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CARL DUMREICHER

LITTÉRATURE ET POESIE

LYRIQUE DE GUERRE

Discours prononcé devant les éléves du col-lége danois „Efterslægtselskabets Skole" au jour anniversaire de sa fondation et publié sous les auspices de Y„Alliance frarifdise".

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COPENHAGUE

I M P R I M E R I E B I A N C O L U N O

1917

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VERDENSKRIGEN 1914-13

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CARL DUMREICHER

LITTERATURE ET POESIE

LYRIQUE DE GUERRE

Discours prononcé devant les éléves du col­lege danois „Efterslægtselskabets Skole" au jour anniversaire de sa fondation et publié sous les auspices de 1'„Alliance frangaise".

COPENHAGUE

I M P R I M E R I E B I A N C O L U N O

1917

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LA littérature de guerre —- par ce nom nous dési-{ gnons toute cette littérature innombrable que la

guerre actuelle a produite, et dont il n'est encore par­venu en Danemark qu'une assez modeste partie.

Cependant les deux grandes bibliothéques de Copen-hague, la Bibliothéque Royale et la Bibliothéque de l'Université, ont déjå formé une collection spéciale qui de jour en jour s'augmente par des achats et par des dons. Et je voudrais essayer de vous donner une idée des matériaux qui constituent les diverses rubriques des deux collections et de ce qui a provoqué leur réunion.

*

Il va de soi que c'est l'Allemagne, le pays des li­vres, qui, avant les autres, a découvert qu'il y avait lå une tåche å accomplir.

Déjå en septembre 1914, l'Association des libraires allemands lanpait un appel pour centraliser une collec­tion, aussi complete que possible, de la littérature de guerre. On comment par les chroniques de guerre, les sermons de guerre, les poémes de guerre — dont la production mensuelle se montait å 1000 environ — les illustrations et les cartes postales. Mais å cela s'ajou-terent bientöt proclamations officielles, feuilles volan-tes, brochures, dessins, affiches — la premiére affiche berlinoise, relative å la mobilisation et dont le papier a la couleur du sang, est déjå tres rare.

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Alors vinrent les premieres victoires allemandes, sui-vies de pres par les protestations et les déclarations de l'Entente, qui provoquerent å leur tour des réfutations. Le temps des brochures politiques et des Livres jaune, blanc, orange, etc. de la diplomatie était arrivé.

Ensuite ce fut au tour des photographies — nulle guerre n'a suscité une telle abondance d'illustrations photographiques — publiees dans une intention defen­sive ou patriotique (la cathédrale de Louvain avant et aprés le sac de la ville, l'empereur allemand dans une situation militaire quelconque avec sa moustache re-levée). Enfin — vers l'automne — les journaux du front.

»Der Landsturm«, l'unique journal militaire allemand édité en territoire envahi, commenpa å paraitre le onze octobre å Vouziers, et des le second numéro apparut »der Hassgesang gegen England« d un soldat bavarois, Ernest Lissauer, maintenant si fameux, et qui a eu un sort tout particulier. Vous connaissez, je pense, ce Chant de haine contre l'Angleterre, qui fut mis å Fordre du jour de l'armée par le prince royal de Baviére et qui, d'ab ord, fut tres populaire:

Nous n'avons tous qu'une haine, nous sommes unis pour aimer, unis pour hair, nous n'avons tous qu'un ennemi: L'Angleterre.

II faut avouer que, plus tard, la presse allemande a fait une Campagne rigoureuse contre ce chant de haine »qu'un chrétien ne peut lire sans dégout«, comme disaient les journaux. Lissauer lui-méme écrivit, que son chant, né sous le coup de la colere, n était pas destiné aux écoles et que ce poéme visait, non les Anglais individuellement. mais Albion, puissance poli­tique acharnée å détruire 1 Allemagne.

En 1915, le grand nombre des carnets de route du front, les premiers contes et récits de guerre et les grands exposés systématiques des motifs caches, qui avaient déterminé la guerre, venaient augmenter la litte-

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rature. Je m'arréte. Vous voyez, qu'on a assez de matériaux pour former toute une bibliothpque. Et l'état-major général des libraires allemands travaillait — je vons rends le terme caractéristique — »tadellos«. On voulait, en effet, comme le précisait une autre procla­mation, conserver tous les documents du temps héro'i-que et sacré.

* * *

Une évolution parallele se produisit successivement dans tous les autres pays belligérants. Pendant tout l'automne 1914 une véritable marée d'imprimés alle­mands débordait sur nos frontiéres. Toutes les ban-ques, toutes les grandes maisons de commerce, les comptoirs, les institutions publiques et aussi beaucoup de particuliers recevaient par la poste des tas de fac-tums imprimés ou écrits å la machine. Dans la suite, on s'est rendu compte que cette lutte sur le papier était organisée par des comités de propagande. Et les bibliotheques ont invité le public å leur adresser toutes ces notes et brochures, etc. å mesure qu'on les recevait. Grace å cette prévoyance on a pu conserver des passe-ports émis å 1'intention de marins dirigés sur les ports de mer d'Angleterre; des cartes de pain délivrés å Berlin; vignettes de Noel de Berlin å contour d'obus de teinte rouge sang et portant en caractéres noirs la légende: »Gott strafe England!« (Que Dieu punisse l'Angleterre!); enveloppes munies des timbres des diverses censures; recommandations imprimées destinées å étre jointes aux lettres censurées et invitant les correspondants å écrire briévement sur des sujets courants; cartes postales å dessins satiriques (croix de fer se transformant en croix tombales sur les immenses cimetiéres militaires; journaux .franpais avec, en derniere page, les longues listes des demandes de renseignements (le sergent X..., retenu å Y... par une blessure, voudrait des informations sur son pére, vieillard réfugié de Z...; journaux d'Allemagne ou

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les noms de théåtres non allemands sont remplacés en surcharge, par d'autres, d'une couleur plus locale, pour satisfaire å la fois aux exigences patriotiques et pratiques; journaux anglais avec des comptes rendus détaillés des discours prononcés en Parlement; mani­festes des divers partis et milieux politiques, entre au-tres le »Il n'est pas vrai...« des 93 universitaires alle­mands et la réponse de leurs confreres anglais; affiches, etc. etc. Ce sont lå des publications de peu d'étendue qui n'occupent que des rayons périphériques dans les collections de guerre des deux bibliothéques; mais, nous l'avons dit: elles apportent des témoignages précieux sur la psychologie populaire.

Dans cette abondante littérature de guerre, qui compte actuellement, d'apres les bibliographies déjå publiées, un demi-million d'exemplaires, soit un fonds égal a celui de notre Bibliothéque de 1 Université, des groupements sont déjå en voie de formation.

Le premier groupe, celui des grands Livres diplo-matiques: Livre blanc allemand, Livre jaune fran<?ais, Livre rouge austro-hongrois, Livre vert italien, Livre gris beige, Livre orange russe, etc., comprend des re-cueils de rapports des ministres plénipotentiaires, de télégrammes échangés entre les souverains, de notes et autres pieces diplomatiques des ministéres des aflaires étrangéres, tous ces monceaux de documents, que les futurs historiens auront å répartir sur les plateaux de la balance. En attendant — pour prononcer un jugement provisoire — nous opposons, tant bien que mal, récit å récit, parole å parole.

Un second groupe est constitué par les actes d ac­cusation des différents pays publiés par les commissions d'enquéte et constatant les actes de cruauté commis. Il contient les parties les plus sombres, les plus écæu-

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rantes de la littérature de guerre. Les détails des an­nexes, incontrölables å l'heure actuelle, ne sont pas faits pour étre relatés en public; ils représentent le coté noir de la guerre et de la nature humaine, la bete qui som-meille en nous et qui tout å coup se trouve déchainée: il faut du courage rien que pour en supporter la lecture.

Un troisiéme groupe est celui des illustrés volumi-neux; un quatriéme renferme les nombreuses publications juridiques ou l'on discute les questions relevant du droit des gens: les lois de guerre, les problémes nés de la circulation des bommes dans l'air et sous les flots, toute une littérature de jurisprudence engendrée, et rendue nulle souvent, le lendemain, par les avions et les sous-marins. Un cinquiéme est fait des ouvrages, d'ordre moral, religieux et philosophique, qui discu-tent les rapports de la guerre et du christianisme, de la guerre et de la femme, de l'individu et de la société et les cas de collision morale.

Des sections moins compréhensives sont constituées par des descriptions contenues dans les correspondences ou dans les souvenirs de personnes appartenant å des milieux sociaux (étudiants, juifs, officiers, canonniers, fantassins, infirmiéres, etc.) ou datant leur lettres de régions déterminées (fronts Est, Ouest, Sud); par des brochures de propagande ou par les publications qui font voir les répercussions de la guerre sur la vie privée — citons å titre d'exemple les petits livres de cuisine å bon marché — et par toute une littérature de soldat qu'a suscitée la guerre et qui met singuliérement en relief cette illusion optique, cette confusion dans les idées du bien ou du mal, de ce qui est légitime et de ce qui n'est pas justifié, qui nous frappe peut-étre da-vantage, nous les neutres: le Nouveau Testament ar-rangé pour les tranchées et le sermon de la Montagne publié sous le titre de »Jesu Worte. Dritte Kriegsaus­gabe« (Paroles de Jésus-Christ. Troisiéme édition de guerre) sont des phénoménes qui donnent å penser. On

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trouve aussi Heures ou des livres de priéres édités å l'usage des soldats catholiques ou protestants.

Et toute une catégorie de publications ont trait anx prophéties de guerre. L'occultisme et l'obscurantisme ont eu un regain de succes. Les présages, les fétiches jouent un role surprenant dans la vie des hommes de troupe. Depuis le lac pres de Lucerne aux eaux sanguines, dont la couleur a changé de fagon mystérieuse å partir de 1910, jusqu'å l'apparition, en 1913, des oiseaux sinistres, une curieuse tendance å la superstition nous reporte aux manieres de penser du moyen åge et con-traste avec les énormes progrés techniques et scienti-fiques qui doivent également étre comptés parmi les résultats de la guerre.

Erifin — quel roman policier pourrait-on lire plus palpitant d'intérét que celui, par exemple, qui s'est déroulé å Bruxelles et dont le mystérieux Dale Long était le héros. L'Allemagne croyait reconnaitre dans la signature: Dale Long un officier de l'état-major général anglais, qui aurait réussi jusqu'å present å dé-jouer toutes les recherches, alors qu'on a pu dépister ses aides. L'histoire secrete de l'espionnage est tres inte­ressante, mais naturellement tres inconnue. Et n'oublions pas la »Libre Belgique«, ce journal qui restera célébre et auquel tous les gouverneurs généraux du pays envahi font la chasse — notre Bibliothéque Royale a pu s'en procurer un seul exemplai're. En dépit du prix consi­derable (100,000 marks) proposé pour sa découverte, les Allemands n'ont pas encore pu pénétrer le secret, qui entoure le lieu oü il s'imprime, ni arriver å savoir si la rédaction se cache dans une auto de route, comme parait l'indiquer l'en-tete moqueur de la ieuille, ou dans un caveau abrité. Elle se propage par des voies introuvables et poursuit une lutte souterraine contre le glaive dont la puissance, victorieuse å tant d'autres égards, ne parvient pas å la supprimer.

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Passons maintenant å la poésie lyrique inspirée par la guerre pour y trouver l'expression la plus immédiate des pensées et des sentiments qui animent les masses des deux cotés de la ligne de feu.

Nous ne parierons qu'en passant de la poésie guer-riere anglaise.

Vous connaissez tous le Tommy Atkins des chansons de soldat de Kipling, Vhabit rouge, jadis si méprisé. aujourd'hui l'enfant choyé et gåté de toute la nation, et qui, d'ailleurs, a récemment changé son uniforme écar-late contre un équipement khaki, moins voyant et plus pratique en Campagne — vous vous rappelez sa bonne humeur å toute épreuve, son argot tout imbu du langage sportif, traduisant le fait qu'il a pu abattre huit poin­teurs allemands avant d'etre blessé å son tour par cette image qu'il a pu encaisser son enjeu avant d'etre obligé d'abandonner la partie; son conservatisme enragé qui lui fait conserver aux régiments leurs vieux noms tra-ditionnels et leurs mascottes; sa discipline librement acceptée dont on a pu dire, qu'elle était d'acier, å coté de la discipline de fer des Allemande.

Pour obténir un contraste plus frappant, voyons plutot ce qu'est la poésie lyrique allemande.

Une multitude de »Kriegsgedichte« et de »Kriegslieder« ont vu le jour depuis le 1er aoüt 1914. Mais si le nombre de recueils publiés est. grand, les sentiments qui inspirent ces poésies sont peu variés. Toutes, ou presque toutes, exhalent l'orgueil et la confiance en soi, la colore patriotique, les aspirations vers une ven­geance nationale.

On y trouve pas mal de ces banalités qui semblent jouir d une certaine popularité en Allemagne. Voici une strophe tirée d'un petit recueil ou on a réuni 600 des inscrip­tions, plus ou moins spirituelles, poétiques, lyriques ou satiriques, qu'avaient écrites å la craie, sur le mur des wagons, les soldats allemands transportés vers les fron-tiéres pendant les premiers jours de mobilisation:

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Der Kaiser sprach: »Ich bitt' dich, ach Emmich, nimm mir Lüttich!« Da sprach der Herr von Emmich: »Das nemm' ich!«

[L'Empereur a dit: »Je t'en prie — Emmich, prends-moi la cité de Liége!« — Et le seigneur d'Emmich a répondu: »Je la prendrai!«]

et les rimes, devenues celebres: Jeder Schuss — ein Russ Jeder Stoss — ein Franzos Jeder Tritt — ein Britt Jeder Klaps — ein Japs Auch in Serbien sollen sie sterben, uns in Belgien nicht behelligen.

[A chaque coup de fusil — un Russe; a chaque coup de lance — un Francis; å chaque pas — un Anglais; å chaque tape — un Japonais. Les Serbes aussi, on \a es mettre å mort; et les Belges ne nous opposeront pas d'obstacles.]

Le nombre des ennemis est de peu d'importance:

»Und wenn die Welt voll Feinde war' und keinem war' zu trauen, so fürchten wir uns dennoch nicht. Wir halten's wie der Kaiser spricht.

Wir werden sie, wir werden sie, wir werden sie verhauen.«

[Le monde serait plein d'ennemis — d'amis peu sürs — que nous n'aurions peur de rien. — Nous mettrons å execution la parole de l'Empereur. — Nous les aurons, nous les zi-gouillerons.]

Comment en serait-il autrement. line fois que l'empereur aura tiré l'épée, il faudra bien que le monde

s'enflamme: »Es drönt die Erde, es bebt die Welt. Der Kaiser, der Kaiser reitet ms Feld.«

[Le sol retentit, le monde tremble - l'Empereur, l'Em­pereur entre en Campagne.

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Dans cette poésie guerriére qui s'éléve comme portée par des millions de voix (»steigt millionenhaft«) avec une force suggestive, l'individu est englouti par la masse. De temps en temps seulement, comme dans le poéme oil Walter Heymann raconte la mort du jeune comte von Arnim, tombé dans un raid de reconnaisance sur le front Est, se dessinent les contours d'une destinée individuelle, d'une situation personnelle. Je transcris en prose ce chant de la Patrouille:

»Un homme part å cheval. Le soleil luit. En chevau-chant l'homme reconnait le pays. Oü est l'ennemi ? Le bois s'ouvre. Les rameaux lui font signe. Il entre. Pas d'en-nemi. Le chemin monte. Quelque chose brille lå-bas. Il leve la jumelle: quest-ce? La main retombe: une riviére qui miroite au soleil. Et il traverse le bois. Plus qu'une pe­tite distance å parcourir. Les oiseaux chantent. Le soleil luit. Il retombe comme sur des coussins mous. Il n'a pas entendu retentir le coup. Mais nous savons maintenant oü se tient l'ennemi.«

De temps en temps seulement — comme chez Hein­rich Lersch — on trouve une strophe touchante:

Es hat ein jeder Toter des Bruders Angesicht.

[Chacun, qui est mort, a la figure d'un frére.]

Car au-dessus de tout, au-dessus de tous une seule chose est essentielle:

»Deutschland muss Sieger werden. Deutschland muss vorwärts gehn.«

[L'Allemagne doit remporter la victoire. — L'Allemagne doit étre å la tete des nations.]

Done:

»Kämpft, bis dass die ganze Welt uns kröne, die bewundernd kniet vor unsrem Sieg!«

[Combattez, jusqu'ä ce que le monde entier nous cou-ronne en s'agenouillant devant notre victoire.]

Le nombre méme des ennemis est la preuve de la grande puissance de l'Allemagne. Mais 1'Allemagne

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saura se tirer d'affaire et a confiance dans l'ave-nir:

»Zum Saatkorn wird die Kugel, zur Furche jeder Schlag, draus einst in goldner Fülle bricht an der Erntetag.«

[Les balles deviendront autant de graines semées — chaque coup sera un coup de fourche — De tout cela jaillira la moisson dans sa plénitude.]

Car: »Deutschland muss grösser werden ! So hör' ich rufen allenwärts. Ja, es muss grösser werden, muss reichen auf der Erden in jedes Hirn und Herz.«

[II faut, que l'Allemagne grandisse — on me le crie de toutes parts. — Qui certes, l'Allemagne doit grandir son empire doit atteindre sur terre — tous les esprits et tous les cæurs.]

* * *

Rapprochons maintenant de ces accords une note franpaise, celle, par exemple, du discours prononcé å 1'Institut, dans la séance publique annuelle des cinq Académies, le 26 octobre 1914, par M. René Doumic en l'honneur du soldat de 1914:

»Le soldat de 1914... Nous ne pensons qu'å lui. Nous ne vivons que pour lui, comme nous ne vivons que par lui. Je n'ai pas choisi ce sujet: il s'est imposé å moi. Je m'excuse seulement de venir, en costume d apparat, a\ec une épée inutile, vous parler de ceux dont l'uniforme est troué de balles et le fusil noir de poudre.... Ah! c'est qu'il sait, lui, pourquoi il se bat. Ce n est pas pour 1 am­bition d'un souverain.... il se bat pour la terre ou il est né et ou dorment ses morts, il se bat pour delivrer le sol envahi et lui rendre les provinces perdues, pour que ses enfants aient le droit de penser, de parler, de sentir en fran9ais, pour qu'il y ait encore dans le monde une race fran9aise... Alors la race a rappelé du plus lointain de son

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histoire toutes ses energies pour les faire passer dans celui qui est aujourd'hui chargé de la défendre: elle a mis en lui l'endurance du laboureur penché sur son sillon, la modestie des vieux maitres qui ont fait de nos cathédrales des chefs-d'oeuvre anonymes, et la probité du bourgeois, et la patience des petites gens, et cette conscience du devoir que les meres enseignent å leurs fils, toutes ces vertus, qui, élabo-rées d'une génération å l'antre, deviennent une tradition. Et ce sont elles, toutes ensemble, que nous admirons chez le soldat de 1914 Quand elle poursuit ce but, la guerre est sublime. Elle exalte les åmes, elle les élargit, elle les purifie.... Quand, certains matins, au son du canon qui mele ses grondements å la voix mystique des cloches, dans l'église dévastée qui par toutes ses breches montre le ciel, l'aumonier fait descendre, sur le régiment qu'il accompagnera tout å l'heure au feu, la bénédiction d'en haut, tous les fronts se courbent pareillement et sentent passer sur eux le grand souffle qui vient de Dieu.

Hélas! la beauté de la lutte ne m'en c ache pas les tristesses. Combien déjå sont tombés avant d'avoir vu se réaliser ce qu'ils ont tant souhaité. Honneurs å eux, frap-pés les premiers... nous les embrassons tous dans le méme cülte de la méme piété. Puisse, gråce å eux, s'ouvrir une ére nouvelle et naitre un monde oü les peuples respireront plus librement.

Vous m'accorderez que c'est avec raison qu'on a pii dire que le »Deutschtum« est quelque chose d'ex-térieur tandis que l'esprit fran^ais est un état d'åme.

Vous verrez, en parcourant la poésie lyrique fran-<?aise, inspirée par la guerre, qu'ici il n'y a pas de fatuité nationale: le latinisme n'y est pas opposé au germanisme dans un antagonisme irréductible — on ne prétend pas étre, selon un mot de l'empereur allemand, le sei du monde. Le sentiment national, tres profond, s'élargit, devientunemaniére d'internationalisme spirituel, un cosmopolitisme de Tame, si Ton peut dire, qui sans renoncer å rien de ce qui fait les traits distinctifs du caractére franQais, assimile des éléments communs du genre humain et arrive ainsi å se faire comprendre par­tout.

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Une tolerance compréhensive, un amour ardent de la liberté, un humanitarisme indulgent, un empire de soi natif, communiquent méme å la poésie lyrique guer-riére une mesure particuliére, une marque facilement reconnaissable.

Avant de la traiter dans son ensemble, je' voudrais vous parler d'un poeme qui est le chant guerrier par excellence et dont une renaissance récente a fait vibrer les accents comme s'ils étaient d'hier, un chant qui ex-prime tous les sentiments qui animent l'armée et la réconfortent å un des moments les plus décisifs de l'histoire de France. Vous l'avez compris, c'est de la Marseillaise, que je veux parler.

Le poéte frangais Alphonse de Lamartine a formé le væu, que eet hymne national soit gardé pour les gran­des nécessités de la patrie. Et il y a eu des années ou, pour d'autres motifs, ce chant n'a pas retenti en France: pendant la durée du second Empire la Mar­seillaise était interdite; ce n'est qu'en juillet 1870, aprés la déclaration de guerre, que Napoléon III leva la défense.

Je vous passe son histoire durant la longue periode pacifique qui a précédé le jour de la revanche, ces longues années oil 1'air de marche excitant de ce chant populaire du 14 juillet nous faisait l'effet d'un chæur d'opéra qui, sans bouger, répéte indéfiniment: »Partons, quittons ces lieux« — tellement le but de la marche semblait lointain.

Et maintenant: Eh bien, si le jour de la victoire n est pas encore lå, »le jour de gloire est arrivé«. Vous me permettrez de vous décrire une situation que rappetøit derniérement un périodique franpais.

C'est au commencement du mois d'aout 1914, le troisiéme jour de la mobilisation, sur la place de la Concorde, å la nuit tombante. Interminablement les vagues de soldats, arrivant des casernes de la rive gauche, déferlent sur la place. Ils se rendent aux gares

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de l'Est ou du Nord. Ils chantent, les uns le chant

du Départ: La victoire en chantant, nous ouvre la barriere.

d'autres ont entonné le Chæur des Girondins:

Mourir pour la patrie c'est le sort le plus beau, le plus digne d'envie...

Les chants se heurtent et se contrarient dans l'obs-curité, l'air vibre de musique et du pas rythmé des soldats.

Mais il y a un point, cependant, oü, comme å un ordre muet, que tous auraient néanmoins entendu, tout change: c'est quand on arrive å eet angle, pres de la rue de Rivoli, oü, sous les couronnes et les drapeaux, la statue de Strasbourg est assise. Alors se taisent, instantanément, tous ces airs; alors tous les képis se lévent; alors un cri formidable est jeté: »Vive 1'Alsace !« Et aussitot aprés, de tous les cæurs et comme d'une seule bouche, un seul chant s'élance: la Marseillaise.

A ce moment, ajoute l'auteur franpais, se servant d'une belle image, ce chant est comme »le pain de com­munion, en temps ordinaire et par lui-méme aliment presque banal et sans pouvoir, mais qui, å de certains moments, rayonne tout å coup de vertu mystique, étant consacré comme une hostie.«

A ce moment, ce chant de la Révolution, ce chant guerrier de l'armée du Rhin, le chant de 1792, devient le chant universel de 1914, oii s'incarne l'idée élevée de la liberté.

Et il en est des assistants comme de Heinrich Heine, en 1806, å Dusseldorf, oil il était dans un lycée franpais. Rentré å son logis, il y trouve un pro-fesseur d'histoire, qu'il préfére aux autres professeurs. Il y rencontre, s'il faut en croire ses Tableaux de voyage (»Reisebilder«) un simple soldat de l'armée fran<?aise, le tambour Legrand, qui ne savait que quelques bribes d'allemand, rien que les expressions principales: Du pain

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un baiser — honneur... mais qui, quand Heinrich Heine ne savait pas ce que signifiait le mot »liberté«, n'avait qu a tambouriner la Marseillaise—: »et jo com­prise

C'est pourquoi — c'est å cause de cette universalité du chant de la liberté — qu'å Bucarest ce fut la Mar­seillaise qui éclata, quand, aprés la déclaration de guerre de la Roumanie, un drapeau d'Allemagne fut brulé sur la place publique — c'est pourquoi on l'entend sous le ciel d'ltalie — c'est pourquoi la foule l'entonna un soir å Bruxelles, lors de la réouverture d'un petit théåtre — jusqu'å ce qu'une patrouille allemande dis-persåt les manifestants.

C'est pourquoi aussi la statue de Strasbourg l'attend encore: elle attend son retour, attend le jour oü, de proche en proche, arrivant de l'Arc de Triomphe par les Champs-Iillysées jusqu'å la place de la Concorde elle enveloppe de ses ondes sonores la figure de femme, qui symbolise ce qui est resté gravé dans tous les cæurs franpais.

* * *

La poésie lyrique qu'a fait naitre la guerre actuelle — oü faut-il la chercher?

Vous la trouverez par exemple dans les journaux du front, ces journaux aux titres curieux, dont on publie en ce moment plus de cent, rédigés, dans les abris des tranchées et dans les cagnas des bois, avec ce sourire, cette belle humeur, qui caractérise le soldat

franpais: Votre esprit, qui se déploie parmi ce sol dévasté, se sent soudain vers la joie

empörte. (Maurice Bouignol.)

Le nombre est grand des sujets divers, qu ils chan-tent dans un langage qui abonde en mots nouveaux.

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Tantöt c'est le merveilleux soixante-quinze, qui chante si bien la partie de ténor, tantöt le lourd Rimailho, qui chante la basse. Et il fait chaud, quand les deux canons confondent leurs voix:

Nos »75«, nos »Rimailhos«, nous bezant å leurs trémolos, on réve å la Franc' revanchée

dans la tranchée. (Botrel.)

Tantöt c'est »Rosalie«, la bai'onnette, qui est si ex-péditive, si rapide et si »pleine de logique irrésistible«:

Elle adore entrer en danse, quand pour donner la cadence

a préludé le canon.

Rosalie! soeur glorieuse de Durandal et Joyeuse soutiens notre bon renom!

(Botrel.)

Tantöt c'est la camaraderie, comme Edmond Ros­tand, lui-méme, l'a décrite dans un sonnet, qui a pour motif la proclamation célébre du maréchal Joffre, qui commence ainsi: Camarades. . . .

La tranchée a frémi. Tous écoutent, laissant le fusil reposer sur la verte lucarne. Us savent tous le Chef en qui l'espoir s'incarne ménager de ses mots comme il Test de leur sang.

Il parle. Et, sa victoire, il la partage. On sent que quiconque å son poste obscurément s'acharne est un vainqueur aux yeux du Vainqueur de la Marne. »Camarades«, dit-il tout d'un coup... Quel accent!

De ce grand cæur aimons que ce mot brusque parte. Toi, qui savais si bien leur parler, Bonaparte, a tant d'humanité jamais tu n'accédas;

César, tu redescends vers l'homme en trois saccades quand tu dis: »Officiers, sous-officiers, soldats...« Mais Joffre est de plain-pied lorsqu'il dit: »Camarades!«

(l'Echo des Tranchées.)

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Ges soldats, qui sont si bons camarades et si bons amis, ne hai'ssent pas en vérité leur adversaire, le Boche. Le poilu le méprise pour sa lourdeur et sa grossiéreté, sa barbarie, il se moque de lui avec un vif sourire, le trouvant ridicule, mais il ne lui porte pas de haine. Il est vrai, que le Boche commet des scélératesses. Et se servant de mots, de formes bien faites pour exprimer a brutalité de l'ennemi, les poilus chantent ce refrain:

Il tua, brisa, vola, bombarda et incenclia.

Mais ils s'amusent aussi å écrire des lettres versi-fiées:

Depuis que dans tes trous, avec tes abatis, Tu croupis,

dis-moi done quels pensers roulent dans ta caboche Hé! lAlboche!

Tu crois, que tes »minen« nous colloquent la foire ? Quelle poire!

Viens done ici pour voir si je crains ta musique diabolique

et si tes hurlements font céder le troupier d'un seul pied.

On t'a dit sürement que la France battue est foutue,

que les Anglais, fichus, seront flanqués å l'eau tout de go,

enfin que sur le monde il tend son gant de fer Ton Kaiser!

A te voir si crédule, oh! que je me gondole et rigole!

Devant toi, jour et nuit, tu combats sans succes les Fran9ais.

Des Anglais, chaque jour, tu retjois — quel rosbif! sur le pif.

Sans peur nous risquons pour l'honneur du drapeau notre peau;

S'il le faut, nous mourrons, crois-le, sans défaillance pour la France!

(l'Écho de l'Argonne.)

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Et pour vous donner å l'aide d'un seul échantillon une idée de ce que sont les tranchées franpaises je veux vous dire »le poéme de la tranchée« de »1 Echo

du Ravin«:

La tranchée ? Un des plus beaux lieux que ]e connaisse pour le fier rendez-vous de toute la jeunesse. C'est la terre de France avec ses flanes ouverts; Le creuset oü se fond un nouvel univers; C'est le sillon profond oil couve la victoire: pour les uns, le Tombeau, pour les autres, la Gloire! C'est l'horizon restreint cerclé de fils de fer: Un coin de bois, un coin de champ, un coin d'enfer! C'est l'arsenal d'oü s'élancent nos bai'onnettes rouges soudain d'avoir été trop longtemps nettes! C'est le serpent qui dort aux inertes anneaux, Le rempart oü la Mort veille å tous les créneaux. C'est le nid des héros engendrés par pléiades, C'est l'élan retenu, des cris, des fusillades. C'est l'attente, c'est l'inconnu, c'est le danger! C'est la digue, oü se rompt le flot de l'étranger. C'est le dantesque bal oü dansent les obus.... Les calices du deuil ne sont point encor bus, mais un monde naitra sur des assises neuves qui sera cimenté de la douleur des veuves. C'est la boue et le sang, mais c'est le ciel, la-haut! Et les procliains rayons du soleil tendre et chaud font germer la Paix, l'oubli de la souffrance, dans les flanes entr'ouverts de la Terre de France.

Comme elle est belle, cette amitié des tranchées, cette union saerée des officiers et des hommes, qui — selon Maurice Barres — doit se continuer aprés la guerre.

Mais vous trouverez d'autres tons, qui touchent nos cæurs. Qu'elle est sublime et caractéristique, la pensée perpétuelle aux morts, aux soldats, qui sont tombés sur le champ de bataille et qui ne vivent désormais que dans la mémoire des autres. Cette pitié incessante que Maurice Barres tient pour une tres haute vertu, est cultivée aussi dans Tårne des enfants et elle donne å la guerre un double visage, lui fait un masque plein de terreur, et un autre, exprimant la douce tristesse.

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Vraiment — comme on l'a dit — ceux qui meurent pour la patrie »prendront place sur le plan du sentiment dans les destinées de la France«.

Voici une belle strophe:

Et votre part sera belle dans la récolte nouvelle des fieurs d'Immortalité, — O vainqueurs des luttes sombres! — Car vous aurez, dans leurs ombres, moissonné votre clarté ! (Jacques Norman<u

A cette pieuse mémoire se joint un empire de soi, ou le cæur domine la haine, et ce trait, si typique pour la France, se trouve dans un sonnet å la déesse de la victoire:

Lorsque tu reviendras vers la France, 6 Victoire! Redescendant des cieux de réve oü je te vois et portant dans tes bras, pour la seconde fois, les moissons de la mort et celles de la gloire;

ton vol sera plus lent et nous laissera croire, quelque mystérieuse å 1'homme que tu sois, que tu rends ton arret et qu'å jamais ta voix proclame le destin aux plaines de l'histoire.

Reste avec nous, Déesse auguste! Ne crains pas qu'un peuple de héros ensanglante ses pas et te fasse rougir de ses justes revanches.

Reste avec nous! Ce peuple est sage autant que fier: il joindra l'olivier å son glaive de fer; il ne souillera pas tes grandes ailes blanches.

(Pierre de Nolhac.)

Méme en décrivant une situation, qu'ils méprisent, ces soldats sont — pour me servir de l'expression d'un poéte tué — »soldats, ardents å la bataille, mais sans colére, quand la victoire est faite«. Témoin ce petit poéme, écrit par un jeune poéte lyrique å l'höpital mi-litaire:

Les obus allemands ont labouré le ciel, massacré la foret et déchiré la terre, et moi, je suis tombé dans ce val solitaire, blessé, sinon tué, par l'éclat d'un shrapnell.

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Suis-je mort ou vivant ? Le jour torrentiel fuit mes yeux! Le canon soudain vient de se taire. Je roule inconscient au fond d'un grand mystére: Ne suis-je pas déjå délivré du réel ?

Mais pourtant, peu å peu, je sens ma propre vie se rapprocher de moi, réanimer ma chair: la clarté rentre dans ma prunelle éblouie.

Et tout å coup je vois, sous son casque de fer, mi-penché vers mon corps sanglant parmi les roches, Un officier prussien qui retourne mes poches.

(Alfred Droin.)

Ces hommes, qui savent si bien maitriser leurs pas­sions, se consolent aussi de la perte et de la destruc­tion des cathédrales et des églises. Les vers suivants vous diront les motifs de consolation qu'ils évoquent:

Sans clochers, sans vitraux, sans rosaces, sans portes, le toit rompu, les murs noircis, le sol crevé, jonché de poutres, de gravats, de sang séché, de ces débris souillés que les soldats colportent,

les Églises, dans les campagnes, sont des mortes que lentement la pluie achéve de ronger, d'oü disparaissent les souvenirs amassés, des generations sure et vi vante escorte.

Mais ce qu'elles gardaient d'espérance et de foi, de courage, d'amour humain, d'oubli de soi, s'est répandu, comme en un nouveau sanctuaire,

plus humble encor, mais plus animé, plus ardent, le long de la tranchée ou, pour garder sa terre, s'est rétabli ce peuple unanime et fervent.

(Robert Linzeler.)

Et leurs sentiments s'étendent jusqu'å la nature, jusqu'aux arbres, comme l'expriment les vers touchants que voici:

Leur canon, pour ce soir, a fini d'aboyer: De maladroits obus ont défoncé la terre, ils n'ont tué qu'un arbre, un jeune peuplier, dont la mort fut soudaine, élégante et légére.

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Il dressait d'un jet fier son corps adolescent: Sensible au moindre souffle, il chantait å la brise, Heureux d'etre planté dans un sol nourrissant et de respirer l'air d'une patrie exquise.

Il ne s'est plaint qu'å peine, et, les bras en avant, il est tombé parmi les joncs du marécage. Il est mort, et, penchés sur son cadavre blanc, ses fréres désolés font gémir leur feuillage.

Il n'accordera plus son murmure å leur voix; ses feuilles tomberont sans attendre l'automne, et le printemps viendra ressusciter les bois sans reveiller la séve en ses veines atones.

Reijois notre pitié, jeune arbre ! Si ta mort de l'agonie humaine ignora la souffrance, elle rend plus pieuse et plus profonde encor l'amitié qui nous lie aux bons arbres de France.

(Alfred Droin.)

Mais au-dessus de la nature il y a les étres humains et au-dessus de tous les autres son! les femmes et par-ticuliérement les deux types, dont l'amour est si fort et si désintéressé: les infirmiéres et les meres. Certes, les infirmiéres — ces anges blånes de la Croix-Rouge, dans lesquels le poilu blessé croit voir l'image chérie d'une mere, d'une sæur ou bien d'une fiancée, — et en effet, il n'y a point de difTérence. Leurs sourires et leurs mains ont le méme charme mystérieux, la méme énergie, leurs yeux possédent la méme tendresse, pro­fonde et cachée. Un grand nombre de vers ont glorifié la coiffe de la sæur de Charité, les bonnets d'ambulan-ciére qui se réunissent autour des lits des soldats pour assister les sauveurs de la patrie:

Dans les grandes salles muettes, leurs moyenågeuses cornettes rappellent quelque vol d'oiseau; sous leurs simples robes de toile, leurs tailles, qu'un tablier voile, Ont des souplesses de roseau.

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Quelle harmonieuse assurance en leurs gestes précis et lents... Qu'ils sont nobles, les Anges blancs De notre Croix-Rouge de France!

(Jacques Normand.)

Quel moment heureux, quand le soldat s'éveille, se croyant encore dans la terreur des tranchées, au point d'attaque, et qu'une jeune femme, baignée de soleil, lui apporte son chocolat et ses journaux:

Et je vois, souriante et rose l'infirmiére, ange matinal, qui tout pres de mon chevet pose mon chocolat et le journal.

(Alfred Droin.)

Et les meres? Ces meres admirables, qui possedent des sentiments

si profonds, qui peuvent garder le silence — parce qu'il vaut mieux travailler que de parler et de pieurer, mais un silence assez expressif, — qui soufTrent sans aucune plainte et qui termment la lettre å leur fils sur ces mots héroiques:

il faut, il faut marcher, la victoire est devant. Je t'embrasse du fond de mon coeur, mon enfant.

Citons un seul poéme, un seul poéte — Emile Ver-haeren — et les vers oii il parle d'une mere, qui dé-plore la perte de ses trois enfants:

Elle eut trois fils; tous trois sont tombés å Boncelle. Le soir se fait. J'entends parler sa douce voix. Un trop rouge soleil joue encor dans les bois. Mais la douceur de l'ombre est flottante autour d'elle.

On dit que toute heure est pour elle une heure triste; Pourtant qu elle ne veut renoncer au malheur dont est lasse sa chair, mais dont est fier son cæur et dont la clarté belle en ses larmes persiste.

Elle s'en va, et lentement sa lente main cueille pour ses trois morts trois fleurs dans le chemin; Et mon åme s'emplit de joie involontaire å voir marcher ce deuil bienfaisant sur la terre.

(Revue de Paris.)

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On comprend que les soldats, eux aussi, quand ils songent au retour å la patrie et au foyer, s'y représen-tent la vie tranquille et heureuse, pleine de petites joies et de sentiments intimes et qu'ils la chantent, tantot sur l'air: »En revenant de noce«:

En revenant de gnerre je s'rai bien fatigué; mais ne m'en plaindrai guére^ tant j'aurai le coeur gai.

Je dirai-z-å mon pére: »je t'ai point déshonoré: D'la médaill' militaire, vois, je suis décoré!«

J'dirai-z-å mon p'tit frére: »Viens me désharnacher!« Je dirai-z-å ma mere: »Fais-moi d'la soupe au lait!«

J'embrass'rai Marie-Claire, ma jolie fiancée; Je lui dirai: »Ma chere, j'te re viens tout entier;

Avertis Monsieur l'Maire et Monsieur le Curé.... L'All'mand battu-z-en-guerre j'allons-t-y nous aimer!«

(Botrel.)

tantot avec des accents encore plus typiques pour la France:

Lorsque vou» rentrerez dans vos villes aimées, les cloohes sonneront en l'honneur des armées.

Vous verrez les enfants sur la route accourir, les bras chargés de fleurs, et pour vous en couvrir.

Afin de vous feter, vos épouses fidéles Auront mis ce jour-lå leurs robes les plus belles.

Les filles, dont les cæurs ne se sont pas lassés d'attendre, embrasseront longtemps leurs fiancés.

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Les vieux, tout engourdis par l'åge et les fatigues, se léveront pour vous bémr, enfants prodigues.

Un cortege bruyant d'animaux familiers vous escortera jusqu'au bas des escaliers.

Autour des chiens joveux, les poules plus coquettes pavoiseront avec leurs plus fines aigrettes.

Le piuson, oubliant la cage et les barreaux, lancera toutes les perles de ses pipeaux.

Et le vin moussera bien vite dans le verre. et vous commencerez les récits de la guerre.

Ce sera la douceur du retour au pays. Ce sera le réveil des printemps endormis.

Hier, la Patrie avait besoin de vos courages. Maintenant, elle vous renvoie å vos ouvrages.

La France, de ses mains maternelles et pures, vous a marqués d'un sceau divin, par vos blessures.

Vous avez le bonheur d'etre deux fois ses fils, Ayant lutté pour elle å l'heure des défis.

Salut! Honneur å vous! Graves soldats, nos maitres! Car vous étes déjå beaux comme des ancétres.

(Hippolyte Si van.)

Enfin — je parlerai d'un homme, un soldat fran-<?ais, qui est å la fois soldat, chanteur, poéte lyrique et compositeur — de Theodore Botrel.

* * *

Botrel — le chansonnier des armées — qui jusqu'ici a publié deux séries de refrains de guerre sous les titres »les Chants du bivouac« et »les Chansons de route«— c'est un type vraiment franpais.

Il est partout. Millerand, pendant qu'il était mi­nistre de la guerre, l'a autorisé å se rendre dans tous

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los dépots, camps et höpitaux pour y dire et chanter ses poémes patriotiques. Il est libre aussi de prendre tous les trains. Maurice Barres a écrit la préface de son premier livre.

Botrel a tous les tons: la bonne humeur, la satire; la mélancolie et la fierté patriotique. Il est pathétique et doux.

Et il saisit si bien la situation. En méme temps Dunkerque re<?evait la visite

des Taubes et celle du chansonnier. Botrel devait chanter dans 1'höpital Lamartine. Subitement quatre Taubes survolerent Dunkerque et laisserent tomber une vingtaine de bombes sur la ville. La premiere explo­sion se produisit au moment ou le chansonnier allait monter sur la petite estrade. Il y eut quelques cris d'effroi, un commencement de panique. La bombe était tombée å quatre metres de 1'höpital, en en brisant toutes les vitres. Une deuxiéme explosion suivit. Une balle perdue passant å travers les carreaux vint rouler aux pieds du poéte, qui la ramassa, la mit dans sa poche et dit: »On connait <?a. C'est comme au théåtre. On frappe au rideau. Au troisiéme coup, je commence.« Le troi-siéme coup arriva å point, et dans tous les lits on applaudit.

N'est-ce pas, ce sang-froid souriant est admirable? Ses soldats ne se plaignent pas:

Si je meurs (dam! faut tout prévoir) priez Dieu pour moi chaque soir et réconfortez la Marie, dites-vous — fiéres de cela — que je suis rnort en bon soldat pour la patrie.

Lours refrains s'élevent dans un mouvement ascen­dant:

c'est la guerre qu'il nous faut — c'est la revanche qu'il nous faut — c'est la gloire qu'il nous faut.

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Comme on les voit bien, ces soldats :

»v'la les Poilus, qui vont sauver la France v'la les bons Poilus, fiers et résolus.

Mais ces soldats chantent aussi les bonnes sæurs de charité, les mignonnes ambulanciéres, les coiffes blan­ches, qui dans l'ouragan volent comme des papillons vers tous les blessés sanglants. Ils chantent aussi les meres, qui disent å l'enfant:

La France est ta mere, je n'suis qu'ta p'tit' maman.

Souvent Botrel concentre ses vers autour d'une individualité, autour d'une seule åme type:

Voici de Kergolan, le légitimiste, pauvre et fier, qui au moment supreme embrasse »malgré tout« le drapeau de la République:

Il s'appelait de Kergolan, n'admettait que le Drapeau blanc tant il était Légitimiste. Il 1'était comme ses Ai'eux; fier et tétu, pauvre comme eux et, comme eux aussi, fataliste! Portait l'habit des anciens jours et mettait le méme toujours, hiver, été, printemps, automne; vint å Paris en bragou-braz *) appuyé sur un grand penn-bhaz: **)

A la Bretonne!

Cavalier souple aux clairs regards, il s'enröla dans les Hussards dont il fut bientot capitaine devint la terreur des époux: eut deux, trois quatre rendez-vous et puis les compta par douzaine; de tous les cæurs fut triomphant: du farouche qui se défend et du craintif qui se hasarde; Hop lå! tous ne faisaient qu'un saut: il vous les emportait d'assaut:

A la HoUzarde! *) Larges braies bretonnes. **) Båton breton.

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Mais voila qu'au dernier mois d'Aoüt l'orage éclatant tout å coup De Kergolan part å la guerre. II s'y bat gaiment, sans souci: La Mort est une femme aussi Le beau Breton ne la craint guére! Or, au matin de Charleroi, nous ayant crié: »Suivez-moi!« Il s'élan9a dans la fournaise: y mourut parmi ses sabreurs en embrassant les Trois Couleurs:

A la Fran£aise.

Voila la petite Gervaise, la pauvre orpheline, qui ne connait qn'une seule maniére de manifester ses sen­timents:

— Bien l'bonjour, Monsieur l'chef de gare: Est-il passé l'train des soldats? — Non! Il n'pass' point sans crier gare; espér', ma fille: il n'tard'ra pas. — Ouf! tant mieux! Vrai, j'en suis tout aise: j'tremblais d'etre en r'tard å c'coup-ci! — Mais, pourquoi done, ma pauvr' Gervaise, viens-tu, quatr' fois par jour, ici ? C'est-il point, dis, ma p'tit' dröline, que tu cherch's å voir un parent? — Non! vous l'savez: j'suis orpheline... ni per', ni frér'! — C'est different! Done, c'est un galant, que tu guettes ? ne rougis point, va! Ya pas d'quoi: T'as beau n'étr' qu'un' gardeuse d'bétes, T'es gente ainsi qu' la fill' d'un roi! — Oh! les homm's ne m'argardent guére: j'suis si pauvr' que j'compt' point pour eux. . . Mais n'empéch' que, depuis la guerre, ils sont, tertous, mes amoureux: Oui, tous ceux-la qui, pour la France, s'en vont s'fair' tuer, lå-haut, chaqu'jour j'les aim'... que e'en est un' souffrance. Mais, comment leur prouver c't'amour ? Nos »dam's« et nos »d'moisell's« — des riches — (en ont-ell's de la chanc', cell's-la!) peuv'nt leur offrir de plein's bourriches

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de fruits, de gåteaux, d'chocolat... Mais, moi, d'l'autr' coté d'la barriere, quoi fair'?... Ben, v'lä: j'les r'gard' passer et, n'avant, qu'<;a dans ma misere, j'leur envoie, å chaque, un baiser!

Et pour exprimer tout ce que la France hait — la France, qui a déclaré, qu'elle veut se montrer supérieure aux vandales, en faisant preuve des qualités et des sentiments, qui leur manquent — Botrel passe d'une chanson de Guillaume sur l'air de Malbrough:

Guillaume s'en va-t-en guerre (colossal, ya, ya, colossal) comme un tigre en colére ou comme un vieux chacal.

å la chanson du petit fusil de bois d'un petit garqon d'Alsace:

"Romagny!... Le beau village par ce jour ensoleillé! Mais, nul n'y rit au passage: il a l'air tout endeuillé!

Il l'est, en effet, d'un crime Hélas! des plus révoltants puisque la douce victime n'avait pas encor sept ans.

Tout au début de la guerre un gai petit Alsacien debout au seuil de sa mere tenait un fusil, le sien:

Un flingot bien å la taille de ses deux tout petits poings, terrible engin de bataille de vingt sous, peut-étre moins.

Soudain voici que débouche L'avant-garde d'Attila brandissant, déjå farouche, des »Mausers« — des vrais

ceux-la! —

Et la chose énerve et vexe ce petis-fils des Gaulois: par un mouvement réflexe levant son fusil de bois

il l'épaule — ö crime horrible dont la Victoire dépend! — Il vise, imitant — terrible — les coups de feu:pan,pan,pan!

A ce geste du bon möme (Paulbot revu par Hansi) un des soldats de Guillaume répond å coups de fusil.

Il tombe, le pauvre gosse; il appelle sa maman, on l'achéve å coups de crosse »Gloire au Kaiser allemand!«

»Hoch! Gott mit uns! Gloire! gloire!«

Wolff annoncera demain cette premiere victoire du vaillant Peuple germain.

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Moi, j'ai conté ton histoire, enfant-martyr, doux héros, pour que Ton garde mémoire du crime de tes bourreaux;

Et, si ton corps, petit brave, peut se retrouver encor je demande que Ton grave sur ta tombe, en lettres d'or:

»Ci-git 1'enfant qui, naguére, mit PAllemagne aux abois en partant, contre Elle, en guerre avec un fusil de bois!»

Enfin — nous quitterons Botrel, chantant sur son estrade, gentiment décorée de faisceaux tricolores et entourée de soldats, qui écoutent, qui sourient, qui applaudissent et qui forment le chæur unanime, pour retourner aux tranchées, å Jacques Normand et å son brave Trigodet:

Aprés toute une nuit d'attaques repoussées, le corps las, les bras lourds, le cerveau sans pensées, au fond de la tranchée un groupe de lignards — ces conscrits dont la guerre a fait de vieuxs grognards, — se repose. . . å moitié, redoutant quelque alerte. Un fin brouillard s'étend sur la plaine déserte... Et voici que lå-bas une forme grandit, se précise, s'avance, et, petit å petit, arrive, en se courbant sous la balle qui siffie.. .

»— Te dépécheras-tu ? — Crains-tu qu'on t'écornifle?....

— As-tu peur pour ta boite ou pour tes os ?. . . — Malheur!

Un vaguemeste, 9a?... C'est pas méme un facteur!«

Enfin, voici les chéres lettres attendues! Vers l'homme, brusquement, trente mains sont tendues. . . Mais lui, railleur un peu, ménageant son effet:

»— Une lettre. . . une seule!.. . Elle est pour Trigodet!«

C'est un petit Normand, å tignasse carotte, maigre, avec un grand nez badigeonné de crotte, de la classe »quatorze«, un gamin. Il rougit de se sentir le seul auquel on ait écrit. . . Tous ces regards tournés vers lui, dam! 9a le glace. . . Il voudrait s'avancer, mais.. . mais il reste en place.

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»— Eh ! le gösse! Pour sür, t'as les pieds en saindoux ?«

Dit ud Parisien loustic, un peu jaloux tout de méme, car il n'a rien å son adresse. Trigodet a rougi plus fort, mais se redresse, s'avance, prend la lettre et, tres na'ivement, regardant l'écriture, il dit:

»C'est de maman!«

Et comme il va l'ouvrir: »Voyez le sale gösse!»

Dit le Parisien; »il est seul å la noce, et pour lui seul monsieur veut garder le gåteau. . . Puisque c'est de maman, lis ta lettre tout haut! £a nous fera plaisir d'avoir de ses nouvelles.. .«

Et Trigodet, fixé par soixante prunelles, déchire l'enveloppe et tres lent, mot å mot, (car on n'est pas savant!) il lit:

»Mon p'tit Pierrot, j'ai bien re§u ta lettre et je t'en remercie. J'apprends avec plaisir que t'es toujours en vie, méme que tu vas ben, å ce que tu me dis, malgré les froids d'hiver et les Boches maudits. les gueux!... en ont-ils fait! Mets en beaucoup par terre, mais sans risquer par trop ta peau, qui m'est ben chére! je t'envoie un tricot de laine, des bas bleus, un cache-nez... (On sait combien que t'es frileux). C'est tout pour cette fois, j'pouvions point da vantage. Chacun souffre, au pays. . . J'ai presque plus d'ouvrage. . . Depuis qu'ton pére est mort, §a n'va guére chez nous, tu le sais. . . Moi, j'ai toujours mal dans les genoux. . . puis un gros rhume. . . Enfin! tant pis pour ma carcasse, pourvu que t'ailles ben... et pourvu qu'on les chasse!. . . C'est tout ce que j'demande au Bon Dieu, pour l'instant. . . Je te bige ben fort, mon Pierrot, mon enfant!«

Tous, ils ont écouté la lettre sans rien dire et, des les premiers mots, ils ont cessé de rire. Et quand ce fut fini, réveurs, silencieux, ces fiers »poilus« avaient des larmes dans les yeux, car ils croyaient entendre, en ces heures améres, par la mere d'un seul, parler toutes leurs meres. . .

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Puis le Parisien s'écria: »Nom d'un chien!

Si ta mere écrit peu, fiston, elle écrit bien ! Quand tu lui répondras, si tn veux le permettre, au nom des camaros, mets-lui 9a dans ta lettre!«

Et le sacré blagueur, dont le cæur débordait, sur sa bonne frimousse embrassa Trigodet.

Voila le soldat franpais, facile au sourire et facile aussi aux larmes. Il n'est pas un numéro, une machine, il ne disparait pas dans la masse. Il est une indivi­duality, animée de sentiments que nous comprenons, nous aussi. Il fait la garde de plus que de la France, il est la grand'garde de tous les droits éternels de l'homme, de tous les idéaux immortels, comme l'ex-prime si bien Paul Fort:

Par cette nuit d'hiver, au clair de lune froid, le soldat n'écoute plus son cæur et ne s'entend plus vivre. Toute pensée, il veille et songe å ce qu'il sonde, pour la gloire de France et pour la paix du monde. . .

Épouse, pére, mere, enfants, ne venez pas, doux fanto­mes, toucher le front de ce soldat — qui n'est plus un soldat — mais se sent devenir le responsable dieu des temps qui vont surgir.

Non nobis — c'est bien lå la devise du college, aux éléves duquel je viens d'avoir l'honneur de parler.

Page 37: DET KONGELIGE BIBLIOTEK THE ROYAL LIBRARY · 2012. 7. 4. · Le temps des brochures politiques et des Livres jaune, blanc, orange, etc. de la diplomatie était arrivé. Ensuite ce
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