats. «Life» organise unconcours et il le remporte. Le général le félicite,son sergent le traite avec respect et le chemin de lagloire s’ouvre à lui. La photo du soldat noir tirantla langue fait partie du lot.

La nuit est tombée, Elliott m’indique son res-taurant favori dans le quartier et on se donne ren-dez-vous quelques jours plus tard dans sa maisonde Long Island, avec toute sa famille, ses sixenfants de 55 à 27 ans, ses sept petits-enfants, Pia,sa femme, et le chien Sammy. La demeure estcachée au bout d’une allée de la très chic stationbalnéaire d’East Hampton. Une vraie maison devacances, envahie par les roses trémières et les

SALGADO 1989, TRAVAILLEURS DES MINESDE CHARBON DE DHANBAD, ETAT DU BIHAR,INDESous contrat avec les transporteurs, des ouvriers,hommes et femmes, chargent les camions de charbon.Tirage argentique, format 40/50 cm

hortensias. Comme à NewYork, les soldats japo-nais surgissent à l’entrée du jardin et pointent leurdoigt. Elliott aime le Japon, il y va une ou deuxfois par an : « Ce pays, c’est la Lune ! » Aprèsl’Italie, c’est son pays préféré. « A Tokyo, leschiens sont petits comme les maisons. En Italie,ils sont plus grands, ce sont des chiens de chasseélégants.» Si pour lui les canidés les plus intéres-sants se trouvent en Irlande, il pense que lesanglais sont chouchoutés, que les arabes ne sontpas aimés, que les français sont plus intellectuels:«On peut les amener au bureau et au restaurant.»Quant aux chiens américains, ils n’ont rien despécifique. Comme son maître, Sammy est dis-cret et doux. C’est aussi un bon modèle qui aimefouiller le sable. Sur la plage d’East Hampton,Elliott a immortalisé son postérieur émergeant àpeine du sable sur un fond de vagues éclatées. Ilne demande jamais l’autorisation de prendre unephoto. Malgré son artillerie d’appareils, personnene s’aperçoit qu’il saisit l’instant. Aucun animalne l’a jamais mordu, l’un s’est oublié sur sa jambeune fois : il s’était arrêté pour demander sa route.

Installée dehors, à l’ombre d’un grand arbre,sa petite-fille joue à un bout de la table tandis quenous parlons à l’autre bout et que Sammy dort en-tre les silences. Sa rencontre avec Robert Capa afait découvrir à Elliot Erwitt la célèbre agenceMagnum, qu’il intègre à 25 ans, dès la fin de sonservice militaire, en 1953. «J’en ai l’image d’unefamille et c’est aussi une société. Ici, on est tou-jours libre ; libre de refuser. » Il y rencontre sesgrands amis: Josef Koudelka, Henri Cartier-Bres-son, Marc Riboud. Celui qui regarde le mondeavec tendresse, malice et humanité, s’engage etdirige Magnum pendant trois ans. C’était dans lesannées 60. «Tout était plus simple, plus calme. Pasd’ordinateurs, pas de numérique...»

L’humour, l’énergie, la volonté ne se sont pas

envolés avec les années. Elliott Erwitt travaillecomme un jeune homme, aidé de son équipe japo-naise (trois jeunes gens). Il édite son huitième livresur les chiens, expose dans tous les grands muséeset galeries du monde, voyage partout sauf dansNewYork: «C’est beaucoup trop compliqué, des-cendre dans Downtown, c’est le bout du monde!»

De nature plutôt optimiste, ce partisan deBarack Obama ne croit pas en Dieu mais croit enquelques hommes et surtout dans les chiens. Etreimmigrant ouvre les yeux, permet de voir ce queles autres ne voient pas. Et puis, quel bonheur deparler quatre langues ! « Sur le long terme, c’estmerveilleux.» Erwitt trouve plus sage d’attribuerle succès au talent, une chose innée, inexplicable,qui, au lieu de faire tourner la tête, le mène àl’humilité. Parmi ses souvenirs il y a la semainepassée avec Fidel Castro, son pass permanent pourla Maison-Blanche du temps de John F. Kennedy,la scène entre Nixon et Khrouchtchev. Envoyé àMoscou pour photographier les réfrigérateursWestinghouse exposés dans une foire, il en profitepour rapporter d’autres photos. Elliott Erwitt saitque Nixon est ici. Lors d’une rencontre avecKhrouchtchev, il entend le chef du Parti commu-niste soviétique dire en russe au vice-présidentaméricain: «Va te faire foutre.» Mais personne necomprend et la photo prise sera retenue pour lacampagne présidentielle de Nixon... au grand damde son auteur qui n’aime pas le candidat.

Midi a sonné, je ne sais pas quelle est laconsistance du propos échangé. Avant de quittermon hôte, je lui dis que j’ai beaucoup apprécié lacuisine du restaurantTelepan qu’il m’avait indiquéà l’angle de Columbus Avenue et de la 69e. Sonvisage alors s’éclaire totalement... « Avez-vousgoûté le gâteau au chocolat?»•Lire aussi: Elliot Erwitt (suite), Une vie de chiens,

p. 84 à 91.

ELLIOTT ERWITTNEW YORK CITY, 1955La beauté audacieusede l’Empire State Buildinget la douceur d’une jeunefemme élégante.

8lb_Erwitt USA_TEXTE:PolkaMag 9/10/08 18:14 Page 45

Page 13: ElliottErwitt AMERICANEXPRESS€¦ · phrases célèbres. Celle de Napoléon: «On s’engage et puis on voit.» Celle du maréchal Foch: «Le temps passé en reconnaissance est ra-rement

NEW YORK, 2000Moment de fusion avec

le meilleur ami de l’homme. Assise surles marches d’une maison,

le maître bulldog et son bulldog.

8lb_Erwitt Chiens:PolkaMag 9/10/08 17:52 Page 84

Page 14: ElliottErwitt AMERICANEXPRESS€¦ · phrases célèbres. Celle de Napoléon: «On s’engage et puis on voit.» Celle du maréchal Foch: «Le temps passé en reconnaissance est ra-rement

UNE VIE DE CHIENS« Les chiens sont comme les gens, avec

des poils en plus », constate Elliott Erwitt. Tendresse,humanité et espièglerie animent son objectif et s’infiltrent

dans les choses les plus sérieuses avec légèreté.Faire de très belles photos ne s’apprend pas, il faut un talent.

Un œil et un cœur. Le photographe regarde,regarde plus, regarde encore... Contrairement à HenriCartier-Bresson, l’aspect commercial de son métier

n’effraie pas Erwitt. Il faut bien vivre !Il mêle donc commandes et travail personnel avec maestria.

Son huitième livre sur les chiens sortira en 2009.Ce thème qui lui est si cher connaît un succès mondial,

particulièrement au Japon.

8lb_Erwitt Chiens:PolkaMag 9/10/08 17:52 Page 85

Elliott Erwitt (suite)Elliott Erwitt (suite)

Page 15: ElliottErwitt AMERICANEXPRESS€¦ · phrases célèbres. Celle de Napoléon: «On s’engage et puis on voit.» Celle du maréchal Foch: «Le temps passé en reconnaissance est ra-rement

86 I polka magazine #3

ELLIOTT ERWITTNEW YORK, 1974L’un, immense, l’autre, minuscule, ces citadins à quatre pattes en promenade àCentral Park sont comme deux clowns autour de bottes élégantes.

ELLIOTT ERWITTNEW YORK, 1989Jeu de damier et de taches en noir et blanc. «Les chiens sont simplement amusantsquand on les prend dans certaines situations.»

ELLIOTT ERWITTNEW YORK, 1989Pour illustrer un sujet sur les chaussures et la femme, Elliott décide de les photographierau ras du trottoir. « Les chiens voient plus de chaussures que n’importe qui», dit-il.

8lb_Erwitt Chiens:PolkaMag 9/10/08 17:53 Page 86

Page 16: ElliottErwitt AMERICANEXPRESS€¦ · phrases célèbres. Celle de Napoléon: «On s’engage et puis on voit.» Celle du maréchal Foch: «Le temps passé en reconnaissance est ra-rement

novembre 2008 - janvier 2009 I 87

ELLIOTT ERWITTROME, 1978Un petit chien mendiant. «Finalement mes chiens n’ont rien à voir avec les chiens. Ilsparlent de la condition humaine. Mais les gens les regardent comme ils veulent.»

ELLIOTT ERWITTNEW YORK, 1946La première photo de chien signée Erwitt est publiée en 1946. Son histoire avec eux,son « dog business », démarre quelques années plus tard.

ELLIOTT ERWITTPARIS, 1989«J’ai aboyé et le chien a sauté droit en l’air. [...] Je préfère photographier les chiensfrançais. Ils ont de la personnalité, bien que je ne sache expliquer pourquoi...»

8lb_Erwitt Chiens:PolkaMag 9/10/08 17:53 Page 87

Page 17: ElliottErwitt AMERICANEXPRESS€¦ · phrases célèbres. Celle de Napoléon: «On s’engage et puis on voit.» Celle du maréchal Foch: «Le temps passé en reconnaissance est ra-rement

BIRMINGHAM, 1991Lors d’un concours canin.

« Faire rire et pleurer les gensen même temps, comme

Chaplin. C’est la plus granderéussite possible... C’est mon

but suprême. »

8lb_Erwitt Chiens:PolkaMag 9/10/08 17:53 Page 88

Page 18: ElliottErwitt AMERICANEXPRESS€¦ · phrases célèbres. Celle de Napoléon: «On s’engage et puis on voit.» Celle du maréchal Foch: «Le temps passé en reconnaissance est ra-rement

8lb_Erwitt Chiens:PolkaMag 9/10/08 17:53 Page 89

Page 19: ElliottErwitt AMERICANEXPRESS€¦ · phrases célèbres. Celle de Napoléon: «On s’engage et puis on voit.» Celle du maréchal Foch: «Le temps passé en reconnaissance est ra-rement

ELLIOTT ERWITTYOKOHAMA, 2003Au pays du Soleil-Levant, les chiens, tout petits, sontà l’échelle des maisons. Aussi, ce couple extravagant dedalmatiens fait figure de géants.

ELLIOTT ERWITTEAST HAMPTON, 1998Sammy, le cairn terrier d’Elliott Erwitt,fouille le sable de la plage.

Page de droiteELLIOTT ERWITT

LONG ISLAND, 1962«Une très belle photo est irrationnelle, rien à voir avec la

volonté consciente ou le désir du photographe. »

8lb_Erwitt Chiens:PolkaMag 9/10/08 17:53 Page 90

Page 20: ElliottErwitt AMERICANEXPRESS€¦ · phrases célèbres. Celle de Napoléon: «On s’engage et puis on voit.» Celle du maréchal Foch: «Le temps passé en reconnaissance est ra-rement

m’identifiais à eux. Peut-être. Peut-être. C’étaitune femme très intelligente. Toutes mes femmesfurent belles et intelligentes. Ça fait peut-êtreprétentieux, mais c’est le cas. »

«Les photos de chiens jouent sur deux ter-rains. Les chiens sont simplement amusantsquand on les prend dans certaines situations,ainsi certaines personnes aiment mes photosuniquement parce qu’ils aiment les chiens. Maisles chiens ont des qualités humaines, et je pense

que mes photos ont un charme anthropomor-phique. En fait elles n’ont rien à voir avec deschiens... Enfin, j’espère surtout qu’elles traitentde la condition humaine. Mais les gens peuventy voir ce qu’ils veulent. »

«Si quelqu’un apprécie ce que je fais, ça meva. Je préfère photographier les chiens français.Ils ont de la personnalité, bien que je ne sache ex-pliquer pourquoi... pas une simple personnaliténationale, une personnalité, un point c’est tout. Je

ne voyagerais certainement pasjusqu’à l’Amérique centrale oul’Amérique du Sud spécialement pourphotographier les chiens, simplementparce qu’ils sont les créatures les plusmalheureuses de la terre, mais quandje suis là-bas, je mets en général dutemps de côté pour ça.»

«Je songe à sortir un nouveau li-vre sur les chiens... mais uniquementles chiens qui travaillent. Je veuxchoisir les chiens qui sont pour lesgens des compagnons professionnels,qui doivent se balader en taxi, qui onthonte quand ils doivent s’asseoir etréclamer. Des chiens qui travaillentdans la sécurité, à la ferme, dans lamédecine, le dressage, la police,l’exploration de l’espace, le théâtre,l’armée, la décoration intérieure,comme mascotte, etc. Des chiens quibossent. Pourquoi seraient-ilsdifférents de nous ? »•

novembre 2008 - janvier 2009 I 91

J’aboie sur les chiens. C’est pour ça que le petit

chien sur l’une de mes photographies a sauté

droit en l’air. Beaucoup de gens m’inter-

rogent à ce sujet. Eh bien, j’ai aboyé. Il asauté. J’ai aboyé. Il a sauté... Un jour,je marchais dans une petite rue deKyoto, derrière une femme qui pro-

menait un chien qui avait l’air intéressant. Justepour voir, j’ai aboyé. Immédiatement, la femmes’est retournée, et a donné un coup à son chiendéconcerté. Je suppose que nousavions le même type d’aboiement.»

« Ma première photo de chienqui fut publiée a été prise en 1946. Jene me souviens plus des circons-tances ni de ce que j’avais en tête.Sans doute rien de spécial. Le chienavait l’air drôle. De temps en temps,je regardais mes planches-contactpour voir ce qu’elles donnaient, etj’ai constaté qu’il y avait beaucoup dechiens. C’est comme ça que le busi-ness des chiens a commencé. [...] »

« Un chien dans un cimetièreavec un crâne ! Je me demandais si cen’était pas un peu trop pour le livreque j’allais sortir. Je filmais un de cesweek-ends bizarres en Angleterre,comme dans Agatha Christie, où desacteurs jouent des meurtres à résou-dre, et d’autres choses sinistres dugenre. Pour l’une des scènes, j’avaisfait dresser un chien pour dénicher uncrâne dans un cimetière. Bien sûr, ilétait justement en train de se lécherles babines sur la photo. Je n’avaispas prévu ça.»

« L’une de mes femmes pensaitque je me reconnaissais sur les pho-tos de chiens. Elle pensait que je

Des chiens et des hommes“L’une de mes femmes, écrit-il, pensait que je me reconnaissais

sur les photos, que je m’identifiais à eux... Peut-être”

ELLIOTT ERWITT

«

Extrait de «Personal Exposures»,d’Elliot Erwitt,publié chezW.W. Norton, NewYork.

8lb_Erwitt Chiens:PolkaMag 9/10/08 17:53 Page 91

Voici quelques extraits de ses réflexions sur...