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1 COLLOQUE FRANCOPHONE INTERNATIONAL CULTURES, TERRITOIRES ET DEVELOPPEMENT DURABLE LUNDI 14 ET MARDI 15 AVRIL 2014 ESPE Clermont Auvergne, 36 avenue Jean Jaurès, 63400 Chamalières, Amphis E et A Le Parc de la Villette, la trajectoire d’un établissement public où l’extension du domaine de la culture mène à une (ré)interprétation de notre vision de la nature Cassandre Schinelli Doctorante Laboratoire Triangle – Université Lyon 2 Mots clés : Nature, culture, savoirs, paysage, Parc de la Villette

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COLLOQUE FRANCOPHONE INTERNATIONAL

CULTURES, TERRITOIRES ET DEVELOPPEMENT DURABLE

LUNDI 14 ET MARDI 15 AVRIL 2014

ESPE Clermont Auvergne, 36 avenue Jean Jaurès, 63400 Chamalières, Amphis E et A

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Le Parc de la Villette, la trajectoire d’un établissement public où l’extension du domaine de la culture mène à une (ré)interprétation de notre vision de la nature

Cassandre Schinelli Doctorante Laboratoire Triangle – Université Lyon 2

Mots clés : Nature, culture, savoirs, paysage, Parc de la Villette

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Dès ses débuts, le Parc de la Villette, localisé dans le 19ème arrondissement de Paris, s’est positionné comme un exemple innovant des liens entre culture et nature, allant même jusqu’à proposer un nouveau type d’urbanité. Mais, ce n’est seulement qu’au début des années 2000 que le Parc s’est officiellement tourné, comme bien d’autres, vers le développement durable pour commencer à palier son faible positionnement sur les thèmes écologiques et ainsi s’adapter aux nouvelles exigences de son environnement. Il est vrai que l’Etablissement Public du Parc et de la Grande Halle de la Villette (EPPGHV), placé sous la tutelle du Ministère de la Culture et de la Communication, est à la fois programmateur culturel et gestionnaire des 33 hectares espaces publics du parc. Il a concrétisé son engagement en faveur du développement durable à travers la réalisation d’un Agenda 21 mêlant, de façon inédite, problématiques culturelles, écologiques et sociales, s’appropriant alors des prérogatives ne relevant pas initialement de son champ de compétences. Une première du genre, si l’on juge les politiques de quelques autres établissements culturels. Ainsi, le Parc de la Villette a souhaité recruter en 2014 un-e jeune chercheu-r-se en urbanisme afin de l’accompagner dans la mise en œuvre de son Agenda 21, c’est-à-dire dans les réflexions prospectives qu’il nourrit sur son identité et sur son devenir, au regard des mutations de son environnement.

L’article présenté ici s’inscrit dans le cadre des recherches menées lors de notre première année de thèse en urbanisme, sous la direction de Guillaume Faburel, professeur à l’Institut d’Urbanisme de Lyon – Université Lyon 2, via une Convention Industrielle de Formation par la Recherche (CIFRE) élaborée avec le Parc de la Villette, intitulée Vers une (ré)interprétation spécifique des liens entre nature et culture(s) : les horizons politiques et scientifiques de la ville durable au regard du Parc de la Villette.

Plusieurs questions vives animent l’EPPGHV à l’heure de l’injonction au développement durable. Le Parc de la Villette ne serait-il pas un espace en tension, où la durabilité se jouerait dans une approche transversale des rapports entre culture(s) et nature ? La définition de nouvelles politiques culturelles ne permettraient-elles pas au Parc de la Villette de tendre vers une conception plus actuelle de la nature que celle pour laquelle il a opté dans les années quatre-vingt ? L’établissement de l’Agenda 21 de l’EPPGHV peut-il être considéré comme une innovation institutionnelle enclenchant une dynamique d’hybridation entre nature et culture, permettant à l’établissement de s’émanciper de son ministère de tutelle, et d’acquérir des compétences qui sortiraient de son champ de prérogatives ? Prérogatives lui permettant de renouveler le regard qu’il porte sur la nature.

La thèse alors défendue à terme dans ce travail serait la suivante : faire de la culture au 21ème siècle au Parc de la Villette nécessiterait de se réinterroger sur notre vision de la nature.

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Il s’agira donc dans cet article d’engager une première réflexion autour de ce sujet de thèse, en interrogeant rapidement l’évolution générale des rapports nature-culture sur ces trente - quarante dernières années, et en analysant en quoi cette évolution serait conditionnée par les savoirs auxquels s’adossent les sciences. Il sera ensuite question d’étudier, dans quelles mesures le Parc de la Villette pourrait être un territoire de mise à l’épreuve des rapports nature-culture dans l’espace urbain. Et pour finir, nous tenterons d’identifier les moyens dont dispose le Parc de la Villette pour articuler autrement nature et culture sur son territoire. Quels enseignements, généralisables à la ville, peut-on tirer de la trajectoire de cet établissement public ?

Vers une évolution des rapports nature-culture conditionnée par les savoirs

Les rapports nature-culture auraient connu, depuis une quarantaine d’années, de profonds changements, voire des renversements de valeurs, illustrant les mouvements qui animent l’évolution des pensées occidentales. On peut aujourd’hui distinguer trois grands concepts définissant les rapports nature-culture. Quelles visions de la nature se jouent derrière chacune de ces conceptions ? Sur quels récits du monde, sur quelles sciences, reposent-elles ? Les sciences s’établissant au regard de différents savoirs, ne seraient-ce pas ces derniers, qui en définitive, conditionnent notre vision de la nature ? « (…) c’est par leurs cultures [que les humains] façonnent consciemment ou non, une nature » (PAQUOT T. ET YOUNES C., 2010, p.12). Ainsi le concept même de nature serait culturel, donc relatif.

Nature versus culture

Nature et culture sont définies en opposition l’une par rapport à l’autre, la nature englobant tout ce qui serait extérieur à l’humain, à ses savoirs et ses savoir-faire (THEYS J., 2010). Longtemps, la dissociation entre nature et culture s’est traduite une domination de la culture sur la nature. Puis, la tendance s’est inversée au regard de la montée en puissance des problématiques environnementales. Toutes deux proposent leur propre vision de la nature.

Un culturalisme anthropocentré

Selon la vision culturaliste du monde, la nature est appréhendée comme une réalité caractérisée par la permanence, la stabilité et la régularité de ces cycles saisonniers, faisant d’elle le support physique inébranlable sur lequel l’être humain peut se

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développer. Ainsi, le culturalisme érige en principe l’idée d’une domination et d’un asservissement de la nature par l’homme. Il s’agit là d’une vision « anthropocentrique » du monde, définissant l’homme comme étant l’élément le plus central du cosmos, la nature n’étant alors « qu’un sous ensemble de la société » (THEYS J., 2010, p.29).

Un naturalisme biocentré

La conception naturaliste du monde, perpétue la dissociation entre nature et culture établie par le culturalisme, en réaction à cette dernière. Cette approche est biocentrée, c’est-à-dire qu’elle définit la société comme un « sous-système s’inscrivant dans le fonctionnement plus global du ou des système(s) naturel(s) » (THEYS J., 2010, p.22), inversant totalement le rapport de subordination entre nature et culture défendue par le culturalisme. La nature ne serait plus un réservoir de ressources naturelles à exploiter, mais une entité propre, à mettre sous cloche pour la préserver des dommages irrémédiables que l’humanité pourrait lui causer.

Réconcilier l’homme et la nature

La dissociation extrême entre nature et culture, qu’elle relève du culturalisme, ou du naturalisme, est remise en question. Il existerait une alternative permettant de mieux conjuguer les rapports nature-culture.

Vers une vision globale et non dualiste des rapports nature-culture

L’environnement serait, dans cette troisième conception des rapports nature-culture, une composante de la société, permettant de ménager les humains et les non humains à travers une nouvelle éthique et des systèmes de dépendance réciproque qui seraient à la fois naturels et sociaux, dans lesquels la nature serait un patrimoine à inventer et à valoriser (PAQUOT T. et YOUNES C., 2010 ; STENGERS I., 2003 ; LATOUR B., 1999 ; LARRERE C. et R., 1997). Nature et culture ne seraient donc plus subornées l’une à l’autre, elles formeraient un tout, proposant ainsi une vision non dualiste du monde.

De la difficulté d’hybrider nature et culture

Or, selon Jacques Theys, ce brouillage des distinctions entre nature et culture nous conduit à envisager l’homme et la nature comme étant des coproduction de ressources et de contraintes mutuelles. Et la perspective la plus évidente nous permettant d’appréhender ce processus de coproduction serait de définir de ce qui est supportable pour la nature au regard de notre société, et inversement ce qui serait acceptable

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pour la société, plutôt que de s’interroger sur la possibilité de créer un monde plus « durable ». On risquerait alors de tomber dans une conception « technocentrée » des rapports nature-culture.

Quand les savoirs conditionnent les rapports nature-culture

C’est à travers les sciences, tantôt économiques, tantôt naturelles, que sont définies et mises en œuvre les politiques de la nature. Les représentations scientifiques que nous avons de la nature jouent donc un rôle essentiel dans la compréhension des rapports que nous entretenons avec elle. Or, ces sciences relèvent de différents savoirs. Ne seraient-ce pas ces derniers, qui en définitive, conditionnent notre vision de la nature ?

Les savoirs subjectifs, quand les sciences économiques exploitent la nature

Pour les sciences économiques, la nature est un réservoir de matières premières destiné à répondre à la satisfaction des besoins humains et à accroitre leurs richesses, mais ces réserves n’étant pas illimitées, les sociétés vont devoir veiller à les utiliser de manière raisonnable. Va alors apparaître, dans la lignée de cette logique, la notion de service écologique rendu, servant à traduire de façon quantitative et économique ce que la nature apporte aux hommes. La nature n’a donc pas de valeur intrinsèque, ce sont les économistes qui définissent la valeur de ses objets au regard de l’utilité qu’elles leur attribuent, la conception culturaliste de la nature est donc basée sur des savoirs subjectifs, des savoirs d’experts. Cette vision du monde a légitimé l’essor du capitalisme et le développement de l’urbanisation comme logique d’agencement des rapports entre nature et culture (LARRERE C. et R., 1997).

Les savoirs objectifs, quand les sciences naturelles sacralisent la nature

Selon la conception naturaliste des rapports nature-culture, la valeur de la nature ne serait pas établie en fonction d’un jugement humain subjectif, mais grâce aux sciences naturelles objectives. Autrement dit, seuls les experts scientifiques, les sachants tels que les biologistes, les écologues et les climatologues seraient en mesure de définir la valeur intrinsèque de la nature. Les politiques de protection de la nature, par l’exclusion de l’homme, prenant la forme de réserves naturelles, découlent de cet agencement du monde et de l’exclusivité d’entendement de ces savoirs naturalistes. Or, l’objectivité des savoirs sur lesquels se sont bâties les sciences naturelles peut être remise en question. Les sciences naturelles évoluent au regard des avancées technologiques et des nouvelles découvertes, ce qui était admis comme vrai à une

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époque ne l’est plus forcément quelques décennies plus tard. Les sciences, même naturelles, sont relatives, donc subjectives.

Entre subjectivité et objectivité : quand les sciences humaines et sociales proposent d’habiter la nature

Si les sciences économiques et les sciences naturelles se construisent sur des savoirs tantôt subjectifs, tantôt objectifs, les sciences humaines et sociales proposent, elles, de les hybrider. Il s’agit là de trouver un juste milieu, d’établir un équilibre, entre la nécessité du développement urbain, et l’impératif d’une meilleure gestion des ressources naturelles. En habitant la nature, on pourrait alors tendre vers un établissement humain écologique, un monde où il serait possible de vivre sans pour autant détruire notre environnement (LARRERE C. et R., 1997). Ainsi, les politiques de la nature ne seraient plus l’apanage de la science et des experts qui s’en réclament, mais le fait de chacun d’entre nous. La nature entrerait ainsi (enfin) en démocratie recomposant les jeux de pouvoirs entre experts sachants et profanes (LATOUR B., 1999 ; STENGERS I., 2003).

Quels territoires pourraient témoigner de cette volonté d’articuler autrement les rapports nature-culture ? Les parcs naturels régionaux (PNR) en milieu peu urbanisé semblent expérimenter, pour certains, la mise en œuvre de ce principe de recomposition des rapports nature-culture en se basant sur la recherche d’un développement respectueux des équilibres naturels et culturels entre patrimonialisation et innovation. Pour d’autres, la conception de la nature qui se joue dans les PNR est très écocentrée. Mais qu’en est-il en milieu urbain ? La ville, comme complexe premier technique et économique de l’économie de marché, n’est-elle pas le milieu propice pour mettre à l’épreuve et appréhender cette évolution des rapports nature-culture ? Le projet du Parc de la Villette, ayant émergé au moment où la réflexion sur l’hybridation des liens entre nature et culture s’opérait dans les différents courants de pensée qui animent le monde occidental, ne pourrait-il pas être appréhendé comme un territoire de mise à l’épreuve de l’évolution générale de ces rapports ?

Le Parc de la Villette comme territoire de mise à l’épreuve de l’évolution générale des rapports nature-culture dans l’espace urbain

Tentative de rééquilibrage de la capitale parisienne au nord-est en direction de la banlieue, et plus particulièrement en direction de la Seine-Saint-Denis, le projet du Parc de la Villette était également l’étendard de la politique de démocratisation

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culturelle lancée par François Mitterrand, à son arrivée au pouvoir. Pour mener à bien ce projet urbain et culturel sur le site des anciens abattoirs de Paris, le modèle du parc haussmannien datant du 19ème siècle, définissant le parc comme étant un fragment de nature permettant de fuir la ville, n’était-il pas obsolète ? Quels savoirs pouvaient être mobilisés pour porter un regard neuf sur le concept de nature, pour inventer le parc urbain du 21ème siècle, sur un site reliant la culture scientifique issue des savoirs dits objectifs, matérialisée par Cité des Sciences et de l’Industrie au nord, et la culture artistique issue des savoirs subjectifs, matérialisée par la Cité de la musique au sud ? Au regard des questions qui ont animé sa conception, le Parc de la Villette pourrait-il être un territoire mettant à l’épreuve l’évolution générale des rapports nature-culture dans l’espace urbain de par sa propre trajectoire territoriale de grand établissement public ?

Un parc urbain pensé au moment d’un tournant épistémologique

Le projet du Parc de la Villette est né au début des années quatre-vingt, à une époque où, au regard de l’évolution des pensées occidentales, la nature n’était plus conçue par opposition à la culture. Ce tournant épistémologique a généré une réflexion sur l’essence et la forme des parcs à produire dans l’espace urbain. Puisque jusqu’à présent ils ne se présentaient que sous la forme d’enclaves de nature déconnectées de la ville. Alors, dans le parc urbain du 21ème siècle sera-t-il question de ville-jardin ou jardin dans la ville ?

Dépasser le modèle du parc urbain comme enclave de nature

Selon l’Etablissement Public du Parc de la Villette (EPPV) qui assurait la maîtrise d’ouvrage du Parc de la Villette, aucune innovation en matière de parcs et jardins n’avait vu le jour en France depuis Haussmann et sa vision hygiéniste et moraliste de la nature, alors que la société, elle, avait largement évolué depuis le 19ème siècle. « Les parcs et jardins parisiens perpétuent des symboles d’un lustre, d’une morale et d’une histoire passés » estimant alors qu’il fallait « inscrire dans les parcs d’aujourd’hui les symboles du temps présent ». Voilà ce que l’on pouvait lire dans les cinq premières pages du programme du Parc de la Villette. Toujours selon la maîtrise d’ouvrage, les parcs urbains haussmanniens étaient pensés comme des enclaves de nature, des « poumons » verts offerts aux citadins pour qu’ils puissent s’oxygéner à l’écart de la ville, déconnectant ainsi les parcs de l’espace urbain. Or, l’évolution des pensées occidentales, comme décrite précédemment tendait à les hybrider.

La décision était prise, il fallait dépasser ce modèle de parc comme enclave de nature en ville, en inventant un parc urbain culturel pour le 21ème siècle. Ce parc ne serait plus

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un poumon, mais un cœur, permettant de faire vivre la ville, et même de la réanimer au regard de la désindustrialisation qui s’accélérait en ce début des années quatre-vingt. Le Parc de la Villette devait pouvoir servir de moteur à la reconversion urbaine des quartiers alentours. Mais quelle forme pouvait bien prendre ce nouveau modèle de parc transcendant les rapports nature-culture ? Quels savoirs et savoir-faire mobiliser pour dépasser la vision haussmannienne du parc urbain et ainsi concevoir le parc urbain du 21ème siècle ?

Ouvrir le débat, génie bâtisseur ou génie du lieu, quels savoirs font l’espace ?

A l’heure où le paysagisme, comme discipline, commençait à s’émanciper de l’architecture, s’engageait alors une réflexion sur les savoirs et savoir-faire qui faisaient l’espace. Si le parc urbain ne devait plus être une enclave de nature, mais une hybridation entre nature et culture, construite dans le prolongement de la ville, qui de l’architecte ou du paysagiste était le mieux placé pour concevoir ce lieu ? Qui du génie bâtisseur, ou du génie du lieu, faisait l’espace ? Comme Jack Lang, alors Ministre de la Culture, le disait « Le débat est ouvert et restera ouvert entre ceux qui veulent tenir un espace par les bâtiments et le composer à partir d’architecture et ceux au contraire qui considèrent que c’est l’espace tout entier, qui par ses relations et son relief, fait le paysage. Ce débat n’est pas un débat futile ou accessoire, (…) nous ne savons plus ce qu’est un parc de ville »1.

Dans l’optique de répondre à cette interrogation, au moins provisoirement, la maîtrise d’ouvrage a fait le choix de lancer en 1982 un concours international d’architecture ouvert à toutes les disciplines œuvrant dans le champ de la conception (architecture, paysagisme, arts plastiques, etc.), pour trouver celle qui serait capable d’offrir le résultat le plus satisfaisant, à savoir de proposer un nouveau modèle de parc urbain hybridant nature et culture. Au final ce ne sont pas moins de sept visions différentes et parfois contradictoires de la nature qui ont pu être identifiées dans le rapport d’objectifs du projet (BARZILAY, 1984), pièce maîtresse du concours fournie aux candidats. En exposant la diversité des natures possibles dans leur programme, des rédacteurs ne tentaient-ils pas d’amener les concurrents à transcender leurs propres connaissances, leurs propres savoirs ?

La Villette, une petite ville ?

                                                                                                                         1 Propos tenus par Jack Lang à la Conférence de presse du 13/12/82, annonçant les neuf lauréats du concours international d’architecture du Parc de la Villette

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Figure 1 - Schéma de composition générale du Parc de la Villette par Bernard Tschumi. Source : B. TSCHUMI, 1983

 

Bernard Tschumi architecte de formation, vivant aux Etats-Unis a été désigné lauréat du concours du Parc de la Villette. En s’appuyant sur le génie bâtisseur, il proposa de réaliser un parc postmoderne très théorique célébrant les diversités, à partir d’un système programmatique mêlant pour la forme plusieurs couches d’éléments : les lignes (circulations, galerie nord-sud, galerie est-ouest, des axes secondaires rectilignes et la promenade cinématique sinueuse), les points (trame orthogonale des folies, points de repère rouge dans le parc et supports programmatiques), et les surfaces (équipements culturels, jardins thématiques et prairies).

Cette structuration n’est pas sans rappeler le processus de conception d’une trame urbaine avec ses axes de circulation, ses bâtiments et ses espaces publics. Ainsi, le Parc de la Villette, ne serait-il pas une ville à échelle réduite ?

La nature comme support de la culture

Pour Bernard Tschumi « le dépassement de la polarité civilisation/nature dans les conditions de la ville moderne a invalidé le prototype historique de parc en tant qu’image de la nature »2. A la Villette, l’éclatement et la dissonance marquent donc la fin d’un monde unique où parc urbain rimait avec espace vert imitant la nature. Le parc urbain devient alors un espace culturel reflétant l’image d’une urbanisation du territoire par le bâti (trame des folies), dont les éléments sont mis en relation via une trame viaire

                                                                                                                         2 Entretien avec Bernard Tschumi réalisé par Alain Orlandini in ORLANDINI A. (2008), La Villette 1971-1995 : Histoire de projets, Somogy Editions d’Art, p.142

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(lignes). Dans ce concept, le végétal est savamment organisé et maitrisé à l’image d’un simple matériau de construction. Pour Bernard Lassus, le projet de son concurrent « (…) n’est rien d’autre qu’une image de la manière dont la ville conquiert les espaces ruraux»3. Rejoignant ici une vision assez culturaliste du monde, la nature n’existe plus pour elle-même. Du fait de leur composition et de leur aspect visuel géométrique, les différents espaces végétalisés proposés par Bernard Tschumi réduisent la nature à un support de culture. Si dans sa forme le Parc de la Villette ressemble à une petite ville, qu’en est-il de sa gestion ?

Un territoire administré comme une petite ville ?

Au lendemain de sa construction, le Parc de la Villette est administré par un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), issu de la fusion d’une partie de l’EPPV, de la société d’économie mixte de la Villette (SEMVI) et de l’Association de la Grande Halle (AGH). Placé sous tutelle du Ministère de la Culture et de la Communication, il prend le nom d’Etablissement Public du Parc et de la Grande Halle de la Villette (EPPGHV). L’EPPGHV, plus communément appelé Parc de la Villette, assure la gestion des espaces bâtis et paysagers du parc, ainsi que la programmation culturelle de plusieurs des équipements présent sur le site4. Le Parc de la Villette n’est donc pas géré par le service des espaces verts de la Ville de Paris, à l’instar de nombreux parc parisiens. Il est autonome, à l’image d’une petite ville dans la ville. Cet établissement public est organisé selon un modèle proche de celui d’une commune. Le rôle du président du Parc de la Villette, de son directeur général et de ses différentes directions pourrait être comparé à celui du maire, de son directeur général des services et de ses services municipaux. Le budget de la Villette peut également être comparé à celui d’une commune, notamment entre financement du ministère de tutelle et dotation globale de fonctionne délivrée par l’État.

Si le Parc de la Villette est une petite ville, ces deux entités ne sont-elles pas confrontées aux mêmes dynamiques d’évolution et d’adaptation ? Au regard de la (ré)émergence de la question environnementale, les rapports nature-culture qui les caractérisent ne sont-ils pas dépassés ? Pensé pour être le parc urbain du 21ème siècle, le Parc de la Villette l’est-il vraiment ?

                                                                                                                         3 Entretien avec Bernard Lassus réalisé par Alain Orlandini in ORLANDINI A. (2008), La Villette 1971-1995 : Histoire de projets, Somogy Editions d’Art, p.187 4 Il s’agit de la grande Halle, de l'espace Chapiteaux, du pavillon Paul Delouvrier, du WIP Villette et des espaces de plein air. La Cité des Sciences et de l’Industrie, devenue Universcience, et la Cité de la Musique sont gérées par des établissements publics distincts et indépendant.

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Figure 2 – Le plan du Parc de la Villette, quand la nature (re)devient le support de la culture. Source : EPPGHV, Sophie Lavoie.

 

 

 

Confronté, comme la ville, à la question de son adaptation ?  

Le Parc de la Villette, s’il veut continuer à camper la posture du parc 21ème siècle, va devoir s’adapter aux nouvelles exigences de son environnement et se (ré)insérer dans

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l’évolution des pensées occidentales régissant les rapports nature-culture, à l’image de la ville ordinaire qui tente de se mouvoir en « ville durable ». Seulement, le Parc de la Villette, tout comme la ville, en sont-ils capables ? Sont-ils en mesure d’évoluer dans leurs politiques comme dans leurs formes ?

Un territoire dans lequel les rapports nature-culture doivent se recomposer

A l’aube du 21ème siècle, la question environnementale se fait de plus en plus pressante dans les pensées occidentales, faisant évoluer avec elle la pensée paysagère qui, au tournant des années quatre-vingt-dix, tente d’effacer les deux polarités naturaliste et culturaliste qui l’ont jusqu’alors structuré, au profit d’une approche plus globale et non dualiste du paysage. Dorénavant, il s’agit d’avantage d’habiter la nature comme le proposent les paysagistes, plutôt que de simplement l’urbaniser, ce qui rompt avec les idées développées par Bernard Tschumi au Parc de la Villette. La vision de la nature appréhendée uniquement comme support de la culture n’est plus tenable.

Le concept abstrait du parc comme modèle généralisable venant s’imposer à un territoire, sans tenir compte de ses particularismes, est remis en cause. Les éléments du grand paysage qui créaient du liant entre les différentes entités territoriales, à l’époque où le site abritait les abattoirs de Paris, n’ont été que peu traités dans le projet de Bernard Tschumi, quand ils n’ont pas été complétement ignorés. Le Canal de l’Ourcq qui était une artère fluviale importante, facilitant les échanges entre Paris et sa banlieue, a été considéré par l’architecte comme un obstacle géographique à surmonter où à gommer, niant alors son rôle de trait d’union. Il s’agirait alors pour le Parc de la Villette de se (ré)insérer territorialement, de prendre part à un tout, c’est-à-dire de ne plus fonctionner telle une enclave culturelle. C’est en habitant son territoire, en recomposant les rapports nature-culture qui le régissent, que le Parc de la Villette pourra relever ce défi. Or, le parc n’est-il pas un espace, rigide comme la ville, ne l’autorisant qu’à de minimes changements ?

Un espace rigide dans sa forme comme la ville ?

Bernard Tschumi se veut être le représentant d’une architecture de l’« événement » conçue comme dynamique, en mouvement, en opposition à une architecture de « forme » privilégiant l’esthétique des objets, monumentalisés donc figée5. Au Parc de la Villette, il a donc cherché à créer un espace vivant par et dans la diversité des usages, en juxtaposant une multitude d’éléments programmatiques différents, selon un principe combinatoire. C’est d’ailleurs une qualité que lui reconnaît le paysagiste

                                                                                                                         5 Entretien avec Bernard Tschumi réalisé par Alain Orlandini in ORLANDINI A. (2008), La Villette 1971-1995 : Histoire de projets, Somogy Editions d’Art, p.142

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Alexandre Chemetoff6. Mais le parc est également conçu comme un ensemble bâti, pensé en plan, une image esthétique soumise aux droits d’auteur, dont chaque modification doit faire l’objet d’un accord avec l’architecte. Même si Bernard Tschumi travaille régulièrement avec les équipes de l’EPPGHV pour modifier son œuvre et ainsi l’adapter aux nouvelles exigences de son environnement, cette conception architecturale du lieu tend à rigidifier l’espace, à le rendre moins perméable aux changements, et il en va de même pour la ville. Au regard de son aspect monumental et des nombreux règlements qui la régissent, la ville s’adapte elle aussi difficilement aux changements.

Si le Parc de la Villette est un espace rigide, par quels moyens peut-il se (ré)inscrire dans l’évolution contemporaine des rapports nature-culture ? Que peut-on apprendre de ses tentatives d’adaptation aux nouvelles exigences de son environnement ?

La culture comme facteur de changement de regard sur la nature ?

Quelles options s’offrent au Parc de la Villette pour lui permettre de se (ré)insérer dans l’évolution des rapports nature-culture, lui qui est pensé comme une œuvre culturelle, monumentale, donc par définition peu modulable ? Si la mutation structurelle du parc n’est pas une option grandement envisageable, n’est-il pas possible, en changeant de politique culturelle et de pratiques professionnelles, de renouveler la conception de la nature qui se joue à la Villette ?

L’exposition du Jardin Planétaire, quand la culture invite à réfléchir autrement sur la nature

Au Parc de la Villette, c’est à partir d’un changement de politique culturelle qu’il a été possible de penser autrement la nature. Ce tournant stratégique, en matière culturelle, s’est amorcé avec l’exposition du Jardin Planétaire qui s’est tenue de septembre 1999 à janvier 2000 au sein de la Grande Halle de la Villette.

La culture, seule marge de manœuvre possible

Comme évoqué précédemment, si le caractère monumental du Parc de la Villette ne contribue pas à faciliter son adaptation aux nouvelles exigences de son

                                                                                                                         6 Entretien avec Alexandre Chemetoff réalisé par Alain Orlandini in ORLANDINI A. (2008), La Villette 1971-1995 : Histoire de projets, Somogy Editions d’Art

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environnement, son placement historique sous tutelle du Ministère de la Culture et de la Communication n’œuvre, lui non plus, pas en ce sens. En effet, les financements attribués par se dernier ne peuvent servir qu’à la réalisation de projets culturels. Ainsi, pour impulser un certain renouveau au sein du parc, c’est par l’entrée de la culture que la direction de l’EPPGHV va œuvrer, à la fin des années quatre-vingt-dix, en demandant au paysagiste Gilles Clément, suite à la publication de son article Contributions à l’étude du jardin planétaire, de penser une grande exposition qui permettrait de faire découvrir aux publics la vision des rapports nature-culture portée par le paysage sensible.

Le paysage sensible comme conception opérationnelle d’un urbanisme écologique ?

Le Jardin Planétaire, sous-titré Réconcilier l’homme et la nature, est, comme l’explique Gille Clément, un « concept destiné à envisager de façon conjointe et enchevêtrée, la diversité des êtres sur la planète et le rôle gestionnaire de l’homme face à cette diversité » Fondé à partir d’un triple constat de finitude écologique, de brassage planétaire et de couverture anthropique, Gilles Clément tente d’articuler autrement les rapports nature-culture dépassant ainsi la vision culturaliste du monde, sans tomber dans l’écologie radicale, en mettant en lumière « les possibilités d’une relation équilibrée entre l’homme est son environnement, entre ses activités économiques et ses ressources naturelles ». Comme le dit lui même le paysagiste, « le jardin planétaire est un projet politique d’écologie humaniste ». L’homme-jardinier en tant qu’être conscient du monde dans lequel il vit, doit « organiser son territoire, y ménager la vie selon sa culture et son échelle ». Vivre sans détruire est possible, il s’agirait là d’aller vers ce que les philosophes de l’environnement appellent un « bon usage da la nature » (LARRERE C. et R., 1997).

Ainsi, le paysage sensible pourrait être une conception opérationnelle d’urbanisme écologique, permettant au Parc de la Villette de se (ré)inscrire dans l’évolution contemporaine des rapports nature-culture. Au regard de cette mise en culture de la nature, quels aménagements concrets pourraient matérialiser ce changement de positionnement au Parc de la Villette, ce nouveau regard porté sur la nature ?

Mettre la nature en culture aux Jardins Passagers

Présentée au début de l’an 2000, l’exposition du Jardin Planétaire fut un succès immense auprès des publics du parc, témoignant de leur intérêt grandissant pour les sujets écologiques et de leur adhésion à cette conception du monde hybridant nature et culture. Pour ancrer durablement ces nouveaux agencements entre nature et culture dans le parc, l’établissement public décida d’orienter sa stratégie culturelle en faveur des savoirs promus par les paysagistes, en créant un jardin culturel et

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pédagogique reprenant les propositions du Jardin Planétaire : les Jardins Passagers étaient nés.

Matérialiser de nouveaux agencements entre nature et culture dans les interstices du parc

Comme démontré précédemment, le Parc de la Villette est un ensemble assez complexe à faire évoluer sur le plan structurel. Par conséquent, c’est sur l’emplacement de l’ancienne Halle aux moutons, laissé à l’abandon, depuis une dizaine d’année, que les Jardins Passagers ont vu le jour en 2001. Devenu une véritable friche urbaine où une flore spontanée s’était développée, cet espace situé sur le territoire de l’EPPGHV, en marge des espaces aménagés par Bernard Tschumi, s’imposa de lui même.

A l’image des Jardins Passagers, ce sont dans les espaces de creux, dans les interstices, que les changements peuvent poindre, au Parc de la Villette, comme en ville, où bon nombre de friches urbaines sont réappropriées par les citadins pour en faire des jardins. Par l’établissement de nouveaux jardins, c’est la nature que l’on met en culture au sein de ce parc urbain. Quelles compétences nouvelles ce changement de conception des rapports nature-culture apporte-elle dans le champ de la culture ?

Nouvelles compétences professionnelles dans le domaine de la culture

Les Jardins Passagers, en tant que jardins culturels, proposent de sensibiliser les publics aux enjeux écologiques et sociaux, à travers des ateliers pédagogiques entretenant le dialogue entre la diversité des cultures et la diversité des natures. Ces jardins en mouvement, composés de dix-sept jardinières géantes et de plusieurs jardins d’observation prenant place sur une dalle de béton, poussent et évoluent au rythme de la faune et de la flore qui les composent. Contrairement aux autres espaces du Parc de la Villette, ils favorisent la venue d’une biodiversité végétale et animale souvent fragilisée par l’environnement urbain (EPPGHV, 2011).

L’arrivée de ces jardins à cultiver et acculturant a entrainé l’apparition de nouvelles compétences professionnelles dans le domaine de la culture. En effet, il ne s’agit plus de discourir sur des artefacts produits par la main de l’homme, mais d’expérimenter le rapport à la terre, le rapport à la nature tel un jardinier ou un paysagiste.

Etendre l’hybridation entre nature et culture à l’ensemble du parc

De quels moyens le Parc de la Villette dispose-t-il pour étendre l’hybridation entre nature et culture, développée au sein des Jardins Passagers, à l’ensemble de son territoire ?

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Un élargissement du champ de la culture

Avec l’implantation des Jardins Passagers au sein du Parc de la Villette, le sens du terme « culture » prend une toute nouvelle dimension. En effet, plus qu’un parc culturel donnant à voir une diversité culturelle entendue au sens de la présentation de différentes pratiques artistiques, la Villette propose un espace de culture, de travail de la terre à ses employés, et à ses publics dans un cadre d’ateliers pédagogiques. La culture est alors à appréhender en tant qu’ensemble des travaux et techniques mis en œuvre pour traiter la terre et pour en tirer des produits de consommation (AGHA K., COULANGE P., DESAUTE M. et SCHINELLI C., 2013). En élargissant ce que la culture représente pour lui, le Parc de la Villette se donne les moyens théoriques d’hybrider les relations entre nature et culture à l’ensemble du parc. Cette orientation stratégique le conduit à se positionner dans les débats émergents autour de la métropole parisienne, quant à la nécessité de maintenir ce lien avec la nature, le volonté d’habiter la nature. Mais cette extension du domaine de la culture, seule, n’est pas suffisante pour hybrider matériellement nature et culture sur l’ensemble du parc.

Un Agenda 21 mêlant nature et culture pour passer du micro au macro

Depuis 2011, le Parc de la Villette s’est engagé dans une démarche prospective d’agenda 21. En tant que démarche transversale et participative, servant à la fois de cadre de réflexion et de plan d’action pour le 21ème siècle, elle vise à favoriser l’adaptation théorique et pratique de l’établissement aux exigences du développement durable. La particularité de l’Agenda 21 de l’EPPGHV, liée à sa double mission historique de programmateur culturel et de gestionnaire des espaces publics, est de mêler enjeux environnementaux, sociaux, économiques et culturels. Ainsi, le Parc de la Villette s’inspire à la fois de l’Agenda 21 « environnemental » adopté au Sommet de la Terre Rio de Janeiro en 1992 et de l’Agenda 21 « culturel » approuvé à Barcelone en 2004. Le parc propose ainsi une autre façon de faire dialoguer société et environnement sur son territoire, en inscrivant les modalités d’appropriation d’une autre vision de la nature dans sa politique culturelle. C’est à partir des réflexions menées dans le cadre de cette démarche d’Agenda 21 que le Parc de la Villette commence à étendre l’hybridation entre nature et culture à l’ensemble de son territoire.

L’exposition Food / Water / Life de Lucy + Jorge ORTA, programmée de mai à septembre 2014, qui se déroulera sur une grande partie de l’espace public du parc, en sera un parfait exemple. Elle s’inscrit dans le cadre de la thématique « Faire du développement durable un pilier du projet culturel » de l’Agenda 21, en sensibilisant les visiteurs aux enjeux environnementaux et sociaux autour de trois thèmes principaux : le gaspillage alimentaire, la gestion de l’eau et le réchauffement

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climatique. Ainsi, cette autre vision de la nature sort du cadre des Jardins Passagers, pour s’étendre aux espaces emblématiques du parc.

Ce que la Villette peut nous apprendre sur la ville

Que peut-on retenir de l’expérience du Parc de la Villette en tant que petite ville et en tant que lieu de mise à l’épreuve de l’évolution générale des rapports nature-culture ? Depuis une dizaine d’années, s’opère une injonction au développement durable. Traditionnellement organisé autour de trois volets, environnemental, économique et social, ce développement durable serait le cadre de réflexion et le champ d’action permettant l’adaptation des pratiques humaines aux nouvelles exigences de leur environnement. Il s’agit donc à travers lui, de changer le regard des sociétés sur la nature. La notion de ville durable, qui se veut être la traduction urbaine du développement durable, mais aussi un de ses moyens premiers, ne fait à ce jour pas l’objet d’une entente minimale sur son contenu.

Or, partout, on cherche à mettre en œuvre la ville durable, et si sur certains délaissés on vient créer des éco-quartiers de toutes pièces, peu d’actions sont entreprises dans le tissu bâti et ordinaire de la ville. Or, si la ville, et plus particulièrement son tissu existant est, comme le Parc de la Villette, un ensemble rigide, ne peut-on pas là aussi passer par l’entrée de la culture, dans son acception la plus large, pour changer de vision sur la nature ? A travers la question de la nature en ville c’est notre rapport aux sciences et au politique qui se (re)joue. Le paysage sensible, en tant que conception opérationnelle d’un urbanisme écologique, n’est-il pas à placer au cœur des métiers pensant et agissant sur la ville ?

Bibliographie

AGHA K., COULANGE P., DESAUTE M. ET SCHINELLI C. (2013), La Villette, un parc, un équipement, un territoire ?, 2013, 171p. Commande de l’EHESS et de l’EPPGHV, réalisée dans le cadre d’une Master 2 Professionnel Urbanisme et Aménagement Urbain, sous la direction de Guillaume Faburel.

BARZILAY M. (1984), L’invention du parc – Concours international 1982-1983, Graphite

CLEMENT G. (1999), Le Jardin Planétaire, Albin Michel COLLECTIF M2 VILLES ET TERRITOIRES (2013), Diagnostic Atelier la Villette, Commande de l’EHESS et de l’EPPGHV, réalisée dans le cadre d’une Master 2 Villes et territoires, à l’ENSA de Nantes, sous la direction de Claire Guiu EPPGHV (2011), Les Jardins Passagers, dossier de présentation, EPPGHV LARRERE C. et LARRERE R. (1997), Du bon usage de la nature : pour une philosophie de l’environnement, Aubier LATOUR B. (1999), Les politiques de la nature, La Découverte

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LÉVY J. et LUSSAULT M. (2013), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Belin ORLANDINI A. (2008), La Villette 1971-1995 : Histoire de projets, Somogy Editions d’Art PAQUOT T., YOUNES C. (dir.) (2010), Philosophie de l'environnement et milieux urbains, La Découverte STENGERS I. (2003), Cosmopolitiques I, La Découverte

THEYS J. (2010), « Trois conceptions irréductibles de l’environnement », in COUTARD O. et Lévy J.-P. (dir.) (2010), Écologies urbaines, Paris, Économica-Anthropos Paris, La Découverte