Dorothée Goetz To cite this version
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La reacutevision en mategravere peacutenaleDorotheacutee Goetz
To cite this versionDorotheacutee Goetz La reacutevision en mategravere peacutenale Droit Universiteacute de Strasbourg 2015 FranccedilaisNNT 2015STRAA036 tel-01812090
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La faculteacute nrsquoentend donner aucune approbation ni improbation aux opinions eacutemises dans les
thegraveses Ces opinions doivent ecirctre consideacutereacutees comme propres agrave leur auteur
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A mes parents
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Remerciements
Je remercie vivement ma directrice de thegravese Madame Veacuteronique Jaworski pour sa
disponibiliteacute sa patience et ses preacutecieux conseils qui furent deacuteterminants pour lrsquoavancement et
la reacutealisation de cette thegravese Jrsquoai eacuteteacute extrecircmement sensible agrave ses qualiteacutes humaines drsquoeacutecoute et
de compreacutehension tout au long de ce travail
Je souhaiterais exprimer ma tregraves sincegravere gratitude agrave Madame le Professeur Jocelyne Leblois-
Happe co-directrice de thegravese pour ses preacutecieux conseils et son aide Que ces lignes soient
lrsquoexpression de ma reconnaissance et de mon estime agrave son eacutegard
Jrsquoadresse encore mes plus vifs remerciements agrave mes amis pour leur amitieacute indeacutefectible leur
preacutesence et leurs encouragements
Enfin je ne peux clore ces remerciements sans mentionner mes parents pour leur soutien
inconditionnel
5
Principales abreacuteviations
Aff Affaire
AJDA Lrsquoactualiteacute juridique du droit administratif
AJ Peacutenal Actualiteacute juridique Peacutenal
Al Alineacutea
Art Article
Bull civ Bulletin des arrecircts des chambres civiles de la Cour de cassation
Bull crim Bulletin des arrecircts de la chambre criminelle de la Cour de cassation
Bull Joly Bulletin mensuel Joly drsquoinformation des socieacuteteacutes
C contre
CA Cour drsquoappel
Cass civ Cour de cassation chambre civile
Cass crim Cour de cassation chambre criminelle
CE Conseil drsquoEtat
CEDH Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme
Ch Chambre
Chap Chapitre
Chron Chronique
CIC Code drsquoinstruction criminelle
CJCE Arrecirct de la Cour de Justice des Communauteacutes europeacuteennes
CJM Code de justice militaire
Coll Collection
Comm Commentaire
Comm rev Commission de reacutevision
Concl Conclusions
6
Cons Const Conseil constitutionnel
CP Code peacutenal
CPP Code de proceacutedure peacutenale
D Recueil Dalloz
DC Deacutecision du Conseil constitutionnel
Deacutec Deacutecision
Dir Sous la direction de
DP Dalloz Peacuteriodique
DS Dalloz-Sirey
Doc Document
Ed Edition
Fasc Fascicule
Gaz Pal Gazette du Palais
Ibid Ibidem
Id Idem
IR Informations rapides
J Jurisprudence
JO Journal officiel
JCP Juris-classeur peacuteriodique (Semaine juridique)
LGDJ Librairie geacuteneacuterale de droit et de jurisprudence
N Numeacutero
7
Obs Observations
Op cit Opus citatum (ouvrage preacuteciteacute)
P Page
PUF Presses Universitaires de France
Rec Recueil
Reacutep Reacutepertoire
RIDP Revue internationale de droit peacutenal
RSC Revue de sciences criminelles
RTDCiv Revue trimestrielle de droit civil
RTDH Revue trimestrielle des droits de lrsquohomme
S Suivant(e)s
Somm Sommaire
Speacutec Speacutecialement
T Tome
TGI Tribunal de grande instance
TIPY Tribunal peacutenal international pour lrsquoex-Yougoslavie
Trad Traduction
Vol Volume
8
Sommaire
PREMIERE PARTIE
LA REVISION DE 1989 A REVISER UNE NECESSITE
TITRE 1 UNE APPROCHE TROP RESTRICTIVE DE LA REVISION
CHAPITRE 1 LA CONCILIATION POSSIBLE DE LrsquoAUTORITE DE LA CHOSE
JUGEE ET DE LA REVISION
CHAPITRE 2 LA CONCILILATION DE LrsquoAUTORITE DE LA CHOSE JUGEE ET DE
LA REVISION UN CHOIX NON RETENU EN 1989
TITRE 2 DES IMPERFECTIONS STRUCTURELLES ET CONJONCTURELLES
CHAPITRE 1 LES DIFFICULTES STRUCTURELLES
CHAPITRE 2 LES DIFFICULTES CONJONCTURELLES
SECONDE PARTIE
LA REVISION REVISEE DE 2014 UNE DECEPTION
TITRE 1 UNE REFORME INACHEVEE
CHAPITRE 1 UNE NOUVELLE STRATEGIE LEGISLATIVE DE LUTTE CONTRE
LrsquoERREUR JUDICIAIRE
CHAPITRE 2 LE MAINTIEN DrsquoUNE APPROCHE TROP RESTRICTIVE DE LA
REVISION
TITRE 2 UNE REFORME A PARACHEVER
CHAPITRE 1 LA RESOLUTION DES DIFFICULTES STRUCTURELLES ET
CONJONCTURELLES PERSISTANTES
CHAPITRE 2 LE CAS DrsquoOUVERTURE A REVISION REVISITE PAR UNE APPROCHE
MODERNE DE LrsquoAUTORITE DE LA CHOSE JUGEE
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laquo Srsquoil nrsquoest pas de mission plus haute que
celle de rendre la justice il nrsquoen est pas
de plus peacuterilleuse raquo1
1 L JARDIN Les erreurs judiciaires et leur reacuteparation Thegravese dactylographieacutee Caen 1897 p 1
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INTRODUCTION GENERALE
1 laquoDa mihi factum dabo tibi jusraquo A la lecture de ce bel adage le juge demande au
justiciable de faire lrsquoexposeacute des faits agrave lrsquoorigine du litige en lui promettant en contrepartie
drsquoappliquer les regravegles de droit adeacutequates1 Cet eacutechange de bons proceacutedeacutes teacutemoigne de lrsquoideacutee a
priori rassurante qursquoune deacutecision judiciaire degraves lors qursquoelle est revecirctue de lrsquoautoriteacute de la
chose jugeacutee est la traduction sinon de la veacuteriteacute2 du moins de ce qui est juste3 Lrsquoautoriteacute de
la chose jugeacutee est un concept geacuteneacuteral du droit applicable agrave tous les contentieux4 preacutesenteacute de
maniegravere iteacuterative comme devant reacutepondre agrave une exigence de stabiliteacute et de seacutecuriteacute5
Couramment ce concept est deacutefini comme le point final du parcours judiciaire agrave lrsquoissue drsquoun
procegraves ougrave les parties ont eacutepuiseacute les voies de recours ou laisseacute srsquoeacutecouler les deacutelais leacutegaux pour
les exercer6 Les deacutecisions deviennent donc agrave un moment donneacute irreacutevocables et acquiegraverent le
1 J BORE Da mihi factum dabo tibi jus une philosophie du procegraves toujours drsquoactualiteacute JCP G 2009 ndeg 41 p 319 2 Sur le sens du terme veacuteriteacute V G DALBIGNAT DEHARO Veacuteriteacute scientifique et veacuteriteacute judiciaire en droit priveacute LGDJ Coll Bibliothegraveque de lrsquoInstitut Andreacute Tunc 2004 ndeg 5 et s J PRONIER La proceacutedure de reacutevision et lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee obs sous cass crim 20 juillet 2011 ndeg 10-87326 AJ Peacutenal 2011 p 474 laquo Les notions dautoriteacute de la chose jugeacutee et darrecirct deacutefinitif deacutemontrent que notre systegraveme judiciaire considegravere leacutepuisement des voies de recours comme marquant du sceau de la veacuteriteacute la derniegravere deacutecision rendue raquo 3 Sur la distinction du juste et du vrai V G DALBIGNAT-DEHARO Veacuteriteacute scientifique et veacuteriteacute judiciaire en droit priveacute LGDJ Coll Bibliothegraveque de lrsquoInstitut Andreacute Tunc 2004 p 195-241 4 R GASSIN laquo Autoriteacute de la chose jugeacutee raquo in Dictionnaire des sciences criminelles dir G LOPEZ et S TZITZIS Paris Dalloz 2004 p 96 5 J-P DINTILHAC La veacuteriteacute de la chose jugeacutee in Rapport annuel 2004 de la Cour de cassation La veacuteriteacute La documentation franccedilaise p 57 laquo Regravegle [hellip] destineacutee agrave assurer la stabiliteacute du droitraquo C MATHON Note technique relative agrave la reacutevision des deacutecisions peacutenales deacutefinitives disponible sur httpwwwclaudemathonfrpublicNote_sur_la_procedure_de_revisionpdf p 1 laquo un impeacuteratif de seacutecuriteacute et de stabiliteacute des situations juridiquesraquo K NAJARIAN Lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee au criminel sur le criminel Paris LGDJ Bibliothegraveque de sciences criminelles 1973 p 2 laquo Il est de lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral que les procegraves relatifs agrave la mecircme cause ne recommencent pas toujours Il en est de mecircme de la seacutecuriteacute des relations juridiques qui exigent que les jugements deacutefinitifs ne puissent ecirctre remis en question raquo 6 B BOULOC Proceacutedure peacutenale Dalloz 24egrave eacuted 2014 p 949 R MERLE et A VITU Traiteacute de droit criminel Proceacutedure peacutenale Paris Cujas 5egraveme eacuted 2001 ndeg 885 P BOUZAT et J PINATEL Traiteacute de droit
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Graal de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee1 Sont deacutesigneacutes par cette expression laquo lrsquoensemble des
effets attacheacutes agrave la deacutecision juridictionnelle telle la force de veacuteriteacute leacutegale raquo2 ou encore
lrsquoautoriteacute laquo attacheacutee agrave un acte de juridiction servant de fondement agrave lexeacutecution forceacutee du
droit judiciairement eacutetabli et faisant obstacle agrave ce que la mecircme affaire soit agrave nouveau porteacutee
devant le juge raquo3
2 Crsquoest ainsi qursquoen 1851 il a eacuteteacute admis que laquo gracircce aux garanties que les lois peacutenales
franccedilaises ont creacuteeacutees au profit des accuseacutes la condamnation drsquoun innocent est devenue
aujourdrsquohui quasi impossible raquo4 Toutefois la deacutecision deacutefinitive du juge qui est agrave la
recherche drsquoun regraveglement entre les faits qui lui sont soumis et le droit mis agrave sa disposition ne
peut ecirctre consideacutereacutee comme infaillible5 En effet la veacuteriteacute judiciaire6 baseacutee sur lrsquointime
conviction du juge7 ne peut ecirctre que relative8 Monsieur le Professeur HUGONET souligne
que laquo dans tous les pays du monde la somme des angles drsquoun triangle est eacutegale agrave deux angles
droits Il nrsquoen est pas de mecircme dans les sciences du reacuteel ni surtout dans les sciences
normatives fondeacutees sur les jugements de valeur comme la morale le droit la politique raquo9 A
cela srsquoajoute que le deacuteploiement de lrsquoeffort de veacuteriteacute se diffeacuterencie en fonction des eacutetapes de
peacutenal et de criminologie Proceacutedure peacutenale tome 2 Paris Dalloz 2egraveme eacuted 1970 ndeg 1055 M-L RASSAT Proceacutedure peacutenale Paris PUF Droit fondamental 2egraveme eacuted 2002 ndeg 496 1 F HEacuteLIE Traiteacute de lrsquoinstruction criminelle ou theacuteorie du code drsquoinstruction criminelle Paris Henri Plon 2egraveme eacuted 1866 tome 3 2e partie p176 laquo Lautoriteacute des jugements nexiste que parce quils sont inattaquables toute leur souveraineteacute reacuteside dans leur fixiteacute Quel serait le sort des citoyens si leurs inteacuterecircts perpeacutetuellement agiteacutes ne trouvaient dans les jugements aucune garantie durable Quelle serait leur seacutecuriteacute sils ny rencontraient pas un refuge assureacute contre les poursuites dont ils pourraient faire lobjet Et la justice elle-mecircme quelle serait sa force si des deacutecisions neacutetaient revecirctues que dune autoriteacute contestable La justice a rempli sa mission lorsque le preacutevenu a subi leacutepreuve du jugement [hellip] Lexception constitue en second lieu une regravegle de la deacutefense Est-ce que la position de laccuseacute peut demeurer perpeacutetuellement incertaine [hellip] Ne faut-il pas un terme agrave toutes les poursuites et ce terme nest-il pas dans le jugement qui a prononceacute sur laction raquo 2 G CORNU Vocabulaire juridique eacutedition PUF Vendocircme 2014 10eme eacutedition Vdeg Chose jugeacutee 3 Lexique des termes juridiques dir S GUINCHARD et G MONTAGNIER 2010 Dalloz Vdeg Chose jugeacutee 4 Citeacute par E DE VALICOURT Lrsquoerreur judiciaire eacuted LrsquoHarmattan 2006 p 121 5 JF CESARO Le doute en droit priveacute Paris eacuted Pantheacuteon Assas 2003 ndeg 69 V HUGO Les miseacuterables T1 Le livre de poche Les classiques de poche 1998 p 376 laquo Crsquoeacutetait une vaste enceinte agrave peine eacuteclaireacutee tantocirct pleine de rumeur tantocirct pleine de silence ougrave tout lrsquoappareil drsquoun procegraves criminel se deacuteveloppait avec sa graviteacute mesquine et lugubre au milieu de la foule [hellip] De tout cela se deacutegageait une impression austegravere et auguste car on y sentait cette grande chose humaine que lrsquoon appelle la loi et cette grande chose divine que lrsquoon appelle la justice raquo 6 Pour une approche juridique de la veacuteriteacute judiciaire V G DALBIGNAT-DEHARO op cit p 16-43 Pour une approche philosophique V T PECH laquo Gide Mauriac Giono Lrsquohomme de lettres aux assises raquo Histoire de la justice ndeg 13 2001 p 193-211 7 S GUINCHARD et J BUISSON Proceacutedure peacutenale Paris Litec 10egraveme eacuted 2014 ndeg 519 F HELIE Traiteacute de lrsquoinstruction criminelle ou theacuteorie du code drsquoinstruction criminel op cit t IV ndeg 1764 et s R MERLE et A VITU Traiteacute de droit criminel t II op cit ndeg 132 8 L LETURMY La recherche de la veacuteriteacute et le droit peacutenal Thegravese Poitiers 1995 p 156 M WEBER Sociologie du droit PUF 1986 p 234 B EDELMAN laquo Le droit les vraies sciences et les fausses sciences raquo in Droit et sciences Arch Phil Dr 1991 p 55 9 P HUGONET La veacuteriteacute judiciaire Paris Litec 1986 p 21 et s
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la proceacutedure peacutenale La laquo certitude policiegravere raquo1 nrsquoa pas la mecircme intensiteacute que la veacuteriteacute
judicaire Ce nrsquoest qursquoau stade du jugement deacutefinitif que srsquoappreacutecie lrsquoexpression la plus
aboutie de la veacuteriteacute judiciaire consacreacutee par lrsquoonction de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee Crsquoest
pourquoi laquo au fur et agrave mesure que le procegraves peacutenal progresse la veacuteriteacute judiciaire apparaicirct
logiquement en termes plus preacutecis et plus absolus raquo2 Il en ressort que face agrave la relativiteacute de
cette veacuteriteacute FAUSTIN-HELIE preacutefegravere utiliser le terme de laquo certitude raquo3 en reacutefeacuterence agrave la
conviction du juge chargeacute de trancher le litige4
3 Toutefois srsquoagissant de veacuteriteacute judiciaire ou de certitude de la deacutecision deacutefinitive il
nrsquoen demeure pas moins vrai qursquoun paradoxe existe En effet alors que la dureacutee de la quecircte de
la veacuteriteacute judiciaire ou de la certitude peut ecirctre infinie il faut bien que les procegraves aboutissent
un jour agrave une deacutecision deacutefinitive qui clocircture et apure le litige5 La mission de la justice qui
poursuit lrsquoobjectif de mettre fin aux litiges6 se reacutevegravele dans lrsquoeacutetymologie du terme laquo arrecirct raquo
laquo Lrsquoarrecirct nrsquoa en effet drsquoautre vocation que drsquoarrecircter le litige raquo7
4 Degraves lors la vision quelque peu utopique de lrsquoadage latin laquo da mihi factum dabo tibi
jus raquo doit ecirctre relativiseacutee du fait qursquoune deacutecision deacutefinitive ne constitue pas une garantie
exclusive de veacuteriteacute Crsquoest pourquoi Monsieur le Professeur Philippe CONTE considegravere qursquo
laquo il faut sans doute repenser les finaliteacutes du procegraves peacutenal puisquil nest plus acquis quelles se
ramegravenent agrave la deacutecouverte de la veacuteriteacute Le modegravele europeacuteen privileacutegie en effet leacutegaliteacute des
armes de telle sorte que le reacutesultat du procegraves est secondaire et avec lui la question de
ladeacutequation de la veacuteriteacute judiciaire avec la veacuteriteacute des faits la prioriteacute est le rite proceacutedural
investi dune valeur en soi La deacutefinition du bien juger en est remise en cause ce nest pas
reacuteveacuteler la veacuteriteacute cest conduire la proceacutedure comme il le faut (hellip) raquo8
1 Expression emprunteacutee agrave P BOLZE in P BOLZE Le droit agrave la preuve contraire en proceacutedure peacutenale Thegravese Nancy 2 2010 p 5 2 P RAVIER Veacuteriteacute et veacuteriteacute judiciaire revue de la gendarmerie nationale 2egraveme trimestre 1976 ndeg 108 p 23 citeacute par P BOLZE op cit p 6 3 F HELIE op cit t 4 ndeg 1759 p 324 4 P THERY Les finaliteacutes du droit de la preuve en droit priveacute Droits ndeg 23 1996 p 48 5 P RICOEUR laquo Lrsquoacte de juger raquo in Le Juste tome 1 Paris Esprit 1995 (reacuteimpression 2001) p 185 MAFRISON-ROCHE laquo Les offices du juge raquo in Ecrits en hommage agrave J Foyer Paris PUF 1997 p 463 6 J LELIEUR La regravegle ne bis in idem du principe de lautoriteacute de la chose jugeacutee au principe duniciteacute daction reacutepressive eacutetude agrave la lumiegravere des droits franccedilais allemand et europeacuteen Thegravese Paris 1 2006 p 87 laquo Pour reacutesoudre les litiges la justice doit trancher Crsquoest le rocircle de la deacutecision de justice qui en mateacuterialisant le verdict du juge parvient agrave clore les litiges raquo 7 Ibid p 85 8 P CONTE Les propositions du preacute-rapport du comiteacute de reacuteflexion sur la justice peacutenale Dr peacutenal 2009 ndeg6 eacutetude 11
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5 Aussi au nom drsquoune laquo justice juste1 raquo apparaicirct-il indispensable qursquoune deacutecision
mecircme deacutefinitive puisse ecirctre contesteacutee Cette remise en cause permet au justiciable
injustement condamneacute drsquoobtenir une reacuteparation morale et mateacuterielle et autorise le
deacuteclenchement drsquoeacuteventuelles poursuites contre le veacuteritable coupable
6 Il en ressort qursquolaquo il y a quelque chose de supeacuterieur au principe de lrsquoautoriteacute de la
chose jugeacutee crsquoest la justice elle-mecircme raquo2 Cette forte affirmation qursquoil convient
drsquoappreacutehender avec circonspection a toutefois lrsquoavantage de mettre lrsquoaccent sur la singulariteacute
de la reacutevision tirailleacutee entre laquo le juste et lrsquoutile3 raquo De fait lrsquoarticle 622 du Code de proceacutedure
peacutenale dispose laquo La reacutevision dune deacutecision peacutenale deacutefinitive peut ecirctre demandeacutee au beacuteneacutefice
de toute personne reconnue coupable dun crime ou dun deacutelit lorsque apregraves une
condamnation vient agrave se produire un fait nouveau ou agrave se reacuteveacuteler un eacuteleacutement inconnu de la
juridiction au jour du procegraves de nature agrave eacutetablir linnocence du condamneacute ou agrave faire naicirctre un
doute sur sa culpabiliteacute raquo
7 Face agrave cette particulariteacute il est indispensable avant toute deacutemonstration de mettre
en relief la singulariteacute de la reacutevision en matiegravere peacutenale (sect1)
8 Cette deacutemarche montre que la reacutevision nrsquoa pas toujours eacuteteacute admise par le droit
franccedilais Lrsquoaptitude drsquoun systegraveme judiciaire agrave reconnaicirctre la faillibiliteacute de ses deacutecisions
deacutefinitives est eacutetroitement lieacutee au modegravele de gouvernance deacutemocratique4 Selon Maicirctre Jean-
Denis BREDIN laquo lrsquoerreur judiciaire est en effet un concept qui ne peut exister que dans les
pays deacutemocratiques car pour eacuteclater elle a besoin drsquoun environnement judiciaire particulier
une Justice qui se donne pour but de rechercher la veacuteriteacute avec un minimum de garanties pour
les liberteacutes individuelles La remise en cause des deacutecisions judiciaires doit toutefois ecirctre
lrsquoexception pour ne pas risquer de discreacutediter la justice drsquoougrave lrsquoinstauration du recours en
1 Expression emprunteacutee agrave Y JEANCLOS in Injuste justice La dynamique peacutenale du XXIegraveme siegravecle LexisNexis 2013 p 27 et s 2 V ACHALME Des indemniteacutes agrave allouer aux victimes drsquoerreurs judiciaires Thegravese Lyon 1912 p 10 3 Y BONGERT Le juste et lutile dans la doctrine peacutenale dAncien Reacutegime 1982 Arch de philo du droit p 291 et s J TOUZET Le concept dutiliteacute fondement de la justice peacutenale Rev peacutenit et dr peacuten 1989 II p160 L MUCCHIELLI Criminologie hygieacutenisme et eugeacutenisme en France (1870-1914) deacutebats meacutedicaux sur leacutelimination des criminels reacuteputeacutes laquo incorrigibles raquo Rev dhist des Sciences humaines III 2000 p 85 P AUDEGEAN Les Lumiegraveres du peacutenal Revue de lrsquoinstitut Rhocircne Alpin de Sciences criminelles ndeg1 LrsquoHarmattan p 23 laquo Pour Beccaria la justice et le droit sont en effet ancreacutes dans la quecircte humaine de lrsquoutile leurs principes sont donc toujours justifieacutes en derniegravere analyse par des consideacuterations utilitaires raquo 4 J DANET Relire laquo la politique criminelle des Etats autoritaires raquo in Le champ peacutenal meacutelanges en lrsquohonneur du Professeur R Ottenhof Dalloz 2006 p 37 spec p45 laquo Lagrave ougrave la mission deacutelicate drsquoun gouvernement libeacuteral nous dit Donnedieu de Vabres est de concilier deux inteacuterecircts leacutegitimes celui de lrsquoEtat qui a inteacuterecirct agrave la rapiditeacute de la proceacutedure et celui de lrsquoindividu qui tient agrave la seacutecuriteacute de son droit lrsquoEtat autoritaire ne voit pas de conflit le caractegravere absolu de la souveraineteacute exclut entre lrsquoindividu et lrsquoEtat toute deacutelimitation de sphegraveres juridiques raquo
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reacutevision un tel preacutealable ne pouvant se concevoir dans les pays ougrave la justice est au service du
pouvoir exeacutecutif Si elle reconnaissait ses erreurs elle mettrait alors directement en cause le
systegraveme politique qursquoelle a pour but essentiel de proteacuteger raquo1 En outre lrsquoeacutetat actuel du droit de
la reacutevision est le fruit drsquoune eacutevolution historique tirailleacutee degraves son origine entre lrsquoexigence
drsquoune justice en quecircte de la veacuteriteacute et la neacutecessaire garantie de la stabiliteacute des deacutecisions
deacutefinitives
9 CARBONNIER formule dans son ouvrage laquo Droit et passion du droit sous la Vegraveme
reacutepublique raquo lrsquoideacutee qui constitue la trame de cette thegravese laquo Il a toujours eacuteteacute difficile de
deacutecouper lrsquohistoire en peacuteriodes ceux qui sont teacutemoins drsquoun eacutevegravenement dramatique sont
prompts agrave le qualifier drsquohistorique et agrave srsquoeacutecrier tel Goethe agrave Valmy que rien ne sera plus
comme avant En fait souvent les peacuteriodes srsquoemboitent les unes dans les autres et le futur
trainera longtemps des paillettes du passeacute Crsquoest vrai en geacuteneacuteral mais davantage encore quand
le droit est en cause Car si le droit ce peut ecirctre la promulgation drsquoun texte donc une date qui
marque une franche coupure ce sont aussi des applications qui srsquoeacutetirent dans le temps des
coutumes qui se perpeacutetuent par drsquoimperceptibles reacutepeacutetitions raquo2 Toute reacuteflexion sur la reacutevision
exige donc de bien comprendre lrsquoeacutevolution historique de cette proceacutedure (sect2)
sect 1 La singulariteacute de la reacutevision en matiegravere peacutenale
10 Certaines deacutecisions deacutefinitives controverseacutees ont marqueacute lrsquoopinion publique3
Ainsi les affaires SEZNEC4 et RANUCCI5 suscitent encore des interrogations alors que la
reacutevision leur a eacuteteacute refuseacutee Dans drsquoautres cas la reacutevision a permis la reconnaissance de
lrsquoerreur judiciaire Il est donc indispensable de deacutefinir cette voie de recours extraordinaire qui
se distingue drsquoautres institutions et voies de recours Sa singulariteacute se manifeste tant au niveau
1 J-D BREDIN Justices ndeg 5 Dalloz 1997 p 163 2 J CARBONNIER Droit et passion du droit sous la Vegraveme reacutepublique Flammarion 2006 p 1 3 M-H RENAUT Reacutevision et reacuteexamen les condamnations sont de moins en moins deacutefinitives Petites affiches 18 mars 2003 p6 L BOLTANSKI Affaires scandales et grandes causes De Socrate agrave Pinochet Stock 2007 p 462 et s 4 1923 Deacutebut de lrsquoaffaire SEZNEC JCP G 2007 ndeg1 ndeg hors-seacuterie sommaire laquo Denis Seznec dans sa deacutefense acharneacutee de la meacutemoire de son grand-pegravere a transformeacute peu agrave peu lhistoire individuelle dun damneacute judiciaire en un combat symbolique pour la justice En demandant agrave linstitution judiciaire de rendre compte de son erreur il la reacuteinvestit dans sa fonction cathartique Cette affaire est caracteacuteristique du sentiment diffus chez nos concitoyens des vertus theacuterapeutiques du procegraves peacutenal Ny-a-t-il pas dans ce patheacutetique appel au juge de la part de la famille Seznec lexpression dun ideacuteal de justice dont les juges sont comptables dans une socieacuteteacute deacutemocratique Plus de quatre-vingt-trois ans apregraves les faits neacutetait-ce pas le seul enjeu du procegraves Seznec pour une opinion publique convaincue depuis longtemps agrave tort ou agrave raison de linnocence de Guillaume Seznec raquo 5 M DELMAS-MARTY laquoMort de la peine de mort raquo Libre propos JCP G 2007 ndeg 13 act 142 laquo Le problegraveme dune exeacutecution sil se posait ne peut concerner que des individus dont on est certain quils ont bien commis les faits quon leur reproche (raison pour laquelle quelle que soit le caractegravere farfelu de cette histoire de pull-over rouge il ne fallait pas exeacutecuter Christian Ranucci) raquo
15
de son objectif qui est la reacuteparation drsquoune erreur judiciaire (A) qursquoau niveau de sa
conseacutequence qui est la destruction drsquoune deacutecision deacutefinitive (B)
A Un objectif singulier la reacuteparation drsquoune erreur judiciaire
11 Rendre la justice srsquoavegravere ecirctre un exercice difficile Crsquoest pourquoi le magistrat en
charge de cette mission doit preacutesenter le maximum de garanties1 Les barriegraveres de protection
mises en place afin de garantir une bonne justice ne permettront pourtant pas drsquoeacutecarter
totalement le risque de lrsquoerreur judiciaire2 Premiegraverement le juge nrsquoest pas agrave lrsquoabri des
faiblesses humaines de certains preacutejugeacutes voire de carences professionnelles susceptibles
drsquoalteacuterer son jugement laquo Pour grands que soient les rois ils sont ce que nous sommes ils
peuvent se tromper comme les autres hommes Les juges ne sont pas drsquoune autre essence raquo3
Deuxiegravemement laquo toute deacutecision dommageable ne procegravede pas neacutecessairement dun
manquement ni mecircme dune faute Ce nest pas faire outrage agrave notre systegraveme judiciaire que de
consideacuterer que des eacuteleacutements nouveaux peuvent apparaicirctre inconnus au moment de la
deacutecision qui sont susceptibles de renverser les eacuteleacutements de preuve initialement retenus raquo4
Pour ces deux raisons lrsquoerreur judiciaire deacutesormais puissamment relayeacutee par les meacutedias5 est
une reacutealiteacute ancienne En dehors de son aspect theacuteologique la crucifixion du Christ preacutesente
aussi un inteacuterecirct juridique important puisqursquoelle est encore aujourdrsquohui consideacutereacutee par
certains6 comme une erreur judiciaire
1 V GUINCHARD S et autres Droit processuel droit commun et droit compareacute du procegraves eacutequitable Paris Dalloz 6egraveme eacuted 2011 ndeg 363 et s S GUINCHARD Le reacuteveil doctrinal dune belle au bois dormant trop longtemps endormie ou la proceacutedure civile entre droit processuel classique neacuteoclassique ou europeacuteaniste et technique dorganisation du procegraves in Meacutelanges Martin 1997 Universiteacute de NiceBruylantLGDJ p 97-109 2 A GIDE Souvenirs de la Cour drsquoassises Folio poche Paris 2009 p 664 Gide exprime le caractegravere ineacutevitable de lrsquoerreur judiciaire dans son recircve de la barque laquo Cette nuit je ne puis pas dormir lrsquoangoisse mrsquoa pris au cœur et ne desserre pas son eacutetreinte Je resonge au reacutecit que me fit un rescapeacute de La Bourgogne il eacutetait lui dans une barque avec je ne sais plus combien drsquoautres certains drsquoentre eux ramaient drsquoautres eacutetaient occupeacutes tout autour de la barque agrave flanquer de grands coups drsquoaviron sur la tecircte et les mains de ceux agrave demi noyeacutes deacutejagrave qui cherchaient agrave srsquoaccrocher agrave la barque et imploraient qursquoon les reprit Ou bien avec une petite hache ils leur coupaient les poignets On les enfonccedilait dans lrsquoeau car en cherchant agrave les sauver on eut fait chavirer la barque [hellip] Ce soir je prends en honte la barque et de mrsquoy sentir agrave lrsquoabri raquo 3 M MARTIN Proceacutedeacutes de rectification des erreurs dans les deacutecisions judiciaires Thegravese Nancy 1940 p 1 4 F FOURNIE laquo Reacuteviser la reacutevision raquo - agrave propos de la nouvelle proceacutedure de reacutevision et de reacuteexamen des condamnations peacutenales JCP G 2014 p 777 5 Pour les meacutedias modernes V J FRANCILLON Meacutedias et droit peacutenal Bilan et perspectives RSC 2000 p 59 Pour la litteacuterature classique V D LINDENBERG Lrsquoerreur judiciaire et lrsquoantijuridisme des intellectuels in A GARAPON (dir) Les juges un pouvoir irresponsable eacuted Nicolas Philippe 2003 p 39 et s 6 G DE VRIES laquo Le procegraves de Jeacutesus une erreur judiciaire raquo accessible sur httpwwwbvoltairefrgeoffroydevriesle-proces-de-jesus-une-erreur-judiciaire167875
16
12 Toutefois la propension de lrsquoecirctre humain agrave se retrancher dans une posture
victimaire1 voire agrave entretenir la laquo theacuteorie du complot2 raquo traduit une attitude susceptible de
favoriser la suspicion agrave lrsquoeacutegard de certaines deacutecisions mal comprises ou mal accepteacutees Aussi
cet eacutetat drsquoesprit peut-il conduire agrave un emploi inapproprieacute voire abusif de lrsquoexpression laquo erreur
judiciaire raquo Il est donc indispensable de bien identifier lrsquoerreur judiciaire que le pourvoi en
reacutevision se charge de reacuteparer (1) Ses caracteacuteristiques ne seront pas sans conseacutequences sur les
arrecircts rendus par la juridiction de reacutevision A nos yeux ceux-ci sont agrave consideacuterer comme des
arrecircts particuliers (2)
1 Identification de lrsquoerreur judiciaire reacutepareacutee par la reacutevision
13 Lrsquoerreur du latin error est selon la deacutefinition du petit Robert laquo un acte de lesprit
qui tient pour vrai ce qui est faux et inversement raquo3 Le dictionnaire clocircture la rubrique laquo
Erreur raquo par la deacutefinition de lerreur judiciaire deacutepeinte comme laquo une erreur de fait commise
par le juge et entraicircnant la condamnation dun innocent raquo4 La deacutefinition retenue par CORNU
dans son vocabulaire juridique srsquoen approche laquo une erreur de fait qui commise par une
juridiction de jugement dans son appreacuteciation de la culpabiliteacute dune personne poursuivie
peut si elle a entraicircneacute une condamnation deacutefinitive ecirctre reacutepareacutee sous certaines conditions au
moyen dun pourvoi en reacutevision raquo5 Il appert que lrsquoerreur judiciaire susceptible drsquoecirctre reacutepareacutee
par la reacutevision doit revecirctir certaines caracteacuteristiques indispensables
14 Tout drsquoabord elle est tenue de se manifester dans une deacutecision devenue deacutefinitive
au jour ougrave la commission drsquoinstruction statue6 La reacutevision ne peut donc srsquoexercer que
lorsque toutes les voies de recours classiques sont deacutefinitivement fermeacutees Toutefois cette
regravegle nrsquoimpose pas au requeacuterant lrsquoobligation drsquoavoir exerceacute toutes les voies de recours
ordinaires Il nrsquoen reste pas moins vrai que la requecircte en reacutevision sera deacuteclareacutee irrecevable agrave
partir du moment qursquoune voie de recours ordinaire est encore ouverte ou qursquoun tel recours est
1 D SALAS Preacutesence de la victime dans le procegraves et sens de la peine AJ Peacutenal 2004 p 430 2 P-A TAGUIEFF La foire aux laquo Illumineacutes raquo Esoteacuterisme theacuteorie du complot extreacutemisme Paris Mille et une nuits 2005 p 298-311 3 Petit Robert 1 Dictionnaire alphabeacutetique et analogique de la langue franccedilaise dir A Rey et J Rey-Debove Paris Le Robert 2015 V Erreur 4 Ibid 5 G CORNU Vocabulaire juridique op cit Vdeg Erreur judiciaire 6 Deacutecision de la commission de reacutevision du 24 septembre 2001 ndeg 01-99046 Lrsquoarticle 622 CPP vise la laquo reacutevision drsquoune deacutecision peacutenale deacutefinitive raquo CEDH NIKITIN c Russie 20 juil 2004 req ndeg 5017899 RSC 2005 p 641 laquo une deacutecision est deacutefinitive lorsque conformeacutement agrave la deacutefinition traditionnelle elle a acquis lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee Crsquoest le cas lorsqursquoelle est irreacutevocable crsquoest-agrave-dire lorsqursquoil nrsquoexiste pas de voies de recours ordinaires lorsque les parties ont exerceacute ces voies de recours ou lorsqursquoelles ont laisseacute expirer le deacutelai pour les exercer raquo
17
pendant1 Crsquoest ainsi qursquoil est impossible de reacuteviser une deacutecision susceptible drsquoappel ou de
pourvoi en cassation ou celle objet drsquoun pourvoi en cassation en cours drsquoexamen La
proceacutedure de reacutevision qui autorise la remise en cause drsquoune deacutecision deacutefinitive deacuteroge donc au
principe cardinal de lrsquoimmutabiliteacute des deacutecisions de justice revecirctues de lrsquoautoriteacute de la chose
jugeacutee2 Monsieur NAJARIAN eacutevoque dans sa thegravese lrsquo laquo incompatibiliteacute raquo3 entre le pourvoi
en reacutevision et lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee
15 Il en deacutecoule qursquoune deacutecision de justice non deacutefinitive quand bien mecircme mal
ressentie par le justiciable ne peut pas ecirctre qualifieacutee drsquoerreur judiciaire au sens du pourvoi en
reacutevision Madame le Professeur LAZERGES rappelle que laquo la douloureuse affaire dOutreau
nest pas une erreur judiciaire ils ont tous eacuteteacute acquitteacutes par une cour dassises jugeant en appel
Mais il peut y avoir deacutesastre judiciaire seacuteisme judiciaire catastrophe judiciaire fiasco
judiciaire sans erreur judiciaire au sens strict (hellip) raquo4 Elle ajoute qursquo laquo Outreau nest pas une
erreur judiciaire au sens strict mais en est une au sens large qualifiable de drame de la
deacutetention provisoire agrave la franccedilaise en partie imputable aux deacutelais daudiencement y compris
en premiegravere instance raquo5
16 Ensuite lrsquoerreur judiciaire eacuteligible agrave la reacutevision doit obligatoirement correspondre
agrave une erreur de fait tel un laquo un faux teacutemoignage une meacuteprise ou plus simplement un concours
de circonstances malheureuses raquo6 Lerreur de fait qui consiste agrave accorder une veacuteraciteacute agrave des
faits eacuteloigneacutes de la reacutealiteacute ou agrave nier lrsquoexistence drsquoeacuteleacutements factuels se distingue de lerreur de
droit qui repose sur une mauvaise appreacuteciation de la regravegle de droit par le juge7
17 Pour FAUSTIN-HELIE la justice doit rechercher un eacutequilibre laquo entre deux inteacuterecircts
eacutegalement puissants eacutegalement sacreacutes qui veulent agrave la fois ecirctre proteacutegeacutes linteacuterecirct geacuteneacuteral de
la socieacuteteacute qui veut la juste et prompte reacutepression des deacutelits linteacuterecirct des accuseacutes qui est lui
1 Cass crim 8 avr 1967 Gaz Pal 1967 2 p 40 2 Lrsquoarticle 6 alineacutea 1 du CPP dispose laquo Laction publique pour lapplication de la peine seacuteteint par la mort du preacutevenu la prescription lamnistie labrogation de la loi peacutenale et la chose jugeacutee raquo 3 K NAJARIAN Lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee au criminel sur le criminel op cit p 14 laquo Il faut encore distinguer entre les voies de recours incompatibles et les voies de recours compatibles avec lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee En effet tant qursquoune proceacutedure drsquoopposition drsquoappel de pourvoi ordinaire en cassation ou de renvoi apregraves cassation est ouverte ou en cours la deacutecision qui est menaceacutee ne peut acqueacuterir lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et quand celle-ci est acquise crsquoest que ces voies de recours sont eacutepuiseacutees Mais agrave lrsquoinverse le pourvoi dans lrsquointeacuterecirct de la loi et le pourvoi en reacutevision peuvent permettre drsquoattaquer une deacutecision judiciaire ayant acquis lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et ainsi cette autoriteacute peut ecirctre acquise alors mecircme que subsiste la possibiliteacute de former lrsquoun ou lrsquoautre de ces pourvois raquo 4 C LAZERGES Reacuteflexions sur lrsquoerreur judiciaire RSC 2006 p 709 5 Ibid p 709 6 H ANGEVIN Les demandes en reacutevision Jurisclasseur Proc Peacuten art 622 ndash 626 Fasc 20 2015 ndeg 2 7 Pour une distinction entre lrsquoerreur de fait et lrsquoerreur de droit V F BUSSY Lrsquoerreur judiciaire D 2005 p 2552 ndeg 7 et s
18
aussi un inteacuterecirct social et qui exige une complegravete garantie des droits de la collectiviteacute et de la
deacutefense raquo1 Toutefois la reacutevision doit porter sur une erreur de fait contenue dans une deacutecision
deacutefinitive de condamnation Crsquoest pourquoi seules les deacutecisions de nature peacutenale rendues par
des juridictions reacutepressives entrent dans le champ de la reacutevision
18 En outre la deacutecision attaqueacutee doit admettre la culpabiliteacute du requeacuterant Lrsquoerreur
judiciaire susceptible drsquoecirctre reacutepareacutee par la reacutevision ne peut que concerner un innocent victime
drsquoune condamnation injuste alors qursquoagrave lrsquoinverse un coupable injustement acquitteacute ou relaxeacute
ne pourra pas se reacuteclamer de cette erreur Contrairement agrave lrsquoAllemagne qui reconnaicirct la
reacutevision tant par rapport aux deacutecisions de condamnations que drsquoacquittements ou de relaxes2
il srsquoagit obligatoirement en France drsquoune erreur in defavorem
19 laquo Mode privileacutegieacute de correction raquo3 de lrsquoerreur judiciaire le pourvoi en reacutevision est
une proceacutedure indispensable En effet il deacutecoule de la relativiteacute de la veacuteriteacute judiciaire que
laquo lerreur judiciaire constitue un pheacutenomegravene banal et quotidien qui ne meacuterite pas que lon sen
offusque Sil est en quecircte de la veacuteriteacute des faits le juge peut en effet seulement preacutetendre sen
approcher et sagissant de lappreacuteciation juridique agrave laquelle il procegravede toute opinion
divergente eacutemise par la juridiction de recours caracteacuterise son erreur comme la veacuteriteacute
judiciaire lerreur preacutesente donc elle-mecircme un caractegravere relatif Loin de se trouver releacutegueacutee
dans les zones inavouables du droit lerreur se situe au cœur du systegraveme judiciaire lune des
finaliteacutes de celui-ci eacutetant de preacutevenir son apparition et agrave deacutefaut de la mettre en eacutevidence afin
den permettre la correction raquo4
20 Axeacutes sur lrsquoerreur judiciaire les arrecircts de reacutevision sont des arrecircts particuliers
2 La particulariteacute des arrecircts de reacutevision
21 Monsieur FOURNIE relegraveve que les arrecircts de reacutevision laquo sont toujours un moment
particulier du temps judiciaire Ils sont loccasion pour tous les membres de linstitution
judiciaire dune vertigineuse mise en abicircme et dune reacuteflexion sur leur rocircle et la maniegravere de
servir Ils sont eacutegalement loccasion privileacutegieacutee dune interrogation toujours anxieuse sur la
1 F HELIE Traiteacute de lrsquoinstruction criminelle ou theacuteorie du Code drsquoinstruction criminelle op cit t 1 p 4 2 V sect 369 StPO pour la reacutevision en faveur du condamneacute sect 362 StPO pour la reacutevision en sa deacutefaveur 3 CNCDH Avis sur la reacutevision des condamnations peacutenales en cas drsquoerreur judiciaire JORF du 21 feacutevrier 2014 ndeg2 4 F BUSSY op cit ndeg3
19
question de lerreur judiciaire raquo1 Aussi pour bien comprendre la particulariteacute de ces arrecircts
convient-il de distinguer la reacutevision drsquoautres proceacutedures
22 Tout drsquoabord le caractegravere extraordinaire de la reacutevision2 a pour conseacutequence de
distinguer cette proceacutedure des voies de recours ordinaires comme lrsquoappel dont lrsquoexercice
deacutebouche sur un nouvel examen du fond de lrsquoaffaire3 Ensuite parmi les autres voies de
recours extraordinaires le pourvoi en reacutevision exprime aussi sa diffeacuterence Drsquoun point de vue
mateacuteriel il se distingue du recours en reacutevision propre agrave la matiegravere civile qui reacutegi par les
articles 593 agrave 603 du Code de proceacutedure civile4 autorise la contestation drsquoun jugement civil
deacutefinitif Cette voie de recours favorable agrave la reacutetractation drsquoune deacutecision deacutefinitive vicieacutee
dune erreur de fait est irrecevable devant les tribunaux reacutepressifs alors mecircme qursquoils
statueraient sur les inteacuterecircts civils5 Il est eacutegalement diffeacuterent du pourvoi en cassation (pourvoi
de droit commun6 ou pourvoi dans lrsquointeacuterecirct de la loi7) dont lrsquoobjet consiste agrave corriger une
erreur de droit8 preacuteciseacutement une erreur dans lrsquoapplication ou lrsquointerpreacutetation de la loi Enfin
il est utile de le distinguer du reacuteexamen conseacutecutif au prononceacute drsquoun arrecirct de la Cour
europeacuteenne des droits de lrsquohomme qui poursuit le but de rectifier les violations des
dispositions de la CEDH que recegravele la deacutecision attaqueacutee9 Ces proceacutedures ne concernent pas
lrsquoerreur judiciaire au sens ougrave nous lrsquoavons deacutefinie ci-dessus
23 Notre eacutetude se limitera agrave la reacutevision en matiegravere peacutenale au niveau du droit interne
excluant de fait la reacutevision des arrecircts de la CEDH preacutevue agrave lrsquoarticle 80 du regraveglement de la
Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme10 Elle srsquointeacuteressera exclusivement au pourvoi en
1 F FOURNIE laquo Aime la veacuteriteacute mais pardonne agrave lerreur raquo Libres propos relatifs agrave la reacutevision des condamnations peacutenales AJ peacutenal 2011 p 326 2 C RIBEYRE Comment mieux corriger lrsquoerreur judiciaire Dr peacutenal 2014 eacutetude 17 3 R MERLE et A VITU Traiteacute de droit criminel Proceacutedure peacutenale op cit ndeg 877 p 1031 4 Article 593 du Code de proceacutedure civile laquo Le recours en reacutevision tend agrave faire reacutetracter un jugement passeacute en force de chose jugeacutee pour quil soit agrave nouveau statueacute en fait et en droit raquo 5 Cass crim 19 janvier 1982 ndeg 80-94321 Bull crim ndeg18 6 Articles 567 et s CPP 7 Pour le pourvoi du procureur geacuteneacuteral pregraves la Cour de cassation V article 621 CPP pour le pourvoi du procureur geacuteneacuteral pregraves la cour drsquoappel V article 597 CPP pour le pourvoi sur ordre du Garde des sceaux V article 620 CPP 8 J BORE et L BOREacute La cassation en matiegravere peacutenale Dalloz action 2012-2013 ndeg 60 et s 9 Article 626-1 CPP laquo Le reacuteexamen dune deacutecision peacutenale deacutefinitive peut ecirctre demandeacute au beacuteneacutefice de toute personne reconnue coupable dune infraction lorsquil reacutesulte dun arrecirct rendu par la Cour europeacuteenne des droits de lhomme que la condamnation a eacuteteacute prononceacutee en violation des dispositions de la convention de sauvegarde des droits de lhomme et des liberteacutes fondamentales ou de ses protocoles additionnels degraves lors que par sa nature et sa graviteacute la violation constateacutee entraicircne pour le condamneacute des conseacutequences dommageables auxquelles la satisfaction eacutequitable alloueacutee sur le fondement de larticle 41 de la convention ne pourrait mettre un terme raquo 10 Article 80 alineacutea 1 du regraveglement de la Cour laquo En cas de deacutecouverte drsquoun fait qui par sa nature aurait pu exercer une influence deacutecisive sur lrsquoissue drsquoune affaire deacutejagrave trancheacutee et qui agrave lrsquoeacutepoque de lrsquoarrecirct eacutetait inconnu
20
reacutevision de droit commun en eacutecartant le pourvoi speacutecial initieacute par la Socieacuteteacute des gens de
lettres aujourdrsquohui devenu pratiquement sans objet En effet laquo lrsquoinfraction drsquooutrage aux
bonnes mœurs ayant eacuteteacute supprimeacutee depuis le 1er mars 1994 et le recours ne pouvant ecirctre
exerceacute que dans un deacutelai de vingt anneacutees cette proceacutedure est voueacutee agrave srsquoeacuteteindre tregraves
prochainement raquo1 Neacutee de la loi ndeg 46-2064 du 25 septembre 19462 cette proceacutedure autorise
la reacutevision de certaines deacutecisions de justice prononceacutees agrave la suite drsquoun outrage aux bonnes
mœurs par voie du livre Elle a permis drsquoeffacer la disgracircce de certains eacutecrivains qui devenus
ceacutelegravebres avaient eacuteteacute condamneacutes pour outrage aux bonnes mœurs On se souviendra de la
reacutevision du jugement du Tribunal correctionnel de la Seine du 27 aoucirct 1857 qui avait
condamneacute Charles Baudelaire pour deacutelit drsquooutrage agrave la morale publique et aux bonnes mœurs
du fait de la publication du recueil laquo Les fleurs du mal raquo3
24 Srsquoagissant des arrecircts de reacutevision qui nous inteacuteressent lrsquoorigine de leur particulariteacute
est agrave rechercher dans deux explications
25 La premiegravere est inheacuterente agrave la speacutecificiteacute juridique du pourvoi en reacutevision
Srsquoagissant drsquoune voie de recours extraordinaire dirigeacutee contre une deacutecision revecirctue de
lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee son exercice reste suspendu agrave des cas drsquoouverture preacutevus par la
loi4 Ces cas drsquoouverture ont le devoir impeacuterieux de faire coexister sereinement laquo ce noble
sentiment qui germe et grandit dans nos cœurs et que lrsquoon nomme justice raquo 5 avec laquo cette
convention sociale qui nrsquoest autre que la justice eacutecrite et que lrsquoon nomme la loi raquo6 Aussi en
matiegravere de reacutevision le leacutegislateur et les juges sont-ils de vrais eacutequilibristes chargeacutes de
garantir drsquoun cocircteacute la seacutecuriteacute juridique lieacutee agrave lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et de lrsquoautre cocircteacute
lrsquoimpeacuterieuse neacutecessiteacute de reconnaicirctre et de reacuteparer les erreurs judiciaires
de la Cour et ne pouvait raisonnablement ecirctre connu drsquoune partie cette derniegravere peut dans le deacutelai de six mois agrave partir du moment ougrave elle a eu connaissance du fait deacutecouvert saisir la Cour drsquoune demande en reacutevision de lrsquoarrecirct dont il srsquoagit raquo 1 Assembleacutee Nationale rapport drsquoinformation ndeg 1598 en conclusion des travaux drsquoune mission drsquoinformation sur la reacutevision des condamnations peacutenales A TOURRET et G FENECH Disponible sur httpwwwassemblee-nationalefr14rap-infoi1598asp p 15 2 Loi ndeg 46-2064 du 25 septembre 1946 ouvrant un recours en reacutevision contre les condamnations prononceacutees pour outrages aux bonnes mœurs commis par la voie du livre 3 Cass crim 31 mai 1949 Gaz Pal 1949 II p 121 J HAMELIN La reacutehabilitation judiciaire de Baudelaire D 1949 chron p 187 4 P GERBAY et N GERBAY Entretien Cibler les questions sans neacutegliger les deacutebats doctrinaux Proceacutedures 2012 ndeg 1 laquo La voie de recours ordinaire est ouverte sauf disposition contraire de la loi alors que la voie de recours extraordinaire nrsquoest recevable que dans les cas speacutecifieacutes par la loi Sur cette distinction V E JEULAND Droit processuel op cit p 406 ndeg 477 et s 5 Juge TOLLY Discours agrave lrsquoaudience du Tribunal de Troyes du 4111846 citeacute par E DE VALICOURT op cit p 17 6 Ibid
21
26 La seconde explication de la particulariteacute des arrecircts de reacutevision reacuteside dans leur
faiblesse en nombre Sur les 150 requecirctes en reacutevision deacuteposeacutees chaque anneacutee1 seules de rares
condamnations sont annuleacutees Contrairement au foisonnement du nombre des arrecircts de
cassation rendus la reacutevision en matiegravere criminelle srsquoest soldeacutee depuis 1945 par seulement
onze deacutecisions positives Il srsquoagit des reacutevisions des procegraves de Jean DESHAYS Jean Marie
DEVAUX Roland AGRET Guy MAUVILLAIN Rida DAALOUCHE2 Patrick DILS3
Guilherme VENTURA4 Marc MACHIN5 Loiumlc SECHER6 Abdelkader AZZIMANI et
Abderrahim EL-JABRI7 et enfin Christian IANOCO8 Cette liste pourrait srsquoaccroicirctre si la
requecircte de Monsieur Raphaeumll MAILLANT actuellement pendante devant la Cour de reacutevision
et de reacuteexamen venait agrave ecirctre accepteacutee9
27 Les noms des onze personnes innocenteacutees tardivement font naicirctre un sentiment
diffus Il se partage entre drsquoun cocircteacute la fierteacute drsquoune justice finalement victorieuse et de lrsquoautre
cocircteacute une gecircne lieacutee agrave la difficulteacute du parcours judiciaire parfois assimileacute agrave un veacuteritable chemin
de croix Lrsquoeacutevocation de cette chronique judiciaire peut aussi nourrir un certain malaise par
rapport aux deacutecisions de rejet intervenues dans le cadre de certaines affaires On se souviendra
des cas DOMINICI10 SEZNEC11 MIS et THIENNOT12 TURQUIN13 RADDAD14 ou
encore LEPRINCE15
1 Cour de cassation Rapport annuel drsquoactiviteacute Paris 2012 Bilan de lrsquoactiviteacute de la commission de reacutevision des condamnations peacutenales accessible sur httpswwwcourdecassationfrpublications_26rapport_annuel_36rapport_2012_4571 2 Deacutecision de la Cour de reacutevision du 14 octobre 1998 ndeg 96-85082 3 Deacutecision de la Cour de reacutevision du 3 avril 2001 ndeg 99-84584 4 Deacutecision de la Cour de reacutevision du 24 mai 2006 ndeg 05-86081 5 Deacutecision de la Cour de reacutevision 13 avril 2010 ndeg 09-84531 6 Deacutecision de la Cour de reacutevision du 13 avril 2010 ndeg 10-80196 7 Deacutecision de la Cour de reacutevision du 15 mai 2013 ndeg 12-84818 8 Deacutecision de la Cour de reacutevision du 18 feacutevrier 2014 ndeg 13-85286 C FONTEIX laquo Recours en reacutevision annulation conseacutecutive agrave la reacutetractation de la victime raquo obs sous cass crim 18 feacutevrier 2014 Dalloz actualiteacutes 04 mars 2014 9 E BASTIE La Cour de reacutevision examine la requecircte de Raphaeumll Maillant Le figaro 18 juin 2015 10 Sur cette affaire V C CORNEVIN 60 ans apregraves lrsquoaffaire DOMINICI reste un mystegravere Le Figaro 03 aout 2012 J GIONO Notes sur lrsquoaffaire Dominici suivies de Essai sur le caractegravere des personnages Gallimard 1955 p 154 11 Sur cette affaire V D LANGLOIS Pour en finir avec lrsquoaffaire SEZNEC Ed de la diffeacuterence 2015 12 Sur cette affaire V L BOIZEAU Ils sont innocents Lrsquoaffaire Mis et Thiennot Ed La Bouinotte 1993 E ALLAIN Les vielles affaires op cit p 165 13 Sur cette affaire V M WEITZMANN Mariage mixte Le livre de poche 2000 14 Sur cette affaire V C DELOIRE et R-M MOREAU Omar Raddad Contre-enquecircte pour la reacutevision drsquoun procegraves manipuleacute Ed R Castells 1998 15 Sur cette affaire V F JOHANNES Le couteau jaune lrsquoaffaire Dany Leprince Calmann-Leacutevy 2012
22
28 Toutefois il ne srsquoagit pas de rendre la proceacutedure de reacutevision responsable de tous
les maux dont souffre la justice peacutenale1 Destineacutee agrave aneacuteantir une deacutecision entacheacutee drsquoune
erreur la reacutevision doit ecirctre clairement distingueacutee drsquoautres proceacutedeacutes juridiques qui conduisent
au pardon ou agrave lrsquooubli
B Une conseacutequence singuliegravere la destruction drsquoune deacutecision
deacutefinitive entacheacutee drsquoune erreur
29 La reacuteussite drsquoun pourvoi en reacutevision a pour conseacutequence de deacutetruire une deacutecision
deacutefinitive entacheacutee drsquoune erreur2 Lrsquointensiteacute de cette ambition deacutepasse largement celle du
pardon ou de lrsquooubli Au regard de leur deacutefinition respective il est aveacutereacute que la reacutevision les
surpasse largement (1) Aussi faudra-t-il bien seacuteparer la reacutevision drsquoautres institutions
srsquoinspirant elles du pardon ou de lrsquooubli (2)
1 Le surpassement par la reacutevision du pardon et de lrsquooubli
30 Pour ce qui est de lrsquooubli il est deacutefini par le petit Robert comme une laquo deacutefaillance
de la meacutemoire portant soit sur des connaissances ou aptitudes acquises soit speacutecialement sur
des souvenirs raquo ou encore comme un laquo eacutetat caracteacuteriseacute par lrsquoabsence ou la disparition de
souvenirs dans la meacutemoire individuelle ou collective3 raquo Dans sa thegravese Madame
HARDOUIN-LE GOFF explique que si en principe le droit peacutenal conserve la meacutemoire des
choses il ne lui est pas pour autant interdit drsquooublier En effet le droit peacutenal est un droit
fortement curieux du passeacute des individus Le casier judiciaire qui reacutepertorie les anteacuteceacutedents
judiciaires le principe de la personnalisation des peines ou encore lrsquoaggravation de la peine en
cas de reacutecidive sont les teacutemoins de cette meacutemoire judiciaire4 Cependant lrsquoauteure deacutemontre
que les sciences criminelles srsquoinscrivant dans une laquo ineacuteluctable dialectique de la meacutemoire et
de lrsquooubli raquo5 doivent parfois savoir oublier
1 Sur cette question V M DELMAS-MARTY Les chemins de la reacutepression Lectures du Code peacutenal Droit drsquoaujourdrsquohui PUF 1980 A PEYREFITTE Les chevaux du lac Ladoga PLON 1981 R GASSIN La crise des politiques criminelles occidentales in Problegravemes actuels de science criminelle 1985 PUAM p 25 2 C HARDOUIN-LE GOFF Lrsquooubli de lrsquoinfraction LGDJ Coll Bibliothegraveque des sciences criminelles 2008 ndeg 1005 p 480 3 Petit Robert 1 Dictionnaire alphabeacutetique et analogique de la langue franccedilaise op cit V Oubli 4 C HARDOUIN-LE GOFF op cit p13 ndeg 22 5 Ibid
23
31 Srsquoagissant du pardon le petit Robert fournit la deacutefinition suivante laquo tenir une
offense pour non avenue ne pas en garder de ressentiment renoncer agrave en tirer vengeance raquo1
Pour ce qui est de la passerelle jeteacutee entre les sciences criminelles et le pardon SALEILLES
remarquait que laquo partout ougrave existe une autoriteacute disciplinaire que ce soit dans la famille au
profit du pegravere ou dans les administrations au profit des supeacuterieurs hieacuterarchiques la premiegravere
loi de la bonne discipline si lrsquoon veut en effet faire de la bonne discipline crsquoest presque
toujours agrave moins de cas absolument graves le pardon pour la premiegravere faute raquo2 Quant agrave
Madame HARDOUIN-LE GOFF elle explique que le pardon se manifeste agrave diffeacuterents
niveaux de la reacutepression selon une eacutechelle de geacuteneacuterositeacute fluctuante En effet une application
purement meacutecanique du droit peacutenal serait de nature agrave remettre en cause lrsquoideacutee selon laquelle
laquo celui qui a subi sa peine ne doit pas ecirctre consideacutereacute comme deacutechu de son humaniteacute mais au
contraire appeleacute agrave la retrouver raquo3
32 En deacutepit de ces deacutefinitions distinctes lrsquoexpression laquo pardonner agrave quelqursquoun raquo
signifie aussi drsquoapregraves le dictionnaire laquo oublier ses fautes ses torts absoudre raquo Aussi
Madame HARDOUIN-LE GOFF deacuteclare-t-elle que le langage courant entretient une
confusion4 Toutefois la diffeacuterence entre le pardon et lrsquooubli est bien reacuteelle En effet il faut
preacutealablement au pardon drsquoune faute pouvoir srsquoen souvenir pour que celle-ci puisse ecirctre
reacuteellement pardonneacutee5 Crsquoest ainsi que la finaliteacute du pardon ne rejoint pas celle de lrsquooubli
Madame HARDOUIN-LE GOFF deacutemontre que laquo lrsquooubli est sans doute une deacutemarche des
plus eacutegoiumlstes servant la socieacuteteacute ou celui qui oublie et qui souhaite ainsi ne plus encombrer sa
meacutemoire de souvenirs gecircnants et inconfortables Oublier pour pouvoir vivre et reconstruire
penser creacuteer et eacuteviter la prison des mauvais souvenirshellip Le pardon en revanche est une
deacutemarche altruiste charitable un effort fait dans lrsquointeacuterecirct de celui agrave qui lrsquoon pardonne une
proposition de deacutelivrance drsquoune culpabiliteacute eacutecrasante et de reacutetablissement de lrsquoindividu
pardonneacute dans lrsquoestime de lui-mecircme ainsi que dans lrsquoestime publique Indeacuteniablement le
pardon a une signification morale que lrsquooubli nrsquoa pas raquo6
33 Il en deacutecoule que lrsquooubli et le pardon sont des reacutefeacuterences ignoreacutees par la reacutevision
En effet dans leur diverses manifestations en droit peacutenal le pardon et lrsquooubli reposent sur des
1 Petit Robert 1 Dictionnaire alphabeacutetique et analogique de la langue franccedilaise op cit V Pardon 2 R SALEILLES Lrsquoindividualisation de la peine eacuted Alcan 3eme eacuted 1927 p 196 3 C HARDOUIN-LE GOFF op cit p 20 ndeg 29 4 Ibid p 16 ndeg 25 5 A ABECASSIS Lrsquoacte de meacutemoire in Le pardon Briser la dette et lrsquooubli Revue Autrement Seacuteries morales avril 1991 ndeg 4 p 140 citeacute par C HARDOUIN-LE GOFF op cit p 18 note ndeg 85 6 C HARDOUIN-LE GOFF op cit p 19
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situations de fait ou de droit dont lrsquoexistence nrsquoest pas contesteacutee A lrsquoinverse la reacutevision drsquoune
condamnation deacutefinitive aneacuteantit une situation judiciaire passeacutee qui srsquoinspirait drsquoeacuteleacutements
factuels inexistants Les agissements injustement reprocheacutes agrave la personne innocenteacutee ne
peuvent donc donner lieu agrave un pardon ou agrave un oubli
34 Crsquoest pourquoi la reacutevision se distingue drsquoautres institutions qui se fondent sur le
pardon ou lrsquooubli
2 Distinction de la reacutevision des institutions fondeacutees sur le pardon et lrsquooubli
35 Le pardon des fautes dont toutes les manifestations ne seront pas eacutenumeacutereacutees1 ne
doit pas se confondre avec la reacutevision dont lrsquoaction a pour conseacutequence lrsquoaneacuteantissement
drsquoune deacutecision entacheacutee drsquoune erreur
36 Il en est ainsi de la dispense de peine2 ou laquo absolution judiciaire3 raquo issue de la loi
du 11 juillet 19754 qui autorise le juge agrave appreacutecier souverainement en matiegravere
contraventionnelle et correctionnelle lrsquoopportuniteacute drsquoaccorder une dispense de peine agrave lrsquoauteur
de lrsquoinfraction Le beacuteneacuteficiaire de cette impuniteacute dit le dispenseacute se voit accorder une
seconde chance lorsqursquoil offre des conditions de reclassement satisfaisantes La dispense de
peine a eacuteteacute gratifieacutee de la qualification de laquo modaliteacute la plus acheveacutee du pardon judiciaire raquo5
Dans ce mecircme esprit le relegravevement preacutevu aux articles 132-21 alineacutea 2 du Code peacutenal6 et 702-
1 du Code de proceacutedure peacutenale7 est consideacutereacute comme un signe de pardon libeacuterateur de la
sanction de nature agrave effacer certaines conseacutequences des condamnations peacutenales8 Enfin la
1 Ibid ndeg 1009 et s 2 J PRADEL Le recul de la courte peine demprisonnement avec la loi ndeg 75-624 du 11 juillet 1975 D 1976 chron 63 J ROBERT Les lois du 11 juillet et du 6 aoucirct en matiegravere peacutenale JCP 1975 I p 2729 A DECOCQ Les modifications apporteacutees par la loi du 11 juillet 1975 agrave la theacuteorie geacuteneacuterale du droit peacutenal RSC 1976 p 5 M GIACOPELLI reacuteforme du droit de lrsquoapplication des peines (dispositions de la loi ndeg 2004-204 du 9 mars 2004 relatives agrave lrsquoexeacutecution des peines privatives de liberteacute) D 2004 p 2595 3 G LEVASSEUR laquo Lrsquoabsolution en droit peacutenal raquo in Liber amicorum Herman Bekaert Gand Snoek-Ducaju 1977 p 209 4 Loi ndeg 75-624 du 11 juillet 1975 modifiant et compleacutetant certaines dispositions de droit peacutenal 5 B VAREILLE Le pardon du juge reacutepressif RSC 1988 p 676 6 laquo Toute personne frappeacutee dune interdiction deacutecheacuteance ou incapaciteacute quelconque qui reacutesulte de plein droit en
application de dispositions particuliegraveres dune condamnation peacutenale peut par le jugement de condamnation ou par jugement ulteacuterieur ecirctre releveacutee en tout ou partie y compris en ce qui concerne la dureacutee de cette interdiction deacutecheacuteance ou incapaciteacute dans les conditions fixeacutees par le code de proceacutedure peacutenale raquo 7 laquo Toute personne frappeacutee dune interdiction deacutecheacuteance ou incapaciteacute ou dune mesure de publication quelconque reacutesultant de plein droit dune condamnation peacutenale ou prononceacutee dans le jugement de condamnation agrave titre de peine compleacutementaire peut demander agrave la juridiction qui a prononceacute la condamnation ou en cas de pluraliteacute de condamnations agrave la derniegravere juridiction qui a statueacute de la relever en tout ou partie y compris en ce qui concerne la dureacutee de cette interdiction deacutecheacuteance ou incapaciteacute raquo 8 B VAREILLE op cit p 676
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reacutevision est totalement eacutetrangegravere agrave la gracircce laquo vestige drsquoun droit reacutegalien raquo1 qualifieacutee de
pardon par BECCARIA2 Il srsquoagit drsquoune mesure de cleacutemence accordeacutee par le Preacutesident de la
Reacutepublique qui inscrite agrave lrsquoarticle 17 de la Constitution3 entraine pour le condamneacute la
dispense drsquoexeacutecuter en tout ou en partie la peine deacutefinitivement prononceacutee agrave son encontre4
Cette mesure peut aussi se traduire la commutation de celle-ci en une peine plus douce5 Ces
efforts de pardon qursquoils eacutemanent du leacutegislateur du juge ou du Preacutesident de la Reacutepublique ne
libegraverent pas le justiciable de sa condamnation A lrsquoinverse la reacutevision implique une annulation
de la condamnation
37 Toutefois drsquoautres formes de pardon apparaissent plus difficiles agrave distinguer de la
reacutevision car elles nrsquoeffacent que pour lrsquoavenir les condamnations concerneacutees Ces mesures
sont qualifieacutees par Madame HARDOUIN-LE GOFF de laquo pardons oublieux6 raquo Lrsquoauteure
srsquoen explique en preacutecisant que laquo (hellip) lrsquooubli nrsquoest ici qursquoun prolongement de la mesure de
pardon tout au plus un oubli de conseacutequence et non un oubli qui vient fonder agrave la source ces
institutions raquo7
38 Crsquoest ainsi que la reacutehabilitation entraine lrsquoeffacement drsquoune condamnation inscrite
au bulletin numeacutero 2 3 voire 1 du casier judiciaire Ce pardon peut avoir lieu au greacute du temps
passeacute ou faire suite agrave une deacutecision juridictionnelle ayant constateacute la reacuteinsertion et
lrsquoamendement de linteacuteresseacute8 La jurisprudence deacutefinit la reacutehabilitation comme laquo une mesure
de bienveillance institueacutee par la loi en faveur des individus qui se sont rendus dignes drsquoecirctre
replaceacutes dans lrsquointeacutegraliteacute de leur eacutetat ancien raquo9 Aussi conviendra-t-il de diffeacuterencier cette
proceacutedure de la reacutevision qui deacutebouche sur lrsquoaneacuteantissement reacutetroactif dune condamnation
injuste alors que la reacutehabilitation consiste agrave effacer une condamnation dont le principe nrsquoest
pas contesteacute Lrsquoambition de la reacutehabilitation nrsquoest pas de modifier le passeacute mais plutocirct de
laquo servir lrsquoavenir drsquoun deacutelinquant qui a racheteacute ses fautes raquo10
1 Expression emprunteacutee agrave Madame HARDOUIN-LE GOFF 2 C BECCARIA Des deacutelits et des peines trad M Chevalier preacuteface R Badinter Paris reacuteimpression Flammarion 2006 p 177-178 3 Article 17 de la Constitution du 4 octobre 1958 laquo Le Preacutesident de la Reacutepublique a le droit de faire gracircce agrave titre individuel raquo 4 Article 133-7 CP laquo La gracircce emporte seulement dispense dexeacutecuter la peine raquo 5 M-H RENAUT Reacutep Peacuten Dalloz 2013 ndeg 1 V laquo Gracircce raquo 6 C HARDOUIN-LE GOFF op cit p 26 7 Ibid 8 M HERZOG EVANS Reacutep Peacuten Dalloz 2010 ndeg 1 V laquo Reacutehabilitation raquo 9 Cass crim 12 feacutevrier 1963 Bull crim ndeg 72 10 C HARDOUIN-LE GOFF op cit p 32
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39 Il est aussi important de bien seacuteparer la reacutevision de lrsquoamnistie Srsquoagissant de cette
derniegravere la position de la doctrine oscille entre le pardon et lrsquooubli laquo Pardon peacutenal par
excellence raquo pour Monsieur le Professeur JEANDIDIER1 laquo antithegravese du pardon raquo pour
DECOCQ2 laquo amneacutesie institutionnelle raquo pour Paul RICOEUR3 ou encore laquo processus drsquooubli
volontaire4 raquo pour Monsieur le Professeur PY Lrsquoeacutetymologie duale du terme est agrave cet eacutegard
eacuteclairante5 Crsquoest pourquoi Monsieur le Professeur PY distingue laquo lrsquoamnistie preacutesidentielle raquo
qualifieacutee de laquo gestion par lrsquooubli raquo de laquo lrsquoamnistie eacutevegravenementielle raquo qui exprime un
laquo apaisement par le pardon raquo6
40 Pour Madame HARDOUIN-LE GOFF la perte de souvenir lieacutee agrave lrsquoamnistie
permet de consideacuterer que cette institution poursuit un but drsquooubli Toutefois la reacuteponse ne
saurait ecirctre trancheacutee7 en raison laquo des eacutevolutions conseacutequentes qursquoa connues lrsquoamnistie au
point drsquoailleurs que certains eacutevoquent sa deacuterive et qursquoil faille en outre deacutesormais parler des
amnisties raquo8
41 Lrsquoamnistie se diffeacuterencie de la reacutevision dans le sens ougrave lrsquooubli nrsquoest pas un gage de
remise en cause de la veacuteriteacute judiciaire9 Lrsquooubli peut drsquoailleurs parfois constituer une gecircne
pour son beacuteneacuteficiaire dont la culpabiliteacute reste entiegravere Crsquoest pourquoi lorsque lrsquoamnistieacute
srsquoestime innocent il est de son inteacuterecirct drsquoactiver la survivance de lrsquoinfraction oublieacutee afin de
solliciter une annulation de sa condamnation par le biais drsquoune demande de reacutevision Depuis
1921 le leacutegislateur considegravere que laquo lamnistie ne peut en aucun cas mettre obstacle agrave laction
en reacutevision devant toute juridiction compeacutetente en vue de faire eacutetablir linnocence du
condamneacute10 raquo Par le passeacute la jurisprudence a manifesteacute son hostiliteacute au motif que lrsquoamnistie
en reacuteputant non avenue la condamnation avait pour conseacutequence de vider le pourvoi en
1 W JEANDIDIER Droit peacutenal geacuteneacuteral Montchrestien 2eme eacuted 1991 p 299 ndeg 274 2 A DECOCQ Droit peacutenal geacuteneacuteral A Colin coll U 1971 p 361 3 P RICOEUR laquo Sanction reacutehabilitation pardon raquo in Le juste op cit p 205 4 B PY Reacutep Peacuten Dalloz 2012 ndeg 2 V laquo Amnistie raquo 5 Ibid 6 BPY Amnistie le choix dans les dates Dr peacutenal 2002 chron ndeg 12 7 Ibid laquo Force de loubli volontaire ou instrument du pardon de la nation lamnistie est le plus radical et le plus efficace des moyens dont dispose le leacutegislateur lorsquil souhaite arrecircter le bras armeacute de la reacutepression pour entrer en voie de mansueacutetude raquo 8 C HARDOUIN-LE GOFF op cit p 33 ndeg 43 9 En ce sens V J-F SEUVIC Loi du 6 aoucirct 2002 portant amnistie RSC 2002 p 847 laquo Apregraves chaque eacutelection preacutesidentielle lamnistie reste une tradition pourtant de plus en plus contesteacutee (laquo amnistie mortelle raquo en raison de lindiscipline routiegravere quelle suscite dans les mois qui la preacutecegravedent laquo amnistie sisyphienne raquo qui vide des prisons pour permettre de les remplir dans les mois qui suivent laquo amnistie politicienne raquo qui par reacutedaction laquo sur mesure raquo eacutetoufferait discregravetement des affaires gecircnantes) raquo 10 Loi ndeg 66-396 du 17 juin 1966 portant amnistie dinfractions contre la sucircreteacute de lEtat ou commises en relation avec les eacuteveacutenements dAlgeacuterie
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reacutevision de son sens1 FAUSTIN-HELIE partageait cette position laquo en effet le deacutelit degraves
qursquoil est amnistieacute nrsquoexiste plus il ne peut donc devenir lrsquoobjet drsquoaucune poursuite Sans
doute il y a quelque chose drsquoinjuste agrave ravir agrave un preacutevenu qui se croit innocent le droit de faire
proclamer cette innocence Mais lrsquoamnistie est un acte politique elle nrsquoapparaicirct que lorsque
de graves complications sociales la reacuteclament et les inteacuterecircts priveacutes doivent fleacutechir devant cet
inteacuterecirct plus grave Que deviendrait lrsquoeffet de cette mesure srsquoil eacutetait loisible agrave chacun des
amnistieacutes drsquoen marchander le bienfait de remuer les faits qursquoelle a voulu eacutetouffer drsquoagiter les
questions qursquoelle a voulu eacuteteindre raquo2
42 La reconnaissance drsquoune possibiliteacute de reacutevision faisant suite agrave une amnistie
laquo ressuscite raquo3 opportuneacutement lrsquoinfraction tombeacutee dans lrsquooubli Madame HARDOUIN-LE
GOFF apporte dans sa thegravese son soutien agrave cette solution Elle explique que lrsquoamnistie qui
ne constitue pas une proclamation drsquoinnocence peut se transformer en un aiguillon de
preacutesomption de culpabiliteacute Lrsquooubli accordeacute par lrsquoamnistie nrsquoa pas pour effet drsquoentrainer le
pardon ou lrsquoexcuse En principe cette mesure nrsquoa pas pour conseacutequence de reacutetablir
automatiquement lrsquoamnistieacute dans ses droits (avantages honorifiques administratifs ou
professionnels comme la reacuteinteacutegration dans lrsquoordre de la Leacutegion drsquohonneur ou dans les
fonctions ou emplois publics) Dans lrsquohypothegravese ougrave celui-ci solliciterait la reacutevision de son
procegraves il se retrouvera en cas de succegraves replaceacute dans sa situation passeacutee Il pourra donc
reacuteclamer la restitution des amendes et des frais de justice ainsi que la publication du jugement
drsquoannulation de la condamnation et le versement de dommages-inteacuterecircts Crsquoest pourquoi il est
leacutegitime de faire droit agrave la demande de reacutevision qui pour lrsquoamnistieacute ouvre la perspective drsquoun
passage de lrsquooubli vers la veacuteriteacute4
43 Cela nous renforce dans la conviction que lrsquooubli et a fortiori le pardon ne
pourront jamais remplacer le rocircle de purification du pourvoi en reacutevision seul garant de la
proclamation de lrsquoinnocence en aneacuteantissant la deacutecision entacheacutee drsquoerreur Toutefois
lrsquoeacutevolution historique de la reacutevision en matiegravere peacutenale montre que le leacutegislateur et les juges
ont toujours fait preuve de beaucoup de prudence agrave lrsquoeacutegard de cette proceacutedure exceptionnelle
1 V cass crim 10 juin 1831 S 1831 1 p 412 cass crim 6 deacutecembre 1919 Dr peacutenal 1920 1 p 23 2 F HELIE Traiteacute de lrsquoinstruction criminelle ou theacuteorie du Code drsquoinstruction criminelle op cit Tome 2 p 722 ndeg 1091 3 Expression emprunteacutee agrave C HARDOUIN LE GOFF 4 C HARDOUIN-LE GOFF op cit ndeg 1007
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sect2 Lrsquoeacutevolution historique de la reacutevision en matiegravere peacutenale
44 Lrsquoanalyse du droit positif de la reacutevision ne peut srsquoeffectuer qursquoune fois retraceacutee
lrsquoeacutevolution historique de cette proceacutedure exceptionnelle et singuliegravere Cette approche1 qui
nrsquoa pas la preacutetention de se livrer agrave une eacutetude exhaustive de lrsquoeacutevolution de la reacutevision2 permet
de mieux cerner les changements drsquoattitude du leacutegislateur au fil du temps3 Cet examen aura
toute son utiliteacute pour deacutemontrer que la reacutevision reacutecemment reacuteformeacutee est toujours placeacutee sous
lrsquoinfluence de son passeacute Ainsi apregraves le rappel des origines historiques de la proceacutedure de
reacutevision (A) notre regard se portera sur la peacuteriode charniegravere de son eacutedification allant de 1789
agrave 1989 (B)
A Les origines historiques de la reacutevision
45 La recherche des origines de la proceacutedure de reacutevision conduit agrave srsquointeacuteresser au
droit romain berceau de notre droit4 Madame DE VALICOURT souligne que le droit romain
ne faisait pas de distinction entre lrsquoappel et la reacutevision et en conclue que ce recours
exceptionnel nrsquoapparaissait pas explicitement5 (pas plus drsquoailleurs qursquoil ne le faisait du temps
des barbares ougrave le jugement de Dieu eacutecartait toute voie de recours6) Bien que les trois
proceacutedures romaines de la laquo provocatio ad populum raquo7 laquo lrsquointercessio raquo8 et la laquo restitutio in
1 HEGEL Leccedilons sur la philosophie de lrsquohistoire cours de 1822 La pochothegraveque Le livre de poche p 111 laquo On dit aux gouvernants aux hommes dEtat aux peuples de sinstruire principalement par lexpeacuterience de lhistoire Mais ce quenseignent lexpeacuterience et lhistoire cest que peuples et gouvernements nont jamais rien appris de lhistoire et nont jamais agi suivant des maximes quon en aurait pu retirer Chaque eacutepoque chaque peuple se trouve dans des conditions si particuliegraveres constitue une situation si individuelle que dans cette situation on ne peut et on ne doit deacutecider que par elle Dans ce tumulte des eacuteveacutenements du monde une maxime geacuteneacuterale ne sert pas plus que le souvenir de situations analogues qui ont pu se produire dans le passeacute car une chose comme un pacircle souvenir est sans force dans la tempecircte qui souffle sur le preacutesent il na aucun pouvoir sur le monde libre et vivant de lactualiteacute [] Seule lintuition approfondie libre compreacutehensive des situations [] peut donner aux reacuteflexions de la veacuteriteacute et de linteacuterecirct raquo 2 Pour une eacutetude historique V ROUX Droit peacutenal et proceacutedure peacutenale Sirey 1920 p 773 et s 3 Pour Madame GUILLEMAIN laquo parce quelle est subordonneacutee agrave des regravegles intangibles la reacutevision peacutenale ne se precircte guegravere agrave une eacutevolution denvergure raquo Nous ne le pensons pas V C GUILLEMAIN Reacutevision et criminaliteacute deacutependante ndash la porteacutee des deacutecisions de justice inconciliables JCP G 2001 I ndeg6 p 295 speacutec ndeg2 4 M HUMBERT La peine en droit romain Rec Soc Jean Bodin LV 1989 p 135 M DELMAS-MARTY Les grands systegravemes de politique criminelle 1992 PUF p 45 et 5 E DE VALICOURT op cit p 125 en sens inverse V C GUILLEMAIN op cit speacutec ndeg1 6 J GAUDEMET Eglise et citeacute histoire du droit canonique Montchrestien 1994 p 322 7 A MAGDELAIN Publications de lrsquoeacutecole franccedilaise de Rome Jus imperium auctoritas Etudes de droit romain 1990 p 567 M HUMBERT Le tribunat de la Plegravebe et le tribunal du peuple remarques sur lrsquohistoire de la provocatio ad populum in Meacutelanges de lrsquoeacutecole franccedilaise de Rome-Antiquiteacute 1998 Volume 100 ndeg 100-1 p 431 8 G HUGO Histoire du droit romain Trad de lrsquoallemand par Jourdan Bruxelles Socieacuteteacute belge de libraire 1940 p 119
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integrum raquo1 aient eu pour objectif de faire triompher une innocence meacuteconnue lrsquoideacutee de
reacutevision dans son sens actuel nrsquoapparaissait pas car la deacutemonstration drsquoune erreur nrsquoeacutetait pas
requise
46 La laquo provocatio ad populum raquo qui se rapprochait de lrsquoideacutee de pardon accordeacute par
le peuple en signe drsquoapaisement et drsquoencouragement agrave la bonne conduite correspond
davantage au relegravevement actuel qursquoagrave la reacutevision Lrsquo laquo intercessio raquo qui autorisait un tribun
inviolable agrave srsquoopposer sans motif agrave lrsquoexeacutecution drsquoune condamnation recouvrait le droit
reconnu agrave tout magistrat romain de geler les deacutecisions rendues par un juge infeacuterieur Ce
pouvoir appliqueacute uniquement agrave lrsquoexeacutecution drsquoune condamnation eacutetait indeacutependant de toute
deacutemonstration drsquoinnocence ou mecircme de doute sur la culpabiliteacute puisque lrsquoexercice de ce
laquo droit de veacuteto raquo2 eacutetait arbitraire La laquo restitutio ad integrum raquo enfin eacutetait lrsquoillustration drsquoune
faveur exceptionnelle que le magistrat pouvait accorder discreacutetionnairement au plaideur par le
biais de lrsquoannulation pure et simple de la sentence quand bien mecircme celle-ci eacutetait revecirctue de
lrsquoautoriteacute de chose jugeacutee Lrsquoeacuteventuel beacuteneacutefice de cette proceacutedure eacutetait subordonneacute agrave la
formulation drsquoune requecircte agrave lrsquoempereur sous la forme drsquoune laquo supplicatio raquo Drsquoapregraves Madame
DE VALICOURT cette proceacutedure peut srsquoapparenter implicitement agrave une reacutevision3 Toutefois
lrsquoauteure ajoute que laquo lrsquoabsence de terminologie preacutecise et uniforme sur ce point empecircche de
savoir drsquoune faccedilon absolue si la laquo supplicatio raquo eacutetait bien une veacuteritable reacutevision ou si elle
remplaccedilait seulement lrsquoappel agrave lrsquoeacutegard des sentences du preacutefet du preacutetoire sentences non
susceptibles drsquoappel parce que rendues nomine principis vice sacra raquo4
47 Crsquoest plutocirct dans lrsquoAncien droit que les contours de la proceacutedure de reacutevision ont
eacuteteacute dessineacutes Ponctueacutee par de nombreuses eacutetapes lrsquohistoire du pourvoi en reacutevision srsquoest
consolideacutee au fil du temps Deacutejagrave jusqursquoen 1667 les voies de recours mises en œuvre pour
lutter contre lrsquoerreur judiciaire eacutetaient les mecircmes en matiegravere civile qursquoen matiegravere criminelle
De plus jusqursquoen 1670 la reacutevision ne se distinguait pas nettement de lrsquoappel5 Enfin jusqursquoagrave
lrsquoeacutepoque de Saint Louis durant laquelle le duel judiciaire a eacuteteacute aboli par une ordonnance de
12586 le rachat du crime et la reacuteparation de lrsquoerreur se reacuteglaient au prix du sang
1 F MACKELDEY Manuel de droit romain contenant la theacuteorie des Institutes Trad de lrsquoallemand par J BEVING Bruxelles Socieacuteteacute typographique belge 1837 p405 et s 2 F MACKELDEY op cit p 408 3 E DE VALICOURT op cit p 126 4 Ibid p 126 5 Ibid p 127 6 M NICODEME Une enquecircte sur le duel judiciaire en France (deacutebut du XIVdeg siegravecle) in Revue belge de philologie et drsquohistoire 1925 Vol 4 numeacutero 4-4 p 715
30
48 Crsquoest ainsi que le regravegne de Saint Louis a constitueacute une eacutetape importante pour ce
qui est de la proclamation drsquoinnocence conseacutecutive agrave une deacutecision deacutefinitive de culpabiliteacute
entacheacutee drsquoune erreur Cette eacutepoque a transformeacute les mœurs juridiques dans le domaine des
voies de recours en geacuteneacuteral et a servi de catalyseur agrave la proceacutedure des lettres de proposition
drsquoerreurs apparue en 1344 en remplacement des lettres de gracircce de dire contre les arrecircts en
nostre Parlement 1 Lrsquoordonnance de 1344 preacutevoyait que laquo ceux qui veulent proposer
erreurs doivent mettre les erreurs par eacutecrit et les bailler aux maitres ordinaires de lrsquoHocirctel raquo2
49 Cette proceacutedure aboutissait agrave lrsquoannulation drsquoune deacutecision conceacutedeacutee par le
souverain qui faisait droit agrave la protestation drsquoinnocence drsquoune partie se deacuteclarant victime
drsquoune erreur de fait et se consideacuterant comme injustement condamneacutee par une deacutecision
deacutefinitive Ce recours contenait deacutejagrave en germe les deux plus importants eacuteleacutements de la
reacutevision drsquoaujourdrsquohui la deacutecision deacutefinitive et lrsquoerreur de fait Toutefois afin drsquoeacuteviter des
atteintes inconsideacutereacutees agrave la chose jugeacutee cette proceacutedure eacutetait conditionneacutee par de stricts deacutelais
drsquoaction et par le paiement drsquoune caution
50 Supprimeacutee en 1667 la proposition drsquoerreur a reacuteapparu dans lrsquoordonnance
criminelle de 16703 sous lrsquoappellation de lettre de reacutevision deacutesormais propres agrave la matiegravere
criminelle Le titre XVI de lrsquoordonnance de 1670 intituleacute laquo des Lettres drsquoabolition reacutemission
de pardon pour ester agrave droit rappel de ban ou de galegraveres commutations de peines
reacutehabilitation et reacutevision de procegraves raquo disposait en son article 8 que laquo pour obtenir des lettres
de reacutevision de procegraves le condamneacute sera tenu drsquoexposer le fait avec les circonstances par
requecircte qui sera rapporteacutee en notre Conseil et renvoyeacutee srsquoil est jugeacute agrave propos aux Maitres de
Requecirctes de notre Hocirctel pour avoir leur avis que nous voulons ensuite ecirctre rapporteacute en notre
Conseil Et si les lettres sont justes il sera ordonneacute par arrecirct qursquoelles seront expeacutedieacutees et
scelleacutees et par cet effet elles seront signeacutees par un secreacutetaire de nos commandements raquo
51 Dans son Traiteacute de la justice criminelle de France JOUSSE preacutecise qursquoil srsquoagit de
laquo lettres que le Roi accorde pour revoir et examiner de nouveau le procegraves criminel drsquoune
personne condamneacutee contradictoirement par arrecirct ou jugement en dernier ressort afin de
reacutevoquer la condamnation srsquoil y a lieu et de renvoyer le condamneacute ou sa meacutemoire absous des
1 Sur cette proceacutedure V H DE PANSEY De lrsquoautoriteacute judiciaire des juges en France suivie de la compeacutetence des juges de paix CJ De Mat Bruxelles 1829 p 162 2 Ibid p 164 3 Texte inteacutegral accessible sur httpledroitcriminelfreefrla_legislation_criminelleanciens_textesordonnance_criminelle_de_1670htm
31
cas qui lui ont eacuteteacute imposeacutes avec restitution et reacutetablissement de ses biens confisqueacutes et de sa
reacuteputation et bonne renommeacutee raquo1
52 Les lettres de reacutevision muettes quant aux cas drsquoouverture ne srsquoappliquaient qursquoen
preacutesence drsquoune condamnation injuste lieacutee agrave une erreur sur la personne En reacutealiteacute il srsquoagissait
de la condamnation drsquoun innocent agrave la place du veacuteritable auteur de lrsquoinfraction2 A la suite de
plusieurs chroniques judiciaires controverseacutees lrsquoembleacutematique affaire CALAS a servi de
deacuteclencheur agrave la mise en perspective du caractegravere restrictif de la leacutegislation en vigueur Le
droit moderne est alors venu au secours de la reacutevision en apportant par des lois de
circonstance des modifications agrave lrsquoordonnance de 1667 De fait la peacuteriode charniegravere de
lrsquoeacutedification du droit positif de la reacutevision se situe entre 1789 et 1989
B La peacuteriode charniegravere de lrsquoeacutedification de la reacutevision 1789-1989
53 Durant la peacuteriode srsquoeacutetalant de 1789 agrave 1989 la proceacutedure de reacutevision a subi de
nombreux ameacutenagements Influenceacutes par les Lumiegraveres les reacutevolutionnaires en affirmant que
la raison du citoyen une fois deacutebarrasseacutee de lrsquooppression des tyrans se porterait
automatiquement vers la veacuteriteacute ont contribueacute au recul de la prise en compte des erreurs
judiciaires3 La Constituante a supprimeacute la reacutevision au nom de lrsquoinfaillibiliteacute du jury
populaire par un deacutecret des 3 octobre et 3 novembre 1789 portant reacuteforme provisoire de la
jurisprudence criminelle
54 En 1793 une affaire judiciaire a fortement heurteacute lrsquoopinion publique Un vol de
mouchoir avait donneacute lieu agrave la condamnation de deux individus jugeacutes seacutepareacutement pour les
mecircmes faits Or il paraissait eacutevident que cette infraction nrsquoavait pu ecirctre commise que par un
seul auteur et que les deux condamnations devenues deacutefinitives eacutetaient inconciliables
55 Dans un souci drsquoapaisement de lrsquoopinion publique les parlementaires de lrsquoeacutepoque
ont reacuteintroduit timidement la proceacutedure de reacutevision par un deacutecret du 15 mai 1793 relatif aux
accuseacutes condamneacutes comme auteurs de mecircmes deacutelits et dont les condamnations ne peuvent se
concilier et font la preuve de lrsquoinnocence de lrsquoune ou de lrsquoautre des parties Monsieur FAZY
souligne dans sa thegravese que laquo le point de deacutepart timoreacute et mesquin adopteacute par les juristes
1 JOUSSE Traiteacute de la Justice criminelle de France Paris eacuted Debure pegravere 1771 Partie III Liv II titre 39 p777 2 E DE VALICOURT op cit p 137 3 Sur ce point voir le reacutecit de HUGO V HUGO Claude Gueux in Le dernier jour drsquoun condamneacute Le livre de poche p 69 et s
32
franccedilais de ce siegravecle et qui a consisteacute agrave nrsquoadmettre un cas de reacutevision qursquoagrave mesure de la
deacutecouverte drsquoune erreur judiciaire nouvelle et irreacuteparable faisait toucher du doigt aux plus
volontairement aveugles lrsquoinsuffisance de la loi raquo1
56 A nouveau abrogeacutee par le Code du 3 brumaire An IV la reacutevision fut reacutetablie par le
Code drsquoinstruction criminelle de 1808 agrave la suite de lrsquoarrecirct de la Cour de cassation rendu le 9
Vendeacutemiaire An IX dans le cadre de lrsquoaffaire FISCHER2 Dans cette affaire le tribunal
criminel du Haut-Rhin avait successivement prononceacute deux condamnations pour un seul et
mecircme deacutelit Inspireacute par la Deacuteclaration des droits de lrsquohomme lrsquoexposeacute des motifs du Code
drsquoinstruction criminelle de 1808 reconnaissait courageusement que laquo la confiance dans
lrsquoinfaillibiliteacute des jureacutes devait ecirctre des plus modeacutereacutee qursquoil fallait ne pas se faire de cette
magistrature une opinion trop favorable car il nrsquoy a pas de garantie absolue contre lrsquoerreur des
Hommes raquo
57 Crsquoest ainsi que le Code drsquoinstruction criminelle dans les articles 443 agrave 447
deacutefinissait trois cas drsquoouverture agrave reacutevision en matiegravere criminelle en omettant toutefois
drsquoaborder la question de la reacuteparation peacutecuniaire On pensait alors que lrsquoerreur eacutetait reacutepareacutee
par le seul fait que la justice avait reconnu sa faute
58 Lrsquoarticle 443 du Code drsquoinstruction criminelle srsquoinspirant du deacutecret du 15 mai
1793 autorisait la reacutevision laquo lorsqursquoun accuseacute aura eacuteteacute condamneacute pour un crime et qursquoun
autre accuseacute aura aussi eacuteteacute condamneacute par un autre arrecirct comme auteur du mecircme crime raquo La
jurisprudence a preacuteciseacute qursquoil devait srsquoagir de deux deacutecisions deacutefinitives inconciliables de
nature agrave apporter la preuve de lrsquoinnocence de lrsquoun ou de lrsquoautre condamneacute3
59 Lrsquoarticle 444 du Code drsquoinstruction criminelle qui nrsquoa jamais eacuteteacute utiliseacute preacutevoyait
la reacutevision laquo lorsqursquoapregraves une condamnation pour homicide il sera de lrsquoordre expregraves du
Grand juge Ministre de la justice adresseacute agrave la Cour de cassation section criminelle des
piegraveces repreacutesenteacutees posteacuterieurement agrave la condamnation et propres agrave faire naicirctre de suffisants
indices sur lrsquoexistence de la personne dont la mort supposeacutee aurait donneacute lieu agrave la
1 R FAZY De la reacutevision en matiegravere peacutenale Thegravese Genegraveve 1899 p 27 citeacute par E DE VALICOURT op cit p 142 note ndeg 718 2 Tribunal de Cassation section criminelle 9 vendeacutemiaire an IX arrecirct FISCHER c Ministegravere Public 3 Cass crim 24 juin 1830 S 1830 I p 309
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condamnation raquo Dans le seul cas de lrsquoarticle 444 la requecircte en reacutevision pouvait aussi ecirctre
deacuteposeacutee au nom drsquoun condamneacute deacuteceacutedeacute1
60 Enfin lrsquoarticle 445 du Code drsquoinstruction criminelle autorisait la reacutevision
laquo lorsqursquoapregraves une condamnation un ou plusieurs des teacutemoins qui avaient deacuteposeacute agrave charge
contre lrsquoaccuseacute seront poursuivis pour avoir porteacute un faux teacutemoignage dans le procegraves raquo
61 Le retentissement de lrsquoaffaire ELLENBERG a eacuteteacute une nouvelle incitation agrave
modifier les textes Le Sieur ELLENBERG fut condamneacute le 18 juillet 1806 agrave 16 ans de fer
pour compliciteacute de vol infraction dont lrsquoauteur principal eacutetait un certain Sieur GARCON En
1808 tous deux furent ensuite traduits devant les tribunaux pour crime de garrottage Acquitteacute
au moment de ce procegraves le Sieur ELLENBERG a reacuteussi en outre agrave prouver son innocence
dans lrsquoaffaire GARCON ougrave il fut condamneacute pour compliciteacute de vol en 1806 Il put produire
lrsquoidentiteacute du veacuteritable coupable qui ne fut drsquoailleurs pas inquieacuteteacute peacutenalement en raison de la
prescription de lrsquoaction publique2 La preuve de lrsquoinnocence nrsquoa pas suffi agrave la reacutevision de
lrsquoaffaire ELLENBERG car ce cas de figure nrsquoeacutetait preacutevu par aucun texte En effet lrsquoerreur
de fait commise par les juges de 1806 nrsquoentrait pas dans le cadre du caractegravere inconciliable de
deux deacutecisions (le veacuteritable complice nrsquoayant pu ecirctre condamneacute) et de la condamnation pour
faux teacutemoignage de lrsquoun des teacutemoins
62 Face agrave ce vide juridique Napoleacuteon a deacutecreacuteteacute le 10 deacutecembre 1813 que lrsquoaffaire
ELLENBERG laquo serait soumise agrave lrsquoexamen de la Cour de cassation sections reacuteunies pour
indeacutependamment de toute irreacutegulariteacute ou vice de forme entrer dans lrsquoexamen des faits et
casser srsquoil y avait lieu dans lrsquointeacuterecirct drsquoEllenberg lrsquoarrecirct de la Cour drsquoAnvers raquo3 Les motifs
du deacutecret preacutecisaient que laquo que lrsquoeacutetat actuel de la leacutegislation nrsquooffrant aucun recours agrave
lrsquoinnocent condamneacute dans le cas dont il srsquoagissait lrsquoempereur avait jugeacute neacutecessaire de
suppleacuteer agrave cette insuffisance de la loi Il avait donc deacutelivreacute des lettres de reacutevision gracieuseraquo4
Le cas ELLENBERG meacuterite drsquoecirctre mis en avant car il srsquoagit de la seule application effective
des lettres de reacutevision gracieuse
63 Ensuite sous lrsquoimpulsion de philosophes Voltaire en particulier et sous la
pression de lrsquoopinion publique les articles 443 agrave 447 du Code drsquoinstruction criminelle donneacute
lieu agrave plusieurs modifications favorables au renforcement de la reacutevision
1 E DE VALICOURT op cit p 145 2 Ibid p 146 3 Ibid p 146 4 Ibid p 146
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64 Crsquoest sous lrsquoeffet de lrsquoeacutemotion provoqueacutee par lrsquoaffaire LESURQUES1 que la loi du
29 juin 1867 a eacuteteacute adopteacutee Cette affaire dite du courrier de Lyon se rapporte agrave lrsquoattaque en
1796 de la diligence reliant le trajet de Paris agrave Lyon Outre lrsquoassassinat du postillon furent
aussi deacuterobeacutes les sept millions dassignats or destineacutes agrave larmeacutee de Bonaparte Parmi les mis en
cause lun drsquoentre eux le Sieur Joseph LESURQUES a toujours protesteacute de son innocence
Cependant il fut condamneacute agrave mort et exeacutecuteacute sur la foi de teacutemoins qui ont cru le reconnaicirctre agrave
travers sa chevelure blonde Lun des veacuteritables auteurs du crime a reconnu au moment de
son exeacutecution que le malheureux Joseph LESURQUES nrsquoavait pas participeacute agrave lrsquoattaque de la
diligence Il a expliqueacute qursquoil sagissait dune meacuteprise des teacutemoins qui srsquoest produite en raison
de la ressemblance physique du Sieur LESURQUES avec lrsquoun des veacuteritables auteurs du
crime
65 La loi du 29 juin 1867 est alors venue modifier lrsquoarticle 443 du Code drsquoinstruction
criminelle afin de geacuteneacuteraliser en matiegravere criminelle le droit drsquoagir post mortem aux proches
du condamneacute et drsquoeacutetendre lrsquooffre de reacutevision aux deacutelits2 Toutefois la famille de Joseph
LESURQUES nrsquoa pas pu beacuteneacuteficier des nouvelles dispositions jugeacutees inapplicables au motif
que la condamnation de Monsieur Joseph LESURQUES nrsquoeacutetait pas inconciliable avec celles
des autres auteurs de lrsquoinfraction3
66 Srsquoagissant drsquoun veacuteritable progregraves ce texte nrsquoa pas pour autant permis drsquoeacuteviter les
eacutecueils inheacuterents agrave la leacutegislation anteacuterieure Les affaires VAUX 4et BORRAS5 en sont les
teacutemoins Bien que srsquoagissant de deux cas diffeacuterents ils sont sur le plan juridique tregraves proches
lrsquoun de lrsquoautre Aussi seule lrsquoaffaire VAUX relative agrave un conflit communal sera-t-elle
eacutevoqueacutee
67 A lrsquooccasion du partage de biens communaux de graves dissensions ponctueacutees
drsquoincendies criminels ont vu le jour dans la commune de Longepierre En raison de son
profond deacutesaccord avec le maire des soupccedilons se sont aussitocirct porteacutes vers Monsieur VAUX
conseiller municipal drsquoailleurs deacutejagrave impliqueacute dans plusieurs rixes avec lrsquoeacutedile Deacutesigneacute par le
maire comme eacutetant lrsquoauteur des incendies lrsquoinstituteur VAUX suspendu de ses fonctions
avait eacutegalement fait lrsquoobjet drsquoune deacutenonciation de la part du nommeacute BALLEAUT Confronteacute
1 Sur cette affaire V A FOUQUIER Histoire du procegraves Lesurques Hachette 2013 2 C MATHON op cit p5 3 Cass crim 17 deacutec 1868 Dr peacutenal 1869 1 p 41 rapp F HELIE 4 Sur cette affaire V L DEVANCE Entre les mains de lrsquoinjustice lrsquoaffaire Vaux et Petit (1851-1897) Editions universitaires de Dijon 2000 5 Sur cette affaire V J HURET Le dossier de lrsquoaffaire Borras-Pradies Les grands procegraves Elibron Classics 2001
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agrave ces fausses accusations lrsquoenseignant avait vainement protesteacute de son innocence et fut
condamneacute aux travaux forceacutes agrave perpeacutetuiteacute le 25 juin 1852 Dix-huit mois plus tard la
perpeacutetration de nouveaux incendies criminels a permis drsquoidentifier les veacuteritables auteurs des
faits agrave savoir le maire et son complice Monsieur BALLEAUT Bien qursquoayant reconnu
lrsquoensemble des faits ils nrsquoont eacuteteacute condamneacutes que pour les seules mises agrave feu posteacuterieures agrave la
condamnation de Monsieur VAUX En lrsquoeacutetat du droit de lrsquoeacutepoque lrsquoinnocence de Monsieur
VAUX deacuteceacutedeacute en captiviteacute nrsquoa jamais pu ecirctre proclameacutee En effet cette situation ne
reacutepondait agrave aucun cas drsquoouverture preacutevu par le texte surtout que Monsieur BALLEAUT
nrsquoavait pas eacuteteacute poursuivi pour faux teacutemoignage
68 Un recours en reacutevision formeacute par les enfants de lrsquoinstituteur a eacuteteacute rejeteacute le 9
janvier 1886 au motif de lrsquoabsence de caractegravere inconciliable entre les condamnations de
Monsieur VAUX et celles du maire et de son complice Lrsquoarrecirct VAUX a finalement pu ecirctre
reacuteviseacute en 1897 au beacuteneacutefice de lrsquoeacutevolution de la loi de 189 qui reconnait le fait nouveau1 En
effet cette loi a preacutevu un cas geacuteneacuterique drsquoouverture agrave reacutevision2 Voteacutee dans le contexte
douloureux de lrsquoaffaire DREYFUS elle est un marqueur important de lrsquohistoire de la reacutevision
Drsquoune part elle consacre un droit drsquoindemnisation aux victimes des erreurs judiciaires et
drsquoautre part le nouvel alineacutea de lrsquoarticle 443 du Code drsquoinstruction criminelle a admis que la
reacutevision est possible quand laquo apregraves une condamnation un fait nouveau viendrait agrave se
produire ou agrave se reacuteveacuteler ou lorsque des piegraveces inconnues lors des deacutebats seraient de nature agrave
eacutetablir lrsquoinnocence du condamneacute raquo
69 Le Code de proceacutedure peacutenale de 1959 a repris en lrsquoeacutetat en son article 622 les
dispositions des articles 443 agrave 447 du Code drsquoinstruction criminelle de 1808 Ce texte
preacutevoyait donc que laquo la reacutevision peut ecirctre demandeacutee quelle que soit la juridiction qui ait
statueacute au beacuteneacutefice de toute personne reconnue auteur dun crime ou dun deacutelit 1deg Lorsque
apregraves une condamnation pour homicide des piegraveces sont repreacutesenteacutees propres agrave faire naicirctre
de suffisants indices sur lexistence de la preacutetendue victime de lhomicide 2deg Lorsque apregraves
une condamnation pour crime ou deacutelit un nouvel arrecirct ou jugement a condamneacute pour le
mecircme fait un autre accuseacute ou preacutevenu et que les deux condamnations ne pouvant se concilier
leur contradiction est la preuve de linnocence de lun ou de lautre condamneacute 3deg Lorsquun
des teacutemoins entendus a eacuteteacute posteacuterieurement agrave la condamnation poursuivi et condamneacute pour
1 Assembleacutee Nationale rapport drsquoinformation ndeg 1598 op cit p13 2 LE BERTRE De ladmission de la reacutevision et de la mateacuterialiteacute du fait nouveau dans la loi du 8 juin 1895 Thegravese Paris 1901 p 123 et s
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faux teacutemoignage contre laccuseacute ou le preacutevenu le teacutemoin ainsi condamneacute ne peut pas ecirctre
entendu dans les nouveaux deacutebats 4deg Lorsque apregraves une condamnation un fait vient agrave se
produire ou agrave se reacuteveacuteler ou lorsque des piegraveces inconnues lors des deacutebats sont repreacutesenteacutees
de nature agrave eacutetablir linnocence du condamneacute raquo
70 Monsieur Claude MATHON observe qursquolaquo il nrsquoy aura pas drsquoautre reacuteforme de la
proceacutedure de reacutevision pendant 104 ans avant la loi du 23 juin 1989 raquo1
71 Crsquoest agrave nouveau en reacuteponse agrave lrsquoactualiteacute judiciaire concernant lrsquoaffaire SEZNEC
que la loi du 23 juin 19892 a modifieacute le texte en autorisant lrsquoouverture de la reacutevision degraves que
laquo vient agrave se produire ou agrave se reacuteveacuteler un fait nouveau ou un eacuteleacutement inconnu de la juridiction
au jour du procegraves de nature agrave faire naicirctre un doute sur la culpabiliteacute raquo
Durant 25 ans la loi de 1989 a reacutegi le droit de la reacutevision Malgreacute les importants progregraves de la
police scientifique3 la reacutevision nrsquoa pas connu une progression du nombre des deacutecisions
annuleacutees Cette situation laissait penser qursquo laquo un certain nombre dameacuteliorations4 raquo pouvaient
encore ecirctre reacutealiseacutees Le rejet de la requecircte de Monsieur Dany LEPRINCE deacutecideacute le 6 avril
20115 par la Cour de reacutevision a eacutegalement largement contribueacute agrave alimenter le deacutebat quant agrave la
justesse de la loi de 1989
72 Srsquoagissant de lrsquoaffaire LEPRINCE en 1994 les corps de quatre individus avaient
eacuteteacute retrouveacutes dans une maison de la campagne sarthoise Cette demeure se trouvait agrave une
quinzaine de megravetres de distance du domicile de lun des fregraveres de lune des quatre victimes
Suspecteacutes les occupants de la maison voisine avaient eacuteteacute placeacutes en garde agrave vue Il srsquoagissait
de Dany LEPRINCE sa femme Martine LEPRINCE et leur fille aicircneacutee Ceacutelia Dany
LEPRINCE a eacuteteacute accuseacute des faits par son eacutepouse au terme de plus de trente heures de garde agrave
vue Condamneacute deacutefinitivement celui-ci a toujours protesteacute de son innocence Sa requecircte en
reacutevision a eacuteteacute instruite durant cinq ans par la commission Celle-ci avait alors suspendu au vu
de certains eacuteleacutements lrsquoexeacutecution de la condamnation du requeacuterant et avait transmis le dossier
agrave la Cour de reacutevision Monsieur Dany LEPRINCE avait beacuteneacuteficieacute drsquoune remise en liberteacute au
1 C MATHON op cit p5 2 Loi ndeg 89-431 du 23 juin 1989 relative agrave la reacutevision des condamnations peacutenales 3 N LE DOUARIN La preuve scientifique des empreintes digitales aux empreintes geacuteneacutetiques un siegravecle de deacutecouvertes en biologie in La Preuve dir C PUIGELIER Paris Economica 2004 p 29 4 CNCDH Avis sur la reacutevision des condamnations peacutenales en cas drsquoerreur judiciaire op cit ndeg 9 5 Deacutecision de la Cour de reacutevision 6 avril 2011 ndeg 10-85247
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terme drsquoune deacutetention de seize anneacutees Ensuite la Cour de reacutevision avait rejeteacute la requecircte et
ordonneacute sa reacuteincarceacuteration1
73 Monsieur Franck JOHANNES a deacutecrit la situation le jour de lrsquoaudience de la Cour
de reacutevision laquo Personne nrsquoa lrsquoair de comprendre Dany Leprince tend ses poignets agrave son
escorte Les gendarmes poussent fermement le public vers les portes battantes il faut sortir
immeacutediatement raquo2 Lrsquoauteur cite ensuite les propos de Maicirctre BAUDELOT avocat de Dany
Leprince laquo On passe en ce moment les menottes agrave Dany Leprince dit lrsquoavocat bouleverseacute et
terrible Crsquoest un drame que je considegravere comme un eacutechec personnel terrifiant Je nrsquoai pas su
convaincre les juges Mais crsquoest aussi un eacutechec pour la justice A neuf mois drsquointervalle deux
juridictions de la Cour de cassation ont dit exactement le contraire alors que pas une virgule
du dossier nrsquoa changeacute raquo3
74 Afin drsquoeacutevaluer la maniegravere dont la loi de 1989 conciliait laquo lrsquoautoriteacute de la chose
jugeacutee et le respect des droits de lrsquohomme raquo4 la commission des lois a deacutecideacute en juillet 2013
de creacuteer une mission drsquoinformation relative agrave la reacutevision des condamnations peacutenales dont les
travaux ont eacuteteacute rendus publics le 4 deacutecembre 20135 La singulariteacute de cette proceacutedure et la
lourde tacircche de trouver un eacutequilibre entre lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et lrsquoideacutee de Justice ont
confeacutereacute agrave cette mission drsquoinformation un caractegravere exceptionnel Srsquoagissant de la recherche de
cet eacutequilibre les rapporteurs ont fait la distinction entre lrsquoerreur de fait et lrsquoerreur de droit La
premiegravere correspond agrave une erreur judiciaire susceptible drsquoecirctre reacutepareacutee par la reacutevision Pour ce
qui est de la seconde les rapporteurs ont consideacutereacute que laquo lorsqursquoune erreur de droit a eacuteteacute
commise au meacutepris des liberteacutes garanties il convient de sanctionner cette violation et de
rejuger la personne conformeacutement aux regravegles de droit en vigueur indeacutependamment de toute
consideacuteration sur sa culpabiliteacute crsquoest le but du reacuteexamen drsquoune deacutecision peacutenale deacutefinitive
conseacutecutivement au prononceacute drsquoun arrecirct de la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme raquo6
Crsquoest pourquoi leurs travaux ont viseacute les deux proceacutedures le pourvoi en reacutevision et le
reacuteexamen drsquoune deacutecision peacutenale conseacutecutif agrave un arrecirct de la Cour europeacuteenne des droits de
1 F JOHANNES op cit 2 F JOHANNES op cit p 10 3 Ibid p 10 4 Site internet de lrsquoAssembleacutee Nationale Preacutesentation de la mission drsquoinformation texte accessible sur httpwww2assemblee-nationalefr14commissions-permanentescommission-des-loismissions-d-informationrevision-des-condamnations-penalesa-la-unepresentation-de-la-mission-d-information 5 Assembleacutee Nationale rapport drsquoinformation ndeg 1598 op cit 6 Assembleacutee Nationale rapport ndeg 1807 fait au nom de la commission des lois constitutionnelles de la leacutegislation et de lrsquoadministration geacuteneacuterale de la Reacutepublique sur la proposition de loi ndeg 1700 relative agrave la reacuteforme des proceacutedures de reacutevision et de reacuteexamen drsquoune condamnation peacutenale deacutefinitive A TOURRET Accessible sur httpwwwassemblee-nationalefr14rapportsr1807asp p9
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lrsquohomme En ce qui nous concerne comme le reacuteexamen ne suppose pas une erreur judiciaire
au sens de la reacutevision1 il ne sera pas eacutetudieacute en profondeur dans cette thegravese consacreacutee agrave la
reacutevision en matiegravere peacutenale
75 Les travaux de la mission drsquoinformation ont deacuteboucheacute sur la loi ndeg 2014-640 du 20
juin 2014 qui constitue deacutesormais le nouveau fondement du droit de la reacutevision2 Quelques
mois avant lrsquoadoption du texte lrsquoaffaire HADERER a deacutefrayeacute la chronique judiciaire
Principal suspect du meurtre de Nelly HADERER Jacques MAIRE avait eacuteteacute deacutefinitivement
acquitteacute en 2004 Toutefois 27 ans apregraves que la deacutepouille mortelle de Nelly HADERER ait
eacuteteacute retrouveacutee dans une deacutecharge de Nancy des traces ADN de Jacques MAIRE ont pu ecirctre
isoleacutees sur le pantalon de la victime3 Cette affaire a donneacute lieu en vain au deacutepocirct drsquoun
amendement en faveur de la reconnaissance de la reacutevision in defavorem4
76 La loi du 20 juin 2014 devrait selon les rapporteurs permettre aux demandes de
reacutevision drsquo laquo aboutir toutes les fois que la demande est leacutegitime5 raquo et trouver un laquo meilleur
eacutequilibre entre la neacutecessiteacute drsquoune part de reacuteparer lrsquoerreur judiciaire drsquoautre part de ne pas
remettre abusivement en cause la chose jugeacutee6 raquo Notre thegravese se fixe comme objectif de
veacuterifier si le nouveau texte est bien agrave la hauteur des ambitions afficheacutees
77 Lrsquoanalyse historique de la reacutevision permet de constater que jusqursquoagrave la loi de 2014
lrsquoeacutevolution de la reacutevision srsquoest souvent opeacutereacutee sous le seul effet de lrsquoactualiteacute judiciaire
maicirctresse du calendrier leacutegislatif La reacutevision perccedilue comme une menace pour lrsquoautoriteacute de
la chose jugeacutee a de ce fait eacuteteacute fortement encadreacutee par le leacutegislateur afin drsquoen limiter
consideacuterablement sa porteacutee Enfin les interventions du leacutegislateur se sont souvent effectueacutees
dans la preacutecipitation au greacute de lrsquoactualiteacute judiciaire et de lrsquoeacutemoi populaire7 La modification
1 V F RENUCCI Le reacuteexamen drsquoune deacutecision de justice deacutefinitive dans lrsquointeacuterecirct des droits de lrsquohomme D 2000 p 655 ndeg 3 2 Loi ndeg 2014-640 du 20 juin 2014 relative agrave la reacuteforme des proceacutedures de reacutevision et de reacuteexamen drsquoune condamnation peacutenale deacutefinitive Pour la premiegravere demande en reacutevision examineacutee par la nouvelle juridiction creacuteeacutee par la reacuteforme V C FLEURIOT laquo Cour de reacutevision irrecevabiliteacute de la demande relative agrave lrsquoaffaire Mis et Thiennot raquo Dalloz actualiteacutes 17 mars 2015 3 27 ans apregraves lrsquoADN relance le mystegravere du meurtre de Nelly HADERER Le Monde 30 janvier 2014 4 Assembleacutee Nationale 14 feacutevrier 2014 Amendement ndeg CL 6 accessible sur httpwwwassemblee-nationalefr14amendements1700CION_LOISCL6pdf 5 Assembleacutee Nationale rapport drsquoinformation ndeg 1598 op cit p 17 6 Assembleacutee Nationale rapport ndeg 1807 op cit p10 7 A MONTAGNE De la fiction au reacuteel les grandes affaires criminelles franccedilaises et leurs censures cineacutematographiques in Franccediloise Puaux (sd) La justice agrave lrsquoeacutecran CineacutemAction ndeg 105 novembre 2002 p 82-86
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de la loi pouvait ecirctre ressentie laquo moins comme la conseacutequence drsquoun besoin que comme une
reacuteponse agrave un appel raquo1
78 Pour CARBONNIER le droit peacutenal laquo appelle des coups de theacuteacirctre raquo2
Finalement agrave force de coups de theacuteacirctre la loi de 1989 a vu le jour au greacute des affaires
FISCHER ELLENBERG VAUX BORRAS et DREYFUS Ainsi la loi de 1989 comme lrsquoa
souligneacute Monsieur le Professeur LIBCHABER agrave propos drsquoautres textes laquo tend agrave la socieacuteteacute un
miroir ougrave se reacutevegravelent les traits du preacutesent par-delagrave ceux dun passeacute quelle reconstitue raquo3 Elle
eacutetait le fruit drsquoune intervention leacutegislative meneacutee dans lrsquourgence pour faire face aux attentes
de lrsquoaffaire SEZNEC Ce texte srsquoexposait au risque drsquoecirctre bacircti sur des fondations fragiles
issues des laquo coups de theacuteacirctre raquo4 preacuteceacutedents et de porter en son sein les stigmates des erreurs
du passeacute Crsquoest pourquoi il sera deacutemontreacute que reacuteviser la reacutevision eacutetait neacutecessaire (premiegravere
partie)
79 Il a peseacute sur les eacutepaules du leacutegislateur de 2014 une bien lourde et belle mission Il
lui a eacuteteacute offert la possibiliteacute de deacutepassionner le deacutebat de la reacutevision en se libeacuterant du poids des
errements du passeacute Crsquoest pourquoi nous avons fait le choix drsquoexaminer la reacutevision sous
lrsquoangle de son fonctionnement tel qursquoil eacutetait preacutevu dans la loi de 1989 puis de sa
transformation par la reacuteforme de 2014
80 Primo ce raisonnement a aussi eacuteteacute adopteacute par le leacutegislateur au moment de
lrsquoeacutelaboration de sa reacuteforme En effet tout changement de la loi suppose de se pencher au
preacutealable sur les dispositions existantes afin de bien en cerner les points positifs et neacutegatifs
Si les faiblesses de la loi de 1989 meacuteritent drsquoecirctre surmonteacutees la reacuteforme ne devrait pas le cas
eacutecheacuteant toucher aux aspects positifs du texte Cet axe de reacuteflexion partageacute avec le leacutegislateur
nous permettra de veacuterifier srsquoil existe une concordance entre nos conclusions respectives Cette
approche a aussi lrsquoavantage de pouvoir mieux appreacutecier lrsquoefficaciteacute de la reacuteforme Secundo ce
modus operandi constitue aujourdrsquohui le seul moyen pour comprendre la reacutevision dont la
nouvelle refondation remonte agrave un peu plus drsquoun an En effet lrsquoexamen de la loi de 1989
reacutevegravelera que les problegravemes de la reacutevision ne proceacutedaient pas uniquement du leacutegislateur La
jurisprudence de lrsquoeacutepoque a largement contribueacute au manque drsquoaccessibiliteacute de la reacutevision Elle
srsquoinscrivait dans le droit fil drsquoune vieille tradition favorable agrave une vision restrictive de la
1 J CARBONNIER Droit et passion du droit sous la Vegraveme reacutepublique op cit p 270 2 Ibid p 135 3 R LIBCHABER LrsquoHistoire aux prises avec le droit RTD Civ 1999 p 245 4 J CARBONNIER op cit p 270
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reacutevision Crsquoest ainsi qursquoil est indispensable de srsquointeacuteresser eacutetroitement au rocircle de la
jurisprudence Or la premiegravere deacutecision (irrecevabiliteacute) de la commission drsquoinstruction de la
Cour de reacutevision et de reacuteexamen des condamnations peacutenales issue de la loi du 20 juin 2014
remonte au 16 mars 20151 De fait le manque de nouvelles expeacuteriences ne nous permettra pas
drsquoanalyser le comportement de la jurisprudence face aux nouveaux textes Lrsquoeacutetude de la
jurisprudence issue de la loi de 1989 constituera donc un outil preacutecieux drsquoeacutevaluation des
probabiliteacutes de sa perte drsquoinfluence ou de son renforcement au niveau du nouveau texte
81 Notre thegravese reacutevegravelera que malgreacute de reacuteels progregraves le leacutegislateur nrsquoa pas profiteacute de
lrsquoopportuniteacute de reacuteformer en profondeur la reacutevision et de la deacutebarrasser de ses laquo vieux
deacutemons raquo Lrsquoeacutevidence de la reacutevision agrave reacuteviser cegravede donc le pas agrave la deacuteception de la reacutevision
reacuteviseacutee Deacutesillusion que nous tenterons drsquoatteacutenuer agrave la faveur de plusieurs propositions
(deuxiegraveme partie)
- Premiegravere partie La reacutevision de 1989 agrave reacuteviser une neacutecessiteacute
- Seconde partie La reacutevision reacuteviseacutee de 2014 une deacuteception
1 Commission drsquoinstruction de la Cour de reacutevision et de reacuteexamen des deacutecisions peacutenales 16 mars 2015 ndeg 13 REV 037 E ALLAIN Les vieilles affaires AJ Peacutenal 2015 p 165
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PREMIERE PARTIE
LA REVISION DE 1989 A REVISER
UNE NECESSITE
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82 Dans cette premiegravere partie il srsquoagira drsquoidentifier les faiblesses de la proceacutedure de
reacutevision issue de la loi du 23 juin 1989 qui ont conduit agrave la reacuteforme de cette laquo grande
oublieacutee raquo1 de la proceacutedure peacutenale par la loi du 20 juin 2014
Deux raisons majeures rendaient eacutevidente la neacutecessiteacute drsquoune reacuteforme
83 Premiegraverement la proceacutedure de reacutevision preacutevue par la loi de 1989 eacutetait trop
marqueacutee par lrsquoempreinte drsquoune dualiteacute oppositionnelle entre lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et
lrsquoideacutee mecircme de reacutevision Monsieur Claude MATHON avocat geacuteneacuteral agrave la Cour de cassation
a souligneacute que laquo la probleacutematique de la reacutevision des deacutecisions peacutenales deacutefinitives se situe
dans le contexte de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee raquo2 Aussi est-il indispensable drsquoexaminer les
liens qui unissaient le pourvoi en reacutevision agrave lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee tels qursquoils eacutetaient
tisseacutes par la loi de 1989 Ces liens qui srsquoordonnaient autour drsquoune logique oppositionnelle
favorisant la preacuteeacuteminence de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee traduisaient la volonteacute du leacutegislateur
et des juges de nrsquoadmettre que tregraves strictement la reacutevision3 (Titre 1)
84 Deuxiegravemement cette articulation des rapports entre lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et
la reacutevision a eu pour conseacutequence de creacuteer des zones drsquoombre entretenues par la jurisprudence
qui constituaient pour le requeacuterant un veacuteritable obstacle agrave la reacutevision de son procegraves En effet
la proceacutedure de reacutevision preacutevue par la loi de 1989 preacutesentait de multiples imperfections tant
structurelles que conjoncturelles (Titre 2)
1 P COUVRAT Commentaire de la loi ndeg89-431 du 23 juin 1989 relative agrave la reacutevision des condamnations peacutenales RSC 1989 p 785 2 C MATHON Note technique relative agrave la reacutevision des deacutecisions peacutenales deacutefinitives op cit p 1 3 H ANGEVIN Les demandes en reacutevision op cit ndeg2
43
Titre 1
Une approche trop restrictive de la
reacutevision
44
85 Lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et la reacutevision sont unies par des liens eacutetroits En effet
lrsquoexistence mecircme de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee est agrave lrsquoorigine de la creacuteation drsquoune proceacutedure
destineacutee agrave permettre la remise en cause drsquoune deacutecision peacutenale deacutefinitive Parallegravelement le
caractegravere extraordinaire de la reacutevision deacutecoule de lrsquoessence de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee qui
est garante de la stabiliteacute des deacutecisions de justice1 Ce lien tregraves fort entre lrsquoautoriteacute de la chose
jugeacutee et la reacutevision place ineacutevitablement le leacutegislateur dans un rocircle drsquoarbitre entre drsquoun cocircteacute
la volonteacute drsquoassurer la meilleure justice possible et de lrsquoautre cocircteacute la neacutecessiteacute de garantir la
seacutecuriteacute et la stabiliteacute des situations juridiques Monsieur Claude MATHON a mis en avant
lrsquoexistence de ces deux impeacuteratifs contradictoires2 Ainsi il oppose le souci de
perfectionnisme du leacutegislateur toujours agrave la recherche drsquoune justice irreacuteprochable (drsquoougrave
lrsquoexistence du pourvoi en reacutevision reacuteparateur des erreurs de fait commises par les juridictions
reacutepressives) agrave une tendance seacutecuritaire et de stabiliteacute impliquant que les voies de recours ne
puissent se transformer en une eacutepeacutee de Damoclegraves suspendue ad vitam eternam sur la tecircte des
justiciables La seacutereacuteniteacute de la justice exige que la parole du juge soit agrave un moment donneacute
deacutefinitivement reconnue Ainsi la reacutevision serait un champ de bataille ougrave srsquoaffronteraient le
perfectionnisme et la seacutecuriteacute Elle se situerait laquo agrave lrsquointersection de deux prioriteacutes essentielles
de tout systegraveme deacutemocratique tirailleacute entre deux exigences contradictoires la volonteacute de
proteacuteger les liberteacutes individuelles et la neacutecessiteacute drsquoassurer le respect de lrsquoordre public raquo3
86 Une confrontation entre lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et la reacutevision permettra
drsquoillustrer la possibiliteacute drsquoun rapprochement entre ces deux laquo fregraveres ennemis raquo susceptibles de
se concilier (Chapitre 1) Cependant cette conciliation ne srsquoeacutetait pas entiegraverement reacutealiseacutee
sous les auspices de la loi de 1989 qui donnait lrsquoavantage agrave lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee
(Chapitre2)
1Assembleacutee Nationale rapport drsquoinformation ndeg 1598 op cit p8 laquo La proceacutedure de reacutevision constitue preacuteciseacutement cette soupape de seacutecuriteacute dont tout systegraveme judiciaire a besoin pour contrebalancer le principe de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee raquo 2 C MATHON laquo Note technique relative agrave la reacutevision des deacutecisions peacutenales deacutefinitives raquo op cit V eacutegalement J-M LE MASSON laquo La recherche de la veacuteriteacute judiciaire dans le procegraves civil raquo Thegravese Nantes 1991 p 1 3 E DE VALICOURT op cit p 124
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CHAPITRE 1 LA CONCILIATION POSSIBLE
DE LrsquoAUTORITE DE LA CHOSE
JUGEE ET DE LA REVISION
laquo Ah Crsquoest un grand malheur quand on a le cœur
tendre Que ce lien de fer que la nature a mis
Entre lacircme et le corps ces fregraveres ennemis
Ce qui meacutetonne moi cest que Dieu lait permis
Voilagrave le nœud gordien quil fallait quAlexandre
Rompicirct de son eacutepeacutee et reacuteduisicirct en cendre1 raquo
87 Dans ce chapitre la contradiction entre lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et le pourvoi en
reacutevision sera surmonteacutee Dans un premier temps nous mettrons en eacutevidence leur opposition
apparente (Section 1) La dialectique enseigne que dans tout domaine il convient drsquoaborder
avec doigteacute les situations reacuteputeacutees inconciliables afin de deacutepasser les paradoxes qui parfois
ne sont qursquoapparence Effectivement entre lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et la reacutevision il
srsquoavegravere que laquo rivaliteacute nrsquoest pas neacutecessairement hostiliteacute raquo 2 et qursquoun rapprochement est
possible (Section 2)
Section 1 Lrsquoapparente opposition entre lrsquoautoriteacute de la
chose jugeacutee et la reacutevision
88 A lrsquoimage du mariage impossible entre la carpe et le lapin lrsquoautoriteacute de la chose
jugeacutee et la reacutevision semblent poursuivre respectivement un objectif contradictoire Lrsquoautoriteacute
de la chose jugeacutee a vocation agrave mettre deacutefinitivement fin au procegraves (sect1) tandis que la reacutevision
favorise quant agrave elle la renaissance du procegraves (sect2)
1 A DE MUSSET laquo Contes drsquoEspagne et drsquoItalie poeacutesies diverses un spectacle dans un fauteuil poeacutesies nouvelles raquo Paris Charpentier-libraire eacutediteur 1840 p 277 2 S FREUD Malaise dans la civilisation 1979 PUF Paris p 100
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sect1 Lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee ou la fin du procegraves
89 La difficulteacute concernant lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee est que laquo tout le monde ne
met pas la mecircme chose derriegravere les mecircmes mots raquo1 En fonction de la matiegravere juridique
qursquoelle concerne lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee srsquoadapte aux particulariteacutes du procegraves diffeacuterentes
selon qursquoil srsquoagit drsquoune instance peacutenale civile ou administrative En raison de la
laquo particulariteacute tregraves accuseacutee du procegraves peacutenal raquo2 lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee revecirct dans ce
domaine un aspect binaire en eacutetant agrave la fois neacutegative et positive3 Ce deacutedoublement reacutesulte de
reacuteflexions doctrinales qui ont libeacutereacute la vision peacutenale de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee en lui
permettant de se deacutetacher de la conception civiliste4 La doctrine civiliste deacutefinit lrsquoautoriteacute de
la chose jugeacutee comme une laquo qualiteacute incontestable raquo5 une laquo immutabiliteacute raquo6 ou encore une
laquo protection de la deacutecision raquo7 Tous ces qualificatifs montrent que lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee
vise agrave empecirccher que ce qui a eacuteteacute deacutefinitivement jugeacute le soit de nouveau En matiegravere peacutenale
positivement lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee impose au juge civil de se conformer aux deacutecisions
du juge peacutenal (crsquoest lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee au criminel sur civil) Il srsquoagit de mettre fin
aux contestations porteacutees au civil sur le volet peacutenal de lrsquoaffaire Neacutegativement elle srsquooppose agrave
lrsquoexercice de nouvelles poursuites peacutenales pour des mecircmes faits deacutejagrave sanctionneacutes
(crsquoest lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee au criminel sur le criminel) Il srsquoagit ici de mettre fin au
procegraves
90 Crsquoest pourquoi la contradiction apparente entre lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et le
pourvoi en reacutevision sera expliqueacutee en tenant compte de lrsquoaspect binaire de lrsquoautoriteacute de la
1 T LEBARS Autoriteacute positive et autoriteacute neacutegative de chose jugeacutee proceacutedures 2007 ndeg8 eacutetude 12 2 R GASSIN laquo Autoriteacute de la chose jugeacutee raquo in Dictionnaire des sciences criminelles dir G LOPEZ et S TZITZIS op cit p 96 3 Certains auteurs se reacutefegraverent agrave la distinction entre autoriteacute interne (deacuteploiement de lrsquoautoriteacute dans le mecircme ordre judiciaire) et autoriteacute externe (par reacutefeacuterence aux juridictions civiles exteacuterieures aux juridictions reacutepressives) V en ce sens J PRADEL Proceacutedure peacutenale op cit ndeg 1020 4 La thegravese du Professeur VALTICOS (N VALTICOS Lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee au criminel sur le civil Thegravese Paris Sirey 1954) est agrave notre connaissance la premiegravere agrave avoir inviteacute agrave un questionnement sur lrsquoaffinement neacutecessaire du concept drsquoautoriteacute de la chose jugeacutee appliqueacute agrave la matiegravere peacutenale Les travaux du Professeur FOYER (J FOYER De lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee en matiegravere civile ndash Essai drsquoune deacutefinition Thegravese Paris 1954) ont poursuivi ce questionnement dont le point culminant est la thegravese du Professeur TOMASIN (D TOMASIN Essai sur lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee en matiegravere civile Thegravese Toulouse LGDJ 1975) 5 J FOYER op cit p 166 6 D TOMASIN op cit no 343 7 C BLEacuteRY Lefficaciteacute substantielle des jugements civils LGDJ coll Bibliothegraveque de droit priveacute 2000 tome 328 no 193
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chose jugeacutee1 Nous mettrons en relief lrsquoobjectif de fin tel qursquoil se dessine dans lrsquoautoriteacute
positive (A) puis dans lrsquoautoriteacute neacutegative (B)
A Lrsquoobjectif de fin de lrsquoautoriteacute positive
91 Lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee au peacutenal sur le civil est un principe neacute au XIXegraveme
siegravecle2 en lrsquoabsence de toute assise textuelle3 qui srsquoentend comme la garantie du respect de la
chose jugeacutee au peacutenal dans toute instance civile ou agrave des fins civiles porteacutee devant un juge civil
lato sensu4 La Cour de cassation rappelle que cette regravegle laquo srsquoattache agrave ce qui est
deacutefinitivement neacutecessairement et certainement deacutecideacute par le juge peacutenal sur lrsquoexistence du fait
qui forme la base commune de lrsquoaction civile et de lrsquoaction peacutenale sur sa qualification ainsi
que sur la culpabiliteacute de celui agrave qui le fait est imputeacute raquo5 Lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee au peacutenal
sur le civil srsquoapplique agrave un domaine relativement eacutetendu puisqursquoelle concerne toutes les
deacutecisions des juridictions reacutepressives de jugement quels que soient leur degreacute6 et leur nature7
92 Deux remarques srsquoimposent afin de preacuteciser le sens du terme laquo deacutecision peacutenale raquo
Tout drsquoabord la jurisprudence fait reacutefeacuterence agrave une conception mateacuterielle du droit peacutenal dans
lrsquoattribution de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee au criminel sur le civil Monsieur le Professeur
BOTTON affirme dans sa thegravese que laquo le critegravere du peacutenal reacuteside en pratique moins dans la
nature de lrsquoorgane de jugement que dans celle de la matiegravere jugeacutee raquo8 Il en reacutesulte que par
autoriteacute du peacutenal il ne faut pas entendre autoriteacute de la chose jugeacutee par une juridiction
reacutepressive mais plus largement autoriteacute de la chose jugeacutee sur une question peacutenale En ce 1 Lrsquoarticle 4 alineacutea 1 CPP dispose laquo Laction civile en reacuteparation du dommage causeacute par linfraction preacutevue par larticle 2 peut ecirctre exerceacutee devant une juridiction civile seacutepareacutement de laction publique raquo V eacutegalement R MERLE La distinction entre le droit de se constituer partie civile et le droit drsquoobtenir reacuteparation du dommage causeacute par lrsquoinfraction (consolidation mise au point ou fluctuations ) in Droit peacutenal contemporain Meacutelanges en lrsquohonneur drsquoAndreacute VITU Cujas 1989 p 397 2 Selon certains auteurs il aurait deacutejagrave existeacute dans lrsquoAncien droit Toutefois cette croyance serait erroneacutee et proviendrait drsquoune confusion avec la regravegle selon laquelle laquo le criminel emporte le civil raquo V en ce sens P COURTEAUD Essai sur lrsquoeacutevolution dans la jurisprudence reacutecente du principe de lrsquoautoriteacute au civil de la chose jugeacutee au criminel Thegravese Grenoble 1938 p 3-4 citeacute par A BOTTON Contribution agrave lrsquoeacutetude de la chose jugeacutee au peacutenal sur le civil LGDJ Coll Bibliothegraveque des sciences criminelles 2010 tome 49 3 Le principe a eacuteteacute poseacute par lrsquoarrecirct QUERTIER Cass crim 7 mars 1855 D 1855 I p 181 laquo le jugement intervenu sur [lrsquo] action [publique] mecircme en lrsquoabsence de la partie priveacutee a neacutecessairement envers et contre tous lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee quand il affirme ou nie clairement lrsquoexistence du fait qui est la base commune de lrsquoune ou lrsquoautre action ou la participation du preacutevenu agrave ce fait raquo 4 A BOTTON op cit p 5 ndeg 6 5 Cass civ 1ere 24 octobre 2012 ndeg 11-20442 6 J-P MARGUENAUD Retour sur la motivation de lrsquoarrecirct de Cour drsquoassises RCS 2013 p 158 7 V CA Lyon 3 juin 1920 D 1921 II p 5 (pour une juridiction militaire) CA Lyon 16 deacutecembre 1948 JCP 1949 II p 4863 (pour une juridiction pour mineurs) Casscom 29 octobre 1963 D 1964 p 137 (pour un tribunal maritime commercial) 8 A BOTTON op cit p 2 ndeg 4
48
sens la jurisprudence affirme que les deacutecisions rendues par une juridiction administrative en
matiegravere de contraventions de grande voirie font autoriteacute sur le civil1 Ensuite les points de
droit trancheacutes par des deacutecisions peacutenales sur des inteacuterecircts civils nrsquoauront agrave lrsquoeacutegard des deacutecisions
civiles agrave venir qursquoune autoriteacute de la chose jugeacutee au civil sur le civil Ce volet eacutetranger agrave notre
eacutetude devra respecter les exigences de lrsquoarticle 1351 du Code civil2 Toutefois la
jurisprudence teacutemoigne drsquoun changement de donne lorsque lrsquoeacuteleacutement concerneacute dans le
jugement peacutenal bien qursquoeacutetant de nature civile ou commerciale nrsquoen constitue pas moins une
condition preacutealable de lrsquoinfraction3 (par exemple un contrat dans lrsquoabus de confiance) Dans
de tels cas la chose jugeacutee au peacutenal bien qursquoeacutetant de nature civile et soumise aux regravegles
probatoires propres au droit civil aura autoriteacute sur le juge civil Cet aspect est qualifieacute par
Madame le Professeur RASSAT de laquo grotesque raquo4
93 Trois raisons au moins conduisent agrave srsquointeacuteresser agrave lrsquoaspect positif de la chose
jugeacutee
Primo lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee est le socle sur lequel repose le pourvoi en reacutevision La
mise en perspective de ce principe par rapport agrave la reacutevision suppose de srsquointeacuteresser agrave son
entier deacuteploiement dans le procegraves peacutenal Un raisonnement inverse entrainerait une vision
parcellaire de la question Ainsi Madame Juliette LELIEUR souligne dans sa thegravese agrave propos
de lrsquoaspect neacutegatif du principe qursquolaquo il est [hellip] impossible de le consideacuterer seul raquo5 Secundo
lrsquoaspect positif du principe confegravere une autoriteacute aux deacutecisions du juge peacutenal qui deviennent
opposables au juge civil Un frein est ainsi mis agrave leur contestation devant le juge civil
Tertio lrsquoannulation drsquoune deacutecision deacutefinitive sur la base drsquoun pourvoi en reacutevision a un effet
erga omnes Rien ne subsistera de la condamnation initiale qui ne pourra plus ecirctre invoqueacutee
devant le juge civil Lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee au criminel sur le civil ne peut donc pas
eacutechapper agrave nos investigations La remise en cause de cette autoriteacute par la reacutevision a
ineacutevitablement des conseacutequences sur le juge civil qui srsquoeacutetait fondeacute dans sa deacutecision sur une
veacuteriteacute qui nrsquoen est plus une6
1 CE 27 juillet 1988 Bellay Rec p 301 AJDA 1988 p 763 note J-B AUBY 2 Lrsquoarticle 1351 du Code civil dispose laquo Lautoriteacute de la chose jugeacutee na lieu quagrave leacutegard de ce qui a fait lobjet du jugement Il faut que la chose demandeacutee soit la mecircme que la demande soit fondeacutee sur la mecircme cause que la demande soit entre les mecircmes parties et formeacutee par elles et contre elles en la mecircme qualiteacute raquo 3 M-L RASSAT Traiteacute de proceacutedure peacutenale Paris Puf Droit fondamental 2001 p 846 4 Ibid p 847 ndeg 523 5 J LELIEUR La regravegle ne bis in idem (hellip) op cit p 98 ndeg 112 6 J-P DINTILHAC op cit p 49-57 spec p 54
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94 Lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee au peacutenal sur le civil se trouve agrave hauteur drsquoun carrefour
entre la chose jugeacutee (au peacutenal) et la chose agrave juger (au civil) Deux des conditions1 que doit
revecirctir la chose jugeacutee pour srsquoimposer agrave la chose agrave juger illustrent lrsquoopposition entre lrsquoautoriteacute
positive de la chose jugeacutee et le pourvoi en reacutevision2 Il srsquoagit du caractegravere national (1) et
irreacutevocable (2) que doit avoir la chose jugeacutee
1 Le caractegravere national de la chose jugeacutee vu sous lrsquoangle de la reacutevision
95 Il est de jurisprudence constante3 que les deacutecisions reacutepressives eacutetrangegraveres ne
srsquoimposent pas au juge civil franccedilais Cette jurisprudence approuveacutee par une partie de la
doctrine4 se fonde sur la souveraineteacute de lrsquoEtat franccedilais Drsquoune part elle se heurte aux
orientations leacutegislatives prises en 20055 et reacuteaffirmeacutees en 20106 qui prennent en compte au
titre de la reacutecidive les condamnations prononceacutees par les juridictions peacutenales dun Etat
membre de lUnion Europeacuteenne7 Drsquoautre part cette jurisprudence peut se trouver en
contradiction avec la deacutefinition de la souveraineteacute
96 A la lumiegravere des arguments deacuteveloppeacutes par Monsieur le Professeur BOTTON8
cette position jurisprudentielle encourt en effet le grief de ne pas respecter la notion de
souveraineteacute En principe la deacutecision de reconnaissance de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee
incombe au seul juge du lieu de son effectiviteacute Autrement dit seul le juge civil franccedilais est agrave
mecircme drsquoattribuer lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee agrave une deacutecision eacutetrangegravere En conseacutequence
confeacuterer une autoriteacute de la chose jugeacutee agrave lrsquoeacutetranger loin drsquoattenter agrave la souveraineteacute de la
France constituerait au contraire une marque de volonteacute souveraine des juges ou du
1 Pour une eacutetude complegravete de cette question V notamment E MERLE et A VITU op cit p 1058 et s B BOULOC op cit p 982 N VALTICOS op cit ndeg 48 et s A BOTTON op cit p 162 et s 2 Ces deux caractegraveres (une deacutecision nationale et irreacutevocable) se retrouvent en matiegravere drsquoautoriteacute de la chose jugeacutee au criminel sur le criminel Toutefois elles ne sont abordeacutees ici que sous lrsquoangle de lrsquoaspect positif 3 V par exemple Casscrim 17 octobre 1889 DP 1890 I p 138 Casscrim 26 janvier 1966 ndeg 65-92410 Bull Crim ndeg 23 Casscrim 6 deacutec 2005 D 2006 Somm 617 speacutec 622 obs J PRADEL Casscrim 26 sept 2007 Bull crim ndeg 224 D 2008 Jur 1179 note D REBUT 4 V notamment E AUDINET De lrsquoautoriteacute au civil de la chose jugeacutee au criminel en droit franccedilais Thegravese Poitiers 1883 p 172 agrave 174 Pour une opinion en sens inverse V P HEBRAUD Lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee au criminel sur le civil Thegravese Toulouse Sirey 1929 p 138 - 139 citeacute par ABOTTON op cit p 162 ndeg 289 H DONNEDIEU DE VABRES Traiteacute eacuteleacutementaire de droit criminel et de leacutegislation peacutenale compareacutee Sirey 1938 p 343-355 J DANET Reacutep Peacuten laquo Chose jugeacutee (autoriteacute de) raquo Dalloz 2013 ndeg 146 5 Loi ndeg 2005-1549 du 12 deacutecembre 2005 relative au traitement de la reacutecidive des infractions peacutenales 6 Loi ndeg 2010-242 du 10 mars 2010 tendant agrave amoindrir le risque de reacutecidive criminelle et portant diverses dispositions de proceacutedure peacutenale 7 Lrsquoarticle 132-23-1 du CP dispose laquo Pour lapplication du preacutesent code et du code de proceacutedure peacutenale les condamnations prononceacutees par les juridictions peacutenales dun Etat membre de lUnion europeacuteenne sont prises en compte dans les mecircmes conditions que les condamnations prononceacutees par les juridictions peacutenales franccedilaises et produisent les mecircmes effets juridiques que ces condamnations raquo 8 A BOTTON op cit ndeg 276 agrave 290
50
leacutegislateur Degraves lors nous ne partageons pas lrsquoideacutee selon laquelle lrsquoattribution drsquoune autoriteacute
de chose jugeacutee aux deacutecisions peacutenales eacutetrangegraveres conduirait ipso facto agrave une remise en cause de
la souveraineteacute nationale
97 Pour que la chose jugeacutee (au peacutenal) ait autoriteacute sur la chose agrave juger (au civil) elle se
doit aussi drsquoecirctre irreacutevocable
2 Le caractegravere irreacutevocable de la chose jugeacutee vu sous lrsquoangle de la reacutevision
98 Afin de beacuteneacuteficier drsquoune autoriteacute sur la chose agrave juger au civil la deacutecision peacutenale
doit selon la jurisprudence ecirctre insusceptible de recours ordinaire comme extraordinaire
Cela signifie qursquoelle doit ecirctre irreacutevocable1 en ce sens qursquoelle ne doit plus pouvoir faire lrsquoobjet
drsquoaucune voie de recours et ce pour se preacutemunir contre toute contradiction deacutecisionnelle La
doctrine classique par la voix du Doyen HEBRAUD justifie cette exigence par le fait que
seules les deacutecisions peacutenales irreacutevocables peuvent influencer une instance civile agrave venir2 Crsquoest
pourquoi il ne serait pas leacutegitime que le juge civil se soumette agrave une chose jugeacutee encore
susceptible drsquoeacutevoluer
99 Confronteacutee agrave la proceacutedure de reacutevision cette condition drsquoirreacutevocabiliteacute eacuteveille notre
curiositeacute En effet elle impliquerait que lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee au peacutenal sur le civil soit
subordonneacutee agrave lrsquoextinction des deacutelais de recours en reacutevision Or le deacuteclenchement drsquoun
pourvoi en reacutevision depuis la loi de 7 juin 19493 nrsquoest encadreacute dans aucun deacutelai ou limite
temporelle Aussi est-il impossible drsquoappliquer la condition de lrsquoirreacutevocabiliteacute de la chose
jugeacutee au pourvoi en reacutevision qui par nature est inextinguible Lrsquoannulation drsquoune
condamnation peacutenale par la reacutevision a pour reacutesultat drsquoaneacuteantir reacutetroactivement tous les effets -
notamment civils- passeacutes de cette condamnation4 Dans lrsquohypothegravese absurde de lrsquoapplication
1 Un jugement peut ecirctre deacutefinitif sans ecirctre irreacutevocable La Cour de cassation rappelle cette distinction en preacutecisant que laquo la notion de deacutecision deacutefinitive qui peut ecirctre attaqueacutee par une voie de recours doit ecirctre distingueacutee de celle de deacutecision irreacutevocable qui ne peut plus ecirctre remise en cause par lexercice dune voie de recours ordinaire ou extraordinaire raquo V Cass civ 2e 8 juill 2004 RTD civ 2004 775 obs PERROT V eacutegalement J LELIEUR op cit p 86 ndeg 98 2 P HEBRAUD op cit p 138-139 3 La loi ndeg 49-736 du 7 juin 1949 a supprimeacute lrsquoancien article 444 du Code drsquoinstruction criminelle qui disposait laquo La demande sera non recevable si elle nrsquoa eacuteteacute inscrite au Ministegravere de la Justice ou introduite par le Ministre sur la demande des parties dans le deacutelai drsquoun an agrave dater du jour ougrave celles-ci auront connu le fait donnant ouverture agrave reacutevision raquo En pratique le fait nouveau ou lrsquoeacuteleacutement inconnu peuvent apparaitre longtemps apregraves les faits (dans le cas de Monsieur AGRET le fait nouveau est apparu 10 ans apregraves sa condamnation) 4 Cass 2e civ 1 juillet 1954 D 1955 jurisp p 45
51
de la condition drsquoirreacutevocabiliteacute agrave la reacutevision lrsquoeffectiviteacute du principe de lrsquoautoriteacute de la chose
jugeacutee disparaitrait1
100 Analyseacutee sous le prisme du pourvoi en reacutevision lrsquoautoriteacute positive de la chose
jugeacutee soulegraveve donc certaines interrogations Il srsquoagit drsquoun inventaire partiel des nombreux
griefs formuleacutes agrave lrsquoencontre de ce principe2 En effet lrsquoautoriteacute positive de la chose jugeacutee a de
nombreux deacutetracteurs qui depuis bien longtemps deacutenoncent les faiblesses de la regravegle3 On
remarque drsquoailleurs que le leacutegislateur lui-mecircme eacutegratigne le principe en reacuteduisant
progressivement son peacuterimegravetre drsquoaction4 Les juges font aussi preuve drsquoune position de repli5
faisant de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee au peacutenal sur le civil un principe en deacuteclin
101 Lrsquoaspect positif poursuit lrsquoobjectif de mettre un terme aux contestations porteacutees
au civil sur le volet peacutenal de lrsquoaffaire Lrsquoaspect neacutegatif quant agrave lui est destineacute agrave mettre un
terme agrave la proceacutedure
B Lrsquoobjectif de fin de lrsquoautoriteacute neacutegative
102 Lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee au peacutenal sur le peacutenal est une technique
juridictionnelle ancienne6 empecircchant la remise en cause perpeacutetuelle de ce qui a eacuteteacute jugeacute7 Bien
1 A BOTTON op cit p 186 ndeg 332 laquo Subordonner lrsquoeffectiviteacute drsquoune regravegle agrave lrsquoextinction drsquoun recours inextinguible revenant neacutecessairement agrave la supprimer raquo 2 Ce principe suscite de nombreuses reacuteserves La critique la plus seacutevegravere est relative au sacrifice du contradictoire et des droits de la deacutefense V en ce sens S GUINCHARD et J BUISSON op cit ndeg 2605 DECOQ note sous Paris 29 avril 1997 Gaz Pal 15-17 feacutevr 1998 p 8 F STASIAK Lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee drsquoune deacutecision de relaxe sur lrsquoinstance prud-homale en licenciement disciplinaire RSC 1994 p 267 Cass soc 6 octobre 1998 JCP 1999 II 10020 note C PUIGELIER J-H ROBERT Lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee au peacutenal sur le civil proceacutedures aout-septembre 2007 Etudes ndeg 19 A CHAVANNE Les effets du procegraves peacutenal sur le procegraves engageacute devant le tribunal civil RSC 1954 p 239 3 V notamment J GRANIER La partie civile au procegraves peacutenal RSC 1958 1 et s V TELLIER En finir avec la primauteacute du criminel sur le civil RSC 2009 p 797 Propositions de reacuteforme du Code de proceacutedure peacutenale Rapport au Garde des Sceaux Ministre de la Justice M-L RASSAT 1997 la Documentation franccedilaise Disponible sur httpwwwladocumentationfrancaisefrvarstoragerapports-publics974035000pdf Ceacuteleacuteriteacute et qualiteacute de la justice La gestion du temps dans le procegraves Rapport au Garde des Sceaux Ministre de la justice J-C MANGENDIE 2004 La documentation franccedilaise p 117-122 Disponible sur httpwwwladocumentationfrancaisefrrapports-publics044000433 4 V la loi ndeg 2000- 647 du 10 juillet 2000 tendant agrave preacuteciser la deacutefinition des deacutelits non intentionnels et la loi ndeg 2007-291 du 5 mars 200 tendant agrave renforcer lrsquoeacutequilibre de la proceacutedure peacutenale 5 D PORTOLANO et F BOULAN laquo Drsquoune nouvelle alteacuteration de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee au peacutenal sur le civil la conseacutecration de la preacutevalence de lrsquoarticle 618 du code de proceacutedure civile en cas de contrarieacuteteacute de deacutecisions civiles et peacutenales ndashagrave propos de lrsquoarrecirct chambre mixte du 11 deacutecembre 2009 raquo Dr peacutenal 2010 ndeg 5 eacutetude 10 M-C AMAUGER-LATTES laquo Lrsquoexistence du contrat de travail lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee au peacutenal raquo Revue de droit du travail 2006 p 382 6 Pour des deacuteveloppements historiques V JOUSSE Traiteacute de la justice criminelle op cit t III p 13 et s K NAJARIAN op cit p 3 agrave 48 F HELIE op cit ndeg 978 s 7 R GARRAUD et P GARRAUD Traiteacute theacuteorique et pratique dinstruction criminelle et de proceacutedure peacutenale 1929 Sirey ndeg 2244
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que sa neacutecessiteacute ne fasse aucun doute il nrsquoen est pas moins vrai que ses contours mal
dessineacutes sont de nature agrave compliquer lrsquointervention du leacutegislateur en matiegravere de reacutevision
103 Preacutevu par le Code de proceacutedure peacutenale1 ce principe se fonde sur la neacutecessiteacute de
mettre fin agrave un moment donneacute aux contestations eacutemanant tant des parties souvent enclines agrave
faire rejuger lrsquoaffaire que du juge tenteacute de revenir sur sa deacutecision laquo Le repos des familles et
de la socieacuteteacute toute entiegravere se fonde non seulement sur ce qui est juste mais sur ce qui est fini raquo
disait Montesquieu2 La speacutecificiteacute du droit peacutenal reacuteclame lrsquoimpeacuterieuse garantie de
lrsquoimmutabiliteacute des jugements3 crsquoest-agrave-dire leur fin La doctrine unanime estime aujourdrsquohui4
que la remise en cause perpeacutetuelle des deacutecisions reacutepressives nourrirait parmi le public un
doute neacutefaste de nature agrave mettre en cause lrsquoefficaciteacute de la proceacutedure peacutenale laquo qui paraitrait
incapable de parvenir agrave une veacuteriteacute suffisante on multiplierait les proceacutedures sans inteacuterecirct pour
personne et on deacutesarmerait la reacutepression en lui enlevant les principales conditions de son
efficaciteacute la rapiditeacute et la certitude raquo5 Ainsi laquo sans avoir le culte de lrsquoautoriteacute de la chose
jugeacutee il est fondamental [hellip] de savoir aussi mettre un terme agrave une proceacutedure raquo6
104 Lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee est deacutefinie par de nombreux auteurs7 comme
lrsquoexpression de la regravegle ne bis in idem8 Ce lien indeacutefectible entre lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee
et ne bis in idem se resserre sous lrsquoaction de lrsquoaspect neacutegatif de la chose jugeacutee portant
interdiction pour le juge drsquoenclencher de nouvelles poursuites fondeacutees sur les mecircmes faits
apregraves une condamnation deacutefinitive Lrsquoaspect neacutegatif se marierait donc en quelque sorte avec
la regravegle ne bis in idem Crsquoest ainsi que Madame le Professeur RASSAT considegravere que laquo
lrsquoaspect neacutegatif interdit de recommencer une poursuite peacutenale pour des faits deacutejagrave sanctionneacutes
crsquoest lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee au peacutenal sur le peacutenal raquo9 Dans sa thegravese Madame Juliette
LELIEUR reacutesume lrsquoeacutetat de la doctrine contemporaine dans les termes suivants 1 Pour lrsquoapplication interne de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee V articles 6 188 et 368 du CPP Pour lrsquoapplication de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee agrave lrsquoeacutetranger V article 692 CPP et article 133-9 CP Pour un exemple drsquoapplication V Cass crim 23 octobre 2013 ndeg 13-83499 2 Citeacute par D MOUGENOT Principes de droit judiciaire priveacute Larcier 2009 p 238 3 C BLERY op cit p 118 ndeg 173 4 Lautoriteacute neacutegative de la chose jugeacutee avait eacuteteacute contesteacutee par leacutecole positiviste au XIXegraveme et XXegraveme siegravecle V E FERRI Sociologie criminelle trad L Terrier F Alcan 2egraveme eacuted franccedilaise 1914 ndeg 73 p 497 5 R MERLE et A VITU op cit p 1043 ndeg 886 6 Assembleacutee Nationale Rapport drsquoinformation ndeg 1598 op cit Contribution de Monsieur B COTTE p 199 7 J ORTOLAN Eacuteleacutements de droit peacutenal 5e eacuted 1886 Plon ndeg 1775 R GARRAUD et P GARRAUD op cit ndeg 2260 H DONNEDIEU DE VABRES op cit ndeg 1855 M-L RASSAT op cit ndeg 516 S GUINCHARD et J BUISSON op cit ndeg 2441 8 laquo Ne bis in idem raquo signifie litteacuteralement laquo pas deux fois dans la mecircme affaire raquo Le respect de la grammaire latine exige que lrsquoon utilise lrsquoexpression laquo ne bis in idem raquo et non pas laquo non bis in idem raquo V en ce sens L BRUTSCH C FAVEZ A OLTRAMARE Grammaire latine Paris Librairie Payot et Cie 1923 p 278 citeacute par J LELIEUR op cit note ndeg 4 9 M-L RASSAT op cit ndeg 496
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laquo lrsquointerdiction de proceacuteder agrave plusieurs poursuites pour les mecircmes faits exprimeacutee par la regravegle
ne bis in idem est lrsquoun des effets de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee Parce qursquoil y a chose jugeacutee il
est interdit de poursuivre agrave nouveau De plus la regravegle ne bis in idem incarne lrsquoaspect neacutegatif
du principe de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee qursquoon appelle encore autoriteacute neacutegative de la chose
jugeacutee Et comme au sein de lrsquoordre judiciaire reacutepressif lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee nrsquoest que
neacutegative drsquoassimilation en assimilation lrsquohabitude a eacuteteacute prise drsquoutiliser lrsquoexpression laquo autoriteacute
de la chose jugeacutee au criminel sur le criminel raquo pour eacutevoquer lrsquoautoriteacute neacutegative attacheacutee aux
deacutecisions rendues par des juridictions peacutenales et empecircchant la tenue de nouvelles poursuites
pour les mecircmes faits crsquoest-agrave-dire comme synonyme de la regravegle ne bis in idem raquo1
105 Une lente eacutevolution doctrinale dont le point culminant est la thegravese de Madame
Juliette LELIEUR2 srsquoemploie agrave remettre en cause le rapprochement entre lrsquoautoriteacute de la
chose jugeacutee plus preacuteciseacutement son aspect neacutegatif et ne bis in idem3 Lrsquoauteure fait la
deacutemonstration que leur association artificielle est agrave lrsquoorigine des faiblesses de la regravegle ne bis in
idem Lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee a pour objectif la protection de la deacutecision judiciaire
Quant agrave la regravegle ne bis in idem elle se fixe comme but la protection de la personne
poursuivie Infeacuteodeacutee agrave lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee la maxime latine ne peut pas srsquoeacutepanouir
pleinement dans ce scheacutema Madame Juliette LELIEUR propose donc drsquoaccorder
lrsquoautonomie agrave ne bis in idem en lui attribuant un fondement propre le principe drsquouniciteacute
drsquoaction reacutepressive Les conclusions retenues par lrsquoauteur fournissent des arguments utiles agrave
notre deacutemonstration
106 Cette association deacuterangeante entre ne bis in idem et lrsquoaspect neacutegatif de lrsquoautoriteacute
de la chose jugeacutee nuit au pourvoi en reacutevision En effet lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee est la base
sur laquelle repose la proceacutedure de reacutevision Il est donc indispensable que les contours de
lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee soient preacuteciseacutement deacutelimiteacutes Lrsquoamalgame contesteacute entre ne bis in
idem et lrsquoaspect neacutegatif de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee entretient un flou quant au concept
drsquoautoriteacute de la chose jugeacutee Cette situation place le leacutegislateur dans une position
inconfortable qui lrsquooblige agrave eacutedifier la reacutevision sur des fondations fragiles
1 J LELIEUR op cit p 60 ndeg 67 2 Ibid La premiegravere partie de la thegravese srsquointitule laquo critique du rattachement de la regravegle ne bis in idem au principe de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee raquo 3 FAUSTIN-HELIE op cit ndeg 982 A LEacuteGAL note sous cass crim 30 janv 1937 S 1939 1 p 193 C GAVALDA Aspects actuels du problegraveme de lautoriteacute de la chose jugeacutee au criminel sur le criminel JCP 1957 I p 1372 R GASSIN Les destineacutees du principe de lautoriteacute de chose jugeacutee au criminel sur le criminel dans le droit peacutenal contemporain RSC 1963 p 239
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107 Aussi ces deacuteveloppements deacutemontrent-ils que la notion de fin est indissociable
de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee prise en compte sous le couvert de ses deux aspects (positif et
neacutegatif) A lrsquoinverse le pourvoi en reacutevision nrsquoexiste que par la seule ideacutee drsquoune renaissance
sect 2 La reacutevision ou la renaissance du procegraves
108 La renaissance voulue par la reacutevision se manifeste tant dans la loi de 1989 que
dans celle de 2014 par deux dispositions Premiegraverement lrsquoarticle 624-7 du Code de
proceacutedure peacutenale qui reprend agrave lrsquoidentique les termes de lrsquoancien article 625 alineacutea 2 preacutevoit
que laquo si elle (la Cour de reacutevision et de reacuteexamen) estime la demande fondeacutee elle annule la
condamnation prononceacutee raquo La technique de lrsquoannulation qui sanctionne une laquo maladie raquo1 du
jugement plus preacuteciseacutement une erreur de fait entraine lrsquoeffacement de la deacutecision La
condamnation et toutes ses conseacutequences sont reacutetroactivement aneacuteanties (A) Deuxiegravemement
apregraves lrsquoannulation de la deacutecision la loi fait place agrave la reacuteparation (B)
A Lrsquoaneacuteantissement reacutetroactif de la condamnation et de toutes
ses conseacutequences
109 Lrsquoannulation revecirct une symbolique tregraves forte puisqursquoelle deacutebouche sur la
disparition de la condamnation et de tous les effets qui srsquoy rattachent2 La condamnation est
donc reacuteputeacutee nrsquoavoir jamais existeacute Cette annulation de la sentence vicieacutee est drsquoune
importance capitale pour la personne injustement condamneacutee qui retrouve alors sa liberteacute et
son honneur Crsquoest ainsi que lrsquoexeacutecution de la dureacutee de la peine non encore accomplie ou
suspendue devient sans objet et que la libeacuteration immeacutediate de lrsquoinnocenteacute srsquoimpose si
lrsquoexeacutecution de la peine est en cours3
110 La reacutevision a eacutegalement pour conseacutequence que laquo toute condamnation agrave des
dommages-inteacuterecircts exclusivement fondeacutee sur la culpabiliteacute originairement retenue de ces
1 Expression emprunteacutee J-M MOUSSERON agrave propos de lrsquoannulation du contrat Techniques contractuelles eacuteditions F LEFEBVRE 2010 p 625 ndeg 1706 2 Seront restitueacutes de plein droit les amendes ou les droits de proceacutedure acquitteacutes Dans le mecircme ordre drsquoideacutees les peines accessoires ou compleacutementaires seront eacutegalement effaceacutees Lrsquoeffacement reacutetroactif de la condamnation ne peut jamais preacutejudicier aux tiers V en ce sens J PRADEL op cit p 915 ndeg 1022 Par exemple le divorce qui a pu ecirctre prononceacute agrave la suite de la condamnation reste valable Ce maintien valide un eacuteventuel remariage contracteacute ulteacuterieurement par le conjoint divorceacute V H ANGEVIN op cit ndeg 214 3 La reacutevision nentraicircne pas la disparition de la peine prononceacutee lorsque celle-ci la eacuteteacute pour plusieurs infractions dont une seule a fait lobjet de la reacutevision La peine prononceacutee doit alors ecirctre maintenue si elle est justifieacutee par les infractions non reacuteviseacutees V Cass crim 29 janv 1958 Bull crim no 106
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preacutevenus ou accuseacutes se trouve effaceacutee de plein droit raquo1 Au plan civil le caractegravere reacutetroactif
de lrsquoannulation dispense donc la personne innocenteacutee du versement des dommages et inteacuterecircts
dus agrave la victime Prononceacutee par une juridiction reacutepressive ou civile cette condamnation aux
dommages et inteacuterecircts disparaicirct degraves lors que la juridiction srsquoest exclusivement fondeacutee sur la
constatation de la culpabiliteacute peacutenale Si le condamneacute a deacutejagrave reacutegleacute les dommages et inteacuterecircts il
peut se preacutevaloir de lrsquoaction en reacutepeacutetition de lrsquoindu inscrite agrave lrsquoarticle 1377 du Code civil pour
en demander le remboursement2
111 Mais lrsquoannulation drsquoune condamnation deacutefinitive est aussi un signal fort envoyeacute agrave
la socieacuteteacute qui souvent perturbeacutee voire scandaliseacutee par les erreurs judiciaires se pose des
questions sur la creacutedibiliteacute de lrsquoinstitution de la justice laquo un innocent condamneacute est lrsquoaffaire
de tous les honnecirctes gens raquo3 En faisant le choix de lrsquoannulation reacutetroactive de la
condamnation vicieacutee le leacutegislateur lance un signal courageux agrave la socieacuteteacute
112 Enfin drsquoun point de vue plus juridique lrsquoannulation drsquoune deacutecision deacutefinitive
consacre la victoire sur un adversaire redoutable lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee Drsquoailleurs la
doctrine ne reconnaicirct que lrsquoannulation dans lrsquohypothegravese du succegraves drsquoune reacutevision laquo Sil est
malheureusement impossible dorganiser la justice reacutepressive de faccedilon agrave eacuteviter toute erreur
judiciaire du moins faut-il que les condamnations qui ont frappeacute des innocents puissent ecirctre
effaceacutees raquo4 La jurisprudence rappelle la force des effets de la reacutevision en preacutecisant
que laquo lannulation par la chambre criminelle de la Cour de cassation (Cour de reacutevision) dune
deacutecision de condamnation prononceacutee par une juridiction reacutepressive a pour reacutesultat daneacuteantir
reacutetroactivement tous les effets passeacutes de cette condamnation raquo5
113 Lrsquoancien article 625 du Code de proceacutedure peacutenale preacutevoyait deux modaliteacutes
drsquoannulation qui ont eacuteteacute reprises par la loi de 2014 agrave lrsquoarticle 624-7 du Code de proceacutedure
peacutenale Ainsi laquo sil est possible de proceacuteder agrave de nouveaux deacutebats contradictoires la
formation de jugement de la cour de reacutevision et de reacuteexamen renvoie le requeacuterant devant une
juridiction de mecircme ordre et de mecircme degreacute mais autre que celle dont eacutemane la deacutecision
annuleacutee raquo
1 Cass 2e civ 1er juill 1954 D 1955 p 45 concl LEMOINE 2 Lrsquoarticle 1377 du Code civil alineacutea 1 dispose laquo Lorsquune personne qui par erreur se croyait deacutebitrice a acquitteacute une dette elle a le droit de reacutepeacutetition contre le creacuteancier raquo 3 LA BRUYERE Les caractegraveres De quelques usages Les classiques de poche Le livre de poche 1976 p 52 4 R GARRAUD op cit ndeg 1995 5 Cass crim 1er juill 1954 op cit
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114 Dans le cas de lrsquoannulation sans renvoi1 la Cour de reacutevision et de reacuteexamen
reconnaicirct sur le champ lrsquoinnocence du demandeur Cette deacuteclaration drsquoinnocence se suffit agrave
elle-mecircme pour replacer dans ses droits lrsquoinnocenteacute2 Dans celui de lrsquoannulation avec renvoi
la Cour de reacutevision et de reacuteexamen agit comme en matiegravere de cassation Elle ne se prononce
que sur le rescindant3 pour confier le rescisoire4 agrave la juridiction de renvoi qui rejuge lrsquoaffaire
au fond Devant cette juridiction le demandeur nrsquoest plus consideacutereacute comme un condamneacute
Redevenu un preacutevenu ou un accuseacute il peut agrave nouveau beacuteneacuteficier de la preacutesomption
drsquoinnocence qualiteacute que sa condamnation passeacutee en force de chose jugeacutee lui avait fait perdre5
La technique du renvoi preacutesente de plus lrsquointeacuterecirct laquo de comprendre comment lrsquoerreur
judiciaire srsquoest construite [hellip] le nouveau procegraves est un moyen pour la justice de remettre les
choses dans lrsquoordre par lrsquoeacutetablissement drsquoun paralleacutelisme des formes entre la condamnation et
lrsquoacquittement raquo6 La juridiction de renvoi dispose dune tregraves grande liberteacute dappreacuteciation
pouvant soit proclamer linnocence du condamneacute soit confirmer la deacutecision annuleacutee soit
prononcer une nouvelle condamnation7 Elle peut mecircme fonder sa deacutecision sur un motif autre
que ceux retenus par la Cour de reacutevision et de reacuteexamen agrave lrsquooccasion de lrsquoannulation du
jugement initial8 Une seule limite srsquoimpose la prohibition de la reacuteformation in pejus
principe commun agrave toutes les voies de recours dans lrsquointeacuterecirct du condamneacute9 Crsquoest ainsi que la
nouvelle sanction ne peut pas ecirctre supeacuterieure agrave celle preacutevue par la condamnation annuleacutee10
1 Monsieur LAMANDA qualifie les hypothegraveses drsquoannulation sans renvoi drsquolaquo annulations segraveches raquo V Assembleacutee Nationale Rapport drsquoinformation op cit p181 2 Ibid p 42 laquo 65 des deacutecisions drsquoannulation ne donnent pas lieu agrave renvoi (essentiellement en matiegravere correctionnelle) raquo 3 G CORNU op cit V rescindant laquo Le rescindant laquo du latin rescindere seacuteparer en deacutechirant est la premiegravere des deux phases de la proceacutedure de reacutevision qui consiste en lrsquoexamen [] de la recevabiliteacute et du bien-fondeacute du pourvoi raquo 4 G CORNU op cit V rescisoire laquo Le rescisoire est la phase destineacutee agrave rejuger lrsquoaffaire qui srsquoouvre apregraves annulation au rescindant de la deacutecision reconnue erroneacutee soit devant la juridiction de renvoi soit dans le cas ougrave le renvoi est exclu devant la chambre criminelle (auquel cas la distinction du rescindant et du rescisoire srsquoestompe) raquo H ANGEVIN Les demandes en reacutevision op cit ndeg 191 laquo (hellip) partie de lrsquoarrecirct que jadis les juristes qualifiaient de rescindant raquo Lrsquoemploi du passeacute et du terme jadis signifient que pour Monsieur Angevin cette distinction nrsquoa plus lieu drsquoecirctre en sens contraire V Reacutevision la distinction du rescindant et du rescisoire agrave propos de cass crim ndeg13042010 ndeg 09-84531 AJ Peacutenal 2010 p 349 5 H ANGEVIN op cit ndeg 192 6 Assembleacutee Nationale Rapport drsquoinformation op cit p44 7 Dans ce cas la partie de la peine subie en vertu de la premiegravere condamnation simpute sur celle prononceacutee par les juges de renvoi 8 Cass crim 6 aoucirct 1945 Bull crim no 94 9 V R MERLE et A VITU op cit ndeg 838 P BOUZAT et J PINATEL op cit ndeg 1523 p 1466 J PRADEL op cit ndeg 651 p 618 PD de BOISVILLIERS La regravegle de lrsquointerdiction drsquoaggraver le sort du preacutevenu RSC 1993 p 694 J LEBLOIS-HAPPE Le libre choix de la peine par le juge un principe deacutefendu bec et ongles par la chambre criminelle (agrave propos de lrsquoarrecirct rendu le 4 avril 2002) Dr peacutenal 2003 chron 11 speacutec ndeg 10-13 10V Cass crim 31 juill 1909 Dr peacutenal 1902 I p 79 L PRIOU-ALIBERT laquo Reacutevision vers un nouvel acquittement raquo Dalloz Actualiteacutes 23 mai 2013
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115 Se posent donc les questions de savoir quel est le critegravere du choix entre ces deux
modaliteacutes drsquoannulation (avec ou sans renvoi) (1) ainsi que de lrsquoeacutevaluation des conseacutequences
de ce choix (2)
1 Le critegravere du choix entre lrsquoannulation avec ou sans renvoi
116 Tant dans la loi de 1989 que dans celle de 2014 le choix entre lrsquoannulation avec
ou sans renvoi repose sur le critegravere des laquo nouveaux deacutebats raquo Divers cas sont preacutevus par le
leacutegislateur afin de deacuteterminer si la situation exige ou non un renvoi
a Lrsquoimpossibiliteacute immeacutediate de proceacuteder agrave de nouveaux deacutebats
117 Lrsquoarticle 624-7 du Code de proceacutedure peacutenale qui reprend les termes de lrsquoancien
article 625 dispose laquo Sil y a impossibiliteacute de proceacuteder agrave de nouveaux deacutebats notamment en
cas damnistie de deacutecegraves de contumace ou de deacutefaut dun ou de plusieurs condamneacutes
dirresponsabiliteacute peacutenale en cas de prescription de laction ou de la peine la formation de
jugement de la Cour de reacutevision et de reacuteexamen apregraves lavoir expresseacutement constateacutee statue
au fond en preacutesence des parties civiles sil y en a au procegraves et des curateurs nommeacutes par elle
agrave la meacutemoire de chacun des morts dans ce cas elle annule seulement celles des
condamnations qui lui paraissent non justifieacutees et deacutecharge sil y a lieu la meacutemoire des
morts raquo
118 Ce texte non exhaustif1 liste une seacuterie drsquoobstacles de nature agrave empecirccher
lrsquoorganisation de nouveaux deacutebats La Cour de reacutevision et de reacuteexamen qui constate
lrsquoimpossibiliteacute drsquoorganiser de nouveaux deacutebats se doit drsquoannuler purement et simplement la
condamnation en excluant ainsi le renvoi Les applications jurisprudentielles auxquelles a
donneacute lieu ce texte sous lrsquoempire de la loi de 1989 teacutemoignent de la rigueur de la Cour de
reacutevision qui apregraves avoir constateacute et qualifieacute lrsquoimpossibiliteacute se reacutesignait ensuite agrave rendre
elle-mecircme la deacutecision sans renvoi2
1 Utilisation du terme laquo notamment raquo 2 Pour lrsquoamnistie V Cass crim 2 feacutevr 1950 Bull no 40 Pour le deacutecegraves au moment de lrsquointroduction du recours V Cass crim 11 juin 1869 Bull crim ndeg 138 S 1870 1 p 140 Cass crim 26 nov 1920 Bull ndeg 456 ndash Cass crim 17 juin 1935 Bull ndeg 12 Pour le deacutecegraves en cours drsquoinstance V Cass crim 5 mars 1931 Bull ndeg 65 pour la deacutecharge de la meacutemoire du mort V Casscrim 25 novembre 1991 op cit pour le deacutecegraves de lrsquounique teacutemoin V Cass crim 26 juin 1991 ndeg 90-85925 Bull crim ndeg 284 Pour la prescription V Cass crim 15 mars 1900 Bull ndeg 117 pour lrsquointerruption de la prescription par un preacuteceacutedent recours en reacutevision infructueux V Cass crim 29 mars 1984 Bull ndeg 133 Pour la deacutemence V Cass crim 9 juill 1917 Bull Crim ndeg 165 Cass crim 15 juin 1918 Bull ndeg 135 Cass crim 3 juill 1919 Bull ndeg 151 Cass crim 12 sept 2007 ndeg 06-87290
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119 laquoLrsquoimpossibiliteacute de proceacuteder agrave de nouveaux deacutebats raquo regroupe lrsquoimpossibiliteacute
mateacuterielle comme le deacutecegraves et des obstacles juridiques comme la prescription de lrsquoaction ou
de la peine Un eacutevegravenement impossible est mateacuteriellement irreacutealisable et ne peut pas exister
Or le seul obstacle preacutevu par le texte qui reacutepond avec justesse agrave cette deacutefinition est le deacutecegraves
En revanche pour ce qui est des autres points eacutenonceacutes dans le texte il srsquoagit drsquoune
impossibiliteacute plus juridique1 que mateacuterielle plus proche drsquoune interdiction drsquoorganiser de
nouveaux deacutebats que drsquoune impossibiliteacute immeacutediate
b Lrsquoimpossibiliteacute posteacuterieure agrave une deacutecision de renvoi de proceacuteder agrave de nouveaux
deacutebats
120 Lrsquoarticle 624-7 du Code de proceacutedure peacutenale reprend les anciennes dispositions
de 19892 et dispose que laquo si limpossibiliteacute de proceacuteder agrave de nouveaux deacutebats ne se reacutevegravele
quapregraves larrecirct de la Cour de reacutevision et de reacuteexamen annulant larrecirct ou le jugement de
condamnation et prononccedilant le renvoi la cour sur la reacutequisition du ministegravere public
rapporte la deacutesignation par elle faite de la juridiction de renvoi et statue comme il est dit au
troisiegraveme alineacutea raquo
121 Ce texte preacutevoit lrsquoannulation sans renvoi lorsqursquoun eacutevegravenement rendant
impossible les nouveaux deacutebats intervient apregraves la deacutecision prononccedilant le renvoi et avant
lrsquoaudience Crsquoest donc entre autres lrsquohypothegravese du deacutecegraves du condamneacute intervenu dans ce
laps de temps ou avant la deacutecision de renvoi mais ignoreacute par la Cour de reacutevision et de
reacuteexamen3 Dans un tel cas le deacutecegraves rend de fait impossible la tenue des deacutebats Cet alineacutea
srsquoappliquait aussi sous lrsquoempire de la loi de 1989 dans le cas ougrave posteacuterieurement agrave la
deacutecision de renvoi le demandeur se trouvait confronteacute agrave des troubles psychiques ou
neuropsychiques graves4 Lrsquoutilisation du terme interdiction pourrait donc aussi paraicirctre plus
approprieacutee
1 Lrsquoarticle 6 alineacutea 1 du CPP dispose laquo Laction publique pour lapplication de la peine seacuteteint par la mort du preacutevenu la prescription lamnistie labrogation de la loi peacutenale et la chose jugeacutee raquo 2 Lrsquoancien article 625 CPP disposait laquo (hellip) Si limpossibiliteacute de proceacuteder agrave de nouveaux deacutebats ne se reacutevegravele quapregraves larrecirct de la cour de reacutevision annulant larrecirct ou le jugement de condamnation et prononccedilant le renvoi la cour sur la reacutequisition du ministegravere public rapporte la deacutesignation par elle faite de la juridiction de renvoi et statue comme il est dit agrave lalineacutea preacuteceacutedent raquo 3 Cass crim 24 janv 1919 Bull ndeg 22 4 Cass crim 28 feacutevr et 15 juin 1918 Bull ndeg 135 S 1919 1 p 145 note ROUX Dr peacutenal 1920 1 p 182
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c Lrsquoinutiliteacute de proceacuteder agrave de nouveaux deacutebats
122 Srsquoinspirant tregraves fortement du texte de 19891 lrsquoarticle 624-7 du Code de proceacutedure
peacutenale dispose que laquo si lannulation de la deacutecision agrave leacutegard dun condamneacute vivant ne laisse
rien subsister agrave sa charge qui puisse ecirctre peacutenalement qualifieacute aucun renvoi nest prononceacute raquo
123 La mise en œuvre de cet alineacutea exige de la Cour de reacutevision et de reacuteexamen
acquise agrave la thegravese de lrsquoinnocence du condamneacute une eacuteclatante conviction Lrsquoarrecirct de reacutevision
du capitaine DREYFUS en est lrsquoillustration laquo Attendu en derniegravere analyse que de
laccusation porteacutee contre Dreyfus rien ne reste debout et que lannulation du jugement du
conseil de guerre ne laisse rien subsister qui puisse agrave sa charge ecirctre qualifieacute crime ou
deacutelit2 raquo Sous la loi de 1989 la proclamation de lrsquoinnocence srsquoeacutetait manifesteacutee agrave lrsquooccasion
des quatre cas suivants la disparition drsquoun eacuteleacutement constitutif de lrsquoinfraction3 la disparition
de lrsquoinfraction4 lrsquoimpossibiliteacute de la commission de lrsquoinfraction par le condamneacute5 et le
caractegravere inconciliable des condamnations6 Face agrave de telles situations de nouveaux deacutebats
sont en effet sans objet et lrsquoinutiliteacute du renvoi srsquoavegravere eacutevidente
d La possibiliteacute de proceacuteder agrave de nouveaux deacutebats
124 Lrsquoarticle 624-7 du Code de proceacutedure peacutenale qui reprend agrave nouveau les termes
du leacutegislateur de 19897 dispose laquo sil est possible de proceacuteder agrave de nouveaux deacutebats
contradictoires la formation de jugement de la Cour de reacutevision et de reacuteexamen renvoie le
requeacuterant devant une juridiction de mecircme ordre et de mecircme degreacute mais autre que celle dont
eacutemane la deacutecision annuleacutee raquo
1 Ancien article 625 CPP laquo(hellip) Si lannulation du jugement ou de larrecirct agrave leacutegard dun condamneacute vivant ne laisse rien subsister agrave sa charge qui puisse ecirctre qualifieacute crime ou deacutelit aucun renvoi nest prononceacute raquo 2 Cass ch reacuteunies 12 juill 1906 Bull ndeg 283 Dr peacutenal 1909 1 p 553 Dr peacutenal 19081553 rapp BALLOT-BEAUPRE 3 Ce fut notamment le cas pour un individu de nationaliteacute franccedilaise condamneacute pour infraction agrave la leacutegislation sur les eacutetrangers pour drsquoautres exemples V notamment Cass crim 28 deacutec 1929 Bull ndeg 300 Cass crim 27 avr 1951 Bull ndeg 234 Cass crim 29 janv 1958 Bull ndeg 106 Cass crim 10 avr 1959 Bull ndeg 200 Cass crim 8 juin 1988 Bull ndeg 265 Cass crim 17 juin 1998 Bull ndeg 197 4 Cass crim 1er mars 1945 Bull crim 1945 ndeg 23 5 Crsquoest le cas si agrave la date de linfraction le requeacuterant eacutetait hospitaliseacute loin du lieu de commission des faits (affaire R DAALOUCHE) V cass crim 14 octobre 1998 op cit 6 Cass crim 9 juill 1917 Bull ndeg 165 Cass crim 15 juin 1918 Bull ndeg 135 Cass crim 3 juill 1919 Bull ndeg 151 Cass crim 3 deacutec 1937 Bull ndeg 226 Cass crim 3 mai 1994 ndeg 93-85663 7 Ancienne reacutedaction laquo Elle (la Cour de reacutevision) appreacutecie sil est possible de proceacuteder agrave de nouveaux deacutebats contradictoires Dans laffirmative elle renvoie les accuseacutes ou preacutevenus devant une juridiction de mecircme ordre et de mecircme degreacute mais autre que celle dont eacutemane la deacutecision annuleacutee raquo
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125 La possibiliteacute de nouveaux deacutebats justifie donc un renvoi Aussi la jurisprudence
issue de la loi de 1989 affirme-t-elle que lannulation de la condamnation doit deacuteboucher sur
un renvoi degraves lors que de nouveaux deacutebats contradictoires sont possibles1 Pourtant
lrsquoannulation peut aussi avoir lieu sans renvoi lorsque les nouveaux deacutebats bien que possibles
srsquoavegraverent inutiles2 Ainsi agrave la faveur drsquoune interpreacutetation a contrario du texte il semble que
les deacutebats en plus drsquoecirctre possibles doivent ecirctre neacutecessaires La jurisprudence tregraves dense sur
le sujet au moment de lrsquoapplication de la loi de 1989 a de nombreuses fois motiveacute une
annulation avec renvoi en se reacutefeacuterant agrave la possibiliteacute et agrave la neacutecessiteacute de proceacuteder agrave de
nouveaux deacutebats contradictoires Monsieur Henri ANGEVIN eacutevoque des nouveaux deacutebats
laquo neacutecessaires3 raquo En 2014 il aurait donc eacuteteacute souhaitable de lever les ambiguiumlteacutes du texte en
mentionnant la possibiliteacute et la neacutecessiteacute drsquoorganiser de nouveaux deacutebats contradictoires
126 La deacutefinition drsquoune frontiegravere preacutecise entre les critegraveres de choix concernant drsquoun
cocircteacute lrsquoannulation sans renvoi et de lrsquoautre cocircteacute lrsquoannulation avec renvoi est indispensable
En effet il existait en 1989 entre ces deux choix (annulation avec ou sans renvoi) une
diffeacuterence notable par rapport au degreacute du doute requis La reconduction en 2014 des textes
relatifs aux modaliteacutes drsquoannulation et le maintien du doute4 laissent entrevoir une survivance
de la situation anteacuterieure
2 Les conseacutequences du choix entre lrsquoannulation avec ou sans renvoi
127 La diffeacuterence du degreacute du doute requis entre une annulation sans renvoi et une
annulation avec renvoi ressort expresseacutement de certaines anciennes jurisprudences
Srsquoagissant drsquoune annulation avec renvoi la Cour de reacutevision consideacuterait que laquo lorsquil
[pouvait] ecirctre proceacutedeacute agrave de nouveaux deacutebats contradictoires il [suffisait] pour justifier la
reacutevision que le fait nouveau fasse naicirctre des doutes seacuterieux sur la culpabiliteacute et deacutetruise la
preacutesomption de certitude reacutesultant de la chose jugeacutee5 raquo Pour ce qui est de lrsquoannulation sans
renvoi la Cour de reacutevision nrsquoannulait la condamnation laquo que sil [eacutetait] eacutetabli quelle [avait]
eacuteteacute injustement prononceacutee6 raquo
1 Cass crim13 avr 2010 ndeg 10-80196 AJP 2010 p 349 obs C GIRAULT 2 V supra ndeg 122 et 123 3 H ANGEVIN op cit ndeg 194 4 V infra ndeg 601 agrave 616 5 Cass crim 9 feacutevr 1934 Bull ndeg 31 6 Cass crim 3 janv 1930 Bull ndeg 1 Cass crim 28 juin 1930 Bull ndeg 195
61
128 Certains preacutetendront que la distinction de cette diffeacuterence de degreacute nrsquoa plus lieu
drsquoecirctre depuis la loi de 1989 qui a deacuteplaceacute lrsquoexigence drsquoune certitude de lrsquoinnocence vers celle
drsquoun doute sur la culpabiliteacute1 et a fortiori depuis la confirmation de ce souhait pas la loi de
20142 Nous deacutemontrerons plus tard la survivance de cette distinction
129 Lrsquoexistence drsquoune diffeacuterenciation du degreacute de doute requis pourrait ecirctre de nature
agrave faire naicirctre une ineacutegaliteacute des armes entre le demandeur beacuteneacuteficiaire drsquoun renvoi et celui qui
en est priveacute laquo La question est drsquoimportance car chacun sait que les juges du renvoi nrsquoosent
jamais (lrsquoaffaire DILS introduit deacutesormais une exception au principe) deacutejuger les plus hauts
Magistrats et accabler celui que la presse a deacutejagrave acquitteacute ou relaxeacute3 raquo Les deacuteputeacutes FENECH et
TOURRET font eacutegalement la remarque que laquo si lrsquoon observe les condamnations
correctionnelles et criminelles qui ont fait lrsquoobjet drsquoune annulation avec renvoi depuis 1990 il
est clair que la deacutecision de la Cour de reacutevision [conduisait] le plus souvent agrave une relaxe ou agrave
un acquittement raquo4
130 Srsquoagissant de lrsquoeacutetendue de lrsquoannulation cette question ne soulegraveve guegravere de
difficulteacutes dans le cas drsquoune situation peacutenale simple dans laquelle le demandeur en reacutevision
est le seul condamneacute pour une infraction unique5 Dans ce cas lrsquoannulation de la
condamnation est de toute eacutevidence totale6 En revanche si le demandeur est condamneacute pour
plusieurs crimes ou deacutelits par une mecircme deacutecision la reacutevision peut nrsquoecirctre admise que pour
certains dentre eux7 (annulation partielle) La situation peut se compliquer en preacutesence drsquoune
pluraliteacute de demandeurs (situation peacutenale complexe) Dans ce cas-lagrave lrsquoannulation peut nrsquoecirctre
que partielle8 sauf si lrsquoinnocence de chacun est reconnue9
131 La reconnaissance de lrsquoerreur obtenue par lrsquoannulation de la condamnation peut
ensuite entrainer la reacuteparation inteacutegrale du preacutejudice subi
1 V infra ndeg 215 agrave 238 2 V infra ndeg 601 agrave 616 3 E DE VALICOURT op cit p 222 4 Rapport drsquoinformation op cit p 44 laquo Ainsi sur les six affaires criminelles renvoyeacutees cinq requeacuterants ont eacuteteacute acquitteacutes agrave lrsquoissue de la proceacutedure judiciaire Quant aux affaires correctionnelles renvoyeacutees devant les juges du fond au nombre de douze six drsquoentre elles ont drsquoores et deacutejagrave eacuteteacute rejugeacutees et cinq relaxes ont eacuteteacute prononceacutees raquo 5 V Cass crim 29 mars 1995 Bull ndeg 138 6 V notamment Cass crim 28 avr 1975 Bull ndeg 112 Cass crim 5 nov 1987 Bull ndeg 392 RSC 1988 p 550 obs BRAUNSCHWEIG Cass crim 8 feacutevr 1989 ndeg 88-83906 Bull ndeg 6 Cass crim 29 mai 1974 Bull ndeg 205 Cass crim 9 nov 1976 Bull ndeg 321 RSC 1977 p 607 obs J ROBERT 7 Cass crim 11 mars 1904 Dr peacutenal 10981 p17 8 Cass crim 24 deacutec 1875 Bull ndeg 365 9 Cass crim 29 mars 1995 ndeg 94-84944 Bull ndeg 138
62
B La reacuteparation inteacutegrale du preacutejudice subi
132 Selon le dictionnaire reacuteparer quelque chose crsquoest laquo le fait de le faire revenir agrave
son eacutetat normal raquo1 En drsquoautres termes reacutetablir lrsquoeacutequilibre deacutetruit Une telle vision de la
reacuteparation est pourtant inapplicable agrave la victime drsquoune erreur judiciaire et mecircme au droit peacutenal
en geacuteneacuteral puisque le retour au statut quo ante nrsquoest qursquoune fiction juridique En effet
comment recreacuteer une situation agrave lrsquoidentique de celle qui existait avant le prononceacute de la
condamnation vicieacutee SHAKESPEARE a exprimeacute avec beaucoup de justesse dans laquo le
marchand de Venise raquo le caractegravere irreacuteparable du preacutejudice subi Le personnage Shylock mis
en scegravene par lrsquoauteur teacutemoigne de lrsquoimperfection de lrsquoindemnisation en reacuteclamant la
restitution en nature drsquoune livre de chair chose impossible Le Code de proceacutedure peacutenale a
reacutepondu agrave cette situation en reconnaissant agrave lrsquoarticle 626-1 le droit2 agrave lrsquoinnocent injustement
condamneacute drsquoobtenir de lEacutetat une reacuteparation inteacutegrale morale et peacutecuniaire3
133 Certains ont soutenu que la reacuteparation pouvait srsquoexpliquer par un devoir
drsquoassistance de lrsquoEtat Il est vrai qursquoau XVIIIegraveme siegravecle la reacuteparation du dommage constituait
une faveur de la royauteacute qui se voulait charitable laquo pour les innocents ayant subi sur de faux
indices les rigueurs drsquoune poursuite criminelle raquo4 Elle consistait agrave eacutevaluer le montant de
lrsquoindemnisation par rapport aux revenus de la victime sans prise en compte reacuteelle du
dommage subi Face agrave une mecircme situation de fait un individu deacutesargenteacute ou dans le besoin
eacutetait mieux indemniseacute qursquoune personne aux bons revenus La loi de 1895 a abandonneacute cette
conception Depuis lrsquoEtat est tenu drsquoaccorder une reacuteparation morale et peacutecuniaire agrave la victime
drsquoune erreur judiciaire en compensant le dommage subi Le caractegravere obligatoire de la
reacuteparation srsquoest substitueacute au pouvoir discreacutetionnaire anteacuterieur5
134 Lrsquo article 626-1 du Code de proceacutedure peacutenale pose comme en 19896 un principe
(laquo Sans preacutejudice du chapitre unique du titre IV du livre Ier du code de lorganisation
1 Petit Robert 1 Dictionnaire alphabeacutetique et analogique de la langue franccedilaise op cit V reacuteparation 2 Jusqursquoagrave la loi ndeg 89-431 du 23 juin 1989 la reacuteparation du preacutejudice eacutetait facultative et devait ecirctre expresseacutement demandeacutee par le requeacuterant 3 C LAZERGES Reacuteflexions sur lrsquoerreur judiciaire op cit laquo Il est certainement excessif sauf en un sens strictement juridique de parler de reacuteparation inteacutegrale car une deacutetention injustifieacutee sindemnise plus quelle ne se reacutepare raquo 4 E de VALICOURT op cit p240 5 R MERLE et A VITU op cit ndeg 930 6 La reacutedaction initiale de la loi de 1989 preacutevoyait comme exception au droit agrave reacuteparation laquo la non-repreacutesentation de la piegravece nouvelle ou la non-reacuteveacutelation de lrsquoeacuteleacutement inconnu en temps utile raquo lorsqursquoil eacutetait prouveacute qursquoelle eacutetait laquo imputable en tout ou partie raquo au condamneacute Crsquoest agrave lrsquoappui de ce texte que toute indemnisation a eacuteteacute refuseacutee agrave Rida DAALOUCHE agrave qui il eacutetait reprocheacute de ne pas avoir preacutesenteacute en temps utile un certificat drsquohospitalisation qui aurait permis de lrsquoinnocenter Suite agrave cette affaire la loi ndeg 2000-1354 du 30 deacutecembre 2000 tendant agrave
63
judiciaire un condamneacute reconnu innocent agrave la suite dune reacutevision ou dun reacuteexamen accordeacute
en application du preacutesent titre a droit agrave reacuteparation inteacutegrale du preacutejudice mateacuteriel et moral
que lui a causeacute la condamnation1 raquo) nuanceacute par une exception (laquo Toutefois aucune
reacuteparation nest due lorsque la personne a eacuteteacute condamneacutee pour des faits dont elle sest
librement et volontairement accuseacutee ou laisseacute accuser agrave tort en vue de faire eacutechapper lauteur
des faits aux poursuites raquo)
135 Quel que soit le montant de lrsquoindemnisation les stigmates drsquoune erreur judiciaire
ne seront jamais complegravetement effaceacutes Lrsquoargent verseacute ne pourra pas renouer les liens briseacutes2
Ainsi le preacutejudice est de jure inteacutegralement reacutepareacute bien que demeurant de facto
irreacuteparable En effet la dureteacute de la vie carceacuterale drsquoun innocent qui agrave juste titre nrsquoaccepte pas
la sanction constitue autant de blessures qursquoune indemnisation ne peut compenser A cela
srsquoajoute les difficulteacutes que lrsquoinnocenteacute eacuteprouve pour se reconstruire socialement Le doute
peut persister dans lrsquoopinion publique qui a tendance agrave srsquoeacuteriger en juge permanent feignant
drsquoignorer le principe de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee3
136 Bien que lrsquoerreur judiciaire ne conduise plus agrave lrsquoeacutechafaud les dommages restent
consideacuterables et difficilement reacuteparables Conscient de la situation le leacutegislateur preacutevoit agrave
lrsquoarticle 626-1 du Code de proceacutedure peacutenale que laquo Si le demandeur le requiert larrecirct ou le
jugement de reacutevision dougrave reacutesulte linnocence du condamneacute est afficheacute dans la ville ougrave a eacuteteacute
prononceacutee la condamnation dans la commune du lieu ougrave le crime ou le deacutelit a eacuteteacute commis
dans celle du domicile des demandeurs en reacutevision dans celles du lieu de naissance et du
dernier domicile de la victime de lerreur judiciaire si elle est deacuteceacutedeacutee dans les mecircmes
conditions il est ordonneacute quil soit inseacutereacute au Journal officiel et publieacute par extraits dans cinq
journaux au choix de la juridiction qui a prononceacute la deacutecision Les frais de la publiciteacute ci-
dessus preacutevue sont agrave la charge du Treacutesor raquo
faciliter lindemnisation des condamneacutes reconnus innocents et portant diverses dispositions de coordination en matiegravere de proceacutedure peacutenale a modifieacute lrsquoancien article 626 du CPP 1 Lrsquoalineacutea 2 eacutetend le peacuterimegravetre de cette reacuteparation agrave laquotoute personne justifiant du preacutejudice que lui a causeacute la condamnation raquo En pratique il srsquoagit essentiellement des enfants et du conjoint du condamneacute mais les termes employeacutes par le leacutegislateur laissaient place agrave drsquoautres hypothegraveses 2 Sur la souffrance endureacutee V G CANIVET et D KARSENTY Reacuteflexions pratiques sur la commission nationale de reacuteparation des deacutetentions in Le droit peacutenal agrave lrsquoaube du troisiegraveme milleacutenaire Meacutelanges offerts agrave Jean Pradel Cujas 2006 p 219 V eacutegalement A GIUDICELLI Lrsquoindemnisation des personnes injustement deacutetenues ou condamneacutees RSC 1998 p 11 3 Sur ce point V A MARECAUX Chronique de mon erreur judiciaire eacutedition Flammarion Paris 2005
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137 Il est vrai qursquoen mettant cocircte agrave cocircte lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et le pourvoi en
reacutevision il en reacutesulte un antagonisme1 En effet la mise en opposition de lrsquoautoriteacute de la chose
jugeacutee (fin du procegraves) et du pourvoi en reacutevision (renaissance du procegraves) permet de mieux
comprendre Monsieur NAJARIAN qui eacutevoque dans sa thegravese une laquo incompatibiliteacute raquo De
mecircme comprendra-t-on mieux la position de Madame DE VALICOURT qui considegravere que la
proceacutedure de reacutevision est laquo tirailleacutee entre deux exigences contradictoires raquo2 Pour autant cette
dualiteacute oppositionnelle nrsquoest qursquoune apparence Une vision eacutetroite reacuteduisant lrsquoautoriteacute de la
chose jugeacutee et le pourvoi en reacutevision en deux blocs opposeacutes a pour effet de meacuteconnaicirctre les
liens reacuteels qui les unissent Crsquoest ainsi que mecircme si tout porte agrave croire que le pourvoi en
reacutevision et lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee poursuivent des objectifs antinomiques le leacutegislateur et
les juges ne devraient pas pour autant se fier aux apparences souvent trompeuses
Section 2 Lrsquoopposition trompeuse entre lrsquoautoriteacute de la
chose jugeacutee et la reacutevision
138 Lrsquoantinomie ressentie entre lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et le pourvoi en reacutevision
a en reacutealiteacute pour origine des justifications de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee que nous ne
partageons pas Par le mot justification il est fait reacutefeacuterence aux arguments qui permettent
drsquoeacutetablir la leacutegitimiteacute drsquoune regravegle ou drsquoun principe Le terme est ici employeacute dans ses deux
acceptions Premiegraverement son sens originel agrave savoir la base sur laquelle repose quelque
chose Deuxiegravemement son sens philosophique crsquoest agrave dire lrsquoensemble des postulats drsquoun
systegraveme
139 Les justifications traditionnelles de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee sont de nature agrave
fausser la ligne de partage entre lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et le pourvoi en reacutevision (sect1) En
effet elles incitent agrave les opposer dans un scheacutema conflictuel et ne sont pas sans incidence sur
la repreacutesentation que se fait le leacutegislateur de cette proceacutedure extraordinaire Cette rivaliteacute est
en reacutealiteacute infondeacutee puisque lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et le pourvoi en reacutevision unis par un
destin commun (la preacuteservation de la paix sociale) peuvent ecirctre rapprocheacutes (sect2)
1 J LELIEUR op cit ndeg 673 laquo Il faut donc concilier deux exigences antagoniques la justice de la deacutecision reacutepressive revendiqueacutee par lrsquoindividu condamneacute et la seacutecuriteacute juridique agrave laquelle aspire la collectiviteacute raquo 2 E DE VALICOURT op cit p 124
65
sect 1 La remise en cause des justifications traditionnelles de
lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee
140 Les deux aspects de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee (neacutegatif et positif) seront
examineacutes seacutepareacutement Geacuteneacuteralement la doctrine ne fait pas cette distinction lorsqursquoelle
eacutevoque les justifications de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee consideacuterant plutocirct le principe dans son
ensemble1 Pourtant sur cette question Monsieur le Professeur VALTICOS fait la distinction
entre laquo le principe geacuteneacuteral de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee raquo et laquo la regravegle de lrsquoautoriteacute de la
chose jugeacutee au criminel sur le civil2raquo Cela nous conforte donc dans lrsquoideacutee de scruter drsquoune
part les justifications de lrsquoaspect neacutegatif (assimileacute par le Professeur VALTICOS au concept
geacuteneacuteral drsquoautoriteacute de la chose jugeacutee3) et drsquoautre part celles de lrsquoaspect positif Toutefois
lrsquoobjet de notre propos nrsquoest pas de reacutepertorier lrsquoensemble des justifications mises en avant
pour la deacutefense de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee Il conviendra de se tourner vers les auteurs qui
ont traiteacute la question4 En revanche nous reacuteveacutelerons que les justifications tregraves souvent
invoqueacutees comme eacutetant agrave lrsquoorigine de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee se concilient difficilement
avec lrsquoesprit de la proceacutedure de reacutevision Elles alimentent faussement la thegravese de lrsquoexistence
drsquoune contradiction entre lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et le pourvoi en reacutevision
141 Dans la mesure ougrave laquo les probleacutematiques de lrsquoune et de lrsquoautre question sont bien
diffeacuterentes raquo5 nous envisagerons drsquoabord les justifications apporteacutees en deacutefense de lrsquoautoriteacute
positive de la chose jugeacutee (A) puis celles en faveur de lrsquoautoriteacute neacutegative (B)
A Les justifications doctrinales de lrsquoautoriteacute positive de la chose
jugeacutee
142 En lrsquoabsence drsquoun texte reconnaissant expresseacutement lrsquoaspect positif de la chose
jugeacutee la doctrine a envisageacute de rattacher ce principe agrave des fondements textuels deacutejagrave
existants6 Parmi les principaux7 figurent lrsquoarticle 1351 du Code civil1 et lrsquoarticle 4 alineacutea 2
1 Pour un exemple V F TERRE Introduction geacuteneacuterale du droit Paris Dalloz 9egraveme eacuted 2012 ndeg 610 2 N VALTICOS op cit ndeg 465 3 Pour le Professeur VALTICOS les fonctions de lrsquoaspect neacutegatif constituent laquo lrsquoexplication fondamentale raquo de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee 4 Pour lrsquoaspect positif pour une distinction entre les fondements textuels et les theacuteories doctrinales justificatives V A BOTTON op cit p81 et s pour une approche chronologique V P HEBRAUD op cit p 19 et s Pour lrsquoaspect neacutegatif V J LELIEUR-FISCHER op cit ndeg 112 et s N VALTICOS op cit ndeg 52 et s 5 J DANET op cit ndeg2 6 V sur cette question le deacutebat entre MERLIN et TOULIER deacuteveloppeacute par R et P GARRAUD op cit ndeg 556 7 Pour une eacutetude en profondeur V A BOTTON op cit p 79 agrave 132
66
du Code de proceacutedure peacutenale2 Aucun de ces fondements ne parait satisfaisant et ils ont tous
deux eacuteteacute largement remis en cause par la doctrine3
143 De ce silence textuel deacutecoule lrsquoeacutelaboration de theacuteories justificatives de lrsquoautoriteacute
positive de la chose jugeacutee entreprise par la doctrine Ces theacuteories baseacutees sur la supeacuterioriteacute du
peacutenal sur le civil (1) et sur la crainte des contradictions deacutecisionnelles (2) entretiennent lrsquoideacutee
drsquoune incompatibiliteacute entre lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et le pourvoi et reacutevision
1 La supeacuterioriteacute du peacutenal sur le civil
144 De nombreux auteurs acquis agrave la cause de la primauteacute des juridictions
reacutepressives4 font de cette supeacuterioriteacute la justification de lrsquoexistence de lrsquoautoriteacute positive de la
chose jugeacutee Cette theacuteorie met lrsquoaccent sur le rocircle particulier des tribunaux criminels dans
lrsquoordonnancement juridique seuls agrave pouvoir mettre en cause la liberteacute et lrsquohonneur des
personnes qursquoils jugent5 Logiquement leurs deacutecisions devraient donc revecirctir une autoriteacute plus
large que celles des juridictions civiles en charge du regraveglement drsquointeacuterecircts particuliers De
plus les moyens drsquoinvestigations mis agrave la disposition du juge peacutenal par rapport agrave la modestie
de ceux offerts au juge civil semblent militer en faveur de la supeacuterioriteacute du peacutenal sur le civil
Lorsque le procegraves civil fait suite agrave un procegraves reacutepressif la victime de lrsquoinfraction reacuteclame
souvent le versement du dossier peacutenal agrave lrsquoinstance civile Il srsquoagirait lagrave drsquoune sorte
drsquohommage rendu agrave la supeacuterioriteacute des moyens deacuteployeacutes par la justice peacutenale dans la recherche
1 laquo Lautoriteacute de la chose jugeacutee na lieu quagrave leacutegard de ce qui a fait lobjet du jugement Il faut que la chose demandeacutee soit la mecircme que la demande soit fondeacutee sur la mecircme cause que la demande soit entre les mecircmes parties et formeacutee par elles et contre elles en la mecircme qualiteacute raquo 2 laquo La mise en mouvement de laction publique nimpose pas la suspension du jugement des autres actions exerceacutees devant la juridiction civile de quelque nature quelles soient mecircme si la deacutecision agrave intervenir au peacutenal est susceptible dexercer directement ou indirectement une influence sur la solution du procegraves civil raquo 3 Pour lrsquoarticle 1351 du Code civil V A BOTTON op cit p 24 ndeg 33 R et P GARRAUD op cit p 1154 ndeg 556 Pour lrsquoarticle 4 alineacutea 2 CPP V M PRALUS Observations sur lapplication de la regravegle laquo le criminel tient le civil en leacutetat raquo RSC 1972 31 s S GUINCHARD et J BUISSON op cit ndeg1199 M-L RASSAT op cit p 844 ndeg 522 A BOTTON op cit p 5 ndeg 6 et p 89 ndeg 143 et s A BOTTON Une conseacutecration en trompe lrsquoœil de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee au peacutenal sur le civil op cit et V en sens contraire J KARILA DE VAN laquo Chose jugeacutee raquo Reacutep Civ Dalloz 2013 ndeg 253 4 V notamment P HEBRAUD op cit p 76 agrave 82 H DONNEDIEU DE VABRES op cit ndeg 1549 P CONTE et P MAISTRE DU CHAMBON op cit ndeg 669 R MERLE et A VITU op cit ndeg 898 5 Lrsquoarrecirct QUERTIER op cit affirme explicitement que laquo lorsque la justice reacutepressive srsquoest prononceacutee il ne saurait ecirctre permis au juge civil de meacuteconnaicirctre lautoriteacute de ses souveraines deacuteclarations ou de nen faire aucun compte [hellip] lordre social aurait agrave souffrir dun antagonisme qui en vue seulement dun inteacuterecirct priveacute aurait pour reacutesultat deacutebranler la foi due aux arrecircts de la justice criminelle (crsquoest nous qui soulignons) et de remettre en question linnocence du condamneacute quelle aurait reconnu coupable ou la responsabiliteacute du preacutevenu quelle aurait deacuteclareacute ne pas ecirctre lauteur du fait imputeacute raquo
67
de la veacuteriteacute Enfin lrsquoarticle 34 de la Constitution1 consacrerait expresseacutement la supreacutematie de
la proceacutedure peacutenale sur la proceacutedure civile en preacutecisant que les regravegles de proceacutedure peacutenale
relegravevent essentiellement du domaine de la loi contrairement aux regravegles de proceacutedure civile qui
sont pour lrsquoessentiel de nature regraveglementaire2
145 Cette thegravese instille une confusion des genres entre deux propositions diffeacuterentes
Nul ne remet en cause le caractegravere preacutedominant du droit peacutenal dans lrsquoordonnancement
juridique Toutefois la sureacutevaluation de lrsquoimportance du droit peacutenal impliquant le glissement
vers une preacutedominance des jugements reacutepressifs semble excessive3
146 A cela srsquoajoute que par rapport au pourvoi en reacutevision cette theacuteorie de la
supeacuterioriteacute du peacutenal sur le civil est gecircnante Elle semble faire oublier qursquoun jugement peacutenal
rendu par des hommes peut comme tout autre jugement ecirctre entacheacute drsquoune erreur Crsquoest
pourquoi cette theacuteorie peut ecirctre perccedilue comme une offense agrave lrsquoutiliteacute du pourvoi en reacutevision
en contribuant agrave accreacutediter lrsquoideacutee selon laquelle la justice peacutenale est une justice supeacuterieure qui
ne commettrait pas ou tregraves peu drsquoerreurs
147 La theacuteorie justificative de lrsquoautoriteacute positive baseacutee sur la crainte des
contradictions deacutecisionnelles nrsquoest pas plus satisfaisante
2 La crainte des contradictions deacutecisionnelles
148 Certains auteurs perccediloivent dans lrsquoautoriteacute positive de la chose jugeacutee une maniegravere
drsquoeacuteviter les contradictions deacutecisionnelles et de preacuteserver la creacutedibiliteacute de la justice4 Drsquoapregraves
eux il serait inconvenant que sur un point souleveacute simultaneacutement devant le juge peacutenal et le
juge civil la deacutecision du second vienne contredire les conclusions du premier (juge peacutenal)
Lrsquoincoheacuterence juridique issue du rapprochement des deacutecisions se traduirait par laquo des effets
concregravetement inconciliables par une impossibiliteacute drsquoexeacutecution simultaneacutee des deux deacutecisions
dont lrsquoune ordonne une chose alors que lrsquoautre prescrit son contraire raquo5 La creacutedibiliteacute de la
justice souffrirait de lrsquoincoheacuterence manifeste entre un acquittement au peacutenal et une
1 Article 34 de la Constitution laquo La loi fixe les regravegles concernant [hellip] la deacutetermination des crimes et deacutelits ainsi que les peines qui leur sont applicables la proceacutedure peacutenale lamnistie la creacuteation de nouveaux ordres de juridiction et le statut des magistrats raquo 2 Cass crim 9 deacutecembre 1980 ndeg 80 92 313 Bull ndeg 340 3 V en ce sens SAVEY-CASARD Le reacutegime de laction civile survivant agrave laction publique RSC 1976 p 319 V TELLIER op cit ndeg 797 A BOTTON op cit p 109 agrave 131 4 FAUSTIN-HEacuteLIE op cit ndeg 983 5 D PORTOLANO et F BOULAN op cit
68
condamnation au civil ou entre une condamnation criminelle et une irresponsabiliteacute proclameacutee
sur lrsquoaction en dommage et inteacuterecircts
149 Or primo cette justification est contredite par la loi du 10 juillet 20001 qui a
remis en cause le principe de lrsquouniteacute des fautes civile et peacutenale qui fut consacreacute par la
jurisprudence degraves 19122 Lrsquoarticle 4-1 du Code de proceacutedure peacutenale permet deacutesormais dans
lhypothegravese dun fait mateacuteriel unique de retenir une faute civile lagrave ougrave la faute peacutenale est
eacutecarteacutee en labsence dun comportement suffisamment grave3 La contradiction deacutecisionnelle
paraicirct donc admise par le leacutegislateur4 Secundo Madame le Professeur RASSAT deacutemontre
qursquoil existe en reacutealiteacute une impossibiliteacute fonctionnelle de contradiction entre un jugement peacutenal
et un jugement civil La contradiction deacutecisionnelle suppose une identiteacute drsquoobjet entre les
actions5 Or lrsquoaction publique et lrsquoaction civile ou agrave des fins civiles mecircme exerceacutees agrave propos
du mecircme fait mateacuteriel ne sont pas identiques ni mecircme voisines6 rendant ainsi mateacuteriellement
impossible la naissance drsquoune contradiction Toujours selon elle laquo lrsquoaction publique a pour
but social de deacuteterminer la culpabiliteacute et la responsabiliteacute drsquoun deacutelinquant dont le sort ne doit
nullement ecirctre influenceacute par la consideacuteration de ce qui risque drsquoarriver en conseacutequence agrave la
victime Le but de lrsquoaction civile est drsquoindemniser une victime si son preacutejudice deacutecoule drsquoune
faute dont il est indiffeacuterent agrave notre avis qursquoelle constitue ou non et en outre une infraction
peacutenale Nous persistons agrave ne pas voir ideacutealement la moindre contradiction entre une relaxe
peacutenale et une condamnation civile pour faute agrave propos du mecircme fait raquo7
150 En revanche si les deux actions ont un objet identique une contradiction
deacutecisionnelle peut se produire et poserait effectivement un problegraveme Dans lrsquohypothegravese drsquoune
telle contradiction crsquoest preacuteciseacutement en matiegravere peacutenale le pourvoi en reacutevision qui constitue
lrsquooutil proceacutedural adeacutequat Ce constat eacutetait particuliegraverement mis en relief par la loi de 1989
qui preacutevoyait agrave lrsquoarticle 622 2deg du Code de proceacutedure peacutenale que laquo la reacutevision dune
1 Loi ndeg 2000-647 du 10 juillet 2000 tendant agrave preacuteciser la deacutefinition des deacutelits non intentionnels 2 Cass civ 18 deacutec 1912 S 1914 p 249 note R-L MOREL 3 Article 4-1 du Code de proceacutedure peacutenale laquo Labsence de faute peacutenale non intentionnelle au sens de larticle 121-3 du code peacutenal ne fait pas obstacle agrave lexercice dune action devant les juridictions civiles afin dobtenir la reacuteparation dun dommage sur le fondement de larticle 1383 du code civil si lexistence de la faute civile preacutevue par cet article est eacutetablie ou en application de larticle L 452-1 du code de la seacutecuriteacute sociale si lexistence de la faute inexcusable preacutevue par cet article est eacutetablie raquo - Pour un exemple drsquoapplication V cassciv 1re 30 janv 2001 ndeg 98-14368 Bull civ I ndeg 19 laquo Attendu que la deacuteclaration par le juge reacutepressif de labsence de faute peacutenale non intentionnelle ne fait pas obstacle agrave ce que le juge civil retienne une faute civile dimprudence ou de neacutegligence raquo 4 N RIAS Retour sur la porteacutee de la loi du 10 juillet 2000 tendant agrave preacuteciser la deacutefinition des infractions non intentionnelles D 2012 p 1316 5 M-L RASSAT op cit p 842 ndeg 521 6 Ce qui explique drsquoailleurs le rejet du rattachement de lrsquoautoriteacute positive agrave lrsquoarticle 1351 du Code civil 7 M-L RASSAT op cit p 842 ndeg 521
69
deacutecision peacutenale deacutefinitive peut ecirctre demandeacutee au beacuteneacutefice de toute personne reconnue
coupable dun crime ou dun deacutelit lorsque apregraves une condamnation pour crime ou deacutelit un
nouvel arrecirct ou jugement a condamneacute pour le mecircme fait un autre accuseacute ou preacutevenu et que
les deux condamnations ne pouvant se concilier leur contradiction est la preuve de
linnocence de lun ou de lautre condamneacute raquo1
151 Il ne faut pas precircter agrave lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee au peacutenal sur le civil les atouts du
pourvoi en reacutevision (sanction de lrsquoincoheacuterence deacutecisionnelle) Ce rapprochement complique
la ligne de partage entre lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et le pourvoi en reacutevision et ajoute des
difficulteacutes au niveau de lrsquointerpreacutetation des liens qui les unissent De plus cette interpreacutetation
se concilie difficilement avec la tendance au perfectionnisme de la justice mise en avant par
Monsieur Clause MATHON2 En effet comment preacutetendre vouloir rendre la meilleure justice
possible si la raison drsquoecirctre de lrsquoautoriteacute positive de la chose jugeacutee nrsquoest que de preacuteserver le
creacutedit de la justice
152 Les justifications doctrinales de lrsquoautoriteacute positive de la chose jugeacutee nrsquoemportent
donc pas notre adheacutesion Elles accentuent lrsquoideacutee drsquoune union impossible entre lrsquoautoriteacute de la
chose jugeacutee et le pourvoi en reacutevision Les mecircmes conclusions srsquoimposent sur lrsquoaspect neacutegatif
de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee
B Les justifications doctrinales lrsquoautoriteacute neacutegative de la chose
jugeacutee
153 Srsquoagissant de la conciliation des justifications doctrinales de lrsquoaspect neacutegatif de la
chose jugeacutee avec lrsquoesprit du pourvoi en reacutevision lrsquoeacuteclairage sera porteacute sur deux des theacuteories
deacutefendues par la doctrine La premiegravere avanceacutee par les auteurs classiques meacuterite drsquoecirctre revue
et adapteacutee agrave la reacutealiteacute Il srsquoagit drsquoune justification fondeacutee sur la maxime latine laquo res judicata
veritate habitur raquo (1) La seconde centreacutee sur le contrat social porteacutee par tregraves peu drsquoauteurs
nrsquoapporte pas de reacuteponse satisfaisante (2)
1 Crsquoest nous qui soulignons 2 C MATHON op cit p1
70
1 laquo Res judicata veritate habitur raquo
154 Les auteurs classiques1 considegraverent que les deacutecisions deacutefinitives dites
inattaquables sont laquo des oracles des veacuteriteacutes absolues indiscutables2 raquo La doctrine
classique tregraves attacheacutee agrave la preacutesomption de veacuteriteacute a porteacute au pinacle la force de cette veacuteriteacute
leacutegale en la qualifiant de veacuteriteacute absolue POTHIER dans un commentaire de lrsquoordonnance de
1667 srsquoexprimait en ces termes laquo les jugements dont il nrsquoy a pas drsquoappel interjeteacute ont de
mecircme que ceux rendus en dernier ressort une espegravece drsquoautoriteacute de chose jugeacutee qui donne
droit drsquoen poursuivre lrsquoexeacutecution Ils forment une espegravece de preacutesomption de veacuteriteacute qui exclut
la partie contre laquelle ils ont eacuteteacute rendus de pouvoir rien proposer contre raquo3 Dans ce
commentaire se dessine la force du reacutealisme judiciaire qui penche vers une confusion entre
veacuteriteacute judiciaire et reacutealiteacute mateacuterielle4 Le caractegravere deacutefinitif de la deacutecision fige la scegravene
judiciaire au preacutetexte que toute la veacuteriteacute a eacuteteacute faite Le caractegravere absolu de la preacutesomption de
veacuteriteacute entraicircne dans son sillage la nature absolue de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee agrave savoir son
laquo rayonnement au-delagrave de lrsquoobjet et des parties en cause dans le jugement raquo5 En effet si la
veacuteriteacute est absolue6 elle srsquoimposera agrave tous sans pouvoir ecirctre contesteacutee tant par les tiers au litige
que par les parties eacuteventuellement engageacutees dans un autre litige Or le droit positif ne
reconnaicirct pas agrave lrsquoautoriteacute neacutegative de la chose jugeacutee un caractegravere absolu7
155 La preacutesomption de veacuteriteacute est un adversaire redoutable du pourvoi en reacutevision En
procircnant la veacuteriteacute de la justice cette preacutesomption ferme la porte agrave la reacutevision des procegraves8 Pour
bacirctir une proceacutedure de reacutevision efficace il convient de se deacutetourner de lrsquoideacutee selon laquelle
lrsquoautoriteacute neacutegative de la chose jugeacutee srsquoagregravege autour de la maxime laquo res judicata veritate
habitur raquo Cette maxime se reacutesume agrave la phrase dite agrave Jeacutesus par Pilate laquo si je te condamne
1 J ORTOLAN op cit ndeg 1777 D TOMASIN op cit p 174 ndeg 227 Madame LELIEUR deacutefend la thegravese du rattachement de cette maxime agrave lrsquoaspect neacutegatif de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee en expliquant que cette association a permis drsquointroduire laquo le principe postulant qursquoune affaire qui a eacuteteacute jugeacutee ne peut plus lrsquoecirctre agrave nouveau crsquoest-agrave-dire le principe de lrsquoautoriteacute neacutegative (crsquoest nous qui soulignons) de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee raquo J LELIEUR-FISCHER op cit p104 ndeg 120 dans un mecircme sens V K NAJARIAN op cit p 54 2 E de VALICOURT op cit p17 3 Voir note anonyme sous cass civ 7 juillet 1890 Dr peacutenal I 301 citeacute par G DALBIGNAT-DEHARO Veacuteriteacute scientifique et veacuteriteacute judiciaire en droit priveacute op cit p 371 ndeg 500 4 R JAPIOT Traiteacute eacuteleacutementaire de proceacutedure civile et commerciale 1916 p 185 ndeg 622 5 J LELIEUR op cit p 106 6 SAVIGNY proposa sans grand succegraves drsquoatteacutenuer la force de cette veacuteriteacute V en ce sens SAVIGNY Systegraveme de droit romain traduction Guenoux de lrsquoeacutedition allemande tome VI 1847 sect 280 citeacute par J LELIEUR op cit note 276 7 V R MERLE et A VITU op cit ndeg 899 M-L RASSAT op cit ndeg 522 P HEBRAUD op cit p 149-150 8 J CARBONNIER Sociologie juridique op cit p 402 laquo Les hommes sont la faiblesse du droit raquo F DEFFERRARD Le droit et ses doubles D 2001 chr 1409 laquo Tout jugement est en soi affecteacute drsquoune aptitude congeacutenitale agrave la fragiliteacute Il est friable et fondamentalement inconstant raquo
71
mecircme agrave tort ta condamnation fera la veacuteriteacute raquo1 En effet cette preacutesomption qui srsquoinspire des
articles 1350 et 1351 du Code civil2 ne peut preacutejuger de la conformiteacute drsquoune deacutecision avec la
veacuteriteacute3 Pourtant laquo bon ou mauvais ce qui a eacuteteacute deacutefinitivement jugeacute nrsquoen a pas moins
lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee raquo4
156 Pour toutes ces raisons auxquelles se rajoutent certains archaiumlsmes lieacutes agrave la
preacutesomption de veacuteriteacute5 la doctrine actuelle srsquoeacuteloigne peu agrave peu de lrsquoideacutee du rattachement de
lrsquoautoriteacute neacutegative de la chose jugeacutee agrave la preacutesomption de veacuteriteacute Certains auteurs
contemporains persistent cependant agrave deacutefendre le principe de lrsquoautoriteacute neacutegative en srsquoappuyant
sur cette preacutesomption6 Une partie de la doctrine moderne conteste aujourdrsquohui lrsquoideacutee drsquoune
preacutesomption leacutegale de veacuteriteacute en se reacutefeacuterant agrave une inexactitude historique tireacutee drsquoune
interpreacutetation incorrecte drsquoune phrase drsquoULPIEN7 reprise par DOMAT laquo Les choses jugeacutees
tiennent lieu de veacuteriteacute agrave lrsquoeacutegard de ceux avec qui elles ont eacuteteacute jugeacutees srsquoils nrsquoont appeleacute ou srsquoil
ne peut y avoir appel 8raquo Monsieur le Professeur LAGARDE considegravere que laquo la reacutefeacuterence agrave
lrsquoideacutee de veacuteriteacute sert agrave accroicirctre la leacutegitimiteacute des deacutecisions de justice elle nrsquoa pas pour fonction
de justifier lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee [hellip] Crsquoest lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee qui sert agrave
justifier la preacutesomption de veacuteriteacute raquo9
157 Dans cet ordre drsquoideacutees Madame DALBIGNAT-DEHARO analyse dans sa thegravese
lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee comme une laquo preacutesomption de reacutegulariteacute du processus
1 La Bible Evangile selon Jean 18 34 2 Lrsquoarticle 1350 qualifie lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee de laquo preacutesomption leacutegale raquo Lrsquoarticle 1351 expose les conditions que doit revecirctir cette preacutesomption De telles indications eacutetant absentes du Code de proceacutedure peacutenale la doctrine srsquoest appuyeacutee sur le Code civil pour fonder lrsquoaspect neacutegatif de la chose jugeacutee sur une preacutesomption de veacuteriteacute 3 S COTTA laquo Quidquid latet apparebit Le problegraveme de la veacuteriteacute du jugement raquo Archives de philosophie du droit Tome 39 ndash Le procegraves 1995 p 219-228 laquo Trois raisons ndash lrsquoextraneacuteiteacute de la conscience du juge agrave la veacuteriteacute temporellement syntheacutetique de lrsquoeacuteveacutenement sa solitude dans lrsquoeacutetablissement deacutefinitif de la veacuteriteacute sa finale impuissance agrave reacutetablir la continuiteacute des personnes ndash montrent lrsquoindeacutepassable imperfection du jugement humain sous lrsquoaspect de sa conformiteacute agrave la veacuteriteacute et donc agrave la justice en leur pleacutenitude Et pourtant le juge ne peut se refuser de juger [hellip] Il doit donc se reacutesigner et avec lui les disputants et la socieacuteteacute entiegravere agrave ce que son verdict ndash le verdict de tout juge ndash ne soit pas entiegraverement veacuteridique mais une sorte de veacuteriteacute par provision pourrait-on dire en paraphrasant Descartes raquo 4 R VOUIN Cours de doctorat de droit peacutenal geacuteneacuteral et de proceacutedure peacutenale 1963- 1964 p 2 5 N VALTICOS op cit p 28 29 47 J LELIEUR op cit p 526-530 6 R MERLE et A VITU op cit p 1041 ndeg 884 laquo On dit encore qursquoelles acquiegraverent lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et qursquoune veacuteritable preacutesomption de veacuteriteacute srsquoattache agrave elles (hellip)raquo M BENCIMON O BERNABE P HARDOUIN P NABOUDET-VOGEL O PASSERA Autoriteacute de chose jugeacutee et immutabiliteacute du litige justices 1997 ndeg 5 p 157 7 C BLERY op cit p 120 ndeg 177 D TOMASIN op cit p 242 ndeg 328 P MAYER Reacuteflexions sur lautoriteacute neacutegative de chose jugeacutee Meacutelanges Heacuteron 2008 LGDJ p 331 s ndeg 6 8 J DOMAT Les lois civiles dans leur ordre naturel 1772 p 247 9 X LAGARDE Recevabiliteacute et fond dans la theacuteorie du droit de la preuve Thegravese Paris LGDJ Bibliothegraveque de droit priveacute 1994 p 383 ndeg 244
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drsquoeacutelaboration de la deacutecision judiciaire raquo1 De ce raisonnement il deacutecoule que la laquo finaliteacute
veacuteritative raquo2 de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee nrsquoest qursquoune vue de lrsquoesprit Elle se destine
uniquement agrave preacuteserver le creacutedit de la justice en mettant en avant la haute vraisemblance de
veacuteriteacute forgeacutee sur lrsquoenclume de lrsquoexercice des voies de recours Madame DALBIGNAT-
DEHARO deacutemontre que lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee ne confegravere agrave la solution qursquoune validiteacute
de pure forme Degraves lors lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee ne devrait pas ecirctre entendue comme la
veacuteriteacute mais plutocirct comme le point final drsquoun processus de veacuterification exerceacute par le juge
Ainsi laquo la proceacutedure ne leacutegitime certes pas la deacutecision mais elle fonde une preacutesomption de
justesse normative en faveur de son contenu raquo3
158 La seconde justification doctrinale de lrsquoautoriteacute neacutegative repose sur lrsquoideacutee du
contrat social
2 Le contrat social
159 Une justification plus marginale de lrsquoautoriteacute neacutegative de la chose jugeacutee repose
sur le contrat social Une voix srsquoeacutelegraveve dans ce sens celle de Madame le Professeur RASSAT
laquo La socieacuteteacute a le droit de se deacutefendre et de deacutefendre ceux qui la composent contre les
infractions peacutenales Elle peut et doit poursuivre les deacutelinquants Mais compte tenu de la
disproportion existant entre la socieacuteteacute et lrsquoindividu celui-ci doit beacuteneacuteficier des maladresses et
de lrsquoinefficaciteacute de celle-lagrave parce que ce sont pour elle des fautes Ce qui a eacuteteacute jugeacute
conformeacutement aux regravegles proceacutedurales normales (qursquoil appartient agrave la socieacuteteacute de modifier si
elles ne sont pas bonnes) doit apurer les rapports respectifs de la collectiviteacute et du deacutelinquant
De mecircme que le doute profite agrave la personne poursuivie de mecircme la chose jugeacutee creacutee agrave son
profit un droit agrave la tranquilliteacute raquo4 Cette justification est a priori preacutefeacuterable agrave celle fondeacutee sur
la preacutesomption de veacuteriteacute car elle ne repose pas sur une fiction en reconnaissant que les lois
doivent ecirctre changeacutees laquo si elles ne sont pas bonnes raquo Cependant confronteacutee agrave la reacutevision
elle nrsquoenvisage pas que ce changement puisse intervienne trop tard crsquoest-agrave-dire apregraves que la
deacutecision est devenue deacutefinitive Dans ce cas la chose jugeacutee ne peut pas creacuteer un droit agrave la
tranquilliteacute
160 Au travers de cette analyse des justifications de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee il
apparaicirct que celles-ci sont difficilement conciliables avec la raison drsquoecirctre du pourvoi en 1 G DALBIGNAT-DEHARO op cit p 371 ndeg 500 et s 2 Expression emprunteacutee agrave Madame DALBIGNAT-DEHARO 3 N LUHMANN La leacutegitimation par la proceacutedure Cerf PU Laval 2001 p 13 4 M-L RASSAT op cit p 834 ndeg 516
73
reacutevision En outre elles contribuent agrave rendre moins visible le rapprochement entre le pourvoi
en reacutevision et lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee (sect 2)
sect 2 Le rapprochement entre le pourvoi en reacutevision et lrsquoautoriteacute de
la chose jugeacutee
161 La proceacutedure de reacutevision positionneacutee au carrefour de deux inteacuterecircts en apparence
divergents place le leacutegislateur devant un dilemme En regraveglementant la reacutevision il lui incombe
de trouver le juste eacutequilibre entre le perfectionnisme et la stabiliteacute de la justice (A)
Nonobstant leurs diffeacuterences le pourvoi en reacutevision et lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee poursuivent
en reacutealiteacute un objectif commun la preacuteservation de la paix sociale (B)
A La recherche drsquoun juste eacutequilibre entre le perfectionnisme et la
stabiliteacute de la justice
162 Le cas de conscience auquel se heurte le leacutegislateur est le suivant Trop de
faciliteacutes accordeacutees au pourvoi en reacutevision risquent drsquoalteacuterer lrsquoefficaciteacute du systegraveme des voies
de recours qui se verrait supplanteacute par le pourvoi en reacutevision consideacutereacute non plus comme un
recours exceptionnel mais comme un troisiegraveme degreacute de juridiction A lrsquoinverse la fermeture
de la porte de la reacutevision reviendrait agrave ignorer lrsquoexistence mecircme de possibles erreurs de fait
Lrsquoaccessibiliteacute du pourvoi en reacutevision reste donc suspendue agrave la conception de lrsquoautoriteacute de la
chose jugeacutee du leacutegislateur et de la jurisprudence
163 Une conception large de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee1 complique la remise en
cause drsquoune deacutecision deacutefinitive et limite la porteacutee de la reacutevision agrave de rares cas Dans une telle
conception laquo lrsquoautoriteacute de la chose explicitement jugeacutee [est] eacutetendue agrave ce qui ressort
implicitement du jugement raquo2 Crsquoest ainsi que le justiciable peut se voir refuser au moment de
lrsquoexercice des voies de recours lrsquoexamen de la contestation sur un point qui nrsquoa pas encore eacuteteacute
eacutevoqueacute par les premiers juges (risque de deacuteni de justice) Cette conception pose eacutegalement un
problegraveme au regard du principe du contradictoire laquo car les parties pourront se trouver
surprises en srsquoapercevant tardivement apregraves lrsquoexpiration des deacutelais de recours qursquoune chose
qursquoelles nrsquoavaient pas soupccedilonneacutee se trouve implicitement jugeacutee ou que la chose
1 C MATHON op cit p2 2 Ibid
74
explicitement jugeacutee a des conseacutequences qursquoelles nrsquoavaient pas envisageacutees raquo1 Placer lrsquoautoriteacute
de la chose jugeacutee sur un pieacutedestal annihilerait toutes les chances drsquoexistence du pourvoi en
reacutevision
164 A lrsquoinverse enfermer lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee dans une sphegravere trop eacutetroite
faciliterait lrsquoexercice du pourvoi en reacutevision au prix drsquoune grande instabiliteacute juridique et
entretiendrait une confusion entre les voies de recours ordinaires et extraordinaires Un
pourvoi en reacutevision trop ouvert aurait pour conseacutequence de deacutegrader les fonctions de lrsquoappel
et de remettre en cause les deacutelais de recours Quel serait lrsquointeacuterecirct de respecter ces deacutelais alors
que la voie de la reacutevision resterait entrouverte en permanence La stabiliteacute juridique reste
indispensable au maintien du lien social Une application par lrsquoabsurde de cette conception
eacutetroite de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee aurait pour conseacutequence une remise en cause de
lrsquoirrecevabiliteacute des moyens nouveaux invoqueacutes devant la Cour de cassation En effet celle-ci
serait contourneacutee par le justiciable fondeacute agrave formuler sa requecircte devant la juridiction de
reacutevision En drsquoautres termes un pourvoi en reacutevision trop faciliteacute enlegraveverait agrave lrsquoautoriteacute de la
chose jugeacutee toute sa force
165 Il parait eacutevident qursquoil est neacutecessaire de trouver un compromis entre ces deux
conceptions afin de faire coexister sans heurts lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et le pourvoi en
reacutevision La reacutesolution de cette difficulteacute reacuteside dans la prise en consideacuteration de lrsquoexistence
drsquoun point commun agrave lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et au pourvoi en reacutevision En effet tous
deux poursuivent le mecircme objectif la preacuteservation de la paix sociale
B La preacuteservation de la paix sociale un objectif commun agrave
lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et agrave la reacutevision
166 Neacutee de besoins purement pratiques2 lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee vise agrave confeacuterer le
seacutesame de lrsquoimmutabiliteacute aux deacutecisions dans un but de pacification sociale3 La pacification
sociale est un argument reacuteguliegraverement invoqueacute par les auteurs pour justifier le concept
drsquoautoriteacute de la chose jugeacutee en particulier son volet neacutegatif4 Ainsi les Professeurs BOUZAT
et PINATEL preacutecisent que laquo la paix sociale exige que tout procegraves prenne fin un jour et que
1 Ibid 2 P HEBRAUD op cit p 148 3 J NORMAND RTDC 1995 p177 4 Selon le Professeur VALTICOS les fonctions de lrsquoaspect neacutegatif constituent laquo lrsquoexplication fondamentale raquo de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee De ce fait notre raisonnement concerne la conciliation entre le concept drsquoautoriteacute de la chose jugeacutee dans son ensemble et la proceacutedure de reacutevision V en ce sens N VALTICOS op cit ndeg 465
75
lorsqursquoil a eacuteteacute deacutefinitivement jugeacute il ne puisse plus tard ecirctre remis en question raquo1 Lrsquoautoriteacute
de la chose jugeacutee qui interdit de remettre en cause une deacutecision deacutefinitive met un terme aux
contestations et clocirct deacutefinitivement les litiges2 Aucune alternative ne srsquooffrant plus aux
parties elles seront contraintes drsquoaccepter la deacutecision deacutefinitive
167 Crsquoest alors le point de deacutepart drsquoun cheminement psychologique dont les eacutetapes
deacuteboucheront sur lrsquoacceptation de la deacutecision et sur la reconstruction du lien social En effet
la blessure provoqueacutee par lrsquoauteur de lrsquoinfraction agrave la socieacuteteacute et agrave ses eacuteventuelles victimes une
fois reconnue au moment du prononceacute de la deacutecision deacutefinitive pourra mieux se cicatriser
Crsquoest pourquoi laquo lrsquoeffet de clocircture drsquoune deacutecision deacutefinitive tient un rocircle essentiel raquo3 Il
permet agrave la socieacuteteacute la victime et lrsquoauteur des faits drsquoentamer un travail de reconnaissance de
reconstruction et dans le meilleur des cas de reacuteconciliation4 Lrsquoaboutissement de ce
processus a pour but de deacutepasser les limites du litige pour se diriger vers la paix sociale Le
philosophe Paul RICOEUR srsquoest exprimeacute en ces termes laquo Trancher on lrsquoa dit crsquoest seacuteparer
tirer une ligne entre le tien et le mien La finaliteacute de la paix sociale fait apparaicirctre en filigrane
quelque chose de plus profond qui touche agrave la reconnaissance mutuelle ne disons pas
reacuteconciliation parlons encore moins drsquoamour et de pardon qui ne sont plus des grandeurs
juridiques parlons plutocirct de reconnaissance raquo5
168 Cette deacutemarche intellectuelle justifie le rattachement de lrsquoautoriteacute de la chose
jugeacutee agrave la paix sociale Sans deacutecision deacutefinitive pas de reconnaissance pas de reconstruction
du lien briseacute Sans reconstruction pas de reacutetablissement de la paix sociale Donc sans
deacutecision deacutefinitive pas de paix sociale Voici lrsquoaxiome sur lequel repose lrsquoautoriteacute de la chose
jugeacutee La preacuteservation de la paix sociale justifie-t-elle pour autant de ne jamais faire ceacuteder
lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee Il est permis drsquoen douter
1 P BOUZAT et J PINATEL op cit ndeg 1529 2 M-A FRISON-ROCHE laquo Les offices du juge raquo in Ecrits en hommage agrave J Foyer op cit p 463-476 laquo Le jugement [hellip] fait cesser la recherche de la veacuteriteacute raquo 3 J LELIEUR op cit p 88 ndeg 99 4 D SALAS La volonteacute de punir essai sur le populisme peacutenal Hachette 2005 p 256 Lrsquoauteur illustre lrsquoimportance de la reacuteconciliation en commentant le tableau laquo le retour du fils prodige raquo de Rembrant laquo Toile qui saisit un moment de paix inteacuterieure apregraves le long tourment de la seacuteparation dont chacun porte le stigmate (le pegravere est aveugle le fils en haillons) Sur cette scegravene nul nrsquoest victime nul nrsquoest coupable Peu importe la faute du fils et le reniement du pegravere Chacun est visiblement briseacute par le conflit Chacun a renonceacute agrave livrer bataille A genoux le fils tremble encore Mais de quoi Est-ce la surprise de la rencontre Lrsquoattente drsquoun pardon inespeacutereacute Son visage dans le clair-obscur preacuteserve lrsquoeacutenigme Seule sa nuque ses eacutepaules captent un peu de lumiegravere Lourdes du pardon qursquoelles portent les mains du pegravere appellent une paix retrouveacutee Mains larges et lumineuses qursquoun obscur silence enveloppe Gestes lourds drsquoeacutepreuves que chacun a ducirc traverser afin que fleacutechisse lrsquoorgueil et que srsquoouvre la reacuteconciliation raquo 5 P RICOEUR laquo Lrsquoacte de juger raquo Le Juste tome 1 op cit p 185
76
169 Au sujet du lien entre paix sociale et justice Paul RICOEUR eacutecrit que laquo la justice
qui veut la paix ne se limite pas agrave des parts justes mais elle exige encore des prises de
participation et des actes drsquohumaniteacute raquo1 La justice et la paix supposent pour sortir de la
theacuteorie la prise de mesures concregravetes des attitudes et positions courageuses2 Dans
lrsquohypothegravese drsquoune condamnation entacheacutee drsquoune erreur de fait le prononceacute de la deacutecision
deacutefinitive enlegraveve toute chance de reconnaissance de reconstruction et a fortiori de
reacuteconciliation Prenons lrsquoexemple drsquoun individu condamneacute deacutefinitivement pour un crime qursquoil
nrsquoa pas commis Dans le cas ougrave lrsquoerreur est aveacutereacutee la reconstruction du lien entre le
condamneacute et la socieacuteteacute ou entre lui-mecircme et sa victime supposeacutee devient impossible En effet
lrsquoabsence de relation entre les faits et lrsquoauteur injustement condamneacute ferme la porte dans ce
cas preacutecis agrave toute reconstruction du lien social Drsquoabord entre lui-mecircme et la socieacuteteacute puis agrave
lrsquoeacutegard de sa victime supposeacutee en raison de son innocence Degraves lors fonder lrsquoautoriteacute de la
chose jugeacutee sur la paix sociale apparaicirct dans cette hypothegravese illogique Bien au contraire la
paix sociale exige la remise en cause de cette deacutecision deacutefinitive frappeacutee drsquoune erreur de fait
170 Crsquoest pourquoi lrsquoapproche habituelle qui vise agrave opposer lrsquoautoriteacute de la chose
jugeacutee et le pourvoi en reacutevision doit ecirctre battue en bregraveche En effet leur objectif commun de
preacuteservation et de restauration de la paix sociale constitue un trait drsquounion entre eux Bien
que la paix sociale exige la proclamation du caractegravere deacutefinitif des deacutecisions elle reacuteclame
eacutegalement la possibiliteacute de revenir sur ce caractegravere dans le cas drsquoune injustice Autant il est
souhaitable que les procegraves aient une fin au nom de la paix sociale autant il serait inacceptable
que la quecircte de veacuteriteacute puisse srsquoeacuteteindre laquo Tant que les hommes nrsquoauront aucun caractegravere
certain pour distinguer le vrai du faux une des premiegraveres sucircreteacutes qursquoils se doivent
reacuteciproquement crsquoest de ne pas admettre sans une neacutecessiteacute deacutemontreacutee des peines
absolument irreacuteparables raquo3 Vu sous cet angle le pourvoi en reacutevision constitue un laquo facteur
drsquoennoblissement raquo4 de la justice en contribuant comme lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee agrave la
preacuteservation de la paix sociale laquo Une justice qui reconnaicirct ses erreurs et les corrige sans
srsquoefforcer de les maintenir et de les dissimuler par de vaines formules est une justice
eacutedifiante qui ne peut inspirer que de la confiance et du respect raquo5
1 P RICOEUR Amour et Justice Paris Points Coll laquo Points Essais raquo 2008 accessible sur wwwlacademiewordpresscom 2 ES AVONYO Quelle deacuteontologie de la justice pour une paix sociale durable Lrsquoacadeacutemie de philosophie accessible sur wwwlacademiewordpresscom 3 J BENTHAM Traiteacute de leacutegislation civile et peacutenale op cit p 162 4 Expression emprunteacutee agrave J-A ROMEIRO laquo La reacutevision comme facteur drsquoennoblissement de la justice raquo RSC 1970 p 623 et s 5 Ibid
77
Conclusion du chapitre 1
171 Ce chapitre a eacuteteacute consacreacute agrave lrsquoanalyse des liens qui unissent la reacutevision agrave lrsquoautoriteacute
de la chose jugeacutee En effet lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee reste eacutetroitement lieacutee au pourvoi en
reacutevision Lrsquoexistence mecircme de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee constitue lrsquoessence de la proceacutedure
de reacutevision mise en mouvement dans le but de contester une deacutecision peacutenale deacutefinitive Or
lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee laisse apparaicirctre tant dans son aspect neacutegatif que positif des
zones drsquoombre en particulier par rapport agrave ses justifications Cette situation entretient une
relation conflictuelle entre lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et le pourvoi en reacutevision qui eacutevoluent
dans un contexte jalonneacute de nombreuses oppositions Une remise en cause des justifications
traditionnelles de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee tant neacutegative que positive nous a permis
drsquoaplanir ces contradictions Crsquoest ainsi qursquoil a eacuteteacute reacuteveacuteleacute qursquoen reacutealiteacute lrsquoautoriteacute de la chose
jugeacutee et le pourvoi en reacutevision poursuivent un objectif commun la preacuteservation de la paix
sociale
172 En deacutefinitive deux approches diffeacuterentes permettent drsquoaborder la question des
liens qui unissent lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee au pourvoi en reacutevision Tout drsquoabord une
approche traditionnelle srsquoappuyant sur des justifications de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee
auxquelles nous nrsquoadheacuterons pas et dont le deacuteveloppement alimente lrsquoantagonisme entre le
pourvoi en reacutevision et lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee Ensuite une approche plus moderne qui
met en avant la preacuteservation de la paix sociale trait drsquounion entre la reacutevision et lrsquoautoriteacute de la
chose jugeacutee
173 La question se pose donc de deacuteterminer laquelle de ces deux approches le
leacutegislateur 1989 avait choisi Nous deacutemontrerons que la loi et la jurisprudence avaient preacutefeacutereacute
se retrancher dans une position ougrave lrsquoaffrontement entre lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et le
pourvoi en reacutevision prospeacuterait Lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee a beaucoup beacuteneacuteficieacute de cette
situation qui a deacuteboucheacute sur sa sacralisation laquo quasi feacutetichiste raquo1 De nombreux obstacles agrave la
mise en œuvre de la proceacutedure de reacutevision nuisaient fortement agrave la manifestation de la veacuteriteacute
et agrave la reconnaissance des erreurs judiciaires En effet laquo lrsquoinstitution de lrsquoautoriteacute de la chose
jugeacutee socialement indispensable pour eacuteviter que les procegraves ne srsquoeacuteternisent nrsquoen est pas moins
1 P MONGIBEAUX op cit p 11
78
entacheacutee drsquoun vice congeacutenital elle fait triompher la valeur de seacutecuriteacute sur la valeur de
justice raquo1
1 H MOTULSKY Pour une deacutelimitation plus preacutecise de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee D 1968 chr 1
79
CHAPITRE 2 LA CONCILIATION DE
LrsquoAUTORITE DE LA CHOSE
JUGEE ET DE LA REVISION
UN CHOIX NON RETENU EN
1989
laquo Lrsquohomme le plus honnecircte le plus respecteacute peut ecirctre
victime de la Justice Vous ecirctes bon pegravere bon eacutepoux peu
importe Quelle fataliteacute pourrait vous faire passer pour
un malhonnecircte homme voir un criminel Cette fataliteacute
existe elle porte un nom lrsquoerreur judiciaire raquo1
174 Dans ce chapitre seuls les anciens articles 622 agrave 626 du Code de proceacutedure
peacutenale serviront de base agrave la reacuteflexion Monsieur le deacuteputeacute Alain TOURRET remarque que
laquo durant les trois premiegraveres anneacutees qui ont suivi lrsquointroduction des appels en cour
drsquoassises cinquante-quatre condamneacutes en premiegravere instance ont eacuteteacute innocenteacutes en appel A
coup sucircr il reste encore des innocents en prison raquo2 La question se pose de comprendre
pourquoi la loi de 1989 donneacute lieu qursquoagrave peu de cas de reacutevisions Deux reacuteponses sont
possibles soit peu drsquoerreurs judiciaires ont entacheacute le bon fonctionnement de la justice sur
une peacuteriode de vingt-cinq ans soit cette loi srsquoaveacuterait trop restrictive
175 Srsquoagissant de la premiegravere explication la prudence srsquoimpose Le corps judiciaire
est repreacutesenteacute par des hommes qui ne peuvent se retrancher derriegravere le rempart de
lrsquoinfaillibiliteacute Intrinsegravequement le juge est humainement habiteacute par le risque de pecirccher par
excegraves de confiance Le regard porteacute par Paul RICOEUR sur lacte de juger laisse transparaicirctre
le caractegravere ineacuteluctable de lrsquoerreur judiciaire laquo Dabord au sens faible juger cest opiner
une opinion est exprimeacutee portant sur quelque chose En un sens un peu plus fort juger cest
1 R FLORIOT op cit p 5 2 H BEKMEZIAN La proceacutedure de reacutevision des deacutecisions peacutenales sera simplifieacutee Le monde 19 feacutevrier 2014
80
estimer un eacuteleacutement hieacuterarchique est ainsi introduit exprimant preacutefeacuterence appreacuteciation
approbation Un troisiegraveme degreacute de force exprime la rencontre entre le cocircteacute subjectif et le cocircteacute
objectif du jugement cocircteacute objectif quelquun tient une proposition pour vraie bonne juste
leacutegale cocircteacute subjectif il y adhegravere Enfin agrave un niveau plus profond qui est celui ougrave se tient
Descartes dans la laquo Quatriegraveme meacuteditation raquo le jugement procegravede de la conjonction de
lentendement et de la volonteacute lentendement qui considegravere le vrai et le faux la volonteacute qui
deacutecide Nous avons ainsi atteint le sens fort du mot juger non seulement opiner estimer
tenir pour vrai mais en dernier ressort prendre position Cest de ce sens usuel que nous
pouvons partir pour rejoindre le sens proprement judiciaire de lacte de juger [] Cest dans
lacte du procegraves que lacte de juger reacutecapitule toutes les significations usuelles opiner
estimer tenir pour vrai ou juste enfin prendre position raquo1
176 Madame le Professeur LAZERGES a preacuteciseacute que laquo les conditions drsquoouverture [de
la proceacutedure de reacutevision] [eacutetaient] draconiennes lrsquoimperfection originelle drsquoune justice
humaine [eacutetait] reconnue sans excegraves de modestie raquo2 Cette situation reacutesultait du choix drsquoavoir
voulu maintenir la reacutevision et lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee dans une logique oppositionnelle
En effet lrsquohypothegravese drsquoune conciliation a eacuteteacute eacutecarteacutee tant par le leacutegislateur que par la
jurisprudence De fait le parcours judiciaire emprunteacute par le candidat agrave la reacutevision srsquoen
trouvait affecteacute
177 Tout drsquoabord des conditions preacutealables devaient ecirctre remplies (Section 1) La
demande devait ensuite correspondre agrave lrsquoun des cas drsquoouverture preacutevus par le Code de
proceacutedure peacutenale (Section 2)
Section 1 La reacuteunion de conditions preacutealables agrave
lrsquoexercice du pourvoi en reacutevision
178 Lrsquoancien article 622 alineacutea 1 du Code de proceacutedure peacutenale disposait que laquo la
reacutevision drsquoune deacutecision peacutenale deacutefinitive [pouvait] ecirctre demandeacutee au beacuteneacutefice de toute
personne reconnue coupable drsquoun crime ou drsquoun deacutelit raquo Ainsi le cumul de quatre conditions
eacutetait un preacutealable agrave toute reacutevision Ces conditions preacutealables pouvaient ecirctre regroupeacutees en
deux blocs drsquoun cocircteacute des exigences drsquoordre technique (une deacutecision peacutenale deacutefinitive
1 Paul RICOEUR Le juste op cit p 185 2 Rapport drsquoinformation op cit Contribution de Madame C LAZERGES p 137
81
deacuteclarative de culpabiliteacute) (sect 1) et de lrsquoautre cocircteacute une exigence drsquoordre mateacuteriel (la
commission drsquoun crime ou drsquoun deacutelit) (sect 2)
sect 1 Les exigences drsquoordre technique
179 Concernant les caracteacuteristiques techniques exigeacutees de toute deacutecision susceptible
de faire lrsquoobjet drsquoun pourvoi en reacutevision il devait srsquoagir drsquoune deacutecision peacutenale deacutefinitive (A)
et comportant une deacuteclaration de culpabiliteacute (B)
A Une deacutecision peacutenale deacutefinitive
180 Lrsquoancien article 622 alineacutea 1 permettait laquo La reacutevision drsquoune deacutecision [hellip]
deacutefinitive1raquo Lrsquoouverture du pourvoi en reacutevision eacutetait subordonneacutee agrave lrsquoacquisition par la
deacutecision contesteacutee de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee En effet la proceacutedure de reacutevision nrsquoa pas
vocation agrave devenir un troisiegraveme degreacute de juridiction Lrsquoancien article 622 alineacutea 1 preacutecisait en
outre qursquoil srsquoagissait de laquo la reacutevision drsquoune deacutecision peacutenale2 raquo
181 Lrsquoexigence drsquoune deacutecision peacutenale meacuterite des eacuteclaircissements La question du
sens agrave accorder agrave lrsquoexpression laquo deacutecision peacutenale raquo a deacutejagrave eacuteteacute poseacutee agrave lrsquooccasion de lrsquoeacutetude de
lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee au criminel sur le civil3 Nous avons vu que lrsquoexpression devait
ecirctre comprise au sens mateacuteriel Nous pourrions donc leacutegitimement penser que la laquo deacutecision
peacutenale raquo mentionneacutee par lrsquoancien article 622 alineacutea 1 du Code de proceacutedure peacutenale revecirctait le
mecircme sens que la laquo deacutecision peacutenale raquo viseacutee par lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee au criminel sur le
civil
182 Selon la jurisprudence une deacutecision peacutenale au sens de lrsquoancien article 622 alineacutea
1 eacutetait consideacutereacutee comme une laquo deacutecision eacutemanant dune juridiction reacutepressive de droit
commun ou dexception et statuant sur des inteacuterecircts exclusivement drsquoordre peacutenal4raquo Ainsi les
deacutecisions rendues par les juridictions pour mineurs5 les juridictions militaires et en lrsquoabsence
de texte contraire par la Cour de Justice de la Reacutepublique eacutetaient susceptibles drsquoecirctre reacuteviseacutees
Lrsquoexigence drsquointeacuterecircts exclusivement peacutenal eacutetait en opposition avec la jurisprudence anteacuterieure
agrave 1989 qui avait autoriseacute la reacutevision drsquoune deacutecision qui eacutemanant drsquoune juridiction reacutepressive
1 Crsquoest nous qui soulignons 2 Crsquoest nous qui soulignons 3 V supra ndeg 92 4 H ANGEVIN op cit ndeg 19 Cour de reacutevision 29 janvier 1990 ndeg 81-94006 5 Casscrim 13 mars 1931 Bull crim ndeg 79
82
srsquoeacutetait prononceacutee sur les seuls inteacuterecircts civils1 Avec la loi de 1989 un pourvoi en reacutevision ne
pouvait donc plus concerner une condamnation portant exclusivement sur des inteacuterecircts civils
(dommages et inteacuterecircts restitutionhellip) quand bien mecircme elle aurait eacuteteacute prononceacutee par une
juridiction peacutenale2
183 La mecircme formulation (une deacutecision peacutenale) nrsquoa donc pas le mecircme sens srsquoagissant
de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee ou du pourvoi en reacutevision Crsquoest ainsi que pour lrsquoautoriteacute de la
chose jugeacutee lrsquoapproche de lrsquoexpression laquo deacutecision peacutenale raquo est mateacuterielle alors qursquoelle est
formelle pour la reacutevision3 Etaient donc exclues les reacutevisions des condamnations prononceacutees
par des juridictions peacutenales concernant des seuls inteacuterecircts civils
184 A priori il est permis de croire que le requeacuterant utilisait en pareils cas le recours
en reacutevision propre agrave la matiegravere civile preacutevu aux articles 593 et suivants du Code de proceacutedure
civile4 En effet lrsquoarticle 749 du Code de proceacutedure civile5 vise les articles 593 et suivants en
preacutecisant que ces dispositions laquo sappliquent devant toutes les juridictions de lordre
judiciaire statuant en matiegravere civile (hellip) raquo Les juridictions reacutepressives appartiennent agrave lrsquoordre
judiciaire et statuant sur des inteacuterecircts civils elles statuent en matiegravere civile Cependant la
jurisprudence refusait drsquoappliquer le recours en reacutevision des articles 593 et suivants du Code
de proceacutedure civile aux deacutecisions des juridictions peacutenales statuant sur des inteacuterecircts civils6
Cette position eacutetonnante avait pour effet drsquointerdire en pratique tout recours en reacutevision
dirigeacute contre le volet drsquoune deacutecision peacutenale qui statuait sur des inteacuterecircts civils La voie de la
reacutevision peacutenale eacutetait fermeacutee au motif que les inteacuterecircts en cause nrsquoeacutetaient pas drsquoordre peacutenal
Parallegravelement la reacutevision civile eacutetait eacutecarteacutee sous le preacutetexte qursquoil existait en matiegravere peacutenale
un recours speacutecial Il ne paraissait laquo pas possible dopeacuterer une distinction entre dispositions
peacutenales et dispositions civiles de ces deacutecisions [les deacutecisions reacutepressives statuant sur des
inteacuterecircts civils] et deacutetendre en labsence de dispositions leacutegislatives speacutecifiques aux deacutecisions
1 Cass crim 27 avr 1989 Bull crim 1989 ndeg 172 2 Comm reacutevision 4 nov 1996 ndeg 95-00077 Bull crim 1996 Comm reacutevision ndeg 390 3 Avant la loi de 1989 le texte preacutecisait laquo quelle que soit la juridiction qui ait statueacute raquo ce qui entrouvrait la voie agrave une approche plus mateacuterielle V en ce sens cass crim 13 mars 1931 Bull ndeg 79 S 1932 1 p 33 note HUGUENEY au sujet de la reacutevision drsquoune deacutecision drsquoun tribunal civil se prononccedilant sur la culpabiliteacute drsquoun enfant pour vol (la loi du 22 juillet 1912 donnait compeacutetence aux tribunaux civils pour la reacutepression des infractions commises par des enfants de moins de 13 ans) 4 Article 593 du Code de proceacutedure civile laquo Le recours en reacutevision tend agrave faire reacutetracter un jugement passeacute en force de chose jugeacutee pour quil soit agrave nouveau statueacute en fait et en droit raquo 5 Article 749 du Code de proceacutedure civile laquo Les dispositions du preacutesent livre sappliquent devant toutes les juridictions de lordre judiciaire statuant en matiegravere civile commerciale sociale rurale ou prudhomale sous reacuteserve des regravegles speacuteciales agrave chaque matiegravere et des dispositions particuliegraveres agrave chaque juridiction raquo 6 Cass crim 19 janvier 1982 ndeg 80-94321 D 1983 inf rap p 74 obs G ROUJOU DE BOUBEE
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statuant sur inteacuterecircts civils le recours en reacutevision de nature reacuteglementaire propre aux
deacutecisions civiles raquo1
185 Pour ecirctre susceptible de faire lrsquoobjet drsquoun pourvoi en reacutevision la deacutecision peacutenale
deacutefinitive devait encore comporter une deacuteclaration de culpabiliteacute
B Une deacutecision comportant une deacuteclaration de culpabiliteacute
186 Lrsquoancien article 622 alineacutea 1 ouvrait la reacutevision agrave laquo toute personne reconnue
coupable 2raquo La reacutevision ne concernait donc que les personnes reconnues injustement
coupables qursquoelles aient ou non exeacutecuteacutees effectivement leur peine3 En effet si la mise en
cause de la responsabiliteacute peacutenale drsquoun agent restait essentielle en revanche sa condamnation
effective agrave une peine nrsquoeacutetait pas retenue par le leacutegislateur comme un critegravere de recevabiliteacute
de la reacutevision A lrsquoinverse le leacutegislateur visant laquo toute personne reconnue coupable raquo cela
revenait agrave exclure la prise en compte de la reacutevision in defavorem4 Lrsquoautoriteacute de cette regravegle ne
pouvait ecirctre contourneacutee quand bien mecircme de nouveaux eacuteleacutements (ex recherche ADN)
apparaissaient et eacutetaient de nature agrave confondre le relaxeacute ou lrsquoacquitteacute placeacute deacutefinitivement agrave
lrsquoabri de toute nouvelles poursuites pour les mecircmes faits5
187 Premiegraverement la neacutecessiteacute drsquoune culpabiliteacute du demandeur serait inheacuterente agrave la
nature du pourvoi en reacutevision proceacutedure exceptionnelle consideacutereacutee comme une faveur
accordeacutee agrave lrsquoindividu injustement condamneacute6 Or agrave nos yeux lrsquoambition de la reacutevision
consiste plutocirct dans lrsquoaneacuteantissement drsquoune deacutecision entacheacutee drsquoune erreur judiciaire7
1 P BERCHON laquo Reacutegime de la reacuteparation ndash action en reacuteparation Action en reacutevision ndash recours en reacutevision raquo Jurisclasseur Civil Code Art 1382 agrave 1386 Fasc 225-10 2010 ndeg 46 2 Crsquoest nous qui soulignons 3 Comm reacutevision 5 mai 1994 ndeg 94-00002 4 Certains auteurs utilisent eacutegalement lrsquoexpression drsquo laquo erreur pro societate raquo V par exemple J A ROMEIRO op cit p 623 5 Lrsquoarticle 368 du Code de proceacutedure peacutenale dispose laquo Aucune personne acquitteacutee leacutegalement ne peut plus ecirctre reprise ou accuseacutee agrave raison des mecircmes faits mecircme sous une qualification diffeacuterente raquo 6 R MERLE et A VITU op cit ndeg 876 p 1031 7 P BOUZAT laquo A propos de lrsquoarticle de M Gassin laquo Les destineacutees du principe de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee au criminel sur le criminel dans le droit peacutenal contemporain raquo RSC 1964 p 359 laquo Nous avons contre nous la doctrine la jurisprudence reacutecente et le Code de proceacutedure peacutenale Seul contre tous Sans doute Mais [hellip] nrsquooublions pas que [hellip] si le droit franccedilais probablement toujours sous lrsquoinfluence de cette conception pseudo-libeacuterale et anti-scientifique du procegraves-duel deacutecide que lrsquoerreur commise agrave lrsquoavantage de lrsquoindividu qui a beacuteneacuteficieacute drsquoun acquittement immeacuteriteacute est irreacuteparable certaines leacutegislations eacutetrangegraveres et les positivistes deacutecident le contraire raquo
84
188 Deuxiegravemement la regravegle ne bis in idem sert drsquoargument agrave la deacutefense de
lrsquointangibiliteacute des deacutecisions de relaxe ou drsquoacquittement1 Or Madame Juliette LELIEUR qui
propose de lier la regravegle ne bis in idem au principe drsquouniciteacute drsquoaction reacutepressive preacutecise que laquo
(hellip) fondamentalement la reacuteouverture [du procegraves] reacutepond au souci de ne pas laisser
srsquoappliquer une deacutecision injuste Lrsquoexigence de justice doit donc toujours guider sa mise en
œuvre [hellip] Par conseacutequent nous suggeacuterons que la reacuteouverture du procegraves soit toujours
envisageacutee agrave travers le prisme de lrsquoexigence de justice crsquoest-agrave-dire qursquoelle soit uniquement
permise apregraves qursquoil a eacuteteacute veacuterifieacute que la deacutecision rendue comporte une injustice que la
reacuteouverture est agrave mecircme de corriger2 raquo Srsquoagissant de lrsquoidentification de la deacutecision injuste
lrsquoauteure apporte certains eacuteclaircissements Elle reconnaicirct qursquo laquo il semble se deacutegager une
tendance selon laquelle la sanction trop cleacutemente est moins injuste que la sanction trop
forte En effet la sanction trop cleacutemente est consideacutereacutee comme injuste uniquement par les
partisans drsquoune application pure de la theacuteorie de la reacutetribution tandis que la sanction trop forte
est geacuteneacuteralement consideacutereacutee comme une sanction injuste Globalement et malgreacute toute la
prudence avec laquelle il faut prendre ce propos la disproportion en deacutefaveur de la personne
condamneacutee paraicirct donc plus injuste que la disproportion en sa faveur3 raquo Pour ce qui est de
lrsquoacquittement deacutefinitif drsquoun coupable Madame Juliette LELIEUR estime qursquoau regard du
principe drsquouniciteacute drsquoaction reacutepressive il srsquoagit drsquoune injustice laquo moyennement grave raquo4
Ainsi le principe drsquouniteacute drsquoaction reacutepressive permettrait laquo si une occasion de corriger une
telle injustice se preacutesente [de ne pas] lrsquoexclure par principe5 raquo
189 Troisiegravemement la regravegle de la prohibition de la reformatio in pejus viendrait
appuyer lrsquoexigence drsquoune deacutecision de condamnation en matiegravere de reacutevision6 Cependant
lrsquoobjectif de lrsquointerdiction de la reformatio in pejus est de ne pas aggraver le sort du
demandeur qui intente un recours en sa faveur Cette regravegle nrsquoapporte aucune justification agrave
1 Rapport drsquoinformation op cit Contribution de Madame V ROSANO p 273 CNCDH Avis compleacutementaire sur la reacutevision des condamnations peacutenales en cas drsquoerreur judiciaire JORF du 12 avril 2014 texte ndeg 47 ndeg2 2 J LELIEUR op cit p 518 ndeg 646 3 Ibid ndeg 655 dans le mecircme sens Rapport drsquoinformation op cit Contribution de Madame V ROSANO op cit p 273 laquo Aussi deacutesagreacuteable que puisse ecirctre la liberteacute drsquoun coupable ce sentiment est sans commune mesure pour la paix sociale avec la condamnation drsquoun innocent raquo 4 Elle qualifie la condamnation drsquoun innocent drsquoinjustice laquo tregraves grave raquo V J LELIEUR op cit ndeg 660 5 J LELIEUR op cit ndeg 679 6 H ANGEVIN op cit ndeg 5 CNCDH Avis sur la reacutevision des deacutecisions peacutenales op cit ndeg 23 laquo Pour reacuteparer les conseacutequences des erreurs judiciaires la loi franccedilaise connaicirct une voie de recours extraordinaire qui en vertu du principe de la prohibition de la reformatio in pejus ne peut sexercer quen faveur du condamneacute raquo Rapport drsquoinformation op cit Contribution de M Bruno COTTE p 199 laquo La question a parfois eacuteteacute poseacutee srsquoil convenait en sens inverse de preacutevoir la reacutevision des arrecircts drsquoacquittement (hellip) je crains qursquoau niveau des principes cette proposition se heurte agrave la regravegle de lrsquoabsence de reacuteformation in pejus raquo
85
lrsquoexclusion de la reacutevision in defavorem En effet elle ne peut srsquoappliquer car lrsquoacquitteacute
nrsquointentera pas lui-mecircme un recours en sa deacutefaveur
190 Quatriegravemement la remise en cause drsquoun acquittement au moyen de la reacutevision
pourrait nuire agrave la paix sociale Le deacuteputeacute TOURRET explique devant lrsquoAssembleacutee Nationale
que laquo la vie deviendra[it] insupportable pour les personnes acquitteacutees raquo1 Or selon nous
lrsquoambition de la reacutevision consiste justement en la preacuteservation de la paix sociale Donc
lrsquoexplication du deacuteputeacute TOURRET ne se calque pas sur celle eacutevoqueacutee agrave lrsquooccasion de la paix
sociale par Paul RICOEUR2 Effectivement la stabiliteacute drsquoune deacutecision deacutefinitive
drsquoacquittement contribue agrave la paix sociale en ouvrant un droit agrave la tranquilliteacute pour la personne
acquitteacutee Mais ce droit agrave la tranquilliteacute doit cesser lorsqursquoil a eacuteteacute conquis par une deacutecision
drsquoinnocence indue Dans cette hypothegravese la paix sociale exige la remise en cause de la
deacutecision deacutefinitive injuste Le pourvoi en reacutevision srsquoen trouverait enrichi et plus largement la
justice garante de la veacuteriteacute De plus fonder le rejet de la reacutevision in deacutefavorem sur la paix
sociale est un signe de la logique drsquoaffrontement entre le pourvoi en reacutevision et lrsquoautoriteacute de la
chose Enfin lrsquointeacuterecirct de la victime voudrait que lrsquoacquitteacute ou le relaxeacute formellement
confondu par de nouveaux eacuteleacutements puisse ecirctre rejugeacute Srsquoagissant de la reacuteflexion de Madame
LEBRANCHU concernant les victimes et parties civiles qui srsquoemploieraient sans fin agrave faire la
deacutemonstration de la culpabiliteacute drsquoune personne acquitteacutee ou relaxeacutee3 il est eacutevident que la
reacutevision in defavorem si elle eacutetait admise par le leacutegislateur devrait ecirctre fortement encadreacutee
pour eacuteviter ce risque
191 Cinquiegravemement Monsieur le deacuteputeacute GEOFFROY proclame laquo Jrsquoai toujours
consideacutereacute que la deacutecision drsquoacquittement eacutetait le corollaire ndash et mecircme le corollaire puissant ndash
du principe fondamental de la preacutesomption drsquoinnocence Remettre en cause apregraves une
deacutecision drsquoacquittement devenue deacutefinitive lrsquoideacutee que la personne ait eacuteteacute acquitteacutee est drsquoune
certaine maniegravere une remise en cause de lrsquoexistence mecircme du principe de preacutesomption
drsquoinnocence raquo4 Se fonder sur la preacutesomption drsquoinnocence pour justifier lrsquoexclusion de la
reacutevision in devaforem parait audacieux Cela revient agrave faire preacutevaloir lrsquoinnocence deacutefinitive
sur la veacuteriteacute Pourtant agrave lrsquoinverse la recherche de la veacuteriteacute lrsquoemporte sur le caractegravere deacutefinitif
drsquoune deacutecision de condamnation Quelles sont les justifications de cette distinction Pour
1 Assembleacutee Nationale commission des lois constitutionnelles de la leacutegislation et de lrsquoadministration geacuteneacuterale de la reacutepublique mercredi 4 deacutecembre 2013 Seacuteance de 10 h compte rendu ndeg 25 2 V infra ndeg 101 3 Assembleacutee Nationale compte rendu ndeg 25 op cit 4 Ibid
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quelles raisons une bonne administration de la justice devrait-elle consideacuterer qursquoun doute
pesant sur un coupable en liberteacute est moins grave que celui pouvant exister agrave lrsquoeacutegard drsquoun
innocent emprisonneacute Chacun drsquoentre eux a beacuteneacuteficieacute au cours de son parcours judiciaire de
la preacutesomption drsquoinnocence Si celle-ci a eacuteteacute malmeneacutee dans un sens ou dans lrsquoautre la
reacutevision doit selon nous reacuteparer1
192 Sixiegravemement un autre argument invoqueacute reacuteside dans la possibiliteacute offerte au
parquet de faire appel drsquoune deacutecision drsquoacquittement Cette voie de recours permettrait de
reacuteparer les eacuteventuelles erreurs relatives aux deacuteclarations drsquoinnocence injustifieacutees Crsquoest
pourquoi laquo lorsque la justice srsquoest prononceacutee par deux fois en faveur de lrsquoacquittement agrave
lrsquoissue drsquoune proceacutedure longue ougrave chaque eacuteleacutement a eacuteteacute passeacute au crible de lrsquoaccusation il
semble inopportun de permettre la reacuteouverture dudit procegraves raquo2 En effet depuis la loi du 4
mars 20023 le ministegravere public peut laquo faire appel des arrecircts drsquoacquittements4 raquo Seul le
procureur geacuteneacuteral5 pregraves la cour dappel peut exercer ce recours quil sagisse dun
acquittement6 total ou partiel7 Toutefois la confirmation drsquoun acquittement prononceacutee en
appel nrsquoest pas une garantie absolue de veacuteriteacute quant agrave lrsquoinnocence Ce constat srsquoapplique aussi
aux deacutecisions de culpabiliteacute frappeacutees drsquoappel qui quant agrave elles ne sont pas intangibles
puisque la voie de la reacutevision leur est ouverte Pourquoi lrsquoarrecirct drsquoacquittement confirmeacute en
appel devrait-il avoir une valeur laquo veacuteritative raquo plus importante que celui qui comporte une
condamnation Et ceci surtout que la technique drsquoappel en matiegravere drsquoassises agrave savoir lrsquoappel
dit circulant ou tournant fait lrsquoobjet de critiques8 Lrsquoadoption de cette voie de recours est en
effet critiqueacutee par certains membres de la doctrine qui admettent mal son vrai rocircle drsquoappel9
La faculteacute offerte au ministegravere public drsquointerjeter appel des deacutecisions drsquoacquittement ne
constitue pas un reacuteel argument pour justifier le rejet de la reacutevision in deacutefavorem Au contraire
1 Pour une opinion inverse V CNCDH Avis compleacutementaire op cit ndeg 2 2 Rapport drsquoinformation op cit p 75 3 Loi ndeg 2002-307 du 4 mars 2002 compleacutetant la loi ndeg 2000-516 du 15 juin 2000 renforccedilant la protection de la preacutesomption dinnocence et les droits des victimes 4 V Articles 380-2 CPP et 380-12 CPP 5 La jurisprudence adopte toutefois une lecture extensive de lrsquoarticle 380-2 CPP en autorisant lrsquoappel interjeteacute par lrsquoavocat geacuteneacuteral V cass crim 31 mai 2007 ndeg 3309-F-P-F 6 Cass crim 26 juin 2002 ndeg02-84335 7 Cass crim 15 janvier 2003 ndeg 02-88207 8 Cette forme drsquoappel a deacutejagrave eacuteteacute eacutevoqueacutee par le droit canonique (ougrave lrsquoappel drsquoune juridiction eacutepiscopale est porteacute devant le siegravege voisin) et par les tribunaux de district sous la Reacutevolution V en sens JF CHASSAING laquo Lrsquoappel des arrecircts des cours drsquoassises le poids de lrsquohistoire raquo in la Cour drsquoassises bilan drsquoun heacuteritage deacutemocratique association franccedilaise pour lrsquohistoire de la justice la documentation franccedilaise 2001 ISBN 2-11-004721-6 9 J PRADEL La loi ndeg 2002-307 du 4 mars 2002 un placebo pour gueacuterir certains maux de la reacuteforme du 15 juin 2000 sur la preacutesomption dinnocence D 2002 p 1693
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son admission pourrait srsquoinscrire dans la logique du prolongement de lrsquoappel des arrecircts
drsquoacquittement1
193 Enfin septiegravemement le fait de revenir sur les deacutecisions drsquoacquittement relegraveverait
davantage du domaine de lrsquoaction publique que de la reacutevision2 en raison de sa proximiteacute avec
la reacuteouverture pour charges nouvelles conseacutecutive agrave une deacutecision de non-lieu3 Or la reacutevision
et la reacuteouverture pour charges nouvelles constituent deux moyens dont la finaliteacute ultime est de
rectifier une deacutecision manifestement injuste4 en se rapprochant de la veacuteriteacute Crsquoest ainsi que les
charges nouvelles peuvent ecirctre rapprocheacutees des faits nouveaux (pourvoi en reacutevision)
proximiteacute qui ne doit pas ecirctre consideacutereacutee comme un amalgame ou une confusion En effet sur
le plan mateacuteriel un non-lieu bien que revecirctu de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee nrsquoest pas
intangible et ne saurait ecirctre compareacute avec une deacutecision deacutefinitive de relaxe ou
drsquoacquittement5 Toutefois il srsquoagit dans les deux cas et dans des domaines diffeacuterents drsquoune
atteinte agrave lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee6 Lrsquoarticle 6 du Code de proceacutedure peacutenale poursuit
drsquoailleurs le mecircme objectif en autorisant la reprise de lrsquoaction publique eacuteteinte par la
production drsquoun faux7 Lrsquoadmission de la reacutevision in defavorem pourrait ecirctre le prolongement
de ces entorses agrave lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee par rapport agrave la reprise de lrsquoaction publique laquo La
notion drsquoautoriteacute de la chose jugeacutee face agrave la survenance drsquoeacuteleacutements nouveaux propres agrave
modifier la religion du juge srsquoil en avait eu connaissance au moment de sa deacutecision meacuterite
drsquoecirctre revisiteacutee Car crsquoest aussi la grandeur de la justice de ne jamais srsquoarrecircter dans la quecircte de
la veacuteriteacute et de savoir rebrousser chemin si la veacuteriteacute drsquoaujourdrsquohui vient contredire la veacuteriteacute
drsquohier8 raquo
194 Lrsquoexigence drsquoune deacutecision peacutenale deacutefinitive deacuteclarative de culpabiliteacute nrsquoeacutetait pas
suffisante agrave lrsquoouverture drsquoun pourvoi en reacutevision Une condition preacutealable suppleacutementaire
drsquoordre mateacuteriel srsquoy ajoutait 1 V en sens inverse CNCDH Avis compleacutementaire op cit ndeg 2 2 Rapport drsquoinformation op cit p75 3 Voir articles 188 189 190 196 CPP 4 Pour qursquoune deacutecision soit injuste Paul RICOEUR estime neacutecessaire la reacuteunion de 3 conditions cumulatives une ineacutegaliteacute une disproportion une trahison des promesses V P RICOEUR Le juste I op cit avant-propos p 11 5 CNCDH Avis compleacutementaire op cit ndeg 2 J LELIEUR op cit n deg 620 6 M-L RASSAT estime que le non-lieu laquo nrsquoa qursquoune autoriteacute provisoire qui ne persiste qursquoautant qursquoil nrsquoy a pas de raison de le remettre en cause () jusqursquoagrave la prescription acquise un non-lieu peut toujours ecirctre lrsquooccasion drsquoune reacuteouverture de lrsquoinformation sur charges nouvelles Cela contredit toute ideacutee drsquoautoriteacute de la chose jugeacutee qui comporte une notion de caractegravere deacutefinitif raquo in Traiteacute de proceacutedure peacutenale op cit ndeg 515 p 832 7 Disposition qui nrsquoa jamais eacuteteacute appliqueacutee agrave notre connaissance 8 Rapport drsquoinformation op cit Contribution de Monsieur J-O VIOUT p 241
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sect 2 Lrsquoexigence drsquoordre mateacuteriel
195 Srsquoagissant du champ drsquoapplication du pourvoi en reacutevision lrsquoancien article 622 du
Code de proceacutedure peacutenale preacutecisait que laquo la reacutevision dune deacutecision peacutenale deacutefinitive peut ecirctre
demandeacutee au beacuteneacutefice de toute personne reconnue coupable dun crime ou dun deacutelit raquo Les
infractions peacutenales se divisent en trois cateacutegories les crimes les deacutelits et les contraventions
Non mentionneacutees par le leacutegislateur les contraventions eacutetaient exclues du champ de la
reacutevision La reacutevision drsquoune contravention eacutetait donc irrecevable alors mecircme que celle-ci aurait
eacuteteacute prononceacutee par un tribunal correctionnel1 La seule exception agrave cette regravegle concernait
lrsquohypothegravese drsquoune indivisibiliteacute de fait srsquoagissant drsquoune condamnation pour un deacutelit ou un
crime et une contravention2 (exemple drsquoune contravention de deacutefaut de maitrise drsquoun veacutehicule
associeacutee au deacutelit drsquohomicide involontaire) Dans ce cas de figure lrsquoannulation subseacutequente agrave
la reacutevision valait pour le tout3
196 Lrsquoexclusion des contraventions avait pour origine le caractegravere exceptionnel et
extraordinaire du pourvoi en reacutevision qui devrait concerner exclusivement les infractions les
plus graves Dans le cas drsquoune contravention dresseacutee agrave tort le ressenti du trouble pour la
socieacuteteacute eacutetait consideacutereacute moins aigu qursquoen cas de crime ou de deacutelit4 Lrsquoeacutetroitesse de la marge de
manœuvre du juge saisi drsquoune contestation en matiegravere contraventionnelle a conduit le
leacutegislateur agrave penser que lrsquoappel et le pourvoi en cassation suffisaient agrave reacuteparer une eacuteventuelle
erreur En somme une fois deacutefinitive la condamnation pour contravention devait ecirctre juste et
toutefois si une erreur srsquoy glissait celle-ci ne causait qursquoun trouble mineur De minimis non
curat praetor
197 Pourtant laquo la reacutevision est une voie de recours [hellip] admise dans lrsquointeacuterecirct
supeacuterieur drsquoeacutequiteacute et drsquohumaniteacute raquo5 Les contraventions notamment celles de cinquiegraveme
classe peuvent entrainer des peines drsquoamendes eacuteleveacutees avec inscription au casier judiciaire
Monsieur VIOUT soulegraveve que laquo rien ne justifie au plan des principes qursquoune condamnation
peacutenale ne puisse pas ecirctre reacuteviseacutee quelle que soit sa nature degraves lors qursquoelle est entacheacutee drsquoune
1 Cass crim 5 mai 1899 S 1901 1 p 297 note ROUX Comm reacutevision 5 mai 1994 ndeg 94-00013 Bull crim 1994 Comm reacutevision ndeg 172 Comm reacutevision 7 feacutevr 2005 ndeg 04-85708 Bull crim 2005 Comm reacutevision ndeg 2 2 Cass crim 5 nov 1987 ndeg 87-80662 Bull crim 1987 ndeg 392 RSC 1988 p 550 3 Comm reacutevision 12 juin 2006 ndeg 05 REV 071 Bull crim 2006 Comm reacutevision ndeg 1 4 V en ce sens R MERLE et A VITU op cit p 1031 5 Casscrim 22 janvier 1898 op cit
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erreur de fait raquo1 Madame le Professeur LAZERGES et Monsieur VIOUT pour qui laquo il ne
saurait y avoir de degreacute dans la correction et la reacuteparation des erreurs judiciaires raquo2 ont donc
proposeacute drsquoeacutetendre la reacutevision aux contraventions de cinquiegraveme classe voire agrave toutes les
cateacutegories de contraventions A propos de lrsquoouverture de la reacutevision agrave la matiegravere
contraventionnelle Monsieur Claude MATHON a craint pour sa part que laquo la pugnaciteacute des
requeacuterants [soit] telle en matiegravere de contraventions que la juridiction de reacutevision qui doit
deacutejagrave reacutepondre aux demandes en reacutevision en matiegravere drsquourbanisme et drsquoexcegraves de vitesse
deacutelictuel [soit] probablement noyeacutee par lrsquoafflux de demandes raquo3
198 En ce qui nous concerne il faudrait soit maintenir lrsquoexclusion des contraventions
soit les admettre toutes sans distinction de degreacute agrave lrsquoeacutelection du pourvoi en reacutevision En effet
en se reacutefeacuterant agrave Madame le Professeur LAZERGES qui suggegravere que lrsquoadage laquo de minimis non
curat praetor raquo nrsquoa pas vocation agrave srsquoappliquer la logique voudrait que le recours concerne
toutes les contraventions sans distinction aucune car elles forment un tout indivisible Mais
en raison de lrsquoappeacutetit des consommateurs de droit nous craignons comme Monsieur Claude
MATHON que les contraventions ne deviennent un puissant multiplicateur des demandes en
reacutevision Pour cette raison pratique il nous semble que la loi de 1989 avait fait preuve de
sagesse en les eacutecartant de la reacutevision
199 Une deacutecision peacutenale deacutefinitive deacuteclarative de culpabiliteacute portant sur un crime ou
un deacutelit qui drsquoapregraves le justiciable eacutetait entacheacutee drsquoune erreur de fait ne pouvait suffire agrave la
mise en œuvre de la reacutevision Il ne srsquoagissait que de conditions preacutealables Il eacutetait
indispensable que les faits viseacutes dans la requecircte correspondent agrave lrsquoun des cas drsquoouverture
limitativement4 preacutevus par le Code de proceacutedure peacutenale
1 Rapport drsquoinformation op cit p 73 En 1990 Monsieur GENDREL remarquait deacutejagrave laquo Notre regret est tregraves vif que le parlement nrsquoait pas profiteacute de la reacuteforme pour eacutelargir la possibiliteacute de pourvoi en reacutevision aux condamnations prononceacutees pour contraventions de police de la 5eme classe Malgreacute une jurisprudence connue et une doctrine trop timide aucune voix ndashfut-elle deacutefavorable- ne srsquoest mecircme fait entendre agrave cet eacutegard devant les assembleacutees [hellip] Deacuteplorons donc sans doute avec drsquoautres que lrsquoeacutelargissement reacutealiseacute en 1867 au profit des condamnations deacutelictuelles nrsquoait pas trouveacute en 1989 sa logique prolongation par une nouvelle assimilation du reacutegime des contraventions de la 5eme classe agrave celui des deacutelits correctionnels raquo op cit ndeg15 2 Rapport drsquoinformation op cit p 74 3 Ibid 4 Toute demande ne correspondant pas agrave lun de ces cas eacutetait deacuteclareacutee irrecevable V en ce sens Cass crim 1er aoucirct 1901 S 1904 1 p 159 Comm reacutevision 16 deacutec 2002 ndeg 01-99154 Bull crim 2002 Comm reacutevision ndeg 2 Comm reacutevision 19 mars 2007 ndeg 05 REV 084 Bull crim 2007 Comm reacutevision ndeg 1
90
Section 2 Les cas drsquoouverture du pourvoi en reacutevision
200 Lancien article 622 du Code de proceacutedure peacutenale dressait une liste de quatre cas
dans lesquels la reacutevision pouvait ecirctre demandeacutee Les trois premiers cas sont les plus anciens et
teacutemoignent de lrsquoeacutevolution historique du droit de la reacutevision Deacutejagrave preacutevus par le Code
drsquoinstruction criminelle de 1808 ils ont traverseacute les siegravecles sans reacuteelles modifications Pour
chacun drsquoentre eux il existait des conditions bien preacutecises Cest ainsi qursquoils eacutetaient qualifieacutes
de cas deacutetermineacutes douverture agrave reacutevision par opposition au quatriegraveme cas qualifieacute de cas
indeacutetermineacute1 et qui visait des situations plus diverses
201 Le regroupement des trois premiers cas drsquoouverture permettra de les eacutetudier dans
leur globaliteacute (sect1) Le cas indeacutetermineacute (le quatriegraveme cas) fera lrsquoobjet drsquoun examen particulier
en raison des nombreuses requecirctes qursquoil a engendreacutees (sect2)
sect 1 Les cas deacutetermineacutes drsquoouverture agrave reacutevision
202 Les trois hypothegraveses preacutevues par lrsquoancien article 622 du Code de proceacutedure
peacutenale seront successivement examineacutees Elles concernaient la production drsquoune preuve de
vie de la victime en cas de condamnation pour homicide (A) lrsquoincompatibiliteacute deacutecisionnelle
(B) et le cas du faux teacutemoignage (C)
A La preuve de vie
203 Lrsquoancien article 622-1deg du Code de proceacutedure peacutenale visait lrsquohypothegravese ougrave
laquo apregraves une condamnation pour homicide [eacutetaient] repreacutesenteacutees des piegraveces propres agrave faire
naicirctre de suffisants indices sur lrsquoexistence de la preacutetendue victime de lrsquohomicide raquo Il se deacuteduit
de lrsquoexigence de la consommation de lrsquoinfraction qursquoil fallait exclure de la possibiliteacute drsquoun
recours une condamnation pour tentative drsquohomicide En effet dans ce cas la victime nrsquoest
pas deacuteceacutedeacutee du fait du crime2 En revanche agrave deacutefaut de preacutecisions mentionneacutees dans le texte
ce cas drsquoouverture pouvait ecirctre activeacute en preacutesence drsquoune infraction intentionnelle ou non
intentionnelle
1 H ANGEVIN Les demandes en reacutevision op cit ndeg 36 2 E DAURES op cit p 3 ndeg 24
91
204 La repreacutesentation de la victime en personne nrsquoeacutetait pas exigeacutee au moment de
lrsquointroduction du pourvoi en reacutevision1 Il srsquoagit lagrave de pure logique la victime supposeacutee ayant
pu disparaicirctre (deacutecegraves) pour drsquoautres motifs En revanche il eacutetait neacutecessaire de produire des
piegraveces justifiant la preacutesomption de vie de la victime preacutetendue apregraves la condamnation pour
homicide Ces eacuteleacutements devaient laisser apparaicirctre des laquo indices suffisants de nature agrave faire
admettre que le supposeacute deacutefunt se trouvait encore en vie au moment du prononceacute de la
condamnation2 raquo
205 Ce cas drsquoouverture speacutecifique aux laquo homicides sans cadavre raquo nrsquoa jamais eacuteteacute
utiliseacute Il semblerait qursquoune telle requecircte nrsquoaurait pu ecirctre deacuteclareacutee recevable qursquoen preacutesence de
faits laquo reacuteellement nouveaux raquo3 et dont la preuve eacutetait drsquoune laquo eacutevidente eacutevidence raquo4 Crsquoest
ainsi que la seule preuve acceptable aurait eacuteteacute la comparution de la preacutetendue victime
206 Prenons lrsquoexemple de deux affaires drsquohomicide sans cadavre lrsquoaffaire SEZNEC
et lrsquoaffaire TURQUIN qui soulegravevent ineacutevitablement la question de savoir si lrsquoancien article
622 1deg du Code de proceacutedure peacutenale eacutetait reacuteellement applicable Dans lrsquoaffaire SEZNEC des
teacutemoins avaient deacuteclareacute avoir aperccedilu le preacutetendu deacutefunt encore en vie apregraves srsquoecirctre seacutepareacute de
SEZNEC Toutefois les juges nrsquoont pas entendu les teacutemoins estimant qursquoil srsquoagissait drsquoune
confusion5 Lrsquoaffaire TURQUIN concerne la condamnation drsquoun veacuteteacuterinaire niccedilois pour le
meurtre de son fils dont le cadavre nrsquoa jamais eacuteteacute retrouveacute La reacutevision a eacuteteacute demandeacutee car
certains teacutemoignages laissaient penser que lrsquoenfant aurait eacuteteacute cacheacute en Israeumll par sa megravere Pour
les juges cette requecircte ne se fondait sur aucun eacuteleacutement seacuterieux Dans ces deux cas nrsquoy avait-
il pourtant pas des laquo piegraveces propres agrave faire naicirctre de suffisants indices sur lrsquoexistence de la
preacutetendue victime de lrsquohomicide raquo
207 Le texte visait ensuite le cas drsquoouverture agrave reacutevision relatif agrave une incompatibiliteacute
deacutecisionnelle
B Lrsquoincompatibiliteacute deacutecisionnelle
208 Lrsquoancien article 622-2deg du Code de proceacutedure peacutenale concernait lrsquohypothegravese ougrave
laquo apregraves une condamnation pour crime ou deacutelit un nouvel arrecirct ou jugement [avait]
1 V R GARRAUD op cit ndeg 2018 F HELIE op cit ndeg 1008 2 E DAURES op cit p 3 ndeg 24 3 E de VALICOURT op cit p 184 4 Ibid 5 D LANGLOIS Pour en finir avec lrsquoaffaire SEZNEC op cit p 12
92
condamneacute pour le mecircme fait un autre accuseacute ou preacutevenu et que les deux condamnations ne
pouvant se concilier leur contradiction [eacutetait] la preuve de lrsquoinnocence de lrsquoun ou de lrsquoautre
condamneacute raquo Il srsquoagissait du cas ougrave en preacutesence drsquoune mecircme infraction deux deacuteclarations de
culpabiliteacute diffeacuterentes revecirctues de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee avaient eacuteteacute prononceacutees agrave
lrsquoencontre de deux individus
209 Ce cas drsquoouverture ne srsquoappliquait que dans les rares cas1 ougrave deux condamnations
inconciliables reacutepondaient agrave trois caracteacuteristiques cumulatives Premiegraverement deux
condamnations distinctes2 devaient avoir eacuteteacute prononceacutees Deuxiegravemement lrsquoidentiteacute de fait
eacutetait obligatoire malgreacute de possibles qualifications peacutenales diffeacuterentes3 Toute la difficulteacute
consistait agrave laquo rapporter la preuve incontestable que deux condamnations [avaient] eacuteteacute rendues
pour les mecircmes faits et que les dits faits [nrsquoavaient] eacuteteacute ou [nrsquoavaient] pu ecirctre commis que
par une seule personne alors mecircme que deux personnes [avaient] eacuteteacute condamneacutees raquo4 En
drsquoautres termes il fallait deacutemontrer que lrsquoun drsquoeux eacutetait innocent en raison de la culpabiliteacute
de lrsquoautre5 Troisiegravemement pour ecirctre inconciliables laquo lrsquoabsence de lien de parenteacute raquo6 entre les
deacutecisions eacutetait requise eacutecartant de fait toute coopeacuteration ou concert frauduleux entre les
preacutevenus
210 Lrsquoarticle 622 envisageait ensuite lrsquohypothegravese du faux teacutemoignage
C Le faux teacutemoignage
211 Lrsquoancien article 622 ndash 3deg du Code de proceacutedure peacutenale faisait droit agrave la reacutevision
lorsqursquo laquo un des teacutemoins entendus [avait] eacuteteacute posteacuterieurement agrave la condamnation poursuivi
et condamneacute pour faux teacutemoignage contre lrsquoaccuseacute ou le preacutevenu le teacutemoin ainsi condamneacute
ne [pouvait] pas ecirctre entendu dans les nouveaux deacutebats raquo La reacutealiteacute drsquoun faux teacutemoignage7
1 Cinq annulations sans renvoi toutes relatives agrave la matiegravere correctionnelle ont eacuteteacute prononceacutees par la Cour de reacutevision sur ce fondement 2 En cas de deacuteclarations de culpabiliteacute contradictoires contenues dans un seul jugement il srsquoagissait drsquoune erreur de droit et non drsquoune erreur de fait 3 Cass crim 21 juill 1906 Bull crim 1906 ndeg 297 Cass crim 4 feacutevr 1911 Bull crim 1911 ndeg 84 Cass crim 25 juill 1936 S 1936 1 p 316 Casscrim 24 deacutecembre 1923 Bull crim ndeg 446 Casscrim 8 feacutevrier 1989 Bull crim ndeg 62 4 E de VALICOURT op cit p 189 5 B BOULOC op cit p 941 ndeg 962 H ANGEVIN op cit ndeg 49 6 Expression emprunteacutee agrave E de VALICOURT 7 Lrsquoarticle 434 ndash 13 du CP dispose laquo Le teacutemoignage mensonger fait sous serment devant toute juridiction ou devant un officier de police judiciaire agissant en exeacutecution dune commission rogatoire est puni de cinq ans demprisonnement et de 75 000 euros damende Toutefois le faux teacutemoin est exempt de peine sil a reacutetracteacute spontaneacutement son teacutemoignage avant la deacutecision mettant fin agrave la proceacutedure rendue par la juridiction dinstruction ou par la juridiction de jugement raquo
93
auquel la jurisprudence assimile la subornation de teacutemoin1 eacutetait une condition preacutealable2 Ce
cas drsquoouverture ne srsquoappliquait donc pas lorsque les poursuites engageacutees pour faux
teacutemoignage avaient deacuteboucheacute sur une deacutecision de relaxe3 La condamnation pour faux
teacutemoignage devait ecirctre posteacuterieure agrave la deacutecision de justice contesteacutee et revecirctir lrsquoautoriteacute de la
chose jugeacutee Il appartenait au juge de rechercher si le faux teacutemoignage avait vraiment
influenceacute la deacutecision de condamnation et eacutetait de laquo nature agrave vicier lrsquoensemble des charges
retenues par la preacutevention raquo4
212 Toutefois il est assez difficile drsquoobtenir une condamnation pour faux teacutemoignage
infraction qui reacuteclame la preuve de la deacutemonstration des propos tenus devant la juridiction de
jugement et de la connaissance par celui qui les a tenus du caractegravere inexact des deacuteclarations
Apparaissait donc une difficulteacute lieacutee aux eacuteleacutements constitutifs de lrsquoinfraction et plus
particuliegraverement agrave la preuve de lrsquointention coupable ce qui limitait consideacuterablement
lrsquoefficaciteacute de ce cas de reacutevision De plus la victime du faux (le condamneacute) devait intenter
son action dans le deacutelai de prescription imparti aux deacutelits Srsquoil soupccedilonnait un teacutemoin agrave charge
de faux teacutemoignage il devait engager les poursuites dans un deacutelai de 3 ans
213 Il nous semble que ces trois cas drsquoouverture eacutetaient finaliseacutes bien que le texte ne
le preacutecise pas degraves lors que les magistrats eacutetaient convaincus de lrsquoinnocence du demandeur
Pour ce qui est du premier cas il semblerait que seule la comparution de la victime supposeacutee
deacuteceacutedeacutee eacutetait de nature agrave convaincre les juges Pour le second le caractegravere inconciliable devait
eacutetablir de maniegravere manifeste lrsquoinnocence Srsquoagissant du troisiegraveme cas la condamnation pour
faux teacutemoignage devait conduire directement agrave la reconnaissance de lrsquoinnocence de la victime
du mensonge
214 A ces trois cas drsquoouverture deacutetermineacutes srsquoajoutait un cas drsquoouverture indeacutetermineacute
preacutevu par lrsquoancien article 622- 4 du Code de proceacutedure peacutenale
1 Casscrim 17 mars 1965 ndeg 64-92945 2 Sur la neacutecessiteacute drsquoune condamnation V Cass crim 26 janv 1994 ndeg 91-81552 Bull crim 1994 ndeg 37 Cass ch reacuteunies 15 mars 1900 Bull crim 1900 ndeg 117 S 1902 1 p 476 Sur lrsquoindiffeacuterence du prononceacute drsquoune peine agrave lrsquoeacutegard du teacutemoin menteur V Cass crim 2 mars 1934 Bull crim 1934 ndeg 51 3 Cass crim 26 janvier 1994 Bull crim ndeg 37 4 E DAURES op cit p 4 ndeg 39 Ce cas drsquoouverture a donneacute lieu en 1999 agrave la reacutevision partielle de la condamnation drsquoun homme pour le viol de sa belle-fille et pour un attentat agrave la pudeur commis agrave lrsquoencontre drsquoune amie de cette derniegravere Celle-ci ayant eacuteteacute condamneacutee pour faux teacutemoignage la condamnation relative agrave lrsquoattentat agrave la pudeur nrsquoeacutetait plus justifieacutee En revanche la Cour de reacutevision a consideacutereacute que le faux teacutemoignage nrsquoavait pas eu drsquoinfluence sur la condamnation pour viol et que celle-ci devait degraves lors ecirctre maintenue V Deacutecision de la Cour de reacutevision 14 avril 1999 ndeg 98-87055
94
sect 2 Le cas indeacutetermineacute drsquoouverture agrave reacutevision
215 Le quatriegraveme cas de reacutevision eacutetait preacutevu par lrsquoancien article 622- 4deg du Code de
proceacutedure peacutenale lorsque laquo apregraves une condamnation [venait] agrave se produire ou agrave se reacuteveacuteler
un fait nouveau ou un eacuteleacutement inconnu de la juridiction au jour du procegraves de nature agrave faire
naicirctre un doute sur la culpabiliteacute du condamneacute raquo Ce cas drsquoouverture eacutetait le plus
freacutequemment invoqueacute
216 Cette disposition modifieacutee en profondeur par la loi du 23 juin 1989 se voulait
dans sa conception plus libeacuterale que le Code drsquoinstruction criminelle qui nrsquoadmettait la
reacutevision qursquoen cas de fait nouveau ou piegravece inconnue de nature agrave eacutetablir lrsquoinnocence du
condamneacute (A) Toutefois toute loi se forge sur lrsquoenclume de la pratique et de son
interpreacutetation jurisprudentielle En lrsquoespegravece laquo non seulement la volonteacute du leacutegislateur
[nrsquoavait] pas eacuteteacute respecteacute mais pire le texte [nrsquoeacutetait] pas appliqueacute raquo1 En effet lrsquoeacutepeacutee de
Damoclegraves de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee incitait les juges agrave interpreacuteter le texte de maniegravere
plutocirct restrictive srsquoattaquant ainsi aux ambitions du leacutegislateur de 1989 (B)
A Lrsquoassouplissement leacutegislatif de 1989
217 La compreacutehension de lrsquoassouplissement de ce cas drsquoouverture ne peut ecirctre perccedilue
qursquoen confrontant la rigiditeacute textuelle du Code drsquoinstruction criminelle (1) agrave la modification
du texte par la loi du 23 juin 1989 (2)
1 La rigiditeacute textuelle du Code drsquoinstruction criminelle
218 La loi du 8 juin 1895 a reconnu explicitement le laquo fait nouveau raquo en ajoutant un
quatriegraveme alineacutea agrave lrsquoarticle 443 du Code drsquoinstruction criminelle Cet article disposait alors
que laquo la reacutevision pourra[it] ecirctre demandeacutee lorsque apregraves une condamnation un fait
nouveau viendra[it] agrave se produire ou agrave se reacuteveacuteler ou lorsque des piegraveces inconnues lors des
deacutebats [seraient] repreacutesenteacutees de nature agrave eacutetablir lrsquoinnocence du condamneacute raquo
219 Aussi la preacutesomption de veacuteriteacute se rattachant aux deacutecisions deacutefinitives ne pouvait-
elle ecirctre contesteacutee que par la preuve de lrsquoinnocence du condamneacute2 Lrsquoeacuteleacutement deacuteclencheur de
la prise en consideacuteration de lrsquoinnocence eacutetait soit un fait nouveau soit une piegravece inconnue lors
des deacutebats La datation de lrsquoexistence du fait ou de la piegravece pouvait ecirctre anteacuterieure agrave la 1 Rapport drsquoinformation op cit Contribution de Madame V ROSANO op cit p 273 2 Cass crim 20 feacutevrier 1896 S I 1899 p 425
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deacutecision de condamnation tout en eacutetant reacuteveacuteleacutee posteacuterieurement agrave celle-ci Les commentateurs
de lrsquoarticle 443 ndash 4 du Code drsquoinstruction criminelle deacutecrivaient cette formule comme laquo assez
extensive pour comprendre toutes les hypothegraveses drsquoerreur assez restrictive pour nrsquoautoriser la
reacutevision que quand elle est commandeacutee par la certitude de lrsquoerreur raquo1 Or la preuve de la
certitude de lrsquoinnocence paraissait difficile agrave eacutetablir2 Une jurisprudence audacieuse qui a
obtenu ses lettres de noblesses agrave lrsquooccasion de lrsquoaffaire DREYFUS a permis de laquo douter du
fait3 raquo
220 La loi de 1989 prenant acte de ce glissement jurisprudentiel a deacuteplaceacute dans la
loi lrsquoexigence de la certitude de lrsquoinnocence vers celle du doute sur la culpabiliteacute
2 La modification du Code drsquoinstruction criminelle par la loi de 1989
221 Lrsquoancien article 622 ndash 4 du Code de proceacutedure peacutenale preacutecisait que laquo la reacutevision
[pouvait] ecirctre demandeacutee lorsque apregraves une condamnation [venait] agrave se produire ou agrave se
reacuteveacuteler un fait nouveau ou un eacuteleacutement inconnu de la juridiction au jour du procegraves de nature agrave
faire naicirctre un doute sur la culpabiliteacute du condamneacute raquo
222 Cette nouvelle mouture qui eacutelargit les conditions drsquoouverture de la reacutevision est
plus libeacuterale que lrsquoancien texte sur deux points lrsquoadjonction au laquo fait nouveau raquo de
lrsquolaquo eacuteleacutement inconnu raquo (qui impliquait de fait la disparition du terme laquo piegravece raquo) (a) et le
remplacement de la notion drsquoinnocence par celle de doute sur la culpabiliteacute (b) Ce dernier
point a toujours susciteacute la curiositeacute des commentateurs qui pendant longtemps estimaient que
la porteacutee de la loi de 1989 se limitait au seul aspect de lrsquoabandon de laquo lrsquoinnocence raquo au profit
du laquo doute sur la culpabiliteacute raquo A lrsquoinverse le remplacement du mot laquo piegravece raquo par laquo lrsquoeacuteleacutement
inconnu raquo nrsquoeacutetait que tregraves peu eacuteteacute commenteacute
223 Les deux modifications intervenues en 1989 ne peuvent pourtant pas ecirctre
dissocieacutees lrsquoune de lrsquoautre et font partie drsquoun mecircme raisonnement En effet les juges devaient
se pencher sur les questions suivantes Premiegraverement le fait ou lrsquoeacuteleacutement est-il reacuteellement
nouveau ou inconnu4 Deuxiegravemement si oui est-il de nature agrave faire naicirctre un doute sur la
culpabiliteacute5
1 E de VALICOURT op cit p 199 2 Ibid p 199 3 F DEFFERRARD laquo Le doute le suspect et lrsquoinnocence raquo op cit p 2227 4 Appreacuteciation objective 5 Appreacuteciation subjective
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a Lrsquoadjonction au laquo fait nouveau raquo de lrsquo laquo eacuteleacutement inconnu raquo
224 La jurisprudence ne distinguait pas toujours nettement lrsquoeacuteleacutement inconnu du fait
nouveau1 De son cocircteacute la doctrine eacutetait encline agrave les amalgamer2 Pourtant lrsquoeacuteleacutement
inconnu en 1989 est venu srsquoajouter au fait nouveau creacuteant ainsi un nouvel espace pour le
juge Le terme laquo piegraveces raquo en vigueur jusqursquoen 1989 a eacuteteacute abandonneacute
225 Avant 1989 le juge devait choisir entre laquo un fait [qui] viendra agrave se produire ou agrave
se reacuteveacuteler raquo et laquo des piegraveces inconnues lors des deacutebats raquo A partir de 1989 son choix devait
porter soit sur laquo un fait nouveau raquo soit sur laquo un eacuteleacutement inconnu de la juridiction au jour du
procegraves raquo Le laquo fait nouveau raquo a eacuteteacute conserveacute en lrsquoeacutetat alors que la laquo piegravece inconnue raquo a eacuteteacute
modifieacutee pour devenir laquo lrsquoeacuteleacutement inconnu raquo Pourquoi le leacutegislateur en 1989 parlait-il drsquoun
eacuteleacutement inconnu Peut-il ecirctre assimileacute agrave un fait Lrsquoadjectif laquo nouveau raquo recouvre-t-il la
mecircme signification qursquo laquo inconnu raquo
226 Un fait est un eacutevegravenement qui surgit et modifie le caractegravere drsquoune situation
initiale un teacutemoignage une expertise une reconstitution priveacutee la deacutecouverte drsquoun nouvel
eacuteleacutement factuel comme une arme une lettrehellip Un eacuteleacutement est une information utile agrave la
compreacutehension drsquoune situation Il nrsquoexistait donc pas de redondance terminologique entre le
fait et lrsquoeacuteleacutement La deacutefinition de laquo lrsquoeacuteleacutement raquo est plus eacutetendue3 que celle du laquo fait raquo et a
fortiori que celle de la laquo piegravece raquo De plus le fait et lrsquoeacuteleacutement nrsquoavaient pas le mecircme objet La
conjonction ou deacutelimitait deux terrains diffeacuterents (un fait nouveau ou un eacuteleacutement inconnu)
Monsieur MATHON explique qursquo laquo un fait est quantifiable mesurable preacutecis Il se constate
et sappreacutehende objectivement Un eacuteleacutement induit une notion plus large et subjective moins
preacutecise une partie dun ensemble Cest pourquoi en visant un eacuteleacutement le leacutegislateur a
incontestablement voulu eacutetendre le champ de la reacutevision faire en sorte que sil y a un doute
mecircme sur un simple eacuteleacutement il y ait reacutevision lrsquoappreacuteciation du doute eacutetant elle-mecircme
1 Certaines deacutecisions ne se reacutefegraverent qursquoau laquo fait nouveau raquo V Cass crim 24 juin 2009 ndeg 08-86070 Cass crim 15 mai 2013 ndeg 12-84818 Drsquoautres deacutecisions eacutevoquent laquo lrsquoeacuteleacutement nouveau ou inconnu raquo sans le distinguer nettement du laquo fait raquo V Cass crim 25 nov 1991 Bull crim ndeg 434 Cass crim 16 mars 1993 Bull crim ndeg 116 2 Lorsque la doctrine traite du quatriegraveme cas drsquoouverture elle inclut geacuteneacuteralement les deacuteveloppements relatifs agrave l laquo eacuteleacutement inconnu raquo dans ceux concernant le laquo fait nouveau raquo Voir notamment H ANGEVIN Demandes en reacutevision op cit ndeg 69 et s E DAURES op cit ndeg 44 et s 3 Rapport drsquoinformation op cit Contribution de B COTTE op cit p 199 laquo Le mot eacuteleacutement se veut agrave dessein tregraves large en tout cas plus large que le mot fait et il ne srsquoimpose donc pas agrave mon sens que le fait nouveau absorbe lrsquoeacuteleacutement inconnu Et il me parait devoir en ecirctre de mecircme de lrsquoinverse raquo
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eacuteminemment subjective raquo1 Ces consideacuterations terminologiques impliquent que le fait ne soit
pas assimileacute agrave lrsquoeacuteleacutement
227 Le quatriegraveme cas drsquoouverture se divisait donc en deux reacutealiteacutes mateacuterielles
distinctes un fait nouveau qui se produit ou un eacuteleacutement inconnu qui se reacutevegravele Toutefois
elles avaient pour condition commune de devoir laquo faire naicirctre un doute sur la culpabiliteacute du
condamneacute raquo comme en teacutemoignait selon Monsieur Bruno COTTE lrsquoemplacement de la
virgule apregraves le mot procegraves Srsquoagissant du fait il devait ecirctre nouveau signifiant ainsi agrave
deacutefaut drsquoautres preacutecisions qursquoil eacutetait posteacuterieur agrave la condamnation contesteacutee En revanche
lrsquoeacuteleacutement devait avoir eacuteteacute inconnu de la juridiction au jour du procegraves (le mot inconnu est
employeacute au singulier) Une seule reacuteveacutelation pouvait donc suffire Contrairement au fait seul
lrsquoeacuteleacutement pouvait exister voire preacuteexister au moment du premier procegraves Lrsquoeacuteleacutement
preacutesentait donc de nombreux avantages Son champ drsquoapplication est plus large par rapport agrave
celui du fait et sa nouveauteacute nrsquoest pas exigeacutee Monsieur MATHON en deacuteduisait mecircme que
laquo leacuteleacutement a pris la place du fait [hellip] ce qui devrait donc assouplir consideacuterablement les
conditions dadmission de la reacutevision raquo Lrsquoambition afficheacutee par ce changement
terminologique engageacute par la loi de 1989 eacutetait drsquoeacutelargir les possibiliteacutes drsquoadmission des
demandes en reacutevision
228 Ensuite en preacutesence drsquoun fait nouveau ou drsquoun eacuteleacutement inconnu aveacutereacute il
convenait pour le juge de deacuteterminer si ce fait ou cet eacuteleacutement faisait naicirctre un doute sur la
culpabiliteacute du demandeur
b Le remplacement de lrsquoinnocence par le doute sur la culpabiliteacute
229 La justice peacutenale qui a pour fonction de deacutemecircler le vrai du faux doit savoir faire
une place au doute propre agrave toute penseacutee humaine et le surmonter2 laquo La justice crsquoest le
doute sur le droit qui sauve le droit raquo3 Le doute est preacutesent du deacutebut de la proceacutedure jusqursquoagrave
sa fin ultime lors de la reacutevision du procegraves4 En matiegravere de reacutevision le doute sur la culpabiliteacute
1 C MATHON op cit p8 2 Lrsquoarticle 4 du Code civil dispose laquo Le juge qui refusera de juger sous preacutetexte du silence de lobscuriteacute ou de linsuffisance de la loi pourra ecirctre poursuivi comme coupable de deacuteni de justice raquo G CORNU Rapport de synthegravese in La veacuteriteacute et le droit Actes des confeacuterences Journeacutees canadiennes agrave Montreacuteal 1987 eacuteditions Association Henri Capitant Economica 1989 p 6 et 7 laquo (hellip) dans lrsquoobligation ougrave il est de statuer le juge nrsquoest pas en droit de suspendre sa deacutecision jusqursquoagrave ce qursquoil accegravede agrave une certitude parfaite reacuteduit agrave se prononcer en faveur de la meilleure preuve raquo 3 ALAIN Propos sur le bonheur Gallimard Folio essais 2004 4 Au stade policier de la proceacutedure lrsquoOPJ ou le procureur de la Reacutepublique peut deacutejagrave douter entre deux qualiteacutes celle de suspect ou drsquoinnocent Il doute ainsi de son soupccedilon Au stade de lrsquoinformation judiciaire srsquoil en existe
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neacute drsquoun eacuteleacutement inconnu ou drsquoun fait nouveau est salvateur Il doit profiter au condamneacute
deacutefinitif de la mecircme maniegravere qursquoil profite agrave lrsquoaccuseacute selon la regravegle in dubio pro reo consacreacutee
par lrsquoarticle 304 du Code de proceacutedure peacutenale
230 Le doute de la loi de 1989 (eacutevoqueacute dans ce deacuteveloppement) est celui que la Cour
de reacutevision devait jauger La proceacutedure de reacutevision eacutetait biceacutephale (commission de reacutevision ndash
Cour de reacutevision) La commission laquo avant de prendre la deacutecision de transmettre ou de ne pas
transmettre le dossier agrave la cour ne se [bornait] pas agrave veacuterifier la nouveauteacute et la reacutealiteacute du fait
ou de lrsquoeacuteleacutement invoqueacute mais elle [recherchait] quelle [avait] pu ecirctre son influence au regard
des eacuteleacutements existant au dossier qui avaient fondeacute la deacuteclaration de culpabiliteacute1 raquo Pour
lrsquoheure le doute sera eacutetudieacute par rapport agrave la Cour de reacutevision seule agrave pouvoir prononcer
lrsquoannulation de la condamnation
231 Le doute constitue la laquo pierre angulaire de la proceacutedure de reacutevision raquo2 Pas de
doute pas de reacutevision Crsquoest pourquoi le sens et le degreacute accordeacutes au doute sont des facteurs
deacuteterminants quant agrave lrsquoaccessibiliteacute du pourvoi en reacutevision Le doute est lrsquoeacutetat de quelqursquoun
qui ne sait que croire qui heacutesite agrave prendre parti Crsquoest une notion subjective ineacutepuisable tant il
est difficile de deacutefinir agrave partir de quel moment nous nourrissons une certitude agrave propos drsquoun
fait ou drsquoune chose et agrave partir duquel le doute srsquoinstallera3 La perception du doute varie selon
chacun des ecirctres humains chacun placeacute dans son contexte eacuteducatif social politiquehellip
Appliqueacute au magistrat le doute est laquo cet eacutebranlement de la conscience reacutesultant de la
mobilisation de son intelligence des ecirctres et des choses que lui a reacuteveacuteleacute la proceacutedure engageacutee agrave
lrsquoencontre drsquoun individu en posture de deacuteni et qui ne lui a pas procureacute lrsquoabsolue certitude lui
permettant de demander ou de prononcer une condamnation raquo4
232 Le leacutegislateur dans lrsquoancien article 622 4deg du Code de proceacutedure peacutenale nrsquoa pas
qualifieacute le doute se gardant bien de fournir des indications aux juges quant au degreacute
drsquointensiteacute du doute qursquoexigeait la reacutevision Ce silence a donneacute lieu agrave de nombreuses
une le juge peut heacutesiter pareillement Le propre du juge drsquoinstruction est de douter en jugeant agrave charge et agrave deacutecharge Au stade du jugement une interrogation de mecircme nature peut surgir dans la recherche de lrsquointime conviction (qursquoil srsquoagisse ou non drsquoun juge professionnel) Pour reprendre lrsquoexpression de Pierre TRUCHE il y aurait dans toute deacutecision un tiers de doute et deux tiers de probabiliteacute Citeacute par J-P ANCEL La reacutedaction de la deacutecision de justice en France Revue internationale de droit compareacute 1998 volume 50 ndeg 3 p 841 1 Rapport drsquoinformation op cit Contribution de Madame M ANZANI p 263 Sur le questionnement de la commission sur le doute V infra ndeg 320 agrave 327 2 Ibid 3 V G CORNU La veacuteriteacute et le droit in Lrsquoart du droit en quecircte de sagesse PUF coll Doctrine juridique 1998 p 211 et s 4 Assembleacutee Nationale Rapport drsquoinformation op cit Contribution de Monsieur J-O VIOUT op cit p 241
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interrogations Drsquoaucuns preacutetendaient que le laquo simple doute [devait] justifier la reacutevision du
procegraves raquo1 Nous pensons que lrsquoancien article 622 4deg du Code de proceacutedure peacutenale eacutetait moins
permissif afin de ne pas alteacuterer lrsquoesprit de la proceacutedure de reacutevision En effet le doute peut
srsquoinstaller partout Il est le propre de la nature humaine voire de la sagesse La matiegravere
juridique reste un terrain propice au doute et au questionnement Le doute fait partie du
cheminement intellectuel de celui qui refusera de se deacutecider laquo pour de faibles raisons raquo2 et a
fortiori pour le juge qui recherche la veacuteriteacute3 Reacuteduit agrave son plus faible degreacute lrsquouniversaliteacute du
doute aurait pour conseacutequence de deacutenaturer le pourvoi en reacutevision en lui enlevant ainsi son
caractegravere exceptionnel Les partisans de la theacuteorie du simple doute sont aux prises agrave une
confusion entre le doute judiciaire et des consideacuterations meacutetaphysiques ou philosophiques De
plus il parait logique que lrsquointensiteacute du doute exigeacute en matiegravere de reacutevision soit pour le moins
la mecircme que pour le doute favorable agrave lrsquoaccuseacute En effet il srsquoagit de deux doutes profitables
qui se diffeacuterencient uniquement par rapport au moment de leur apparition sur la scegravene
judiciaire
233 Or le doute profitable agrave lrsquoaccuseacute deacutepasse les frontiegraveres du doute leacuteger Une prise
en compte de lrsquoensemble des doutes leacutegers qui srsquoinsinuent reacuteguliegraverement au niveau des centres
deacutecisionnels aurait pour conseacutequence de paralyser le systegraveme Crsquoest pourquoi le doute
profitable agrave lrsquoaccuseacute doit ecirctre encadreacute et reacutepondre agrave plusieurs conditions Madame
NAGOUAS-GUERIN deacutemontre dans sa thegravese que le doute profitable au sens de laquo in dubio
pro reo raquo repose sur deux conditions le caractegravere insurmontable4 et le caractegravere rationnel La
rationaliteacute du doute profitable agrave lrsquoaccuseacute permet drsquoexpliquer que le doute viseacute par lrsquoancien
article 622 4deg du Code de proceacutedure peacutenale nrsquoeacutetait pas un blanc-seing agrave la prise en compte de
toutes les formes de doute
234 Srsquoagissant du caractegravere rationnel du doute de laquo in dubio pro reo raquo la chambre
criminelle casse reacuteguliegraverement pour insuffisance de motifs entacheacutes de contradiction les
arrecircts de relaxe au beacuteneacutefice du doute qui se bornent agrave eacutenoncer lrsquoexistence drsquoun doute sans
aucune justification alors que par ailleurs ils eacutenumegraverent de lourdes charges de culpabiliteacute
tireacutees drsquoeacuteleacutements de preuve apparemment deacutecisifs5 Encore faut-il que le juge ne se contredise
1 Ibid Contribution de S NOACHOVITCH p 193 2 R DESCARTES Discours de la meacutethode 1637 Gallimard 1991 p 94 3 J-B BREDIN Le doute et lrsquointime conviction Droits 1996 ndeg 23 La preuve p 21 4 Le caractegravere insurmontable implique qursquoun doute ne soit favorable agrave la personne poursuivie qursquoagrave la condition que toutes les investigations utiles agrave la manifestation de la veacuteriteacute aient eacuteteacute effectueacutees 5 V par exemple Cass crim 22 juin 1960 Bull crim ndeg 339 p 684 Cass crim 17 mai 1939 Bull crim ndeg115 p 209
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pas tel serait le cas si apregraves avoir eacutenumeacutereacute des eacuteleacutements apparemment deacutecisifs ou des
charges tregraves lourdes de culpabiliteacute il relaxait sur le fondement drsquoun tregraves leacuteger doute1 Le
doute favorable doit ecirctre fondeacute sur une appreacuteciation rationnelle des moyens de preuve Sont
ainsi insuffisants les motifs de certains arrecircts de relaxe indiquant que laquo srsquoil existe agrave lrsquoencontre
du preacutevenu des charges tregraves lourdes de culpabiliteacute releveacutees par le tribunal il subsiste
neacuteanmoins en sa faveur un tregraves leacuteger doute qui doit lui profiter 2 raquo Seule la rationaliteacute du
doute peut valablement fonder une relaxe peu importe drsquoailleurs que celui-ci soit exprimeacute
sous la forme drsquoun doute leacuteger ou seacuterieux du moment qursquoil est rationnel La rationaliteacute
srsquoentend comme lrsquoadheacutesion que le doute peut emporter au sein drsquoun auditoire Degraves lors
admettre que nrsquoimporte quel doute puisse deacuteboucher sur une reacutevision valoriserait des doutes
irrationnels Il serait paradoxal de valider pour le condamneacute deacutefinitif un doute drsquoun degreacute
infeacuterieur agrave celui reacuteclameacute agrave lrsquoeacutegard de lrsquoaccuseacute
235 Crsquoest pourquoi nous nous rallions agrave lrsquoopinion de Monsieur Jean-Luc
MOIGNARD conseiller agrave la Cour de cassation qui parle pour la reacutevision de laquo doute
raisonneacute raquo3 dans le sens drsquoune laquo impression raisonneacutee qursquoont produit les eacuteleacutements de preuve
contradictoirement deacutebattus raquo Ce raisonnement rejoint ainsi le doute rationnel eacutevoqueacute par
Madame NAGOUAS-GUERIN Monsieur Bruno COTTE deacuteclare laquo pardonnez-moi mais
quand on doute on doute et lrsquoon en tire les conseacutequences a fortiori lorsque lrsquoon est juge et si
lrsquoon ne doute pas crsquoest que lrsquoon est certain4 raquo En drsquoautres termes il ne peut exister une
eacutechelle du doute pour reacuteviser agrave lrsquoinstar de lrsquoeacutechelle de la douleur dans le domaine meacutedical
236 Selon cette vision du doute la juridiction de reacutevision eacutetait tenue par la loi de 1989
drsquoappreacutecier les faits in concreto pour deacuteterminer si les eacuteleacutements nouveaux eacutetaient
suffisamment solides et de nature agrave instaurer un doute rationnel quant agrave la culpabiliteacute du
demandeur
237 En 1989 le basculement de lrsquoinnocence vers le doute aurait donc ducirc sensiblement
faciliter lrsquoaccessibiliteacute du pourvoi en reacutevision Le chemin qui a conduit de la certitude de
lrsquoinnocence vers le doute sur la culpabiliteacute traduisait au niveau des textes la manifestation
drsquoun glissement ontologique de lexigence probatoire En effet plutocirct que de placer la preuve
1 Cass crim 15 juin 1973 Bull ndeg 268 Cass crim 3 feacutevrier 1992 Bull crim ndeg 47 2 Cass crim 3 feacutevrier 1992 op cit 3 Rapport drsquoinformation op cit Contribution de J-L MOIGNARD op cit p 221 4 Ibid Contribution de B COTTE op cit p 199
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sur le terrain de linnocence que le condamneacute devait reacutetablir avec certitude devant les juges de
la reacutevision il lui suffisait de mettre en doute sa culpabiliteacute au moyen du fait nouveau
238 Pourtant cet aspect libeacuteral de la loi de 1989 nrsquoa jamais pu veacuteritablement
srsquoaffirmer en raison du fort attachement des juges agrave lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee
B Lrsquoattachement de la jurisprudence agrave lrsquoautoriteacute de la chose
jugeacutee
239 Les deux modifications introduites par la loi de 1989 nrsquoont pas reccedilu lrsquoaccueil
jurisprudentiel souhaiteacute Srsquoagissant du doute son degreacute drsquoacceptation avait eacuteteacute renforceacute par la
jurisprudence au-delagrave de la volonteacute du leacutegislateur (1) Le fait nouveau quant agrave lui precirctait le
flanc agrave une interpreacutetation discutable (2)
1 Lrsquoexigence drsquoun haut degreacute de doute
240 Tregraves attacheacutee agrave lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee la jurisprudence ne se contentait pas
toujours drsquoun doute rationnel Pour Maicirctre Sylvie NOACHOVITCH la preuve de la certitude
de lrsquoinnocence eacutetait toujours drsquoactualiteacute dans lrsquoapplication de la loi de 19891 Selon nous cette
exigence de lrsquoinnocence se limitait aux cas deacutetermineacutes de reacutevision2 Concernant le cas
drsquoouverture indeacutetermineacute il srsquoagissait plutocirct de lrsquoexigence drsquoun doute seacuterieux La mention du
doute seacuterieux preacutevue dans la reacutedaction initiale de la proposition de loi de 1989 avait
pourtant eacuteteacute supprimeacutee par un amendement au Seacutenat3 A lrsquoeacutepoque le deacuteputeacute DREYFUS-
SCHMIDT avait œuvreacute efficacement pour lrsquoabandon du terme seacuterieux en deacuteclarant qursquo laquo il y a
doute ou il nrsquoy a pas doute Degraves lors qursquoil y a doute la reacutevision doit ecirctre possible (hellip) raquo4
241 Etaient pourtant annuleacutees les condamnations qui en raison drsquoun fait nouveau ou
drsquoun eacuteleacutement inconnu eacutetaient laquo de nature agrave faire naicirctre un doute seacuterieuxraquo5 sur la culpabiliteacute
du demandeur ou un doute laquo le plus seacuterieux6 raquo La jurisprudence consideacuterait qursquoil fallait
laquo pour justifier la reacutevision que le fait nouveau fasse naicirctre des doutes seacuterieux sur la culpabiliteacute
et deacutetruise la preacutesomption de certitude reacutesultant de la chose jugeacutee raquo7 Cette jurisprudence
1 Assembleacutee Nationale Rapport drsquoinformation op cit Contribution de S NOACHOVITCH op cit 2 V supra ndeg 202 agrave 214 3 JO avr 1989 p 152 4 E DE VALICOURT op cit note ndeg 887 5 Cass crim statuant comme cour de reacutevision 29 mars 1984 ndeg 83-94105 6 Cass crim statuant comme cour de reacutevision 9 novembre 1955 Bull crim 1955 ndeg 474 7 Cass crim 9 feacutevr 1934 Bull ndeg 31
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restrictive maintenait laquo malgreacute la reacuteforme de 1989 qui se reacutefeacuterait au doute sur la culpabiliteacute
du condamneacute lrsquoexigence drsquoun doute seacuterieux raisonnable ou important raquo1
242 Faire reacutefeacuterence au doute seacuterieux plutocirct qursquoau doute rationnel reacutetreacutecissait le
peacuterimegravetre de la reacutevision En effet un doute rationnel ressenti par la commission de reacutevision
nrsquoentraine pas automatiquement lrsquoadheacutesion de la Cour de reacutevision Dans le mecircme ordre
drsquoideacutees un doute rationnel perccedilu par la Cour de reacutevision peut ecirctre contesteacute par la juridiction
de renvoi le jugeant insuffisamment seacuterieux A contrario un doute seacuterieux sera toujours
consideacutereacute comme rationnel
243 Cette exigence du doute seacuterieux placcedilait le magistrat dans une situation
inconfortable Elle le conduisait agrave fermer la porte de la reacutevision malgreacute un doute rationnel qui
pouvait lrsquohabiter Selon Monsieur VIOUT cette attitude eacutetait contraire agrave lrsquoobligation
drsquoimpartialiteacute du juge Pour le magistrat agrave partir du moment ougrave un doute rationnel habite le
juge il lui incombe de srsquoabstenir laquo de soutenir une accusation agrave laquelle par deacutefinition il ne
croit pas totalement puisqursquoune partie de sa conscience est habiteacute par un doute mecircme
infime raquo2 Sous lrsquoeffet de cette jurisprudence la reacutevision ne devenait possible qursquoen cas de
probabiliteacute eacuteleveacutee de lrsquoinnocence du condamneacute (Reacutevision DILS3) Cette forte probabiliteacute
eacuteleveacutee passait par la deacutecouverte de la culpabiliteacute drsquoautres personnes (reacutevision MACHIN4) et
de fait srsquoeacutecartait du doute rationnel (rejet des demandes en reacutevision de Messieurs
LEPRINCE5 et SEZNEC6 )
244 Le second point drsquoachoppement de la jurisprudence issue de la loi de 1989
concernait lrsquoappreacuteciation seacutevegravere du fait nouveau
2 Lrsquoappreacuteciation seacutevegravere du fait nouveau
245 De nombreux arrecircts dont lrsquoeacutenumeacuteration ne preacutesente aucun inteacuterecirct ont eu agrave
connaicirctre de cette question En effet le fait nouveau peut concerner une multitude de
situations toutes tregraves diffeacuterentes les unes des autres Un cas particulier retiendra notre
attention lrsquohypothegravese dite de la criminaliteacute deacutependante entre lrsquoauteur principal et son
complice 1 Assembleacutee Nationale Rapport drsquoinformation op cit p16 2 Ibid Contribution de Monsieur J-O VIOUT op cit p 241 3 Cass crim statuant comme cour de reacutevision 3 avril 2001 op cit 4 Cass crim statuant comme cour de reacutevision 13 avril 2010 op cit 5 Cass crim statuant comme cour de reacutevision 6 avril 2011 op cit 6 Cass crim statuant comme cour de reacutevision 14 deacutecembre 2006 op cit
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246 Lrsquoideacutee drsquoune deacutependance entre lrsquoacte de compliciteacute et lrsquoinfraction principale est
inspireacutee par lrsquoarticle 121-7 du Code peacutenal1 CARBONNIER eacutecrivait que laquo le sort de lrsquoauteur
principal et du complice sont cousus dans le mecircme sac raquo2 Dans quelle mesure la deacutependance
de ce type de criminaliteacute peut-elle influer sur la reacutevision Lrsquohypothegravese qui va nous inteacuteresser
est la suivante celle dans laquelle un complice condamneacute deacutefinitivement fonde sa requecircte
en reacutevision sur un fait nouveau constitueacute par lrsquoinnocence de lrsquoauteur principal deacuteclareacutee en
appel par le jeu des voies de recours qursquoil est seul agrave avoir actionneacutees3
247 La relaxe ou lrsquoacquittement de lrsquoauteur principal par application des regravegles de
droit peacutenal de fond nrsquoest pas toujours incompatible avec la condamnation du complice En
effet la deacutecision de relaxe ou drsquoacquittement de lrsquoauteur principal fondeacutee sur son absence de
participation agrave une infraction constitueacutee nrsquoefface pas la condamnation du complice4 Seule une
deacutecision se fondant sur la non-constitution de lrsquoinfraction permet de remettre en cause la
condamnation du complice
248 Une fois la deacutecision de condamnation devenue deacutefinitive la tentation peut ecirctre
grande pour le complice condamneacute de se tourner vers le pourvoi en reacutevision La seconde
juridiction ayant remis en cause la nature des circonstances sur lesquelles se sont fondeacutees les
premiers juges il srsquoagit bien drsquoune erreur de fait5 Sa demande srsquoappuyait alors sur lrsquoancien
article 622 4deg du Code de proceacutedure peacutenale La jurisprudence reliait la relaxe ou
lacquittement en appel de lauteur principal de linfraction au fait nouveau ou agrave lrsquoeacuteleacutement
inconnu6 puisqursquoaucun des trois autres cas drsquoouverture ne correspondait agrave la situation
1 Ce texte deacutefinit le complice drsquoune infraction comme laquo la personne qui sciemment par aide ou assistance en a faciliteacute la preacuteparation ou la consommation raquo Il en deacutecoule que la compliciteacute sassoit neacutecessairement sur lexistence dun fait principal punissable 2 J CARBONNIER Du sens de la reacutepression applicable aux complices selon larticle 59 du code peacutenal JCP 1952 I p 1034 3 Deux autres hypothegraveses plus marginales peuvent se rencontrer 1- le complice est condamneacute contradictoirement par un tribunal correctionnel alors que lrsquoauteur principal condamneacute par deacutefaut par le mecircme jugement est par la suite relaxeacute sur son opposition V Cass crim 17 juin 1998 Bull crim ndeg 197 2 le complice est deacutefinitivement condamneacute en appel alors qursquoun ou plusieurs autres co-preacutevenus srsquoeacutetant pourvus en cassation sont plus tard relaxeacutes par la cour de renvoi Cass crim 14 novembre 1985 Bull crim ndeg 357 4 V Cass crim 16 feacutevr 2000 op cit La relaxe de la personne poursuivie comme auteur principal des faits dabus de biens sociaux ne suffit pas agrave exclure que cette infraction ait eacuteteacute commise degraves lors quil y a eu plusieurs dirigeants sociaux au cours de la peacuteriode consideacutereacutee La responsabiliteacute du complice ou du receleur subsistera si linfraction a pour auteur un individu tiers diffeacuterent de la personne qui a beacuteneacuteficieacute dune relaxe 5 En ce sens V C GUILLEMAIN op cit pour une opinion inverse V W JEANDIDIER note sous Comm reacutevision 16 novembre 1998 JCP G 26 ndash 30 juin 1999 II 10118 p 1245 6 G ROYER laquo Reacutevision de la condamnation deacutefinitive du complice en cas drsquoacquittement en appel de lrsquoauteur principal de lrsquoinfraction raquo note sous cass crim 24 mai 2006 AJ Peacutenal 2006 p 369
104
249 Dans une telle hypothegravese un arrecirct du 11 deacutecembre 19461 avait rejeteacute une
demande de reacutevision du complice articuleacutee sur la relaxe de lrsquoauteur principal2 Cet arrecirct
preacutecise que laquo la cour drsquoappel ne constate pas qursquoelle ait eacuteteacute saisie de faits nouveaux elle a
seulement interpreacuteteacute autrement que les premiers juges des faits dont ceux-ci avaient eu
connaissance le tribunal ayant releveacute agrave la charge du complice des actes qui lui eacutetaient
personnels et qui eacutetaient de nature agrave eacutetablir sa culpabiliteacute raquo
En drsquoautres termes si la deacutecision de relaxe ou drsquoacquittement eacutetait fondeacutee sur un eacuteleacutement
exteacuterieur au dossier drsquoorigine ignoreacute des premiers juges et donc nouveau la requecircte en
reacutevision du complice eacutetait recevable A contrario si elle eacutetait fondeacutee sur une nouvelle
appreacuteciation des charges la requecircte en reacutevision du complice eacutetait irrecevable3
250 En somme laquo lrsquoinconciliabiliteacute apparente des deacutecisions ne [constituait] pas un fait
nouveau et la reacutevision [eacutetait] subordonneacutee agrave la preuve distincte dune erreur portant sur
lexactitude des faits soumis aux premiers juges raquo4 Cette solution se justifiait par la nature
exceptionnelle du pourvoi en reacutevision dont le but nrsquoest pas contrairement agrave lrsquoappel de
permettre une laquo appreacuteciation renouveleacutee des faits raquo5 Degraves lors laquo si on ne veut pas confondre
lrsquoappel et la reacutevision il est neacutecessaire que la demande en reacutevision puise sa cause en dehors des
piegraveces du dossier dans un fait exteacuterieur venant deacutetruire lrsquointerpreacutetation supposeacutee vraie donneacute
agrave celle-ci raquo6 Lrsquoappreacuteciation nouvelle faite agrave partir de donneacutees identiques apparaissait comme
une laquo simple peacuteripeacutetie judiciaireraquo7
251 Sous lrsquoempire de la loi de 1989 dans un premier temps la distinction poseacutee par
lrsquoarrecirct de 1946 entre un fait exteacuterieur au dossier et une nouvelle appreacuteciation des charges
semblait srsquoeacutetioler En teacutemoignent plusieurs arrecircts qui consideacuteraient la relaxe ou lrsquoacquittement
ou lrsquoacquittement de lrsquoauteur principal comme un fait nouveau de nature agrave faire naicirctre un
doute sur la culpabiliteacute du complice8
1 Cass crim 11 deacutec 1946 S 1947 1 p 50 2 Etait concerneacute un auteur principal et son complice reconnus coupables drsquoune tentative drsquoavortement et drsquoun homicide involontaire La deacutecision rendue en premiegravere instance a eacuteteacute frappeacutee drsquoappel par lrsquoauteur principal agissant seul Il a beacuteneacuteficieacute drsquoune mesure de relaxe au beacuteneacutefice drsquoun laquo leacuteger doute raquo qui a peseacute sur la reacutealiteacute de la tentative drsquoavortement 3 V sur la distinction entre le fait nouvellement reacuteveacuteleacute et la preuve nouvelle V J LELIEUR op cit ndeg 670 4 C GUILLEMAIN op cit ndeg 4 5 V Cass crim 20 feacutevr et 26 juin 1896 6 aoucirct et 16 deacutec 1897 et 7 avr 1898 S 1899 1 p 425 6 W JEANDIDIER note sous Comm reacutevision 16 novembre 1998 JCP G 26 ndash 30 juin 1999 II 10118 p 1245 7 Expression emprunteacutee agrave Monsieur W JEANDIDIER 8Cass crim 20 juin 1994 Bull crim ndeg 246 B BOULOC laquo Compliciteacute et relaxe de lrsquoauteur raquo note sous cass crim 8 janvier 2003 RSC 2003 p 553 cass crim 21 juin 2001 ndeg 90-83185 Dalloz jurisprudence ndeg 85-
105
252 Dans un arrecirct du 16 novembre 1998 la Commission de reacutevision relevait que laquo la
relaxe de lauteur principal prononceacutee par une autre juridiction quel que soit le motif de
cette deacutecision est un fait nouveau de nature agrave exclure la culpabiliteacute de celui qui a eacuteteacute
condamneacute comme complice dun abus de biens sociaux et de recel raquo1 De mecircme un audacieux
arrecirct du 24 mai 2006 exprimait clairement que laquo lrsquoacquittement de lrsquoauteur principal par
une cour drsquoassises de renvoi constitue un fait nouveau de nature agrave permettre la reacutevision du
procegraves du complice deacutefinitivement condamneacute en premiegravere instanceraquo2
Ces arrecircts ont consideacutereacute que la divergence drsquoappreacuteciation eacutetait un facteur de doute qui ne
pouvait ecirctre ignoreacute et devait entrainer le laquo repecircchage judiciaire du complice raquo3 La
constatation drsquoune divergence drsquoappreacuteciation devenait un signe concret drsquoerreur qursquoil
srsquoagisse ou non drsquoune meacuteprise des premiers juges Cette situation entrainait neacutecessairement
la naissance drsquoun doute rationnel sur la culpabiliteacute du complice condamneacute Crsquoest pourquoi la
demande devait ecirctre recevable et transmise agrave la Cour de reacutevision quitte agrave ecirctre ensuite rejeteacutee
253 Cette jurisprudence a encouru des critiques dont les plus seacutevegraveres ont eacuteteacute souleveacutees
par Monsieur le Professeur JEANDIDIER Pour lui le caractegravere inconciliable des deacutecisions
ne constitue pas en soi une preuve formelle au sens drsquoun fait nouveau De plus il estime que
ce repecircchage judiciaire du complice peut paraitre curieux dans la mesure ougrave le complice nrsquoa
pas contesteacute sa condamnation par la voie de recours usuelle4 Enfin le verdict drsquoacquittement
ou de relaxe de la juridiction drsquoappel ne constitue pas neacutecessairement un fait nouveau mecircme si
certains eacuteleacutements sont preacutesenteacutes sous un nouvel eacuteclairage par rapport au procegraves anteacuterieur En
ce sens laquo il faut espeacuterer que lacquittement de lauteur principal sappuie en reacutealiteacute sur de
nouveaux eacuteleacutements deacuteterminants le fait nouveau neacutetant pas tant la deacutecision de relaxe ou
dacquittement que les modifications dont sest enrichi le dossier raquo5
254 Mesdames CARON et MENOTTI conseillers reacutefeacuterendaires agrave la Cour de
cassation ont insisteacute sur le risque que cette jurisprudence pouvait engendrer notamment agrave
travers toutes sortes darrangements et collusions entretenus entre co-preacutevenus et co-accuseacutes
Certains drsquoentre eux pourraient interjeter appel pour le compte dautres qui sen abstiendraient
94411 Bull crim ndeg 357 cass crim17 janvier 2007 ndeg 06-87833 Bull crim ndeg 11 17 juin 1998 ndeg 97-85568 Bull crim ndeg 197 1 W JEANDIDIER note sous Comm reacutevision 16 novembre 1998 op cit ndeg 11 2 Cass crim 24 mai 2006 pourvoi ndeg 05-86081 3 Expression emprunteacutee agrave Monsieur W JEANDIDIER 4 V note W JEANDIDIER op cit ndeg 10 5 C GIRAULT laquo Acquittement en appel de lrsquoauteur principal et reacutevision de la condamnation du complice raquo note sous cass crim 24 mai 2006 AJ Peacutenal 2006 p 316
106
deacutelibeacutereacutement puis se manifesteraient ensuite en cas de succegraves en saisissant la commission de
reacutevision1 Ce repecircchage judiciaire du complice eacutetait pourtant motiveacute par lrsquoexigence drsquoune
bonne justice En effet lrsquoimage de la Justice symbole de la sagesse ne devrait pas
srsquoenorgueillir du maintien de deux deacutecisions inconciliables La paix sociale exige que lrsquoon
revienne sur cette contradiction Crsquoest pourquoi selon nous cette nouveauteacute meacuteritait pour le
moins drsquoecirctre examineacutee par la Cour de reacutevision en reacutefeacuterence agrave lrsquoancien article 622-4deg qui
eacutevoquait drsquoun laquo fait nouveau raquo sans autre preacutecision
255 Srsquoabritant derriegravere une dialectique ambigueuml2 la jurisprudence srsquoest
progressivement eacuteloigneacutee de cette solution Deux arrecircts de rejet du 22 mai 20083 affirme qursquo
laquo attendu que les mecircmes faits ont eacuteteacute soumis agrave lexamen du tribunal correctionnel puis de la
cour dappel et que chacune de ces juridictions les a diffeacuteremment appreacutecieacutes au regard des
eacuteleacutements constitutifs des infractions poursuivies raquo Cette position conduisait agrave limiter
sensiblement le nombre de requecirctes en reacutevision Un retour en arriegravere agrave la jurisprudence de
1946 semblait se dessiner sous lrsquoimpulsion de la Commission de reacutevision qui refusait de
reconnaicirctre ipso facto lrsquoexistence drsquoun fait nouveau Elle consideacuterait qursquoil srsquoagissait plutocirct
drsquoune appreacuteciation diffeacuterente des faits qui ne saurait en soi constituer un fait nouveau4
256 Un arrecirct de rejet du 29 juin 2011 a renforceacute cette position5 Dans cette affaire la
Cour dappel avait relaxeacute lauteur principal en soulignant que les eacuteleacutements constitutifs de
lrsquoinfraction nrsquoeacutetaient pas tous caracteacuteriseacutes tant sur le plan mateacuteriel qursquointentionnel Le
complice condamneacute en premiegravere instance et agrave deacutefaut drsquoavoir interjeteacute appel se reacutesigna agrave
formuler une demande en reacutevision au motif que la relaxe de lrsquoauteur proceacutedait de lrsquoabsence
drsquoeacuteleacutements constitutifs de lrsquoinfraction La Cour de reacutevision a consideacutereacute quil nexistait pas de
fait nouveau au sens de lancien article 622 4deg du Code de proceacutedure peacutenale Ces faits avaient
1 D CARON et S MENOTTI obs sous cass crim 22 mai 2009 ndeg 06-80525 et ndeg 07-83761 D 2008 AJ peacutenal 1768 p 1719 2 B BOULOC laquo Compliciteacute et relaxe de lrsquoauteur raquo note sous cass crim 8 janvier 2003 op cit 3 Cass crim 22 mai 2008 ndeg 06-80525 et ndeg 07-83761 D 2008 AJ 1768 ibid Chron 1719 obs D CARON et S MENOTTI AJ peacutenal 2008 426 obs C SAAS Dans le premier arrecirct la Cour de reacutevision avait eacuteteacute saisie par une personne condamneacutee pour faux usage de faux et compliciteacute drsquoabus de biens sociaux alors qursquoune deacutecision de relaxe avait eacuteteacute rendue en faveur de son comparse seul appelant poursuivi quant agrave lui des chefs de faux usage de faux et abus de biens sociaux Dans le second arrecirct la Cour avait eacuteteacute saisie dune demande en reacutevision drsquoune condamnation pour deacutenonciation calomnieuse alors qursquoun arrecirct de la cour dappel rendu agrave lrsquoinitiative de son co-auteur avait relaxeacute lrsquoappelant Dans ce cas la relaxe a eacuteteacute prononceacutee par la cour qui a estimeacute linfraction de deacutenonciation calomnieuse comme non constitueacutee 4 C SAAS laquo Requecircte en reacutevision fait nouveau et criminaliteacute deacutependante raquo note sous cass crim 22 mai 2008 AJ Peacutenal 2008 p 426 5 L PRIOU-ALIBERT laquo Reacutevision la relaxe nrsquoest pas un fait nouveau pour le complice raquo casscrim 29 juin 2011 ndeg 1088322 Dalloz actualiteacutes 22 juillet 2011
107
eacuteteacute examineacutes par le tribunal et par la Cour dappel sous un angle diffeacuterent sans que pour
autant un fait nouveau ne soit apparu au cours de lrsquoaudience
257 Cette jurisprudence illustre le rigorisme de la Cour de cassation dans
lrsquoappreacuteciation du fait nouveau Cette position nrsquoeacutetait pas exclusivement lieacutee agrave la pluraliteacute de
participants agrave lrsquoinfraction puisque les mecircmes conclusions srsquoappliquaient dans lrsquohypothegravese
drsquoune demande en reacutevision baseacutee sur lrsquoannulation drsquoun acte administratif posteacuterieur agrave la
condamnation alors que celui-ci en eacutetait le fondement1 Lrsquointroduction de lrsquoeacuteleacutement inconnu
par la loi de 1989 nrsquoa donc pas reacuteussi agrave modifier la position de la jurisprudence qui a continueacute
agrave srsquoappuyer sur le fait nouveau en tournant le dos agrave lrsquoeacuteleacutement inconnu dont lrsquoassiette eacutetait
pourtant plus large2
1 V en ce sens Cass crim 5 aoucirct 1915 Bull crim ndeg 168 H ANGEVIN op cit ndeg 87-89 W JEANDIDIER op cit ndeg 9 2 Rappelons les propos du Preacutesident de lrsquoAssembleacutee Nationale prononceacutes agrave lrsquooccasion de lrsquoaffaire SEZNEC et rappeleacutes par Denis SEZNEC lors de son audition devant la commission des Lois laquo Les leacutegislateurs que nous sommes ne peuvent pas se deacutesinteacuteresser du suivi de la loi Pas drsquointerfeacuterence avec le pouvoir judiciaire- indeacutependant respecteacute ndashmais en mecircme temps pas drsquoindiffeacuterence agrave lrsquoapplication de la loi faute de quoi nous nrsquoaurions fait qursquoune partie de notre travail raquo
108
Conclusion du chapitre
258 Ce chapitre nous a permis de deacutemontrer qursquoen 1989 tant au travers des
conditions preacutealables agrave la reacutevision que des cas drsquoouverture la logique oppositionnelle entre le
pourvoi en reacutevision et lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee lrsquoavait emporteacute Lrsquoexigence de la reacuteunion de
conditions preacutealables au pourvoi en reacutevision eacutetait de nature agrave restreindre le nombre de
deacutecisions susceptibles drsquoecirctre reacuteviseacutees puisqursquoil devait srsquoagir drsquoune deacutecision peacutenale deacutefinitive
criminelle ou deacutelictuelle deacuteclarative de culpabiliteacute Cette restriction concernant les seules
deacutecisions peacutenales deacutefinitives criminelles ou deacutelictuelles trouvait sa justification dans le but de
preacuteserver le caractegravere extraordinaire de la reacutevision et de ne surtout pas lrsquoeacuteriger en un troisiegraveme
degreacute de juridiction En revanche lrsquoexclusion de la reacutevision in defavorem apparaissait moins
convaincante Pour ce qui est des cas drsquoouverture le choix drsquoune conception plutocirct restrictive
de la reacutevision eacutetait confirmeacute sous lrsquoeffet de la jurisprudence En effet mecircme si tout portait agrave
croire que la modification apporteacutee par la loi de 1989 au niveau de la reacutedaction du cas
indeacutetermineacute drsquoouverture constituait une avanceacutee elle nrsquoa toutefois pas eu lrsquoeacutecho
jurisprudentiel souhaiteacute
109
Conclusion du titre 1
259 Ce titre nous a permis de deacutemontrer que lrsquoanalyse du pourvoi en reacutevision se
heurte agrave une premiegravere difficulteacute qui consiste agrave deacutemecircler les liens qui lrsquounissent agrave lrsquoautoriteacute de la
chose jugeacutee Les divers modes drsquointerpreacutetation de cette relation ont des conseacutequences sur la
proceacutedure de reacutevision qui selon la position adopteacutee par le leacutegislateur et la jurisprudence sera
soit plutocirct restrictive soit plutocirct libeacuterale En effet deux eacutecoles se disputent le choix drsquoopposer
lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee au pourvoi en reacutevision ou au contraire de priser leur proximiteacute
La premiegravere tendance qui se rattache aux fonctions traditionnelles de lrsquoautoriteacute de la chose
jugeacutee apparaicirct plutocirct deacutesuegravete car une vision plus moderne de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee
laisse entrevoir une conciliation possible entre lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et le pourvoi en
reacutevision Crsquoest ainsi que la reacutevision ne srsquoexercerait plus contre lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee
mais pour une autoriteacute juste de la chose jugeacutee Srsquoagissant drsquoappreacutehender la reacutevision sous la
forme de deux angles drsquoattaque radicalement opposeacutes il nous est apparu inteacuteressant de nous
interroger sur le choix que la loi de 1989 avait pu faire
260 Crsquoest ainsi que nous pourrons au fil de notre eacutetude juger utilement des qualiteacutes
et des faiblesses de la reacuteforme de 2014 selon une meacutethodologie enseigneacutee par DESCARTES
laquo il faut commencer par la recherche de ces premiegraveres causes crsquoest-agrave-dire des principes et
que ces principes doivent avoir deux conditions lrsquoune qursquoils soient si clairs et si eacutevidents
que lrsquoesprit humain ne puisse douter de leur veacuteriteacute lorsqursquoil srsquoapplique avec attention agrave les
consideacuterer lrsquoautre que ce soit drsquoeux que deacutepende la connaissance des autres choses en
sorte qursquoils puissent ecirctre connus sans elles mais non pas reacuteciproquement elles sans eux
qursquoapregraves cela il faut tacher de deacuteduire de ces principes la connaissance des choses qui en
deacutependent raquo1
261 Dans la loi de 1989 le leacutegislateur a manifesteacute son attachement agrave une approche
plutocirct restrictive de la reacutevision Un signal drsquoouverture avait toutefois eacuteteacute lanceacute au moment de
la modification de la reacutedaction du cas drsquoouverture indeacutetermineacute de reacutevision Toutefois il nrsquoa
pas eacuteteacute entendu par la jurisprudence Le choix de cette approche ne fut pas sans conseacutequences
en raison des nombreux eacutecueils tant structurels que conjoncturels que contenait le texte
1 R DESCARTES Les principes de la philosophie Livre premier (1er eacuted 1885) Hachette 2012 preacuteface
110
Titre 2
Des imperfections structurelles et
conjoncturelles
111
laquo Sur mes cahiers drsquoeacutecolier
Sur mon pupitre et les
arbres
Sur le sable de neige
Jrsquoeacutecris ton nom
(hellip)
Et par le pouvoir drsquoun mot
Je recommence ma vie
Je suis neacute pour te connaicirctre
Pour te nommer
Liberteacute raquo1
262 La liberteacute se place au cœur de la proceacutedure de reacutevision Communeacutement opposeacutee agrave
lrsquoenfermement elle beacuteneacuteficiera en cas du succegraves de la reacutevision au condamneacute qui dans
lrsquohypothegravese drsquoune deacutetention recouvrera ses droits et lrsquoentiegravere liberteacute de ses mouvements
Largement deacuteveloppeacutee par les philosophes la liberteacute implique aussi drsquoapregraves les travaux de La
Boeacutetie2 lrsquoabsence drsquoune force exteacuterieure et injuste susceptible de contredire la volonteacute de
lrsquohomme Crsquoest ainsi que liberteacute et justice sont eacutetroitement lieacutees
263 La proceacutedure peacutenale est consideacutereacutee comme le droit des honnecirctes gens par
opposition au droit peacutenal qui appartiendrait aux malhonnecirctes gens Aux divers stades de
lrsquoavancement de la proceacutedure la manifestation de la veacuteriteacute se renforce pour deacuteboucher sur un
constat drsquoinnocence ou de culpabiliteacute3 Le pourvoi en reacutevision est le deacutemolisseur de lrsquoeacutedifice
drsquoune culpabiliteacute erroneacutee et deacutefinitive bacirctie sur les fondations de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee
Il srsquoagit donc par excellence du recours des honnecirctes gens
264 Toutefois combattre une deacutecision deacutefinitive ne saurait ecirctre une chose facile pour
celui qui engage une bataille pour la liberteacute Crsquoest pourquoi le succegraves du pourvoi en reacutevision
est conditionneacute par le franchissement de divers obstacles proceacuteduraux qui se dressent sur la
route du requeacuterant La mise en place de ces obstacles se justifie par lrsquoobjet du pourvoi en
1 P ELUARD Poeacutesies et veacuteriteacutes Les eacuteditions de la main agrave plume 1942 p 1 2 E DE LA BOETIE Discours de la servitude volontaire Petite bibliothegraveque Payot 1574 3 F FOURMENT Proceacutedure peacutenale op cit p1 ndeg2
112
reacutevision qui ne constitue pas un troisiegraveme degreacute de juridiction Toutefois sous lrsquoempire de la
loi de 1989 les embucircches eacutetaient drsquoune telle importance qursquoelles ont transformeacute le pourvoi en
reacutevision en une forteresse presque imprenable
265 Ce titre sera consacreacute agrave la mise en relief des imperfections contenues dans la loi
de 1989 et reacutepertorieacutees sous deux rubriques
Inheacuterente agrave lrsquoarticulation des eacuteleacutements constitutifs drsquoun systegraveme la structure touche agrave
lrsquoorganisation mecircme drsquoun ensemble ou drsquoun concept La structure drsquoune entreprise constitue
le centre de graviteacute de son organisation cleacute de voucircte de son efficaciteacute Compareacutee agrave une
entreprise la proceacutedure de reacutevision dont lrsquoarchitecte est le leacutegislateur reposait dans la loi de
1989 sur de deux piliers la commission de reacutevision et la Cour de reacutevision Lrsquoanalyse des
imperfections structurelles de la proceacutedure de reacutevision portera donc sur lrsquoarticulation des
relations entre ces deux organes Quant agrave la conjoncture il srsquoagit drsquoun ensemble de
circonstances qui ont preacutesideacute agrave une situation preacutesente passeacutee ou future Lrsquoanalyse des
imperfections conjoncturelles de la proceacutedure de reacutevision issue de la loi de 1989 portera donc
sur lrsquoeacutetude de situations dont lrsquoexistence nrsquoeacutetait pas intimement associeacutee agrave lrsquoeacutedifice juridique
du recours
266 Seront donc drsquoabord envisageacutees les difficulteacutes structurelles qui ressortaient de la
loi de 1989 (chapitre 1) puis les difficulteacutes conjoncturelles (chapitre 2)
113
CHAPITRE 1 LES DIFFICULTES
STRUCTURELLES
267 La reacutepartition des compeacutetences entre la commission et la Cour de reacutevision avait
pour origine lrsquoalineacutea 5 de lrsquoarticle 623 du Code de proceacutedure peacutenale qui preacutevoyait que laquo la
demande en reacutevision est adresseacutee agrave une commission (hellip) raquo Ensuite le texte preacutecisait que
laquo cette commission saisit la chambre criminelle qui statue comme Cour de reacutevision des
demandes qui lui paraissent pouvoir ecirctre admises raquo La commission eacutetait lrsquoorgane qui
intervenait en premier lieu dans la proceacutedure Destinataire exclusive des requecirctes elle eacutetait la
seule autoriseacutee agrave saisir la Cour de reacutevision1 Le requeacuterant ne pouvait donc pas srsquoaffranchir du
passage obligeacute devant la commission en srsquoadressant directement agrave la Cour de reacutevision2 La
commission jouait un rocircle de filtrage des requecirctes
268 Le filtrage des requecirctes eacutetait une laquo bonne mesure raquo3 qui a pour but de preacuteserver
le caractegravere extraordinaire de la reacutevision et de se preacutemunir contre une inflation des requecirctes
Etaient donc eacutecarteacutees les demandes laquo teacutemeacuteraires abusives ou deacutepourvues de justification raquo4
Ce filtre se faisait lrsquointerpregravete drsquoune meacutefiance du leacutegislateur agrave lrsquoeacutegard du comportement de
certains condamneacutes5 En effet toute personne deacutefinitivement condamneacutee pour un crime ou un
deacutelit pouvait sans condition de forme de deacutelai et mecircme en lrsquoabsence de conseil deacuteposer une
requecircte en reacutevision Il apparaissait donc indispensable de trier les demandes et drsquoeacuteliminer
celles qui laquo [paraissaient] ne pas pouvoir ecirctre admises raquo pour eacuteviter un engorgement inutile
de la Cour de reacutevision Ensuite bien que les condamneacutes aient eacuteteacute les plus nombreux agrave se
1 Le caractegravere obligatoire du passage devant la commission srsquoinspirait de la formule laquo la demande en reacutevision est adresseacutee agrave une commission raquo qui ne souffrait drsquoaucune option ou exception 2 Sur lrsquoirrecevabiliteacute drsquoune telle requecircte V Cass crim 28 feacutevr 1901 Bull crim no 67 S 19021 p 477 3 M RUDLOFF rapporteur Seacutenat 11 avr 1989 p 151 4 H ANGEVIN op cit ndeg 121 5 Rapport drsquoinformation op cit Contribution de Madame MRADENNE op cit p 213 laquo Beaucoup de demandes eacutemanent de personnes en grandes deacutetresses psychologiques [hellip] Certains requeacuterants deacuteposent systeacutematiquement une nouvelle demande dans les jours qui suivent la deacutecision ayant rejeteacute ou deacuteclareacute irrecevable la preacuteceacutedente raquo V eacutegalement H ANGEVIN Premiegraveres applications de la loi 89-431 du 23 juin 1989 relative agrave la reacutevision des condamnations peacutenales op cit ndeg 7 laquo La forte proportion des deacutecisions dirrecevabiliteacute rendues par la commission (97 sur 180) fait apparaicirctre le caractegravere fantaisiste de nombre de demandes eacutemanant de condamneacutes qui introduisent un recours en reacutevision comme sil constituait un degreacute suppleacutementaire de juridiction Dans la plupart des cas les requecirctes deacuteclareacutees irrecevables bien que se reacuteclamant du quatriegraveme cas de reacutevision preacutevu par larticle 622 du Code de proceacutedure peacutenale narticulent aucun fait ou eacuteleacutement quelconque le demandeur se bornant agrave affirmer son innocence ou agrave preacutetendre quil a eacuteteacute trop seacutevegraverement condamneacute raquo
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pourvoir devant la commission le recours restait ouvert agrave drsquoautres demandeurs qui venaient
encore grossir les rangs du nombre de requecirctes deacuteposeacutees1 Preuve de son utiliteacute le rocircle de la
commission eacutetait laquo quantitativement important raquo2
269 Lrsquoimportance de la mission de la commission exigeait un cadrage preacutecis de son
peacuterimegravetre drsquointervention et des attributions qui lui eacutetaient deacutevolues Crsquoest pourquoi le preacutesent
chapitre traitera plus de la commission laquo cheville ouvriegravere raquo3 de la proceacutedure que de la Cour
de reacutevision Dans la loi de 1989 le leacutegislateur eacutetait impreacutecis sur la reacutepartition des
compeacutetences confieacutees aux deux organes et surtout en ce qui concernait la commission
(Section 1) Ce flou compliquait les relations entre la commission et la Cour de reacutevision qui
au fil du temps se sont deacutegradeacutees (Section 2)
Section 1 Lrsquoimpreacutecision de la reacutepartition des
compeacutetences entre la commission de reacutevision
et la Cour de reacutevision
270 La proceacutedure de reacutevision srsquoarticulant autour de deux organes il faut
obligatoirement srsquointeacuteresser agrave la question du partage des compeacutetences Le manque de
preacutecision de la loi par rapport agrave lrsquoeacutetendue du pouvoir de filtrage de la commission (sect1) avait
eu pour conseacutequence drsquoentretenir des incertitudes quant agrave son rocircle reacuteel (sect 2)
sect 1 La deacutelimitation impreacutecise de lrsquoeacutetendue du filtrage de la
commission
271 Srsquoagissant du peacuterimegravetre drsquoaction de la commission le leacutegislateur apportait un
faible eacuteclairage se contentant de preacuteciser que laquo cette commission saisit la chambre
criminelle qui statue comme Cour de reacutevision des demandes qui lui paraissent pouvoir ecirctre
1 Lrsquoancien article 623 du CPP disposait laquo La reacutevision peut ecirctre demandeacutee 1deg Par le ministre de la justice 2deg Par le condamneacute ou en cas dincapaciteacute par son repreacutesentant leacutegal 3deg Apregraves la mort ou labsence deacuteclareacutee du condamneacute par son conjoint ses enfants ses parents ses leacutegataires universels ou agrave titre universel ou par ceux qui en ont reccedilu de lui la mission expresse raquo 2 Rapport drsquoinformation op cit Contribution de Monsieur B LOUVEL op cit p 227 laquo En 2012 la commission de reacutevision a eacuteteacute saisie de 139 requecirctes dont 46 en matiegravere criminelle et 93 en matiegravere correctionnelle Il est agrave noter que 28 de ces derniegraveres concernaient des condamnations pour infraction aux regravegles sur la distillation et contestaient en reacutealiteacute leur interpreacutetation donneacutee agrave une regravegle de droit par la Cour de cassation La commission a prononceacute 74 deacutecisions drsquoirrecevabiliteacute dont 28 dans les dossiers susviseacutes 25 de rejet Elle a saisi agrave 2 reprises la cour de reacutevision [hellip] Depuis sa creacuteation en 1989 et jusqursquoau 16 septembre 2013 la commission de reacutevision a saisi la Cour de reacutevision agrave 84 reprises dont 13 fois en matiegravere criminelle raquo 3 Expression emprunteacutee agrave Monsieur ANGEVIN
115
admises raquo Apregraves avoir deacutemontreacute lrsquoambivalence de cette formule malheureuse qui srsquoest
traduite par la reconnaissance drsquoun pouvoir de filtrage ambigueuml agrave la commission (A) cette
ambiguiumlteacute sera leveacutee agrave lrsquoeacutepreuve drsquoune interpreacutetation teacuteleacuteologique du texte De cette maniegravere
nous deacutecouvrirons les veacuteritables attentes du leacutegislateur par rapport agrave lrsquoeacutetendue du filtrage et
nous deacutevoilerons sur quelle reacutealiteacute aurait ducirc reposer lrsquoexpression laquo les demandes qui lui
paraissent pouvoir ecirctre admises raquo (B)
A Lrsquoambiguiumlteacute du pouvoir de filtrage
272 Le principe de leacutegaliteacute impose au leacutegislateur lrsquoobligation de reacutediger des textes
clairs et preacutecis Il en deacutecoule que laquo quels que soient le contenu et la viseacutee dun texte leacutegislatif
le spectre de son ambiguumliteacute ne cesse de hanter la genegravese de sa formulation raquo1 Selon
DESCARTES la clarteacute dune information se reconnaicirct agrave lrsquoaptitude drsquoun destinataire attentif agrave
en saisir le contenu2
273 Or le passage concernant laquo les demandes qui lui paraissent pouvoir ecirctre
admises raquo manquait de preacutecision quant agrave son contenu et ce quel que soit le degreacute drsquoattention
du destinataire Quel eacutetait le point de deacutepart de lrsquoadmission drsquoune demande Quelle eacutetait
lrsquoeacutetendue du droit de regard de la commission Concernant le cas drsquoouverture indeacutetermineacute la
commission devait-elle saisir la Cour de reacutevision degraves lors qursquoelle constatait la preacutesence drsquoun
fait nouveau ou drsquoun eacuteleacutement inconnu Devait-elle refuser de saisir la Cour drsquoune requecircte au
motif que bien que mettant en avant un fait nouveau ou un eacuteleacutement inconnu celui-ci nrsquoeacutetait
pas de nature agrave faire naicirctre un doute sur la culpabiliteacute du condamneacute Lrsquoarticle 622 4deg du Code
de proceacutedure peacutenale preacutecisait que laquo lorsque apregraves une condamnation vient agrave se produire ou agrave
se reacuteveacuteler un fait nouveau ou un eacuteleacutement inconnu de la juridiction au jour du procegraves de
nature agrave faire naicirctre un doute sur la culpabiliteacute du condamneacute raquo la reacutevision eacutetait permise Mais
qui devait appreacutecier ce doute La commission La Cour de reacutevision La juridiction de
renvoi Avant mecircme lrsquoapplication de la loi de 1989 Monsieur ANGEVIN signalait deacutejagrave que
les termes du passage contesteacute laquo ne manqueront pas de discuter de deacutelicats problegravemes
dinterpreacutetation raquo3
1 Theacuteodore IVANIER Qursquoest-ce qursquoun texte clair (Essai de matheacutematisation) Paris PUF 1983 p 150 2 Descartes Principes L 45 AT IX 44 3 H ANGEVIN La reacuteforme de la reacutevision des condamnations peacutenales op cit ndeg 17
116
274 La reacuteponse aux diverses questions poseacutees passe neacutecessairement par un effort
drsquoanalyse des motivations du leacutegislateur Pour ce faire nous nous baserons sur une
interpreacutetation teacuteleacuteologique1 de la formule en question
B Lrsquoapport drsquoune interpreacutetation teacuteleacuteologique des textes
275 Pour lever lrsquoambiguiumlteacute du texte nous nous sommes inteacuteresseacutees aux travaux qui
ont preacutesideacute agrave lrsquoadoption de la loi de 1989 tels les rapports les deacutebats parlementaires et autres
interventions Selon les deacuteclarations de Monsieur MARCHAND rapporteur de la commission
des lois en 19882 le passage concernant les laquo demandes qui lui paraissent pouvoir ecirctre
admises raquo a pour objet drsquoeacutecarter les requecirctes laquo manifestement irrecevables ou mal fondeacutees raquo
Lrsquoemploi par le rapporteur de la conjonction laquo ou raquo signifie que la commission pouvait se
trouver confronteacutee agrave deux types de mises agrave lrsquoeacutecart des requecirctes soit la requecircte eacutetait
manifestement irrecevable soit elle eacutetait mal fondeacutee
276 Concernant la requecircte manifestement irrecevable le caractegravere manifeste de
lrsquoirrecevabiliteacute se traduisait par une reacuteaction rapide de la commission de reacutevision qui pouvait
degraves la reacuteception de la requecircte se forger une opinion sans pour autant recourir agrave des moyens
drsquoinvestigation crsquoest lrsquoirrecevabiliteacute ab initio encore appeleacutee le laquo filtre du filtre raquo3 Elle eacutetait
preacutevue depuis le 19 mai 20114 par le dernier alineacutea de lrsquoancien article 623 du Code de
proceacutedure peacutenale qui disposait laquo lorsque la demande en reacutevision est manifestement
irrecevable le preacutesident de la commission de reacutevision ou son deacuteleacutegueacute peut la rejeter par
ordonnance motiveacutee raquo Les veacuterifications drsquoordre formel meneacutees par la commission portaient
sur la deacutecision faisant lrsquoobjet de la requecircte Il convenait de veacuterifier qursquoil srsquoagissait bien dune
condamnation peacutenale deacutefinitive concernant un crime ou un deacutelit et quil nexistait aucun autre
moyen de droit susceptible de reacuteparer lerreur invoqueacutee ou encore de srsquoassurer que le
1 Mode drsquointerpreacutetation encore appeleacute interpreacutetation finaliste ou deacuteclarative qui repose sur laquo la recherche des objectifs poursuivis par la loi crsquoest-agrave-dire le but qursquoelle souhaite atteindre [hellip] Elle se fonde sur la ratio legis la volonteacute deacuteclareacutee ou preacutesumeacutee du leacutegislateur en faisant primer lrsquoesprit du texte sur la lettre raquo V C GHICA-LEMARCHAND op cit R GARRAUD op cit p 106 P CORLAY laquo Reacuteflexions sur les reacutecentes controverses relatives au domaine et agrave la deacutefinition du vol raquo JCP 1984 I p 3160 F HELIE op cit p 13 G DI MARINO laquo Le recours aux objectifs de la loi peacutenale dans son application raquo RSC 1991 p 505 2 httparchivesassemblee-nationalefr9cri1988-1989-ordinaire1079pdf Rapport ndeg 220 (1988-1989) de M Marcel RUDLOFF fait au nom de la commission des lois deacuteposeacute le 1er mars 1989 3 Expression emprunteacutee agrave Madame RADENNE in Rapport drsquoinformation op cit p 213 4 Disposition issue de la loi ndeg 2011-525 du 17 mai 2011 dite loi de simplification et drsquoameacutelioration de la qualiteacute du droit V Rapport annuel drsquoactiviteacute 2011 de la Cour de cassation Commission de reacutevision des condamnations peacutenales laquo Depuis lrsquoentreacutee en vigueur de ce texte le 19 mai 2011 il en a deacutejagrave eacuteteacute fait application agrave vingt-cinq reprises notamment lorsque le demandeur se borne agrave contester la condamnation sans invoquer drsquoeacuteleacutement nouveau ou agrave reprendre exactement la mecircme argumentation que celle deacutejagrave rejeteacutee lors drsquoune preacuteceacutedente demande raquo
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requeacuterant figurait bien parmi les personnes autoriseacutees agrave exercer le recours Il pouvait arriver
que lrsquoirrecevabiliteacute soit deacutecouverte un peu plus tard au cours des premiegraveres mesures
drsquoinvestigations Lrsquoabsence de lrsquoimmeacutediateteacute de la deacutecouverte de lrsquoirrecevabiliteacute eacutetait dans ce
cas de nature agrave en relativiser le caractegravere manifeste1
277 Pour ce qui est de la requecircte mal fondeacutee elle eacutetait rejeteacutee au fond2 Les deacutecisions
de rejet eacutetaient motiveacutees soit par la constatation que le fait ou lrsquoeacuteleacutement invoqueacute dans la
requecircte nrsquoeacutetait pas de nature agrave deacuteboucher sur une reacutealiteacute et qursquoil ne srsquoagissait drsquoapregraves
lrsquoinstruction que drsquoune simple alleacutegation soit que les faits eacutetaient connus des juges du fond
au moment du prononceacute de la condamnation attaqueacutee En conseacutequence il ne pouvait srsquoagir de
faits nouveaux
278 Le respect de la volonteacute du leacutegislateur qui srsquoest exprimeacute dans la formule laquo les
demandes qui lui paraissent devoir ecirctre admises raquo impose donc lrsquointerpreacutetation suivante
Pour le premier cas drsquoouverture la commission devait simplement veacuterifier que la victime
supposeacutee eacutetait en vie apregraves la condamnation du requeacuterant Pour le deuxiegraveme cas drsquoouverture
il lui incombait uniquement de veacuterifier la reacutealiteacute de la condamnation du teacutemoin Pour le
troisiegraveme cas drsquoouverture ses veacuterifications devaient se concentrer sur le caractegravere
inconciliable des deux deacutecisions peacutenales Enfin pour le quatriegraveme cas drsquoouverture seule la
reacutealiteacute du fait nouveau ou de lrsquoeacuteleacutement inconnu devait occuper la commission
279 Le respect de la proceacutedure telle qursquoelle a eacuteteacute deacutecideacutee par le leacutegislateur de 1989
supposait donc que par rapport au cas drsquoouverture indeacutetermineacute le rocircle de la commission se
limite au constat de lrsquoexistence et du seacuterieux du fait nouveau ou de lrsquoeacuteleacutement inconnu
Ensuite crsquoeacutetait agrave la Cour de reacutevision de deacutecider srsquoil srsquoagissait drsquoun fait nouveau deacuteterminant
En pratique premiegraverement la commission devait srsquoattacher agrave savoir si le fait ou lrsquoeacuteleacutement
invoqueacute eacutetait soit inexistant au moment de la condamnation soit ignoreacute par la juridiction au
jour du procegraves Deuxiegravemement elle devait constater le cas eacutecheacuteant agrave lrsquoaide de moyens
drsquoinvestigations si ce fait ou eacuteleacutement eacutetait fiable et seacuterieux3 Le leacutegislateur voulait
circonscrire la mission de la commission agrave ce seul rocircle Il ne lui revenait donc pas de prendre
1 On ne parlera alors pas drsquoirrecevabiliteacute laquo ab initio raquo mais simplement drsquoirrecevabiliteacute 2 Le rapport drsquoinformation utilise dans cette hypothegravese lrsquoexpression irrecevabiliteacute V Rapport drsquoinformation op cit p 35 Les auteurs parlent plutocirct dans ce cas drsquoun rejet de la demande V par exemple E DE VALICOURT op cit p 215 H ANGEVIN Premiegraveres applicationshellip op cit ndeg 8 3 Rapport drsquoinformation op cit Contribution de Madame M ANZANI op cit p 263
118
position sur la porteacutee de ce fait et de chercher agrave savoir srsquoil faisait naicirctre un doute sur la
culpabiliteacute du condamneacute Par exemple face au cas drsquoun nouveau teacutemoignage agrave deacutecharge
invoqueacute dans une requecircte en reacutevision la commission devait veacuterifier srsquoil srsquoagissait bien drsquoun
nouveau teacutemoignage et srsquoil ne figurait pas deacutejagrave au dossier (eacutetape 1) Elle devait ensuite
srsquoassurer de la fiabiliteacute de la preuve testimoniale (eacutetape 2) Au terme de ces deux eacutetapes elle
devait pour respecter la volonteacute du leacutegislateur transmettre la requecircte agrave la Cour de reacutevision
280 Seul ce partage des rocircles entre la commission et la Cour de reacutevision reacutepond agrave
lrsquoambition du leacutegislateur qui souhaitait eacutecarter les requecirctes laquo manifestement irrecevables ou
mal fondeacutees raquo En ce sens Monsieur MARIN deacuteclare que laquo la commission de reacutevision
transmet agrave la Cour de reacutevision les requecirctes qui lui paraissent devoir ecirctre admises lorsqursquoil
nrsquoest pas eacutevident qursquoelles doivent ecirctre rejeteacutees1 raquo Selon nous le leacutegislateur de 1989 nrsquoavait
pas voulu accorder drsquoautre alternative agrave la commission que celle de devoir saisir la Cour de
reacutevision lorsque les conditions de recevabiliteacute eacutetaient remplies (eacutetapes 1 et 2) Il srsquoagissait
drsquoun droit pour le condamneacute degraves lors que sa requecircte nrsquoeacutetait pas manifestement irrecevable ou
mal fondeacutee
281 Certaines deacutecisions de la commission se font lrsquoeacutecho de cette position
laquo Attendu que si la commission de reacutevision a pleacutenitude de juridiction pour estimer que les
conditions de la loi ne sont pas remplies et rejeter les requecirctes qui lui sont soumises elle a
eacutegalement pour mission de saisir la chambre criminelle statuant comme cour de reacutevision
des demandes qui lui paraissent pouvoir ecirctre admises apregraves quoi il revient agrave la cour de
reacutevision de deacutecider sil y a ou non doute au sens de la loi raquo2 Ou encore laquo Attendu en
deacutefinitive que larrecirct de la cour dassises non motiveacute ne permettant pas de savoir sur quels
eacuteleacutements la cour et les jureacutes ont fondeacute leur intime conviction lappreacuteciation de ces eacuteleacutements
nouveaux ne saurait relever de la seule commission de reacutevision raquo3
282 Il en deacutecoule que la commission portait un regard plus conciliant sur la requecircte
que la Cour de reacutevision Cette derniegravere ne devait donc pas reacuteserver systeacutematiquement une
suite favorable agrave une requecircte transmise par la commission Un acquiescement systeacutematique de
la Cour de reacutevision aurait drsquoailleurs souligneacute le caractegravere trop restrictif du filtrage de la
commission Srsquoagissant du filtrage il est compris comme une premiegravere eacutepreuve de tri Au-
1 Ibid 2 Comm reacutevision 25 juin 2001 ndeg 01-99012 3 Comm reacutevision 11 avr 2005 ndeg 01 REV 065 Bull ndeg 3
119
delagrave la commission se transformerait en un organe de laquo preacute-jugement raquo et non plus de
filtrage Crsquoest pourquoi nous ne partageons pas lrsquoanalyse de Monsieur Roland AGRET pour
qui laquo une commission de reacutevision qui dit oui et une Cour de reacutevision qui dit non crsquoest un
deacutesordre insupportable accompli crsquoest un trouble agrave lrsquoordre public qui ne comprend pas qui
nrsquoaccepte pas de tels atermoiements manifesteacutes par de grands eacutecarts drsquointerpreacutetation illisibles
incompreacutehensibles et souvent drsquoune grande cruauteacute raquo1 Dans lrsquoaffaire SEZNEC la Cour de
reacutevision a rejeteacute la requecircte appreacutecieacutee favorablement par la commission au motif que le doute
sur la culpabiliteacute nrsquoeacutetait pas eacutetabli Cette situation nous parait conforme agrave lrsquoesprit de la loi de
1989 et nrsquoa rien drsquoanormale La commission est laquo chargeacutee de filtrer celles-ci [les requecirctes]
en se prononccedilant sur leur recevabiliteacute et en assurant la mise en eacutetat des dossiers afin de
permettre leur examen par la Cour de reacutevision raquo2
283 La mise en eacutetat des dossiers srsquoeffectuait par la commission au moyen de
pouvoirs proches de ceux du juge drsquoinstruction La doctrine parlait de la commission de
reacutevision comme drsquoune juridiction drsquoinstruction3 Crsquoest ainsi que Monsieur Bertrand LOUVEL
remarque qursquo laquo il convient de rappeler la diffeacuterence de nature entre la commission de reacutevision
et la Cour de reacutevision la premiegravere est une juridiction drsquoinstruction la seconde une juridiction
de jugement Leur regard sur les faits est donc distinct et il nrsquoest pas anormal que lrsquoavis porteacute
sur des faits identiques puisse ecirctre diffeacuterent raquo4 Il poursuit son raisonnement en se reacutefeacuterant agrave
lrsquoinstruction ordinaire laquo De mecircme qursquoil appartient au juge drsquoinstruction drsquoordonner le renvoi
drsquoune personne mise en examen devant la juridiction lorsqursquoil estime que les faits qui lui sont
reprocheacutes constituent un deacutelit [hellip] ou constituent une infraction qualifieacutee crime par la loi [hellip]
il appartient agrave la juridiction de jugement de se prononcer en dernier lieu sur la reacutealiteacute de ces
infractions5 raquo Bien souvent les conclusions de culpabiliteacute de lrsquoinstruction ordinaire sont
contredites par la juridiction de jugement qui prononce agrave lrsquoeacutegard du preacutevenu ou de lrsquoaccuseacute
une deacutecision de relaxe ou drsquoacquittement6 Cette situation ne provoque aucune reacuteaction
neacutegative de nature agrave blacircmer les contradictions naturelles de la justice Cette attitude devrait se
retrouver dans le cas drsquoune dissonance entre les deacutecisions contradictoires de la commission et
de la Cour de reacutevision La comparaison peut paraicirctre asymeacutetrique srsquoagissant dans le premier
1 Rapport drsquoinformation op cit Contribution de Monsieur R AGRET p 171 2 Ibid Contribution de Monsieur V LAMANDA op cit p 181 3 V notamment H ANGEVIN Les demandeshellip op cit ndeg 2 E DE VALICOURT op cit p 215 4 Rapport drsquoinformation op cit Contribution de Monsieur B LOUVEL op cit p 227 5 Ibid 6 La commission de suivi de la deacutetention provisoire annonce pour lrsquoanneacutee 2005 1 100 cas de deacutetentions provisoires nrsquoayant pas donneacute lieu agrave une condamnation V Rapport drsquoinformation op cit Contribution de D INCHAUSPE p 157
120
cas drsquoune deacutecision drsquoinnocence et dans le second drsquoune confirmation de culpabiliteacute
Toutefois malgreacute cette diffeacuterence il srsquoagit drsquoaffirmer dans les deux cas la volonteacute drsquoeacuteviter le
preacute-jugement de lrsquoinstruction En deacutefinitive la saisine de la Cour de reacutevision par la
commission de reacutevision ne signifie pas que la reacutevision est acquise
284 La penseacutee du leacutegislateur relative agrave lrsquoeacutetendue de lrsquoaction du filtrage de la
commission se trouvait alteacutereacutee par lrsquoambiguumliteacute de la formule laquo les demandes qui paraissent
devoir ecirctre admises raquo En effet le texte preacutesentait le risque drsquoaccroicirctre le pouvoir de filtrage
de la commission en srsquoeacuteloignant ainsi de la ligne initialement traceacutee par le leacutegislateur
285 La seconde zone drsquoombre du texte concerne le rocircle de la commission de reacutevision
sect 2 Le rocircle mal deacutefini de la commission de reacutevision
286 Les ouvrages de proceacutedure peacutenale preacutesentent traditionnellement la commission
comme une juridiction drsquoinstruction et la Cour de reacutevision comme une juridiction de
jugement Cette distinction accreacutedite lrsquoideacutee drsquoune proceacutedure biceacutephale comprenant une phase
drsquoinvestigation secondeacutee drsquoune phase deacutecisionnelle Crsquoest drsquoailleurs en nous reacutefeacuterant agrave cette
distinction que lrsquoexistence de possibles divergences drsquoappreacuteciation entre la commission et la
Cour de reacutevision a pu ecirctre justifieacutee1 Lrsquoinstruction est au procegraves peacutenal laquo ce que les
fondations sont agrave une maison Les malfaccedilons qui laffectent entraicircnent geacuteneacuteralement
leffondrement du dossier et sont difficilement reacuteparables raquo2 Lrsquoinstruction se deacutefinit comme
une laquo mise en eacutetat preacutealable du dossier consistant agrave recueillir les indices de la commission des
faits reprocheacutes afin instruisant agrave charge et agrave deacutecharge drsquoidentifier la ou les personnes
susceptibles de les avoir commis agrave titre de coauteur ou de complices et dire si les dits indices
peuvent constituer des charges suffisantes pour renvoyer ces personnes devant une juridiction
de jugement ou au contraire aboutissent au prononceacute drsquoun non-lieu raquo3
287 Lrsquoancien article 623 du Code de proceacutedure peacutenale disposait laquo Apregraves avoir
proceacutedeacute directement ou par commission rogatoire agrave toutes recherches auditions
confrontations et veacuterifications utiles et recueilli les observations eacutecrites ou orales du
requeacuterant ou de son avocat et celles du ministegravere public cette commission saisit la chambre
criminelle qui statue comme cour de reacutevision des demandes qui lui paraissent pouvoir ecirctre
admises raquo Le leacutegislateur identifiait en quelque sorte lrsquoarticle 623 du Code de proceacutedure 1 V supra ndeg 282 et 283 2 F DESPORTES L LAZERGES-COUSQUER op cit p 8 3 S GUINCHARD J BUISSON op cit p 829
121
peacutenale au contenu du titre III du mecircme Code concernant les juridictions drsquoinstruction
particuliegraverement lrsquoarticle 81 qui dispose laquo le juge dinstruction procegravede conformeacutement agrave la
loi agrave tous les actes dinformation quil juge utiles agrave la manifestation de la veacuteriteacute (hellip) raquo
288 Bien que le leacutegislateur nrsquoavait pas jugeacute utile de faire expresseacutement ce parallegravele
les auteurs srsquoinspirant des deacutebats parlementaires preacuteceacutedant lrsquoadoption de la loi de 19891
avaient pris pour habitude de qualifier la commission de reacutevision de juridiction drsquoinstruction2
A premiegravere vue deux arguments permettaient drsquoadheacuterer agrave cette thegravese Premiegraverement les
relations entre la commission et la Cour de reacutevision eacutetaient proches de celles existant entre
une juridiction drsquoinstruction et une juridiction de jugement (A) Deuxiegravemement la
commission de reacutevision disposait de pouvoirs pouvant srsquoidentifier agrave ceux du juge drsquoinstruction
(B)
A Des fonctions proches de celles drsquoune juridiction drsquoinstruction
289 Les relations qursquoentretiennent les juridictions drsquoinstruction avec les juridictions
de jugement sont proches de celles qui pouvaient exister entre la commission et la Cour de
reacutevision Trois arguments soutenaient cette thegravese
290 Tout drsquoabord Madame le Professeur RASSAT deacutefinit lrsquoinstruction preacuteparatoire
dans la proceacutedure ordinaire comme laquo la recherche opeacutereacutee par une juridiction speacutecialiseacutee en
vue de deacuteterminer srsquoil existe des charges suffisantes pour justifier le renvoi en jugement des
personnes en cause raquo3 Lrsquoexpression laquo la recherche opeacutereacutee raquo fait eacutecho aux termes de lrsquoancien
article 623 du Code de proceacutedure peacutenale qui preacutecisait qursquo laquoapregraves avoir proceacutedeacute directement
ou par commission rogatoire agrave toutes recherches auditions confrontations et veacuterifications
utiles et recueilli les observations eacutecrites ou orales du requeacuterant ou de son avocat et celles du
ministegravere public raquo Les pouvoirs drsquoinvestigation de la commission se confondaient avec la
recherche que deacutecrit Madame le Professeur RASSAT Celle-ci parlant de laquo juridiction
speacutecialiseacutee raquo agrave propos de la juridiction drsquoinstruction ordinaire cette qualification peut ecirctre
eacutetendue agrave la commission de reacutevision En effet bien que figurant dans le reacutepertoire de la Cour
1 Devant le Seacutenat le rapporteur du projet de loi avait qualifieacute les pouvoirs de la commission de laquo veacuteritables preacuterogatives drsquoinstruction raquo propos rapporteacutes par H ANGEVIN op cit 2 V en ce sens H ANGEVIN Les demandes en reacutevision op cit ndeg 123 laquo Doteacutee de veacuteritables pouvoirs dinformation cette commission qui a seule celui de saisir la cour de reacutevision quand le recours lui paraicirct recevable et admissible exerce la fonction dune veacuteritable juridiction dinstruction en matiegravere de reacutevision raquo C MATHON op cit p9 laquo Elle est mal nommeacutee et devrait srsquoappeler la commission drsquoinstruction des demandes en reacutevision des condamnations peacutenales raquo 3 M-L RASSAT Traiteacute de proceacutedure peacutenale op cit ndeg 328
122
de cassation sous la rubrique laquo commission administrative raquo la commission de reacutevision srsquoeacutetait
deacuteclareacutee agrave lrsquooccasion de lrsquoexamen de QPC ecirctre une juridiction au sens de la Constitution1
De plus il srsquoagissait bien drsquoune juridiction speacutecialiseacutee puisque son domaine drsquointervention se
limitait agrave la reacutevision
291 Par rapport agrave lrsquoexpression laquo en vue de deacuteterminer srsquoil existe des charges
suffisantes raquo la commission de reacutevision srsquoinscrivait dans cette logique en veacuterifiant la
recevabiliteacute des requecirctes qui lui paraissent pouvoir ecirctre admises Les termes laquo pour justifier
le renvoi en jugement des personnes en cause raquo eacutevoquent ceux de lrsquoancien article 623 du Code
de proceacutedure peacutenale qui preacutevoyait que laquo cette commission saisit la chambre criminelle qui
statue comme cour de reacutevision raquo laquelle pouvait ensuite proceacuteder au laquo renvoi [des] accuseacutes
ou preacutevenus devant une juridiction de mecircme ordre et de mecircme degreacute mais autre que celle
dont eacutemane la deacutecision annuleacutee raquo Il existe donc bien une similitude au niveau des liens qui
pouvaient exister entre une juridiction drsquoinstruction et une juridiction de jugement et ceux
unissant les acteurs de la proceacutedure de reacutevision
292 Ensuite lrsquoancien article 625 alineacutea 1 du Code de proceacutedure peacutenale mentionne
lrsquolaquo affaire pas en eacutetat raquo concernant une requecircte transmise par la commission et dont lrsquoexamen
aurait eacuteteacute jugeacute incomplet par la Cour de reacutevision Une formulation presque identique se
retrouve dans le cadre de lrsquoinstruction preacuteparatoire ougrave il srsquoagit drsquoune laquo mise en eacutetat
preacutealable raquo2
293 Enfin les laquo recherches et veacuterifications utiles raquo preacutevues par lrsquoancien article 623 du
Code de proceacutedure peacutenale semblaient dans les faits se rapprocher des laquo actes drsquoinformations
utiles raquo de lrsquoarticle 81 du Code de proceacutedure peacutenale Par exemple des eacutecoutes teacuteleacutephoniques
sont des moyens drsquoinvestigations utiliseacutes par le juge drsquoinstruction comme par la commission
de reacutevision Les nombreuses mesures drsquoinformations mises en œuvre dans le cadre des
affaires RADDAD3 et SEZNEC4 sont lrsquoillustration drsquoun mode de fonctionnement proche de
celui du juge drsquoinstruction A la demande de la commission lrsquoaffaire RADDAD a donneacute lieu
agrave de nombreuses expertises (meacutedecins graphologues) et auditions Il srsquoagit bien lagrave
1 Commission de reacutevision 4 juillet 2013 ndeg 13REV078 Monsieur LOUVEL en conclut laquo Ainsi dans lrsquohypothegravese ougrave une QPC serait consideacutereacutee comme seacuterieuse la commission serait ameneacutee agrave la renvoyer agrave la chambre criminelle raquo V Rapport drsquoinformation op cit Contribution de Monsieur B LOUVEL op cit p 227 2 Le chapitre du manuel de Messieurs GUINCHARD et BUISSON consacreacute agrave lrsquoinstruction srsquointitule laquo La mise en eacutetat preacutealable du dossier de la proceacutedure lrsquoinstruction raquo op cit p 829 3 Comm reacutevision 25 juin 2001 ndeg 01-99012 Bull crim 2001 Comm reacutevision ndeg 157 V J-P BROUILLAUD laquo Point de vue sur lrsquoaffaire Omar Raddad raquo D 2003 Point de vue p 627 4Comm reacutevision 11 avr 2005 ndeg 01 REV 065 Bull crim 2005 Comm reacutevision ndeg 3
123
drsquoinvestigations figurant au laquo reacutepertoire ordinaire raquo1 des mesures prises par un juge
drsquoinstruction Crsquoest pourquoi nous partageons lrsquoanalyse de Monsieur Henri ANGEVIN qui
estime que laquo doteacutee de veacuteritables pouvoirs dinformation cette commission qui [avait] seule
celui de saisir la Cour de reacutevision quand le recours lui [paraissait] recevable et admissible
[exerccedilait] la fonction dune veacuteritable juridiction dinstruction en matiegravere de reacutevision raquo2
294 Le parallegravele avec une juridiction drsquoinstruction pouvait aussi srsquoexpliquer par une
convergence drsquoapparence entre les pouvoirs drsquoinvestigation de la commission et ceux du juge
drsquoinstruction
B Des pouvoirs proches de ceux du juge drsquoinstruction
295 Les pouvoirs drsquoinstruction revenaient le plus souvent agrave la commission
Neacuteanmoins la Cour de reacutevision en disposait eacutegalement3 En effet lrsquoancien article 625 du
Code de proceacutedure peacutenale preacutevoyait que laquo si la cour de reacutevision estime que laffaire nest pas
en eacutetat elle procegravede comme il est dit au sixiegraveme alineacutea de larticle 623 raquo Aussi la question
de lrsquoeacutetendue des pouvoirs drsquoinstruction pouvait-elle ressurgir au niveau de la Cour de
reacutevision4
296 Le leacutegislateur autorisait la commission agrave proceacuteder laquo directement ou par
commission rogatoire agrave toutes recherches auditions confrontations et veacuterifications utiles raquo
En comparaison agrave lrsquoarticle 81 du Code de proceacutedure peacutenale qui autorise le juge drsquoinstruction agrave
proceacuteder laquo conformeacutement agrave la loi agrave tous les actes drsquoinformation qursquoil juge utiles agrave la
manifestation de la veacuteriteacute raquo les pouvoirs de la commission bien que ressemblants eacutetaient
plus limiteacutes Ils proceacutedaient drsquoune eacutenumeacuteration plutocirct floue des actes mis agrave sa disposition (1)
Malgreacute cette impreacutecision il convient de deacuteterminer quels eacutetaient les actes concrets que la
commission pouvait ordonner et de deacutefinir dans le silence du texte la conduite agrave tenir en cas
de deacutecouverte de lrsquoimplication drsquoun tiers dans les faits reprocheacutes au demandeur (2)
1 Expression emprunteacutee agrave Messieurs GUINCHARD et BUISSON op cit ndeg 1856 2 H ANGEVIN op cit ndeg 123 3 Monsieur ANGEVIN utilise le terme de laquo mesures compleacutementaires drsquoinstruction raquo op cit ndeg 139 4 Dans la mesure ougrave la commission doit lui transmettre un dossier en eacutetat la Cour de reacutevision utilise plus rarement les pouvoirs drsquoinvestigations dont elle dispose Pour un exemple V Cass crim 26 feacutevrier 1997 ndeg 96-85082 Bull ndeg80
124
1 Le listage impreacutecis des pouvoirs drsquoinstruction de la commission
297 Il srsquoagit de deacutefinir les eacuteleacutements figurant dans la liste de lrsquoancien article 623 du
Code de proceacutedure peacutenale Srsquoagissant des recherches et veacuterifications la question peut se poser
de savoir si une perquisition ou une saisie se deacutefinissent comme tels De mecircme il y a lieu de
srsquointerroger sur la possibiliteacute drsquoeffectuer une comparaison ADN entre les empreintes
retrouveacutees sur des scelleacutees et celles figurant au fichier national automatiseacute des empreintes
geacuteneacutetiques1 ou encore sur la possibiliteacute de recourir agrave des eacutecoutes teacuteleacutephoniques2 Se reacutefeacuterant
au juge drsquoinstruction nous pourrions citer de nombreux exemples lieacutes aux moyens
drsquoinvestigations mis en œuvre par le magistrat instructeur Lrsquoeacutenumeacuteration approximative des
pouvoirs drsquoinvestigation de la commission placcedilait les magistrats de la commission face agrave un
laquo vide juridique sideacuterant et sideacuteralraquo3 Ces questions alimentaient une autre interrogation celle
de savoir agrave qui incombait lrsquoinitiative des actes drsquoinvestigations agrave la commission ou agrave son
rapporteur Pour ce qui est des auditions et confrontations le leacutegislateur nrsquoapportait aucune
information sur leur deacuteroulement
298 Se posait donc la question de la deacutecouverte par la commission de lrsquoimplication
drsquoun tiers ayant agi aux cocircteacutes du demandeur en reacutevision (qui demeure de facto coupable) ou agrave
la place de celui-ci (qui est de facto innocent)
2 Le silence sur la deacutecouverte de lrsquoimplication drsquoun tiers par la commission
299 Il srsquoagissait de lrsquohypothegravese dans laquelle au cours de ses investigations la
commission deacutecouvrait ou suspectait lrsquoidentiteacute du veacuteritable auteur des faits ou lrsquoapparition
drsquoun complice aux cocircteacutes de lrsquoauteur principal le demandeur Par exemple des reacuteveacutelations
importantes pouvaient ecirctre faites agrave lrsquooccasion drsquoune audition ou confrontation et apporter un
nouvel eacuteclairage sur lrsquoaffaire Un individu pouvait reconnaicirctre ecirctre lrsquoauteur des faits
injustement reprocheacutes au demandeur ou avouer avoir participeacute agrave la commission de lrsquoinfraction
comme complice ou coauteur La personne entendue pouvait aussi deacutenoncer un tiers
deacutesignant ainsi un nouveau suspect susceptible drsquoinnocenter le demandeur Enfin des
veacuterifications ou recherches pouvaient aboutir notamment en raison des progregraves de la science
agrave des soupccedilons de culpabiliteacute porteacutes sur un tiers et de nature agrave innocenter le demandeur
1 La commission srsquoy refusait V CNCDH Avis sur la reacutevision des condamnations peacutenales op cit ndeg 18 2 La commission estimait pouvoir recourir agrave cette mesure V Ibid ndeg 18 3 Rapport drsquoinformation op cit p 69
125
300 Au cours de lrsquoinstruction ordinaire lorsque des indices laissent preacutesager qursquoune
ou plusieurs personnes ont pu participer agrave la commission de lrsquoinfraction le juge drsquoinstruction
peut librement1 srsquointeacuteresser agrave ces individus nrsquoagissant pas dans le cadre drsquoune saisie in
personam2 Les teacutemoins ou les personnes soupccedilonneacutees beacuteneacuteficient drsquoun laquo encadrement
juridique protecteur des droits de la personne3 raquo Crsquoest dans ce cadre-lagrave que lrsquoinstruction
donne naissance aux statuts de teacutemoin assisteacute ou de mis en examen Le mis en examen peut
ecirctre maintenu dans certaines circonstances agrave la disposition de la justice au moyen du controcircle
judiciaire ou de la deacutetention provisoire deacutecideacutee par le juge des liberteacutes et de la deacutetention4 Or
contrairement agrave une juridiction drsquoinstruction la commission ne disposait pas en vertu des
textes de pouvoirs coercitifs privatifs de liberteacute De plus nrsquoagissant pas comme une autoriteacute
de poursuite elle ne pouvait pas appreacutecier les charges existantes contre un tiers
301 Lors de ses investigations la commission pouvait donc se retrouver dans une
position inconfortable Crsquoest ainsi qursquoelle eacutetait autoriseacutee agrave entendre une personne dont les
deacuteclarations recueillies au cours de son audition pouvaient ecirctre de nature agrave justifier sa laquo mise
en examen raquo Or le beacuteneacutefice de ce statut protecteur ne pouvait ecirctre octroyeacute que dans le cadre
drsquoune instruction preacuteparatoire Madame ANZANI ancienne preacutesidente de la commission de
reacutevision a drsquoailleurs exprimeacute ce malaise de la maniegravere suivante laquo On jongle On le fait
assister drsquoun avocat mais il nrsquoest pas mis en examen il nrsquoa pas accegraves au dossier raquo5 La
conduite de certaines auditions pouvait donc se transformer en un exercice drsquoeacutequilibriste
302 Dans lrsquohypothegravese ougrave une audition deacutebouchait sur un aveu la commission
interrompait ses investigations pour porter ces nouveaux eacuteleacutements agrave la connaissance du
parquet Celui-ci avait lrsquoentiegravere liberteacute drsquoouvrir ou de ne pas ouvrir une nouvelle information
judiciaire6 Or laquo la tentation pour lacteur de la chaicircne judiciaire qui intervient dans la
proceacutedure de confirmer purement et simplement la position de son preacutedeacutecesseur par confort
intellectuel ou par manque de temps nest manifestement pas un cas deacutecole dans le systegraveme
1 Il ne peut toutefois informer que sur des faits pour lesquels il a eacuteteacute saisi par un reacutequisitoire introductif ou suppleacutetif V article 80 CPP laquo Le juge dinstruction ne peut informer quen vertu dun reacutequisitoire du procureur de la Reacutepublique raquo 2 S GUINCHARD et J BUISSON op cit ndeg 1630 3 Expression emprunteacutee agrave Messieurs S GUINCHARD et J BUISSON 4 Ibid ndeg 1680 et s 5 Mission drsquoinformation relative agrave la reacutevision des condamnations peacutenales Audition de Madame M ANZANI 7 novembre 2013 Accessible sur httpvideosassemblee-nationalefrcommissionsrevision-des-condamnations-penales-mission 6 Solution identique dans lrsquoinstruction preacuteparatoire en cas de deacutecouverte de faits nouveaux par le juge drsquoinstruction Pour une illustration V Cass crim 4 juin 1996 Bull ndeg 230
126
judiciaire franccedilais raquo1 Ce risque eacutetait accentueacute lorsqursquoeacutetaient solliciteacutes les mecircmes acteurs du
dossier judiciaire et pouvait laisser penser que laquo la manifestation de la veacuteriteacute deacutepend de la
bonne ou mauvaise volonteacute des parquets et des enquecircteurs compeacutetents raquo2 En deacutefinitive les
zones drsquoombre de lrsquoancien article 623 du Code de proceacutedure peacutenale incitaient la commission agrave
une forme laquo drsquoautocensureraquo3 lors de ses investigations
303 Le vide juridique en cas drsquoimplication drsquoun tiers a particuliegraverement eacuteteacute ressenti
dans les affaires DILS et MACHIN
Dans lrsquoaffaire DILS le fait nouveau a eacuteteacute la deacutecouverte de la preacutesence sur les lieux au
moment des faits de Monsieur Francis HEAULME La commission a proceacutedeacute agrave lrsquoaudition de
lrsquointeacuteresseacute en srsquoentourant drsquoinfinies preacutecautions sachant qursquoune mise en examen eacutetait
impossible Lrsquoacquittement de Monsieur Patrick DILS nrsquoa pas eu lieu lors du premier procegraves
qui srsquoest tenu devant la juridiction de renvoi Son acquittement est intervenu plus tard en
appel devant la cour drsquoassises des mineurs du Rhocircne Ce nrsquoest qursquoapregraves ce verdict qursquoune
information a eacuteteacute ouverte agrave lrsquoencontre de Monsieur Francis HEAULME par le parquet de
Metz Il a donc fallu attendre lrsquoacquittement de Monsieur Patrick DILS pour ouvrir cette
information Il aurait eacuteteacute preacutefeacuterable drsquoordonner ce suppleacutement drsquoinformation au moment de la
deacutecouverte du fait nouveau
Dans lrsquoaffaire MACHIN le cas eacutetait diffeacuterent mais les mecircmes conclusions peuvent srsquoimposer
Un tiers avait avoueacute ecirctre lrsquoauteur du crime alors que Monsieur Marc MACHIN avait eacuteteacute
deacutefinitivement condamneacute pour ces faits Les aveux de Monsieur David SAGNO qui ont
donneacute lieu agrave une ouverture drsquoinformation srsquoinscrivaient en dehors du cadre drsquoune requecircte en
reacutevision Apregraves avis du parquet de Nanterre le Garde des sceaux a saisi de ce fait nouveau la
commission de reacutevision Le dossier drsquoinstruction concernant David SAGNO eacutetait deacutejagrave monteacute
au moment du lancement des investigations de la commission Agissant en aval de
lrsquoinstruction elle nrsquoa pas eacuteteacute agrave lrsquoorigine de la deacutecouverte du fait nouveau Ainsi il lui suffisait
drsquoattendre les reacutesultats de lrsquoenquecircte en cours Dans la pratique un eacutechange drsquoinformations a
eu lieu entre la commission et le magistrat instructeur4 Toutefois Monsieur Marc MACHIN
nrsquoa pas eacuteteacute aussitocirct innocenteacute apregraves la condamnation de David SAGNO La Cour de reacutevision
1 Assembleacutee Nationale Rapport ndeg 3125 au nom de la commission drsquoenquecircte chargeacutee de rechercher les causes des dysfonctionnements de la justice dans lrsquoaffaire dite drsquoOutreau et de formuler des propositions pour eacuteviter leur renouvellement p 277 2 Rapport drsquoinformation op cit Contribution de Madame M RADENNE op cit p 213 3 Ibid 4 Commission des Lois Audition de Madame ANZANI
127
saisie par la commission a reacuteexamineacute le dossier pour le renvoyer devant une cour drsquoassises
qui a finalement pu innocenter Marc MACHIN La question se pose de savoir si un tel
parcours judiciaire reacutepondait vraiment agrave lrsquoesprit de la reacutevision
304 Les zones drsquoombre du texte empecircchaient donc de deacuteterminer avec preacutecision la
ligne de deacutemarcation qui seacuteparait les deux organes Cette impreacutecision a eu pour conseacutequence
de transformer la nature des rapports qursquoentretenaient la commission et la Cour de reacutevision Il
en a reacutesulteacute un chevauchement de compeacutetences rendant difficile de savoir laquo qui faisait quoi raquo
Section 2 La transformation des relations entre la
commission et la Cour de reacutevision
305 Dans la pratique du filtrage la commission manifestait une seacuteveacuteriteacute plus
importante que celle qui eacutetait voulue par le leacutegislateur provoquant un eacutelargissement de son
champ de compeacutetences en empieacutetant sur celui de la Cour de reacutevision (sect 1) Cette pratique
inspireacutee par la jurisprudence nrsquoeacutetait pas sans conseacutequences sur le deacuteroulement de la proceacutedure
de reacutevision (sect 2)
sect1 Le filtrage seacutevegravere de la commission
306 Srsquoagissant de lrsquoeacutetendue du filtrage les intentions du leacutegislateur ont eacuteteacute
malmeneacutees (A) de sorte que lrsquoon se trouvait confronteacute agrave un chevauchement de compeacutetences
entre la commission et la Cour de reacutevision Sous cette influence persistante la Cour de
reacutevision srsquoeacutetait progressivement transformeacutee en juridiction de controcircle de la commission (B)
A La mauvaise interpreacutetation des intentions du leacutegislateur
307 Drsquoune part lors de lrsquoexamen du fait nouveau ou de lrsquoeacuteleacutement inconnu la
commission allait au-delagrave des souhaits du leacutegislateur en faisant montre drsquoune grande seacuteveacuteriteacute
quant agrave la pertinence des faits ou eacuteleacutements invoqueacutes (1) Drsquoautre part apregraves avoir eacutetabli cette
pertinence elle srsquoemparait de la question relative au doute que pouvait faire naicirctre le fait
nouveau ou lrsquoeacuteleacutement inconnu sur la culpabiliteacute du demandeur (2)
128
1 Un regard seacutevegravere sur le fait nouveau et lrsquoeacuteleacutement inconnu
308 Premiegraverement la commission rejetait toute demande qui se fondait sur un
eacuteleacutement connu mais non deacutebattu bien qursquoil ait pu srsquoagir drsquoun eacuteleacutement deacuteterminant (a)
Deuxiegravemement la reconnaissance de la pertinence du fait nouveau ou de lrsquoeacuteleacutement inconnu
eacutetait subordonneacutee agrave des exigences plutocirct restrictives (b)
a Le rejet des demandes fondeacutees sur un eacuteleacutement connu mais non deacutebattu
309 La commission estimait qursquoun eacuteleacutement mecircme deacuteterminant qui figurait au dossier
sans pour autant avoir eacuteteacute deacutebattu devait ecirctre consideacutereacute comme connu Degraves lors qursquoil en avait
eacuteteacute fait mention au dossier cet eacuteleacutement bien qursquoabsent des deacutebats nrsquoeacutetait pas consideacutereacute
comme laquo inconnu de la juridiction au jour du procegravesraquo En effet les magistrats professionnels
en avaient connaissance au moment de la communication du dossier Crsquoest ainsi qursquoune
requecircte en reacutevision fondeacutee sur un eacuteleacutement connu mais non deacutebattu mecircme srsquoil eacutetait de nature agrave
faire naicirctre un doute sur la culpabiliteacute eacutetait deacuteclareacutee irrecevable En pratique il pouvait srsquoagir
drsquoun eacuteleacutement ignoreacute par le juge drsquoinstruction ou omis par lrsquoavocat de la deacutefense ou bien
encore drsquoun indice qui avait eacutechappeacute agrave la vigilance des magistrats professionnels Ces
eacuteleacutements du dossier nrsquoeacutetaient donc pas porteacutes agrave la connaissance des jureacutes drsquoassises qui
prennent leur deacutecision sur la base des deacutebats drsquoaudience
310 La doctrine dans sa majoriteacute soutenait cette exclusion en estimant que
lrsquoadmission de lrsquoeacuteleacutement non deacutebattu reviendrait agrave reconnaicirctre comme moyen drsquoouverture le
laquo mal-jugeacute raquo alors que la proceacutedure de reacutevision nrsquoa vocation agrave reacuteparer que les seules erreurs de
fait1 Ainsi la fermeture de la reacutevision agrave lrsquoeacuteleacutement non deacutebattu a pour origine la volonteacute de ne
pas rejouer le procegraves devant la Cour de reacutevision qui ne constitue pas un troisiegraveme degreacute de
juridiction A deacutefaut la reacutevision serait assimileacutee agrave lrsquoappel qui permet deacutejagrave de soulever des
eacuteleacutements connus du dossier et non deacutebattus en premiegravere instance
311 Toutefois lrsquointroduction en 1989 aux cocircteacutes du fait nouveau de lrsquoeacuteleacutement
inconnu aurait ducirc permettre selon nous de reconsideacuterer la situation En effet leacuteleacutement
devait avoir eacuteteacute laquo inconnu de la juridiction au jour du procegraves raquo Une interpreacutetation de lrsquoancien
article 622 4deg du Code de proceacutedure peacutenale permet drsquoaffirmer que le fait laquo se produit raquo et que
lrsquoeacuteleacutement laquo se reacutevegravele raquo Ceci signifie que bien que deacutejagrave connu lrsquoeacuteleacutement peut ecirctre reacuteveacuteleacute
posteacuterieurement agrave la condamnation Monsieur MATHON deacuteclare que laquo lrsquoexpression non
1 Rapport drsquoinformation op cit p 80
129
deacutebattu nrsquoest pas bonne raquo parce qursquoelle creacuteeacutee une confusion en introduisant faussement au
niveau de la reacutevision lrsquoideacutee du mal-jugeacute Crsquoest pourquoi Monsieur MATHON propose de
parler plutocirct drsquolaquo un eacuteleacutement qui vient agrave se reacuteveacuteler et qui si il avait eacuteteacute pris en consideacuteration
lors du procegraves aurait vraisemblablement entraineacute un verdict diffeacuterent raquo Cette deacutefinition a
pour avantage drsquoeacutepouser le concept de reacuteveacutelation preacutevu par le leacutegislateur srsquoagissant de
lrsquoeacuteleacutement1 La reacuteveacutelation transcende le distinguo entre connu et inconnu une chose connue
pouvant ecirctre reacuteveacuteleacutee par la suite
312 Ensuite pour ses opposants lrsquoadmission de ce moyen drsquoouverture laisserait agrave
penser qursquoun nombre important de condamneacutes pourrait exhumer malicieusement de leur
dossier certains eacuteleacutements non deacutebattus et ainsi multiplier inutilement le nombre des pourvois
en reacutevision Sont particuliegraverement viseacutees les affaires financiegraveres qui selon Monsieur MARIN
pourraient constituer une laquo source de difficulteacutes inextricables raquo2 Toutefois Maicirctre
FLORAND a relativiseacute cette crainte en raison du peu de chance qursquoil existe de trouver encore
un eacuteleacutement non deacutebattu apregraves une condamnation deacutefinitive3 En effet le jeu des voies de
recours ordinaires permet tregraves souvent drsquoexplorer au beacuteneacutefice du suspect tous les arcanes du
dossier Il semble difficile drsquoimaginer un justiciable se garder volontairement drsquoinvoquer un
eacuteleacutement au cours de son parcours judiciaire afin de se meacutenager avec la reacutevision une ultime
porte de sortie
313 Enfin pour ses pourfendeurs lrsquoirrecevabiliteacute de lrsquoeacuteleacutement non deacutebattu trouverait
sa justification dans le fait que le pourvoi en reacutevision nrsquoa pas pour vocation de pallier les
deacutefaillances des acteurs du procegraves Cet argument ne nous parait pas convaincant lrsquoerreur
judiciaire eacutetant souvent le reacutesultat drsquoune laquo succession de deacutefaillances raquo4 drsquoordres tregraves divers
Pour preuve le rapport de la commission drsquoenquecircte mise en place suite agrave lrsquoaffaire dite
drsquoOutreau a reacutealiseacute dans sa premiegravere partie la laquo radiographie drsquoun deacutesastre judiciaire raquo
Srsquoagissant du juge drsquoinstruction le rapport parle de laquo contradictions nombreuses mais
ignoreacutees raquo5 laquo drsquoeacuteleacutements agrave deacutecharge parfois eacutecarteacutes raquo6 Du cocircteacute des avocats de la deacutefense
Maicirctre DUPONT-MORETTI signale qursquo laquo il a existeacute des dysfonctionnements parmi les
1 Elle srsquoinspire du Statut du tribunal peacutenal international pour lrsquoex Yougoslavie (article 26) et du Statut de la Cour peacutenale internationale (article 84) qui visent respectivement laquo la deacutecouverte drsquoun fait nouveau lors du procegraves et qui aurait pu ecirctre un eacuteleacutement deacutecisif de la deacutecision raquo et laquo la deacutecouverte drsquoun fait nouveau qui nrsquoeacutetait pas connu au jour du procegraves et qui srsquoil avait eacuteteacute eacutetabli aurait vraisemblablement entraineacute un verdict diffeacuterent raquo 2 Assembleacutee Nationale Rapport drsquoinformation op cit Contribution de Monsieur J-C MARIN p 125 3 Commission des Lois Audition de Maicirctre FLORAND 4 Assembleacutee Nationale Rapport ndeg 3125 op cit p 237 5 Ibid p 118 6 Ibid p 130
130
avocats raquo1 Le rapport conclut que laquo si les dysfonctionnements en amont de la chaicircne
judiciaire sont une reacutealiteacute ils nont pas eacuteteacute corrigeacutes par les instances de controcircle ulteacuterieur
[hellip]Ces deacutefaillances sexpliquent eacutegalement plus largement par labsence dune culture de
controcircle raquo2 Heureusement dans lrsquoaffaire dite drsquoOutreau les deacutefaillances des acteurs ont eacuteteacute
reacuteveacuteleacutees avant que la deacutecision ne devienne deacutefinitive Il nrsquoen reste pas moins vrai que les
dysfonctionnements de la justice peuvent exister et ecirctre deacutecouverts apregraves une condamnation
deacutefinitive
314 Degraves lors il nous semble injuste drsquoaccabler le condamneacute deacutefinitif victime drsquoune
eacuteventuelle deacutefaillance du magistrat instructeur ou de son avocat Il parait difficile drsquoeacutecarter
toute possibiliteacute de reacutevision au seul motif que les eacuteleacutements non deacutebattus eacutetaient connus mais
mal exploiteacutes agrave un moment de la proceacutedure Cette situation est encore plus deacuterangeante
lorsque ces eacuteleacutements inexploiteacutes font naicirctre apregraves leur reacuteveacutelation un doute sur la culpabiliteacute
du condamneacute Pourtant srsquoagissant de la CNCDH la commission ne devait pas proceacuteder agrave
laquo un nouvel examen des charges sur lesquelles la juridiction a fondeacute sa conviction de la
culpabiliteacute raquo3 Or la conviction en matiegravere criminelle est celle des jureacutes drsquoassises qui se
fondent uniquement sur les eacuteleacutements deacutebattus et la deacutecision de culpabiliteacute ne procegravede que du
deacutebat Or la reacuteveacutelation drsquoun eacuteleacutement figurant au dossier mais non deacutebattu peut influer sur le
verdict4 En effet les jureacutes auraient pu une fois cet eacuteleacutement connu prononcer un verdict
diffeacuterent voire un acquittement Crsquoest pourquoi drsquoaucuns souhaitent que lrsquoeacuteleacutement non
deacutebattu puisse agrave certaines conditions donner lieu agrave reacutevision Maicirctres NOACHOVITCH et
FLORAND ou encore Messieurs COTTE et BILGER indiquent que laquo si cet eacuteleacutement peut
eacuteviter une erreur judiciaire il parait difficile de lrsquoignorer raquo5
315 Lors de son audition devant la Commission des lois Monsieur BILGER
magistrat honoraire a citeacute lrsquoexemple de lrsquoaffaire DEPERROIS pour deacutemontrer lrsquointeacuterecirct de
lrsquoadmission de lrsquoeacuteleacutement non deacutebattu comme un eacuteleacutement nouveau6 Dans cette affaire dite de
laquo la Josacine empoisonneacutee raquo certains eacuteleacutements contenus dans les eacutecoutes teacuteleacutephoniques
nrsquoavaient pas eacuteteacute exploiteacutes laquo ni par le magistrat instructeur pas plus que par la deacutefense ni au
1 Ibid p 212 2 Ibid p 237 3 CNCDH Avis sur la reacutevision des condamnations peacutenales en cas drsquoerreur judiciaire op cit ndeg 14 4 Commission des lois Reacuteunion du 19 feacutevrier 2014 agrave 10 heures Intervention de Monsieur P MOLAC 5 Rapport drsquoinformation op cit Contribution de Monsieur B COTTE op cit p 199 6 Mission drsquoinformation relative agrave la reacutevision des condamnations peacutenales Audition de Monsieur Ph BILGER 3 octobre 2013 accessible sur httpvideosassemblee-nationalefrcommissionsrevision-des-condamnations-penales-mission
131
cours du procegraves drsquoassises raquo1 En particulier Monsieur Jean-Michel DUMAY a releveacute une
phrase adresseacutee au pegravere de la victime par lrsquoun de ses amis laquo Tu vas passer agrave la teacuteleacute toi avec
ton produit quta mis dans la Josacine raquo2 Cet eacuteleacutement passeacute sous silence lors des deacutebats
devant la cour drsquoassises a eacuteteacute agrave lrsquoorigine drsquoune demande en reacutevision Celle-ci a eacuteteacute rejeteacutee au
motif qursquoil ne srsquoagissait pas drsquoun eacuteleacutement inconnu mais simplement drsquoun eacuteleacutement non deacutebattu
Pourtant cet eacuteleacutement une fois deacutebattu aurait peut-ecirctre pu changer le cours du procegraves Pour
Maicirctre ROSANO laquo sa prise en compte aurait permis drsquoenvisager une autre issue au procegraves raquo3
316 La seacuteveacuteriteacute de la commission srsquoexpliquait par lrsquoignorance de la piste de la
reacuteveacutelation et par une interpreacutetation stricte du mot laquo inconnu raquo isoleacutee du contexte (connu du
dossier mais inconnu des jureacutes) Or une interpreacutetation dynamique du texte aurait permis de
mieux se conformer agrave lrsquoesprit de la loi laquo marqueacute par une tendance constante agrave ouvrir de plus
en plus libeacuteralement la reacutevision au deacutetriment du respect de la chose jugeacutee raquo4 A nos yeux le
leacutegislateur a fait reacutefeacuterence en 1989 agrave la reacuteveacutelation de lrsquoeacuteleacutement inconnu pour entrevoir une
ouverture vers lrsquoeacuteleacutement non deacutebattu
317 Enfin il apparaissait difficile drsquoapporter la preuve qursquoun eacuteleacutement ait eacuteteacute ou non
deacutebattu En effet devant les tribunaux correctionnels les deacutebats ne font lrsquoobjet drsquoaucun
enregistrement sonore ni audiovisuel Srsquoagissant des cours drsquoassises la motivation reste
lacunaire et eacutetait drsquoailleurs inexistante jusqursquoen 2012 Lors de son audition Maicirctre
FOUSSARD a eu lrsquooccasion de deacuteclarer que laquo lrsquoincapaciteacute de la commission [hellip] agrave acqueacuterir
la certitude qursquoun fait nrsquoeacutetait pas connu de la juridiction de fond conduit agrave preacutesumer qursquoil
lrsquoeacutetait et donc agrave rejeter un certain nombre de demandes faute drsquoinformation suffisante raquo En
drsquoautres termes les imperfections de la proceacutedure peacutenale srsquoaveacuteraient preacutejudiciables aux
inteacuterecircts du demandeur en reacutevision
318 La seacuteveacuteriteacute de la commission se manifestait eacutegalement par rapport agrave un haut degreacute
drsquoexigences relatives au fait nouveau et agrave lrsquoeacuteleacutement inconnu
b Les exigences relatives au fait nouveau et agrave lrsquoeacuteleacutement inconnu
318 La commission de reacutevision qui ne se limitait pas agrave acter la reacutealiteacute du fait portait
eacutegalement un regard veacutetilleux sur la pertinence du fait nouveau ou de lrsquoeacuteleacutement inconnu
1 Ibid Contribution de Madame V ROSANO op cit p 273 2 Documentation accessible sur wwwdeperroisfreefr 3 Rapport drsquoinformation op cit Contribution de Madame V ROSANO op cit p 273 4 H ANGEVIN La reacuteformehellip op cit ndeg 3
132
Primo elle avait tendance agrave restreindre le peacuterimegravetre du fait nouveau susceptible de revecirctir de
multiples facettes La qualiteacute de fait nouveau aurait pu ecirctre reconnue agrave lrsquoapparition de
nouvelles conclusions obtenues lors drsquoune reconstitution priveacutee ou drsquoune expertise priveacutee1
Pourtant ces moyens nrsquoavaient que peu de chances drsquoaboutir devant la commission de
reacutevision2
Secundo elle avait de fortes exigences concernant le critegravere de la pertinence du fait nouveau
ou de lrsquoeacuteleacutement inconnu Prenons lrsquoexemple du rejet en 2005 de la requecircte formuleacutee par
Monsieur TURQUIN Le veacuteteacuterinaire niccedilois a eacuteteacute condamneacute pour le meurtre de son fils dont la
deacutepouille nrsquoa jamais eacuteteacute deacutecouverte La requecircte en reacutevision se fondait sur le teacutemoignage du
deacutetenu Pierre BUCHEIT qui avait livreacute les confidences drsquoun codeacutetenu qui srsquoeacutetait vanteacute davoir
fait emprisonner un laquo docteur pour animaux raquo agrave Nice Celui-ci expliquait que durant la nuit de
la disparition de lenfant il se trouvait en compagnie drsquoun complice agrave bord drsquoune voiture
voleacutee afin drsquoeffectuer une reconnaissance preacutealable agrave un cambriolage Selon ses dires son
veacutehicule qui circulait devant la villa des TURQUIN a percuteacute lrsquoenfant qui tueacute sur le coup se
trouvait sur la route en pyjama Lrsquoauteur de lrsquoaccident aurait placeacute le corps de lrsquoenfant dans
son veacutehicule afin de le transporter vers une cimenterie pregraves de Marseille ougrave il a eacuteteacute abandonneacute
Pierre BUCHEIT a par peur de repreacutesailles toujours refuseacute de livrer lrsquoidentiteacute de lrsquoauteur des
faits ce qui lui a valu drsquoecirctre condamneacute de maniegravere surprenante3 pour laquo absence de
teacutemoignage en faveur drsquoune personne que lrsquoon sait innocente des faits pour lesquels elle est
poursuivie ou condamneacute raquo4 Malgreacute la laquo vraisemblance raquo5 et la laquo creacutedibiliteacute raquo6 des reacuteveacutelations
rapporteacutees par Monsieur Pierre BUCHEIT la commission de reacutevision a rejeteacute la demande
sans ordonner aucune information compleacutementaire Madame le Professeur RASSAT srsquoeacutetait
trouveacutee surprise par cette solution qursquoelle laquo a un certain mal agrave comprendre raquo7 en concluant
que laquo laffaire Turquin apparaicirct comme un caillou dans la chaussure de la justice caillou qui
risque un jour (en un certain sens il faut le souhaiter pour J-L Turquin) de se transformer en
bombe et que cette justice gagnerait beaucoup agrave eacuteliminer raquo8
1 Comm reacutevision 16 deacutec 2002 Bull ndeg 2 2 Rapport drsquoinformation op cit Contribution M FLORAND op cit p 167 Sur lrsquoexpertise V H ANGEVIN Les demandes en reacutevision op cit ndeg 90-93 3 Pour une critique de la condamnation de P BUCHEIT V M-L RASSAT Lrsquoinfraction drsquoabsence de teacutemoignage en faveur drsquoun innocent une nouvelle peacuteripeacutetie de lrsquoaffaire TURQUIN JCP 2005 II p 10065 4 CA Nancy 4e ch corr 2 feacutevr 2005 Min publ c Bucheit Juris-Data ndeg 2005-269407 5 V sur ce point lrsquoanalyse de M-L RASSAT laquo Lrsquoinfraction drsquoabsencehellip raquo op cit 6 Ibid 7 Ibid 8 Ibid
133
319 A la seacuteveacuteriteacute inheacuterente agrave la reconnaissance du fait nouveau ou de lrsquoeacuteleacutement
inconnu srsquoajoutait la difficulteacute lieacutee au fait que la commission srsquoeacutetait empareacutee de lrsquoeacutetude de
lrsquoanalyse du doute sur la culpabiliteacute
2 Lrsquoappreacuteciation du doute par la commission
320 La requecircte susceptible drsquoecirctre prise en compte (donc qui nrsquoeacutetait pas manifestement
irrecevable) eacutetait examineacutee au fond par la commission Or la commission avait tendance agrave
srsquoemparer de la question du doute prenant ainsi quelques liberteacutes par rapport aux intentions
du leacutegislateur
321 En 1991 soit deux anneacutees apregraves la mise en œuvre de la loi de 1989 Monsieur
Henri ANGEVIN notait que laquo la commission de reacutevision se [montrait] dune extrecircme
prudence mdash et lon ne saurait que len approuver mdash quant agrave lappreacuteciation du laquo doute raquo que
[pouvait] faire naicirctre le fait ou eacuteleacutement dont la nouveauteacute [eacutetait] eacutetablie et quelle [estimait]
que cette appreacuteciation agrave moins que leacuteleacutement nouveau soit manifestement sans rapport avec la
culpabiliteacute ou linnocence du demandeur [relevait] de la compeacutetence de la Cour de
reacutevision raquo1 Il est reacuteel qursquoagrave cette eacutepoque la plupart des attendus de la commission de reacutevision
eacutetaient formuleacutes de maniegravere explicite Il eacutetait ainsi indiqueacute que laquo compte tenu de cet eacuteleacutement
inconnu de la juridiction au jour du procegraves la demande en reacutevision paraicirct pouvoir ecirctre
admise raquo2
322 Mais agrave lrsquoeacutepreuve du temps la position de la commission srsquoest rigidifieacutee A la
lecture de certaines de ses deacutecisions il semble que le doute intervenait au niveau des
motivations des deacutecisions de rejet comme de transmission3 Dans une deacutecision de 2007 la
commission srsquoeacutetait prononceacutee de la maniegravere suivante laquo Attendu quil reacutesulte de ce qui
preacutecegravede que certains des eacuteleacutements de fait invoqueacutes agrave lappui de la demande en reacutevision ne
sont pas nouveaux ayant eacuteteacute connus lors des deacutebats devant la cour dassises et que ceux qui
pourraient ecirctre tenus pour nouveaux ne sont pas de nature agrave faire naicirctre un doute sur la
culpabiliteacute du condamneacute raquo4 Cet attendu deacutevoile clairement que la commission srsquointeacuteressait agrave
la fois au caractegravere nouveau du fait et au doute que celui-ci faisait rejaillir sur la culpabiliteacute du
condamneacute
1 H ANGEVIN laquo Premiegraveres applicationshellip raquo op cit ndeg 11 22 Comm reacutevision 9 mai 1994 ndeg 93-84852 Comm reacutevision 3 juin 1996 no 00-96016 3 V par exemple Comm reacutevision 12 juin 2006 ndeg 05 REV 071 Comm reacutevision 29 sept 2008 ndeg 08 REV 031 4 Comm reacutevision 19 mars 2007 ndeg 05 REV 084
134
323 Monsieur Henri ANGEVIN a eacutecrit quelques anneacutees plus tard laquo la commission
qui [devait] deacuteterminer si la demande [paraissait] pouvoir ecirctre admise [appreacuteciait] la
possibiliteacute drsquoun doute sur la culpabiliteacute du requeacuterant1 raquo Quant agrave Madame DE VALICOURT
elle considegravere qursquo laquo agrave lrsquoanalyse de la jurisprudence on constate que le controcircle effectueacute par la
Commission ne se [limitait] pas agrave un controcircle minimum de leacutegaliteacute mais qursquoelle [effectuait]
un controcircle a maxima du doute2 raquo
324 Dans la pratique lrsquoambiguiumlteacute du texte de 1989 avait servi de catalyseur agrave
lrsquoappeacutetence de la commission Se pose donc la question de savoir sur quel doute reposaient les
exigences de la commission Etaient-elles semblables agrave celles de la Cour de reacutevision ou la
commission se satisfaisait-elle drsquoun doute alleacutegeacute Dans lrsquoaffirmative comment eacutetait-t-il
possible de mesurer lrsquointensiteacute du doute acceptable et de le distinguer des exigences de la
Cour de reacutevision En reacuteponse agrave toutes ces questions relatives au partage de lrsquoexamen du
doute entre la commission et la Cour de reacutevision il est difficile mecircme si pour Maicirctre
NOACHOVITCH laquo la commission de reacutevision ne renvoie devant la Cour de reacutevision que si
elle est convaincue du doute seacuterieux raquo3 drsquoapporter une solution purement juridique La
logique voudrait que la commission agissant comme instance de filtrage appreacutecie plus
souplement le doute que la Cour de reacutevision Toutefois il parait difficile de mesurer la
subjectiviteacute du doute Cette observation deacutejagrave faite au sujet de la Cour de reacutevision4 est donc
reformuleacutee agrave lrsquoadresse de la commission Crsquoest ainsi que le doublement de lrsquoexamen du doute
ne faisait qursquoaggraver les difficulteacutes relatives agrave son eacutevaluation
325 Lrsquoaffaire RANUCCI dont la derniegravere demande en reacutevision a eacuteteacute rejeteacutee en 1991
illustre bien le malaise qui pouvait en deacutecouler Dans lrsquoaffaire RANUCCI la commission de
reacutevision a rejeteacute le 29 novembre 1991 la requecircte en reacutevision en eacutecartant un agrave un les eacuteleacutements
nouveaux produits par la deacutefense Dans sa deacutecision inaccessible dans sa version inteacutegrale
elle srsquoest deacutetermineacutee notamment par rapport agrave une laquo deacutefaillance de meacutemoire onze ans apregraves
les faits raquo Madame le Professeur RASSAT dans son propos au sujet de la peine de mort
eacutevoque le doute qui pegravese sur lrsquoaffaire RANUCCI Pourtant celui-ci nrsquoa pas eacuteteacute pris en compte
par la commission lui reprochant sucircrement certaines faiblesses laquo Le problegraveme dune
exeacutecution sil se posait ne peut concerner que des individus dont on est certain quils ont bien
commis les faits quon leur reproche raison pour laquelle quel que soit le caractegravere farfelu de
1 H ANGEVIN Les demandes en reacutevision op cit ndeg 112 2 E DE VALICOURT op cit p 199 3 Ibid Contribution de S NOACHOVITCH op cit p 193 4 V supra ndeg 230 agrave 238
135
cette histoire de pull-over rouge il ne fallait pas exeacutecuter Christian RANUCCI raquo1 Dans son
plaidoyer pour labolition de la peine de mort devant lrsquoAssembleacutee Nationale le Garde des
Sceaux Monsieur BADINTER a aussi eacutevoqueacute lrsquoaffaire RANUCCI en mettant lrsquoaccent sur le
doute quant agrave la culpabiliteacute du condamneacute agrave mort laquo Christian RANUCCI je naurais garde
dinsister il y a trop dinterrogations qui se legravevent agrave son sujet et ces seules interrogations
suffisent pour toute conscience eacuteprise de justice agrave condamner la peine de mort 2raquo La
commission nous semble-t-il a fait preuve de seacuteveacuteriteacute et a peut-ecirctre pris certaines liberteacutes
avec lrsquoesprit de la loi en refusant de transmettre le dossier agrave la Cour de reacutevision
Surmeacutediatiseacutee lrsquoaffaire du pull-over rouge srsquoest compliqueacutee au fil du temps et a susciteacute de
nombreux deacutebats utiles ou moins utiles agrave la manifestation de la veacuteriteacute pour deacuteboucher
aujourdrsquohui sur un veacuteritable imbroglio judiciaire La commission aurait malgreacute tout ducirc
laisser prospeacuterer le recours jusqursquoagrave la Cour de reacutevision charge agrave cette derniegravere de le rejeter
326 Mecircme si lrsquoerreur judiciaire ne conduit plus agrave lrsquoeacutechafaud laquo lappreacuteciation du
doute sur la culpabiliteacute [aurait ducirc] ecirctre lapanage de la Cour de reacutevision juge de la valeur du
fait nouveau et aussi de sa deacutefinition Quant agrave la commission elle [aurait ducirc] avoir pour seule
tacircche de controcircler la recevabiliteacute de la demande ce qui implique lappreacuteciation du caractegravere
nouveau ou non du fait invoqueacute raquo3 Lrsquointeacuterecirct que portait la commission au doute lui permettait
drsquoeacutelargir son champ de compeacutetence en srsquoarrogeant un rocircle plus deacuteterminant que souhaiteacute dans
son pouvoir de filtrage Elle effectuait un choix au moment de sa deacutecision alors que
lrsquoobligation de transmission srsquoimposait en cas de fait nouveau ou drsquoeacuteleacutement inconnu jugeacute
fiable
327 Le doute qui constituait le critegravere de transmission des demandes agrave la Cour de
reacutevision avait pour conseacutequence de fragiliser la pertinence de lrsquoargumentation deacutecrivant la
commission comme une juridiction drsquoinstruction4 puisque les deacutecisions de la commission se
situaient agrave la lisiegravere de celles qui sont rendues par une juridiction de jugement En poussant ce
raisonnement agrave lrsquoextrecircme on aurait pu consideacuterer que les missions drsquoinstruction et de
jugement eacutetaient concentreacutees entre les mains drsquoun mecircme pouvoir Cette situation srsquooppose agrave la
1 M-L RASSAT laquo Mort de la peine de mort raquo (hellip) op cit 2 Assembleacutee Nationale Seacuteance du 17 septembre deacutebats accessibles sur httpwwwassemblee-nationalefrevenementsJO-debatsP1140PDF 3 W JEANDIDIER op cit p 1245 4 Sur le rocircle du juge drsquoinstruction V F-LCOSTE Lrsquoinstruction agrave la recherche des fondamentaux AJ Peacutenal 2010 p 422 Lrsquoauteur qualifie le juge drsquoinstruction de laquo juge des moyens sur lesquels laccusation et la deacutefense entendent se fonder raquo et preacutecise qursquo laquo instruire nest pas juger la cause raquo
136
regravegle de la seacuteparation des fonctions drsquoinstruction et jugement selon laquelle tout acte
dinstruction est incompatible avec la mission du jugement1
328 La liberteacute prise par la commission eacutetait de nature agrave compliquer les rapports
entretenus avec la Cour de reacutevision et agrave creacuteer une confusion des genres Il se deacutegageait
lrsquoimpression que les juridictions de reacutevision crsquoest-agrave-dire la commission et la Cour de reacutevision
fonctionnaient comme un double degreacute de juridiction Une fois destinataire drsquoune demande
de reacutevision transmise par la commission la Cour de reacutevision pouvait se transformer en
juridiction de controcircle
B La transformation de la Cour de reacutevision en juridiction de
controcircle
329 Lrsquoeacutelargissement des compeacutetences de la commission a eacuterigeacute la Cour de reacutevision en
une juridiction de controcircle Selon les affaires elle controcirclait soit le doute sur la culpabiliteacute (1)
soit lrsquoinnocence (2)
1 Le controcircle du doute sur la culpabiliteacute
330 La commission srsquoeacutetant deacutejagrave saisie du doute la question se posait en cas de
transmission de la requecircte de savoir ce que la Cour de reacutevision pouvait faire de plus En effet
laquo qursquoon le veuille ou non et mecircme si officiellement [crsquoeacutetait] la Cour de reacutevision qui [deacutecidait]
srsquoil y [avait] un doute ou non au sens de la loi il y [avait] un double controcircle du doute ce qui
[eacutetait] insupportable pour le justiciable raquo2
331 En pratique le doute eacutetait examineacute en premier lieu par la commission (eacutetape 1)
Dans lrsquohypothegravese drsquoun examen favorable le doute eacutetait examineacute en second lieu par la Cour
de reacutevision (eacutetape 2) En cas de confirmation du doute la Cour de reacutevision pouvait saisir une
juridiction de renvoi qui examinait une troisiegraveme fois le doute sur la culpabiliteacute du condamneacute
(eacutetape 3)
332 La forte intensiteacute du doute que semblait neacutecessiter le franchissement de la
premiegravere eacutetape constituait un premier obstacle dont le handicap pouvait encore srsquoalourdir
devant la Cour de reacutevision En cas de rejet drsquoune requecircte par la Cour de reacutevision qui
reacuteexaminait le doute apregraves la commission tout portait agrave croire que le degreacute drsquointensiteacute du
1 Cass crim 7 janv et 6 nov 1986 D 1987 253 note PRADEL 2 Rapport drsquoinformation op cit Contribution de S NOACHOVITCH op cit p 193
137
doute exigeacute eacutetait supeacuterieur agrave celui de la commission Crsquoest ainsi que lrsquoexamen du doute se
transformait en une eacutepreuve de seacutelection rigoureuse tant au niveau de la commission que de la
Cour de reacutevision Ce double questionnement srsquoapparentait agrave un controcircle exerceacute par la Cour de
reacutevision agrave lrsquoimage drsquoun second degreacute de juridiction ce qui contribuait en plus agrave allonger les
deacutelais de la proceacutedure de reacutevision
333 Toutefois ce controcircle ne srsquoeffectuait que dans un seul sens et ne pouvait pas
jouer en faveur du condamneacute confronteacute au rejet de sa demande par la commission Dans cette
hypothegravese il eacutetait priveacute de ce second degreacute de juridiction En effet il eacutetait preacuteciseacute agrave lrsquoancien
article 623 du Code de proceacutedure peacutenale que la deacutecision de la commission laquo nrsquo[eacutetait]
susceptible drsquoaucun recours raquo Crsquoest ainsi que lorsque la commission eacutetait favorable agrave la
reacutevision le doute eacutetait reacuteexamineacute En revanche lrsquoavis deacutefavorable eacutetait sans appel Mecircme si
des demandes successives pouvaient ecirctre deacuteposeacutees la motivation des rejets ne pouvait donner
lieu agrave aucune forme de controcircle
334 La reacutepartition des attributions entre la commission et la Cour de reacutevision toutes
deux inteacuteresseacutees par le doute eacutetait de nature agrave troubler le jeu La seacuteveacuteriteacute des deacutecisions de la
commission pouvait srsquoassimiler agrave un accaparement de lrsquointeacutegraliteacute du contentieux celles-ci se
drapant laquo des atours drsquoune deacutecision terminale de reacutevision raquo1
Paul RICOEUR a ainsi deacutecrit lrsquoacte de juger laquo non seulement opiner estimer tenir pour vrai
mais en dernier ressort prendre position raquo2 La commission en srsquoeacutetant approprier lrsquoexamen du
doute sur la culpabiliteacute opinait En veacuterifiant si les conditions formelles eacutetaient reacuteunies elle
estimait En appreacuteciant le caractegravere nouveau du fait et sa reacutealiteacute elle tenait pour vrai Enfin
elle prenait position en se questionnant sur le doute En drsquoautres termes elle se deacuteterminait
par rapport agrave la culpabiliteacute ou agrave lrsquoinnocence du requeacuterant
Les ordonnances du juge drsquoinstruction aussi ameneacutees agrave prendre position peuvent ecirctre
attaqueacutees devant la chambre de lrsquoinstruction3 Logiquement consideacuterant que la Cour de
reacutevision srsquoeacutetait transformeacutee en organe de controcircle elle agirait donc comme une sorte de
1 W JEANDIDIER op cit p 1245 laquo Degraves que la commission prend parti sur lincidence du fait nouveau sur la culpabiliteacute elle sempare de linteacutegraliteacute du contentieux de la reacutevision avec le risque soit de court-circuiter la chambre criminelle soit de rendre une deacutecision ambigueuml de saisine de cette chambre raquo 2 Paul RICOEUR Le juste op cit p 185 3 J-L COSTE op cit p 422 laquo Le juge drsquoinstruction nrsquoest pas juge de la culpabiliteacute ou de lrsquoinnocence de la personne qursquoil met en examen raquo
138
chambre de lrsquoinstruction1 par rapport aux deacutecisions de la commission2 Cependant elle nrsquoavait
pas agrave connaicirctre des deacutecisions de rejet de la commission fondeacutees sur lrsquoinsuffisance du doute sur
la culpabiliteacute Dans cette hypothegravese il srsquoagissait drsquoun jugement de culpabiliteacute3 qui eacutechappait
au controcircle de la Cour de reacutevision
335 En dehors du controcircle du doute la Cour de reacutevision pouvait aussi se prononcer
sur lrsquoinnocence du condamneacute preacutealablement constateacutee par la commission Pourtant la
deacutecouverte de lrsquoinnocence lieacutee agrave un fait nouveau ou un eacuteleacutement inconnu nrsquoavait pas eacuteteacute
envisageacutee par le texte de 1989 qui ne visait que le laquo fait nouveau ou eacuteleacutement inconnu de la
juridiction au jour du procegraves de nature agrave faire naicirctre un doute sur la culpabiliteacute du
condamneacute raquo
2 Le controcircle de lrsquoinnocence
336 Afin drsquoeacutelargir le peacuterimegravetre drsquoaction de la reacutevision le texte de 1989 srsquoest eacutecarteacute de
la notion de lrsquoinnocence pour privileacutegier le doute sur la culpabiliteacute La certitude de
lrsquoinnocence nrsquoeacutetait plus neacutecessaire au succegraves du recours le doute sur la culpabiliteacute pouvait
suffire Toutefois lrsquoabandon de lrsquoinnocence avait pour conseacutequence drsquoignorer des situations
qui sous lrsquoeffet des progregraves scientifiques4 se sont multiplieacutees et agrave lrsquooccasion desquelles le fait
nouveau deacutevoilait sans ambages lrsquoeacuteclatante innocence du condamneacute
337 Le silence de la loi relatif agrave la constatation de lrsquoinnocence eacutetait de nature agrave
embarrasser la commission confronteacutee agrave une telle situation Crsquoest ainsi que srsquoapercevant de
lrsquoinnocence elle ne pouvait pas la formaliser et devait saisir en lrsquoeacutetat la Cour de reacutevision
Celle-ci bien que convaincue de lrsquoinnocence du demandeur ne lrsquoexprimait pas formellement
et saisissait une juridiction de renvoi qui proclamait finalement lrsquoinnocence Dans ce cas
1 Madame le Professeur RASSAT deacutefinit la mission de la chambre de lrsquoinstruction comme suit laquo Le juge drsquoinstruction eacutetant doteacute de pouvoirs consideacuterables et la proceacutedure qursquoil megravene ayant sur la suite de lrsquoaffaire une influence souvent deacuteterminante il importait de confier agrave une autre autoriteacute si possible supeacuterieure dans la hieacuterarchie des juridictions un pouvoir de controcircle Crsquoest la chambre de lrsquoinstruction de la cour drsquoappel qui a eacuteteacute investie agrave lrsquoeacutegard de lrsquoinstruction preacuteparatoire meneacutee par le juge drsquoinstruction du devoir drsquoen controcircler la marche drsquoen redresser les erreurs drsquoen combler les lacunes et drsquoen assurer lrsquoaboutissement satisfaisant raquo M-L RASSAT Traiteacute de proceacutedure peacutenale op cit ndeg 423 2 Monsieur le Professeur PRADEL eacutevoque la comparaison entre la Cour de reacutevision et une chambre de lrsquoinstruction dans son audition du 31 octobre 2013 devant la commission des lois Accessible sur httpvideosassemblee-nationalefrcommissionsrevision-des-condamnations-penales-mission 3 Il convient de bien comprendre le terme de jugement et de lrsquoentendre dans le sens de la deacutefinition philosophique donneacutee par Monsieur Paul RICOEUR En effet la commission drsquoun point de vue juridique ne se deacutefinit pas comme une juridiction de jugement 4 Rapport drsquoinformation op cit Contribution de Monsieur J-L MOIGNARD op cit p 221 laquo Depuis quelques temps nous avons des affaires ou ce nrsquoest pas le constat drsquoun doute qui motive la deacutecision de la commission mais une eacutevidence rapporteacutee par les progregraves scientifiques Notamment en qui concerne lrsquoADN raquo
139
preacutecis face agrave lrsquoinnocence manifeste du demandeur deacutejagrave constateacutee par la commission quelle
eacutetait lrsquoutiliteacute du controcircle de la Cour de reacutevision et voire mecircme du renvoi La commission
aurait ducirc pouvoir ecirctre autoriseacutee agrave saisir directement la juridiction de renvoi ou mieux encore
comme le deacuteclare Madame ANZANI agrave annuler elle-mecircme la condamnation1
338 Le leacutegislateur en 1989 entendait faciliter lrsquoexercice du pourvoi en reacutevision en
confiant agrave la Cour de reacutevision une fonction de compleacutementariteacute plutocirct que celle de controcircle
Toutefois cette compleacutementariteacute srsquoaveacuterait difficile voire impossible au regard du principe de
la seacuteparation des fonctions drsquoinstruction et de jugement qui leur interdit toute interaction
Neacuteanmoins Madame ANZANI srsquoest expliqueacutee sur le sujet dans son audition devant la
commission des lois Elle a deacuteclareacute que dans le cas de la reacutevision lrsquoeacutetancheacuteiteacute entre les deux
juridictions nrsquoest pas neacutecessairement une garantie de bonne justice Par exemple srsquoagissant de
la derniegravere demande en reacutevision de lrsquoaffaire SEZNEC le dossier avait un volume total drsquoun
megravetre cube comprenait 29 liasses de plusieurs centaines de pages Au terme drsquoune instruction
soutenue le dossier a eacuteteacute transmis sans succegraves par la commission agrave la Cour de reacutevision
reacutecalcitrante Celle-ci isoleacutee de la commission de reacutevision srsquoest livreacutee agrave un nouvel examen de
lrsquoaffaire car laquo une lecture aussi attentive soit-elle du dossier drsquoinstruction ne saurait suppleacuteer agrave
son examen agrave une audience au cours de laquelle tous ses eacuteleacutements seraient deacutebattus raquo La
tacircche peut paraicirctre immense par rapport au volume de certains dossiers2 La question se pose
mecircme de lrsquoefficaciteacute de cette eacutetancheacuteiteacute qui nrsquoeacutetait pas de nature agrave faciliter le travail de la
Cour de reacutevision
1 Ibid Contribution de M ANZANI op cit p 263 2 Nous avons fait un parallegravele entre le controcircle de la Cour de reacutevision et celui exerceacute par les chambres de lrsquoinstruction La mecircme difficulteacute relative au volume des dossiers se retrouve devant les chambres de lrsquoinstruction Monsieur VIOUT a exposeacute cette difficulteacute sans deacutetour lors de son audition devant la commission parlementaire faisant suite agrave lrsquoaffaire dite drsquoOutreau laquo la chambre de linstruction est dans lincapaciteacute absolue dappliquer les dispositions du code de proceacutedure peacutenale Totalement submergeacutees par les proceacutedures les chambres de linstruction ne peuvent rendre leurs arrecircts dans le bref laps de temps preacutevu par la loi Les trois malheureux magistrats qui composent la chambre de linstruction de la cour dappel de Lyon ont rendu lan dernier 1 741 deacutecisions Comment serait-il possible dans un dossier aussi volumineux que celui dOutreau quapregraves quune premiegravere option a eacuteteacute prise et agrave chacun des passages devant la chambre de linstruction le magistrat se replonge dans le dossier Les chambres de linstruction sont donc obligeacutees de sen tenir agrave une approche sommaire Or elles sont tregraves importantes parce quelles devraient assurer la liaison le dialogue permanent avec le magistrat instructeur raquo Dans le mecircme sens devant la commission denquecircte Monsieur Pierre MARTEL a exprimeacute les doutes que pouvait ressentir un deacutetenu devant la chambre de linstruction sur lutiliteacute de sa demande de liberteacute laquo On vient vous chercher et on vous preacutesente devant le preacutesident de la cour dappel qui vous demande ce que vous avez agrave dire La premiegravere fois vous criez votre innocence vous ecirctes plein despoir Vous vous dites que si le juge dinstruction na pas vu certaines choses les magistrats qui exercent en appel vont les voir ils sont lagrave pour ccedila Ils sont lagrave pour deacuteterminer si vous preacutesentez toutes les garanties neacutecessaires pour une eacuteventuelle mise en liberteacute mais ils ne sont pas lagrave pour aller au fond du dossier Par conseacutequent je ne pense pas quils servent agrave grand-chose raquo
140
339 En deacutefinitive les propos de Monsieur Guy CANIVET relatifs agrave lrsquoinstruction
preacuteparatoire pourraient ecirctre appliqueacutes agrave la reacutevision laquo la deacutecision nest finalement imputable agrave
personne [hellip] La deacutecision est partageacutee entre de multiples intervenants chacun sen remettant
finalement agrave lrsquoautre En deacutefinitive cest de la bureaucratie judiciaire1raquo Cette ambiguiumlteacute des
relations entre la commission et la Cour de reacutevision nrsquoeacutetait pas voulue par le leacutegislateur
Maicirctre NOACHOVITCH a mecircme deacuteclareacute que laquo la loi de 1989 a eacuteteacute deacutevieacutee raquo2 Cette
mutation des rapports entre la commission et la Cour de reacutevision ne fut pas sans
conseacutequences
sect 2 Les conseacutequences de la transformation des relations entre la
commission et la Cour de reacutevision
340 Drsquoune part le partage de lrsquoexamen du doute entre la commission et la Cour de
reacutevision provoquait un certain trouble intellectuel en cas de divergence drsquoappreacuteciation entre la
commission et la Cour de reacutevision car ces divergences eacutetaient difficilement justifiables En
effet cette situation qui aurait pu ecirctre parfaitement justifieacutee dans lrsquohypothegravese ougrave le rocircle de la
commission se serait limiteacute au seul examen de la recevabiliteacute des requecirctes devenait deacutelicate
puisque la commission srsquoeacuterigeait en premier juge du doute (A) Drsquoautre part la juridiction de
reacutevision ne disposait pas des moyens suffisants lui permettant drsquoappreacutecier le doute sur la
culpabiliteacute Ainsi lrsquoexamen du doute par les juridictions de reacutevision srsquoaveacuterait ecirctre en reacutealiteacute
une eacutepreuve des plus difficiles (B)
A La justification difficile des divergences drsquoappreacuteciation
341 Srsquoagissant de la Cour de reacutevision lrsquoancien article 623 du Code de proceacutedure
peacutenale disposait laquo Elle rejette la demande si elle lestime mal fondeacutee Si au contraire elle
lestime fondeacutee elle annule la condamnation prononceacutee Elle appreacutecie sil est possible de
proceacuteder agrave de nouveaux deacutebats contradictoires Dans laffirmative elle renvoie les accuseacutes ou
preacutevenus devant une juridiction de mecircme ordre et de mecircme degreacute mais autre que celle dont
eacutemane la deacutecision annuleacutee raquo
1 Audition du 11 avril 2006 de Monsieur Guy CANIVET par la commission drsquoenquecircte chargeacutee de rechercher les causes des dysfonctionnements de la justice dans lrsquoaffaire dite drsquoOutreau et de formuler des propositions pour eacuteviter leur renouvellement 2 Mission drsquoinformation relative agrave la reacutevision des condamnations peacutenales Audition de Madame S NOACHOVITCH 10 octobre 2013 accessible sur httpvideosassemblee-nationalefrcommissionsrevision-des-condamnations-penales-mission
141
342 Crsquoest donc la Cour de reacutevision qui deacutecidait drsquoannuler la condamnation Crsquoest
pourquoi elle est qualifieacutee dans le rapport drsquoinformation de juridiction de jugement Elle
jugeait le doute Toutefois apregraves avoir expliqueacute que le doute faisait lrsquoobjet drsquoun premier
examen ou laquo jugement raquo devant la commission1 il est difficile drsquoaffirmer que la phase
deacutecisionnelle incombait exclusivement agrave la Cour de reacutevision A nos yeux il srsquoagissait plutocirct
drsquoun partage des pouvoirs deacutecisionnels entre les deux organes
343 Cette situation nourrissait un laquo malentendu fondamental dans lrsquoesprit des
requeacuterants et de leurs conseils2 raquo par rapport au rocircle veacuteritable de la commission de reacutevision
Lorsque la Cour de reacutevision saisie par la commission deacutecidait de mettre un terme agrave la
proceacutedure (rejet) sa deacutecision pouvait ecirctre perccedilue laquo comme si les magistrats de la Cour de
cassation [deacutecidaient] pour les uns qursquoil y [avait] lieu agrave reacutevision et pour les autres qursquoil ne
saurait en ecirctre question raquo3 Lrsquoattitude de la Cour de reacutevision risquait de provoquer un malaise
comme ce fut le cas agrave lrsquooccasion de lrsquoaffaire LEPRINCE ougrave la commission favorable au
recours avait mecircme suspendu lrsquoexeacutecution de la condamnation La deacutecision de la Cour de
reacutevision srsquoest donc traduite par le retour en prison de Monsieur Dany LEPRINCE
344 Le leacutegislateur est en quelque sorte lrsquoartisan du flou qui enveloppait la proceacutedure
de reacutevision En effet la formule laquo les demandes qui lui paraissent pouvoir ecirctre admises raquo
pouvait ecirctre interpreacuteteacutee agrave tort signifiant que la demande eacutetait examineacutee successivement par
deux organes distincts mais selon des critegraveres identiques Or cette interpreacutetation nrsquoeacutetait pas
conforme aux souhaits du leacutegislateur
345 De plus le fait drsquoexaminer le doute aboutissait neacutecessairement agrave srsquointerroger sur
la culpabiliteacute ou lrsquoinnocence du demandeur Degraves lors faut-t-il se poser la question de savoir si
les juridictions de reacutevision disposaient vraiment de tous les moyens pour se prononcer sur la
culpabiliteacute ou lrsquoinnocence Il nous semble que lrsquoappreacuteciation du doute eacutetait une laquo mission
impossible raquo4
1 V supra ndeg 320 agrave 327 2 Rapport drsquoinformation op cit p 68 3 Ibid Contribution de Monsieur J-O VIOUT op cit p 241 4 Expression emprunteacutee agrave Madame ANZANI
142
B Lrsquoexamen du doute par les juridictions de reacutevision
laquo Matamore [] savanccedila vers
Leacuteandre quil toisa des pieds agrave la tecircte le plus
insolemment quil put mais ceacutetait bravade pure
car on entendait claquer ses dents et lon voyait
flageoler et trembler ses minces jambes comme
des roseaux au vent de bise raquo1
346 Devant les juridictions de reacutevision la proceacutedure eacutetait peu encadreacutee et en grande
partie eacutecrite par reacutefeacuterence aux regravegles applicables devant la Cour de cassation juge du droit
(1) Toutefois les magistrats des juridictions de reacutevision en se saisissant de la question du
doute sur la culpabiliteacute eacutetaient susceptibles de se transformer en des juges du fait Crsquoest ainsi
que la proceacutedure eacutecrite se trouvait en inadeacutequation avec la mission de ces magistrats qui en
charge de juger le doute se trouvaient quelque peu deacutemunis face agrave une laquo boite agrave outils raquo
inadapteacutee (2)
1 Une proceacutedure peu encadreacutee et largement eacutecrite
347 Les magistrats de la commission et de la Cour de reacutevision eacutetaient issus des rangs
de la Cour de cassation Le deacuteroulement de la proceacutedure de reacutevision nrsquoeacutetait pas preacuteciseacutement
regraveglementeacute par le Code de proceacutedure peacutenale Toutefois il eacutetait preacutevu agrave lrsquoarticle 625-1 du
Code de proceacutedure peacutenale que le demandeur2 pouvait devant les juridictions de reacutevision ecirctre
laquo repreacutesenteacute ou assisteacute par un avocat au Conseil dEtat et agrave la Cour de cassation ou par un
avocat reacuteguliegraverement inscrit agrave un barreau raquo A deacutefaut de preacutecisions le requeacuterant ne pouvait
pas beacuteneacuteficier de la deacutesignation drsquooffice drsquoun avocat charge eacutetait pour lui de le trouver Crsquoest
pourquoi bien que lrsquoaide juridictionnelle fut possible en matiegravere de reacutevision3 il pouvait
arriver qursquoun requeacuterant agisse sans lrsquoassistance drsquoun avocat Face agrave la complexiteacute de la
reacutevision une telle deacutemarche avait pour effet drsquoaccentuer les difficulteacutes inheacuterentes agrave la
constitution drsquoun dossier de reacutevision 1 T GAUTIER Le Capitaine Fracasse 1863 Folio Classique nouvelle eacutedition de 2002 p 118 2 La partie civile elle ne pouvait ecirctre assisteacutee que par un avocat au Conseil drsquoeacutetat ou agrave la Cour de cassation V ANGEVIN op cit ndeg 179 V Cass crim 20 nov 2002 ndeg 01-85386 3 Loi no 91-647 du 10 juillet 1991 relative agrave lrsquoaide juridique
143
348 Srsquoagissant de la commission de reacutevision aucun deacutecret en Conseil drsquoEtat nrsquoa eu agrave
connaicirctre de la question comme ce fut le cas pour drsquoautres commissions relevant de la Cour
de cassation Lrsquoancien article 623 alineacutea 6 du Code de proceacutedure peacutenale nrsquoapportait que cette
seule preacutecision1 apregraves avoir laquo (hellip) recueilli les observations eacutecrites ou orales du requeacuterant
ou de son avocat et celles du ministegravere public2 cette commission saisit la chambre criminelle
(hellip) raquo Etaient passeacutes sous silence les droits du demandeur pendant lrsquoinstruction de sa
demande Face agrave cette situation la commission srsquoeacutetait inspireacutee des regravegles relatives agrave
lrsquoinstruction des recours en cassation en matiegravere criminelle3 et des regravegles preacutevues en matiegravere
de deacutetention provisoire4 pour creacuteer de maniegravere preacutetorienne sa propre proceacutedure Le
requeacuterant srsquoest donc vu confeacuterer certains droits comme la transmission drsquoune copie du dossier
agrave son avocat5 De mecircme bien que non preacutevu par le texte la commission acceptait drsquoentendre
les experts et teacutemoins Toutefois les deacutebats eacutetaient laconiques6 lrsquoessentiel de lrsquoargumentation
eacutetant deacuteveloppeacute par eacutecrit dans les meacutemoires Inspireacutee de la Cour de cassation la proceacutedure
eacutetait en grande partie eacutecrite
349 Srsquoagissant de la Cour de reacutevision lrsquoancien article 625 du Code de proceacutedure
peacutenale eacutenonccedilait les grandes lignes de la proceacutedure agrave suivre laquo sont recueillies les observations
orales ou eacutecrites du requeacuterant ou de son avocat celles du ministegravere public ainsi que si elle
intervient agrave lrsquoinstance apregraves en avoir eacuteteacute ducircment aviseacutee celles de la partie civile constitueacutee
au procegraves dont la reacutevision est demandeacutee ou de son avocat raquo Devant la Cour de reacutevision un
droit avait eacuteteacute reconnu agrave la partie civile dont lrsquoabsence est remarqueacutee agrave lrsquoancien article 623 du
Code de proceacutedure peacutenale7 Pour ce qui est du caractegravere contradictoire de la proceacutedure la
pratique en usage permettait de ceacuteder au requeacuterant ou agrave son conseil la parole en dernier
apregraves les reacutequisitions du parquet Toutefois laquo les teacutemoins les experts les services de police
1 Lexposeacute des motifs de la proposition de loi de 1989 preacutecisait laquo dans certains cas des observations eacutecrites sont suffisantes et il est alors opportun deacuteviter dimposer au requeacuterant ou agrave son avocat un deacuteplacement injustifieacute Le demandeur deacutesireux de preacutesenter des observations orales personnellement ou par son conseil devra en aviser la commission en temps utile raquo 2 Le caractegravere eacutecrit ne srsquoimposait pas concernant les reacutequisitions du ministegravere public qui pouvaient ecirctre orales V en ce sens Cass crim 20 nov 2002 ndeg 01-85386 3 V Articles 601 et s CPP 4 V Articles R 26 et s CPP 5 La transmission devait intervenir dans un deacutelai suffisant pour lui permettre de laquo preacuteparer son intervention raquo H ANGEVIN op cit ndeg 149 6 Mission drsquoinformation relative agrave la reacutevision des condamnations peacutenales Audition de Madame ANZANI opcit 7 La commission acceptait que les parties civiles indirectement informeacutees de la proceacutedure soient aviseacutees de la date de lrsquoaudience et puissent y assister eacuteventuellement accompagneacutees de leur avocat pour preacutesenter toutes observations utiles V H ANGEVIN laquo Les demandes en reacutevisionhellip raquo op cit ndeg 151 Madame RADENNE remarque cependant laquo qursquoen pratique peu de parties civiles font cette deacutemarche susceptible drsquointervenir essentiellement dans les affaires meacutediatiques puisque dans les autres elles ignorent tout de la demande (hellip) raquo Pour un exemple V Comm reacutevision 16 deacutec 2002 ndeg 01 REV 154
144
nrsquointerviennent pas au cours de [lrsquo] audience alors mecircme que leurs deacuteclarations peuvent ecirctre
drsquoune importance capitale pour resituer le fait nouveau (hellip) 1raquo Le rapport drsquoinformation sur
la reacutevision des condamnations peacutenales indique que la proceacutedure devant la Cour de reacutevision
eacutetait eacutegalement calqueacutee sur celle de la Cour de cassation dont le rocircle nrsquoest pas de rejuger les
affaires Sa mission consiste agrave veacuterifier si les regravegles de droit ont eacuteteacute correctement appliqueacutees
par rapport aux faits constateacutes il ne srsquoagit pas drsquoun troisiegraveme degreacute de juridiction Crsquoest un
juge du droit2
350 Les juridictions de reacutevision enfermeacutees dans une proceacutedure en grande partie
eacutecrite disposaient-elle des moyens suffisants pour rendre leurs deacutecisions et en particulier
prendre position sur le doute Il est permis drsquoeacutemettre des reacuteserves car agrave compter du moment
ougrave elles se positionnaient sur le doute elles devenaient des juges du fait en se prononccedilant en
reacutealiteacute sur la culpabiliteacute ou lrsquoinnocence du requeacuterant
2 Une laquo boicircte agrave outils raquo inadapteacutee
351 Lorsque les juridictions de reacutevision appreacuteciaient le doute notion subjective elles
eacutetaient immanquablement conduites agrave se prononcer sur la culpabiliteacute ou lrsquoinnocence de
requeacuterant Elles ne jugeaient pas la bonne application des regravegles de droit mais plutocirct des faits
Dans lrsquohypothegravese ougrave le doute nrsquoeacutetait pas pris en compte la deacuteclaration de culpabiliteacute eacutetait
confirmeacutee En effet le rejet du doute consistait pour la commission agrave ne pas saisir la Cour de
reacutevision Pour la Cour de reacutevision un avis deacutefavorable sur la question deacutebouchait sur un refus
drsquoannuler la condamnation A contrario une fois le doute reconnu la commission saisissait la
Cour de reacutevision qui pouvait confirmer lrsquoexistence de celui-ci en annulant la condamnation et
reconnaicirctre de fait lrsquoinnocence du requeacuterant qui eacutetait en principe rejugeacute par une juridiction
de renvoi Dans certains cas la Cour de reacutevision deacuteclarait drsquoailleurs deacutefinitivement
lrsquoinnocence du demandeur sans renvoi de lrsquoaffaire vers un juge du fond Crsquoeacutetait donc elle qui
prononccedilait un acquittement ou une relaxe Concernant le doute soumis agrave lrsquoappreacuteciation de la
1 Rapport drsquoinformation op cit p 41 2 V article L 411-2 COJ J BORE et L BORE Reacutep Peacuten Cassation (pourvoi en) op cit ndeg 225 laquo Lincompeacutetence de la Cour de cassation pour connaicirctre du fond des affaires conduit dabord agrave deacuteclarer irrecevables les moyens de pur fait qui tendent ouvertement agrave rediscuter les eacuteleacutements de fait sur lesquels les juges du fond se sont prononceacutes souverainement et qui noffrent agrave juger aucune question de droit raquo Ibid ndeg 241 laquoLirrecevabiliteacute du moyen nouveau est une regravegle speacutecifique du deacutebat en cassation dont lorigine est tregraves ancienne et qui deacutecoule directement de linterdiction faite agrave la Cour de cassation de connaicirctre du fond des affaires raquo Pour un exemple V cass crim 7 mai 2003 no 03-80975
145
juridiction de reacutevision Madame ANZANI a fait la remarque suivante laquo on demande agrave la
juridiction de reacutevision de dire coupable ou non coupable raquo1
352 En appreacuteciant le doute sur la culpabiliteacute la Cour de cassation sieacutegeant comme
juridiction de reacutevision srsquoapparentait agrave une cour drsquoassises ou agrave un tribunal correctionnel en
suivant toutefois les regravegles de la Cour de cassation Il incombait aux magistrats de la Cour de
cassation en srsquoappuyant sur une proceacutedure essentiellement eacutecrite de deacutecider de la culpabiliteacute
ou de lrsquoinnocence du demandeur en leur intime conviction2 laquo en leur acircme et conscience raquo3
Au sujet de lrsquoaffaire SEZNEC Monsieur CANIVET a deacuteclareacute que laquo le rocircle de la Cour de
reacutevision est de rapprocher autant que possible le sentiment commun de justice de la veacuteriteacute
judiciaire raquo4 Ce rocircle peut aussi ecirctre attribueacute agrave la commission qui se prononccedilait eacutegalement sur
le doute Or cette tacircche srsquoaveacuterait particuliegraverement difficile en raison de la preacutedominance de
lrsquoeacutecrit par rapport agrave lrsquooraliteacute des deacutebats qui devant une cour drsquoassises ou un tribunal
correctionnel facilite lrsquoeacutemergence de la veacuteriteacute5 Deacutejagrave souligneacute par PLATON le lien qui unit
lrsquooraliteacute agrave la veacuteriteacute est souvent eacutevoqueacute par la doctrine6 Ce corsetage eacutetait un frein agrave lrsquoenvol
du dossier qui souffrait de la proceacutedure eacutecrite En effet le procegraves en reacutevision a pour finaliteacute de
corriger une erreur de fait et la manifestation de la veacuteriteacute suppose un eacutechange entre les parties
et la reconnaissance par le leacutegislateur drsquoun deacutebat contradictoire entre les diffeacuterents acteurs
Preacutevu par le leacutegislateur lrsquoexamen du doute meneacute par la Cour de reacutevision eacutetait drsquoautant plus
deacutelicat que les regravegles de proceacutedure peacutenale mises en œuvre devant les juridictions de jugement
(audition des parties teacutemoins experts enquecircteurs discussion contradictoire des preuves
oraliteacute des deacutebats hellip) nrsquoexistaient pas en la matiegravere
353 En deacutefinitive la commission ne disposait pas de tous les moyens pour examiner
le doute et la Cour de reacutevision semblait quelque peu deacutesarmeacutee quant agrave elle pour effectuer le
controcircle du doute Toutefois les deacutecisions de la Cour de reacutevision eacutetaient motiveacutees Crsquoest ainsi
que malgreacute toutes ces difficulteacutes laquo les magistrats doivent srsquoexpliquer clairement sur ce qui les
a conduits agrave prendre telle ou telle deacutecision Les arrecircts rendus par la Cour de reacutevision sont
1 Mission drsquoinformation relative agrave la reacutevision des condamnations peacutenales Audition de Mme M ANZANI opcit 2 V T FOSSIER et LEVEQUE Le laquo presque vrai raquo et le laquo pas tout agrave fait faux raquo probabiliteacutes et deacutecisions juridictionnelles JCP 2012 ndeg 14 doctr p 427 J-D BREDIN Le doute et lrsquointime conviction Droits 1996 ndeg 23 p 21 et s 3 Mission drsquoinformation relative agrave la reacutevision des condamnations peacutenales Audition de Mme M ANZANI opcit 4 Le monde 22 avril 2005 5 R MERLE et A VITU op cit ndeg 611 6 J-L COSTE op cit p 422 laquo Cest donc lors du deacutebat contradictoire au moment ougrave prend forme lintime conviction des juges quil est permis de parler de preuve raquo
146
longuement motiveacutes Ils ne sont pas toujours compris mais avant drsquoecirctre critiqueacutes ils doivent
ecirctre lus attentivement objectivement et dans leur inteacutegraliteacute Jrsquoinsiste sur le fait que les juges
accomplissent cette tacircche au stade de la commission puis de la Cour de reacutevision avec
conscience et beaucoup plus drsquoouverture drsquoesprit qursquoon ne le dit ils savent douter car le
doute est au cœur mecircme de leur pratique professionnelle et ils ne craignent pas de se remettre
mutuellement en cause raquo1 Il ne convient pas ici de remettre en cause la capaciteacute des juges de
la Cour de cassation agrave douter Il srsquoagit de leur travail quotidien lorsqursquoils cassent et annulent agrave
la faveur drsquoun pourvoi en cassation des deacutecisions rendues par des cours drsquoappel ou lorsqursquoils
interviennent plus rarement dans le cadre de la proceacutedure de reacuteexamen2 Toutefois dans ces
cas leurs deacutecisions interviennent agrave propos drsquoun doute sur la bonne application des regravegles de
droit sans pour autant tenir compte des faits
354 Il en deacutecoule une conseacutequence paradoxale Drsquoun cocircteacute il eacutetait exigeacute de la part de
la juridiction de reacutevision une motivation tregraves deacutetailleacutee des deacutecisions3 alors qursquoelle ne disposait
pas de tous les atouts de la proceacutedure ordinaire pour se prononcer et se forger son intime
conviction De lrsquoautre cocircteacute est accordeacute agrave la cour drsquoassises temple du deacutebat contradictoire une
plus grande latitude quant agrave la motivation du verdict Finalement seule la juridiction de
renvoi disposait des moyens pour juger en son intime conviction agrave lrsquoissue drsquoun veacuteritable
deacutebat En deacutefinitive dans la loi de 1989 la reacutevision srsquoarticulait autour drsquoune laquo boicircte agrave
outils raquo inadapteacutee dont les eacuteleacutements srsquoaffairaient agrave lrsquointeacuterieur drsquoune structure quelque peu
deacutepasseacutee
1 Rapport drsquoinformation op cit Contribution de Monsieur B COTTE op cit p 199 2 V article 626-1 CPP 3 Pour un exemple V Cass crim 15 mai 2013 ndeg 12-84818
147
Conclusion du chapitre 1
355 Ce chapitre a eacuteteacute consacreacute agrave lrsquoeacutetude de la charpente proceacutedurale de la reacutevision qui
dans la loi de 1989 reposait sur deux piliers la commission de reacutevision et la Cour de
reacutevision Le but eacutetait de deacuteterminer si la ligne de deacutemarcation entre lrsquoorgane filtrant et la
juridiction de jugement eacutetait clairement deacutelimiteacutee et de savoir si les juridictions de reacutevision
disposaient des outils approprieacutes agrave lrsquoexercice de leur mission En effet si la loi de 1989 avait
eacuteteacute efficace il faudrait srsquoen inspirer dans la reacuteforme de 2014 En revanche si la structure de la
reacutevision issue de la loi de 1989 nrsquoeacutetait pas satisfaisante il parait impeacuterieux de ne pas
reproduire les eacuteventuels lacunes ou dysfonctionnements du droit anteacuterieur
356 Le manque de preacutecision du leacutegislateur par rapport agrave la question du partage des
compeacutetences entre la commission de reacutevision et la Cour de reacutevision eacutetait de nature agrave fragiliser
les fondamentaux de la reacutevision Ce flou a eacuteteacute agrave lrsquoorigine drsquoun deacutevoiement de la structure de
la reacutevision qui au fil du temps srsquoest eacuteloigneacutee de la volonteacute originelle du leacutegislateur En effet
dans son rocircle de filtre des requecirctes laquo qui paraissent ne pas pouvoir ecirctre admises raquo la
commission faisait montre de plus de seacuteveacuteriteacute que le leacutegislateur ne lrsquoavait voulu Cette attitude
a engendreacute un eacutelargissement du champ de compeacutetences de la commission dont les limites
deacutebordaient sur celles de la Cour de reacutevision Cette situation a eu pour conseacutequence drsquoeacuteriger
la Cour de reacutevision en juridiction de controcircle par rapport agrave la commission
357 Ce chevauchement de compeacutetences a deacuteboucheacute sur une confusion des rocircles entre
la commission et la Cour de reacutevision qui se partageaient lrsquoexamen du doute Cette situation
facirccheuse entretenait un climat drsquoincompreacutehension surtout lorsque les points de vue des deux
juridictions srsquoopposaient De surcroicirct srsquoagissant de la commission et de la Cour de reacutevision
ces deux juridictions disposaient dans le cadre de lrsquoexamen du doute drsquooutils pour le moins
inadapteacutes
358 Crsquoest donc plutocirct avec seacuteveacuteriteacute que nous avons jugeacute la structure de la reacutevision
telle qursquoelle eacutetait preacutevue dans la loi de 1989 Nous nous inteacuteressons agrave preacutesent aux difficulteacutes
drsquoordre conjoncturel
148
CHAPITRE 2 LES DIFFICULTES
CONJONCTURELLES
359 Srsquoagissant des eacutecueils drsquoordre conjoncturel contenus dans la loi de 1989 deux
points meacuteritent drsquoecirctre eacuteclaircis Premiegraverement nous nous inteacuteresserons aux obstacles
proceacuteduraux qui barraient la route au requeacuterant (section 1) Deuxiegravemement sera abordeacutee la
question de la composition de la juridiction de reacutevision (Section 2)
Section 1 Les obstacles proceacuteduraux agrave la reacutevision
360 La route de la reacutevision dans la loi de 1989 eacutetait jalonneacutee de deux difficulteacutes
drsquoordre conjoncturel La premiegravere eacutetait relative agrave lrsquoeacutetablissement difficile du fait nouveau ou
de lrsquoeacuteleacutement inconnu (sect 1) La seconde concernait la deacutecision de la commission de suspendre
ou non lrsquoexeacutecution de la condamnation (sect 2)
sect 1 Lrsquoeacutetablissement difficile du fait nouveau ou de lrsquoeacuteleacutement
inconnu
361 Le renversement de la charge de la preuve (A) impliquait pour le requeacuterant la
lourde tacircche de devoir produire seul devant la commission la preuve du fait nouveau ou de
lrsquoeacuteleacutement inconnu de nature agrave faire naicirctre un doute sur sa culpabiliteacute (B)
A Le renversement de la charge de la preuve
362 En matiegravere peacutenale la preacutesomption drsquoinnocence est une regravegle probatoire
fondamentale agrave valeur constitutionnelle qui fait peser sur lrsquoaccusation la charge de la preuve
de la culpabiliteacute de la personne mise en cause Aussi en reacutesulte-t-il de nombreux avantages
pour son beacuteneacuteficiaire (1) Toutefois en matiegravere de reacutevision le demandeur devait prouver son
innocence (2)
149
1 Les avantages de la preacutesomption drsquoinnocence
363 La preacutesomption drsquoinnocence recouvre deux choses 1 crsquoest une regravegle probatoire et
un droit de la personnaliteacute2 proteacutegeacute en tant que tel en dehors de toute instance peacutenale3 Elle
est freacutequemment preacutesenteacutee comme eacutetant le principe originel des regravegles de proceacutedure peacutenale
voire comme le creuset dans lequel elles ont grandi4 Dans le preacutesent deacuteveloppement seule la
preacutesomption drsquoinnocence en tant que regravegle probatoire nous inteacuteressera
364 Elle conduit agrave faire peser sur lrsquoaccusation la deacutemonstration de la culpabiliteacute de la
personne mise en cause Plus simplement il srsquoagit pour lrsquoauteur de lrsquoalleacutegation de prouver ce
qursquoil avance En reacutealiteacute lrsquoobjectif principal du procegraves peacutenal consiste agrave extraire de soupccedilons et
indices qui ont eacuteteacute agrave lrsquoorigine des poursuites des certitudes qui devraient finalement suffire agrave
justifier une condamnation ou une deacutecision de relaxe ou drsquoacquittement5 La regravegle a pour
conseacutequence que si lrsquoaccusation nrsquoarrive pas agrave prouver lrsquoexistence drsquoune infraction imputable
agrave la personne poursuivie celle-ci se verra acquitteacutee ou relaxeacutee6 La preacutesomption drsquoinnocence
peut ecirctre consideacutereacutee comme un correctif au caractegravere fondamentalement deacuteseacutequilibreacute du
procegraves peacutenal7 La justice est couramment symboliseacutee par la repreacutesentation statufieacutee drsquoune
femme dont les yeux sont masqueacutes Elle tient un glaive dans lrsquoune de ses mains symbole de la
force et dans lrsquoautre une balance dont les deux plateaux chacun placeacute agrave une hauteur eacutegale
donnent la vision drsquoune symeacutetrie et drsquoun eacutequilibre parfait Or le procegraves peacutenal est caracteacuteriseacute
1 E DERIEUX laquo La loi ndeg 2000-516 du 15 juin 2000 renforccedilant la protection de la preacutesomption dinnocence et les droits de la victime et droit de la communication raquo JCP G 2000 act p 1463 C AMBROISE CASTEROT op cit ndeg 1 et s 2 Lrsquoarticle preacuteliminaire du CPP dispose laquo les atteintes agrave sa preacutesomption drsquoinnocence sont preacutevenues reacutepareacutees et reacuteprimeacutees dans les conditions preacutevues par la loi raquo En parlant de laquo sa raquo preacutesomption drsquoinnocence le leacutegislateur a voulu mettre ici lrsquoaccent sur la reconnaissance drsquoun droit de la personnaliteacute La reacuteparation des atteintes faites agrave ce droit est garantie par lrsquoarticle 9-1 du code civil et par la loi de 1881 sur la liberteacute de la presse V par exemple C BIGOT Les modifications reacutecentes du droit de la presse gaz pal 1993 I p 1067 F DESPORTES et L LAZERGES-COUSQUER op cit p 134 P AUVRET Le droit au respect de la preacutesomption drsquoinnocence JCP G 1994 I 3802 C BIGOT Lrsquoapplication de lrsquoarticle 9-1 du code civil en cas de condamnation non deacutefinitive Dalloz 2000 p 409 B BOULOC op cit p 106 P CONTE Droit peacutenal speacutecial op cit p 236 H BUREAU laquo La preacutesomption dinnocence devant le juge civil Cinq ans dapplication de larticle 9-1 du code civil raquo JCP 1998 I p166 3 Sur le caractegravere inapproprieacute de lrsquoexpression laquo preacutesomption drsquoinnocence raquo pour deacutesigner un droit subjectif extra patrimonial V C AMBROISE CASTEROT op cit ndeg 3 et ndeg 64 et s 4 V F DESPORTES et L LAZERGES op cit p 121 ndeg 231 B BOULOC op cit p 103 ndeg 122 5 P CONTE Pour en finir avec une preacutesentation caricaturale de la preacutesomption dinnocence Gaz Pal 1995 1 Doctr 22 6 H HENRION La nature juridique de la preacutesomption drsquoinnocence ndash comparaison franco-allemande eacuted Universiteacute Montpellier 1 Coll Thegraveses 2006 p 392 ndeg 246 7 La combinaison des deux regravegles traditionnelles actori incumbit probatio et reus in excipiendo fit actor ne permet pas agrave elle seule de contrebalancer la supeacuterioriteacute de lrsquoaccusation V C AMBROISE-CASTEROT op cit ndeg 18 et s R MERLE et A VITU Traiteacute de droit criminel op cit no 143 E CALVEZ Linculpation et la preacutesomption dinnocence Gaz Pal 1987 2 Doctr 681 F-J PANSIER Le juge et linnocence Gaz Pal 1995 2 1003
150
par la preacuteeacuteminence de lrsquoaccusation en particulier lrsquoavantage du ministegravere public sur la
deacutefense La personne poursuivie est en situation drsquoinfeacuterioriteacute voire de soumission par rapport
agrave lrsquoenvironnement judiciaire1 Le caractegravere inquisitorial de la proceacutedure confie
lrsquoadministration des preuves celles de la culpabiliteacute ou de lrsquoinnocence agrave lrsquoorgane judiciaire et
peut placer le justiciable dans une situation inconfortable La contribution personnelle de la
personne poursuivie agrave lrsquoadministration de la preuve est souvent reacuteduite Ainsi la preacutesomption
drsquoinnocence qui implique pour le ministegravere public la charge laquo drsquoeacutetablir tous les eacuteleacutements
constitutifs de lrsquoinfraction2 raquo constitue un levier pour reacutetablir lrsquoeacutequilibre entre les pouvoirs des
acteurs du procegraves
365 Degraves lors il est indispensable de savoir si la preacutesomption drsquoinnocence srsquoapplique au
demandeur en reacutevision La reacuteponse agrave cette question est deacuteterminante srsquoagissant de la charge de
la preuve qui pegravesera sur les eacutepaules du demandeur Le beacuteneacutefice drsquoune eacuteventuelle preacutesomption
drsquoinnocence pourrait dispenser le demandeur drsquoapporter la preuve du fait ou eacuteleacutement nouveau
de nature agrave faire naicirctre un doute sur sa culpabiliteacute Dans le cas contraire la charge de la
preuve lui incombera
2 Le demandeur en reacutevision priveacute du beacuteneacutefice de la preacutesomption drsquoinnocence
366 Les ouvrages de proceacutedure peacutenale parlent de laquo suspect raquo pour deacutesigner la
personne qui beacuteneacuteficie de la preacutesomption drsquoinnocence Le demandeur en reacutevision peut-il ecirctre
consideacutereacute comme un suspect
367 La notion de suspect apparaissait jusqursquoagrave la loi du 27 mai 20143 quelque peu
neacutegligeacutee dans le paysage juridique En effet ni la loi interne4 ni la jurisprudence5 ne
srsquointeacuteressaient vraiment agrave la deacutefinition du protagoniste du procegraves Il srsquoen deacuteduisait qursquoagrave partir 1 Ce deacuteseacutequilibre entre accusation et deacutefense se retrouve eacutegalement au niveau de la conception mecircme du CPP Le code adopte une approche chronologique de la proceacutedure peacutenale Les dispositions leacutegislatives ou regraveglementaires se calquent sur le deacuteroulement du procegraves peacutenal Le plan du code de proceacutedure peacutenale deacutebute en abordant lrsquoexercice de lrsquoaction publique se poursuit avec les enquecirctes continue avec la phase de jugement agrave laquelle succegravedent les voies de recours et srsquoachegraveve avec lrsquoexeacutecution de la peine eacuteventuellement prononceacutee Les manuels et les traiteacutes consacreacutes agrave la discipline adoptent geacuteneacuteralement la mecircme construction La vision peacutenaliste du procegraves est domineacutee par une logique presque filmique qui retrace scegravene apregraves scegravene le processus reacutepressif Configureacute de cette maniegravere le cheminement peacutenal srsquoimpose agrave la personne poursuivie 2 Cass crim 24 mars 1949 bull crim ndeg 144 3 Loi ndeg 2014-535 du 27 mai 2014 portant transposition de la directive 201213UE du Parlement europeacuteen et du Conseil du 22 mai 2012 relative au droit agrave linformation dans le cadre des proceacutedures peacutenales 4 Lrsquoarticle preacuteliminaire du Code de proceacutedure peacutenale dispose sans donner de deacutefinition du suspect que laquo toute personne suspecteacutee ou poursuivie est preacutesumeacutee innocente tant que sa culpabiliteacute na pas eacuteteacute eacutetablie raquo 5 Pour des illustrations V cass crim 20 deacutecembre 1995 ndeg 95-81 250 cass crim 27 janvier 1987 ndeg 86-93278 cass crim 14 septembre 2004 ndeg 04-83793
151
du moment ougrave une infraction pouvait ecirctre imputeacutee agrave un individu il se transformait en suspect
eacutetat juridique intermeacutediaire entre lrsquoinnocent et le coupable1 Soucieuse du renforcement des
droits du mis en cause la loi du 27 mai 2014 a enfin reconnu le statut juridique du suspect2
368 Il nrsquoen demeure pas moins que le point de reacutesiliation de la preacutesomption
drsquoinnocence se situe au moment du prononceacute drsquoune condamnation deacutefinitive laquo La
preacutesomption drsquoinnocence signifie que toute personne poursuivie est consideacutereacutee comme
innocente des faits qui lui sont reprocheacutes aussi longtemps qursquoelle nrsquoa pas eacuteteacute deacuteclareacutee
coupable par une deacutecision deacutefinitive raquo3 Seule une deacutecision de justice peut clarifier la situation
du suspect (coupable ou innocent) en renversant la preacutesomption drsquoinnocence dont il beacuteneacuteficie
La situation du condamneacute qui conteste sa condamnation au moyen drsquoun pourvoi en reacutevision
est donc parfaitement lisible par rapport agrave la preacutesomption drsquoinnocence Srsquoagissant drsquoun
individu deacutefinitivement condamneacute il ne peut plus pas se preacutevaloir de cette protection
juridique Le demandeur en reacutevision laquo dont la culpabiliteacute a eacuteteacute leacutegalement eacutetablie au sens de
larticle 6 sect 2 de la Convention europeacuteenne des droits de lhomme ne peut plus se preacutevaloir
de la preacutesomption dinnocence4raquo En drsquoautres termes laquo si laccuseacute est preacutesumeacute innocent le
condamneacute est lui preacutesumeacute coupable5 raquo
369 La difficile preuve du fait nouveau ou de lrsquoeacuteleacutement inconnu de nature agrave faire
naicirctre un doute sur sa culpabiliteacute sera donc agrave sa charge Cette obligation appeleacutee
lrsquoarticulation eacutetait pour le requeacuterant une veacuteritable eacutepreuve difficilement surmontable
B La preuve du fait nouveau ou de lrsquoeacuteleacutement inconnu
370 Apregraves avoir expliqueacute en quoi consiste lrsquoeacutetape dite de lrsquoarticulation (1) nous nous
attegravelerons aux difficulteacutes pratiques engendreacutees pour le requeacuterant par la reacutealisation de cette
eacutetape (2)
1 B REPIK laquo Reacuteflexions sur la jurisprudence de la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme concernant la preacutesomption drsquoinnocence raquo in Liber amirocum Marc-Andreacute ESSEN Bruylant LGDJ 1995 p 331 et s 2 M TOUILLIER Le statut du suspect agrave lrsquoegravere de lrsquoeuropeacuteanisation de la proceacutedure peacutenale entre laquo petites raquo et laquo grandes raquo reacutevolutions RSC 2015 p 127 3 S TZITZIS laquo Philosophie peacutenale et philosophie du droit peacutenal Essai de clarification raquo Essais de Philosophie Peacutenale et de Criminologie La Preacutesomption drsquoInnocence Paris Eska 2004 p187-204 4 Cass crim 20 nov 2002 Bull crim ndeg 209 V eacutegalement CEDH 10 feacutevrier 1995 Allenet de Ribemont c France ndeg 1517589 CEDH Minelli c Suisse 25 mars 1983 ndeg 1499102 5 Cass ch reacuteunies 3 juin 1899 op cit
152
1 Lrsquoeacutetape de lrsquoarticulation
371 Le deacutepocirct drsquoune requecircte en reacutevision nrsquoeacutetait subordonneacute agrave aucune condition de
forme preacutevue par le leacutegislateur Il eacutetait neacuteanmoins indispensable que la requecircte fournisse
toutes les indications utiles quant agrave la date la nature et la juridiction concerneacutee par la deacutecision
de condamnation contesteacutee1 Ensuite devait ecirctre indiqueacutes le cas drsquoouverture viseacute2
lrsquoeacutenumeacuteration de toutes les piegraveces justificatives utiles et enfin laquo lrsquoarticulation preacutecise des
faits alleacutegueacutes au soutien du recours raquo3 Ce point concernant lrsquoarticulation qui srsquoadresse
entiegraverement au condamneacute constituait pour lui un veacuteritable challenge Priveacute de la
preacutesomption drsquoinnocence le condamneacute eacutetait dans lrsquoobligation drsquoapporter la preuve de lrsquoerreur
judiciaire en faisant dans lrsquoabsolu la deacutemonstration de la deacutefaillance de trois juridictions
diffeacuterentes (premiegravere instance cour drsquoappel Cour de cassation)
372 Partant de lrsquoideacutee que lors de sa mission de filtrage la commission srsquointerrogeait
sur le doute la culpabiliteacute du requeacuterant eacutetait confirmeacutee en cas de rejet motiveacute par une
articulation insuffisante Il en reacutesulte que le requeacuterant devait prouver son innocence devant la
commission et laquo combattre par le fait nouveau les fondements mecircmes de sa
condamnation raquo4 Crsquoest pourquoi lrsquoarticulation srsquoapparentait en pratique agrave une veacuteritable
eacutepreuve
2 Les difficulteacutes pratiques rencontreacutees par le requeacuterant
373 Aucune disposition leacutegislative ne reacutegissant les preacuterogatives dont disposait le
demandeur pendant lrsquoinstruction de sa demande il devait apporter seul et en amont de la
saisie de la commission la preuve drsquoun doute sur sa culpabiliteacute au moyen du fait nouveau ou
de lrsquoeacuteleacutement inconnu Il srsquoagissait drsquoune tacircche difficile surtout qursquoil ne disposait pas
contrairement agrave la commission et agrave la Cour de reacutevision de moyens eacutetatiques dinvestigation Il
ne pouvait donc pas afin de prouver le fait nouveau ou lrsquoeacuteleacutement inconnu solliciter aupregraves de
la commission le deacuteclenchement drsquoactes drsquoinvestigations tels son audition celle drsquoun teacutemoin
lrsquoorganisation drsquoune reconstitution la reacutealisation drsquoune expertise hellip
1 H ANGEVIN op cit ndeg 116 2 Sur la substitution drsquoun cas drsquoouverture par la commission agrave celui invoqueacute par le requeacuterant V Cass crim 12 mai 1933 Bull crim 1933 ndeg 107 H ANGEVIN Les demandes en reacutevision op cit ndeg 163 3 Ibid ndeg 116 4 Rapport drsquoinformation op cit p 34
153
374 En pratique tregraves souvent incarceacutereacute le requeacuterant devait pour eacutetablir lrsquoexistence
drsquoun fait nouveau ou drsquoun eacuteleacutement inconnu de nature agrave faire naicirctre un doute sur sa culpabiliteacute
disposer de ressources financiegraveres et humaines suffisantes pour mener agrave bien son projet de
reacutevision (avocat enquecircteur priveacutehellip) Afin de prouver le fait nouveau lrsquoavocat ou le requeacuterant
se tournaient principalement vers deux techniques drsquoenquecircte tregraves souvent deacutecrieacutees par le juge
agrave savoir les expertises priveacutees (a) et les enquecirctes priveacutees (b)
a Les expertises priveacutees
375 Depuis laffaire Marie BESNARD agrave la fin des anneacutees 1950 et le procegraves des
meacutedecins de Poitiers en 19881 ougrave les avis dexperts priveacutes mandateacutes par la deacutefense avaient
permis drsquoobtenir lrsquoacquittement des demandeurs les expertises priveacutees ont connu un certain
essor
376 En matiegravere de reacutevision les expertises priveacutees peuvent preacutesenter un inteacuterecirct Il
srsquoagit de lrsquohypothegravese ougrave le demandeur tente de contester les conclusions de certaines
expertises judiciaires qui sont agrave lrsquoorigine de sa condamnation deacutefinitive ou encore de pallier
certaines carences en provoquant une expertise Le requeacuterant peut donc avoir inteacuterecirct agrave
apporter un eacuteclairage nouveau sur son dossier (fait nouveau ou eacuteleacutement inconnu) au moyen
drsquoune expertise ou drsquoune contre-expertise priveacutee Les copies des rapports drsquoexpertises
judiciaires2 sont communiqueacutees par le requeacuterant ou son deacutefenseur agrave un technicien speacutecialiseacute
aux fins de veacuterifications3
377 Or la commission de reacutevision a toujours teacutemoigneacute drsquoune certaine meacutefiance agrave
lrsquoeacutegard des expertises priveacutees En effet lrsquoimpartialiteacute de ces experts priveacutes reacutemuneacutereacutes par le
demandeur4 precircte agrave critiques par rapport agrave lrsquohonorabiliteacute de lrsquoexpert judiciaire5 A ce sujet
Monsieur MANGIN remarque laquo un certain climat de deacutefiance par rapport agrave lintervention de
1 V J FAVREAU-COLOMBIER Marie-Besnard le procegraves du siegravecle Privat 1999 et L DUROY Laffaire de Poitiers Barrault citeacutes par F SAINT PIERRE 2 Article 114 alineacutea 6 CPP laquo Seules les copies des rapports dexpertise peuvent ecirctre communiqueacutees par les parties ou leurs avocats agrave des tiers pour les besoins de la deacutefense raquo 3 Sur les difficulteacutes de seacutelection du contre-expert V P MANGIN Expertise meacutedico priveacutee en marge de lrsquoenquecircte peacutenale AJ Peacutenal 2009 p 436 4 P MANGIN op cit p 436 laquo Il nexiste pas dans ce cas de tarifs preacuteeacutetablis par voie reacuteglementaire Les honoraires sont donc laisseacutes agrave lappreacuteciation de lexpert priveacute Pour cette raison il est dusage de demander agrave lexpert priveacute une estimation du montant de ses honoraires compte tenu du nombre dheures preacutevisibles pour reacutealiser le travail demandeacute auxquels sajoutent eacutevidemment les frais annexes usuels de deacuteplacement de secreacutetariat etc On conccediloit que le tarif horaire sera fonction de la notorieacuteteacute et du statut professionnel de lexpert priveacute solliciteacute raquo 5 F SAINT-PIERRE Investigations priveacutees en deacutefense questions de meacutethode et difficulteacutes de pratique AJ peacutenal 2009 p 433
154
lexpert priveacute raquo alors qursquo laquo au Royaume-Uni en Irlande et dans les pays du Commonwealth
lexpertise priveacutee est de pratique courante voire parfois systeacutematique1 raquo Crsquoest ainsi que les
conclusions drsquoune expertise priveacutee mecircme pertinentes ne constituent pas ipso facto un fait
nouveau ou un eacuteleacutement inconnu Plus preacuteciseacutement laquo une expertise officieuse reacutealiseacutee agrave la
demande du condamneacute ne saurait entrer dans les preacutevisions de larticle 622 4deg du Code de
proceacutedure peacutenale que si elle ne constitue pas seulement une appreacuteciation diffeacuterente voire
critique dun rapport expertal mais si elle apporte un eacuteleacutement nouveau que les experts
judiciaires navaient pu ou su deacutecouvrir et qui neacutetait pas apparu au procegraves raquo2
378 Il parait difficile de faire la distinction entre laquo une appreacuteciation diffeacuterente voire
critique raquo drsquoun rapport drsquoexpertise judiciaire et lrsquoapport de la preuve drsquoun eacuteleacutement nouveau
Tous ces eacuteleacutements assez subjectifs et souvent tregraves techniques3 eacutetaient laisseacutes agrave lrsquoappreacuteciation
des magistrats de la commission juges de la recevabiliteacute
b Les enquecirctes priveacutees
379 La difficulteacute du pourvoi en reacutevision consiste dans lrsquoapport de la preuve de la
deacutecouverte drsquoun fait nouveau ou drsquoun eacuteleacutement inconnu Cette situation nrsquoest pas sans rappeler
certaines seacuteries teacuteleacuteviseacutees ameacutericaines ougrave lrsquoavocat megravene sa propre enquecircte pour prouver
lrsquoinnocence de son client Or en France le deacutefenseur laquo ne saurait sans enfreindre une regravegle
deacuteontologique et proceacutedurale fondamentale conduire de lui-mecircme une enquecircte
approfondie raquo4 Crsquoest pourquoi le demandeur ou son avocat peuvent srsquoadresser aux fins
drsquoenquecircte agrave un agent de recherche priveacute5 dont lrsquoactiviteacute laquo consiste agrave collecter par des
enquecirctes pour le compte de personnes physiques ou morales des informations en vue de la
deacutefense des inteacuterecircts dune clientegravele qui recherche geacuteneacuteralement des eacuteleacutements de preuve ou de
preacutesomption conduisant agrave la manifestation de la veacuteriteacute raquo6
380 Toutefois la pratique des enquecirctes priveacutees se heurte agrave lrsquoeacutetat de notre droit7 Deux
hypothegraveses concregravetes illustrent bien cette situation Premiegraverement imaginons que le requeacuterant
veuille confier agrave lrsquoagent de recherche priveacute la surveillance drsquoun teacutemoin susceptible drsquoecirctre 1 P MANGIN laquo Expertise meacutedico priveacutee en marge de lrsquoenquecircte peacutenale raquo AJ Peacutenal 2009 p 436 2 Comm reacutevision 16 deacutec 2002 Bull crim 2002 Comm reacutevision ndeg 2 3 H MARGANNE Lrsquoexpert judiciaire et le droit JCP G 2007 I p 103 4 Ibid 5 Larticle 20 de la loi 83-629 du 12 juillet 1983 relative aux agences de recherches priveacutees deacutefinit lrsquoARP comme laquo la profession libeacuterale qui consiste pour une personne agrave recueillir mecircme sans faire eacutetat de sa qualiteacute ni reacuteveacuteler lobjet de sa mission des informations ou renseignements destineacutes agrave des tiers en vue de la deacutefense de leurs inteacuterecircts raquo 6 M-F HOLLINGER laquo Qui sont les ARP raquo AJ Peacutenal 2009 p 440 7 Ibid
155
reconnu comme le veacuteritable auteur des faits de lrsquoinfraction La Cour de cassation a jugeacute le
caractegravere illicite de telles filatures qursquoelles considegraverent de nature agrave violer le droit agrave la vie
priveacutee proteacutegeacute par lrsquoarticle 9 du code civil1 Deuxiegravemement imaginons qursquoun deacutefenseur ait
eacuteteacute informeacute par un agent de recherche priveacute de lrsquoexistence drsquoun teacutemoin susceptible
drsquoinnocenter son client Dans cette situation lrsquoavocat ne pourra pas se charger de
lrsquointerrogatoire du teacutemoin car laquo entendre soi-mecircme un teacutemoin est rapidement associeacute agrave une
tentative de subornation et fait perdre toute validiteacute au teacutemoignage raquo2
381 Crsquoest pourquoi agrave moins que le fait nouveau laquo tombe du ciel 3raquo le condamneacute se
trouvait rarement en situation de pouvoir le faire eacutemerger Dans lrsquoaffaire Marc MACHIN
jugeacutee en 2001 le recours en reacutevision nrsquoa eu lieu qursquoen 2008 le condamneacute ne disposant
jusqursquoalors drsquoaucun eacuteleacutement nouveau Le fait nouveau eacutetait dans ce cas laquo tombeacute du ciel raquo
puisque David SAGNO a reconnu spontaneacutement ecirctre lrsquoauteur du crime La lourde charge de
la preuve explique que la commission eacutetait destinataire de nombreuses requecirctes en reacutevision
qui mal articuleacutees eacutetaient deacuteclareacutees irrecevables Le problegraveme de lrsquoapport de la preuve
pouvait ecirctre agrave lrsquoorigine drsquoune certaine ineacutegaliteacute entre les requeacuterants Ceux qui disposaient de
ressources financiegraveres suffisantes et ceux dont lrsquoaffaire beacuteneacuteficiait drsquoun fort eacutecho meacutediatique
eacutetaient certainement avantageacutes Il parait essentiel drsquooffrir au condamneacute les garanties
proceacutedurales lui permettant de prouver le doute sur sa culpabiliteacute Le salut du condamneacute
passait par le Garde des sceaux susceptible drsquointroduire lui-mecircme la requecircte ce qui
dispensait le requeacuterant de la difficile tacircche de lrsquoarticulation Toutefois ce type drsquoinitiatives
demeurait trop peu nombreux
382 En second lieu drsquoun point de vue conjoncturel le requeacuterant avait agrave subir le choix
de la juridiction de reacutevision de suspendre ou de ne pas suspendre lrsquoexeacutecution de sa
condamnation
sect 2 Le caractegravere discreacutetionnaire de la suspension de lrsquoexeacutecution de
la condamnation
383 Laisseacutee degraves le deacutepart de la proceacutedure au libre arbitrage de la commission (A)
cette preacuterogative deacutebouchait sur une deacutecision incontestable qui srsquoimposait agrave tous (B) 1 Civ 2e 3 juin 2004 Bull civ II ndeg 273 et Civ 1re 6 mars 1996 Bull civ I ndeg 124 laquo Est illicite toute immixtion arbitraire dans la vie priveacutee dautrui raquo 2 F SAINT-PIERRE Investigations priveacutees en deacutefense questions de meacutethode et difficulteacutes de pratique op cit p 433 3 Expression emprunteacutee agrave Monsieur B COTTE
156
A Une preacuterogative de la commission
384 Lrsquoancien article 624 du Code de proceacutedure peacutenale disposait que laquo la commission
saisie dune demande de reacutevision peut agrave tout moment ordonner la suspension de lexeacutecution
de la condamnation Il en est de mecircme pour la Cour de reacutevision lorsquelle est saisie raquo
Srsquoagissant de la Cour de reacutevision juridiction de jugement son pouvoir de suspension de
lrsquoexeacutecution de la condamnation eacutetait une conseacutequence de son droit drsquoannuler la condamnation
prononceacutee En revanche la commission agissant comme une juridiction dite drsquoinstruction ne
pouvait pas annuler une condamnation Aussi son pouvoir de suspension de lrsquoexeacutecution de la
condamnation pouvait-il paraitre surprenant
385 En usant dans lrsquoancien article 624 du verbe laquo pouvoir raquo le leacutegislateur a voulu
indiquer le caractegravere facultatif de la suspension de lrsquoexeacutecution de la condamnation La loi de
1989 avait modifieacute le droit anteacuterieur selon lequel laquo lorsque lrsquoarrecirct ou le jugement nrsquoavait pas
encore eacuteteacute mis agrave exeacutecution la condamnation eacutetait suspendue de plein droit agrave compter de la
demande formeacutee par le Ministre de la justice agrave la Cour de cassation raquo Le fait drsquoaccorder
automatiquement un effet suspensif agrave toute requecircte en reacutevision formeacutee par un condamneacute qui
nrsquoavait pas encore commenceacute agrave exeacutecuter sa peine revenait agrave mettre agrave sa disposition un proceacutedeacute
dilatoire lui permettant de prendre la fuite ou de faire disparaitre des preuveshellip Cest pourquoi
que la condamnation soit ou non mise agrave exeacutecution sa suspension eacutetait dans les deux cas
facultative et non automatique La suspension de lrsquoexeacutecution de la condamnation pouvait ecirctre
deacutecideacutee sans condition aucune ou bien ecirctre depuis la loi du 10 mars 20101 conditionneacutee agrave
laquo lobligation de respecter tout ou partie des conditions dune libeacuteration conditionnelle
preacutevues par les articles 731 et 731-1 y compris le cas eacutecheacuteant celles reacutesultant dun
placement sous surveillance eacutelectronique mobile raquo Il pouvait srsquoagir comme dans lrsquoaffaire
LEPRINCE de fixer la reacutesidence du requeacuterant chez une personne deacutesigneacutee de lui enjoindre
de reacutepondre aux convocations judiciaires et de lui interdire de paraicirctre dans certains lieux ou
drsquoentrer en relation avec certaines personnes2
386 Le bien-fondeacute de la suspension de lrsquoexeacutecution de la condamnation deacutecideacutee par la
commission se pose diffeacuteremment selon les sources qui ont motiveacute cette deacutecision fondeacutee soit
sur la constatation de lrsquoinnocence soit sur la deacutecouverte drsquoun doute sur la culpabiliteacute La
reconnaissance au beacuteneacutefice de la commission du pouvoir de suspension de lrsquoexeacutecution de la 1 Loi ndeg 2010-242 du 10 mars 2010 tendant agrave amoindrir le risque de reacutecidive criminelle et portant diverses dispositions de proceacutedure peacutenale 2 Commrevision 1er juillet 2010 ndeg 05-REV145
157
condamnation eacutetait preacutecieuse et neacutecessaire lorsqursquoelle constatait lrsquoinnocence aveacutereacutee du
requeacuterant (1) En revanche lorsque la transmission de la requecircte agrave la Cour de reacutevision se
fondait sur un seul doute sur la culpabiliteacute la question de la suspension de lrsquoexeacutecution de la
peine eacutetait plus contestable (2)
1 La neacutecessaire suspension de lrsquoexeacutecution de la condamnation en cas
drsquoinnocence
387 Srsquoagissant de la constatation de lrsquoinnocence par la commission situation non
preacutevue par le leacutegislateur celle-ci se produisait de plus en plus freacutequemment sous lrsquoeffet des
progregraves de la science1 Au travers drsquoexemples concrets nous expliquerons qursquoen cas
drsquoinnocence la suspension de lrsquoexeacutecution de la condamnation par la commission revecirctait un
reacuteel inteacuterecirct
388 Si dans la majoriteacute des cas la demande de suspension de lrsquoexeacutecution de la
condamnation concernait une peine privative de liberteacute une telle demande pouvait ecirctre
formuleacutee au regard drsquoautres types de condamnations notamment en matiegravere correctionnelle
(ex condamnation agrave la deacutemolition drsquoun ouvrage2)
Inteacuteressons-nous agrave une requecircte en reacutevision qui jugeacutee en 2005 concernait le deacutelit de deacutetention
drsquoun chien de premiegravere cateacutegorie non steacuteriliseacute auquel srsquoajoutaient des contraventions connexes
agrave la regraveglementation sur les chiens dits dangereux3 Lrsquoauteur de lrsquoinfraction avait eacuteteacute
condamneacute agrave une peine drsquoemprisonnement avec sursis agrave une amende et agrave lrsquoeuthanasie du
chien Le demandeur en reacutevision avait soumis son chien agrave un examen veacuteteacuterinaire dont les
conclusions indiquaient que laquo lanimal eacutetait morphologiquement proche dun labrador et non
comme indiqueacute drsquoun rottweiler croiseacute staff et qursquoil ne relevait donc daucune des deux
cateacutegories de chiens dangereux deacutefinies par l article L 211-1 du Code rural et par l arrecircteacute
ministeacuteriel du 27 avril 1999 raquo4 Ce reacutesultat ayant eacuteteacute confirmeacute par une expertise deacutecideacutee par
la commission de reacutevision le chien a eu la vie sauve gracircce agrave la suspension de la condamnation
(lrsquoeuthanasie du chien) La condamnation fut ensuite annuleacutee par la Cour de reacutevision
389 De mecircme la suspension de la condamnation par la commission srsquoaveacuterait utile
dans lrsquohypothegravese de la reconnaissance de lrsquoinnocence drsquoun demandeur condamneacute agrave une peine
1 G DEHARO laquo Lrsquoarticulation du savoir et du pouvoir dans le preacutetoire raquo Gaz Pal 2005 ndeg 265 p 3 speacutec4 2 V article L 480-5 du code de lrsquourbanisme 3 V article L 211-11 du code rural et de la pecircche maritime 4 Cass crim 8 feacutevrier 2005 ndeg 04-85708
158
privative de liberteacute Le maintien en deacutetention drsquoun individu dont lrsquoinnocence jaillissait devant
la commission eacutetait injustifieacute Lrsquointeacuterecirct de la suspension de lrsquoexeacutecution de la condamnation
par la commission paraissait donc eacutevident dans le cas drsquoune deacutecouverte de lrsquoinnocence du
requeacuterant
390 Toutefois la commission srsquoeacutetait empareacutee de lrsquoexamen du doute sur la culpabiliteacute
sans qursquoil soit possible drsquoeacutevaluer avec preacutecision le degreacute drsquointensiteacute de doute qursquoelle exigeait1
Les affaires dont les requecirctes eacutetaient transmises agrave la Cour de reacutevision par rapport agrave un doute
sur la culpabiliteacute pouvaient eacutegalement donner lieu agrave une suspension de lrsquoexeacutecution de la
condamnation Deacutecideacutee par la commission cette prise de deacutecision paraissait quant agrave elle plus
discutable
2 La suspension contesteacutee de lrsquoexeacutecution de la condamnation en cas de doute
sur la culpabiliteacute
391 Lorsque la commission suspendait lrsquoexeacutecution de la condamnation en dehors du
cas de lrsquoinnocence cette deacutecision eacutetait motiveacutee par un doute sur la culpabiliteacute du demandeur
Aussi un risque de divergence drsquoappreacuteciation du doute entre la commission et la Cour de
reacutevision eacutetait-il possible En effet si face agrave lrsquoeacutevidence de lrsquoinnocence les deux organes de
reacutevision pouvaient aiseacutement se retrouver il nrsquoen eacutetait pas forceacutement ainsi en preacutesence drsquoun
doute sur la culpabiliteacute A partir du moment ougrave la commission suspendait lrsquoexeacutecution drsquoune
peine privative de liberteacute il fallait proceacuteder agrave la reacuteincarceacuteration du demandeur lorsqursquoil
existait quant au doute une divergence entre les deux organes Lrsquoaffaire LEPRINCE2 a
donneacute lieu agrave cette situation qualifieacutee de laquo scandale raquo3 par Monsieur COTTE
392 Ce pouvoir de suspension semblait justifieacute par le parallegravele entre la commission et
une juridiction drsquoinstruction En effet le juge drsquoinstruction peut valider une demande de mise
en liberteacute et lever le placement en deacutetention provisoire4 Ce point de vue accreacutediterait donc le
pouvoir de suspension de lrsquoexeacutecution de la condamnation de la commission La
reacuteincarceacuteration peut avoir lieu dans le cadre du deacuteroulement drsquoune proceacutedure judiciaire
1 V supra ndeg 320 agrave 327 2 M BOMBLED laquo Rejet drsquoune requecircte en reacutevision controverseacutee raquo obs sous cass crim ndeg 10-85247 Dalloz actualiteacutes 13 avril 2011 3 Propos rapporteacutes par Monsieur FENECH lors de lrsquoaudition de Madame ANZANI op cit 4 Sur ce point V article 148 CPP Dans la deacutecision ndeg 2011-153 QPC du 13 juillet 2011 le Conseil constitutionnel rappelle que laquo quel que soit le reacutegime de deacutetention qui est applicable au mis en examen celui-ci peut agrave tout moment preacutesenter une demande de mise en liberteacute dans les conditions preacutevues par lrsquoarticle 148 du CPP raquo
159
ordinaire placement en deacutetention provisoire ndash remise en liberteacute accordeacutee par le juge
drsquoinstruction ndash condamnation par la cour drsquoassises et reacuteincarceacuteration La reacuteincarceacuteration du
demandeur deacutebouteacute par la Cour de reacutevision srsquoinscrirait donc dans la mecircme logique
393 Toutefois nous ne souscrivons pas agrave cette deacutemonstration Contrairement au juge
drsquoinstruction qui laquo nrsquoest pas juge de la culpabiliteacute ou de lrsquoinnocence de la personne qursquoil met
en examen raquo1 la commission en srsquoemparant du doute prenait position par rapport agrave
lrsquoinnocence ou agrave la culpabiliteacute du demandeur De plus il parait difficile de justifier la
divergence de points de vue entre les deux organes qui composeacutes de magistrats du mecircme
grade examinaient finalement la mecircme chose le doute sur la culpabiliteacute Degraves lors laquo le fait
que la suspension de la condamnation soit arrecircteacutee par la commission tend agrave conforter lrsquoideacutee
selon laquelle les deacutecisions de cette instance constitueraient une sorte de preacute-jugement que la
cour serait appeleacutee agrave valider raquo2 Dans lrsquohypothegravese ougrave la Cour de reacutevision ne validerait pas la
deacutecision de la commission entrainant ainsi une reacuteincarceacuteration du demandeur que dire
Maicirctre Franccedilois FOURNIE srsquoest deacuteclareacute laquo extrecircmement choqueacute du traitement et du sort
reacuteserveacute agrave Dany LEPRINCE 3raquo
394 En outre srsquoil existe drsquoun point de vue mateacuteriel (remise en liberteacute) une similitude
entre la commission qui suspend lrsquoexeacutecution de la condamnation et le juge drsquoinstruction
favorable agrave une demande de mise en liberteacute ces deux situations sont diffeacuterentes srsquoagissant des
motivations intrinsegraveques du juge drsquoinstruction et de la commission Paradoxalement il serait
plus juste de comparer la situation de la commission qui suspend lrsquoexeacutecution drsquoune
condamnation avec celle du placement en deacutetention provisoire drsquoun mis en examen A
premiegravere vue laquo la comparaison semble asymeacutetrique puisque dans un cas il srsquoagit de deacutetention
et dans lrsquoautre de liberteacute raquo4 Mais agrave bien y reacutefleacutechir elle apparaicirct plutocirct judicieuse car dans les
deux cas la deacutecision devra ecirctre prise en eacutevitant laquo la tentation du preacute jugement raquo5 Crsquoest pour
eacuteviter ce preacute jugement que durant lrsquoinstruction le placement en deacutetention provisoire est
deacutecideacute non par le juge drsquoinstruction mais par le juge des liberteacutes et de la deacutetention6 La loi du
15 juin 2000 a laquo retireacute au juge drsquoinstruction la compeacutetence pour placer en deacutetention provisoire
1 J-L COSTE op cit p 422 2 Rapport drsquoinformation ndeg 1598 op cit Contribution de Monsieur LAMANDA p 181 3 Mission drsquoinformation relative agrave la reacutevision des condamnations peacutenales Audition de Monsieur F FOURNIE 17 octobre 2013 accessible sur httpvideosassemblee-nationalefrcommissionsrevision-des-condamnations-penales-mission 4 Ibid 5 V Deacutecision ndeg 2010-62 QPC 6 Loi ndeg 2000-516 du 15 juin 2000 renforccedilant la preacutesomption dinnocence et les droits des victimes
160
ou pour refuser une demande de mise en liberteacute1 raquo Cette reacuteforme a eu lieu laquo afin de
preacutevenir lrsquoutilisation de celle-ci [la deacutetention provisoire] agrave des fins de pression sur la
juridiction de jugement qui eacutetait tregraves souvent conduite agrave couvrir la deacutetention provisoire
(hellip)2 raquo Appliqueacute agrave la reacutevision il conviendrait drsquoeacuteviter que la libeacuteration de la personne qui a
fait lrsquoobjet drsquoune condamnation en principe irreacutevocable ne fournisse agrave la commission
drsquoinstruction un moyen drsquoinfluencer la deacutecision de la Cour de reacutevision Monsieur
LAMANDA premier preacutesident de la Cour de cassation remarque que lrsquoon ne pourrait
admettre durant lrsquoinstruction laquo que celui qui instruit une affaire puisse prendre une deacutecision
privative de liberteacute au motif qursquoil connait lrsquoaffaire mieux que personne raquo3
395 En deacutefinitive hormis le cas de lrsquoeacutevidente innocence drsquoailleurs ignoreacute par le
leacutegislateur il nous semble que le respect de la chose jugeacutee et la preacuteservation de la paix sociale
aurait ducirc inciter agrave confier la deacutecision de suspendre lrsquoexeacutecution de la condamnation agrave la Cour
de reacutevision seule agrave pouvoir annuler la condamnation prononceacutee Monsieur Franccedilois
FOURNIE reacutesume ainsi notre position laquo ccedila fait perdre du temps ccedila impose qursquoun condamneacute
reste plus longtemps en prison mais ccedila eacutevite lrsquoaffaire Dany LEPRINCE raquo4
396 Laisseacutee au libre arbitre de la commission cette preacuterogative ne pouvait faire
lrsquoobjet drsquoaucun recours Crsquoest ainsi que le choix de suspendre ou de ne pas suspendre
lrsquoexeacutecution de la condamnation pouvait srsquoapparenter agrave un fait du prince puisque cette
deacutecision srsquoimposait agrave tous
B Une deacutecision incontestable
397 La deacutecision de la commission drsquoordonner ou de ne pas ordonner la suspension de
lrsquoexeacutecution de la condamnation srsquoimposait au parquet et au requeacuterant qui priveacutes de tout
recours devaient srsquoincliner Srsquoagissant le plus souvent drsquoune peine privative de liberteacute le
parquet ne pouvait pas srsquoopposer agrave la suspension de lrsquoexeacutecution de la condamnation et de son
cocircteacute le requeacuterant ne pouvait pas attaquer une deacutecision de refus de suspension Il srsquoagissait
pour eux drsquoune deacutecision sans appel (1) Quant agrave la partie civile elle eacutetait mise
complegravetement agrave lrsquoeacutecart de cette phase deacutecisionnelle (2)
1 Deacutecision ndeg 2010-62 QPC ndash 17 deacutecembre 2010 Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel Cahier ndeg 30 2 Ibid 3 Assembleacutee Nationale Rapport drsquoinformation op cit Contribution de Monsieur V LAMANDA opcit p 181 4 Commission des Lois Audition de Monsieur F FOURNIE op cit
161
1 Lrsquoabsence de recours pour les parties
398 Pour ce qui est du parquet la situation eacutetait la suivante Lors de lrsquoaudience
devant la commission le ministegravere public preacutesentait ses reacutequisitions A cette occasion il
pouvait lorsqursquoil jugeait la requecircte irrecevable reacuteclamer sa non transmission agrave la Cour de
reacutevision Ignorant les reacutequisitions du parquet la commission pouvait toujours transmettre la
requecircte et suspendre lrsquoexeacutecution de la condamnation
399 Une situation similaire peut se retrouver dans le cadre drsquoune instruction ordinaire
Toutefois lrsquoarticle 185 alineacutea 1 du Code de proceacutedure peacutenale permet au procureur drsquointerjeter
appel laquo de toute ordonnance du juge drsquoinstruction et du juge des liberteacutes et de la deacutetention raquo
et son alineacutea 2 confegravere aussi ce droit au procureur geacuteneacuteral Ce texte est interpreacuteteacute par la
doctrine comme une disposition de nature agrave srsquoappliquer agrave toutes les ordonnances
juridictionnelles crsquoest-agrave-dire laquo celles qui tranchent une contestation au terme drsquoune proceacutedure
organiseacutee raquo1 Sont donc concerneacutees les ordonnances rendues en matiegravere de deacutetention
provisoire2 La liberteacute eacutetant la regravegle lrsquoappel interjeteacute par le procureur est sans effet suspensif3
Crsquoest pourquoi parallegravelement agrave son appel le procureur peut eacutelever devant le premier preacutesident
de la cour drsquoappel un reacutefeacutereacute-deacutetention afin de suspendre les effets de lrsquoordonnance de remise
en liberteacute et maintenir le mis en examen en deacutetention (le temps de la deacutecision drsquoappel)4 Un
dispositif semblable nrsquoexistait pas en matiegravere de reacutevision
400 Bien que srsquoagissant drsquoune part drsquoun preacutesumeacute innocent et drsquoautre part drsquoun
condamneacute deacutefinitif on retrouve du point de vue mateacuteriel la mecircme reacutealiteacute ne pas permettre
la remise en liberteacute du mis en examen et ne pas permettre la remise en liberteacute du condamneacute en
suspendant lrsquoexeacutecution de sa peine Que ce soit dans le domaine de la reacutevision ou dans celui
de lrsquoinstruction il est impeacuterieux drsquolaquo eacuteviter que [hellip] lirreacuteparable saccomplisse [hellip] -
disparition de linteacuteresseacute reacuteiteacuteration de linfraction raquo5
401 Pour ce qui est du requeacuterant dans lrsquohypothegravese ougrave la commission est toujours
compareacutee agrave une juridiction drsquoinstruction lrsquoarticle 186 du Code de proceacutedure peacutenale autorise le
1 G CORNU Vocabulaire juridique op cit V Ordonnance 2 Cass crim 6 juillet 1993 JCP 1993 II 22115 3 Sur ce point V S GUINCHARD J BUISSON op cit ndeg 2107 cass crim 22 avril 1985 JCP 1986 II 20594 note W JEANDIDIER D 1985 p 464 note J PRADEL 4 J BUISSON Le reacutefeacutereacute-deacutetention du Procureur de la Reacutepublique issu de la loi ndeg2002-1138 du 09 septembre 2002 (CPP art1486161 et 187-3 nouv) Proceacutedures Novembre 2002 p 7 V eacutegalement articles 148-1-1 CPP et 187-3 CPP 5 Preacutesentation des dispositions relatives au reacutefeacutereacute-deacutetention issues de la loi ndeg 2002-1138 du 9 septembre 2002 dorientation et de programmation pour la justice CRIM 2002-14 E830-10-2002 NOR JUSD0230174C
162
mis en examen agrave interjeter appel des ordonnances relatives agrave sa deacutetention provisoire Lappel
de lordonnance de placement en deacutetention provisoire peut agrave la demande expresse de la
personne mise en examen ecirctre soumis agrave une proceacutedure acceacuteleacutereacutee il srsquoagit du reacutefeacutereacute-liberteacute
preacutevu par les articles 187-1 et 187-2 du Code de proceacutedure peacutenale laquo qui a pour effet de faire
leacuteconomie des deacutelais de la mise en eacutetat raquo1 Le parallegravele entre les deux juridictions lrsquoune
ordinaire lrsquoautre exceptionnelle aurait pu inviter le leacutegislateur agrave accorder au condamneacute le
droit de contester un refus de suspension drsquoexeacutecution de la condamnation
402 Enfin concernant la partie civile alors que sa place est largement reconnue par la
justice laquo ordinaire raquo quant agrave lrsquoexeacutecution des peines elle eacutetait inexistante dans le cadre de la
suspension drsquoexeacutecution de la condamnation
2 Lrsquoeacuteviction de la partie civile
403 Srsquoagissant de la partie civile lrsquoarticle 186 du Code de proceacutedure peacutenale lui
reconnaicirct durant lrsquoinstruction le droit drsquointerjeter appel de toute ordonnance faisant laquo grief agrave
ses inteacuterecircts civils raquo Le Conseil constitutionnel a neacuteanmoins rappeleacute qursquo laquo il est toutefois
interdit agrave la partie civile de former appel des mesures de sucircreteacute prises contre le mis en
examen (deacutetention provisoire ou controcircle judiciaire) raquo2 Crsquoest ainsi qursquoil est interdit agrave la
partie civile laquo drsquointerjeter appel des mesures des ordonnances qui inteacuteressent directement le
mis en examen dans sa deacutetention ou son controcircle judiciaire raquo3 Sur ce point le traitement qui
lui eacutetait reacuteserveacute dans le cadre de la proceacutedure de reacutevision eacutetait similaire et entiegraverement justifieacute
404 En revanche son exclusion du deacutebat par rapport agrave la deacutecision de la commission
de suspendre ou de ne pas suspendre lrsquoexeacutecution de la condamnation nous parait discutable
La partie civile pouvait mecircme ignorer lrsquoexistence drsquoune proceacutedure de reacutevision Lrsquoarticle
preacuteliminaire du Code de proceacutedure peacutenale dispose pourtant sans distinguer que laquo lrsquoautoriteacute
judiciaire veille agrave linformation et agrave la garantie des droits des victimes au cours de toute
proceacutedure peacutenale raquo
405 Lrsquoabsence de la partie civile eacutetait en contradiction avec la place qui lui est
reacuteserveacutee au moment des prises de deacutecision sur lrsquoexeacutecution des peines dans la proceacutedure
ordinaire En effet il existe agrave ce stade un reacuteel eacutechange entre la partie civile et le juge de
lrsquoapplication des peines Ce magistrat dispose de pouvoirs dinvestigations qui lui permettent
1 F-L COSTE op cit ndeg 89 et s 2 Deacutecision ndeg 2011-153 QPC du 13 juillet 2011 3 S GUINCHARD J BUISSON op cit ndeg 2067
163
drsquoeacutevaluer les conseacutequences drsquoune mesure drsquoindividualisation de la peine sur la personne de la
victime Une des ambitions de la loi du 15 juin 2000 a eacuteteacute que laquo les inteacuterecircts des victimes
soient mieux pris en consideacuteration dans la phase dexeacutecution de la peine raquo Il en deacutecoule que
laquo toute mesure dindividualisation de la peine concernant un condamneacute doit prendre en
compte linteacuterecirct de la victime tant en ce qui concerne les inteacuterecircts patrimoniaux de celle-ci que
ses inteacuterecircts moraux et sa seacutecuriteacute [hellip] le fait que les victimes ne soient pas juridiquement
parties agrave la proceacutedure deacutesormais juridictionnaliseacutee de lapplication des peines ne doit en effet
pas avoir pour conseacutequence de porter atteinte agrave leurs inteacuterecircts1raquo Lrsquoarticle D 526 du Code de
proceacutedure peacutenale met agrave la disposition du juge de lrsquoapplication des peines les moyens
drsquoinvestigations utiles agrave lrsquoinstruction des demandes de libeacuteration conditionnelle laquo Lenquecircte
meneacutee agrave cette fin peut porter sur les conseacutequences dune libeacuteration conditionnelle au regard
de la situation de la victime Les informations recueillies constituent lun des eacuteleacutements
dappreacuteciation pris en compte par selon le cas le juge de lapplication de la peine ou la
juridiction reacutegionale de la libeacuteration conditionnelle non seulement pour deacutecider sil doit ecirctre
fait droit agrave la demande mais aussi pour deacutefinir les mesures de controcircle auxquelles doit ecirctre
soumis le condamneacute raquo La prise en compte des inteacuterecircts de la victime dans lrsquoexeacutecution de la
condamnation srsquoeacutetait arrecircteacutee au seuil de la proceacutedure de reacutevision Une deacutecision de suspension
de lrsquoexeacutecution de la condamnation ne devrait-elle pas pouvoir pour le moins donner lieu agrave
des observations eacutecrites ou orales formuleacutees par la partie civile
406 La composition des juridictions de reacutevision soumise agrave des consideacuterations drsquoordre
conjoncturel posait elle aussi question
Section 2 La composition des juridictions de reacutevision
407 Pour ce qui est de la commission lrsquoalineacutea 5 de lrsquoancien article 623 du Code de
proceacutedure peacutenale preacutevoyait que la mission de filtrage eacutetait assureacutee par cinq magistrats de la
Cour de cassation Srsquoagissant de la Cour de reacutevision lrsquoancien article 623 du Code de
proceacutedure peacutenale indiquait simplement que la commission de reacutevision laquo saisit la chambre
criminelle qui statue comme Cour de reacutevision raquo Les dispositions relatives agrave la composition
de ces deux organes eacutetaient incomplegravetes (sect 1) Cette situation eacutetait de nature agrave entretenir un
climat de soupccedilon srsquoagissant de lrsquoimpartialiteacute de ces deux instances (sect 2)
1 Preacutesentation des dispositions de la loi du 15 juin 2000 renforccedilant la protection de la preacutesomption dinnocence et les droits des victimes relatives aux victimes CRIM 2001-07 F114-05-2001 NOR JUSD0130065C
164
sect 1 Des dispositions leacutegislatives incomplegravetes
408 La composition de la commission eacutetait abordeacutee de maniegravere laconique par le
leacutegislateur (A) Concernant celle de la Cour de reacutevision il ne srsquoeacutetait pas exprimeacute sur sa
structuration (B)
A La composition de la commission de reacutevision
409 La composition de la commission de reacutevision eacutetait preacutevue par lrsquoancien article 623
alineacutea 5 du Code de proceacutedure peacutenale qui disposait laquo La demande en reacutevision est adresseacutee agrave
une commission composeacutee de cinq magistrats de la Cour de cassation deacutesigneacutes par
lassembleacutee geacuteneacuterale de cette juridiction et dont lun choisi parmi les membres de la chambre
criminelle en assure la preacutesidence Cinq magistrats suppleacuteants sont deacutesigneacutes selon les mecircmes
formes Les fonctions du ministegravere public sont exerceacutees par le parquet geacuteneacuteral de la Cour de
cassation raquo Cette disposition eacutetait un des principaux apports de la loi de 1989 qui a
laquo judiciariseacute raquo1 le filtrage des requecirctes en mettant fin agrave une pratique attentatoire agrave la seacuteparation
des pouvoirs En effet par le passeacute le Garde des sceaux avait la mainmise sur le filtrage des
requecirctes Nonobstant le fait que la judiciarisation du filtrage eacutetait un reacuteel progregraves de la loi de
1989 (1) le texte demeurait encore trop impreacutecis quant agrave la composition de la commission de
reacutevision (2)
1 La judiciarisation du filtrage un progregraves de la loi de 1989
410 Afin de mieux comprendre les effets de la judiciarisation de 1989 sur
lrsquoaccessibiliteacute du pourvoi en reacutevision il est utile de rappeler le droit anteacuterieur En effet par le
passeacute le filtrage des requecirctes srsquoeffectuait diffeacuteremment par le Garde des sceaux selon qursquoil
srsquoagissait drsquoune demande fondeacutee sur un cas deacutetermineacute ou sur le quatriegraveme cas drsquoouverture agrave
reacutevision En preacutesence drsquoun cas drsquoouverture deacutetermineacute dont la demande eacutetait recevable le
Ministre de la justice se trouvait dans lrsquoobligation de saisir la Cour de cassation2 A lrsquoinverse
face agrave une requecircte introduite sur le fondement drsquoun fait nouveau le Ministre de la justice
veacuteritable laquo juge de lrsquoopportuniteacute raquo3 pouvait agrave lrsquoissue drsquoune proceacutedure secregravete et non
contradictoire saisir ou ne pas saisir la Cour de cassation Apregraves avis drsquoune commission
consultative composeacutee de trois magistrats professionnels et de trois directeurs issus du 1 Terme employeacute par lrsquoexposeacute des motifs de la proposition de loi en 1988 V HANGEVIN Les demandes en reacutevision op cit ndeg 12 2 Cass crim 23 avril 1896 op cit 3 Expression emprunteacutee agrave Eliane de VALICOURT
165
Ministegravere de la Justice la transmission de la demande avait lieu sous lrsquoeacutegide du Garde des
sceaux seul juge La pratique a deacutemontreacute que le directeur des affaires criminelles et des
gracircces choisissait ses deux assistants Selon Monsieur Bruno COTTE directeur de la
Direction des Affaires Criminelles et des Gracircces de 1984 agrave 1990 laquo le directeur pouvait
orienter la deacutecision choisissant des personnes hostiles agrave la reacutevision raquo1 Aussi deacutecideacutees de
maniegravere discreacutetionnaire par le Garde des sceaux les transmissions agrave la Cour de cassation
eacutetaient-elles perccedilues comme le fait du prince comportant un eacutevident risque drsquoarbitraire2 Cet
laquo acte de haute administration raquo3 placeacute entre les mains du Ministre de la justice nrsquoeacutechappait
pas agrave des consideacuterations politiques4 susceptibles de nuire agrave la prospeacuteriteacute de certaines
demandes5
411 Crsquoest pourquoi la loi de 1989 a mis un terme agrave cette phase administrative en
attribuant la mission de filtrage des requecirctes agrave une commission exclusivement composeacutee de
magistrats6 et ceci quels que soient les cas drsquoouverture7 La lecture de lrsquoancien alineacutea 5 de
lrsquoarticle 623 du Code de proceacutedure peacutenale laissait entrevoir une vision manifestement plus
libeacuterale de la proceacutedure de reacutevision Toutefois il ne srsquoagit que drsquoune vision theacuteorique quelque
peu idyllique
412 En effet nous avons mis lrsquoaccent sur la seacuteveacuteriteacute du filtrage tel qursquoil eacutetait meneacute par
la commission juge du doute Statistiquement les pourvois en reacutevision nrsquoont pas vraiment
prospeacutereacute depuis 1989 Alors que le Garde des Sceaux adressait environ 32 requecirctes par an agrave
la Cour de cassation seulement 34 demandes ont eacuteteacute en moyenne annuellement transmises agrave
la Cour de reacutevision par la commission de reacutevision8 De plus les dispositions leacutegislatives
relatives agrave la composition de la commission manquaient de preacutecision Cette imperfection eacutetait
1 E de VALICOURT op cit p 204 2 BOUZAT et PINATEL op cit p 1465 en sens contraire V M GENDREL op cit ndeg 14 laquo En veacuteriteacute le changement de laquo filtre raquo ainsi reacutealiseacute ne simposait pas en eacutequiteacute nul abus de lexeacutecutif neacutetait concregravetement deacutenonceacute non seulement il ny avait pas de laquo Monsieur Veacuteto raquo mais on peut relever bien des arrecircts reacutecents deacuteclarant irrecevables des demandes preacutesenteacutees pour fait nouveau par le ministre de la Justice Lideacutee dune chancellerie sefforccedilant dlaquo occulter raquo les erreurs judiciaires eacutetait aussi preacuteconccedilue et inexacte que lest (et lagrave encore le leacutegislateur a suivi) la conception dun jury dassises laquo manipuleacute raquo par des magistrats professionnels sans pitieacute ou encore celle dun parquet visant systeacutematiquement agrave la reacutepression raquo 3 F HELIE op cit p 535 4 Monsieur GENDREL qualifiait la reacuteforme de 1989 de laquo deacutepolitisation raquo de la reacutevision V M GENDREL op cit ndeg 14 5 Degraves son arriveacutee agrave la Chancellerie Robert BADINTER avait fortement encourageacute la suppression du filtre exerceacute par le Ministre de la justice V P CASSIA Robert Badinter Un juriste en politique 2009 eacutedition Fayard 6 Rapport ndeg 630 fait devant lAssembleacutee Nationale au nom de la commission des lois par M Philippe MARCHAND deacuteputeacute le 23 novembre 1988 (2e sdeg 1988-89) 7 M GENDREL op cit ndeg 11 laquo La loi de 1989 introduit un laquo filtre raquo judiciaire toujours requis se substituant au filtre ministeacuteriel partiel traditionnel raquo 8 Rapport drsquoinformation op cit p 16
166
de nature agrave eacuteriger une sorte de barriegravere agrave lrsquoaccessibiliteacute de la proceacutedure pourtant voulue par le
leacutegislateur de 1989
2 Lrsquoinsuffisante preacutecision des regravegles eacutetablies
413 Composeacutee seulement de cinq magistrats la commission eacutetait un petit eacutechantillon
de la pleacutenitude de la Cour de cassation qui comporte six chambres Toutefois lrsquoautoriteacute de la
chose jugeacutee socle de la proceacutedure de la reacutevision eacutetant diffeacuteremment appreacutecieacutee au civil qursquoau
peacutenal la remarque eacutevoqueacutee ci-dessus restait marginale En revanche la question de la
reacutepartition des membres au sein de la commission srsquoaveacuterait plus deacutelicate En effet le texte ne
faisait reacutefeacuterence qursquoau Preacutesident qui eacutetait issu de la chambre criminelle sans apporter drsquoautres
preacutecisions quant agrave lrsquoorigine du corps des quatre autres membres
414 Ensuite bien que le filtrage exerceacute par la commission fucirct proche de lrsquoinstruction
ordinaire aucune reacutefeacuterence nrsquoeacutetait faite agrave ce sujet par rapport aux fonctions anteacuterieures des
membres de la commission (anciennement juge drsquoinstruction) Depuis 1949 la phase
drsquoinstruction de la proceacutedure peacutenale fait lrsquoobjet de commissions de reacuteflexion qui reconnaissent
dans le juge drsquoinstruction laquo le Janus du monde judiciaire raquo1 La loi du 5 mars 20072 dont
lrsquoentreacutee en vigueur a encore eacuteteacute reporteacutee drsquoune anneacutee par la loi de finances pour 20143 a
modifieacute en profondeur lrsquoinstruction preacuteparatoire Degraves lors il aurait paru utile que certains
membres de la commission de reacutevision assimileacutes agrave des magistrats instructeurs aient deacutejagrave
occupeacute une telle fonction au cours de leur carriegravere
415 Enfin le texte ne se prononccedilait pas sur la dureacutee des fonctions des membres de la
commission les possibles incompatibiliteacutes ou encore les modaliteacutes concregravetes qui deacutefinissaient
la deacutesignation du Preacutesident celles des quatre autres membres et des suppleacuteants Toutes ces
impreacutecisions ont eacuteteacute surmonteacutees par la commission elle-mecircme lors de la constitution de la
premiegravere commission4 En reacuteponse agrave toutes ces questions la commission avait deacutecideacute que ses
membres seraient eacutelus par lAssembleacutee Geacuteneacuterale de la Cour de cassation et choisis parmi les
conseillers ou conseillers reacutefeacuterendaires des diverses chambres de la haute juridiction Le
Preacutesident et son suppleacuteant appartenaient obligatoirement aux effectifs de la chambre
criminelle et eacutetaient eacutelus selon les mecircmes modaliteacutes Il avait eacuteteacute eacutegalement deacutecideacute que les
1 Expression emprunteacutee agrave Renaud VAN RUYMBEKE 2 Loi ndeg 2007-291 du 5 mars 2007 tendant agrave renforcer leacutequilibre de la proceacutedure peacutenale C GUERY La loi du 5 mars 2007 et lrsquoinstruction preacuteparatoire AJ Peacutenal 2007 p 105 3 Loi ndeg 2013-1278 du 29 deacutecembre 2013 de finances pour 2014 article 129 4 M-L RASSAT op cit p 824
167
fonctions des membres de la commission eacutetaient peacuterennes et ne prenaient fin qursquoune fois que
le magistrat avait quitteacute ses fonctions au sein de la Cour de cassation ou qursquoil avait demandeacute
son eacuteloignement de la commission1 LrsquoAssembleacutee Geacuteneacuterale se reacuteunissait alors pour proceacuteder
agrave son remplacement Il eacutetait eacutegalement admis par la commission elle-mecircme ainsi que par la
doctrine que les magistrats de la chambre criminelle parties prenantes agrave lexamen de laffaire
en commission ne sieacutegeaient plus agrave la Cour de reacutevision2
416 Les modaliteacutes de composition de la commission de reacutevision eacutetaient donc
davantage drsquoorigine preacutetorienne que leacutegislative Cela aurait pu ecirctre eacuteviteacute si le leacutegislateur
srsquoeacutetait inspireacute des modaliteacutes relatives agrave la composition drsquoautres commissions dont les
membres sont issus de la Cour de cassation (par exemple la commission drsquoindemnisation
pour deacutetention provisoire abusive la commission de retrait drsquohabilitation des policiers de
police judiciaire ou la commission drsquoinstruction de la haute cour de justice) Elles ont toutes
fait le choix de nominations annuelles eacutemanant du bureau de la Cour
417 Le leacutegislateur impreacutecis quant agrave la composition de la commission de reacutevision
eacutetait mecircme absent du deacutebat srsquoagissant de lrsquoorganisation de la Cour de reacutevision
B La composition de la Cour de reacutevision
418 Pour ce qui est de la composition de la Cour de reacutevision lrsquoancien article 623
alineacutea 6 du Code de proceacutedure peacutenale apportait cette seule preacutecision laquo (hellip) cette commission
saisit la chambre criminelle qui statue comme cour de reacutevision (hellip) raquo Srsquoagissant de la
composition de la chambre criminelle statuant comme Cour de reacutevision rien nrsquoavait eacuteteacute preacutevu
par le leacutegislateur A ce sujet Monsieur VIOUT eacutevoque un laquo malaise raquo3 La chambre
criminelle est composeacutee drsquoun preacutesident et de quarante conseillers et conseillers reacutefeacuterendaires
soit un nombre total de 41 magistrats Se reacutefeacuterant agrave la formule laquo la chambre criminelle qui
statue comme cour de reacutevision raquo on aurait pu penser que la Cour de reacutevision regroupait les 41
magistrats de la chambre criminelle car il nrsquoy a pas lieu de distinguer lagrave ougrave la loi ne distingue
pas
419 Or laquo le nombre de magistrat qui compose la cour de reacutevision nrsquoa jamais eacuteteacute le
mecircme pour chacun des dossiers qursquoelle a eu agrave connaicirctre Ils eacutetaient 8 le 7 novembre 2006 9 le
2 mai 2011 10 le 12 deacutecembre 2011 11 le 16 septembre 2003 12 le 28 mai 2003 13 le 29 1 Ibid 2 H ANGEVIN laquo Les demandeshellip raquo op cit ndeg 167 3 Rapport drsquoinformation op cit Contribution de Monsieur J-O VIOUT op cit p 241
168
juin 2011 16 le 22 mai 2008 et 33 pour lrsquoaffaire Seznec le 14 deacutecembre 2006 raquo 1 Dans les
faits crsquoest le Preacutesident de la chambre criminelle qui selon lrsquoimportance des affaires deacutecidait
souverainement de la composition de la Cour de reacutevision qui se reacuteunissait soit en formation
pleacuteniegravere soit sous la forme drsquoune section Monsieur VIOUT remarque que laquo de fait la
pratique des preacutesidents successifs de la chambre criminelle a semble-t-il varieacute Si certains
avaient eacutetabli des regravegles tenant agrave la complexiteacute du dossier ndash les affaires simples eacutetaient traiteacutees
au sein de la section de la chambre criminelle deacutedieacutee aux deacutecisions des cours drsquoassises tandis
que les affaires complexes relevaient de lrsquoassembleacutee pleacuteniegravere ndash drsquoautres ont preacutefeacutereacute proceacuteder
au cas par cas ou laisser sieacuteger les membres de la chambre criminelle qui le souhaitaient raquo2
Ainsi la composition de la Cour de reacutevision variait drsquoune affaire agrave lrsquoautre en dehors de tout
cadre leacutegislatif
420 Le manque de preacutecision au sujet de la composition de la juridiction de reacutevision
laquo [paraissait] fragile au regard des exigences de la Convention europeacuteenne des droits de
lrsquohomme raquo3 Cette fragiliteacute alimentait des soupccedilons quant agrave leur impartialiteacute (sect 2)
sect 2 La question de lrsquoimpartialiteacute des juridictions de reacutevision
421 Srsquoagissant de la commission Madame le Professeur LAZERGES fait la
remarque qursquoune meilleure codification de la composition de celle-ci laquo aurait pour avantage
de preacutemunir les hauts magistrats de tout soupccedilon de partialiteacute ou de manque dobjectiviteacute agrave
une eacutepoque ougrave les meacutedias par leur emprise preacuteoccupante sur les procegraves criminels exploitent
reacuteguliegraverement le thegraveme de la deacutenonciation du juge ou celui dune institution judiciaire
corporatiste replieacutee sur elle-mecircme et ne reconnaissant pas ses erreurs raquo4 Monsieur VIOUT
signale par rapport agrave la Cour de reacutevision que le dispositif laquo [nrsquoeacutetait] pas satisfaisant en terme
de fixiteacute et de preacutevisibiliteacute de la composition des juridictions peacutenales Car toute composition
de juridiction peacutenale au fil de lrsquoeau eacuterode lrsquoimage drsquoimpartialiteacute objective dont elle doit
beacuteneacuteficier raquo5
422 Apregraves avoir deacutegageacute les raisons qui preacutesidaient aux soupccedilons de partialiteacute de la
commission et de la Cour de reacutevision (A) nous en eacutetudierons les conseacutequences pour en
deacuteduire qursquoil eacutetait fondamental drsquoeacutevacuer ces soupccedilons (B)
1 F JOHANNES op cit p 427 2 Rapport drsquoinformation op cit Contribution de Monsieur J-O VIOUT op cit p 241 3 C MATHON op cit p 10 4 CNCDH Avis sur la reacutevision des condamnations peacutenales en cas drsquoerreur judiciaire op cit ndeg 26 5 Assembleacutee Nationale Rapport drsquoinformation op cit
169
A Les raisons des soupccedilons de partialiteacute
423 Notre deacutemonstration deacutepassera neacutecessairement les frontiegraveres telles qursquoelles ont
eacuteteacute dessineacutees par le Code de proceacutedure peacutenale En effet le droit objectif de la proceacutedure
peacutenale franccedilaise est soumis aux contraintes drsquoun mouvement de subjectivisation inspireacutee par
la CEDH Ce mouvement est guideacute par le souci permanent drsquoameacuteliorer la qualiteacute de la
justice1
424 Lrsquoimpartialiteacute est viseacutee agrave lrsquoarticle 6 de la CEDH qui dispose laquo toute personne a
droit agrave ce que sa cause soit entendue eacutequitablement publiquement et dans un deacutelai
raisonnable par un tribunal indeacutependant et impartial eacutetabli par la loi qui deacutecidera soit des
contestations sur ses droits et obligations de caractegravere civil soit du bien-fondeacute de toute
accusation en matiegravere peacutenale dirigeacutee contre elle (hellip) raquo Le texte ayant preacuteciseacute un laquo tribunal
[hellip] impartial raquo ceci signifie que lrsquoimpartialiteacute et plus largement le droit agrave un procegraves
eacutequitable suppose que le requeacuterant puisse acceacuteder agrave une juridiction2 En effet ce nrsquoest qursquoagrave
partir du moment ougrave le droit drsquoaccegraves agrave un tribunal a eacuteteacute reconnu au justiciable que srsquoimposera
ensuite le droit drsquoecirctre entendu par un bon juge qui doit neacutecessairement ecirctre impartial3 Il a eacuteteacute
deacutejagrave deacutemontreacute que la commission eacutetait une juridiction La Cour de reacutevision formation de la
chambre criminelle de la Cour de cassation se preacutesentait eacutegalement comme une juridiction
425 Degraves 1982 la CEDH a deacuteclareacute que le principe drsquoimpartialiteacute revecirct deux
aspects laquo On peut distinguer entre une deacutemarche subjective essayant de deacuteterminer ce que
tel juge pensait en son for inteacuterieur en telle circonstance et une deacutemarche objective amenant
agrave rechercher srsquoil offrait des garanties suffisantes pour exclure agrave cet eacutegard tout doute 1 V LAMANDA Lrsquoinfluence de la CEDH sur lrsquoorganisation et le fonctionnement de la cour de cassation Accessible sur httpswwwcourdecassationfrpublications_26autres_publications_discours_2039discours_2202europeenne_droits_11482html 2 CEDH X c Royaume-Uni 21 feacutevrier 1975 requecircte ndeg 445170 3 CEDH GOLDER c Royaume-Uni 21 feacutevrier 1975 req ndeg445170 Le laquo droit agrave un tribunal raquo comprend drsquoune part le droit agrave ce qursquoun tribunal connaisse de toute contestation relative aux droits et obligations du justiciable et drsquoautre part laquo des garanties prescrites par lrsquoarticle 6sect1 quant agrave lrsquoorganisation et agrave la composition du tribunal et quant au deacuteroulement de lrsquoinstance raquo Le droit drsquoaccegraves agrave un juge ne doit pas ecirctre perccedilu sous lrsquoangle du pourvoi en reacutevision comme une autorisation de remise en cause systeacutematique des deacutecisions deacutefinitives La CEDH eacutenonce que laquo le droit agrave un procegraves eacutequitable devant un tribunal garanti par larticle 6 sect 1 doit sinterpreacuteter dapregraves le preacuteambule de la Convention qui eacutenonce la preacuteeacuteminence du droit comme eacuteleacutement du patrimoine commun des Etats contractants Un des eacuteleacutements fondamentaux de la preacuteeacuteminence du droit est le principe de la seacutecuriteacute des rapports juridiques qui veut entre autres que la solution donneacutee de maniegravere deacutefinitive agrave tout litige par les tribunaux ne soit plus remise en cause raquo V CEDH Brumărescu c Roumanie ndeg 2834295 Dans le mecircme sens V Sovtransavto Holding Ukraine 25 juillet 2002 req ndeg 4855399 sect 77 laquo un systegraveme judiciaire marqueacute par hellip la possibiliteacute drsquoannulations reacutepeacuteteacutees drsquoun jugement deacutefinitif raquo est laquo incompatible avec le principe de seacutecuriteacute des rapports juridiques qui constitue lrsquoun des eacuteleacutements fondamentaux de la preacuteeacuteminence du droit au sens de lrsquoarticle 6 sect 1 raquo
170
leacutegitime raquo1 Le lien entre lrsquoimpartialiteacute objective et la composition du tribunal a eacuteteacute
expresseacutement reconnu dans un arrecirct de 2013 laquo Lrsquoimpartialiteacute se deacutefinit drsquoordinaire par
lrsquoabsence de preacutejugeacute ou de parti pris et peut srsquoappreacutecier de diverses maniegraveres Selon la
jurisprudence constante de la Cour aux fins de lrsquoarticle 6 sect 1 lrsquoimpartialiteacute doit srsquoappreacutecier
selon une deacutemarche subjective en tenant compte de la conviction personnelle et du
comportement de tel juge crsquoest-agrave-dire du point de savoir si celui-ci a fait preuve de parti pris
ou preacutejugeacute personnel dans tel cas et aussi selon une deacutemarche objective consistant agrave
deacuteterminer si le tribunal offrait notamment agrave travers sa composition des garanties
suffisantes pour exclure tout doute leacutegitime quant agrave son impartialiteacuteraquo2 Crsquoest donc lrsquoaspect
objectif de lrsquoimpartialiteacute3 qui retiendra notre attention concernant la commission (1) et la Cour
de reacutevision (2)
1 La commission cible des soupccedilons
426 Srsquoagissant de la commission deux situations concregravetes eacutetaient de nature agrave susciter
des interrogations quant agrave lrsquoimpartialiteacute objective du juge Le point commun agrave ces deux cas
est qursquoils eacutetaient tous deux relatifs agrave une situation dans laquelle un mecircme juge avait par deux
fois agrave connaicirctre le mecircme dossier Il srsquoagit tout drsquoabord du cas ougrave le mecircme magistrat avait
deacutejagrave eu connaissance de lrsquoaffaire agrave lrsquooccasion du rejet drsquoun pourvoi en cassation contentieux
qursquoil retrouvait ensuite au moment de lrsquoinstruction drsquoune requecircte en reacutevision (a) Le second
cas concerne le renouvellement drsquoune demande en reacutevision qui eacutetait examineacutee par les mecircmes
juges que ceux agrave lrsquoorigine drsquoun premier examen neacutegatif (rejet ou irrecevabiliteacute de la demande)
(b)
a Un mecircme magistrat juge du rejet du pourvoi en cassation et de la recevabiliteacute
drsquoune requecircte en reacutevision
427 Il pouvait arriver qursquoun juge sieacutegeant dans la commission de reacutevision ait deacutejagrave eu agrave
connaicirctre de lrsquoaffaire dans le cadre de sa fonction de magistrat au sein de la chambre
criminelle Il srsquoagissait de lrsquohypothegravese suivante membre de la chambre criminelle il avait
participeacute agrave la deacutecision de rejet du pourvoi en cassation au sujet drsquoune affaire qursquoil avait agrave
1 CEDH PIERSACK c Belgique 1er octobre 1982 Requecircte ndeg 869279 2 CEDH MORICE c France Requecircte ndeg 2936910 3 Madame KOERING-JOULIN suggegravere de parler plutocirct drsquoimpartialiteacute fonctionnelle (objective) et drsquoimpartialiteacute personnelle (subjective) V KOERING-JOULIN La notion europeacuteenne de tribunal indeacutependant et impartial au sens de lrsquoarticle 6 amp1 de la CEDH RSC 1990 p 765 Lrsquoarrecirct MOREL c France du 6 juin 2000 utilise les expressions de convictions personnelles et de raison leacutegitime de craindre un deacutefaut drsquoimpartialiteacute pour viser respectivement lrsquoimpartialiteacute subjective et objective
171
nouveau agrave connaicirctre dans le cadre de sa fonction au sein de la commission de reacutevision (soit en
qualiteacute de preacutesident soit de membre ordinaire ou de suppleacuteant) Il devait porter sur le dossier
deacutejagrave rejeteacute en cassation le regard drsquoun magistrat instructeur Il peut se poser la question de
savoir srsquoil nrsquoexistait pas une atteinte au principe de la seacuteparation des fonctions drsquoinstruction et
de jugement Dans une telle hypothegravese selon Monsieur Roland AGRET laquo il nrsquoest pas sain
que la mecircme institution (la chambre criminelle) soit conduite agrave rejeter un pourvoi puis ensuite
agrave dire qursquoil y a lieu ou non agrave reacutevision raquo1 Ce nouvel examen se ferait donc agrave travers le prisme
drsquoun regard quelque peu fausseacute la justice nrsquoaurait pas laquo les yeux bandeacutes raquo2
428 Cette situation pouvait conduire le requeacuterant agrave douter de lrsquoimpartialiteacute du juge
dont il avait deacutejagrave croiseacute le chemin devant la Cour de cassation lors du rejet de son pourvoi
Srsquoagissant des appreacutehensions du justiciable la CEDH estime que laquopour se prononcer sur
lrsquoexistence dans une affaire donneacutee drsquoune raison leacutegitime de redouter chez un juge un deacutefaut
drsquoimpartialiteacute lrsquooptique de lrsquoaccuseacute entre en ligne de compte mais ne joue pas un rocircle deacutecisif
Lrsquoeacuteleacutement deacuteterminant consiste agrave savoir si les appreacutehensions de lrsquointeacuteresseacute peuvent passer
pour objectivement justifieacutees raquo3 De plus la CEDH considegravere que le cumul de lrsquoinstruction et
du jugement nrsquoest pas ipso facto contraire agrave lrsquoarticle 6sect1 En effet dans ce cas il faut que la
partialiteacute supposeacutee du juge cumulard se manifeste agrave travers une attitude subjectivement
partiale4
429 Concernant lrsquohypothegravese drsquoun mecircme magistrat juge du rejet du pourvoi en
cassation puis juge de la recevabiliteacute drsquoune requecircte en reacutevision elle ne remet pas en cause
lrsquoimpartialiteacute du magistrat concerneacute Le rejet du pourvoi en cassation se fonde sur des
consideacuterations exclusivement juridiques agrave la diffeacuterence de la reacutevision qui se saisira de
questions de fait Lrsquointerdiction drsquoune certaine polyvalence des juges pourrait conduire en
raison du manque de moyens humains de la justice agrave une amplification de la lenteur de la
justice Cette inertie serait en quelque sorte de nature agrave nuire aux garanties fondamentales du
procegraves peacutenal ndash tel le droit agrave ecirctre jugeacute dans un deacutelai raisonnable - surtout que le chemin de la
proceacutedure de reacutevision est deacutejagrave particuliegraverement long Crsquoest pourquoi une bonne
administration de la justice ne faisait pas obstacle agrave cette pratique
1 Assembleacutee Nationale Rapport drsquoinformation op cit Contribution de Monsieur AGRET p 171 2 M-A FRISON-ROCHE op cit p 463 3 CEDH Hauschildt c Danemark du 24 mai 1989 Requecircte ndeg 1048683 4 CEDH 24 aoucirct 1993 NORTIER c Pays Bas confirmeacute par cass crim 8 novembre 2000 Dr peacutenal 2001 ndeg 15
172
430 En revanche une autre situation posait problegraveme relativement agrave lrsquoimpartialiteacute du
juge Il srsquoagissait de la succession de plusieurs requecirctes en reacutevision drsquoune mecircme
condamnation soumises agrave lrsquoexamen drsquoun mecircme magistrat
b Un mecircme magistrat juge de plusieurs requecirctes en reacutevision drsquoune mecircme
condamnation
431 La chambre criminelle estime laquo quaucune disposition leacutegale ou conventionnelle
ne fait obstacle agrave ce quun mecircme magistrat puisse faire partie de la commission appeleacutee agrave
connaicirctre de requecirctes successives tendant agrave la reacutevision dune mecircme condamnation raquo1 Cette
pratique semblait pourtant ne pas ecirctre en adeacutequation avec lrsquoexigence drsquoimpartialiteacute objective
preacutevue agrave lrsquoarticle 6 de la CEDH
432 Un arrecirct de la CEDH en rupture avec a position anteacuterieure2 a condamneacute la
France en 20103 concernant une affaire eacutetrangegravere agrave la reacutevision mais qui peut neacuteanmoins servir
drsquooutil de travail et de base de reacuteflexion Il srsquoagissait de poursuites pour prise illeacutegale
dinteacuterecircts et de compliciteacute Un premier arrecirct rendu en appel fut casseacute par la chambre criminelle
de la Cour de cassation laquelle a deacutesigneacute une juridiction de renvoi Contesteacute le second arrecirct
a fait lrsquoobjet drsquoun nouveau pourvoi en cassation qui srsquoest vu rejeter par la chambre criminelle
A ce stade une demande de reacutecusation avait eacuteteacute formuleacutee par les deux justiciables afin de
faire obstacle agrave la preacutesence de sept des neuf conseillers ceux-ci ayant deacutejagrave appartenu agrave la
formation de la chambre criminelle qui srsquoeacutetait reacuteunie lors du premier pourvoi Il y a dans
cette affaire plusieurs similitudes avec lrsquohypothegravese qui nous inteacuteresse mecircme justiciable
mecircme degreacute de juridiction mecircme faits Dans cet arrecirct la France a eacuteteacute condamneacutee par la
justice europeacuteenne pour violation de larticle 6 (partialiteacute objective) en estimant
laquo objectivement justifieacutes [] les doutes chez les requeacuterants quant agrave limpartialiteacute de la Cour
de cassation raquo La CEDH a veacuterifieacute si laquo compte tenu de la nature et de leacutetendue du controcircle
juridictionnel incombant agrave ces magistrats [hellip] ces derniers ont fait preuve ou ont pu
leacutegitimement apparaicirctre comme ayant fait preuve dun parti pris quant agrave la deacutecision quils
ont ensuite rendue lors du pourvoi contre larrecirct de condamnation raquo Un laquo parti pris raquo ou des
laquo preacutejugeacutes raquo sont contraires agrave lexigence dimpartialiteacute objective ou pour le moins sources de
doutes objectivement justifieacutes lorsque laquo les questions que les mecircme juges avaient eu agrave
1 Cass crim 15 feacutevr 2005 Bull crim ndeg 59 2 CEDH 2e Sect 10 feacutevrier 2004 DP c France Req ndeg 5397100 et CEDH 2e Sect 22 novembre 2005 Golinelli et Freymuth c France Req ndeg 6582301 3 CEDH 24 juin 2010 Mancel et Branquart c France Req ndeg 2234906
173
traiter agrave loccasion du second pourvoi [sont] analogues agrave celles sur lesquelles ils ont statueacute
lors du premier raquo
433 Dans le cas qui nous preacuteoccupe un ou plusieurs membres de la commission ont agrave
nouveau agrave connaicirctre une demande en reacutevision qui objet drsquoun premier rejet a eacuteteacute examineacutee
par les mecircmes magistrats Sous reacuteserve qursquoil ne soit pas invoqueacute un nouveau fait nouveau ou
eacuteleacutement inconnu la commission se saisit exactement de la mecircme affaire et srsquointerroge une
seconde fois sur les mecircmes questions en particulier celle du doute sur la culpabiliteacute
434 La Cour de reacutevision eacutetait eacutegalement la cible de soupccedilons concernant son
impartialiteacute
2 La Cour de reacutevision cible des soupccedilons
435 La question de lrsquoimpartialiteacute de la Cour de reacutevision avait pour origine le silence
du leacutegislateur sur sa composition Lrsquoaveu en a eacuteteacute fait par les rapporteurs de la proposition de
loi pour qui laquo il est clair que lrsquoimpreacutecision du texte ne peut que favoriser les soupccedilons de
partialiteacute agrave lrsquoeacutegard de cette juridiction raquo1
436 Se fondant sur lrsquoarticle 6sect1 de la Convention EDH la jurisprudence europeacuteenne
estime qursquo laquo un organe nrsquoayant pas eacuteteacute eacutetabli conformeacutement agrave la volonteacute du leacutegislateur serait
neacutecessairement deacutepourvu de la leacutegitimiteacute requise dans une socieacuteteacute deacutemocratique pour
entendre la cause des particuliers raquo2 Lrsquoarticle 6 exige un laquo tribunal indeacutependant et impartial
eacutetabli par la loi raquo Si agrave travers cette formule laquo eacutetabli par la loi raquo on entend se reacutefeacuterer agrave une
base leacutegale par rapport agrave la composition drsquoun tribunal il en ressort qursquoune juridiction
impartiale ne saurait se structurer autour de magistrats qui srsquoauto deacutesignaient lors de
lrsquoaudiencement des dossiers Cette maniegravere de faire contestable concernerait donc les
magistrats de la Cour de reacutevision qui sieacutegeaient selon laquo le deacutesir des magistrats et lrsquointeacuterecirct
qursquoils portent agrave tel ou un tel dossier3 raquo En 2011 ces soupccedilons ont conduit Monsieur Dany
LE PRINCE agrave saisir la CEDH sur la base drsquoune violation de lrsquoarticle 6-1 Ses avocats avaient
invoqueacute laquo une composition aleacuteatoire de la Cour de reacutevision en fonction de critegraveres totalement
opaques raquo En 2012 cette deacutemarche a deacuteboucheacute sur une deacutecision dirrecevabiliteacute non motiveacutee
1 Rapport drsquoinformation op cit p 40 2 CEDH Lavents c Lettonie 28 novembre 2002 req ndeg1839091 3 F JOHANNES Op cit p 426 laquo Le simple fait qursquoen se portant volontaires les conseillers et conseillers reacutefeacuterendaires se soient auto deacutesigneacutes pour juger la requecircte en reacutevision de Dany Leprince ne peut que faire naicirctre un doute sur leur impartialiteacute raquo
174
437 Les soupccedilons de partialiteacute qui pegravesent sur la juridiction de reacutevision posent question
et doivent ecirctre leveacutes
B La neacutecessaire leveacutee des soupccedilons
438 Mecircme si ces soupccedilons pouvaient paraitre reacuteels agrave la lueur de lrsquoarticle 6 de la
CEDH la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme nrsquoa pour autant jamais condamneacute la France
(1) Ce malentendu entretenait un climat de deacutefiance entre les justiciables et leur justice (2)
1 Lrsquoabsence de condamnation europeacuteenne
439 La question qui se pose est de savoir si lrsquoarticle 6sect1 de la Convention EDH
constitue reacuteellement une bonne reacuteplique face agrave ces soupccedilons de partialiteacute Cette disposition est
relative aux obligations drsquoindeacutependance drsquoimpartialiteacute et agrave lrsquoexistence leacutegale drsquoun laquo tribunal
qui deacutecidera du bien-fondeacute de toute accusation en matiegravere peacutenale raquo Seul le tribunal appeleacute agrave
se prononcer sur une accusation est donc soumis agrave lrsquoexigence drsquoimpartialiteacute La jurisprudence
constante de la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme considegravere que larticle 6 sect 1 ne
srsquoapplique pas agrave une proceacutedure de reacutevision au motif que le requeacuterant deacutefinitivement
condamneacute nest plus laquo accuseacute dune infraction raquo au sens dudit article1 Il srsquoagit donc drsquoune
conception stricte de la notion drsquoaccusation2
440 Cette conclusion ne doit cependant pas ecirctre entendue comme un blanc-
seing deacutelivreacute au leacutegislateur Cette situation a contribueacute agrave accentuer lrsquoacuiteacute du regard critique
des justiciables sur la proceacutedure de reacutevision
2 La perte de confiance des citoyens en la justice
441 A propos de lrsquoaffaire LEPRINCE Madame ANZANI srsquoest exprimeacutee de la
maniegravere suivante laquo dans cette affaire la justice nrsquoest pas passeacutee raquo3 Monsieur MATHON a
deacuteclareacute agrave la presse laquo Je ne supporte pas que quelqursquoun ne soit pas jugeacute correctement raquo4
Quant agrave Maicirctre Yves BAUDELOT il a affirmeacute laquo crsquoest un eacutechec pour la justice raquo5
1 CEDH Fischer c Autriche no 2756902 CEDH Dankevich c Ukraine no 4067998 CEDH 25 mai 1999 Sonnleitner c Autriche no 3481397 CEDH 6 janvier 2000 et Kucera c Autriche no 4007298 2 CEDH 12 mai 2005 Oumlcalan c Turquie no 4622199 3 Accegraves agrave lrsquoarticle de presse sur httptempsreelnouvelobscomsociete20111004OBS1688dans-l-affaire-leprince-la-justice-n-est-pas-passeehtml 4 Ibid 5 F JOHANNES op cit p 10
175
442 Prononceacutees par des professionnels du droit ces remarques contribuaient agrave
entretenir le climat de deacutefiance de lrsquoopinion publique agrave lrsquoeacutegard de lrsquoorganisation judiciaire1
Crsquoest dans ce sens que les rapporteurs de la proposition de loi se sont deacuteclareacutes laquo convaincus
comme Madame Christiane Taubira garde des Sceaux Ministre de la justice que la
confiance des citoyens dans lrsquoinstitution judiciaire ne [pouvait] qursquoecirctre renforceacutee par la
correction des erreurs judiciaires raquo2 Lrsquoexemplariteacute de la proceacutedure de reacutevision est la garante
drsquoun bon fonctionnement de la justice et le moteur de la confiance de lrsquoopinion
443 Dans notre socieacuteteacute le juge et plus particuliegraverement celui de la reacutevision doit ecirctre
le laquo bras armeacute du citoyen raquo3 Il a pour mission de reacuteparer les erreurs judiciaires en annulant
une deacutecision deacutefinitive erroneacutee quel que soit le temps eacutecouleacute depuis son prononceacute Crsquoest
pourquoi la beauteacute de cette mission ne devrait surtout pas ecirctre entacheacutee par le moindre
soupccedilon de partialiteacute4 Or le peuple franccedilais au nom duquel la justice est rendue aviseacute de
lrsquoactualiteacute judiciaire5 pouvait du temps de la loi de 1989 srsquointerroger sur le bien-fondeacute de
certaines deacutecisions rendues par les juridictions de reacutevision Crsquoest ainsi que les deux deacutecisions
de rejet rendues dans le cadre des affaires LEPRINCE et SEZNEC ont eacuteteacute mal comprises par
lrsquoopinion publique Cette incompreacutehension eacutetait de nature agrave compliquer les relations
qursquoentretient la population avec sa justice
444 Le philosophe HABERMAS eacutecrivait que laquo pour remplir la fonction dinteacutegration
sociale qui revient agrave lordre juridique et pour satisfaire agrave lexigence de leacutegitimiteacute du droit les
jugements rendus doivent en mecircme temps remplir les conditions dune deacutecision coheacuterente et
celles dune acceptabiliteacute rationnelle raquo ce qui suppose qulaquo ils soient concregravetement fondeacutes en
raison raquo6 Or les soupccedilons de partialiteacute pouvaient ecirctre de nature agrave porter atteinte agrave la
leacutegitimiteacute du droit Degraves lors le pourvoi en reacutevision srsquoexposait au risque drsquoabandonner son rocircle
de laquo facteur drsquoennoblissement de la justice raquo7
1 En ce sens V E ALLAIN laquo La justice humaine et implacable raquo AJ Peacutenal 2013 p 239 2 Assembleacutee Nationale Rapport drsquoinformation op cit p 17 3 Expression emprunteacutee agrave R SANVITI Site internet Justice et deacutemocratie accessible sur wwwjusticeetcemocratiefr 4 Les usagers de la justice citent lrsquoimpartialiteacute comme la premiegravere qualiteacute attendue drsquoun juge avant la compeacutetence la bonne compreacutehension du problegraveme poseacute et lrsquohonnecircteteacute V Enquecircte de satisfaction aupregraves des usagers de la justice Mission de recherche droit et justice 2001 p 19 accessible sur httpwwwladocumentationfrancaisefrvarstoragerapports-publics0140005890000pdf 5 F BUSSY op cit ndeg 2 Cet inteacuterecirct est positif laquo agrave condition drsquoecirctre exempt de manipulation meacutediatique [hellip] Il ne suffit pas davoir juridiquement raison pour ecirctre meacutediatiquement compris raquo 6 J HABERMAS Droit et deacutemocratie p 218 Gallimard 1997 citeacute par F BUSSY ibid 7 J A ROMEIRO op cit
176
Conclusion du chapitre 2
445 Dans ce chapitre ont eacuteteacute eacutevoqueacutees les difficulteacutes drsquoordre conjoncturel que recelait
la loi de 1989 Au preacutealable nous avions deacutemontreacute que la reacutevision eacutetait construite sur les
bases drsquoune structure contestable dont la fragiliteacute avait pour origine le choix drsquoopposer le
pourvoi en reacutevision agrave lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee Cette situation nrsquoa pas eacuteteacute sans
conseacutequences sur lrsquoorganisation de la reacutevision preacutevue par la loi de 1989 puisqursquoelle a
contribueacute agrave lrsquoapparition de difficulteacutes drsquoordre conjoncturel
177
Conclusion du titre 2
446 Dans ce titre lrsquoaccent a eacuteteacute mis sur les faiblesses structurelles et conjoncturelles
de la proceacutedure de reacutevision fragiliseacutee par les lacunes et impreacutecisions de la loi de 1989 dans
lesquelles srsquoeacutetait engouffreacutee la jurisprudence Il est donc indispensable que la reacuteforme de la
reacutevision agisse sur ces deux leviers En effet un regraveglement des difficulteacutes lieacutees agrave la structure
mecircme de la proceacutedure proceacutedant drsquoune meilleure organisation des rapports entre la Cour de
reacutevision et la commission ne serait pas suffisant Lrsquoefficaciteacute drsquoune reacuteforme exige aussi de
srsquointerroger sur les aspects conjoncturels comme la question de la composition de ces deux
organes
178
Conclusion de la premiegravere partie
447 Cette premiegravere partie montre la neacutecessaire reacuteforme de la reacutevision issue de la loi de
1989
448 La mise en œuvre drsquoune reacuteflexion sur la reacutevision doit srsquoaccompagner drsquoun
questionnement sur les liens qui unissent cette proceacutedure agrave lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee La loi
de 1989 inscrivait lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et le pourvoi en reacutevision dans une logique
drsquoaffrontement eacutecartant ainsi la possibiliteacute drsquoune conciliation Pourtant la preacuteservation de la
paix sociale constitue la preacuteoccupation majeure de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et du pourvoi
en reacutevision De surcroicirct une conception moderne de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee favorise un
rapprochement entre ce principe et la reacutevision de nature agrave former une reacuteelle alliance
449 Cette approche de la reacutevision a provoqueacute dans la loi de 1989 un amoncellement
de difficulteacutes tant structurelles que conjoncturelles Crsquoest ainsi qursquoune transformation
importante de la reacutevision eacutetait souhaiteacutee et attendue agrave la veille de la reacuteforme de 2014
Toutefois pour ecirctre efficace cette initiative reacuteformatrice doit srsquoaccompagner drsquoun
changement de regard sur les rapports entre lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et le pourvoi en
reacutevision En effet la loi de 1989 a deacutemontreacute que la tentative de libeacuteralisation du cas
drsquoouverture indeacutetermineacute srsquoeacutetait soldeacutee par un eacutechec en raison de lrsquointerpreacutetation tregraves restrictive
du doute par la jurisprudence La tendance de la jurisprudence agrave opposer lrsquoautoriteacute de la
chose jugeacutee au pourvoi en reacutevision a ainsi eacuteteacute preacutejudiciable agrave la promotion des aspects
libeacuteraux du texte de 1989 A ce niveau une reacutevolution copernicienne apparaicirct donc comme
indispensable Reacuteviser la reacutevision srsquoavegravere ecirctre un exercice difficile qui doit se fixer comme
objet la preacuteservation de la paix sociale par le biais drsquoun rapprochement eacutetroit entre lrsquoautoriteacute
de la chose jugeacutee et le pourvoi en reacutevision
450 La neacutecessiteacute de la reacuteforme ayant eacuteteacute eacutetablie il convient donc deacutesormais drsquoen
mesurer les performances
179
SECONDE PARTIE
LA REVISION REVISEE DE 2014 UNE
DECEPTION
180
451 Dans cette partie nous deacutemontrerons que la loi ndeg 2014-640 du 20 juin 20141
mecircme si elle constitue une avanceacutee nrsquoest pas pleinement satisfaisante Un paradoxe sous-tend
la proceacutedure de reacutevision drsquoun cocircteacute lrsquoimpossibiliteacute drsquoaccepter la condamnation deacutefinitive
drsquoun innocent2 laquo summa injuria raquo3 que les meacutedias traditionnels appuyeacutes par les nouveaux
moyens de communication tels les laquo tweet drsquoaudience raquo4 srsquoemploient agrave deacutenoncer drsquoailleurs
souvent avec beaucoup de ferveur de lrsquoautre cocircteacute une certaine inertie du leacutegislateur qui
jusqursquo agrave tregraves reacutecemment se satisfaisait de la situation juridique deacutepeinte dans la premiegravere
partie5 De surcroit en dehors de lrsquoeacutemotion susciteacutee par lrsquoactualiteacute judiciaire la question du
pourvoi en reacutevision nrsquoa pas susciteacute entre 1989 et 2013 un inteacuterecirct particulier tant au niveau
des commentaires juridiques que des forces de propositions Les dispositions de la loi de 1989
nrsquoont pas donneacute lieu au moment de leur discussion agrave des commentaires et deacutebats6 comme il
en est drsquousage au moment de lrsquoadoption des grands textes de proceacutedure ou de droit peacutenal7
452 Dans le mecircme sens il est inteacuteressant de remarquer que la proceacutedure de reacutevision
est geacuteneacuteralement abordeacutee de maniegravere marginale agrave lrsquooccasion du cursus universitaire et
demeure mecircme parfois meacuteconnue des eacutetudiants qui laquo nen discutent pas avec passion (comme
1 Loi ndeg 2014-640 du 20 juin 2014 relative agrave la reacuteforme des proceacutedures de reacutevision et de reacuteexamen dune condamnation peacutenale deacutefinitive 2 Proposition de loi ndeg 3770 visant agrave accroitre lrsquoefficaciteacute de la proceacutedure de reacutevision des condamnations peacutenales enregistreacutee agrave la preacutesidence de lrsquoAssembleacutee Nationale le 13 mars 2007 p3 laquo lrsquoideacutee qursquoun innocent continue agrave subir les effets drsquoune condamnation heurte notre conscience et par le sentiment drsquoinjustice qursquoelle reacutepand trouble violemment lrsquoordre public raquo Accessible sur httpwwwassemblee-nationalefr12pdfpropositionspion3770pdf 3 Expression emprunteacutee agrave Monsieur GENDREL op cit ndeg1 laquo Mais quel engrenage laquo diabolique raquo que celui qui suite agrave des fautes reacutepeacuteteacutees au sein de lappareil judiciaire conduit ce dernier agrave condamner peacutenalement un innocent Lagrave paraicirct se trouver la summa injuria raquo 4 Entretien avec F SAINT PIERRE Lrsquoaffaire Agnelet une eacutevolution majeure de la justice criminelle JCP G 2014 p 551 J FRANCILLON Meacutedias et droit peacutenal op cit p 59 J PRADEL La proceacutedure peacutenale franccedilaise agrave lrsquoaube du troisiegraveme milleacutenaire D 2000 p 1 A REINHARD Lrsquoaffichage meacutediatique nouvelles sources du droit peacutenal instinct et institution RSC 2003 p 543 5 V supra premiegravere partie la reacutevision de 1989 agrave reacuteviser une neacutecessiteacute 6 La principale contribution est agrave notre sens celle de Monsieur ANGEVIN 7 Entre 1999 et 2004 dix lois majeures de proceacutedure peacutenale ont eacuteteacute adopteacutees et ont toutes fait lrsquoobjet de nombreux commentaires loi ndeg 99-515 du 23 juin 1999 renforccedilant lrsquoefficaciteacute de la proceacutedure peacutenale loi ndeg 99-929 du 10 novembre 1999 portant reacuteforme du Code de justice militaire et du Code de proceacutedure peacutenale loi ndeg 2000-516 du 15 juin 2000 renforccedilant la protection de la preacutesomption drsquoinnocence et les droits des victimes loi ndeg 2000-647 du 10 juillet 2000 tendant agrave preacuteciser la deacutefinition des deacutelits non intentionnels loi ndeg 2000-1354 du 30 deacutecembre 2000 tendant agrave faciliter lrsquoindemnisation des condamneacutes reconnus innocents et portant diverses dispositions de coordination en matiegravere de proceacutedure peacutenale loi ndeg 2001-1062 du 15 novembre 2001 relative agrave la seacutecuriteacute quotidienne loi ndeg 2002-307 du 4 mars 2002 compleacutetant la loi ndeg 2000-516 du 15 juin 2000 loi ndeg 2002-1138 du 9 septembre 2002 drsquoorientation et de programmation pour la justice dite loi laquo Perben raquo loi ndeg 2003-239 du 18 mars 2003 pour la seacutecuriteacute inteacuterieure loi ndeg 2004-404 DC du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux eacutevolutions de la criminaliteacute Pour une illustration de lrsquointeacuterecirct porteacute par la doctrine pour ces textes V F FOURMENT Proceacutedure peacutenale op cit ndeg 3 et suivants
181
jadis pour la peine de mort aujourdhui encore la deacutetention provisoire ou la garde agrave vue)
lorsquils nen ignorent pas jusquau nom raquo1
453 Les dispositions de la loi de 1989 nrsquoont connu que tregraves peu de modifications et
celles-ci ne consistaient qursquoen des retouches ponctuelles La loi ndeg 2010-242 du 10 mars
20102 avait eu pour objet de faciliter la suspension de lrsquoexeacutecution de la peine qui pouvait ecirctre
assortie drsquoobligations semblables agrave celles de la liberteacute conditionnelle La loi ndeg 2011-525 du
17 mai 20113 a inaugureacute la pratique dite laquo du filtre du filtre4 raquo qui autorisait le preacutesident de la
commission agrave rejeter par ordonnance motiveacutee toute demande en reacutevision manifestement
irrecevable La CNCDH note donc que la laquo matiegravere [connaissait] au moins en substance une
reacuteelle stabiliteacute juridique les reacuteformes intervenant de maniegravere tregraves ponctuelle depuis la
promulgation du code dinstruction criminelle raquo5 Une ouverture leacutegislative aurait pu se faire
jour en 2007 agrave la faveur drsquoune proposition de loi visant agrave accroicirctre lrsquoefficaciteacute de la proceacutedure
de reacutevision des condamnations peacutenales6 Celle-ci nrsquoa toutefois pas eacuteteacute adopteacutee Ainsi lrsquoeacuteternel
deacutebat sur lrsquoinflation leacutegislative7 ne concerne en rien le domaine de la reacutevision Il aura fallu
attendre 2014 pour enfin assister agrave une prise en compte par le leacutegislateur des problegravemes lieacutes
au pourvoi en reacutevision
454 La reacutecente reacuteforme ne paraicirct toutefois pas avoir eacutevacueacute toutes les critiques
formuleacutees agrave lrsquoadresse de la loi de 1989 En effet il semble qursquoelle nrsquoait pas reacuteussi agrave reacutesoudre
1 M GENDREL op cit ndeg 3 laquoLes meilleurs [eacutetudiants] sont davantage soucieux de satisfaire le professeur en eacutevitant par exemple la trop classique confusion avec la reacutehabilitation raquo 2 Loi ndeg 2010-242 du 10 mars 2010 tendant agrave amoindrir le risque de reacutecidive criminelle et portant diverses dispositions de proceacutedure peacutenale 3 Loi ndeg 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et dameacutelioration de la qualiteacute du droit 4 Expression emprunteacutee agrave Madame RADENNE in Rapport drsquoinformation op cit p 213 5 CNCDH Avis sur la reacutevision des condamnations peacutenales deacutefinitives op cit ndeg6 6 Proposition de loi ndeg 3770 visant agrave accroitre lrsquoefficaciteacute de la proceacutedure de reacutevision des condamnations peacutenales op cit 7 J PRADEL laquo Notre Code peacutenal vingt ans agrave peine et deacutejagrave des deacuterives qui nrsquoont pas attendu le nombre des anneacutees - Libre propos par Jean Pradel raquo JCP G 2014 Actualiteacutes p 259 H CROZE Information juridique ndash comment conserver le cap Proceacutedures 2009 Repegravere p 3 D MARTIN Choc de simplification ndash nouvelle incantation ou reacuteelle reacutevolution JCP G 2013 doctrine p 722 E DREYER Le conseil constitutionnel et la matiegravere peacutenale la QPC et les attentes deacuteccedilueshellip JCP G 2011 doctrine p 976 M PARIGUET et O MANSION Impasses et perspectives du risque en matiegravere de responsabiliteacute JCP G 2011 doctrine p 838 laquo (hellip) la norme est deacutevoyeacutee par une inflation leacutegislative sans limite (hellip) raquo J LEBLOIS-HAPPE Continuiteacute et discontinuiteacute dans les nouvelles reacuteformes de la proceacutedure peacutenale JCP G 2007 I p 181 laquoLa proceacutedure peacutenale vient decirctre reacuteformeacutee Laffirmation fait immanquablement naicirctre un sourire sur le visage de tous ceux qui observent eacutetudient ou pratiquent la proceacutedure peacutenale franccedilaise depuis une quinzaine danneacutees Il en va en effet des changements de notre proceacutedure comme des enfants dans certaines familles il y en a un par an et deux les bonnes anneacutees raquo
182
les difficulteacutes lieacutees agrave la preacuteeacuteminence de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et la persistance dans la
proceacutedure de reacutevision de lacunes tant structurelles que conjoncturelles
455 Cette reacuteforme inacheveacutee (Titre 1) aurait meacuteriteacutee drsquoecirctre paracheveacutee (Titre 2)
183
Titre 1
Une reacuteforme inacheveacutee
184
456 Monsieur GENDREL fait le lien entre lrsquoindiffeacuterence qui frappait jusqursquoagrave 2014
la reacutevision et une mutation de lrsquoeacutetat drsquoesprit de la socieacuteteacute Lrsquoauteur explique qursquo laquo il y a peu
danneacutees encore la seule affirmation laquo erreur judiciaire raquo mobilisait lopinion publique
juristes et non juristes eacutetroitement unis [hellip] Et voici quaujourdhui lindiffeacuterence geacuteneacuterale
leacutegoiumlsme institutionnaliseacute semble atteindre jusquagrave ce havre eacutemotionnel [hellip] Chacun
recherchera les raisons de ce manque actuel dinteacuterecirct qui dans labolition de la peine capitale
et donc labsence de conseacutequences eacuteventuellement sanglantes de lerreur qui dans la rigueur
scientifique dune proceacutedure peacutenale laquo positive raquo agrave laquelle agrave la Faculteacute mecircme demeurent
reacutefractaires des cerveaux qui se veulent uniquement litteacuteraires qui dans le nombre des recours
en reacutevision (laquo seacuterieux raquo) trop faible pour retenir autrement que ponctuellement lattention des
meacutedias et susciter degraves lors linteacuterecirct populaire raquo1
457 Nous ne partageons pas la position trancheacutee de lrsquoauteur En effet malgreacute lrsquoinertie
du leacutegislateur par rapport agrave la reacutevision lrsquoerreur judiciaire a toujours paradoxalement susciteacute
son inteacuterecirct et celui de lrsquoopinion publique Dans le chapitre 1 nous soulignerons que le
leacutegislateur a toujours deacuteployeacute des efforts pour eacuteviter les erreurs judiciaires Mais eacutetait-il
vraiment possible de lutter efficacement contre lrsquoerreur judiciaire tout en maintenant durant de
longues anneacutees une leacutegislation et une jurisprudence restrictives en matiegravere de reacutevision Le
leacutegislateur a confirmeacute agrave travers la loi ndeg 2014-640 du 20 juin 2014 que le renforcement de la
reacuteparation de lrsquoerreur judiciaire devait srsquoorganiser autour drsquoune reacuteforme du pourvoi en
reacutevision Ainsi la reacuteforme traduit un revirement dans la strateacutegie leacutegislative (Chapitre 1)
458 Les nouvelles dispositions sont-elles agrave mecircme drsquoassouplir les conditions drastiques
drsquoaccessibiliteacute du pourvoi en reacutevision contenues dans la loi de 1989 et surtout entraicircneront-
elles un changement de cap jurisprudentiel A priori nous serions tenteacutes de reacutepondre
affirmativement agrave cette question En effet la reacuteforme retouche la loi de 1989 tant sur le plan
structurel que conjoncturel Toutefois les solutions proposeacutees nrsquoeffacent pas les stigmates
issus de lrsquoenracinement de la logique oppositionnelle entre la reacutevision et lrsquoautoriteacute de la chose
jugeacutee (Chapitre 2)
1 M GENDREL op cit ndeg3
185
CHAPITRE 1 UNE NOUVELLE STRATEGIE
LEGISLATIVE DE LUTTE CONTRE LrsquoERREUR
JUDICIAIRE
459 Lrsquoanneacutee 2014 a eacuteteacute un tournant en matiegravere de reacutevision Lrsquoimmobilisme anteacuterieur
du leacutegislateur en matiegravere de reacutevision sera mis en avant (Section 1) et nous permettra
drsquoexpliquer lrsquoavegravenement de la loi du 20 juin 2014 perccedilu comme le signal drsquoune rupture avec
le positionnement anteacuterieur (Section 2)
Section 1 1989 ndash 2013 lrsquoimmobilisme du leacutegislateur en
matiegravere de reacutevision
460 Pendant de longues anneacutees la proceacutedure de reacutevision a eacuteteacute la laquo grande oublieacutee raquo1
de la proceacutedure peacutenale (sect 1) En reacutealiteacute il ne srsquoagissait pas drsquoun veacuteritable oubli mais plutocirct du
choix du leacutegislateur qui se refusait agrave intervenir dans le domaine du pourvoi en reacutevision Ce
silence a eacuteteacute compenseacute par drsquoautres moyens juridiques tendant agrave seacutecuriser en amont la
proceacutedure peacutenale de maniegravere agrave limiter les effets de lrsquoinertie du leacutegislateur en matiegravere de
reacutevision Ces succeacutedaneacutes ne se sont pas toujours aveacutereacutes drsquoune tregraves grande efficaciteacute En effet
les moyens mis en place en amont de la reacutevision se sont aveacutereacutes insuffisants pour eacutecarter le
risque de lrsquoerreur judiciaire (sect2)
sect 1 La reacutevision laquo grande oublieacutee raquo de la proceacutedure peacutenale
461 Pourquoi a-t-il fallu attendre 2014 pour connaicirctre une eacutevolution du droit de la
reacutevision Cette question est leacutegitime en raison des multiples faiblesses de la loi de 1989 Ces
atermoiements srsquoexpliquent par le fait que toute intervention leacutegislative dans le domaine de la
reacutevision srsquoavegravere deacutelicate2 Il nrsquoest donc pas inutile de srsquointerroger sur les raisons de cette
laquo regrettable indiffeacuterence raquo3 (A) Meilleure sera la compreacutehension des raisons ayant inciteacute le
1 Expression emprunteacutee agrave P COUVRAT op cit p785 2 P ARPAILLANGE JO deacutebats Assembleacutee Nationale 29 nov 1988 p 2844 3 Expression emprunteacutee agrave Monsieur M GENDREL op cit ndeg4
186
leacutegislateur agrave ne pas intervenir plus tocirct mieux les effets de la reacuteforme pourront ecirctre appreacutecieacutes
Le pourvoi en reacutevision est le seul outil qui offre la possibiliteacute de reacuteparer lrsquoerreur judiciaire
Aussi faudrait-il en conclure que le temps perdu traduisait un deacutesinteacuterecirct du leacutegislateur pour la
cause de lrsquoerreur judiciaire
462 Ce deacutesinteacuterecirct agrave lrsquoeacutegard du pourvoi en reacutevision ne signifie pas pour autant de la
part du leacutegislateur une volonteacute drsquoeacuteluder la question Malgreacute son attentisme en matiegravere de
reacutevision il srsquoest toujours employeacute agrave prendre en amont des preacutecautions utiles au combat de
lrsquoerreur judiciaire (B)
A Les raisons de lrsquoindiffeacuterence du leacutegislateur
463 Deux raisons peuvent expliquer lrsquoindiffeacuterence que le leacutegislateur a pu afficher agrave
lrsquoeacutegard du pourvoi en reacutevision une explication drsquoordre juridique consistant en un
attachement tregraves fort agrave lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee (1) et une raison drsquoordre plus
psychologique ou subjective lieacutee agrave la difficulteacute pour lrsquoHomme et lrsquoinstitution judiciaire de
reconnaicirctre ses erreurs (2)
1 Une explication drsquoordre juridique
464 Le leacutegislateur en matiegravere de reacutevision intervient dans un domaine sensible qui
touche agrave lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee1 En effet toute intervention sur la reacutevision est perccedilue
comme ayant pour effet drsquoeacutegratigner ce principe cardinal Monsieur GENDREL a deacutecrit la
situation du leacutegislateur qui se trouve laquo placeacute agrave chaque instant devant leacutepeacutee de Damoclegraves de
leffondrement de la chose jugeacutee raquo2
465 Le deacutesinteacuterecirct du leacutegislateur pour la proceacutedure de reacutevision et ce malgreacute une
jurisprudence hostile agrave lrsquoesprit de la loi pouvait ecirctre interpreacuteteacute comme une volonteacute de proteacuteger
lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee Ce manque drsquoinclination pour la reacutevision a mecircme pu ecirctre perccedilu
comme une censure le leacutegislateur srsquointerdisant de srsquoattaquer agrave la chose jugeacutee Monsieur
MONGIBEAUX dans sa thegravese parlait drsquoune sacralisation laquo quasi feacutetichiste raquo 3 de lrsquoautoriteacute
de la chose jugeacutee Une telle vision des choses est particuliegraverement deacuterangeante car
laquo lrsquoinstitution de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee socialement indispensable pour eacuteviter que les
procegraves ne srsquoeacuteternisent nrsquoen est pas moins entacheacutee drsquoun vice congeacutenital elle fait triompher la
1 C PAUL-LOUBIERE laquo Lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee gage de la seacutecuriteacute juridique raquo D 2009 p 1060 2 M GENDREL op cit ndeg4 3 P MONGIBEAUX op cit p 11
187
valeur de seacutecuriteacute sur la valeur de justice raquo1 Pousseacute agrave lrsquoextrecircme ce raisonnement eacuterige cette
autoriteacute en un dogme quasi intouchable et pourrait conduire agrave preacutefeacuterer lrsquoinjustice au deacutesordre2
donnant ainsi tout son sens agrave lrsquooxymore emprunteacute agrave Maicirctre BREDIN laquo deacutetruits au nom de la
justice raquo3 Entre deux maux affaiblir cette autoriteacute ou maintenir en lrsquoeacutetat un droit non
satisfaisant le leacutegislateur srsquoagissant de la reacutevision avait preacutefeacutereacute donner lrsquoavantage agrave lrsquoautoriteacute
de la chose jugeacutee
466 Les difficulteacutes auxquelles le leacutegislateur se trouve confronteacute degraves lors qursquoil
intervient agrave propos de la reacutevision sont lieacutees aux justifications traditionnelles de lrsquoautoriteacute de la
chose jugeacutee tant positive que neacutegative Celles-ci contribuent largement agrave entretenir des
relations conflictuelles entre les deux protagonistes Crsquoest ainsi que le leacutegislateur se retrouve
dans une position drsquoarbitre entre deux enjeux contradictoires drsquoun cocircteacute la preacuteservation de la
stabiliteacute et de lrsquoautre cocircteacute lrsquoindispensable reacuteparation des erreurs judiciaires Or srsquoagissant de
lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee les justifications habituellement mises en avant suscitent des
interrogations sur le plan juridique
467 Leur remise en cause et plus particuliegraverement celles concernant lrsquoaspect neacutegatif
permettrait drsquoentrevoir la rupture du lien unissant traditionnellement lrsquoautoriteacute de la chose
jugeacutee agrave la regravegle ne bis in idem Cette seacuteparation favoriserait le retour agrave la conception
originelle de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et la fin de la deacuteformation de ses fonctions Cette
nouvelle approche pourrait mettre fin au malaise existant
468 A cette raison drsquoordre juridique viennent srsquoajouter des consideacuterations plus
subjectives
2 Une explication drsquoordre psychologique
469 Il peut exister des freins drsquoordre psychologique qui sont de nature agrave entraver
lrsquoaction du leacutegislateur voire des juges en matiegravere de reacutevision
470 Le terme laquo reacuteviser raquo permet de revenir sur une situation anteacuterieure faussement
appreacutecieacutee Srsquoagissant des magistrats des juridictions de reacutevision il leur revient drsquoadmettre
laquo que lrsquoinstitution judiciaire ndash avec laquelle ils font corps ndash a failli raquo4 Ainsi peuvent-ils
1 H MOTULSKY op cit p1 2 JW Von GOETHE Le siegravege de Mayence eacuted La bibliothegraveque digitale laquo Jaime mieux une injustice quun deacutesordre raquo 3 J - D BREDIN laquo La justice et lerreur raquo Le Monde 1er juill 1989 p 1 et 2 4 Rapport drsquoinformation op cit Contribution de J-Y LE BORGNE p 165
188
ressentir un certain malaise Selon Maicirctre LE BORGNE cette situation serait en drsquoautres
circonstances qualifieacutee de conflit drsquointeacuterecirct Lrsquoavocat ajoute que laquo chaque reacutevision qursquoon
laisse srsquoouvrir est un soupccedilon sur la fiabiliteacute de la Justice et sur la compeacutetence de ceux qui
srsquoexpriment en son nom Chaque reacutevision qursquoon admet est un constat de faillite un coup porteacute
agrave lrsquoinstitution une deacutevalorisation de tous les jugements et arrecircts porteacutes au fil du temps raquo1
Pour ce qui est du leacutegislateur toute intervention dans le domaine de la reacutevision le conduit agrave
reconnaicirctre les imperfections de la justice voire ses faiblesses et celles des juges dans la quecircte
de veacuteriteacute
471 La reconnaissance drsquoune erreur commise par la justice peacutenale nrsquoest pas propre agrave
la reacutevision2 Lrsquoerreur peut se reacuteveacuteler agrave lrsquooccasion drsquoun appel3 conduisant agrave lrsquoinfirmation drsquoune
condamnation rendue en premiegravere instance Cette situation se retrouve dans le cadre de la
proceacutedure de reacuteparation du dommage mateacuteriel et moral causeacute par une deacutetention provisoire agrave la
suite drsquoune deacutecision de non-lieu relaxe ou acquittement4 ou encore dans la proceacutedure de
reacuteparation des dysfonctionnements de la justice conseacutecutifs agrave une faute lourde ou agrave un deacuteni de
justice5 Toutefois srsquoagissant du pourvoi en reacutevision la particulariteacute est que lrsquoerreur entache
une deacutecision deacutefinitive Aussi cette erreur repeacutereacutee qursquoau stade ultime du cheminement
judiciaire apparaicirct-elle plus deacuterangeante que lrsquoinfirmation drsquoun jugement en appel
472 La difficulteacute agrave reconnaicirctre une erreur de quelque type qursquoelle soit a eacuteteacute eacutevoqueacutee
au plan philosophique par KANT dans laquo critique de la raison pure raquo6 Lrsquoeacutevaluation de la
contribution philosophique kantienne par rapport agrave la reacutevision neacutecessite de mettre en relation
la doctrine du philosophe allemand avec la cosmologie grecque des stoiumlciens avec laquelle
elle a rompu
473 Drsquoapregraves les anciens philosophes grecs lrsquounivers peut se deacutefinir comme un
cosmos7 laquo un ordre comparable agrave ce qursquoun biologiste ou un meacutedecin observe lorsqursquoil ouvre
le ventre drsquoun lapin ou drsquoune souris et qursquoil examine agrave quoi ressemble un organisme
1 Ibid 2 Y MAYAUD op cit p 144 laquo Les manifestations de lrsquoerreur en droit peacutenal sont nombreuses et varieacutees Le constat est trop grave pour ne pas entrainer de reacuteaction tant au regard des faits que du droit raquo 3 Pour lrsquoappel en matiegravere correctionnelle V articles 496 et s CPP pour lrsquoappel en matiegravere criminelle V articles 380-1 et s CPP 4 V articles 149 agrave 150 et R 26 agrave R 40-22 CPP 5 V article L 141-1 COJ 6 E KANT Critique de la raison pure Traduction de J BARNI Ed G Bailliegravere Paris 1869 7 L FERRY deacutefinit le cosmos comme laquo un ordre magnifique et merveilleusement bien fait raquo
189
vivant raquo1 Cette repreacutesentation du monde fait de la connaissance une laquo simple activiteacute de
deacutevoilement raquo2 donnant ainsi lrsquoillusion aux hommes de pouvoir acceacuteder facilement agrave la
connaissance et ce dans quelque domaine que ce soit Appliqueacute au juge cela signifie que la
mission de juger consiste agrave lever le voile sur quelque chose de preacuteexistant Cette philosophie
place le juge dans un rocircle essentiellement contemplatif par rapport agrave une situation donneacutee Le
philosophe Gaston BACHELARD reacutesume ainsi cette vision de la connaissance laquo tout est
donneacute rien nrsquoest construit raquo3 Pousseacutee agrave lrsquoextrecircme cette philosophie exclut pour le
leacutegislateur tout questionnement sur le pourvoi en reacutevision en vertu de lrsquoimpossible erreur du
juge contemplatif Or selon KANT la situation est inverseacutee rien nrsquoest donneacute tout est
construit Ce postulat modifie consideacuterablement la repreacutesentation du juge et donne tout son
sens agrave la neacutecessiteacute de disposer de textes et drsquoune jurisprudence qui ne soient pas hostiles par
principe agrave lrsquoideacutee de reacutevision KANT a deacutemontreacute que contrairement au monde clos du cosmos
lrsquoespace et le temps sont infinis Le monde apparaicirct en reacutealiteacute comme un chaos deacutenueacute de
sens4 Chaque ecirctre humain et a fortiori le juge laquo eacutevolue deacutesormais dans un monde infini et
chaotique ougrave le sens fait deacutefaut En cela il se trouve logeacute agrave la mecircme enseigne que ce libertin
de Pascal que laquo le silence des espaces infinis effraie5raquo
474 Cette nouvelle perception du monde a profondeacutement bouleverseacute les grands esprits
du XVII siegravecle car laquo elle rend tout incertain raquo6 et modifie consideacuterablement le sens de
lrsquoactiviteacute de juger Pour remettre de lrsquoordre dans le chaos le juge ne peut plus ecirctre seulement
contemplatif il doit laquo introduire de lrsquoexteacuterieur raquo7 crsquoest-agrave-dire de la subjectiviteacute Son rocircle ne
consiste plus dans laquo la contemplation passive drsquoun ordre deacutejagrave lagrave elle (la mission de juger)
devient au contraire une pratique une activiteacute de lrsquoesprit [hellip] qui dans ce non-sens absolu
qui nous entoure consistera agrave introduire presque de force en tout cas de lrsquoexteacuterieur des
liaisons senseacutees et coheacuterentes entre les choses entre les eacutevegravenements [hellip] On reliera des
causes et des effets et crsquoest lrsquohomme qui sur un mode actif reliera entre eux les pheacutenomegravenes
1 L FERRY Kant et les Lumiegraveres ndash la science et la morale Ed Figaro Collection sagesse drsquohier et drsquoaujourdrsquohui 2013 p 9 2 Ibid p 11 3 G BACHELARD La formation de lrsquoesprit scientifique Paris Librairie philosophique Vrin 1999 (1er eacutedition 1938) Chapitre 1 4 KOYRE Du monde clos agrave lrsquounivers infini (1957) laquo La reacutevolution scientifique engendre la destruction de lrsquoideacutee de cosmos [hellip] la destruction du monde conccedilu comme un tout fini et bien ordonneacute dans lequel la structure spatiale incarnait une hieacuterarchie des valeurs et de perfection [hellip] et la substitution agrave celui-ci drsquoun Univers indeacutefini et mecircme infini ne comportant plus aucune hieacuterarchie naturelle et uni seulement par lrsquoidentiteacute des lois qui le reacutegissent raquo citeacute par L FERRY op cit p 15 5 L FERRY op cit p 8 6 Ibid 7 Ibid
190
[hellip] Lrsquoesprit nrsquoest plus cette sorte de boite de conserve ougrave les ideacutees seraient disposeacutes comme
des petits pois lrsquoesprit se fait praxis il prend la forme drsquoune activiteacute voueacutee agrave relier les choses
entre elles raquo1 De facto le juge peut se tromper Cette nouvelle approche a ouvert la voie aux
philosophies du soupccedilon en instillant le doute sur la veacuteriteacute et la justesse des jugements rendus
par des hommes Aussi la penseacutee de KANT peut-elle contribuer agrave expliquer la prudence du
leacutegislateur en matiegravere de reacutevision Monsieur NAJARIAN srsquoen inspirant souligne dans thegravese
que laquo le danger et crsquoest le seul crsquoest de croire qursquoen reacutepeacutetant le mecircme procegraves peacutenal on
arriverait agrave un meilleur reacutesultat raquo2
475 Pour autant lrsquoattitude reacuteserveacutee voire timoreacutee du leacutegislateur ne doit pas ecirctre
obligatoirement interpreacuteteacutee comme de lrsquoindiffeacuterence face agrave lrsquoerreur judiciaire Celle-ci a
toujours eacuteteacute combattue en agissant en amont de lrsquoacquisition du caractegravere deacutefinitif de la
deacutecision En quelque sorte le leacutegislateur voulait en matiegravere de reacutevision pallier ses propres
faiblesses en multipliant les garde-fous proceacuteduraux afin de garantir la manifestation de la
veacuteriteacute La consolidation continuelle des garanties proceacutedurales du procegraves a renforceacute pour le
leacutegislateur la conviction de pouvoir se passer drsquoune reacuteforme de la reacutevision Crsquoest pourquoi
plutocirct que de se pencher sur la reacutevision il a longtemps preacutefeacutereacute srsquoabriter derriegravere divers
ameacutenagements du procegraves peacutenal De cette faccedilon il a pu contourner la difficulteacute lieacutee au caractegravere
deacutefinitif drsquoune deacutecision
B La seacutecurisation de la proceacutedure peacutenale en amont de la reacutevision
476 Madame le Professeur LAZERGES eacutevoque trois principaux garde-fous pour se
proteacuteger du risque de lrsquoerreur judiciaire3 la preacutevention par lrsquoeacutethique du juge le principe de
colleacutegialiteacute et les voies de recours
477 Srsquoagissant de lrsquoeacutethique Madame le Professeur LAZERGES fait reacutefeacuterence au
discours de la rentreacutee judiciaire de 2006 tenu par le premier preacutesident de la Cour de cassation
Monsieur CANIVET qui a insisteacute sur lindispensable culture du doute de lhumaniteacute et de
lhumiliteacute chez les magistrats laquo Pour tout juge le prochain son prochain cest le justiciable la
femme ou lhomme qui est devant lui qui deacutepend de lui quil le veuille ou non entre eux se
tisse un lien seacutechange un regard qui oblige le juge agrave ecirctre juste agrave rendre justice Attendre de
lui ce comportement exige une qualiteacute essentielle la justesse (hellip) raquo Au fil du temps le
1 Ibid p18 2 K NAJARIAN op cit p 292 3 C LAZERGES op cit p 709
191
leacutegislateur a constitueacute un laquo bloc eacutethique raquo1 qui srsquoarticule autour de larticle 6 de lordonnance
du 22 deacutecembre 1958 relative au statut de la magistrature2 larticle 353 du Code de proceacutedure
peacutenale concernant la proceacutedure dassises3 larticle 304 du mecircme code4 ainsi que de son article
preacuteliminaire
477 Mais lrsquoeacutethique du magistrat agrave elle seule ne peut suffire agrave preacutevenir les erreurs
judiciaires Elle doit srsquoaccompagner de garanties concregravetes susceptibles drsquoeacuteviter les accidents
judiciaires Crsquoest pourquoi le renforcement de la colleacutegialiteacute et des voies de recours souhaiteacute
par Madame le Professeur LAZERGES ont eacuteteacute pris en compte par le leacutegislateur au moment de
lrsquoinstauration de lrsquoappel criminel (1) et de la reacuteforme de lrsquoinstruction (2)
1 Lrsquoinstauration de lrsquoappel criminel
478 Jusqursquoen 2000 la cour drsquoassises se singularisait par le caractegravere de ses arrecircts
rendus sans appel possible5 Il srsquoagissait lagrave drsquoun eacutetrange paradoxe En effet il eacutetait possible
drsquointerjeter appel drsquoune deacutecision drsquoun tribunal civil prononccedilant un jugement de divorce ou
drsquoun jugement correctionnel Les lourdes peines criminelles rendues par une cour drsquoassises ne
pouvaient quant agrave elles ecirctre frappeacutees drsquoappel
479 Le leacutegislateur srsquoeacutetant engageacute en 1989 agrave libeacuteraliser le pourvoi en reacutevision par
rapport au Code drsquoinstruction criminelle a pris une deacutecision paradoxale en interdisant
parallegravelement lrsquoappel pour les arrecircts drsquoassises Ce paradoxe reacutevegravele une contradiction entre le
1 Expression emprunteacute agrave Madame le Professeur LAZERGES laquo De lrsquoeacutecriture agrave lrsquousage de lrsquoarticle preacuteliminaire du Code de proceacutedure peacutenale raquo in Meacutelanges en lhonneur de R OTTENHOF op cit p 71 2 laquo Je jure de bien et fidegravelement remplir mes fonctions de garder religieusement le secret des deacutelibeacuterations et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat raquo 3 laquo Avant que la cour dassises se retire le preacutesident donne lecture de linstruction suivante qui est en outre afficheacutee en gros caractegraveres dans le lieu le plus apparent de la chambre des deacutelibeacuterations Sous reacuteserve de lexigence de motivation de la deacutecision la loi ne demande pas compte agrave chacun des juges et jureacutes composant la cour dassises des moyens par lesquels ils se sont convaincus elle ne leur prescrit pas de regravegles desquelles ils doivent faire particuliegraverement deacutependre la pleacutenitude et la suffisance dune preuve elle leur prescrit de sinterroger eux-mecircmes dans le silence et le recueillement et de chercher dans la sinceacuteriteacute de leur conscience quelle impression ont faite sur leur raison les preuves rapporteacutees contre laccuseacute et les moyens de sa deacutefense La loi ne leur fait que cette seule question qui renferme toute la mesure de leurs devoirs Avez-vous une intime conviction raquo 4 laquo Le preacutesident adresse aux jureacutes debout et deacutecouverts le discours suivant Vous jurez et promettez dexaminer avec lattention la plus scrupuleuse les charges qui seront porteacutees contre X de ne trahir ni les inteacuterecircts de laccuseacute ni ceux de la socieacuteteacute qui laccuse ni ceux de la victime de ne communiquer avec personne jusquapregraves votre deacuteclaration de neacutecouter ni la haine ou la meacutechanceteacute ni la crainte ou laffection de vous rappeler que laccuseacute est preacutesumeacute innocent et que le doute doit lui profiter de vous deacutecider dapregraves les charges et les moyens de deacutefense suivant votre conscience et votre intime conviction avec limpartialiteacute et la fermeteacute qui conviennent agrave un homme probe et libre et de conserver le secret des deacutelibeacuterations mecircme apregraves la cessation de vos fonctions Chacun des jureacutes appeleacute individuellement par le preacutesident reacutepond en levant la main Je le jure raquo 5 laquo Derniegravere condamnation avant linstitution de lappel des deacutecisions dassises raquo ndash Cour de cassation crim 22 novembre 2000 ndash D 2001 p 523
192
dogme de lrsquoinfaillibiliteacute du jury1 et lrsquoesprit leacutegislatif de 1989 Aujourdrsquohui les articles 380 ndash
1 et suivants du Code de proceacutedure peacutenale2 preacutecisent les conditions dans lesquelles sont
interjeteacutes les appels contre les arrecircts drsquoassises Lrsquoarticle preacuteliminaire III alineacutea 5 du Code de
proceacutedure peacutenale aux termes duquel laquo toute personne a le droit de faire examiner sa
condamnation par une autre juridiction raquo srsquoarroge enfin tout son sens3
480 Lrsquoinstauration de lrsquoappel en cour drsquoassises constitue lrsquoun des principaux moyens
pour lutter contre les erreurs judiciaires laquo Cest la volonteacute de preacutevenir les erreurs judiciaires
qui a conduit le leacutegislateur agrave remettre en cause lideacutee eacuterigeacutee en principe de linfaillibiliteacute
populaire raquo4
481 Un deuxiegraveme levier a eacuteteacute actionneacute par le leacutegislateur pour atteacutenuer la dureteacute du
pourvoi en reacutevision Il srsquoagit de reacuteformer lrsquoinstitution du juge drsquoinstruction personnage
central de la matiegravere criminelle qui sort de sa solitude
2 La colleacutegialiteacute de lrsquoinstruction
482 Certaines affaires judiciaires fortement meacutediatiseacutees et exposeacutees agrave un climat
passionnel encouragent agrave reacutefleacutechir sur le rocircle de la Justice Ce fut le cas de lrsquoaffaire Outreau5
veacuteritable laquo cataclysme judiciaire 6raquo du printemps 2004 Malgreacute toutes les critiques dont a fait
lrsquoobjet la commission drsquoenquecircte parlementaire deacutesigneacutee agrave la suite de cette affaire7 elle a
permis de soulever divers dysfonctionnements constateacutes agrave tous les eacutechelons de lrsquoappareil
judiciaire8
1 M LEMONDE laquo Lrsquoappel en matiegravere criminel le beurre et lrsquoargent du beurre raquo in Justices Justice et double degreacute de juridiction ndeg 4 1996 Dalloz p 96 2 Loi ndeg 2000-516 du 15 juin 2000 renforccedilant la protection de la preacutesomption dinnocence et les droits des victimes qui fut compleacuteteacutee par la loi ndeg 2002-307 du 4 mars 2002 compleacutetant la loi ndeg 2000-516 du 15 juin 2000 renforccedilant la protection de la preacutesomption dinnocence et les droits des victimes 3 Cependant ce texte nrsquoapporte pas de deacutefinition preacutecise sur le sens du nouvel examen (en fait ou en droit) ni sur la supeacuterioriteacute de la juridiction caractegravere pourtant laquo inheacuterent raquo agrave la notion drsquoappel V F FOURMENT Proceacutedure peacutenale op cit p 311 4 Rapport drsquoinformation ndeg 3501 sur lrsquoeacutevaluation de la loi ndeg 2000-516 du 15 juin 2000 renforccedilant la protection de la preacutesomption drsquoinnocence et les droits des victimes preacutesenteacute par Mme C LAZERGES 20 deacutecembre 2001 p 17 Accessible sur httpwwwassemblee-nationalefrrap-infoi3501asp 5 D LEGRAND Regard critique sur les propositions de reacuteforme de lrsquoinstruction AJ Peacutenal 2006 p 333 laquo On regrettera quil ait fallu cette affaire effectivement deacutesastreuse par lampleur des preacutejudices humains quelle a causeacutes pour que les parlementaires laquo deacutecouvrent raquo les conditions de fonctionnement de la justice et la mise en œuvre des lois quils ont voteacutees raquo 6 S GUINCHARD laquo De lrsquoirresponsabiliteacute des juges drsquoinstruction pour combien de temps encore raquo in le droit peacutenal agrave lrsquoaube du droit troisiegraveme milleacutenaire meacutelanges offerts agrave Jean Pradel op cit p 349 et s 7 V en ce sens D LEGRAND op cit p333 8 F SAINT PIERRE laquoReacuteforme de linstruction judiciaire 2010 lanneacutee de la crise aigueuml AJ peacutenal 2010 p 427
193
483 En particulier elle srsquoest beaucoup questionneacutee sur le rocircle du juge drsquoinstruction
laquo Faut-il choisir la reacutevolution et ceacuteder ainsi agrave la tentation laquo jugicide raquo en supprimant purement
et simplement leacutepouvantail Le maintenir en leacutetat et pencher vers le statu quo en tendant
leacutechine Le remplacer par un composeacute colleacutegial de trois magistrats Nous voilagrave bien
embecircteacutes raquo1 Degraves les anneacutees cinquante des voix comme celle du Professeur DONNEDIEU DE
VABRES2 srsquoeacutetaient eacuteleveacutees pour faire sortir le juge drsquoinstruction de sa solitude et introduire
du contradictoire dans lrsquoinformation judiciaire La commission parlementaire avait enfin
entendu ce message et remis en cause la tradition franccedilaise qui fait du juge drsquoinstruction juge
unique laquo lrsquohomme le plus puissant de France raquo3 La loi du 5 mars 20074 avait donc preacutevu
qursquoagrave partir du 1er janvier 2010 les deacutecisions drsquoinstruction les plus graves appartiendraient agrave
un collegravege composeacute de trois magistrats permettant ainsi la colleacutegialiteacute pour les affaires les
plus importantes
484 Le 13 juin 2006 le Ministre Pascal CLEMENT dans son discours inaugural de
lrsquoexposition en meacutemoire du capitaine DREYFUS a deacuteclareacute laquo qursquoeacuteviter les erreurs judiciaires
crsquoest donner la possibiliteacute aux magistrats de travailler en eacutequipe et de pouvoir confronter leurs
avis avec des magistrats plus expeacuterimenteacutes raquo Crsquoest pourquoi selon lui laquo la creacuteation des
pocircles de lrsquoinstruction transformera la culture judiciaire et sera une garantie pour tous les
justiciables raquo Madame le Professeur LAZERGES exprime avec encore plus drsquoacuiteacute le lien
entre la colleacutegialiteacute et lrsquoerreur judiciaire en indiquant que laquo la preacutevention des erreurs
judiciaires passe par [hellip] la colleacutegialiteacute5 raquo Il existe donc un hiatus entre la reacuteforme de
lrsquoinstruction objet de toutes les attentions dans le cadre de la preacutevention des erreurs
judiciaires le pourvoi en reacutevision proceacutedure deacutelaisseacutee alors que son but consiste agrave reacuteparer les
erreurs judiciaires
485 Il convient donc de mesurer lrsquoefficaciteacute de la strateacutegie choisie jusque 2013 Les
moyens deacuteployeacutes au cours du procegraves peacutenal eacutetaient-ils suffisants pour eacuteviter tout malentendu
judiciaire Dans lrsquoaffirmative la situation juridique telle qursquoelle a eacuteteacute deacutecrite dans la premiegravere
partie aurait pu trouver gracircce agrave nos yeux Dans la neacutegative il faudra que toutes les faiblesses
de la loi de 1989 soient reacutepareacutees par la reacuteforme Il srsquoavegravere qursquoune action en amont de la
reacutevision ne peut suffire agrave eacuteradiquer lrsquoerreur judiciaire (sect 2)
1 F DEFFERRARD Le juge drsquoinstruction retrouveacute D 2006 p 1908 2 H DONNEDIEU DE VABRES laquo La reacuteforme de linstruction preacuteparatoire raquo RSC 1949 p 499 3 Propos attribueacutes agrave Balzac ou agrave Napoleacuteon 4 Loi du 5 mars 2007 ndeg 2007-291 du 5 mars 2007 tendant agrave renforcer leacutequilibre de la proceacutedure peacutenale 5 C LAZERGES Reacuteflexions sur lrsquoerreur judiciaire op cit p 709
194
sect 2 Lrsquoinsuffisance drsquoune action en amont de la reacutevision
486 Les moyens deacuteployeacutes en amont de lrsquoacquisition de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee
sont en reacutealiteacute insuffisants pour eacutecarter le risque de lrsquoerreur judiciaire A cette fin le pourvoi
en reacutevision constitue le seul outil de reacuteparation Les mesures de preacutecaution prises avant
lrsquoeacutecheacuteance du caractegravere deacutefinitif de la deacutecision devaient donc obligatoirement ecirctre
accompagneacutees drsquoune reacuteforme de la reacutevision
487 En effet le droit est une matiegravere perfectible Ni lrsquoappel criminel ni la colleacutegialiteacute
de lrsquoinstruction ne constitue un garde-fou parfaitement efficace contre lrsquoerreur judiciaire (A)
Une justice parfaite relegraveve drsquoun vœu pieu Aussi la veacuteriteacute judiciaire doit-elle ecirctre deacutemystifieacutee
(B)
A Des reacuteformes toujours perfectibles
488 Parmi les reacuteformes reacutealiseacutees en amont du pourvoi en reacutevision nous avons eacutevoqueacute
celles concernant lrsquoappel criminel (1) et la colleacutegialiteacute de lrsquoinstruction (2) Nous pourrions
multiplier les exemples qui traduisent la volonteacute du leacutegislateur drsquoameacuteliorer lrsquoefficaciteacute de la
justice peacutenale Les deux reacuteformes citeacutees ont eacuteteacute choisies car elles se recoupent avec la
reacutevision Lrsquoappel criminel peut reacuteparer des faiblesses du dossier avant qursquoelles ne se
transforment en erreur judiciaire Lrsquoaction de la reacutevision a pour effet drsquoaneacuteantir une deacutecision
rendue par une juridiction de jugement Or pour les crimes et les deacutelits complexes leurs
auteurs sont renvoyeacutes devant les tribunaux par le juge drsquoinstruction1 Srsquoagissant de ces deux
reacuteformes lrsquointervention du leacutegislateur avait eacuteteacute plus aiseacutee En effet dans ces deux cas aucune
deacutecision deacutefinitive nrsquoa eacuteteacute remise en cause et il ne srsquoagissait pas de reconnaitre lrsquoexistence
drsquoune erreur judiciaire car agrave ce stade elle ne peut pas exister Toutefois lrsquoappel criminel (1) et
la colleacutegialiteacute de lrsquoinstruction (2) sont des outils utiles dont lrsquoambition reste agrave prouver
1 Lrsquoappel criminel un outil utile mais insuffisant dans la lutte contre
lrsquoerreur judiciaire
489 La difficulteacute centrale consistait pour le leacutegislateur agrave concilier les inteacuterecircts de la
justice populaire avec la neacutecessiteacute de porter lrsquoappel devant une juridiction supeacuterieure2 Cette
1 Article 79 CPP laquo Linstruction preacuteparatoire est obligatoire en matiegravere de crime sauf dispositions speacuteciales elle est facultative en matiegravere de deacutelit raquo 2 F FOURMENT Proceacutedure peacutenale op cit p 313
195
conciliation a pu se faire agrave travers lrsquoinstauration drsquoun systegraveme drsquoappel original lrsquoappel dit
circulaire ou tournant1 qui consiste agrave faire rejuger lrsquoaffaire devant une nouvelle Cour
drsquoassises deacutesigneacutee par la chambre criminelle Cette pratique judiciaire offre une laquo nouvelle
chance raquo 2 au condamneacute par opposition agrave la proceacutedure classique de lrsquoappel plutocirct consideacutereacutee
comme un controcircle de la technique juridique utiliseacutee Contrairement agrave une juridiction drsquoappel
correctionnelle qui statue pour infirmer ou confirmer la deacutecision initiale la cour drsquoassises
drsquoappel rejuge lrsquoensemble de lrsquoaffaire ce qui peut conduire agrave opposer cet appel absolu agrave
lrsquoappel relatif classique3 laquoLrsquoappel traditionnel de controcircle induit lrsquoideacutee drsquoune veacuterification de
la technique juridique appliqueacutee par des magistrats agrave la compeacutetence institutionnellement
reconnue Au contraire lrsquoappel circulaire dit de nouvelle chance sous - tend lrsquoideacutee plus
pessimiste que la Justice quelles que soient la composition et lrsquoorganisation des tribunaux
reste une institution faillible4 raquo
490 De surcroicirct cet appel controverseacute se trouverait agrave la lisiegravere de la hieacuterarchisation
des juridictions dans le sens ougrave la preacutesence de trois jureacutes suppleacutementaires ne suffirait pas agrave
elle seule agrave confeacuterer agrave la juridiction drsquoappel une supeacuterioriteacute hieacuterarchique5 A cela srsquoajoute que
dans la plupart des cas les erreurs deacutenonceacutees de nature agrave porter le doute sur la pertinence de
la deacutecision ont eacuteteacute commises dans les premiers jours voir les premiegraveres heures des
investigations judiciaires6 Il est donc eacutevident qursquoune proceacutedure drsquoappel effective plusieurs
anneacutees apregraves le premier procegraves ne peut absorber ces difficulteacutes7
491 Enfin un autre motif de critique concerne les pouvoirs du preacutesident de la Cour
drsquoassises8 qui est tenu drsquoexercer son rocircle de maniegravere objective Il ne peut ecirctre ni lrsquoavocat de
lrsquoaccusation ni celui de la deacutefense laquo mais une balance placcedilant dans chacun de ses plateaux les
preuves de lrsquoune et de lrsquoautre avec pour seul objectif drsquoatteindre la veacuteriteacute sans exprimer ni
mecircme faire entrevoir son opinion raquo9 Or il a pu lui ecirctre reprocheacute notamment concernant la
1 W ROUMIER Pour en finir avec une reacuteforme inacheveacutee agrave propos de lrsquoappel des deacutecisions en matiegravere criminelle Dr peacutenal 2003 p 28 2 JFCHASSAING Lrsquoappel des arrecircts des cours drsquoassises le poids de lrsquohistoire op cit 3 Ibid 4 JF CHASSAING lrsquoappel des arrecircts des cours drsquoassises le poids de lrsquohistoire op cit 5 ML RASSAT propositions de reacuteforme du code de proceacutedure peacutenale op cit p 28 6 ML RASSAT propositions de reacuteforme du code de proceacutedure peacutenale op cit p 22 7 JLELIEUR op cit ndeg 665 laquo Plus le temps passe plus les chances de deacutecouvrir la veacuteriteacute srsquoamoindrissent Les preuves srsquoeacutemoussent srsquoaffaiblissent encourent le risque drsquoecirctre deacuteformeacutees Le souvenir humain perd en preacutecision gagne reacuteciproquement en subjectiviteacute Lrsquoexactitude des teacutemoignages peut en souffrir en deacutepit de la sinceacuteriteacute de leur auteur raquo 8 D ROETS impartialiteacute et justice peacutenale op cit p162 9 W ROUMER op cit p 295
196
condamnation drsquoOmar RADDAD1 drsquoeacutepauler lrsquoaction du ministegravere public et drsquouser des
avantages de sa position dominante2
492 Enfin la motivation encore trop lapidaire des deacutecisions entraicircne ineacutevitablement
des difficulteacutes dans lrsquohypothegravese du deacutepocirct drsquoune requecircte en reacutevision Une motivation preacutecise
des deacutecisions est une condition essentielle pour que les cours drsquoassises ordinaires et drsquoappel
constituent des juridictions transparentes outils efficaces dans la lutte contre les erreurs
judiciaires
493 Si lrsquoappel en cour drsquoassises ne srsquoavegravere pas toujours efficace dans la lutte contre
lrsquoerreur judiciaire cette remarque peut aussi srsquoappliquer agrave la colleacutegialiteacute de lrsquoinstruction
2 La colleacutegialiteacute de lrsquoinstruction un outil utile mais insuffisant dans la lutte
contre lrsquoerreur judiciaire
494 Si en theacuteorie la reacuteforme constitue une avanceacutee certaine sa porteacutee doit ecirctre
relativiseacutee En effet la loi du 5 mars 2007 nrsquoest pas encore inteacutegralement appliqueacutee Il eacutetait
preacutevu que les pocircles de lrsquoinstruction soient mis en place agrave partir du 1er janvier 2010 Toutefois
la loi ndeg 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et
dallegravegement des proceacutedures a reporteacute la mise en œuvre de la colleacutegialiteacute de linstruction au
1er janvier 2011 Puis larticle 163 de la loi de Finances pour 2011 a repousseacute au 1er janvier
2014 lentreacutee en vigueur du texte Ensuite larticle 129 de la loi de Finances pour 2014 a
repousseacute son entreacutee en vigueur au 1er janvier 2015
495 Les lourdes reacuteorganisations et le coucirct eacuteleveacute de la reacuteforme ont conduit au deacutepocirct
drsquoun projet de loi le 24 juillet 20133 destineacute agrave instaurer laquo drsquoune faccedilon coheacuterente reacutealiste et
eacutequilibreacutee une colleacutegialiteacute de lrsquoinstruction permettant agrave lrsquoinstitution judiciaire de traiter les
affaires peacutenales les plus graves et les plus complexes drsquoune maniegravere tout agrave la fois plus efficace
et plus respectueuse des droits de la deacutefense et de la preacutesomption drsquoinnocence raquo4 La date du
vote de ce texte a eacuteteacute reporteacutee au 1er janvier 2017
496 Ces mesures attendues peuventndashelles ecirctre suffisantes pour surmonter la dureteacute du
pourvoi en reacutevision
1 W ROUMIER op cit p 296 2 D ROETS op cit 162 3 Assembleacutee Nationale ndeg 1323 Projet de loi relatif agrave la colleacutegialiteacute de lrsquoinstruction 4 Ibid exposeacute des motifs
197
La colleacutegialiteacute et la co-saisine constituent des mesures inteacuteressantes auxquelles on ne peut
qursquoadheacuterer En effet sur de nombreux points la colleacutegialiteacute est un gage de bonne justice qui
srsquoarticule autour drsquoun centre deacutecisionnel impartial ouvert aux deacutebats Cependant le principe
mecircme de la colleacutegialiteacute peut ecirctre relativiseacute puisqursquoil srsquoagirait en reacutealiteacute drsquoune semi
colleacutegialiteacute En effet seules sont concerneacutees par la colleacutegialiteacute les deacutecisions les plus graves
La colleacutegialiteacute existe deacutejagrave pour les audiences des tribunaux correctionnels jugeant les affaires
les plus graves Or la pratique a deacutemontreacute que quelques fois les assesseurs ont tendance agrave se
rallier aux arguments deacuteveloppeacutes par le magistrat speacutecialement chargeacute drsquoeacutetudier lrsquoaffaire
497 Cette reacuteforme utile agrave la fin de lrsquoisolement du juge drsquoinstruction devrait
logiquement par ses effets favoriser une diminution du nombre des erreurs judiciaires et des
contestations (pourvois en reacutevision) En effet la colleacutegialiteacute pegravesera sur le corpus mecircme des
deacutecisions de justice qui mieux eacutelaboreacutees se rapprocheront de tregraves pregraves de la Veacuteriteacute
Toutefois pour lrsquoheure cette nouvelle pratique judiciaire qui se heurte agrave de nombreux
atermoiements et reste toujours pour le moins theacuteorique
498 Lrsquoeacutedifice judiciaire est aujourdrsquohui quelque peu eacutebranleacute1 et les nombreux
problegravemes qui le minent deacutepassent largement lrsquoobjet de notre propos2 La graviteacute des maux
dont souffre notre justice peacutenale nrsquoest pas reacutecente Toutefois le deacutesaveu dont elle fait lrsquoobjet
semble srsquoamplifier et donner lieu agrave de vifs deacutebats3 En matiegravere peacutenale toute deacutecision
judiciaire est lieacutee agrave des interventions qui ne sont pas exclusivement du ressort de la formation
de jugement tel les moyens drsquoenquecircte drsquoexpertise hellip Tous ces eacuteleacutements contribuent agrave
1J PRADEL Les suites leacutegislatives de lrsquoaffaire dite drsquoOutreau op cit laquo Le mal dont souffre notre justice peacutenale est ancien Il sacceacutelegravere aujourdhui raquo Y MAYAUD Lrsquoerreur en droit peacutenal in Lrsquoerreur (sous le direction de J FOYER F TERRE C PUIGELIER) PUF 2007 p 126 laquo La justice est aujourdrsquohui tregraves eacuteprouveacutee et lrsquoopinion relayeacutee par la repreacutesentation nationale srsquoest justement eacutemue de la maniegravere dont certaines affaires ont eacuteteacute poursuivies instruites voire jugeacutees Lrsquoerreur du juge nrsquoest pas comprise et ne saurait lrsquoecirctre parce qursquoil incarne la veacuteriteacute dans sa porteacutee la plus noble et le spectre de lrsquoinnocence bafoueacutee ne doit pas se substituer agrave lrsquoimage prometteuse du glaive et de la balance raquo 2 F SAINT PIERRE Reacuteforme de linstruction judiciaire 2010 lanneacutee de la crise aigueuml op cit p 427 laquo Une erreur historique fut commise en 1990 il y a maintenant plus de vingt ans lorsque le gouvernement de leacutepoque deacutecida de ne pas donner suite au projet de nouveau code de proceacutedure peacutenale quavait eacutelaboreacute la commission Delmas-Marty Henri Nallet eacutetait garde des Sceaux et Maicirctre Georges Kiejman son ministre deacuteleacutegueacute Erreur historique car ce projet de qualiteacute proposait une reacuteforme globale de notre justice peacutenale rompant enfin avec ce vieux systegraveme napoleacuteonien dont nous sommes heacutelas demeureacutes les tributaires Agrave sa place ce sont les structures dune proceacutedure moderne qui devaient ecirctre dresseacutees conformes au standard de la Convention europeacuteenne des droits de lhomme le seul acceptable dans une deacutemocratie contemporaine Non raquo 3 Proposition de loi n deg 3770 op cit exposeacute des motifs p 3 laquo Depuis de nombreux mois la justice peine agrave sortir drsquoune crise majeure qui nrsquoa fait que renforcer la traditionnelle meacutefiance des Franccedilais agrave lrsquoeacutegard de cette institution Pour retrouver la confiance de nos concitoyens la justice doit notamment pouvoir deacutemontrer qursquoelle est en mesure de se remettre en cause de rectifier ses erreurs et autant que faire se peut drsquoen reacuteparer les conseacutequences raquo Ph BILGER Pour lhonneur de la justice Flammarion 2006 Eacute de MONTGOLFIER Le devoir de deacuteplaire Lafon 2006
198
faccedilonner la physionomie du procegraves peacutenal dont deacutependra la qualiteacute du jugement Selon Maicirctre
SAINT-PIERRE laquo la profondeur et la graviteacute de la crise qui frappe actuellement le systegraveme
judiciaire franccedilais le menace de paralysie Aucune reacuteforme structurelle ne paraicirct pouvoir ecirctre
meneacutee agrave son terme dans un tel contexte alors que des solutions claires doivent ecirctre apporteacutees
agrave des questions preacutecises raquo1
499 Une seconde raison illustre lrsquoinsuffisance de lrsquoaction uniquement meneacutee en amont
de la reacutevision La veacuteriteacute dont la reacuteveacutelation constitue un des objectifs de la justice2 peut ne pas
toujours correspondre agrave lrsquoauthenticiteacute des faits Il ne srsquoagit que drsquoune veacuteriteacute relative Crsquoest
ainsi que toutes les mesures encadrant le parcours judiciaire peuvent srsquoaveacuterer faillibles et
deacuteboucher malgreacute toutes les preacutecautions qui lrsquoentoure sur une injustice
B La relativiteacute de la veacuteriteacute judiciaire
500 La deacutemystification de la veacuteriteacute judiciaire (1) permet drsquoaffirmer que la justice reste
un ideacuteal irrationnel (2)
1 La deacutemystification de la veacuteriteacute judiciaire
501 La veacuteriteacute est le caractegravere de jugements et propositions laquoauxquels on ne peut
qursquoaccorder assentiment crsquoest agrave dire qui srsquoimposent agrave notre esprit et agrave tout autre esprit et qui
est le fondement de lrsquoaccord universel entre les esprits raquo elle est synonyme drsquo laquoobjectiviteacuteraquo
De cette deacutefinition il ressort que la veacuteriteacute doit se situer au-dessus des consideacuterations
subjectives Or toute deacutecision scientifique est le reacutesultat drsquoune activiteacute intellectuelle qui
consiste agrave relier entre eux sous lrsquoimpulsion de connecteurs des pheacutenomegravenes Dans
lrsquohypothegravese de la deacutefaillance drsquoun connecteur la liaison en sera neacutecessairement perturbeacutee
502 Maicirctre FLORAND estime qursquoil existe souvent des eacuteleacutements communs agrave la
formation des erreurs judiciaires laquo Ce sont des affaires dans lesquelles on ne trouve pas
immeacutediatement un coupable et pour lesquelles la police ou la gendarmerie commet un certain
nombre de petites erreurs La pression de lrsquoopinion publique et les victimes aneacuteanties en
quecircte de reacuteponses agrave leurs questions contribuent alors au basculement vers lrsquoerreur
judiciaire raquo3
1 F SAINT PIERRE op cit p 427 2 J LELIEUR op cit ndeg 662 laquo Tendre vers la justice doit certainement ecirctre la preacuteoccupation premiegravere de tout exercice de la reacutepression raquo 3 httpprisonsfreefrerreursjudiciaireshtm interview de Maicirctre Jean Marc FLORAND
199
503 La justice peut srsquoeacutegarer sous lrsquoinfluence de lrsquoinnocent lui-mecircme passeacute aux
aveux Le style de reacutedaction des procegraves-verbaux drsquoaudition peut aussi ecirctre une source de
malentendus Ensuite les rapports drsquoexpertise qui beacuteneacuteficient drsquoune onction scientifique
certes relative peuvent ecirctre sujets agrave caution Enfin lrsquoinstruction sous sa forme originelle (juge
unique) est un facteur de risque important Mais agrave ces sources srsquoajoutent une multitude
drsquoautres eacuteleacutements comme lrsquoexistence de facteurs drsquoinfluence agissant en peacuteripheacuterie du procegraves
Il srsquoagit essentiellement du rocircle de la presse et de la violation du secret de lrsquoinstruction Enfin
et ce dernier argument lui ne pourra ecirctre contreacute la faillibiliteacute de lrsquohomme donnera toujours
matiegravere agrave une eacuteventuelle erreur drsquoappreacuteciation ou de jugement
504 Les reacuteformes prises en amont de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee peuvent contribuer agrave
seacutecuriser la proceacutedure peacutenale et agrave maitriser le nombre drsquoerreurs judiciaires Mais une
disparition complegravete de lrsquoerreur restera toujours improbable La veacuteriteacute judiciaire construite
autour de lrsquoaddition drsquoopinions subjectives ne peut qursquoecirctre le reflet drsquoune objectivisation
relative Elle demeure particuliegravere en raison des contraintes qui lrsquoentourent Le juge a
lrsquoobligation de la deacutecouvrir pour pouvoir prendre position par rapport agrave un litige dans un laps
de temps limiteacute Il en reacutesulte une situation paradoxale Drsquoun cocircteacute la veacuteriteacute judicaire se trouve
sacraliseacutee par le principe de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et par le poids des sanctions que la
reacuteveacutelation de la veacuteriteacute peut entrainer De lrsquoautre cocircteacute elle peut reposer sur des contradictions1
susceptibles de fragiliser la soliditeacute de ses bases Elle laquone consiste que dans la conviction du
juge formeacutee drsquoapregraves les regravegles leacutegales2 raquo
505 Pour que le juge puisse se forger sa conviction de nombreux moyens sont
deacuteployeacutes pour faire eacutemerger des preuves Toutefois comme lrsquoa souligneacute Madame Juliette
LELIEUR laquo il convient de prendre avec preacutecaution lrsquoideacutee geacuteneacuteralement reacutepandue selon
laquelle les preuves obligent le juge agrave trancher en conformiteacute avec la veacuteriteacute raquo3 Lrsquoauteure
srsquoappuie sur le raisonnement de Monsieur le Professeur THERY selon lequel laquo [l]a veacuteriteacute est
sans doute une valeur du procegraves Mais la finaliteacute essentielle des regravegles de preuve est plus
prosaiumlquement la conviction du juge [hellip] En geacuteneacuteral seule importe la perception que le juge
a de la veacuteriteacute La conviction autrement dit est la vraie fin des regravegles de preuve4 raquo
1 X LAGARDE op cit p 1034 laquola preuve juridique a un caractegravere neacutecessairement conflictuelraquo 2 MOTULSKY Principes drsquoune reacutealisation meacutethodique du droit priveacute D 1991 p 85 ndeg 1 3 J LELIEUR op cit p 527 4 P THERY laquo Finaliteacutes du droit de la preuve raquo Droits ndash Revue franccedilaise de theacuteorie juridique 1996 ndeg 23 p 41-52 speacutec p 46 et 48 citeacute par J LELIEUR
200
506 Finalement la veacuteriteacute judiciaire repose sur une conviction que partage un petit
nombre de personnes (les juges professionnels et les jureacutes pour les crimes)1 Srsquoagissant des
deacutelits les moins graves elle nrsquoest mecircme le fruit que de la reacuteflexion drsquoune personne le juge
unique La veacuteriteacute judiciaire dont la fermeteacute des effets est patente apparaicirct donc malgreacute tout
comme fragile dans ses fondements puisque le juge peacutenal dit laquo ce qursquoil croit ecirctre la veacuteriteacute
objectiveraquo2 Ainsi peut-on seulement parler de veacuteriteacute relative3 dont lrsquoambition premiegravere est de
mettre fin deacutefinitivement agrave un litige dans un but de pacification sociale et de reconstruction du
lien briseacute Lrsquoideacutee drsquoune justice laquo toujours juste raquo reste donc un ideacuteal
2 La justice un laquo ideacuteal irrationnel raquo
laquo Jeunesse Jeunesse Sois toujours avec la justice (hellip) Et je
ne te parle pas de la justice de nos Codes qui nrsquoest que la
garantie des liens sociaux Certes il faut la respecter mais il est
une notion plus haute la justice celle qui pose en principe que
tout jugement des hommes est faillible et qui admet lrsquoinnocence
possible drsquoun condamneacute sans croire insulter les juges 4raquo
507 Entendu par la commission des lois lrsquoavocat Franccedilois SAINT-PIERRE a conclu
son intervention en deacuteclarant que laquo laleacutea judiciaire est tregraves important alors que se pose
fondamentalement la question de la veacuteriteacute de la culpabiliteacute ou de linnocence de laccuseacute raquo
Derriegravere cette citation on retrouve la penseacutee de KELSEN qui qualifiait la justice drsquo laquo ideacuteal
irrationnel raquo5 Dans le mecircme ordre ideacutees CARBONNIER invite les penseurs juridiques agrave laquo
inventer quelques solutions plutocirct pacificatrices que justes plutocirct moins injustes que justes
afin de rendre toleacuterable la vie en socieacuteteacute raquo6 En drsquoautres termes les juristes doivent faire
montre de modestie et inteacutegrer qursquoil est difficile drsquoatteindre systeacutematiquement la veacuteriteacute7
Lrsquoinaccessibiliteacute du juste ne peut ecirctre qursquoaccepteacutee Il est drsquoailleurs acquis que le droit
1 G DALBINAT DEHARO op cit p 21 ndeg 7 laquo Le fondement consensuel de la veacuteriteacute affecte donc directement son contenu raquo 2 MOTUSLKY Droit processuel Cours Saint Jacques 1973 p 231 3 X LAGARDE op cit p 410 laquo lrsquoinstitution judiciaire nrsquoa [hellip] pas inteacuterecirct agrave mettre en avant lrsquoideacutee de veacuteriteacute objective raquo 4 E Zola Lettre agrave la jeunesse 14 deacutecembre 1897 5 H KELSEN Was ist Gerechtigkeit Wien Franz Deuticke 2egraveme eacuted 1975 p 40 citeacute par J LELIEUR op cit p 526 6 J CARBONNIER Flexible droit Pour une sociologie du droit sans rigueur Paris 10egraveme eacuted 2001 p 490 7 Y MAYAUD op cit p 144 laquo Crsquoest dire que toute erreur ne peut qursquoeacuteloigner la justice peacutenale de lrsquoideacuteal de veacuteriteacute qursquoelle se doit de poursuivre Lrsquoerreur judiciaire est sous-jacente agrave cette preacuteoccupation raquo
201
reconnaicirct la faiblesse de la veacuteriteacute judiciaire1 Dans cette perspective de multiples preacutecautions
sont prises pour que la veacuteriteacute judiciaire se trouve renforceacutee dans son objectiviteacute2 Les voies de
recours ouvertes dans le but de contester un premier jugement deacutemontrent la fragiliteacute de la
veacuteriteacute judiciaire
508 DESCARTES a mis lrsquoaccent sur les eacutecueils menaccedilant ceux qui sont agrave la recherche
permanente du vrai laquo les voyageurs qui se trouvant eacutegareacutes en quelque forecirct ne doivent pas
errer en tournoyant tantocirct drsquoun cocircteacute tantocirct drsquoun autre ni encore moins srsquoarrecircter en une place
mais marcher toujours le plus droit qursquoils peuvent vers un mecircme cocircteacute et ne le changer point
pour de faibles raisons encore que ce nrsquoait peut-ecirctre eacuteteacute au commencement que le hasard seul
qui les ait deacutetermineacutes agrave le choisir car par ce moyen srsquoils ne vont justement ougrave ils deacutesirent
ils arriveront au moins agrave la fin quelque part ougrave vraisemblablement ils seront mieux que dans
le milieu drsquoune forecirct Et ainsi les actions de la vie ne souffrant souvent aucun deacutelai crsquoest une
veacuteriteacute tregraves certaine que lorsqursquoil nrsquoest pas en notre pouvoir de discerner les plus vraies
opinions nous devons suivre les plus probables raquo3
509 La recherche agrave tout prix de la veacuteriteacute se trouve mecircme quelque fois encadreacutee voir
brideacutee par la proceacutedure peacutenale elle-mecircme Crsquoest ainsi que des techniques drsquoenquecirctes
susceptibles drsquoapporter la veacuteriteacute sont eacutecarteacutees de notre droit car jugeacutees deacuteloyales ou
attentatoires agrave la vie priveacutee ou encore contraires agrave la digniteacute humaine (certaines meacutethodes
drsquointerrogatoires torturehellip)4
510 Ce questionnement sur la veacuteriteacute judiciaire deacutebouche sur la conclusion suivante
la proceacutedure de reacutevision doit ecirctre appreacutehendeacutee avec prudence et sans naiumlveteacute Mecircme en
devenant plus accessible elle sera toujours dans lrsquoimpossibiliteacute structurelle de deacutecouvrir la
veacuteriteacute de maniegravere systeacutematique Pour Madame le Professeur LAZERGES laquo inheacuterentes non
seulement agrave lacte mecircme de juger mais aussi au fonctionnement de linstitution judiciaire les
erreurs judiciaires ne peuvent toutes ecirctre preacutevenues raquo5
1 J CARBONNIER op cit p63 laquo La veacuteriteacute judicaire elle-mecircme nrsquoexclut pas qursquoelle est artificielle et qursquoil pourrait bien exister drsquoautres veacuteriteacutes raquo 2 Madame JOSSERAND a montreacute que lrsquoimpartialiteacute consiste en une deacutemarche de laquoremise en cause raquo S JOSSERAND Lrsquoimpartialiteacute du magistrat en proceacutedure peacutenale Bibl des sciences criminelles LGDJ tome 33 p 590 3 R DESCARTES Discours de la meacutethode op cit p 94 4 M DELMAS-MARTY laquo La preuve peacutenale raquo Droits ndash Revue franccedilaise de theacuteorie juridique 1996 ndeg 23 p 53-65 laquo Visite drsquoun atelier de recherche en droit peacutenal raquo Entretien avec M DELMAS-MARTY LrsquoAstreacutee ndeg 12 oct 2000 p 3-10 p 7 citeacute par J LELIEUR 5 C LAZERGES Reacuteflexions sur lrsquoerreur judiciaire op cit p 709
202
511 La proceacutedure de reacutevision est lrsquoultime moyen en droit interne mis agrave la disposition
du justiciable pour tenter de faire eacutemerger enfin la veacuteriteacute La reacuteforme de 2014 qui rompt avec
le passeacute prouve que son accessibiliteacute constitue un preacutealable indispensable agrave la reacuteussite du
reacutetablissement de la veacuteriteacute et agrave la reacuteparation des dommages causeacutes par lrsquoerreur (Section 2)
Aussi tout doit-il ecirctre mis en œuvre pour faciliter lrsquoaccegraves du justiciable ou ses ayants droits agrave
cette proceacutedure
Section 2 2014 le changement de strateacutegie leacutegislative
512 Malgreacute toutes les preacutecautions prises en amont le risque drsquoerreur judiciaire est
toujours possible Conscient du problegraveme le leacutegislateur a reacutecemment deacutecideacute de srsquointeacuteresser
au pourvoi en reacutevision pour y apporter certains ameacutenagements au travers de la loi ndeg 2014-
640 du 20 juin 2014 relative agrave la reacuteforme des proceacutedures de reacutevision et de reacuteexamen dune
condamnation peacutenale deacutefinitive Le nouveau texte est porteur pour la premiegravere fois de
lrsquohistoire de la reacutevision drsquoune reacuteflexion globale puisqursquoil intervient tant sur le droit de la
reacutevision (sect 1) que sur les moyens drsquoadapter la proceacutedure peacutenale agrave la reacutevision (sect 2)
sect 1 Une intervention leacutegislative sur le droit de la reacutevision
513 La loi du 20 juin 2014 srsquoefforce de fournir des reacuteponses aux problegravemes drsquoordre
structurel (A) et conjoncturel (B) poseacutes par le droit de la reacutevision issu de la loi de 1989
A Les modifications structurelles
514 La loi du 20 juin 2014 srsquoest empareacutee de la question des faiblesses structurelles de
la reacutevision et a tenteacute drsquoy apporter des solutions La loi de 1989 se caracteacuterisait par une
reacutepartition plutocirct confuse des compeacutetences entre la commission et la Cour de reacutevision Aussi
le nouveau texte entend-il solutionner ce problegraveme (2) en laquo chamboulant lrsquoinstitution elle-
mecircme1 raquo (1) pour reconnaicirctre une meilleure protection des droits des parties (3)
1 Le chamboulement de lrsquoinstitution
515 La reacutepartition contestable des compeacutetences entre la commission et la Cour de
reacutevision avait pour origine lrsquoancien alineacutea 5 de lrsquoarticle 623 du Code de proceacutedure peacutenale qui
preacutevoyait que laquo la demande en reacutevision est adresseacutee agrave une commission (hellip) raquo et preacutecisait
1 J MUCCHIELLI La nouvelle proceacutedure de reacutevision des condamnations peacutenales est entreacutee en vigueur Dalloz actualiteacutes 24 juin 2014
203
ensuite que laquo cette commission saisit la chambre criminelle qui statue comme cour de
reacutevision des demandes qui lui paraissent pouvoir ecirctre admises raquo Il a eacuteteacute deacutemontreacute que
lrsquoambiguiumlteacute structurelle deacutecoulait de la reacutedaction mecircme de lrsquoarticle dont les termes precirctaient agrave
controverse En effet lrsquoappreacuteciation du doute incombait dans les faits aux deux organes
alors qursquoagrave lrsquoorigine le leacutegislateur entendait confier ce rocircle agrave la seule Cour de reacutevision Le
filtrage des demandes deacutevolu agrave la commission srsquoeacutetait transformeacute au fil du temps En effet sa
seacuteveacuteriteacute deacutepassait largement le pouvoir que le leacutegislateur envisageait de lui confier par rapport
agrave lrsquoexamen de la recevabiliteacute de la demande1
516 La loi du 20 juin 2014 entend redresser la situation en creacuteant une nouvelle
structure Elle preacutevoit la creacuteation drsquoune juridiction unique statuant sur la reacutevision et le
reacuteexamen des deacutecisions peacutenales deacutefinitives (a) et la mise en place au sein de cet organe
drsquoune commission deacutesormais deacutenommeacutee laquo commission drsquoinstruction raquo (b)
a Une juridiction unique statuant sur la reacutevision et le reacuteexamen
517 La nouvelle leacutegislation a creacuteeacute une juridiction unique en charge de la reacutevision et du
reacuteexamen dune deacutecision peacutenale Cette modification peut paraicirctre surprenante car le reacuteexamen
nrsquoa pas eacuteteacute eacutevoqueacute dans nos deacuteveloppements preacuteceacutedents Il srsquoagit drsquoune voie de recours
extraordinaire preacutevue par larticle 89 de la loi no 2000-516 du 15 juin 2000 renforccedilant la
preacutesomption dinnocence et les droits des victimes Ce recours a pour objet le reacuteexamen drsquoun
jugement prononceacute en violation de la Convention europeacuteenne des droits de lhomme fait
preacutealablement constateacute par la Cour europeacuteenne Il teacutemoigne de lrsquoinfluence grandissante du
droit europeacuteen sur le droit interne2 Ce dispositif a pour objectif de conforter lrsquoeffectiviteacute des
sanctions prononceacutees par la Cour europeacuteenne des droits de lhomme et de sanctuariser la
Convention europeacuteenne3
1 V supra ndeg 175 agrave 228 2 F DOROY laquo Le reacuteexamen dune deacutecision peacutenale conseacutecutif au prononceacute dun arrecirct de condamnation de la Cour europeacuteenne des droits de lHomme mise en oeuvre de la reacuteforme du 15 juin 2000 questions juridiques et problegravemes pratiques raquo Dr peacutenal 2003 chron no 18 3 B BONFILS op cit ndeg 1 V eacutegalement M HOTTELIER La proceacutedure suisse de reacutevision conseacutecutive agrave un arrecirct de condamnation par la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme RTDH 2001 p 743 et s E LAMBERT-ABDELGAWAD laquoLe reacuteexamen de certaines affaires suite agrave des arrecircts de la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme RTDH 2001 p 715 F MASSIAS Le reacuteexamen des deacutecisions deacutefinitives intervenues en violation de la Convention europeacuteenne des droits de lhomme RSC 2001 p 124 J-F RENUCCI Le reacuteexamen dune deacutecision de justice deacutefinitive dans linteacuterecirct des droits de lrsquohomme D 2000 chron 655 et s
204
518 Initialement un amendement au projet de loi relatif au reacuteexamen envisageait
mecircme drsquoen faire un cinquiegraveme cas de reacutevision1 Anciennement agrave la loi de 2014 cette
proceacutedure de reacuteexamen beacuteneacuteficiait drsquoun reacutegime particulier et drsquoune juridiction propre Bien
que srsquoagissant de deux voies de recours distinctes2 il est vrai qursquoil existe entre elles certains
points communs3 En effet comme la juridiction de reacutevision la commission de reacuteexamen
avait pour vocation de srsquoattaquer agrave lautoriteacute de la chose jugeacutee de rejeter les requecirctes non
fondeacutees de renvoyer les affaires devant une autre juridiction et enfin drsquoordonner le cas
eacutecheacuteant la suspension de la peine du condamneacute Il srsquoagissait dans les deux cas drsquooffrir agrave un
condamneacute deacutefinitif la possibiliteacute de remettre en cause lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee drsquoune
condamnation en principe incontestable A lrsquoeacutepoque de son instauration en 2000 le leacutegislateur
srsquoeacutetait largement inspireacute de la proceacutedure de reacutevision Certains ont mecircme preacutetendu que
conscient des faiblesses de la reacutevision il avait voulu srsquoentourer de toutes les garanties pour
doter la proceacutedure de reacuteexamen de tous les atouts drsquoefficaciteacute afin drsquoeacuteviter le renouvellement
des critiques deacutejagrave formuleacutees agrave lrsquoeacutegard de la commission de reacutevision 4
519 Ce rapprochement entre la reacutevision et le reacuteexamen transparaissait deacutejagrave des motifs
de la proposition de loi de 2007 qui qualifiait la proceacutedure de reacutevision de laquo proceacutedure de droit
commun raquo et la proceacutedure de reacuteexamen de laquo seconde proceacutedure de reacutevision 5raquo La loi de
2014 en creacuteant une cour unique appeleacutee la laquo Cour de reacutevision et de reacuteexamen raquo entend mettre
fin au laquo doublon6 raquo qui aurait pu exister entre les deux proceacutedures Cette nouvelle juridiction
remplace deacutesormais les trois juridictions preacuteceacutedentes - la commission de reacutevision - la Cour
de reacutevision et - la commission de reacuteexamen drsquoune deacutecision peacutenale deacutefinitive conseacutecutif au
prononceacute drsquoun arrecirct de la Cour europeacuteenne des droits de lrsquoHomme
520 Par ce biais le nouveau texte entend atteacutenuer le sentiment drsquoineacutegaliteacute que
pouvaient ressentir les justiciables selon qursquoils avaient ou non beacuteneacuteficieacute drsquoun arrecirct de la
1 laquo 5deg Apregraves un arrecirct de la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme constatant une violation de la Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales du 4 novembre 1950 ou de ses protocoles lorsque la condamnation continue de produire ses effets et qursquoune reacuteparation eacutequitable du preacutejudice causeacute par cette violation ne peut ecirctre obtenue que par la voie de la reacutevision raquo Amendement ndeg 219 discuteacute au cours de la seconde lecture du projet de loi agrave lrsquoAssembleacutee nationale le 10 feacutevrier 2000 Pour plus de deacutetails sur les deacutebats parlementaires V C PETTITI laquo Lrsquoexamen drsquoune deacutecision franccedilaise apregraves un arrecirct de la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme la loi franccedilaise du 15 juin 2000 raquo RTDH 2001 p 3 et s 2 CNCDH op cit ndeg 16 et s 3 E DREYER laquo A quoi sert le reacuteexamen des deacutecisions peacutenales apregraves condamnation agrave Strasbourg raquo D 2008 p 1705 4 Assembleacutee Nationale Rapport drsquoinformation ndeg 1598 op cit 5 Proposition de loi ndeg 3770 visant agrave accroitre lrsquoefficaciteacute de la proceacutedure de reacutevision des condamnations peacutenales enregistreacutee agrave la preacutesidence de lrsquoAssembleacutee Nationale le 13 mars 2007 p3 6 Assembleacutee Nationale Rapport drsquoinformation ndeg 1598 op cit p 15
205
Cour europeacuteenne des droits de lhomme En effet le taux de reacuteussite de ces deux proceacutedures
nrsquoeacutetait pas comparable laquo alors qursquoune demande en reacutevision [avait] 15 de chances
drsquoaboutir une demande en reacuteexamen [aboutissait] dans 56 des cas raquo1 Deacutesormais en
confiant lrsquoexamen des requecirctes en reacutevision et en reacuteexamen agrave une cour unique le leacutegislateur
espegravere apporter plus de coheacuterence agrave la question de la reacuteformation des deacutecisions peacutenales
deacutefinitives sans pour autant effacer les critegraveres distinctifs des deux proceacutedures2
521 En effet ces deux proceacutedures preacutesentent entre elles des diffeacuterences majeures
dans le reacuteexamen la deacutecision deacutefinitive est vicieacutee par une erreur de droit3 dans la reacutevision il
srsquoagit drsquoune erreur de fait Les points de convergence ne sauraient donc justifier la confusion
des deux proceacutedures4 Aussi la juridiction unique ne recouvre-t-elle pas une uniciteacute de
proceacutedure Les deux voies de recours restent distinctes selon les articles 6225 et 622-16 du
Code de proceacutedure peacutenale Un mecircme recours ne pourrait drsquoailleurs avoir pour objet conjoint la
reacutevision et le reacuteexamen Notre reacuteflexion restera neacuteanmoins centreacutee sur le pourvoi en reacutevision
b La nouvelle appellation de la commission la commission drsquoinstruction
522 La nouvelle Cour de reacutevision et de reacuteexamen abrite en son sein une commission
drsquoinstruction chargeacutee du filtrage des demandes celui-ci eacutetant axeacute sur lrsquoeacutetude de leur
recevabiliteacute Lrsquoarticle 623-1 du Code de proceacutedure peacutenale dispose que laquo la cour de reacutevision et
de reacuteexamen deacutesigne en son sein pour une dureacutee de trois ans renouvelable une fois cinq
1 Ibid 2 F FOURNIE laquo reacuteviser la reacutevision hellip raquo op cit p 777 laquo Malgreacute des diffeacuterences marqueacutees (tenant au type derreurs agrave corriger au deacutelai pour agir aux domaines dapplication) le leacutegislateur a neacuteanmoins fait le choix de privileacutegier leur caracteacuteristique commune ndash permettre lannulation dune deacutecision peacutenale deacutefinitive entacheacutee derreurs ndash en uniformisant le reacutegime juridique de ces deux voies proceacutedurales dexception raquo 3 J AMAR Erreur sur le droit et parties au procegraves peacutenal Drpeacutenal 1999 Chron p 15 J-P COUTURIER Lerreur de droit invincible en matiegravere peacutenale RSC 1968 p 547 DECOTTIGNIES Lerreur de droit RTD civ 1951 p 309 DEVAUX Eacutetude critique sur ladage laquo nul nest censeacute ignorer la loi raquo RTD civ 1907 p 532 DOUCET Une discussion sur lerreur de droit RSC 1962 p 497 4 La jurisprudence rappelle reacuteguliegraverement que le motif de pur droit nentre pas dans les preacutevisions de larticle 622 du CPP V par exemple Comm reacutev 19 mars 2007 ndeg 05 REV 084 Comm reacutev 16 nov 2009 ndeg 09 REV 011 5 Article 622 CPP laquo La reacutevision dune deacutecision peacutenale deacutefinitive peut ecirctre demandeacutee au beacuteneacutefice de toute personne reconnue coupable dun crime ou dun deacutelit lorsque apregraves une condamnation vient agrave se produire un fait nouveau ou agrave se reacuteveacuteler un eacuteleacutement inconnu de la juridiction au jour du procegraves de nature agrave eacutetablir linnocence du condamneacute ou agrave faire naicirctre un doute sur sa culpabiliteacute raquo 6 Article 622-1 CPP laquo Le reacuteexamen dune deacutecision peacutenale deacutefinitive peut ecirctre demandeacute au beacuteneacutefice de toute personne reconnue coupable dune infraction lorsquil reacutesulte dun arrecirct rendu par la Cour europeacuteenne des droits de lhomme que la condamnation a eacuteteacute prononceacutee en violation de la convention europeacuteenne de sauvegarde des droits de lhomme et des liberteacutes fondamentales ou de ses protocoles additionnels degraves lors que par sa nature et sa graviteacute la violation constateacutee entraicircne pour le condamneacute des conseacutequences dommageables auxquelles la satisfaction eacutequitable accordeacutee en application de larticle 41 de la convention preacuteciteacutee ne pourrait mettre un terme Le reacuteexamen peut ecirctre demandeacute dans un deacutelai dun an agrave compter de la deacutecision de la Cour europeacuteenne des droits de lhomme Le reacuteexamen dun pourvoi en cassation peut ecirctre demandeacute dans les mecircmes conditions raquo
206
magistrats titulaires et cinq magistrats suppleacuteants composant la commission dinstruction des
demandes en reacutevision et en reacuteexamen raquo
523 Il srsquoagit donc maintenant textuellement drsquoune commission drsquoinstruction des
demandes en reacutevision et en reacuteexamen Cette nouvelle appellation met un terme agrave une certaine
confusion des genres qui par le passeacute pouvait exister entre les deux organes juridictionnels1
Cette modification structurelle ne regravegle pas pour autant le problegraveme du partage des
compeacutetences entre la Cour de reacutevision et la commission Lrsquointervention la plus preacutegnante de
la loi concerne la commission drsquoinstruction dont le rocircle a eacuteteacute sensiblement remodeleacute
2 La reacutepartition des compeacutetences entre la commission et la Cour
524 Trois modifications sont intervenues dans la loi de 2014 au niveau de la
reacutepartition des compeacutetences entre la commission drsquoinstruction et la Cour Tout drsquoabord le rocircle
deacutevolu agrave la commission est recentreacute sur la recevabiliteacute des requecirctes (a) Ensuite les pouvoirs
qui lui sont confeacutereacutes sont clarifieacutes (b) Enfin la deacutecouverte de lrsquoimplication drsquoun tiers par la
commission ou la Cour est prise en compte par le leacutegislateur (c)
a Le recentrage du rocircle de la commission sur la recevabiliteacute des requecirctes
525 Pour ne pas retomber comme en 1989 dans le piegravege drsquoune formulation
maladroite le leacutegislateur de 2014 a fait montre de plus drsquohabileteacute dans lrsquoexpression de la
ratio legis Le rocircle de la commission est maintenant expresseacutement limiteacute agrave lrsquoeacutetude de la
recevabiliteacute des demandes Lrsquoancienne formulation relative agrave la transmission des demandes
laquo qui lui paraissent pouvoir ecirctre admises raquo a donc disparu Le nouvel article 624 du Code de
proceacutedure peacutenale a leveacute toutes les ambiguiumlteacutes laquo La demande en reacutevision ou la demande en
reacuteexamen est adresseacutee agrave la commission dinstruction des demandes en reacutevision et en
reacuteexamen qui se prononce sur sa recevabiliteacute raquo
526 Le leacutegislateur a souhaiteacute dessiner une ligne de deacutemarcation nette entre les
missions de la commission et celles de la Cour Le rocircle de la commission est limiteacute agrave lrsquoeacutetude
de la recevabiliteacute de la demande qui consiste agrave veacuterifier les conditions drsquoaccegraves nature de la
deacutecision caractegravere deacutefinitif de la deacutecision qualiteacute du requeacuteranthellip Est maintenue la distinction
entre lrsquoirrecevabiliteacute ab initio et lrsquoirrecevabiliteacute de la demande constateacutee par des mesures
1 V supra ndeg 295 agrave 304
207
drsquoinvestigations diligenteacutees par la commission Le rocircle de la commission identique agrave celui
souhaiteacute en 1989 est donc deacutesormais mieux formaliseacute
527 Lrsquoexamen de la question du doute sur la culpabiliteacute relegraveve expresseacutement de la
seule compeacutetence de la Cour de reacutevision et de reacuteexamen en formation de jugement En effet
le leacutegislateur qui fait exclusivement reacutefeacuterence agrave la notion objective de recevabiliteacute srsquoest fixeacute
comme objectif de diffeacuterencier le rocircle de la commission de celui de la Cour en nrsquooffrant plus agrave
celle-ci la possibiliteacute de sinterroger sur limpact du fait nouveau ou de leacuteleacutement inconnu sur
la culpabiliteacute du condamneacute
528 Au terme de lrsquoexamen du dossier deux solutions srsquoimposent maintenant agrave la
commission soit deacuteclarer la demande irrecevable (ab initio ou apregraves une instruction) soit
deacutecider de sa transmission agrave la Cour de reacutevision et de reacuteexamen Donc si la demande est
recevable elle doit la transmettre Le leacutegislateur de 2014 affirme donc avec plus de fermeteacute
qursquoen 1989 que la commission est dans lrsquoobligation de saisir la Cour de reacutevision et de
reacuteexamen degraves lors que les conditions de recevabiliteacute sont reacuteunies
b La clarification des pouvoirs de la commission
529 Le nouvel article 624 du Code de proceacutedure peacutenale clarifie et renforce les
pouvoirs de la commission drsquoinstruction Par le passeacute on a pu srsquointerroger sur le fait que le
leacutegislateur srsquoeacutetait refuseacute de reconnaicirctre lrsquoexistence drsquoun parallegravele entre les pouvoirs du juge
drsquoinstruction preacutevus agrave lrsquoarticle 81 du Code de proceacutedure peacutenale et ceux de la commission1
Deacutesormais drsquoapregraves le nouveau texte cette derniegravere pourra recourir laquo agrave tout acte dinformation
utile agrave linstruction de la demande agrave lexception de laudition de toute personne agrave leacutegard de
laquelle il existe des raisons plausibles de soupccedilonner quelle a commis ou tenteacute de
commettre une infraction raquo
530 Lrsquoinfluence de lrsquoarticle 81 du Code de proceacutedure peacutenale est plus marqueacutee que
dans lrsquoancienne formulation de lrsquoarticle 623 Le rapport de lAssembleacutee nationale preacutecise que
le nouvel article laquo doit ecirctre interpreacuteteacute largement et de maniegravere compreacutehensive comme
embrassant tous les actes neacutecessaires agrave la manifestation de la veacuteriteacute raquo2 La commission peut
donc doreacutenavant proceacuteder sans ambages agrave des interrogatoires auditions de teacutemoin ou de la
partie civile confrontations reconstitutions eacutecoutes geacuteolocalisations surveillance Tel est
1 V supra ndeg 297 2 Assembleacutee Nationale Rapport drsquoinformation ndeg 1598 op cit p 70
208
eacutegalement le cas pour la formation de jugement1 Contrairement au juge drsquoinstruction la
commission drsquoinstruction ne peut pas se livrer agrave des mesures coercitives comme une garde agrave
vue ou une mise en examen Ces actes privatifs de liberteacute ne relegravevent pas de la compeacutetence
des juridictions de reacutevision
c La deacutecouverte de lrsquoimplication drsquoun tiers par les juridictions de reacutevision
531 Sous lrsquoempire de la loi ancienne lrsquoabsence de pouvoirs coercitifs propres agrave la
commission pouvait constituer un obstacle en cas de deacutecouverte de lrsquoimplication drsquoun tiers2
Aussi le nouveau texte prend-il en compte cette reacutealiteacute en autorisant la commission agrave
solliciter aupregraves du parquet lrsquoouverture drsquoune information judiciaire Lrsquoarticle 624-2 du
Code de proceacutedure peacutenale dispose laquo Lorsque les eacuteleacutements nouveaux laissent apparaicirctre
quun tiers pourrait ecirctre impliqueacute dans la commission des faits la commission en avise sans
deacutelai le procureur de la Reacutepublique compeacutetent qui effectue les investigations neacutecessaires et
peut ouvrir une information judiciaire laquelle ne peut ecirctre confieacutee agrave un magistrat ayant deacutejagrave
connu de laffaire Le procureur de la Reacutepublique ou le juge dinstruction ne peut saisir un
service ou un officier de police judiciaire ayant participeacute agrave lenquecircte agrave lorigine de la
condamnation du demandeur raquo
532 Cette nouvelle disposition impose aux procureurs de la Reacutepublique certaines
contraintes pour mener agrave bien leurs investigations qui pourront ecirctre diligenteacutees dans le cadre
drsquoune enquecircte preacuteliminaire et deacuteboucher ensuite sur lrsquoouverture drsquoune information judiciaire
La commission apregraves avoir mis en œuvre tous les moyens neacutecessaires sera parfaitement
informeacutee sur la recevabiliteacute de la requecircte qursquoelle transmettra le cas eacutecheacuteant agrave la juridiction de
jugement Ensuite la Cour de reacutevision et de reacuteexamen aura la faculteacute de rejeter la demande
mal fondeacutee ou bien drsquoannuler la condamnation contesteacutee et deacutesigner selon les cas une
juridiction de renvoi Les modaliteacutes de renvoi demeurent identiques agrave celles preacutevues par la loi
de 1989 tout comme le dispositif drsquoindemnisation inchangeacute
Enfin la nouvelle loi se veut plus protectrice des droits des parties
1 Article 624-3 CPP laquo Si la formation de jugement de la cour de reacutevision et de reacuteexamen estime que laffaire nest pas en leacutetat elle ordonne lexeacutecution dun suppleacutement dinformation confieacute agrave lun ou agrave plusieurs de ses membres aux fins de proceacuteder directement ou par commission rogatoire dans les formes preacutevues au preacutesent code agrave tout acte dinformation utile agrave linstruction de la demande agrave lexception de laudition de toute personne agrave leacutegard de laquelle il existe des raisons plausibles de soupccedilonner quelle a commis ou tenteacute de commettre une infraction raquo 2 V supra ndeg 299
209
3 Une meilleure protection des droits des parties
533 Lrsquoassistance drsquoun avocat est deacutesormais obligatoire afin dlaquo ameacuteliorer la qualiteacute
des recours [] qui seront deacuteposeacutes et [hellip] placer les justiciables sur un pied deacutegaliteacute devant la
cour de reacutevision et de reacuteexamen dans des affaires souvent complexes ou sensibles dans
lesquelles le conseil dun avocat nest pas superflu raquo1 Lrsquoarticle 624-4 du Code de proceacutedure
peacutenale dispose laquo Pour lapplication du preacutesent titre le requeacuterant est repreacutesenteacute dans la
proceacutedure et assisteacute au cours des deacutebats par un avocat choisi par lui ou agrave sa demande
commis doffice Si la demande en reacutevision ou en reacuteexamen na pas eacuteteacute deacuteclareacutee
manifestement irrecevable en application du deuxiegraveme alineacutea de larticle 624 et que le
requeacuterant na pas davocat le preacutesident de la commission dinstruction lui en deacutesigne un
doffice La victime peut ecirctre repreacutesenteacutee dans la proceacutedure et assisteacutee au cours des deacutebats
par un avocat choisi par elle ou agrave sa demande commis doffice raquo
534 Ainsi degraves le deacutepart de lrsquoinstruction le requeacuterant est obligatoirement repreacutesenteacute
ou assisteacute par un avocat qursquoil choisira ou agrave deacutefaut par un conseil commis doffice Toutefois
la commission drsquooffice nrsquointerviendra pas degraves qursquoil sera eacutetabli que la demande est
manifestement irrecevable En revanche srsquoagissant de la partie civile lassistance dun avocat
reste facultative Un avocat drsquooffice pourra ecirctre eacutegalement deacutesigneacute
535 Auparavant la juridiction de reacutevision disposait drsquooutils inapproprieacutes agrave sa mission
srsquoagissant essentiellement drsquoune proceacutedure eacutecrite srsquoinscrivant dans un contexte juridique
somme toute flou2 Deacutesormais les pratiques consacreacutees par la jurisprudence ont eacuteteacute retenues
par la nouvelle loi Ainsi le caractegravere contradictoire des audiences3 est maintenant codifieacute le
requeacuterant ou son conseil se voit confier la parole en dernier lieu qursquoil srsquoagisse de la formation
dinstruction4 ou de jugement5 Enfin lrsquoaccegraves aux piegraveces du dossier pour le requeacuterant son
avocat et la partie civile est maintenant expresseacutement preacutevu par le texte6
1 Assembleacutee Nationale Rapport ndeg 1807 op cit p 70 2 V supra ndeg 272 agrave 280 3 Article 624-3 du CPP laquo Le preacutesident de la cour peut au cours des deacutebats demander laudition par la formation de jugement de toute personne utile agrave lexamen de la demande raquo 4 Article 624 CPP laquo (hellip) Apregraves avoir recueilli les observations eacutecrites ou orales du requeacuterant ou de son avocat (hellip) raquo 5 Article 624-3 CPP laquo (hellip) la formation de jugement de la cour lexamine au fond et statue par un arrecirct motiveacute non susceptible de recours agrave lissue dune audience publique au cours de laquelle sont recueillies les observations orales ou eacutecrites du requeacuterant ou de son avocat (hellip) raquo 6 Article 624-6 CPP laquo Le requeacuterant et la partie civile peuvent se faire deacutelivrer copie de tout ou partie des piegraveces et actes du dossier raquo
210
536 Aux modifications structurelles srsquoajoutent des changements drsquoordre conjoncturel
B Les modifications conjoncturelles
537 Lrsquoaction du leacutegislateur srsquoest faite autour de trois axes - la facilitation pour le
requeacuterant de lrsquoeacutetablissement du fait nouveau ou de lrsquoeacuteleacutement inconnu (1) - une meilleure
justification de la deacutecision de suspendre ou de ne pas suspendre lrsquoexeacutecution de la
condamnation trop souvent assimileacutee par le passeacute agrave un fait du prince (2) - une composition
de la juridiction de reacutevision qui est deacutesormais deacutefinie par la loi (3)
1 Lrsquoeacutetablissement du fait nouveau faciliteacute
538 Par le passeacute le requeacuterant eacutetait confronteacute agrave des difficulteacutes pratiques dans
lrsquoeacutetablissement du fait nouveau ou de lrsquoeacuteleacutement inconnu1 Or la preuve de ces eacuteleacutements
conditionne le succegraves du recours Crsquoest pourquoi le nouveau texte autorise dans son chapitre
intituleacute laquo des demandes drsquoactes preacutealables raquo la sollicitation drsquoactes drsquoinvestigation en amont
de toute demande en reacutevision Selon lrsquoarticle 624-5 du Code de proceacutedure peacutenale il est offert
au justiciable les mecircmes avantages au cours de lrsquoinstruction de sa demande
539 Lrsquoarticle 626 du Code de proceacutedure peacutenale preacutevoit que le condamneacute deacutefinitif ou
toute personne autoriseacutee par la loi agrave preacutesenter une demande en reacutevision peut preacutealablement au
deacutepocirct de sa requecircte demander au procureur de la Reacutepublique la reacutealisation de tous les actes
qui lui paraissent utiles agrave la production dun fait nouveau ou agrave la reacuteveacutelation dun eacuteleacutement
inconnu le jour du procegraves
540 Cette preacuterogative est soumise agrave deux conditions Premiegraverement la demande doit
ecirctre eacutecrite et motiveacutee Deuxiegravemement elle doit porter sur des actes deacutetermineacutes et lorsquelle
concerne une audition preacuteciser lidentiteacute de la personne dont laudition est souhaiteacutee2
Monsieur TOURRET preacutecise que laquo la demande [doit] par exemple preacuteciser les actes qui
auraient pu ecirctre faits au cours de la premiegravere enquecircte mais qui ne lont pas eacuteteacute ou encore
inviter agrave exploiter des scelleacutes qui nauraient pas eacuteteacute analyseacutes une premiegravere fois ou que les
eacutevolutions technologiques permettraient de mieux exploiter ou deacuteclairer sous un jour
diffeacuterent (en exploitant des traces ADN que leacutetat des technologies navait pas permis
dexploiter agrave leacutepoque de lenquecircte) raquo3 Le procureur examine la demande et statue dans un
1 V supra ndeg 373 agrave 382 2 Assembleacutee Nationale Rapport ndeg 1807 op cit 3 Assembleacutee Nationale Rapport ndeg 1807 op cit p 71
211
deacutelai de deux mois1 par une deacutecision motiveacutee En cas de refus le procureur geacuteneacuteral se
prononce dans un deacutelai dun mois
541 Lrsquoarticle 624-5 du Code de proceacutedure peacutenale concerne la situation ougrave la
commission drsquoinstruction est deacutejagrave saisie drsquoune demande Pour faciliter lrsquoarticulation lrsquoarticle
624-5 du Code de proceacutedure peacutenale fait droit au requeacuterant de solliciter aupregraves de la
commission drsquoinstruction la reacutealisation de certains actes Celle-ci statue dans un deacutelai de 3
mois et rendra une deacutecision motiveacutee non susceptible de recours
2 Le pouvoir de suspendre lrsquoexeacutecution de la condamnation
542 La loi nouvelle a maintenu la possibiliteacute de suspendre lrsquoexeacutecution de la
condamnation agrave partir du moment ougrave la requecircte se trouve entre les mains de la commission
drsquoinstruction Il srsquoagit drsquoune solution inteacuteressante lorsque lrsquoinnocence se fait jour degraves
lrsquoouverture de lrsquoeacutetude de la recevabiliteacute Toutefois cette deacutecision incombe maintenant agrave la
chambre criminelle
543 Nous avons vu dans la premiegravere partie que sous lrsquoempire du droit anteacuterieur la
deacutecision de la commission ou de la Cour de suspendre ou de ne pas suspendre lrsquoexeacutecution
drsquoune condamnation srsquoimposait agrave tous et ceci sans possibiliteacute drsquoappel2 La reacuteincarceacuteration de
Monsieur Dany LE PRINCE a eacuteteacute lrsquoun des facteurs de la prise de conscience qursquolaquo il importe
dencadrer davantage les conditions dans lesquelles un organe chargeacute de linstruction des
requecirctes peut deacutecider de suspendre une condamnation influenccedilant ainsi le jugement de la
demande en reacutevision ou en reacuteexamen raquo3 Lrsquoouverture drsquoun droit drsquoappel de la deacutecision de
suspendre ou de ne pas suspendre lrsquoexeacutecution de la condamnation figurait dans la proposition
de loi Les deacuteputeacutes souhaitaient autoriser le parquet agrave faire appel de la deacutecision de la
commission dinstruction en accordant parallegravelement le mecircme droit au condamneacute Mais lrsquoideacutee
de lrsquoappel implique agrave lrsquoeacutegard de la commission la reacuteaffirmation drsquoun pouvoir de deacutecision Ce
pouvoir deacutecisionnel se heurte agrave lrsquoesprit de la loi nouvelle qui veut cantonner la commission
drsquoinstruction dans le rocircle drsquoun juge de la recevabiliteacute de la requecircte Crsquoest pourquoi la loi
nouvelle a preacutevu agrave lrsquoarticle 625 que laquo la commission dinstruction et la formation de
jugement peuvent saisir la chambre criminelle dune demande de suspension de lexeacutecution de
1 Le deacutelai initial eacutetait de 1 mois mais a eacuteteacute jugeacute insuffisant pour permettre un examen approfondi de la demande 2 V supra ndeg 397 agrave 405 3 Rapport du Seacutenat ndeg 467 concernant la proposition de loi relative agrave la reacuteforme des proceacutedures de reacutevision et de reacuteexamen drsquoune deacutecision peacutenale deacutefinitive accessible sur httpwwwsenatfrrapl13-467l13-46712htmltoc105 p 37
212
la condamnation Le condamneacute peut eacutegalement demander la suspension de lexeacutecution de sa
condamnation agrave la commission dinstruction et agrave la formation de jugement qui transmettent
sa demande agrave la chambre criminelle Les membres de la chambre criminelle qui siegravegent au
sein de la cour de reacutevision et de reacuteexamen ne prennent pas part aux deacutebats ni agrave la deacutecision raquo
3 La nouvelle composition des juridictions de reacutevision
544 La question de la composition des juridictions de reacutevision eacutetait critiqueacutee1 En
effet le silence et les approximations du leacutegislateur pouvaient nourrir des soupccedilons de
partialiteacute Deacutesormais le nouvel article 623 du Code de proceacutedure peacutenale eacutenonce laquo la
demande en reacutevision ou la demande en reacuteexamen est adresseacutee agrave la cour de reacutevision et de
reacuteexamen Celle-ci est composeacutee de dix-huit magistrats de la Cour de cassation dont le
preacutesident de la chambre criminelle qui preacuteside la cour de reacutevision et de reacuteexamen Les dix-
sept autres magistrats sont deacutesigneacutes par lassembleacutee geacuteneacuterale de la Cour de cassation pour
une dureacutee de trois ans renouvelable une fois
Chacune des chambres de la Cour de cassation y est repreacutesenteacutee par trois de ses membres
Dix-sept magistrats suppleacuteants sont deacutesigneacutes dans les mecircmes conditions Le conseiller de la
chambre criminelle dont le rang est le plus eacuteleveacute est deacutesigneacute suppleacuteant du preacutesident de la
chambre criminelle raquo
545 Les requecirctes en reacutevision sont maintenant examineacutees par les cinq membres de la
commission dinstruction2 puis le cas eacutecheacuteant transmises aux treize autres membres qui
constituent la formation de jugement de la Cour de reacutevision et de reacuteexamen La nouvelle
composition de la Cour de reacutevision et de reacuteexamen srsquoinspire de la composition de lrsquoancienne
commission de reacuteexamen Lrsquoorganisation de cette cour regraveglementeacutee par la loi devrait effacer
les soupccedilons qui par le passeacute pesaient sur lrsquoimpartialiteacute de la juridiction Lrsquoapport de
laquo magistrats de la diversiteacute raquo issus des rangs de toutes les chambres de la Cour de cassation
constitue aussi un nouvel atout
546 Pour ce qui est des incompatibiliteacutes la loi se fixe comme objectif drsquointerdire agrave
tout magistrat de la juridiction de reacutevision de sieacuteger pour se prononcer sur une affaire dont il a
eu agrave connaicirctre par le passeacute Une deacuterogation agrave cette regravegle est preacutevue dans lrsquohypothegravese ougrave le
magistrat a pu prendre connaissance de lrsquoaffaire lors drsquoun preacuteceacutedent pourvoi en cassation
(juge du droit et non du fait) Une interpreacutetation trop stricte de lrsquointerdiction de sieacuteger aurait 1 V supra ndeg407 agrave 420 2 V Art 623-1 du CPP
213
eu pour conseacutequence de provoquer des problegravemes drsquoorganisation par rapport agrave la composition
de la Cour de reacutevision et de reacuteexamen (de nombreuses affaires objets drsquoune demande en
reacutevision ont au preacutealable eacuteteacute examineacutees lors drsquoun pourvoi en cassation par la chambre
criminelle et donc par son preacutesident)
547 Deux dispositions sont preacutevues par la loi nouvelle pour eacuteviter qursquoun juge ait agrave
connaicirctre de maniegravere reacutepeacuteteacutee une mecircme affaire Dune part lrsquoarticle 623-1 du Code de
proceacutedure peacutenale preacutevoit que laquo les magistrats qui siegravegent au sein de la commission
dinstruction et leurs suppleacuteants ne peuvent sieacuteger au sein de la formation de jugement de la
cour de reacutevision et de reacuteexamen raquo Cette preacutecaution est conforme au principe de la seacuteparation
des fonctions dinstruction et de jugement rappeleacute par le Conseil constitutionnel dans sa
deacutecision du 8 juillet 2011 relative agrave la composition du tribunal pour enfants1 Deacutejagrave sous
lrsquoempire de la loi de 1989 les magistrats de la chambre criminelle qui avaient participeacute agrave
lexamen de laffaire par la commission de reacutevision ne sieacutegeaient pas agrave la Cour de reacutevision
Toutefois il sagissait dune pratique purement preacutetorienne Drsquoautre part lrsquoarticle 623 -1 du
Code de proceacutedure peacutenale preacutevoit que laquo Ne peuvent sieacuteger au sein de la commission
dinstruction et de la formation de jugement ou y exercer les fonctions du ministegravere public les
magistrats qui dans laffaire soumise agrave la cour de reacutevision et de reacuteexamen ont au sein
dautres juridictions soit fait un acte de poursuite ou dinstruction soit participeacute agrave une
deacutecision sur le fond relative agrave la culpabiliteacute du requeacuterant raquo
548 Toutefois lrsquoefficaciteacute de la proceacutedure de reacutevision repose aussi sur drsquoautres
consideacuterations que celles preacutevues par les textes la concernant En effet les demandes de
reacutevision (particuliegraverement lrsquoeacutetape de lrsquoarticulation) se heurtaient souvent agrave des obstacles lieacutes agrave
certains aspects de la proceacutedure criminelle Une proceacutedure de reacutevision efficiente suppose un
renforcement des moyens mis agrave la disposition de la Cour de reacutevision et de reacuteexamen Crsquoest
pourquoi le nouveau texte propose de mieux adapter la proceacutedure peacutenale agrave la reacutevision
sect 2 Lrsquoadaptation de la proceacutedure peacutenale agrave la reacutevision
549 Dans la premiegravere partie nous avons vu que le faible taux de reacuteussite en matiegravere
de reacutevision eacutetait lieacute agrave la difficulteacute de faire eacutemerger dans le temps un fait nouveau ou un
eacuteleacutement inconnu2 Ce constat eacutetait une conseacutequence de lrsquoorganisation de lrsquoensemble du
systegraveme peacutenal Aussi le leacutegislateur a-t-il preacutevu dans la loi de 2014 la mise en place de deux 1 Deacutecision ndeg 2011-147 QPC du 8 juillet 2011 2 V supra ndeg 373 agrave 381
214
leviers destineacutes agrave encourager le surgissement drsquoun fait nouveau ou drsquoun eacuteleacutement inconnu Le
premier consiste en lrsquoallongement de la dureacutee de conservation des scelleacutes (A) le second est le
renforcement de la meacutemoire de lrsquoaudience (B)
A Lrsquoallongement de la dureacutee de conservation des scelleacutes
550 La conservation des scelleacutes est essentielle pour augmenter les chances drsquoeacutelucider
une affaire criminelle ou deacutelictuelle1 En matiegravere de reacutevision la question de la conservation
des scelleacutes est primordiale srsquoagissant de preuves mateacuterielles susceptibles de servir de
fondement agrave une requecircte en reacutevision Lrsquoanalyse des scelleacutes srsquoest aveacutereacutee deacuteterminante dans
lrsquoaffaire MACHIN Le fait nouveau ou lrsquoeacuteleacutement inconnu pouvant se manifester plusieurs
anneacutees apregraves la condamnation deacutefinitive le droit agrave la reacutevision pour le requeacuterant ne srsquoeacuteteint
jamais Crsquoest pourquoi il est important que les scelleacutes soient conserveacutes suffisamment
longtemps pour contribuer agrave la manifestation de la veacuteriteacute en cas de demande de reacutevision
551 Lrsquoancien article 41-4 du Code de proceacutedure peacutenale disposait que laquo si la
restitution na pas eacuteteacute demandeacutee ou deacutecideacutee dans un deacutelai de six mois agrave compter de la
deacutecision de classement ou de la deacutecision par laquelle la derniegravere juridiction saisie a eacutepuiseacute sa
compeacutetence les objets non restitueacutes deviennent proprieacuteteacute de lEtat sous reacuteserve des droits des
tiers 2raquo Dans un deacutelai de 6 mois apregraves le rendu drsquoun jugement deacutefinitif les scelleacutes concernant
lrsquoaffaire passeacutee pouvaient donc ecirctre deacutetruits Cette destruction drsquoordre pratique
(deacutesencombrement des greffes) soulevait de nombreuses questions En effet la disparition
preacutecipiteacutee de certains eacuteleacutements mateacuteriels du dossier pouvait constituer un obstacle agrave la
reacutevision Ainsi dans lrsquoaffaire LEPRINCE la destruction de lrsquoarme du crime en application de
lrsquoarticle 41-4 du Code de proceacutedure peacutenale a constitueacute un seacuterieux obstacle agrave la manifestation
de la veacuteriteacute
552 Il eacutetait donc regrettable que laquo la destruction rapide de ces scelleacutes [puisse
empecirccher] de faccedilon irreacutemeacutediable des investigations dont la neacutecessiteacute est aveacutereacutee raquo3 Crsquoest
pour cette raison que la commission de reacutevision a inviteacute en 2007 la Chancellerie agrave enjoindre
aux parquets de laquo conserver les scelleacutes dans les affaires les plus lourdes et deacutelicates raquo mais
1 V en ce sens Question orale avec deacutebat ndeg 0007A de M Jean-Patrick Courtois publieacutee dans le JO Seacutenat du 17102013 - page 2994 accessible sur httpwwwsenatfrquestionsbase2013qSEQ13100007Ahtml 2 Le deacutelai leacutegal de conservation des scelleacutes nrsquoa pas toujours eacuteteacute aussi bref Avant la loi ndeg 99-515 du 23 juin 1999 renforccedilant lrsquoefficaciteacute de la proceacutedure peacutenale le deacutelai de conservation eacutetait de trois ans 3 Rapport de la Cour de cassation 2007 La documentation franccedilaise p 22
215
aussi dans celles laquo ougrave la culpabiliteacute du condamneacute est contesteacutee raquo et laquo tout particuliegraverement
quand le condamneacute ou son avocat en font la demande raquo1
553 Les progregraves scientifiques permanents et notamment ceux qui ont eacuteteacute reacutealiseacutes dans
le domaine geacuteneacutetique incitent fortement la justice agrave allonger la dureacutee de conservation des
scelleacutes2 Conscient de la situation le Garde des sceaux a indiqueacute dans une reacuteponse
ministeacuterielle que laquo les dispositions de lrsquoarticle 41-4 CPP nrsquoexcluent pas que certains scelleacutes
soient conserveacutes au-delagrave du deacutelai de 6 mois soit parce quun texte le preacutecise soit parce que le
procureur de la Reacutepublique en deacutecide ainsi notamment en cas de non-lieu sil nexclut pas la
reacuteouverture dune nouvelle information avant lexpiration du deacutelai de prescription raquo3 Il a eacuteteacute
preacuteciseacute dans une deacutepecircche du 16 mars 2011 diffuseacutee par la direction des affaires criminelles4 et
des gracircces que le deacutelai de conservation des scelleacutes pouvait ecirctre allongeacute au-delagrave de 6 mois
srsquoagissant de preuves mateacuterielles se rattachant agrave laquo - une proceacutedure dans laquelle une
deacutecision de non-lieu a eacuteteacute rendue mais pour laquelle la reacuteouverture dune nouvelle
information judiciaire avant lexpiration du deacutelai de prescription est envisageable - une
proceacutedure dans laquelle une deacutecision de classement sans suite de relaxe ou dacquittement a
eacuteteacute rendue mais pour laquelle la reacuteouverture dune enquecircte ou dune information judiciaire
avant lexpiration du deacutelai de prescription ne peut ecirctre exclue - une proceacutedure ayant fait
lobjet dune condamnation deacutefinitive mais pour laquelle la perspective dune demande de
reacutevision ou de reacuteexamen ne peut ecirctre exclueraquo5 Cet ameacutenagement faisait suite aux demandes
reacutecurrentes de la commission de reacutevision qui deacuteplorait officiellement chaque anneacutee
laquo la destruction de plus en plus freacutequente et de plus en plus rapide des piegraveces agrave conviction
apregraves deacutecision deacutefinitive en application des dispositions de lrsquoarticle 41-4 du code de
proceacutedure peacutenale interdisant toute expertise compleacutementaire qui aurait pourtant pu ecirctre utile
en raison notamment des progregraves scientifiques raquo
554 Toutefois comme lrsquoa souligneacute Madame le Professeur LAZERGES une deacutepecircche
ne constitue qursquo laquo un fondement textuel extrecircmement fragile pour preacutevoir une deacuterogation agrave un
article du code de proceacutedure peacutenale 6raquo De plus celle-ci ne comportait qursquoune
recommandation relative agrave la prolongation du deacutelai de conservation des scelleacutes dans des cas
1 Ibid Suggestions nouvelles ndash propositions de la commission de reacutevision p 20 2 G DEHARO Lrsquoarticulation du savoir et du pouvoir dans le preacutetoire Gaz Pal 2005 ndeg 265 p 3 speacutec4 3 Reacuteponse du 26 feacutevrier 2013 de la garde des Sceaux agrave la question ndeg 12574 de Mme Ceacutecile Untermaier 4 V Circulaire conjointe du 13 deacutecembre 2011 relative agrave la gestion des scelleacutes accessible sur httpwwwtextesjusticegouvfrart_pixJUSB1134112Cpdf 5 Crsquoest nous qui soulignons 6 Assembleacutee Nationale Rapport drsquoinformation ndeg 1598 op cit p 85
216
particuliers Selon cette simple recommandation le deacutelai de conservation restait donc fixeacute agrave 6
mois
555 La loi du 20 juin 2014 a pris en compte cette attente Crsquoest ainsi que tout en
maintenant un deacutelai de principe de 6 mois le leacutegislateur a preacutevu une deacuterogation pour les
procegraves drsquoassises Il est deacutesormais preacuteciseacute par le nouvel article 41-6 du Code de proceacutedure
peacutenale que laquo Par deacuterogation aux articles 41-4 et 41-5 lorsquune proceacutedure sest acheveacutee
par une condamnation deacutefinitive prononceacutee par une cour dassises le procureur de la
Reacutepublique ou le procureur geacuteneacuteral qui envisage dordonner la remise au service des
domaines ou agrave lAgence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqueacutes ou la
destruction des objets placeacutes sous main de justice dans le cadre de cette proceacutedure en avertit
au preacutealable par eacutecrit le condamneacute Celui-ci dispose agrave compter de la notification de cet
avertissement dun deacutelai de deux mois pour lui faire part de son opposition En cas
dopposition si le procureur de la Reacutepublique ou le procureur geacuteneacuteral nentend pas renoncer
agrave la remise ou agrave la destruction des objets placeacutes sous main de justice il saisit par voie de
requecircte la chambre de linstruction qui se prononce dans un deacutelai dun mois Dans les cas
mentionneacutes au preacutesent article le procureur de la Reacutepublique ou le procureur geacuteneacuteral
reacuteexamine tous les cinq ans dans les mecircmes formes lopportuniteacute de proceacuteder agrave la remise ou
agrave la destruction des objets placeacutes sous main de justice raquo
556 Deacutesormais le deacutelai de conservation est de 5 ans renouvelable dans lrsquohypothegravese ougrave
le condamneacute informeacute par le procureur de leur destruction programmeacutee souhaite les
conserver Si la demande du condamneacute est rejeteacutee par le repreacutesentant du parquet un recours
est ouvert devant la chambre de lrsquoinstruction Le procureur de la Reacutepublique ou le procureur
geacuteneacuteral devra reacuteexaminer selon les mecircmes formes tous les cinq ans la possibiliteacute de
proceacuteder agrave la destruction des scelleacutes Le coucirct lieacute agrave la conservation des scelleacutes (482 millions
drsquoeuros en 2012) peut expliquer la porteacutee restrictive de cette regravegle qui ne concerne que les
crimes La situation est inchangeacutee pour les deacutelits Selon Monsieur TOURRET nouvelle
disposition laquo est eacutequilibreacutee elle ne renverse pas le principe geacuteneacuteral de conservation des
scelleacutes durant six mois mais se borne agrave ajouter une deacuterogation suppleacutementaire agrave celles
existantes limitant ainsi les investissements agrave reacutealiser pour leur stockage raquo1
1 Assembleacutee Nationale Rapport ndeg 1807 op cit p 54
217
557 Ensuite pour encourager le surgissement drsquoun fait nouveau ou drsquoun eacuteleacutement
inconnu la loi nouvelle poursuit lrsquoadaptation de la proceacutedure peacutenale agrave la question de la
reacutevision en renforccedilant la meacutemoire de lrsquoaudience
B Le renforcement de la meacutemoire de lrsquoaudience
558 Lors de lrsquoexamen drsquoune requecircte en reacutevision la juridiction de reacutevision appreacutecie la
pertinence du fait nouveau ou de lrsquoeacuteleacutement inconnu invoqueacute Cette analyse srsquoeffectue en se
reacutefeacuterant au parcours proceacutedural anteacuterieur et surtout en srsquoattelant agrave lrsquoexamen des motivations
des deacutecisions qui ont eacuteteacute rendues Or la motivation des deacutecisions en particulier celles des
cours drsquoassises alors mecircme que la loi du 10 aout 2011 tendait vers une ameacutelioration srsquoavegravere
toujours insuffisante par rapport aux exigences de connaissance de la juridiction de reacutevision
(1) Plutocirct que drsquointervenir agrave nouveau sur la motivation en matiegravere criminelle le leacutegislateur a
preacutefeacutereacute opter pour lrsquoenregistrement systeacutematique des deacutebats en cours drsquoassises (2)
1 Lrsquoinsuffisance de la motivation en matiegravere criminelle par rapport aux
besoins de connaissance du pourvoi en reacutevision
559 La motivation de la deacutecision permet de veacuterifier que celle-ci est laquo fondeacutee sur des
raisons logiques et non sur des motifs inavouables raquo et que laquo le tribunal nrsquoa pas statueacute en
fonction de preacutejugeacute personnel mais srsquoest fondeacute sur un raisonnement juridique et coheacuterent1 raquo
Devant les cours drsquoassises il a eacuteteacute longtemps admis que les dispositions de larticle 132-19
alineacutea 2 du Code peacutenal ne pouvaient srsquoappliquer aux deacutelibeacuterations drsquoun laquo tribunal
populaire 2raquo Crsquoest ainsi que larrecirct au fond ne comportait de motivation autre que la seule
reacuteponse aux questions poseacutees Cette pratique eacutetait jugeacutee par la France conforme aux exigences
du procegraves eacutequitable preacutevues agrave larticle 6 de la CEDH3 Cependant cette maniegravere de faire
srsquoopposait agrave la jurisprudence europeacuteenne4 Crsquoest pourquoi aujourdrsquohui la loi du 10 aoucirct 20115
a preacutevu agrave lrsquoarticle 365-1 du Code de proceacutedure peacutenale une obligation de motivation des
1 L BORE laquo La motivation des deacutecisions de justice et la CEDH raquo JCP G 2002 I p 104 2 A-S CHAVENT LECLERE Commentaire de la loi ndeg 2011-939 du 10 aoucirct 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice peacutenale et le jugement des mineurs Proceacutedures 2011 ndeg 11 eacutetude 11 laquo En matiegravere criminelle le droit franccedilais consacre une veacuteritable justice populaire en ce sens que les jureacutes ameneacutes agrave trancher des questions de culpabiliteacute et de peine sont des citoyens ordinaires raquo 3 Cass crim 12 mars 2008 ndeg 07-83965 Cass crim 10 deacutec 2008 ndeg 08-82880 Cass crim 7 janv 2009 ndeg 08-83672 4 CEDH Grande chambre 16 novembre 2010 Taxquet c Belgique Req ndeg 92605 5 Loi ndeg 2011-939 du 10 aoucirct 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice peacutenale et le jugement des mineurs
218
deacutecisions des cours drsquoassises dans une annexe agrave la feuille des questions dite laquo feuille de
motivation raquo1
560 En cas de condamnation la motivation de la deacutecision reprend les eacuteleacutements des
deacutelibeacuterations qui ont contribueacute agrave convaincre la cour drsquoassises de la culpabiliteacute de lrsquoaccuseacute2
Dans lrsquohypothegravese ougrave lrsquoaffaire est laquo drsquoune particuliegravere complexiteacute raquo la feuille de motivation
peut ecirctre reacutedigeacutee apregraves le prononceacute de la deacutecision et ce dans un deacutelai de trois jours
561 Toutefois cet ameacutenagement parait encore incomplet3 pour satisfaire pleinement
les exigences de transparence des deacutecisions une fois attaqueacutees en reacutevision4 En effet seuls les
laquo principaux raquo eacuteleacutements agrave charge ayant motiveacute la deacutecision de la cour drsquoassises sont
mentionneacutes dans la feuille de motivation Comme il est indiqueacute dans la
circulaire drsquoapplication de la loi seule est exigeacutee une laquo mise en forme syntheacutetique et
succincte raquo des eacuteleacutements agrave charge donc les plus importants Il srsquoagit surtout des eacuteleacutements qui
ont servi de fondement agrave la conviction du plus grand nombre de jureacutes La feuille de
motivation peut consister en une laquo simple eacutenumeacuteration de ces eacuteleacutements raquo qui est laquo beaucoup
plus concise si lrsquoaccuseacute a reconnu les faits raquo Elle ne contient laquo ni la deacutemonstration de la
culpabiliteacute de lrsquoaccuseacute ni lrsquoexposeacute de lrsquoensemble des eacuteleacutements agrave charge retenus contre lui raquo
ni laquo la liste de lrsquoensemble des eacuteleacutements agrave deacutecharge que la cour nrsquoaura par deacutefinition pas
retenus raquo De plus ces dispositions connaissent des applications diffeacuterentes selon les acteurs
au procegraves drsquoassises5
1 J PRADEL Aperccedilu rapide JCP G 2011 ndeg923 P De COMBLES DE NAYVES Un pas vers le controcircle des motivations des cours drsquoassises obs sous cass crim 20 novembre 2013 AJ Peacutenal 2014 p 81 2 C PAFFENHOFF La deacutelibeacuteration de la Cour drsquoassises Proceacutedures 2011 ndeg 3 dossier 7 3 A-S CHAVENT LECLERE op cit ndeg 14 laquo Conceptuellement il est difficile de percevoir agrave travers le peu de clarteacute de la disposition si la Cour dassises doit exposer les raisons qui lont convaincue ou si elle peut sen passer Le leacutegislateur semble avoir eu du mal ici agrave concilier le principe immuable de lintime conviction avec la reacutecente exigence de la motivation quand bien mecircme cette cohabitation na jamais poseacute de problegraveme sagissant des deacutecisions correctionnelles raquo 4 C LAZERGES Reacuteflexions sur lrsquoerreur judiciaire op cit p 709 laquo (hellip) la motivation est en effet aussi un instrument de preacutevention des erreurs judiciaires raquo 5 Assembleacutee Nationale Rapport drsquoinformation ndeg 1598 op cit p 92 laquo Si certains magistrats se conforment a minima aux prescriptions leacutegales parfois par des formules sibyllines ou en eacutetablissant en quelques lignes les principaux eacuteleacutements agrave charge drsquoautres reproduisent partiellement la deacutecision de renvoi eacutemanant de la juridiction drsquoinstruction nettement plus deacutetailleacutee quant aux circonstances et aux faits susceptibles drsquoeacutetablir la culpabiliteacute de lrsquoaccuseacute Ni lrsquoune ni lrsquoautre de ces solutions nrsquoapparaissent tout agrave fait satisfaisantes bien qursquoil faille reconnaicirctre que dans le deacutelai imparti par la loi il soit difficile de faire autrement Comment expliciter dans le deacutetail lrsquointeacuterecirct preacutesenteacute par chacun des eacuteleacutements agrave charge au regard du verdict final quand la motivation doit ecirctre reacutedigeacutee immeacutediatement agrave lrsquoissue du deacutelibeacutereacute apregraves de longues heures de deacutebat et sous la pression leacutegitime drsquoun condamneacute dans lrsquoattente de son verdict Certes la loi preacutevoit que la reacutedaction peut ecirctre diffeacutereacutee mais cette faculteacute doit ecirctre reacuteserveacutee aux affaires les plus complexes et revecirct en reacutealiteacute un caractegravere exceptionnel raquo
219
562 La motivation trop lapidaire peut affaiblir le corpus de la deacutecision rendue En
lrsquoeacutetat la motivation des deacutecisions de cours drsquoassises ne reacutepond que marginalement aux
exigences de curiositeacute de la proceacutedure de reacutevision1 Toutefois reacuteformeacutee il y a de cela moins
de trois ans il parait encore preacutematureacute de dresser un bilan preacutecis des dispositions en vigueur
Crsquoest ainsi que la loi nouvelle a fait le choix de preacuteserver la meacutemoire de lrsquoaudience en optant
pour lrsquoenregistrement systeacutematique des deacutebats aux assises
2 Lrsquoenregistrement systeacutematique des deacutebats aux assises
563 Le succegraves drsquoune requecircte en reacutevision est conditionneacute par la deacutecouverte de la
preuve drsquoun fait nouveau ou drsquoun eacuteleacutement inconnu Or il semble souvent difficile pour les
magistrats de la commission drsquoinstruction de deacuteterminer et ce mecircme depuis la loi du 10 aoucirct
2011 si lrsquoeacuteleacutement en question a deacutejagrave ou non eacuteteacute deacutebattu
564 En matiegravere correctionnelle larticle 453 du Code de proceacutedure peacutenale preacutevoit que
laquo le greffier tient note du deacuteroulement des deacutebats et principalement sous la direction du
preacutesident des deacuteclarations des teacutemoins ainsi que des reacuteponses du preacutevenu raquo Dans ce cas la
meacutemoire du contenu des deacutebats est preacuteserveacutee dans ses moindres deacutetails2 En revanche en
matiegravere criminelle loraliteacute des deacutebats des cours dassises interdit de reproduire avec
exactitude les deacuteclarations des teacutemoins experts ou autres intervenants au procegraves Lrsquoabsence
de compte rendu inteacutegral des deacutebats non combleacute par la feuille de motivation soulegraveve le
problegraveme de lrsquoapport de la preuve du fait nouveau et de lrsquoeacuteleacutement inconnu
565 On aurait pu penser que lrsquoarticle 308 du Code de proceacutedure peacutenale (ancienne
reacutedaction) apportait une solution agrave cette difficulteacute3 En effet il disposait laquo le preacutesident de la
cour dassises peut ordonner que les deacutebats feront lobjet en tout ou partie sous son controcircle
dun enregistrement sonore Il peut eacutegalement agrave la demande de la victime ou de la partie
civile ordonner que laudition ou la deacuteposition de ces derniegraveres feront lobjet dans les mecircmes
conditions dun enregistrement audiovisuel raquo Toutefois simple modaliteacute technique laisseacutee agrave
1 N FRICERO Motivation des arrecircts drsquoassises Proceacutedures 2013 comm 72 J NORMAND laquo Le domaine du principe de motivation raquo in La motivation Travaux de lrsquoassociation H Capitant LGDJ 2000 p18 2 La CNCDH laquorecommande de reacutefleacutechir agrave la deacutefinition drsquoune meacutethode rigoureuse de reacutedaction des notes et procegraves-verbaux drsquoaudience notamment dans le cadre drsquoun partenariat entre lrsquoEcole nationale des greffes et lrsquoEcole nationale de la magistrature raquo V CNCDH Avis sur la reacutevision des condamnations peacutenales op cit ndeg 41 3 Depuis lrsquoentreacutee en vigueur de la loi ndeg 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et drsquoallegravegement des proceacutedures la commission de reacutevision dispose drsquoun accegraves libre agrave ces enregistrements
220
lrsquoappreacuteciation des preacutesidents de cours lenregistrement sonore ou audiovisuel des deacutebats eacutetait
somme toute rarement mis en place
566 Deacutesormais la nouvelle loi apporte la solution en imposant lrsquoenregistrement
systeacutematique des deacutebats drsquoaudience aux assises La nouvelle reacutedaction de lrsquoarticle 308 fait
deacutesormais obligation au preacutesident de recourir agrave cette technique laquo toutefois les deacutebats de la
cour dassises font lobjet dun enregistrement sonore sous le controcircle du preacutesident Le
preacutesident peut eacutegalement agrave la demande de la victime ou de la partie civile ordonner que
laudition ou la deacuteposition de ces derniegraveres fassent lobjet dans les mecircmes conditions dun
enregistrement audiovisuel raquo Le renouvellement des teacutemoignages en appel des proches et
des victimes consistait en un rendez-vous douloureux avec lrsquoauteur du crime rejugeacute
Lrsquoenregistrement systeacutematique des deacutebats a donc comme autre avantage drsquoeacuteviter une nouvelle
eacutepreuve et de faciliter un eacuteventuel travail de deuil
221
Conclusion du chapitre 1
567 Lrsquoanneacutee 2014 a eacuteteacute le marqueur drsquoun veacuteritable bouleversement dans le domaine
de la reacutevision Elle a mis fin agrave une longue peacuteriode drsquoimmobilisme puisque le leacutegislateur a
enfin reconnu que la lutte contre lrsquoerreur judiciaire et sa reacuteparation impliquaient une prise en
compte conjointe de lrsquoexigence de seacutecurisation de la proceacutedure en amont du pourvoi en
reacutevision et drsquoune meilleure accessibiliteacute de ce recours
568 Force est de constater que les modifications intervenues en 2014 comportent de
reacuteelles avanceacutees comme la regraveglementation de la composition de la juridiction de reacutevision
Lrsquointervention heureuse du leacutegislateur a concerneacute tant lrsquoaspect structurel que conjoncturel de
la proceacutedure
569 Toutefois une reacuteforme de la reacutevision efficace implique un changement au niveau
de la perception des rapports entre lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et le pourvoi en reacutevision Crsquoest
donc en toute logique que le chapitre 2 traitera de cette question Nous nous apercevrons que
lrsquoantagonisme entre le pourvoi en reacutevision et lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee nrsquoa pas disparu
depuis la reacuteforme
222
CHAPITRE 2 LE MAINTIEN DrsquoUNE APPROCHE
TROP RESTRICTIVE DE LA REVISION
570 Le principe de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee a eacuteteacute preacutesenteacute comme le fondement de
la proceacutedure de reacutevision Le leacutegislateur soucieux de regraveglementer le pourvoi en reacutevision a eacuteteacute
contraint de reacutesoudre lrsquoeacutepineuse question de lrsquoarbitrage entre le perfectionnisme de la justice
et la stabiliteacute des deacutecisions La recherche de ce subtil eacutequilibre est agrave lrsquoorigine de bien des
difficulteacutes que la loi de 1989 nrsquoa jamais reacuteussi agrave reacutesoudre Les justifications traditionnelles de
lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee tant neacutegative que positive ont pour conseacutequence drsquoentretenir une
contradiction quasi inextricable entre lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et la reacutevision Crsquoest ainsi que
le leacutegislateur et la jurisprudence adoptaient par rapport agrave la reacutevision une attitude prudente
voire restrictive Or un repli de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee (plus particuliegraverement son volet
neacutegatif) vers ses veacuteritables fonctions serait le vecteur de la reconnaissance drsquoun
rapprochement entre la reacutevision et lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee Crsquoest pourquoi toute reacuteforme
du pourvoi en reacutevision doit srsquoaccompagner drsquoun travail de questionnement sur lrsquoautoriteacute de la
chose jugeacutee En effet comment ameacuteliorer la proceacutedure de reacutevision si la base de lrsquoeacutedifice
renferme elle-mecircme des fragiliteacutes
571 La loi du 20 juin 2014 se fixe comme objectif de faciliter lrsquoaccessibiliteacute de la
proceacutedure de reacutevision Atteindre cet objectif suppose que le leacutegislateur srsquoattegravele agrave travers cette
loi agrave eacutelargir son champ de vision sur le principe de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee En lrsquoabsence
de cette reacuteflexion toute reacuteforme susceptible drsquoameacuteliorer lrsquoaccessibiliteacute du pourvoi en reacutevision
serait vaine
572 Sur certains points le nouveau texte prend en compte le laquo vice congeacutenital de
lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee qui fait triompher la valeur de seacutecuriteacute sur la valeur de justice raquo1
Toutefois malgreacute ces efforts lrsquoattachement agrave la conception traditionnelle de lrsquoautoriteacute de la
chose jugeacutee reste bien preacutesent Il en reacutesulte qursquoentre les deux impeacuteratifs agrave concilier la
tendance agrave la stabiliteacute a de nouveau pris le pas sur celle du perfectionnisme de la justice
(section 1) Il nrsquoest nullement question drsquoenvisager un abandon de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee
indispensable agrave la preacuteservation de la paix sociale Une telle solution deacutenaturerait le caractegravere
1 H MOTULSKY op cit
223
extraordinaire de la reacutevision Toutefois la paix sociale figurant aussi au cœur du pourvoi en
reacutevision elle devrait contribuer agrave nuancer la logique oppositionnelle Or la loi de 2014
srsquoinscrit dans le droit fil de la conception traditionnelle Cette vision risque drsquoentraver comme
ce fut le cas en 1989 lrsquoeacuteclosion des aspects libeacuteraux du texte (Section 2)
Section 1 Lrsquoattachement agrave la conception traditionnelle
de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee
573 Les rapporteurs de la loi de 2014 ont laquo acquis la conviction qursquoun changement
leacutegislatif eacutetait neacutecessaire raquo1 estimant que la proceacutedure de reacutevision nrsquoeacutetait pas suffisamment
accessible La nouvelle loi a donc eu pour ambition drsquoeacutelargir lrsquoaccegraves agrave la proceacutedure En
reacutealiteacute il srsquoagissait de srsquoattaquer au principe de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee En effet le fait de
faciliter lrsquoaccegraves agrave la reacutevision a pour conseacutequence de modifier lrsquoeacutequilibre entre les deux
tendances qui se disputent la preacuteeacuteminence au sein de la proceacutedure de reacutevision celle du
perfectionnisme qui se caracteacuterise par la volonteacute afficheacutee de rendre la meilleure justice
possible et celle lieacutee agrave la stabiliteacute des deacutecisions de justice impliquant agrave un moment donneacute de
ne plus pouvoir remettre en cause une deacutecision Quelle est donc la porteacutee reacuteelle des
changements voulus par le nouveau texte Lrsquoaccessibiliteacute de la proceacutedure de reacutevision est-elle
deacutesormais mieux garantie Le texte est-il agrave la hauteur de ses ambitions
574 Le leacutegislateur tente de faciliter les conditions de lrsquoouverture du recours en
agissant sur deux leviers relatifs respectivement aux personnes pouvant initier la reacutevision et
aux cas drsquoouverture de la reacutevision Srsquoagissant du premier point lrsquoobjectif drsquoouverture paraicirct
atteint En effet deacutesormais un nombre plus important de personnes peut deacuteposer une requecircte
(sect 1) En revanche le traitement de la question ocirc combien cruciale de la facilitation des cas
drsquoouverture est deacutecevant (sect 2)
sect 1 Lrsquoouverture de la reacutevision agrave de nouveaux requeacuterants
575 Les condamneacutes sont les plus nombreux agrave se pourvoir devant la commission
Toutefois le recours est accessible agrave drsquoautres demandeurs Le leacutegislateur srsquoest preacutemuni contre
des abus en eacutetablissant une liste des personnes autoriseacutees agrave agir Les requecirctes formuleacutees par
des demandeurs non preacutevus sont donc rejeteacutees2 Lrsquoexistence drsquoune telle liste se justifie encore
1 Assembleacutee Nationale Rapport drsquoinformation ndeg 1598 op cit p 61 2 V Cass crim 24 mars 1994 Bull ndeg 115 et eacutegalement Cass crim 14 deacutec 2006 ndeg 05-82943 Bull ndeg 315
224
faut-il qursquoelle ne soit pas au service exclusif de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et de nature agrave
brider lrsquoexercice du droit drsquoagir Sur ce point le nouveau texte fait preuve drsquoune ouverture
(B) par rapport au caractegravere restrictif de lrsquoancienne leacutegislation de 1989 (A)
A Le caractegravere restrictif des dispositions de 1989
576 Lrsquoancien article 623 du Code de proceacutedure peacutenale disposait sans distinction du
cas drsquoouverture invoqueacute1 que laquo la reacutevision [pouvait] ecirctre demandeacutee 1deg Par le ministre de la
justice 2deg Par le condamneacute ou en cas dincapaciteacute par son repreacutesentant leacutegal 3deg Apregraves la
mort ou labsence deacuteclareacutee2 du condamneacute par son conjoint ses enfants ses parents ses
leacutegataires universels ou agrave titre universel3 ou par ceux qui en ont reccedilu de lui la mission
expresse raquo
577 Lrsquoimpact de cette liste exhaustive qui ouvrait theacuteoriquement la porte agrave un
foisonnement du nombre de requecirctes eacutetait en reacutealiteacute moins important que preacutevu
Lrsquoexplication de cette modeacuteration avait pour origine les restrictions lieacutees au cas du deacutecegraves ou
de lrsquoabsence deacuteclareacutee du condamneacute (1) et lrsquoabsence de pouvoir drsquoagir reconnu au ministegravere
public (2)
1 Le cas du deacutecegraves ou de lrsquoabsence deacuteclareacutee du condamneacute
578 En cas de deacutecegraves ou drsquoabsence du condamneacute lrsquoaction eacutetait limiteacutee dans le temps
Seuls les parents ou les repreacutesentants de la premiegravere geacuteneacuteration du deacutefunt ou de lrsquoabsent
pouvaient agir Cette limite se justifiait par lrsquoideacutee selon laquelle lrsquoeacutelargissement du champ
drsquoaction se heurterait agrave des difficulteacutes probatoires auxquelles se rajouterait lrsquoabsence drsquointeacuterecirct
agrave agir En ce sens il eacutetait consideacutereacute comme peu probable que la condamnation litigieuse ne
produise encore des effets sur la famille du condamneacute ou sur la socieacuteteacute Pourtant
lrsquointerdiction faite aux petits-enfants de former un recours eacutetait de nature agrave ignorer les
1 Avant la loi de 1989 la deacutetermination des requeacuterants autoriseacutes agrave deacuteposer une demande en reacutevision deacutependait du cas drsquoouverture invoqueacute Il fallait distinguer les cas deacutetermineacutes du quatriegraveme cas drsquoouverture V en ce sens H ANGEVIN Les demandeshellip op cit ndeg 69 agrave 102 2 Au sens de lrsquoarticle 122 du Code civil Cet article preacutevoit que laquo lorsquil se sera eacutecouleacute dix ans depuis le jugement qui a constateacute la preacutesomption dabsence soit selon les modaliteacutes fixeacutees par larticle 112 soit agrave loccasion de lune des proceacutedures judiciaires preacutevues par les articles 217 et 219 1426 et 1429 labsence pourra ecirctre deacuteclareacutee par le tribunal de grande instance agrave la requecircte de toute partie inteacuteresseacutee ou du ministegravere public Il en sera de mecircme quand agrave deacutefaut dune telle constatation la personne aura cesseacute de paraicirctre au lieu de son domicile ou de sa reacutesidence sans que lon en ait eu de nouvelles depuis plus de vingt ans raquo 3 Cass crim 17 juin 1996 ndeg 00-90154 Bull ndeg 255 Comm reacutevision 28 juin 1996 ndeg 00-99001 Bull ndeg 28 En revanche le deacutecegraves du condamneacute posteacuterieur au deacutepocirct de sa demande mettait fin agrave la proceacutedure si elle nrsquoeacutetait pas reprise par une des personnes eacutenumeacutereacutees V Comm reacutevision 10 janv 2000 ndeg 00-99047 Bull ndeg 6 H ANGEVIN op cit ndeg 105
225
souffrances ou stigmates que pouvait provoquer sur la deuxiegraveme geacuteneacuteration des descendants
du condamneacute une condamnation jugeacutee injuste Les affaires DOMINICI et SEZNEC eacutetaient
lrsquoillustration de ces situations Crsquoest ainsi que de cette douleur pouvait mecircme rejaillir sur la
troisiegraveme geacuteneacuteration En effet les progregraves de la meacutedecine de la nutrition et de lrsquohygiegravene de
vie ont favoriseacute la baisse de la mortaliteacute infantile et lrsquoallongement de la dureacutee de vie sur
plusieurs geacuteneacuterations Parallegravelement lrsquoexclusion des fregraveres et sœurs empecircchait la reacutevision
drsquoune deacutecision de justice deacutefinitive concernant un condamneacute ceacutelibataire et sans enfants
deacuteceacutedeacute et dont les parents seraient eacutegalement disparus Dans le mecircme sens en cas de deacutecegraves
ou drsquoabsence deacuteclareacutee ce droit nrsquoeacutetait ouvert qursquoau seul conjoint Cette situation ignorait de
fait les mutations socieacutetales telles les nouveaux modes de communauteacutes de vie que sont le
concubinage et le PACS
579 La possibiliteacute offerte au Ministre de la justice de deacuteposer une requecircte pouvait ecirctre
un contrepoids agrave cette liste restrictive Toutefois il nrsquoest pas eacutevident que cette intervention
ministeacuterielle pouvait venir efficacement au secours des laquo oublieacutes raquo De 1989 agrave 2014 seules
neuf requecirctes en reacutevision avaient eacuteteacute deacuteposeacutees agrave lrsquoinitiative du Garde des sceaux
580 De plus cette liste eacutetait marqueacutee par lrsquoabsence du ministegravere public En effet il a
la charge de la deacutefense impartiale1 des inteacuterecircts de la socieacuteteacute Il est selon lrsquoarticle 66 de la
Constitution le garant des liberteacutes individuelles
2 Le ministegravere public priveacute du pouvoir drsquoagir
581 Cette absence eacutetait drsquoautant plus surprenante que le ministegravere public pouvait
drsquoune part solliciter le reacuteexamen drsquoune deacutecision deacutefinitive dans le cadre drsquoune condamnation
de la France par la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme2 et drsquoautre part former un
pourvoi en cassation dans lrsquointeacuterecirct de la loi contre une deacutecision deacutefinitive3 Le plein exercice
de ses preacuterogatives aurait donc supposeacute qursquoon lui reconnaisse le droit de demander la reacutevision
drsquoune condamnation deacutefinitive Lrsquoesprit de la loi du 25 juillet 20134 qui clarifie les rapports
1 Article 31 du CPP laquo Le ministegravere public exerce lrsquoaction publique et requiert lrsquoapplication de la loi dans le respect du principe drsquoimpartialiteacute auquel il est tenu raquo 2 Lrsquoancien article 626-2 CPP disposait laquo Le reacuteexamen peut ecirctre demandeacute par [hellip] le procureur geacuteneacuteral pregraves la Cour de cassation raquo 3 Article 621 CPP laquo Lorsquil a eacuteteacute rendu par une cour dappel ou dassises ou par un tribunal correctionnel ou de police un arrecirct ou jugement en dernier ressort sujet agrave cassation et contre lequel neacuteanmoins aucune des parties ne sest pourvue dans le deacutelai deacutetermineacute le procureur geacuteneacuteral pregraves la Cour de cassation peut doffice et nonobstant lexpiration du deacutelai se pourvoir mais dans le seul inteacuterecirct de la loi contre ledit jugement ou arrecirct raquo 4 Loi ndeg 2013-669 du 25 juillet 2013 relative aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministegravere public en matiegravere de politique peacutenale et de mise en œuvre de laction publique
226
entre la Chancellerie et les magistrats du ministegravere public tendait drsquoailleurs vers cette
solution1
582 Il parait eacutevident que lrsquoexclusion du ministegravere public eacutetait deacuterangeante car elle
empecircchait lrsquoexercice drsquoun recours dans des situations dont lrsquointeacuterecirct eacutetait certain
583 Le leacutegislateur de 2014 a incontestablement ameacutelioreacute la situation en eacutelargissant le
spectre de la liste des personnes autoriseacutees agrave deacuteposer une requecircte en reacutevision Ces possibiliteacutes
nouvelles sont de nature agrave remettre en cause lrsquoheacutegeacutemonie de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee
B Un nouveau texte plus libeacuteral
584 Deacutesormais le nouvel article 622-2 du Code de proceacutedure peacutenale dispose laquo La
reacutevision et le reacuteexamen peuvent ecirctre demandeacutes laquo 1deg Par le ministre de la justice 2deg Par le
procureur geacuteneacuteral pregraves la Cour de cassation 3deg Par le condamneacute ou en cas dincapaciteacute
par son repreacutesentant leacutegal 4deg Apregraves la mort ou labsence deacuteclareacutee du condamneacute par son
conjoint le partenaire lieacute par un pacte civil de solidariteacute son concubin ses enfants ses
parents ses petits-enfants ou arriegravere-petits-enfants ou ses leacutegataires universels ou agrave titre
universel La reacutevision peut en outre ecirctre demandeacutee par les procureurs geacuteneacuteraux pregraves les
cours dappel raquo
585 Ce nouveau texte compareacute agrave lrsquoancien article 623 met en eacutevidence la
libeacuteralisation de la proceacutedure En effet la reacutevision drsquoune condamnation peacutenale deacutefinitive peut
deacutesormais ecirctre solliciteacutee par un nombre plus important de personnes Le leacutegislateur a multiplieacute
les possibiliteacutes de deacutepocirct drsquoune requecircte en cas de deacutecegraves ou drsquoabsence deacuteclareacutee du condamneacute
(1) Il a eacutegalement affirmeacute le rocircle du ministegravere public qui peut enfin prendre lrsquoinitiative de
deacuteposer une requecircte en reacutevision (2)
1 Le cas du deacutecegraves ou de lrsquoabsence deacuteclareacutee du condamneacute
586 Confronteacute aux eacutevolutions socieacutetales le leacutegislateur a eacutelargi la liste en direction du
du pacseacute et du concubin La mention inusiteacutee de laquo ceux qui en ont reccedilu de lui la mission
expresse raquo ne figure plus dans le nouveau texte2 De plus le droit agrave la reacutevision srsquoapplique
deacutesormais aux petits enfants et arriegraveres petits-enfants du condamneacute Crsquoest ainsi que le
1 Assembleacutee Nationale Rapport ndeg 1047 relatif aux attributions du Garde des sceaux et des magistrats du ministegravere public en matiegravere de politique peacutenale et drsquoaction publique preacutesenteacute par Monsieur J-Y LE BOUILLONNEC 21 mai 2013 accessible sur httpwwwassemblee-nationalefr14rapportsr1047asp 2 Cette possibiliteacute nrsquoavait jamais eacuteteacute utiliseacutee
227
leacutegislateur a ouvert la voie agrave la justice meacutemorielle en permettant de faire jaillir la veacuteriteacute dans
lrsquohypothegravese ougrave le fait nouveau interviendrait apregraves le deacutecegraves ou lrsquoabsence du condamneacute et
voire apregraves la disparition de la premiegravere geacuteneacuteration Srsquoagissant drsquoune reacuteelle avanceacutee ce
dispositif peut toutefois soulever certaines difficulteacutes quant agrave son application pratique1 En
effet pourrait se poser la question des soldats fusilleacutes pour lrsquoexemple durant la premiegravere
Guerre Mondiale Lrsquoouverture du recours agrave la deuxiegraveme et troisiegraveme geacuteneacuteration du condamneacute
permettrait drsquoaccueillir des demandes de reacutevision formeacutees contre les condamnations agrave mort
prononceacutees par les tribunaux militaires entre 1914 et 1918 Dans ce cas une reacuteformation
tardive des condamnations peacutenales deacutefinitives se heurterait agrave de nombreux obstacles
notamment ceux lieacutes agrave la preuve de lrsquoinnocence des soldats fusilleacutes dans des circonstances
troubleacutees
2 Le ministegravere public titulaire drsquoun droit drsquoagir
587 Le nouveau texte met fin agrave lrsquoabsence incompreacutehensible du ministegravere public qui
nrsquoeacutetait pas listeacute parmi les personnes autoriseacutees agrave agir Il permet au procureur geacuteneacuteral pregraves la
Cour de cassation de deacuteposer une requecircte en reacutevision agrave lrsquoinstar du pouvoir dont il disposait
deacutejagrave en matiegravere de reacuteexamen Sont eacutegalement autoriseacutes agrave agir les procureurs geacuteneacuteraux pregraves les
cours dappel
588 Avant 2014 le Ministre de la justice eacutetait la seule autoriteacute judiciaire habiliteacutee agrave
deacuteposer une requecircte en reacutevision A lrsquoeacutepoque le parquet qui voulait initier le deacutepocirct drsquoune
requecircte devait donc obligatoirement en reacutefeacuterer au garde des Sceaux laquo Dans les faits les
services de la chancellerie nrsquoont jamais refuseacute agrave un procureur geacuteneacuteral lrsquoexercice drsquoun tel
recours raquo2 Par exemple dans lrsquoaffaire Marc MACHIN la reacutevision a en reacutealiteacute eacuteteacute initieacutee par
le procureur geacuteneacuteral pregraves la cour drsquoappel de Versailles qui srsquoest adresseacute au Ministre de la
justice Toutefois le bien-fondeacute de cette situation ougrave le pouvoir politique eacutetait un acteur
incontournable de la proceacutedure pouvait paraicirctre pour le moins curieux Le nouveau texte a le
meacuterite drsquoapporter une clarification et de recentrer le pourvoi en reacutevision vers une pratique plus
conforme avec le principe de seacuteparation des pouvoirs
589 La preacutesence du ministegravere public a pour conseacutequence de faciliter lrsquoaction de celui
qui bien que ne figurant pas sur la liste des requeacuterants aurait inteacuterecirct agrave agir En effet il semble
plus commode de srsquoadresser au procureur geacuteneacuteral pregraves la Cour de cassation ou la cour drsquoappel 1 Sur ce point V E ALLAIN Les vieilles affaires AJ Peacutenal 2015 p 165 2 Assembleacutee Nationale Rapport drsquoinformation ndeg 1598 op cit ndeg 86
228
que de solliciter lrsquointervention du Ministre de la justice De plus les nouvelles preacuterogatives du
ministegravere public sont la conseacutequence logique de la possibiliteacute qui est deacutesormais offerte au
condamneacute de solliciter aupregraves du parquet la reacutealisation drsquoactes drsquoinvestigations1 Dans
lrsquohypothegravese ougrave les investigations deacutebouchent sur la deacutecouverte de lrsquoimplication drsquoun tiers
susceptible drsquoecirctre identifieacute comme le vrai coupable la logique veut que le procureur geacuteneacuteral
pregraves la cour drsquoappel en soit informeacute et puisse en tirer les conseacutequences qui srsquoimposent
590 Srsquoagissant de cette nouvelle preacuterogative il faudra en lrsquoabsence de preacutecisions du
texte veiller agrave diffeacuterencier le membre du ministegravere public agrave lrsquoinitiative du deacutepocirct de la requecircte
de celui en charge des conclusions devant la commission drsquoinstruction puis devant la Cour de
reacutevision et de reacuteexamen En effet eacutetroitement lieacutee agrave des questions de fait la reacutevision implique
lrsquointervention drsquoun avocat geacuteneacuteral diffeacuterent aux divers stades de la proceacutedure permettant ainsi
de jeter un double voire un triple regard sur les faits Il aurait eacuteteacute neacutecessaire de mentionner
cette incompatibiliteacute agrave lrsquoarticle 623-1 du Code de proceacutedure peacutenale qui preacutevoit que laquo ne
peuvent sieacuteger au sein de la commission dinstruction et de la formation de jugement ou y
exercer les fonctions du ministegravere public les magistrats qui dans laffaire soumise agrave la cour
de reacutevision et de reacuteexamen ont au sein dautres juridictions soit fait un acte de poursuite ou
dinstruction soit participeacute agrave une deacutecision sur le fond relative agrave la culpabiliteacute du requeacuterant raquo
591 Le ministegravere public deacutesormais autoriseacute agrave formuler une requecircte en reacutevision se
pose donc la question de lrsquoopportuniteacute du maintien des attributions du Garde des sceaux
Depuis la loi ndeg 2013-669 du 25 juillet 20132 le garde des Sceaux ne peut plus dans le cadre
drsquoaffaires individuelles adresser des instructions aux magistrats du parquet Ainsi le principe
de seacuteparation des pouvoirs commanderait selon Monsieur VIOUT que le Garde des Sceaux
repreacutesentant de lrsquoexeacutecutif ne puisse plus agrave lrsquooccasion drsquoune demande de reacutevision drsquoune
condamnation interfeacuterer avec le cours de la justice3 Toutefois il ressort que laquo la possibiliteacute
drsquointroduire un recours en reacutevision ne saurait ecirctre analyseacutee comme une instruction
individuelle donneacutee par le garde des Sceaux raquo De plus la reconduction de cette preacuterogative
historique accordeacutee au Ministre de la justice preacutesente lrsquointeacuterecirct drsquooffrir un outil suppleacutementaire
agrave lrsquoexercice de la reacutevision
1 V supra ndeg 531 2 Loi ndeg 2013-669 du 25 juillet 2013 relative aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministegravere public en matiegravere de politique peacutenale et de mise en œuvre de laction publique 3 Rapport drsquoinformation op cit Contribution de J-O VIOUT p 241
229
592 La comparaison faite entre les deux textes deacutebouche sur le constat drsquoune
libeacuteralisation incontestable de la proceacutedure qui se trouve deacutesormais accessible agrave un plus grand
public Toutefois afin de garantir une meilleure accessibiliteacute de la proceacutedure de reacutevision
lrsquoeacutelargissement du nombre des demandeurs doit neacutecessairement srsquoaccompagner drsquoun
assouplissement des cas drsquoouverture du recours Ce postulat est indispensable agrave la reacuteussite de
la reacuteforme En effet la question des cas drsquoouverture constituait le principal point
drsquoachoppement de la loi de 19891 Il faut donc maintenant srsquointeacuteresser agrave lrsquoefficaciteacute de la
nouvelle loi qui se veut plus libeacuterale srsquoagissant du cas drsquoouverture Dans lrsquohypothegravese drsquoun
eacutelan libeacuteral lrsquoeacutelargissement de la liste des demandeurs aura un reacuteel inteacuterecirct Dans le cas
contraire lrsquoinitiative leacutegislative perdrait de sa vigueur et les droits nouveaux des requeacuterants
seraient reacuteputeacutes laquo theacuteoriques et illusoires2 raquo agrave deacutefaut drsquoecirctre laquo concrets et effectifs raquo3
593 Nous exprimerons nos doutes par rapport agrave la persistance de difficulteacutes relatives agrave
la question du cas drsquoouverture En effet malgreacute un progregraves sensible dans le domaine des
personnes autoriseacutees agrave agir la reacuteforme nrsquoest pas agrave la hauteur de ses ambitions srsquoagissant du
cas drsquoouverture du recours
sect 2 Le cas drsquoouverture agrave reacutevision
594 Srsquoagissant de la question des cas drsquoouverture lrsquoeffort de libeacuteralisation est
insuffisant En effet la fusion entre les cas drsquoouverture deacutetermineacutes et le cas indeacutetermineacute bien
qursquoelle ait eacuteteacute souhaiteacutee ne constitue qursquoune ouverture plutocirct symbolique sans reacuteelle efficaciteacute
pratique (A) En outre que drsquoespoirs deacuteccedilus par rapport agrave la reacuteeacutecriture du cas indeacutetermineacute qui
srsquoapparente plutocirct agrave un exercice de clarification de lrsquoancien texte qursquoagrave un veacuteritable virage en
faveur drsquoune meilleure accessibiliteacute de la proceacutedure de reacutevision (B)
A Une ouverture symbolique
595 Dans la premiegravere partie nous nous sommes inteacuteresseacutes agrave lancien article 622 du
Code de proceacutedure peacutenale qui preacutevoyait les quatre cas drsquoouverture de la proceacutedure de
reacutevision4 Les trois premiers qualifieacutes de cas deacutetermineacutes douverture agrave reacutevision srsquoopposaient
au quatriegraveme cas le cas indeacutetermineacute qui recouvrait des situations plus diverses Se posait la
1 V supra ndeg 202 agrave 238 et 320 agrave 328 2 CEDH 9 octobre 1979 Airey c Irlande op cit 3 Ibid 4 V supra ndeg 202 agrave 238
230
question de savoir si les cas deacutetermineacutes ne srsquoidentifient pas en reacutealiteacute agrave des faits nouveaux ou
agrave des eacuteleacutements inconnus
596 Lrsquoexamen attentif de lancien article 622 du Code de proceacutedure peacutenale illustre que
les quatre cas drsquoouverture se fondaient tous en reacutealiteacute sur lrsquoapparition dun eacuteleacutement factuel ou
juridique qui entretenait le doute sur la culpabiliteacute La preuve de lrsquoinexistence drsquoun homicide
la condamnation pour faux teacutemoignage ou la deacutecouverte drsquoune condamnation inconciliable
constituaient en reacutealiteacute des faits nouveaux ou eacuteleacutements inconnus de la juridiction au jour du
procegraves
Degraves lors quelle aurait eacuteteacute lrsquoutiliteacute de conserver les quatre cas drsquoouverture alors que les cas
deacutetermineacutes se confondaient avec le fait nouveau ou lrsquoeacuteleacutement inconnu La loi de 2014 a pris
la bonne mesure de la situation en ne faisant plus que reacutefeacuterence au cas indeacutetermineacute insufflant
ainsi un nouvel essor agrave la proceacutedure de reacutevision devenue plus rationnelle
597 Bien qursquoenteacuterineacutee par la loi cette fusion avait toutefois rencontreacute la
deacutesapprobation des rapporteurs du texte Deux arguments contenus dans le rapport
drsquoinformation plaidaient contre la fusion des cas drsquoouverture Premiegraverement la disparition des
trois premiers cas drsquoouverture serait de nature agrave mettre fin au processus quasi automatique de
lrsquoannulation de la condamnation contesteacutee cas de figure propre aux cas deacutetermineacutes
Srsquoagissant du cas drsquoouverture indeacutetermineacute le doute doit donner lieu agrave un reacuteexamen de la
condamnation attaqueacutee et ne peut que rarement emporter une annulation sans renvoi de la
deacutecision deacutefinitive Toutefois les reacuteserves eacutemises par les rapporteurs paraissent infondeacutees En
effet lrsquohypothegravese drsquoune lrsquoannulation segraveche ne concernait pas exclusivement les seuls cas
deacutetermineacutes Lrsquoancien article 625 alineacutea 5 disposait sans distinction du cas drsquoouverture
invoqueacute que laquo Si lannulation du jugement ou de larrecirct agrave leacutegard dun condamneacute vivant ne
laisse rien subsister agrave sa charge qui puisse ecirctre qualifieacute crime ou deacutelit aucun renvoi nest
prononceacute raquo Cette disposition a eacuteteacute reprise par le nouvel article 624-7 du Code de proceacutedure
peacutenale De plus le nouveau texte fait eacutetat de lrsquoinnocence qui vient compleacuteter les dispositions
relatives au doute et offre ainsi la possibiliteacute drsquoune annulation sans renvoi en cas de fait
nouveau ou eacuteleacutement inconnu Deuxiegravemement la disparition de ces cas pourrait entraver
lrsquoaction de certains condamneacutes qui pourraient ignorer que leur situation relegraveve drsquoun cas
drsquoouverture deacutetermineacute nrsquoeacutetant plus expresseacutement deacutefini par la loi Cet argument ne nous
parait pas pertinent En effet lrsquoassistance drsquoun avocat devenue aujourdrsquohui obligatoire a
neacuteanmoins toujours eacuteteacute offerte au requeacuterant qui pouvait donc beacuteneacuteficier de tous les eacuteclairages
231
juridiques De plus en pratique les requecirctes visant un cas drsquoouverture deacutetermineacute eacutetaient bien
souvent deacutedoubleacutees par une deuxiegraveme option fondeacutee sur le cas indeacutetermineacute afin de renforcer
les chances de reacuteussite du pourvoi et de limiter les risques de rejet
598 La proposition de loi eacutecartait toute ideacutee de fusion Elle avait fait le choix
drsquoinverser lrsquoordre de preacutesentation des cas drsquoouverture en attribuant la premiegravere place au cas
indeacutetermineacute Ainsi les trois premiers cas drsquoouverture se trouvant releacutegueacutes aux derniegraveres
places servaient drsquoillustrations au fait nouveau et agrave lrsquoeacuteleacutement inconnu de la juridiction au
jour du procegraves (la production de piegraveces attestant que la victime drsquoun meurtre est vivante le
caractegravere inconciliable drsquoune seconde condamnation avec la premiegravere objet de la demande de
reacutevision ou encore la condamnation pour faux teacutemoignage drsquoun teacutemoin agrave chargehellip)
Toutefois le Seacutenat a consideacutereacute que laquo si les trois derniers cas douverture ont une valeur de
rappel historique ils sont tous contenus dans le premier renvoyant tous trois agrave un fait
nouveau Degraves lors ils nont pas de raison decirctre juridique raquo1
599 Le nouveau texte a donc supprimeacute la mention des trois premiers cas drsquoouverture
deacutesormais regroupeacutes dans une rubrique unique le cas indeacutetermineacute Concregravetement ce
regroupement ne devrait pas modifier la situation des requeacuterants La production de piegraveces
attestant que la victime drsquoun meurtre est vivante constituera toujours un moyen drsquoouverture de
la reacutevision tout comme la deacutemonstration du caractegravere inconciliable des deacutecisions ou la
condamnation pour faux teacutemoignage drsquoun teacutemoin agrave charge Cependant cette fusion illustre
une volonteacute de clarification de simplification et de libeacuteralisation du recours En effet la
disparition de lrsquoeacutenumeacuteration des cas drsquoouverture devrait contribuer agrave dissiper les aspeacuteriteacutes du
caractegravere exceptionnel et deacuterogatoire de la proceacutedure de reacutevision laquo Les magistrats seraient
ainsi symboliquement inviteacutes agrave interpreacuteter la recevabiliteacute et le bien fondeacute des demandes de
reacutevision de maniegravere moins stricte voire moins restrictive et agrave initier une pratique laquo plus
ouverte raquo de cette proceacutedure2 raquo
600 Si la porteacutee de cette fusion reste symbolique la reacuteeacutecriture du cas indeacutetermineacute a
de son cocircteacute eacutetait preacutesenteacutee dans les travaux parlementaires comme une avanceacutee quasi
1 Rapport du Seacutenat ndeg 467 sur la proposition de loi adopteacutee par lrsquoAssembleacutee Nationale relative agrave la reacuteforme des proceacutedures de reacutevision et de reacuteexamen drsquoune condamnation peacutenale deacutefinitive op cit p 21 2 Assembleacutee Nationale Rapport drsquoinformation ndeg 1598 op cit
232
historique vers la libeacuteralisation de la proceacutedure1 Toutefois une analyse textuelle permet
drsquoalimenter la controverse face agrave la reacuteeacutecriture plutocirct deacutecevante du texte
B Une reacuteeacutecriture deacutecevante
601 Lrsquounique cas drsquoouverture est deacutesormais preacutevu agrave lrsquoarticle 622 du Code de
proceacutedure peacutenale qui dispose laquo La reacutevision dune deacutecision peacutenale deacutefinitive peut ecirctre
demandeacutee au beacuteneacutefice de toute personne reconnue coupable dun crime ou dun deacutelit lorsque
apregraves une condamnation vient agrave se produire un fait nouveau ou agrave se reacuteveacuteler un eacuteleacutement
inconnu de la juridiction au jour du procegraves de nature agrave eacutetablir linnocence du condamneacute ou agrave
faire naicirctre un doute sur sa culpabiliteacute raquo
602 Il srsquoagit drsquoune question centrale En effet lrsquoaccessibiliteacute de la proceacutedure est
conditionneacutee par les cas drsquoouverture Dans lrsquohypothegravese ougrave le cas drsquoouverture est trop restrictif
les autres ameacuteliorations (ameacuteliorations relatives agrave la composition de la juridiction au rocircle de
la commission ou agrave ses preacuterogatives) apparaicirctront leacutegegraveres Lrsquoarticle 622 du Code de
proceacutedure peacutenale eacutetant la cleacute de la reacutevision il est important drsquoen faciliter lrsquointrusion Crsquoest
dans cette optique que le leacutegislateur a reformuleacute le cas drsquoouverture indeacutetermineacute Selon
Monsieur Franccedilois FOURNIE laquo cette nouvelle formulation porte en elle lintention du
leacutegislateur de permettre une plus grande ouverture du recours et partant un plus grand nombre
de reacutevisions raquo2
603 Or lrsquoanalyse du nouveau texte sur le fait nouveau et sur lrsquoeacuteleacutement inconnu (1)
ainsi que sur la question du doute (2) et sur le retour de la mention de lrsquoinnocence (3)
contribue agrave mettre en eacutevidence ses faiblesses
1 Le fait nouveau et lrsquoeacuteleacutement inconnu
604 Le cas drsquoouverture indeacutetermineacute preacutevu par lrsquoancien texte visait deux situations
celle drsquoun fait nouveau et celle drsquoun eacuteleacutement inconnu Le nouveau texte a maintenu cette
distinction Ce choix doit ecirctre approuveacute en raison de la diffeacuterenciation entre drsquoun cocircteacute le fait
et lrsquoeacuteleacutement et de lrsquoautre cocircteacute le caractegravere nouveau et le caractegravere inconnu Srsquoagissant du
1 Assembleacutee Nationale Rapport drsquoinformation ndeg 1598 op cit p 78-80 Assembleacutee Nationale Rapport ndeg 1807 op cit p 28-30 Seacutenat Rapport ndeg 467 op cit p 21 2 F FOURNIE laquo Reacuteviser la reacutevision raquo (hellip) op cit p 777
233
fait il doit ecirctre nouveau Crsquoest ainsi qursquoagrave deacutefaut drsquoautres preacutecisions il doit ecirctre posteacuterieur agrave la
condamnation contesteacutee En revanche lrsquoeacuteleacutement doit avoir eacuteteacute inconnu de la juridiction au
jour du procegraves (le mot inconnu est employeacute au singulier) Crsquoest ainsi qursquoune seule reacuteveacutelation
pouvait deacutejagrave dans lrsquoancien texte suffire
605 Srsquoagissant de deux reacutealiteacutes diffeacuterentes le juge continue de devoir faire la
distinction entre le fait nouveau et lrsquoeacuteleacutement inconnu Le leacutegislateur nrsquoa pas ceacutedeacute agrave la tentation
de suivre la jurisprudence et la doctrine qui entretenaient une certaine confusion entre
lrsquoeacuteleacutement inconnu et le fait nouveau Pourtant il y a lieu de craindre que les modifications
apporteacutees par le nouveau texte ne contribuent pas comme promis agrave laquo une plus grande
ouverture du recours et partant un plus grand nombre de reacutevisions raquo1
606 Pour bien comprendre notre raisonnement il est essentiel de comparer les deux
textes
Le nouvel article 622 du Code de proceacutedure peacutenale dispose laquo hellip apregraves une condamnation
vient agrave se produire un fait nouveau ou agrave se reacuteveacuteler un eacuteleacutement inconnu de la juridiction au
jour du procegraves raquo Lrsquoancien texte indiquait laquo Apregraves une condamnation vient agrave se produire ou
agrave se reacuteveacuteler un fait nouveau ou un eacuteleacutement inconnu de la juridiction au jour du procegraveshellip raquo
En quoi le nouveau texte est-il diffeacuterent Les mecircmes termes que ceux utiliseacutes dans lrsquoancien
texte se retrouvent dans la nouvelle version Hormis lrsquoordre de leur preacutesentation aucun mot
nrsquoa eacuteteacute ajouteacute ou retrancheacute Dans lrsquoancien article les termes laquo faits nouveaux ou eacuteleacutements
inconnus raquo se situent en fin de phrase et les modaliteacutes de leur apparition (laquo vient agrave se
produire ou agrave se reacuteveacuteler raquo ) sont placeacutes en deacutebut de phrase sans que le leacutegislateur ne preacutecise
qui du fait nouveau ou de lrsquoeacuteleacutement inconnu se produit ou se reacutevegravele Nous avons vu que
pour le leacutegislateur de 1989 le fait nouveau se produisait alors que lrsquoeacuteleacutement inconnu se
reacuteveacutelait2
607 Le nouveau texte traduit de maniegravere plus explicite la mecircme approche du fait
nouveau et de lrsquoeacuteleacutement inconnu Sur ce point il srsquoagit drsquoun texte de clarification qui
nrsquoapporte aucune reacuteelle modification sur le fond
1 F FOURNIE op cit 2 V supra ndeg 224 agrave 228
234
608 Le fait nouveau qui se produit ou lrsquoeacuteleacutement inconnu qui se reacutevegravele ont pour point
commun de devoir faire naicirctre un doute sur la culpabiliteacute du condamneacute A preacutesent il srsquoagit de
srsquointeacuteresser agrave la question du toute telle qursquoelle est abordeacutee par la nouvelle loi
2 La question centrale du doute
609 Absence de doute absence de reacutevision Du temps de la loi de 1989 les
difficulteacutes drsquoaccessibiliteacute de la reacutevision avaient essentiellement pour origine la deacutefinition du
doute En effet cette notion eacutetait appreacutecieacutee de maniegravere tregraves rigoureuse par la jurisprudence qui
lrsquoentendait sous la forme drsquoun doute seacuterieux srsquoeacuteloignant de la lettre du texte qui eacutevoquait
simplement un doute1
610 Crsquoest pourquoi drsquoaucuns se sont interrogeacutes sur lrsquoopportuniteacute de qualifier le doute
dans la loi de 2014 La proposition de loi2 avait envisageacute de le qualifier en le deacutefinissant de
laquo moindre doute raquo3 Lrsquoobjectif eacutetait dinciter les magistrats agrave se montrer moins seacutevegraveres quils
ne sont supposeacutes lecirctre actuellement dans leur appreacuteciation du doute Le Seacutenat a ensuite
amendeacute le texte en supprimant lrsquoemploi de lrsquoadjectif moindre jugeacute insuffisamment juridique4
Ainsi le nouveau texte ne vise-t-il que le laquo doute raquo comme crsquoest le cas depuis 1989
611 Le fait drsquoavoir supprimeacute lrsquoadjectif laquo moindre raquo est-il le signe que le Seacutenat
approuve lrsquointerpreacutetation restrictive du doute veacutehiculeacutee par la jurisprudence Nous ne le
pensons pas Dans ce cas lrsquoabsence drsquoadjectif laquo est un message clair que le leacutegislateur
envoie agrave la cour de reacutevision en lui enjoignant de modifier son interpreacutetation du doute5 raquo Le
rapport du Seacutenat qui srsquoest refuseacute de qualifier le doute a mis lrsquoaccent sur la neacutecessiteacute de ne pas
exiger une gradation trop eacuteleveacutee du doute Pourtant le leacutegislateur srsquoest exprimeacute en utilisant les
mecircmes termes que ceux utiliseacutes en 1989
1 V supra ndeg 229 agrave 238 2 Texte adopteacute ndeg 319 Proposition de loi relative agrave la reacuteforme des proceacutedures de reacutevision et de reacuteexamen drsquoune deacutecision peacutenale adopteacutee par lrsquoAssembleacutee Nationale en premiegravere lecture 27 feacutevrier 2014 Accessible sur httpwwwassemblee-nationalefr14tata0319asp 3 Lrsquoarticle 626-4 CPP preacutevoyait que laquo la reacutevision drsquoune deacutecision peacutenale deacutefinitive peut ecirctre demandeacutee au beacuteneacutefice de toute personne reconnue coupable drsquoun crime ou drsquoun deacutelit lorsque 1deg Apregraves une condamnation vient agrave se produire un fait nouveau ou agrave se reacuteveacuteler un eacuteleacutement inconnu de la juridiction au jour du procegraves de nature agrave eacutetablir lrsquoinnocence du condamneacute ou agrave faire naicirctre le moindre doute (crsquoest nous qui soulignons) sur sa culpabiliteacute (hellip) raquo La qualification du doute nrsquoest selon nous pas souhaitable V supra ndeg 166 agrave 169 4 Seacutenat Compte rendu de la commission des lois Reacuteforme des proceacutedures et de reacuteexamen drsquoune condamnation peacutenale deacutefinitive ndash examen du rapport et du texte de la commission mercredi 16 avril 2014 Accessible sur httpwwwsenatfrcompte-rendu-commissions20140414loishtmltoc3 5 F FOURNIE laquo Reacuteviser la reacutevision raquo (hellip) op cit p 777
235
612 A deacutefaut drsquoune modification du texte comment lrsquoappreacuteciation du doute pourrait-
elle aller dans le sens drsquoune ouverture Le leacutegislateur conscient du deacutevoiement de lrsquoancien
texte par rapport au doute ne srsquoest drsquoailleurs pas priveacute de le souligner1 A deacutefaut drsquoavoir pu
trouver un adjectif qui soit laquo suffisamment juridique raquo pour qualifier le doute il a preacutefeacutereacute ne
pas modifier le texte de 1989 Toutefois il espegravere ecirctre entendu bien qursquoil nrsquoait pas formaliseacute
son message drsquoouverture
613 Dans ces conditions peut-on reacuteellement penser que le nouveau texte deacutebouchera
sur une vision moins stricte du doute Depuis 1989 tous les acteurs du droit souhaitent un
assouplissement de lrsquoappreacuteciation du doute Par le passeacute le leacutegislateur a deacutejagrave preacuteciseacute en
rejetant une proposition de loi favorable agrave la notion de doute seacuterieux que le simple doute
(doute rationnel) devait suffire pour reacuteviser Pourtant cette volonteacute drsquoouverture du leacutegislateur
nrsquoa jamais eacuteteacute prise en consideacuteration par la jurisprudence partisane drsquoune appreacuteciation seacutevegravere
du doute Crsquoest pourquoi en lrsquoabsence drsquoune modification du texte il semble difficile de
changer les habitudes
614 Les magistrats et plus particuliegraverement les membres de la juridiction de reacutevision ont agrave
connaicirctre quotidiennement la pratique du doute Le doute non qualifieacute en faveur de lrsquoaccuseacute
est consideacutereacute comme un doute rationnel dont lrsquoefficaciteacute est reconnue Crsquoest pourquoi nous
nous rallions au choix du leacutegislateur qui srsquoest refuseacute de qualifier le doute en matiegravere de
reacutevision Tout porte agrave croire que la qualification de laquo moindre doute raquo se serait aveacutereacutee sans
effet Il srsquoagit davantage drsquoun problegraveme de mentaliteacute qui a pour origine lrsquoautoriteacute de la chose
jugeacutee agrave laquelle les juges sont fortement attacheacutes La pratique du doute rationnel appliqueacutee agrave
lrsquoaccuseacute ne pose pas problegraveme car le doute de la justice concerne une deacutecision non deacutefinitive
En matiegravere de reacutevision lrsquoemploi du terme doute paraicirct plus difficile srsquoagissant drsquoune deacutecision
devenue deacutefinitive et reacuteputeacutee purgeacutee de toute erreur Lrsquoutilisation du mot doute qursquoil soit
qualifieacute ou non est de nature agrave enfermer le leacutegislateur dans une impasse Le deacutebat aurait donc
plutocirct ducirc porter sur la justesse du mot laquo doute raquo Son abandon au profit drsquoune nouvelle
reacutefeacuterence aurait pu ecirctre envisageacute
615 Si aucun changement nrsquoest intervenu au niveau du doute il a toutefois eu lieu par
le biais du retour de lrsquoinnocence dans le texte
1 V Rapport drsquoinformation op cit Rapport du Seacutenat op cit
236
3 Le retour de lrsquoinnocence dans le texte
616 La loi de 2014 marque le retour de la notion drsquoinnocence dans le cas drsquoouverture
indeacutetermineacute Cet ancien motif de reacutevision avait disparu du dispositif leacutegislatif en 1989 pour
ecirctre remplaceacute par le doute Lrsquoabandon de lrsquoinnocence a eu pour conseacutequence drsquoignorer des
situations qui sous lrsquoeffet des progregraves scientifiques se multipliaient Deacutesormais lrsquoarticle 622
du Code de proceacutedure peacutenale autorise la reacutevision lorsque le fait nouveau ou lrsquoeacuteleacutement inconnu
est laquo de nature agrave eacutetablir linnocence du condamneacute raquo En reacutehabilitant la notion drsquoinnocence le
leacutegislateur a exprimeacute la volonteacute de faciliter lrsquoaccegraves agrave la proceacutedure de reacutevision Ainsi la
juridiction de reacutevision sort de lrsquoembarras lorsqursquoelle constate lrsquoinnocence tant au stade de la
commission drsquoinstruction que devant la Cour Les deacutecisions drsquoannulation sans renvoi trouvent
deacutesormais leur pleine justification
617 En deacutefinitive le nouveau texte vient clarifier une situation (lrsquoeacuteleacutement inconnu se
reacutevegravele le fait nouveau se produit) maintient le doute en lrsquoeacutetat et fait reacuteapparaicirctre une ancienne
notion (lrsquoinnocence) Il faut donc relativiser la deacuteclaration selon laquelle la laquo nouvelle
formulation porte en elle lintention du leacutegislateur de permettre une plus grande ouverture du
recours et partant un plus grand nombre de reacutevisions1 raquo A nos yeux lrsquoeacutelargissement du
champ drsquoaction de la reacutevision reste toujours suspendu agrave la question de lrsquoautoriteacute de la chose
jugeacutee La reacuteforme aurait ducirc inciter agrave une reacuteflexion sur lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee
Section 2 Une entrave agrave la libeacuteralisation de la reacutevision
518 Le deacutefaut de questionnement sur lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee qui contribue agrave
entretenir la logique oppositionnelle a pour effet drsquoignorer notre deacutesir de libeacuteralisation de la
reacutevision (sect 1) Il parait donc indispensable de redeacutefinir les rapports entre lrsquoautoriteacute de la chose
et la reacutevision (sect 2)
sect 1 La persistance de la logique oppositionnelle entre le
pourvoi en reacutevision et lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee
619 Le deacutefaut de modification de la perception des liens que la reacutevision entretient
avec lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee a eu deux conseacutequences Premiegraverement le leacutegislateur nrsquoa pas
1 F FOURNIE laquo Reacuteviser la reacutevision raquo op cit p 777
237
pu modifier le laquo profil type laquo de la deacutecision susceptible de reacutevision (A) Deuxiegravemement
lrsquoeacuteleacutement non deacutebattu nrsquoa pas eacuteteacute pris en compte au titre de la reacuteveacutelation (B)
A La reconduction du laquo profil type raquo de la deacutecision susceptible de
reacutevision
620 Lrsquoattachement du leacutegislateur agrave lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee se traduit par le
maintien en lrsquoeacutetat de toutes les conditions preacutealables agrave la reacutevision En effet lrsquoarticle 622 du
Code de proceacutedure peacutenale conserve lrsquoancienne formulation laquo la reacutevision dune deacutecision
peacutenale deacutefinitive peut ecirctre demandeacutee au beacuteneacutefice de toute personne reconnue coupable dun
crime ou dun deacutelit raquo Srsquoagissant drsquoune proceacutedure extraordinaire la reprise de lrsquoaffirmation du
caractegravere deacutefinitif de la deacutecision se justifie pleinement En revanche retranscrit dans le
nouveau texte les maintiens de lrsquoexigence drsquoune deacutecision peacutenale (1) et de celle drsquoune deacutecision
criminelle ou deacutelictuelle (2) peuvent susciter des interrogations
1 Une deacutecision peacutenale
621 La deacutecision peacutenale au sens de lrsquoancien article 622 du Code de proceacutedure peacutenale a
eacuteteacute deacutefinie comme une laquo deacutecision eacutemanant dune juridiction reacutepressive de droit commun ou
dexception1 raquo et statuant sur des inteacuterecircts exclusivement drsquoordre peacutenal
622 Le nouveau texte nrsquoapporte aucune modification agrave cette deacutefinition donc
inchangeacutee Ainsi seront toujours exclues du domaine du pourvoi en reacutevision les requecirctes
formeacutees contre des condamnations prononceacutees par des juridictions peacutenales et portant sur les
seuls inteacuterecircts civils Cette exclusion trouve sa justification dans la mission de la justice
peacutenale qui est de sanctionner les auteurs drsquoinfractions Les conseacutequences de lrsquoinfraction sur la
victime sont pourtant parfois prises en compte dans la description des eacuteleacutements constitutifs
des faits reprocheacutes Crsquoest ainsi que la graviteacute de lrsquoITT interviendra dans le choix de la
qualification peacutenale par le juge2 La dureacutee de lrsquoITT deacuteterminera la nature de lrsquoinfraction (deacutelit
ou contravention) la peine encourue ainsi que la compeacutetence juridictionnelle Mais laquo le
traitement de ces conseacutequences est avant tout lrsquoaffaire de la responsabiliteacute civile3 raquo Degraves lors
la contestation des seuls inteacuterecircts civils contenus dans une condamnation peacutenale deacutefinitive ne
1 H ANGEVIN op cit ndeg 19 V en ce sens Cour de reacutevision 29 janvier 1990 ndeg 81-94006 2 Violences sans ITT R 624 ndash 1 CP ITT infeacuterieure ou eacutegale agrave 8 jours R 625-1 CP ITT supeacuterieure agrave 8 jours 222-11 CP 3 J LELIEUR op cit p 530
238
saurait entraicircner laquo le deacuteclenchement drsquoune nouvelle action reacutepressive (qui ne serait) pas
leacutegitime1 raquo
623 Cependant il conviendrait de reacutegler la question de lrsquoexclusion de ces deacutecisions
qui ne pourront donner lieu agrave lrsquoouverture drsquoun recours en reacutevision de la matiegravere civile Pour
autant peut-on reprocher au leacutegislateur de ne pas ecirctre intervenu sur cette question au moment
de sa reacuteforme du pourvoi en reacutevision Srsquoagissant drsquoune laquo affaire civile raquo cette probleacutematique
lui eacutechappe elle ne relegraveve pas de sa compeacutetence Toutefois la reacuteforme du pourvoi en
reacutevision devrait servir de guide agrave une plus ample reacuteflexion meneacutee dans le domaine du droit
civil (pour permettre la reacutevision du volet civil drsquoune deacutecision peacutenale dans le cadre du recours
en reacutevision propre agrave la matiegravere civile comme lrsquoy invite lrsquoarticle 749 du Code civil)
624 Le leacutegislateur de 2014 maintient lrsquoexigence drsquoune deacutecision de condamnation
criminelle ou deacutelictuelle
2 Une deacutecision de condamnation criminelle ou deacutelictuelle
625 Le nouveau texte nrsquoa pas eacutelargi le champ drsquoapplication du pourvoi en reacutevision qui
demeure circonscrit aux seules condamnations pour crimes et deacutelits
626 Pour ce qui est du maintien de lrsquoexclusion des contraventions des consideacuterations
drsquoordre pratique lieacutees au souci drsquoeacuteviter lrsquoengorgement des juridictions pour les infractions
reacuteputeacutees les moins graves sont agrave lrsquoorigine de cette restriction Ainsi agrave la lueur de ces
consideacuterations lrsquoexclusion des contraventions trouve une explication rationnelle
627 Concernant la reconduction de la neacutecessiteacute drsquoune deacutecision de condamnation elle
est directement lieacutee au refus du leacutegislateur de modifier les contours de lrsquoautoriteacute de la chose
jugeacutee et sa perception des liens qui lrsquounisse au pourvoi en reacutevision
628 A la lueur des arguments deacutejagrave deacuteveloppeacutes2 la question de la reacutevision en cas
drsquoacquittement ou de relaxe meacuterite drsquoecirctre poseacutee3Le deacuteputeacute FENECH avait drsquoailleurs deacuteposeacute
1 Ibid 2 V supra ndeg 187 agrave 193 3 La reacutevision en deacutefaveur de la personne poursuivie existe en droit compareacute notamment en droit allemand Or laquo le droit reacutepressif drsquooutre-Rhin est agrave la fois suffisamment proche de notre droit pour que la comparaison soit aiseacutee et deacutenueacutee drsquoartifice et suffisamment eacuteloigneacute pour qursquoelle preacutesente un inteacuterecirct et se reacutevegravele fructueuse raquo J LEBLOIS-HAPPE Quelles reacuteponses agrave la petite deacutelinquance Etude du droit reacutepressif franccedilais sous lrsquoeacuteclairage compareacute du droit reacutepressif allemand Preacuteface R Koering-Joulin Presses universitaires drsquoAix-Marseille 2002 tome 1 ndeg 34
239
un amendement1 agrave la proposition de loi relative agrave la reacutevision des condamnations peacutenales
deacutefinitives entacheacutees drsquoune erreur judiciaire laquo permettant au parquet de reacuteouvrir une enquecircte
peacutenale sur charges nouvelles apregraves un acquittement ou une relaxe raquo Lrsquoouverture de la
reacutevision in defavorem eacutetait conditionneacutee par la fourniture drsquoune preuve indubitable de la
culpabiliteacute Lrsquoamendement a eacuteteacute rejeteacute le 27 feacutevrier 20142
629 Pourtant les progregraves scientifiques reacutealiseacutes notamment en matiegravere drsquoidentification
des auteurs drsquoinfractions imposent selon nous de repousser les limites de lrsquoattachement au
principe de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee impliquant laquo de ne pas revenir sur une deacutecision pour
des raisons eacutethiques ou philosophiques3 raquo Le 7 novembre 2013 le deacuteputeacute TOURRET
preacutealablement agrave lrsquoaudition de Monsieur MATHON devant lrsquoAssembleacutee Nationale a souligneacute
lrsquoimportance des progregraves reacutealiseacutes dans le domaine de la police scientifique (identification des
traces ADN conservation des odeurs veacuterification drsquoeacutecritures reconnaissance de la voixhellip)Il
deacuteclare aussi que laquo la police scientifique joue un rocircle important pour savoir qui a fait quoi Or
en France agrave la diffeacuterence des autres pays il nrsquoy a pratiquement eu aucune modification due agrave
lrsquoensemble des progregraves de la police scientifiqueraquo Une prise en compte de la reacutevision in
defavorem pourrait symboliser cette modification attendue
630 Pourtant la CNCDH se fonde pour justifier le refus de lrsquoadmission de la reacutevision
in defavorem sur une conception humanitaire de la proceacutedure peacutenale dont lrsquoorigine
remonterait au siegravecle des Lumiegraveres4 Elle cite la culture juridique franccedilaise qui a laquo depuis tregraves
longtemps interdit de remettre en cause le sort drsquoune personne ayant fait lrsquoobjet drsquoun
acquittement ou drsquoune relaxe deacutefinitifs raquo Dans sa deacutemonstration la CNCDH srsquoappuie sur
lrsquoesprit de lrsquoordonnance de 1670 le Code drsquoinstruction criminelle le siegravecle des Lumiegraveres la
philosophie humaniste ou encore la Deacuteclaration de 1789 A travers cette deacutemarche elle
souhaite deacutemontrer lrsquointangibiliteacute de lrsquohostiliteacute du droit franccedilais agrave la reacutevision in defavorem
Or ces reacutefeacuterences historiques bien qursquouniverselles sur un plan philosophique remontent agrave
une eacutepoque ougrave les techniques drsquoinvestigation eacutetaient encore rustiques Au fil du temps leur
1 Amendement ndeg CL6 preacutesenteacute par Messieurs FENECH et autres Assembleacutee Nationale 14 feacutevrier 2014 disponible sur httpwwwassemblee-nationalefr14amendements1700CION_LOISCL6pdf En deacutecembre 2013 date de la publication du rapport drsquoinformation Monsieur FENECH eacutetait opposeacute agrave la reacutevision des deacutecisions drsquoacquittement Il a changeacute drsquoavis sur la question apregraves lrsquoaffaire Nelly HADERER Au sujet de son changement drsquoopinion il a deacuteclareacute dans la presse laquo Cela ne me choque pas que lon sinspire de la reacutealiteacute pour faire progresser le droit raquo Le FIGARO Pourra-t-on rejuger des personnes acquitteacutees 26 feacutevrier 2014 2 A PECHARD et C FLEURIOT La reacutevision in defavorem ne se fera pashellipdans lrsquoimmeacutediat Dalloz actualiteacutes 3 mars 2014 3 C MATHON op cit p 4 4 CNCDH Avis compleacutementaire op cit ndeg2
240
modernisation a contribueacute agrave une meilleure efficaciteacute de la justice Crsquoest ainsi qursquoon ne saurait
affirmer avec certitude que les tenants de la philosophie humaniste deacutefendraient encore
aujourdrsquohui lrsquointransigeance de leur position sur la reacutevision in defavorem
631 Ensuite la CNCDH considegravere que la reacutevision in defavorem heurterait lrsquoarticle
41 du protocole 7 de la CEDH ratifieacute par la France 1 Interdisant de nouvelles poursuites pour
les mecircmes circonstances factuelles cet article seacutecurise les acquittements et relaxes deacutefinitifs
Toutefois cette difficulteacute peut ecirctre surmonteacutee en se reacutefeacuterant agrave lrsquoarticle 42 qui preacutevoit
que laquo les dispositions du paragraphe preacuteceacutedent nempecircchent pas la reacuteouverture du procegraves
conformeacutement agrave la loi et agrave la proceacutedure peacutenale de lEtat concerneacute si des faits nouveaux ou
nouvellement reacuteveacuteleacutes ou un vice fondamental dans la proceacutedure preacuteceacutedente sont de nature agrave
affecter le jugement intervenu raquo Selon ce texte il nrsquoest fait aucune distinction entre lrsquoinjustice
en faveur ou en deacutefaveur du justiciable Ce silence a drsquoailleurs permis agrave lrsquoAllemagne
signataire comme la France de lrsquoarticle 41 du protocole 7 drsquoadmettre la reacutevision in
defavorem
632 Nous deacuteplorons eacutegalement la probabiliteacute du renouvellement de lrsquoexclusion de
lrsquoeacuteleacutement non deacutebattu
B La reconduction de lrsquoexclusion de lrsquoeacuteleacutement non deacutebattu
633 Lrsquoeffort de clarification reacutedactionnelle de la reacuteforme a confirmeacute lrsquoimportance de
la reacuteveacutelation de lrsquoeacuteleacutement inconnu posteacuterieurement agrave la condamnation deacutefinitive Malgreacute
lrsquointeacuterecirct de la prise en compte de lrsquoeacuteleacutement non deacutebattu le nouveau texte toujours en proie
avec la dualiteacute oppositionnelle entre le pourvoi en reacutevision et lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee
risque drsquoexclure agrave nouveau lrsquoeacuteleacutement non deacutebattu (1) Une interpreacutetation plus dynamique du
texte associeacutee agrave une vision moderne de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee permettrait pourtant de
renverser la situation (2)
1 Le mutisme du nouveau texte sur lrsquoeacuteleacutement non deacutebattu
634 Lrsquoancien texte somme toute moins explicite srsquointeacuteressait deacutejagrave agrave la reacuteveacutelation
Son interpreacutetation deacutebouchait sur la mecircme conclusion que celle qui est contenue dans le
nouvel article le fait nouveau se produit lrsquoeacuteleacutement inconnu se reacutevegravele Jusqursquoagrave preacutesent non
1laquo Nul ne peut ecirctre poursuivi ou puni peacutenalement par les juridictions du mecircme Etat en raison drsquoune infraction pour laquelle il a deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute ou condamneacute par un jugement deacutefinitif conformeacutement agrave la loi et agrave la proceacutedure de cet Etat raquo V CNCDH Avis compleacutementaire op cit ndeg 3
241
reconnu lrsquoeacuteleacutement non deacutebattu ne pouvait ecirctre assimileacute agrave une reacuteveacutelation Degraves lors il parait
peu probable que la situation puisse changer dans la mesure ougrave le nouveau texte nrsquoapporte
aucun changement en ce qui concerne la deacutefinition de la reacuteveacutelation Celle-ci ne vise qursquoun
eacuteleacutement dont lrsquoexistence aveacutereacutee eacutetait neacuteanmoins inconnue au jour du procegraves Selon la doctrine
et la jurisprudence le terme laquo inconnu raquo recouvre lrsquoideacutee drsquoeacuteleacutement inconnu du dossier et
inconnu des juges Srsquoagissant de lrsquoeacuteleacutement non deacutebattu il apparaicirct dans le dossier sans
toutefois avoir eacuteteacute exploiteacute et porteacute agrave la connaissance des jureacutes
635 Reacuteveacutelation et eacuteleacutement non deacutebattu constitueraient donc deux notions bien
seacutepareacutees dont le sort de lrsquoune est ignoreacute au motif du caractegravere extraordinaire de la reacutevision
Toutefois il existe sur le plan pratique une proximiteacute entre la reacuteveacutelation et lrsquoeacuteleacutement non
deacutebattu Il semble que la jurisprudence eacuteprouve quelques difficulteacutes agrave eacutetablir une frontiegravere
nette entre les deux
636 Dans lrsquoaffaire DILS la deacutecouverte de la preacutesence concomitante sur les lieux du
crime de Francis HEAULME a eacuteteacute consideacutereacutee comme une reacuteveacutelation1 Dans le cas preacutecis si
lrsquoeacuteleacutement reacuteveacuteleacute (la preacutesence de F HEAULME) a bien existeacute au moment du prononceacute de la
condamnation deacutefinitive il eacutetait toutefois inconnu de la juridiction au jour du procegraves Crsquoest
ainsi que ni Patrick DILS ni les avocats de la deacutefense ni le magistrat instructeur ou le
ministegravere public nrsquoavaient eacutevoqueacute cet eacuteleacutement En effet les acteurs du procegraves pouvaient
lrsquoignorer reacuteellement ou bien que connu son importance a pu ecirctre meacuteconnue au point de ne
jamais avoir eacuteteacute mentionneacutee Il eacutetait donc inconnu du dossier et des jureacutes et ce nrsquoest
qursquoulteacuterieurement qursquoil a eacuteteacute porteacute agrave la connaissance de la justice Il srsquoagit donc bien drsquoune
reacuteveacutelation posteacuterieure agrave la condamnation deacutefinitive
637 Il existe toutefois des situations plus compliqueacutees et plus deacutelicates agrave analyser
Monsieur Claude MATHON illustre cette question agrave travers lrsquoexemple jurisprudentiel suivant
laquo La circonstance que lrsquoordonnance ou lrsquoarrecirct de mise en accusation devant la cour
drsquoassises contienne des contre-veacuteriteacutes nrsquoest pas nouvelle mais peut avoir pour une raison ou
une autre y compris une deacutefaillance de la deacutefense eacuteteacute neacutegligeacutee Il en va ainsi par exemple
quand lrsquoarrecirct de mise en accusation devant la cour drsquoassises rapporte que lrsquoauteur a reconnu
quatre meurtres alors qursquoen reacutealiteacute il nrsquoen a reconnu qursquoun seulhellip Crsquoest agrave lrsquooccasion de la
proceacutedure de reacutevision que ce fait srsquoest reacuteveacuteleacute2 raquo
1 Deacutecision de la Cour de reacutevision du 3 avril 2001 ndeg 99-84584 2 C MATHON op cit p 8
242
Il en retire la conclusion que la reacuteveacutelation doit laquo permettre de reacuteviser lorsqursquoil apparaicirct qursquoune
personne a eacuteteacute condamneacutee sur une base fragile1 raquo Cet exemple illustre la frontiegravere mouvante
et sensible qui seacutepare la reacuteveacutelation de lrsquoeacuteleacutement non deacutebattu Les divers aspects du cas
eacutevoqueacutes ci-dessus paraissent plus eacutepineux que les eacuteleacutements rapporteacutes dans lrsquoaffaire DILS
(eacuteleacutement inconnu du dossier et des jureacutes)
638 Dans lrsquoaffaire DEPERROIS certains eacuteleacutements contenus dans les eacutecoutes
teacuteleacutephoniques nrsquoont eacuteteacute exploiteacutes laquo ni par le magistrat instructeur pas plus que par la
deacutefense ni au cours du procegraves drsquoassises2 raquo En particulier Monsieur Jean-Michel DUMAY a
releveacute la phrase suivante dite au pegravere de la victime par lrsquoun de ces amis laquo Tu vas passer agrave la
teacuteleacute toi avec ton produit quta mis dans la Josacine 3raquo Cet eacuteleacutement passeacute sous silence lors
des deacutebats devant la cour drsquoassises a eacuteteacute agrave lrsquoorigine drsquoune demande en reacutevision Elle a eacuteteacute
rejeteacutee au motif qursquoil ne srsquoagissait pas drsquoun eacuteleacutement inconnu mais simplement drsquoun eacuteleacutement
non deacutebattu Pourtant le cas DEPERROIS est assez proche de lrsquoexemple de reacuteveacutelation citeacute
par Monsieur Claude MATHON Dans les deux cas lrsquoeacuteleacutement inexploiteacute eacutetait connu du
dossier mais laisseacute pour compte par lrsquoinstitution judiciaire Cet eacuteleacutement a ensuite servi
drsquoargument agrave une requecircte en reacutevision qui srsquoest fondeacutee sur le doute que celui-ci pourrait faire
naicirctre sur la culpabiliteacute Dans les deux cas il srsquoagit drsquoun laquo un eacuteleacutement (hellip) qui si il avait eacuteteacute
pris en consideacuteration lors du procegraves aurait vraisemblablement entraineacute un verdict
diffeacuterent raquo4
639 A nos yeux si lrsquoeacuteleacutement non deacutebattu est de nature agrave faire naicirctre un doute sur la
culpabiliteacute et permet de deacutemontrer une injustice le trouble cause agrave la seacutecuriteacute juridique nrsquoaura
pas eacuteteacute inutile De plus lrsquoeacuteleacutement non deacutebattu nrsquoayant pas contribueacute agrave lrsquoeacutelaboration de la
conviction des jureacutes au jour du prononceacute de la condamnation sa prise en compte favoriserait
une meilleure objectivisation de la deacutecision
640 Pourtant ces deux exemples illustrent les difficulteacutes du juge qui confronteacute agrave
lrsquointeacuterecirct du pourvoi en reacutevision et aux exigences de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee doit se
positionner par rapport agrave deux objectifs contradictoires Drsquoun cocircteacute il exprime sa volonteacute de
rendre la meilleure justice possible en prenant en compte les laquo contre-veacuteriteacutes de lrsquoarrecirct de
mise en accusation raquo et de lrsquoautre cocircteacute il cherche agrave garantir la stabiliteacute des deacutecisions
1 Ibid 2 Assembleacutee Nationale Rapport drsquoinformation ndeg 1598 Contribution de Madame V ROSANO p 273 3 Documentation accessible sur wwwdeperroisfreefr 4 Assembleacutee Nationale Rapport drsquoinformation ndeg 1598 Contribution de Madame V ROSANO p 273
243
deacutefinitives laquo en faisant triompher la valeur de seacutecuriteacute sur la valeur de justice 1 raquo Crsquoest ainsi
qursquoil deacutelaisse lrsquoeacuteleacutement connu mais non deacutebattu qui laquo aurait permis drsquoenvisager une autre
issue au procegraves Un amendement agrave la proposition de loi de 2014 deacuteposeacute par Monsieur le
Deacuteputeacute Paul MOLAC eacutetait favorable agrave lrsquoadmission de lrsquoeacuteleacutement non deacutebattu2 Il a eacuteteacute retireacute
sous la pression de nombreuses critiques
641 Prisonnier de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee qui est reacuteputeacutee ecirctre un adversaire du
pourvoi en reacutevision le leacutegislateur continue drsquoeacuteprouver des difficulteacutes agrave se libeacuterer de cet
enfermement Une vision plus moderne de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee aurait favoriseacute la
reconnaissance de lrsquoeacuteleacutement non deacutebattu
2 Une vision moderne de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee favorable agrave la prise en
compte de lrsquoeacuteleacutement non deacutebattu
642 La reacutedaction actuelle du texte ne constitue pas forceacutement un obstacle
insurmontable agrave la reconnaissance de lrsquoeacuteleacutement non deacutebattu Une interpreacutetation plus large du
terme laquo inconnu raquo et de la notion de reacuteveacutelation pourrait faciliter son acceptation En deacutefinitive
crsquoest plutocirct la persistance de la conception traditionnelle de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee qui
srsquooppose agrave la reconnaissance de lrsquoeacuteleacutement non deacutebattu Madame Juliette LELIEUR distingue
dans sa thegravese le fait nouvellement reacuteveacuteleacute de la preuve nouvelle laquo Lrsquoun comme lrsquoautre
fournissent certes un eacuteleacutement probatoire nouveau Mais en ce qui concerne le fait
nouvellement reacuteveacuteleacute le nouvel eacuteleacutement probatoire est relatif agrave un fait qui nrsquoa nullement eacuteteacute
pris en consideacuteration par la juridiction lors de la premiegravere action reacutepressive La preuve
nouvelle porte quant agrave elle sur un fait qui a eacuteteacute envisageacute par le juge de la premiegravere action
reacutepressive Elle se contente de donner sur ce fait un eacuteclairage nouveau3 raquo Selon lrsquoauteur
laquo cette distinction est utile car lrsquoadmission de la reacuteouverture du procegraves pour la seule raison que
de nouvelles preuves sont invoqueacutees est une source particuliegraverement dangereuse drsquoinseacutecuriteacute
juridique4 raquo
643 Srsquoagissant de la reacuteouverture organiseacutee en faveur du condamneacute seul cas preacutevu par
le droit franccedilais lrsquoauteur estime que laquo la preacutefeacuterence doit aller agrave une large possibiliteacute de
reacuteouverture Par conseacutequent pour reacutesoudre lrsquoantagonisme entre les exigences de justice et de
1 H MOTULSKY op cit p 1 2 Amendement ndeg CL2 disponible sur httpwwwassemblee-nationalefr14pdfamendements1700CION_LOISCL2pdf 3 J LELIEUR op cit ndeg 670 4 Ibid
244
seacutecuriteacute juridique dans cette hypothegravese nous suggeacuterons de partir du principe que la
reacuteouverture est possible en nuanccedilant le propos par lrsquointroduction drsquoun controcircle de
proportionnaliteacute permettant la prise en consideacuteration de lrsquoexigence de seacutecuriteacute juridique1 raquo
Ainsi selon nous Madame Juliette LELIEUR suggegravere par rapport agrave lrsquoautoriteacute de la chose
jugeacutee de porter un nouveau regard qui ne manifesterait pas systeacutematiquement une hostiliteacute agrave
lrsquoencontre de lrsquoeacuteleacutement non deacutebattu surtout lorsqursquoil est susceptible de constituer un
laquo reacuteveacutelateur pertinent2 raquo drsquoun doute sur la culpabiliteacute ou de lrsquoinnocence du condamneacute
644 Ce nouveau regard sur les relations entre lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et le pourvoi
en reacutevision srsquoavegravere indispensable agrave lrsquoeacutevolution de la reacutevision
sect 2 Une indispensable redeacutefinition des rapports entre
lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et le pourvoi en reacutevision
645 Une reacuteforme de la proceacutedure de reacutevision reacuteussie doit srsquoaccompagner drsquoune
redeacutefinition des relations entre lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et la reacutevision Toutefois il ne
srsquoagira pas en ce qui nous concerne de reacuteformer lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee Cette question a
deacutejagrave donneacute lieu agrave de nombreux travaux pas obligatoirement lieacutes au pourvoi en reacutevision Si le
leacutegislateur avait porteacute un plus grand inteacuterecirct agrave la chose la reacuteforme aurait pu gagner en
coheacuterence En effet dans la nouvelle loi le leacutegislateur srsquoenferme comme par le passeacute dans une
contradiction en facilitant drsquoun cocircteacute lrsquoouverture de la proceacutedure vers de nouveaux requeacuterants
tout en nrsquoapportant pas de lrsquoautre cocircteacute une vraie reacuteponse concernant le cas indeacutetermineacute
646 La prise en consideacuteration du deacutedoublement de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee
pourrait nous amener a priori agrave rechercher les pistes favorables agrave un rapprochement tant pour
lrsquoautoriteacute neacutegative que positive Il est certain que les nombreuses zones drsquoombre qui entourent
lrsquoautoriteacute positive de la chose jugeacutee ne peuvent que favoriser la complication des relations
entre le pourvoi en reacutevision et le concept de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee appreacutecieacute dans son
ensemble3 Toutefois le poids de lrsquoautoriteacute positive de la chose jugeacutee qui pegravese sur le pourvoi
en reacutevision est nettement moins important que celui de lrsquoautoriteacute neacutegative qui impacte
fortement la reacutevision Nous nous concentrerons sur cet aspect pour deacuteterminer dans quelle
mesure les conclusions de la thegravese de Madame Juliette LELIEUR pourraient servir au
rapprochement entre lrsquoautoriteacute neacutegative de la chose jugeacutee et le pourvoi en reacutevision 1 Ibid ndeg 674 2 Expression emprunteacutee agrave Madame Juliette LELIEUR 3 V supra ndeg 140 agrave 160
245
647 La doctrine a une propension agrave rattacher lrsquoautoriteacute neacutegative de la chose jugeacutee agrave
ne bis in idem Ce lien jugeacute deacuterangeant par Madame LELIEUR peut ecirctre consideacutereacute comme
neacutefaste agrave lrsquoeacutepanouissement du pourvoi en reacutevision (A) Sa disparition aurait pour
conseacutequence de libeacuterer la proceacutedure de reacutevision (B)
A Le lien entre laquo ne bis in idem raquo et lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee
un lien dommageable pour la reacutevision
648 Quelles sont les conseacutequences de lrsquoamalgame douteux entre ne bis in idem et
lrsquoautoriteacute neacutegative de la chose jugeacutee1 sur le pourvoi en reacutevision Premiegraverement lrsquoautoriteacute de
la chose jugeacutee est la base sur laquelle repose la proceacutedure de reacutevision De fait il est
indispensable que les contours de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee soient preacuteciseacutement deacutelimiteacutes
Lrsquoamalgame contesteacute entre ne bis in idem et lrsquoaspect neacutegatif de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee
jette un voile sur le principe de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee Comme cet amalgame repose sur
une deacuteformation des fonctions de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee2 il en ressort un flou sur les
fonctions de la reacutevision Deuxiegravemement rompre le lien entre la regravegle ne bis in idem et
lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee pourrait favoriser la prise en compte de lrsquoeacuteleacutement non deacutebattu En
lrsquoabsence drsquoune nouvelle vision de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee toute eacutevolution orienteacutee dans
cette direction risque drsquoecirctre compromise Crsquoest ainsi que laquo le rattachement de la regravegle ne bis in
idem au principe de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee nrsquoest pas seulement insatisfaisant en theacuteorie il
est eacutegalement nocif en pratique raquo3
649 En effet toutes les reacuteformes de la proceacutedure de reacutevision restent conditionneacutees aux
modaliteacutes de conception de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee Madame Juliette LELIEUR
estime que laquo si lrsquoon veut une regravegle ne bis in idem qui assure la seacutecuriteacute juridique ndash en
particulier celle de lrsquoindividu qui a deacutefinitivement reacutepondu de ses actes devant la justice ndash au
lieu de se contenter de proteacuteger le creacutedit du juge fonction que remplit deacutejagrave le principe de
lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee il faut rompre le lien entre la regravegle ne bis in idem et le principe de
lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee Osons ces termes il faut libeacuterer la regravegle ne bis in idem du carcan
dans lequel lrsquoenferme la logique de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee4 raquo Cette libeacuteration voulue par
lrsquoauteure est envisageacutee sous la forme du principe drsquouniciteacute drsquoaction reacutepressive envers la
mecircme personne pour les mecircmes faits
1 J LELIEUR op cit premiegravere partie 2 Ibid ndeg 187 3 J LELIEUR op cit p 335 4 Ibid ndeg 394
246
650 Le rattachement exclusif de la regravegle ne bis in idem agrave ce fondement mettrait fin agrave
la deacuteformation des fonctions de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee Cette nouvelle conception
constituerait un gage de libeacuteralisation de la reacutevision
B La disparition du lien entre ne bis in idem et lrsquoautoriteacute de la
chose jugeacutee un facteur de libeacuteralisation de la reacutevision
651 Libeacuterer la regravegle ne bis in idem de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee permettrait drsquoaplanir
la rivaliteacute ambiante entre lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et le pourvoi en reacutevision De cette
maniegravere la conciliation entre lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et le pourvoi en reacutevision dont
lrsquoobjectif partageacute est la preacuteservation de la paix sociale serait mieux assureacutee1
652 Lrsquoargument qui consiste agrave soutenir que cette nouvelle approche pourrait ouvrir la
porte agrave des abus et transformer la reacutevision en un troisiegraveme degreacute de juridiction ne reacutesiste pas
au raisonnement de lrsquoauteure En effet Madame Juliette LELIEUR estime que les proceacutedures
de reacuteouverture doivent demeurer des exceptions au principe drsquouniciteacute drsquoaction reacutepressive
Lrsquoexigence de justice requiert le respect de la stabiliteacute des deacutecisions et face aux difficulteacutes
lieacutees agrave la manifestation de la veacuteriteacute la possibiliteacute drsquoune reacuteouverture du procegraves baseacutee sur ce
fondement meacuterite drsquoecirctre appreacutehendeacutee avec une laquo grande prudence 2raquo
653 Vue sous cet angle la reacutevision reste lrsquoexpression de la traduction drsquoun effort de
dosage entre le perfectionnisme et la stabiliteacute En effet laquo il demeure essentiel de tenir compte
de la seacutecuriteacute juridique collective qui serait certainement en danger si les condamneacutes
pouvaient trop facilement demander la reacuteouverture du procegraves degraves lors que leur condamnation
leur paraicirct injuste Il faut donc concilier deux exigences [hellip] la justice de la deacutecision
reacutepressive revendiqueacutee par lrsquoindividu condamneacute et la seacutecuriteacute juridique agrave laquelle aspire la
collectiviteacute3 raquo
654 Lrsquoauteure poursuit la recherche drsquoun eacutequilibre entre la seacutecuriteacute juridique
collective et lrsquoexigence de justice en motivant sa deacutemarche par la faillibiliteacute intrinsegraveque de
toute deacutecision judiciaire et lrsquoimpossibiliteacute drsquoatteindre systeacutematiquement lrsquoideacuteal de la justice
Elle considegravere donc qursquoen matiegravere de reacutevision laquo lrsquoexigence de justice doit toujours guider sa
1 M-A FRISON-ROCHE D MAZEAUD laquo Avant propos raquo in Lrsquoexpertise Dalloz 1995 Le procegraves est un laquo meacutecanisme logique mis en place pour que soit eacutetabli agrave son terme le jugement le plus juste possible au regard de la situation litigieuse de la regravegle de droit adeacutequate et de la paix sociale qursquoil srsquoagit de retrouver raquo 2 J LELIEUR op cit ndeg 667 3 Ibid ndeg 673
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mise en œuvre [hellip] si bien que le principe drsquouniciteacute drsquoaction reacutepressive ne doit pas
neacutecessairement lui faire obstacle1 raquo Le principe drsquouniciteacute drsquoaction reacutepressive ouvre donc la
voie agrave une nouvelle perception de la proceacutedure de reacutevision Celle-ci en reposant sur diffeacuterents
degreacutes drsquoinjustice contenus dans une classification des deacutecisions injustes2 pourrait se libeacuterer
de son carcan conceptuel sans pour autant plonger dans les abicircmes drsquoun troisiegraveme degreacute de
juridiction
1 Ibid p518 2 Ibid p 524
248
Conclusion du chapitre 2
655 Ce chapitre nous a permis de rechercher si la nouvelle leacutegislation srsquoeacutetait inspireacutee
drsquoune approche plus moderne des relations entre lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et le pourvoi en
reacutevision Un tel changement aurait pu enteacuteriner un rapprochement entre lrsquoautoriteacute de la chose
jugeacutee et la reacutevision fondeacutee sur la preacuteservation de la paix sociale En effet la modification des
textes ne suffit pas pour atteindre lrsquoobjectif viseacute qui reste subordonneacute agrave lrsquoacceptation par les
acteurs judiciaires drsquoune conception plus moderne de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee
656 Le leacutegislateur de 2014 ne semble pas avoir voulu se precircter agrave cet exercice Certains
signaux semblant indiquer une cohabitation plus harmonieuse entre lrsquoautoriteacute de la chose
jugeacutee et le pourvoi en reacutevision ont eacuteteacute envoyeacutes dans la loi de 2014 Sont concerneacutees
lrsquoouverture de la reacutevision agrave de nouveaux requeacuterants ou encore la fusion des cas drsquoouverture Il
convient toutefois de les analyser avec prudence et circonspection les laquo vieux deacutemons raquo
nrsquoayant pas entiegraverement disparu En effet le profil type de la deacutecision susceptible drsquoecirctre
reacuteviseacutee a eacuteteacute reproduit dans la nouvelle loi ainsi que le probable refus drsquoadmettre lrsquoeacuteleacutement
non deacutebattu comme un eacuteleacutement nouveau
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Conclusion du titre 1
657 Dans ce titre a eacuteteacute poseacutee la question de savoir si le leacutegislateur avait releveacute le deacutefi
meacutethodologique qui lrsquoinvitait agrave reacuteformer efficacement la reacutevision La partie eacutemergeacutee de la
reacuteforme teacutemoigne du regraveglement de certaines difficulteacutes structurelles et conjoncturelles
contenues dans la loi de 1989 Le leacutegislateur a pris conscience de la neacutecessiteacute de reacuteformer
sensiblement la proceacutedure de reacutevision Toutefois lrsquoefficaciteacute de la reacuteforme reacuteside eacutegalement
dans des consideacuterations plus subtiles et moins voyantes touchant agrave la volonteacute de se diriger
vers une conception plus moderne de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee indispensable agrave la
libeacuteralisation de la reacutevision La reacuteussite sur ce point est plus discregravete car le changement relegraveve
agrave la fois du leacutegislateur et du juge
658 Le manque de recul par rapport agrave la loi nouvelle ne permet pas de savoir si la
jurisprudence voudra srsquoinscrire dans ce nouvel eacutelan ou srsquoen eacuteloigner
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Titre 2
Une reacuteforme agrave parachever