Clemens,James-[Bannis Et Proscrits-2]Les Foudres de La Sor'Ciere(1999).OCR.french.ebook.alexandriZ

7/31/2019 Clemens,James-[Bannis Et Proscrits-2]Les Foudres de La Sor'Ciere(1999).OCR.french.ebook.alexandriZ

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James Clemens

Les Foudres de la

Sorcire

Les Bannis et les Proscrits Livre deux

Traduit de langlais (tats-Unis) par Isabelle Troin

Bragelonne


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Pour mes fans les plus enthousiastes et les plus fidles,mes frres et surs (oui, je vais tous les citer) :

Cheryl, Doug, Laurie, Chuck, Bill, Carrie.


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Remerciements

La liste de tous les gens qui ont contribu la production deces romans occuperait un livre entier elle seule. Mais je seraisimpardonnable si je ne remerciais pas quelques personnes trsspciales : mon agent Pesha Rubinstein, pour mavoir mis le

pied ltrier et pouss galoper toujours plus loin ; monditrice Veronica Chapman, pour avoir fait ma publicit dans lescouloirs de Del Rey ; enfin, Eleanor Lang et Christine Levis,pour avoir publi et promu la srie travers le monde.

Toute ma reconnaissance Brom, lauteur du dessin decouverture de ldition amricaine, et David Stevenson, ledirecteur artistique, qui a donn un si sduisant visage ceprojet.

Je mincline bien bas devant chacun des membres de mongroupe dcriture, dont laide ma t infiniment prcieusetandis que je peaufinais lintrigue de ce tome : Chris Crowe,Dennis Grayson, Dave Meek, Stephen et Judy Prey, CarolineWilliams et tout particulirement Jane O Riva.

Jai une dette de gratitude ternelle envers Carolyn McCraypour ses critiques, son amiti et le soutien sans faille qu elle maapport.

Pour finir, un gros clin Meryl Olah qui, faisant preuve

dun dvouement admirable, sest dguise en Elena lors deplusieurs conventions afin de promouvoir le premier tome de lasrie.


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Prambule aux Foudres de la Sorcire

par Salazar Mut,romancier et dramaturge

[NOTE : Ceci est une fidle reproduction du texte que

lauteur rdigea la veille de son excution pour crimes contre leMarch commun.]

Dabord et avant tout, je suis crivain.En tant que tel, jai acquis la conviction que les mots

devraient toujours tre rdigs avec le sang de leur auteur, afinque celui (ou celle)-ci les choisisse avec le plus grand soin. Quioserait gaspiller son prcieux fluide vital en lucubrations etautres fables ? Si les mots coulaient littralement de notre cur,nexprimeraient-ils pas coup sr la vrit de notre me ?

Aussi, bien que jcrive ceci avec une encre bon march quibave comme la salive dun mourant, laissez-moi imaginer quecest mon sang qui court sur ce parchemin. Aprs tout, ce n estpas si loign de la ralit : depuis ma cellule, jentends lebourreau aiguiser ses instruments et ce bruit est aussi tranchantque les lames quil affte. Quand jaurai achev mon rcit, ilmventrera afin que tous puissent lire ce que les dieux ont crit

en moi. Souffrez donc que mes mots deviennent la fois leprambule de cette nouvelle traduction des Parchemins Kelvish,et celui du livre ouvert que mon cadavre deviendra au prochainlever du soleil.

Je suis forc de rdiger mon histoire cette nuit pour que machre pouse Delli connaisse une fin rapide sous la hache dubourreau au lieu de subir une lente agonie sur la pierre de laJustice. Jcris afin quelle meure en paix. Mais comme je lai

dj mentionn, jentends que mes derniers mots soient fidles


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la vrit. Et la vrit, cest que jaurais rdig mon histoiremme si le sort de ma femme nen dpendait pas. Car, voyez-vous, lcriture nest pas seulement mon mtier et mon art elleest ma vie.

Certes, elle ma permis dacheter du pain et un toit mesenfants, mais elle a galement nourri mon me et sustent moncur. Dans ces conditions, comment pourrais-je refuser deraconter une dernire histoire ft-elle celle de ma propredamnation, et dt-elle vous loigner des merveilles contenuesdans les Parchemins ? Je sais que je dois servir dexemple tousles tudiants qui, comme vous, esprent devenir des rudits duMarch commun. Que ma mort doit attester de la perversit des

Parchemins et du chtiment inhrent leur lecture.Quil en soit ainsi.Voici donc mon histoire.Un soir, dans les ruelles obscures de Gelph, je rencontrai par

le plus grand des hasards un marchand qui faisait le commercedes objets proscrits. Il empestait la bire aigrelette, et je n euspas de mal lcarter de mon chemin. Mais le larron avait dentrevoir les trfonds de mon me, car il me fit voix basse une

offre que je ne pus refuser. Il me proposa une copie desParchemins, tatoue sur la peau corche dun fanatique. Javaisentendu parler de ce document et, en tant qu crivain, je mesouponnais dtre prt payer nimporte quelle somme pouravoir une occasion de le lire. Javais raison : lhomme lhaleineftide naccepta de me le cder quen change dun prixexorbitant.

la lumire dune chandelle, je dchiffrai lintgralit du

texte en lespace de quatre jours et de quatre nuits durantlesquels je ne fermai pas lil une seule fois. Je craignais quequelquun minterrompe et menlve les Parchemins ; aussi leslus-je dun trait. Mes joues se couvrirent dune barbe drue, maisje ne marrtai pas avant que mes yeux fatigus aient atteint lepoint final.

Le premier Parchemin me parut si inoffensif que je necompris pas pourquoi ce document avait t proscrit. Je

mindignai quune uvre aussi bnigne soit soustraite laconnaissance populaire, mais, en arrivant au terme du dernier


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Parchemin, je sus Je sus pourquoi il tait gard labri desyeux du peuple. Et mon indignation devint rage face tantdinjustice. M par le pouvoir que me confraient les mots desParchemins, je cherchai un moyen de rvler leur contenu au

plus grand nombre.Trs vite, je conus un plan. Jcrirais une pice partir des

Parchemins. En me contentant de changer quelques noms delieux et de personnes, de modifier deux ou trois lments delhistoire, je pourrais rvler leur magie cache messpectateurs. Hlas ! Un des acteurs me trahit. Le soir de lapremire, je fus arrt avec lintgralit de ma troupe et de monpublic.

Des deux cents personnes que les autorits emmenrent parcette nuit pluvieuse, je suis, lexception de ma femme, ledernier qui respire encore Mais les hurlements des autresrsonnent toujours dans ma tte. Durant les cinq hivers de monincarcration, jai tant pleur que ma langue estperptuellement sche. Alors mme que jcris ces mots, meslarmes brouillent lencre humide et lui font dessiner destranes noires sur le parchemin jauntre.

Pourtant, malgr toute la peine que les Parchemins ontcause ma famille et beaucoup dautres, au fond de moncur, je ne puis regretter de les avoir lus. Ils mont transform. prsent, je connais la vrit. Et rien ne pourra me larracher,sinon les lames du bourreau. Je mourrai, le dernier mot desParchemins aux lvres, et je mourrai satisfait.

En tant qucrivain, jai toujours subodor que les motspossdaient une certaine magie. Mais, aprs avoir lu les

Parchemins, je comprends quel point la parole crite peut trepuissante.Parfois, les mots sont le sang dun peuple.


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Post-scriptum

au prambule

par Jirrob Sordun, professeur au dpartementdes tudes universitaires U.D.B.

Vous voici de retour parmi nous pour la lecture du secondParchemin. Soyez les bienvenus.Vous vous demandez sans doute pourquoi nous avons

gaspill les premires pages de ce livre en y reproduisant lesultimes mots dun blasphmateur. Salazar Mut fut excut partorture publique et dcapitation lente en la prison de Welk-Neuf, Sant Sibaro, quelques heures aprs avoir rdig le textequi prcde.

Sa mort, mes chers lves, est le premier enseignement quevous devez mditer avant de poursuivre votre lecture desParchemins.

Avez-vous cru ses paroles ? Avez-vous adhr sa thorieque les mots sont parfois le sang dun peuple - quilsdtiennent un pouvoir magique ? Si tel est le cas, nayez pashonte : Salazar Mut tait un crivain trs dou.

Mais que cela vous serve de leon. Il ne faut jamais faireconfiance aux mots.

Mut tait victime dune illusion, dune faiblesse de lespritprovoque par la lecture non supervise des Parchemins.

Avant de tourner cette page, imprgnez-vous donc de lavrit suivante, et endurcissez votre cur en la rcitant unecentaine de fois avant le coucher du soleil :

Les mots nont pas de pouvoir.Les Parchemins nont pas de pouvoir.Seul le Conseil a du pouvoir.


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LES FOUDRES DE LA SORCIRE

N dans les flammes, lombre des ailes des dragons,ainsi dbuta le sombre voyage.


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Par-del ma fentre, un soleil hivernal va bientt s abmerdans le bleu de locan du Couchant. Le ciel na pas encore la

douceur rose du printemps ; cest un violent flamboiementdecchymoses pourpres, rouges et jaunes. Assis mon bureau,jattends comme tous les soirs depuis que jai fini de rdiger lapremire partie de son histoire, lan dernier. Voil dj unecentaine de nuits que je regarde la lune enfler puis dcrotre,dans ce mme sige, la plume en suspens au-dessus duparchemin, incapable dcrire.

Pourquoi ? Pourquoi mest-il si difficile de poursuivre mon

rcit ? Je sais que cest le seul moyen de me librer de lamaldiction de la sorcire. Je ne pourrai mourir que lorsquejaurai retranscrit sa vritable histoire dans son intgralit. Suis-je donc en train de traner les pieds dans lintention inavoue deprolonger mon interminable existence de vivre un, deux, voiretrois sicles de plus ?

Non. Le temps dtruit toutes les illusions que lon peutentretenir sur soi. Telle leau qui scoule dans une faille et la

creuse peu peu, le passage des ans a us les couches de mamauvaise foi. Cest bien le seul avantage que mait apport cettemaldiction : un cur dsormais lucide.

Ma longue improductivit ne nat pas du dsir de mterniseren ce monde, mais de la terreur qui me paralyse l ide de ceque je dois crire. Il est certaines blessures que mme le baumedu temps ne parvient pas gurir.

Je sais quil me faut maintenant raconter son tnbreux

voyage, dcrire sa route obscurcie par lombre de la sorcire.Pourtant, je redoute de consigner cette histoire par crit. Non


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seulement cela mobligera revivre des horreurs que jeprfrerais oublier, mais cela rendra la lgende plus relle endonnant substance et poids ce qui nest encore quun souvenirinarticul.

Nanmoins, je nai pas le choix.Alors, tandis que la lumire clatante et le tendre crpuscule

des beaux jours sestompent derrire moi, je trouve dans le ventglacial et le ciel meurtri la volont de me remettre crire.Lhiver est la seule saison en laquelle je puisse raconter sonhistoire.

Ce nest pas, toutefois, la saison en laquelle son histoire acommenc.

coutez Entendez-vous la glace craquer dans les cols alorsque le printemps brise enfin lemprise du gel sur les pics desDents, rouvrant laccs aux valles en contrebas ? On dirait ungrondement de tonnerre, un roulement de tambour annonantle dbut de son voyage.

Et, comme tous les voyages, bienheureux ou funestes, celui-ci dbute par un simple pas.


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LIVRE PREMIER

DE SOMBRES ROUTES


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Elena sortit de la grotte, cartant dune main le rideau decuir qui gardait la chaleur des feux dans le refuge desmontagnards. Le printemps tait dj vieux dune lune, mais, cette altitude, un vent glacial soufflait encore durant les

premires heures de la matine. Dehors, lair sentait la sve depin et le coquelicot des landes, et une brise tide augurait delt venir.

Elena repoussa la capuche de sa pelisse de laine verte et levales yeux. Les pics encore couronns de blanc semblaientpencher vers elle, comme sils menaaient de scrouler, et lerugissement dune centaine de cascades nes de la fonte desneiges se rpercutait dans la valle. Aprs un interminable hiverdurant lequel le temps avait paru aussi fig que leau desrivires, le redoux tait pareil une nouvelle naissance.

En souriant, Elena fit un pas. Mais, comme pour lui rappelerque lhiver navait pas encore totalement relch son emprisesur les montagnes, son talon glissa sur une plaque de glacenoire. La jeune fille battit des bras sans rsultat et atterritlourdement sur les fesses, au milieu de la piste rocailleuse.

Derrire elle, elle entendit du cuir frotter contre de la pierretandis quErril cartait son tour le rideau pour la rejoindre.

Fillette, il ne faudrait pas que tu te brises le cou avantmme que nous ayons quitt les Dents. (Il lui tendit la mainpour laider se relever.) Tu nas rien de cass ?

Non, a va. (Les joues assez brlantes pour faire fondre laglace sur laquelle elle tait tombe, Elena se releva seule.) Jenai pas vu Jai gliss

Face lexpression svre du guerrier, elle poussa un soupiret se dtourna. Sous ses sourcils noirs, les yeux gris d Erril

semblaient toujours la juger. Et pourquoi ne lui prtait-il


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attention que quand elle se brlait le doigt une flamme ou secognait le pied contre une pierre ? Elle sessuya les paumes surson pantalon gris, cherchant recouvrer sa dignit. Mais elle netrouva quune tache humide sur son sant.

a fait longtemps que les autres attendent, dit Erril en ladpassant et en attaquant la monte des trois cents marches quiconduisaient la passe o le reste de leur groupe s taitrassembl. Mme le loup devrait tre de retour.

Fardale tait parti au lever du jour pour reconnatre lespistes qui menaient vers les lointaines valles. Pendant cetemps, Neelahn et Mric avaient reu pour mission de seller leschevaux et de prparer le chariot tandis que Tolchuk et

Mogweed chargeraient provisions et quipement. Seul Kral taitrest en bas pour faire ses adieux son clan.

Si nous voulons franchir le col avant la tombe de la nuit,dit Erril en gravissant les marches, nous devons nous mettre enroute sans tarder. Regarde donc o tu mets les pieds au lieudadmirer les nuages.

peine avait-il fini sa phrase quune plaque de glace ledsquilibra. Il tendit son bras unique pour se rattraper et dut

redescendre deux marches en sautillant. Quand il jeta un coupdil Elena par-dessus son paule, la jeune fille vit que sonvisage stait encore assombri dun ton.

Je ferai attention, promit-elle en baissant humblement lesyeux mais sans russir rprimer une grimace moqueuse.

Erril grommela quelque chose entre ses dents et reprit sonascension.

Ils ngocirent le reste de lescalier avec prudence et sans un

mot, chacun envelopp dans son propre cocon de silence. MaisElena imaginait quils pensaient tous deux la mme chose : auvoyage qui les attendait, toutes les contres dAlasa quilsdevraient traverser pour atteindre Valloa. Quelque part aucur de la cit enfouie se trouvait le Journal Sanglant quErrilavait dissimul des sicles plus tt : louvrage qui, selon laprophtie, contenait la cl pour sauver Alasa de la noirecorruption du Gulgotha. Parviendraient-ils rcuprer le

Grimoire ? Leurs compagnons et eux formaient une troupe bienhtroclite ; ils avaient tous des origines diffrentes et des


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raisons dentreprendre ce priple qui ne ltaient pas moins.Ils avaient pass le plus gros des dernires semaines

prparer leur expdition choisir leur trajet et rassembler lematriel ncessaire. prsent, ils taient partags entre le

soulagement du dpart tant attendu et langoisse de quitter lascurit des montagnes. Depuis la veille, une chape de silencepesait sur les paules de chacun deux, lexception de

Ho ! lana une voix familire derrire eux.Ils sarrtrent au dbut de la piste. En pivotant, la jeune fille

vit la silhouette massive de Kral se faufiler par ce qui, de loin,semblait tre une ouverture minuscule flanc de falaise. Lemontagnard agita un bras gros comme un tronc darbre.

Attendez-moi, jarrive ! lana-t-il de sa voix pareille augrondement dun boulis.

Le dos courb sous un lourd paquetage, il monta les marchestrois par trois, dun pas bondissant. Elena frmit et retint sonsouffle. Elle tait stupfaite du peu de montagnards qui serompaient le cou sur les pistes geles. Kral se mouvait sans lamoindre hsitation, et jamais ses pieds ne glissaient sur laroche. tait-ce lexprience ou la chance qui lempchait de faire

une chute mortelle ? se demanda la jeune fille.Le colosse eut bientt rejoint ses amis.Cest une belle journe pour partir en voyage, commenta-

t-il, pas mme essouffl par la raret de lair cette altitude.Il tait le seul membre de leur groupe qui ne paraissait

nourrir aucune ambivalence au sujet de leur expdition. Tandisque les autres se renfermaient lapproche du dpart, Kralnavait manifest quimpatience et nergie dbordante. Il tait

constamment en train dinventorier leur quipement, daffterleurs armes, de limer les sabots des chevaux ou de mesurer lafonte des glaces.

Remarquant son large sourire, Elena se dcida lui poser laquestion qui la travaillait depuis un moment.

Tu nas pas lair trs triste. a ne te fait vraiment rien dequitter ton village ?

Kral se passa une main dans son paisse barbe noire. Une

expression amuse adoucit ses traits. Le printemps est traditionnellement la saison de la


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dispersion pour les gens de mon peuple. Quand les passesredeviennent praticables, nous nous rpartissons en diffrentsfoyers et nous partons arpenter les routes marchandes. Nous nenous runissons pas avant la fin de lautomne. En vrit, nous

navons pas de village proprement parler. Tant quil y a de lapierre sous nos bottes et un cur dans notre poitrine, noussommes chez nous.

Dun signe de tte, il invita ses compagnons avancer.Pourtant, Erril demeura immobile.

Tu dis la vrit, comme tous les montagnards, mais tu nenous racontes pas tout. (Perch deux marches au-dessus deKral, il pouvait plonger son regard droit dans celui du colosse.)

Je crois savoir pourquoi tu as tellement hte de partir.Le demi-sourire de Kral se mua en un pli dur. Vraiment ? Et pourquoi donc, homme des plaines ?

demanda-t-il, les yeux plisss. Lorsque nous nous sommes rencontrs lauberge de

Gelbourg, tu as mentionn une prophtie selon laquelle marapparition annoncerait la fin de ton peuple, rpondit Errilsans se troubler.

Le montagnard dtourna les yeux comme pour tudier lescraquelures de la glace qui recouvrait les marches. Tu nes pas seulement excit lide darpenter de

nouveau les routes : tu es soulag que je men aille et que tonclan ait survcu, affirma Erril.

Tes paroles me font honte, marmonna Kral sans dtacherson regard de la pierre gele.

Telle ntait pas mon intention.

Alors, quelle tait-elle ? Je souhaitais juste texprimer ma gratitude. (Erril agrippalpaule du colosse, qui carquilla les yeux.) Je tai dj remercide nous avoir offert le gte et de mavoir soign quand le poisondes gobelins coulait dans mes veines, mais je ne tai jamaisremerci pour le risque que ton clan a pris en me recueillant.Vous connaissiez la prophtie et, pourtant, vous mavez abrittout lhiver.

Tu ne nous dois rien, pas mme des remerciements. (Lalangue de Kral avait but sur le mot.) Il nous tait impossible


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dagir autrement. Nous sommes lis la Pierre, et nous ne nousdrobons pas devant notre devoir pas plus que devant unequelconque prophtie, aussi alarmante soit-elle.

Nanmoins, jai une dette envers vous, mon ami. (Erril

pressa lpaule de Kral une dernire fois, puis laissa retomberson bras et pivota vers la passe des Esprits.) Et les gens desplaines en connaissent un rayon sur lhonneur, eux aussi.

Elena embota le pas au guerrier, non sans avoir remarqu lalueur de respect qui stait allume dans les yeux de Kral.

Comme ils montaient vers la passe, Erril se mit boiterlgrement sur sa jambe droite ; de toute vidence, lascensionsollicitait beaucoup trop los que le couteau du gobelin avait

touch, lautomne prcdent. Le poison avait fait fondre la chairdu guerrier. Une fois rtabli, celui-ci avait assez vite repris desforces et du muscle, mais le souvenir de ses blessures demeuraitet se manifestait de nouveau chaque effort soutenu.

Erril ntait pas le seul membre de leur groupe qui porttdes cicatrices. Durant leur premire confrontation avec leSeigneur Noir, chacun des compagnons avait t bless, demanire plus ou moins visible. Et qui savait quelles batailles ils

devraient encore livrer avant datteindre la cit perdue ?Arriv au sommet de la piste, Erril sarrta, le regard fix surla passe ouverte.

Je pense toujours que votre plan est beaucoup trop risqu,maugra-t-il.

Elena et Kral le rejoignirent.En contrebas, la passe des Esprits dployait ses pentes

douces et ses prairies verdoyantes. Le printemps tait dj bien

install dans cette partie des hautes terres. Ici, la montagnegrouillait de vie. Des crocus claboussaient lherbe de tachesbleues et blanches ; des fleurs sauvages pointaient mme autravers des rares plaques de neige restantes. Entre les troncsargents dun bosquet de bouleaux, toute une famille dechevreuils aux flancs roux montait lentement vers le col. Unfaucon, qui dcrivait des cercles dans le ciel, piqua brusquementvers locan dherbe ondulante et en rejaillit, tenant une petite

crature poilue entre ses serres.Mais, apparemment, les yeux dErril ne voyaient rien de tout


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cela. Regardez-moi ce chariot, bougonna-t-il. On dirait une

catin deux sous, peinturlure et pare de grelots pour attirertous les regards.

Sur le bord dun ruisseau qui se faufilait entre des rochersmoussus, les chevaux des compagnons broutaient prs dungros chariot. Ses flancs de bois taient peints en orange brl ;la toile qui le recouvrait avait t teinte en bleu fonc etparseme dtoiles blanches dessines la main. Des cloches vache de couleurs diffrentes taient accroches sur les cts.

Moi, je ne le trouve pas mal du tout, rpliqua Kral.Les sourcils froncs, Erril se dirigea vers leurs compagnons,

qui les attendaient prs des chevaux.Jaurais d partir seul avec Elena, grommela-t-il. Ainsi,

nous naurions pas eu besoin de tout ce bazar. Notre dcision est prise depuis longtemps, lui rappela

Kral. Chacun de nous a lanc ses pierres. Mis part Mric quivoulait renoncer entirement ce priple , tu tais le seul souhaiter que nous nous sparions.

Nous sommes trop nombreux. deux, nous aurions

avanc plus vite, et nous nous serions fait moins remarquer. Peut-tre, mais, si par malheur lennemi vous repre, tuauras besoin de notre force et de nos comptences tous pourprotger Elena contre lemprise du Cur Noir. Les voleurs et lesbrigands ne sont pas lunique danger qui la menace.

Jai dj entendu ces arguments.Elena tait presque oblige de courir pour ne pas se laisser

distancer par les deux hommes.

Oncle Boln a dit quon devait rester ensemble, haleta-t-elle. Je sais, dit Erril en ralentissant pour permettre la jeune

fille de passer devant lui. Loin de moi lide dinsulter sammoire. Ctait un homme courageux. Mais les augures quil atent de dchiffrer sont difficiles interprter avec prcision. Ila pu se tromper.

Non, il avait raison, contra fermement Elena.

Au fond de son cur, elle sentait quil tait trs importantque les compagnons restent unis. Peut-tre parce quelle avait


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dj perdu toute sa famille : ses parents avaient pri carbonisspar sa faute, son oncle et sa tante avaient t tus par desmonstres du Gulgotha, et son frre Joach lui avait t enlevpar un mage noir. Jamais elle naurait pu supporter des pertes

aussi terribles sans le soutien de ceux qui lentouraient. Aprssix mois passs avec eux, ils taient devenus sa deuximefamille, unie non par le sang de la naissance mais par celui desbatailles , et elle refusait quon la lui arrache comme lapremire.

Nous devons rester ensemble, insista Elena.Cest ce que nous allons faire, acquiesa Erril.Mais la jeune fille entendit le scepticisme qui perait dans sa

voix.Cest un bon plan, affirma Kral. (Il dsigna le chariot

bariol.) En nous faisant passer pour un petit cirque un parmiles milliers dautres qui arpentent les routes la belle saison ,nous nous cacherons dcouvert. Pendant que des yeuxinquisiteurs nous chercheront sur les chemins les moinsfrquents ou dans les ruelles les plus obscures, nous nousdplacerons en plein jour, la vue de tous et sans nous soucier

dtre discrets. Non seulement cela dissuadera les curieux dyregarder de plus prs, mais cela nous permettra de gagnerquelques pices pour acheter des vivres lorsque nos rservesseront puises. Je trouve que cest parfait !

Et on sait bien que vous autres, montagnards, vous ditestoujours la vrit, railla Erril.

Kral poussa un grognement amus et tapota l paule duguerrier.

tout le moins, cet hiver pass parmi les clans tauraenseign un peu de sagesse.Ils approchaient du chariot prsent, et la voix rocailleuse

du montagnard attira lattention de leurs compagnons, jusque-l absorbs par leurs derniers prparatifs. Neelahn, qui tait entrain de seller un talon rouan, leva la main pour les saluer etse figea en apercevant Elena. Clignant des yeux, elle laissaretomber la brosse triller quelle tenait dans son autre main

et se porta la rencontre des nouveaux venus. Douce Mre, Erril, quas-tu fait cette pauvre enfant ?


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sexclama-t-elle en essuyant une trane de boue sur sa joue.Gne, Elena porta une main ses cheveux. la place de

labondante crinire rousse qui, nagure, lui tombait dans ledos, elle narborait plus que des boucles peine assez longues

pour lui couvrir les oreilles, et teintes en noir par les soinsdErril.

Jai pens que pour dissimuler Elena, le meilleur moyen,ctait encore de la dguiser, expliqua le guerrier. Donc je vousprsente mon fils.

Erril regarda les compagnons se rassembler autour dElena.Au milieu du petit groupe, Tolchuk dpassait tel un rocher

jaillissant dun torrent. Il pesait deux fois plus lourd que Kral,qui navait dj rien dun freluquet. Sentant que sa silhouettemassive effrayait Elena, il prenait garde ne pas se tenir tropprs delle. Mme sil tait hideux avec sa peau la texture ducuir et ses crocs saillants, Erril avait appris le respecter, voire ladmirer pour son calme et son intelligence. Pendant leursdiscussions plus quanimes au sujet de la marche suivre pourgagner Valloa, ctaient les sages arguments de Tolchuk qui

avaient fini par le convaincre dadopter le plan de la majorit.Par contraste avec logre dans lombre duquel il se tenait,Mogweed le taciturne semblait encore plus frle et plusinsignifiant. Aux yeux dErril, le mtamorphe demeurait unenigme. Il parlait rarement, et, quand il le faisait, c tait dunevoix si basse quon lentendait peine. Ses gestes taientnerveux, et, dans la plupart des situations, il prfrait rester enretrait. Mais, mme sil ne laissait transparatre que peu de

chose dans ses attitudes et son discours, il mettait Erril mal laise. Le guerrier sentait quelque chose de fuyant et de trs peufiable chez lui. En ce moment mme, Mogweed jetait Elenades coups dil furtifs et avides, comme un rapace tudiant saproie la drobe. Erril croyait presque voir tourbillonner danssa tte les penses quil nexprimait jamais.

Mric, en revanche, ntait pas du genre garder sesopinions pour lui. Le grand elphe aux cheveux argents, vtu de

son habituelle tunique de lin blanc et de son non moins habituelpantalon vert bouffant, se pencha vers Elena en tendant un


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doigt trs mince pour lui relever le menton, mais ce fut Errilquil lana :

Comment as-tu os la toucher ? Tu navais pas le droit deprofaner de la sorte la beaut de notre ligne royale.

Ctait ncessaire, rpondit froidement Erril. Sondguisement est peut-tre la seule chose qui empchera taprcieuse ligne royale de steindre.

Mric lcha Elena et tourna un regard dur vers le guerrier. Et sa marque ? demanda-t-il en dsignant la main de la

jeune fille, dont la peau tait couverte de tourbillons carlates.Comment te proposes-tu de dissimuler son flamboiement ?

Mon fils participera la vie du cirque en portant le

matriel et en balayant. Pour sacquitter de toutes ces corves, ilaura besoin dune bonne paire de gants de travail.

Erril tapota sa ceinture, laquelle pendait une paire degants en cuir trs ordinaires.

Tu veux quune princesse elphique te serve de souillon ?(La peau trs ple de Mric sempourpra.) Tu las dj assezridiculise en la tondant.

prsent, le visage dElena avait la mme couleur que sa

main.Mric sagenouilla prs delle. coute, Elena, tu nes pas oblige de faire a. Tu es la

dernire descendante de la ligne du roi des elphes. Dans tesveines coule le sang de plusieurs dynasties perdues. Tu ne peuxpas ignorer ton hritage. (Il lui prit la main.) Renonce cettequte absurde et laisse-moi te ramener chez toi.

Je suis chez moi en Alasa, rpliqua la jeune fille en se

dgageant. Je descends peut-tre de ton fameux roi perdu, maisje suis aussi une enfant de ces contres, et je ne lesabandonnerai pas aux mains du Gulgotha. Tu es libre de tenaller si tu veux. Moi, je reste.

Mric se releva. Tu sais bien que je ne peux pas rentrer pas sans toi. Et

ma mre, la reine, ne tolrerait pas quil te soit fait le moindremal. Si tu tobstines dans ta folle entreprise, je nai dautre choix

que de tescorter.Lelphe commenait fatiguer Erril.


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Cette enfant est dj sous ma protection, dit le guerrier enprenant Elena par lpaule pour lentraner plus loin. Elle nanul besoin de la tienne.

Mric le toisa dun regard ddaigneux.

Le beau garde du corps que tu fais ! railla-t-il. Pour senpersuader, il suffit de voir le chariot dans lequel tu te proposesde la faire monter. Tu voudrais quelle voyage comme unevagabonde !

Erril frmit en reconnaissant ses propres objections. Ildtestait tre du mme avis que lelphe.

Ce nest pas si idiot comme plan, marmonna-t-il en ayantparfaitement conscience de se contredire. a fait des sicles que

jarpente les routes dAlasa en jonglant pour gagner mapitance. Et dans un vhicule aussi tape--lil, un adolescentbanal aura plus de chances de passer inaperu.

Mais regarde ses cheveux, gmit Mric. tait-ce vraimentindispensable ?

Avant quErril puisse rpondre, Tolchuk sinterposa. Les cheveux, a repousse, dit-il simplement, de sa voix

pareille au fracas dune avalanche.

Avec une grimace amuse, Kral se tourna vers Neelahn, quise tenait prs de lui.Cest rgl. Tu seras donc la seule femme de notre petite

troupe. Mais ne ten fais pas : si tu te sens trop en minorit, onpourra toujours coller une perruque logre et le faire passerpour le chri de Mogweed.

La nyphai repoussa ses longs cheveux blonds en arrire. a ne devrait pas tre ncessaire. Maintenant, si vous avez

suffisamment dvisag cette pauvre gosse, on pourrait peut-trefinir de seller les chevaux et se mettre en route. Neelahn a raison, acquiesa Erril en tournant le dos

Mric. Lhumidit du col se changera en glace la tombe de lanuit, et

Regardez ! sexclama Elena en dsignant la passe.Les compagnons pivotrent. Un norme loup noir descendait

vers eux en trottinant, telle une ombre se faufilant dans lherbe

de la prairie. Il tait temps, marmonna Mogweed entre ses dents.


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Erril perut le dgot dans sa voix, et devina qu il y avaitbeaucoup de non-dits entre les deux mtamorphes.

La langue pendante, Fardale simmobilisa devant son frre etle fixa de ses yeux ambrs que la lumire du soleil faisait

tinceler comme des joyaux. Quelques instants plus tard, ilhocha lgrement la tte, rompit le contact visuel et se dirigeavers le ruisseau pour tancher sa soif.

Alors, Mogweed ? Qua dit ton chien ? senquit Kral. Ce nest pas un chien, le morigna Elena voix basse. Tu

ne devrais pas lappeler ainsi. Il plaisante, fillette, intervint Erril en se rapprochant

deux. Vas-y, Mogweed. Dis-nous ce que ton frre a dcouvert

sur ltat des routes.Le mtamorphe recula dun pas, comme sil voulait

disparatre dans lombre de Tolchuk. Il dit que beaucoup dentre elles sont bloques par des

eaux rapides et profondes, lexception de celle qui se trouve leplus au nord.

Parfait, se rjouit Erril. a nous laisse une ouverture versla valle et les plaines.

Sauf queMogweed hsita et parut se recroqueviller sur lui-mme. Sauf que quoi ? Fardale dit quelle sent mauvais.Une graine dinquitude germa dans les yeux dElena. Quest-ce que a signifie ?Erril se massa la tempe, o une veine puisait

douloureusement depuis la monte ardue de lescalier.

Oui, quest-ce que a signifie ? rpta-t-il sur un ton aigre.Mogweed tudia les fleurs quil crasait sous ses bottes. Ce nest pas clair. Quelque choseIl secoua la tte.Tolchuk se dandina et se racla la gorge. Le loup sexprime par images, tenta-t-il dexpliquer. Ma

moiti silura en a capt certaines linstant. Un loup au poilhriss. Un chemin dsert qui empeste la charogne.

ton avis, a veut dire quoi ? senquit Elena dune toutepetite voix.


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Il nous prvient que, mme si la voie est libre, sesperceptions de loup captent quelque chose danormal. Aussinous recommande-t-il dtre prudents.

Dans le silence qui suivit, Fardale revint en trottinant et

sassit ct dElena, dont il poussa la main avec son museaumouill. La jeune fille le gratta distraitement derrire lesoreilles.

Je croyais que tu ne voulais pas quon le traite comme unchien, songea Erril. Mais il ne dit rien. Lintimit quElenapartageait avec le loup semblait apaiser son inquitudecroissante ; or, la jeune fille aurait besoin de tout le couragequelle pourrait conjurer pour le priple venir.

Daccord, conclut Erril. On y va, mais on ouvre les yeux etles oreilles.

Tandis que les autres saffairaient prs des chevaux,Mogweed contourna le chariot. Lui aussi avait ses derniersprparatifs effectuer.

Il repra la vieille bossue parmi les montagnards venusassister au dpart de Kral. Il lui adressa un signe de tte et battit

en retraite dans lombre du chariot. Plongeant la main dans sapoche, il en tira trois pices de cuivre et les examina un instantavant den ranger une. Deux, ce serait bien suffisant.

Il couta les autres membres du groupe se crier desinstructions. Tous semblaient trs occups. Parfait.

Bientt, il entendit la respiration sifflante de la montagnardequi sapprochait en clopinant. Il se mordit la lvre infrieure. Ildtestait dpendre de qui que ce soit. Mais, sil avait demand

ce service la vieille femme, cest parce quil ne pouvait pas sedbrouiller seul. Il fit sauter les pices dans sa paume. Parchance, ces bouts de cuivre brillant taient capables dinciter lesmains dautrui faire le travail dont les siennes ne pouvaient secharger.

La vieillarde aux cheveux gris, qui utilisait une branche denoyer poli en guise de canne, rejoignit Mogweed dans l ombredu chariot. Autrefois, elle avait sans doute t plus grande que le

mtamorphe, mais le temps avait si cruellement courb son dosquelle devait dsormais lever les yeux pour le dvisager. De ses


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yeux couleur de granit, elle ltudia attentivement. Lesinnombrables hivers qui avaient ravag son corps avaientgalement chang son cur en un bloc de glace aussi dure queles neiges ternelles qui couronnaient les pics Mogweed le

sentait. Soudain, il regretta de lavoir choisie pour complice.Dtournant les yeux pour se drober son regard de silex, il seracla la gorge.

Vous avez pu vous procurer ce que je vous ai demand ?La vieille femme le fixa en silence pendant quelques instants,

puis acquiesa et plongea la main dans les replis de sa cape enfourrure de renard miteuse.

Nous autres nomades, nous sommes des marchands, pas

vrai ? rpliqua-t-elle avec un rire caquetant.Elle produisit une petite bourse en peau de chvre tanne et

fit mine de la lui tendre. Mais, quand Mogweed avana unemain, elle la ramena brusquement contre sa poitrine.

Tu peux mexpliquer ce que tu comptes en faire ?demanda-t-elle.

Le mtamorphe stait prpar cette question. Je veux juste les garder en souvenir, dit-il en prenant son

air le plus innocent.La vieille femme plissa les yeux. Tu es rus, siffla-t-elle. Peut-tre un peu trop pour ton

propre bien. Je ne vois pas de quoi vousElle cracha ses pieds. Tu empestes le mensonge.Mogweed recula dun pas. Allait-elle le dnoncer ?

Machinalement, il porta sa main gauche au manche de la daguepasse sa ceinture. Mais il ne mappartient pas de te juger, et un march est

un march, conclut la vieille femme en lui lanant la bourse. LaPierre jaugera ta valeur et tracera ton chemin.

Surpris, Mogweed rattrapa maladroitement le petit sac de samain libre et le plaqua contre sa poitrine pour ne pas le laisserchapper. Ne sachant pas quoi dire, il glissa son autre main

celle qui serrait toujours les deux pices de cuivre dans sapoche et en sortit la troisime pice. Il sentait quil avait intrt


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se montrer gnreux. Tenez. Pour vous ddommager de votre peine,

marmonna-t-il en tendant le tout la vieille femme.Dun geste vif, celle-ci lui abattit sa canne sur le poignet. Les

trois pices tombrent dans la boue. Pour nettoyer mes oreilles de tes mensonges, il faudra au

moins de largent.Mogweed frotta sa main endolorie, puis fouilla dans sa poche

en qute dune de ses rares pices dargent. Il la lui remit ensurveillant sa canne dun il mfiant.

La vieillarde fit disparatre son salaire dans les plis de sacape. Avec un grognement, elle se dtourna, non sans lui lancer

un dernier avertissement. Prends garde ce que tu achtes avec des mensonges,

renard rus. Tu pourrais bien dcouvrir que ton butin ne vautpas le prix que tu lauras pay.

Sur ce elle sortit de lombre et disparut dans la lumire dusoleil au coin du chariot.

Mogweed ouvrit la bourse en peau de chvre et examina soncontenu. Un sourire dnu de gaiet sinscrivit sur son visage.

Ce butin-l possdait une valeur inestimable.Loves au fond de la bourse reposaient plusieurs mchescoupes des cheveux roux dElena.

La marque dune sorcire.

lombre des branches de chne entremles, un silencetrange stait abattu sur le sous-bois. Pas un oiseau nechantait ; pas un insecte ne bourdonnait.

Virani sagenouilla prs dune souche de pin pourrie, demicalcine par un feu trs ancien. Seuls ses longs cheveux noirsrecouvraient sa peau couleur de lune ple. Elle tendit loreille enretenant son souffle. Le plus lger des bruits aurait suffi rompre lenchantement.

Mais ses enfants avaient bien travaill. Il ne restait pas unecrature vivante un quart de lieue la ronde. Le sol taitjonch de petits corps dcureuils et doiseaux de toutes sortes.

Virani aperut mme une biche rousse qui gisait la lisire dubosquet, le cou tordu par les effets du poison. Satisfaite, elle


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inclina la tte pour entamer ses prparatifs.Face elle, sur la souche ronge par les vers, reposait un bol

de pierre dbne gros comme la paume de sa main plus noirque la plus noire des obsidiennes, et zbr de veines de quartz

argent pareilles des clairs dchirant un ciel nocturne. Elle lecaressa du bout dun doigt.

lintrieur de ce rcipient, elle trouverait richesse etpouvoir.

Elle sentailla le pouce laide dune dague dos et fit coulerson sang dans le bol. Tel du mercure, les grosses gouttes rougefonc tombrent sparment au fond du rcipient, puissvaporrent. La pierre tait toujours assoiffe.

Tandis que Virani rcitait les mots quon lui avait appris,elle sentit sa langue devenir plus froide chaque syllabe. Elle sefora continuer sans sarrter car toute interruption seraitsynonyme de mort.

Par chance, la litanie tait courte. Des larmes perlant entreses paupires closes, elle cracha htivement les derniers mots.Puis elle sassit sur ses talons et porta son pouce ses lvresbleuies pour sucer la plaie. Le sang envahit sa bouche comme

du feu liquide.Mais le plus dur restait encore venir. Maintenant, elledevait attendre.

Ses enfants durent percevoir sa dtresse, car ilssapprochrent en hsitant. Elle les autorisa escalader sesjambes et se rfugier lendroit par lequel ils taient venus aumonde. Lun deux, plus inquiet que les autres, remonta le longde son ventre et frotta doucement ses pattes poilues contre un

de ses mamelons.Virani rpta les tapes du rituel dans sa tte. Avait-ellecommis une erreur ? Il aurait peut-tre fallu plus de sang

Des flammes noires jaillirent soudain du bol dbne,ondulant telles les langues dune centaine de serpents.

Le feu obscur, chuchota Virani.Loin de la rchauffer, celui-ci parut consumer toute la

chaleur qui subsistait dans latmosphre. Loin de lclairer, il

absorba la lumire crpusculaire qui filtrait au travers desfrondaisons. Le bosquet devint aussi lugubre que si une nappe


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de brouillard glacial stait dverse du bol.Effray, lenfant qui se cramponnait au sein de Virani lui

mordit le tton. Elle ignora la douleur. Empoisonne ou pas, lamorsure de laraigne ntait quune gne mineure compare

la menace tapie dans le feu obscur. Elle inclina la tte. Matre, votre servante se tient votre disposition.Les flammes enflrent. Tandis que les tnbres

engloutissaient le bol et la souche, un cri touff monta de leursprofondeurs. Virani frissonna. Elle reconnaissait la musiquedes donjons de Noircastel. Jadis, sa propre voix s tait jointe auchur des supplicis. Elle serait toujours parmi eux si le CurNoir ne lavait pas trouve plaisante regarder, sil ne lavait pas

choisie comme calice et insmine avec sa Horde.Virani leva la main. lendroit o le Seigneur Noir en

personne lavait touche la dernire nuit, une mche blanche senichait dsormais dans sa chevelure noire, tel un serpentalbinos dissimul entre les racines dun chne. Tandis quellelentortillait autour de son doigt, des images dfilrent dans sonesprit des crocs jaunes, des griffes acres, des ailesosseuses Elle laissa retomber sa main. Certains souvenirs

gagnaient ne pas tre examins de trop prs.Puis une voix sleva des flammes, une voix qui sapa toute sadtermination. Tel un chien battu qui redoute les coups de sonmatre, Virani sentit sa vessie se relcher, et un liquide chaud serpandit entre ses cuisses alors quelle se prosternait encoreplus bas.

Tu es prte ? demanda le Seigneur Noir.Chacune de ses paroles branlait Virani jusqu la moelle.

Oui, Sire.Elle embrassa le sol quelle venait de souiller. Ses enfantssparpillrent et disparurent sous les feuilles mortes ou lescarcasses danimaux. Ils ne constituaient quun minusculevestige de la Horde, mais ils reconnaissaient la voix de leurpre.

Ta rgion est scurise ? Oui, Sire. Mes enfants gardent toute la passe. Si la

sorcire lemprunte, ils me prviendront, et jinterviendrai. Tu connais ta mission ?


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Virani acquiesa, touchant la boue de son front. Nul ne doit en rchapper.


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Elena ferma les yeux pour mieux se laisser bercer par lemouvement de son cheval. Les muscles de ses jambesragissaient aux moindres tressaillements, aux moindresondulations des flancs de lanimal ; force de familiarit, la

frontire entre monture et cavalire se dissolvait en un rythmefluide.Les compagnons chevauchaient depuis prs dune journe

entire, mais ils navaient gure progress. Le chariot cahotantnavanait pas plus vite quun adulte marchant dun bon pas, etils avaient t ralentis par plusieurs torrents en crue quilsavaient d traverser avec mille prcautions, tant leur courantvivace stait avr tratre.

Si les autres pestaient contre leur allure descargot, Elenanen avait cure. Elle tait trop heureuse de monter de nouveausa petite jument grise. Brume tait le seul vestige de son foyerqui et survcu aux ravages de lautomne prcdent. Quand elletait perche sur son dos, ces terribles vnements ne luiapparaissaient plus que comme les chos dun cauchemar. Ellepouvait presque imaginer quelle traversait les champs de savalle natale pour aller pique-niquer la colline Chauve.

Tendant une main vers la crinire de Brume, elle la peigna

de ses doigts tremblants. Un lger sourire releva le coin de seslvres. Un instant, elle crut sentir lodeur de la ferme de sesparents dans la transpiration musque de la jument.

Puis la voix lasse dErril larracha sa rverie, dissipant sessouvenirs.

Fillette, on monte mieux quand on regarde o on va.Elena se redressa et ouvrit les yeux. Des ranges de pins et

de bouleaux bordaient leur chemin. Devant elle, la jeune fille

aperut larrire du chariot qui brinquebalait sur le sol


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accident. Elle marmonna : Brume suit les autres. Elle ne se perdra pas.Erril talonna la monture que lui avaient fournie les

montagnards un talon blanc dont le pelage se confondait

avec la neige des sommets pour lamener la hauteur dElena.Il portait une veste dquitation brune et des bottes noires quilui montaient jusquaux genoux. Un lien de cuir rougeempchait ses cheveux de lui tomber sur la figure, mais le ventde la passe stait empar de quelques mches sombres quilfaisait voler derrire Erril telle une bannire. Juch sur songrand cheval des roches, il surplombait Elena et sa petitejument grise de presque un mtre.

Tu tes exerce rcemment ? demanda-t-il dune voix dure,ses yeux tincelant comme des silex dans le soleil de cette findaprs-midi.

Elena se droba son regard pour tudier le pommeau de saselle.

Un peu.Erril lui avait enseign quelques principes de base sur le

contrle de la magie. Avant de se sacrifier pour crer le Journal

Sanglant, son frre cadet, Shorkan, avait t un mage puissantet, durant les dix ans passs ses cts, le guerrier avait apprisun peu de son art.

Erril soupira. Il tendit la main pour saisir les rnes deBrume, tout en contrlant sa propre monture avec de subtilsmouvements du talon et de la cuisse.

coute, Elena, je comprends ta rticence manipuler lepouvoir qui est en toi, mais

Non. Tu te trompes. (La jeune fille ta son gant droit,rvlant la souillure carlate de sa main.) Jai fini par accepter lefardeau qui est le mien. Je nen ai plus peur. (Elle fit mine deposer ses doigts sur le poignet dErril et, comme elle syattendait, le guerrier retira sa main.) Contrairement toi et auxautres.

Cette fois, ce fut Erril qui refusa de soutenir son regard. Ce nest pas ce que tu, commena-t-il.

Elena leva sa main rougie pour linterrompre. Elle avaitbesoin de formuler son sentiment voix haute.


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Je vois bien quils mobservent en douce et quils sedonnent un mal de chien pour ne pas me toucher. Leur frayeurminquite davantage que mon pouvoir.

Je suis dsol, Elena, mais essaie de comprendre. a fait

des sicles que personne na port la marque de la Rose etplus longtemps encore quaucune femme ne la arbore.

Ne pouvez-vous voir ladolescente cache derrire laRose ? Je ne suis pas seulement cette tache sur ma main.

Elena remit son gant. Quand elle releva la tte, elle vitquErril la fixait avec une expression pensive, et que les lignesde son visage staient adoucies.

Bien dit, Elena, approuva-t-il. Peut-tre ai-je accord trop

dimportance la sorcire et pas assez la femme.Elle le remercia dun signe de tte. Peut-tre devrais-tu tenir compte des deux. Car je

souponne quelles seront galement mises lpreuve durantnotre qute.

Erril ne rpondit pas, mais il tendit la main et lui pressa legenou.

Tu as beaucoup grandi durant ces six mois passs auprs

du peuple de Kral. Plus que je ne laurais cru. a doit tre lair des montagnes, grimaa Elena.Le guerrier lui tapota la cuisse et lui offrit un de ses rares

sourires. Tout au fond delle, quelque chose sagita. Lorsquilretira sa main, elle fut envahie par un mlange de soulagementet de regret.

Erril carta son talon de quelques pas tandis quElenatalonnait Brume pour rattraper le chariot. Elle poussa un

soupir. Tout coup, le voyage vers Valloa ne lui semblait plus silong.Un bruit de galop rsonna devant elle. Mric apparut, juch

sur une capricieuse jument rouanne qui rebroussait cheminventre terre. Lelphe semblait flotter au-dessus de sa selle. Sescheveux argents, coiffs en une longue tresse, volaient dansson dos comme pour imiter la queue de sa monture. Il sarrtaprs dErril et dElena.

Que se passe-t-il ? senquit le guerrier.Mric lignora et salua Elena de la tte avant de rpondre :


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Kral a fait arrter les autres un peu plus loin. Il a trouvquelque chose de bizarre. Il demande quon le rejoigne.

Les doigts de la jeune fille se crisprent sur ses rnes. Quelque chose de bizarre ? Quoi, exactement ?

Mric secoua la tte. Je lignore. Il dit quil na jamais rien vu de semblable dans

les montagnes.Elena se souvint du message du loup. La route sent

mauvais. Elle resserra frileusement le col de sa veste.Erril avait port la main au pommeau de son pe. Guide-nous.Mric fit volter son cheval et obtempra. Tandis quils

dpassaient le chariot aux couleurs criardes, Elena vit queNeelahn et Mogweed ne se trouvaient dj plus sur le banc duconducteur. Elle jeta un coup dil sous la bche. Personne.Tolchuk avait d partir en avant, lui aussi.

Mric entrana Erril et Elena sur la piste mal dessine. Ausortir dun virage, le chemin senfonait dans une pente abrupte.Les autres membres de leur groupe staient rassembls sur lacrte pour tudier le terrain en contrebas. Elena et ses deux

compagnons mirent pied terre. Kral, lana Erril en se dirigeant vers le montagnard,quas-tu trouv ?

Pour toute rponse, Kral tendit un index pais vers le bas.Elena sapprocha de Neelahn, qui arborait une expression

inquite. La piste descendait vers une fort en dcrivant deslacets serrs. cause du soleil qui se couchait derrire eux, lesarbres taient noys dans lombre. Il sagissait, pour la plupart,

de chnes noirs et drables rouges dont les troncs tortursprsentaient un contraste saisissant avec llgante posture despins et des bouleaux que lon trouvait plus haut dans lamontagne.

Ce bois semble malade, chuchota Neelahn, son attentiontourne vers lintrieur, comme si elle coutait avec bien plusque ses oreilles.

Cest quoi, le truc qui pend aux branches ? demanda

Mogweed.Elena le voyait aussi : des filaments dune pleur presque


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phosphorescente qui, telles des lianes spectrales, sagglutinaienten amas denses ou stiraient en rubans aussi longs que lesarbres taient hauts.

Quest-ce que cest ? insista Mogweed, dirigeant sa

question vers Neelahn.Mais la rponse vint de Tolchuk, dont les yeux perants

brillaient dans la lumire dclinante du crpuscule. On dirait des toiles.La voix de Mogweed monta dans les aigus. Et comment ? Qui les a tisses ? ton avis ? grogna Elena. Des araignes.

Neelahn savana vers le chne solitaire. Elle avait besoin derponses. Le noble vieillard se dressait la lisire de la forttelle une sentinelle, un peu lcart de ses frres envelopps parleur linceul arachnen. Seules ses branches parsemes debourgeons vert clair effleuraient le bout des leurs. Quelquechose clochait terriblement en ce lieu.

Neelahn ! appela Erril. Attends !La nyphai lignora, se contentant de lever une main pour lui

intimer le silence. Loin derrire eux, leurs compagnonsbataillaient pour guider le chariot dans les virages en pingle cheveux. Neelahn les entendait se crier des instructions. SeulsErril et Elena lavaient suivie quand elle stait lance vers lalisire des arbres.

En tant que nyphai, imprgne par la magie lmentale desracines et de la mousse, la fort tait son domaine. Elle nepouvait pas rester les bras ballants pendant que ces bois

vnrables souffraient. Elle dcouvrirait qui les avait agresss et elle le lui ferait payer.Elle sapprocha prudemment du chne, prenant garde ne

pas craser les glands tombs au pied de son tronc noueux.Offenser ce vieillard ntait pas une bonne ide pas si ellevoulait lui soutirer des rponses.

Avec sa silhouette courbe par les ans, son corce noircie pardes dizaines dannes de gel hivernal et de canicule estivale,

larbre solitaire imposait le respect. Ses branchessenchevtraient comme pour exprimer sa colre face aux


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tourments infligs ses frres. Mais mme ce robuste survivantnavait pas t totalement pargn par la corruption. Neelahnrepra plusieurs protubrances de la taille dun melon qui sedtachaient sur son tronc telles dnormes pustules jaunes. Elles

ressemblaient vaguement la galle provoque par certainesespces de gupes, mais la nyphai nen avait jamais vu daussigrosses.

Elle tendit un doigt hsitant vers lcorce du vieux chne, enfaisant bien attention ne toucher aucune des excroissances.Puis elle ferma les yeux, inclina la tte et souvrit mentalement.Rveille-toi et coute-moi, vnrable aeul. Jai besoin de tesconseils.

Elle attendit une rponse, guettant le frmissement spirituelqui lui indiquerait quelle avait t entendue. Certains arbrestrs gs sabmaient dans leurs rves et rpugnaient sarracher, ft-ce quelques instants, au chant choral de leurfort. Mais ce ntait pas le cas de celui-ci. Neelahn ne captaitpas la moindre trace de mlodie avec laquelle il aurait pucommunier.

Un silence absolu planait sur la fort.

La nyphai frissonna. Elle navait t confronte cephnomne quune seule fois auparavant chez elle, Lokaihera, aprs que la Pourriture eut tu son bosquet natal.

Neelahn, dit Elena tout prs de son paule. Tu pleures.Quest-ce qui ne va pas ?

La fort Elle nest pas malade, rpondit Neelahn dunevoix brise. Elle est morte. Elle a t empoisonne, comme lamienne.

Comment est-ce possible ? stonna Erril. Regarde tousces bourgeons ! Les arbres ont lair en parfaite sant. Non. Lesprit dun arbre commence chanter le jour o la

graine clt, et il continue jusqu sa mort. (Neelahn fit face Erril et Elena, une paume respectueusement pose sur letronc froid du vieillard.) Mais je nentends aucune voix danscette fort, chuchota-t-elle. Tous les esprits lont quitte.

Pourtant, les arbres continuent pousser, objecta Erril.

Cest un leurre. Quelque chose a chass les esprits pourprendre leur place, affirma Neelahn. Ce qui ntend devant


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nous nest plus une fort.Elena se rapprocha dErril. Qui a bien pu faire a ? demanda-t-elle, les yeux

carquills.

Je neNeelahn se raidit. Ce ntait peut-tre que son imagination,

mais lespace dun instant, elle avait cru sentir une vibrationfamilire, entendre un tintement pareil celui des cristauxagits par le vent. Elle retint son souffle : elle nosait pasesprer. Puis elle sentit de nouveau lesprit qui se tendait verselle, luttant pour remonter la surface du poison dans lequel ilse noyait.

Le vieillard tait toujours vivant ! Mais il souffrait tant Neelahn ? appela craintivement Elena. Chut. Il est si faibleNeelahn se dtourna de ses compagnons inquiets pour poser

ses deux mains sur le tronc noueux du chne. Viens moi, vnrable aeul, pria-t-elle. Laisse ma chanson te redonner desforces.

Elle se mit fredonner tout bas une mlodie apprise quand

elle tait enfant. Lesprit de larbre se rapprocha delle enhsitant, comme sil se mfiait. Elle souvrit encore davantage.Contemple ma lumire. Naie pas peur.

Alors, la voix du chne se joignit la sienne. Ce fut dabordun simple murmure, qui se chargea bientt dune ferveurdsespre. Cela faisait trs longtemps que le vieillard n avaitpas communiqu ainsi. Neelahn sentit sa chanson lenveloppercomme les bras dun ami perdu et retrouv. Mais son treinte

manquait de vigueur. Bien que magnifique et dote de larsonance profonde que seul pouvait cultiver le passage denombreux hivers, sa voix sestompait un peu plus chaque note.Il mobilisait les derniers vestiges de son esprit pour rpondre la nyphai.

Neelahn refusait quil fit tous ces efforts en vain.Harmonisant sa chanson la douloureuse complainte du chne,elle implora : Raconte-moi ce qui est arriv ceux qui

partagent ta terre, vnrable aeul. Nous devons savoir.Le vieillard continuait fredonner, mais sa voix faiblissait


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rapidement. Un seul mot parvint distinctement aux oreilles deNeelahn : Horde.

Quest-ce que a signifiait ?Perplexe, elle implora le chne de lui fournir une description

plus claire mais ne reut pas de rponse. Le vieillardagonisait. Elle entonna un air de gurison et despoir. En vain.Lesprit de larbre mourut tandis quelle berait sa chansoncontre son cur.

Baissant la tte, elle toucha son corce du front. Puisse laDouce Mre laccueillir en son sein.

Mais, linstant o lesprit sabmait dans le vide, un dernierchuchotement parvint Neelahn. Choque, elle laissa retomber

ses mains. Un frisson la parcourut de la tte aux pieds. Non !Pas a ! Des larmes jaillirent de ses yeux.

Quy a-t-il ? senquit Elena.Neelahn lutta pour reprendre le contrle de sa langue et

sexprimer de vive voix. Comme le langage humain lui paraissaitterne, compar la richesse du chant des arbres ! Encoretourdie par le message du chne, elle secoua la tte.

Nous devons

Recule ! aboya Erril.Il prit la nyphai par lpaule et lcarta brutalement duchne.

Sautillant pour garder son quilibre, Neelahn pivota pourvoir ce qui avait effray le guerrier. Elle porta une main sabouche pour masquer sa grimace de dgot. Les excroissancesjaunes staient mises trembler sur le tronc de larbre mort, etles oreilles de la nyphai captrent un bourdonnement malsain.

Recule, recule ! la pressa inutilement Erril.Le guerrier et ses deux compagnes battirent prcipitammenten retraite.

Soudain, les protubrances explosrent telles des cosses delaiteron. Une nue de minuscules araignes rouges sen dversapour se rpandre sur le tronc et sur les branches du chne. Uneodeur de viande pourrie monta depuis le cur de larbretransform en foyer de la corruption la plus noire. Quelques

secondes plus tard, des milliers daraignes se balanaient aubout dun fil de soie agit par la brise.


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Douce Mre ! sexclama Erril. Quest-ce que cest quecette horreur ?

Neelahn connaissait la rponse.Cest la Horde.

Les araignes continurent tisser leur linceul autour delarbre. Elles grossissaient vue dil. Leur corps minusculeenflait telle une ampoule gorge de sang ; leurs pattessallongeaient et paississaient. La morsure de cratures aussiabominables ne pouvait tre que venimeuse, songea Elena.

Que Quallons-nous faire ? bredouilla-t-elle. Nous nepouvons pas traverser cette fort.

Si, nous le pouvons, rpliqua Neelahn sur un ton haineux.

Elle se souvenait de lultime supplique du chne. Celui-ci luiavait demand de commettre un blasphme, un acte qui allait lencontre de sa nature de nyphai mais, prsent, elle encomprenait la ncessit.

Comment ? demanda Erril. Que suggres-tu ?Neelahn ferma les yeux, se remmorant limage qui avait

fleuri dans le chant dagonie du vieillard. Des flammes quilchent corces et feuilles. Une promesse de vengeance durcit sa

voix. Brler les arbres pour nous ouvrir un chemin.

Elena se mordilla la lvre et flchit sa main droite, tudiantla souillure carlate dans la pnombre. Le soleil s tait djcouch derrire les pics des Dents, et une ombre paissedissimulait la lisire de la fort corrompue.

Personne ne prtait attention la jeune fille. Ses

compagnons taient trop occups discuter de leurs plans pourle lendemain. Pour linstant, ils ntaient tombs daccord quesur une chose : ils ne braveraient pas la fort pendant la nuit,mais camperaient une bonne distance de celle-ci etmonteraient la garde tour de rle jusqu laube.

Seule Brume se tenait prs dElena, derrire le chariot, lemuseau enfoui dans son sac fourrage. La jeune fille luipeignait distraitement la crinire pour ter les brindilles qui

staient emmles dans ses crins et dfaire les nuds quistaient forms durant la journe. Mais elle ne faisait pas du


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trs bon travail : elle tait trop absorbe par la contemplationdes spirales rouge sang sur sa peau.

Se souvenant des instructions dErril, elle se concentra surla tache. Laisse la magie affleurer, mais ne la libre pas. Elle

respira plus profondment et ralentit son rythme cardiaque.Elle devait sentraner contrler le flot de son pouvoir, car ellepressentait que la journe du lendemain mettrait ses talents rude preuve. Les paupires mi-closes, elle banda sa volontpour rchauffer le bout de ses doigts. Les ongles de sa maindroite se mirent briller dune douce lueur rostre.

Et maintenant, passer au niveau suprieur.Sa volont sintensifia au point que cela leffraya lgrement.

Elle entendait lappel de la magie, ce chant des sirnes dont lasduction lui tait familire aprs toutes les heures passes sentraner avec Erril. Elle ne pouvait nier quune partie delletait attire par les chuchotements de son pouvoir. Mais, au lieude nier cette attirance, elle sefforait de la contrler. Erril luiavait appris quen refrnant ses dsirs elle ne russirait qualimenter la sorcire, lui donner assez de force pour dominerla femme.

Jamais elle ne permettrait une chose pareille. Elle tait ElenaMorinstal, et trop de gens avaient dj pri en son nom. Elle nerenoncerait pas son hritage par facilit pour le plaisir decder aux pulsions dune moiti de son tre. Elle nesabandonnerait pas sa soif de magie.

Elle ouvrit grand sa main. Le bout de ses doigts vira au blanctandis que la chaleur dvorait la couleur de sa peau et lapurifiait de la souillure carlate. Elle sautorisa un sourire

satisfait. Si elle se piquait lindex prsent, sa magie sauvageserait libre de scouler et de faire des ravages autour delle.Mais, quand elle choisirait de le faire, ce serait la femme et nonla sorcire qui plierait le pouvoir sa volont.

Elle serra le poing de toutes ses forces, sentit les nergiescontenues lintrieur, puis le rouvrit. Sa magie ondulait etcrpitait dans sa paume, sur le dos de sa main.

Soudain, une voix sleva derrire elle.

Que fais-tu ?Elena sursauta. Sous le coup de la surprise, son pouvoir


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flamboya encore plus fort, telle une braise ravive par untisonnier. Elle le fora steindre, mais pas avant quil lui aitcorch les yeux, comme pour lui reprocher de le garder captif.De ce fait, il lui fallut quelques instants pour identifier la mince

silhouette qui venait de la rejoindre. Mogweed ? lana-t-elle en remettant son gant. Tu rengaines ton pe, ce que je vois, commenta le

mtamorphe avec un lger sourire.Elena haussa les sourcils. Je te demande pardon ?Mogweed dsigna sa main gante. Tu dissimules ton arme. Une pe au fourreau peut

paratre innocente, voire belle, jusqu ce quon la dgaine etquon rvle son tranchant meurtrier. (Dans la pnombre, lesyeux du mtamorphe brillaient dune lueur ambre.) Ta magieest pareille une pe.

Peut-tre. Mais une pe est plus facile contrler. Ellenessaie pas dembrocher les gens toute seule, fit timidementremarquer Elena.

Ah, la matrise de toute arme ncessite un certain

entranement. Une pe nest jamais aussi dangereuse que celuiqui la manie. Mais mme un enfant peut accidentellement tuer avec.Cest tout fait exact. (Mogweed tendit la main vers le

peigne dElena.) Laisse-moi faire.Il sattaqua au dmlage de la crinire de Brume avec bien

plus de diligence que la jeune fille nen avait manifest. Je peux me dbrouiller, protesta-t-elle.

Mais elle ne pouvait nier que Brume semblait apprcier lesattentions du mtamorphe. videmment, la poigne dherbesucre que celui-ci lui avait offerte avant de se mettre au travaildevait y tre pour beaucoup.

Tut tut, la rabroua gentiment Mogweed. a ne me drangepas, au contraire. Nos chevaux nous ont ports toute la journe ;ils mritent quon soit aux petits soins avec eux. (Par-dessus sonpaule, le mtamorphe regarda Elena de ses tranges yeux aux

pupilles fendues.) Mais assez parl de ta jument. Je suis venuvoir si tu voulais de la compagnie. Tu semblais si seule, lcart


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des autres Pourquoi ne participes-tu pas la discussion ? Parce que mes ides et mes opinions nintressent

personne, grommela Elena. Mmh. Je connais a. (Mogweed lui sourit.) Moi aussi, j ai

tendance rester dans mon coin. Je crains de ne pas biencomprendre les murs humaines. Nous autres silura, nousvivons isols dans les contres du Couchant. Il est rare que nousayons affaire aux hommes un trappeur ou un chasseur detemps en temps, cest tout. Je me sens mal laise quand il y abeaucoup de gens dans les parages. (Il baissa la voix commepour lempcher de trembler.) Dautant que je nai jamais taussi loin de chez moi.

Elena saisit une brosse et se mit triller Brume. Je comprends ce que tu ressens, marmonna-t-elle, le cur

serr.Tandis quelle saffairait auprs de sa jument, une douce

musique sleva depuis le feu de camp : Neelahn jouait du luth.Les notes solitaires sparpillrent telle la chaleur des flammeset se perdirent dans lobscurit, non sans avoir touch lmedElena au passage. Une fois, Erril avait racont la jeune fille

que le luth de Neelahn contenait un esprit de la fort perduedes nyphai. Et, en coutant la complainte de linstrument, Elenasut que ctait vrai. Ses accords parlaient dun foyer ravag,damis disparus. Ils faisaient vibrer son cur. Elle avait djperdu tellement de proches : ses parents, sa tante, son oncleSon seul espoir tait que son frre Joach, captur dans les ruesde Gelbourg, soit encore en vie, quelque part dans les contresdAlasa. En secret, elle rvait de le retrouver durant le long

voyage quelle venait dentreprendre. Joach, souffla-t-elle, tu as promis dtre l pour moi.Tche de ne pas me faire faux bond.

Mogweed, qui tait occup peigner la queue de Brume,releva la tte.

Tu mas parl ?Elena rougit. Non, dsole. Jtais perdue dans mes souvenirs.

Le mtamorphe hocha la tte dun air entendu. Les souvenirs de chez soi Cest souvent doux-amer,


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nest-ce pas ? Oui Oui, cest vrai.Elena baissa la tte pour cacher ses yeux qui s emplissaient

de larmes. Elle avait toujours trouv Mogweed assez froid il

restait seul la plupart du temps, ne disait jamais rien etobservait toujours les gens dun air mfiant. Pour la premirefois, elle commenait comprendre sa rserve. Peut-tre ntait-il pas si diffrent delle, en fin de compte.

Tous deux continurent panser Brume en silence, Jetantun coup dil au mtamorphe un moment o il ne faisait pasattention elle, Elena le surprit avec un sourire mlancoliqueaux lvres. Elle imagina que, comme elle, il pensait sa famille

et son foyer perdus.Quelques minutes plus tard, le pelage de Brume tait si bien

lustr quil luisait dans la pnombre du couchant. Elena etMogweed reculrent dun pas pour admirer leur uvre.

Cest beaucoup mieux, dclara la jeune fille. Merci. Non, cest moi qui devrais te remercier. a ma fait du bien

de parler avec quelquun qui partage mes sentiments.Mogweed leva une main et tapota son pourpoint de cuir

comme sil cherchait quelque chose. Ses doigts finirent par seglisser lintrieur dune poche, dont ils retirrent un objetminuscule.

Tiens, cest pour toi, dit-il. Juste un petit souvenir.Elena se pencha pour voir ce quil lui tendait dans sa paume

ouverte.Cest un gland, stonna-t-elle. Oui. Je lai ramass prs de ce trs vieux chne.

Mais pourquoi ? Je veux dire Un souvenir de quoi ? Oh, ce nest pas un cadeau de valeur, sexcusa Mogweed.Mais je suis collectionneur. Ce que certains considrent commedes dtritus ont valeur de trsors pour dautres. Jai entendu lercit de Neelahn. Cette fort est morte. Je trouve a triste.Alors, jai ramass ce gland en me disant que je pourrais lereplanter ailleurs, loin de cette corruption, pour donner lafort une chance de revivre un jour. (Il fit mine de retirer sa

main.) Je suis dsol. Ctait idiot de croire que Non, non. (De sa main gauche Elena saisit le poignet du


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mtamorphe et prit le gland. Serrant le poing, elle le pressacontre sa poitrine.) Au contraire. Ctait une attention trsdlicate. Merci, Mogweed. Je chrirai ton cadeau.

Je pensais que, comme nous avons tous les deux perdu

notre foyer nous pourrions reconstruire celui de quelquundautre. (La voix du mtamorphe se brisa.) Et, ainsi, fairerevivre un peu le ntre.

Une larme solitaire coula sur la joue dElena. Cette fois, lajeune fille ne chercha mme pas se cacher. Elle voulait queMogweed voie combien ses paroles lavaient touche.

Le mtamorphe parut choqu par sa raction. Il baissa lesyeux comme sil tait gn ou se sentait coupable.

Je suis dsol, rpta-t-il. Je ne voulais pas te Non, Mogweed.Elena tendit la main vers lui. Il eut un mouvement de recul

instinctif. Elle lui pressa lpaule avec un sourire rconfortant,mais avant quelle puisse parler, une voix svre lana derrireelle :

Elena, tu ne devrais pas dj tre couche ? (Ctait Erril.)Nous avons une tape dangereuse en perspective demain ; je

veux que tu sois frache et dispose, en possession de tous tesmoyens.La jeune fille laissa retomber sa main et fit face au guerrier.Jtais juste en train de panser Brume.Erril lignora. Et toi, Mogweed, tu nes pas cens prendre le premier tour

de garde avec Kral ?Jallais le rejoindre, murmura le mtamorphe, penaud.

Il sloigna en frlant Elena. Et tche de garder les yeux ouverts ! lana Erril dans sondos, sur un ton plus accusateur quautoritaire.

Quand lhomme des plaines reporta son attention sur elle,Elena frona les sourcils.

Ce nest pas la peine dtre si dur avec lui. Mogweed nestpas un guerrier juste un voyageur, comme moi.

Erril mit un bruit grossier.

Je suis assez bon psychologue, en rgle gnrale.Mogweed est un tire-au-flanc. Il cherche toujours le chemin le


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plus facile.Avec des gestes brusques, Elena rangea ses brosses et son

peigne larrire du chariot. Puis elle vida le seau dans lequelBrume avait bu, claboussant les pieds dErril avec son

contenu. Pas de doute : tu es trs dou pour deviner ce que

ressentent les gens, railla-t-elle.Tandis quelle se dirigeait vers son sac de couchage grands

pas furieux, ses doigts palprent la petite bosse dans sa poche.Le gland lui prouvait que les apparences taient parfoistrompeuses. Il semblait faible et inutile, mais dans son cur setapissait un chne virtuel. Erril tait incapable de voir ce genre

de chose en Mogweed comme en elle.Derrire elle, Elena entendit le guerrier marmonner : Mais quest-ce quelle a, cette gosse ?Rien, lui rpondit-elle en silence. Rien du tout.

Erril montait la garde. Les compagnons avaient installleurs sacs de couchage lintrieur dun cercle de feux cens lesprotger contre dventuels maraudeurs. Pour linstant, les

cratures de la Horde se contentaient de rester tapies dans leurbois mort, mais mieux valait ne pas baisser leur garde.Si la lumire des flammes clairait la lisire de la fort, leur

chaleur parvenait peine jusquau guerrier. Vtu dune veste enpeau de daim avec un col en fourrure, il se tenait dos aux feux.Par cette froide nuit sans lune, laube lui apparaissait commeune promesse mensongre. Mme les toiles avaient le plusgrand mal percer la fine brume nuageuse qui s tait abattue

sur le paysage la tombe de la nuit.Erril scrutait la lisire de la fort, essayant de percer sesmystres. La discussion stratgique stait poursuivie jusquetard dans la soire. Les compagnons avaient trs vite dcidquils ne rebrousseraient pas chemin. Daprs le loup, les autrespistes taient inondes et peut-tre galement bloques par lacorruption. Non, ils navaient pas dautre choix que de traverserla fort. Pourtant, un doute glacial coulait dans les veines

dErril. Lenfant tait sous sa responsabilit. Nous devons avancer, lana brusquement Tolchuk,


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comme sil avait lu dans ses penses. Nous navons pas le choix.Depuis le dbut de leur tour de garde, logre tait accroupi,

immobile et silencieux tel un rocher si bien quErril avaitpresque oubli sa prsence.

Je sais, acquiesa-t-il, soulag de pouvoir exprimer soninquitude voix haute. Enfin oui et non. On pourraitretourner dans la montagne, auprs du peuple de Kral, etattendre louverture des autres passes.

Non, cest le bon chemin, affirma Tolchuk, avec tant decertitude quErril ne put sempcher de tourner la tte vers lui.

Comment peux-tu en tre si sr ?Logre se dandina sur ses talons, et ses articulations

craqurent comme de jeunes sapins. Dans la lueur des feux,Erril le vit ouvrir la sacoche quil portait sur la cuisse et ensortir un gros objet qui, telle une braise ardente, rougeoyaitentre ses griffes. Il reconnut aussitt le Cur selon Tolchuk,un prcieux morceau de sanguine extrait des profondeurs duroyaume ogre. Il lavait dj vu, mais jamais aussi brillant. Il nepouvait en dtacher son regard. La radiance du cristal semblaitle pntrer jusqu la moelle. Tout bas, sur un ton plein de

respect, il demanda : Que reprsente le Cur ?Tolchuk redevint un rocher. Seule la vapeur blanche qui

slevait de ses narines dans lair glacial indiquait quil vivaittoujours. Enfin, il reprit la parole.

Je vais te dire une chose, Erril. Une chose que je nairaconte personne dautre.

De quoi sagit-il ?

Il y a trs longtemps, un de mes anctres, le Parjure, atrahi la Terre de la faon la plus abominable qui soit. Et, pour lepunir, la Terre a maudit notre peuple.

Honteux, logre baissa la tte et courba le dos.Erril ne lavait jamais vu manifester tant de douleur et de

chagrin. Mal laise, il reporta son attention sur la lisire de lafort, mais il savait quil ne pouvait pas ignorer la dtresse deson compagnon.

Quavait fait ce Parjure, au juste ? lana-t-il dans lesilence.


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Personne ne le sait. (Tolchuk leva la pierre ardente.) Maisceci est notre maldiction. Le Cur retient lesprit des morts denotre clan jusqu ce quils puissent passer dans lau-del.Hlas ! La Terre a plant une graine corrompue un ver noir

appel le Flau dans les entrailles du cristal. Dsormais, ildvore nos esprits au lieu de les librer.

Erril grimaa. En effet, ctait une histoire sinistre. Je suis le dernier descendant du Parjure, et mon sang

ml me condamne ne jamais engendrer denfant. Selon laprophtie, moi seul peux lever la maldiction qui pse sur notrepeuple et dtruire le Flau.

Erril jeta un coup dil la pierre, tentant de distinguer le

ver noir travers sa radiance. Mais il ne vit rien. Ce Flau Comment es-tu cens lradiquer ? Je dois dcouvrir le crime commis par le Parjure et le

rparer.Tolchuk dposa le Cur dans son giron. Je croyais que personne ne savait ce qu avait fait ton

anctre.Cest vrai. Mais le Cur me sert de boussole. Il me guide

et mindique la direction suivre.Erril digra cette information. Il commenait comprendre. La lumire Elle mappelle et me pousse en avant, acquiesa Tolchuk.

Elle mentrane l o je dois aller. Elle ma dabord conduit auxmtamorphes, puis Elena. Aprs que je vous ai tous rejoints,elle est redevenue terne et silencieuse alors, jai su que nousdevions rester ensemble. Mais, la fonte des neiges, elle a

recommenc mappeler, un peu plus fort chaque jour. prsent, jai limpression quelle me plante des crochets dans lecur. Nous ne devons pas traner en route. Le temps presse : telest son message.

Erril tudia la pierre un long moment. Je te crois, lcha-t-il enfin.Et il pivota de nouveau face la fort corrompue. Si les

paroles de logre avaient raffermi sa rsolution, elles navaient

pas russi dissiper ses craintes. Cur ou pas, une prophtie neprotgeait pas contre les morsures daraigne.


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Tu es sr de la direction suivre, Tolchuk ? insista-t-il.Pour toute rponse, logre tendit sa pierre vers le bois de

tnbres. Le cristal flamboya, rivalisant dclat avec les feux decamp.

Il ny a pas dautre chemin possible. Nous devonstraverser la fort des araignes.


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Elena ajusta le mouchoir sur le bas de son visage. Le tissumouill tait froid contre sa joue. Incapable de trouver sonrythme, elle sagita sur la selle de Brume.

On ressemble une bande de brigand, hein ? lui lana

Kral, qui chevauchait ct delle.Elena imagina que le montagnard arborait une de ses largesgrimaces sous le chiffon nou derrire sa tte. Tous leurscompagnons portaient des masques similaires pour se protgercontre la fume vernir, ainsi que des capuches pour empcherles araignes de se prendre dans leurs cheveux. La jeune fillehocha la tte. Ainsi accoutrs, ils ressemblaientindubitablement des pillards.

Devant Elena, une colonne de fume noire souillait dj leciel matinal. Elle provenait du brasier quErril, Neelahn etMric avaient allum laube, un jet de pierre de la lisire desarbres, prs de lendroit o la piste senfonait dans le bois.

Elena regarda la fume se rpandre dans lazur. Pourquoi sesvoyages commenaient-ils toujours dans les flammes ? sedemanda-t-elle, se souvenant de lincendie qui avait ravag leverger de son enfance et mis un terme son existenceinsouciante.

Flanque par Kral, la jeune fille se dirigeait lentement vers lasource du feu. Le chariot cahotait derrire elle, le tintementjoyeux de ses clochettes contrastant avec le silence lugubre de lafort.

Mme si le soleil avait dj dissip les brumes de laube, lesombres de la nuit saccrochaient encore au bois maudit. Desvolutes de soie file, dont beaucoup portaient le corps rouge etboursoufl de leur tisseuse, se tendaient vers Kral et Elena, qui

les vitaient soigneusement.


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Mogweed conduisait le chariot, bord duquel avaient prisplace Fardale et Tolchuk. Erril avait insist pour que personnene traverse la fort pied ; le risque de se faire mordre par unearaigne tait trop grand. Mme les jambes des chevaux taient

enveloppes de bandelettes de cuir.Par-dessus son paule, Elena jeta un coup dil

compatissant aux deux chevaux de trait qui peinaient entre lesbrancards de lattelage. Erril avait voulu persuader la jeune fillede voyager avec logre et le loup.

Tu seras plus en scurit sous la bche du chariot, avait-ilfait valoir.

Mais Elena avait refus dattacher Brume larrire du

vhicule. Avec une libert de mouvement restreinte par salonge, la petite jument aurait eu beaucoup de mal manuvrerpour viter les araignes. Aussi sa cavalire avait-elle choisi derester avec elle malgr le danger.

H ! appela Kral comme ils approchaient du reste dugroupe.

Elena reporta son attention vers lavant. Erril ! rugit le montagnard. Si tu continues attiser ce

feu, tu vas finir par nous rabattre vers les cavernes de mon clan.Erril, qui tait en grande conversation avec Mric, leva lamain pour indiquer quil avait entendu, mais ne sinterrompitpas. Son visage et sa main taient dj couverts de suie.

En rponse quelque chose que le guerrier venait de dire,Mric secoua vigoureusement la tte. Malgr la distance qui lasparait encore de lui, Elena vit ses yeux bleus tinceler decolre.

Neelahn ne prtait aucune attention la dispute des deuxhommes. Elle se tenait entre le feu et la fort. Sous la cape quilenveloppait, ses paules taient toutes crispes. Elle fixait lesarbres, les yeux pleins de larmes qui ne devaient rien aupicotement de la fume. Du dos de la main, elle s essuya la joue,laissant une trane noire sous son il.

Le raffut que faisait le chariot finit par attirer l attention destrois incendiaires. Tandis que Mogweed arrtait le vhicule,

Erril se porta la rencontre des nouveaux venus. Mric etNeelahn lui embotrent le pas.


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Nous sommes prts, annona le guerrier en dtaillantElena, juche sur le dos de Brume.

Une expression mi-irrite, mi-inquite passa brivement surson visage. Puis il se tourna vers les autres.

Jai prpar des torches ; elles sont plantes ct dubrasier. Chaque cavalier va en prendre une. Ds que nousserons remonts en selle, nous nous dploierons de part etdautre de la piste. (Dun index tendu, il dsigna chacun safuture position.) Et, mon signal, nous brlerons un passage travers ce bois maudit.

Tous hochrent la tte et, lexception des occupants duchariot, se dirigrent vers le feu. Mais, quand Elena voulut

descendre de cheval, Erril lui posa la main sur le genou. Non, pas toi. Tu restes prs du chariot.La jeune fille carta dlibrment sa main.Cest hors de question, contra-t-elle dune voix brlante.

(Elle sauta terre.) Je participe comme tout le monde. Je saisque je dois viter dutiliser ma magie tant que je ne lamatriserai pas mieux, mais si nous devons incendier une fortavec des torches, je refuse de rester les bras ballants pendant

que vous ferez tout le travail. Aprs tout, cest pour moi quevous faites ce voyage.Le visage dErril sassombrit dangereusement. Oui, cest pour toi. Mais pas pour tapprendre mettre le

feu des arbres. en croire la prophtie, tu es notre dernierespoir de vaincre le Gulgotha, fillette. Tu nas pas le droit de

Dabord, coupa Elena, jen ai assez que tu me traites defillette. Mes premiers saignements remontent dj lautomne

dernier.Elle voulut repousser ses cheveux en arrire et ralisa, troptard, que ses longues mches ntaient plus quun souvenir. Sesjoues sempourprrent tandis quelle laissait retomber son bras.

Ensuite, pour sauver Alasa, je dois apprendre affronterladversit, pas me cacher et laisser les autres s occuper demoi comme si jtais un bb. Pendant ce voyage, il me faudraendurcir mon cur, le rendre aussi robuste que de lacier

tremp. Et, comme tu me las dit toi-mme, seul le feu le plusbrlant peut forger lacier le plus rsistant.


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Erril la fixa, la bouche entrouverte. Les autres staientinterrompus pour observer la scne ; gns, ils dtournrent lesyeux.

Je ne me droberai pas mes responsabilits, conclut

Elena, les poings serrs. Jaffronterai le feu.Erril secoua la tte. Trs bien, dit-il un peu plus fort que ncessaire.Mais, comme la jeune fille le dpassait, il larrta en lui

posant la main sur lpaule. Mais tu restes prs de moi, chuchota-t-il sur un ton qui

nadmettait aucune rplique. Seuls les vivants peuvent mettreen pratique les leons quils ont apprises.

Elena acquiesa et se dirigea vers le feu. Les autres avaientdj ramass des tisons enflamms. Elle se pencha pour saisirune branche qui dpassait du brasier. Erril limita et se tournavers leurs co

Clemens,James-[Bannis Et Proscrits-2]Les Foudres de La Sor'Ciere(1999).OCR.french.ebook.alexandriZ

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