Contamination Des Sols

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  Agence de l’Environne ment et de la Maîtrise de l’Energie Contamination des sols Transferts des sols vers les plantes Anne Tremel-Schaub et Isabelle Feix  SOLS ET TRANSFERTS

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SOLS ET TRANSFERTS

Contamination des solsTransferts des sols vers les plantesAnne Tremel-Schaub et Isabelle Feix

Agence de lEnvironnement et de la Matrise de lEnergie

Contamination des solsTransferts des sols vers les plantesAnne Tremel-Schaub et Isabelle Feix

EDP Sciences/ADEME

ISBN : 2-86883-793-X

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2005, EDP Sciences, 17, avenue du Hoggar, PA de Courtaboeuf, 91944 LesUlis Cedex A et ADEME ditions, 2, Square Lafayette, 49004 Angers Cedex.

SommaireRemerciements Rsum Introduction 1 3 5 1. Rappels sur les lments-traces1.1. Terminologie Dfinition des mtaux et mtallodes Dfinition des lments-traces Dfinition des mtaux lourds, micro-polluants mtalliques, oligo-lments,

99 9 10 10 12 12 13 13 13 14

contaminants stricts1.2. Cycles bio-gochimiques des lments-traces Gnralits sur les cycles bio-gochimiques des lments-traces Influence des activits humaines sur les cycles bio-gochimiques

des lments-traces1.3. Exposition des tres vivants aux lments-traces Notions de dose et de temps dexposition Exposition de lhomme aux lments-traces

2. Gnralits sur les transferts sol-plante des lments-traces2.1. Pntration des lments-traces par les parties ariennes 2.2. Prlvement des lments-traces par les racines Mcanismes de prlvement des lments-traces Facteurs contrlant le prlvement des lments-traces

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Sommaire

I

2.3. Devenir des lments-traces dans la plante Mcanismes de transport des lments-traces au sein du vgtal Concentrations en lments-traces dans les diffrents organes de la plante Les excrtions des lments-traces par la plante Formes chimiques des lments-traces dans la plante et leurs implications

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dans la toxicit vis--vis des animaux et de lhomme2.4. Particularits des lments As Cd Co Cr Cu Hg Mo Ni Pb Se Tl Zn

3. Prvision du transfert sol-plante des lments-traces3.1. Gnralits Modles Tests et analyses 3.2. Utilisation dans les rglementations et guides de bonnes pratiques Mise en place dune rglementation visant protger la qualit dun sol Un premier modle : le coefficient de rpartition plante-sol Un deuxime modle : lutilisation dextractions chimiques slectives

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et de modles rgressifs Un troisime modle : le flux export par la plante, les bilans entres-sorties

4. Aliments dorigine vgtale et lments-traces4.1. Estimation de lexposition journalire de lhomme aux lments-traces via les aliments dorigine vgtale en France Teneurs en lments-traces dans les vgtaux en France Teneurs en lments-traces dans les aliments dorigine vgtale en France La notion de dose : carences et excs

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II

Contamination des sols : transferts des sols vers les plantes

Mthodes destimation de lexposition aux lments-traces par lalimentation Exposition aux lments-traces par lalimentation en France 4.2. Exposition des animaux dlevage aux lments-traces par lalimentation dorigine vgtale en France Teneurs des fourrages et des aliments pour le btail La notion de dose : carences et excs Exposition aux lments-traces des animaux dlevage 4.3. Les seuils pour lalimentation vgtale dans les rglementations et guides de bonnes pratiques nationaux et internationaux Les seuils dans lalimentation humaine Les seuils dans lalimentation animale

118 121 128 128 129 129 131 131 133

5. Conclusion5.1. Complexit des mcanismes de transfert des lments-traces du sol vers la plante et nombre lev de facteurs les contrlant 5.2. Difficults pour prvoir le transfert des lments-traces du sol vers le vgtal 5.3. Quelques mthodes (quasi) oprationnelles pour valuer la probabilit de transfert Coefficient de rpartition plante/sol Autres modles rgressifs Extraction chimique slective en squentielle Tests Essais in situ 5.4. Modifications des concentrations en lments-traces lors de la transformation du produit agricole rcolt en aliment directement consommable 5.5. Rle des quantits daliments consommes 5.6. Les maillons dune chane complexe

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Rfrences bibliographiques

Annexe 1 - Fiches bibliographiques relatives des essais de plein champ 157 Annexe 2 - Teneurs naturelles dans les plantes cultives et dans les aliments 335 base de vgtaux Annexe 3 - Seuils nationaux et internationaux dans les aliments dorigine 373 vgtale Annexe 4 - Effets toxiques des lments-traces en excs sur lhomme 389 Annexe 5 - Lexique de dfinitions 403 Annexe 6 - Noms latins des plantes cultives vocation alimentaire 407

Sommaire

III

RemerciementsCe travail de collecte de documents et de synthse de connaissances scientifiques naurait pas pu tre ralis sans la collaboration de nombreuses personnes. Quelles en soient vivement remercies. Nous exprimons particulirement notre reconnaissance aux personnes qui ont fait partie du comit de relecture du document : Serge Bourgeois (INA-PG), Franoise Declotre (CNRS-CNERNA, Paris), Frdric Dor (ADEME, Paris), Brigitte Enriquez (ENV, Maisons-Alfort), Anne Fayolle, Sabine Huet, Thierry Moulin & Nathalie Valentin (MRA Haut-Rhin, Colmar), Alain Gomez & Michel Mench (INRA, Bordeaux), Vincent Houben (CA Maine et Loire), Rmi Koller (ARAA, Strasbourg), Christophe Schwartz (ENSAIA, Nancy), Michel Sentex (MVAB, Toulouse), Thibault Sterckeman (INRA, Arras), Jean-Marc Mrillot & Jacques Wiart (ADEME, Angers). Nous sommes aussi redevables toutes les personnes qui ont contribu ce travail : Domy C. Adriano (Universit de Gorgie, tats-Unis), Valrie Amans (CA, Besanon), Jean-Yves Baliteau (SADEF, Aspach-leBas), Jean-Philippe Bernard (APCA, Paris), Corinne Bitaud (SCPA, Aspach-le-Bas), Jean-Marie Bodet (ITCF, Varades), Roseline Bonnard (INERIS, Verneuil-en-Halatte), Klara Bujtas (Acadmie des Sciences hongroise, Budapest), Philippe Cambier (INRA, Versailles), J.D. Caseley (ministre de lAgriculture, Londres), Pierre Castillon (ITCF, Bazige), Fredi Clardin (Laboratoire Cantonal dAgronomie de Jussy, Suisse), Andrew C. Chang (Universit de Californie, tats-Unis), Christian Charbonnier (CA, Oraison), Rmi Chaussod (INRA, Dijon), Jean-Pierre Clment (OFEFP de Berne, Suisse), Pierre Coullery (cole Polytechnique fdrale de Lausanne, Suisse), M. De Borde (Laboratoire Interrgional de la Rpression des Fraudes dIllkirch-Graffenstaden), dith Degans (CREID, Dunkerque), Christelle Dehaine (CA, Amiens), Sergio Facchetti (Joint research Centre Environment Institut dIspra, Italie), Damien Franois (Soufflet Agriculture, Nogent sur Seine), Dominique Frelet (CA, Bois Guillaume), C. Grasmick (ministre

Remerciements

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du Travail et des Affaires Sociales), Agns Grimal (ENSIA, Massy), ric Guillemot (SNDF, Paris), Gilles Hamelin (Proval, Bihorel), Xavier Hdevin (TVD, Voiron), Pivi Kopponen (Universit de Kuopio, Finlande), Michel Lamand (INRA, Saint-Gens Champanelle), Michel Leuillet (ITCF, Paris), J. Lucbert (Institut de llevage, Paris), Jean Madelon (CETIOM, Paris), Ritva Mkel-Kurtto (Centre de recherche en Agriculture de Jokioinen, Finlande), Steve McGrath (IACR de Rothamsted, Royaume-Uni), Guy Milhaud (ENV, Maisons-Alfort), Jean-Louis Morel (ENSAIA, Nancy), Sandrine Moro (CA, Troyes), Catherine Motte (CA, Auxerre), Sylvain Ouettet (Environnement Canada, Qubec), T. Pauwels (Moulins Soufflet, Pantin), Brigitte Pilard-Landeau (ONF, Compigne), Daniel Plnet (INRA, Bordeaux), Florence Pouessel (CA, Privas), Dominique Poulain (ENSAR, Rennes), Andr Pouzet (CETIOM, Paris), Yvan Pruvot (Soufflet Alimentaire, Valenciennes), M. Rauls (ministre de lEnvironnement du Saarland, Saarbrcken, Allemagne), Clotilde Renard (APCA, Paris), Gerda Rentschler (Institut Suprieur International de Zittau, Allemagne), Ants Roberts (Ruakura Agricultural Research Centre dHamilton, Nouvelle Zlande), Christian Ruer (CA, Chlons-en-Champagne), Pierre Six (CA, Lille), Martine Terc (INRA, Versailles), Henk Van Latesteijn (Scientific Council for Government Policy de den Haag, Pays-Bas), Jaco Vangronsveld (Universit du Limbourg, Belgique), Gyrgy Varallyay (RISSAC, Budapest), Sylvie Venague (CA, Dijon), Umweltbundesamt de Berlin.

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RsumUn des aspects de la scurit alimentaire est le contrle des teneurs en lments-traces des aliments dorigine vgtale (pour lhomme et le btail). Pour assurer de ce point de vue la qualit des denres, il est ncessaire de connatre les facteurs rgissant le transfert des lments-traces du sol vers la plante en amont , puis ceux qui ont une incidence sur la teneur finale de laliment en aval et donc sur lexposition des consommateurs aux lments-traces. Lobjectif principal de cette brochure est de faire ltat de lart sur le transfert de douze lments-traces (As, Cd, Co, Cr, Cu, Hg, Mo, Ni, Pb, Se, Tl et Zn) des sols vers les plantes vocation alimentaire et daborder rapidement laspect alimentation dorigine vgtale. La phytodisponibilit dun lment est dfinie comme la quantit dlment qui peut tre prleve par la plante durant son dveloppement. Elle rsulte de processus successifs qui contribuent au transfert de llment de la phase solide du sol aux tissus de la plante : loffre du sol, le transport vers les racines, le prlvement par les racines, le transport de llment vers les diffrents organes vgtaux. La phytodisponibilit est sous linfluence de facteurs lis au sol (pH, potentiel doxydo-rduction, capacit dchange cationique), la plante et aux micro-organismes du sol (espce, varit, stade de dveloppement, excrtions racinaires), au climat (temprature, humidit), aux techniques culturales, aux caractristiques de llment et aux interactions entre lments. Dune faon gnrale, les teneurs sont plus importantes dans les organes vgtatifs (feuilles et tiges) que dans les organes reproducteurs (grains et fruits). Cette rpartition est aussi fonction de lespce vgtale. Les scientifiques ont mis au point des mthodes de prvision de la phytodisponibilit, afin de prvenir les carences des rcoltes en oligo-lments, la phytotoxicit, ou les fortes concentrations dans les vgtaux vocation alimentaire. Les personnes charges dlaborer les seuils rglementaires dans les sols utilisent parfois certaines de ces mthodes dans leurs calculs de risque. Aucune mthode de

Rsum

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prvision de transfert nest entirement satisfaisante pour le moment. Les modles sont une reprsentation simplifie de la ralit complexe du transfert, qui prvoient, laide dquations, le transfert de faon chiffre. Les modles mcanistes ne sont actuellement pas applicables de faon simple des situations concrtes o lon attend une rponse rapide aux questions de risque de transfert dun lment-trace vers la chane alimentaire. Les modles fonctionnels peuvent, quant eux, tre utiliss dans des modles dvaluation des risques lis la pollution des sols, dans le cadre notamment de la gestion des sites pollus. Enfin, que ce soit dans le cadre de la gestion des sites pollus ou dans celui des sols agricoles, les tests et les analyses sont simples mettre en uvre et oprationnels, mme si les rponses obtenues manquent de prcision : analyse de vgtaux rcolts maturit sur le terrain ou cultivs en pots en conditions contrls, extractions chimiques slectives par des complexants organiques (ex. : EDTA, DTPA) ou des solutions salines (ex. : CaCl2, NaNO3, NH4NO3). Les analyses de terre ne peuvent tre utilises que si un rfrentiel dinterprtation des rsultats est disponible pour de nombreux types de sols et de plantes, pour la solution utilise et llment tudi, et si les protocoles sont normaliss, ce qui reste concrtiser en France. Une autre mthode oprationnelle est lutilisation de coefficients de rpartition moyens, quotients de la concentration en un lment-trace dans la plante et dans le sol. Ces coefficients, spcifiques dun couple lment/espce vgtale, donnent un ordre de grandeur du transfert rapidement et moindre frais. Ils permettent de dgager des priorits quant aux choix des lments-traces ou des espces pour des tudes plus pousses. Ils ne sont cependant pas suffisants pour estimer un risque de faon satisfaisante. La teneur dun aliment en lments-traces ne reflte pas toujours celle de la matire premire. Il peut y avoir perte ou enrichissement pendant la cueillette, le transport, la transformation du vgtal en aliment dans lusine, le stockage, puis la prparation culinaire. Lagriculteur nest pas le seul acteur de la qualit dun aliment. Lestimation des expositions de la population franaise au Pb, Cd, Hg et Tl par lalimentation montre quelles sont trs infrieures aux doses maximales admissibles. Pour maintenir cette scurit alimentaire, il faut surveiller les teneurs des aliments vgtaux les plus consomms. Lestimation des expositions au Cu, Se et Cr indique que la population franaise est lgrement dficiente. Le Mo, le Cu, le Pb et le Cd sont surtout apports par des denres dorigine vgtale, le Hg, le Zn, lAs et le Se par des denres dorigine animale. Le Co, le Ni et le Cr proviennent autant de la consommation de produits vgtaux que de produits animaux. Les animaux dlevage taient globalement carencs en oligo-lments. Aujourdhui, les complmentations pallient ces insuffisances. Un autre objectif de cette brochure est de servir de manuel de rfrence pratique dans les domaines suivants : teneurs courantes en lments-traces dans les organes consomms des vgtaux, seuils rglementaires ou recommands en lments-traces dans les aliments dorigine vgtale, exprimentations de plein champ ayant pour but dtudier le transfert sol-plante des lments-traces. Ces sujets sont traits sous forme dannexes synthtiques.

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IntroductionLa France est incontestablement une grande puissance agricole, elle occupe la premire place europenne pour de nombreux indicateurs : surface agricole utile (21 % de la SAU de lUnion europenne des 15 et 18 % des 25), 23 % de la production agricole de lUnion europenne des 15, 2nd exportateur mondial de produits agricoles et alimentaires, production de lUnion europenne des 15 (33 % bl, 34 % mas, 52 % vin, 29 % bovins et 29 % volatiles). Au sein de lconomie franaise, lagriculture et les industries agro-alimentaires tiennent aussi une grande place : 55 % du territoire, et elles contribuent fortement lamlioration du solde de la balance commerciale. La superficie totale de la France (55 millions dhectares) se rpartit comme suit : 30 millions dhectares surface agricole utile, 3 millions dhectares territoire agricole non cultiv (parcours, landes, friches, etc.), 15 millions dhectares bois et forts, 7 millions dhectares territoire non agricole (sols btis, routes, parcs et jardins, etc.). Il est donc tout fait primordial, surtout dans le cadre de la prvention de la pollution diffuse des sols, dvaluer les risques lis la prsence dlments-traces dans les sols agricoles. Les risques concernent trois types de cibles : la sant de lhomme (le consommateur des produits agricoles) via la contamination de la chane alimentaire par les cultures et le btail (bio-accumulation),

Introduction

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les cosystmes trs anthropiss que constituent les agrosystmes (phytotoxicit pour les cultures, zootoxicit pour le btail et cotoxicit pour les organismes vivants du sol ou la faune et la flore sauvages des cosystmes terrestres), loutil primaire de production et le patrimoine foncier national que constituent les sols agricoles (risques conomiques de dvaluation des terres et des produits agricoles). La pollution diffuse par les lments-traces entrane une lente mais progressive accumulation dans les sols. En raison des surfaces concernes, ses effets, lorsquils seront visibles sur de grandes superficies, seront quasi irrversibles car il ne pourra pas tre raisonnablement envisag de dcontaminer tous les sols concerns. Paradoxalement, les pouvoirs publics franais ne se proccupent de la protection des sols agricoles que depuis peu (comparativement celle de leau et de lair). Cest galement rcemment que le monde agricole (propritaires et fermiers) et les repreneurs de produits agricoles (industries agro-alimentaires, coopratives, grande distribution, etc.) se soucient de la contamination des cultures par les lmentstraces. Leurs craintes (principalement conomiques) sont la dprciation des terres (revente de parcelles) et celle des produits agricoles (exportations, etc.). Elles se traduisent, de plus en plus souvent, dans le cas des repreneurs de produits agricoles, par des obligations de type parcelle nayant pas reu de boues dpuration , parcelle se trouvant plus dun kilomtre dun grand axe routier , et dans le cas du monde agricole, par des recommandations de type ne pas pandre de boues dpuration ou de composts urbains (ex. : vigne). Il est vrai que s attaquer lvaluation des risques lis la pollution des sols agricoles est complexe : Il existe de nombreuses sources potentielles de pollution. Outre les boues dpuration et les composts urbains (qui ne concernent que moins de 5 % de la surface agricole utile), les dpts atmosphriques au voisinage dindustries ou daxes routiers, certaines pratiques agricoles courantes (telles que : pandage des effluents dlevage, engrais phosphats et bouillie bordelaise) sont susceptibles dapporter des lments-traces. La spciation des lments-traces, qui influe sur leur mobilit et biodisponibilit, dpend de nombreux facteurs (sources de pollution, itinraires techniques, conditions pdo-climatiques, etc.). Les espces vgtales, voire les varits, prsentent des capacits de bioaccumulation trs variables. Il existe un trs grand nombre de voies de transfert du sol vers les cosystmes et lhomme. Etc. Il est vrai galement que le sol a un certain pouvoir tampon qui lui permet daccumuler durant des dcennies des lments-traces amens de manire diffuse, avant que des effets nfastes ne soient constats. Par ailleurs, les recherches sur les lments-traces (dans les boues essentiellement) et leur volution, une fois introduits dans les sols, ont t nombreuses depuis 30 ans, tant en France qu ltranger. La majorit des recherches concerne leur comportement dans le sol et leur transfert dans les cultures. En France on dnombre environ 50 sites exprimentaux, essais et observatoires (passs ou en cours). Il est donc apparu indispensable de rassembler les informations la fois riches, mais disperses dans de nombreux articles scientifiques souvent en anglais ou, pire dans des rapports dormant au fond darmoires , pour les synthtiser, les vulgariser et les rendre accessibles par les ingnieurs et techniciens chargs de conseiller les agriculteurs, les chargs environnement des instituts techniques agricoles ou agro-alimentaires, voire dans une certaine mesure, les valuateurs des risques lis la pollution des sols agricoles. Nous esprons que cette brochure tablira un pont entre la recherche et la mobilisation de ses rsultats par les oprateurs de terrain. Afin de rdiger cette synthse, il fallait une personne capable de faire le lien entre ces deux mondes. Cest pourquoi lADEME a confi ce travail Anne Trmel-Schaub, qui a ralis son doctorat sur le transfert sol-plantes du thallium au sein de lINRA de Bordeaux et qui travaille depuis au sein de lAssociation de Relance Agronomique dAlsace Colmar. Les inquitudes actuelles portant essentiellement sur la qualit sanitaire des cultures, nous avons choisi de ne traiter dans cette brochure que des transferts vers les plantes cultives vocation alimentaire

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(homme et btail), en laissant provisoirement de ct les plantes sauvages (qui relvent plus de problmes de bioaccumulation et biomagnification dans les cosystmes naturels terrestres). Nous avons galement choisi de traiter en priorit les lments-traces (par rapport aux micro-polluants organiques) pour deux raisons : les connaissances scientifiques sur ces lments sont les plus nombreuses, ce sont les polluants qui posent le plus de problmes long terme puisquils ne se dgradent pas et tendent saccumuler progressivement dans la biosphre et plus particulirement dans les agrosystmes. Douze lments-traces sont pris en compte : lAs, le Cd, le Co, le Cr, le Cu, le Hg, le Mo, le Ni, le Pb, le Se, le Tl et le Zn. Ils ont t choisis en raison de la frquence leve des effets toxiques de ces lments pour lhomme ou le btail et de leur prsence dans les rglementations protgeant ces organismes vis-vis du risque de leur transfert du sol vers les cultures. Dun point de vue rglementaire en France : les teneurs en Cd, Cr, Cu, Hg, Ni, Pb, Se et Zn dans les boues et/ou les sols doivent tre contrles lors de lpandage de boues urbaines (Arrt du 8 janvier 1998) ; des boues, effluents et dchets industriels provenant des installations classes pour la protection de lenvironnement (Arrt 17 aot 1998), les teneurs en Cd, Cr, Cu, Hg, Ni, Pb, Se, Zn, As et Mo doivent tre contrles pour la mise sur le march damendements organiques, damendements calciques ou magnsiens, damendements organiques avec engrais et dengrais (Arrt du 21 dcembre 1998 et guide pour la constitution des dossiers de demande dhomologation de 2001), les teneurs en As, Cd, Hg et Pb doivent tre contrles dans lalimentation animale (Arrt du 12 janvier 2001). Le Tl tait prsent dans lordonnance suisse sur la protection des sols contre les atteintes (Osol de 1986). Il a t limin en 1997 de la liste des lments potentiellement risque, mais nous avons choisi de linclure dans cette synthse bibliographique en raison de sa forte toxicit pour lhomme et du peu de donnes existant sur cet lment en France. Le Cu, le Zn, le Mo, le Co et le Se sont apports sous forme de granuls ou de pierres lcher dans les rations alimentaires du btail pour pallier les carences. Mais en raison de la toxicit de ces lments pour les animaux des doses leves, ils apparaissent dans les rglementations allemande et britannique concernant les teneurs des aliments pour le btail. Cette brochure est la toute premire dune nouvelle collection ADEME sur les transferts et modles lis la pollution des sols ( venir : tat de lart sur les transferts des composs traces organiques et des lments-traces des sols vers le btail). De plus, elle complte utilement la brochure ADEME / INRA Les micropolluants mtalliques dans les boues rsiduaires des stations dpuration urbaines (collection valorisation agricole des boues dpuration ) de Juste et al. (1995). Aprs un rappel succinct sur les lments-traces (chapitre I), il nous a sembl utile de prsenter ltat des connaissances scientifiques acquises sur les transferts sol-plantes des lments-traces (chapitre 2). Ce chapitre explique les mcanismes de prlvement par les racines et de transport au sein du vgtal, en prcisant les facteurs contrlant le prlvement, la rpartition dans les diffrents organes vgtatifs et la spciation des lments-traces au sein du vgtal. Les particularits de chaque lment y sont galement prsentes. Le chapitre 3 prsente les diffrents modles, tests, analyses et essais permettant de prvoir les transferts sol-plantes (y compris ceux utiliss dans la rglementation et les guides de bonnes pratiques pour la fixation des seuils en lments-traces dans les sols, dans les produits pandus, etc.). Des recommandations sur lutilisation de ces outils sont galement donnes dans le chapitre 3 pour tous les oprateurs de terrain qui conseillent les agriculteurs. La connaissance de la teneur en lments-traces dans les produits agricoles rcolts ( la parcelle) ne suffit pas pour valuer leurs teneurs dans les aliments dorigine vgtale (dans notre assiette ou dans la mangeoire du btail), et encore moins pour valuer lexposition de lhomme ou des animaux via ces aliments. En effet, lpluchage, la sparation du grain de son enveloppe, la cuisson, le conditionnement, la multiplicit (ou non) des approvisionnements, etc. peuvent concentrer, ajouter ou au contraire diluer les lments-traces dans les aliments. Afin de sensibiliser le technicien ou ingnieur agricole plus proche

Introduction

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de la culture que du contenu de lassiette, le chapitre 4 est consacr lexposition de lhomme et des animaux dlevage, aux lments-traces via les aliments dorigine vgtale en France. Ce chapitre fait galement le point sur les seuils pour lalimentation vgtale tant en France qu ltranger. Dans le souci de valoriser les exprimentations effectues, essentiellement in situ, en France ou en Suisse, lannexe 1 rassemble prs de 20 fiches (une par exprimentation). Outre la prsentation de toutes ces exprimentations selon un mme plan et de manire synthtique, ces fiches offrent lavantage de contenir une analyse critique et de prsenter des rsultats de traitement comparables (certains ont t calculs a posteriori partir des donnes brutes des documents). Tous les sites franais nont malheureusement pas pu tre traits, faute de temps ou parce que certaines exprimentations ntaient pas termines. Nanmoins, tous ceux qui mettent en place ou qui grent dj des sites exprimentaux pourront puiser des conseils et des ides dans lannexe 1 et pourront comparer leurs rsultats avec ceux des fiches. Lannexe 2, qui constitue un rfrentiel des teneurs naturelles (ou du moins habituelles) dans les plantes cultives et dans les aliments base de vgtaux, complte le chapitre 4. Elle montre la grande variabilit tant inter- quintra-espces. Lannexe 3 dtaille les seuils nationaux et internationaux dans les aliments dorigine vgtale et complte galement le chapitre 4. Elle permettra de rpondre aux nombreuses questions que le monde agricole se pose vis--vis de lexportation de ses produits. Un trs bref rappel sur les effets toxiques des lments-traces sur lhomme est fait dans lannexe 4. Cette annexe, qui na pas la prtention de remplacer les nombreux traits de mdecine sur le sujet, nest l que pour sensibiliser et informer le lecteur. Un lexique est disponible en annexe 5. Il dfinit les termes scientifiques ou techniques utiliss dans la brochure. Enfin, les noms latins des principales cultures vocation alimentaire (pour lhomme et le btail) sont lists en annexe 6. Elle permettra ceux qui dsirent en savoir (toujours) plus, de consulter plus aisment certains documents scientifiques. Cette brochure est issue de la lecture denviron 200 documents, et nest donc pas exhaustive sur le sujet. Les ouvrages consults sont en majorit franais, allemands, britanniques, scandinaves, amricains et australiens, pays qui ont plus particulirement tudi ce domaine. Seul le transfert sol-plante a t trait. La contamination des vgtaux par la voie atmosphrique existe, mais son importance par rapport au prlvement par les racines tant controverse, nous avons choisi de ne pas traiter en dtail cet aspect. Le lecteur press pourra ne lire que les encadrs Les bases figurant dans les chapitres 2 et 3 et ceux retenir sur figurant la fin des chapitres 2, 3 et 4. Quant au lecteur curieux ou dont le besoin de connaissance na pas t compltement assouvi, il pourra se reporter la bibliographie et procder une analyse plus fouille sur les points qui lintressent. Les rfrences listes sont pour la plupart consultables au Centre national de documentation de lADEME Angers, ouvert au public (prendre RDV). Isabelle Feix Dpartement Gestion biologique et Sols ADEME

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Contamination des sols : transferts des sols vers les plantes

1.

Rappelssur les lments-traces1.1. Terminologie1.1.1. Dfinition des mtaux et mtallodes Les lments chimiques sont dsigns par des symboles chimiques (C pour carbone, Pb pour plomb) et classs dans la table priodique, encore appele tableau de Mendeleev (Figure 1.1). Comme les lettres de lalphabet se combinent pour former des mots, les lments chimiques se combinent pour former des molcules, base de toute matire. La table priodique est constitue de 7 lignes horizontales (priodes ou sries) et 16 colonnes verticales (groupes ou familles). Les lments dun mme groupe se ressemblent gnralement du point de vue comportement chimique, tandis que dans une priode donne, les lments varient progressivement, avec des caractres trs lectropositifs (lments mtalliques) sur le ct gauche du tableau, jusqu des caractres trs lectrongatifs (lments non mtalliques) sur le ct droit. Les mtaux sont caractriss par lexistence dun rseau mtallique ltat solide (des ions positifs dans une mer dlectrons) et par une tendance cder des lectrons (soxyder). Les 6 gaz rares inertes (He, Ne, Ar, Kr, Xe, Rn) plus les halognes (F, Cl, Br, I, At), lH, le B, le C, lN, lO, le P et le S sont des non-mtaux. Si, Ge, As, Se, Sb et Te sont des mtallodes (qui ont un caractre mtallique partiel ou peuvent exister sous des formes mtalliques ou non mtalliques). Les 68 lments naturels restants sont des mtaux et ont, sous leur forme lmentaire pure, des caractres physiques communs : bonne conductivit lectrique et thermique, haute densit, mallabilit et ductilit (Bargagli, 1998). la diffrence des produits phytosanitaires ou du nylon, qui sont des molcules de synthse produites par lhomme, les lments sont tous prsents de faon naturelle et normale dans la crote

Rappels sur les lments-traces

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terrestre. Ils se combinent avec dautres lments chimiques pour former des composs minraux et organo-minraux plus ou moins stables. 1.1.2. Dfinition des lments-traces Les lments sont dits traces par rapport leur concentration massique dans un certain milieu. Lorsque leur teneur est infrieure un pour mille en moyenne dans la crote terrestre, ce sont des lmentstraces de la crote. Lorsque leur concentration est infrieure 0,1 pour mille dans les tres vivants (certains auteurs donnant une limite de 1 % dans les plantes), ils sont qualifis dlments-traces des tres vivants. Certains mtaux sont des lments majeurs (Ca, Mg, K), dautres des lments-traces (Zn, Cd, Cu, Co, Cr, Tl, Hg, Ni, Mo, Pb). Certains mtallodes ou non-mtaux sont des lments majeurs (C, O), dautres des lments-traces (Se, As). Le carbone et lazote sont des lments-traces dans la crote terrestre, mais des lments majeurs chez les animaux et les vgtaux. linverse, le fer, le manganse et laluminium sont des lments majeurs dans la crote terrestre, alors quils sont prsents ltat de traces dans les tres vivants. 1.1.3. Dfinition des mtaux lourds, micro-polluants mtalliques, oligo-lments, contaminants stricts La dnomination lment-trace est parfois confondue avec celles de mtal lourd, de micro-polluant mtallique ou encore doligo-lment. Le terme de micro-polluant mtallique implique trois notions : lment-trace, qui pollue (cest--dire dont laccumulation, au-del dun certain seuil dans le milieu, revt un danger pour les organismes), mtallique. Les oligo-lments sont des lments-traces indispensables aux tres vivants. Ceux-ci sont carencs si la concentration de ces lments dans leurs tissus est infrieure un seuil. Les oligo-lments ne sont pas les mmes pour les animaux et pour les plantes. Les lments dont le caractre essentiel pour les tres vivants na pas t dmontr sont appels contaminants stricts. Il en rsulte la classification suivante pour lhomme (Tableau 1.1).Tableau 1.1 : Classification des oligo-lments et des contaminants stricts.

Pour lhomme (tudis dans ce document) Oligo-lments risque lev de carence Oligo-lments faible risque de carence (non prouve chez lhomme) Contaminants stricts Pour les plantes suprieures (Bargagli, 1998) lments essentiels lments bnfiques Contaminants stricts

Cu, Zn, Se, Cr, Mo Ni, Co, As Pb, Cd, Hg, Tl

B, Co, Cu, Fe, Mn, Mo, Zn Cl, Cr, F, I, Li, Na, Ni, Rb, Se, Si, Sr, Ti, V Br, Cd

Les mtaux lourds sont des mtaux formant des prcipits insolubles avec les sulfures. Dautres dfinitions existent : mtaux dont la masse volumique est suprieure 6 g.mL1 (parfois la dfinition donne une limite de 4,5 ou 5,0 g.mL1) ; mtal dont le numro atomique est suprieur 20. Les mtaux lourds sont rputs toxiques, alors que certains sont des oligo-lments (Cu, Zn, Fe). Cest pourquoi le terme de mtal lourd est souvent appliqu tort des lments en raison de leur toxicit. De plus, certains lments sont dclars mtaux lourds alors quils sont des mtallodes (Se, As) ou quils ne sont pas lourds (Be, Al). De fait, il est prfrable de ne pas utiliser ce vocable, devenu ambigu.

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Contamination des sols : transferts des sols vers les plantes

mtaux alcalins mtaux de post-transition halognes

gaz rares

H Bbore carbone azote

mtaux alcalino-terreux

Hehlium

hydrogne

Limtaux de transition

Be Alaluminiumsilicium

C Si Gegermanium

N Pphosphore

Ooxygne

Ffluor

Nenon

lithium

bryllium

Na Vchrome manganse fer cobalt nickel cuivre zinc galium

Mg Cr Momolybdne techncium ruthnium rhodium palladium argent cadmium indium

Ssoufre

Clchlore

Arargon

sodium

magnsium

K Nb Tatantale tungstne rhnium osmium iridium platine or mercure

Ca Tc Re Os Ir Pt Au Hg Tlthallium

Sc Ru Rt Pd Ag Cd In

Ti

Mn

Fe

Co

Ni

Cu

Zn

Ga

Asarsenic

Seslnium

Brbrome

Krkrypton

potassium

calcium

scandium

titane

vanadium

Rb W

Sr

Y

Zr

Sntain

Sbantimoine

Tetellure

Iiode

Xexnon

rubidium

strontium

yttrium

zirconium

niobium

Cs

Ba

La

Hf

Pbplomb

Bibismuth

Popolonium

Atastate

Rnradon

csium

baryum

lanthane*

hafnium

Fr Cecrium prasodyme nodyme

Ra Pr Paprotactinium uranium

Ac Nd U Np Pm Sm Eu Gd Tbterbium

francium

radium

actinium**

*Lanthanodes

Dydysprosium

Hoholmium

Ererbium

Tmthulium

Ybytterbium

Luluttium

promthium samarium europium gadolinium

**Actinodes

Th

Pu Am Cm Bkcurium

Cf

Esberklium californium einsteinium

Fmfermium

Md

Nomendlvium noblium

Lrlawrencium

thorium

neptunium plutonium amricium

en italique : mtal

lments-traces tudis dans la brochure

autres lments-traces de la crote terrestre

lments majeurs de la crote terrestre

Rappels sur les lments-traces

Figure 1.1 : Classification priodique des lments.

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1.2. Cycles bio-gochimiques des lments-traces1.2.1. Gnralits sur les cycles bio-gochimiques des lments-traces Les teneurs en lments-traces sont variables selon les types de roches. Certaines roches ont des concentrations trs leves en lments-traces (jusqu plusieurs pour cent), et sont qualifies de minerais. Le sol rsulte de laltration de la roche mre sous-jacente sous linfluence de processus physiques, chimiques et biologiques. Les lments-traces prsents dans les roches se retrouvent donc dans les sols, des teneurs variables selon la composition initiale de la roche mre et le type de pdogense qui a eu lieu. De mme, les lments-traces sont prsents dans tous les autres compartiments de lenvironnement de faon naturelle et normale, dans les eaux, dans lair et dans les tres vivants. lchelle plantaire, les quantits dlments-traces sont toujours les mmes. Par contre leur localisation et leur forme chimique peuvent tre modifies par des phnomnes naturels ou par lintervention de lhomme. Par exemple, lexploitation dun minerai de Pb (prlev plusieurs dizaines ou centaines de mtres de profondeur) disperse llment dans la biosphre (qui prsente quelques mtres dpaisseur) autour de la mine, puis autour des usines mtallurgiques (avec augmentation des

roche

ocan

sol

Engrais et amendements minraux

Eau continentale

plante

air herbivores

Produits et rejets industriels

carnivores

Complments minraux

processus lchelle de quelques annes processus lchelle de quelques centaines dannes processus lchelle du milliard dannes (adapt de Lamand,1991a)Figure 1.2 : Cycle des lments-traces au sein de la biosphre.

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Contamination des sols : transferts des sols vers les plantes

teneurs locales dans les sols, lair, les eaux et les tres vivants) ou autour des usines chimiques fabricant du Pb ttra-thyle, qui son tour sera dispers par la combustion de lessence plombe. Les sols sont galement enrichis par le transport sur de longues distances, qui peuvent tre soit dorigine naturelle (par exemple des retombes des ruptions volcaniques), soit dorigine anthropique. Il y a donc un vritable cycle des lments-traces, comme il existe un cycle des lments majeurs comme le phosphore, au cours duquel les lments changent de compartiment et de forme chimique sous linfluence de processus naturels ou des activits humaines. lchelle de lcosystme, le cycle des lments-traces peut tre schmatis comme sur la figure 1.2. Les agrosystmes sont des cosystmes particuliers. Il est possible dtablir un bilan des entres et des sorties des lments-traces lchelle de lexploitation agricole (Tableau 1.2).Tableau 1.2 : Bilan des entres et des sorties de Cd sur trois types dexploitations agricoles en Suisse.

Apports (g.ha1.an1) levage avec production fourragre Exploitation mixte Exploitation cralire levage de porcs(OFEFP, 1996)

Exportations (g.ha1.an1) 0,9 1 0,4

Accumulation dans le sol (g.ha1.an1) 1 1,8 2,3

1,9 2,8 2,7

1.2.2. Influence des activits humaines sur les cycles bio-gochimiques des lments-traces On spare traditionnellement les lments-traces dont lorigine est naturelle (fond gochimique ou, dans le cas des sols, fond pdo-gochimique), des lments naturels mais disperss dans le milieu par des activits humaines (origine anthropique). Les lments dorigine anthropique sajoutent localement aux lments dorigine naturelle, et font augmenter dautant les concentrations dans les sols, les eaux et lair. Leur forme chimique est souvent plus disponible pour les tres vivants que celle des lments dorigine naturelle (qui sont par exemple plus fortement fixs au sol). Ils prsentent donc, dans la plupart des cas, davantage de risque pour les cosystmes. Certains apports anthropiques dlments-traces sont peu ou pas contrlables car lis de nombreuses activits humaines (Tableau 1.3). Pour dautres apports anthropiques, il est possible de faire une valuation de ce qui entre sur la parcelle (Tableau 1.4).

1.3. Exposition des tres vivants aux lments-traces1.3.1. Notions de dose et de temps dexposition Les notions de dose et de temps dexposition sont fondamentales pour ltude des lments-traces. Lexposition aigu des organismes vivants une dose leve dlment-trace (quil soit oligo-lment ou contaminant strict) ou bien laccumulation dans les tissus suite une exposition chronique, entranent des effets de toxicit. Le passage de la fonction doligo-lment celle dlment toxique dpend de la nature, de la teneur et de la disponibilit de llment et du milieu considr. Lalchimiste Paracelse, ds le XVIe sicle, avait pressenti ce phnomne en affirmant : tout est poison, rien nest poison, cest la dose qui fait le poison.

Rappels sur les lments-traces

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Tableau 1.3 : Entres anthropiques dlments-traces dans des sols accueillants ou proches dactivits humaines passes ou prsentes.

infrastructures de transport

air vici des tunnels routes parkings trafic arien chemin de fer chauffage combustibles fossiles usines gaz entrepts charbon rservoirs cbles souterrains incinration des ordures mnagres piles, batteries et accumulateurs entreposage provisoire de scories dincinration stations dpuration installations de compostage installations dinfiltration

Pb, Cd, Zn Pb, Cd, Cu, Zn Pb, Cd, Zn Pb, Cd, Cu, Zn Cu, Cd, Zn Pb, Cd, Zn, V, Cu, Cr, Ni, Hg, Se, As Pb, Cd, Zn, As Pb, Cd, Zn, Hg Pb, Cd, Zn, Cr Pb, Cd, Cu Pb, Cd, Zn Cd, Cu, Cr, Pb, Ni, Zn, Hg, Se, As Pb, Cd, Zn Cr, Cu, Ni, Zn Pb, Cd, Zn Pb, Cd, Cu, Zn Hg

nergie

limination des dchets et assainissement des eaux

crmatoires installations sportives et militaires stands de tir terrains de tir places darmes tir au pigeon manges et paddocks industrie textile traitement du bois, fabrication de meubles imprimeries peintures traitement du cuir, fabrication de chaussures traitement du plastique construction de machines et de vhicules lectrotechnique transformation du verre cimenteries production de fer et dacier haut fourneau de Cu haut fourneau de Zn haut fourneau de Ni haut fourneau de Pb haut fourneau dor production de Cd production de ferrochrome production de briques rfractaires

Pb, Sb, Zn Pb, Sb, Zn Pb, Sb, Zn Pb, Sb, Zn, As Cu, Cd Cu, Cr Cu, Cr, Zn, Hg, As Pb, Cd, Zn Pb, Cd, Zn Cr Cd, Cr, Pb, Zn, Se Pb, Cd, Zn Cu, Cd Cd, Cu, Cr, Pb, Ni, Zn, Se, As Tl, F, Cr, Pb, Zn Cd, Cu, Cr, Pb, Ni, Zn, As, Hg Cu, Zn, As Cd, Cu, Pb, Zn Cd, Cu, Pb, Ni, As Pb, As As Cd, Pb, Zn Cr Cr

industrie, artisanat

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Contamination des sols : transferts des sols vers les plantes

entretien de la protection contre la corrosion

ponts en fer pylnes de lignes haute tension rservoirs constructions en bois belvdres, metteurs radio-TV glissires de scurit cltures, panneaux de signalisation, clairage engrais minraux, engrais tirs des roches engrais minraux, scories boues compost engrais de ferme (lisier, etc.) cendres fauche des banquettes et talus agriculture viticulture cultures fruitires cultures marachres plantes ornementales boues de dragage routes construites avec des matriaux recycls

Pb, Zn, Cr, Cd Pb, Zn, Cr, Cd Pb, Zn, Cr Pb, Cr Pb, Zn, Cr, Cd Pb, Zn, Cr, Cd Pb, Zn, Cr, Cd Cd V, Cr Cd, Cu, Mo Pb, Cd, Zn Cu, Zn Pb, Cd, Zn Pb, Cd, Zn Cu Cu Pb, Cu, As, Zn Cu Cu, As Pb, Sn Pb, Cd, Zn Pb, Cd, Zn

matires fertilisantes*

protection des cultures*

rcupration, stockage

aires de pique-nique avec foyer* Les flux dlments-traces peuvent tre grs la parcelle. (DPPR, 1995; OFEFP, 1996; Bourrelier & Berthelin, 1998)

Tableau 1.4 : Estimation des entres anthropiques de Cd et Zn dans les sols agricoles par quelques intrants agricoles ; donnes annuelles moyennes pour les parcelles recevant les intrants cits.

Concentration en Cd (mg.kg1 MS) supertriple boue urbaine recycle en agriculture moyenne Haut-Rhin 97 fumier lisier bouillie bordelaise 70 1,9 0,7 0,25

Apports de Cd (g.ha1.an1) 11,7 5,7 2,1 0,21

Concentration en Zn (mg.kg1 MS)* 997 950 150 90*

Apports de Zn (g.ha1.an1) 166 2850 450 6300

Apports de Cu (g.ha1.an1)

1500

1000-8000 4000

* sauf lisier: 90 g Zn.m3 (daprs Juste, 1990; Juste, 1993; Mkel-Kurtto & Kemppainen, 1993; Bourrelier & Berthelin, 1998; Mission Recyclage Agricole du Haut-Rhin, communication personnelle)

Rappels sur les lments-traces

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1.3.2. Exposition de lhomme aux lments-traces Lhomme est expos aux lments-traces par inhalation, par ingestion et par voie cutane. Lexposition moyenne quotidienne au Cd est de 22-35 g par personne en Norvge, dont 20-30 g par lalimentation, 1-5 g par la cigarette, et 0,02-0,03 g par lair respir (Singh, 1991). La voie cutane est ngligeable, sauf pour les personnes en contact avec le Cd par leur profession. Lingestion de nourriture est donc la voie prdominante pour le Cd. tant donn limportance de la voie alimentaire, il est important de surveiller lentre des lmentstraces par les produits agricoles, pour leur assurer une qualit acceptable, de faon prserver la sant publique (population ni dficiente en oligo-lments, ni contamine par un excs dlments-traces).

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Contamination des sols : transferts des sols vers les plantes

2.

Gnralitssur les transferts sol-plante des lments-tracesLes bases ...Les plantes sont exposes de deux faons aux lments-traces : par les parties ariennes et par les racines. Les lments-traces peuvent tre dposs la surface des feuilles et des racines (dans ce cas un lavage leau en enlve une partie) ou pntrer dans la plante. Ils peuvent y pntrer par les parties ariennes (feuilles, tiges, fruits), partir de particules en suspension dans lair, de composs gazeux (notamment pour le Hg et le Se) ou de composs dissous dans leau de pluie ou dirrigation. Ils peuvent pntrer par les racines partir du sol. Une fois prlevs par la plante, les lments-traces peuvent tre pigs et ne pas circuler dans la plante, ou alors tre transports du lieu de labsorption vers un autre organe vgtal. Dans les zones de forte pollution atmosphrique, comme proximit dune industrie de fabrication dalliages de mtaux ou ct dune autoroute, les retombes atmosphriques de mtaux sur les parties ariennes des plantes, par les pluies ou par les poussires (projections de terre pollue ou poussires manant des industries), sont importantes. Dans ce cas, la contamination des feuilles, tiges et fruits est leve. Une partie de cette

Gnralits sur les transferts sol-plante des lments-traces

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contamination peut tre enleve par simple lavage leau, ce qui montre quelle reste la surface des parties ariennes en un dpt superficiel. Une autre partie reste pige dans les feuilles par exemple. Il est vraisemblable quune troisime partie des lments-traces peut tre transporte dans la plante, mais son importance est controverse. Dans les zones de faible pollution, les avis des scientifiques divergent sur limportance de lentre dlments-traces par les parties ariennes. dans la suite de la brochure, nous parlerons essentiellement du transfert des lmentstraces depuis le sol vers la plante, via les racines.

Les plantes suprieures prlvent les lments-traces de leau ou de lair via leurs parties ariennes et les lments-traces du sol via leurs racines. De plus, les tissus des plantes peuvent relcher les lments-traces dans le sol et les feuilles peuvent le faire dans lair (les lments-traces sont alors sous forme gazeuse). Ainsi, laccumulation des lments-traces dans les plantes dpend la fois du prlvement dans les tissus et du relchage dans le milieu environnement.

2.1. Pntration des lments-traces par les parties ariennesLes lments-traces entrent dans la composition des matriaux minraux et organo-minraux qui composent les fines poussires prsentes dans lair, lesquelles se dposent sur les feuilles, les tiges et les fruits. La contamination par voie arienne est gnralement faible, sauf lorsque les retombes atmosphriques sont importantes : dans certains lieux comme les zones industrielles ou pour certains lments comme le Pb, cause des rsidus de combustion de lessence plombe. Les lments-traces essentiels, ainsi que les non-essentiels, peuvent tre prlevs par les feuilles. Sous forme gazeuse (e.g. Seg, Asg, Hgg) (pouvant, entre autres, maner du sol), ils rentrent dans les feuilles travers les stomates ; sous forme dions, ils rentrent surtout travers les cuticules des feuilles (Figure 2.1) (Prasad & Hagemeyer, 1999). Les lments-traces sous forme de poussire ou de gaz peuvent entrer directement par les stomates des feuilles. Une partie des retombes atmosphriques, solubilise par leau de pluie ou dirrigation, peut traverser la cuticule des feuilles et des fruits. Constitue dun rseau imprgn de cires (Figure 2.1), la cuticule recouvre les organes ariens des plantes et nexiste pas sur les racines (Ferrandon & Chamel, 1989). Elle fonctionne comme un faible changeur de cations. Un gradient de la plus basse la plus forte densit de charge se met en place partir de la surface externe vers les parois des cellules, la pntration des ions travers la cuticule sen trouvant favorise le long de ce gradient (Prasad & Hagemeyer, 1999). La permabilit de la cuticule est ainsi suprieure pour les cations par rapport aux anions. Le passage des cations est inversement proportionnel la taille du cation hydrat (Ferrandon & Chamel, 1989). La permabilit de la cuticule est plus leve au niveau des cellules stomatiques (Ferrandon & Chamel, 1989). La majeure partie du Cd ou du Pb ainsi prleve par la plante est stocke dans la cuticule et les parois cellulaires, sous forme insoluble et ne migre pas dans le vgtal (OFEFP, 1996). Plusieurs paramtres ont une influence sur le prlvement foliaire des lments-traces : Le prlvement des ions mtalliques peut tre favoris par une forte densit des stomates (Prasad & Hagemeyer, 1999). Les dpts humides seraient moins contaminants que les dpts secs (Bargagli, 1998). Une humidit relative haute accentue le prlvement des mtaux travers la cuticule, cette dernire tant alors la plus ouverte et la plus gonfle. A contrario, lorsque lhumidit relative est faible, la cuticule se contracte et les dpts de lipides picuticulaires (cires) sont compresss, gnant ainsi le passage des mtaux hydro-solubles (Prasad & Hagemeyer, 1999).

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Contamination des sols : transferts des sols vers les plantes

Une humidit excessivement basse cause galement des prcipitations immobiles des mtaux la surface des feuilles (Prasad & Hagemeyer, 1999). Les lments-traces sont absorbs par les feuilles des degrs divers, selon les espces mtalliques impliques. Par exemple, le Cd, le Zn et le Cu pntrent plus facilement dans la feuille que le Pb qui est surtout adsorb aux lipides picuticulaires la surface (Prasad & Hagemeyer, 1999). Le taux de prlvement dpend aussi des espces vgtales considres, qui prsentent diffrentes cuticules avec des compositions diverses de lipides picuticulaires et intracuticulaires et donc des permabilits diffrentes. Par exemple, le Cd est plus prlev par les feuilles de pois que par celles de betteraves sucrires (Prasad & Hagemeyer, 1999). Les stress environnementaux affectent galement la permabilit et donc le prlvement des mtaux par les feuilles. Un pH bas, par exemple, diminue le prlvement de Cd par les feuilles (Prasad & Hagemeyer, 1999). Les effets toxiques des lments-traces sur la plante peuvent aussi influencer le prlvement des mtaux par les feuilles. Le Cd prlev par les racines affecte par exemple la formation de la cuticule, induisant une augmentation de la permabilit et une diminution du prlvement du Cd par les feuilles (Prasad & Hagemeyer, 1999). Le passage des lments-traces par voie foliaire est encore mal connu et son importance est controverse. En effet, comme les contributions atmosphriques en lments-traces ne sont presque jamais mesures dans la plupart des exprimentations, il nest pas possible de dterminer si les teneurs en

(daprs Bargagli, 1998 & Soltner, 1999)

Figure 2.1 : Coupe transversale dune feuille schmatise montrant les voies de pntration des lments-traces.

Gnralits sur les transferts sol-plante des lments-traces

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lments-traces dans les plantes ne refltent que ce qui provient du sol ou si une part provient de dpts atmosphriques (Bargagli, 1998). On peut toutefois avancer que (Bargagli, 1998) : la contamination des feuilles est surtout due aux dpts de surface qui peuvent tre partiellement enlevs par lavage ; malgr tout, il a t montr (surtout pour Pb et Cd) que, mme dans les zones rurales, les dpts atmosphriques peuvent contribuer de manire significative la concentration en lments-traces des tissus internes des plantes. En effet : Zwickert (1992) rapporte que la voie atmosphrique reprsenterait entre 40 et 97 % de lorigine du Pb prsent dans la racine de carotte. Harrison & Johnston (1987) ont estim dans les zones rurales que 10 % plus de 60 % du Pb et du Cd (chez plusieurs espces de plantes) peuvent tre attribues aux dpts atmosphriques, ces pourcentages variant avec la taille des particules, la solubilit des mtaux de ces particules, le temps, les conditions environnementales et les caractristiques de la surface des plantes. Harrison & Chirgawi (1989a) montrent, en cultivant des lgumes dans des chambres de culture dont lair est purifi ou non (air ambiant), que le transfert via les feuilles est potentiellement aussi important que celui via les racines pour Cd, Cr, Ni et Pb (qui sont transfrs aux autres organes des plantes). Ces mmes auteurs ont obtenu des rsultats similaires (1989b) lors dexprimentations, sur 3 sites (avec des concentrations en lments-traces atmosphriques diffrentes) et pendant 3 ans, visant valuer la quantit dlments-traces dorigine atmosphriques dans des plantes cultives dans des conditions de terrain normales. Le Cu, le Cd et le Zn pntrent plus lintrieur de la feuille que le Pb (Kabata-Pendias & Pendias, 1992). Pour les lments autres que le Pb, les avis sont partags sur limportance de la voie foliaire. Certains pensent que cest ngligeable pour les vgtaux lavs (OFEFP, 1996), dautres que cest parfois plus important que la voie racinaire (14-65 % pour le Cd selon Singh, 1991). Cependant, les engrais foliaires au Cu, Zn et Mo sont efficaces, signe que labsorption foliaire existe et peut tre importante si lon ajoute des additifs favorisant lentre des lments dans la feuille.

2.2. Prlvement des lments-traces par les racinesLa disponibilit de lments-traces est dpendante du temps, de la plante, de la biomasse et des autres composantes du sol. Seule une petite fraction de la teneur totale en cet lment dans le sol est disponible pour les racines des plantes et cette fraction montre gnralement une variabilit spatio-temporelle bien plus importante que la concentration en lment total. La phase liquide est essentielle pour que les ions puissent se dplacer vers la surface des racines ; la fraction dlment dans la solution est celle disponible. Quand on compare les concentrations en lment dans les plantes celles dans la solution du sol, ces dernires sont plus basses de 1 3 ordres de grandeur (Bargagli, 1998). Les mcanismes dabsorption des lments-traces par les racines de plantes sont encore mal compris, mais il apparat que la plupart des prlvements dlments-traces par les plantes impliquent seulement des espces ioniques libres. Une exception est constitue par les sidrophores amino-acides, produits par des bactries et des champignons et qui ont une forte propension fixer les ions de Fe et de Cu (Bargagli, 1998).

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Contamination des sols : transferts des sols vers les plantes

2.2.1. Mcanismes de prlvement des lments-traces

Les bases ...La phytodisponibilit dun lment-trace peut tre dfinie comme la quantit dlment qui peut tre transfre ( prleve ) dans la plante durant son dveloppement (Bourrelier & Berthelin, 1998). Elle est la rsultante dun ensemble de processus successifs qui contribuent au transfert de llment de la phase solide du sol la solution du sol puis aux tissus de la plante : loffre du sol, le transport vers les racines, et le prlvement par les racines en lui-mme. Les lments-traces se trouvent sous deux formes dans le sol : soluble ou solide. Les formes solides sont trs majoritaires en quantit. Sur la phase solide, un lment peut tre rparti en deux compartiments : celui des ions pouvant passer en solution et celui des lments non mobilisables. Les formes solubles, bien que minoritaires, ont un rle prpondrant, puisque les racines des plantes prlvent les lments-traces uniquement dans la solution du sol (cest--dire leau du sol : compose deau, dlments et de molcules dissous) (Bourrelier & Berthelin, 1998). Plus la concentration dun lment (sous une forme chimique absorbable par la plante) est importante dans la solution du sol, plus la plante peut prlever cet lment. La rpartition des lments-traces entre la phase solide et la phase liquide du sol change constamment. Il sagit dune suite dquilibres chimiques, modifis par les conditions physiques et chimiques du sol, entre autres par lintervention des organismes vivants. Lhomme notamment peut exercer une influence sur ces quilibres, en chaulant, en pandant des matires organiques, en apportant des lments sous forme soluble (engrais avec Cu), en acidifiant les sols par les retombes atmosphriques des activits industrielles, etc. La fourniture de llment la solution du sol par la phase solide peut tre qualifie d offre du sol (Morel, 1997 ; Bourrelier & Berthelin, 1998). Loffre du sol nest pas forcment plus importante quand la concentration totale de llment dans le sol est leve (Figure 2.2). En effet, la probabilit pour quun lment-trace soit prlev par une plante est fonction de la capacit de llment recharger la solution du sol partir de la phase solide. Il est clair que denfouir un lingot de plomb dans le sol ne conduit pas un transfert important, car le mtal sous cette forme est peu ractif avec la solution du sol. Dans le mme ordre dide, lorigine de llment est importante, car elle influe sur sa forme chimique (Merian, 1991). Quand il sagit dun lment naturel , il se trouve en grande majorit sous forme solide non assimilable par les plantes car trs fortement fixe au sol. Au contraire, quand il sagit dun sel, que lon a gnralement apport lors dune exprimentation pour tudier le transfert, ou lors de la fertilisation, ou bien par lactivit industrielle, une partie importante est trs assimilable par les plantes. Plus le temps passe, et plus llment apport par le sel se fixe dans le sol. Il devient de moins en moins assimilable. Les lments-traces apports par les boues dpuration ou les djections animales sont gnralement moins assimilables que ceux apports par les sels, mais plus que les lments dorigine naturelle . Leur disponibilit diminue aussi avec le temps. Les lments-traces de la solution du sol sont transports vers la rhizosphre, qui est la zone de sol proche de la racine, en interaction avec elle.

Gnralits sur les transferts sol-plante des lments-traces

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Une fois dans la rhizosphre, ils sont prlevs par la racine. Presque tous les lments absorbs par la racine sont sous forme minrale (Barber, 1995). Les cellules vgtales sont constitues dune paroi, permable la solution du sol, entourant la membrane plasmique (Figure 2.3). La plante prlve essentiellement llment sous forme ionique, mais les complexes inorganiques semblent pouvoir tre absorbs (CdCl+ par exemple) bien que ne passant gnralement pas la membrane cytoplasmique des cellules racinaires. La paroi peut tre considre comme une ponge pouvant fixer les lments-traces, mais qui ne fait pas partie du milieu intrieur de la plante. Quand on rcolte une plante racine, type carotte, une bonne partie des lments-traces contenus dans le lgume sont en ralit dans la paroi. Ceci explique que de nombreuses plantes ont tendance accumuler les lments-traces plutt dans les racines que dans les parties ariennes. Une partie des lments-traces peut pntrer rellement dans les cellules des racines par des voies plus ou moins spcifiques et plus ou moins rgules. Dans ce cas, il sagit dune relle absorption, qui permet aux lments-traces de migrer dans le vgtal vers dautres organes. Le prlvement du Zn, oligo-lment, se fait par le biais de transporteurs membranaires spcifiques et actifs. Le Cd, lment non essentiel, semble pntrer dans les cellules racinaires en empruntant les voies dautres cations, comme les transporteurs du Fe, du Mn, du Zn. La simple fixation dans la paroi et labsorption sont regroupes sous le terme gnral de prlvement par la plante.

2.2.1.1. Offre du sol en lments-traces Lorsque llment est dissous dans la solution du sol, il na aucune liaison chimique avec la phase solide du sol. Les concentrations en lments-traces de la solution sont toujours extrmement faibles, par exemple 1-8 108 mol.L1 (Cu), 2-8 108 mol.L1 (Mo) ou 3 108-3 106 mol.L1 (Zn) (Juste, 1983). Diffrentes formes chimiques coexistent dans la solution du sol : des cations libres (exemple : Zn2+, CdCl+, Cd2+) ; 2 des anions libres (exemple : As2O2, SeO4 ) ; des complexes minraux neutres (exemple : CuCO3, CdSO4) ; des complexes organo-mtalliques solubles (avec des acides fulviques, des acides organiques simples, des acides amins, des acides phnols, des sidrophores). Laffinit des lments avec les acides fulviques est par ordre dcroissant : Cu, puis Ni et enfin Zn (Paulin, 1995) ; des formes mthyles, cest--dire contenant CH3, pour As, Se et Hg (exemple : (CH3)2As(III)H ou (CH3)2Se(II)). Ces formes sont gnralement volatiles et partent vers latmosphre. La plupart des ions mtalliques peuvent exister dans la solution du sol avec divers tats doxydation. Gnralement (pH modr et conditions oxydantes), + 1 + 3 sont les tats doxydation les plus courants (Tableau 2.1). On notera toutefois quelques exceptions, telles que Mo6+ et V4+ (Prasad & Hagemeyer, 1999).

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Contamination des sols : transferts des sols vers les plantes

Tableau 2.1 : Spciation chimique de quelques mtaux dans la solution du sol.

Additionnel dans Mtal Sol Sol acide Cd(II) Cd2+ CdSO4 CdCl+ CrOH2+ Cu-org Cu2+ CdHCO+ 3 Sol alcalin

Cr(III) Cu(II)

Cr(OH) 4 CuCO3 CuB(OH)+ 4 Cu[B(OH)4]4 MoO2 4 MnCO3 MnHCO+ 3 MnB(OH)+ 4 NiCO3 NiB(OH)+ 4 PbCO3 Pb(CO3)2 2 PbOH+ ZnHCO+ 3 ZnCO3 ZnB(OH)+ 4

Mo(VI) Mn(II)

HMoO 4 Mn2+ MnSO4

H2MoO4 Mn-org

Ni(II)

Ni2+ NiHCO+ 3 Pb-org PbHCO+ 3

NiSO4 Ni-org Pb2+ PbSO4

Pb(II)

Zn(II)

Zn2+ ZnSO4 Zn-org

(Sposito, 1989)

Toutes ces formes chimiques solubles ne sont pas disponibles pour les plantes avec la mme intensit. Par exemple, les complexes organiques solubles de Cd sont moins prlevables par les racines que les ions Cd libres. Sous forme solide, llment entre dans la constitution de la phase solide du sol. Il peut tre : Li faiblement au sol par des liaisons lectrostatiques, cest--dire une attraction entre des charges positives et ngatives, comme lorsque les lments-traces sont adsorbs sur le complexe dchange argilo-humique ou sur les oxydes. Dans ce cas, on dit aussi que llment est sous forme changeable, cest--dire quil peut facilement passer dans la solution du sol, par change ionique avec un autre cation, et tre prlev par la plante. Ces lments-traces faiblement lis aux composants du sol peuvent tre mesurs au laboratoire par des extractions chimiques slectives (cf. 3.1.2.2 et 3.2.2). Plus ou moins fortement li au sol par des liaisons de type ionique ou molculaire, de force variable selon les composs, mais toujours plus fortes que les liaisons lectrostatiques. Les lments-traces entrent dans des combinaisons minrales ou organiques : carbonate de Cd (CdCO3) aux pH levs, complexe organique insoluble avec les acides humiques, etc. Une partie de llment sous cette forme peut passer en solution lors dune modification physico-chimique du milieu (exemple : dissolution dun prcipit avec une diminution de pH) ou biochimique (exemples : intervention de

Gnralits sur les transferts sol-plante des lments-traces

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micro-organismes, mise en solution par des exsudats racinaires) et tre prlev par la plante. Laffinit des lments pour les acides humiques est dans lordre dcroissant : Cu, Pb, Zn et Ni, Co, Cd (Paulin, 1995). Les mtaux ont des affinits diffrentes pour les autres lments, ce qui influence la formation des complexes et leur fixation sur diffrentes macromolcules. Les mtaux montrent des aptitudes variables former des composs stables (Prasad & Hagemeyer, 1999) : Ceux qui forment les composs les plus stables sont peu polarisables et prsentent une lectrongativit basse et une densit de charge importante. On peut citer Al3+, Cr3+, Co3+, Fe3+, voire Mn2+. Ils forment des complexes forts avec N, O et F. En ce qui concerne ceux qui forment les composs les moins stables, on peut citer Cu+, Ag+, Au+, Hg2+, Pt2+ , voire Cd2+. Ils forment des complexes forts avec P, S, Cl, Br et I. Les lments-traces ayant des comportements intermdiaires sont Fe2+, Co2+, Ni2+, Cu2+, Zn2+, Pb2+, Cr2+, voire Mn2+ et Cd2+. Alors quil existe diffrentes spciations inorganiques des lments-traces, certains dentre eux forment aussi des complexes organo-mtalliques (e.g. Hg et Pb). Le Hg peut se trouver ltat de R-Hg+ et R2-Hg, o R = CH3, CH3CH2, C6H5 ; il est retenu par les sols principalement dans des complexes organiques peu mobiles (Prasad & Hagemeyer, 1999) et peut galement se retrouver sous forme gazeuse. Dans les sols, certains lments-traces sont plus mobiles que dautres (e.g. Cd et Zn), tandis que dautres sont immobiles (e.g. Cu et Pb) (cf. Tableau 2.2) et forment facilement des complexes organiques avec les acides fulviques (Prasad & Hagemeyer, 1999). La rpartition des lments-traces entre la phase solide et la phase liquide change constamment puisque les lments se dissolvent/prcipitent, se dsorbent/sadsorbent, se complexent/dcomplexent, la plante en prlve, lhumidit du sol se modifie, etc. (Farago, 1994). La rpartition entre les phases liquide et solide est troitement dpendante du temps (Figure 2.2).

SOLUBLE 0,001-1% de llment total adsorb 0,01-40 %

SOLIDE 99-99,999 % de llment total fortement li 59-99,989 %

offre du sol (cest--dire les lments qui ont la capacit dentrer dans la solution du sol en un cycle de culture et que la plante peut prlever au cours de sa croissance)Figure 2.2 : Rpartition des lments-traces dans les diffrentes phases du sol un instant t.

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Contamination des sols : transferts des sols vers les plantes

2.2.1.2. Transport des lments-traces vers la rhizosphre Les lments en solution sont transfrs vers la rhizosphre par deux processus, la diffusion et le flux de masse (Figure 2.3). Diffusion (transfert passif)

La plante, en prlevant un lment, conduit une diminution de la concentration de cet lment dans la solution du sol proche de la racine, donc la cration dune diffrence de concentration entre la rhizosphre et le sol plus lointain. Llment va se dplacer spontanment vers la racine, cest--dire vers la zone o la concentration est plus faible. Ce transport sexerce sur de petites distances (0,1-15 mm). Cest le principal processus pour les lments-traces, sauf lorsque la concentration de la solution du sol est leve, comme cest le cas en sols pollus sur des sites industriels (Barber, 1984 ; Morel, 1985). Flux de masse (convection ou advection)

La plante a de gros besoins en eau et absorbe les soluts en mme temps que leau. Le prlvement de leau produit une diffrence de potentiel hydrique entre la rhizosphre et le sol plus lointain, conduisant des mouvements deau, accompagns des lments solubles, du sol vers la racine. Ce transport des lments seffectue sur de plus longues distances que la diffusion (quelques cm).

DIFFUSION Cd Cd Cd Forte concentration Faible concentration Cd Cd

RACINE

FLUX DE MASSE H2O

H2O + Cd

H2O H2O

H2O

Moins deau

Plus deau

Figure 2.3 : Transport des lments-traces vers la racine, par diffusion et par flux de masse (exemple du Cd).

2.2.1.3. Prlvement des lments-traces par la racine La membrane plasmique est une barrire aux mouvements passifs des ions et spare lintrieur de la cellule (cytoplasme, vacuoles et noyau) du milieu extrieur. Son rle est de concentrer les lments nutritifs et, de manire incomplte, dexclure les lments toxiques. Comme certains mtaux sont essentiels, le prlvement de ceux-ci doit, a minima, tre rgul. Le cytoplasme des cellules accoles les unes aux autres communique par des plasmodesmes, vritables tunnels de membrane plasmique (Figure 2.4). Les lments-traces sont prlevs sous des formes cationiques, sauf le Mo qui lest sous forme danion (molybdate). Ils sont dabord vhiculs dans lapoplaste des racines, puis (Prasad & Hagemeyer, 1999) : une partie est transporte plus loin lintrieur des cellules, une partie est transporte plus loin dans lapoplaste, une partie se fixe aux substances des parois cellulaires. La faon dont la quantit totale dlments-traces prlevs est distribue entre ces 3 compartiments dpend de llment-trace et du gnotype de la plante (Prasad & Hagemeyer, 1999). Les lments-traces peuvent circuler dans la racine de deux faons, par la voie symplasmique et par la voie apoplasmique (Barber, 1995).

Gnralits sur les transferts sol-plante des lments-traces

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(daprs Bargagli, 1998, modifi)

Figure 2.4 : Coupe transversale dune racine montrant le transport des lments-traces dune cellule lautre dans le vgtal, par voie symplasmique et par voie apoplasmique.

Voie symplasmique (intrieur de la cellule)

Le symplasme est dfini comme ce qui se trouve lintrieur de la membrane plasmique. Les mtalliques traversent la paroi, puis la membrane plasmique, et se dplacent de cellule en cellule par les plasmodesmes. Il sagit dans ce cas dune relle absorption de llment par la cellule vgtale, puisquil se trouve dans le milieu intrieur de la cellule. Labsorption se fait de trois manires (Barber, 1995). La premire est une absorption passive, i.e. le long dun gradient lectrochimique des ions (spontanment dun endroit o la solution est charge plus positivement vers un endroit o elle est charge moins positivement), et ne requrant pas dnergie. Ce type de transport existe quand la solution de sol est trs charge en cet lment, ce qui est rare. La deuxime est une absorption passive demandant une dpense dnergie de la part de la cellule, par exemple le fonctionnement dune pompe protons, excrtant des ions H+ vers lextrieur de la cellule quand des cations sont absorbs, et maintenant ainsi le gradient lectrochimique (intrieur de la cellule ngatif par rapport la solution de sol extrieure). La dernire est une absorption active (contre un gradient lectrochimique) avec dpense dnergie et transporteur impliquant une slection des ions absorbs. Par exemple, le transport des ions ngatifs est actif et coupl une sortie de OH (HCO3 ) (Barber, 1995). Certains de ces transporteurs, ayant une faible spcificit, seraient capables de vhiculer les ions indsirables (de Haan & VisserReyneveld, 1996). Ainsi, les mtaux non essentiels (Cd2+, Tl+, etc.) auraient les mmes sites de prlvement que les mtaux essentiels (Zn2+, K+, etc.) (Cataldo et al., 1987). Le prlvement de certains mtaux semble tre aussi bien passif, partiellement passif quactif (Prasad & Hagemeyer, 1999). Certains auteurs suggrent que 30 % du Cd est prlev de manire passive,

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Contamination des sols : transferts des sols vers les plantes

tandis que le reste est prlev de manire active, probablement coupl H+-ATPase (Prasad & Hagemeyer, 1999). La figure 2.5 illustre quelques mcanismes impliqus dans la tolrance aux mtaux des plantes suprieures. Dans les racines, les lments-traces peuvent tre fixs dans les membranes cellulaires et/ou les prcipitats amorphes de mtaux, tels que carbonates ou phosphates, sont retrouvs dans lespace interfibrillaire de la membrane cellulaire. Certaines espces vgtales peuvent inhiber le transport des ions travers les membranes ou augmenter les mcanismes dexclusion. Silene vulgaris et Mimulus guttatus montrent des capacits de rsistance au Cu, dues des changements structuraux dans la membrane plasmique, tandis que la dtoxification par rapport au Zn a lieu lintrieur de la cellule (Prasad & Hagemeyer, 1999).

(daprs Bargagli, 1998)

Figure 2.5 : Quelques mcanismes impliqus dans la tolrance aux mtaux des plantes suprieures.

Dans le cytoplasme, les mtaux se fixent aux charges ngatives dans des macromolcules varies qui sont solubles ou qui font partie des structures cellulaires. Ainsi, les mtaux peuvent tre accumuls dans le cytoplasme, la quantit de mtal accumul dpendant de lespce vgtale et du mtal (Prasad & Hagemeyer, 1999). Les plantes peuvent oprer une dtoxification cytosolique par rapport au Zn, au Cd et au Pb, en les transportant dans certains compartiments de la cellule telles que les vacuoles, o ils ne peuvent plus interfrer avec les processus mtaboliques essentiels (Prasad & Hagemeyer, 1999). Les molcules solubles dans le cytoplasme telles que des acides organiques ou des polypeptides riches en S (comme les phytochlatines) forment des complexes avec les mtaux et peuvent galement fonctionner comme des navettes (transporteurs) pour faciliter le transport des mtaux au travers le tonoplaste jusqu la vacuole (Prasad & Hagemeyer, 1999) (Figure 2.6). Le malate, souvent prsent en grandes concentrations dans les plantes rsistantes au Zn, agit probablement comme un transporteur du Zn durant le transport tonoplastique jusqu la vacuole. Une fois dans la vacuole, le Zn se lie des composs tels que le citrate, les phytates ou loxalate, tandis que le malate retourne dans le cytoplasme (Figure 2.6). (Prasad & Hagemeyer, 1999).

Gnralits sur les transferts sol-plante des lments-traces

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(adapt de Prasad & Hagemeyer, 1999)

Figure 2.6 : Transport dlments-traces dans la cellule (exemples du Cd et du Zn).

Une dtoxification similaire est dcrite pour le Cd et le Cu dans des complexes avec des phytochlatines. Le complexe phytochlatine-Cd entre dans la vacuole o il se dissocie, la phytochlatine retournant alors dans le cytoplasme tandis que le Cd peut fixer un acide organique dans la vacuole (Figure 2.6). Cette dissociation est probablement due un pH bas dans la vacuole, et au fait que le complexe phytochlatine-mtal ne se forme pas aux pH 3,5-5,0. Ces systmes de navettes sont probablement utiliss pour rguler le besoin et lhomostasis des lments indispensables comme le Zn et le Cu, en permettant leur stockage dans la vacuole pour une utilisation future (Prasad & Hagemeyer, 1999). Comme les complexes ne sont pas uniquement forms avec des lments essentiels et comme ce mcanisme nest pas spcifique, ces voies de transport sont galement utilises pour les mtaux non essentiels (Prasad & Hagemeyer, 1999). Quel que soit le mcanisme en jeu, la squestration du Zn dans les vacuoles des cellules des racines joue un rle cl chez les espces tolrantes aux mtaux, car comme pour les plantes sensibles, le mtal est transport de manire rduite aux parties ariennes et ainsi, ne peut pas interfrer avec les processus mtaboliques essentiels telle que la photosynthse (Prasad & Hagemeyer, 1999). Voie apoplasmique (extrieur de la cellule)

Lapoplasme est constitu de la paroi permable et des espaces entre les cellules. Il reprsente 1015 % du volume de la racine. Il ne sagit pas dune vritable absorption de llment, puisquil nest pas, en ralit, dans la cellule vgtale. On dit que llment est prlev par la plante, mais non absorb. Ce type de transport est arrt aprs 5 10 cellules par une range de cellules dont la paroi est subrise, cest--dire recouverte dune substance lipidique impermable (Morel, 1997) (Figure 2.4). La suite du transport vers les vaisseaux conducteurs de sve brute, le xylme, se fait donc par lintrieur des cellules et ncessite donc une absorption relle. Une fois dans le xylme, les lments peuvent tre transports vers les parties ariennes de la plante. La voie apoplasmique nest pas ngliger. Elle peut tre prpondrante pour certains lmentstraces chargs positivement qui entrent difficilement dans la cellule ou qui se lient fortement des

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Contamination des sols : transferts des sols vers les plantes

composs de la paroi, globalement charge ngativement. On peut dfinir la notion de capacit dchange cationique (CEC) de la paroi des cellules vgtales. Ceci pourrait expliquer pourquoi certains cations ont tendance saccumuler dans les racines : parce quils restent fixs dans les parois des cellules des racines, comme le Pb, le Cu, le Cd, et le Zn (Morel, 1997). Dune faon gnrale, les monocotyldones, comme le mas, ont moins de charges ngatives la surface de leur paroi mtalliques (CEC plus faible) que la majorit des dicotyldones, comme le concombre, et donc accumulent moins les mtaux cet endroit (de Haan & Visser-Reyneveld, 1996). 2.2.2. Facteurs contrlant le prlvement des lments-traces

Les bases ...Le prlvement des lments-traces par les racines est sous linfluence de facteurs lis au sol, la plante, au climat, et aux interactions entre les lments eux-mmes. Parmi les facteurs lis au sol, le pH, le potentiel doxydo-rduction et la capacit dchange cationique sont les plus importants. Leurs effets sur le prlvement sont rsums dans le tableau 2.2. La modification de ces facteurs influe notamment sur loffre du sol en changeant la forme chimique des lments-traces. En gnral, le chaulage diminue le transfert vers les vgtaux pour Cd, Cu, Pb, Cr, Co, Zn, Hg, Ni, Tl et As, mais laugmente pour Mo et Se. Il est recommand de chauler les sols acides contenant des quantits trop leves dlments-traces disponibles, afin de relever le pH et diminuer le transfert vers les vgtaux. Mais cette technique est non slective et parfois difficile matriser pour lagriculteur. Par exemple le chaulage visant diminuer le flux de Cd peut entraner une carence en Zn ou en Cu ou bien une lvation trop importante du transfert de Mo, avec une toxicit en Mo des fourrages pour les bovins (Mench, 1993). Pour une mme offre du sol, diffrentes plantes ne prlvent pas les mmes quantits dlments-traces. Il existe un effet espce vgtale, avec des espces qui accumulent certains lmentstraces et dautres qui ne les prlvent que peu (Tableau 2.3). Gnralement, les lgumes-feuilles (tels que pinards et laitues) accumulent plus que les grains de gramines et les lgumes-racines, qui eux-mmes accumulent plus que les fruits et les lgumes-fruits. De la mme faon, il existe un effet varit (Tableau 2.7). Dans les sites contamins par les lments-traces, il est conseill de cultiver des plantes qui accumulent peu dans les parties consommes les lments toxiques prsents dans le sol. Enfin, lge de la plante et son stade de dveloppement ont une importance. La concentration de la plante en lments-traces diminue au cours de sa croissance. Notons quoffre du sol et demande de la plante ne sont pas totalement indpendantes. En particulier, la plante peut modifier loffre du sol en changeant, par exsudation mtallique de composs divers (protons, molcules organiques complexantes par exemple), les conditions physico-chimiques qui rgissent la solubilit de llment sur la phase solide et sa spciation dans la solution. Cet effet en retour de la plante sur la disponibilit des lments-traces est actuellement difficile quantifier, mais peut tre considr comme relativement faible dans la plupart des cas.

Gnralits sur les transferts sol-plante des lments-traces

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Les facteurs climatiques modifient loffre du sol et la physiologie de la plante. Le prlvement augmente avec la temprature, jusqu une temprature optimale. Lhumidit du sol a galement une influence sur le prlvement et laccumulation des lments-traces. Cette influence est indirecte (lhumidit joue sur lenracinement de la plante, sa vitesse de croissance, lactivit biologique du sol et sur les conditions redox), elle est positive ou ngative selon les cas. Le prlvement dun lment est influenc par la prsence dautres lments ou molcules dans la solution du sol. Les interactions sont positives ou ngatives selon les lments et selon les conditions physico-chimiques du sol (Tableau 2.10).

Les lments-traces doivent tre sous une forme disponible pour que les plantes puissent les prlever ou les plantes doivent prsenter des mcanismes permettant de rendre les mtaux disponibles (Prasad & Hagemeyer, 1999). Les interactions entre les composants du sol jouent un rle probablement plus important que les caractristiques chimiques propres chaque lment ( quelques exceptions prs) dans la dtermination du rle du sol sur le prlvement des lments-traces par les plantes. La nature de la roche-mre, la matire organique, la biomasse du sol et le climat jouent galement un rle primordial (Bargagli, 1998). Le prlvement des lments-traces, quil se fasse par les racines ou par les feuilles, augmente quand la concentration du mtal dans le milieu extrieur augmente. Toutefois, ce prlvement nest pas corrl de faon linaire avec cette dernire (Figure 2.7 A) (Prasad & Hagemeyer, 1999). Ceci est d au fait que les mtaux sont fixs dans les tissus, induisant une saturation qui dpend galement du taux dvacuation du mtal. Cette efficacit de prlvement (ou facteur daccumulation) est plus grande quand les concentrations externes sont plus basses (Figure 2.7 B) (Prasad & Hagemeyer, 1999). Ce phnomne, dmontr pour le Cd dans les sols, est d des concentrations en mtal par surface dabsorption basses. Dans ce cas il y a peu de comptitions entre les ions pour les sites de prlvement, tandis quil y en a beaucoup lorsque les concentrations dans le milieu externe sont leves. Cette influence de la surface dabsorption sur le prlvement de Cd est visible sur les parties C et D de la figure 2.7, qui montrent le prlvement partir dune seule et mme concentration en mtal dans le milieu externe avec une surface dabsorption (masse racinaire) qui augmente. Ainsi, plus cette masse racinaire est importante, plus le prlvement sera important (Figure 2.7 D). Toutefois, cette remarque nest plus vraie lorsque plusieurs plants poussent dans un volume donn de sol et que la masse racinaire devient trop importante, car alors les plants rentreront en comptition pour le prlvement des mtaux et lefficacit du prlvement diminuera (Prasad & Hagemeyer, 1999). Enfin, et mme si cela peut paratre contradictoire, la concentration du mtal dans le tissu dune plante tend en mme temps diminuer quand la biomasse racinaire augmente (Figure 2.7 C) (Prasad & Hagemeyer, 1999) car des phnomnes de dilution biologique rentrent alors en jeu. 2.2.2.1. Facteurs lis au sol La partition des lments-traces entre les phases solides et liquides dans le sol est fortement influence par les proprits du sol telles que le pH, la teneur en matire organique, la force ionique de la solution du sol, les oxydes de Mn et Fe, le potentiel Redox et la nature des surfaces de sorption du sol. Les facteurs connus pour affecter la solubilit et la phytodisponibilit des lments-traces incluent les caractristiques chimiques de lments-traces, leurs teneurs, le pH, la CEC, le potentiel Redox, la texture du sol, sa teneur en argile et en matire organique. La temprature du sol peut galement avoir une influence sur laccumulation des lments-traces dans les cultures (Prasad & Hagemeyer, 1999).

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Contamination des sols : transferts des sols vers les plantes

A Concentration du mtal dans la plante. B Efficacit de prlvement (concentration du mtal dans la masse totale de la plante en fonction du mtal total ajout) aprs culture de plantes ayant des surfaces dabsorption mtalliques identiques dans des milieux ayant des concentrations diffrentes en mtal. C Concentration du mtal dans la plante. D Efficacit de prlvement, aprs culture de plantes ayant des surfaces dabsorption mtalliques diffrentes dans des milieux ayant des concentrations en mtal identiques.(daprs Prasad & Hagemeyer, 1999)

Figure 2.7 : Prlvement de mtaux dans le tissu vgtal en fonction de la concentration du mtal dans le milieu externe et de la surface dabsorption.

pH

La solubilit dun lment-trace dpend tout dabord du pH. Un pH bas augmente gnralement la phytodisponibilit de lments-traces, car lion H+ a une plus grande affinit pour les charges ngatives sur les collodes, et rentre alors en comptition avec les ions mtalliques vis--vis de ces sites, ce qui induit un relchage de lments-traces dans leau des pores du sol (Figure 2.8).

(daprs Prasad & Hagemeyer, 1999)

Figure 2.8 : Influence du pH sur le prlvement dun mtal dans le sol.

Gnralits sur les transferts sol-plante des lments-traces

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Plus le sol est acide, plus le transfert de Cd, Cu, Pb, Cr, Co, Zn, Hg, Ni, Tl, As vers la plante est important, car ces lments sont plus solubles (Tableau 2.2). En effet, les ractions de prcipitation et dadsorption augmentent avec le pH. Les fertilisations acidifiantes, comme un apport dazote sous forme dammonium, provoquent un accroissement du transfert vers la plante (Wu, 1989). De mme lapport de soufre en tant que fongicide conduit lacidification du sol, et un transfert accru des lments-traces vers les vgtaux (Lou, 1986). Le transfert du Cd et du Zn est principalement contrl par le pH (de Haan & Visser-Reyneveld, 1996). Le prlvement de ces lments-traces naugmente pas de manire significative quand le pH diminue de 6,5 6, mais par contre augmente fortement en dessous de 6 (US-EPA, 1989). La solubilit du Cu est moins affecte par le pH que celle des autres lments, car deux tendances inverses se contrecarrent. Dun ct le Cu est un mtal qui a tendance tre plus soluble en milieu acide, et de lautre il est complex par les matires organiques solubles pour des pH suprieurs 6,5 (Barber, 1995). Quand le pH du sol est suprieur 7, la solution du sol contient surtout des carbonates et des bicarbonates et la plupart des lments-traces ne sont pas biodisponibles pour les plantes (Bargagli, 1998). Quand le pH est proche de 4, toutefois, les argiles se dgradent et lAl domine la solution du sol, lactivit microbienne est inhibe et le phosphate ragit avec les hydroxydes dAl et les ions ferriques, les phosphates devenant alors indisponibles pour la plante, do des problmes nutritionnels pour celle-ci (Bargagli, 1998). Le Mo et le Se par contre, sont moins disponibles pour la plante aux pH faibles (Morel, 1997) (Tableau 2.2) car au lieu dtre sous forme de cations, ils sont sous forme danions. LAs, le Mo, le Se et certaines formes du Cr sont plus mobiles (et donc phytodisponibles) dans des conditions de sol alcalines et calcaires (Bargagli, 1998). Cest ainsi quil a t rapport des cas de carence en Mo pour des chouxfleurs bretons, cultivs dans des parcelles o le type de rotation adopt comporte la pomme de terre. Le pH de ces parcelles a en effet t maintenu une valeur infrieure ou gale 6 afin dviter le dveloppement de la gale commune de la pomme de terre (Duval et al., 1992). Eh (potentiel doxydo-rduction)

Les conditions, lorsquelles sont soit rductrices (Eh faible : par exemple un sol hydromorphe, gorg deau), soit oxydantes (Eh lev : par exemple en sol bien ar), ont un effet sur la solubilit des lments et donc sur leur disponibilit pour les vgtaux. Un essai de synthse est prsent dans le Tableau 2.2. Cependant, il est difficile de dgager de grandes tendances, car de nombreux facteurs interagissent. Il en rsulte que la disponibilit des lments-traces augmente ou diminue selon les cas avec le potentiel doxydo-rduction. Action directe dEh : les anions oxygns (As, Mo, Se), le Cr et le Hg changent de degr doxydation (de valence) selon le potentiel doxydo-rduction du sol et donc changent de solubilit. Par exemple, la forme As(III) rduite est soluble, alors que As(V) oxyde ne lest pas (Morel, 1997). Action indirecte dEh : le Cd, le Cu, le Co, le Ni, Pb et le Zn sont divalents (II) dans les conditions classiques de sol, et le Tl est monovalent (I). Pour ces derniers, les effets du Eh sont indirects, par action sur les oxydes de Fe et Mn et sur la matire organique par exemple. Pour ces lments, la phytodisponibilit peut augmenter ou diminuer selon les cas avec le Eh. En conditions trs rductrices, i.e. Eh trs faible, il y a formation de sulfures dlments-traces, qui sont insolubles ; le transfert est donc diminu (Siberlin, 1996). La circulation de leau peut donc modifier la solubilit des lments-traces en agissant sur le Eh. Le fait de drainer une parcelle qui tait auparavant hydromorphe (milieu trs rducteur, donc insolubilisation de nombreux lments-traces) peut rendre les lments-traces plus solubles et augmenter le transfert vers les racines. Par contre, en conditions rductrices modres, i.e. Eh faible, en milieu peu ar comme lors dun excs deau dans le sol, les oxydes de fer et de manganse sont rduits et solubiliss, librant les lments quils pigeaient, comme le Cu, le Cd, le Ni, le Pb (Siberlin, 1996).

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Contamination des sols : transferts des sols vers les plantes

Capacit dchange cationique (CEC)

La capacit dchange cationique est un paramtre global, qui reprsente la quantit maximale de cations de toutes sortes quun poids dtermin de sol est capable de retenir ou, autrement dit, le total des charges ngatives du sol disponibles pour la fixation de cations mtalliques ou dions H+. Pour les pays temprs (telle que la France mtropolitaine), les cations dissous dans la solution du sol sont attirs par des composants chargs ngativement (principalement, les argiles, les oxydes de mtaux et la matire organique qui sont les contributeurs les plus importants la CEC du sol) (Bargagli, 1998). Une CEC leve veut dire que la possibilit de fixation sur les charges ngatives augmente. Plus la CEC est leve, plus les cations mtalliques (Cd, Pb, Cr, Co, Zn, Hg, Cu, Tl) sont adsorbs ou complexs par les matires organiques, les argiles et les oxydes, donc moins assimilables par les plantes (Tableau 2.2). Cest pourquoi la quantit et la nature des matires organiques, des argiles et des oxydes dans le sol conditionnent la mtalliques des lments-traces. Les sols sableux permettent donc un transfert des lments-traces vers les plantes plus lev que les sols plus lourds (plus argileux). Le transfert du Cu et du Ni vers les racines est principalement contrl par la CEC (de Haan & Visser-Reyneveld, 1996). Dans le cadre dune tude sur limpact de lpandage de boues dpuration urbaines sur la qualit des betteraves (Affret et a