'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

50
4HYJ (YTLUNH\K 7OPSVZVWOL L[ HY[PZ[L 4LTIYL KL S»H[LSPLY (>7 ,UZLPNUHU[ n S»,5:(74 CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE malaquais

description

Author Marc Armengaud, ENSAPM, Paris, 2009

Transcript of 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

Page 1: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

malaquais

malaquais

Page 2: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

Page 3: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

Page 4: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

Pour explorer l’actualité du dessin et des modes de représentation qui intéressent l’architecture, je vais faire une proposition : c’est peut-être la difficulté que nous avons à nous représenter le territoire contemporain qui nous rend le goût du dessin. Ou plutôt qui réinitialise un besoin physique d’exprimer les territoires que l’on a explorés, qui est peut-être une nouvelle façon de dessiner.

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

Matthieu Mével, Toronto Troll, 2005

Page 5: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

Pour explorer l’actualité du dessin et des modes de représentation qui intéressent l’architecture, je vais faire une proposition : c’est peut-être la difficulté que nous avons à nous représenter le territoire contemporain qui nous rend le goût du dessin. Ou plutôt qui réinitialise un besoin physique d’exprimer les territoires que l’on a explorés, qui est peut-être une nouvelle façon de dessiner.

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

Matthieu Mével, Toronto Troll, 2005

Page 6: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

5

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

1. RATURES

Avant de vous raconter une histoire édifiante – ou comment j’ai appris à dessiner avec mes pieds –, j’ai réuni quelques remarques sur les termes de cette invitation, comme on fait son sac avant de partir pour un voyage.

Ce qui m’intéresse dans le dessin, c’est la question de la fidélité au monde, et en même temps la possibilité subjective de le trahir pour le réinventer en s’immisçant, et enfin la déprise de soi que suppose l’exercice corporel du dessin : laisser mon corps être l’intermédiaire, le lieu où le monde prend sens pour moi de manière intime et productive. Cette circularité de conquêtes et d’abandons me paraît essentielle et, comme figure corporelle, très amoureuse.

Ce qui m’intéresse dans la représentation, c’est qu’elle expose les relations de la conscience avec le « dehors » : comment interprétons-nous le réel pour lui donner sens ? Avons-nous besoin d’expériences préalables pour construire nos représentations, ou sont-elles l’acte même de la pensée, que nous projetons sur le réel, et que l’expérience ne fera ensuite que vérifier, éventuellement contredire ? Ce ne sont pas les paradoxes de la conscience solitaire, car la représentation est toujours une rencontre entre le point de vue individuel et des compositions collectives, une discussion, une mise en risque même. En s’affranchissant de l’expérience, la représentation s’entend au sens de production esthétique, possibilité d’instiller un second degré au ressenti, et – cas particulier – dans un sens théâtral : l’expérience collective d’une modélisation du monde. Ces dispositifs vivants qui cristallisent une relation entre le figuré et un public fasciné tendent à devenir le mode prioritaire d’expérience de la réalité : le spectacle. Au point que la représentation ne serait plus la porte mais le déni d’accès au réel, auquel est substitué le simulacre.

6

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

Enfin, les moyens de la représentation doivent-ils être envisagés comme moyens techniques, taillés pour répondre à la finalité de l’action, de la production, ou comme les conditions qui rendent possible une représentation ? Ce cycle de conférences nous invite notamment à dresser un premier bilan des bouleversements entraînés par l’apparition de nouveaux moyens techniques de représentation, mais est-ce comme outil qu’il faut s’intéresser aux technologies numériques, ou comme phénomène du monde ? Inversons : avant de discuter les moyens de représentation de nos idées, quelles sont les idées que nous voulons représenter et, s’agissant du dessin, que devrait chercher à traduire un acte d’expression qui serait de l’ordre du dessin ?

L’actualité du dessin peut-elle nous guider ? Artistes, architectes ou graphistes forment un grand laboratoire planétaire en pleine ébullition. La création graphique est libérée de l’opposition réel/virtuel et portée par l’énergie de la globalisation qui a faim de signes plutôt que d’écriture. Convergence : les outils numériques de représentation sont les mêmes dans une agence de graphisme, d’architecture ou dans un studio de cinéma, et les scènes de l’art contemporain, de l’aménagement spatial ou des subcultures ne cessent de se rencontrer.

On peut citer quelques thèmes : la narration incarnée par des personnages, la théâtralisation du dessin, le détournement et l’éclectisme, la tension entre ornement et minimalisme, le goût pour les paradoxes perceptifs, la réversibilité entre 2D et 3D (entre installation et signe), l’influence de la mode et de l’architecture, les natures artificielles et les paysages suburbains… Ce qui peut nous intéresser dans ces pratiques, ce ne sont pas les moyens mais les types de

Page 7: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

5

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

1. RATURES

Avant de vous raconter une histoire édifiante – ou comment j’ai appris à dessiner avec mes pieds –, j’ai réuni quelques remarques sur les termes de cette invitation, comme on fait son sac avant de partir pour un voyage.

Ce qui m’intéresse dans le dessin, c’est la question de la fidélité au monde, et en même temps la possibilité subjective de le trahir pour le réinventer en s’immisçant, et enfin la déprise de soi que suppose l’exercice corporel du dessin : laisser mon corps être l’intermédiaire, le lieu où le monde prend sens pour moi de manière intime et productive. Cette circularité de conquêtes et d’abandons me paraît essentielle et, comme figure corporelle, très amoureuse.

Ce qui m’intéresse dans la représentation, c’est qu’elle expose les relations de la conscience avec le « dehors » : comment interprétons-nous le réel pour lui donner sens ? Avons-nous besoin d’expériences préalables pour construire nos représentations, ou sont-elles l’acte même de la pensée, que nous projetons sur le réel, et que l’expérience ne fera ensuite que vérifier, éventuellement contredire ? Ce ne sont pas les paradoxes de la conscience solitaire, car la représentation est toujours une rencontre entre le point de vue individuel et des compositions collectives, une discussion, une mise en risque même. En s’affranchissant de l’expérience, la représentation s’entend au sens de production esthétique, possibilité d’instiller un second degré au ressenti, et – cas particulier – dans un sens théâtral : l’expérience collective d’une modélisation du monde. Ces dispositifs vivants qui cristallisent une relation entre le figuré et un public fasciné tendent à devenir le mode prioritaire d’expérience de la réalité : le spectacle. Au point que la représentation ne serait plus la porte mais le déni d’accès au réel, auquel est substitué le simulacre.

6

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

Enfin, les moyens de la représentation doivent-ils être envisagés comme moyens techniques, taillés pour répondre à la finalité de l’action, de la production, ou comme les conditions qui rendent possible une représentation ? Ce cycle de conférences nous invite notamment à dresser un premier bilan des bouleversements entraînés par l’apparition de nouveaux moyens techniques de représentation, mais est-ce comme outil qu’il faut s’intéresser aux technologies numériques, ou comme phénomène du monde ? Inversons : avant de discuter les moyens de représentation de nos idées, quelles sont les idées que nous voulons représenter et, s’agissant du dessin, que devrait chercher à traduire un acte d’expression qui serait de l’ordre du dessin ?

L’actualité du dessin peut-elle nous guider ? Artistes, architectes ou graphistes forment un grand laboratoire planétaire en pleine ébullition. La création graphique est libérée de l’opposition réel/virtuel et portée par l’énergie de la globalisation qui a faim de signes plutôt que d’écriture. Convergence : les outils numériques de représentation sont les mêmes dans une agence de graphisme, d’architecture ou dans un studio de cinéma, et les scènes de l’art contemporain, de l’aménagement spatial ou des subcultures ne cessent de se rencontrer.

On peut citer quelques thèmes : la narration incarnée par des personnages, la théâtralisation du dessin, le détournement et l’éclectisme, la tension entre ornement et minimalisme, le goût pour les paradoxes perceptifs, la réversibilité entre 2D et 3D (entre installation et signe), l’influence de la mode et de l’architecture, les natures artificielles et les paysages suburbains… Ce qui peut nous intéresser dans ces pratiques, ce ne sont pas les moyens mais les types de

Page 8: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

6

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

Enfin, les moyens de la représentation doivent-ils être envisagés comme moyens techniques, taillés pour répondre à la finalité de l’action, de la production, ou comme les conditions qui rendent possible une représentation ? Ce cycle de conférences nous invite notamment à dresser un premier bilan des bouleversements entraînés par l’apparition de nouveaux moyens techniques de représentation, mais est-ce comme outil qu’il faut s’intéresser aux technologies numériques, ou comme phénomène du monde ? Inversons : avant de discuter les moyens de représentation de nos idées, quelles sont les idées que nous voulons représenter et, s’agissant du dessin, que devrait chercher à traduire un acte d’expression qui serait de l’ordre du dessin ?

L’actualité du dessin peut-elle nous guider ? Artistes, architectes ou graphistes forment un grand laboratoire planétaire en pleine ébullition. La création graphique est libérée de l’opposition réel/virtuel et portée par l’énergie de la globalisation qui a faim de signes plutôt que d’écriture. Convergence : les outils numériques de représentation sont les mêmes dans une agence de graphisme, d’architecture ou dans un studio de cinéma, et les scènes de l’art contemporain, de l’aménagement spatial ou des subcultures ne cessent de se rencontrer.

On peut citer quelques thèmes : la narration incarnée par des personnages, la théâtralisation du dessin, le détournement et l’éclectisme, la tension entre ornement et minimalisme, le goût pour les paradoxes perceptifs, la réversibilité entre 2D et 3D (entre installation et signe), l’influence de la mode et de l’architecture, les natures artificielles et les paysages suburbains… Ce qui peut nous intéresser dans ces pratiques, ce ne sont pas les moyens mais les types de

Élaboration par AWP de la charte graphique et de la scénographie de la Biennale d’art, architecture et paysage de Dieppe, 2007

Élaboration par AWP de la charte graphique et de la scénographie de la Biennale d’art, architecture et paysage de Dieppe, 2007

Page 9: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

6

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

Enfin, les moyens de la représentation doivent-ils être envisagés comme moyens techniques, taillés pour répondre à la finalité de l’action, de la production, ou comme les conditions qui rendent possible une représentation ? Ce cycle de conférences nous invite notamment à dresser un premier bilan des bouleversements entraînés par l’apparition de nouveaux moyens techniques de représentation, mais est-ce comme outil qu’il faut s’intéresser aux technologies numériques, ou comme phénomène du monde ? Inversons : avant de discuter les moyens de représentation de nos idées, quelles sont les idées que nous voulons représenter et, s’agissant du dessin, que devrait chercher à traduire un acte d’expression qui serait de l’ordre du dessin ?

L’actualité du dessin peut-elle nous guider ? Artistes, architectes ou graphistes forment un grand laboratoire planétaire en pleine ébullition. La création graphique est libérée de l’opposition réel/virtuel et portée par l’énergie de la globalisation qui a faim de signes plutôt que d’écriture. Convergence : les outils numériques de représentation sont les mêmes dans une agence de graphisme, d’architecture ou dans un studio de cinéma, et les scènes de l’art contemporain, de l’aménagement spatial ou des subcultures ne cessent de se rencontrer.

On peut citer quelques thèmes : la narration incarnée par des personnages, la théâtralisation du dessin, le détournement et l’éclectisme, la tension entre ornement et minimalisme, le goût pour les paradoxes perceptifs, la réversibilité entre 2D et 3D (entre installation et signe), l’influence de la mode et de l’architecture, les natures artificielles et les paysages suburbains… Ce qui peut nous intéresser dans ces pratiques, ce ne sont pas les moyens mais les types de

Élaboration par AWP de la charte graphique et de la scénographie de la Biennale d’art, architecture et paysage de Dieppe, 2007

Élaboration par AWP de la charte graphique et de la scénographie de la Biennale d’art, architecture et paysage de Dieppe, 2007

Page 10: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

9

relation au réel qu’ils engagent, et donc les idées qu’ils véhiculent. À moins qu’ils ne dessinent qu’eux-mêmes ? Regardent-ils le dehors ? Y a-t-il encore un extérieur à la sphère de la représentation ? Que serait un dehors qui échappe à la conscience, qu’elle n’arrive pas à représenter ?

Se dessine dans ces signes une interrogation sur notre relation au réel. On pourrait s’inquiéter que le contexte de ces productions graphiques soit déterminé par des objectifs de communication, mais il est d’autant plus frappant que soit manifeste l’état de notre relation au monde : phénomène d’éclatement de nos facultés de perception, dû à l’impact des nouveaux outils mais aussi à une drôle de symétrie entre un monde virtuel fait de réseaux diffractés, et le territoire réel qui se décentre à son tour, ses hiérarchies structurantes entrées en crise et dérivant.

On verra plus loin que nous ne sommes pas du tout engagés dans une fascination pour notre propre dérive : en réalité, c’est le territoire qui dérive (parfois plaque tectonique, parfois tapis volant), et ce que nous essayons de faire, c’est de le rattraper et d’y prendre position. Je propose donc de prendre la question à partir d’un défi à nos capacités de représentation : la déterritorialisation. Comment réinventer l’idée du dessin, entendu comme intimité du corps avec le monde, pour rendre possibles sa restitution et sa transmission, si ce monde est diffracté ? L’éclatement du réel, c’est d’abord un enjeu de perception. Avant de théoriser un mode d’expression du réel, il faut donc s’engager dans son expérience, entrer dans un corps à corps.

Élaboration par AWP de la charte graphique et de la scénographie de la Biennale d’art, architecture et paysage de Dieppe, 2007

Page 11: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

9

relation au réel qu’ils engagent, et donc les idées qu’ils véhiculent. À moins qu’ils ne dessinent qu’eux-mêmes ? Regardent-ils le dehors ? Y a-t-il encore un extérieur à la sphère de la représentation ? Que serait un dehors qui échappe à la conscience, qu’elle n’arrive pas à représenter ?

Se dessine dans ces signes une interrogation sur notre relation au réel. On pourrait s’inquiéter que le contexte de ces productions graphiques soit déterminé par des objectifs de communication, mais il est d’autant plus frappant que soit manifeste l’état de notre relation au monde : phénomène d’éclatement de nos facultés de perception, dû à l’impact des nouveaux outils mais aussi à une drôle de symétrie entre un monde virtuel fait de réseaux diffractés, et le territoire réel qui se décentre à son tour, ses hiérarchies structurantes entrées en crise et dérivant.

On verra plus loin que nous ne sommes pas du tout engagés dans une fascination pour notre propre dérive : en réalité, c’est le territoire qui dérive (parfois plaque tectonique, parfois tapis volant), et ce que nous essayons de faire, c’est de le rattraper et d’y prendre position. Je propose donc de prendre la question à partir d’un défi à nos capacités de représentation : la déterritorialisation. Comment réinventer l’idée du dessin, entendu comme intimité du corps avec le monde, pour rendre possibles sa restitution et sa transmission, si ce monde est diffracté ? L’éclatement du réel, c’est d’abord un enjeu de perception. Avant de théoriser un mode d’expression du réel, il faut donc s’engager dans son expérience, entrer dans un corps à corps.

Élaboration par AWP de la charte graphique et de la scénographie de la Biennale d’art, architecture et paysage de Dieppe, 2007

Page 12: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

Élaboration par AWP de la charte graphique et de la scénographie de la Biennale d’art, architecture et paysage de Dieppe, 2007

Élaboration par AWP de la charte graphique et de la scénographie de la Biennale d’art, architecture et paysage de Dieppe, 2007

Page 13: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

Élaboration par AWP de la charte graphique et de la scénographie de la Biennale d’art, architecture et paysage de Dieppe, 2007

Élaboration par AWP de la charte graphique et de la scénographie de la Biennale d’art, architecture et paysage de Dieppe, 2007

Page 14: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

14

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

2. LA ROUTE DE L’AÉROPORT

Pour moi, il y a eu une première fois : où j’ai réinitialisé ma perception du territoire, comme si c’était un logiciel. Il y a un avant et un après. C’est mon cogito personnel, un cogito territorial. Il faut des conditions un peu particulières : Descartes nous raconte qu’il était seul dans une pièce pauvre, déshabillé devant un poêle, avec pour seul entourage une servante affligée d’un fort strabisme. Apparemment, les femmes qui louchent n’intéressaient pas le philosophe, et dans cette solitude de l’hiver, il s’est ennuyé au point de se rendre compte que le simple fait de penser lui garantissait le fait d’exister. Ma propre expérience fondatrice est bien différente : elle a eu lieu dehors, sous l’emprise de vives émotions amoureuses, et dans une confusion partagée avec celle du territoire exploré.

Cette histoire commence dans une file d’attente de cinéma : une étudiante danoise m’avait demandé l’heure, nous avions vu Les Idiots de Lars von Trier, côte à côte, hilares et gênés. Mais malgré plusieurs autres rencontres, elle rentra dans son pays sans avoir concédé mieux qu’une poignée de main un peu prolongée. Après quelques jours de réflexion, j’annonçais : j’arrive. Elle répondit : je t’attendais.

Porté par un souffle héroïque, je pris le premier avion et, trop pressé d’arriver, je sautais dans le premier bus vers le centre-ville (un détail d’importance…). Les sens dilatés par l’anticipation des retrouvailles, observer le paysage c’était comme être bombardé d’informations qui semblaient toutes cruciales ! Par la fenêtre, défilaient les arrières d’un port proposant à la fois des scènes postindustrielles, des maisonnettes de pêcheurs en bois, des édifices portuaires anciens et des immeubles

Page 15: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

14

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

2. LA ROUTE DE L’AÉROPORT

Pour moi, il y a eu une première fois : où j’ai réinitialisé ma perception du territoire, comme si c’était un logiciel. Il y a un avant et un après. C’est mon cogito personnel, un cogito territorial. Il faut des conditions un peu particulières : Descartes nous raconte qu’il était seul dans une pièce pauvre, déshabillé devant un poêle, avec pour seul entourage une servante affligée d’un fort strabisme. Apparemment, les femmes qui louchent n’intéressaient pas le philosophe, et dans cette solitude de l’hiver, il s’est ennuyé au point de se rendre compte que le simple fait de penser lui garantissait le fait d’exister. Ma propre expérience fondatrice est bien différente : elle a eu lieu dehors, sous l’emprise de vives émotions amoureuses, et dans une confusion partagée avec celle du territoire exploré.

Cette histoire commence dans une file d’attente de cinéma : une étudiante danoise m’avait demandé l’heure, nous avions vu Les Idiots de Lars von Trier, côte à côte, hilares et gênés. Mais malgré plusieurs autres rencontres, elle rentra dans son pays sans avoir concédé mieux qu’une poignée de main un peu prolongée. Après quelques jours de réflexion, j’annonçais : j’arrive. Elle répondit : je t’attendais.

Porté par un souffle héroïque, je pris le premier avion et, trop pressé d’arriver, je sautais dans le premier bus vers le centre-ville (un détail d’importance…). Les sens dilatés par l’anticipation des retrouvailles, observer le paysage c’était comme être bombardé d’informations qui semblaient toutes cruciales ! Par la fenêtre, défilaient les arrières d’un port proposant à la fois des scènes postindustrielles, des maisonnettes de pêcheurs en bois, des édifices portuaires anciens et des immeubles

Page 16: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

14

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

2. LA ROUTE DE L’AÉROPORT

Pour moi, il y a eu une première fois : où j’ai réinitialisé ma perception du territoire, comme si c’était un logiciel. Il y a un avant et un après. C’est mon cogito personnel, un cogito territorial. Il faut des conditions un peu particulières : Descartes nous raconte qu’il était seul dans une pièce pauvre, déshabillé devant un poêle, avec pour seul entourage une servante affligée d’un fort strabisme. Apparemment, les femmes qui louchent n’intéressaient pas le philosophe, et dans cette solitude de l’hiver, il s’est ennuyé au point de se rendre compte que le simple fait de penser lui garantissait le fait d’exister. Ma propre expérience fondatrice est bien différente : elle a eu lieu dehors, sous l’emprise de vives émotions amoureuses, et dans une confusion partagée avec celle du territoire exploré.

Cette histoire commence dans une file d’attente de cinéma : une étudiante danoise m’avait demandé l’heure, nous avions vu Les Idiots de Lars von Trier, côte à côte, hilares et gênés. Mais malgré plusieurs autres rencontres, elle rentra dans son pays sans avoir concédé mieux qu’une poignée de main un peu prolongée. Après quelques jours de réflexion, j’annonçais : j’arrive. Elle répondit : je t’attendais.

Porté par un souffle héroïque, je pris le premier avion et, trop pressé d’arriver, je sautais dans le premier bus vers le centre-ville (un détail d’importance…). Les sens dilatés par l’anticipation des retrouvailles, observer le paysage c’était comme être bombardé d’informations qui semblaient toutes cruciales ! Par la fenêtre, défilaient les arrières d’un port proposant à la fois des scènes postindustrielles, des maisonnettes de pêcheurs en bois, des édifices portuaires anciens et des immeubles

verre/métal flambant neufs de part et d’autre de l’avenue. Et j’eus cette intuition – car quand on ne comprend pas ce que l’on voit, les philosophes nous rassurent en nous disant qu’il y a une autre technique de compréhension – nous sommes au Danemark, rien n’est fait par hasard, ce décor est un message composé à l’attention des passagers de ce bus. Dans un pays organisé comme Legoland, ville, entreprises et aéroport ont écrit ensemble le scénario d’une entrée symbolique dans la ville. Je descendis donc du bus avec cette théorie, ma première théorie territoriale : aujourd’hui, on arrange le paysage comme un discours de marketing et l’architecture est la ponctuation de ce discours, comme en d’autres temps à Versailles, Berlin ou Bucarest, elle théâtralisait une emprise politique. Mais, las, était-ce la théorie ou la pratique, la jeune fille n’était toujours pas suffisamment sensible à mes histoires, et je compris rapidement que ce voyage serait plus une autre entrée de ville par voie d’eau.

Repassant par Copenhague le jour avant le vol de retour, je fis quelque chose d’inexplicable (car entre philosophie et écriture de scénarios, je n’étais alors en aucun cas concerné par le destin des villes) : je louai un vélo pour cinq couronnes, une sorte de BMX à roues pleines. Et sortis du centre-ville : il faut que j’en ai le cœur net, qu’y a-t-il sur la route de l’aéroport ? On me faisait de grands signes : c’est interdit, Monsieur ! Je persistais : dans les arrières du port battus par le vent, avec des roues pleines, au bout de 5 kilomètres je n’avançais plus, titubais et voyais trouble... Qu’importe, pour la première fois de ma vie, je faisais cette chose si importante : aller vérifier une intuition, voir comment un territoire était en train de se faire et de se défaire. Porté par l’énergie bachique des Idiots de von Trier, ce fut enfin le second souffle, une clarté : ce grand

16

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

paysage baigné de soleil et de vent était un état ambigu, ni beau ni laid, ni fini ni présent, ni fort ni fou... Forêts de cheminées, remparts de brique masquant des terrains viabilisés pour des usages futurs, sièges sociaux à peine livrés en forme de temples néo-romains tout en colonnades et atriums portant haut le discours de l’Empire (marbre et haubans, verres miroirs et logos géants), quais industriels en attente d’un autre destin, petits ports de plaisance, une réserve naturelle sur l’autre rive, les bassins de l’écluse sous l’échangeur où des épaves transformées en maisons-bateaux forment un étrange bidonville flottant, des canalisations suspendues qui redessinent dans le ciel les organisations du sol… Les traces du passé et les transformations en cours formaient un équilibre fascinant, une mélodie de strates. Ce ne pouvait être le fait du hasard, c’était une nouvelle idée d’urbanité, composée avec un matériau difficile : le temps. En revenant exténué de cette odyssée dantesque et minuscule, je me suis dit : tu n’as pas eu la fille, mais tu as découvert la Route de l’aéroport.

Contrairement au récit de Descartes, ma propre illumination n’a donc pas pris tout son sens en une soirée d’hiver : ce n’était que le début d’une suite de désorientations ! Le hasard (?) m’a ramené sans cesse sur cette route depuis dix ans, et alors que je croyais tenir une certitude sur la Route de l’aéroport, je devais découvrir à chaque fois qu’elle avait changé d’itinéraire !

En effet, deux ans plus tard, ma Route de l’aéroport avait muté : plus personne ne perdait son temps en bus, puisqu’un train reliait désormais la ville à l’aérogare en douze minutes. Ce train ne proposait plus aucun point de vue sur la ville recomposée, car il est tellement efficace que c’est lui le message : la ville a internalisé son message dans

Page 17: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

14

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

2. LA ROUTE DE L’AÉROPORT

Pour moi, il y a eu une première fois : où j’ai réinitialisé ma perception du territoire, comme si c’était un logiciel. Il y a un avant et un après. C’est mon cogito personnel, un cogito territorial. Il faut des conditions un peu particulières : Descartes nous raconte qu’il était seul dans une pièce pauvre, déshabillé devant un poêle, avec pour seul entourage une servante affligée d’un fort strabisme. Apparemment, les femmes qui louchent n’intéressaient pas le philosophe, et dans cette solitude de l’hiver, il s’est ennuyé au point de se rendre compte que le simple fait de penser lui garantissait le fait d’exister. Ma propre expérience fondatrice est bien différente : elle a eu lieu dehors, sous l’emprise de vives émotions amoureuses, et dans une confusion partagée avec celle du territoire exploré.

Cette histoire commence dans une file d’attente de cinéma : une étudiante danoise m’avait demandé l’heure, nous avions vu Les Idiots de Lars von Trier, côte à côte, hilares et gênés. Mais malgré plusieurs autres rencontres, elle rentra dans son pays sans avoir concédé mieux qu’une poignée de main un peu prolongée. Après quelques jours de réflexion, j’annonçais : j’arrive. Elle répondit : je t’attendais.

Porté par un souffle héroïque, je pris le premier avion et, trop pressé d’arriver, je sautais dans le premier bus vers le centre-ville (un détail d’importance…). Les sens dilatés par l’anticipation des retrouvailles, observer le paysage c’était comme être bombardé d’informations qui semblaient toutes cruciales ! Par la fenêtre, défilaient les arrières d’un port proposant à la fois des scènes postindustrielles, des maisonnettes de pêcheurs en bois, des édifices portuaires anciens et des immeubles

verre/métal flambant neufs de part et d’autre de l’avenue. Et j’eus cette intuition – car quand on ne comprend pas ce que l’on voit, les philosophes nous rassurent en nous disant qu’il y a une autre technique de compréhension – nous sommes au Danemark, rien n’est fait par hasard, ce décor est un message composé à l’attention des passagers de ce bus. Dans un pays organisé comme Legoland, ville, entreprises et aéroport ont écrit ensemble le scénario d’une entrée symbolique dans la ville. Je descendis donc du bus avec cette théorie, ma première théorie territoriale : aujourd’hui, on arrange le paysage comme un discours de marketing et l’architecture est la ponctuation de ce discours, comme en d’autres temps à Versailles, Berlin ou Bucarest, elle théâtralisait une emprise politique. Mais, las, était-ce la théorie ou la pratique, la jeune fille n’était toujours pas suffisamment sensible à mes histoires, et je compris rapidement que ce voyage serait plus une autre entrée de ville par voie d’eau.

Repassant par Copenhague le jour avant le vol de retour, je fis quelque chose d’inexplicable (car entre philosophie et écriture de scénarios, je n’étais alors en aucun cas concerné par le destin des villes) : je louai un vélo pour cinq couronnes, une sorte de BMX à roues pleines. Et sortis du centre-ville : il faut que j’en ai le cœur net, qu’y a-t-il sur la route de l’aéroport ? On me faisait de grands signes : c’est interdit, Monsieur ! Je persistais : dans les arrières du port battus par le vent, avec des roues pleines, au bout de 5 kilomètres je n’avançais plus, titubais et voyais trouble... Qu’importe, pour la première fois de ma vie, je faisais cette chose si importante : aller vérifier une intuition, voir comment un territoire était en train de se faire et de se défaire. Porté par l’énergie bachique des Idiots de von Trier, ce fut enfin le second souffle, une clarté : ce grand

16

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

paysage baigné de soleil et de vent était un état ambigu, ni beau ni laid, ni fini ni présent, ni fort ni fou... Forêts de cheminées, remparts de brique masquant des terrains viabilisés pour des usages futurs, sièges sociaux à peine livrés en forme de temples néo-romains tout en colonnades et atriums portant haut le discours de l’Empire (marbre et haubans, verres miroirs et logos géants), quais industriels en attente d’un autre destin, petits ports de plaisance, une réserve naturelle sur l’autre rive, les bassins de l’écluse sous l’échangeur où des épaves transformées en maisons-bateaux forment un étrange bidonville flottant, des canalisations suspendues qui redessinent dans le ciel les organisations du sol… Les traces du passé et les transformations en cours formaient un équilibre fascinant, une mélodie de strates. Ce ne pouvait être le fait du hasard, c’était une nouvelle idée d’urbanité, composée avec un matériau difficile : le temps. En revenant exténué de cette odyssée dantesque et minuscule, je me suis dit : tu n’as pas eu la fille, mais tu as découvert la Route de l’aéroport.

Contrairement au récit de Descartes, ma propre illumination n’a donc pas pris tout son sens en une soirée d’hiver : ce n’était que le début d’une suite de désorientations ! Le hasard (?) m’a ramené sans cesse sur cette route depuis dix ans, et alors que je croyais tenir une certitude sur la Route de l’aéroport, je devais découvrir à chaque fois qu’elle avait changé d’itinéraire !

En effet, deux ans plus tard, ma Route de l’aéroport avait muté : plus personne ne perdait son temps en bus, puisqu’un train reliait désormais la ville à l’aérogare en douze minutes. Ce train ne proposait plus aucun point de vue sur la ville recomposée, car il est tellement efficace que c’est lui le message : la ville a internalisé son message dans

Page 18: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

l’infrastructure pour dire qu’elle a muté. Le paysage de surface n’existe plus en tant que tel pour l’arrivant, la qualité de l’accès suffit.

Mais dès l’année suivante, tout avait encore changé ! En s’arrêtant à la première station, on pouvait rejoindre… un métro, allant directement dans le centre sans passer par la gare centrale ! Un métro automatique, financé par la viabilisation d’un ancien pas de tir de l’armée, sur lequel s’était posée une ville étrange, nouvelle ville de six kilomètres de long et huit cents mètres de large ! Une ville trajectoire nommée Ørestad, destinée à relier le centre au sud, vers l’aéroport. Øre pour Øresund, le détroit qui sépare Copenhague de Malmö, désormais franchi par un pont (ce quartier en bande est lui-même un grand pont, celui du métro suspendu).

Ce pont entre Suède et Danemark, je l’ai emprunté lors de mon voyage suivant, car la route de l’aéroport avait encore changé d’orientation ! Toutes les compagnies low cost desservaient le petit aéroport de Malmö de l’autre côté du détroit. Où s’arrêtera le périmètre d’accessibilité de cette route ? Le pont sur l’Øresund a fait apparaître un cercle de mobilité incroyable qui va de Copenhague à Malmö, remonte vers Lund, Helsingör, retraverse vers Helsingborg et revient vers Copenhague. Un système unique d’hypermobilité transfrontalière, qui décrit en trois heures un territoire circulaire d’un nouveau type.

Mais cette circularité est aussi un moteur de compétition féroce entre les territoires qui sont mis en boucle : ainsi, en tête de pont d’Ørestad, à l’intersection du train et du métro, s’est installé « le plus grand shopping mall de Scandinavie », tandis que l’aéroport devenait un

18

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

véritable centre commercial haut de gamme. Les vols se rapatrièrent sur la rive danoise, et la leçon pour l’aéroport a été si bien retenue que des commerces pour le public qui ne vole pas seront bientôt proposés. Au lieu d’être un point de départ ou d’arrivée, il devient un lieu en soi, une destination. La Route de l’aéroport se conçoit désormais non plus depuis l’aéroport, mais vers lui… D’ailleurs, à mon prochain voyage, il y aura une nouvelle ligne de métro qui viendra du nord, directement par la plage, cette plage qui deviendra sans aucun doute une extension du périmètre aéroportuaire. En retournant explorer ces nouveaux territoires à chaque voyage, j’étais devenu une sorte d’Ulysse engagé dans une micro-odyssée postmoderne. La réalité physique de ces paysages de part et d’autre du pont, dans les arrières du port et autour d’Ørestad, établissait très clairement une intensification de la rupture entre les états du territoire et leur désorientation simultanée. Jusqu’à se demander s’il y avait quelque chose à trouver dans ce désordre performant, sinon la leçon que l’espace est désormais une variable d’ajustement des logiques de mouvement et d’échange. Comme Ulysse, celui qui essaie de naviguer dans ces eaux est condamné à ne jamais pouvoir rentrer. Mais au lieu que des forces du destin s’acharnent, c’est plutôt la forme du territoire et le tracé des routes qui se défilent, augmentant sans cesse leur efficacité pour s’affranchir de la géographie.

Je ne cherchais plus cette Pénélope nordique, même si ces explorations disaient peut-être une forme de fidélité. C’était une expérience à chaque fois si forte d’arpenter ce territoire en déplacement permanent que l’on pourrait parler d’érotique territoriale dans le corps à corps avec un tel paysage en mouvement permanent, dont j’étais devenu un

Page 19: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

l’infrastructure pour dire qu’elle a muté. Le paysage de surface n’existe plus en tant que tel pour l’arrivant, la qualité de l’accès suffit.

Mais dès l’année suivante, tout avait encore changé ! En s’arrêtant à la première station, on pouvait rejoindre… un métro, allant directement dans le centre sans passer par la gare centrale ! Un métro automatique, financé par la viabilisation d’un ancien pas de tir de l’armée, sur lequel s’était posée une ville étrange, nouvelle ville de six kilomètres de long et huit cents mètres de large ! Une ville trajectoire nommée Ørestad, destinée à relier le centre au sud, vers l’aéroport. Øre pour Øresund, le détroit qui sépare Copenhague de Malmö, désormais franchi par un pont (ce quartier en bande est lui-même un grand pont, celui du métro suspendu).

Ce pont entre Suède et Danemark, je l’ai emprunté lors de mon voyage suivant, car la route de l’aéroport avait encore changé d’orientation ! Toutes les compagnies low cost desservaient le petit aéroport de Malmö de l’autre côté du détroit. Où s’arrêtera le périmètre d’accessibilité de cette route ? Le pont sur l’Øresund a fait apparaître un cercle de mobilité incroyable qui va de Copenhague à Malmö, remonte vers Lund, Helsingör, retraverse vers Helsingborg et revient vers Copenhague. Un système unique d’hypermobilité transfrontalière, qui décrit en trois heures un territoire circulaire d’un nouveau type.

Mais cette circularité est aussi un moteur de compétition féroce entre les territoires qui sont mis en boucle : ainsi, en tête de pont d’Ørestad, à l’intersection du train et du métro, s’est installé « le plus grand shopping mall de Scandinavie », tandis que l’aéroport devenait un

18

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

véritable centre commercial haut de gamme. Les vols se rapatrièrent sur la rive danoise, et la leçon pour l’aéroport a été si bien retenue que des commerces pour le public qui ne vole pas seront bientôt proposés. Au lieu d’être un point de départ ou d’arrivée, il devient un lieu en soi, une destination. La Route de l’aéroport se conçoit désormais non plus depuis l’aéroport, mais vers lui… D’ailleurs, à mon prochain voyage, il y aura une nouvelle ligne de métro qui viendra du nord, directement par la plage, cette plage qui deviendra sans aucun doute une extension du périmètre aéroportuaire. En retournant explorer ces nouveaux territoires à chaque voyage, j’étais devenu une sorte d’Ulysse engagé dans une micro-odyssée postmoderne. La réalité physique de ces paysages de part et d’autre du pont, dans les arrières du port et autour d’Ørestad, établissait très clairement une intensification de la rupture entre les états du territoire et leur désorientation simultanée. Jusqu’à se demander s’il y avait quelque chose à trouver dans ce désordre performant, sinon la leçon que l’espace est désormais une variable d’ajustement des logiques de mouvement et d’échange. Comme Ulysse, celui qui essaie de naviguer dans ces eaux est condamné à ne jamais pouvoir rentrer. Mais au lieu que des forces du destin s’acharnent, c’est plutôt la forme du territoire et le tracé des routes qui se défilent, augmentant sans cesse leur efficacité pour s’affranchir de la géographie.

Je ne cherchais plus cette Pénélope nordique, même si ces explorations disaient peut-être une forme de fidélité. C’était une expérience à chaque fois si forte d’arpenter ce territoire en déplacement permanent que l’on pourrait parler d’érotique territoriale dans le corps à corps avec un tel paysage en mouvement permanent, dont j’étais devenu un

Page 20: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

18

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

véritable centre commercial haut de gamme. Les vols se rapatrièrent sur la rive danoise, et la leçon pour l’aéroport a été si bien retenue que des commerces pour le public qui ne vole pas seront bientôt proposés. Au lieu d’être un point de départ ou d’arrivée, il devient un lieu en soi, une destination. La Route de l’aéroport se conçoit désormais non plus depuis l’aéroport, mais vers lui… D’ailleurs, à mon prochain voyage, il y aura une nouvelle ligne de métro qui viendra du nord, directement par la plage, cette plage qui deviendra sans aucun doute une extension du périmètre aéroportuaire. En retournant explorer ces nouveaux territoires à chaque voyage, j’étais devenu une sorte d’Ulysse engagé dans une micro-odyssée postmoderne. La réalité physique de ces paysages de part et d’autre du pont, dans les arrières du port et autour d’Ørestad, établissait très clairement une intensification de la rupture entre les états du territoire et leur désorientation simultanée. Jusqu’à se demander s’il y avait quelque chose à trouver dans ce désordre performant, sinon la leçon que l’espace est désormais une variable d’ajustement des logiques de mouvement et d’échange. Comme Ulysse, celui qui essaie de naviguer dans ces eaux est condamné à ne jamais pouvoir rentrer. Mais au lieu que des forces du destin s’acharnent, c’est plutôt la forme du territoire et le tracé des routes qui se défilent, augmentant sans cesse leur efficacité pour s’affranchir de la géographie.

Je ne cherchais plus cette Pénélope nordique, même si ces explorations disaient peut-être une forme de fidélité. C’était une expérience à chaque fois si forte d’arpenter ce territoire en déplacement permanent que l’on pourrait parler d’érotique territoriale dans le corps à corps avec un tel paysage en mouvement permanent, dont j’étais devenu un

expert sans clients ni associés, et sans concurrence. Une expertise qui ne tient presque à rien : un regard. Curieusement, aucun de mes amis danois n’avait d’intérêt pour cette réalité spectaculaire dont j’étais devenu complice. Pas besoin d’aller à Lagos, ni dans le delta de la rivière des Perles…

Il y a un épilogue à ce cogito diffracté : en 2005, tôt un matin en arrivant à l’aéroport, je croise cette fille que je n’avais pas vue depuis 1998 dans l’escalator qui remonte vers les départs. C’est elle, non ce n’est pas elle… Disparue. Racontant cette histoire à un ami artiste le soir même, il s’enthousiasme : tu dois la retrouver, pour être délivré de la Route de l’aéroport, elle détient le secret de ta quête ! Au Danemark, on peut pratiquement tout savoir de quelqu’un sur Internet : numéro de Sécurité sociale, employeurs passés et présents, hospitalisations, et bien sûr adresse, e-mails, numéro de téléphone. Mais dans son cas… rien. Je revois la scène du matin : elle avait une allure différente avec ses cheveux plaqués et sa peau trop blanche, comme une prêtresse gothique. Et si c’était plutôt son fantôme ? Le fantôme de la Route de l’aéroport ! Mais qu’est-ce que tu racontes, même les morts existent sur Internet. La seule trace que nous avons débusquée : sur un site qui portait sa signature, la page restait étrangement noire. Finalement, nous découvrons qu’en déplaçant la souris, on révèle une ligne, une à la fois, et que l’on ne peut pas revenir en arrière, la ligne s’est effacée ! Pénélope s’était, comme la Route de l’aéroport, archipélisée à l’extrême ! Faisant corps avec le réseau, avec l’infrastructure numérique… Une existence irreprésentable ?

20

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

3. RÉINITIALISER LA PERCEPTION Ce ne sont pas encore des dessins que je vous ai proposés. Tout au plus les croquis préparatoires d’un storyboard, avec le mouvement du récit, qui n’est pas celui du trait. Bien qu’elle procède d’un systématisme de cartographe. Mais on peut regarder cette activité sous un autre angle, qui serait en elle-même du dessin : marcher, arpenter, explorer. Si le réel se refuse à nos modes de représentation, quelle est la forme de cette impossibilité prise à bras le corps ?

Cette expérience inaugurale de la déterritorialisation suggère qu’il faut repartir de la perception. On peut relire Maurice Merleau-Ponty1, dont la philosophie de la perception est une étrange anticipation des questions que soulève l’exploration des territoires contemporains. Au point que l’on pourrait même faire l’hypothèse que les problèmes philosophiques qui ont suscité la phénoménologie sont apparentés à ceux auxquels la pensée territoriale est aujourd’hui affrontée. Avec Merleau-Ponty, nous pouvons postuler qu’un état d’incertitude perceptive n’est pas un défaut de perception mais sa nature même. Percevoir, c’est surmonter les ambiguïtés. Le monde n’est pas une réalité stable, c’est toujours un état éclaté que nous surmontons. Le pouvoir organisateur de la subjectivité qui compose le monde selon des symétries et des perspectives qui se rapportent à un centre est nécessaire au regard, mais elle n’est qu’une fiction : nous savons depuis toujours que l’objet et autrui existent dans leurs propres perspectives et registres d’existence. Pour comprendre le sens des choses, on ne peut plus les penser par leur centre, il faut les penser par leurs limites, passer par les côtés, à partir des relations critiques.

Page 21: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

18

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

véritable centre commercial haut de gamme. Les vols se rapatrièrent sur la rive danoise, et la leçon pour l’aéroport a été si bien retenue que des commerces pour le public qui ne vole pas seront bientôt proposés. Au lieu d’être un point de départ ou d’arrivée, il devient un lieu en soi, une destination. La Route de l’aéroport se conçoit désormais non plus depuis l’aéroport, mais vers lui… D’ailleurs, à mon prochain voyage, il y aura une nouvelle ligne de métro qui viendra du nord, directement par la plage, cette plage qui deviendra sans aucun doute une extension du périmètre aéroportuaire. En retournant explorer ces nouveaux territoires à chaque voyage, j’étais devenu une sorte d’Ulysse engagé dans une micro-odyssée postmoderne. La réalité physique de ces paysages de part et d’autre du pont, dans les arrières du port et autour d’Ørestad, établissait très clairement une intensification de la rupture entre les états du territoire et leur désorientation simultanée. Jusqu’à se demander s’il y avait quelque chose à trouver dans ce désordre performant, sinon la leçon que l’espace est désormais une variable d’ajustement des logiques de mouvement et d’échange. Comme Ulysse, celui qui essaie de naviguer dans ces eaux est condamné à ne jamais pouvoir rentrer. Mais au lieu que des forces du destin s’acharnent, c’est plutôt la forme du territoire et le tracé des routes qui se défilent, augmentant sans cesse leur efficacité pour s’affranchir de la géographie.

Je ne cherchais plus cette Pénélope nordique, même si ces explorations disaient peut-être une forme de fidélité. C’était une expérience à chaque fois si forte d’arpenter ce territoire en déplacement permanent que l’on pourrait parler d’érotique territoriale dans le corps à corps avec un tel paysage en mouvement permanent, dont j’étais devenu un

expert sans clients ni associés, et sans concurrence. Une expertise qui ne tient presque à rien : un regard. Curieusement, aucun de mes amis danois n’avait d’intérêt pour cette réalité spectaculaire dont j’étais devenu complice. Pas besoin d’aller à Lagos, ni dans le delta de la rivière des Perles…

Il y a un épilogue à ce cogito diffracté : en 2005, tôt un matin en arrivant à l’aéroport, je croise cette fille que je n’avais pas vue depuis 1998 dans l’escalator qui remonte vers les départs. C’est elle, non ce n’est pas elle… Disparue. Racontant cette histoire à un ami artiste le soir même, il s’enthousiasme : tu dois la retrouver, pour être délivré de la Route de l’aéroport, elle détient le secret de ta quête ! Au Danemark, on peut pratiquement tout savoir de quelqu’un sur Internet : numéro de Sécurité sociale, employeurs passés et présents, hospitalisations, et bien sûr adresse, e-mails, numéro de téléphone. Mais dans son cas… rien. Je revois la scène du matin : elle avait une allure différente avec ses cheveux plaqués et sa peau trop blanche, comme une prêtresse gothique. Et si c’était plutôt son fantôme ? Le fantôme de la Route de l’aéroport ! Mais qu’est-ce que tu racontes, même les morts existent sur Internet. La seule trace que nous avons débusquée : sur un site qui portait sa signature, la page restait étrangement noire. Finalement, nous découvrons qu’en déplaçant la souris, on révèle une ligne, une à la fois, et que l’on ne peut pas revenir en arrière, la ligne s’est effacée ! Pénélope s’était, comme la Route de l’aéroport, archipélisée à l’extrême ! Faisant corps avec le réseau, avec l’infrastructure numérique… Une existence irreprésentable ?

20

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

3. RÉINITIALISER LA PERCEPTION Ce ne sont pas encore des dessins que je vous ai proposés. Tout au plus les croquis préparatoires d’un storyboard, avec le mouvement du récit, qui n’est pas celui du trait. Bien qu’elle procède d’un systématisme de cartographe. Mais on peut regarder cette activité sous un autre angle, qui serait en elle-même du dessin : marcher, arpenter, explorer. Si le réel se refuse à nos modes de représentation, quelle est la forme de cette impossibilité prise à bras le corps ?

Cette expérience inaugurale de la déterritorialisation suggère qu’il faut repartir de la perception. On peut relire Maurice Merleau-Ponty1, dont la philosophie de la perception est une étrange anticipation des questions que soulève l’exploration des territoires contemporains. Au point que l’on pourrait même faire l’hypothèse que les problèmes philosophiques qui ont suscité la phénoménologie sont apparentés à ceux auxquels la pensée territoriale est aujourd’hui affrontée. Avec Merleau-Ponty, nous pouvons postuler qu’un état d’incertitude perceptive n’est pas un défaut de perception mais sa nature même. Percevoir, c’est surmonter les ambiguïtés. Le monde n’est pas une réalité stable, c’est toujours un état éclaté que nous surmontons. Le pouvoir organisateur de la subjectivité qui compose le monde selon des symétries et des perspectives qui se rapportent à un centre est nécessaire au regard, mais elle n’est qu’une fiction : nous savons depuis toujours que l’objet et autrui existent dans leurs propres perspectives et registres d’existence. Pour comprendre le sens des choses, on ne peut plus les penser par leur centre, il faut les penser par leurs limites, passer par les côtés, à partir des relations critiques.

Page 22: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

Oslo, 2007

22

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

Je ne sais pas définir la santé, mais je sais ce qu’est être malade par exemple. Comme le sens est en mouvement, il est une intrication de registres différents et percevoir, c’est surmonter la complexité pour distinguer des contours, un motif, comme une constellation dans la profondeur. Pour saisir une complexité, il faut passer par l’extérieur. On comprend comment ces analyses peuvent se reporter sur les états du territoire contemporain : polycentrisme, réseaux et enclaves, friches et indistinction entre ville et campagne, concurrence entre les acteurs et les vitesses... C’est ce mouvement de décentration, dont Merleau-Ponty nous dit qu’il est de manière indiscernable perception et expression, qui nous intéresse : c’est un éloge du risque, de l’engagement. L’Œil et l’Esprit relit avec attention un passage des Méditations où Descartes s’interroge sur la réalité de ce qu’il voit depuis ses fenêtres : s’agit-il de passants vivants sous ces chapeaux et ces capes, ou de mannequins montés sur mécanismes (proposition ahurissante pour son époque). Et si le réel était machiné à notre insu ? Cette sensation me paraît très contemporaine. La théorie du complot appliquée à la quotidienneté, c’est l’intuition que tout se fait sans nous. Tandis que Descartes conclut que les passants sont bien vivants par une intuition intellectuelle, Merleau-Ponty y voit surtout le coup de force de la perception : elle ne reste pas dans l’encadrement de la fenêtre, mais se jette dans le vide ! Défenestration métaphysique…

Que serait une défenestration territoriale ? N’attendons pas de savoir qui machine le territoire dans notre dos, ni de lire le prochain livre de Rem Koolhaas pour décider de ce qu’il faut penser du monde, allons-y ! Faire l’effort de surmonter les ambiguïtés.

Page 23: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

Oslo, 2007

22

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

Je ne sais pas définir la santé, mais je sais ce qu’est être malade par exemple. Comme le sens est en mouvement, il est une intrication de registres différents et percevoir, c’est surmonter la complexité pour distinguer des contours, un motif, comme une constellation dans la profondeur. Pour saisir une complexité, il faut passer par l’extérieur. On comprend comment ces analyses peuvent se reporter sur les états du territoire contemporain : polycentrisme, réseaux et enclaves, friches et indistinction entre ville et campagne, concurrence entre les acteurs et les vitesses... C’est ce mouvement de décentration, dont Merleau-Ponty nous dit qu’il est de manière indiscernable perception et expression, qui nous intéresse : c’est un éloge du risque, de l’engagement. L’Œil et l’Esprit relit avec attention un passage des Méditations où Descartes s’interroge sur la réalité de ce qu’il voit depuis ses fenêtres : s’agit-il de passants vivants sous ces chapeaux et ces capes, ou de mannequins montés sur mécanismes (proposition ahurissante pour son époque). Et si le réel était machiné à notre insu ? Cette sensation me paraît très contemporaine. La théorie du complot appliquée à la quotidienneté, c’est l’intuition que tout se fait sans nous. Tandis que Descartes conclut que les passants sont bien vivants par une intuition intellectuelle, Merleau-Ponty y voit surtout le coup de force de la perception : elle ne reste pas dans l’encadrement de la fenêtre, mais se jette dans le vide ! Défenestration métaphysique…

Que serait une défenestration territoriale ? N’attendons pas de savoir qui machine le territoire dans notre dos, ni de lire le prochain livre de Rem Koolhaas pour décider de ce qu’il faut penser du monde, allons-y ! Faire l’effort de surmonter les ambiguïtés.

Page 24: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

22

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

Je ne sais pas définir la santé, mais je sais ce qu’est être malade par exemple. Comme le sens est en mouvement, il est une intrication de registres différents et percevoir, c’est surmonter la complexité pour distinguer des contours, un motif, comme une constellation dans la profondeur. Pour saisir une complexité, il faut passer par l’extérieur. On comprend comment ces analyses peuvent se reporter sur les états du territoire contemporain : polycentrisme, réseaux et enclaves, friches et indistinction entre ville et campagne, concurrence entre les acteurs et les vitesses... C’est ce mouvement de décentration, dont Merleau-Ponty nous dit qu’il est de manière indiscernable perception et expression, qui nous intéresse : c’est un éloge du risque, de l’engagement. L’Œil et l’Esprit relit avec attention un passage des Méditations où Descartes s’interroge sur la réalité de ce qu’il voit depuis ses fenêtres : s’agit-il de passants vivants sous ces chapeaux et ces capes, ou de mannequins montés sur mécanismes (proposition ahurissante pour son époque). Et si le réel était machiné à notre insu ? Cette sensation me paraît très contemporaine. La théorie du complot appliquée à la quotidienneté, c’est l’intuition que tout se fait sans nous. Tandis que Descartes conclut que les passants sont bien vivants par une intuition intellectuelle, Merleau-Ponty y voit surtout le coup de force de la perception : elle ne reste pas dans l’encadrement de la fenêtre, mais se jette dans le vide ! Défenestration métaphysique…

Que serait une défenestration territoriale ? N’attendons pas de savoir qui machine le territoire dans notre dos, ni de lire le prochain livre de Rem Koolhaas pour décider de ce qu’il faut penser du monde, allons-y ! Faire l’effort de surmonter les ambiguïtés. Nokia Troll, Helsinki, 2005

Page 25: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

22

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

Je ne sais pas définir la santé, mais je sais ce qu’est être malade par exemple. Comme le sens est en mouvement, il est une intrication de registres différents et percevoir, c’est surmonter la complexité pour distinguer des contours, un motif, comme une constellation dans la profondeur. Pour saisir une complexité, il faut passer par l’extérieur. On comprend comment ces analyses peuvent se reporter sur les états du territoire contemporain : polycentrisme, réseaux et enclaves, friches et indistinction entre ville et campagne, concurrence entre les acteurs et les vitesses... C’est ce mouvement de décentration, dont Merleau-Ponty nous dit qu’il est de manière indiscernable perception et expression, qui nous intéresse : c’est un éloge du risque, de l’engagement. L’Œil et l’Esprit relit avec attention un passage des Méditations où Descartes s’interroge sur la réalité de ce qu’il voit depuis ses fenêtres : s’agit-il de passants vivants sous ces chapeaux et ces capes, ou de mannequins montés sur mécanismes (proposition ahurissante pour son époque). Et si le réel était machiné à notre insu ? Cette sensation me paraît très contemporaine. La théorie du complot appliquée à la quotidienneté, c’est l’intuition que tout se fait sans nous. Tandis que Descartes conclut que les passants sont bien vivants par une intuition intellectuelle, Merleau-Ponty y voit surtout le coup de force de la perception : elle ne reste pas dans l’encadrement de la fenêtre, mais se jette dans le vide ! Défenestration métaphysique…

Que serait une défenestration territoriale ? N’attendons pas de savoir qui machine le territoire dans notre dos, ni de lire le prochain livre de Rem Koolhaas pour décider de ce qu’il faut penser du monde, allons-y ! Faire l’effort de surmonter les ambiguïtés. Nokia Troll, Helsinki, 2005

Page 26: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

25

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

Que découvre-t-on lorsqu’on se défenestre ? C’est un peu comme être dans un flipper ! Vous êtes la bille qui se déplace et voit les choses, puis vous êtes « claqué », renvoyé plus vite que vous n’étiez arrivé, des choses vous accélèrent, d’autres vous freinent ou vous piègent. Certaines notes du Visible et l’Invisible formulent ainsi un réel phénoménal qui serait constitué de pivots dans une profondeur sensible, faisant de la notion d’articulation l’enjeu de la compréhension de la complexité. L’espace et la pensée ne sont pas organisés par un plan orthonormé avec un centre, des côtés, des faces, mais il y a une multiplicité de lieux où le sens se contracte, et les choses s’organisent par rapport à lui et avec des registres de grandeur différents. Chez Gilles Deleuze, ces idées s’exprimeront directement dans le vocabulaire du territoire : il y a territoire dès qu’une identité est capable de se parodier elle-même. Dès que vous avez un hymne, une couleur, vous affirmez votre intention de fonctionner comme un territoire. Il y a déjà chez Merleau-Ponty la vision que l’espace ne fonctionne pas de manière mécanique, comme avec des mannequins, mais qu’il ne fonctionne pas non plus selon ma perspective solitaire, car nous sommes spontanément dans une réalité à plusieurs, où nous co-exprimons nos perceptions.

Ring of voids, Belgrade, 2006

26

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

4. DESSINER AVEC SES PIEDS

Déplacer son regard pour renouveler ses représentations : la figure de l’arpenteur a repris une actualité dans les années quatre-vingt-dix, renouant avec l’élan romantique pour aller marcher à l’envers des villes, là où les paysages n’ont plus de nom, là où les limites ne sont pas assignables, car on ne sait pas qui en a la responsabilité, ni comment les qualifier, là se joue de façon prismatique le réagencement des territoires. L’héritage des situationnistes sous influence cyber-punk y rencontrait celui du Land Art, pour qualifier une nouvelle attitude. Il ne s’agissait ni d’aller chercher l’inspiration dans l’informel, ni de perdre le contrôle pour retrouver une liberté perdue : il fallait redéfinir les conditions d’un savoir et d’une action, d’un projet. Dériver pour échapper à l’ordre devient explorer pour retrouver un ordre parti à la dérive. Les acteurs de ce mouvement sont nombreux2 et très divers : architectes refusant l’acte constructif, paysagistes cherchant à redéfinir les outils du projet, plasticiens désignant l’espace vécu comme le lieu de la création... Ils partagent une conviction profonde : on dessine avec ses pieds ! C’est une position à la fois théorique et politique : ces explorations se conduisent en groupes, elles réunissent des talents interdisciplinaires, l’action prime sur la technique, dans l’affirmation transversale d’une valeur de processus plutôt que du résultat.

Que signifie cet effort de lire le territoire à même le sol, jusqu’à espérer en extraire une substance qui nous permettrait de le juger ? Il s’agit de recouvrer un pouvoir sur le territoire parce qu’on y est allé, parce qu’on a un degré d’intimité suffisant pour être crédible. On peut parler de Manifestes rétroactifs pour chacun

Page 27: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

25

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

Que découvre-t-on lorsqu’on se défenestre ? C’est un peu comme être dans un flipper ! Vous êtes la bille qui se déplace et voit les choses, puis vous êtes « claqué », renvoyé plus vite que vous n’étiez arrivé, des choses vous accélèrent, d’autres vous freinent ou vous piègent. Certaines notes du Visible et l’Invisible formulent ainsi un réel phénoménal qui serait constitué de pivots dans une profondeur sensible, faisant de la notion d’articulation l’enjeu de la compréhension de la complexité. L’espace et la pensée ne sont pas organisés par un plan orthonormé avec un centre, des côtés, des faces, mais il y a une multiplicité de lieux où le sens se contracte, et les choses s’organisent par rapport à lui et avec des registres de grandeur différents. Chez Gilles Deleuze, ces idées s’exprimeront directement dans le vocabulaire du territoire : il y a territoire dès qu’une identité est capable de se parodier elle-même. Dès que vous avez un hymne, une couleur, vous affirmez votre intention de fonctionner comme un territoire. Il y a déjà chez Merleau-Ponty la vision que l’espace ne fonctionne pas de manière mécanique, comme avec des mannequins, mais qu’il ne fonctionne pas non plus selon ma perspective solitaire, car nous sommes spontanément dans une réalité à plusieurs, où nous co-exprimons nos perceptions.

Ring of voids, Belgrade, 2006

26

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

4. DESSINER AVEC SES PIEDS

Déplacer son regard pour renouveler ses représentations : la figure de l’arpenteur a repris une actualité dans les années quatre-vingt-dix, renouant avec l’élan romantique pour aller marcher à l’envers des villes, là où les paysages n’ont plus de nom, là où les limites ne sont pas assignables, car on ne sait pas qui en a la responsabilité, ni comment les qualifier, là se joue de façon prismatique le réagencement des territoires. L’héritage des situationnistes sous influence cyber-punk y rencontrait celui du Land Art, pour qualifier une nouvelle attitude. Il ne s’agissait ni d’aller chercher l’inspiration dans l’informel, ni de perdre le contrôle pour retrouver une liberté perdue : il fallait redéfinir les conditions d’un savoir et d’une action, d’un projet. Dériver pour échapper à l’ordre devient explorer pour retrouver un ordre parti à la dérive. Les acteurs de ce mouvement sont nombreux2 et très divers : architectes refusant l’acte constructif, paysagistes cherchant à redéfinir les outils du projet, plasticiens désignant l’espace vécu comme le lieu de la création... Ils partagent une conviction profonde : on dessine avec ses pieds ! C’est une position à la fois théorique et politique : ces explorations se conduisent en groupes, elles réunissent des talents interdisciplinaires, l’action prime sur la technique, dans l’affirmation transversale d’une valeur de processus plutôt que du résultat.

Que signifie cet effort de lire le territoire à même le sol, jusqu’à espérer en extraire une substance qui nous permettrait de le juger ? Il s’agit de recouvrer un pouvoir sur le territoire parce qu’on y est allé, parce qu’on a un degré d’intimité suffisant pour être crédible. On peut parler de Manifestes rétroactifs pour chacun

Page 28: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

26

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

4. DESSINER AVEC SES PIEDS

Déplacer son regard pour renouveler ses représentations : la figure de l’arpenteur a repris une actualité dans les années quatre-vingt-dix, renouant avec l’élan romantique pour aller marcher à l’envers des villes, là où les paysages n’ont plus de nom, là où les limites ne sont pas assignables, car on ne sait pas qui en a la responsabilité, ni comment les qualifier, là se joue de façon prismatique le réagencement des territoires. L’héritage des situationnistes sous influence cyber-punk y rencontrait celui du Land Art, pour qualifier une nouvelle attitude. Il ne s’agissait ni d’aller chercher l’inspiration dans l’informel, ni de perdre le contrôle pour retrouver une liberté perdue : il fallait redéfinir les conditions d’un savoir et d’une action, d’un projet. Dériver pour échapper à l’ordre devient explorer pour retrouver un ordre parti à la dérive. Les acteurs de ce mouvement sont nombreux2 et très divers : architectes refusant l’acte constructif, paysagistes cherchant à redéfinir les outils du projet, plasticiens désignant l’espace vécu comme le lieu de la création... Ils partagent une conviction profonde : on dessine avec ses pieds ! C’est une position à la fois théorique et politique : ces explorations se conduisent en groupes, elles réunissent des talents interdisciplinaires, l’action prime sur la technique, dans l’affirmation transversale d’une valeur de processus plutôt que du résultat.

Que signifie cet effort de lire le territoire à même le sol, jusqu’à espérer en extraire une substance qui nous permettrait de le juger ? Il s’agit de recouvrer un pouvoir sur le territoire parce qu’on y est allé, parce qu’on a un degré d’intimité suffisant pour être crédible. On peut parler de Manifestes rétroactifs pour chacun

Future of the city, Pristina, 2007

28

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

Gonesse aérolisée, AWP, 2006White Forest, workshop Scenen, Copenhague, 2006

Page 29: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

26

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

4. DESSINER AVEC SES PIEDS

Déplacer son regard pour renouveler ses représentations : la figure de l’arpenteur a repris une actualité dans les années quatre-vingt-dix, renouant avec l’élan romantique pour aller marcher à l’envers des villes, là où les paysages n’ont plus de nom, là où les limites ne sont pas assignables, car on ne sait pas qui en a la responsabilité, ni comment les qualifier, là se joue de façon prismatique le réagencement des territoires. L’héritage des situationnistes sous influence cyber-punk y rencontrait celui du Land Art, pour qualifier une nouvelle attitude. Il ne s’agissait ni d’aller chercher l’inspiration dans l’informel, ni de perdre le contrôle pour retrouver une liberté perdue : il fallait redéfinir les conditions d’un savoir et d’une action, d’un projet. Dériver pour échapper à l’ordre devient explorer pour retrouver un ordre parti à la dérive. Les acteurs de ce mouvement sont nombreux2 et très divers : architectes refusant l’acte constructif, paysagistes cherchant à redéfinir les outils du projet, plasticiens désignant l’espace vécu comme le lieu de la création... Ils partagent une conviction profonde : on dessine avec ses pieds ! C’est une position à la fois théorique et politique : ces explorations se conduisent en groupes, elles réunissent des talents interdisciplinaires, l’action prime sur la technique, dans l’affirmation transversale d’une valeur de processus plutôt que du résultat.

Que signifie cet effort de lire le territoire à même le sol, jusqu’à espérer en extraire une substance qui nous permettrait de le juger ? Il s’agit de recouvrer un pouvoir sur le territoire parce qu’on y est allé, parce qu’on a un degré d’intimité suffisant pour être crédible. On peut parler de Manifestes rétroactifs pour chacun

Future of the city, Pristina, 2007

28

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

Gonesse aérolisée, AWP, 2006White Forest, workshop Scenen, Copenhague, 2006

Page 30: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

Oslo Troll, 2007

Toronto Troll, 2005

Page 31: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

Oslo Troll, 2007

Toronto Troll, 2005

Page 32: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

Toronto Troll, 2005

31

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

de ces corps à corps avec le territoire. Ce qui décrit à la fois la puissance de ces regards et la difficulté qu’ils ont à se traduire en représentations évidentes, et surtout en projets. D’ailleurs, la plupart de ces groupes ne sont pas engagés dans des pratiques constructives ou d’aménagement, préférant habiter ces dimensions vécues et garder leur liberté, notamment politique. Mais cela peut aussi devenir un formalisme : par exemple, le collectif Chora, autour de Raoul Bunschoten, a mené des workshops dans le monde entier en reconduisant la même méthodologie de représentation, avec le projet de redéfinir l’idée même du territoire par la puissance de ces représentations (leur beauté !). Mais en surimposant une esthétique aux sites, la puissance formelle a fini par s’essouffler : trop de dessins…

Je ne suis pas un promeneur solitaire dans ces débats et expérimentations. C’est dans le cadre du collectif interdisciplinaire Atelier Wunderschön Peplum (AWP) que j’ai pu incuber, démultiplier et diffuser le virus de la Route de l’aéroport.

Au fil d’études, d’articles, d’expositions sur des situations aussi différentes que le fjord postindustriel de Bilbao, le destin de villages français rattrapés par la banlieue, la culture politique des jardins californiens, les mythes de Saint-Quentin-en-Yvelines, l’étouffement programmé de la première couronne parisienne, ou encore les paysages stratifiés de Palerme, nous avons tenté d’affronter le territoire contemporain sur trois plans : raconter, mimer, reconfigurer. Il est important de préciser qu’AWP agit simultanément en explorateur et comme maître d’œuvre, ces deux points de vue se recoupant aussi souvent que nécessaire ou possible.

32

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

Raconter : comment représenter la perception d’une réalité diffuse, éclatée, fragile ? Comment articuler des lectures de grands territoires avec des observations de détails, des recoupements de données presque invisibles ? Il y a une vraie difficulté de principe à traduire ce qui est du registre de l’expérience. Ce qui ne peut jamais entrer dans l’ordre d’une représentation ne pourrait jamais être enseigné ni instrumentalisé, restant ainsi une forme d’art brut. En même temps, ce qui reste stérile dans l’expression après avoir été si fort en expérience pose problème. Pour dépasser cette aporie, nous avons choisi de mythologiser ces explorations en articulant documentaire et fiction, afin de pouvoir faire partager les observations mais surtout les potentiels révélés. Fiction ? Personnages qui surgissent du réel, coups de théâtre qui prolongent des témoignages, des potentiels qui s’animeraient pour donner corps à la révélation. La narration comme outil, comme stratégie de mise en abîme des situations spatiales afin de les remettre en mouvement.

Mimer : sur le plan technique, nous avons répliqué au polymorphisme du territoire en composant des formes de restitution multiples, pour recomposer le prisme des dimensions identifiées : installations, performances, publications, expositions, émissions de radio... Comme s’il était impossible d’enfermer un territoire mouvant dans une forme unique : éclatement du dessin comme tracé unique sur un support unique, avec une signature. Le dessin véritable serait le dessein qui lie les formes ayant recueilli l’expérience, la partition qui compose les résonances. La forme commune à ces représentations serait la figure du storyboard à plusieurs mains ou du carnet de voyage multimédia, comme le film Bilbao Archipelago ou l’installation visuelle et sonore Transfert radial.

Page 33: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

Toronto Troll, 2005

31

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

de ces corps à corps avec le territoire. Ce qui décrit à la fois la puissance de ces regards et la difficulté qu’ils ont à se traduire en représentations évidentes, et surtout en projets. D’ailleurs, la plupart de ces groupes ne sont pas engagés dans des pratiques constructives ou d’aménagement, préférant habiter ces dimensions vécues et garder leur liberté, notamment politique. Mais cela peut aussi devenir un formalisme : par exemple, le collectif Chora, autour de Raoul Bunschoten, a mené des workshops dans le monde entier en reconduisant la même méthodologie de représentation, avec le projet de redéfinir l’idée même du territoire par la puissance de ces représentations (leur beauté !). Mais en surimposant une esthétique aux sites, la puissance formelle a fini par s’essouffler : trop de dessins…

Je ne suis pas un promeneur solitaire dans ces débats et expérimentations. C’est dans le cadre du collectif interdisciplinaire Atelier Wunderschön Peplum (AWP) que j’ai pu incuber, démultiplier et diffuser le virus de la Route de l’aéroport.

Au fil d’études, d’articles, d’expositions sur des situations aussi différentes que le fjord postindustriel de Bilbao, le destin de villages français rattrapés par la banlieue, la culture politique des jardins californiens, les mythes de Saint-Quentin-en-Yvelines, l’étouffement programmé de la première couronne parisienne, ou encore les paysages stratifiés de Palerme, nous avons tenté d’affronter le territoire contemporain sur trois plans : raconter, mimer, reconfigurer. Il est important de préciser qu’AWP agit simultanément en explorateur et comme maître d’œuvre, ces deux points de vue se recoupant aussi souvent que nécessaire ou possible.

32

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

Raconter : comment représenter la perception d’une réalité diffuse, éclatée, fragile ? Comment articuler des lectures de grands territoires avec des observations de détails, des recoupements de données presque invisibles ? Il y a une vraie difficulté de principe à traduire ce qui est du registre de l’expérience. Ce qui ne peut jamais entrer dans l’ordre d’une représentation ne pourrait jamais être enseigné ni instrumentalisé, restant ainsi une forme d’art brut. En même temps, ce qui reste stérile dans l’expression après avoir été si fort en expérience pose problème. Pour dépasser cette aporie, nous avons choisi de mythologiser ces explorations en articulant documentaire et fiction, afin de pouvoir faire partager les observations mais surtout les potentiels révélés. Fiction ? Personnages qui surgissent du réel, coups de théâtre qui prolongent des témoignages, des potentiels qui s’animeraient pour donner corps à la révélation. La narration comme outil, comme stratégie de mise en abîme des situations spatiales afin de les remettre en mouvement.

Mimer : sur le plan technique, nous avons répliqué au polymorphisme du territoire en composant des formes de restitution multiples, pour recomposer le prisme des dimensions identifiées : installations, performances, publications, expositions, émissions de radio... Comme s’il était impossible d’enfermer un territoire mouvant dans une forme unique : éclatement du dessin comme tracé unique sur un support unique, avec une signature. Le dessin véritable serait le dessein qui lie les formes ayant recueilli l’expérience, la partition qui compose les résonances. La forme commune à ces représentations serait la figure du storyboard à plusieurs mains ou du carnet de voyage multimédia, comme le film Bilbao Archipelago ou l’installation visuelle et sonore Transfert radial.

Page 34: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

Reconfigurer : enfin, nous avons toujours conçu ces recherches sur site comme des laboratoires de projets, portant la responsabilité de peser sur la compréhension et le destin des territoires concernés. Comment passer d’une herméneutique docu-fiction à des stratégies de projet qui affectent le réel ? Se sont rejointes des stratégies de détournement cyber-punk, la culture de l’interventionnisme dans l’espace public et des méthodologies de plates-formes collaboratives. Aboutissant par exemple à la transformation du port industriel de Dieppe en Ville temporaire3 durant l’été 2007, simulant des usages futurs possibles pour ces espaces dévitalisés par l’arrêt définitif du transit fruitier, impliquant toutes les communautés d’habitants, d’usagers et les acteurs publics dans le processus de préparation et d’animation de cette exposition largement visitée. Ou encore à la scénographie spectaculaire du Palast der Republik à Berlin en montagne sacrée, AWP concevant un itinéraire philosophique dans l’obscurité des entrailles, invitant le public à réinventer des formes virtuelles pour ce bâtiment condamné.

34

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

5. REPRÉSENTATIONS EMBARQUÉES

Mais là où la question posée par le territoire rejoint véritablement l’enjeu du dessin, c’est lorsque, au lieu d’investir un lieu même aussi vaste qu’un port industriel ou un parlement, la représentation peut se dessiner réellement à l’échelle d’un grand territoire, surmonter son irreprésentabilité et donc procéder du mouvement lui-même, générer des mouvements partagés. On ne ramènerait plus l’exploration comme un papillon sous cloche, mais on entraînerait le public à la chasse au papillon ! C’est le travail qu’a développé le Protocole Troll, un projet de recherche et d’expérimentation sur les mobilités nocturnes mené par AWP4. Pourquoi, comment, vers où et avec qui bouger la nuit autrement ? Après un travail intense de cartographie issu d’explorations sensibles et de séminaires d’analyse, un ou plusieurs événements publics viennent expérimenter des scénarios de déplacements pour démontrer la possibilité d’une autre intelligence nocturne d’un territoire. Ces migrations métropolitaines sont destinées dans leur forme de « représentation » à tous les publics, attirent des milliers de personnes dans des traversées qui durent des nuits entières et parcourent de grandes distances, tout en faisant étapes dans des lieux au potentiel révélé (souvent par des interventions d’artistes). Des lieux reconfigurés. Ce travail commencé sur le détroit entre Copenhague et Malmö en 2004 s’est développé dans une quinzaine de territoires métropolitains d’Europe et d’Amérique du Nord, réunissant plus d’un millier de créateurs et de chercheurs, mais aussi d’acteurs publics et privés, dans des plates-formes générant des projets temporaires ou durables avec des habitants. Des expériences d’urbanisme version 2.0.La nuit est une condition phénoménologique par excellence : on n’y voit rien, on ressent les choses différemment, accordant une autre valeur à l’expérience parce que le corps est lui-même en décalage. La ville d’après la fermeture est

Page 35: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

Reconfigurer : enfin, nous avons toujours conçu ces recherches sur site comme des laboratoires de projets, portant la responsabilité de peser sur la compréhension et le destin des territoires concernés. Comment passer d’une herméneutique docu-fiction à des stratégies de projet qui affectent le réel ? Se sont rejointes des stratégies de détournement cyber-punk, la culture de l’interventionnisme dans l’espace public et des méthodologies de plates-formes collaboratives. Aboutissant par exemple à la transformation du port industriel de Dieppe en Ville temporaire3 durant l’été 2007, simulant des usages futurs possibles pour ces espaces dévitalisés par l’arrêt définitif du transit fruitier, impliquant toutes les communautés d’habitants, d’usagers et les acteurs publics dans le processus de préparation et d’animation de cette exposition largement visitée. Ou encore à la scénographie spectaculaire du Palast der Republik à Berlin en montagne sacrée, AWP concevant un itinéraire philosophique dans l’obscurité des entrailles, invitant le public à réinventer des formes virtuelles pour ce bâtiment condamné.

34

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

5. REPRÉSENTATIONS EMBARQUÉES

Mais là où la question posée par le territoire rejoint véritablement l’enjeu du dessin, c’est lorsque, au lieu d’investir un lieu même aussi vaste qu’un port industriel ou un parlement, la représentation peut se dessiner réellement à l’échelle d’un grand territoire, surmonter son irreprésentabilité et donc procéder du mouvement lui-même, générer des mouvements partagés. On ne ramènerait plus l’exploration comme un papillon sous cloche, mais on entraînerait le public à la chasse au papillon ! C’est le travail qu’a développé le Protocole Troll, un projet de recherche et d’expérimentation sur les mobilités nocturnes mené par AWP4. Pourquoi, comment, vers où et avec qui bouger la nuit autrement ? Après un travail intense de cartographie issu d’explorations sensibles et de séminaires d’analyse, un ou plusieurs événements publics viennent expérimenter des scénarios de déplacements pour démontrer la possibilité d’une autre intelligence nocturne d’un territoire. Ces migrations métropolitaines sont destinées dans leur forme de « représentation » à tous les publics, attirent des milliers de personnes dans des traversées qui durent des nuits entières et parcourent de grandes distances, tout en faisant étapes dans des lieux au potentiel révélé (souvent par des interventions d’artistes). Des lieux reconfigurés. Ce travail commencé sur le détroit entre Copenhague et Malmö en 2004 s’est développé dans une quinzaine de territoires métropolitains d’Europe et d’Amérique du Nord, réunissant plus d’un millier de créateurs et de chercheurs, mais aussi d’acteurs publics et privés, dans des plates-formes générant des projets temporaires ou durables avec des habitants. Des expériences d’urbanisme version 2.0.La nuit est une condition phénoménologique par excellence : on n’y voit rien, on ressent les choses différemment, accordant une autre valeur à l’expérience parce que le corps est lui-même en décalage. La ville d’après la fermeture est

Page 36: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

34

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

5. REPRÉSENTATIONS EMBARQUÉES

Mais là où la question posée par le territoire rejoint véritablement l’enjeu du dessin, c’est lorsque, au lieu d’investir un lieu même aussi vaste qu’un port industriel ou un parlement, la représentation peut se dessiner réellement à l’échelle d’un grand territoire, surmonter son irreprésentabilité et donc procéder du mouvement lui-même, générer des mouvements partagés. On ne ramènerait plus l’exploration comme un papillon sous cloche, mais on entraînerait le public à la chasse au papillon ! C’est le travail qu’a développé le Protocole Troll, un projet de recherche et d’expérimentation sur les mobilités nocturnes mené par AWP4. Pourquoi, comment, vers où et avec qui bouger la nuit autrement ? Après un travail intense de cartographie issu d’explorations sensibles et de séminaires d’analyse, un ou plusieurs événements publics viennent expérimenter des scénarios de déplacements pour démontrer la possibilité d’une autre intelligence nocturne d’un territoire. Ces migrations métropolitaines sont destinées dans leur forme de « représentation » à tous les publics, attirent des milliers de personnes dans des traversées qui durent des nuits entières et parcourent de grandes distances, tout en faisant étapes dans des lieux au potentiel révélé (souvent par des interventions d’artistes). Des lieux reconfigurés. Ce travail commencé sur le détroit entre Copenhague et Malmö en 2004 s’est développé dans une quinzaine de territoires métropolitains d’Europe et d’Amérique du Nord, réunissant plus d’un millier de créateurs et de chercheurs, mais aussi d’acteurs publics et privés, dans des plates-formes générant des projets temporaires ou durables avec des habitants. Des expériences d’urbanisme version 2.0.La nuit est une condition phénoménologique par excellence : on n’y voit rien, on ressent les choses différemment, accordant une autre valeur à l’expérience parce que le corps est lui-même en décalage. La ville d’après la fermeture est

Cartographie du paysage nocturne dans l’hinterland de Barcelone, Catalana Troll, 2005

36

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

Page 37: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

34

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

5. REPRÉSENTATIONS EMBARQUÉES

Mais là où la question posée par le territoire rejoint véritablement l’enjeu du dessin, c’est lorsque, au lieu d’investir un lieu même aussi vaste qu’un port industriel ou un parlement, la représentation peut se dessiner réellement à l’échelle d’un grand territoire, surmonter son irreprésentabilité et donc procéder du mouvement lui-même, générer des mouvements partagés. On ne ramènerait plus l’exploration comme un papillon sous cloche, mais on entraînerait le public à la chasse au papillon ! C’est le travail qu’a développé le Protocole Troll, un projet de recherche et d’expérimentation sur les mobilités nocturnes mené par AWP4. Pourquoi, comment, vers où et avec qui bouger la nuit autrement ? Après un travail intense de cartographie issu d’explorations sensibles et de séminaires d’analyse, un ou plusieurs événements publics viennent expérimenter des scénarios de déplacements pour démontrer la possibilité d’une autre intelligence nocturne d’un territoire. Ces migrations métropolitaines sont destinées dans leur forme de « représentation » à tous les publics, attirent des milliers de personnes dans des traversées qui durent des nuits entières et parcourent de grandes distances, tout en faisant étapes dans des lieux au potentiel révélé (souvent par des interventions d’artistes). Des lieux reconfigurés. Ce travail commencé sur le détroit entre Copenhague et Malmö en 2004 s’est développé dans une quinzaine de territoires métropolitains d’Europe et d’Amérique du Nord, réunissant plus d’un millier de créateurs et de chercheurs, mais aussi d’acteurs publics et privés, dans des plates-formes générant des projets temporaires ou durables avec des habitants. Des expériences d’urbanisme version 2.0.La nuit est une condition phénoménologique par excellence : on n’y voit rien, on ressent les choses différemment, accordant une autre valeur à l’expérience parce que le corps est lui-même en décalage. La ville d’après la fermeture est

Cartographie du paysage nocturne dans l’hinterland de Barcelone, Catalana Troll, 2005

36

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

Page 38: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

Cartographie du paysage nocturne dans l’hinterland de Barcelone, Catalana Troll, 2005

Lignes de bus temporaires, Roma Troll, 2004Piétonnisation de la Tangenziale, Roma Troll, 2005

Page 39: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

Cartographie du paysage nocturne dans l’hinterland de Barcelone, Catalana Troll, 2005

Lignes de bus temporaires, Roma Troll, 2004Piétonnisation de la Tangenziale, Roma Troll, 2005

Page 40: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

Lignes de bus temporaires, Roma Troll, 2004Piétonnisation de la Tangenziale, Roma Troll, 2005

39

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

ainsi le laboratoire d’autres urbanités : fugues, vides, absences, impossibilités ou conflits deviennent des matrices de projets, de rencontres.

L’éclatement des territoires réclame qu’on les investisse et que l’on reconquiert une forme d’intimité avec eux, mais il est très difficile de les représenter en étant soi-même en mouvement, en ayant des relations avec une complexité de lieux et des actions simultanées. Mais si l’on en fait une expérience partagée, alors il n’y a plus besoin de la représenter. Pour les mystiques, la parole peut devenir une action. Ici, c’est un transport qui est une action. C’est-à-dire que ces expériences de déplacements nocturnes à l’échelle de grands territoires sont explicitement des expériences de transformation, simulées et nourries par des dispositifs interactifs de navigation, de communication et de production de traces. Produire des traces, c’est l’objectif de ces odyssées nocturnes : une ligne de bus temporaire se substitue à l’absence de transport public pour proposer une modification des horaires existants ; un jardin public, considéré comme une zone de non-droit la nuit, redevient une oasis urbaine ; un équipement inactif la nuit comme une gare se reprogramme pour d’autres besoins ; un quartier stigmatisé se redéfinit comme lieu privilégié d’activités attractives à la fois pour les habitants et les visiteurs de la métropole ; un service logistique de jour est réactivé la nuit dans d’autres zones d’intervention, une centrale de mobilité associative est testée dans un campus isolé à la campagne…

Les projets Troll embarquent le public comme on lirait un dessin, un plan, en se déplaçant dessus, en assumant l’idée de représentation au sens théâtral où le mouvement est une action collective autant qu’une représentation partagée. Se résorbe l’idée de la représentation différée, du témoignage rapporté : tout en jouant des dispositifs d’interaction, c’est un écrasement du processus médiatique. Il n’y a plus les médiateurs sur la scène et le

40

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

public assis dans l’ombre, mais un processus collectif qui valide des hypothèses. C’est aussi une méthode de projet territorial, en amont des programmations, pour rester à l’échelle de conflits qui structurent la réalité du territoire, et donc une manière de dessin qui pointe en finesse les lieux, les qualités, les conflits, les potentialités. Les outils de ces stratégies de conversion du regard : des sons, des lumières, des odeurs, des gestes minuscules, des signes interactifs, des sociabilités, des traces à suivre… Presque rien, du temps mis en scène par le mouvement, pour échapper à des contradictions spatiales.

Peut-on construire des villes avec du simulacre ? Nous essayons de dessiner une nouvelle relation entre la conscience et le dehors, qui soit capable de révéler sans figer. Du dessin ? Sur le mode de l’esquisse furtive et grandiloquente, du croquis en mouvement : comme chorégraphie des dimensions urbaines, où chacun est le danseur.

NOTES

1. Maurice Merleau-Ponty (1908-1961) : figure majeure de la phénoménologie,

cofondateur de la revue Les Temps modernes avec Jean-Paul Sartre, professeur au

Collège de France. Auteur notamment de Phénoménologie de la perception (1945),

La Prose du monde (1951), Signes (1960) ou Le Visible et l’Invisible (texte inachevé,

publication posthume).

2. Le collectif Stalker et l’observatoire Nom ade, Boris Sieverts, le Latourex

(laboratoire de tourisme expérimental), Ivan Kucina (School of Missing Studies),

Sitesize, Ici-même, Campement urbain…

3. http://letempsdunemaree.wordpress.com/

4. Initié dans le cadre d’un programme de recherche de l’Institut pour la ville en

mouvement (PSA) sur la ville la nuit. http://trollawp.free.fr

Page 41: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

Lignes de bus temporaires, Roma Troll, 2004Piétonnisation de la Tangenziale, Roma Troll, 2005

39

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

ainsi le laboratoire d’autres urbanités : fugues, vides, absences, impossibilités ou conflits deviennent des matrices de projets, de rencontres.

L’éclatement des territoires réclame qu’on les investisse et que l’on reconquiert une forme d’intimité avec eux, mais il est très difficile de les représenter en étant soi-même en mouvement, en ayant des relations avec une complexité de lieux et des actions simultanées. Mais si l’on en fait une expérience partagée, alors il n’y a plus besoin de la représenter. Pour les mystiques, la parole peut devenir une action. Ici, c’est un transport qui est une action. C’est-à-dire que ces expériences de déplacements nocturnes à l’échelle de grands territoires sont explicitement des expériences de transformation, simulées et nourries par des dispositifs interactifs de navigation, de communication et de production de traces. Produire des traces, c’est l’objectif de ces odyssées nocturnes : une ligne de bus temporaire se substitue à l’absence de transport public pour proposer une modification des horaires existants ; un jardin public, considéré comme une zone de non-droit la nuit, redevient une oasis urbaine ; un équipement inactif la nuit comme une gare se reprogramme pour d’autres besoins ; un quartier stigmatisé se redéfinit comme lieu privilégié d’activités attractives à la fois pour les habitants et les visiteurs de la métropole ; un service logistique de jour est réactivé la nuit dans d’autres zones d’intervention, une centrale de mobilité associative est testée dans un campus isolé à la campagne…

Les projets Troll embarquent le public comme on lirait un dessin, un plan, en se déplaçant dessus, en assumant l’idée de représentation au sens théâtral où le mouvement est une action collective autant qu’une représentation partagée. Se résorbe l’idée de la représentation différée, du témoignage rapporté : tout en jouant des dispositifs d’interaction, c’est un écrasement du processus médiatique. Il n’y a plus les médiateurs sur la scène et le

40

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

public assis dans l’ombre, mais un processus collectif qui valide des hypothèses. C’est aussi une méthode de projet territorial, en amont des programmations, pour rester à l’échelle de conflits qui structurent la réalité du territoire, et donc une manière de dessin qui pointe en finesse les lieux, les qualités, les conflits, les potentialités. Les outils de ces stratégies de conversion du regard : des sons, des lumières, des odeurs, des gestes minuscules, des signes interactifs, des sociabilités, des traces à suivre… Presque rien, du temps mis en scène par le mouvement, pour échapper à des contradictions spatiales.

Peut-on construire des villes avec du simulacre ? Nous essayons de dessiner une nouvelle relation entre la conscience et le dehors, qui soit capable de révéler sans figer. Du dessin ? Sur le mode de l’esquisse furtive et grandiloquente, du croquis en mouvement : comme chorégraphie des dimensions urbaines, où chacun est le danseur.

NOTES

1. Maurice Merleau-Ponty (1908-1961) : figure majeure de la phénoménologie,

cofondateur de la revue Les Temps modernes avec Jean-Paul Sartre, professeur au

Collège de France. Auteur notamment de Phénoménologie de la perception (1945),

La Prose du monde (1951), Signes (1960) ou Le Visible et l’Invisible (texte inachevé,

publication posthume).

2. Le collectif Stalker et l’observatoire Nom ade, Boris Sieverts, le Latourex

(laboratoire de tourisme expérimental), Ivan Kucina (School of Missing Studies),

Sitesize, Ici-même, Campement urbain…

3. http://letempsdunemaree.wordpress.com/

4. Initié dans le cadre d’un programme de recherche de l’Institut pour la ville en

mouvement (PSA) sur la ville la nuit. http://trollawp.free.fr

Page 42: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

Jardin de pixels, Sari Myöhänen, Roma Troll, 2004

Maison fantôme, Sari Myöhänen, Roma Troll 2004

Oasis de micro-mobilité, Notte Bianca, 2004

Toronto Troll, 2005

Page 43: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

Jardin de pixels, Sari Myöhänen, Roma Troll, 2004

Maison fantôme, Sari Myöhänen, Roma Troll 2004

Oasis de micro-mobilité, Notte Bianca, 2004

Toronto Troll, 2005

Page 44: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

Toronto Troll, 2005

Page 45: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

Toronto Troll, 2005

Page 46: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

Cherry Beach, Toronto Troll, 2005 Cherry Beach, Toronto Troll, 2005

Page 47: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

Cherry Beach, Toronto Troll, 2005 Cherry Beach, Toronto Troll, 2005

Page 48: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

Cherry Beach, Toronto Troll, 2005

© 2009 École nationale supérieure d’architecture Paris-MalaquaisTous droits réservés

CYCLE DE CONFÉRENCES 2008DESSIN ET REPRÉSENTATION : COMMENT COMMUNIQUE-T-ON LES IDÉES ?L’ère de l’information nous éloigne de plus en plus des méthodes classiques de description et d’analyse. Les images et les perspectives d’ambiance sont désormais fabriquées par des agences spécialisées dans les logiciels 3D, entraînant une homogénéisation de notre imaginaire spatial. Ces images sont souvent plus convaincantes que les méthodes conventionnelles de description par plans, coupes ou même diagrammes. Google Earth remplace la lecture des cartes et la cartographie 2D. La capacité d’abstraction est-elle en voie de disparition ou de nouveaux systèmes de notation se mettent-ils en place ? Qui sera le Gaudí de demain ? Comment communique-t-on les idées ?Nasrine Seraji - AA dipl RIBA Directrice de l’ENSAPM

Comité éditorial Nasrine Seraji Jean Attali, professeur à l‘ENSAPM

Édition Aline Montels

Conception graphique Brigitte Mestrot

Révision Joëlle Bibas

Crédits photos AWP

Directrice de la publication Nasrine Seraji

Imprimerie Stipa, MontreuilDépôt légal, avril 2009

malaquais

Page 49: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

Cherry Beach, Toronto Troll, 2005

© 2009 École nationale supérieure d’architecture Paris-MalaquaisTous droits réservés

CYCLE DE CONFÉRENCES 2008DESSIN ET REPRÉSENTATION : COMMENT COMMUNIQUE-T-ON LES IDÉES ?L’ère de l’information nous éloigne de plus en plus des méthodes classiques de description et d’analyse. Les images et les perspectives d’ambiance sont désormais fabriquées par des agences spécialisées dans les logiciels 3D, entraînant une homogénéisation de notre imaginaire spatial. Ces images sont souvent plus convaincantes que les méthodes conventionnelles de description par plans, coupes ou même diagrammes. Google Earth remplace la lecture des cartes et la cartographie 2D. La capacité d’abstraction est-elle en voie de disparition ou de nouveaux systèmes de notation se mettent-ils en place ? Qui sera le Gaudí de demain ? Comment communique-t-on les idées ?Nasrine Seraji - AA dipl RIBA Directrice de l’ENSAPM

Comité éditorial Nasrine Seraji Jean Attali, professeur à l‘ENSAPM

Édition Aline Montels

Conception graphique Brigitte Mestrot

Révision Joëlle Bibas

Crédits photos AWP

Directrice de la publication Nasrine Seraji

Imprimerie Stipa, MontreuilDépôt légal, avril 2009

malaquais

Page 50: 'Corps à Corps de la Perception et du Territoire'

CORPS À CORPS DE LA PERCEPTION ET DU TERRITOIRE

malaquais

malaquais