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Comment j'examine un trouble oculomoteur Examination of ocular motility disorder a Fondation A de Rothschild, service urgences et neuro-ophtalmologie, 25, rue Manin, 75019 Paris, France b Service d'ophtalmologie, hôpital Lariboisière, 2, rue Ambroise-Paré, 75010 Paris, France L ' examen d'un trouble oculomoteur doit permettre de déterminer sa nature (répondre à la question : quoi), de localiser sa cause (répondre à la question où) et de faire la liste des hypothèses concernant son mécanisme et son étiologie an de guider les exa- mens complémentaires nécessaires au diagnostic. Cet examen comprend trois parties : l'interrogatoire qui précise le ter- rain et les circonstances de survenue de l'anomalie, l'examen de l'oculomotricité proprement dit, et les tests éventuels qui peuvent être réalisés dans le même temps. On peut distinguer schématique- ment deux types de situation : dans le premier cas, il existe une limita- tion oculomotrice dans une ou plu- sieurs directions du regard et l'examen doit permettre de localiser la cause qui peut toucher les structures supranucléaires, internucléaires, un ou plusieurs nerf oculomoteurs, la jonction neuromusculaire ou un ou plusieurs muscles ; dans l'autre situation, il existe une ano- malie de la xation (nystagmus ou intru- sions saccadiques) et parfois de la capacité à maintenir le regard en posi- tion excentrée. Nous aborderons ici les différents temps d'examen devant un trouble oculomoteur sans détailler l'anatomie des structures oculomotrices (Friedman, 2010 ; Leigh, 2006 ; Prasad et Galetta, 2011 ; Rucker, 2007). L'INTERROGATOIRE Antécédents Il est indispensable de préciser les anté- cédents du patient, existence de diabète, hypertension artérielle, autres facteurs de risque vasculaire, accidents vasculaires transitoires ou constitués, traumatisme, C. Vignal-Clermont a,b Mots clés Diplopie Oscillopsie Oculomotricité Paralysie oculomotrice Réflexe oculocéphalique Keywords Diplopia Oscillopsia Ocular motility Ocular motor palsy Oculocephalic reflex Auteur correspondant. C. Vignal-Clermont, Fondation A de Rothschild, service urgences et neuro- ophtalmologie, 25, rue Manin, 75019 Paris, France. Adresse e-mail : [email protected] RÉSUMÉ L'examen d'un trouble oculomoteur doit permettre de le dénir, de localiser sa cause et d'énumérer des hypothèses concernant son mécanisme et son étiologie an de guider les examens complémentaires nécessaires au diagnostic. Nous détaillons ici les différentes étapes de l'examen : l'interrogatoire, l'examen de la motilité proprement dit et les tests à réaliser dans le même temps, en insistant sur les éléments sémiologiques importants pour arriver au diagnostic. © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. SUMMARY Examination of an ocular motor disorder lead to dene it, to locate its cause and to enumerate assumptions concerning its mechanism and its etiology in order to guide the complementary examinations necessary to the diagnosis. We detail here the various stages of the examination: the history of the trouble, the examination of the motility and tests to perform, while insisting on the important semiological elements to arrive to diagnosis. © 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Pratique Neurologique FMC 2012;3:225230 Pour la pratique © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.praneu.2012.07.006 225

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Comment j'examine un troubleoculomoteur

Examination of ocular motility disorder

C. Vignal-Clermont a,b

aFondation A de Rothschild, service urgences et neuro-ophtalmologie, 25, rue Manin,75019 Paris, FrancebService d'ophtalmologie, hôpital Lariboisière, 2, rue Ambroise-Paré, 75010 Paris,France

Mots clésDiplopieOscillopsieOculomotricitéParalysie oculomotriceRéflexe oculocéphalique

KeywordsDiplopiaOscillopsiaOcular motilityOcular motor palsyOculocephalic reflex

UMÉmen d'un trouble oculomoteur doit permettre de le définir, de localiser sa cause etmérer des hypothèses concernant son mécanisme et son étiologie afin de guider lesens complémentaires nécessaires au diagnostic. Nous détaillons ici les différentes étapesxamen : l'interrogatoire, l'examen de la motilité proprement dit et les tests à réaliser dans lee temps, en insistant sur les éléments sémiologiques importants pour arriver au diagnostic.2 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

MARYination of an ocular motor disorder lead to define it, to locate its cause and to enumeratemptions concerning its mechanism and its etiology in order to guide the complementaryinations necessary to the diagnosis. We detail here the various stages of the examination:istory of the trouble, the examination of the motility and tests to perform, while insisting onportant semiological elements to arrive to diagnosis.

© 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

examen d'un trouble oculomoteur neuromusculaire ou un ou plusieurs

Auteur correspondant.C. Vignal-Clermont,Fondation A de Rothschild,service urgences et neuro-ophtalmologie, 25, rueManin, 75019 Paris, France.Adresse e-mail :[email protected]

L' doit permettre de déterminer sanature (répondre à la question :

quoi), de localiser sa cause (répondreà la question où) et de faire la liste deshypothèses concernant son mécanismeet son étiologie afin de guider les exa-mens complémentaires nécessaires audiagnostic. Cet examen comprend troisparties : l'interrogatoire qui précise le ter-rain et les circonstances de survenue del'anomalie, l'examen de l'oculomotricitéproprement dit, et les tests éventuelsqui peuvent être réalisés dans le mêmetemps. On peut distinguer schématique-ment deux types de situation :� dans le premier cas, il existe une limita-tion oculomotrice dans une ou plu-sieurs directions du regard etl'examen doit permettre de localiser lacause qui peut toucher les structuressupranucléaires, internucléaires, un ouplusieurs nerf oculomoteurs, la jonction

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muscles ;� dans l'autre situation, il existe une ano-malie de la fixation (nystagmus ou intru-sions saccadiques) et parfois de lacapacité à maintenir le regard en posi-tion excentrée.

Nous aborderons ici les différents tempsd'examen devant un trouble oculomoteursans détailler l'anatomie des structuresoculomotrices (Friedman, 2010 ; Leigh,2006 ; Prasad et Galetta, 2011 ; Rucker,2007).

L'INTERROGATOIRE

AntécédentsIl est indispensable de préciser les anté-cédents du patient, existence de diabète,hypertension artérielle, autres facteurs derisque vasculaire, accidents vasculairestransitoires ou constitués, traumatisme,

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chirurgie, dysthyroïdie, sans oublier la recherche d'unpassé carcinologique. On précisera également les anté-cédents ophtalmologiques : antécédents de strabisme,de rééducation oculomotrice, de chirurgie oculaire,l'acuité visuelle antérieure avec éventuellement notiond'amblyopie.Il faut dater la survenue de l'anomalie oculomotrice afinde distinguer les anomalies congénitales des anomaliesacquises. Cette étape est le plus souvent simple, mais ilest parfois nécessaire de s'aider de photographies anté-rieures. Les plus fréquentes des anomalies oculomo-trices congénitales sont les syndromes de fibroseoculaire congénitale, souvent bilatéraux, les paralysiesoculomotrices congénitales qui peuvent toucher le III, leIV et le VI, et enfin le syndrome de rétraction de StillingDuane. Ce dernier est le plus souvent unilatéral. Il est enrapport avec une agénésie du nerf Abducens et de sonnoyau avec une co innervation du droit médial et du droitlatéral par la branche inférieure du III. Il existe plusieurstypes de Duane selon l'importance relative de l'atteintedu VI et de la réinnervation du droit latéral par le III. Cetteco-contraction du droit médial et du droit latéral enadduction a comme conséquence un rétrécissementde la fente palpébrale lors de l'Adduction de l'œil atteint(Remarque : il est fréquent d'orthographier les DD ouBD des mots abduction et adduction en majuscule pourqu'il n'y ait pas de confusion entre les deux termes quisont très proches). Ce rétrécissement est caractéris-tique du syndrome de Duane et doit être recherché lorsde l'examen clinique.La mise en évidence d'un nystagmus lors de l'examenclinique doit faire dater son apparition et rechercher desoscillopsies à l'interrogatoire. La survenue d'un nystag-mus au-delà de l'âge de six mois en fait un nystagmusacquis et impose de réaliser un bilan clinique neurolo-gique et une imagerie cérébrale. En cas de doute,l'absence d'oscillopsies, l'association du nystagmusà un strabisme ou à une basse vision, et/ou l'augmenta-tion dunystagmusenmonoculaire (nystagmusmanifestelatent) ou l'existence d'une position de blocage sont desarguments en faveur de son caractère congénital. Lesdifférentes formes de nystagmus et d'intrusions saccadi-ques, ainsi que leur valeur localisatrice, ne seront pasdéveloppées ici et feront l'objet d'un prochain article.Il faudra rechercher des troubles oculomoteurs transi-toires ayant précédé l'anomalie actuelle. Chez un sujetde plus de 50 ans, la survenue d'une diplopie transitoireavant une paralysie oculomotrice stable doit faire élimi-ner une maladie de Horton en recherchant des signesgénéraux à l'interrogatoire et demandant en urgence undosage de la vitesse de sédimentation (VS) et de laC-réactive protéine (CRP).

Signes fonctionnelsLes Signes fonctionnels seront précisés lors del'interrogatoire.

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La diplopie est la visualisation d'un objet à deux endroitsdifférents de l'espace visuel. Elle est la conséquence dudéfaut d'alignement des axes visuels. Elle est binocu-laire et disparaît lors de l'occlusion d'unœil, une diplopiemonoculaire ayant pratiquement toujours une causeoculaire. Cette diplopie binoculaire peut être constanteou fluctuante (majorée lors des efforts physiques etévoquant alors une myasthénie oculaire). On préciserases circonstances d'apparition : brutale, d'emblée maxi-male, ou progressive, les caractères de la vision double(horizontale, verticale et/ou torsionnelle), et la positiondu regard et de la tête dans laquelle elle est maximale.Verticale ou oblique et maximale dans le regard vers lebas, elle est en faveur de la limitation d'un muscleabaisseur de l'œil (oblique supérieur ou droit inférieur) ;horizontale et majorée dans le regard latéral elle évoquel'atteinte d'un muscle horizontal (droit médial ou latéral).En cas de décalage peu marqué entre les deux images,la diplopie peut être interprétée comme un flou visuelbinoculaire qui disparaît lors de l'occlusion d'un œil.Enfin, la diplopie peut être masquée par un ptosis asso-cié au trouble oculomoteur.La confusion visuelle est la superposition de deux objetsdans un même endroit de l'espace ; elle est égalementla conséquence du défaut d'alignement des axesvisuels et est le plus souvent transitoire.Les signes fonctionnels vestibulaires comprennent lesvertiges avec instabilité et sensation de déséquilibre, lesoscillopsies et l'impression de bascule de l'environne-ment. Les sensations vertigineuses uniquement en rap-port avec une anomalie oculomotrice disparaissent lorsde la fermeture des yeux. Les oscillopsies sont la consé-quence d'une anomalie de la fixation en règle acquise(nystagmus ou intrusions saccadiques) ; elles peuventêtre horizontales, verticales, obliques ou torsionnelles.L'existence d'une douleur oculaire ou périorbitaire majo-rée par les mouvements oculaires doit faire évoquer unemyosite ou une inflammation orbitaire ; une paralysieoculomotrice douloureuse, avec des céphalées, chez lesujet âgé doit faire éliminer une maladie de Horton ;surtout une paralysie douloureuse du III avec céphaléebrutale « en coup de tonnerre » et atteinte du III intrin-sèque (mydriase aréactive) impose de réaliser enurgence une imagerie avec des séquences vasculairesafin d'éliminer une fissuration anévrysmale de lacommunicante postérieure.On recherchera d'autres signes associés : faiblessemusculaire, troubles de la déglutition qui orientent versune pathologie musculaire ou une myasthénie.

L'EXAMEN CLINIQUE PERMET DEDÉFINIR L'ANOMALIE OCULOMOTRICE

On examine le patient dès qu'il rentre dans la pièce pourvoir s'il existe un torticolis (ou une attitude vicieuse de latête) visant à compenser l'anomalie oculomotrice ; le

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torticolis permet en effet de diminuer ou supprimer ladiplopie en tournant la tête dans le champ d'action du oudes muscles paralysés (Fig. 1). Quelques situationssont exemplaires :� un patient avec une limitation du droit latéral (muscleou VI) tournera la tête vers le côté paralysé pourcompenser le déficit d'abduction ;

� s'il existe une paralysie de l'oblique supérieur (atteintedu nerf trochléaire IV), la tête est inclinée vers l'épauleopposée ;

� en cas de paralysie des deux obliques supérieurs (IVbilatéral), le menton est abaissé et le regard dirigévers le haut ;

� s'il existe un nystagmus, le patient orientera sonregard dans la position où les mouvements de va etvient sont les moins importants avec parfois un torti-colis compensateur.

L'inspection recherche également une anomalie de lamarche, une asymétrie faciale, une anomalie palpé-brale, ptosis ou rétraction, une anomalie de positiond'un ou des globes oculaire : exo- ou enophtalmie, voiredystopie oculaire (décalage de la position du globe versle haut ou vers le bas) qui orientent vers une causeorbitaire.L'examen des pupilles sera systématique en cas detrouble oculomoteur. Cet examen étudie la taille despupilles dans différentes ambiances lumineuses et leurréactivité (RPM et dilatation) afin de déterminer la pupilleanormale. Une paralysie partielle ou complète du IIIassociée à une mydriase homolatérale peu ou aréactivedoit faire pratiquer une imagerie pour éliminer unecompression. L'association d'une douleur à une atteintedu III partielle ou complète avec atteinte pupillaire estune urgence vitale qui impose la réalisation immédiated'une imagerie cérébrale avec des séquences vascu-laires afin d'éliminer une fissuration anévrysmale.

Figure 1. Champ d'action des muscles oculomoteurs.Figure reproduite avec l'autorisation de reproduction : C. Vignal-

Clermont, D. Miléa, et al. Neuro-ophtalmologie. Paris: Elsevier; 2002.

L'association d'une paralysie oculomotrice (III, IV, VI)à un Claude-Bernard Horner oriente vers une pathologiedu sinus caverneux et impose la réalisation d'une IRM.

Examen du patient en position primaireLors de l'examen du patient en position primaire en luidemandant de fixer une cible au loin, puis de près, nousrecherchons une déviation et précisons son type : hori-zontale, verticale ou oblique, ainsi que l'œil fixateur.Soit il n'existe pas de déviation dans le regard de facemais l'interposition d'un écran devant un œil met enévidence une déviation latente avec mouvement derefixation lorsque l'on ôte l'écran ou que l'on cachel'autreœil. On parle alors de déviation latente ou phorie.Ces phories peuvent être horizontales (exo ou esopho-rie) ou verticales ; elles ne sont pas d'origine neurolo-gique mais peuvent être responsables d'une diplopiebinoculaire intermittente lors des efforts visuels prolon-gés (conduite automobile, lecture, ordinateur) ou lors dela mise en route de certains traitements (somnifères,antidépresseurs, anti comitiaux).Lorsqu'il existe une déviation permanente dans leregard de face (tropie), il faut déterminer son type :horizontale, verticale ou oblique et observer le mouve-ment de refixation de l'œil qui est caché. Lorsque cemouvement se fait de dedans en dehors, il s'agit d'uneésotropie, alors que si le mouvement est inverse, il s'agitd'une exotropie. Si le mouvement de refixation se faitvers le bas, il s'agit d'une hypertropie. Cette déviationsera ensuite appréciée dans toutes les positions duregard lors de l'examen des saccades. Elle est le plussouvent incominante, maximale dans le champ d'actiondu ou des muscles paralysés (Miller et al., 2008 ; PierrotDeseilligny, 2002 ; Rucker et al., 2011).

Examen des saccades oculairesL'examen oculomoteur (Fig. 2) étudie les saccadesdans toutes les directions du regard (vers le haut, hautet droite, droite, bas et droite, bas, bas et gauche, gau-che, haut et gauche), en binoculaire (versions) puis enmonoculaire (ductions, en interposant un écran éven-tuellement translucide devant l'autre œil). On note lavitesse et l'amplitude des saccades pour chaqueœil. Lastricte normalité des mouvements conjugués, sansdiplopie, implique l'intégrité du système oculomoteur.En cas de limitation des saccades, l'examen cliniquerecherche des arguments pour localiser l'atteinte et lesmouvements réflexes oculo-céphaliques (ROC) doiventêtre testés (manœuvre des yeux de poupée). La limita-tion des saccades dans une direction avec conservationdes ROC signe une anomalie supranucléaire. On peutretenir les éléments suivants :� la limitation de l'abduction d'un œil peut correspondreà une paralysie du nerf abducens (VI) ou à uneatteinte du muscle droit latéral ou s'observer dansla myasthénie ;

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Figure 2. Examen oculomoteur en cas d'anomalie des saccades.Figure reproduite avec l'autorisation de reproduction : C. Vignal-Clermont, D. Miléa, et al. Neuro-ophtalmologie. Paris: Elsevier; 2002.

D'après « Examen de la motilité oculaire ».

C. Vignal-ClermontPour la pratique

� la limitation isolée d'un droit médial dans les mouve-ments de latéralité doit faire tester la convergenceoculaire. Si le droit médial est également limité lorsde la convergence, l'atteinte se situe au niveau dumuscle ou de la jonction neuromusculaire (myasthé-nie) et l'on recherchera d'autres arguments pour cetteaffection (ptosis, faiblesse des orbiculaires, variabilitéde l'atteinte, saccade hyper-hypométrique). Si laconvergence est respectée il s'agit d'une ophtalmo-plégie internucléaire antérieure (OINA) liée à l'atteintedu faisceau longitudinal médian du même côté et l'onrecherchera un nystagmus ataxique en abduction surl'œil controlatéral ;

� plus largement une atteinte limitée d'un seul muscleinnervé par le III n'est en règle pas d'origine neuro-gène et est très probablement liée à une pathologiemusculaire ou de la jonction neuromusculaire ;

� s'il existe une limitation des mouvements volontairesconjugués vers le haut et/ou vers le bas il faut testerles ROC. Le syndrome de Parinaud (ou dorsal mid-brain syndrome) associe de façon variable une para-lysie supranucléaire des mouvements verticaux versle bas et/ou vers le haut à une rétraction palpébralebilatérale (signe de Collier), un nystagmus rétractoriuslors des efforts de convergence et parfois une para-lysie de la convergence oculaire.

La poursuite, mouvement oculaire volontaire est unmouvement fragile, facilement perturbé par l'âge ; sonexamen n'apporte donc pas d'élément supplémentairepar rapport à celui des saccades et n'est pas nécessaireen pratique.

Paralysie oculomotriceEn cas de suspicion de paralysie oculomotrice, il faudras'assurer de l'absence d'anomalie au niveau des autrespaires crânienne en testant la sensibilité dans le terri-toire du V et recherchant une anomalie des VIIe et VIIe

paires crâniennes. Si l'on suspecte une myasthénie

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oculaire, le tonus des orbiculaires sera mesuré contrerésistance et en cas de ptosis un test au glaçon serapratiqué.

Étude du fond d'œilL'ophtalmologiste complète l'examen de la motilité ocu-laire par une mesure de la réfraction, de l'acuité visuelle,un examen à la lampe à fente à la recherche d'uneanomalie du segment antérieur de l'œil et une étudedu fond d'œil. En cas de paralysie du VI, on rechercheraun œdème papillaire d'hypertension intracrânienne. Encas de diplopie torsionnelle, la torsion peut être visua-lisée lors de l'examen du fond d'œil (Fig. 3).

Examen au verre rougeIl permet de mettre en évidence des limitations minimesmais ne peut être réalisé chez les patients aux anté-cédents de strabisme. On interpose un filtre rougedevant unœil, par convention l'œil droit, et l'on demandeau patient de fixer une source lumineuse blanche, quiest donc perçue rouge par l'œil droit et blanche par l'œilgauche. On peut ainsi analyser le décalage et sa varia-tion en fonction de la position des yeux pour connaître leou les muscles déficitaires. Dans une ésodéviation (parexemple lors d'une paralysie du VI), les deux imagess'écartent dans le plan horizontal, chacune restant dubon côté et la diplopie est dite homonyme « lorsque lesaxes visuels se croisent, les images se décroisent ».Dans une exodéviation (lors d'une atteinte du III) lesimages se croisent dans le plan horizontal et la diplopieest dite croisée. L'écart entre les deux images augmentedans le champ d'action du ou des muscles paralysés.L'image la plus périphérique est celle de l'œil paralysé.En cas de déviation verticale avec majoration de l'écartdans le regard vers le bas, l'aggravation de l'hypertropiepar l'inclinaison de la tête sur le même côté signe laparalysie de l'oblique supérieur homolatéral : c'est lamanœuvre de Bielschowsky (Sharpe et al., 2011). En

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Figure 3. Patient présentant une paralysie bilatérale de l'oblique supérieur, plus marquée sur le côté droit avec une exophorie tropie, unediscrète hypertropie droite et une excyclotorsion bilatérale visible au fond d'œil. A. Chez un sujet sain, Lorsque la tête est droite, la lignehorizontale qui passe la macula coupe le disque optique à la jonction de son un tiers moyen et son un tiers inférieur. B. Chez ce patient

présentant une paralysie du IV, l'examen du fond d'œil retrouve une excyclotorsion, avec rotation vers l'extérieur de l'image. La lignehorizontale qui traverse la macula passe alors sous la papille. C. Le coordimètre réalisé dans un second temps avec une torche de Kratz

(image du bas) permet de visualiser et mesurer le décalage oculaire et la torsion.

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cas de diplopie torsionelle, la torsion peut être étudiée etmesurée en plaçant devant chaqueœil un verre strié deMaddox horizontal qui transforme chaque point vu enune ligne lumineuse verticale. La torsion est mesurée endemandant au patient de tourner la ligne inclinée parrapport à la verticale et de la replacer parallèlement

à l'autre. Ce test au verre rouge, qui demande unebonne coopération du patient, est facile à réaliser dansles atteintes limitées à un ou deux muscles. Son princi-pal inconvénient est l'absence de mesure quantitativedu déficit. Il peut donc être complété par un examencoordimétrique.

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Figure 4. Paralysie du III droit brutale et douloureuse, extrinsèque et intrinsèque en rapport avec une apoplexie pituitaire. Le coordimètremontre la limitation de l'adduction (surtout), de l'élévation et de l'abaissement de l'œil droit et l'hyperaction des muscles de l'œil gauche,

à l'exception du droit médial gauche. Cette hyperaction est plus marquée sur le droit latéral gauche (synergique controlatéral dudroit médial droit).

C. Vignal-ClermontPour la pratique

EXAMENS COORDIMÉTRIQUESLes examens coordimétriques (Test de Hess-Lancaster,de Weiss) sont basés sur le principe de la confusion,puisque chaque œil voit une image différente. Le sujetqui porte des lunettes duochromes (un verre rouge surun œil et un verre vert sur l'autre) dans une piècesombre est placé devant un écran quadrillé neutre ;deux torches projettent sur cet écran une flèche : laflèche rouge est vue uniquement par l'œil équipé duverre rouge et la verte par l'autre œil. Pour étudier l'œiléquipé du verre rouge (l'œil droit, par convention le plussouvent), l'examinateur déplace sur l'écran la torcheverte que le patient voit avec son œil gauche et donneau patient la torche rouge vue par le droit. Il lui demandede superposer sa torche rouge sur la torche verte. Pourétudier l'œil gauche équipé du verre vert, les torchessont inversées. Ce test, dont il existe des variantes,permet de mettre en évidence l'œil atteint dont le cadrede déviation est le plus petit et le ou les muscles paré-tiques. Il visualise également la déviation secondaireprovoquée par l'hyperaction du synergique controlatéral(Fig. 4). Il constitue un document objectif qui permet dequantifier l'atteinte et de suivre l'évolution du déficit. Encas de diplopie torsionnelle, la torche lumineuse punc-tiforme peut être remplacée par une torche de Kratz quiprojette une ligne et non plus un point.

CONCLUSION

Au terme de cet examen oculomoteur, l'anomalie encause est caractérisée : trouble de la motricité supranu-cléaire (Parinaud, OINA, skew deviation), paralysie

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oculomotrice du III, IV et ou VI, myasthénie oculaire,ou problème musculaire (orbitaire ou myopathie ocu-laire). Le mécanisme causal (compressif, inflammatoire,vasculaire, dégénératif) est suspecté en fonction duterrain et des signes associés. Le bilan complémentairesera donc programmé en fonction des données de l'exa-men oculomoteur initial.

Déclaration d'intérêtsL'auteur déclare ne pas avoir de conflits d'intérêts en relation avec cet

article.

RÉFÉRENCES

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