Collecter et publier des chansons populaires en Savoie (1864-1939) · 2021. 8. 6. · a lieu en...

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Mémoire de recherche / juin 2011 Diplôme national de master Domaine - sciences humaines et sociales Mention - histoire, histoire de l’art et archéologie Spécialité - cultures de l’écrit et de l’image Collecter et publier des chansons populaires en Savoie (1864-1939) Annaïg BORNE Sous la direction de Christian Sorrel Professeur des universités – Université Lumière Lyon 2 brought to you by CORE View metadata, citation and similar papers at core.ac.uk provided by Bibliothèque numérique de l'enssib

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Diplôme national de master

Domaine - sciences humaines et sociales

Mention - histoire, histoire de l’art et archéologie

Spécialité - cultures de l’écrit et de l’image

Collecter et publier des chansons populaires en Savoie (1864-1939)

Annaïg BORNE

Sous la direction de Christian SorrelProfesseur des universités – Université Lumière Lyon 2

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Remerciements

Je tiens à remercier tout d'abord M. Christian Sorrel pour m'avoir aiguiller dans mes recherches.

Je souhaite ensuite remercier dans ma famille qui m'a accompagné et a accepté de relire mon travail. Merci à mon père pour ses conseils avisés.

Merci enfin à Malorie Ferrand qui s'est intéressé à mon travail et m'a aidé tout au long de cette année.

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Résumé :

A la fin du XIXème siècle, la Savoie voit se multiplier les collectes de chansons

populaires. Des érudits locaux se rendent dans les campagnes rencontrer les

paysans. C'est ainsi que se construit un répertoire de chansons, à l'image de

celui qui existe dans les autres provinces françaises. Les recueils ont permis de

sauver ces chansons qui étaient alors en voie de disparition.

Descripteurs :

Chansons populaires

Savoie

Folklore

XIXème siècle

Tradition

Abstract :

In the end of the XIXth century, collections of popular songs increase. Local

intellectuals go in the countryside to meet farmers. Thanks to them, a fund of

songs appears, as those which exists in others french provinces. Anthologies of

popular songs allowed to save those songs which where disappearing.

Keywords :

Popular sings

Savoie

Folklore

XIXth century

Tradition Droits d’auteurs

Cette création est mise à disposition selon le Contrat :Paternité-Pas d'Utilisation Commerciale-Pas de Modification 2.0 France disponible en ligne http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/2.0/fr/ ou par courrier postal à Creative Commons, 171 Second Street, Suite 300, San Francisco, California 94105, USA.

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Sommaire

INTRODUCTION...........................................................................................7

PARTIE 1 : LE XIXÈME SIÈCLE ET LA CHANSON POPULAIRE .....................91. La découverte des chansons populaires au début du XIXème siècle 9

Le travail novateur de l'Académie celtique.................................................9Pourquoi une Académie celtique ? .........................................................9Le questionnaire de l'Académie celtique................................................10

Les écrivains romantiques et la chanson populaire...................................112. L'essor des collectes dans les provinces de France ........................13

Un modèle : « l'enquête Fortoul » de 1852..............................................13Une commande institutionnelle............................................................13Chanson populaire et motivation politique .........................................13Un « guide pratique et illustré »...........................................................15

Des recueils dans les provinces de France...............................................163. La chanson populaire, objet d'étude folklore...................................18

L'essor du folklore..................................................................................18Folklore et chanson populaire.................................................................19

Conclusion.............................................................................................21PARTIE 2 : LES COLLECTES DE CHANSONS EN SAVOIE ...........................23

1. Les collecteurs de chansons populaires...........................................23Des philologues : Jean-Louis Alphonse Despine et Aimé Constantin...........23Jean Ritz et Claudius Servettaz, deux musiciens......................................24Des « étrangers » : Julien Tiersot et Arnold van Gennep..........................26

2. Histoire des collectes en Savoie.......................................................29Des collectes « accidentelles »................................................................29L'importance de la collecte de Julien Tiersot............................................31

3. De la collecte à la publication ..........................................................33Comment se fait la collecte ?..................................................................33Publier les chansons...............................................................................36

De l'oral à l'écrit.................................................................................36De l'article au recueil ..........................................................................37

CONCLUSION.........................................................................................39PARTIE 3 : LES ENJEUX DES COLLECTES ET DES PUBLICATIONS............41

1. Garder des traces d'un monde en disparition..................................41Monde rural contre milieu urbain.............................................................41Le recueil comme conservatoire..............................................................42

2. Valoriser la province et l'art populaire ............................................44La question du patois.............................................................................44Donner leur légitimité aux chansons populaires........................................45

3. Les collecteurs ethnographes ? .......................................................47Conclusion.............................................................................................49

CONCLUSION.............................................................................................51

SOURCES....................................................................................................53

BIBLIOGRAPHIE........................................................................................55

TABLE DES ANNEXES.................................................................................57

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Introduction

En 2004, soit plus de cent ans après sa première publication, le recueil de chansons populaires de Jean Ritz, Les chansons populaires de la Haute-Savoie a été réédité par une maison d'édition savoyarde. Les chansons populaires vieilles d'un siècle au moins continuent de susciter l'intérêt des éditeurs, des musiciens et des chercheurs. Des ethnologues parcourent encore les régions alpines pour y découvrir des chansons. Ce mouvement de collecte des chansons populaires commence au XIXème siècle. A ce moment-là, des érudits se rendent dans leurs provinces natales et partent à la recherche des chansons qu'ils appellent « populaires » ou « anciennes ». En effet, ils ne trouvent des chansons que dans les milieux paysans et sont touchés par les souvenirs qu'elles font remonter à la surface. Pour les folkloristes du milieu du XIXème siècle, la chanson populaire n'est que celle que l'on chante à la campagne et qui a une origine ancienne. Jean-Michel Guilcher1 insiste sur le fait qu'à aucun moment les folkloristes ne se demandent si la chanson populaire peut avoir une autre origine que le milieu paysan : il ne leur vient pas à l'idée qu'il puisse exister une chanson populaire urbaine. Les folkloristes en Savoie, même s'ils collectent de manière générale vers la fin du XIXème siècle, dont beaucoup plus tard que dans le reste de la France, sont marqués par cette définition de la chanson populaire. Nous avons choisi d'étudier la Savoie car cette région a une histoire originale pour ce qui est des collectes. Au moment où le grand mouvement de collectes se met en place en France, la Savoie est encore rattachée à la Savoie et l'annexion de la France a lieu en 1860. Ce n'est qu'au début du XXème siècle qu'elle se dote d'un recueil de chansons populaires aussi importants que ceux existants dans les autres provinces.

Afin de comprendre en quoi le cas de la Savoie est particulier, il faut replacer ces collectes dans l'histoire des collectes françaises. Si les chansons populaires suscitent déjà l'intérêt des érudits du XVIIIème siècle, c'est surtout au XIXème siècle que les savants vont recueillir des chansons populaires. Dans les premières années du XIXème siècle, la chanson populaire sert une idéologie « celtisante » : on veut retrouver dans les chansons populaires des preuves de l'origine celtique de la France. Les lettrés s'inspirent des mœurs et coutumes populaires pour les œuvres, les écrivains romantiques attirent le regard de leurs lecteurs savants sur ce monde qui leur est étranger. Nous verrons en quoi l'année 1852 marque un tournant, la collecte de chansons populaires devient alors une affaire d’État Quelles sont les motivations du ministre de l'Instruction publique, Hippolyte Fortoul, quand il demande qu'une grande enquête soit lancée ? Comment, à la fin du XIXème siècle, les milieux folkloriques affirment leur intérêt pour la chanson populaire ? Une communauté de recherche se crée, elle organise des rencontres et se fait une place dans les revues consacrées au folklore.

Si la première publication sur les chansons savoyardes a lieu en 1864, ce n'est qu'à partir de 1890 que les collectes prennent de l'ampleur. Nous nous demanderons pourquoi, alors que dès 1856 les Flandres et avant 1880 la plupart des provinces françaises ont un recueil, ce n'est qu'à partir de 1890 que les érudits savoyards s'intéressent à leur patrimoine folklorique musical. Nous nous demanderons également qui sont ces collecteurs. Ils ont des carrières différentes mais partagent cette passion pour la collecte de chansons populaires. Qu'est-ce qui motive des notables, citadins à aller battre la campagne, et surtout la montagne, à la recherche de chansons populaires, chez des paysans qui eux-mêmes ne trouvent pas que ces chansons soient dignes d'intérêt. La

1 Jean-Michel GUILCHER, La chanson folklorique de langue française : la notion et son histoire, Créteil, Atelier de la danse populaire, 1985, 185 pages.BORNE Annaïg | Diplôme national de master| Mémoire de recherche | juin 2011 - 7 -

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collecte en elle-même pose un certain nombre de difficultés et requière du temps. Le passage d'une collecte de chansons qui se transmettaient oralement, et qui étaient de ce fait sujettes aux changements, à une version écrite qui ne peut représenter cette variabilité est un défi pour les collecteurs. Ils doivent faire des choix : quels sont-ils et quelles en sont les conséquences ?

Les collectes et les publications répondent à des motivations très précises et nous renseignent autant sur le répertoire collecté que sur celui qui le collecte. En choisissant de recueillir les chansons du milieu paysan, ils tournent le dos à la musique populaire urbaine et ouvrière. Ils veulent sauver un répertoire qu'ils sentent en péril, tout comme certains publient des chansons pour sauver un dialecte, le patois savoyard. Les publications nous renseignent aussi, par leur préface, sur le regard que portent les folkloristes sur la chanson populaire : est-ce un art ou seulement un divertissement pour le paysan ? Mérite-t-elle d'être enseigné dans les conservatoires de musique classique ? Les folkloristes ont conscience que ces chansons ne les renseignent pas uniquement sur le répertoire et la musique populaires, mais aussi sur les modes de vie et les coutumes des paysans. De la musique à l'ethnologie, il n'y a qu'un pas, semble-t-il dire.

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Partie 1 : Le XIXème siècle et la chanson populaire

Les collectes de chansons populaires, nombreuses à la fin du XIXème siècle et tout au long du XXème siècle sont les héritières de tentatives de valorisation des coutumes et des traditions populaires. Comment ces chansons populaires passent-elles du statut de phénomène marginal et ignoré des savants à celui d'objet d'étude noble ?

1. LA DÉCOUVERTE DES CHANSONS POPULAIRES AU DÉBUT DU XIXÈME SIÈCLE

Le travail novateur de l'Académie celtique

Pourquoi une Académie celtique ?

Le 9 germinal de l'an XIII, c'est-à-dire le 30 mars 1805, l'Académie celtique tient sa séance inaugurale. Cette société a été fondée en 1804 par trois savants parisiens, Éloi Johanneau, Jacques Cambry, qui en deviendra le premier président et Michel-Ange-Bernard Mangourit. L'idée fondamentale des fondateurs de l'Académie celtique est que la France a des origines celtes et gauloises, tant dans la langue que dans les traditions et les monuments, et que les traces celtes et gauloises ont été ignorées par les savants à cause de la prégnance des héritages grec et latin. Les membres de l'Académie celtique sont conscients du fait que leur démarche est marginale et originale, et ils savent qu'il leur faut chercher des vestiges de cet héritage celtique qui existe selon eux. Éloi Johanneau, secrétaire perpétuel de l'Académie, présente ainsi ses buts :

« Ainsi notre but doit être, 1°. de retrouver la langue celtique dans les au-teurs et les monumens2 anciens, dans les dialectes de cette langue qui existent encore, le breton et le gallois, et même dans tous les dialectes po-pulaires, les patois et jargons de l'empire français, ainsi que les origines des langues et des noms de lieux, de monumens et d'usages qui en dé-rivent, de donner des dictionnaires et des grammaires de tous ces dia -lectes, qu'il faut se hâter d'inventorier avant leur destruction totale ; 2°. de recueillir, d'écrire, comparer et expliquer toutes les antiquités, tous les mo-numens, tous les usages, toutes les traditions ; en un mot de faire la sta-tistique antique des Gaules, et d'expliquer les temps anciens par les temps modernes. »3

Cette déclaration peut susciter plusieurs remarques. Tout d'abord, l'Académie celtique semble accorder une grande place à la recherche philologique, en s'inspirant peut-être du travail mené par l'abbé Grégoire entre 1790 et 17944. Mais la différence majeure est que, alors que l'abbé Grégoire fait un inventaire 2 Nous avons choisi de respecter la graphie utilisée lors de la publication des textes. 3 Éloi JOHANNEAU « Discours d'ouverture sur l'établissement de l'Académie celtique, les objets de ses recherches et le plan de ses travaux » publié dans les Mémoires de l'Académie celtique, 1807, tome I, p. 63-64. 4 A partir de 1790, l'Abbé Grégoire organise une enquête visant à l'abolition des patois. Il enquête sur l'état de la langue française en envoyant un questionnaire à des élus de la République. Il s'agit d'un projet politique puisque l'Abbé Grégoire veut unifier le pays. Cette enquête met en évidence la vitalité des patois et des faits de culture populaire à la fin du XVIIIème siècle. BORNE Annaïg | Diplôme national de master| Mémoire de recherche | juin 2011 - 9 -

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des patois dans le but de les éradiquer, les membres de l'Académie celtique les recueillent pour les sauvegarder. Par ailleurs, c'est la première fois que l'on se propose de recueillir les usages et les traditions en France. Jusqu'alors, les seules traditions que l'on se proposait de recueillir étaient celles de peuples lointains géographiquement. On admettait qu'il existât des superstitions dans des pays éloignés, qui n'avaient pas connu la philosophie des Lumières. En fait, comme l'explique Nicole Belmont5, si les traditions et les superstitions peuvent être recueillies, c'est parce qu'elles sont non pas éloignées géographiquement mais temporellement. Ce sont des des vestiges de l'antiquité de la France et donc de l'ancienne civilisation celtique. En cela, elles présentent un intérêt et n'ont plus rien de bizarres ou d'absurdes.

« Ce que nous méprisons aujourd'hui comme des contes populaires, comme des monumens grossiers, sont des vestiges de la sagesse de leurs anciens législateurs, de ces temps si reculés. »6

C'est donc en considérant les traditions populaires comme des vestiges d'un temps passé que les membres de l'Académie celtique parviennent à légitimer leurs recherches. A partir de 1807, l'Académie publie ses Mémoires dans lesquels on trouve une méthode proposée à ceux qui souhaitent participer à la recherche de l'héritage celte.

Le questionnaire de l'Académie celtique

Afin de mener au mieux ses recherches, l'Académie celtique crée un questionnaire qu'elle publie dans le premier tome de ces Mémoires. Ce questionnaire est rédigé par une commission réunissant MM. Cambry, Johanneau, Denina, Dulaure et Mentelle. Il est composé de 51 questions réunies en quatre catégories. La première catégorie concerne « les usages qui résultent des diverses époques ou saisons de l'année », la seconde les « usages relatifs aux principales époques de la vie humaine », la troisième s'intéresse aux monuments antiques et la quatrième catégorie regroupe des « questions sur d'autres croyances et superstitions ». La rédaction de cette série de questions est motivée par le souhait de la faire parvenir aux préfets et aux savants de tous les départements qui devront y répondre en allant à la rencontre des habitants. Cette série de questions ne se veut pas exhaustive, elle est juste une feuille de route que chaque érudit peut utiliser et augmenter. Grâce au questionnaire, l'Académie celtique se constitue un réseau d'informateurs sur l'ensemble de la France. On comprend qu'il est nécessaire de solliciter l'aide d'érudits sur tout le territoire, tant la mission que se donne l'Académie celtique est importante. Il ne s'agit en effet pas seulement de recueillir, mais de comparer les résultats. En cela, sa démarche est ethnographique.

C'est la première fois que, dans un questionnaire, on demande de recueillir les chansons. Pendant la réalisation du questionnaire, M. de Mangourit demande aux membres de la commission de ne pas oublier de « demander les anciennes poésies, chansons, et leurs airs notés en musique »7. Sa requête est prise en compte, et la question concernant la chanson est insérée dans la quatrième catégorie qui recense ce qui a trait aux superstitions et aux croyances.

5 Nicole BELMONT, Aux sources de l’ethnologie français : l'académie celtique, Paris, Éditions du C.T.H.S, 1995, p. 13-156 Éloi JOHANNEAU « Discours d'ouverture sur l'établissement de l'Académie celtique, les objets de ses recherches et le plan de ses travaux » publié dans les Mémoires de l'Académie celtique, 1807, tome I, p 62-637 M. de MANGOURIT, dans une lettre écrite à l'Académie le 29 messidor an XIII (17 juillet 1805), publié dans les Mémoires de l'Académie celtique, 1807, tome I, p 75BORNE Annaïg | Diplôme national de master | Mémoire de recherche | juin 2011 - 10 -

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Partie 1 : Le XIXème siècle et la chanson populaire

« 28. Quels sont les jeux particuliers de chaque pays, les chansons, leurs airs ; sont-ils tristes ou gais ? Quels sont les danses et les instruments de musique ? Y a-t-il quelques chants qui semblent appartenir à une haute an-tiquité ? »8

Si le projet de l'Académie celtique n'est pas d'ordre musical, elle demande tout de même à ses informateurs de recueillir les airs des chansons, et ne s'intéresse pas uniquement aux textes. Les chansons ne sont donc pas seulement un moyen de connaître les langues parlées, mais elles font elles aussi partie de cette recherche de l'antiquité celtique. La publication de chansons dans les Mémoires de l'Académie celtique se fait de façon anecdotique. Souvent, on publie les paroles des chansons parce qu'elles font partie de la tradition que l'on commente (la fête des rois, le mariage...). L'Académie celtique disparaît en 1813 pour laisser place à la Société nationale des Antiquaires, qui accorde plus d'intérêt à l'archéologie qu'à l'ethnographie. N'ayant pas pu défendre l'hypothèse d'une France héritière des celtes, elle a cependant joué un rôle important dans la découverte de l'exotisme de « l'intérieur ». L'idée celtique permet, pour la première fois, de lancer une enquête sur les coutumes et les traditions populaires françaises, au moyen d'un outil original qui est le questionnaire.

Les écrivains romantiques et la chanson populaire

A partir des années 1840, les intellectuels parisiens, et surtout les écrivains romantiques, découvrent la musique et les chansons populaires. Ils les évoques dans leurs romans, des Chouans d'Honoré de Balzac aux Maîtres Sonneurs de George Sand. Nommé inspecteur général de la Commission historique des monuments historiques en 1833, Prosper Mérimée se rend en Corse dès 1839 et à l'occasion de ce voyage, il découvre les chants populaires corses. Il est tellement séduit par ces chants qu'il en publie certains à la fin de son recueil Colomba et autres nouvelles. Gérard de Nerval, poète romantique, publie dans la revue L'Artiste une série d'articles intitulée La Bohême Galante. Il y consacre trois chapitres aux « Vieilles légendes françaises » dans lesquels il défend la beauté et la richesse poétique des chansons populaires qu'il a entendues dans son enfance. On trouve seulement dans ce texte quelques vers issus de plusieurs chansons, et Gérard de Nerval ne reproduit pas la musique. Enfin, George Sand cite à à plusieurs reprises des chansons et des musiques populaires dans ses romans dits rustiques tels que Jeanne et La Mare au diable, publiés respectivement en 1845 et 1846. Dans Les Maîtres sonneurs, qui date de 1853, la musique populaire devient même l'élément central de l'intrigue. Ce roman raconte l'histoire de Joset, un simple d'esprit, qui grâce à la musique devient l'incarnation du génie populaire. George Sand s'inspire de scènes de la vie populaire auxquelles elle a assisté : des fêtes, des noces, des moissons... Vivant à Nohant, elle manifeste un grand intérêt pour la vie rurale et la musique des paysans, allant jusqu'à demander à son amant, Chopin, de noter les airs des chansons. La plupart du temps, George Sand reproduit les débuts des chansons. On voit que tous les écrivains romantiques qui publient des chansons populaires ont une relation particulière avec elles : George Sand les découvre en s'intéressant à la vie paysanne, Prosper Mérimée en voyageant en Corse, et pour Gérard de Nerval, elles sont associées à sa jeunesse et à un moment heureux de sa vie. Les chansons sont appréciées pour leur dimension littéraire. On les lit dans les salons, on les intègre aux romans dits rustiques. Gérard de Nerval s'empare des paroles pour défendre une forme de poésie qui n'a pas les honneurs des tenants de la poésie savante. Il défend l'idée que la beauté d'une poésie ne vient pas du 8 Mémoires de l'Académie celtique, 1807, tome I, p. 82-83BORNE Annaïg | Diplôme national de master| Mémoire de recherche | juin 2011 - 11 -

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fait que la rime ou la syntaxe sont respectées. Les « Vieilles légendes françaises » sont une défense et illustration de la poésie populaire. Les écrivains romantiques remettent en cause l'idée que le fonds général des chansons populaires est pauvre en France. Alors qu'en Allemagne et en Angleterre les chansons populaires sont diffusées dans les milieux savants dès le XVIIIème siècle – on peut penser au travail des frères Grimm -, aucun artiste en France ne s'y intéresse avant le milieu du XIXème siècle. Ce fait est déploré par les écrivains romantiques, qui encouragent leurs contemporains à les rejoindre dans leur entreprise, à l'image de Nerval :

« Mais songera-t-on à recueillir ces chants de la vieille France dont je cite ici des fragments épars et qui n'ont jamais été complétés ni réunis ? »9

En héritiers de l'Académie celtique, les écrivains romantiques voient dans la chanson populaire les vestiges d'une civilisation qui a disparu et le moyen de revenir à une sagesse, une nature anciennes. Pour George Sand, les paysans possèdent un savoir qu'elle appelle « rêverie » ou « poésie ». Le jugement des écrivains romantiques est ambivalent : ils voient les coutumes paysannes comme curieuses, folles ou bizarres, mais elles sont aussi détentrices d'une capacité créatrice que nous révèle la musique 10. L'Académie celtique ne parvint pas à surmonter la contradiction qui résidait dans le fait de considérer les coutumes superstitieuses comme des vestiges d'un temps révolu tout en expliquant qu'elles se pratiquent encore. Les romanciers admettent plus facilement cette contradiction. Arnold Van Gennep reproche à George Sand, dans une chronique de folklore11, son manque de rigueur ethnographique. C'est une romancière, elle ne revendique pas l'exactitude scientifique, mais la création artistique s'appuyant sur des traditions observées et toujours romancées. Les écrivains romantiques participent à la découverte de l'étrangeté à l'intérieur de leur propre culture. Le travail des romantiques donne aux traditions populaires, et plus particulièrement à la chanson, une existence au sein des milieux intellectuels, même si l'image qu'ils en donnent n'est pas exacte, et est le plus souvent l'image que les écrivains romantiques eux-mêmes projettent sur le monde paysan. Leurs travaux suscitent également l'intérêt de musiciens et de collecteurs de la fin du siècle, Julien Tiersot leur rendra hommage dans La chanson populaire et les écrivains romantiques12 où il tente de compléter leur travail en cherchant les paroles et les mélodies des chants dont les romantiques ne publient que quelques vers.

La première moitié du XIXème siècle voit donc l'éveil des savants et des artistes à la chanson populaire. On la découvre car elle permet de retrouver l'esprit des anciens, on l'observe de loin, puis, pour la première fois, des paroles de chansons qui se transmettent dans des milieux oraux, sont imprimées et suscitent l'intérêt de personnes qui n'appartiennent pas à ces milieux. Ce mouvement s'accélère dans la seconde moitié du XIXème siècle puisque des hommes politiques et des musicologues se passionnent pour ces chansons populaires.

9 Gérard de NERVAL, Les Chimères suivi de La Bohême Galante et Petits châteaux de Bohême, Paris, Gallimard, 2005, p. 16510 Sur le jugement des écrivains romantiques, et plus spécifiquement de George Sand, sur les traditions populaires, voir Nicole BELMONT, « L'Académie celtique et George Sand. Les débuts des recherches folkloriques en France » dans Romantisme, n°9, 1975, p. 29-38 11 Arnold VAN GENNEP, « George Sand folkloriste », Mercure de France, 1926, CLXXXVII, p. 371-37412 Paris, Plon, 1931BORNE Annaïg | Diplôme national de master | Mémoire de recherche | juin 2011 - 12 -

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Partie 1 : Le XIXème siècle et la chanson populaire

2. L'ESSOR DES COLLECTES DANS LES PROVINCES DE FRANCE

Un modèle : « l'enquête Fortoul » de 1852

Une commande institutionnelle

Durant la première moitié du XIXème siècle, quelques hommes politiques s'intéressent de près ou de loin aux chansons populaires, même si cela se fait de façon anecdotique. En 1808, le ministre de l'Intérieur, M. Crétet, écrit à M. Le Godinec, membre de l'Académie celtique, pour l'encourager à continuer de recueillir des poésies et des chansons dans différents patois. En 1845, Narcisse Achille Salvandy, ministre de l'Instruction publique, est le premier à charger une commission des chants religieux et historiques de la France. Elle doit recueillir et publier les chants populaires français, mais les événements de 1848 coupent court à cette initiative. C'est donc l'enquête lancée par Hippolyte Fortoul qui marque le début des collectes de chansons populaires en France. Ancien élève de l’École des Chartes, M. Fortoul est nommé ministre de l’Instruction publique et des cultes en 1851, et manifeste son intérêt pour les sociétés savantes, en établissant un service d'échange de toutes les publications scientifiques. Il est l'instigateur de plusieurs recueils, comme le Recueil des inscriptions trouvées sur le sol de la Gaule, le Recueil des anciens poëtes français et, ce qui nous intéresse ici, le Recueil général des poésies populaires de la France. A la demande d'Hippolyte Fortoul, Napoléon III signe le 13 septembre 1852 un décret ordonnant la publication de ce recueil. Pour cela, un Comité de la Langue, de l'Histoire et des Arts de la France est créé. Dirigée par Jean-Jacques Ampère, elle a pour mission de rédiger des instructions publiées en 1853 sous le titre Instructions relatives aux poésies populaires de la France. Le comité les envoie à 212 correspondants issus du clergé, de sociétés savantes, d'universités, du milieu enseignant, ou exerçant la profession d'archivistes ou de bibliothécaires. Parmi eux, on retrouve des noms qui sont déjà connus pour avoir publié un recueil de chansons populaires, comme Théodore Hersart de la Villemarqué13, ou qui se feront connaître quelques années plus tard – on peut penser à Edmond de Coussemaker ou à Damase Arbaud. Le fonctionnement qui est proposé est similaire à celui du questionnaire de l'Académie celtique. On demande aux correspondants, répartis sur l'ensemble de la France, de transmettre au comité des chansons (appelées ici poésies) recueillies soit directement, soit trouvées dans des manuscrits.Durant quatre années, les correspondants parcourent leur région et en 1857 un inventaire de tous les manuscrits reçus est établi. La publication de ces chansons ne se fera jamais, et, en 1877, les manuscrits sont déposés à la Bibliothèque nationale.

Chanson populaire et motivation politique

Les Instructions relatives aux poésies populaires sont un document de 64 pages contenant des explications sur ce qui doit être recueilli et sur la façon de recueillir. Ce texte comprend un apport majeur pour tous les folkloristes de la seconde moitié du XIXème siècle puisqu'il apporte la première définition de la chanson populaire.

13 En 1839, Théodore Hersart de la Villemarqué publie le Barzaz Breiz qui regroupe des chansons traditionnels dans le but de constituer une épopée armoricaine. Ce recueil connaît un grand succès, notamment pour son côté exotique, puisqu'il ne contient que des chansons en langue bretonne. BORNE Annaïg | Diplôme national de master| Mémoire de recherche | juin 2011 - 13 -

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« Le comité ne considère comme tout à fait populaires, que les poésies nées spontanément au sein de masses, et anonymes, ou bien celles qui ont un auteur connu, mais que le peuple a faites siennes en les adoptant (…). Ceci exclut toutes les compositions populaires d'intention, non de fait, toutes les poésies destinées au peuple, mais qui ne sont pas arrivées à leur adresse. »14

Selon le comité, les poésies dites populaires ne sont que celles qui ont été créées par le peuple pour le peuple. C'est également la définition qu'en donne le Grand Dictionnaire universel du XIXème siècle, puisqu'il désigne la poésie populaire comme « le produit immédiat de l'imagination d'un peuple ». Une chanson populaire est donc une chanson que le peuple s'est appropriée. Mais le comité de la Langue, de l'Histoire et des Arts de la France ne donne pas d'explication sur ce qu'il entend par peuple. La collecte des chansons populaires est motivée par des fins politiques, il s'agit de valoriser le populaire « noble », qui est celui des campagnes, et pas celui de la ville. Après les événements de 1848, le monde politique a peur du monde ouvrier et le met à l'écart. On recherche donc ce qui constitue l'unité de la France dans le monde rural, considéré comme un conservatoire des traditions anciennes et comme éloigné des préoccupations « malsaines » des ouvriers. C'est aussi pour cette raison que le comité demande à ses correspondants de ne leur envoyer que des chansons antérieures au XIXème siècle : il est ainsi sûr qu'il n'y aura pas de chansons critiquant l'Empire ou le Second Empire.

Il s'agit aussi de montrer la richesse artistique de la France. Les recherches folkloriques sont très en retard en France par rapport à l'Allemagne et à l'Angleterre, et on ne connaît que très peu les chansons populaires. Les écrivains romantiques ont ouvert la voie, mais ils ne se sont intéressés pratiquement qu'aux textes. Le comité réfute l'idée selon laquelle la France est pauvre en chansons populaires. Il explique ce retard sur les autres pays par le dédain que manifeste le milieu savant pour cette littérature populaire, et entend marquer, avec les Instructions, le début de temps nouveaux où le génie français ne se manifeste pas uniquement dans les grandes œuvres de la littérature française, mais aussi dans ces chansons qui sont le quotidien du monde rural. C'est sans doute la véritable raison pour laquelle cette collecte est créée puisque c'est sur ce souhait que se terminent les Instructions.

« On a lieu d'attendre que leurs [les collecteurs] investigations produiront à un recueil abondant de chants populaires, où entreront à la fois les plus vieux et les plus grands souvenirs de notre histoire, aussi bien que les naïves fantaisies et les gracieux badinages de l'esprit français, et qui pré-sentera une image fidèle et vivante du génie de notre nation. »15

Le recueil que veulent réaliser les membres du comité est donc pensé comme une démonstration de l'âme collective française, qui se manifesterait dans les poésies populaires. Il est intéressant de remarquer que l'on ne redoute plus de regrouper, en 1852, des sujets « nobles », tels que les chansons dites historiques, et des chansons un peu moins considérées puisqu'on qualifie leur thème de « naïf », terme qu'utiliseront tous les collecteurs de la seconde moitié du XIXème siècle pour définir la chanson populaire, mais sans jamais en donner une réelle signification. Toujours est-il qu'il s'agit là d'un jugement de valeur qui, s'il n'est pas dépréciatif, marque tout de même une distance entre le monde savant qui observe ces chansons et le milieu qui les produit. Par ailleurs, le comité annule la diversité des provinces françaises puisqu'il évoque « l'esprit français » que tous posséderaient de manière inconsciente et qui

14 Instructions relatives aux poésies populaires de la France, décret du 13 septembre 1852, p. 315 Instructions relatives aux poésies populaires de la France, décret du 13 septembre 1852, p. 63-64BORNE Annaïg | Diplôme national de master | Mémoire de recherche | juin 2011 - 14 -

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Partie 1 : Le XIXème siècle et la chanson populaire

transparaîtraient dans les chansons recueillies. Il s'agit bien de mettre en avant ce qui fait l'unité de la France face aux divisions linguistiques et culturelles qui la traversent.

Ainsi, les chansons populaires ne sont pas collectées que pour elles-mêmes : on veut mettre en avant à la fois la richesse de la France et son unité. Mais on retrouve aussi dans les Instructions une méthodologie de la collecte.

Un « guide pratique et illustré »16

Dans leur volonté d'être pratiques, les Instructions organisent pour la première fois une classification des chansons populaires. Les chansons sont divisées en treize catégories, allant des catégories les plus vastes aux plus précises. Cette classification est révélatrice de la volonté de dresser un inventaire exhaustif des chansons, puisque tous les types de chansons sont inclus. Ainsi, la première catégorie est celle des « poésies religieuses », puis on trouve les « poésies populaires d'origines païennes », les « poésies didactiques et morales », les « poésies historiques » et « les poésies romanesques ». Ces cinq grands types auraient pu suffire pour classer les chansons, mais les membres du comité propose ensuite des catégories plus spécifiques qui montrent que le travail de classification relève d'une étude pointue de chansons et non pas d'une réflexion abstraite. Nous citerons comme exemple la catégorie des « chansons propres aux professions sédentaires, aux forgerons, aux tisserands, aux tailleurs, aux cordonniers, aux sabotiers, aux fileuses, aux menuisiers ; chansons de compagnons »17. Cette catégorie regroupe donc les chansons de métiers, et constitue, dans le titre même, une définition précise de ce qui doit entrer dans cette catégorie. Le comité propose de classer les chansons pour pouvoir ensuite les comparer, tirer des conclusions d'ordre philologique et artistique. Les chansons sont considérées comme les sources d'un travail à mener. Les membres du comité de la Langue, de l'Histoire et des Arts sont en cela les héritiers directs de l'Académie celtique. Les Instructions sont donc divisés en treize chapitres. A l'intérieur de chacun, le comité propose une définition de la catégorie en question puis publie des chansons qui doivent servir de modèles. C'est ainsi que les Instructions deviennent elles-mêmes une forme de recueil de chansons populaires, ou plutôt de textes puisque les mélodies ne sont pas reproduites, ce qui est assez paradoxal.

En effet, l'accent est mis sur la nécessite de recopier la musique. M. Vincent, compositeur de musique reconnu, est chargé de la rédaction des recommandations musicales, et met l'accent sur la complémentarité des paroles et de l'air de la chanson.

« Les paroles ne sont que l'une des parties de toute chanson. Il est donc fort à désirer que les correspondants prennent le soin d'indiquer les airs des chants dont ils communiqueront les paroles, lorsque ces airs seront déjà suffisamment connus ; ou même, dans le cas contraire, d'y joindre les notes de musique ou de plain-chant. »18

Cela constitue un changement majeur. Durant la première moitié du XIXème siècle, on ne s'intéresse qu'aux paroles. En effet, pour les uns, elles permette de connaître les patois ou les mœurs de ceux qui les chantent, pour les autres elles sont la preuve qu'il existe plusieurs façons de faire de la poésie. Ce qui change, 16 Nous empruntons cette expression à Jacques CHEYRONNAUD, Mémoires en recueils : jalons pour une histoire des collectes musicales en terrain français, Montpellier, Office départemental d'Action Culturelle, 1986, 160 pages17 Voir l'annexe 1 pour retrouver l'intégralité de la classification proposée par les Instructions, ainsi que la définition qui en est donnée. 18 Instructions relatives aux poésies populaires de la France, décret du 13 septembre 1852, p. 10BORNE Annaïg | Diplôme national de master| Mémoire de recherche | juin 2011 - 15 -

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c'est que des musiciens commencent à s'intéresser à ces chansons, et ils appréhendent cet objet d'une autre manière que leurs collègues historiens ou philologues. C'est en effet à partir de ce moment que l'on élabore la notion de variantes. Le comité met en effet l'accent sur le fait qu'il existe pour les mêmes paroles des mélodies différentes, en fonction de l'endroit où l'on recueille la chanson, ou parfois même en fonction du chanteur, et il demande aux correspondants de relever les variantes, aussi bien dans le texte que dans la mélodie. Cette prise de conscience du fait que la variante est un élément constitutif de la chanson populaire n'a pu se faire que grâce à l'étude de chansons venant de différents endroits, et c'est là tout le mérite d'Hippolyte Fortoul. En effet, en fondant ce comité, il crée une communauté de savants et leur permet de communiquer et de comparer les résultats de leur recherche. Les Instructions sont à la fois un guide pratique et le résultat d'une réflexion en amont sur la chanson populaire. Cette réflexion aboutit à la mise en lumière de plusieurs caractéristiques de la musique populaire. Le comité explique que la phrase mélodique d'une chanson populaire est simple, et il en définit le modèle-type du récit. Ainsi, ce qui caractéristique les paroles, c'est la répétition de formes de langage, l'usage récurrent des nombres définis et aussi le fait que le refrain soit sans rapport avec le sujet du récit. Le correspondant du comité, qui n'est pas forcément spécialiste des chansons populaires, a donc certains repères précis. Les Instructions laissent une très faible marge de manœuvre aux érudits associés puisque les chansons sont classées, définies, on exige d'eux une certaine façon de procéder. Il s'agit d'homogénéiser les méthodes de travail afin de procéder à un travail de comparaison le plus pertinent possible.

Bien que l'intégralité de la collecte n'ait jamais été publiée, cette enquête a eu un impact majeur sur la recherche dans le domaine de la musique populaire. Le but premier était de sensibiliser le monde savant et le public, et l'enquête menée par Hippolyte Fortoul inaugure le grand mouvement de collecte folklorique de la seconde moitié du XIXème siècle.

Des recueils dans les provinces de France

Il existe des recueils avant 1852. En 1839, Théodore Hersart de la Villemarqué publie le Barzaz Breiz, Chants populaires de la Bretagne, somme en deux tomes qui recherche dans les chansons des traces de l'histoire du peuple breton. Il ne publie que des chansons en langue bretonne. Elles sont accompagnées d'une traduction et d'une série de commentaires sur la langue ou sur le récit en lui-même. Les mélodies ne sont pas reproduites à la suite des paroles, mais à la fin de l'ouvrage. Ce qui intéresse de la Villemarqué, ce sont les textes. C'est surtout après le lancement de l'enquête d'Hippolyte Fortoul que se multiplient les publications. Les premiers à le faire sont des anciens correspondants du comité de la Langue, de l'Histoire et des Arts, et, fait nouveau, ce sont des musiciens. L'auteur des Chants populaires des Flamands de France, Edmond de Coussemaker est un compositeur connu de ses contemporains, qui a étudié avec des grands musiciens et est l'auteur de traités théoriques sur la musique médiévale. Il découvre les chants populaires grâce au Barzaz Breiz et est influencé par les travaux allemands du XVIIIème siècle. Il décide en 1852 de répondre aux Instructions de Fortoul. Les auteurs, dans leurs préfaces, se réclament d'Hippolyte Fortoul. Damase Arbaud dédie son ouvrage 19 « à la mémoire d'Hippolyte Fortoul ». Il explique dans sa préface que ce travail doit beaucoup à l'ancien ministre de l'Instruction publique puisque c'est lui qui conçoit le premier le projet de réunir les poésies populaires de la France. Conscients qu'il est difficile de réunir dans un recueil toutes les chansons

19 Chants populaires de la Provence, Aix, Makaire, 1862BORNE Annaïg | Diplôme national de master | Mémoire de recherche | juin 2011 - 16 -

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existantes en France, les collecteurs prennent l'initiative de publier leur propre recueil, tout en l'inscrivant dans la lignée des Instructions.

« La tâche du Comité de la Langue, de l'Histoire et des Arts serait singuliè-rement facilitée s'il existait pour chaque province un recueil semblable à celui que M. de la Villemarqué a publié pour la Bretagne. Ce serait certaine -ment le meilleur moyen de composer le recueil général qui forme l'objet du décret du 13 septembre. »20

La plupart des provinces de France se dotent de leur propre recueil entre 1855 et 1880. En 1856, Eugène de Beaurepaire publie une Étude sur la poésie populaire en Normandie et spécialement dans l'Avranchin, en 1865 le comte de Puymaigre diffuse ses Chants populaires dans le pays messin, en 1866 c'est l'Ouest de la France qui suscite l'intérêt de Jérôme Bujeaud avec les Chants populaires des provinces de l'Ouest, et nous citerons pour finir cette liste non exhaustive le recueil de Charles Guillon intitulée les Chansons populaires de l'Ain publié en 1883. Tous adoptent à peu près la même présentation des chansons. Ils publient la partition et les paroles, suivies éventuellement d'une traduction si elles ne sont pas en français. Viennent en suite une série de commentaires d'ordre musical ou littéraire. Les recueils se veulent eux aussi pratiques. Edmond de Coussemaker propose à la fin des Chants populaires des Flamands de France une table alphabétique des chansons.

Mais ces recueils s'inscrivent aussi dans un mouvement de valorisation des provinces face au centralisme français. En 1854, le poète Frédéric Mistral crée avec d'autres érudits le Félibrige qui se donne pour objectif de conserver la langue et la culture de la Provence. Pour le Félibrige, il existe un caractère propre aux Provençaux qu'il faut garder. Les collecteurs de chansons populaires partagent cette vision sur leurs propres provinces. Edmond de Coussemaker est emblématique de cette tendance à utiliser les chansons populaires pour sauvegarder et revendiquer la richesse d'une province, dans son cas les Flandres. Il est le fondateur du comité flamand de France et est engagé dans la recherche des origines de la civilisation flamande et de la langue flamande.

« C'est une erreur de croire que les Flamands n'ont pas de littérature ; le contraire est démontré. Les Belges se sont chargés de ce soin (…). Les Fla -mands de France ne restent pas en arrière ; ils sont en voie de prouver qu'ils ont participé et contribué à cette civilisation flamande qui a eu ses phases glorieuses et originales. Le Comité flamand, institué à Dunkerque pour rechercher, conserver et étudier les documents historiques et litté-raires du pays, a pris à tâche de faire reconnaître tout ce qui constituait l'individualité de cette littérature. »21

Ces revendications provincialistes sont clairement annoncées dans les préfaces des recueils. Ce sont les chansons qui ne sont pas en français qui sont recueillies et publiées. Les collecteurs espèrent faire des monuments à la gloire de la langue de leur région. Leurs travaux remplissent à la fois deux objectifs : ils veulent sauver des chansons condamnées à l'oubli car ils sont dans une langue vouée à disparaître et ce faisant, ils offrent une source de travail à ceux qui feront des recherches après eux, si la langue flamande meurt. Par ailleurs, les collecteurs inscrivent leurs recherches dans une démarche ethnologique, estimant que ces chansons présentent un intérêt pour l'étude des traditions des régions et donc plus largement de la France. Il s'agit donc d'une rencontre entre une démarche linguistique et une démarche ethnologique.

20 Edmond De COUSSEMAKER, Chants populaires des Flamands de France, Gand, Imprimerie et lithographie de F. et E. Gyselynck, 1856, p. III-IV21 Edmond De COUSSEMAKER, Chants populaires des Flamands de France, Gand, Imprimerie et lithographie de F. et E. Gyselynck, 1856, p. VIIBORNE Annaïg | Diplôme national de master| Mémoire de recherche | juin 2011 - 17 -

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Il peut sembler paradoxal qu'une initiative lancée par le ministère de l'Instruction et des cultes et surtout qui se voulait centralisatrice, aie encourager en fait la permanence des références à la province. Il n'en reste pas moins que ces travaux se concentrent toujours sur le populaire rural, et non sur le populaire urbain, ouvrier et que les hommes politiques redoutent. Peu à peu, les collecteurs font émerger une méthode de collecte et donnent à la chanson populaire une légitimité dans le champ de la recherche.

3. LA CHANSON POPULAIRE, OBJET D'ÉTUDE FOLKLORE

L'essor du folklore

Les préoccupations folkloriques existent dès la fin du XIXème siècle à l'image de l'Académie celtique en France. C'est surtout en Allemagne et en Angleterre que le folklore se développe, et cela marque un nouvel intérêt des élites savantes pour les pratiques populaires. Il se distingue de l'ethnologie, qui existe depuis le XVIème siècle, même si elle ne porte pas à cette époque ce nom 22. Alors que les ethnologues s'intéressent aux cultures lointaines géographiquement, exotiques, le folklore concerne la culture propre à l'observateur. Ethnologie et folklore se développent en parallèle mais ne se rencontrent pas, du moins jusqu'au début du XIXème siècle. Les folkloristes sont marqués par les théories du début du siècle quant à l'origine des pratiques populaires : la théorie des survivances est au cœur de leurs travaux. Il s'agit de l'idée que les coutumes populaires relèvent de la superstition et sont des persistances des temps anciens. William Thoms propose en 1846 le nom de « folk-lore » pour désigner ce qu'on appelait auparavant « antiquités populaires » ou « littérature populaire ». Ces deux termes font chacun écho à un temps passé et à une culture orale. Les folkloristes recherchent dans les traditions populaires des traces d'une antiquité révolue et surtout idéalisée. Ils sont aussi héritiers des savants du début du XIXème siècle en ce qu'ils désignent comme étant « populaire » uniquement ce qui appartient au monde rural et paysan. « Le savoir du peuple » de William Thoms est celui du monde rural. En Grande-Bretagne, où ont lieu les premières grandes enquêtes folkloriques, l'industrialisation et l'urbanisation qui l'accompagnent sont très importantes, et effraient les savants. Les érudits se tournent vers un milieu rural que l'on sent en danger, et qui a aussi valeur de refuge, de conservatoire de l'identité britannique. Le folklore est donc la science du monde paysan. Il convient de remarquer que ceux qui vont montrer ce monde paysan en sont en fait étrangers. Ces étrangers recensent

« les pratiques sociales et culturelles populaires, les langues, les coutumes, les pratiques rituelles ou quotidiennes. »23

En France, c'est Paul Sébillot qui introduit le terme de folklore. Les années 1870 marquent les débuts de la création de réseaux de ceux qui s'intéressent aux traditions populaires et à la littérature orale. Les philologues lancent cet élan de regroupement en créant à Montpellier la Revue des langues romanes en 1870, consacrée à l'étude des langues dialectales parlées dans le Sud de la France. Apparaissent ensuite des revues qui ont pour objet les coutumes populaires. Les deux revues majeures sont Mélusine, recueil de mythologie, littérature populaire, traditions et usages, fondée par Henri Gaidoz et Eugène Rolland et

22 Voir Nicole BELMONT, « Folklore », article de l'Encyclopaedia Universalis23 Edouard LYNCH, « Folklore », dans Christian DELPORTE, Jean-Yves MOLLIER, Jean-François SIRINELLI, Dictionnaire d'histoire culturelle de la France contemporaine, Paris, PUF, 2010, 968 pages BORNE Annaïg | Diplôme national de master | Mémoire de recherche | juin 2011 - 18 -

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Partie 1 : Le XIXème siècle et la chanson populaire

publiée en 10 volumes de 1877 à 1912, et la Revue des Traditions Populaires, recueil de mythologie, littérature, ethnographie traditionnelle et art populaire. Cette revue est créée par Paul Sébillot, à l'instar de la société savante du même nom, et est publiée de 1886 à 1918. Si les folkloristes se considèrent comme tels en France, il est surprenant qu'ils ne considèrent pas comme important de se nommer ainsi, on ne retrouve pas le terme « folklore » dans les titres des différentes revues qui lui sont consacrées. Les folkloristes sont convaincus, comme leurs collègues britanniques, de l'archaïsme des traditions. Jusqu'à ce qu'Arnold Van Gennep s'intéresse au folklore, on est persuadé que tout est mort, passé. Les académies régionales multiplient au long des dernières décennies du XIXème siècle les collectes d'objet, de coutumes, de contes et créent des musées régionaux. Les institutions officielles s'y intéressent aussi, mais plus tardivement puisque le musée ethnographique, construit après l'Exposition Universelle de 1878, ouvre en 1888 une section destinée au domaine français. L'université ne s'intéresse pas beaucoup au folklore. Les instituteurs jouent un rôle important dans la recherche folklorique, mais les folkloristes de premier plan sont les savants parisiens, à l'image de Paul Sébillot. Il fonde les premières structures officielles du folklore comme les Dîners de Ma Mère l'Oye, lieu de débats et de rencontres de folkloristes.

Folklore et chanson populaire

Nous avons montré comment des érudits locaux sont devenus « folkloristes » de fait en collectant des chansons et en voulant comprendre le milieu qui les entoure. C'est le cas de tous les musiciens qui publient des recueils suite à l'enquête lancée par Hippolyte Fortoul. Dans les années 1870-1880, ce sont des personnes sensibles au folklore qui vont recueillir des chansons. Cela dit, leur démarche est assez proche de celle de leurs prédécesseurs. La différence est qu'on ne publie plus uniquement des recueils intégralement dédiés aux chansons, mais les folkloristes envoient des chansons à des revues folkloriques. La recherche en matière de chansons populaires est ainsi plus dispersée qu'auparavant et se dote d'un cachet scientifique. La chanson populaire est présentée comme un champ important du folklore. Gaston Paris rédige dans le premier numéro de Mélusine un article intitulée « De l'étude de la poésie populaire en France », qui est une sorte de défense et illustration de la chanson populaire. Il constate avec dépit que le collecteur de chansons populaires est encore perçu comme un original alors que ces chansons présentent un intérêt scientifique. Soulignons le changement qui s'est produit en un siècle : là où l'Académie celtique a échoué parce qu'elle ne parvenait pas à donner aux chansons populaires, et plus largement à tous les phénomènes « frivoles et vulgaires »24, Gaston Paris revendique la légitimité scientifique de cet objet d'étude. Il défend tout ce qui relève de la littérature orale :

« les chansons, les contes d'enfants, les formules de tout genre, les pro-verbes et même souvent les superstitions »25

En réalité, dans son article, il évoque surtout la chanson populaire. Ce qui lui donne sa valeur scientifique et la fait entrer dans le champ folklorique est la démarche comparative qu'elle permet. La comparaison est nécessaire et instructive. Au moment où il écrit, Gaston Paris est conscient que tout le travail de classification, d'organisation est à faire, et que c'est un champ inexploité et très fertile. Il offre aussi une méthodologie. Selon lui, il convient de distinguer

24 Adjectifs utilisés par Gaston PARIS dans « De l'étude de la poésie populaire», Mélusine, recueil de mythologie, littérature populaire, traditions et usages, 1878, p. 225 Gaston PARIS, « De l'étude de la poésie populaire », Mélusine, recueil de mythologie, littérature populaire, traditions et usages, p. 3BORNE Annaïg | Diplôme national de master| Mémoire de recherche | juin 2011 - 19 -

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deux étapes dans l'étude de la poésie populaire. La première phase consiste à recueillir les chansons populaires, ce qui nécessite du temps et de la mobilité puisqu'il faut aller sur le terrain. Vient ensuite un travail de traitement des sources : il s'agit de l'étude et du commentaire des chansons. Ces deux phases doivent être faites par deux personnes différentes car, si la première étape peut être faite par n'importe qui, le travail de commentaire est celui d'un spécialiste. Gaston Paris est très critique au sujet de ceux qui commentent des chansons en ayant peu de connaissances à leur sujet. En biais, il définit les compétences du folkloriste étudiant des chansons : il doit connaître le sujet parfaitement et avoir étudié diverses langues et différents dialectes. On peut regretter que Gaston Paris soit assez imprécis sur ce qu'il reproche être des « notions imparfaites du sujet »26. Le lecteur de cet article ne comprend pas quelle doit être pour lui la formation du collecteur de chansons. La fin de l'article de Gaston Paris propose une méthodologie à ceux qui voudraient collecter des chansons. Il insiste sur la fidélité au texte : il ne faut pas modifier les paroles sans en avertir le lecteur, et surtout ne pas compiler plusieurs versions pour en faire une « idéale »27. Il exige que toutes les variantes soient recopiées, ainsi que la musique. Ces exigences sont les mêmes que celles des Instructions d'Ampère et de Fortoul, et ce sont celles qu'appliquent les collecteurs des années 1850 à 1870. Ce qui est nouveau, c'est que Gaston Paris demande des commentaires, à condition qu'ils soient courts, et qu'ils consistent seulement en une comparaison avec ce qui a déjà été recueilli. Enfin, il demande d'indiquer le lieu où la chanson a été collectée et de qui elle a été recueillie. Ces informations sont nécessaires pour mener un travail comparatif rigoureux. Pour comparer des versions, il faut savoir d'où elles viennent. Cet article est donc un appel à ceux qui souhaitent collecter : Mélusine sollicite à la fin de l'article tous ceux qui voudront recueillir des chansons selon la méthode indiquée par Gaston Paris. Cet appel semble être entendu puisqu'à partir de 1888 Anatole Loquin publie dans la même revue une série d'articles intitulée « Étude bibliographique sur les mélodies populaires de la France ». La Revue des Traditions Populaires publie aussi des chansons envoyées par des correspondants. Elles sont souvent regroupées par thème. On cite par exemple des chansons relatives au mois de mai, qui viennent de régions différentes. Cependant, le travail de comparaison n'est pas toujours assuré et est laissé au lecteur.

Les folkloristes sont motivés par l'urgence. Ils déplorent la disparition de ce patrimoine oral au profit des chansons venues du milieu citadin, à l'image de Gaston Paris.

« Les vieilles chansons s'éteignent tous les jours, remplacées par les pro-ductions patriotiques, sentimentales ou grivoises des cités ; quand il s'en compose encore à la campagne, elles sont d'une ineptie profonde (…). Les chansons qui n'ont pas encore péri se sont cruellement altérées ; elles ont perdu très souvent leurs rimes, presque toujours leur mesure et quelque-fois leur sens ; ce n'est qu'à force de variantes qu'on arrivera à sauver au moins les plus belles. »28

C'est à ce moment-là que s'élaborent des théories au sujet de l'origine des chansons populaires. Ceux qui font des recueils entièrement consacrés aux

26 Gaston PARIS, « De l'étude de la poésie populaire », Mélusine, recueil de mythologie, littérature populaire, traditions et usages, p. 327 Gaston Paris fait une critique dirigée à un mouvement qui pense qu'il existe une version première d'une chanson, et qui la reconstitue à partir de variantes. Ce mouvement est illustré par la publication, à titre posthume, du travail de George DONCIEUX, Le Romancéro populaire de la France, Paris, Librairie Émile Bouillon, 1906. Cet ouvrage est préfacé par Julien Tiersot, collaborateur éminent de la Revue des Traditions Populaires.28 Gaston PARIS, « De l'étude de la poésie populaire », Mélusine, recueil de mythologie, littérature populaire, traditions et usages, p. 5BORNE Annaïg | Diplôme national de master | Mémoire de recherche | juin 2011 - 20 -

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chansons abandonnent peu à peu ces préoccupations théoriques. En effet, alors que les préfaces des premiers recueils sont des opérations de justification du bien-fondé de cette publication et tentent de définir la chanson populaire, les préfaces des ouvrages publiés dans les années 1880 deviennent des exposés de l'aventure sur le terrain sur le monde du carnet de voyage du collecteur. Il ne s'agit plus d'expliquer les raisons des collectes mais la façon dont on procède. La réflexion théorique se retrouve donc dans des articles publiés par les revues savantes29. Deux conceptions s'opposent alors. Julien Tiersot défend dans son Histoire de la chanson populaire de France30 l'idée que la chanson populaire est l'art des illettrés qui est différent de celui des artistes. Les chansons sont intemporelles, on ne peut connaître leur origine ni les dates. Dans Mélusine, Anatole Loquin affirme au contraire que chaque mélodie quelle qu'elle soit a toujours un auteur, une patrie et une date de naissance31. Cette question de l'origine est celle qui pose le plus de problèmes et fait le plus débat, mais les collecteurs s'en affranchissent en admettant que les chansons ont eu un auteur mais que le peuple s'en est emparé et les a modifiées32. La chanson populaire entre aussi à l'école. Une revue consacrée à l'instruction populaire lance en 1893 l'idée d'un recueil de chants pour les écoles primaires. Un concours est organisé et c'est le projet de Julien Tiersot qui est retenu. Il propose d'harmoniser des musiques populaires et demande à Maurice Bouchor d'écrire de nouvelles paroles sur ces mélodies populaires. Leur travail aboutit à la diffusion en 1895 des Chants populaires pour les enfants, qui a une suite en 1902 et 1907. Le succès n'est pas celui escompté, ce projet étant plus au service d'une idéologie politique et sociale de retour aux sources et de louange du monde rural, que d'une volonté éducative.

CONCLUSION

L'intérêt pour la chanson populaire connaît donc trois étapes successives. L'Académie celtique initie un mouvement de collecte sur le territoire mais, si une volonté et une motivation existent, elles sont suivies de peu d'effets. La chanson populaire inspire les écrivains et les musiciens romantiques. Elle rentre dans les milieux parisiens savants. L'institutionnalisation de la collecte donne une grande visibilité aux chansons populaires et attire l'attention de musiciens ayant une formation classique. C'est après 1852 que se multiplient les recueils consacrés au patrimoine musical de chaque région. La fin du siècle marque l'apogée de l'étude des chansons populaires. Des revues s'y intéressent, et on écrit des traités à leur sujet. Il convient de remarquer que tous les chercheurs du XIXème siècle partagent les mêmes préoccupations : ils sont conscients de l'urgence qu'il y a à collecter ces chansons en voie de disparition et ils méprisent ce qui est issu du monde urbain. Une communauté de pensée se crée : on rend hommage au travail des uns, on s'inspire du travail des autres, on consacre des débats à la chanson populaire. A l'échelle de la région, on se retrouve face au même processus.

29 Il convient de nuancer cette distinction recueil/article en soulignant que ceux qui ont une réflexion musicologique et théorique sont aussi des collecteurs, mais ils dissocient ces deux démarches, à l'instar de Julien Tiersot. 30 Julien TIERSOT, Histoire de la chanson populaire, Paris, Plon, 188931 Anatole LOQUIN, « Étude bibliographique sur les mélodies populaires de France », Mélusine, 1889, IV32 Pour plus de précision au sujet de ce débat, voir Jacques CHEYRONNAUD, Mémoires en recueils : jalons pour une histoire des collectes musicales en terrain français, Montpellier, Office Départemental d'Action Culturelle, 1986, p. 42-43BORNE Annaïg | Diplôme national de master| Mémoire de recherche | juin 2011 - 21 -

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Partie 2 : Les collectes de chansons en Savoie

La Savoie est le lieu de nombreuses publications de et au sujet des chansons populaires, surtout à la fin du XIXème siècle. Ceux qui les réalisent ont des motivations différentes, mais chacun apporte un regard particulier intéressant. Nous verrons comment se déroule la collecte, et comment se fait le passage de la collecte de documents oraux à la publication écrite.

1. LES COLLECTEURS DE CHANSONS POPULAIRES

Nous distinguerons trois profils parmi les collecteurs : les philologues, les musiciens originaires de Savoie et ceux qui s'intéressent à la chanson en Savoie mais qui ne viennent pas de cette province.

Des philologues : Jean-Louis Alphonse Despine et Aimé Constantin

Jean-Louis Alphonse Despine33, dit Alphonse Despine, naît le 2 avril 1818 à Annecy, dans une famille aisée. Il fait ses classes dans un collège catholique annécien, avant de suivre des cours de droit à Chambéry. Il se rend également à Turin où il devient docteur ès droit en 1840. Il rentre alors à Annecy et ouvre un cours de droit qui est, selon Maurice Sautier-Thyrion, très suivi, et qui prend fin avec l'annexion de la Savoie, en 1860. Il mène aussi une carrière d'avocat. Son père, Antoine Despine, participe à la fondation de la Société Florimontane, et Alphonse Despine en devient très tôt un membre actif. Il est également reçu par l'Association des antiquaires de France, société savante qui a succédé à l'Académie celtique. Membre de plusieurs sociétés savantes, avocat reconnu, c'est dans ce contexte qu'il réalise des travaux de recherche historique. Beaucoup de ses articles sont publiés par la Société Florimontane dans la Revue Savoisienne. C'est ainsi que de 1860 à 1864 il publie des « Notes historiques sur les châteaux et les localités de la Savoie, appelés Châtelards »34, réalisées à partir de l'étude de trois châteaux. Ce travail apprécié à la fois des autres érudits savoyards et des habitants des villages cités. Ayant pris connaissance du mouvement de collecte des chansons et des dialectes menés en 1852, il décide de consacrer quelques années à la recherche des chansons populaires de la Savoie. Il fait face à la rareté des documents écrits et à la difficulté de représenter graphiquement une langue qui, à ce moment, ne possède pas d'alphabet. Il surmonte ces difficultés et son travail donne lieu à la publication des « Recherches sur les poésies en dialecte savoyard », toujours dans la Revue Savoisienne35. Ce travail de grande envergure reste inachevé. Il mène d'autres travaux d'ordre historique et archéologique. Il est aussi l'auteur de chroniques au sujet des beautés de la Savoie dans le journal l'Union savoisienne créé en 1868. Il décède le 2 janvier 1872 à l'âge de 53 ans. Ses travaux révèlent son attachement à sa région natale. Ses recherches sur les poésies, c'est-à-dire les chansons, s'intègrent dans un projet plus général, celui de retrouver toutes les richesses de la Savoie. Il collecte des chansons populaires comme d'autres font de l'archéologie.

33 Cette biographie s'appuie sur la publication de Maurice SAUTIER-THYRION, Notice biographique de M Alphonse Despine, Annecy, Imprimerie Ch. Burdet, 1872, 38 pages.34 Revue Savoisienne, 1860-186435 Revue Savoisienne, 1864-1870BORNE Annaïg | Diplôme national de master| Mémoire de recherche | juin 2011 - 23 -

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Claude-Aimé Constantin, dit Aimé Constantin, naît à Thônes le 31 août 1831. Après des études au Collège Chapuisien d'Annecy, il va en Russie, où il devient professeur de français de 1850 à 1876. Il y rédige des ouvrages sur l'enseignement du français. Dès son retour en France, il est nommé membre effectif de la Société Florimontane et, après avoir été nommé vice-président en 1877, il en devient le président en 1884. Son implication dans la vie intellectuelle puisqu'il est nommé, nous apprend Joseph Désormaux 36, membre correspondant de l'Institut Genevois en 1884, membre effectif non résident de l'Académie Chablaisienne en 1887, membre honoraire de la Société savoisienne d'histoire et d'archéologie en 1890 et l'année suivante membre correspondant de l'Académie de Savoie. La majeure partie de ces articles est publiée dans la Revue Savoisienne37. Beaucoup de ses travaux sont consacrés à la philologie et au folklore. Parmi ses travaux sur le patois, on peut citer ses « Études sur le Patois Savoyard : projet d'alphabet à l'usage de notre patois »38, un recueil de proverbes, de devinettes et de contes intitulé Littérature orale de la Savoie39 et des recherches sur l'étymologie de certaines chansons. Une de ses préoccupations majeures est de donner au patois savoyard un alphabet. C'est ainsi qu'est publié en 1902, à titre posthume, un Dictionnaire Savoyard, inachevé à sa mort mais que Joseph Désormaux complète40. C'est dans le cadre de ces recherches sur le patois qu'il s'intéresse aux chansons savoyardes dans son « Étude sur le Patois savoyard : la Muse savoisienne, ou recueil de chansons anciennes et modernes, avec musique, traduction littérale, notes historiques, biographiques, philologiques et notice sur le système orthographique »41. Les chansons qu'il découvre nourrissent sa réflexion philologique, et sont un outil de conservation et de promotion de ce dialecte. Ce n'est pas en tant que musicien qu'il recueille ces chansons, mais évidemment comme un philologue, c'est pourquoi les mélodies l'intéressent peu, tout comme le milieu dans lequel se pratique ces chansons.

Il est frappant de voir comme les parcours d'Alphonse Despine et d'Aimé Constantin sont similaires, même s'ils ne se sont sûrement jamais rencontrés : tous deux suivent des cours au sein du collège Chapuisien et sont des membres éminents et reconnus de la Société Florimontane. Ils sont actifs dans les milieux érudits de la Savoie. Ils ont à cœur de promouvoir et de sauvegarder la culture savoyarde, ce que leur permettent leurs différents travaux. C'est dans une certaine mesure de manière fortuite que leur chemin croise celui de la chanson populaire.

Jean Ritz et Claudius Servettaz, deux musiciens

C'est le 14 février 1846 que naît Jean Ritz à Annecy, dans une famille de cordonniers d'origine suisse. A treize ans, il arrête ses études pour aider son père, artisan cordonnier. Contre l'avis de sa famille, il apprend seul et en cachette le solfège et la guitare. C'est seulement vers seize ans qu'il a une formation complète en étudiant l'harmonie, la composition, le piano et le chant choral auprès de Désiré Besozzi, maître de l'orphéon français. Sa carrière au sein d'une structure musicale officielle commence en 1865 : il est nommé sous-directeur de la société chorale d'Annecy, et il en prend la direction musicale en 1865. Il crée en 1888 un orchestre amateur à Annecy qui prend le nom de 36 Joseph DESORMAUX, « Aimé Constantin », Revue Savoisienne, 1900, p. 139-15037 On trouvera dans l'article cité ci-dessus une bibliographie complète et raisonnée des publications d'Aimé Constantin. 38 Revue Savoisienne, 187739 Annecy, Dépolllier, 188240 Aimé CONSTANTIN et Joseph DESORMAUX, Dictionnaire Savoyard, Paris, Librairie Émile Bouillon et Annecy, imprimerie Abry, 190241 Revue Savoisienne, 1878 et Annecy, Burnod et Lhoste, Paris, Vieweg, 1878BORNE Annaïg | Diplôme national de master | Mémoire de recherche | juin 2011 - 24 -

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Partie 2 : Les collectes de chansons en Savoie

Cercle Musical. Ce cercle remporte plusieurs concours, ce qui offre à Jean Ritz une reconnaissance nationale, comme en témoigne le fait qu'il siège dans des concours d'orphéon. C'est un défenseur de l'éducation musicale populaire. En 1881, il présente le Grammographe qui permet de faire comprendre rapidement la formation des gammes. Il semble que cet outil suscite l'intérêt des professeurs de musique. Il convient de souligner qu'il fait tout cela en amateur puisqu'il est employé d'une banque. Il ne deviendra jamais professeur de musique professionnel. C'est aussi un auteur de pièces instrumentales pour piano, de pièces de musique de chambre et d’œuvres chorales. Il compose aussi bien des œuvres profanes que sacrées42. On voit dans le titre même de ses œuvres son attachement à la Savoie. Il est non seulement un musicien impliqué dans la vie locale mais aussi un érudit qui participe à la vie intellectuelle, membre de la Société Florimontane. En 1895, il fait la rencontre de Julien Tiersot, ce qui donne lieu à la publication dans la Revue Savoisienne d'une série d'articles consacrée aux chansons populaires de Haute-Savoie43. Les chansons populaires sont également une source d'inspiration puisqu'il compose des arrangements à partir de leurs mélodies. Son travail de collecte des chansons se poursuit, il se trouve en possession de 101 chansons en 1910 qu'il publie dans le recueil « Les Chansons populaires de la Haute-Savoie »44. Jean Ritz meurt le 11 juillet 1925, laissant derrière lui une œuvre musicale riche, un recueil de chansons populaires et un engagement sans faille en faveur des musiciens amateurs. C'est un amateur qui a réussi à se faire connaître et surtout reconnaître dans les milieux savants, et qui s'intéresse à plusieurs formes de musique.

Un autre collecteur présentant un parcours semblable est Claudius Servettaz, né le 18 septembre 1871 à Étercy, en Haute-Savoie. Il est le dernier de sept enfants. Son père, Claude-François Servettaz, est instituteur à Marcellaz. Il est en 1887-1888 l'auteur d'une monographie sur ce village. Claudius Servettaz grandit dans une famille où le savoir est important et voit son père s'intéresser à l'histoire locale. Il est formé à l’École normale de Bonneville. Il est diplômé majeur de sa promotion. De 1895 à 1902, il enseigne les lettres et l'anglais à Rumilly. S'il enseigne les langues, c'est surtout la musique qui l'intéresse. Il apprend le violon et le piano en autodidacte et obtient en 1899 le certificat d'aptitude à l'enseignement du chant dans les écoles primaires supérieures. Il est alors chargé à l'école primaire de Thonon de 1902 à 1910 et d'Annecy de 1910 à 1922. Il tient beaucoup à promouvoir l'enseignement du chant dans les écoles. C'est pour cela qu'il s'intéresse au travail de Julien Tiersot et de Maurice Bouchor sur le chant populaire dans les écoles. Il découvre alors les chansons populaires. Sa carrière d'instituteur prend fin en 1922 à cause d'une paralysie qui a débuté en 1917. Claudius Servettaz décède le 20 mars 1926 à l'âge de 55 ans. Qu'est-ce qui conduit Claudius Servettaz à s'intéresser à la chanson populaire ? Nous avons vu qu'il a été sensibilisé par son père à l'érudition et à la recherche sur l'histoire locale. Par ailleurs, comme l'explique Francine Muel-Dreyfus45, les instituteurs sont encouragés au cours de leur formation dans les écoles normales à étudier l'histoire du village dans lequel ils vivent. On leur recommande de recueillir les coutumes locales des paysans, de faire des collections en fonction de ce qui les intéresse : herbiers, fossiles, cartes postales. Souvent l'instituteur est issu d'un milieu différent de celui de ses élèves, il est un étranger dans le village. Son regard est différent de celui des villageois.

42 Nicolas PERRILLAT a établi un catalogue des œuvres de Jean Ritz dans sa réédition des Chansons populaires de la Haute-Savoie, Annecy, Éditions Tutus Liber, 2004.43 « Les chansons populaires de la Haute-Savoie », Revue Savoisienne, 1895-189744 Annecy, Imprimerie J. Abry, 191045 Francine MUEL-DREYFUS, « Les instituteurs, les paysans et l'ordre républicain », Actes de la recherche en sciences sociales, 1977, volume 17-18, p. 37-61BORNE Annaïg | Diplôme national de master| Mémoire de recherche | juin 2011 - 25 -

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« Les instituteurs sont prédisposés et préparés à porter sur le monde rural un regard d'observateur, d'esthète ou d'ethnologue. »46

Le goût qu'a Claudius Servettaz pour la musique lui fait découvrir les chansons populaires. Attaché à la Savoie, il ressent le besoin d'entreprendre des recherches sur son folklore musical. Il est également impliqué dans la vie scientifique locale puisqu'il devient en 1908 lui aussi membre de la Société Florimontane. C'est dans la Revue Savoisienne qu'il publie le résultat de ses recherches sous le titre « Chansons Savoyardes » à partir de 190847, avant d'en faire un livre. Son travail est reconnu par les autres membres de la Société Florimontane, il est nommé en 1909 officier d'Académie.

Avec Jean Ritz et Claudius Servettaz, les musiciens font leur entrée dans le monde des collecteurs de chansons populaires. Ils s'intéressent autant aux textes qu'au mélodies. C'est sous leur plume qu'apparaissent des commentaires autour des airs des chansons populaires et de leurs particularités. Mais, comme Alphonse Despine et Aimé Constantin, leur recherche révèle le souhait de promouvoir la culture savoyarde. Despine et Constantin le faisaient en étudiant le patois, eux le font en s'intéressant au caractère musical des chansons.

Des « étrangers » : Julien Tiersot et Arnold van Gennep

Julien Tiersot est un personnage à part dans l'histoire des collectes en Savoie. Son parcours se distingue pour beaucoup de celui des autres collecteurs. Il naît le 5 juillet 1857 à Bourg-en-Bresse. Son père est député de l'Ain. Julien Tiersot fait des études de médecine et de musique au Conservatoire de Paris. En 1889, il est nommé sous-bibliothécaire du conservatoire, puis devient premier bibliothécaire en 1909. Il succède à Weckerlin. Il meurt le 10 août 1936 à Paris. Julien Tiersot est à la fois un musicien, un musicologue, un érudit, un compositeur et un spécialiste de l'histoire de la musique. Durant sa formation au conservatoire de musique de Paris, il assiste au cours de Louis-Albert Bourgault-Ducoudray, professeur d'histoire de la musique. M. Bourgault-Ducoudray est chargé en 1874 de la mission d'étudier la musique de Grèce et d'Orient48. C'est à cette occasion qu'il découvre la chanson populaire. Ses recherchent se poursuivent en 1881 en Basse-Bretagne, où il recueillie à l'aide de Paul Sébillot des chansons populaires qu'il publie en 188549. Par ailleurs, le bibliothécaire du conservatoire, avec qui Julien Tiersot travaille, n'est autre que Jean-Baptiste Weckerlin, un musicien lui aussi impliqué dans la recherche de chansons populaires. S'il a collecté quelques chants, il est surtout un compilateur de chansons et l'auteur d'ouvrages théoriques50. Comme Weckerlin et Bourgault-Ducoudray, Julien Tiersot participe au Dîners de Ma Mère l'Oye organisés à l'initiative de Paul Sébillot. Ces Dîners regroupent des folkloristes et tous ceux qui s'intéressent aux traditions populaires. Julien Tiersot se fait connaître en publiant son mémoire Histoire de la chanson populaire51 dans lequel il s'interroge sur les origines des chansons populaires : les répertoires collectés en France ont-ils une origine savante ou sont-ils nés spontanément au sein du 46 Francine MUEL-DREYFUS, « Les instituteurs, les paysans et l'ordre républicain », Actes de la recherche en sciences sociales, 1977, volume 17-18, p. 49047 Revue Savoisienne, 1908-191048 Voir « BOURGAULT-DUCOUDRAY Louis-Albert », dans Gérard CARREAU, Dictionnaire biographique des collecteurs de l'ancienne chanson folklorique : ainsi que ses publicistes et théoriciens, contenant quelques éléments bibliographiques. 1830-1930 environ, Saint-Jouin-de-Milly, FAMDT Éditions, 1998 49 Louis-Albert BOURGAULT-DUCOUDRAY, Mélodies populaires de la Basse-Bretagne, Paris, Lemoine, 188550 Nous citerons La Chanson populaire, Paris, Didot, 1886 et L'ancienne chanson populaire en France, Paris, Garnier, 188751 Paris, Heugel, 1895BORNE Annaïg | Diplôme national de master | Mémoire de recherche | juin 2011 - 26 -

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Partie 2 : Les collectes de chansons en Savoie

peuple. Ce mémoire est couronné par l'Académie des Beaux-Arts. Il publie aussi de nombreux articles dans la Revue des Traditions Populaires : il y diffuse des chansons qu'il recueille dans diverses provinces de France, et mène aussi des travaux sur l'histoire de la chanson populaire. Il rédige par exemple en 1895 un article consacré à « Balzac et la chanson populaire »52. Son centre d'intérêt n'est donc pas seulement les chansons mais aussi l'histoire des répertoires et leur contexte social. En parallèle à ses recherches sur la chanson populaire française, Julien Tiersot travaille sur des compositeurs de musique classique. Il rédige une biographie de Rouget de Lisle, mais c'est surtout Hector Berlioz, qu'il rencontre et qu'il admire, qui fournit le plus grand nombre de travaux 53. Il est aussi l'auteur d’œuvres musicales s'inspirant de la musique populaire. Il harmonise aussi des chansons populaires, mais il est en réalité peu connu pour son œuvre musicale. Lors de l'Exposition Universelle de 1889, Julien Tiersot découvre les musiques dites « exotiques », notamment javanaises. Cette rencontre donne lieu à la publication de partitions dans la Revue universelle illustrée. Il y retranscrit des morceaux entendus durant ses visites. D'autres publications sur ce sujet s'ajouteront. Tous ses travaux lui apportent la reconnaissance de ses pairs, au point qu'il est élu à la présidence de la Société française de musicologie. On lui demande de faire une série de conférences en France, en Belgique et en Hollande. En 1905 et 1906, il fait une tournée de 60 conférences aux États-Unis et au Canada comme conférencier officiel de l'Alliance française. Ainsi, Julien Tiersot, quand il part faire sa collecte dans les Alpes en 1895, a un parcours différent de ses collègues collecteurs. Il n'est pas originaire de Savoie et n'a donc pas cet attachement presque chauvin que peuvent avoir les autres, il a une carrière parisienne et fait partie des cercles de folkloristes parisiens. Ce n'est pas la chanson savoyarde qui l'amène au folklore, mais le folklore qui l'amène à la chanson savoyarde. Julien Tiersot est également un étranger en Savoie, comme Arnold Van Gennep.

« Le créateur de l'ethnographie française »54, Arnold Van Gennep, naît en Allemagne le 23 avril 1873. Sa famille déménage en Savoie alors qu'il a six ans. Il fait ses études au lycée de Nice, en internat, mais passe ses vacances d'été en Savoie, où il parcourt les Alpes afin de trouver toutes sortes d'objets archéologiques (pièces de monnaie, vestiges, fossiles...). Étudiant, il étudie l'arabe à l’École des Langues Orientales et la sociologie, l'ethnologie et les sciences religieuses à l’École Pratique des Hautes Études. Après un séjour en Pologne, et grâce à ses talents polyglottes, il intègre le ministère de l'agriculture comme chef des traductions. Il le quitte en 1908 pour vivre de travaux de recherche qu'il mène à l'écart de l'université : il rédige des chroniques pour diverses revues et fait des conférences. Ses travaux portent surtout à ce moment-là sur les rites de passage et le totémisme chez les sociétés dites primitives. Il obtient en 1912 une chaire d'ethnographie à l'université de Neuchâtel, où il réorganise le musée ethnographique et organise en 1914 le premier congrès d'ethnographie. La première guerre mondiale met fin à sa carrière à Neuchâtel, il est expulsé de Suisse en 1915. Pendant la guerre, il donne des cours dans des lycées et travaille quelques années au ministère des Affaires Étrangères C'est à ce moment que sa carrière de chercheur connaît un tournant : publiant en 1924 un livre intitulé Le Folklore55, il abandonne le champ de l'ethnographie pour le folklore. Jusqu'en 1940, il vit de traductions, de chroniques pour le Mercure de France et d'articles qu'il publie dans diverses revues. Il fonde des revues parmi lesquelles La Revue des Idées, Le Folklore

52 Revue des Traditions Populaires, 1895-06, p. 334-37353 Julien TIERSOT, Rouget de Lisle, sa vie, son œuvre, Paris, Ch. Delagrave, 1892 et Hector Berlioz et la société de son temps, Paris, Hachette, 190454 Nous empruntons cette expression à Nicole BELMONT, Arnold Van Gennep, le créateur de l'ethnographie française, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1974, 187 pages.55 Paris, Librairie Stock, 1924BORNE Annaïg | Diplôme national de master| Mémoire de recherche | juin 2011 - 27 -

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vivant ou encore la Nouvelle Revue des Traditions populaires avec Henri Poulaille56. Son œuvre majeure est le Manuel du Folklore français pour lequel il obtient une aide de la Recherche scientifique à la libération. Ce manuel est divisé en sept tomes et met en pratique la méthode qu'il a élaborée. L’œuvre d'Arnold Van Gennep est intéressante parce qu'elle propose une définition novatrice du folklore. Dans Le Folklore, il distingue l'ethnographie et le folklore. Selon lui, ces deux sciences sont les mêmes pour ce qui est de la démarche et de l'objet d'étude, mais elles se distinguent par leur zone géographique d'étude : l'ethnographie concerne les populations non indo-européennes alors que ce sont les populations rurales de l'Europe qui sont le champ du folklore. Il met en place une méthode de travail fondée sur l'observation et la comparaison et il insiste sur l'importance de l'enquête directe. S'inspirant du questionnaire de l'Académie celtique, il fait ses propres questionnaires et a recours à la cartographie. Il rédige des monographies sur plusieurs régions qui lui permettent de mettre en pratique ses techniques de recherche. Durant ses enquêtes sur le folklore en Savoie, dans les Hautes-Alpes et dans le Dauphiné, il s'intéresse aux chansons populaires et entreprend d'en collecter quelques-unes. Tout son travail folklorique est marqué par l'idée que le folklore étudie des faits vivants, en perpétuelle mutation, à l'image de la biologie. Il récuse les théories du XIXème siècle et de certains de ses contemporains qui affirment que les faits folkloriques, dont les chansons, sont des archaïsmes qui ont réussi à survivre. Arnold Van Gennep meurt le 7 mai 1957, laissant derrière lui œuvre foisonnante et importante pour l'histoire de l'ethnographie et du folklore. Il intègre son travail sur les chansons populaires dans une étude plus large sur les pratiques et les coutumes populaires.

Nous avons vu que ceux qui collectent des chansons populaires ont des origines et des parcours variés. Ils se ressemblent en ce qu'aucun d'entre eux n'est issu du milieu rural et paysan, milieu dans lequel les chansons sont recueillies. Il est frappant de voir que tous ressentent le besoin de montrer qu'ils sont proches du milieu paysan, au point de donner au lecteur l'idée pour certains qu'ils en sont issus. Alphonse Despine raconte que les chansons populaires lui rappellent son enfance.

« [La chanson] est pour moi, comme le sont les vieux habits, bien mes-quine, bien usée...mais j'y retrouve mes années d'enfance, mes souvenirs s'éveillent et, disons-le, je retrouve là un vieil ami. »57

Jean Ritz tient le même discours pour les chansons qui concernent le tirage au sort du service militaire : il a entendu ses chansons qui montrent que tous redoutaient ce moment. Le cas de Julien Tiersot est beaucoup plus particulier car, non seulement il n'est pas issu du monde rural, mais en plus il n'est pas originaire de Savoie. Il explique qu'il découvre les chansons populaires de cette province en 1868, lorsqu'il se rend à une fête musicale présidée par Hector Berlioz et surtout que, lors de son service militaire en Savoie en 1889, il côtoie des personnes issues du milieu populaire montagnard qui chantent en travaillant. C'est ainsi qu'il note pour la première fois quelques chansons savoyardes.

56 On trouvera la liste complète des revues et la bibliographie des œuvres de Van Gennep dans Kitty VAN GENNEP, Bibliographie des œuvres d'Arnold Van Gennep, Paris, Éditions A. et J. Picard et Compagnie, 1964, 91 pages. 57 DESPINE Alphonse, « Recherches sur les poésies en dialecte savoyard », Revue Savoisienne, 1864-04BORNE Annaïg | Diplôme national de master | Mémoire de recherche | juin 2011 - 28 -

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Partie 2 : Les collectes de chansons en Savoie

2. HISTOIRE DES COLLECTES EN SAVOIE

Des collectes « accidentelles »

Alors que beaucoup de provinces se dotent d'un recueil de ses chansons populaires entre 1852 et 1880, il faut attendre Julien Tiersot et 1903 pour qu'un recueil de même envergure soit publiée en Savoie. Nous avons montré l'importance de l'enquête d'Hippolyte Fortoul pour le mouvement de collecte qui commence alors. Il est vrai qu'en 1852, la Savoie n'appartient pas à la France. On pourrait donc penser que cette province n'est pas concernée. Ce n'est pas le cas, les Instructions veulent faire un recueil de chansons francophones et pas de chansons uniquement françaises.

« On pourra s'adresser même à des populations qui n'appartiennent plus à la France, quand elles auront conservé des chants populaires qui remontent à une époque antérieure à leur séparation de la mère partie. Ainsi des chants savoyards devront faire partie du recueil. »58

Le cas de la Savoie est explicitement évoqué. Il se peut que le ministère de l'Instruction publique ait eu des difficultés pour trouver des correspondants dans une province qui ne lui appartenait pas. Par ailleurs, les Instructions imposent une limite chronologique surprenante : en demandant de recueillir des chansons que l'on chantait avant la séparation entre la France et la Savoie, elle annihile l'existence même de cette collecte. Il est impossible de trouver des chansons populaires datant du IXème siècle en français. Mais si la collecte ne s'est pas faite dans le cadre de l'enquête lancée par Fortoul, pourquoi des érudits n'ont-ils pas entrepris cette collecte à leur compte ? Il est vrai que la géographie de la Savoie complique la situation : il est plus compliqué de parcourir les Alpes que de se promener en Bretagne. Nous savons aujourd'hui, grâce aux collectes postérieures, que les savoyards regorgeaient de chansons populaires, aussi bien en français qu'en patois. La langue n'est pas un obstacle non plus. On ne peut que constater qu'il n'y a pas vraiment, avant l'annexion de la Savoie à la France, de collecte et de publication de chansons populaires savoyardes.

En 1845, Monseigneur Rendu, évêque d'Annecy, envoie aux curés une circulaire leur demandant, entre autres, des renseignements sur les usages et coutumes existantes dans leur paroisse. Si cette enquête ne se fait pas sans arrière-pensées idéologiques, elle a le mérite de fournir des informations sur plusieurs domaines de la vie quotidienne dans les milieux ruraux. Beaucoup de questions concernent logiquement la pratique religieuse, mais Monseigneur Rendu pose aussi des questions sur les jeux, les danses et les chants. Il convient de signaler que les réponses apportées ne sont pas toutes de la même qualité, certains curés répondant de manière très précise alors que d'autres montrent leur désaffection pour ce genre de chose59. Dans les lettres qui ont été retrouvées, seulement une mentionne une chanson, la « chanson de la Gironflette ». C'est le curé de Clermont qui l'envoie. Il note les paroles et la mélodie, et l'accompagne d'un commentaire révélateur de la pensée de tous les curés qui écrivent à Monseigneur Rendu.

« Le moindre de ces dangers est peut-être celui des chansons, qu'on gueule toute la journée, et qui, en elles-mêmes, pourroient être mauvaises, mais que, fort heureusement, on ne comprend pas, tant elles sont bizarre -

58 Instructions relatives aux poésies populaires de la France, décret du 13 septembre 1852, p. 359 Cette enquête a fait l'objet d'une publication dirigée par Roger DEVOS et Charles JOISTEN, Mœurs et coutumes de la Savoie du Nord au XIXème siècle : l'enquête de Mgr Rendu, Annecy, Académie Salésienne et Grenoble, Musée Dauphinois, 1978, 502 pages BORNE Annaïg | Diplôme national de master| Mémoire de recherche | juin 2011 - 29 -

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ment composées. Cependant il y a quelques-unes de de ces chansons qui ne sont que comiques et amusantes ; telle seroit la chanson de Gironflette, dont je vais donner ici un échantillon. »60

Le curé de Clermont nous dit que l'on chante beaucoup, il existe donc un répertoire. Cependant, il ne considère pas nécessaire de toutes les recueillir et décide donc de n'en envoyer qu'une seule, à titre d'illustration. Les réponses à la lettre de Monseigneur Rendu sont une mine d'informations pour qui s'intéresse aux circonstances dans lesquelles on chante en 1845. Elles nous renseignent sur le point de vue des curés sur ces chansons. Ils les voient d'un mauvais œil, ils ne les comprennent pas, et c'est pour ces raisons qu'ils ne jugent pas opportun de les recueillir. Dans une certaine mesure, cette collecte est fortuite, ce n'est pas ce qui intéresse Monseigneur Rendu.

C'est au sein des sociétés savantes que l'on prend conscience qu'il existe un matériau jusque-là non étudié. Les sociétés savantes sont intéressées par ces recherches, à l'image de l'Académie Impériale de Savoie qui, à l'occasion de la publication de chansons patoises recueillies par un abbé de Saint-Jean de Belleville, lance un appel.

« L'Académie remercie M. le curé Pont de son envoi et l'encourage à conti -nuer ses recherches. C'est une mine fort riche et encore inexploitée. Il se-rait à souhaiter que, dans toute la Savoie, on recueillit, pour les sauver, ces curieux vestiges de langue et de poésies qui disparaissent. On pourrait même, comme l'on fait M. de la Villemarqué pour la Bretagne ou M. Bouillet pour l'Auvergne, noter les airs de ces chansons rustiques. »61

Il s'agit de la première mention de chansons populaires au sein d'une société savante. Cet appel est intéressant car il nous renseigne sur plusieurs points. Tout d'abord, il nous confirme que rien, avant, n'a été fait pour recueillir ses chansons. Ensuite, et c'est très intéressant, il nous apprend que les érudits ont connaissance des travaux réalisés dans les autres provinces françaises et souhaitent qu'un travail de même envergure soit réalisé en Savoie. Enfin, cette collecte est motivée par le souhait de sauver ce qui peut encore l'être. Certes, n'est pas publié de recueil de grande envergure avant celui de Julien Tiersot, mais Alphonse Despine, notable d'Annecy, fait une recherche sur les poésies en dialecte savoyard62. Bien qu'il ne publie pas les mélodies, il s'agit bien de chansons, classées en diverses catégories et toutes sont en patois. Il ne traduit pas le patois, à la différence de ce qu'ont fait Théodore Hersart de la Villemarqué ou Edmond de Coussemaker, et les textes sont assortis de commentaires au sujet de la langue et des textes. La limite du travail d'Alphonse Despine est qu'il n'a comme source que des écrits, que ce soit des chansons collectés par d'autres que lui ou des manuscrits. Il n'a jamais entendu chanter les chansons qu'il publie. En 1878, Aimé Constantin, philologue annécien, publie, dans le cadre de ses recherches sur le patois, une série de chansons sous le titre « La Muse Savoisienne ou recueil de chansons anciennes et modernes, avec musique, traduction littérale, notes historiques, biographiques, philologiques et notice sur le système orthographique »63. Comme l'indique le titre, les chansons sont ici une source permettant d'étudier le patois. Elles ne présentent pas pour Aimé Constantin un intérêt en elle-même, bien qu'il publie les mélodies. Par ailleurs, Aimé Constantin ne publie que des chansons « populaires » comme 60 Roger DEVOS et Charles JOISTEN, Mœurs et coutumes de la Savoie du Nord au XIXème siècle : l'enquête de Monseigneur Rendu, Annecy, Académie Salésienne et Grenoble, Musée Dauphinois, 1978, p. 160 61 Mémoires de l'Académie impériale de Savoie, 1885, tome V, p. LV62 Alphonse DESPINE, « Recherches sur les poésies en dialecte savoyard », Revue Savoisienne, 1864-187063 Paris, F. Vieweg, Annecy, Librairies Burnod et Lhoste, Chambéry, Librairie André Perrin, 1878, 20 pagesBORNE Annaïg | Diplôme national de master | Mémoire de recherche | juin 2011 - 30 -

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l'entendent les collecteurs des autres provinces, c'est-à-dire des chansons que le « peuple » s'est appropriées et dont on ne connaît ni l'auteur ni l'origine. M. Constantin publie des chansons de Joseph Liard qui a écrit des chansons en patois savoyard. Ce qui prime pour Aimé Constantin, ce sont les renseignements que les chansons fournissent sur le patois.

Durant les dernières décennies du XIXème siècle, des érudits écrivent aux sociétés savantes pour les encourager à recueillir des chansons populaires. A sa fondation, en 1882, la Société d’Étude des Hautes-Alpes annonce qu'un de ses objectifs est l'étude des différents patois encore parlés et que, dans ce cadre, il peut être opportun de recueillir des chansons et de manière plus générale tout ce qui relève de la littérature orale. Charles Damas, dans le Bulletin de cette société, nous apprend qu'il a existé à Gap une Commission des Chants populaires des Hautes-Alpes et fait part de son souhait que des recherches soient poursuivies dans ce domaine64. Cette proposition n'est pas suivie de recherches concrètes au sein de la Société d’Étude des Hautes-Alpes. Elle ne publie pas de chansons populaires ni d'études dans son bulletin. La société savante qui fait une grande place aux chansons populaires est la Revue Savoisienne publiée par la Société Florimontane. Les folkloristes prennent une place importante au sein de cette revue à partir des années 1880. Jean Fleury publie un texte intitulé « Le Folklore »65, adressé au directeur de la Revue Savoisienne. Dans ce texte, il regrette que la Savoie soit laissée à l'écart de la recherche folklorique. La direction de la Revue prend le soin d'ajouter une note expliquant ce qu'est le folklore et quelles en sont les sociétés les plus fameuses. Cela indique la méconnaissance des intellectuels actifs dans la Société Florimontane quant au folklore. Jean Fleury évoque dès le début de son texte les chansons. Il note que seulement des chansons à caractère religieux ont été recueillies, et suppose qu'il doit aussi exister des chansons profanes. Il dit même comment mener la collecte, en allant dans les villages chercher des vieilles femmes surtout qui conservent dans leur mémoire des chansons de leur jeunesse. Il semble que ce texte est suivi de peu d'effets en ce qui concerne les chansons. Cependant, la table des matières de la Revue Savoisienne intègre une section « Folklore ».

L'importance de la collecte de Julien Tiersot

En 1895, le ministre de l'Instruction publique envoie un courrier aux préfets de Savoie, Haute-Savoie, Drôme, Isère, Hautes-Alpes et Basses-Alpes leur demandant d'aider Julien Tiersot, qui a reçu une bourse de l’État pour recueillir les chansons de cette région.

« J'ai l'honneur de vous annoncer que M. Julien Tiersot (…) se propose de parcourir les Communes de votre département en vue de recueillir et pu-blier les vieilles chansons et les traditions populaires. (…) J'apprécie l'inté -rêt de ces recherches et M. Tiersot, connu d'ailleurs par des travaux esti-més nouveaux sur cette matière, m'est désigné par des hautes autorités scientifiques et par des traditionnistes distingués comme possédant toutes les qualités désirables pour rapporter de son voyage des résultats excel-lents. »66

Julien Tiersot n'est pas le premier à bénéficier en France d'une aide pour collecter des chansons. Il profite d'une certaine manière du fait qu'il n'y ait pas 64 Charles DAMAS, « Chant et musique populaire », Bulletin de la Société d'étude des Hautes-Alpes, 1883, p. 10365 Jean FLEURY, « Le Folklore », Revue Savoisienne, 1885, p. 192-19966 Julien TIERSOT, Chansons populaires recueillis dans les Alpes françaises (Savoie et Dauphiné), Grenoble, H. Falque et F. Perrin et Moutiers, F. Ducloz, p. IIBORNE Annaïg | Diplôme national de master| Mémoire de recherche | juin 2011 - 31 -

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encore eu de collecte de grande ampleur en Savoie pour solliciter le ministère de l'Instruction publique. Julien Tiersot souhaite remédier à l'absence de recueils de chansons populaires dans cette province. Il inscrit sa démarche dans un cadre plus national : il fait ce recueil non seulement pour sauver les chansons savoyardes, mais aussi pour participer au mouvement national de collecte et « aider à compléter le tableau d'ensemble »67. Il veut faire un recueil à l'image de ceux faits pour la Normandie, la Bretagne, la Vendée ou encore le Poitou. La collecte de Julien Tiersot commence en 1895, et se poursuit tous les étés jusqu'à 1899. Comme le ministre l'a demandé, les préfets apportent leur soutien à Julien Tiersot. Ils lui présentent des musiciens et des intellectuels locaux. C'est ainsi qu'il rencontre Jean Ritz, musicien annécien. Pour l'aider dans sa tâche, Jean Ritz recueille des chansons recueillies autour d'Annecy et motive les instituteurs et ses connaissances. En 1895, Jean Ritz publie le résultat de ses recherches faites à la demande de Julien Tiersot dans la Revue Savoisienne68. Julien Tiersot, dans le rapport qu'il envoie au ministre de l'Instruction publique, reproche à demi-mot l'impatience de Jean Ritz à publier les chansons sans les lui avoir communiquées. Cela marque le début d'une dispute entre les deux musiciens. Dans la troisième édition de son recueil, Jean Ritz se défend des accusations de Julien Tiersot dans un appendice et émet des critiques sur la façon dont Julien Tiersot présente certaines chansons. Il lui reproche notamment de présenter comme savoyardes des chansons qui ne le sont pas du tout. Jean Ritz profite de cette critique pour légitimer son propre travail.

Outre ses critiques faites a posteriori par Jean Ritz, l'ouvrage de Julien Tiersot publié en 1903 obtient la reconnaissance de ses pairs. L'Académie delphinale de Grenoble apporte son soutien à Julien Tiersot en organisant une conférence le 25 février 1901. Le programme de la soirée est constitué d'une conférence de Julien Tiersot au sujet de la chanson populaire en France, d'un concert portant le nom « Les chansons populaires des provinces de France » à partir d'airs recueillis par Julien Tiersot, et interprétés par lui-même et par une cantatrice, Éléonore Blanc. L'Académie delphinale soutient ce projet à la fois car il concerne l'histoire de la région, ce qui correspond aux champs d'étude de l'Académie delphinale, et car la réputation de Julien Tiersot donne du crédit à son travail. Paul Sébillot fait la critique de Chansons populaires recueillies dans les Alpes françaises dans la Revue des Traditions Populaires. Il rend hommage à Julien Tiersot car il complète la panorama national des chansons populaires. C'est, pour Paul Sébillot, un « excellent livre », « l'un des recueils les plus importants qui existent »69. Il faut savoir que Paul Sébillot et Julien Tiersot font partie des mêmes cercles, tous les deux faisant partie de la Société des Traditions Populaires. Il fait des émules en Haute-Savoie. Denis Laborde explique dans l'édition à titre posthume d'une partie des collectes de Claudius Servettaz 70 que celui-ci est entré en contact avec Tiersot. Il lui envoie une vingtaine de transcriptions de chansons savoyardes. En 1899, Julien Tiersot envoie à Servettaz une exemplaire du livre de Vincent d'Indy sur les chansons du Vivarais et du Vercors. C'est à partir de ce moment que Claudius Servettaz commence ses collectes en s'inspirant de la méthode de Tiersot et en lui rendant hommage dans ses publications. Il classe les chansons de la même façon que Julien Tiersot. Ni Jean Ritz ni Claudius Servettaz ne recueillent autant de chansons que Julien Tiersot. Leurs recherches sont plus localisées. A partir des années 1910, l'ethnographe Arnold Van Gennep s'intéresse aux chansons populaires, il en

67 Julien TIERSOT, Chansons populaires recueillis dans les Alpes françaises (Savoie et Dauphiné), Grenoble, H. Falque et F. Perrin et Moutiers, F. Ducloz, p. V68 Jean RITZ, « Les chansons populaires de la Haute-Savoie », Revue Savoisienne, 1895-189769 Paul Sébillot, « Julien TIERSOT. Chansons populaires recueillies dans les Alpes françaises (Savoie et Dauphiné) », Revue des Traditions Populaires, 1903-06, p. 29170 Claudius SERVETTAZ, Vieilles Chansons savoyardes : les chansons du soldat, Grenoble, Centre Alpin et Rhodanien d'Ethnologie, 1997, 140 pagesBORNE Annaïg | Diplôme national de master | Mémoire de recherche | juin 2011 - 32 -

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publie dans ses chroniques de folklore dans le Mercure de France. Il ne reproduit pas la musique, mais uniquement les paroles. La nouveauté est qu'Arnold Van Gennep utilise les recueils de ses prédécesseurs comme des sources qu'il critique et complète. Par exemple, dans sa chronique du 1er septembre 1910 dans le Mercure de France71, il publie des chansons recueillies dans un village où Julien Tiersot a lui aussi collecté des chansons, mais après avoir comparé les deux collectes, il souligne avec satisfaction qu'elles se complètent. A chaque fois qu'on lui chante une chanson, il regarde si elle n'a pas déjà été collectée par quelqu'un d'autre ou bien s'il n'y a pas des versions qui lui ressembleraient.

Comme l'enquête d'Hippolyte Fortoul avait lancé en 1852 la collecte de chansons à l'échelle nationale, la mission de Julien Tiersot donne naissance a une communauté de pensée ayant pour centre d'intérêt la chanson populaire. En plus des noms mentionnés ci-dessus, des membres de sociétés savantes s'y intéressent de façon anecdotique. Ils peuvent s'appuyer sur des personnes qui ont fait de la chanson populaire leur spécialité. Au sein de la Société Florimontane, Jean Ritz et Claudius Servettaz ne publient que des articles ayant trait aux chansons populaires. Grâce à Julien Tiersot, la Savoie et le Dauphiné possèdent en 1903 leur monument dédié à la chanson populaire.

3. DE LA COLLECTE À LA PUBLICATION

Entre 1895 et 1910 sont publiés les trois recueils qui font date dans l'histoire des collectes de chansons populaires en Savoie et surtout qui intègrent le panthéon des recueils des chants populaires français. Comment Jean Ritz, Julien Tiersot et Claudius Servettaz recueillent-ils et publient-ils leurs recherches ?

Comment se fait la collecte ?

Dans leurs préfaces, les collecteurs font part de la manière dont ils s'y sont pris pour recueillir les chansons. Tous procèdent à peu près de la même façon. Julien Tiersot et Jean Ritz utilisent à la fois des sources écrites et les chansons recueillies oralement. Il existe des cahiers manuscrits de chansons tenus par des paysans au début du XIXème siècle. Julien Tiersot en retrouve quelques-uns et se lance dans leur étude. Il montre que les sources écrites et orales sont complémentaires. En effet, les personnes qui tenaient ces cahiers ne connaissaient pas le solfège et n'écrivaient donc que les paroles des chansons. Julien Tiersot recueille les chansons presque uniquement auprès de personnes âgées qui chantaient ces chansons dans leur jeunesse et n'en retrouvent donc parfois que des bribes. Il prend l'initiative, comme Claudius Servettaz après lui, d'apporter les cahiers de chansons aux chanteurs pour les aider à retrouver la mémoire. Ainsi, ces deux types de source se servent l'un et l'autre. Julien Tiersot étudie également les travaux faits par ses prédécesseurs. Il prend connaissance notamment des recherches d'Aimé Constantin et d'Alphonse Despine qu'il utilise pour son ouvrage. Toutefois, c'est la collecte directe qui a sa préférence et il en fait la défense.

« Une telle étude n'est-elle pas aussi féconde que celle qui prétend s'en te-nir exclusivement aux vieux bouquins ? »72

71 Les chroniques de folklore ont, entre autres, fait l'objet d'une publication préfacée par Jean-Marie PRIVAT, Chroniques de folklore d'Arnold Van Gennep : recueil de textes parus dans le Mercure de France 1905-1949, Paris, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, 2001, 564 pages72 Julien TIERSOT, Chansons populaires recueillis dans les Alpes françaises (Savoie et Dauphiné), Grenoble, H. Falque et F. Perrin et Moutiers, F. Ducloz, p. jvBORNE Annaïg | Diplôme national de master| Mémoire de recherche | juin 2011 - 33 -

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Cette remarque qui affirme la légitimité de la collecte orale directe est étonnante en 1903 car les collecteurs y ont déjà recours pour leur recueil. Peut-être que Tiersot s'adresse à ses confrères folkloristes, installés à Paris, qui n'ont pas l'habitude d'aller sur le terrain et qui font preuve de dédain pour les chansons populaires. Claudius Servettaz compare la collecte de chansons populaires à la botanique : le collecteur est, comme le botanise, à la recherche d'une jolie plante, de la fleur rare. Il doit battre la campagne comme les botanistes pour trouver ces œuvres disséminées dans les villages alpins, et comme le botaniste la découverte d'une perle rare, que ce soit un chanteur ou une chanson, lui apporte une grande satisfaction. Le collecteur est aussi un collectionneur, et comme tout collectionneur, il prend plaisir à enrichir sa collection.

Si les collectes orales de chansons offrent plus de ressources, elles présentent également plus d'obstacles que l'étude de sources écrites. Les collecteurs nous font part de toutes les difficultés auxquelles ils font face. Jean Ritz et Claudius Servettaz font ces collectes en amateur, ils n'ont donc comme temps disponible que ceux que leur offre leur temps libre. Ce temps libre peut ne pas coïncider avec le temps libre des personnes collectées. Quant à Julien Tiersot, il étale le ses recherches sur quatre étés, période de l'année où les paysans sont le plus occupés. Ce problème du temps disponible est renforcé par l'impression qu'ont les collecteurs d'être seuls et isolés. Claudius Servettaz regrette qu'il ait eu peu de soutien des autres musiciens locaux, les directeurs de fanfare n'étant pas intéressés par les chansons populaires. Seul Henri Crétin, directeur de l'école de musique municipale d'Annecy, apporte à M. Servettaz sa collaboration. Julien Tiersot dresse le même constat. Malgré l'appui que les préfets des départements lui apportent, la majorité des musiciens professionnels ne sont pas intéressés.

« Sauf de très rares exceptions, je n'ai trouvé aucun concours efficace par-mi les habitants des villes, tout particulièrement chez les musiciens profes -sionnels : ceux-ci ignorent tout ce qui a trait aux traditions populaires des pays au sein desquels ils vivent, et même je soupçonne qu'ils professent au fond du cœur, à leur égard, le plus parfait dédain. »73

Les instituteurs manifestent plus d'enthousiasme, mais ils ne sont pas tous compétents en musique. C'est pourquoi tous doivent se rendre directement dans les villages pour collecter les chansons. La découverte d'un foyer de chansons populaires est en grande partie due au hasard. Il n'y a pas de méthode scientifique qui permette de recueillir de façon exhaustive toutes les chansons populaires. Julien Tiersot évoque sa collecte à Chamonix. La première fois qu'il s'y rend, on lui indique des chanteurs réputés, mais ceux-ci lui affirment qu'on ne chante plus. Il pense alors qu'il n'y a rien à recueillir à cet endroit, mais au gré d'une rencontre il fait la découverte de chanteurs. Il y a donc une grande part de hasard dans la collecte de chansons populaires. Les collecteurs essaient de lutter contre cette dimension aléatoire en définissant une zone géographique précise et en l'explorant totalement. Une fois qu'un vivier de chanteurs a été trouvé, il faut faire chanter les gens, ce qui n'est pas tâche aisée non plus. Les paysans sont méfiants à l'égard de personnes qui ne viennent pas du même milieu qu'eux et qui leur demandent des chansons qu'ils n'ont plus l'habitude de chansons. Tous les collecteurs, d'Alphonse Despine à Arnold Van Gennep, disent que les paysans pensent qu'ils sont venus se moquer d'eux car ils leur demandent de chanter des chansons qu'eux mêmes méprisent. En 1910, Arnold Van Gennep donne l'exemple d'un vieillard qui connaissait beaucoup de chansons mais qui n'a jamais accepté de répéter les chansons qu'il faisait écouter à Arnold Van Gennep74. C'est pourquoi les collecteurs doivent trouver toute sorte de techniques pour faire chanter, pour « inspirer confiance » à leurs 73 Julien TIERSOT, Chansons populaires recueillis dans les Alpes françaises (Savoie et Dauphiné), Grenoble, H. Falque et F. Perrin et Moutiers, F. Ducloz, p. IXBORNE Annaïg | Diplôme national de master | Mémoire de recherche | juin 2011 - 34 -

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informateurs. Claudius Servettaz affirme qu'une des qualités nécessaires au collecteur est la patience, il faut beaucoup discuter pour pouvoir entendre quelques chansons. Il ment aussi en avant le pouvoir. Quand il explique qu'il recueille des chansons pour les publier, son propos suscite un intérêt plus grand, comme si le fait que la publication des chansons créait leur intérêt. Le collecteur doit prouver qu'il n'est pas là pour se moquer. Pour ce faire, il peut commencer lui-même par chanter, ce que fait Claudius Servettaz. Une chanson en amenant une autre, cette technique permet de faire revenir à la mémoire des informateurs un répertoire oublié. Claudius Servettaz raconte aussi qu'il y a certains chants que l'on ne peut collecter qu'en se rendant dans les alpages. C'est le cas des chansons qui accompagnent le travail. Elles sont tellement liées à l'action qui les accompagne que les entendre dans un autre contexte leur ferait perdre tous leur charme. Le collecteur doit se fondre dans le paysage, il doit se faire oublier. Il faut aussi renoncer à l'idée qu'une seule personne puisse faire une collecte exhaustive, même si tous ont cette ambition. Tous font face à cette contradiction : ils souhaitent recueillir toutes les chansons qui existent, tout en ayant conscience que la collecte dépend des personnes que l'on rencontre, du moment où on les rencontre, des lieux où l'on va. C'est sans doute une des raisons pour lesquelles leurs recherchent durent plusieurs années. Julien Tiersot se rend dans les Alpes tous les étés de 1895 à 1899, Jean Ritz publie des chansons dans la Revue Savoisienne entre 1895 et 1897, et Claudius Servettaz de 1908 et 1910. De leur vivant, ils rééditent plusieurs fois leurs ouvrages. Claudius Servettaz avaient le projet de faire des suites à son recueil, mais il n'en a pas eu le temps.

Les préfaces des ouvrages sont une forme de carnets de voyage : les collecteurs décrivent les endroits où ils vont, ils font part d'anecdotes, ils évoquent leurs informateurs. Si les préfaces ont un caractère divertissant grâce à ces petites histoires, elles contiennent également des réflexions autour de la pratique du folkloriste et de ce qu'est la chanson populaire. Comme les autres collecteurs en France, ils ne s'intéressent qu'à la chanson populaire en milieu rural. Claudius Servettaz insiste sur le fait que la chanson populaire se transmet de père en fils par la tradition orale. Mais ils ne partagent pas le même point de vue quant à l'origine de ces chansons. Nous avons vu que Julien Tiersot pense qu'elles n'ont pas d'auteur connu, qu'elles sont le résultat d'une création collective. Claudius Servettaz ne partage pas cette opinion. Il est convaincu au contraire que les chansons populaires ont un auteur, mais qu'on ne le connaît pas.

« S'il y a une œuvre de transformation collective, il n'y a pas de création collective. La chanson populaire a donc bien un auteur – lettré, demi-lettré, paysan – mais son nom n'est pas conservé, précisément à cause de la transmission orale. »75

Ce qui définit une chanson populaire selon Servettaz, c'est la façon dont elle se transmet. Il s'affranchit de la question de l'origine des chansons populaires en s'intéressant à leur pratique. Sa seule condition est que l'auteur ne soit pas connu : il faut que la transmission orale soit si ancienne que l'on a perdu le nom de l'auteur. C'est pourquoi Claudius Servettaz, tout comme Julien Tiersot et Jean Ritz, ne collectent pas les chansons dont on connaît l'auteur. Les collecteurs, après avoir fréquentés pendant plusieurs années les chansons populaires, sont en mesure de donner des critères permettant de reconnaître une chanson populaire. Tous notent le caractère « naïf » et « rustique » des chansons 74 Arnold VAN GENNEP, « Légendes, chansons, jeux, coutumes et croyances de la Haute-Savoie, chronique du 1er septembre 1910 », publiée dans Jean-Marie PRIVAT, Chroniques de folklore d'Arnold Van Gennep : recueil de textes parus dans le Mercure de France 1905-1949, Paris, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, 2001, p. 40975 Claudius SERVETTAZ, Vieilles chansons savoyardes II : les chansons du soldat, Grenoble, Centre Alpin et Rhodanien d'Ethnologie, 1997, p. 23BORNE Annaïg | Diplôme national de master| Mémoire de recherche | juin 2011 - 35 -

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populaires. Les critères permettant de définir une chanson populaire sont les suivants :

« Caractères du texte (naïveté du texte, spontanéité de l'action, sincérité de l'expression, rusticité de la langue), caractères mélodiques (absence de division en couplet et refrain, simplicité de la ligne, accent dolent,... »76

Le problème de cette définition est qu'elle allie des critères objectifs et d'autres subjectifs. L'absence de division en couplet et en refrain ne pose pas de problèmes, mais comment savoir ce qu'est objectivement la « naïveté du texte » ou « l'accent dolent » ? Ces recueils s'appuient sur une approche scientifique assez fragile. La collecte dépend en grande partie de la personne qui collecte. Le collecteur est un habitué. C'est quelqu'un qui s'est familiarisé avec les études menées auparavant. Julien Tiersot, avant de commencer sa collecte dans les Alpes, étudie longuement les collectes antérieures (celle d'Alphonse Despine notamment) et les textes théoriques. Claudius Servettaz en fait de même, il lit attentivement le livre de Julien Tiersot. Ce qu'ils affirment, c'est que c'est en collectant que l'on devient collecteur. Claudius Servettaz parle de « flair », reconnaissant qu'il est difficile de donner des caractères distinctifs précis. Les collecteurs contournent donc cette difficulté épistémologique en mettant en avant leur expérience.

Publier les chansons

De l'oral à l'écrit

Les chansons collectées sont, comme nous l'avons déjà dit, transmises par la tradition orale. Elles n'ont jamais été écrites, si ce n'est dans des cahiers qui ne servaient que d'aide-mémoire et appartenaient à ceux qui connaissaient déjà les chansons. A la fin du XIXème siècle, des notables se rendent dans les campagnes pour noter des chansons dans le but de les diffuser à un milieu qui ne les connaît pas non plus. L'écrit n'a plus valeur de souvenir mais bien de transmission, voire de transfert, d'un milieu social et culturel à un autre. Les recueils sont destinés à un public d'artistes et de savants, qui savent lire la musique. On ne les fait pas pour les donner à ceux qui ont livrés ces chansons. Se posent donc un certain nombre de questions quant à la façon de transcrire des chansons qui ne l'ont jamais été. Comme tous l'expliquent, la façon de chanter peut varier d'un couplet à l'autre. Tous affirment que la variante est le propre de la chanson populaire. La première difficulté consiste à noter les différentes variantes. Il faut prendre le temps de faire répéter à l'informateur la chanson. Claudius Servettaz remarque que le système de notation de la musique classique pose problème car il ne permet pas de représenter toutes les subtilités des chanteurs. En effet, il faut être capable de représenter les nuances, les inflexions. Quand ils ne parviennent pas à le noter dans la partition, ils assortissent la publication de commentaires sur la façon de chanter, les différentes variantes entendues. Par ailleurs, il arrive qu'il y ait des lacunes dans les paroles, en dépit de l'aide qu'apportent les cahiers de chansons. C'est pourquoi, afin d'offrir au public une version complète, il faut collecter beaucoup afin de trouver plusieurs versions, de faire des rapprochements. L'attitude des collecteurs diffère en ce point. Claudius Servettaz assure n'avoir à aucun moment utilisé les paroles d'une version d'une chanson pour compléter une autre version à laquelle il manquait des paroles. Il explique qu'il refuse la compilation de différentes versions d'une même chanson. Il choisit ce qu'il 76 Claudius SERVETTAZ, Vieilles chansons savoyardes II : les chansons du soldat », Grenoble, Centre Alpin et Rhodanien d'Ethnologie, 1997, p. 24BORNE Annaïg | Diplôme national de master | Mémoire de recherche | juin 2011 - 36 -

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Partie 2 : Les collectes de chansons en Savoie

considère être la meilleure version (la plus complète, la plus représentative, là aussi se pose le problème de la subjectivité de l'auteur) et indique, s'il y a lieu, les variantes qu'il a découvertes. Jean Ritz ne dit pas qu'elle est sa position à ce sujet. Il publie aussi un texte complet et indique des variantes, sans dire s'il a découvert des chansons complètes ou s'il a compilé plusieurs versions pour en faire une. Julien Tiersot, quant à lui, assume très bien le fait d'avoir combiné plusieurs versions de chansons afin d'élaborer ce qu'il appelle un « texte critique ». Il justifie ce procédé en disant qu'il ne s'agit pas d'une correction arbitraire des chansons : rien n'a été inventé puisque tout vient de textes recueillis dont il mentionne l'origine. Ce parti-pris lui sera reproché par certains. La publication des chansons exige donc des choix : choix de la façon dont on transcrit la musique, choix de la version que l'on propose, choix des versions que l'on indique dans les commentaires. Par ailleurs, les collecteurs refusent de publier certaines chansons en raison de leur grivoiserie. Alphonse Despine prend en 1864 le parti de ne pas publier des chansons d'amour grivoises.

« Le premier de ces deux sujets [les amours de jeunesse] ne fut pas tou-jours traité avec un marivaudage réservé et délicat : les mots grossiers et parfois aussi le libertinage de la pensée se donnent pleine carrière. On me pardonnera donc de ne point publier toutes les poésies qui essayèrent de voguer vers la terre des amours. »77

Jean Ritz indique lui aussi qu'il ne publie que des chansons suffisamment honnêtes pour ne pas braver la morale. Georges Delarue montre à l'occasion de la critique d'un livre78 que la chanson populaire érotique a longtemps été mise à l'écart, à la fois dans les recueils « généraux », à l'image de ceux de Jean Ritz, Claudius Servettaz et Julien Tiersot, mais surtout dans des publications qui lui seraient entièrement dédiées, puisque ce n'est qu'en 1978 que sont publiés des chansons, dans le cadre d'une thèse universitaire79.

De l'article au recueil

La publication du corpus choisi se fait de deux façons différentes. Alphonse Despine, Jean Ritz et Claudius Servettaz adressent dans un premier temps leurs travaux à la Société Florimontane qui les publient en plusieurs fois. Alphonse Despine ne publiera pas de recueil de ses « Recherches sur les poésies en dialecte savoyard », mais Jean Ritz et Claudius Servettaz le font. La publication en articles permet d'intéresser un public savant qui n'est pas forcément intéressé. Ils trouvent ainsi des lecteurs et suscitent l'intérêt de certains. Il y a plus de chansons dans les livres que dans les articles. Jean Ritz présente 3 chansons en 1895, 31 en 1896, 13 en 1897 et 15 en 1898, ce qui fait 62 chansons. Dans son recueil, il en publie 101. Claudius Servettaz publie 56 chansons entre 1908 et 1910 et son recueil, en 1910 en contient 146. Le fait qu'il publie la même année ses derniers articles dans la Revue Savoisienne et son recueil est la preuve qu'il a une stratégie de publication. A partir du modèle du roman feuilleton, il présente au lecteur de la Revue Savoisienne un échantillon de ses recherches, qui le fait connaître et propose ensuite une version plus complète de son travail. Il faut savoir que Claudius Servettaz édite lui-même son recueil, ce qui lui coûte beaucoup d'argent, et c'est sans doute la raison pour laquelle il ne pourra pas publier la suite qu'il avait prévue. Le recueil contient évidemment plus de chansons, mais aussi plus de versions d'une 77 Alphonse DESPINE, « Recherches sur les poésies en dialecte savoyard », Revue Savoisienne, 1865-07, p.5678 Georges DELARUE, « La chansons érotique française : libres propos à partir d'une publication récente », Chants et danses de tradition, Le Monde alpin et rhodanien, 1984, n°12, p. 223-22579 Il s'agit de Théo STAUB, L'Enfer érotique de la chanson folklorique française, Paris Éditions d'aujourd'hui, 1981, 2 tomes, 224 et 343 pagesBORNE Annaïg | Diplôme national de master| Mémoire de recherche | juin 2011 - 37 -

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chanson déjà publiée dans la Revue Savoisienne. Par exemple, la version de « La Bocagère » publié en 1909 en une seule version est assortie d'une seconde version dans Chants et chansons de la Savoie. Julien Tiersot publie directement le résultat de ses recherches dans un livre, puisqu'il a reçu une bourse pour faire une publication.

Si l'on publie les chansons, il faut les classer. Julien Tiersot divise son livre en onze chapitres correspondant à une catégorie de chansons. Il s'inspire de la classification proposée en 1852. Certaines catégories se recoupent également. Il en est ainsi « chansons satiriques » ou des « chansons de conscrits et de soldats ». La classification de Julien Tiersot est plus synthétique que celle proposée par le Comité de la langue, de l'histoire et des arts. Alors que les Instructions répartissaient les chansons relatives au travail dans trois catégories différentes, en fonction de l'activité, Julien Tiersot ne fait qu'une catégorie, le chapitre IX, intitulée « Les chansons de travail ». Il faut dire qu'à la différence des Instructions, Julien Tiersot dispose déjà de son corpus de chansons au moment où il les classe. Les membres du comité, en 1852, n'avait que quelques chansons et ne savaient pas ce qu'allaient trouver les correspondants. Par ailleurs, la définition de la chanson populaire a changé, c'est pourquoi Julien Tiersot ne consacre pas de chapitres aux chansons religieuses, alors qu'elles figurent au premier plan des Instructions. Ce n'est que dans son recueil de 1899 que Jean Ritz propose une organisation des chansons populaires. Dans ses articles pour la Revue Savoisienne, les catégories ne sont pas annoncées, même si l'on devine que l'ordre est voulu. Il est possible de deviner des catégories qui ne sont pas exprimées : il regroupe les chansons d'amour, les chansons de conscrits, les chansons de bergère, etc. En 1899, les chansons ne sont pas classés, mais la troisième édition, en 1910, propose une classification des chansons qui doit beaucoup à celle de Julien Tiersot80. Ayant collecté moins de chansons, il ne divise pas son livre en onze chapitres mais en six, et les quatre premières portent le même nom. Enfin, Claudius Servettaz annonce dans sa préface qu'il adopte le même plan que Julien Tiersot. Il est difficile de comparer étant donné que Claudius Servettaz pensait publier plusieurs tomes. Le premier tome, seul publié de son vivant, contient des « Chansons de moisson », des « Chansons de bergère » et des « Chansons d'amour ». Il semble être plus distant de Julien Tiersot que ce qu'il dit. Certes, les catégories que propose Claudius Servettaz correspondent à des catégories choisies par Julien Tiersot, mais ils ne les présentent pas dans le même ordre. Sans doute les volumes suivants nous auraient plus précisément éclairés sur le projet de Claudius Servettaz. En somme, les trois classements proposés se ressemblent. Jean Ritz, Julien Tiersot et Claudius Servettaz pensent à ceux qui utiliseront leurs ouvrages. Ils savent qu'ils vont faire l'objet de débats, de réflexions, et espèrent contribuer à l'élaboration d'une étude globale sur la chanson traditionnelle en France. Claudius Servettaz explique s'être inspiré de la division en chapitres de Julien Tiersot car « l'unité des cadres [facilite] les rapprochements »81. C'est ce à quoi ils pensent tous. Il s'agit de comparer les travaux effectués en Savoie et dans toute la France.

80 Les table des matières des recueils, correspondants aux classements de chaque collecteur, sont reproduits en annexe. 81 Claudius SERVETTAZ, Vieilles chansons savoyardes II : les chansons du soldat », Grenoble, Centre Alpin et Rhodanien d'Ethnologie, 1997, p. 22BORNE Annaïg | Diplôme national de master | Mémoire de recherche | juin 2011 - 38 -

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Partie 2 : Les collectes de chansons en Savoie

CONCLUSION

L'étude des collectes en Savoie offre un bel exemple de la manière dont s'organise, à l'échelle locale, un réseau de collecteurs et une série de collectes. Même si ce mouvement est tardif par rapport aux autres provinces françaises, nous retrouvons ici des profils différents : les philologues s'intéressent aux chansons populaires car elles les renseignent sur le patois, les musiciens s'emparent également de cet objet et apportent leur connaissance. Les travaux des philologues et des musiciens se complètent. Ce que nous apprend le cas de la Savoie, c'est l'intérêt que montrent les sociétés savantes. Elles encouragent les collectes de chansons populaires et ouvrent leurs revues à ceux qui souhaitent en publier. Cependant, si les institutions considèrent que c'est un objet intéressant, il n'en est pas autant des hommes. En effet, c'est sans conteste l'arrivée de Julien Tiersot dans les Alpes qui favorise l'essor d'un mouvement de collectes. La recherche de chansons repose en grande partie sur la volonté d'individualités motivées, parfois isolées dans leur recherche. Les collecteurs sont convaincus de la nécessité des collectes de chansons populaires et de l'urgence qu'il y a à réaliser ce travail.

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Partie 3 : Les enjeux des collectes et des publications

Ce n'est pas un hasard si les collectes se font à la fin du XIXème siècle, à un moment où le monde rural connaît des changements et que le rapport entre la culture urbaine et la culture rurale se redessine. Les collecteurs assistent à ces changements et ressentent le besoin de sauver ce monde qui disparaît. Les chansons en sont une manifestation, tout comme le patois et les mœurs que font connaître les chants populaires.

1. GARDER DES TRACES D'UN MONDE EN DISPARITION

Monde rural contre milieu urbain

A la fin du XIXème siècle, les savants ont le sentiment que la campagne est en voie de disparation au profit de la ville. Le mode de vie rural s'efface peu à peu. Ils sont inquiets de voir disparaître toutes les coutumes paysannes. Julien Tiersot dresse ce constat.

« A vrai dire, on ne saurait trop répéter le cri d'alarme poussé depuis long-temps par ceux qui ont à cœur de sauver de l'oubli les vestiges de ces an-tiques manifestations de notre esprit national, car ils disparaissent de jour en jour, et je ne crois pas être prophète de malheur en présidant que la gé-nération qui naît actuellement n'en connaîtra plus rien. »82

C'est donc convaincu que cette mission est urgente que les collecteurs partent recueillir ce qui reste des chansons populaires. Si le mode de vie rural et avec lui les chansons populaires disparaissent, c'est parce que la ville est en train de contaminer les mœurs paysannes. Les gens ne chantent plus durant les veillées mais se rendent dans les cabarets ou les cafés-concerts. Chanteurs dans leur village, ils deviennent des spectateurs. C'est la perception qu'ont les collecteurs de chansons quand ils se rendent dans les campagnes, et ils espèrent ne pas être arrivés trop tard. Ils sont convaincus que beaucoup de chansons sont déjà tombées dans l'oubli. Dans quelle mesure et pourquoi le mode de vie à la campagne change-t-il ? Maurice Agulhon83 a montré qu'entre 1852 et 1880, le niveau de vie de la paysannerie s'est amélioré grâce à des progrès techniques permettant une augmentation de la production alimentaire. En même temps, les campagnes se sont ouvertes à la ville, elles se sont désenclavées grâce à l'arrivée du chemin de fer. Petit à petit les influences de la ville se font sentir. Le poids de la communauté s'affaiblit, les gens ressentent de moins en moins le besoin de se retrouver pour chanter. De même, la mécanisation de l'agriculture entraîne la disparition de toutes les pratiques culturelles qui l'accompagnaient auparavant : on ne chante plus en moissonnant, puisqu'on ne moissonne plus à la main. Les collecteurs entament donc leur recherche à un moment où la paysannerie est en déclin, surtout en Savoie où les collectes commencent bien plus tardivement que dans les autres régions.

Les collecteurs ont autant d'admiration pour les chansons populaires et le « peuple » rural qu'il ressent du dégoût pour tout ce qui vient de la ville. Tous déplorent l'acculturation qui se produit sous leurs yeux. Car il est entendu que 82 Julien TIERSOT, Julien TIERSOT, Chansons populaires recueillis dans les Alpes françaises (Savoie et Dauphiné), Grenoble, H. Falque et F. Perrin et Moutiers, F. Ducloz, p. vij83 Georges DUBY et Armand WALLON (dir.), Histoire de la France rurale. Tome III : Apogée et crise de la civilisation paysanne, 1789-1914, Paris, Seuil, 568 pagesBORNE Annaïg | Diplôme national de master| Mémoire de recherche | juin 2011 - 41 -

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seuls les chansons populaires chantés dans les campagnes sont dignes de figurer dans un recueil et méritent d'être conservés. La campagne est vue comme un lieu calme, reposant, le paysan simple est loué. On évoque « les plaisirs simples »84 de la vie à la campagne, la chanson lui apportant tout le bonheur qu'il peut espérer. La chanson populaire révèle le caractère du paysan. C'est une haute image de lui que nous décrit Claudius Servettaz.

« Souvent il élève [la chanson] au-dessus de la vulgaire histoire passion-nelle par une haute conception du devoir, par un noble idéal, par des mo-biles élevés et délicats, en un mot, par la beauté morale »85

Cette envolée lyrique de Claudius Servettaz au sujet de la beauté morale des paysans ne cache pas pour autant le regard d'étranger, de citadin qu'il porte sur la vie paysanne. En effet, il écrit que la chanson permet aux paysans d'occuper leur temps libre, d'échapper à la monotonie et à l'étroitesse de leur vie quotidienne. La beauté morale dont il parle n'est pas celle du paysan qui lui chante une chanson au début du XXème siècle, c'est celle d'une communauté ancienne qui a transmis les chansons de génération en génération. Claudius Servettaz est convaincu, comme beaucoup de folkloristes, que les chansons sont des survivances des temps anciens, dont on ne sait pas très bien ce qu'ils sont par ailleurs. La paysannerie que l'on nous décrit n'est que celle que les folkloristes imaginent ou acceptent de représenter. Si le monde rural est, dans une certaine mesure idéalisé, il n'en est pas pour autant de la ville. Julien Tiersot ne manque pas de mots pour déprécier les musiques venues de la ville ; il parle de « niaiseries diverses », Jean Ritz déplore que le violoneux et la grosse caisse prennent la place de la chanson populaire. Il affirme que cette mauvaise influence fait croire aux paysans que ce qu'ils ont l'habitude de chanter n'est pas intéressant. Un sentiment de honte naît chez eux, et ceux qui continuent à chanter des chansons populaires sont moqués par le reste de la communauté. C'est en partie pour cela que les collecteurs ont parfois du mal à rencontrer des personnes pouvant leur transmettre quelques chansons populaires.

Disparition du mode de vie paysan, ouverture des campagnes à la ville et abandon des chansons populaires par les communautés paysannes : tout cela inquiète les folkloristes. Ils se lancent à la cueillette des chansons populaires, persuadé que l'écrit leur permettra de sauver les chansons, à défaut de faire se perpétuer les traditions.

Le recueil comme conservatoire

Les chansons s'envolent, les écrits restent...C'est une phrase que doivent avoir à l'esprit les folkloristes qui parcourent dans les Alpes à la recherche de chansons. Il n'y a aucune préface qui ne fasse mention de l'urgence qu'il y a à collecter ses chansons et qui revendique que le livre comme unique moyen de sauver cet héritage.

« C'est pour apporter une contribution à cette œuvre de conservation que nous publions ce recueil qui prendra modestement place à côté de ses aî -nés »86

Nous nous retrouvons dans une situation paradoxale où l'écrit est désormais le médium le plus approprié pour sauver des chansons de l'oubli, chansons qui 84 Alphonse DESPINE, « Recherches sur les poésies en dialecte savoyard », Revue Savoisienne, 1865-07, p. 5585 Claudius SERVETTAZ, Chants et Chansons de la Savoie, Paris, Leroux et Annecy, Imprimerie Abry, p. XXIII 86 Claudius SERVETTAZ, Chants et Chansons de la Savoie, Paris, Leroux et Annecy, Imprimerie Abry, p. XXIXBORNE Annaïg | Diplôme national de master | Mémoire de recherche | juin 2011 - 42 -

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Partie 3 : Les enjeux des collectes et des publications

s'étaient toujours transmises de génération en génération sans recourir à l'écrit. Le plus paradoxal est que ce sont des personnes qui ne sont pas issus du milieu paysan qui ressentent le besoin de les conserver et qui les regrettent. Pour les paysans, ces chansons faisaient partie du quotidien, ils n'y trouvaient pas un intérêt particulier. Pour les intellectuels urbains, ces chansons représentent un mode de vie idéalisé, mais qui a également disparu. Les folkloristes ne peuvent se résoudre à leur disparition car elles sont pour eux le moyen de connaître un monde qui a disparu. La conservation des chansons populaires s'accompagne en effet de la recherche d'un passé. Pour les folkloristes, les chansons populaires sont des reliques permettant de retrouver l'âme de la Savoie. La chanson populaire est un objet privilégié pour rechercher cette âme car elle s'est transmise dans un milieu qui ne connaît pas de changements durant des siècles, selon les collecteurs, et qui donc ne fait pas subir d'évolutions à son répertoire musical La chanson populaire est étanche aux effets de mode, aux changements de mentalités. Ainsi, ce n'est pas seulement parce que le monde rural est en train de disparaître que les collecteurs se tournent vers lui, c'est aussi parce que c'est à la campagne que les chansons se sont le moins altérées. Il est surprenant de lire ces propos dans les préfaces de collecteurs comme Claudius Servettaz, qui est allé à la rencontre de ces chansons et a donc pu le premier constater qu'il pouvait exister de nombreuses variantes d'une même chanson dans des régions qui ne sont pas très éloignées. C'est surtout leur pouvoir d'évocation qui importe, elles sont une voix. Tous les collecteurs ne sont pas d'accord sur ce que conservent ces chansons. Claudius Servettaz, né en Savoie, est convaincu que l'on peut connaître la Savoie grâce à ces chansons. La collecte prend alors une dimension régionaliste, comme le montre la conclusion de sa préface, où il dit accomplir un devoir filial.

« En travaillant à ce livre, nous avons eu constamment la joyeuse convic-tion intime d'accomplir un devoir filial : contribuer pour une humble part à la conservation des traditions savoyardes, à l'évocation des joies familières à nos pères ; n'est-ce pas, ce faisant, donner à son petit pays un tribut d'affection : n'est-ce pas contribuer à le faire aimer dans ce qu'il a de plus cher, le souvenir des ancêtres ? »87

L'ouvrage de Claudius Servettaz est donc un hommage à la Savoie, surtout l'année où l'on fête le cinquantenaire de sa réunion à la France, comme il le remarque lui-même. Julien Tiersot, qui n'a pas la même histoire que Claudius Servettaz, a une vision plus globale, plus jacobine. Il oublie l'origine géographique de ses chansons pour mettre en avant l'âme nationale. Il est l'héritier des rédacteurs des Instructions qui voulaient mettre en avant l'unité des mentalités françaises grâce aux chansons populaires.

Le recueil, en tant qu'écrit, est-il un conservatoire ou bien un tombeau ? Certes, il permet la sauvegarde des chansons, mais ôte la vie à une pratique vivante. En effet, les collecteurs sont obligés de fixer une forme pour que ses chansons puissent être sauvées. Il serait trop compliqué et trop long de présenter toutes les variantes mélodiques, tous les changements de paroles que font les chanteurs. Ce qui fait le propre de ces chansons est masqué par l'écrit. Cependant, ces recueils ont le mérite d'exister. Même si les renseignements qu'ils fournissent sur les chansons sont partiels et partiaux, les collecteurs ont eu la bonne idée d'aller recueillir ces chansons qu'on ne chantait plus. Il y a fort à parier que si ce travail minutieux n'avait pas été fait, ces chansons auraient été oubliés. Par ailleurs, les collecteurs ne cessent d'avertir le lecteur que ce qui est publié ne donne qu'une image partielle de ce qu'ils ont eux-mêmes entendus. Ils sont les premiers à regretter les limites de l'écrit, à un moment ou 87 Claudius SERVETTAZ, Chants et Chansons de la Savoie, Paris, Leroux et Annecy, Imprimerie Abry, p. XXX-XXXIBORNE Annaïg | Diplôme national de master| Mémoire de recherche | juin 2011 - 43 -

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le phonographe n'en est qu'à ses balbutiements. Par ailleurs, ils essaient de redonner vie à ses chansons en les intégrant à leurs œuvres musicales, comme le font Julien Tiersot et Jean Ritz, mais l'effet est assez limité, puisque la chanson et le milieu social sont distincts et ne peuvent se rencontrer. Ces chansons qui viennent du monde rural n'ont pas le même statut quand elles sont regardés par des personnes issus des milieux lettrés savants.

2. VALORISER LA PROVINCE ET L'ART POPULAIRE

La question du patois

Nous avons vu que les premières collectes de chansons populaires concernent uniquement des chansons en patois. Il s’agit des publications d’Alphonse Despine et d’Aimé Constantin. Alphonse Despine se concentre sur la structure des chansons : si les rimes sont masculines, féminines, pauvres ou riches. Il étudie la composition des chansons. Il fait peu de commentaires sur la langue de ces textes, comme s’il était normal qu’ils soient en patois et non en français. Le travail d’Aimé Constantin, dont l’objet d’étude principal est le folklore, est traversé par la question de la transcription du patois, langue uniquement parlé. Rappelons qu’Aimé Constantin est l’auteur d’un dictionnaire de patois savoyard88. Son livre commence par une « Notice sur le système orthographique » expliquant en détail la prononciation des lettres qui se distinguent du français. Par ailleurs, pour une meilleure compréhension des textes, il offre une traduction littérale.

« Chaque couplet est accompagné d’une traduction aussi littérale que pos-sible : 1° pour qu’un étranger puisse étudier notre patois et se rendre compte de chaque mot, sans le secours d’aucun autre livre ; 2° pour que chaque Savoisien puisse plus facilement comprendre et reproduire dans son patois les chants populaires de nos différentes vallées. »89

Aimé Constantin aimerait donc que son travail soit un guide pour des personnes ne connaissant pas le patois savoyard et pour ceux qui le connaissent mais ne savent pas comment l’écrire. Écrire le patois, c’est lui permettre de ne pas tomber dans l’oubli. A la fin du XIXème siècle, les patois sont en voie de disparition. Si au début, l’école a recours au patois pour apprendre aux élèves le français, de moins en moins de personnes le pratiquent tout de même. Les chansons sont une source intéressante car elles restent dans la mémoire. Aimé Constantin utilise les chansons populaires pour enrichir sa réflexion et ses connaissances sur la langue. Par exemple, la première chanson du livre, Lo K’Apoé lui fournit l’occasion de faire des recherches sur l’origine de ce mot qui désigne les habitants de Rumilly. Le livre ne comporte que très peu de chansons, les commentaires prennent beaucoup de place. Le travail d’Alphonse Despine est beaucoup plus complet, mais sa limite est qu’il ne donne aucune indication sur les choix de graphies. Il est donc compliqué pour quelqu’un qui ne connaît pas le dialecte savoyard de lire ces textes.

88 Aimé CONSTANTIN et Joseph DESORMAUX, Dictionnaire Savoyard, Paris, Librairie Émile Bouillon et Annecy, imprimerie Abry, 190289 Aimé CONSTANTIN, Étude sur le Patois savoyard : la Muse savoisienne, ou recueil de chansons anciennes et modernes, avec musique, traduction littérale, notes historiques, biographiques, philologiques et notice sur le système orthographique, Annecy, Burnod et Lhoste, Paris, Vieweg, 1878 p. 15BORNE Annaïg | Diplôme national de master | Mémoire de recherche | juin 2011 - 44 -

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Partie 3 : Les enjeux des collectes et des publications

Quelle place est accordée au patois dans les ouvrages des collecteurs qui ne sont pas spécialistes du patois ? Il faut bien le reconnaître, elle est plutôt infime. Claudius Servettaz explique lui-même qu’une petite minorité de chansons sont en patois et que ce phénomène va s’aggraver car le patois est de moins en moins connu. Dans la Revue Savoisienne, seulement trois sur les 56 chansons qu’il publie sont en patois. Son recueil en contient seulement deux de plus, alors qu’il y a 141 chansons en français. Il assortit lui aussi son recueil d’une notice concernant la graphie, notice qui doit beaucoup au Dictionnaire du patois savoyard. Jean Ritz publie onze textes en patois. Dans son recueil, elles sont classées en fonction de leur sujet alors que dans ses articles, ils les publient à la suite, quelque soit leur thème. Le fait qu’elle soit en patois est un caractère déterminant. Comme Claudius Servettaz, il utilise les travaux d’Aimé Constantin et de Joseph Désormaux. Les chansons sont toujours traduites. Tous deux présentent la traduction de la même façon : ils écrivent les couplets en patois et mettent en parallèle et entre parenthèses le texte en français. Il arrive aussi qu’ils présentent comme variantes de chansons en français des couplets en patois. La posture de Julien Tiersot est sujette à critiques : il décide de ne pas collecter beaucoup de chansons en patois car il n’y connaît pas grand-chose. Il justifie cette attitude en remarquant qu’il y a de toute façon très peu de chansons en patois.

« Aussi, sans négliger de notes les idiomes locaux lorsque l’occasion s’en présentait, m’en suis-je tenu principalement aux chansons françaises, d’ailleurs en très grande majorité dans l’ensemble du pays parcouru »90

Il prend tout de même contact avec Aimé Constantin qui lui apporte son aide pour écrire les rares chansons en patois qu’il publie. Georges Charrière, dans l’introduction qu’il fait sur les publications à titre posthume des recherches d’Émile Vuarnet91, reproche à Tiersot, Servettaz et Ritz d’avoir sous-estimer le nombre de chansons en patois. Ce sont souvent des textes contestataires que les collecteurs auraient voulu éviter de publier. Il est vrai que tous reconnaissent que ce sont souvent les chansons satiriques, ironiques et burlesques qui sont en patois. Cela leur donne un caractère original, affirme Julien Tiersot. Le problème est que bien souvent, ces chansons ont des auteurs connus et qui sont issus d’un milieu lettré. Ils veulent faire comme les paysans en empruntant leur langage. Cela est remarquable dans le cas d’Aimé Constantin : les chansons qu’il publie sont presque toutes écrites par un lettré de Haute-Savoie, Joseph Léard. Les chansons populaires en patois ne correspondent donc pas à ce que recherchent les collecteurs : ils ne veulent pas publier des chansons dont on connaît l’auteur. L’étude d’Alphonse Despine montre que beaucoup des chansons en patois sont des Noëls. Or les Noëls ne sont pas un type de chansons que les collecteurs de la fin du XIXème siècle souhaitent recueillir. C’est pourquoi il y a peu de chansons populaires en patois dans les recueils de Julien Tiersot, Jean Ritz et Claudius Servettaz.

Donner leur légitimité aux chansons populaires

Julien Tiersot le constate : quand il se rend en Savoie en 1895, les musiciens, les directeurs d'écoles ne s'intéressent pas aux chansons populaires. Ils éprouvent même du mépris à leur égard. De manière générale, ce ne sont pas des musiciens de profession qui s'intéressent aux chansons populaires, rappelons-nous que Jean Ritz est employé de banque, que Claudius Servettaz est enseignant et que tous deux ont appris la musique loin des parcours 90 Julien TIERSOT, Chansons populaires recueillies dans les Alpes françaises (Savoie et Dauphiné), Moutiers et Grenoble, Ducloz et Perrin, 1903, p. VII91 Chansons savoyardes recueillies par Émile Vuarnet, Paris, Maisonneuve et Larose, 1997BORNE Annaïg | Diplôme national de master| Mémoire de recherche | juin 2011 - 45 -

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classiques. La chanson populaire n'est pas à la mode. Ils ressentent donc le besoin de montrer en quoi ces chansons sont dignes d'intérêt. Il ne fait pour eux aucun doute qu'elles méritent de côtoyer des œuvres savantes et qu'elles peuvent nourrir des œuvres musicales. La richesse des chansons populaires n'est pas à chercher dans la mélodie mais dans la capacité du chanteur à improviser à partir d'une mélodie qui doit être simple. Cette façon de penser est emblématique de la posture ambivalente que les collecteurs ont. D'un côté, ils sont charmés par ces chansons et leur trouvent beaucoup d'atouts. De l'autre, ils ont un regard distant sur les chanteurs et les chansons à cause de leur origine sociale. Julien Tiersot, à l'inverse de Claudius Servettaz, ôte toute existence propre aux chanteurs. Selon lui, c'est la nature qui s'exprime quand ils chantent. Les mélodies sont émouvantes car elles nous permettent de nous approcher d'un état de nature, tout comme les paroles nous aident à atteindre « l'âme savoyarde ». L'art populaire est brut, dépourvu d'artifices, contrairement à la musique savante qui est de plus en plus compliquée.

« L'art populaire, si humble qu'il soit, est incontestablement digne de notre considération. Avec des dehors plus modestes, il est souvent plus sincère et plus vivace que l'art des savants, qui si fréquemment s'égare dans les artifices d'une vaine technique : il est, cela est manifeste, plus durable aus-si, ayant traversé autant de siècles et survécu à tant de modes succes-sives. »92

Ce que dit Julien Tiersot révèle à quel point il idéalise la musique populaire. Il porte le regard de celui qui a appris la musique savante et qui trouve en la chanson populaire un refuge. Par ailleurs, il intègre la chansons populaire dans l'histoire générale de la musique, ce qu'il avait déjà fait en 1885 en écrivant Histoire de la chanson populaire en France. Il fait connaître des chansons populaires dans les milieux parisiens : nous savons qu'il lui arrivait d'en chanter à ses amis folkloriques durant les Dîners de Ma Mère l'Oye. Les folkloristes défendent également la beauté des textes. Dans beaucoup de chansons, la grammaire et la syntaxe ne sont pas correctes, ce qui pourrait en rebuter plus d'un. Mais, là aussi, les collecteurs avancent l'argument du caractère naturel de cette façon de s'exprimer.

« Le lecteur, tout d’abord, surpris par tant de licences hardies, se laisse peu à peu gagner par le pittoresque qui émane de ces textes, sauvageons de notre langue ; il est séduit par tout ce que contient d'étrange et d'atti -rant ce style gueux et indiscipliné, à qui l'indépendance donne de l'allure, qui plaît par sa spontanéité, sa sincérité et le naturel de l'expression. »93

La « spontanéité », le « naturel de l'expression » donnent leur légitimité aux chansons populaires. Claudius Servettaz a également une position ambivalente par rapport à cela : le style n'est pas développé, mais c'est cela qui fait son charme. Car il convient de dire que, même si les chansons populaires ont pour eux droit de cité, ils réaffirment la hiérarchie des arts : la chanson populaire n'est au-dessus de la musique savante, ni au même niveau. Les mélodies sont trop simples pour être jouées sans arrangements. Quand ils composent des arrangements à partir de musiques populaires, Jean Ritz ou Julien Tiersot utilisent leur connaissance de la musique savante. Ils transforment donc ces chansons afin de les faire admettre dans le cercle de la musique savante.

Ainsi, les publications sont des monuments dédiés à la culture régionale : en faisant connaître les chansons savoyardes, en patois savoyard pour certaines,

92 Julien TIERSOT, Chansons populaires recueillies dans les Alpes françaises (Savoie et Dauphiné), Moutiers et Grenoble, Ducloz et Perrin, 1903, p. xxij93 Julien TIERSOT, Chansons populaires recueillies dans les Alpes françaises (Savoie et Dauphiné), Moutiers et Grenoble, Ducloz et Perrin, 1903, p. XIXBORNE Annaïg | Diplôme national de master | Mémoire de recherche | juin 2011 - 46 -

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Partie 3 : Les enjeux des collectes et des publications

les folkloristes et les philologues mettent en valeur la richesse culturelle de la Savoie. Ils font connaître aux Savoyards et aux autres provinces de France qu'il existe un répertoire de chansons populaires. Cela permet aussi de sauver le patois savoyard et de le faire connaître au plus grand nombre.

3. LES COLLECTEURS ETHNOGRAPHES ?

Au contact du monde paysan pendant plusieurs années, les collecteurs se rendent compte qu'il est impossible de publier des chansons sans étudier les mœurs et les coutumes. Les collecteurs ont l'intuition que la chansons est intrinsèquement liée au milieu et au contexte où elles sont chantées. Ainsi, la collecte de la chanson populaire conduit à l'étude du milieu paysan.

« Mais recueillir nos vieilles chansons pour les compiler simplement me semblait une œuvre bien sèche (…).C'est pourquoi j'ai cru devoir les com-menter, les étudier dans leurs rapports avec les conditions d'exécution, avec le tempérament des villageois, avec l'âme rustique savoyarde. »94

Et, en effet, Claudius Servettaz tente de dresser une carte qui montrerait, en fonction du lieu où ont été collectées les chansons, les différences de mentalité des populations. Il établit une distinction entre les « Montagnards » et les « Planans ». Il ne parvient pas à prouver cela car il se heurte au problème de la circulation des chansons : il retrouve des chants qui se ressemblent dans des régions très différentes, ce qui va à l'encontre de son postulat de départ. Le travail de Julien Tiersot a également cette prétention. Il essaie de dresser le portrait du paysan savoyard.

« Le paysan de Savoie n'a pas tant de vivacité. D'esprit sérieux, il est au premier abord peu communicatif. »95

Ce qui Julien Tiersot comme étant une vérité absolue écrite au présent de vérité générale, comme quelque chose de fixé et d'immuable, n'est en fait qu'un point de vue. C'est le point de vue de l'intrus qui vient de la ville, et qui doit se faire accepter. Son regard n'est pas ici celui d'un scientifique. Il le devient quand Julien Tiersot décrit les circonstances dans lesquelles se chantent les chansons : il nous dit que l'on chante à table, les jours de fête, dans les réunions de famille, pour accompagner le travail dans les champs. Les collecteurs se rendent compte que les chansons populaires ont une fonction sociale, elles ne sont pas une simple distraction. Claudius Servettaz décrit également des scènes de chants. Il explique comment se déroule les moissons et ce que l'on chante à cette occasion. Jean Ritz ne s'intéresse pas du tout aux mœurs des paysans, ce qui l'intéresse, c'est la musique. Enfin, Arnold Van Gennep insère les chants à ses travaux ethnographiques, ou plutôt folkloriques. Dans En Savoie, du berceau à la tombe96, il cite et commente un chanson. Il fait également cela dans le Folklore du Dauphiné où un chapitre est consacré aux chansons populaires. Mais ce qui est surprenant, c'est qu'il étudie peu les circonstances dans lesquelles on chante, il n'évoque pas leur fonction sociale. Il publie les paroles des chansons qu'il a collectées lui-même mais ne donne pas la mélodie. Pour chaque chanson, il recherche des versions proches dans les recueils des autres collecteurs. Il privilégie la publication de chansons populaires inédites. Ce chapitre sur les

94 Claudius SERVETTAZ, Vieilles chansons savoyardes II : les chansons du soldat », Grenoble, Centre Alpin et Rhodanien d'Ethnologie, 1997, p 2195 Julien TIERSOT, Chansons populaires recueillies dans les Alpes françaises (Savoie et Dauphiné), Moutiers et Grenoble, Ducloz et Perrin, 1903, p. vij96 Arnold VAN GENNEP, En Savoie. Tome 1 : du berceau à la tombe, Chambéry, Dardel, 382 pagesBORNE Annaïg | Diplôme national de master| Mémoire de recherche | juin 2011 - 47 -

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chansons populaires n'est pas destiné aux novices. Pour le comprendre, il faut avoir en tête les recueils de chansons populaires publiées auparavant. Arnold Van Gennep s'adresse donc à des spécialistes qui s'intéressent à l'histoire et à la circulation des répertoires. Il réalise en fait un travail critique sur les sources écrites et sur les chansons qu'il a entendues. Ses chroniques pour le Mercure de France sont plus accessibles. Elles rentrent dans le champ de l'ethnologie car elles s'interrogent sur la pratique du chant et sa place dans la société paysanne. Il y décrit la façon de chanter de ses informateurs. Il définit par exemple ce qu'est une chanson populaire.

« On l'invite aux noces et aux diverses cérémonies de famille et tous re-prennent en cœur les refrains. Elle chante avec gravité, elle a conscience de son rôle social. »97

Il parle ensuite de la technique de la « chanteuse-type ». Cette remarque est plus objective que celle de Julien Tiersot au sujet des paysans savoyards. Arnold Van Gennep apporte au lecteur des informations au sujet de l'importance social du chanteur, il ne donne pas son opinion. Il a donc une démarche scientifique.

Yvon Guilcher, dans un article intitulé « Les collecteurs du XIXème siècle : ont-ils inventé la chanson folklorique »98 dit que les collecteurs ne se font folkloristes que dans les préfaces de leurs recueils. Certes, ils font dans leurs préfaces des remarques sur la façon de chanter, sur les circonstances dans lesquelles on chante mais ne continuent pas ensuite. C'est le cas de Julien Tiersot et de Claudius Servettaz. Celui-ci propose des études sur les différents types de chansons. Ainsi, le chapitre sur les chansons de moisson commencent par une introduction au sujet de la moisson. Il constate que la moisson qui se faisait auparavant à la faucille étaient accompagnées de chants. Ces chansons encourageaient le geste du paysan, explique-t-il. Il décrit ensuite les différents produits cultivés dans chaque pays savoyard dans le but de montrer le lien entre chansons et travail agricole. Cependant, il est vrai que la publication de chansons prend plus d'importance que la description de la vie quotidienne des paysans. Les collecteurs n'ont pas la pensée synthétique que requière l'ethnologie : Claudius Servettaz se contente de décrire des faits.

En fait, les collecteurs réalisent un travail ethnologique en publiant ces chansons, et surtout en en faisant une publication raisonnée. Tous les collecteurs classent les chansons en fonction des paroles ou de la circonstance dans laquelle on interprète les chansons : les chansons d'amour, les chansons chantées par les bergères, etc. Ils auraient pu organiser leur travail en fonction du lieu où les chansons ont été collectées. Pourquoi choisir de les classer par thème ? Tout d'abord, ils ont en tête les recueils publiés avant les leurs et qui classaient les chansons en fonction de leur sujet. Ce qui intéresse les collecteurs, ce n'est pas seulement la chanson, mais aussi sa circulation et ce qu'elle nous apprend sur les paysans. Les thèmes des chansons reflètent les goûts des chanteurs populaires. Les classer ainsi permet de distinguer des centres d'intérêt. Par ailleurs, comme ils classent tous les chansons à peu près de la même façon, il est facile de comparer les résultats des différentes collectes. Si Julien Tiersot, Jean Ritz et Claudius Servettaz ne se livrent pas beaucoup à ce travail de comparaison, Arnold Van Gennep en fait l'essence de son travail. Cela lui permet de faire des conclusions sur l'existence ou non de certaines chansons. Ainsi dit-il, à propos de la Chanson de Renaud :

97 Jean-Marie PRIVAT, Chroniques de folklore d'Arnold Van Gennep : recueil de textes parus dans le Mercure de France 1905-1949, Paris, Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques, 2001, p. 40998 Yvon GUILCHER, « Les collecteurs du XIXème siècle : ont-ils inventé la chanson folklorique ? », dans LE QUELLEC Jean-Luc (dir.), Collecter la mémoire de l'autre, Niort, Geste Editions, 1991, p. 20-31BORNE Annaïg | Diplôme national de master | Mémoire de recherche | juin 2011 - 48 -

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Partie 3 : Les enjeux des collectes et des publications

« On pense bien que Tiersot était, comme tous les folkloristes, à la re-cherche de versions nouvelles et s'il n'en a pas trouvé, pas plus que je n'en ai trouvé à Bonneville et ailleurs en Savoie, ni Servettaz non plus, c'est qu'il y a vraiment des chances pour que cette chanson soit très rare ; si-non, absolument inconnue dans nos régions alpestres. »99

Il est dommage que Van Gennep ne cherche pas à savoir pourquoi cette chanson n'est pas connue en Savoie. Ce travail de comparaison est possible grâce à la rigueur que les folkloristes savoyards ont eu : tous indiquent où ont été recueillies les chansons et qui les leur a chantées si c'est un informateur récurrent.

Les commentaires d'ordre folkloriques sont ainsi assez rares, mais la démarche des collecteurs savoyards marquent le début des recherches ethnologiques méthodiques. C'est Arnold Van Gennep qui, le premier en France, met en place une méthodologie qui limite la part de hasard existant dans les collectes. C'est également lui qui insiste sur la nécessité de publier systématiquement le lieu et la personne qui a chanté les chansons. A partir des travaux d'Arnold Van Gennep, les collecteurs vont prendre l'habitude de citer leurs sources.

CONCLUSION

Ainsi, les collectes de chansons populaires servent des intérêts précis : glorifier le monde rural, défendre le patois ou encore décrire les coutumes paysannes. Cependant, les motivations affichées ne correspondent pas toujours à ce qui est fait. Ainsi, quand les collecteurs vantent la beauté des chansons populaires, ils les mettent également à distance de la musique savante. De même, ils se font ethnographes par défaut. Tout leur travail est empreint de la distance qui existe entre eux et le monde qu'ils étudient. Ce sont toujours des savants qui écrivent sur un monde qu'ils ne connaissent qu'extérieurement et qu'ils regardent avec des a priori. Les recueils nous apprennent beaucoup de choses sur les collecteurs, peut-être plus que sur le milieu paysan. C'est pourquoi il faut lire avec distance les commentaires qu'ils font et savoir qu'ils ne sont que le reflet de la pensée d'une série de collecteurs.

99 Arnold VAN GENNEP, Le Dauphiné traditionnel, tome II, Voreppe, Éditions Curandera, 1991, p. 167BORNE Annaïg | Diplôme national de master| Mémoire de recherche | juin 2011 - 49 -

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Conclusion

Le cas de la Savoie donne la possibilité de comprendre la façon dont la collecte des chansons populaires s'est structurée. Tous les éléments qui ont conduit à la collecte des chansons sur l'ensemble de la France se retrouvent dans cette province rattachée tardivement au territoire français. Il est en effet possible d'établir des parallélismes entre les collectes en France et les collectes en Savoie. Les premiers à s'intéresser aux chansons populaires sont à la recherche des origines culturelles de leur peuple, et en conséquence ils s'intéressent aux dialectes. En Savoie, les premiers qui collectent les chansons populaires sont des philologues qui mènent des travaux sur l'origine du patois. L’événement qui donne naissance au mouvement de collectes sur l'ensemble de la France est la publication par Napoléon III du décret du 13 septembre 1852 et des Instructions qui l'accompagnent. Julien Tiersot et son recueil est à la Savoie ce que les Instructions sont à la France : quand il arrive dans les Alpes, il sollicite des musiciens qui s'inspirent de ses recherches pour en mener d'autres. C'est ainsi que la Savoie, qui ne possédait avant 1895 aucun recueil de chansons populaires, a déjà fait en 1910 l'objet de trois publications qui seront plusieurs fois réédités et qui deviendront des références pour ceux qui s'intéressent aux chansons populaires. Ils montrent qu'il existe des chansons populaires en Savoie, et il faut savoir que toutes les chansons collectées n'ont pas été publiées.

Ces recueils soulèvent les mêmes problèmes que ceux qui ont été faits dans les années 1850. Ils donnent une certaine image du monde rural, celle que les collecteurs portent sur lui. Ce sont des ouvrages partiaux, qui laissent de côté les chansons que l'on connaît dans les villes et les chansons licencieuses. Dans une certaine mesure, les folkloristes, comme le dit Yvon Guilcher 100, ont inventé la chanson folklorique. Il ne l'invente pas dans le sens où ils créent des mélodies et des paroles en les faisant passer pour populaires. Ce qu'ils invente, c'est que la chanson populaire est uniquement rural. Leur recherche manque souvent de méthodologie, elle doit beaucoup au hasard des rencontres. Définir leur objet leur pose aussi problème : ils ont du mal à apporter une définition exacte et reconnaissent que leur travail doit beaucoup à leur sensibilité et à leur expérience en matière de chansons populaires. Les recueils sont aussi la preuve qu'un monde disparaît. Ils sont même des acteurs de cette disparition. En publiant ces chansons pour un public savant, les collecteurs opèrent un transfert culturel. La situation est ironique puisque ce transfert se fait à l'inverse de ce qui se passe dans le monde rural : ici, c'est la musique de la ville qui prend la place des chansons populaires, qui entrent alors en ville. Les collectes de chansons nous disent, sans que l'on n'ait besoin de lire en détail les préfaces des collecteurs, que les chansons se chantent de moins en moins. En effet, seuls des personnes extérieures au monde rural peuvent se rendre compte qu'il est en train de changer. Julien Tiersot explique qu'il est un observateur et qu'en tant que tel, il se place au-dessus du peuple et peut se rendre compte des changements. La publication indique que le public de ses chansons a changé. En fait, elle montre surtout qu'un public est apparu. Dans le milieu rural, il n'y avait pas de spectateurs, tout le monde participait, tout le monde chantait en travaillant ou lors des veillées. A partir du début du XXème siècle, en Savoie, les chansons populaires sont interprétées par des chanteurs non traditionnels, pour un public citadin, à l'image du concert organisé en 1901 par l'Académie delphinale pour la fin des collectes de Julien Tiersot. Celui-ci y interprète à la voix et au piano des chansons et des danses populaires. C'est aussi cela que les

100 Yvon GUILCHER, « Les collecteurs du XIXème siècle : ont-ils inventé la chanson folklorique ? », dans LE QUELLEC Jean-Luc (dir.), Collecter la mémoire de l'autre, Niort, Geste Editions, 1991, p. 20-31BORNE Annaïg | Diplôme national de master| Mémoire de recherche | juin 2011 - 51 -

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folkloristes inventent. Nous voyons que la tradition n'est pas quelque chose qui est, mais quelque chose qui s'invente et se transforme. Dès que l'on sent qu'une pratique culturelle est en voie de disparition, on décide qu'il faut la sauver en la collectant et en la portant à la connaissance d'un milieu d'accueil qui la découvre au moment où elle disparaît. C'est ce qui se passe pour les danses traditionnelles qui, après la seconde guerre mondiale, commencent à disparaître des campagnes. Dans toute la France, des chercheurs vont à la quête de ses danses. Cela donne lieu à l'apparition du mouvement folklorique et du mouvement revivaliste qui se réclament tous deux de la tradition. La danse perd sa fonction sociale pour devenir une distraction, à l'instar des chansons populaires.

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VADELORGE Loïc, « Régionalisme » DELPORTE Christian, MOLLIER Jean-Yves et SIRINELLI Jean-François (dir.), Dictionnaire d'histoire culturelle de la France contemporaine, Paris, Presses Universitaires de France, 2010, p692-697.

VAN GENNEP Kitty (dir.), Bibliographie des oeuvres d'Arnold Van Gennep, Paris, A. et J. Picard & Cie, 1964, 91 pages.

WALLON Simone, « Une correspondance de Marguerite Gauthier-Villars avec Patrice Coirault » dans Le Monde alpin et rhodanien, 1-4/82 p. 349-357

WEBER Eugen, La fin des terroirs : la modernisation de la France rurale : 1870-1914, Paris, Fayard, 1983, 839 pages, trad. d'Antoine Berman et Bernard Géniès.

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Annexes

Table des annexes

CLASSIFICATION DES CHANSONS PROPOSÉE PAR LES INSTRUCTIONS (1852).......................................................................................................58

CLASSIFICATION PROPOSÉE PAR JEAN RITZ DANS LES CHANSONS POPULAIRES DE LA SAVOIE (1899)..........................................................59

CLASSIFICATION PROPOSÉE PAR JULIEN TIERSOT DANS CHANSONS POPULAIRES RECUEILLIES DANS LES ALPES FRANÇAISES (1903).........61

CLASSIFICATION PROPOSÉE PAR CLAUDIUS SERVETTAZ DANS CHANTS ET CHANSONS POPULAIRES DE LA HAUTE-SAVOIE (1910).....................63

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Classification des chansons proposée par les Ins-tructions (1852)

I. Poésies religieuses1. Prières2. Légendes, vies de saints, miracles3. Cantiques4. Chants pour les différentes fêtes de l'année

II. Poésies populaires d'origines païennes1. Souvenirs druidiques2. Souvenirs germaniques

III. Poésies didactiques et morales

IV. Poésies historiques

V. Poésies romanesques

VI. Chansons qui se rapportent aux divers évènements et aux diverses phases de l'existence, le mariage, le baptême, une première communion, une prise de voile, une mort, un enterrement

VII. Chants qui se rapportent aux professions actives, telles que celles de soldat, de marin, etc.

VIII. Chansons propres aux professions sédentaires, aux forgerons, aux tisserands, aux tailleurs, aux cordonniers, aux sabotiers, aux fileuses, aux menuisiers; chansons de compagnons

IX. Chansons qui se rapportent aux divers travaux de la campagne : aux semailles, à la moisson, aux vendanges, à la cueillette des olives

X. Chansons de chasseurs, de pêcheurs, de bergers

XI. Chansons satiriques

XII. Chansons de circonstance, à propos d'une invention, d'une mode, d'un événement grand ou petit, qui frappe l'imagination du public

XIII. Chansons badines comprenant les chansons bachiques

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Classification proposée par Jean Ritz dans Les Chansons populaires de la Savoie (1899)

I. Chansons traditionnelles1. récits légendaires, chansons d'aventures2. Chansons satiriques3. Chansons satiriques et relatives au mariage

II. Chansons d'amour

III. Chansons de bergères

IV. Chansons de conscrits et de soldats

V. Chansons diverses

VI. Randonnées, rondes,

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Classification proposée par Julien Tiersot dans Chansons populaires recueillies dans les Alpes

françaises (1903)

I. Chansons historiques

II. Chansons traditionnelles : récits légendaires, et tragiques, d'aventure

III. Chansons traditionnelles : chansons satiriques

IV. Les chansons d'amour

V. Chansons en relation avec le mariage

VI. Les chansons de bergers

VII. Chansons de conscrits et de soldats

VIII. Les chants des fêtes de l'année

IX. Les chansons de travail

X. Berceuse

XI. Les danses

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Classification proposée par Claudius Servettaz dans Chants et chansons populaires de la Haute-

Savoie (1910)

I. Chansons de moisson

II. Chansons de bergères1. Les chansons2. Les Dialogues3. Compléments

III. Chansons d'amour1. L'amour et ses vicissitudes2. Rendez-vous, visites et sérénades3. Impatients désirs de mariage4. instances en mariage

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