Dossier Festival de Cannes 2016 par Bernard Boyer

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Dossier Festival de Cannes 2016 par Bernard Boyer Mardi, 28 Juin 2016 09:37 Chapitre 1 : Le Palmarès du Festival de Cannes Où l'on découvre que le choix du jury et celui du microcosme cannois ne sont pas identiques 1 / 7

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Dossier Festival de Cannes 2016 par Bernard BoyerMardi, 28 Juin 2016 09:37

Chapitre 1 : Le Palmarès du Festival de Cannes

Où l'on découvre que le choix du jury et celui du microcosme cannois ne sont pas identiques

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Pouvait on imaginer que Georges Miller, metteur en scène de méga productions génératricesde millions de dollars, avait une âme mélanchonienne ? Comment expliquer autrement le choixqu'a fait le Jury du 69eme Festival de Cannes qu'il présidait de donner la Palme d'or au petitfilm ouvriériste et manichéen de Ken Loach « Moi, Daniel Blake » dans lequel est décrite la lutted'un charpentier cardiaque de Newcastle confronté à l'absurdité des services sociaux ?

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Ce choix militant se retrouve dans d'autres récompenses, notamment le prix d'interprétationféminine remis à la Philippine Jacklyn Jose pour son rôle dans « Ma'Rosa » réalisé par soncompatriote Brillante Mendoza, spécialiste de films misérabilistes tournés dans des conditionsproches du reportage.

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Elle interprète une mère de famille qui gère avec son mari un petit commerce d'un quartierpauvre de Manille où elle vent de l'épicerie et, illégalement, des amphétamines. Arrêté par lapolice, le couple doit verser une grosse somme pour être libéré. Leurs enfants mettront tout enœuvre pour réunir le montant de cette caution, assimilable à du racket.

Les films de la réalisatrice britannique Andrea Arnold semblent être abonnés au prix du jurypuisque chaque fois que l'un d'entre eux est sélectionné au Festival de Cannes, c'est cetterécompense qu'il obtient. C'était le cas pour « Red Road » (2006), « Fish Tank » (2009) et donc«d American Honey » cette année. Ce road movie de 2h43 décrit les pérégrinations d'unepoignée de jeunes américains qui, sous la férule d'une quasi mère maquerelle (Krystall) et deson agent recruteur Jack, écument en minibus le sud des États-Unis pour y placer desabonnement de revues à des femmes au foyer, retraités, ouvriers de puits de pétrole, etc. Lepersonnage principal, Star, est une adolescente issue d'une famille de petits Blancs qui a étéséduite et entraînée dans cette meute par Jack. Le film évite de nombreux clichés comme celuide la peinture d'un Sud de péquenots bornés et abrutis par la religion, ou le basculement dansun film d'horreur. Il reste centré sur son sujet, c'est-à-dire la description du niveau zéro de laprospection commerciale, dans lequel de jeunes gens, sans statut ni vraie rémunération,pratiquent gaiement un porte à porte peu lucratif. Andrea Arnold sait rester objective tout engardant pour ces nouveaux damnés de la terre un regard à la fois tendre et amusé, le toutbaignant dans l'une des plus belles bandes son blues-rock-rap de l'ensemble des films deCannes.

Xavier Nolan a réussi, en deux ans, à gravir un échelon. Prix du jury en 2014 pour "Mommy",Grand prix pour « Juste la fin du monde », cette année, il ne lui reste plus qu'une étape pourrafler la Palme d'or qu'il convoite si ardemment. Mais si "Mommy" avait su séduire les critiqueset le public, il n'en est pas de même pour « Juste la fin du monde », du moins auprès dumicrocosme cannois. Ce film est une adaptation de la pièce de Jean Luc Lagarce (1957-1995) décrivant le retourdans sa famille de Louis, écrivain célèbre, après 12 ans d'absence et qui ne réussit pas àannoncer aux siens son prochain décès. Xavier Dolan a fait subir à ce drame un traitementpersonnel en enfermant dans une cuisine les acteurs les plus prestigieux du cinéma français(Gaspard Ulliel, Marion Cotillard, Vincent Cassel, Nathalie Baye et Léa Seydoux) pour les filmeren très gros plan. Face à Louis, le visiteur (Gaspard Ulliel) doux et calme, s'agitent les autresmembres de la famille. Ils semblent tous gravement perturbés, avec une mention spéciale àNatalie Bayle (la mère) qui débite compulsivement des phrases sans queue ni tête ainsi quedes tomates et des concombres en rondelles. Elle est uniquement surpassée par VincentCassel (le frère) qui semble désormais ne connaître qu'un registre, celui du colérique au bordde l'explosion. On sort harassé de ce film qui paraît bien long alors qu'il ne dure que 95 mn eton ne comprend pas pourquoi Louis ne décampe pas plus tôt de cet univers de fous. Était-cebien là l'intention de Jean Luc Lagarce ?

L'Iranien Asghar Farhadi, auteur de « Le Client » est reparti avec deux prix : celuid'interprétation masculine, attribué à son acteur fétiche Shahab Hosseini, et celui du scenario.Après « Le Passé » (2013) et « Une séparation » (2011), A. Farhadi revient sur son sujet deprédilection, la fracture du couple homme-femme. Dans le décor d'un appartement transitoirecampent un enseignant (Emad) et son épouse (Rana). Le soir, ils répètent avec d'autresamateurs « Mort d'un Commis Voyageur » d'Arthur Miller. Un jour, Rana est victime d'une chuteen prenant sa douche. Emad veut connaître la cause de cet incident, dû peut être à uneagression. L'obsession du mari entraînera Emad et Rana dans une situation inextricable quisera fatale à leur couple. Depuis l'intriguant « A propos d'Elly » (2009), l’intérêt que l'on pouvait porter aux films d'AsgharFarhadi n'a cessé de baisser. Son approche systématiquement pessimiste et ses constructionsdramatiques, mises au service d'une démonstration finissent par lasser.

Il est difficile de s'intéresser à l'intrigue de « Personal Shopper » d'Olivier Assayas,récompensé par un demi prix de la mise en scène, sauf à être un adepte du spiritismeversion XIX eme siècle, et même s'il s'appuiesur un usage intensif du numérique. Par contre, il est toujours agréable de voir évoluerKristen, avec ou sans robe griffée (c'est d'ailleurs son job dans le film que de choisir lagarde robes d'une mystérieuse patronne), entourée ou non de fantômes et autresectoplasmes. Nous reparlerons plus loin de « Baccalauréat » de Cristian Mungiu, qui a obtenu l'autremoitié du prix de la mise en scène. (À suivre) Palmarès du 69eme festival de Cannes Palme d'or : « Moi, Daniel Blake » de Ken Loach. Grand prix : « Juste la fin du monde » de Xavier Dolan, Prix d'interprétation féminine : Jaclyn Jose dans « Ma' Rosa » de Brillante Mendoza Prix d'interprétation masculine : Shahab Hosseini dans « Le Client » d'Asghar Farhadi. Prix du jury : « American Honey » d'Andrea Arnold. Prix de la mise-en-scène : Ex-æquo entre « Personal Shopper » d'Olivier Assayas et «Baccalauréat » de Cristian Mungiu. Prix du scénario : « Le Client » d'Asghar Farhadi. http://www.festival-cannes.com/fr/palmares/competition-1 Dates de sortie : « Moi, Daniel Blake » : 26 octobre 2016 « Ma' Rosa » : 9 novembre 2016 « Juste la fin du monde » : 21 septembre 2016 «  Le Client » : 9 novembre 2016 « American Honey » : non connu, à ce jour « Personal Shopper » : 19 octobre 2016 « Baccalauréat » : 21 décembre 2016 Chapitre 2 : Cannes aime les femmes de tête Où l'on constate que de nombreux films en compétition avaient pour héroïnes des femmecoriaces Si, à Dieu ne plaise, le Palmarès du Festival de Cannes dépendait du vote du public, commedans certains jeux télévisés, la Palme d'Or aurait été attribuée à « Toni Erdmann » del'Allemande Maren Ade ou bien à « Aquarius » du Brésilien Kleber Mendonaça Filho les deuxfilms ayant été très chaleureusement accueillis par les festivaliers. Il s'agit de deux « feel good movies » (en français, « films qui font du bien ») réalisés par deuxrelativement "jeunes" cinéastes, âgés de 39 ans pour la première et 48 ans pour le second,dont la filmographie, à ce jour, se réduit respectivement à trois et deux longs métrages

« Toni Erdmann » met en scène Inès, une consultante d'un grand cabinet allemand dont lamission est de restructurer des entreprises minières roumaines pour le compte de leurpropriétaire, un holding américain. Elle vit à Bucarest. Son père, vieux baba cool retraité d'unmétier improbable (animateur de noces et banquets ? marchand de farces et attrapes?)débarque chez elle avec ses postiches de pitre et ses boites à pets pour mettre un peud'animation dans la vie de sa fille qu'il juge trop coincée. Il réussit à la faire sortir de son carcanet surtout à lui donner un coup de main pour résoudre une difficulté professionnelle. A la fin,tout le monde est heureux. Inès a changé de job. Elle ne travaille plus pour le même employeur.Elle est passée chez un concurrent et vit à Singapour. Car « Toni Erdmann » n'est ni du FrankCapra ni du Coline Serreau. Il reste dans le monde du business sans âme ni frontière.

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Aquarius est centré sur la vie de Clara, journaliste retraitée qui vit à proximité de la plage àRecife dans un charmant immeuble déserté par tous ses occupants, sauf elle. Les autrespropriétaires ont cédé aux propositions financières d'un promoteur qui veut raser la maison pourla remplacer par une résidence de standing. Clara résiste aux mille misères que lui fait subir lepromoteur et à la pression de ses enfants qui voudraient bien profiter d'une partie de la ventede l'appartement. Clara contre-attaque. La fin assez ouverte suggère qu'elle va l'emporter. Lepersonnage de Clara est interprété par la grande actrice Sonia Braga (« Le Baiser de la FemmeAraignée », « Dona Flor et ses deux maris », etc.) qui l'incarne de manière si peu distanciéeque l'on se demande parfois si l'on regarde une fiction ou un reportage chez la star. On le voit, les héroïnes qui ont fait vibrer le public cannois se battent pour la défense de leurbien être individuel. Adieu, les Jeanne d'Arc, Louise Michel, Simone Weil et autres icônes qui sesacrifièrent pour une cause qui les dépassaient et bienvenue aux lionnes post-modernes aussiféroces que des mâles.

Michèle, le personnage principal de « Elle » de Paul Verhoven, interprété par Isabelle Hupertappartient à cette même catégorie, même si, au départ, elle est victime d'un viol qui se reproduità plusieurs reprises au cours du récit. Quand Michèle ne dirige pas (d'une main de fer) sonentreprise de création de jeux vidéo, elle pratique dans la vie de tous les jours un jeu moinsvirtuel et plus dangereux consistant à manipuler tout son entourage, ex-mari, fils, amant,collaborateurs et même son agresseur ! En filigrane, revient à la surface le souvenir d'un crimeépouvantable commis par son père, trois décennies plus tôt. Le réalisateur plonge Michèle danstout sortes d’événements allant du gravissime au dérisoire : les viols, un passé traumatisant,des complots dans l'entreprise et des soucis domestiques, qui relèvent tantôt du thriller tantôtdu théâtre de boulevard. Il traite ces péripéties dramatiques ou drolatiques avec détachement,aidé en cela par l’interprétation magistrale d'Isabelle Huppert qui aurait mérité un prixd'interprétation. Paul Verhoven, en maître de l’ambiguïté, comme il l'a prouvé en particulierdans « Starship Troopers », aime utiliser le film de genre pour détourner et pervertir sonmessage. Avec « Elle », il se livre à la description ironique d'une société dont les rouages sontmus essentiellement par le sexe et l'argent.

Il y a des fauves en Asie, notamment des tigresses, particulièrement dangereuses. Certainesn'ont pas de fourrure rayée mais portent des robes de soie. Cette réalité semble avoir étéoubliée par les personnages masculins de « Mademoiselle »de Park Chan-Wook, à savoir unbibliophile pervers et tyrannique ainsi qu'un coureur de dot, dit « Le Comte ». Le récit se situeen Corée pendant sa colonisation par le Japon, au début des années trente. Dans un manoird'inspiration mi japonaise, mi victorienne vit Hideko, une jeune héritière séquestrée par sononcle le bibliophile. Elle a pour unique compagnie celle de Sookee, sa servante recrutée par leComte pour l'espionner. Entre ces quatre protagonistes se joue un jeu de séduction, deviolence, d'érotisme et surtout de duperies où les femmes passent du statut de victimes à celuide combattantes. L'intrigue rythmé par une succession de rebondissements évoque une BDpour adulte grâce un décor très présent qui résulte de l'utilisation par le directeur de laphotographie, Chung Chung-Hoon, d'un objectif anamorphique généralement réservé auxgrands espaces. ( À suivre) Dates de sortie : « Toni Erdmann »: 17 août 2016 « Aquarius » : 28 septembre 2016 « Elle » : 26 mai 2016 « Mademoiselle » : 5 octobre 2016 Chapitre 3 : Petite et grande mort chez Guiraudie, fantômes et poésie chez Jarmush Où l'on fait l'éloge d'un film où il ne se passe rien et d'un porno rural qui pourrait être égalementmétaphysique. A Cannes, on voit principalement de bons films, ce qui rend difficile la tâche du jury. Cependant,on constate que de nombreux cinéastes restent prisonniers de leur approche ou de leur style.Quand on voit toutes ces œuvres à la file pendant une période très courte, on ressent unecertaine monotonie et l'on a tendance à être injuste. Une deuxième vision dans des conditionsnormales de sortie corrige souvent un premier jugement négatif. Par contre, certains films s'imposent, quelque fois par surprise, de manière irréfutable, en raisonde leur originalité, de leur pertinence et d'un je ne sais quoi qui provoque cette connivence etcette jubilation que tout spectateur espère. Cette année nous avons été particulièrementimpressionnés par deux œuvres : « Rester vertical » d'Alain Guiraudie et « Paterson » de JimJarmush.

Alain Guiraudie a été longtemps considéré comme un aimable trublion faisant des films sur desgays ni jeunes ni beaux qui parlent avec l'accent rocailleux de l'Aveyron. En sélectionnant sadernière œuvre pour la compétition, le Festival de Cannes a sorti ce réalisateur aussi inventifqu'original du ghetto homo, désormais trop étroit pour lui. Avec « Rester vertical », sans perdreson sens de l'humour et son goût pour les scènes de cul, il poursuit une quête métaphysiquequi était déjà en germe dans « L'inconnu du lac » (2013). Le personnage principal du film est Léo, écrivain à la dérive censé écrire un scénario pour unproducteur à qui il ne cesse de demander des avances. Dans la deuxième partie du film cedernier se met à sa poursuite pour obtenir le script. Au début du récit Léo arpente le causse deLozère, à la recherche d'invisibles loups. Il fait la connaissance d'un étrange duo, Marcel, unvieil agriculteur, et un jeune homme sans attaches, Yoan. Puis, au cours de ses pérégrinationsdans les alpages, il rencontre une jeune bergère, Marie. Il s'installe avec elle chez le père decette dernière, Jean-Louis. De leur union, naît un bébé que Marie s'empresse d'abandonner.Avec son enfant, Léo entame alors une longue errance qui le mène de la Lozère à Brest enpassant par les marais poitevins où officie Mirande, une thérapeute vaguement sorcière.Revenu à son point de départ, laminé et sans argent il reste une courte période chez Marcel.C’est là que se situe une des scènes les plus fameuses du film dont nous ne dirons rien pour nepas gâcher le plaisir du spectateur. Contraint de rendre l'enfant à sa mère qui s'est mis enménage avec Yoan, Léo élit domicile dans la bergerie du père de Marie. La scène finale, quandon voit enfin les loups, est le deuxième sommet du film. Son titre prend alors tout son sens. On peut voir « Rester vertical » comme un récit naturaliste ancré dans le monde rural décrivantle quotidien des éleveurs d'ovins avec toute la précision d'un documentaire et oùl'accouchement de Marie est filmé de la même manière qu'un agnelage. Le film développeégalement d’intéressants points de vue sur des problèmes de société tels que l'existence ounon d'un instinct maternel, la liberté de choisir le suicide assisté, la solitude sentimentale despaysans et la contradiction entre la survie du pastoralisme traditionnel et le retour des loups. Audelà de ces deux lectures, « Rester vertical » prend une dimension mystique qui évoque lePasolini de « Théorème ». De la naissance à la mort, de l'errance à l’enracinement, de lasolitude à la communauté, Guiraudie aborde frontalement le thème de l'homme face au mystèrede la vie. Faute de pouvoir aller plus loin dans son questionnement métaphysique, il proposeune sorte de pacte avec les loups c'est à dire une acceptation de notre part d'animalité.

« Paterson » est le titre du film de Jim Jarmush présenté en compétition cette année. C'estégalement le nom d'une ville du New Jersey, proche de New York. Jadis centre industrielabritant des filatures, cette bourgade aujourd'hui somnole. Paterson est également lepatronyme du personnage principal (Adam Driver) qui vit avec Laura (Golshifteh Farahni),femme au foyer et artiste polymorphe. L'homme est chauffeur de la compagnie urbaine de buset également poète. Pendant son monotone service, il compose des sortes d'haïku qu'ilconsigne sur un petit carnet. Dans ses poèmes, il célèbre les choses simples de la vie commepar exemple la beauté d'une boite d’allumettes de la marque Ohio Blue Tip. Il voue égalementun véritable culte au poète William Carlos Williams (1883-1963) qui vécut à Rutherford, un petitvillage proche de Paterson où il exerça le métier de médecin-pédiatre pendant plus de quaranteans, tout en produisant une importante œuvre littéraire dont un long poème intitulé « Paterson »relatif à l'histoire, la population et l'esprit de cette ville. Le film décrit sept jours de la vie très ritualisée du couple dans sa continuité et sa répétition.Entre le lever et le coucher, il y a le travail de Paterson au volant de son bus, puis lesretrouvailles avec Laura qui ne manque ni de vitalité, ni d'initiative (recouvrir l'appartement demotifs blanc et noir, confectionner des cupcakes pour les vendre au marché du samedi, semettre à la guitare en vue de devenir une star du folk, etc.) Après le dîner, Paterson sort leurchien Marvin, un bulldog anglais blanc, débonnaire et un peu farceur. Il fait une halte dans unpub où il boit une bière en écoutant la conversation des consommateurs. D'un jour à l'autre seproduisent quelques infimes événements qui cassent la routine : une sortie au restaurant et aucinéma pour fêter une rentrée d'argent inattendue, une mauvaise blague de leur chien, unerencontre avec un universitaire japonais... Comme une composition de Terry Riley ou SteveReich, le motif se répété avec d'infimes modifications. Pourtant « Paterson » (le film) n'est pasun mantra filmé, ni un film réaliste. S'il l'était, on aurait quelque raison de ne pas êtreenthousiasmé par ce couple un peu mièvre qui connaît uniquement la douceur et l'harmonie,car on imagine sans peine ce qu'il adviendrait de leur relation, confrontée aux échecs et àl'amertume des ambitions non assouvies. Il n'est pas d'avantage une illustration de la vie etl’œuvre de William Carlos Williams, qui n'était pas un contemplatif mais un écrivain engagé,victime du maccarthysme. Non, il est avant tout un film de fantômes, celui du poète disparu etautres célébrités, dont les photos jaunies ornent les murs du pub que fréquentequotidiennement le héros. Comme dans « La Maison de Nucingen » de Raoul Ruiz (2009), onne sait qui sont les vivants et qui sont les morts. Ce couple irréel, qui fait probablement partiedes seconds, se fond dans le décor sépia d'une ville réduite à une carte postale. Pour Jarmush,au delà des êtres et des choses actuelles, donc mortelles, subsiste leur souvenir magnifié grâceà la littérature. (À suivre) Dates de sortie : « Rester Vertical » : 24 août 2016 « Paterson» : 5 octobre 2016 Chapitre 4: quelques nouveaux talents du cinéma français Où l'on fait part de découvertes cannoises, qui attestent la vitalité et l'inventivité de nos jeunescinéastes. Les films de la compétition officielle du Festival de Cannes monopolisent une grande partie del'attention des médias. Pourtant, ils ne représentent qu'une petite part des longs métragesprojetés pendant la manifestation. Les autres sélections (Un certain regard, la quinzaine desréalisateurs, la semaine de la critique et ACID), sans parler des séances spéciales, permettentde découvrir de nouveaux talents ou des cinéastes confirmés qui, jusqu'à ce jour, n'avait pupénétrer dans la forteresse cannoise. Parmi les films de jeunes réalisateurs français présents dans l'une de ces sélections, nousavons particulièrement apprécié les œuvres d'un réalisateur et de trois réalisatrices, ou plutôtquatre puisque dans le lot il y a deux sœurs.

« Divine » de Houda Benyamina, présenté à la Quinzaine des Réalisateurs a obtenu la Camérad'or, prix réservé à un premier long métrage de fiction. Ce film a fait sensation sur la Croisettegrâce à une réplique d'une chef de bande à l'une de ses complices : « C'est bien, toi, t'as duclitoris ! ». Il décrit les aventures d'une guerrière qui a pour champ de bataille une banlieue oùles caïds sont des femmes. Dounia, l’héroïne de « Divine » refuse l'école et l'avenir désespérantqui l'attend. Délaissant l'amour que lui offre un jeune artiste, elle choisit un parcours encore plusdésespérant, celui de membre d'un gang féminin. Si le film pêche parfois par un manque dedistance vis à vis de ses personnages et de quelques clichés comme celui du tandem de lablack rigolote et de la beur futée, il fait preuve d'une belle énergie et d'un réel sens du tragique.

« Grave » (semaine de la critique) de Julia Ducourneau n'est pas un film de genre mais «transgenre » : à la fois récit d'apprentissage, film d'horreur et plongée dans l'inconscient d'unejeune fille découvrant en elle des pulsions qui l'attirent et la révulsent à la fois. L’héroïne,Justine, se destine à être vétérinaire comme son père, sa mère et sa grande sœur Alexia. Elleintègre la première année de l'école de véto où Alexia est en deuxième année. Là, elle subit lesvexations et brimades d'un bizutage particulièrement rude. Plutôt timide et rangée, elle supportedifficilement ce rite estudiantin et, en particulier, qu'on l'oblige à manger un râble de lapin crualors qu'elle est végétarienne comme le reste de la famille. Cet incident provoquera chez elle ungrand trouble. Elle réalise d'abord qu'elle est en proie à un instinct anthropophage, ensuite quesa sœur est atteinte du même mal. Le cours du film faiblit quelque peu à partir de ce point car ilne choisit pas entre le gore qui ignore la vraisemblance et l'analyse des sentiments de Justinequi, comme le personnage de Sade, doit accepter que son innocence est irrémédiablementperdue. Malgré ces petites maladresses, il faut reconnaître à Julia Ducourneau le courage d'avoir pris lerisque d'aborder, à travers le mythe de l'anthropophagie, un sujet difficile et polémique, celui dela métamorphose des sexualités et des genres.

Les sœurs Coulin (Delphine et Muriel) avaient été remarquées en 2011 pour « 17 filles », filmprésenté à la semaine de la critique, qui racontait la véridique histoire d'un groupe decollégiennes ayant décidé de tomber enceintes la même année. C'est, à nouveau, à partir defaits réels qu'elles ont bâti leur deuxième long métrage, « Voir du Pays » (Un certain regard).Dans ce film, nous apprenons que l'armée française, soucieuse du moral de ses troupes, àl'issue de six mois sur un théâtre d'opération (ici l'Afghanistan), offre à ses soldats (hommes etfemmes) un séjour de trois jours de « sas de décompression » dans un hôtel-résidencetouristique à Chypre. Au lieu de laisser les militaires se détendre tranquillement au bord de lapiscine au milieu des vacanciers, ils sont soumis à une vie de caserne avec des activitésquasi-obligatoires et des réunions de débriefing sur les ratés de certaines missions enAfghanistan, reconstituées par des images de synthèse. Ce film pêche sans doute par la juxtaposition de deux thèmes dont chacun pourrait à lui toutseul nourrirun long métrage. Le premier film traiterait du rapport entre l'image de synthèse et le vécu de lavraie guerre, la représentation virtuelle remplaçant l'expérience réelle dans le souvenir dessoldats. Le second film s’attacherait à l’analyse des relations à l’intérieur d'un groupe mixte dejeunes engagés lequel reproduit au final les mêmes comportements que dans le monde descivils, les hommes ayant tendance à se montrer particulièrement possessifs vis à vis desfemmes. Le premier thème serait, en quelque sorte, un prolongement de « Armadillo » du Danois JanusMetz (semaine de la critique, 2010) qui montrait comment de jeunes militaires engagés enAfghanistan passaient du jeu vidéo au combat sans état d'âme et au prix d'une bavure. Le second, selon nous, aurait mérité d'être d'avantage développé. L'armée étant non seulementréputée muette mais encore pudique, elle ne répond pas à la question qui nous paraît se poserd'évidence : comment des jeunes gens des deux sexes peuvent-ils cohabiter en opération, oùla promiscuité est la règle, sans que se produisent quelques embrasements dictés par la nature?

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Le seul homme de cette sélection, Sacha Wolff, s'intéresse dans « Mercenaire » (quinzaine desréalisateurs) à un sport qui est réputé peu préoccuper la majorité des femmes, le rugby.Quoique… Son héros, Soane, est un Wallisien de Nouvelle Calédonie, recruté par un agentvéreux pour ses qualités physiques et surtout sa robustesse. Il quitte l'Océanie pour lamétropole, bravant ainsi l'autorité de son père. Arrivé dans le Sud Ouest de la France, il estconfronté au racisme ordinaire, à l'univers glauque des clubs de seconde zone. Il se voitcontraint de forcer sa nature douce et paisible pour se faire respecter sur le terrain et à la ville.Sa mutation s'achèvera avec son retour en Nouvelle Calédonie pour une ultime épreuve,affronter son père. Ce film, d'un grand classicisme, relève d'un genre souvent illustré : celui du récit del’apprentissage d'un combattant solitaire, qu'il soit samouraï, cow-boy ou gangsteritalo-américain. Tout en respectant les règles propres à cette catégorie de films, Sacha Wolffapporte sa touche personnelle par une description quasi documentaire de la culture wallisienneet des dessous du monde du rugby. (À suivre) Dates de sortie : « Divines » : 31 août 2016 « Grave » : inconnue à ce jour «  Voir du Pays » : 7 septembre 2016 « Mercenaire» : 25 janvier 2017 Chapitre 5 : Cinéma AOC et cinéma mondialisé Où l'on déguste une sélection des crus 2016 puisée dans cinq traditions cinématographiques. A Cannes, deux formes de cinéma cohabitent, les films AOC et les films mondialisés. Lespremiers viennent d'un pays bien identifié, font appel à des acteurs qui s'expriment dans lalangue de ce pays et racontent des histoires ancrées dans ce territoire. Les seconds emploientdes stars bancables de toute provenance qui jouent en Anglais quel que soit le lieu où se situel'action. L'ambition des réalisateurs de la première catégorie est souvent d'accéder à laseconde. Quelquefois, ils perdent leur âme au passage, comme on a pu le constater avec Olivier Assayas, Denis Villeneuve, Nicolas Winding Refn, Paolo Sorrentino, et bien d'autres. Pourtant, dans toute sa diversité, le cinéma AOC permet d'avoir une vision du mondemoins stéréotypée que celle qui transparaît à travers nos médias. Que connaîtrions nousde l'Iran par exemple sans les films d'Abbas Kiarostami, de Bahman Ghobadi ou de JafarPanahi ? Cette année, les vendanges d'AOC ont été plutôt fructueuses. Nous avons plusparticulièrement apprécié six crus en provenance de Roumanie, d'Iran, du Canada, duJapon et d'Israël.

Avec « Baccalauréat », le chef de file du jeune cinéma roumain, Cristian Mungiu poursuit depuisdix ans sa peinture sans concession de la société de son pays. Romeo est médecin dans unepetite ville de Transylvanie. Eliza, sa fille, est sur le point d’intégrer une université britannique.Pour que son dossier soit accepté, il lui faut une mention au baccalauréat. Ce devrait être enprincipe une formalité car Eliza est une brillante élève. Mais la veille de l'examen, la lycéenneest victime d'une agression au cours de laquelle elle est blessée au bras. Dès lors, il n'est pascertain qu'elle puisse composer dans de bonnes conditions et ainsi obtenir le précieux sésame.Pour qu'Eliza ait la note nécessaire pour la mention, Romeo envisage la corruption et rentre encontact avec un réseau qu'il a soigneusement évité de fréquenter jusqu'ici. A partir de là,plusieurs intrigues s'imbriquent : celle de la tricherie au bac avec ses conséquences indirectessur la vie de Romeo et l'enquête sur l'agression qui réservera quelques surprises. «Baccalauréat » n'est pourtant pas un film policier, ni même un film sur la corruption. Sonvéritable sujet est celui de la perte des illusions et du désenchantement de la génération qui acru aux promesses de l'après Ceaușescu. Hugo regrette d'avoir quitté l'Europe occidentale audébut des années quatre vingt dix pour bâtir la nouvelle Roumanie. Il ne croit plus en l'avenir deson pays et met tout en œuvre pour que sa fille vive sa vie ailleurs.

Comme le précédent, « Inversion » (Un certain regard) de l'Iranien Behnam Behzadi, est un filmde dilemme. Nifobar est une femme de trente cinq ans. Elle vit à Téhéran avec sa mère qui estmalade. Cette dernière doit s'établir à la campagne, à quelques centaines de km de la capitale,car la pollution de l'air qui y sévit peut lui être fatale. Les frères de Nifobar décrètent que leursœur doit accompagner sa mère et donc abandonner ses activités dans la capitale. Partir, ourester et affronter sa famille, sont les termes du choix que doit faire l'héroïne. Au cours desdifférentes péripéties du récit, ressurgissent quelques vérités enfouies qui ne relèvent pas dudomaine de l'amour filial mais plutôt d'une tentative de captation d'héritage.Enfin un film iranien qui ne nous parle ni de mollahs, ni de morale, ni de religion, mais dequerelles familiales à propos de fric !

Xavier Dolan n'a pas été le seul cinéaste québécois présent sur la croisette. On a pu égalementy rencontrer Kim Nguyen, l'auteur de « Two Lovers and a Bear » (quinzaine des réalisateurs)qui décrit les amours tumultueuses de Roman et Lucy, dans une petite bourgade de l’extrêmeNord Canadien. Le garçon est un brave gars typique du coin qui pratique la cuite de samedi soiravec ses deux corollaires, la bagarre et le séjour en cellule de dégrisement. Lucy est plus futée.Elle veut faire des études dans la plus proche ville du secteur, à quelque mille km de leurvillage. Mais surtout, elle désire quitter ce lieu auquel est attaché un terrible secret qui la ronge.Roman ne peut se résigner à la laisser partir seule. Ils prennent ensemble la direction du Sud àbord de deux motoneiges, dans la solitude glacée de l’arctique. Cette histoire d'amour banale et tragique est tempérée pas les commentaires pleins d'humouret de bon sens d'un ours blanc. Le film vaut à la fois par la description truculente de la vie deshabitants de cette région extrême et par la beauté de son décor naturel.

Depuis environs 15 ans, on a constaté que le festival de Cannes ne pouvait se tenir sans laprésence d'au moins l'un des trois mousquetaires du cinéma japonais (Hirokazu Kore-Eda, Kiyoshi Kurosawa et Naomi Kawase). Il semble désormais nécessaire qu'au trio initial de quinqua et quadragénairessoit ajouté Kôji Fukada, né en 1980. Il s'était fait connaître en 2013 pour la chronique douce amère d'un retour au pays, « Au revoirl'été ». Pour sa première sélection au Festival de Cannes (Un certain regard), Kôji Fukadafrappe fort avec « Harmonium ». C'est un film que l'on ne raconte pas car il vaut mieuxpénétrer vierge de toute information dans ce récit qui change de registre et de climat en troisétapes. Disons simplement que cela débute dans une famille (père, mère et fille) de la petitebourgeoisie japonaise de banlieue, au milieu des années soixante dix. Un jour survient unvisiteur, vieille connaissance du mari... Sans doute dans un souci de parité, « Un certain regard » a sélectionné deux films venantd’Israël, le premier réalisé par une Palestinienne, le second par un Israélien. Tous deux ciblentla même réalité politique et militaire, tout en décrivant un groupe disloqué que l'on continue àappeler famille.

« Personal Affairs » de Maha Haj, (ex directrice artistique dans les films de d'Elia Suleiman) seprésente comme une chronique d'une famille éclatée. Les parents vivent à Nazareth (en Israël),deux enfants à Ramallah (en Cisjordanie) et l’aîné en Suède. Il leur est plus facile de se retrouver chez l’aîné qu'en Palestine. Le récit enchaîne des scènes d'un drôleriemélancolique, un peu à la manière d'Elia Suleiman. Il bascule vers la fin dans l'absurde quandle fils de Ramallah et sa copine, pour un comportement un peu énervé à un check point, sontconduits au poste où ils donnent à leurs geôliers une démonstration de tango, leur seuleréponse à l'arbitraire et à la bêtise.

Dans « Beyond The Mountains and Hills », l'Israëlien Eran Kolirin, auteur de « La Visite de laFanfare » (Un certain regard, 2007), s'intéresse à une famille citadine dont le père David vientde prendre sa retraite, après 27 ans de service dans l'armée. Tandis que le jeune retraité tentede trouver sa place dans une société dont il ne connaît pas les codes, sa femme Rina et leursdeux adolescents (une fille, Yifat et un garçon Oumri) mènent, à son insu, une vie où latransgression est la règle. Rina, qui est enseignante, a une courte liaison avec un élève, lequels'empresse de diffuser le film de leurs ébats sur les réseaux sociaux. Oumri venge de manièreradicale l'honneur de la famille. Quant à Yifat, elle est séduite par un Arabe qui tente de l'utiliserdans une action terroriste. A la fin, ce qui relève de la justice restera caché et ce qui relève de lasphère privé sera oublié Ils peuvent alors, tous ensemble, assister à un concert de ShlomoArtzi, leur seul remède au désespoir. FIN Dates de sortie « Baccalauréat » : 21 décembre 2016 « Inversion (Varoonegi) » : inconnue à ce jour « Two Lovers and a Bear » : inconnue à ce jour « Harmonium » : inconnue à ce jour « Personal Affairs » : inconnue à ce jour « Beyond The Mountains and Hills » : inconnue à ce jour

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